Les Roches Sédimentaires

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Table des matières

 I. AVANT-PROPOS
 II. INTRODUCTION
o 1. LES ROCHES SEDIMENTAIRES
o 2. QUELQUES REMARQUES GENERALES
 III. LES SEDIMENTS DETRITIQUES
o 1. INTRODUCTION
o 2. ROCHES DETRITIQUES MEUBLES
o 3. ROCHES DETRITIQUES COHERENTES
 3.1. Les grès
 3.1.1. Généralités
 3.1.2. Composition minéralogique
 3.1.3. Granulométrie
 3.1.4. Classification
 3.2. Conglomérats et brèches
 3.2.1. Composition
 3.2.2. Texture
 3.2.3. Classification
 3.3. Sédiments argileux et silteux
 3.3.1. Composition
 3.3.2. Classification
o 4. LES ENVIRONNEMENTS DE DEPOT DES ROCHES DETRITIQUES
 4.1. Argiles et silts
 4.1.1. Sédiments résiduels
 4.1.2. Sédiments détritiques
 4.1.3. Sédiments d'origine volcanique
 4.2. Sables et graviers
 4.2.1. Dépôts de cônes d'éboulis
 4.2.2. Dépôts éoliens
 4.2.3. Dépôts fluviatiles
 4.2.4. Dépôts côtiers
 4.2.5. Dépôts de plate-forme
 4.2.6. Tempestites
 4.2.7. Dépôts de bassin
 4.2.8. Tsunamites
 IV. LES EVAPORITES
o 1. INTRODUCTION
o 2. EVAPORITES CONTINENTALES
o 3. EVAPORITES MARINES PEU PROFONDES
o 4. EVAPORITES PROFONDES
o 5. DIAGENESE
 V. LES SEDIMENTS SILICEUX
o 1. INTRODUCTION
o 2. PETROGRAPHIE
o 3. GEOCHIMIE
o 4. CHERTS ET SILEX LITES
o 5. CHERTS ET SILEX NODULAIRES
o 6. SILICITES NON MARINES
 VI. LES PHOSPHORITES
o 1. INTRODUCTION
o 2. CLASSIFICATION
 VII. LES SEDIMENTS FERRIFERES
o 1. INTRODUCTION
o 2. GEOCHIMIE ET PETROGRAPHIE
o 3. FORMATIONS FERRIFERES PRECAMBRIENNES
o 4. FORMATIONS FERRIFERES PHANEROZOIQUES
o 5. FORMATIONS FERRIFERES ACTUELLES
 5.1. Fer des marais
 5.2. Nodules polymétalliques
 VIII. LES GRANDS ENVIRONNEMENTS DE DEPOT DES CARBONATES
o 1. INTRODUCTION
o 2. LE DOMAINE CONTINENTAL
 2.1. Carbonates lacustres
 2.2. Tufs et travertins
 2.3. Grottes
 2.4. Caliches, calcretes
o 3. LE DOMAINE MARIN
 3.1. Plates-formes carbonatées tempérées
 3.2. Plates-formes carbonatées tropicales
 3.2.1. Les facteurs du milieu
 3.2.2. Les grands environnements de dépôt
 3.2.3. Critères de caractérisation des milieux de dépôt
 3.3. Le talus
 3.4. Le bassin
 IX. DESCRIPTION ET INTERPRETATION DES ROCHES ET DES PALEOENVIRONNEMENTS
CARBONATES
o 1. GENERALITES
o 2. CLASSIFICATION DES ROCHES CARBONATEES
 2.1. Classification de Folk
 2.2. Classification de Dunham complétée par Embry & Klovan et Tsien
o 3. DESCRIPTION DES PALEOENVIRONNEMENTS
CARBONATES: LA NOTION DE FACIES
o 4. LES MICROFACIES STANDARDS DE WILSON-UN MODELE DE PLATE-FORME
CARBONATEE
o 5. LE MODELE DE RAMPE
o 6. INTERPRETATION DES PALEOENVIRONNEMENTS CARBONATES:
UNE BREVE ANALYSE DES METHODES UTILISEES
 X. TAPIS ALGO-MICROBIENS, STROMATOLITHES & Co
o 1. TAPIS ALGO-MICROBIENS ET STROMATOLITHES ACTUELS
 1.1. Introduction
 1.2. Description et classification
 1.2.1. Les stromatolithes
 1.2.2. Les oncolithes
 1.3. Quelques caractéristiques des stromatolithes
 1.3.1. Biologie
 1.3.2. Origine de la lamination
 1.3.3. Ecologie
o 2. TAPIS ALGAIRES GIVETIENS
 XI. LES RECIFS
o 1. GENERALITES - TERMINOLOGIE
o 2. STABILISATION - MINERALISATION
o 3. EVOLUTION AUTOGENIQUE - EVOLUTION ALLOGENIQUE
o 4. LES RECIFS DANS L'HISTOIRE GEOLOGIQUE
o 5. RECIFS ALGO-CORALLIENS DES EAUX SUPERFICIELLES TROPICALES
 5.1. Introduction
 5.2. Généralités: morphologie des récifs actuels
 5.3. Un exemple: les atolls
 5.3.1. Quelques définitions: atolls, îles hautes carbonatées
 5.3.2. Fonctionnement
 5.4. Un autre exemple: le récif barrière
 5.5. Rôle des paramètres physiques sur la répartition et la morphologie des coraux
o 6. BIOCONSTRUCTIONS A CORAUX AHERMATYPIQUES
 6.1. Les lithohermes
 6.2. Les monticules coralliens profonds
 6.2.1. Exemple des Bahamas
 6.2.2. Exemple des monticules de l'Atlantique nord
o 7. MONTICULES WAULSORTIENS
o 8. MONTICULES MICRITIQUES FRASNIENS
o 9. BIOSTROMES GIVETIENS
 XII. LES SEDIMENTS ORGANIQUES
o  1. INTRODUCTION
o 2. LES SEDIMENTS ORGANIQUES ACTUELS
o 3. LES SEDIMENTS ORGANIQUES ANCIENS
o 4. LES CHARBONS
o 5. LES SCHISTES BITUMINEUX
o 6. LE PETROLE
 XIII. DEPOTS VOLCANO-SEDIMENTAIRES
o 1. INTRODUCTION
o 2. ROCHES PYROCLASTIQUES
o 3. AUTRES DEPOTS VOLCANO-SEDIMENTAIRES
o 4. DIAGENESE DES DEPOTS VOLCANO-SEDIMENTAIRES

 Lexique de géologie sédimentaire

I. Avant-propos
Ce cours fait suite au cours de "Processus sédimentaires", centré sur l'étude des
processus d'altération, érosion, transport, dépôt, diagenèse. Le but ici
est d'identifier les différents types de roches sédimentaires et de comprendre leur
genèse et le contexte (paléogéographique, paléoclimatique) de cette genèse.

Puisqu'en sédimentologie comme en bien d'autres domaines mieux vaut avoir la


tête bien faite que bien pleine, ces notes ne se veulent certainement pas exhaustives.
Si elles couvrent brièvement l'essentiel des types de sédiments et de roches
sédimentaires, une certaine accentuation est mise sur le monde des carbonates. J'ai
en effet choisi de traiter plus en détail les bioconstructions, qu'elles soient de type
récifal, microbien ou algaire. Ces bioconstructions diffèrent par leur géométrie, les
communautés organiques qui les édifient, leur mode de stabilisation et la source
d'énergie primaire utilisée (soleil, matière organique, méthane,...). Outre leur intérêt
intrinsèque, le choix d'illustrer particulièrement les bioconstructions est justifié par
le fait que nous en possédons, en Belgique, de multiples et splendides exemples
paléozoïques.

L'approche théorique sera complétée, au cours des travaux pratiques, par l'étude
de lames minces et par des journées d'excursion (ces excursions correspondent
aussi au cours de géologie régionale).

Enfin, chaque chapitre est suivi d'une sélection bibliographique ("pour en savoir
plus"). La lecture de certains de ces ouvrages, suivant l'intérêt personnel, est
recommandée.
Pour en savoir plus:
Quelques ouvrages généraux de sédimentologie:

 F. Boulvain, 2010. Pétrologie sédimentaire: des roches aux processus. Technosup, 259 pp.


 H. Chamley, 1990. Sedimentology. Springer-Verlag, 285 pp. Un bon ouvrage, clair et précis, centré
plus sur les sédiments détritiques que sur les carbonates. Pas de photographies, mais de bons schémas.
 I. Cojan & M. Renard, 2006. Sédimentologie (2e édition). Dunod, 444 pp. Un bon ouvrage récent (en
français) de sédimentologie intégrant les derniers développements (analyse séquentielle, diagenèse,
etc.). Pas beaucoup de photographies, mais de bons schémas.
 D. Prothero & F. Schwab, 1998. Sedimentary geology (an introduction to sedimentary rocks and
stratigraphy). Freeman & Co, 422 pp. Très bel ouvrage, bien illustré de schémas et photographies.
 H.G. Reading, 1996. Sedimentary environments: processes, facies and stratigraphy. Blackwell, 688 pp.
Bon ouvrage, très complet.
 M. Tucker, 2001. Sedimentary petrology (3rd edition). Blackwell, 262 pp. Une des meilleures
introduction à la pétrologie sédimentaire, bien illustrée.

II. Introduction
1. LES ROCHES SEDIMENTAIRES

Les roches sédimentaires font partie inhérente du cycle géologique, puisque leurs
constituants (grains ou ions solubles) résultent de l'altération de roches ou de
sédiments préexistants, que ces constituants ont subi un certain transport et qu'ils se
sont déposés ou ont été précipités dans un bassin de sédimentation. L'évolution
post-dépôt de ces sédiments (diagenèse) les transforme en roches sédimentaires.
Ces roches peuvent subir un métamorphisme et être à leur tour soumises à
l'altération lors de leur passage à la surface des continents.

Il est possible de classer les roches sédimentaires en quatre grandes classes


génétiques:

- les roches détritiques: elles sont formées de particules minérales issues de


l'altération de roches préexistantes. Comme il s'agit de matériel issu des continents,
on les appelle aussi "terrigènes". Ces particules sont transportées par l'eau, la glace,
le vent, des courants de gravité et se déposent lorsque la vitesse de l'agent de
transport diminue (ou lors de la fonte de la glace). Lorsque les roches détritiques
sont essentiellement constituées de fragments de quartz, on les appelle aussi
"siliciclastiques". Les roches détritiques sont généralement classées en fonction de
la granulométrie de leurs constituants (conglomérats, grès, siltites, argilite, voir ci-
dessous). Elles forment près de 85% de l'ensemble des roches sédimentaires;

- les roches biogéniques, biochimiques ou organiques: elles sont le produit,


comme leur nom l'indique, d'une activité organique ou biochimique. L'altération
fournit, outre les particules solides entrant dans la constitution des roches
terrigènes, des substances dissoutes qui aboutissent dans les mers, les lacs et les
rivières où elles sont extraites et précipitées par des organismes. Dans certains cas,
l'action des organismes modifie l'environnement chimique et le sédiment est
précipité directement à partir d'eaux marines ou lacustres sursaturées. Dans
d'autres, les organismes utilisent les carbonates, phosphates, silicates pour
constituer leurs tests ou leurs os et ce sont leurs restes qui constituent les roches
sédimentaires. Les plantes accumulent des matériaux carbonés par photosynthèse et
sont directement à l'origine du charbon. D'autres types de sédiments carbonés
comme les schistes bitumineux, le pétrole sont générés par des bactéries. Les
roches biogéniques forment près de 15% des roches sédimentaires;

- les roches d'origine chimique résultent de la précipitation (purement physico-


chimique) de minéraux dans un milieu sursaturé. Les évaporites (anhydrite, halite,
gypse, sylvite,...) en sont le meilleur exemple: elles se forment par évaporation de
saumures. L'importance relative de ces roches est faible: de l'ordre du %;

- une dernière classe est consacrée aux "autres roches sédimentaires" dont l'origine
n'est pas liée à l'altération: les pyroclastites, les roches liées aux astroblèmes, les
cataclastites (liées à des phénomènes de bréchification par collapse, tectonique,
glissements de terrain, etc.).

2. QUELQUES REMARQUES GENERALES

La phase initiale d'une étude sédimentologique est bien évidemment une campagne
de terrain. Ce travail peut prendre de nombreux aspects, depuis la récolte
d'échantillons de sédiment actuel en mer jusqu'au levé d'une coupe paléozoïque en
bord d'autoroute... Il est bien sûr impossible d'envisager la démarche à suivre dans
des circonstances aussi variées, mais il faut garder à l'esprit quelques règles de "bon
sens géologique":

- toujours se remémorer le principe de la hiérarchie des échelles d'observation: ne


pas passer de l'échelle de l'affleurement à celle du microscope à balayage;

- bien localiser les prises d'échantillons: à la fois dans le temps (position dans une
succession lithologique) et dans l'espace (position de la coupe, du domaine
sédimentaire au sein du bassin);

- ne pas oublier l'importance des documents d'observation: ce sont les documents


de base et les seuls qui sont résolument objectifs... Ils doivent pouvoir servir à
d'autres. Il n'est pas rare que des affleurements disparaissent: les seules traces que
nous en possédons alors sont les levés des géologues des générations précédentes;

- bien faire la différence entre un document de base et un document de synthèse:


outre leur caractère simplificateur (parfois simplement pour une question d'échelle),
ces documents de synthèse servent toujours à montrer quelque chose, ils sont
orientés. Je donne comme exemple la coupe des calcaires givétiens de Vaucelles
(Fig. II.1): à gauche le document de base, à droite la synthèse destinée à être réduite
pour publication et tendant à mettre en évidence les niveaux repères: récifs et tapis
algo-microbiens.

On trouvera dans les notes de cartographie géologique quelques conseils quant


au levé banc par banc et la réalisation d'une colonne lithologique.

Figure II.1: synthèse d'une colonne lithologique de terrain (calcaires). Exemple de


Vaucelles, Formation de Trois-Fontaines, Givétien, bord sud du Synclinorium de
Dinant.

III. Les sédiments détritiques


1. INTRODUCTION
Les sédiments et roches détritiques sont les plus abondants des dépôts
sédimentaires. Au sein de ces dépôts, ce sont les variétés dont les grains sont les
plus fins qui dominent: argiles/silts: 2/3; sables, graviers: 1/3.

Une première distinction parmi les roches détritiques est fondée sur l'état
d'agrégation des particules sédimentaires: on oppose les roches meubles et
les roches plastiques aux roches dures ou cohérentes. Dans les roches meubles, les
grains détritiques sont entièrement indépendants les uns des autres: ils forment un
assemblage en équilibre mécanique dont les espaces intergranulaires (pores)
représentent une fraction importante du volume de la roche. Dans les roches
plastiques, la présence de minéraux argileux en quantité importante permet une
déformation sous la contrainte. Dans les roches cohérentes, les constituants sont
intimement soudés les uns aux autres et la roche garde sa forme aussi longtemps
que des contraintes ne viennent la briser. La transformation du sédiment meuble en
roche indurée résulte soit de l'introduction d'un ciment entre les grains, soit de la
compaction du sédiment, soit encore de la déshydratation des constituants argileux.
On appelle diagenèse l'ensemble des processus physico-chimiques responsables de
la transformation d'un sédiment meuble en une roche indurée.

Un même critère général sert à la classification des roches meubles et cohérentes:


c'est la dimension des grains détritiques. On admet généralement trois grandes
classes ganulométriques:

Diamètre des Brongniart Grabau sédiments sédiments


particules (1813) (1904) meubles indurés
conglomérat,
> 2 mm pséphite rudite gravier
brèche
de 2 mm à 62
psammite arénite sable grès
µm
de 62 de 62
µm à silt µm à siltite
<62 µm pélite lutite 4 µm 4 µm
<4 <4
argile argilite
µm µm

Tableau III.1: classification des roches détritiques.

Au sein des roches pélitiques meubles, la limite de 4 µm correspond à l'apparition


de la plasticité. Il faut noter que les mots pséphite, psammite sont des termes
généraux; anciennement, les géologues de l'Ardenne appelaient psammite un grès
particulier du Famennien du Condroz, caractérisé par un grain fin, un zonage net et
un débitage aisé suivant des joints de stratification couverts de paillettes de micas.

L'étude des sédiments détritiques est relativement différente selon que l'on
s'intéresse à des roches meubles ou consolidées. Dans le cas des sédiments
meubles, elle débute sur le terrain par une description minutieuse des
affleurements, elle se poursuit par un échantillonnage qui exige souvent des
précautions spéciales (enrobage, carottage,...) Elle se termine au laboratoire par des
analyses très variées dont les principales sont les suivantes:

 analyses granulométriques;
 analyses morphoscopiques (forme des grains, état de leur surface);
 analyses minéralogiques (ex: minéraux lourds);
 analyses pétrographiques sur sédiment enrobé.

Dans le cas des roches cohérentes par contre, c'est l'analyse pétrographique en


lame mince qui est l'outil privilégié et qui va permettre de déterminer la
composition minéralogique du sédiment et les relations structurelles de ses
différents constituants. Cette technique est surtout d'application pour les grès et les
siltites.

2. ROCHES DETRITIQUES MEUBLES

Les sédiments bien classés s'inscrivent facilement dans la classification du Tableau


III.1 et reçoivent ainsi un nom en fonction de leur granulométrie. Il n'en va pas de
même dans le cas des sédiments mal classés (moraines, limons, etc.) qui nécessitent
l'utilisation d'un diagramme ternaire. Pour les mélanges de gravier, sable et silt, on
peut utiliser le diagramme de la Figure III.1A ; pour les mélanges de sable, silt et
argile, celui de la Figure III.1B.

Les mélanges de sable, silt, argile et gravier (diamicton) sont relativement rares
dans la nature et nécessitent des agents de transport à très faible pouvoir de
classement, comme la glace (moraines) et les coulées de boue.

Il faut noter que l'utilisation quantitative de ces diagrammes nécessite des analyses


granulométriques.
Figure III.1 : classification des sédiments meubles mal classés. A : diagramme de
Flint et al. (1960). B : diagramme de Folk (1954). Le terme boue concerne des
sédiments imbibés d'eau alors que le terme limon désigne des sédiments secs.

3. ROCHES DETRITIQUES COHERENTES

3.1. Les grès

3.1.1. Généralités

Les grès sont l'équivalent consolidé des sables, c-à-d. des roches dont les


constituants détritiques ont une granulométrie comprise entre 2 mm et 62 µm.
L'examen montre d'une part une phase granulométrique principale, la plus
grossière, qui comporte les grains du grès et d'autre part, soit une matière
interstitielle qui réunit les grains et qu'on appelle le liant, soit des fluides comme de
l'eau, du pétrole, de l'air.

Ce liant peut être de nature chimique et représenter une précipitation in situ de


matière minérale (silice sous forme d'opale, de calcédoine ou de quartz, carbonate
de calcium ou plus rarement hématite, goethite, gypse, anhydrite, etc.): on parlera
dans ce cas du ciment de la roche. Si l'on observe au contraire qu'une phase
détritique plus fine occupe les interstices entre les grains de la phase grossière, on
parlera d'une matrice intergranulaire, représentant une infiltration mécanique de
particules fines entre des grains jointifs (en trois dimensions!).

Si les grains les plus gros ne sont pas jointifs, on doit considérer que l'on a affaire à
un sédiment mal classé où les particules grossières et fines ont été déposées en
même temps: on distinguera alors entre un simple empâtement des gros grains dans
la matrice silteuse ou argileuse (structure empâtée, caractéristique des "wackes",
voir ci-dessous) ou une franche dispersion des gros grains au sein de la matrice
(structure dispersée).

Dans les structures jointives, on peut avoir un simple ciment de contact, conservant
à la roche une porosité importante, mais le plus souvent, le ciment comble la
totalité des interstices entre les grains. Dans lesquartzites, les grains de quartz
s'entourent d'une auréole d'accroissement formée de quartz, de même orientation
optique que le grain détritique. Le phénomène de croissance syntaxique peut être
mis en évidence lorsque les grains du sable primitif possédaient un mince
revêtement ("coating") d'oxydes de fer.

3.1.2. Composition minéralogique

On peut envisager la composition minéralogique des grès sous des aspects très
différents:

 selon la nature minéralogique du liant: grès à ciment siliceux, calcaire,


ferrugineux, etc.;
 d'après la présence de constituants minéraux exceptionnels (grès
glauconifères, micacés,...);
 on peut aussi opposer les constituants stables (quartz, débris de chert et de
quartzite) aux constituants instable, c-à-d. aisément altérables comme les
feldspaths, les micas, les débris de roches en général. Cette distinction
conduit à la notion de maturité des sédiments qui se traduit non seulement
par la disparition progressive des constituants instables mais également par
l'élimination de la matrice argileuse, par l'amélioration du classement
granulométrique et par l'augmentation du degré d'arrondi des grains.

Passons en revue les constituants majeurs des grès:

 le quartz: c'est, en raison de sa résistance à l'altération, de loin le constituant


le plus fréquent des grès. Diverses tentatives ont été réalisées quant à la
détermination de la provenance des quartz, mais en général, les résultats ont
été décevants. On peut dire néanmoins que les quartz monocristallins à
extinction ondulante proviendraient de précurseurs plutoniques ou
métamorphiques, alors que les quartz à extinction uniforme proviendraient
de roches volcaniques ou de grès recyclés. Les quartz provenant de grès
recyclés possèdent souvent une relique d'un ciment syntaxique précipité
durant un ancien épisode de lithification. La cathodoluminescence peut
également aider à distinguer entre quartz de provenances différentes (Götte
& Richter, 2006, p. ex.);
 les feldspaths: suite à leur fragilité (clivage) et leur grande altérabilité, les
feldspaths forment rarement plus de 10 à 15% des grès. Une proportion
importante de feldspaths dans un grès doit donc être considérée comme
"anormale". Elle peut indiquer soit un climat où l'altération chimique est
faible (aridité, gel permanent), soit la présence de reliefs, responsables d'un
transit rapide des sédiments vers le bassin;
 les fragments lithiques: comme les roches plutoniques ont tendance à se
désagréger avant leur incorporation dans le sédiment, les fragments lithiques
les plus fréquents sont des morceaux de roches volcaniques, de schistes, de
cherts;
 les micas et les minéraux des argiles: les micas sont fréquents dans les grès.
Leur granulométrie les range dans les fractions silteuse et sableuse. Les
argiles forment la matrice. Il est généralement difficile de déterminer si leur
minéralogie est originelle (matériel détritique) ou est le résultat de la
diagenèse.

3.1.3. Granulométrie

Plusieurs méthodes existent suivant les classes granulométriques et le fait que l'on
étudie un sédiment meuble ou consolidé. Dans ce dernier cas, en dehors de
situations exceptionnelles où il est possible de désagréger le sédiment sans l'altérer
(grès à ciment calcaire soluble dans l'HCL), il faut renoncer à faire des analyses
granulométriques par tamisage; on ne peut que procéder à des comptages linéaires
sous le microscope, de la façon suivante:

 le long d'une ligne, on mesure les longueurs interceptées par tous les grains
dont la longueur apparente La est égale ou supérieure à une valeur donnée;
 la somme des longueurs interceptées, pour une même gamme de longueurs
apparentes (par exemple: de 0,1 à 0,2 mm; de 0,2 à 0,3 mm, etc.) représente
la fréquence de cette catégorie.

Les résultats obtenus par cette méthode sont cependant entachés d'erreurs dues au
caractère aléatoire des sections de grains et à l'accroissement des grains par
précipitation syntaxique. Au terme d'une étude comparative des granulométries
apparentes et réelles de différents sédiments, Friedman (1962) a établi un graphique
permettant de comparer la distribution apparente d'un grès sous le microscope à
celle qui serait déterminée par tamisage du sable correspondant.

Actuellement, l'utilisation de méthodes automatiques basées sur l'analyse d'image


permet des développements intéressants dans ce domaine (augmentation de la
précision, du nombre d'analyses,...).

3.1.4. Classification

La plupart des classifications modernes font intervenir la composition


minéralogique du grès et sa teneur en matrice fine. La classification la plus utilisée
semble être celle proposée par Dott en 1964 (Fig. III.2). Pour combiner la
composition minéralogique des grès (évaluée sur un diagramme triangulaire quartz-
feldspath-fragments lithiques) avec la teneur en matrice fine (<30 µm), Dott a
choisi de diviser les grès en trois grands groupes: les arénites, les wackes et
les mudrocks.

Figure III.2: classification des grès suivant Dott (1964). Le petit triangle à droite
suggère une classification des greywackes lithiques sur base de la nature des
fragments rocheux.

Sans diminuer l'intérêt de cette classification, il faut néanmoins souligner les points
suivants:

 il s'agit d'une classification pétrographique; elle ne tient pas compte de toutes


les données de terrain, souvent très importantes dans l'interprétation d'un
grès: structures sédimentaires, géométrie du corps sédimentaire, autres faciès
associés latéralement et verticalement;
 elle requiert normalement un comptage de points (500 points en général);
 les grains autres que le quartz, les feldspath et les fragments lithiques ne sont
pas pris en compte;
 la matrice est définie comme la fraction inférieure à 30 µm. A vrai dire, une
matrice représente la fraction granulométrique plus fine comblant les
interstices entre les plus gros grains d'un sédiment. Le terme implique donc
une taille relative et une disposition particulière et non pas une granulométrie
particulière;
 les teneurs limites en matrice qui délimitent les domaines des arénites, des
wackes et des mudrocks ont été choisies arbitrairement et varient en
conséquence d'un auteur à l'autre. Il est clair que ces valeurs arbitraires
deviendraient inutiles si l'on prenait en considération la structure d'agrégat:
structure jointive pour les arénites et structure empâtée pour les wackes.

Nonobstant ces remarques, cette classification a l'avantage d'être très utilisée et elle
permet de distinguer quatre grandes familles de roches, correspondant à des
origines distinctes, les arénites quartziques, les arkoses, les arénites lithiques et les
wackes.

Les arénites quartziques sont constituées essentiellement de grains de quartz, chert,


quartzite associés à quelques minéraux lourds résistants. Leur couleur est claire. Ce
sont des sédiments matures, c-à-d. débarrassés des constituants instables,
généralement bien triés et dont les grains possèdent un bon arrondi. Ce type de
sédiment s'observe depuis la base de la zone d'action des vagues de tempête
jusqu'au milieu continental: plages, dunes, barrières, rides, etc... Le matériau
provient typiquement de l'érosion de zones continentales stables à relief faible.

Les arkoses ou arénites feldspathiques sont composées principalement de quartz et


de feldspath. Ce sont des roches claires, souvent roses ou rougeâtres. L'orthose et le
microcline sont plus abondants que les plagioclases quand la croûte continentale
représente la source principale du sédiment; dans le cas contraire, une source
volcanique doit être suspectée. On y observe aussi des micas et des fragments de
roches. Les arkoses ne sont pas des sédiments aussi matures que les arénites
quartziques: elles sont généralement plus grossières et moins bien triées que ces
dernières (sauf certaines arkoses éoliennes de milieu désertique). Beaucoup
d'arkoses sont des sédiments continentaux, de type cône alluvial, "point bar" de
rivière, voire plage. La présence du feldspath implique, comme dit plus haut, un
climat aride (désertique ou arctique) et/ou un relief accusé (soulèvements récents,
failles actives). Certaines arkoses sont des "reliques", accumulées en tout début de
transgression marine et surmontées par des arénites quartziques.

Les arénites lithiques sont constituées de fragments de quartz et de roches diverses.


Le mélange de quartz et de débris divers leur donne un aspect "poivre et sel". Les
feldspath sont généralement peu abondants, les micas sont communs. Ces
sédiments s'observent aussi bien dans des cônes alluviaux que des turbidites. Il
s'agit de dépôts immatures, à proximité de reliefs vigoureux.

Les wackes (graywackes): ce sont des roches généralement sombres, constituées


d'une matrice et de grains de quartz, de chert, de calcaire, de roches volcaniques, de
schiste, de feldspath (souvent anguleux). Il s'agit de sédiments immatures, mis en
place par des courants de turbidité. On y retrouve en effet les granoclassements et
les autres structures sédimentaires produites par ce type d'agent de transport et de
dépôt. Il faut faire attention au caractère primaire de la matrice et veiller, pour
l'interprétation, à ce qu'il ne s'agisse pas plutôt d'une arkose dont les grains de
feldspath ont été complètement altérés.

Pour les sédiments mixtes, comprenant à la fois des grains de quartz et de carbonate


ou de la boue calcaire et siliciclastique, la classification de Mount (1985) est
recommandée.

Exemples de roches détrtiques en lame mince. A: quartzophyllade; noter la


réfraction de la schistosité (S1) et la stratification (S0), soulignée par un lit plus
grossier; B: schiste à chlorite (flèche); C: arénite quartzique à structure
quartzitique; D: quartzwacke.

3.2. Conglomérats et brèches

Les conglomérats (appelés aussi poudingues) sont des roches cohérentes


constituées de galets arrondis à subanguleux d'un diamètre supérieur à 2 mm et d'un
liant. Le terme brèche s'applique non seulement aux brèches sédimentaires
constituées d'accumulations d'éléments anguleux, mais aussi aux roches broyées le
long des accidents tectoniques (brèche de faille ou brèche cataclastique) et aux
projections volcaniques grossières recimentées (brèches pyroclastiques).
Les conglomérats et brèches ne représentent qu'un à deux % des roches détritiques
et sont généralement d'extension limitée (dans le temps et l'espace). La corrélation
stratigraphique de ces unités est difficile, car elles manquent en général à la fois de
macro- et de microfossiles.

3.2.1. Composition

Suite à la grande taille des constituants (plus grande que la taille moyenne des
cristaux de la plupart des roches), ce sont les fragments lithiques qui dominent.
Comme dans le cas des grès, on peut classer ces fragments en fonction de leur
résistance décroissante à l'altération: quartzite, quartz filonien, rhyolite, roches
plutoniques et métamorphiques, calcaire, schiste. La présence de constituants
instables indique un faible transport/altération.

3.2.2. Texture (la texture traite des relations de grain à grain dans une roche)

Les études texturales sont effectuées directement sur le terrain (pour la


granulométrie, par exemple: même méthode que pour les grès, avec une ligne
matérialisée par une ficelle sur l'affleurement).

Le classement est généralement moins bon que dans le cas des grès. De plus,
beaucoup de conglomérats présentent une distribution granulométrique bi- ou
polymodale. C'est le cas par exemple des conglomérats d'origine fluviatile qui ont
un mode pour la matrice sableuse et un mode pour la fraction grossière. Ces deux
modes correspondent à deux types de transport différents: traction pour les galets et
suspension pour les sables. Les conglomérats très riches en matrice sont encore
plus mal classés: ceci reflète leur mise en place par des agents de transport à faible
pouvoir de classement tels que glace, courants de turbidité, écoulements en masse.

La forme: d'une manière générale, la forme des débris reflète plus la nature des
roches que le type d'agent de transport (granites, grès,... donnent des galets
grossièrement équidimensionnels; schiste, gneiss, des galets allongés). Deux
exceptions: les galets striés transportés par les glaciers et les fameux "dreikanter"
façonnés par le vent du désert.

L'arrondi: le degré d'arrondi dépend évidemment de la nature du matériau de


départ, du type d'agent de transport et de la durée du transport. On a montré que des
fragments de calcaire sont bien arrondis après quelques dizaines de km de transport
fluviatile. Même des roches aussi résistantes que des quartzites sont bien arrondies
après un transport d'une centaine de km.

La morphologie de surface: contrairement aux sédiments plus fins, où l'étude de la


surface des grains exige le MEB, le microrelief des galets est aisément observable.
Il inclut les striations (glaciers), les marques d'impact (croissants), les impressions
(au cours de la compaction, diagenèse), le poli (éolien).
La fabrique ou organisation tridimensionnelle des éléments: les éléments de
certains conglomérats possèdent une orientation d'ensemble spécifique: on l'appelle
"imbrication". Les conglomérats d'origine fluviatile, glaciaire, marine, montrent
généralement ce type d'imbrication (souvent parallèle, rarement perpendiculaire à
la direction de transport), contrairement aux conglomérats et brèches issus
d'écoulements gravitaires.

3.2.3. Classification

Les conglomérats (et brèches) peuvent être qualifiés d'après la dimension de leurs
constituants (pisaire, ovaire, céphalaire, etc.), d'après la diversité lithologique plus
ou moins grande des galets (conglomérats polymictiques ou polygènes d'une part;
conglomérats oligomictiques ou monogènes d'autre part), selon la provenance
locale ou lointaine des cailloux (conglomérats intraformationnels ou
extraformationnels) ou encore suivant la nature du liant ou sa proportion
(orthoconglomérats: moins de 15% de matrice, structure jointive;
paraconglomérats, plus de 15%, structure empâtée à dispersée).

Prothero & Schwab (1996) proposent une classification dichotomique d'application


aisée sur le terrain (Fig. III.3). Ce schéma distingue d'abord (1) les conglomérats et
brèches intra- et extraformationnels, sur base de la provenance des constituants. Il
faut noter que dans le cas d'un conglomérat intraformationnel, c-à-d. formé
pratiquement sur place, la matrice et les cailloux ont souvent la même lithologie.
Exemples de brèches ou conglomérats intraformationnels: conglomérats littoraux à
éléments calcaires issus du remaniement de copeaux de dessiccation; conglomérats
à éléments argileux formés par des augmentations brutales de la vitesse de courants
dans des rivières ou des canyons sous-marins.
Exemple de galets intraformationnels: fragments de boue légèrement indurée,
érodés par les courants. Plage près de la Chapelle Sainte-Anne, Baie du Mont-
Saint-Michel, France.

On distingue ensuite (2), sur base de la teneur en matrice (valeur-pivot: 15%),


les ortho- des paraconglomérats. Les premiers sont mis en place par des
écoulements d'eau qui opèrent un classement des débris. Les galets sont déposés en
période d'écoulement rapide, tandis que la matrice fine est déposée lors de phases
de ralentissement de l'agent de transport et elle s'infiltre entre les cailloux
(exemples: rivières, plages). Les paraconglomérats par contre, sont généralement
déposés par la glace ou les glissements en masse.

L'étape suivante (3) consiste à distinguer au sein des conglomérats


(extraformationnels), les conglomérats polymictiques des
conglomérats oligomictiques. Ces derniers sont formés presqu'exclusivement de
quelques variétés de roches très résistantes: quartz filonien, quartzite, chert. Dans
les conglomérats polymictiques, on observe des éléments de roches moins stables à
l'altération comme des basaltes, des schistes et des calcaires. Comme dans le cas
des grès, ceci implique un relief vigoureux et/ou une altération chimique faible.
Les paraconglomérats sont subdivisés (4) sur la base de la nature et de la fabrique
de leur matrice. Ainsi, on observe des paraconglomérats à matrice argileuse ou
argilo-silteuse laminaire dans lesquels les galets, blocs, déforment les laminations
proches. Ces blocs sont des "dropstones", c-à-d. soit des éléments amenés par des
icebergs ou des débris flottants qui tombent ensuite (fonte, pourrissement du
support) sur les sédiments fins du fond marin ou lacustre, soit encore des bombes
volcaniques. Les paraconglomérats à matrice non laminaire sont soit
des tillites (d'origine glaciaire donc associés à des galets striés, dépôts varvaires,
etc.), soit des tilloïdites (formées par des glissements en masse).

Figure III.3: classification des conglomérats et brèches d'après Prothero &


Schwab (1996).
A: orthoconglomérat oligomictique; B: paraconglomérat à matrice non laminaire:
tillite.

3.3. Les sédiments argileux et silteux

Ces sédiments représentent entre 50% et 80% de la colonne stratigraphique. Leur


étude pétrographique et leur classification est moins élaborée que celle des grès et
des calcaires, en raison de leur granulométrie très fine, en partie sous le pouvoir de
résolution du microscope. Leur importance économique est cependant grande, avec
des applications industrielles multiples comme la fabrication des ciments, des
briques, des céramiques, etc.

3.3.1. Composition

La composition des roches silto-argileuses est relativement constante: le shale (voir


ci-dessous) moyen comprendrait 30% de quartz, 10% de feldspath et 50% de
minéraux argileux (ou de micas), avec les 10% restants constitués de carbonates ou
d'oxydes de fer.

Les minéraux argileux sont le produit de l'altération de roches sédimentaires,


métamorphiques et ignées. Ces dernières ne contiennent pas de minéraux argileux
préexistants, mais un de leurs constituants, les feldspaths, sont aisément
dégradables en argiles.
La nature des minéraux argileux (diffraction X) des roches détritiques a souvent été
utilisée comme indicateur de paléoenvironnement ou de diagenèse (voir ci-
dessous).

3.3.2. Classification

Ces roches appartiennent au grand groupe des "mudrocks" (littéralement "roches de


boue") des géologues anglais. Ce groupe comprend tous les sédiments
siliciclastiques constitués majoritairement d'éléments de la taille des silts (1/16 à
1/256 mm ou 0,062 à 0,004 mm) et des argiles (< 1/256 mm ou 0,004 mm).

Le tableau suivant est une proposition de classification, basée sur les travaux de
Lundegard & Samuels (1980):

faible
sédiments métamorphism
indurés métamorphism
meubles e plus élevé
e
silt siltite quartzite
2/3 silt
NON LAMINAIRE:
mudstone, siltite argillite (pas de
argileuse? CLIVAGE: clivage)
mud LAMINAIRE et slate,schiste silto- CLIVAGE:
FISSILE (// à S0): argileux schist, ardoise,
mudshale, siltite phyllade
argileuse?
1/3 silt
NON LAMINAIRE: argillite (pas de
claystone, argilite? CLIVAGE: clivage)
clay (argile
LAMINAIRE et slate, schiste CLIVAGE:
) argileux
FISSILE (// à S0): schist, ardoise,
clayshale phyllade

Tableau III.2: classification des "mudrocks" (les termes français sont en italique)

Ce tableau montre que le vocabulaire français est moins précis que le vocabulaire
anglo-saxon: nous manquons de mots pour désigner les shales et
les mudstones (notons que ce terme anglais peut amener la confusion avec les
mudstones calcaires, voir plus loin).

Les shales sont donc des argiles compactées, plus ou moins riches en silts,


présentant une fissilité parallèlement à la stratification. En Belgique, on utilise
souvent sur le terrain, le terme "schiste" (="slate") qui doit s'appliquer à une roche
indurée, souvent de granulométrie fine, affectée d'une schistosité (c-à-d. d'un
clivage dû à une dissolution et/ou une réorientation des minéraux sous l'effet des
pressions tectoniques). On devrait utiliser pour être plus correct, l'appellation
"schiste argileux". Les termes ardoise ou phyllade impliquent un métamorphisme:
la plus grande partie des minéraux ont recristallisé, des espèces nouvelles sont
apparues. Les minéraux ainsi développés sont allongés dans des plans
perpendiculaires à la pression tectonique ou lithostatique. Parallèlement à ces plans,
la roche se débite en fines plaquettes luisantes, d'aspect finement cristallin .

L'analyse granulométrique proprement dite ne peut être pratiquée que sur des
sédiments meubles. La détermination des différentes classes est basée sur des
techniques appliquant la loi de Stokes.

A la classification granulométrique des sédiments s'ajoutent d'autres


caractéristiques, celles-ci résultant soit d'analyses microscopiques, soit
d'observations macroscopiques:

- la coloration, en cassure fraîche pour les roches indurées (utiliser éventuellement


une échelle de teintes). Il s'agit d'une caractéristique importante qui renseigne sur
l'état d'oxydation du fer (Fe3+ rouge; Fe2+vert) et sur la présence de matière
organique (schistes noirs);

- la présence de bioturbations, de laminations;

- la minéralogie de la fraction silteuse (quartzitique, feldspathique, micacée,


chloritique).

4. LES ENVIRONNEMENTS DE DEPOT DES ROCHES DETRITIQUES

Il ne s'agit ici que d'une introduction. Des traités entiers sont consacrés à
l'identification des milieux de dépôt des sédiments détritiques.

Cette démarche interprétative est d'une certaine manière plus délicate encore que
dans le cas des environnements carbonatés car manquent souvent ici les
informations importantes livrées par l'écologie des communautés organiques. Dans
de nombreux cas, seules des informations issues de l'interprétation des figures
sédimentaires, de la granulométrie, de la géométrie des corps sédimentaires seront
disponibles. Une grande prudence s'impose donc: des sédiments presque analogues,
issus d'environnements différents ne sont pas rares. Tout est dans le "presque"...

Par commodité, nous envisagerons d'abord les sédiments fins, ensuite les sables et
graviers. Il est cependant évident que ces dépôts se retrouvent mêlés dans plusieurs
types de milieux, fleuves, littoraux, etc.

4.1. Argiles et silts

4.1.1. Sédiments résiduels


Ces dépôts continentaux sont rares dans l'histoire géologique, car ils sont en général
remaniés au cours des épisodes transgressifs.

On en connaît cependant un certain nombre d'exemples, dont l'identification est


importante, car ce sont des marqueurs d'émersion relativement prolongée. Il s'agit,
en milieu siliciclastique, des silcretes. Les structures déterminantes de ce type de
formation (rhizocrétions, nodules, marmorisation, etc.) sont les mêmes que celles
des calcretes (voir cours de processus sédimentaires). Un bon exemple de ces sols
sont les niveaux à radicelles au mur des veines de charbon dans le Houiller. Ces
niveaux contiennent aussi des nodules de sidérite. Un autre exemple important est
la bauxite, accumulation de matériaux insolubles suite aux processus
de "ferrallitisation" ou de "latérisation".

La nature minéralogique des argiles des sols est fréquemment utilisée comme
indicateur paléoclimatique.

4.1.2. Sédiments détritiques

La grande majorité des silts et argiles provient de l'érosion continentale. Ces


matériaux fins sont généralement transportés en suspension par les rivières et
déposés dans des environnements calmes (plaines d'inondation, lacs, deltas, océan).

Le vent est aussi un agent de transport important, remaniant des matériaux issus
d'environnements désertiques (déserts chauds ou froids) et les déposant en milieu
continental sous la forme de loess ou dans les océans. Le transport par la glace est à
la base de la formation des moraines. Envisageons plus en détail le transport par
l'eau.

(1) En milieu continental, on distingue assez facilement les boues de plaine


d'inondation fluviale des boues lacustres:

- les boues des plaines alluviales sont associées à des corps sableux (chenaux, voir
plus bas) et montrent souvent des indices de pédogenèse (nodules, racines, etc.);

- il existe un grand nombre de types de boues lacustres, en fonction de la


géochimie des lacs, du climat, de la nature des apports, de la productivité
organique. Une caractéristique commune est néanmoins la présence d'une
lamination millimétrique. Ces sédiments laminaires sont appelés varves. La
rythmicité peut être due à des proliférations planctoniques ou des apports
saisonniers de sédiments. Comme dans le cas des bassins océaniques, des black
shales peuvent se former dans des lacs dont les eaux profondes sont déficitaires en
oxygène.
(2) En environnement marin, les sédiments fins se déposent dans des zones de
bathymétrie très différente: depuis la côte, en milieu protégé ou le long de "muddy
coastlines" jusqu'à l'océan profond.

- Les "muddy coastlines" sont adjacentes à des estuaires de grands fleuves,


amenant d'importantes quantités de matériaux fins. Un grand nombre de sous-
environnements sont possibles, suivant la morphologie, le climat, etc: par exemple:
"tidal flats", mangroves,... Des boues inter- à supratidales sont également déposées
dans des fonds de baies (exemple: baie du Mont St-Michel) ou dans des lagunes,
protégées des vagues par une barrière (exemples anciens: Marnes de Strassen,
Formation d'Evieux).

Critères d'identification des boues côtières


présence de chenaux de marée remaniant éventuellement des
sédiments plus grossiers;
entilles sableuses avec stratification entrecroisée bidirectionnelle
("herringbone"), formées par les courants de marée;
sédiments mixtes sablo-argileux avec structures en "flaser
bedding";
structures liées à l'émersion: polygones de dessiccation, galets
mous, etc;
flore et faune caractéristiques (voire adaptées à des milieux
saumâtres ou hypersalins);
horizons pédogénétiques, traces de racines.

- Au-delà des sables côtiers, en direction de la pleine mer et à partir d'une certaine
profondeur (sous la zone d'action des vagues "normales"), on trouve une vaste aire
occupée par des boues détritiques ("nearshore mud belt"). La position de cette
ceinture dépend bien sûr du caractère plus ou moins énergique de la houle. Pour des
côtes nettement exposées, la ceinture boueuse peut être fortement déplacée vers le
large. On peut utiliser les critères d'identification suivants:

Critères d'identification des boues de plate-forme


(nearshore mud belt)
boues généralement bioturbées, riches en épifaune et endofaune
(avec un caractère normal, c-à-d. non restreint);
organismes pélagiques fréquents;
des passées plus grossières traduisent des augmentations
temporaires de l'agitation: ce sont les tempestites (Figs. III.8A et
B). Selon leur éloignement relatif du rivage, leur fréquence et
leur épaisseur diminue. Un très bel exemple de boues à
tempestites est la Formation de la Famenne et la Formation
d'Esneux. De la base vers le sommet de cette grande séquence,
l'évolution des tempestites souligne une progradation côtière;
ces boues passent souvent verticalement, par progradation, à des
corps sableux (barrière, plage).

- Les sédiments déposés en eaux plus profondes, en milieu océanique, sont


appelées boues hémipélagiques. Ce type de dépôt couvre une part importante de la
plate-forme externe, des talus et des bassins océaniques. Dans l'océan actuel, des
eaux froides, denses et bien oxygénées plongent au niveau des régions polaires et
diffusent vers les latitudes moins élevées (circulation thermohaline): ces courants
sont responsables d'une bonne oxygénation des fonds marins. Les boues
hémipélagiques possèdent généralement les caractères suivants:

Critères d'identification des boues hémipélagiques


les seuls organismes présents sont pélagiques: diatomées,
foraminifères planctoniques, coccolithes (Mésozoïque-Actuel),
radiolaires (Paléozoïque-Actuel), céphalopodes (Paléozoïque
supérieur-Mésozoïque), graptolites (Paléozoïque inférieur);
on y observe des turbidites et des écoulements de débris ("débris
flows") (Fig. III.10). Le Cambro-Ordovicien belge est riche en
formations turbiditiques: citons en exemple les Formations de
Tubize (Massif de Brabant) et de Jalhay (Massif de Stavelot);
des encroûtements de fer et de manganèses sont parfois présents;
on peut observer des remaniements, des érosions, des graviers
("lag-deposits") dûs à des courants de fond.

Les argiles sont un constituant important des boues hémipélagiques (voir Fig. V.1).


Les espèces minérales les plus abondantes sont l'illite, la smectite et la kaolinite; la
chlorite et certains interstratifiés sont également assez répandus. D'une manière
générale, ces minéraux sont issus des terres émergées et reflètent de manière assez
précise la nature des argiles compris dans les formations continentales
superficielles. De fait, si l'on examine la Figure III.4, on constate:

 une augmentation de la kaolinite dans les sédiments proches des zones


équatoriales, au débouché des grands fleuves; en effet, la kaolinite est riche
en Al et ne contient pas de cations solubles comme K, Ca, Na. Ceci indique
que ce minéral se forme dans des conditions d'altération particulièrement
intenses, où l'Al se concentre après exportation des autres éléments. Ces
conditions correspondent à des sols acides et bien draînés en milieu tropical;
 une prépondérance de la chlorite dans les zones froides où l'altération
physique est prédominante (et où affleurent des roches Fe-Mg, évidemment);
 beaucoup d'illite là où l'apport terrigène est important: latitudes élevées,
embouchures de grands fleuves, zones à fort apport éolien comme le
Pacifique N (vents d'ouest); l'illite est le principal produit d'altération des
feldspaths et des micas en climat tempéré; elle est abondante dans les sols
neutres ou légèrement alcalins;
 une dominance de la smectite (contenant du Fe et du Mg) à proximité de
zones relativement arides où un faible drainage autorise la rétention de Mg,
Ca, Na; on l'observe communément dans les produits d'altération des roches
ferromagnésiennes; on la trouve aussi le long des rides médio-océaniques
(altération des basaltes);
 la présence de palygorskite dans des sédiments issus du remaniement de
caliches ou d'évaporites.

Ces observations sont valables pour l'océan actuel: à partir d'un certain degré
d'enfouissement, le cortège argileux évolue par diagenèse vers un assemblage illite-
chlorite. L'utilisation des argiles comme indicateur climatique est donc à manier
avec précaution.

- Dans certains bassins isolés, où la circulation des eaux est trop faible pour
renouveler l'oxygène du fond, la matière organique s'accumule dans le sédiment et
donne naissance à des "black shales". Certains de ces dépôts peuvent être riches
en hydrocarbures. Ces black shales sont dépourvus d'endofaune et on n'y observe
que des fossiles d'organismes pélagiques. Ils sont souvent riches en Cu, Pb, Zn,
Mo, V, U et As. Ces éléments sont adsorbés sur les argiles et la matière organique.
Une tendance anoxique peut résulter d'une diminution de la circulation des eaux
mais aussi d'une augmentation de l'apport en matière organique (accroissement de
productivité des eaux de surface). Des exemples actuels sont les fjords, la Mer
Noire, certaines fosses océaniques. Dans l'Ancien et proche de nous, on peut citer
les schistes noirs de la Formation de La Gleize (Cambrien du Massif de Stavelot).

Figure III.4: répartition des argiles dans l'océan actuel.

4.1.3. Sédiments d'origine volcanique

Les sédiments fins générés par l'altération des roches volcaniques sont
appelés bentonites si la montmorillonite est le constituant principal et tonstein si la
kaolinite est dominante. Des zéolites peuvent aussi se former. La reconnaissance de
ces sédiments est basée sur la présence de pseudomorphes de verre volcanique
(aiguilles, bulles,...), de cristaux euhédraux (zircon, par exemple) et sur la
composition géochimique.

4.2. Sables et graviers

Les sédiments détritiques grossiers se déposent dans une grande variété


d'environnements, depuis les dunes éoliennes jusqu'aux fonds océaniques (dépôts
gravitaires). Ils sont cependant particulièrement caractéristiques des
environnements côtiers, ou l'hydrodynamisme permet leur transport et leur dépôt.
Passons ces divers milieux en revue.

4.2.1. Dépôts de cônes d'éboulis

Avant leur mobilisation par le vent, le ruissellement ou les torrents, les fragments
de roche détachés de leur substrat par l'érosion subissent un transport sous la forme
d'avalanche de débris. Ces cônes d'éboulis se mettent en place au pied de reliefs
jeunes et sont caractérisés par un classement et une maturité très faibles.

A: avalanche de débris au pied d'un relief; Piau Engaly, France. B: détail


montrant la faible maturité des dépôts: grande variété lithologique, mauvais
classement, faible émoussé.

4.2.2. Dépôts éoliens

Les dunes sableuses sont évidemment de bons indicateurs de climat aride: la


plupart des déserts sont confinés entre 20° et 30° de latitude (ceinture des hautes
pressions) ou derrière des chaînes montagneuses qui jouent un rôle d'écran pour les
perturbations (Andes, par exemple).

Comme l'air a une densité un millier de fois inférieure à l'eau, sa capacité de


transport est beaucoup plus faible et les matériaux grossiers sont laissés sur place,
formant un pavement ou reg. Le vent possède par contre un bon pouvoir de
classement et le transport s'effectue essentiellement par saltation et collisions
intergranulaires des grains sableux, avec le matériau fin exporté plus loin. Ceci
explique l'homogénéité granulométrique des dépôts éoliens. Contrairement à leurs
équivalents marins, les courants aériens n'ont pas la limitation imposée par la
surface de la mer et les dunes éoliennes ne sont limitées en hauteur que par la force
des vents et l'apport en sable. On peut considérer les critères suivants comme
diagnostiques de dunes éoliennes:

Elements diagnostiques des dépôts éoliens


géométrie: les champs dunaires peuvent couvrir des centaines de
km2 et former d'épaisses unités sableuses de grande continuité
latérale. La pente des stratifications entrecroisées éoliennes peut
atteindre 35° (en moyenne 25°-30°) et les unités individuelles
("cross-bed sets") peuvent avoir une épaisseur de l'ordre de 30 m;
il n'y a pas de séquence type comme c'est le cas en milieu marin
(progradation, par exemple);
faciès associés: graviers de déflation, fentes de dessiccation (lac
temporaire, oued);
pétrographie: il s'agit de sables quartzeux très bien classés, avec
un bon arrondi. Au MEB, encroûtements d'oxyde de fer, aspect
"grêlé";
fossiles: rares, hormis quelques terriers, des traces de racines et
des empreintes de pattes.

Il faut remarquer que comme pour tous les dépôts continentaux, les dépôts éoliens
ont peu de chance d'être préservés dans l'histoire géologique (sauf dans des bassins
à subsidence rapide).

Dunes éoliennes fossiles, Pléistocène supérieur, Hergla (Tunisie); le schéma à


droite, souligne le pendage élevé des stratifications.
Stratifications obliques métriques dans les grès éoliens de la Formation de Navajo,
Jurassique, Page, Arizona, USA.

4.2.3. Dépôts fluviatiles

En contexte fluviatile, les premiers corps sédimentaires à se former sont les cônes


alluviaux ("alluvial fans"). Ces cônes se développent (principalement en milieu
désertique ou montagnard) au débouché d'un canyon dans une vallée ou une plaine,
quand le courant fluviatile ralentit brutalement. Au fur et à mesure de sa
décélération, le courant perd sa capacité de transport et dépose sa charge
sédimentaire.
Cône alluvial débouchant dans la Death Valley, Californie, USA. La flèche désigne
un chenal récent.

Ce type de système fluviatile, avec une charge abondante forme un réseau en tresse
("braided stream") (Fig. III.5). Outre le transport par les eaux fluviales, les
sédiments des cônes alluviaux sont également mobilisés par des écoulements en
masse (debris flows). Dans les régions désertiques, ces écoulements en masse ont
souvent un caractère catastrophique ("flash flood") et peuvent transporter des blocs
de plusieurs tonnes: les sédiments qui en résultent sont extrêmement mal classés et
non stratifiés.

Une coupe dans un cône alluvial donnerait une séquence typique d'alternances de
debris flows mal classés et de conglomérats (="fanglomérats") et sables fluviatiles.
On y observe une granocroissance générale vers le sommet du corps sédimentaire,
due à l'avancée du cône avec les faciès distaux relativement fins surmontés par des
faciès proximaux plus grossiers.

Si le cône alluvial débouche directement en milieu marin, on a ce que l'on appelle


un "fan delta" où les matériaux grossiers d'origine alluviale peuvent être mêlés à
des sédiments marins plus fins. Il faut noter que cônes alluviaux et fan deltas sont
caractéristiques de zones tectoniquement actives, avec un rajeunissement
permanent du relief. Quelques éléments sont diagnostiques:

Eléments diagnostiques des cônes alluviaux


contexte tectonique actif, proximité de reliefs jeunes;
géométrie: en forme de cône; la puissance peut être énorme si la
subsidence est continue (plusieurs km);
faciès: conglomérats fluviatiles, grès à stratification entrecroisée,
debris flows non classés. Matériaux anguleux, immatures. Lignes
de courant divergentes à partir du sommet du cône;
pas de fossiles.

Envisageons maintenant les réseaux fluviatiles. On distingue deux systèmes


majeurs: les réseaux en tresse et les réseaux à méandres.
Exemples de systèmes fluviatiles: A: réseau à chenaux en tresse, Inde. B: réseau à
méandres, Brésil; ma=méandre abandonné. Photos Google Earth.

Dans la partie supérieure de leur cours, beaucoup de systèmes fluviatiles possèdent


un réseau en tresse (Fig. III.5). Leur charge sédimentaire est importante et
grossière et leur débit est extrêmement fluctuant. Toutes ces caractéristiques sont à
l'origine du colmatage et de la rapide migration des chenaux. On observe des corps
sédimentaires hétérogènes, de granulométrie variable où les sédiments déposés sont
encore immatures.

Exemple actuel d'un réseau fluviatile en tresse, l'Arc en Savoie. A: vue générale des
chenaux et des bancs sablo-caillouteux. B: détail d'un banc montrant les galets
transportés lors des crues reposant sur des sédiments plus fins.

Grès et conglomérat dans un chenal fluviatile en tresse. Frankenbourg, Permien.


Figure III.5: schéma d'un système fluviatile à chenaux en tresse et exemple d'une
séquence de comblement.

Eléments diagnostiques des systèmes fluviatiles à


chenaux en tresse
comme pour les cônes alluviaux, relief jeune. Les réseaux en
tresse sont localisés dans la partie amont du système fluviatile;
faciès: corps sablo-graveleux allongés, relativement rectilignes,
passant latéralement aux dépôts plus fins de la plaine alluviale.
Au sein de ce corps, les faciès sableux et sablo-graveleux sont
dominants. Contrairement aux systèmes fluviatiles à méandres
(cf. ci-dessous), silts et boues sont rares. Les stratifications
entrecroisées en festons et en auges ("trough cross stratification")
et les stratifications planes (vitesse de courant maximale) sont
communes;
séquences relativement courtes et amalgamées: c'est une
conséquence du caractère éphémère des chenaux. La séquence
complète est la suivante (Fig. III.5): gravier (="lag deposit"),
chenal (stratification en auges), éventuellement bancs sableux
(stratification inclinée), sables boueux avec traces de racines
(séquence de type "fining upward");
peu ou pas de fossiles, hormis des traces de plantes.

Dans leur partie inférieure, les systèmes fluviatiles possèdent un profil à gradient
faible et la plupart des matériaux grossiers ont été déjà déposés. Leur tracé devient
plus sinueux et l'on y observe des méandres. L'érosion ne se manifeste plus par la
formation de nouveaux chenaux (comme dans le cas des réseaux en tresse), mais
plutôt par la modification des chenaux existants. Mais revenons un peu plus en
détail sur les chenaux.

Les chenaux sont des structures érosives, concaves vers le haut, pouvant atteindre


des dimensions latérales importantes (de l'ordre de la centaine de m). Leur
remplissage sédimentaire, d'épaisseur métrique à décamétrique, est souvent plus
grossier que les sédiments qu'ils entaillent. L'érosion se produit le long de la rive
concave. Le comblement se fait par accrétion latérale sur la rive convexe
(Fig. III.6) avec production de stratifications obliques à grande échelle ("point bars"
ou "lobes de méandre"), ou encore par couches horizontales ou concaves vers le
haut (festons, auges). Dans le sédiment remplissant le chenal, différents types de
structures sédimentaires peuvent exister: rides de courant, lamination
horizontale, groove marks, slumps, figures de charge. La base érosive des chenaux
est localement surmontée d'un dépôt grossier de galets mous ou de coquilles
("chanel lag").

Figure III.6: séquence classique de remplissage d'un chenal par progradation


latérale d'un lobe de méandre (temps t1, t2, t3 et t4). On observe une déflexion du
courant (flèches bleues) vers la rive concave, à l'origine de l'érosion. La
composante latérale du courant, responsable du dépôt, est générée par une
élévation de la surface de l'eau le long de la rive concave.
"Point bar" ou "lobe de méandre" dans un coude de la Chavratte (Lorraine belge).

Des levées latérales bordent les chenaux (Fig. III.7); elles sont dues au


ralentissement des courants au niveau de la bordure du lit mineur. L'existence de
ces levées, formant relief, est à l'origine du développement de zones marécageuses
en dépression, lorsque l'on s'écarte du cours de la rivière. Ces zones sont basses,
mal draînées et servent de bassin de décantation pour les particules les plus fines
lors des inondations de la plaine alluviale. En particulier, lors des grandes crues,
des eaux peuvent emprunter des ouvertures au sein des levées, élargissant
progressivement leur passage et creusant un réseau de chenaux secondaires sur les
pentes supérieures des levées. Des sédiments relativement grossiers sont amenés
ainsi dans les dépressions latérales où ils constituent des dépôts en forme de
langues surbaissées appelés "crevasse splay".

Après un recoupement de méandre, le bras abandonné se caractérise par une


sédimentation lacustre, plus fine, parfois interrompue par des dépôts plus grossiers
de crue. Le comblement du lac se termine par des sédiments de marais ou de
tourbière.

Les chenaux sont présents dans de nombreux types d'environnements : alluvial,


mais aussi littoral (voir plus loin).

Voici quelques éléments caractéristiques des systèmes fluviatiles à méandres:


Figure III.7: schéma d'un système fluviatile à méandres et exemple d'une séquence
de comblement. Les levées latérales bordant le chenal se développent suite à la
diminution de la vitesse du courant près de la berge. Elles peuvent se rompre lors
des crues. Sable en beige, argile et silt en vert, tourbe en gris et paléosols en rouge.
Figure III.8: photo et schéma interprétatif d'une coupe dans un système fluviatile
triassique (L'Escalette, Larzac, France). (1) rides et mégarides sableuses en milieu
deltaïque; (2) remplissage argileux d'un chenal après recoupement et abandon du
méandre; alternance de chenaux à remplissage sableux (3) et d'argiles bordeaux
de plaine d'inondation (4).
Eléments diagnostiques des systèmes fluviatiles à
méandres
les rivières à méandres sont localisées dans la partie basse des
cratons. Elles sont entourées de vastes plaines d'inondation à
sédiments laminaires fins; localement, la rupture des levées
naturelles bordant les chenaux donne naissance à des lentilles de
sédiments plus grossiers à granoclassement inverse: les "crevasse
splays".
faciès: proches des systèmes en tresse avec cependant une
proportion beaucoup plus importante de sédiments fin, des
séquences mieux développées et surtout des lobes de méandre
(Figs. III.6, 7). Des lacs (méandres abandonnées) sont fréquent
de même que tout le cortège des phénomènes de pédogenèse
dans la plaine alluviale.

4.2.4. Dépôts côtiers

Généralement, la transition entre environnement fluviatile et environnement côtier


est assez graduelle. Un certain nombre de milieux peuvent être considérés comme
mixtes, reflétant des influences à la fois marines et continentales: c'est le cas
notamment des deltas, des lagunes, des estuaires, des "tidal flats"...

En particulier, au niveau des embouchures de fleuves, en fonction du rapport apport


fuviatile-érosion marine, on peut distinguer plusieurs morphologies: deltas, et
divers types d'estuaires (cf. Strahler & Strahler, 1983 par exemple) (Fig. III.9).

Figure III.9: différents types d'embouchures. A: delta digité avec développement de


chenaux en éventail bordés de levées sableuses (ls); lors de la rupture de ces levées
se forment des dépôts de "crevasse splay" (cs); aux extrémités des chenaux se
déposent des barres d'embouchure (be), suite à la décélération des courants
fluviatiles; ce type de delta se forme lorsque les apports fluviatiles sont dominants.
B: estuaire avec barres sableuses linéaires (bs), formées par les courants tidaux;
ce type d'embouchure se développe lorsque les courants de marée sont
dominants.C: estuaire avec flèche sableuse (f, cf. ci-dessous) et cordons sableux en
bordure de plage; ce type d'embouchure se forme lorsque les effets de la houle (h)
sont dominants et génèrent une dérive littorale.

Les deltas se développent lorsque les rivières amènent au milieu marin plus de


sédiment que ce que l'érosion marine peut mobiliser (Fig. III.9 A).

Dans une première approche, on peut subdiviser un delta en plusieurs sous-


environnements: la plaine deltaïque avec son système fluviatile et son complexe
littoral; le front deltaïque fortement incliné; et lepro-delta qui fait la transition avec
la plate-forme marine. De même que les lobes de méandre, les deltas progradent
latéralement et les lignes-temps sont parallèles à la surface du front deltaïque
(Fig. III.10).

Comme l'eau douce possède une densité moindre que l'eau salée, le courant
fluviatile se propage au-dessus de l'eau de mer, parfois à grande distance du delta
(plusieurs centaines de km dans le cas de l'Amazone...). Ce courant ralentit
progressivement et dépose sa charge sédimentaire sous la forme de levées latérales
ou de barres d'embouchure perpendiculaires au courant ("mouth bars"). En
conséquence, beaucoup de deltas apparaissent comme une formation silto-argileuse
(décantation de boues dans les lagunes, la plaine deltaïque, le pro-delta) dans lequel
sont dispersés des corps sableux discontinus: chenaux, barres d'embouchure, dunes,
etc.

Figure III.10: A: coupe simplifiée dans un delta. B: séquence sédimentaire produite


par la progradation d'un delta; l'épaisseur d'une telle séquence dépend de l'apport
sédimentaire, de la subsidence, des variations eustatiques. La partie supérieure de
la séquence (fining upward) peut être très variable en fonction de la localisation
des chenaux.
Eléments diagnostiques des deltas
les deltas sont situés en contexte de marge passive; ils sont
associés à des dépôts fluviatiles et à des sédiments littoraux.
Grossièrement triangulaires en plan et en forme de coin en
coupe, leur superficie peut atteindre des milliers de km2 pour une
puissance parfois pluri-kilométrique;
faciès: contrairement aux séquences de comblement fluviatile qui
sont du type fining-upward, les séquences deltaïques sont de type
coarsening-upward, avec le passage de boues pro-deltaïques à
des sables de barres ou de chenaux et ensuite éventuellement de
type fining upward en passant à des boues ou des sédiments
riches en matière organique (charbon) de la plaine deltaïque
(Fig. III.10). Les sables montrent des stratifications entrecroisées.
Les levées et la plaine deltaïque sont constituées de boues
laminaires à bioturbées. Les boues pro-deltaïques contiennent des
niveaux sableux occasionnels correspondant à des crues
fluviales. Slumps et déformations syn-sédimentaires sont
fréquents suite à l'inclinaison du front deltaïque;
la matière organique végétale est très abondante dans la plaine
deltaïque (marais, mangrove). Des organismes de milieux
palustre peuvent y pulluler. La faune des boues pro-deltaïques
montre un caractère marin plus affirmé.

Nombreux slumps dans des schistes de la Formation de Le Cosquer, Ordovicien. Il


s'agit d'un front de delta et les slumps sont dus à des glissements sur la pente.
Coupe du Verya'ch, Crozon, Bretagne.

Le long des côtes où l'apport sédimentaire des rivières est faible ne se forment pas
de deltas. La sédimentation est dominée par l'influence des marées et/ou
des courants côtiers générés par les vagues(Fig. III.9 B, C). Les différents
environnements sont étagés en fonction du taux d'exposition du sédiment dû au
balancement des marées et selon l'énergie du milieu (Fig. III.11).

Figure III.11: zonation bathymétrique de la plate-forme continentale.

En climat humide (tempéré ou chaud), les côtes où dominent l'influence des marées
voient la partie supérieure du littoral (zone supratidale) colonisée par des marais
maritimes: c'est le "schorre" ou "herbus", inondé seulement lors des grandes
marées. Ces zones légèrement surélevées, couvertes d'une végétation herbacée, sont
des environnements exigeants où ne survivent que des organismes tolérants à de
grandes variations de salinité (exemples: Verdronken Land van Saeftinge, Baie de
Somme, Baie du Mont-Saint-Michel,...). Le sédiment est riche en matière
organique (boues réductrices) et souvent intensément bioturbé.

Schorre. A: vue générale du marais, recoupé par un chenal à marée basse (Ile
Grande, Bretagne); B: détail d'un chenal à marée haute (Paimpol, Bretagne).
Alternance de dépôts argilo-sableux (gris) et de tourbe (noir) dans un sondage
recoupant l'Holocène de la plaine maritime belge. Il s'agit de dépôts de schorre.

Colonisation progressive de l'estran (zone de balancement des marées) par une


végétation halophile; il s'agit ici de salicornes. La présence de cette végétation va
favoriser l'ensablement en fixant les sédiments et la zone supratidale va
s'étendre. Baie de Somme, France.

L'estran (ou zone de balancement des marées ou zone intertidale) peut voir le


développement de "tidal flats" ou "slikke", zones à très faible relief. La partie
supérieure de cette zone voit le dépôt de boues en environnement relativement
calme ("mud flat"); la partie inférieure, soumise à l'action de courants plus forts, est
caractérisée par des dépôts sableux ("sand flat"). Les chenaux tidaux qui se
développent dans la partie inférieure du littoral et étendent leurs ramifications
jusque dans la zone intertidale incisent les tidal flats. Leur migration latérale (par
érosion et progradation de lobes de méandre, comme en environnement fluviatile)
est responsable d'importants remaniements et transferts de sédiments. Dans les
chenaux les plus larges, les courants de marée sont rapides et le remplissage
sédimentaire est sableux, surmontant un "lag deposit" constitué de débris
coquilliers et d'agrégats boueux. La vitesse de sédimentation est élevée et la
bioturbation peu abondante. Dans les chenaux les plus petits, le remplissage est
boueux.

Les marées impriment un cachet unique aux tidal flats: un cycle -courant de flux-
courant de jusant-exhondaison- répété tous les jours ou deux fois par jour. Ce cycle
produit ce que l'on appelle le "tidal bedding", à savoir la succession d'une lamine
sableuse pour le flot, une lamine de boue pour l'étal de marée haute, une lamine
sableuse pour le jusant et à nouveau une lamine de boue pour la marée basse.
Souvant, les lamines sableuses montrent des stratifications inclinées en sens
opposé, matérialisant les deux directions de courant ("herringbone"). Une autre
caractéristique des tidal flats est le "flaser bedding" et le "lenticular bedding": ces
structures se forment par dépôt de boue dans les espaces entre les rides de courant.
Si les courants de flux et de reflux ne sont pas parallèles, des rides d'interférence
peuvent se former; si les vitesses des deux courants sont différentes, deux systèmes
de rides de longueur d'onde différentes se marquent.

Tidal bedding, Holocène, plaîne côtière belge.


Wavy bedding. Ces dépôts enregistrent des cycles semi-diurnes (alternances
sables/silts) et des cycles semi-mensuels de vives eaux (ve) et de mortes eaux.
Actuel, Pontaubault, Baie du Mont-Saint-Michel, France.

Eléments diagnostiques des schorres et slikkes


côtes à marées de forte amplitude;
faciès: sédiments fins dans la partie supérieure ("mud flat") des
tidal flats et marais maritimes, relativement grossiers dans la
partie inférieure ("sand flat") et dans les chenaux; la zone de
transition correspond au "mixed flat". Nombreuses structures
sédimentaires typiques: flaser bedding (sand flat), lenticular
bedding (mud flat), herringbone, rides d'interférence.
Bioturbation importante, nombreuses traces et témoins de
l'activité d'animaux terrestres durant la marée basse. Matière
organique (tourbe, charbon) abondante dans les marais
maritimes;
séquences: la séquence de progradation est de type "fining
upward": sables à stratifications entrecroisées, flaser ou lenticular
bedding (boues et sables), boues noires bioturbées;
fossiles: faune et flore tolérants aux changements de salinité et à
l'exposition: certains crustacés, huîtres,...

Des barrières, complexes sableux allongés parallèlement au rivage, se forment le


long de côtes où l'apport sédimentaire est important et où le marnage est
suffisamment faible (<3m en général) pour que l'influence des courants de dérive
littorale soit prépondérante sur celle des courants de marée. Ces barrières peuvent
isoler des lagunes où domine la sédimentation boueuse. Le phénomène de dérive
littorale apparaît lorsque la houle n'est pas perpendiculaire à la plage et entrîne un
déplacement latéral du matériel sédimentaire (Fig. III.12).

Figure III.12: A: la houle n'est pas perpendiculaire au rivage et le trajet d'un grain


sédimentaire lors de l'avancée d'une vague est différent de son trajet lors du recul
de la vague suivant la ligne de plus grande pente. Ceci induit un transport net
parallèle au littoral. B: développement d'une flèche par dérive littorale.

Flèche sableuse aux Sables d'Or, Bretagne.


 

Succession lagune, barrière, plage. Dragey, Baie du Mont-Saint-Michel, France.

Le long d'un transect perpendiculaire à la côte, en progressant vers le large, on


constate une diminution progressive de la granulométrie des sédiments et une
grande variété de structures sédimentaires. La plage en elle-même est caractérisée
par des laminations planes parallèles, témoins de la rapidité des courants. Ensuite,
entre la basse plage et la base de la zone d'action des vagues de beau temps
("shoreface") on observe des rides d'oscillation de vagues symétriques et
bifurquées, des stratifications en auges, des stratifications planes.

Sur les côtes exposées aux fortes houles (et où existe un stock sédimentaire
suffisant) peuvent se mettre en place des cordons de galets, localisés en haut de
plage. Le transport a lieu lors des tempêtes.

A: cordon de galets en haut de plage;  la mer est à gauche de l'image; B: détail du


cordon reposant sur le sable de la plage; remarquer les marques de ruissellement
("rill marks") sur le sable. Erquy, Bretagne.
A: stratification plane de plage. B: passage latéral entre des rides de courant et
une stratification plane, Zuydcoote.

Eléments diagnostiques des plages et barrières


association avec d'autres faciès côtiers, ainsi qu'avec des faciès
de mer ouverte;
faciès: sédiments sableux matures (quartz), occasionnellement
minéraux lourds. Stratification plane, herringbone, entrecroisée
en auges, rides d'oscillation. Les fossiles sont généralement
brisés; lumachelles;
la séquence de progradation est de type coarsening upward et
comprend les termes suivants: sables fins bioturbés,
stratifications HCS (ZAVT-ZAVBT), sables bien classés avec
stratifications planes et entrecroisées (auges, oscillation,
courant).

4.2.5. Dépôts de plate-forme

La profondeur de la plate-forme peut varier entre 10 et 200 m (un bon exemple


actuel de plate-forme siliciclastique est la Mer du Nord, mais la majeure partie des
matériaux sont des reliques d'environnements glaciaires, fluviatiles ou côtiers,
formés avant la transgression post-glaciaire).

Les sédiments de plate-forme subissent l'action des courants tidaux et des courants
et des vagues de tempêtes. On distingue en général deux grands types de plates-
formes (Fig. III.13): les plates-formes où les processus sédimentaires sont dominés
par l'action des vagues ("weather dominated"=WD) et les plates-formes où ces
processus sont dominés par l'action des marées ("tide-dominated"=TD).

- Les courants modérés induisent la formation de rides sur les fonds sableux et les
courants forts (>60 cm/s), de mégarides ou dunes sous-marines ("megaripples").
Ces dunes peuvent atteindre une quinzaine de mètres de hauteur pour une longueur
d'onde de 500 m. La stratification est inclinée (avec "foresets") ou entrecroisée en
auges. Dans le cas des rides, l'épaisseur des unités ("sets") est inférieure à 4 cm,
dans le cas des mégarides, elle peut atteindre 1 m (très beaux exemples dans
le Sinémurien de la Lorraine belge). Le sédiment sableux est bien classé.

- Le sédiment peut être également transporté par des courants générés par des
tempêtes (courants de densité). Les plus grandes des structures ainsi produites
peuvent ressembler aux rides de courants tidaux, avec stratifications entrecroisées.
Un certain nombre de différences permet cependant d'effectuer la distinction:

 on n'observe pas de changements périodiques dans la direction des courants


(herringbone);
 des stratifications en auge et mamelons (hummocky cross stratification) sont
présentes.

Eléments diagnostiques des dépôts sableux de plate-forme


association avec des dépôts côtiers, voire des dépôts de bassin;
faciès: corps sableux lenticulaires (parfois de grande dimension)
au sein de sédiments plus fins (argiles, shales). Sédiments
matures, souvent bien classés: quartz, fragments de coquilles,
glauconite. Nombreuses figures sédimentaires dont: HCS,
stratification inclinée à grande et petite échelle, lits granoclassés
(tempestites), etc.
la séquence progradante type est la suivante: boues bioturbées,
boues à niveaux sableux de tempêtes, sables à HCS, mégarides à
stratifications en auges ou inclinée;
fossiles: caractère marin ouvert, non restreint.

 
Figure III.13: quatre séquences typiques de plate-forme siliciclastique. A: plate-
forme progradante de type "storm-dominated"; B: plate-forme rétrogradante de
type "storm-dominated"; C: plate-forme rétrogradante de type "tide-dominated";
D: plate-forme aggradante de type intermédiaire.

4.2.6. Tempestites

Sur la plate-forme, entre la base de la zone d'action des vagues de beau temps
(ZAVBT ou en anglais "Fair Weather Wave Base") et la zone d'action des vagues
de tempête (ZAVT ou "Storm Wave Base"), on observe dans des sédiments
généralement fins, des niveaux sableux avec des stratifications en auges et
mamelons (HCS, "hummocky cross stratification"): les tempestites.
Ces corps sédimentaires développés sur des plates-formes ouvertes, soumises à des
tempêtes périodiques, montrent à la fois une évolution verticale, sur quelques cm à
quelques dm (séquence dite de tempestite, Fig. III.14) et une évolution latérale,
depuis des dépôts proximaux jusqu'à des dépôts distaux.

La séquence idéale de tempestite se caractérise par les éléments suivants (de bas en
haut):

- des sillons (" furrows ") plus ou moins érosifs à la base, témoins de l'augmentation


brutale de la vitesse des vagues et des gouttières d'érosion ("gutter casts"). Les
sillons sont des figures de base de banc, concaves, de largeur supérieure à 50 cm ;
les gouttières peuvent être droites ou sinueuses, ont de 2 à 25 cm de largeur pour
une profondeur pouvant atteindre 15 cm. Leur surface peut comporter de nombreux
"tool marks" et leurs parois latérales peuvent être abruptes;

- un premier dépôt grossier très souvent constitué de coquilles et débris;

- un sable avec des laminations planes parallèles, passant vers le haut à des
stratifications en mamelons ("hummocky cross stratification"), puis éventuellement
des stratifications de rides de vagues;

- des sédiments plus fins, souvent bioturbés: ces derniers dépôts correspondant à la
sédimentation de "beau temps", avec une diminution de la vitesse de sédimentation
et de la granulométrie.

Cette séquence est la plus complète. En zone plus distale, les sillons sont de moins
en moins marqués et finissent par disparaître vers le large. En ce qui concerne la
séquence sédimentaire, elle se réduit latéralement d'abord aux sables à stratification
en mamelons, ensuite à des "strates granoclassées" laminaires d'épaisseur
centimétrique, enfin à des sphéroïdes. Les sphéroïdes sont des objets ovoïdes cm à
dm, déposés en lits, le grand axe dans la stratification. Ils sont souvent laminaires
ou présentent des stratifications entrecroisées.

Il faut noter aussi qu'une caractéristique importante des tempestites est leur
caractère amalgamé. Ceci signifie qu'une tempestite peut remanier une bonne part
de la tempestite précédente, détruisant ainsi la partie supérieure de la séquence
(sables à rides de vague, dépôt de beau temps).

Dans les séquences sableuses cycliques, on doit toujours rester attentif à faire la
distinction entre tempestite et turbidite

Eléments diagnostiques des tempestites


contexte général de plate-forme;
absence de figures de base de banc de type flute casts et au
contraire présence de sillons;
absence de granoclassement vertical;
présence de stratifications en mamelons et souvent absence de
rides de courant.

Figure III.14 A: position relative des trois principaux faciès des tempestites au sein
d'un épandage sableux (la source d'alimentation n'est pas nécessairement le
littoral: il peut s'agir de barres sous-aquatiques ou même de dépôts de tempêtes
antérieurs. L'évolution distal-proximal ne s'effectue donc pas nécessairement par
rapport à la côte). B: séquences élémentaires à l'échelle de la strate pour plusieurs
types de tempestites. Les tempestites amalgamées résultent de la superposition de
plusieurs tempestites avec érosion basale des dépôts antérieurs.
Tempestite gréso-carbonatée. Durnal, Famennien.
Exemples de tempestites. A: tempestites gréseuses proximales (niveaux gréseux
largement dominants), Formation de l'Armorique (Dévonien inférieur), coupe de la
Fraternité, Crozon, Bretagne. B: tempestites médianes (les niveaux gréseux sont
séparés par des niveaux schisteux épais), Formation de Postolonnec (Ordovicien),
coupe de Camaret, Crozon, Bretagne. C: tempestites carbonatées distales
(accumulations de bioclastes), Formation de Reun ar Chrank (Emsien), Le Faou,
Crozon, Bretagne. D: mamelons en surface d'un banc de grès, Formation de
Luxembourg, Fontenoille, Belgique.

4.2.7. Dépôts de bassin

Les sédiments de bassin sont surtout des sédiments boueux. Les principaux


sédiments grossiers qu'ils contiennent sont les turbidites (Fig. III.15) et les debris
flows. Il faut noter (Shanmugam, 1997) que l'appellation "turbidite" devrait être
restreinte à des dépôts dont le mode de transport est un courant de turbidité, c-à-d.
un fluide où les particules sont maintenues en suspension par la turbulence seule. A
ceci s'opposent les debris flows, qui sont des écoulements plastiques où les
particules sont supportées par une matrice. Les turbidites vraies sont granoclassées
et constituées de sédiments fins, à la différence des debris flows qui peuvent inclure
des débris de toute taille.

Les turbidites de moyenne densité sont constituées des termes A-F de la séquence
de Bouma, formant une séquence grossièrement granodécroissante. La répartition
horizontale des différents termes est fonction de la granulométrie et de la distance à
la source (Fig. III.15).

Figure III.15: séquence idéale de turbidite de moyenne densité ("séquence de


Bouma") et répartition en plan des différents termes. Le terme A, le plus grossier,
s'observe principalement dans les chenaux de turbidites; les termes B-D forment le
lobe proximal tandis que le terme E se retrouve surtout dans le lobe distal.

4.2.8. Tsunamites

Les événements dramatiques de décembre 2004 ont rappelé l'importance


des tsunamis. Avec une fréquence moyenne dans la nature actuelle d'un tsunami
majeur tous les 20 ans , on peut considérer qu'il s'agit de phénomènes susceptibles
d'apparaître communément dans l'enregistrement sédimentaire. Or, les mentions de
"tsunamites" sont rares. Il s'agit vraisemblablement d'un problème d'identification
de ces dépôts, encore mal connus. Une possible source de confusion vient du fait
que les énergies libérées par les tsunamis sont colossales et que leur influence peut
se marquer dans tous les environnements marins, depuis la zone littorale jusqu'à
plusieurs kilomètres de profondeur dans les bassins océaniques. L'enregistrement
sédimentaire d'un tsunami peut donc correspondre à un niveau grossier en zone
supratidale, à un corps ressemblant à une tempestite sur la plate-forme et à une
turbidite dans le bassin (Fig. III.16).

Les phénomènes susceptibles de déclencher un tsunami sont de quatre types:

- tremblement de terre sous l'océan: un mouvement vertical le long d'une faille


déplace toute la colonne d'eau de la valeur du rejet; c'est ce qui s'est produit en
décembre 2004 dans l'Océan Indien. Les tsunamis généré par les tremblements de
terre se propagent très loin (http://www.noaanews.noaa.gov/video/tsunami-
indonesia2004.mov) mais l'amplitude des vagues reste relativement faible, à peu
près égale au rejet de la faille (jusqu'à 13 m pour le tsunami de
2004: http://www.asiantsunamivideos.com);

- un glissement de terrain ou une avalanche: dans ce cas, une masse importante de


roche ou de sédiment déplace un même volume d'eau. L'amplitude du tsunami est
grossièrement proportionnelle à la hauteur de la masse déplacée. Ces phénomènes
génèrent des vagues très hautes, mais dont la propagation est faible (en 1958, une
avalanche de rochers dans la Baie de Lituya en Alaska a généré une vague de
500 m de haut);

- une explosion volcanique: un des exemples les plus célèbres est l'explosion du
Santorin en Crête (vers 1500 av. JC). Le tsunami généré par l'explosion a ravagé
tous les rivages de Mediterrannée et provoqué la formation d'une méga-turbidite;

- un impact de météore ou de comète dans l'océan: dans le cas de météores de


diamètre kilométrique, la hauteur du tsunami est égale à la profondeur de l'océan et
sa propagation est mondiale. Outre la vague générée par le déplacement de la masse
d'eau lors de l'impact, d'autres tsunamis secondaires se forment par des processus
de rebond lors du remplissage de la cavité transitoire, par des glissements de
terrains et des tremblements de terre.

Une fois généré, le tsunami se déplace dans l'océan, parfois sur des milliers de
kilomètres, à des vitesses de l'ordre de 600 à 800 km/h. Son amplitude est faible, de
l'ordre de quelques dm à quelques m, mais sa longueur d'onde peut atteindre des
centaines de kilomètres. Comme l'ensemble de la colonne d'eau est affectée, il
semble que des sédiments de bassin de la gamme des silts puissent être déplacés.
Lorsque le tsunami pénètre sur la plate-forme, sa vitesse diminue par frottement
jusqu'à des valeurs de 30 à 60 km/h et sa hauteur augmente. Enfin, lorsqu'il arrive
sur la plage, il ralentit jusqau'à une vingtaine de km/h et sa hauteur atteint un
maximum. C'est à ce moment que sa force érosive est maximale. Des sillons
profonds peuvent être creusés et du matériel venant de l'ensemble de la plate-forme
peut être érodé et transporté. Une unité basale est formée, très grossière,
comprenant localement des blocs de taille plurimétrique, des organismes de milieu
marin ouvert et quelques stratifications indiquant un courant orienté du large vers le
continent. Cette unité peut se mettre en place jusqu'à plusieurs km à l'intérieur des
terres.

Après le passage de la vague, l'eau qui a envahi le continent commence à se retirer;


une partie des sédiments déposés peut être remise en suspension et redéposée,
mêlée à des débris venant du continent (plantes, artefacts,...) et avec des
stratifications indiquant un courant de retour. Les vitesses de courant atteintes
peuvent être très grandes, d'autant que cet écoulement de retour est généralement
chenalisé. Lors du calme relatif qui suit , des sédiments plus fins peuvent
commencer à s'accumuler, avant le passage éventuel d'une seconde vague, puisque
la fréquence des tsunamis est de l'ordre de plusieurs dizaines de minutes, voire
d'une heure. Comme dans le cas des tempestites, la mise en place de tsunamites
amalgamées est donc possible.

En bordure de plate-forme et dans les bassins, le passage d'un grand tsunami peut
s'accompagner du déclenchement d'écoulements gravitaires (debris flows et
turbidites). Des dépôts de type debris flows peuvent s'observer également sur la
plate-forme et même en zone littorale si la mise en suspension de sédiments conduit
à la formation d'un écoulement visqueux. 

Eléments diagnostiques des tsunamites


granulométrie plus grossière que les sédiments encaissants;
association avec des sédiments déformés (seismite);
érosion basale profonde;
sédiments mal classés; présence de blocs de grande taille,
d'éléments remaniés de la plate-forme;
changement de sens des stratifications entrecroisées (flux et
reflux);
stratifications entrecroisées de grande longueur d'onde (de l'ordre
de la dizaine de m);
présence de débris (végétaux, artefacts) venant du continent;
avancée importante du niveau sédimentaire sur le continent.
 
 

Figure III.16: modèles de tsunamites. 


Pour en savoir plus

Sur la classification des roches détritiques:

 P. Lundegard & N. Samuels, 1980. Field classification of fine grained sedimentary rocks. J. of
Sedimentary Petrology, 50, 781-786.
 J. Mount, 1985. Mixed siliciclastic and carbonate sediments: a proposed first-order textural and
compositional classification. Sedimentology, 32, 435-442.
 E.J. Pettijohn, 1975. Sedimentary rocks. Harper international edition, 628 pp.

Sur les structures sédimentaires:

 H.-E. Reineck & I.B. Singh, 1980. Depositional sedimentary environments. Springer-Verlag, 549 pp.

Sur les turbidites, les tsunamites et les "debris flows":

 D.A.V. Stow (edt.), 1992. Deep-water turbidite systems. Reprint series vol. 3 of the Int. Assoc. of
Sedim. Blackwell, 473 pp.
 G. Shanmugam, 1997. The Bouma sequence and the turbidite mind set. Earth-Science Reviews, 42,
201-229.
 T. Shiki, M. Cita & D. Gorsline (eds.), 2000. Sedimentary features of seismites, seismoturbidites and
tsunamites. Sp. Issue , Sedimentary Geology, 135, 320 pp.

Un exemple actuel de système côtier siliciclastique:

 C. Bonnot-Courtois, B. Caline, A. L'Homer & M. Le Vot, 2002. La Baie du Mont Saint-Michel et
l'estuaire de la Rance. Environnements sédimentaires, aménagements et évolution récente. Bull. Centre
Rech. Elf Explor. Prod. Mém. 26, 256 pp.

Des exemples "belges" anciens de systèmes côtiers siliciclastiques:

 E. Goemare, E. Catot, L. Dejonghe, L. Hance & P. Steemans, 1997. Sédimentologie des Formations de
Marteau, du Bois d'Ausse et de la partie inférieure de la Formation d'Acoz (Dévonien inférieur) dans
l'est de la Belgique, au bord nord du Massif de Stavelot. Mem. Geological Survey of Belgium, 42, 168
pp.
 J. Thorez, E. Goemare & R. Dreesen, 1986. Tide- and wave-influenced depositional environments in
the Psammites du Condroz (Upper Famennian) in Belgium. In de Boer et al., éds.: Tide-influenced
sedimentary environments and facies. Reidel Publ. Co, 389-415.
 J. Thorez, M. Streel, J. Bouckaert & M.J.M. Bless, 1977. Stratigraphie et paléogéographie de la partie
orientale du Synclinorium de Dinant (Belgique) au Famennien supérieur: un modèle de bassin
sédimentaire reconstitué par analyse pluridisciplinaire sédimentologique et micropaléontologique.
Meded. Rijks Geol. Dienst, N.S. 28 (2), 17-32.

Sur l'utilisation des cortèges argileux dans la reconstitution des paléoenvironnements:

 H. Chamley, J-N. Proust, J-L. Mansy & F. Boulvain, 1997. Diagenetic and paleogeographic
significance of clay and other sedimentary components in the middle Devonian limestones of Western
Ardennes, France. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, 129, 369-385.

Sur l'origine du quartz:

 T. Götte & D.K. Richter, 2007. Cathodoluminescence characterization of quartz particles in mature


arenites. Sedimentology, 53, 1347-1359.

IV. Les évaporites


1. INTRODUCTION

Les évaporites sont des sédiments résultant de l'évaporation de l'eau et de la


précipitation des sels qui y sont dissous. Les minéraux principaux en sont le gypse,
l'anhydrite et la halite. D'autres minéraux, quoique moins fréquents, peuvent être
des constituants importants de certains dépôts salins. Le Tableau IV.1 en donne une
liste.

 
minéraux
minéraux
des
des
évaporite
évaporite
s non
s marines
marines
halite,
halite NaCl gypse,
anhydrite
sylvite KCl epsomite MgSO4.7H2O
Na2CO3.NaHCO3.2H2
carnallite KMgCl3.6H2O trona
O
kainite KMgClSO4.3H2O mirabilite Na2SO4.10H2O
anhydrite CaSO4 thenardite NaSO4
gypse CaSO4.2H2O bloedite Na2SO4.MgSO4.4H2O
polyhalite K2MgCa2(SO4)4.2H2 gaylussite Na2CO3. CaCO3.5H2O
O
kieserite MgSO4.H2O glauberite CaSO4.Na2SO4

Tableau IV.1: principaux constituants des évaporites.

Les évaporites ont une grande importance économique. En particulier, elles forment
le toit imperméable de certains des plus grands gisements pétroliers du monde. Au
point de vue sédimentologique, leur reconnaissance est essentielle puisqu'elles sont
de bons marqueurs climatiques (climat aride, où l'évaporation excède de loin les
précipitations, c-à-d. dans la ceinture tropicale des hautes pressions, entre 10° et
30° de latitude).

Pour comprendre la genèse et la constitution des dépôts évaporitiques, il est


nécessaire de revenir à la composition chimique des eaux de mer et de rivière,
exprimée au Tableau IV.2. On voit rapidement que si les rivières contiennent
principalement HCO3- et CO3=, avec une proportion moindre de Ca++, H4SiO4, SO4=,
Cl-, Na+, Mg++ et K+, les océans contiennent en grande quantité de SO 4=, Cl-, Na+ et
K+. Ces différences reflètent en fait la manière dont les sels dissous sont extraits de
l'eau de mer et incorporés dans les sédiments. Le Tableau IV.3 donne les temps de
résidence des principaux ions de l'eau de mer (temps de résidence en années=masse
totale d'un ion dans les océans / apport annuel des rivières).

eau de mer
eau de rivière
moyenne
moyenne
(% du résidu
(% du résidu solide)
solide)
HCO3- et
48,6 0,4
CO3=
Ca++ 12,4 1,2
H4SiO4 10,8 <0,01
SO4= 9,3 7,7
Cl- 6,5 55
Na+ 5,2 30,6
Mg++ 3,4 3,7
K+ 1,9 1,1
Fe++ et Fe+++ 0,6 <0,01
Al(OH)4- 0,2 <0,01
NO3- 0,8 <0,01
total 99,7 99,7
salinité 121 ppm 35.000 ppm

Tableau IV.2: abondance relative des ions dissous dans l'eau de mer et l'eau de
rivière (d'après Mason, 1966 et Livingston, 1963, respectivement).
temps de résidence principaux types de
(années) sédiments
Cl-  évaporites
Na +
260.000.000 évaporites
Mg++ 12.000.000 évaporites, dolomite
K+ 11.000.000 argiles, évaporites
SO4= 11.000.000 évaporites
Ca++ 1.000.000 carbonates
HCO3- et
110.000 carbonates
CO3=
cherts, dépôts
H4SiO4 8000
siliceux
Mn++ 7000 nodules
sédiments riches en
Fe++ et Fe+++ 140
Fe
Al(OH)4- 100 argiles

Tableau IV.3: temps de résidence et devenir des principaux ions dissous dans l'eau
de mer. D'après Prothero & Schwab.

Le sodium et le chlore sont très abondants dans l'eau de mer car d'une part, ils ne
sont pas utilisés par les organismes et incorporés au sédiment sous la forme de tests
comme le calcium, la silice, les carbonates et d'autre part, ils n'entrent pas dans le
réseau des argiles au cours de la diagenèse comme l'aluminium et le fer. Seule
l'évaporation de l'eau de mer, dans des circonstances forcément exceptionnelles,
permet leur extraction des océans.

 Si l'on observe l'apparition progressive des précipités lorsque l'on fait évaporer de
l'eau de mer (salinité 3,5%), on a la séquence suivante:

- dans certaines circonstances, de la calcite ou de l'aragonite précipitent lorsque le


volume de l'eau est réduit de 50%;

- le gypse et l'anhydrite commencent à précipiter lorsque le volume de l'eau de mer


n'est plus que 35% du volume initial;

- lorsque le volume de l'eau n'atteint plus que 10% du volume de départ, des
minéraux plus solubles comme la halite et la sylvite cristallisent;

- enfin, lorsque l'évaporation est presque totale, des borates et nitrates précipitent.

 Si l'on examine les dépôts évaporitiques naturels, on constate que cette séquence
idéale est rarement réalisée. Des répétitions, des cycles tronqués sont fréquents:
c'est le signe d'une évolution plus mouvementée du bassin évaporitique, alternant
remplissage, périodes d'évaporation, nouveau remplissage avec dissolution d'une
partie des espèces précédemment précipitées, etc.

 Les évaporites s'observent depuis le Précambrien jusqu'à l'époque actuelle, mais


leur répartition spatiale et temporelle est inégale: elles sont particulièrement
représentées au Cambrien, au Permien et au Trias. On classe généralement les
évaporites en trois grands types: les évaporites continentales, les évaporites marines
de milieu peu profond et les évaporites marines profondes.

2. EVAPORITES CONTINENTALES

Ces dépôts s'accumulent dans des lacs endoréiques en région aride ou semi-aride.
La minéralogie de ces évaporites est relativement variable puisqu'elle dépend de la
composition des eaux fluviales, elle-même dépendante de la géologie régionale.

On observe en général une répartition horizontale concentrique des différents


dépôts (gypse-halite-nitrates) en fonction de leur degré de solubilité, les plus
solubles étant localisés au centre, lorsque l'extension du lac en cours d'assèchement
était la plus restreinte. Cette structure particulière, la présence d'autres types de
sédiments continentaux, certaines espèces minérales rares en environnement marin
comme le borax, l'epsomite, le trona , la gaylussite et la glauberite permettent de
reconnaître des évaporites continentales dans l'Ancien.

Dépôts d'évaporites continentales à Bad Water, Death Valley, Californie, USA.


3. EVAPORITES MARINES PEU PROFONDES

Ces évaporites comprennent les dépôts inter- et supratidaux comparables à ceux qui
se forment actuellement le long du Golfe Persique, de certaines zones de la côte
d'Afrique du Nord, etc. et les dépôts subtidaux de plate-forme.

- Les premiers sont aussi appelés évaporites de sabkhas (Fig. IV.1). Ces sabkhas


sont des plaines côtières développées le long de zones continentales arides. Outre
les évaporites, les sédiments de sabkha comportent des éléments détritiques
provenant du continent (amenés par les vents, les cours d'eau) et des sables et boues
provenant de la plate-forme, transportés lors de tempêtes. Au point de vue
hydrologique, les sabkhas sont des systèmes assez complexes avec une recharge
due aux inondations marines périodiques, mais aussi aux apports souterrains à
partir de la nappe phréatique marine.
Figure IV.1: localisation et coupe dans la sabkha El Melah.

Les minéraux typiques des évaporites de sabkha sont l'anhydrite, le gypse et la


dolomite. La dolomitisation de particules calcaires est courante et est une
conséquence du haut rapport Mg/Ca (suite à la précipitation des sulfates de
calcium) des solutions interstitielles. La dolomitisation elle-même libère des ions
Ca++ qui favorisent une poursuite de la formation de gypse et d'anhydrite. Le gypse
est le plus commun des précipités (cf. les roses des sables par exemple), surtout en
climat semi-aride. Si l'évaporation est très intense, le gypse est progressivement
remplacé par de l'anhydrite. La morphologie originale des cristaux de gypse
(lentilles, chevrons) est conservée si le sédiment est suffisamment cohérent.
Souvent, une précipitation continue d'anhydrite refoule progressivement les
sédiments carbonatés ou détritiques interstratifiés, avec comme conséquence ultime
la formation de la structure bien connue appelée "chicken wire" (nodules
d'anhydrites séparés par de minces lamines de sédiment). Une autre structure
courante est appelée "entérolithes": il s'agit de lits d'anhydrite à aspect
irrégulièrement contourné (Fig. IV.2).

Structure en "chicken wire" dans la Formation de Martinrive à Chanxhe.


Dépôt de halite dans la Sabkha El Melah, Tunisie; on observe un système de
conduits où circulent des eaux à caractère réducteur.

Les sédiments de sabkha possèdent fréquemment une nature cyclique: au cours de


la progradation (comblement progressif) de la plaine littorale, la sabkha s'avance en
direction de la mer, surmontant des sédiments de type stromatolithique, des boues
lagonaires bioturbées, des corps oolithiques.
Figure IV.2 A: Photo aérienne de la plaine d'accrétion à Abu Dhabi. (a): chenal de
marée sous-aquatique; (b): lagune infra-tidale; (c): zone intertidale à peloïdes;
(d): tapis algaire; (e): zone supratidale (sabkha) évaporitique avec nombreuses
traces d'accroissement. B: séquence type de sabkha, montrant la progradation de
la plaine littorale depuis un milieu subtidal jusqu'à l'émersion.

- Certaines formations évaporitiques de grande extension ne peuvent être


expliquées par des dépôts de sabkha. Il s'agit vraisemblablement de plates-formes
isolées par un seuil permettant une recharge continuelle par les eaux océaniques.
Dans ce cas, du gypse précipite sur le fond marin, en cristaux généralement de
forme prismatique, dressés comme le sont les brins d'herbe d'une prairie ("gazon"
sélénitique). A ces niveaux s'associent diverses structures sédimentaires comme des
cristaux cassés et redéposés, des péloïdes, des niveaux à stromatolithes, etc.

A: couches plissées (slump) formées de croûtes de gypse ("gazon sélénitique"); B:


détail montrant les cristaux prismatiques. Messinien, Heraklea Minoea, Sicile.

4. EVAPORITES PROFONDES

Certains types d'évaporites, souvent laminaires, sont associées à des critères


indiscutables d'environnement profond: grande continuité latérale des lamines
individuelles, turbidites, slumps, absence d'algues,... Dans ces évaporites, les
lamines de gypse, d'anhydrite, de halite, alternent avec des lamines de micrite ou de
matière organique. Ce caractère pratiquement varvoïde est attribué à des variations
saisonnières (température, humidité, "bloom" de certaines espèces).

5. DIAGENESE

Si la diagenèse est souvent responsable de la déshydratation du gypse et de sa


transformation en anhydrite (à partir d'une profondeur de 700 m suivant certains
auteurs), le processus inverse peut se produire lors du passage de couches
d'anhydrite dans la zone phréatique météorique, au cours par exemple d'un
soulèvement régional. Le gypse secondaire se présente alors sous la forme
de porphyrotopes et d'albâtre. Les porphyrotopes sont de grands cristaux de gypse,
dispersés au sein de l'anhydrite. L'albâtre consiste en masses de gypse à bordure
cristalline irrégulière, à extinction ondulante. On peut observer aussi (Keuper du
sondage de Latour, par exemple), des veines de gypse fibreux dont les fibres sont
perpendiculaires aux épontes. Ces veines sont probablement créées par fracturation
hydraulique.

A: dolomie et gypse en rosettes. B: célestite. C: baryte. D: de gauche à droite,


successivement: dolomite (d); gypse (g); anhydrite (a). Nicols croisés.
Pseudomorphes silicifiés de halite dans une dolomie du Muschelkalk, Luxembourg.
Nicols croisés.
Pour en savoir plus

 M.E. Tucker, 1991. Sedimentary petrology. An introduction to the origin of sedimentary rocks.
Blackwell Sc. Publ., 260 pp.

Sur les évaporites du Viséen de la Belgique:

 T. De Putter, J-M. Rouchy, A. Herbosch, E. Keppens, C. Pierre, E. Groessens, 1994. Sedimentology


and palaeo-environment of the Upper Visean anhydrite of the Franco-Belgian Carboniferous basin
(Saint-Ghislain borehole, southern Belgium). Sedimentary Geology, 90, 77-93.
 J-M. Rouchy, E. Groessens & A. Laumondais, 1984. Sédimentologie de la formation
anhydritique viséenne du sondage de Saint-Ghislain (Hainaut, Belgique). Implications
paléogéographiques et structurales. Bull. Soc. belge Géologie, 93, 105-145.

V. Les sédiments siliceux


1. INTRODUCTION

Les américains utilisent le mot chert comme terme générique pour qualifier


l'ensemble des roches siliceuses massives à cassure conchoïdale, constituées de
calcédoine fibreuse, d'opale amorphe ou de quartz microcristallin. En Europe, ce
terme s'applique aux concrétions, nodules et lits siliceux intercalés dans les
calcaires ante-Crétacé. En Belgique, on l'utilise uniquement pour les accidents
siliceux des roches paléozoïques. Le mot silex est réservé aux accidents siliceux de
la craie mésozoïque. Porcelanite se rapporte à des roches siliceuses à grain fin, de
texture comparable à celle de la porcelaine non vernie. On pourrait utiliser comme
terme général englobant toutes les roches siliceuses le mot "silicite"

 Les silicites (ou cherts au sens large) sont généralement subdivisées en deux
grandes catégories: les silicites nodulaires et les silicites litées. Ces dernières sont
généralement considérées comme primaires et seraient les équivalents des boues
océaniques actuelles à diatomées et radiolaires. Les silicites nodulaires, fréquentes
dans les calcaires et, dans une moindre mesure, les shales et les évaporites, seraient
quant à elles d'origine diagénétique. Les sédiments siliceux s'observent en milieu
marin aussi bien que lacustre.

2. PETROGRAPHIE

Les cherts (s.l.) comprennent quatre sortes de silice: le microquartz, le mégaquartz,


les formes fibreuses et l'opale:

- le microquartz consiste en cristaux équigranulaires de quartz, de quelques microns


de diamètre. Ils se forment à partir de solutions impures, sursaturées en silice
dissoute;

- le mégaquartz, comme son nom l'indique, est constitué de cristaux beaucoup plus
grands, dépassant 20 µm et montrant des formes cristallines bien développées. Ces
cristaux réguliers apparaissent lorsque les solutions siliceuses sont diluées et
pauvres en cations;

- les formes fibreuses (terme général: calcédoine) où les cristaux ne sont plus


individualisables au microscope optique et s'empilent pour former des fibres. Elles
comprennent plusieurs espèces suivant les caractères optiques:

 la quartzine, à allongement positif, dont les fibres forment des sphérolites ou


des éventails (divergence des fibres à partir d'un point); on observe la
quartzine en remplacement des évaporites, mais aussi dans les cavités et dans
de nombreux autres types de silicification;
 la lutécite, dont les fibres, groupées en faisceaux, ont un allongement positif
et se rejoignent, non pas en un point central mais suivant des droites, en
dessinant des chevrons; l'extinction est oblique; on la rencontre
essentiellement en produit de remplacement des sulfates;
 la calcédonite est fibreuse comme les précédentes, mais possède un
allongement négatif. Elle semble se former en l'absence d'ions SO 42-;
 la lussatite: il ne s'agit plus ici exactement d'une forme fibreuse du quartz,
mais plutôt d'une opale dotée d'une certaine cristallinité (opale-CT, voir ci-
dessous). Au microscope, elle montre un indice faible, voisin de 1,45, un
aspect fibreux, une biréfringence très faible, une extinction droite et un
allongement positif.

- l'opale est une forme amorphe et hydratée de la silice (contenant jusqu'à 10%


d'eau), constituant (entre autre) le squelette des diatomées, des radiolaires et les
spicules d'hyalosponges. L'opale est métastable, de sorte que son abondance décroît
au cours du temps: elle est absente des roches paléozoïques. L'opale biogénique
amorphe (appelée opale-A) se transforme au cours du temps en opale-CT, déjà
cristalline (il s'agit d'un interstratifié cristobalite/tridymite), puis en quartz et
calcédoine. L'opale précieuse est constituée d'un empilement régulier de sphères
dont le diamètre varie entre 150 et 350 nm, constituant ainsi une sorte de réseau
cristallin à grande échelle dont l'ordre de grandeur est proche de celui de la lumière
visible; la diffraction de la lumière blanche produit des irisations qui varient en
fonction de l'angle d'incidence.

- la lechatelliérite, forme amorphe assez rare, se rencontre dans les roches


quartzeuses vitrifiées par l'impact de la foudre (fulgurites) ou par les impacts de
météorites. On en observe aussi dans lesgeyserites.

Insistons sur le fait que d'une manière générale, les formes fibreuses de la silice à
allongement positif, remplacent des sulfates. Les formes à allongement négatif par
contre, apparaissent dans les roches où l'ion S0 42- est absent au moment de la
silicification. Elles remplissent des cavités et sont les plus courantes dans la nature.
A: radiolarite; les radiolaires sont cimentés par de la calcédonite et du
mégaquartz, la matrice par du microquartz; noter la présence d'épines de
radiolaires dans la matrice. B: spiculite totalement silicifiée; C: lutécite dans un
calcaire partiellement silicifié. D: fracture remplies par du quartz et de la
calcédonite; la matrice est remplacée par du microquartz.. Nicols croisés.

3. GEOCHIMIE

La solubilité des différentes formes de silice est variable. La silice biogénique est
très peu stable et possède une solubilité de 50 à 80 ppm à 0°C, atteignant 100 à 140
ppm à 25°C. La forme la plus stable, le quartz, est aussi la moins soluble des
formes de silice: 6 à 14 ppm. Les calcédoines sont intermédiaires entre la silice
biogénique et le quartz, mais plus proches du quartz. L'opale a une solubilité
variable, supérieure aux calcédoines et inférieure à la silice biogénique dès qu'une
organisation cristalline apparaît.

L'eau de mer est très nettement sous-saturée par rapport à la silice (environ 1 ppm).
La silice amenée par les eaux fluviales (altération continentale des feldspaths),
fournie par l'altération sous-marine des basaltes et injectée directement par
l'hydrothermalisme est immédiatement utilisée par les organismes. Ceci se marque
notamment dans la variation de la concentration de la silice dans l'océan en
fonction de la profondeur: moins de 1 ppm dans la zone photique, jusqu'à 11 ppm
au-delà de 2 km de profondeur.

La solubilité de la silice dans l'eau n'est que très peu influencée par le pH entre 2 et
9, bien qu'elle soit un peu plus soluble en milieu acide qu'en milieu faiblement
alcalin. En solution fortement basique par contre, sa solubilité croît
considérablement: elle atteint 4000 ppm à pH 11, par exemple (cas de certains lacs
évaporitiques). Mais tout ceci n'est vrai qu'à nature d'ion constante. En effet, la
solubilité de la silice n'est pas fonction du seul pH, mais aussi des ions en présence.
C'est ainsi que Fe3+ en solutions acides (pH 1,5 à 3) produit une dissociation de la
silice bien plus importante que Ca++ ou NH4+ dont les solutions ont des pH
faiblement acides, neutres, voire alcalins. Parmi les autres ions, seuls Al +++ et Mg+
+
 affectent la solubilité en l'abaissant. Il se formerait une mince couche protectrice
de silicate d'aluminium ou de magnésium. Les organismes siliceux marins ne
semblent échapper à la dissolution durant leur vie qu'en adsorbant des ions Al ou
Mg ou en formant des complexes organo-siliciques.

Enfin, il faut bien noter qu'en terme de stabilité, la silice se dissout si le carbonate
précipite et vice-versa: ceci explique la disparition très rapide des spicules
d'éponges dans les récifs carbonatés. Hartman (1977) cite même des exemples
actuels où les spicules siliceux de sclérosponges sont déjà en voie de dissolution
alors même qu'ils sont incorporés dans le squelette aragonitique basal de l'éponge.

4. CHERTS ET SILEX LITES

Les boues à radiolaires et à diatomées s'accumulent actuellement sur les fonds


océaniques, sous les zones de haute productivité des eaux de surface (grâce aux
upwellings). Les boues à diatomées sont typiques des hautes latitudes, tandis que
les boues à radiolaires s'observent en zone équatoriale.

L'accumulation des tests siliceux est la plus manifeste dans les zones où les
sédiments siliceux ne sont pas dilués par un apport en carbonates et/ou en
terrigènes, c'est-à-dire loin des embouchures fluviales et sous la zone de
compensation des carbonates (CCD) (Fig. V.1). Des équivalents anciens de ces
boues siliceuses, sous la forme de cherts lités, sont fréquemment observés. Dans
ces cherts, les radiolaires sont mal conservés et on ne remarque généralement plus
que quelques moules de tests, emplis de mégaquartz, isolés dans une matrice de
microquartz. Certains de ces cherts lités montrent un granoclassement et des
laminations entrecroisées ou planes parallèles. Il s'agit dans ce cas de turbidites
remaniant des boues siliceuses provenant de zones en surélévation.

Les cherts lités sont souvent associés avec des pillow lavas, des black shales, des
ophiolites, ou encore des turbidites siliciclastiques ou carbonatées, suivant le
contexte paléogéographique général.
Figure V.1:  carte de répartition des différents types de sédiments océaniques. Les
boues siliceuses s'observent au niveau des zones de haute productivité planctonique
(équateur et hautes latitudes), les boues carbonatées au-dessus de la CCD (voir ci-
dessous, ch. VIII), les sédiments terrigènes au débouché des grands fleuves et les
sédiments glacio-marins au large de l'Antarctique et du Groenland.

A: radiolarites, Sumeini Group (Ladinien, Trias), Wadi Shu'yab, UAE-Oman. B:


radiolarites, Al Jil Formation (Capitanien, Permien), Wadi Hawasina,
UAE. Photos A-C. da Silva.

5. CHERTS ET SILEX NODULAIRES


Ces accidents siliceux sont fréquents dans les carbonates. Il s'agit de nodules, de
rognons siliceux, généralement concentrés le long de certains plans de
stratification. Ces nodules peuvent être coalescents et former des bancs,
ressemblant dès lors aux cherts lités. On observe ces nodules aussi bien dans des
calcaires de plate-forme que dans des calcaires pélagiques.

A: niveaux de cherts, parallèles à la stratification, dans les calcaires de


la Formation de Leffe, Rocher Bayard; B: silex moulant des terriers (flèche) dans
la craie, sur une surface de stratification, Etretat.

Diverses hypothèses ont été émises quant à leur origine. On considère généralement
que la silice disséminée dans le sédiment (spicules en environnement peu profond,
radiolaires en environnement pélagique,...) se dissout et précipite sous la forme
d'opale-CT à proximité de germes de croissance (fossiles, grains détritiques) dans
des zones favorables (terriers, souvent). La transformation diagénétique de l'opale
en microquartz et calcédoine se fait ensuite progressivement de manière centripète.
On a remarqué aussi que le microquartz remplace les carbonates, tandis que la
calcédoine et le mégaquartz sont plutôt des remplissages de cavités.

6. SILICITES NON MARINES

Des sédiments siliceux peuvent se former en milieu lacustre, par exemple par
accumulation de diatomées (diatomites), ou encore par évaporation d'eaux riches en
silice dissoute (eaux à pH >9). Dans ce dernier cas, celui de certains lacs
temporaires très riches en phytoplancton, quartz et minéraux des argiles sont
dissous lors des proliférations planctoniques ("blooms") et la silice précipite ensuite
sous la forme d'un gel lors de l'évaporation. On trouve aussi des enrichissements en
silice dans les "silcrete", qui résultent d'une pédogenèse en milieu très riche en
silice instable (sols sur rhyolithes, volcaniclastites).
Pour en savoir plus

 F. Arbey, 1980. Les formes de la silice et l'identification des évaporites dans les formations silicifiées.
Bull. Centres Rech. Explor.-Prod. Elf-Aquitaine, 4, 1, 309-365.

VI. Les phosphorites


1. INTRODUCTION

Beaucoup de roches sédimentaires contiennent des quantités mineures de


phosphates. Les phosphorites (dépôts sédimentaires de phosphates, caractérisés par
une teneur en P2O5 de l'ordre de 20% ou plus) sont par contre relativement rares. Le
phosphate des roches sédimentaires se présente essentiellement sous la forme de
fluorapatite (Ca5(PO4)3F), dont une part du phosphate peut être remplacée par du
carbonate ou du sulfate, dont le fluor peut être remplacé partiellement par OH - ou
Cl- et dont le calcium peut être substitué par Na, Mg, Sr, U et des terres rares. Les
variétés cryptocristallines et isotropes d'apatite sont appelées colophane.

Dans la plupart des sédiments, le phosphate est disséminé sous la forme de


quelques fragments d'apatite (minéral dense), de coprolithes ou d'ossements. Par
quel mécanisme de concentration en arrive-t-on aux énormes gisements de
phosphorites que l'on connaît actuellement?

Débris phosphatés (orangés) dans un packstone bioclastique (Jurassique, Lorraine


belge); à gauche, lumière naturelle, à droite, nicols croisés.
Autre exemple dans un grainstone du Paléocène de Tunisie; à gauche, lumière
naturelle, à droite, nicols croisés. Lame J-Y. Storme.

2. CLASSIFICATION

On classe en général les phosphorites en trois grandes catégories:

- les phosphorites nodulaires ou litées forment généralement des dépôts de grandes


dimensions. Ces phosphorites semblent être les équivalents actuels des
accumulations de phosphate qui se forment le long de la bordure océanique de
certaines plates-formes. Le mécanisme responsable de telles accumulations est la
présence de courants d'upwelling, riches en nutriments, favorisant des proliférations
de phytoplancton. On peut supposer que périodiquement, ces proliférations
provoquent une mortalité massive des poissons, avec apport d'os et de matière
organique riche en phosphore dans le sédiment. D'un point de vue plus général, il
semble que ce type de dépôt phosphaté soit lié à des périodes de haut niveau marin,
voire de transgressions. Durant les périodes transgressives, un certain déséquilibre
de la sédimentation peut se produire, déséquilibre qui se manifeste par des baisses
de l'apport en terrigènes et la formation de fonds durcis. Dans ce cas, il est facile
d'expliquer la concentration des débris phosphatés par un arrêt de la dilution par la
sédimentation détritique.

- les bone beds: ce sont des niveaux plus ou moins enrichis en os et écailles de


poissons. Ces graviers se forment lorsque les courants de vague ou de marée
concentrent les éléments les plus lourds sous la forme de "lag deposits". En lame
mince, le phosphate des éléments squelettiques se distingue par sa coloration jaune
à brunâtre, la présence de structures d'origine biologique (lignes de croissance,
canaux) et son caractère isotrope ou faiblement anisotrope. Associés à ces bone
beds, on observe souvent des coprolithes riches en colophane. Au cours de la
diagenèse, une phosphatisation plus poussée des sédiments (croissance de nodules
autour des fragments osseux, cimentation par de la collophane,...) peut avoir lieu.
Un bon exemple d'un de ces bone beds est le niveau graveleux de la Formation de
Mortinsart(Rhétien), visible en Gaume, dans la coupe de Grendel. Le lecteur
intéressé peut consulter les références ci-dessous.

- le guano: les déjections d'oiseaux et, dans une mesure moindre, de chauves-souris,
peuvent dans certaines circonstances, former des gisements de phosphate d'intérêt
économique. La percolation dans le soubassement carbonaté des solutions dérivées
du guano peut être responsable d'une phosphatisation secondaire.
Pour en savoir plus

Sur un bone-bed rhétien en Gaume:

 C.J. Duffin, P. Coupatez, J.C. Lepage & G. Wouters, 1983. Rhaetian (Upper Triassic) marine faunas
from "Le Golfe du Luxembourg" in Belgium (preliminary note). Bull. Soc. belge Géol., 92 (4), 311-
315.
 C.J. Duffin & D. Delsate, 1993. The age of the Upper Triassic vertebrate fauna from Attert (province of
Luxembourg, Belgium). Serv. Géol. Belgique Prof. Papers, 264, 33-44.

VII. Les sédiments ferrifères


1. INTRODUCTION

Comme dans le cas des phosphates, la plupart des roches sédimentaires contiennent
une proportion mineure de fer. Ne sont actuellement considérés comme minerais
que les roches où la teneur en fer dépasse 15%. Comme le fer existe sous deux
degrés d'oxydation, Fe++ (l'ion ferreux) et Fe+++ (l'ion ferrique), son comportement
est contrôlé par la géochimie des environnements sédimentaire et diagénétique.

La majorité des gisements ferrifères semblent s'être formée en milieu marin et


beaucoup sont fossilifères. Un grand problème est cependant le manque
d'équivalents actuels: les seuls grands dépôts ferrifères actuels sont les nodules
métallifères des grands fonds océaniques et le fer des marais ("bog-iron") qui
semblent être de peu d'importance géologique.

On distingue généralement deux grands types de dépôts ferrifères: les "banded iron


formations" du Précambrien (BIF's) et les sédiments ferrifères phanérozoïques. Les
premiers sont typiquement d'épaisses séquences constituées de sédiments ferrifères
alternant avec des cherts noirs, déposés dans de grands bassins intracratoniques; les
seconds sont d'extension plutôt réduite et forment des unités plus minces,
généralement de nature oolithique.
D'une manière très générale, on observe que la formation de sédiments ferrifères est
favorisée par de faibles taux de sédimentation, souvent liés à des épisodes
transgressifs, et par une forte altération chimique continentale (climat tropical). Il
semble également qu'une corrélation existe entre une faible concentration
d'oxygène dans l'atmosphère et les époques de formation des gisements ferrifères:
cette relation est vérifiée pour le Précambrien, l'Ordovicien, le Dévonien, le
Jurassique. Ce phénomène est la conséquence d'un apport accru de Fe ++ à l'océan
par des eaux moins oxygénées.

2. GEOCHIMIE ET PETROGRAPHIE

On considère actuellement que la principale source de fer pour le bassin océanique


est l'altération continentale des roches basiques et des sols latéritiques. Dans les
conditions Eh et pH de la majorité des eaux de surface, le fer est à l'état Fe +++,
largement insoluble. Sa concentration en solution est dès lors très faible, de l'ordre
de 1 ppm pour l'eau de rivière et de l'ordre de 0,003 ppm pour l'eau de mer. Trois
mécanismes de transport du fer sont envisageables:

- sous la forme de films d'oxyde sur des particules détritiques;

- en liaison avec la matière organique;

- sous la forme de suspensions colloïdales d'hydroxydes qui précipitent par


floculation lors du mélange des eaux fluviales et marines.

Une fois déposé, le fer peut être remis en solution dans le sédiment si les conditions
Eh-pH sont appropriées et être ensuite reprécipité sous la forme de minéraux
ferrifères. La Figure VII.1 donne les conditions de stabilité de ces minéraux en
fonction de l'Eh, du pH, de l'activité de S= (pS2- =-log [S2-]) et de la pression
partielle de CO2. (Rappelons qu'un des principaux facteurs affectant l'Eh des eaux
est la teneur en matière organique: sa décomposition bactérienne consomme de
l'oxygène et génère des conditions réductrices). D'après ces diagrammes, on peut
voir que l'hématite est la forme stable dans des conditions modérément à fortement
oxydantes, c-à-d dans un sédiment pauvre en matière organique. Pour les minéraux
comprenant du fer ferreux, les champs de stabilité sont fortement dépendants de la
PCO2 et de la pS2- de la solution. Dans les sédiments marins, le soufre est
généralement disponible par la réduction bactérienne des sulfates et c'est la pyrite
ou la marcassite qui se forment; les carbonates de fer sont rares.

4 FeOOH + 4 SO4= + 9 CH2O  9 HCO3- + H+ + 6 H2O + 4 FeS

FeS + H2S  H2 + FeS2

En environnement météorique (eaux douces), ce n'est pas le cas et les carbonates de


fer sont plus fréquents. Cependant, même en milieu marin, si tout le soufre est
consommé, de la sidérite peut aussi se former. Un bon exemple est la cristallisation
de sidérite dans certains marais intertidaux actuels. Le développement des silicates
de fer (glauconite,...) est encore sujet à hypothèses. Ajoutons enfin que beaucoup
de ces réactions d'oxydation et de réduction sont catalysées par la présence de
populations microbiennes.

Figure VII.1A: diagramme Eh-pH de stabilité du fer ferrique, du fer ferreux, de


l'hématite, de la sidérite, de la pyrite et de la magnétite. Ce diagramme montre que
l'hématite est le minéral stable dans les environnements modérément à fortement
oxydants. Pour des minéraux comme la pyrite, la sidérite et la magnétite, stables en
environnement réducteur, les champs de stabilité sont fortement dépendants du pH,
mais aussi des concentrations en CO32- et S2-. Le cas illustré par le diagramme est
celui d'une solution riche en CO32-et pauvre en S2-. Dans le cas inverse, le champ de
stabilité de la pyrite s'étend pour occuper la presque totalité de la partie inférieure
du diagramme.Lorsque à la fois CO32-et S2- sont en faible concentration, c'est le
champ de la magnétite qui s'accroît. B et C: champs de stabilité des minéraux
ferrifères en fonction (B) de l'Eh et de pS 2- (-log de l'activité de S2- ) et en fonction
(C) de l'Eh et de PCO2. D'après Krauskopf (1979) et Berner (1971), cités par
Tucker (1991).

D'un point de vue pétrographique, l'hématite (rouge vif en réflexion) se présente


surtout en ooïdes et imprégnations secondaires de fossiles, sauf dans les BIF's où
elle peut former des lamines ou des niveaux massifs. La goethite (couleur jaune
brunâtre) forme en général des ooïdes. La limonite, un mélange de goethite,
d'argiles et d'eau, est un produit de l'altération subaérienne des oxydes de fer.
La sidérite remplace généralement des ooïdes et des bioclastes et peut former des
ciments. On observe soit des cristaux de grande taille à clivage rhomboédrique
(comme la calcite), soit des micro-rhomboèdres de taille micronique, soit encore
des fibres regroupées en sphérulites.

La pyrite est facilement reconnaissable par ses cristaux cubiques et sa couleur jaune


vif en réflexion; elle peut former des agrégats de microcristaux appelés
"framboïdes". La marcassite n'est fréquente qu'en nodules dans les craies et les
charbons.

Les silicates de fer: les plus importants sont la berthierine-chamosite, la greenalite


et la glauconite. La berthierine est un phyllosilicate du groupe des serpentines
(espacement réticulaire de 7 Å), riche en fer, tandis que la chamosite est une
chlorite (espacement réticulaire de 14 Å), avec Fe ++ comme cation principal dans
les sites octahédriques. La berthierine est un minéral primaire qui se transforme en
chamosite à partir de 120-160°C. Donc, si les sédiments ferrifères les moins
anciens contiennent souvent de la berthierine, à partir du Paléozoïque, on ne trouve
plus que la chamosite. Berthierine et chamosite (toutes deux vertes et à faible
biréfringence) forment souvent des ooïdes dans les sédiments ferrifères
phanérozoïques. Contrairement aux ooïdes aragonitiques, ces corpuscules
paraissent être demeurés mous au cours de la diagenèse précoce. On observe en fait
fréquemment des ooïdes fortement déformés, voire même des fragments d'ooïdes
déformés formant le nucleus d'autres ooïdes. Les conditions de formation de ces
ooïdes sont mal connues, mais on pense que la berthierine précipite directement
dans le sédiment en milieu anoxique pauvre en soufre.

La greenalite est un minéral probablement très proche de la berthierine-chamosite,


verte et isotrope. On la trouve généralement en péloïdes, mais on ne sait pas s'il
s'agit d'un minéral primaire.

La glauconite est un alumino-silicate de fer et potassium avec un rapport Fe +++/Fe+



élevé. Certaines glauconites (dites ordonnées) sont des phyllosilicates de type
illites, mais la plupart forment des interstratifiés avec la smectite. La glauconite est
généralement observée sous la forme de péloïdes, de couleur verte, souvent
pléochroïque et d'aspect microcristallin. La glauconite est fréquente dans les sables
et grès et elle se forme actuellement sur beaucoup de plates-formes continentales, à
des profondeurs de quelques dizaines à quelques centaines de mètres, dans des
zones à sédimentation ralentie (au point de vue séquentiel, elle souligne souvent les
"surfaces d'inondation maximales"). Comme pour les autres silicates de fer, il
s'agirait d'un milieu anoxique pauvre en soufre.
"Calcarénite" à grains de glauconie (Cénomanien, Bettrechies). A: lumière
naturelle; B: nicols croisés: remarquer l'aspect polycristallin des grains.

3. FORMATIONS FERRIFERES PRECAMBRIENNES

Ces formations, de grande importance économique, se retrouvent sur les boucliers


anciens de la plupart des continents. D'après des études effectuées au Canada, deux
types de gisements peuvent être distingués:

- un type lenticulaire, d'extension géographique relativement faible et associé à des


roches volcaniques et des graywackes, d'âge 2500 à 3000 Ma;

- un type de grande extension régionale, déposé en contexte de plate-forme stable,


d'âge 1900 à 2500 Ma.

Sur la base des minéraux ferrifères présents, il est possible de distinguer quatre
faciès: (1) oxydé (hématite-magnétite), (2) silicaté (greenalite),
(3) carbonaté (sidérite) et (4) sulfuré (pyrite). Les minéraux primaires seraient
respectivement un composé amorphe de type Fe(OH) 3, la berthierine, la sidérite et
la pyrite en fonction des conditions géochimiques. On peut d'ailleurs observer,
suivant l'augmentation de la paléobathymétrie, une zonation oxyde et silicate-
carbonate-sulfure. Un des faciès les plus spectaculaires consiste en laminations
millimétriques à centimétriques d'hématite alternant avec du chert. Certaines de ces
laminations ont une extension de 30.000 km2.

Le gros problème de ces BIF's concerne le transport et l'origine du fer. On suppose


que l'atmosphère précambrienne était pauvre en oxygène et plus riche en dioxyde
de carbone. La plus grande richesse en CO 2 aurait diminué le pH des eaux de
surface, avec comme conséquence une altération continentale plus efficace. Le
dépôt des lamines ferrifères pourrait être la conséquence d'upwellings, amenant des
eaux anoxiques riches en fer sur la plate-forme plus oxygénée, de précipitation
microbienne ou encore, de phénomènes saisonniers de mélange d'eaux (turnover)
dans un océan ordinairement stratifié. Les lamines de chert pourraient quant à elles
résulter de proliférations périodiques d'organismes siliceux (blooms).

Hématite et chert dans un BIF. Belo Horizonte, Brésil.

4. FORMATIONS FERRIFERES PHANEROZOÏQUES

Les plus importantes de ces formations sont les oolithes ferrifères, constituées


d'hématite-chamosite dans le Paléozoïque et de goethite-berthierine dans le
Mésozoïque. On en recense deux épisodes majeurs, durant l'Ordovicien et le
Jurassique. Il s'agit de périodes caractérisées toutes deux par un haut niveau marin,
de larges zones pénéplanées et un climat chaud et humide, responsable d'une
importante altération chimique continentale.

Un exemple fameux et proche de nous de ces oolithes ferrifères est la Minette de


Lorraine et du Luxembourg. D'âge aalénien, sa puissance varie de 15 à 65 m et on y
observe plusieurs séquences.
En Belgique, la minéralisation est nettement moins développée. A Halanzy, l'Aalénien a 4,8 m de puissance et
4,5 m dans la région de Musson-Grand Bois. On y constate l'existence de deux couches de minerai sous
lesquelles apparaît une troisième lentille vers le milieu de la concession de Musson. En limite des concessions de
Musson et Halanzy, la couche supérieure a 2,15 m de puissance, la moyenne 1,35 m, séparée par 0,4 m de marne
ferrugineuse. Le minerai est constitué par des oolithes ferrugineuses rougeâtres à brun rouge, avec grains de
quartz émoussés. Le tout est dans un ciment argileux ou limoniteux, voire calcaire. Parfois, on trouve des débris
coquilliers en calcite. On aurait observé en outre la présence de glauconie au toit de la couche supérieure dans le
centre des oolithes. Les stériles différent seulement par la rareté ou l'absence d'oolithes ferrugineuses.

Modèle génétique de la Minette: "Le territoire où se situe le gisement lorrain


représentait à la fin du Toarcien la bordure littorale d'une mer couvrant le bassin de
Paris. Du NE, par la dépression eifelienne, arrivaient un ou plusieurs fleuves
importants. Le bassin ferrifère se situait à l'emplacement de leur embouchure. On
peut représenter (...) le paysage comme une aire très plate soumise à l'influence des
marées. Les eaux fluviatiles se frayent un chemin vers la mer (...) Dans ces chenaux
s'opère, au rythme des marées, la rencontre des eaux marines et fluviales. Les
courants ne sont intenses qu'en certains endroits entre lesquels apparaissent des
bancs de sable à stratification oblique (...) En dehors des chenaux, sur les aires
plates, les sédiments sont soumis à un mouvement de va et vient, avec exondation
temporaire: c'est la slikke vaseuse. Le courant marin sur le flanc de la lentille, où
son action est dominante, apporte des sédiments marins et en particulier des débris
de coquille et des grains de quartz. Les courants fluviatiles apportent le fer qui
précipite dans cette zone en oolithes ferrugineuses. La phase qui précipite a donc
une origine continentale (hydroxyde de fer). Les processus diagénétiques
transforment la limonite en hématite, sidérose puis magnétite, lorsque la limonite
est en excès; en chlorite et sidérose dans un sédiment fin et argileux (Waterlot et
al., 1973). Signalons que d'après Teyssen (1984), la minette s'est formée en
environnement subtidal, sous la forme de rides sableuses montrant une séquence de
type coarsening upward (boue-faciès de transition-minette-faciès coquillier). Ces
séquences sont également caractérisées par une augmentation du contenu
bioclastique et par une diminution de la bioturbation.

Accessoirement, dans les formations ferrifères phanérozoïques, il faut encore citer


les argilites et shales riches en sidérite, correspondant vraisemblablement à des
environnements lagunaires, estuariens, voire deltaïques. La sidérite peut s'y
manifester en cristaux dispersés, en nodules ou en bancs plus ou moins continus.

Ooides goethitiques, Aalénien, Luxembourg.


"Minette aalénienne", Differdange, Luxembourg. A: vue générale des couches de
minerais, B détail des bancs affectés par des figures de charge.

5. FORMATIONS FERRIFERES ACTUELLES

5.1. Fer des marais

Les seuls dépôts ferrifères de quelqu'importance (avec les nodules océaniques) à se


développer de nos jours sont donc les "bog iron ores". Ces sédiments s'observent
dans les lacs et marais des latitudes moyennes à élevées, comme l'Amérique du
Nord, l'Europe et l'Asie.

La nature du minerai est assez variable, variant depuis des ooïdes et des pisoïdes
jusqu'à une forme terreuse. Le minéral prédominant semble être la goethite, suivie
par la sidérite. Contrairement à la plupart des autres formations ferrifères, le
contenu en manganèse est assez élevé, atteignant fréquemment 40%. Le fer des
marais se forme lorsque des aquifères acides se déversent dans des lacs et marais
relativement mieux oxygénés. L'augmentation de Eh et pH qui en résulte est
responsable de la précipitation du fer ferreux en solution, sous la forme
d'hydroxydes de fer.
A: précipitation d'hydroxydes de fer à l'intervention de bactéries (filaments) dans
un marécage (Islande); B: nodule polymétallique.

5.2. Nodules polymétalliques

Les nodules polymétalliques, appelés aussi nodules de manganèse s'observent dans


différents types d'environnements océaniques profonds, situés souvent à quelques
centaines de m sous la CCD et caractérisés par une vitesse de sédimentation très
faible. Il s'agit de concrétions de 1-10 cm de diamètre, constituées d'oxydes de Fe et
Mn, accompagnés de Ni, Cu et Co (ces nodules constituent d'ailleurs -hélas-
d'importantes réserves de ces métaux). On constate aussi la présence d'argile et de
tests d'organismes planctoniques. Le nucleus des concrétions est habituellement un
fragment d'origine organique (dent de poisson, etc.) Beaucoup de nodules ont leur
partie supérieure (au contact des eaux océaniques) enrichie en Fe et Co et leur
partie inférieure (au contact du sédiment), riche en Fe et Mn ce qui suggère des
échanges chimiques entre les nodules et leur environnement. De plus, la
composition des nodules est variable selon leur localisation (les nodules Pacifiques
sont plus riches en Mn, Co et Cu, au contraire des nodules Atlantiques qui sont plus
riches en Fe).

La vitesse de croissance des nodules polymétalliques est extraordinairement lente,


de l'ordre de quelques mm par million d'années! C'est beaucoup plus lent que la
vitesse de sédimentation des sédiments océaniques sur lesquels on les observe et
cela pose évidemment le problème de leur présence en surface. Plusieurs
hypothèses ont été proposées pour expliquer ce paradoxe: dissolution-
reprécipitation à l'interface eau-sédiment; érosion des sédiments par des courants de
fond; migration des nodules vers la surface par l'effet de la bioturbation. Le
mécanisme de formation des nodules lui-même est encore peu connu: précipitation
sous l'effet de conditions oxydantes (arrivée d'eaux oxygénées); activité bactérienne
(ce seraient dans ce cas des "oncoïdes Fe-Mn"); recyclage et remontée en surface
de solutions formées dans des zones plus réductrices du sédiment. Signalons enfin
que beaucoup de nodules montrent des signes de déplacement (orientation
préférentielle, cassures, granoclassement,...)
environ
densité
2
porosité 30-50%
concentration (zones d'intérêt
7 kg/m2
économique)
Mn 29,5% Al 1,12%
Fe 6,34% K 0,8%
Si 4% Ti 0,3%
Na 2,92% Co 0,25%
Mg 2,88% S 0,23%
Ca 1,44% P 0,14%
Ni 1,40% Zn 0,14%
Cu 1,16% Mo 0,06%

Tableau VII.1: données générales concernant les nodules polymétalliques (d'après


Chamley, 1990).
Pour en savoir plus

Sur l'influence microbienne dans la précipitation de minéraux ferrifères:

 D. Fortin & S. Langley , 2005. Formation and occurrence of biogenic iron-rich minerals. Earth-Science
Reviews, 72, 1-19.
 F. Boulvain., C. De Ridder., B. Mamet, A. Préat, & D. Gillan, 2001. Iron microbial communities in
Belgian Frasnian carbonate mounds. Facies, 44, 47-60.

Sur la Minette de Lorraine:

 T. Teyssen, 1984. Sedimentology of the Minette oolitic ironstones of Luxembourg and Lorraine: a
Jurassic subtidal sandwave complex. Sedimentology, 31, 195-211.
 G. Waterlot, A. Beugnies et J. Bintz, 1973. Ardenne-Luxembourg. Guides géologiques régionaux,
Masson, 206 pp.

Sur les oolithes ferrugineuses du Famennien du Massif de la Vesdre:

 R. Dreesen, 1987. Event-stratigraphy of the Belgian Famennian (Uppermost Devonian, Ardennes


shelf). In: A. Vogel, H. Miller, R. Greiling (eds.): The Renish Massif, Vieweg, 22-36.

VIII. Les grands environnements de dépôt des


carbonates
1. INTRODUCTION

Comme dans les autres domaines de la sédimentologie, un fondement essentiel de


l'interprétation des paléoenvironnements carbonatés se trouve dans l'étude
approfondie des modèles actuels. Le but du présent chapitre est d'introduire
brièvement les grands environnements de dépôt des carbonates. Certains de ces
environnements seront traités plus en détail aux chapitres suivants.

Dans une première approche d'ensemble, deux grands domaines s'individualisent de


part et d'autre du trait morphologique important qu'est le rivage: le domaine
continental et le domaine marin.

2. LE DOMAINE CONTINENTAL

Le domaine continental se caractérise par des dépôts souvent très localisés. Bien
que ce domaine ne présente en général que peu de sédiments carbonatés, on citera
les dépôts lacustres, fluviatiles, glaciaires (moraines,...), désertiques, karstiques, de
grottes. Il est en outre soumis à l'action des phénomènes météoriques, ce qui est à
l'origine d'importantes transformations diagénétiques (voir cours de "Diagenèse et
dynamique des bassins sédimentaires").

2.1. Carbonates lacustres

Les carbonates lacustres (eaux douces et salées) sont le résultat de précipitations


inorganiques ou d'accumulations algo-microbiennes ou coquillières.

- Les précipitations inorganiques peuvent être liées à une soustraction de


CO2 (photosynthèse,...), à un mécanisme d'évaporation ou encore au mélange
d'eaux à pH différents (lac/rivière, par exemple). L'équation suivante est une
notation simplifiée de l'équilibre des carbonates:

CaCO3 + H2O + CO2  Ca++ + 2 HCO3-

Le rapport Mg/Ca détermine le minéral précipité: Mg/Ca<2 précipitation de calcite


("LMC") (ex. Lac de Constance); Mg/Ca de 2 à 7 calcite magnésienne ("HMC")
(Lac Balaton); Mg/Ca de 7 à 12 HMC et dolomite par transformation de HMC;
Mg/Ca>12 aragonite.

- Les carbonates algo-microbiens sont le résultat de:

 la biocorrosion d'un substrat carbonaté par des cyanophycées, des


chlorophycées, des rhodophycées, voire des champignons ou des lichens,
donnant naissance à des sédiments carbonatés de la taille des silts;
 des phénomènes de piégeage de sédiments et de précipitation par des
mousses et des stromatolithes; la formation d'oncoïdes (cyanophycées et
algues vertes non squelettiques) avec incorporation de coquilles et débris
carbonatés;
 des accumulations d'oogones de charophytes (gyrogonites).
- Les accumulations de coquilles (gastéropodes, lamellibranches) sont du même
type qu'en milieu marin (mais avec des genres différents!!). Elles ne forment jamais
qu'une faible proportion des carbonates lacustres.

A: Calcaire de Ventenac (Eocène, Minerve); un niveau de lignite interrompt la


sédimentation lacustre. B: oncolithe fluviatile (Eocène, Coustouge).

Stromatolithes lacustres. A: vue générale; B: détail. Lac Thetis, Cervantès,


Australie.

2.2. Tufs et travertins

Au débouché de certaines sources, ou plus rarement en rivière, se forment des


précipitations de calcite. Ces accumulations peuvent être constituées de lamines
denses et régulières (travertin) ou de matériau très poreux et irrégulier (tuf) Un bel
exemple de tuf est visible en Lorraine belge: la "Cranière" de Lahage. Il semble
admis que les processus de précipitation inorganiques dominent dans le cas des
travertins (perte de CO2) tandis que les tufs se forment par précipitation de calcite
sur des mousses ou des algues.

Cranière de Lahage; A: vue générale du dépôt; B: production actuelle de travertin.

2.3. Grottes

Les concrétions aragonitiques de grottes (speleothems) peuvent être identifiées,


même après leur transformation en calcite, par leur morphologie (planchers,
stalactites, stalagmites, pisoïdes) et par l'alternance de lamines de fibres peu
allongées et de fibres très allongées, atteignant plusieurs centimètres.

2.4. Caliches, calcretes voir également le cours de "processus sédimentaires".

On appelle caliche ou calcrete un paléosol en environnement carbonaté.


L'identification des paléosols est importante dans l'analyse des bassins
sédimentaires: leur présence témoigne en effet d'une émersion de longue durée.
Une série de critères permet leur mise en évidence. Il faut garder cependant à
l'esprit qu'en général, la présence d'un seul de ces critères n'est pas une preuve
définitive d'émersion ou de pédogenèse. N'oublions pas aussi que les témoins
d'émersion sont rarement conservés dans l'enregistrement sédimentaire: ils sont
souvent remaniés par la transgression marine qui suit l'épisode continental.

Les critères d’émersion tirés de la littérature ont été classés en cinq catégories: les
critères sédimentologiques, pédogénétiques, paléontologiques, diagénétiques et
géochimiques. Certains critères sont observables macroscopiquement (M) et
d’autres microscopiquement (m).

2.4.1. Critères sédimentologiques d'émersion


 Discontinuité angulaire et/ou érosion;
 changements brutaux de faciès (M et m);
 présence de chenaux et/ou de remaniements (M);
 faciès continentaux (palustres, lacustres, fluviatiles,…) (M et m);
 présence d’évaporites ou de pseudomorphoses d'évaporites (M et m);
 présence dans la roche sus-jacente d’intraclastes perforés et/ou minéralisés,
ainsi que de bioclastes remaniés;
 horizons bauxitiques;
 surface karstique.

2.4.2. Critères pédogénétiques

 Bréchification (M); les niveaux bréchiques sont une caractéristique


importante des paléosols et sont liés à des alternances de périodes sèches et
humides;
 horizons carbonatés massifs ou horizons carbonatés laminaires (M);
 marbrures et nodules (M);
 enduits minéralisés et cailloux noirs (M);
 fissures de dessiccation (M);
 traces de racines (M et m);
 présence de Microcodium (m);
 "circumgranular cracks" et "syneresis cracks" (m); les fractures courbes
autour de certains clastes témoignent d’une précipitation carbonatée en
milieu aquatique, suivie d'une phase de dessiccation qui engendre les
structures courbes autour des clastes, suivie à nouveau d'une immersion avec
précipitation de ciment;
 microsparitisation (m);
 calcite en micro-fibres (m);
 structures alvéolaires (m);
 traces d'illuviation (migration et concentration des argiles vers les horizons
inférieurs); la présence de "coulées" argileuses, caractéristiques du
phénomène d'illuviation, est propre aux paléosols (M et m);
 concentrations locales de pelloïdes (glaebules) (m); leur présence résulterait
de la fragmentation de la micrite par dessiccation;
 minéralisations diverses: principalement pyrite et hématite (M et m);
 pisolites (m);
 cimentation vadose (m).

2.4.3. Critères paléontologiques

 Présence de charophytes et d’ostracodes d’eau douce (m) indiquant le


développement de lacs sur la plate-forme de faible profondeur d’eau,
partiellement émergée;
 analyse micropaléontologique fine qui indiquerait une lacune sédimentaire
(m).
2.4.4. Critères diagénétiques

 Différence de compaction des roches sous- et sus-jacentes;


 cimentation vadose (m);
 présence d’argile verte dans la roche sous-jacente, essentiellement de l’illite,
qui serait liée à la transformation d’un matériel pédogénique.

2.4.5. Critères géochimiques

 18O: les rapports isotopiques de l’oxygène de l’eau varient selon le climat et


le taux d’évaporation. Une évaporation importante conduit à des rapports
isotopiques plus élevés au sein des zones où cette évaporation est active
(sebkhas, marais salants, ….). Par contre, les eaux météoriques résultant de
cette évaporation montreront des valeurs plus faibles;
 13C: les rapports isotopiques du carbone sont essentiellement en relation
avec les processus organiques, dont la photosynthèse. Ainsi, le carbone
organique montre des rapports isotopiques faibles et les carbonates marins
des valeurs plus élevées. Des rapports isotopiques très bas peuvent être
produits par un processus de fermentation conduisant à la formation de
méthane. Le lessivage de sols conduit également à des rapports isotopiques
faibles;
 variations de susceptibilité magnétique; une émersion peu conduire à un
remaniement des sédiments et à la remobilisation de toute une série de
minéraux magnétiques, qui produiront un signal de susceptibilité plus élevé.
De plus, les transformations pédogénétiques peuvent conduire à la formation
de minéraux tels que la magnétite, l’hématite et la pyrite qui augmenteront
également le signal magnétique.

3. LE DOMAINE MARIN

On y distingue essentiellement un milieu de plate-forme et un milieu


de bassin séparés par un talus incliné. La différenciation de ces environnements est
morphologique, mais en gros, d'un point de vue bathymétrique, on peut dire que la
profondeur varie de 0 à environ 200 m sur la plate-forme; le bassin étant caractérisé
par des profondeurs beaucoup plus importantes.

La morphologie des plates-formes est sujette à variation, de même que la nature et


la géométrie des corps sédimentaires qui s'y déposent. Une nette distinction
sédimentologique peut être effectuée entre plates-formes carbonatées tropicales et
plates-formes carbonatées tempérées. Lees & Buller (1972) opposent un modèle
CHLOROZOAN à un modèle FORAMOL (Fig. VIII.1).

3.1. Plates-formes carbonatées tempérées


Ces dernières sont moins connues que leurs homologues tropicales. Certaines de
ces plates-formes (sud de l'Australie, ouest de l'Irlande) couvrent pourtant des
milliers de km2 de fonds marins. Même si certains organismes constructeurs sont
présents (vers, algues rouges, bryozoaires), ils ne forment pas de récifs aussi
spectaculaires que les récifs tropicaux. La sédimentologie de ces plates-formes
tempérées, en l'absence de vastes structures récifales, s'apparente au
fonctionnement des systèmes détritiques avec une répartition simple des sédiments
en fonction de l'énergie du milieu. Ces sédiments carbonatés tempérés passent
d'ailleurs souvent en transition graduelle aux sédiments mixtes et aux sédiments
détritiques.

D'après Lees & Buller (1972), les principaux groupes d'organismes représentés
dans les sédiments carbonatés tempérés sont: les mollusques, les foraminifères
benthiques, les échinodermes, les bryozoaires, les barnacles, les ostracodes, les
spicules (calcaires) d'éponges, les tubes de vers et les coraux ahermatypiques pour
les animaux, les algues rouges (Lithothamnium) pour les plantes. Les foraminifères
et les mollusques étant généralement dominants, cette association est appelée
"foramol". En eau tropicale, cette association s'enrichit notablement en coraux et/ou
algues vertes calcaires (ex: Halimeda), tandis que la contribution des bryozoaires et
barnacles diminue considérablement: on a ainsi l'association "chlorozoan"
(chlorophytes + zoanthaires).

Concrétions calcaires dues à des Lithothamnium (flèches) dans une mare côtière
(Ile Grande, Bretagne).
En ce qui concerne les grains non squelettiques (peloïdes, ooïdes, agrégats,...), ils
semblent être largement liés à l'association chlorozoan, sauf peut-être pour les
péloïdes qui peuvent déborder sur l'association foramol. La boue calcaire ou micrite
est constituée d'aragonite et de calcite magnésienne dans le domaine tropical, tandis
qu'en domaine tempéré, l'aragonite devient beaucoup plus rare. La cimentation est
faible en milieu tempéré.

Signalons que dans l'océan actuel, le carbonate de précipitation chimique est


l'aragonite (Fig. VIII.1) (suite à un rapport Mg/Ca élévé, cf. "Diagenèse &
dynamique des bassins"). Ceci ne veut évidemment pas dire que toute boue calcaire
d'origine marine est aragonitique puisque la dégradation des tests des organismes
fournit une part importante des sédiments fins et que ces tests peuvent être
calcitiques. Le Tableau VIII.1 donne la composition des test des principaux
organismes calcaires.

Figure VIII.1: variation du type de carbonate "chimique" précipité dans l'océan au


cours du temps.

  Calcite Aragonite
TAXON Aragonite (mol% et calcite
MgCO3)
ALGUES CALCAIRES
rouges 10-20
vertes oui
coccolithes 5
FORAMINIFERES
benthiques rare 5-15
planctoniques 5-17
EPONGES rare 10-20
STROMATOPORES oui 5?
COELENTERES
rugueux 5
tabulés 5
scléractiniaires oui
alcyonaires rare 10-20
BRYOZOAIRES rare 5-17 rare
BRACHIOPODES 5-10
MOLLUSQUES
chitons oui
lamellibranches oui 5-10 oui
gastéropodes oui 5-10 oui
ptéropodes oui
céphalopodes oui
bélemnites 5
ANNELIDES oui 5-17 oui
ARTHROPODES
décapodes 7-12
ostracodes 5-10
barnacles 5-10
trilobites 5
ECHINODERMES 7-17

Tableau VIII.1: types de carbonates précipités par les principaux groupes


d'organismes. D'après Scholle (1978), modifié.

Concernant la répartition des deux associations, il semble que chlorozoan soit


limitée aux latitudes inférieures à 30° (Fig. VIII.2), tandis que foramol puisse
s'étendre entre 60° et l'équateur. Une étude plus fine des facteurs limitant
chlorozoan montre que c'est en conjuguant une température océanique minimale
supérieure à 14-15°C et une température moyenne annuelle supérieure à 23°C que
l'on cerne le mieux l'aire de répartition. Il ne faut pas oublier évidemment que sous
la zone photique, l'association chlorozoan disparaît.
Figure VIII.2: répartition des assemblages "foramol" et "chlorozoan" dans l'océan
mondial et comparaison avec la répartition de grains caractéristiques.

3.2. Plates-formes carbonatées tropicales

3.2.1. Les facteurs du milieu

L'action différentielle de certains facteurs de l'environnement sur les plates-formes


carbonatées permet de définir un certain nombre de sous-environnements (Fig.
VIII.5). Ces facteurs particuliers sont lamorphologie, l'hydrodynamisme,
le chimisme (salinité, oxygénation) et la pénétration de la lumière. Les multiples
possibilités de variation de ces facteurs expliquent la diversité des plates-formes
carbonatées. Il ne faut donc pas raisonner à partir d'un modèle figé.

- La morphologie de la plate-forme: elle est contrôlée essentiellement par


l'existence, l'absence ou la localisation variable d'une barrière ou d'un haut-fond
plus ou moins continu (Fig. VIII.3). Cette barrière revêt une géométrie et une
nature variable et complexe. L'existence d'un relief a une influence directe sur le
niveau d'énergie, le chimisme des eaux (salinité, oxygénation) et l'activité
biologique: il entraîne la distinction entre un milieu de plate-forme interne et un
milieu de plate-forme externe ou de bassin. En l'absence de rupture de pente nette,
la profondeur augmente de façon progressive depuis le littoral jusqu'au bassin: on
parle alors de rampe.
Figure VIII.3: morphologie des rampes et plates-formes carbonatées.

Il est à noter que le vocabulaire anglais est plus précis: les "carbonate platforms"
regroupent à la fois les "ramps" (sans rupture de pente) et les "shelves" (avec
rupture de pente). En français, nous ne disposons que du terme plate-forme que l'on
doit donc opposer à rampe. On peut éventuellement regrouper rampe et plate-forme
s.s. au sein des "plates-formes s.l."...

PLATE-FORME AVEC
RAMPE
BARRIERE
rupture de pente pas de rupture de pente
présence d'une barrière
pas de barrière continue
continue
énergie forte près de la
énergie forte près du rivage,
barrière, diminue vers le
formation de bancs ("shoals")
rivage
bioconstructions=surtout
barrière=surtout framestones
bafflestones, bindstones
turbidites, blocs exotiques peu de turbidites, pas
provenant de la barrière d'olistolithes, tempestites
sédiments lagunaires sédiments restreints peu étendus,
cycliques de grande extension non cycliques.
géographique

Tableau VIII.2: éléments diagnostiques permettant de distinguer entre rampe et


plate-forme s.s.

- Les facteurs dynamiques: ils comprennent vents, courants de vagues et de marées.


Leur résultat est surtout un tri granulométrique comme dans les systèmes
détritiques. La granulométrie des sédiments et certains types de figures
sédimentaires donnent donc des informations importantes quant au niveau d'énergie
du milieu, souvent en relation avec la profondeur et le degré de protection.

- Le chimisme des eaux: la sursalure, le manque d'oxygénation des eaux entraînent


de profondes modifications dans le contenu faunistique, ce qui peut conduire à
distinguer:

 un milieu ouvert: la circulation des eaux marines n'est pas entravée;


 un milieu restreint: la circulation des eaux marines est entravée (par exemple
par une barrière récifale) et en conséquence leur qualité subit des
modifications plus ou moins importantes.

Ces distinctions peuvent même exister en l'absence d'une barrière, par exemple
dans le cas d'une plate-forme très étendue et peu profonde!

- Le contenu en nutriments des eaux est aussi un paramètre très important.  Ce


paramètre permet de distinguer des environnements oligotrophique, mésotrophique,
eutrophique et hypertrophique (Fig. VIII.4). En milieu oligotrophique, relativement
pauvre en nutriments, les processus de recyclage de la nourriture sont essentiels et
les organismes capables d'utiliser plusieurs sources d'énergie sont favorisé
(exemple: les coraux hermatypiques qui outre leur caractère hétérotrophe, profitent
de la photosynthèse de leurs algues symbiotiques); le facteur limitant dans ce type
d'environnement est l'apport de nutriments. En milieu mésotrophique, l'apport de
nutriments est plus important et d'autres organismes interviennent: algues, faune
benthique plus riche; le facteur limitant est la compétition pour l'espace
disponible. En milieu eutrophique, l'apport en nutriment est suffisant pour que se
développe largement le phytoplancton; le facteur limitant est la lumière et la
profondeur de la zone photique et enfin, en milieu hypertrophique, le
développement de phytoplancton et l'accumulation de la matière organique sont tels
que la dégradation de cette matière consomme une bonne part de l'oxygène du
sédiment, limitant la vie benthique; dans ce dernier cas, le facteur important est la
teneur résiduelle en oxygène.
Figure VIII.4: communautés organiques et nutriments dans les eaux tropicales.

- L'influence de la lumière: la pénétration de la lumière permet également de


distinguer deux domaines entre lesquels les conditions biologiques varieront
considérablement: un domaine photique et un domaine aphotique. L'absorption de
la lumière par l'eau est sélective: les infrarouges sont absorbés dans le premier
mètre, tandis que les longueurs d'ondes plus courtes (bleu) pénètrent relativement
profondément dans l'océan (plus de 100m). Les différents organismes n'utilisant pas
les mêmes longueurs d'onde en fonction de leur pigment (algues rouges et algues
vertes, par exemple), l'étendue de la zone photique est variable suivant les
communautés considérées.

Il est évident que certains facteurs ne sont pas indépendants les uns des autres et
que l'édification d'un accident topographique continu (barrière, banc, récif, seuil)
aura une incidence sur le chimisme des eaux et sur leur dynamique. Dès ce
moment, la plate-forme interne sera à circulation restreinte. Si la barrière est de
nature algaire (algues vertes, cyanobactéries) ou récifale (coraux, algues rouges),
elle ne pourra s'établir que dans le domaine photique. Même si les eaux sont peu
turbides et claires, les profondeurs d'implantation n'excéderont pas quelques
dizaines de mètres.

3.2.2. Les grands environnements de dépôt

L'action des facteurs du milieu est à l'origine de la différentiation des


environnements au sein des plates-formes. Pour les mers où la marée est sensible,
on distingue sur la plate-forme interne (Fig. VIII.5):

 un milieu supratidal: il est très épisodiquement envahi par les hautes marées
de vives eaux ou les ouragans. Les dépôts que l'on y trouve sont plus ou
moins développés en fonction du profil de la côte. Différents types de
milieux particuliers s'inscrivent dans ce domaine, tels que: sebkha, marais
côtiers,.... Leur nature est fortement influencée par le climat (par exemple:
climat aride=possibilité de sabkha, climat humide=marais). En zone
tropicale, le développement important de la végétation génère de grandes
quantités de matière organique incorporée au sédiment. La présence à la fois
d'eaux douces et salées en font un milieu particulièrement favorable à
la diagenèse précoce;

A: sebkha en milieu supratidal sous climat aride (El Melah, Tunisie); les bords
rebroussés des polygones métriques sont dus à la croissance d'évaporites dans le
sédiment; B: mangrove à palétuviers en milieu intertidal sous climat tropical;
observer les pneumatophores (flèche), permettant aux racines de respirer
(Carnarvon, Australie).

 un milieu intertidal: correspondant à la zone de balancement des marées. Les


périodes d'exondation et d'ennoyage se marquent par des dépôts et des faciès
typiques (birdseyes, etc.), parfois rythmiques. L'énergie des dépôts y est
souvent élevée; toutefois, suivant l'ampleur des marées, la direction des
vents et des courants, la présence ou non d'une barrière, les sédiments seront
grossiers ou fins. C'est un milieu où la vie est généralement abondante, mais
où les conditions écologiques sont extrêmement difficiles du fait des
alternances entre émersion et immersion, des variations de température,
d'insolation, de salinité, de pH, de chimisme des eaux. Seuls des organismes
spécialement adaptés peuvent y survivre. L'influence du climat est toujours
importante, par exemple en ce qui concerne le développement des tapis algo-
microbiens, localisés dans l'intertidal en climat aride, dans le supratidal en
climat plus humide (voir chapitre XII). C'est dans ce milieu intertidal que
l'on rencontre les plages, chenaux de marée, levées, mangroves, etc. C'est
aussi avec le milieu supratidal un environnement privilégié de la diagenèse
précoce. Une des formations les plus remarquables de la zone intertidale est
le "beach-rock" ou "grès de plage" qui résulte de l'induration rapide des
sédiments par précipitation de ciment carbonaté entre les grains;
A: Beach-rock le long de la plage de Coral Bay. B: détail d'un beach-rock
montrant l'incorporation de coquilles et de fragments de grès (flèche), Australie.

 un milieu subtidal: dans ce milieu, l'énergie est variable en fonction de la


profondeur. La diversité des faciès, liée au gradient hydrodynamique, reste
importante. La faune et la flore y sont plus ou moins variées en fonction du
degré de restriction. Des organismes comme les éponges et les échinodermes
deviennent plus abondants. On observe également l'apparition de quelques
formes pélagiques. Au point de vue chimique, aux faciès carbonatés et
évaporitiques peuvent s'ajouter des faciès enrichis en silice, phosphates,
oxydes de fer,...

La barrière isole ensuite la plate-forme interne de la plate-forme externe où


l'environnement est beaucoup plus stable et homogène, en liaison avec le milieu
océanique. Les organismes pélagiques deviennent prépondérants et les sédiments
sont généralement fins, situés sous la zone d'action des vagues. La teneur des eaux
en nutriments contrôle la productivité organique.

Figure VIII.5: répartition des environnements sur une plate-forme avec barrière.

 
3.2.3. Critères de caractérisation des milieux de dépôt

- Critères liés aux facteurs biologiques: le type de communauté organique


renseigne sur la bathymétrie par la présence ou l'absence d'organismes
photosynthétiques , sur l'agitation du milieu (formes robustes ou délicates), sur la
température (foramol-chlorozoan), sur le degré de restriction (une faune abondante
et peu diversifiée indique en général des eaux à salinité anormale) et sur la teneur
des eaux en nutriments (Fig. VIII.4).

Sur cette plage, le seul animal présent est le lamellibranche Fragum erugatum. Il
s'agit donc d'une faune abondante mais à faible diversité, due à une salinité élevée.
Baie des Requins, Australie.

Dans le cas d'un profil complexe, à barrière, les critères biologiques peuvent
contribuer à distinguer les zones internes par rapport au reste du profil. Le rôle
d'écran joué par la barrière (organismes coloniaux constructeurs) permet
généralement de différencier le milieu subtidal interne (organismes spécialisés) du
milieu marin ouvert qui est le domaine de vie des organismes pélagiques.
L'utilisation (réfléchie) de modèles de répartition de la faune et de la flore trouve ici
sa pleine justification (voir exemples).

Si le profil est plus simple (sans barrière), la distinction entre plate-forme interne et
externe est parfois difficile. Le passage peut être graduel et correspondre à une
limite d'énergie entre un milieu peu profond et un milieu plus profond. La
distinction entre ces milieux différents est alors basée sur la fréquence et
l'oligospécificité d'organismes benthiques, plus forte en plate-forme interne et sur la
fréquence des algues, également plus grande en plate-forme interne.

- Critères liés aux facteurs physiques (dynamisme des eaux): le niveau d'énergie est
estimé en général en fonction de la taille, de la densité et de l'angularité des grains
d'une part et de la présence ou non d'un matériau fin d'autre part (absence ou
présence de boue primaire). Cependant, à la différence des séries détritiques,
l'origine in situ des carbonates joue évidemment un rôle important et ne permet pas
d'établir un rapport direct entre le niveau d'énergie et le faciès. Les variations du
niveau d'énergie seront donc définies par estimation de la proportion relative du
matériau fin et des grains, en relation avec leurs caractéristiques morphologiques
initiales. Il faut toujours se rappeler que les éléments pris en considération doivent
être critiqués en fonction d'autres facteurs possibles: taille des bioclastes et
angularité fonction de leur origine, micrite d'origine secondaire, par
microsparitisation d'un grainstone par exemple. Ceci permet en général de
déterminer si les sédiments étudiés se sont déposés en eau calme ou agitée, sans
indication d'environnement particulier. Dans le cas d'un profil de plate-forme
complexe, le gradient des niveaux d'énergie est discontinu: la plate-forme externe
et la barrière présentent des niveaux d'énergie forts, comparables à ceux de
l'intertidal, alors que ceux de la plate-forme interne sont faibles. Un niveau
d'énergie faible peut être significatif d'un dépôt en eau profonde, sous la zone
d'action des vagues ou bien, au contraire, caractériser un dépôt en eau très peu
profonde dans un domaine protégé par la présence d'une barrière.

3.3. Le talus

L'étude détaillée des talus est loin d'être achevée. Outre les plongées profondes, ce
domaine exige l'emploi de méthodes sismiques lourdes.

Le talus possède une pente moyenne de 0,7 à 1,3 m par km et s'étage d'environ 130
m à environ 2000 m, c'est-à-dire sous la zone photique et sous la zone d'action des
vagues. Une sédimentation déclive complexe caractérise donc les talus: mise en
place de turbidites par glissements liés à la gravité, à des cisaillements mécaniques
ou à des contraintes tectoniques, séismes, etc. Ces épandages sont accompagnés de
coulées de sédiments, slumps, blocs, olistholithes,... Le talus est de ce fait
essentiellement une zone de transit des sédiments. A la base des talus, les dépôts du
glacis continental sont étalés sous la forme d'éventails deltaïques profonds. Ce sont
des prismes détritiques bathyaux, coincés contre la base du talus et s'épandant vers
les fonds océaniques moyens. Leur superficie est parfois considérable, avec
chenaux d'épandages, interfluves, ravinements intraformationnels et slumps.

3.4. Le bassin

La température des eaux y est pratiquement constante et comprise entre -1° et 4°C.
Au point de vue biologique, on y observe une dominance des organismes
pélagiques. Le benthos est réduit, sauf pour certaines communautés spécialisées:
certains types de crinoïdes, récifs profonds à Lophelia (ch. XI). On note l'absence
totale d'algues, naturellement.

Par rapport aux eaux baignant les plates-formes, en général bien oxygénées par
l'agitation due aux vagues et la production photosynthétique d'oxygène, les eaux
plus profondes peuvent présenter des phénomènes de sous-oxygénation. Un
élément important est la présence de la zone d'oxygène minimale (ZOM), résultant
de la consommation d'oxygène par la respiration des organismes et surtout par la
décomposition de la matière organique. Cette ZOM se développe dans l'océan
actuel entre -500 et -1200 m environ. Les fonds baignés par des eaux sous-
oxygénées se caractérisent par des sédiments anoxiques (sombres et non bioturbés).
Rappelons qu'au contraire, la présence d'eaux arctiques ou antarctiques de fond,
froides, denses et salées, contribue à l'oxygénation des fonds océaniques.

En ce qui concerne l'équilibre des carbonates, le degré de saturation de la calcite est


inversement proportionnel à la profondeur, quel que soit le type d'océan concerné.
L'augmentation de la pression et l'abaissement de la température augmentent le taux
de solubilité du CaCO3, d'où une tendance à la décalcification générale des
sédiments à partir d'une profondeur critique appelée lysocline (on note une très
brusque diminution du CaCO3 vers -4000 à -5000 m). Dans les sédiments, la
lysocline peut être définie par le passage d'un faciès à organismes carbonatés bien
préservés à un faciès à organismes partiellement dissous (Fig. VIII.6). Inversement,
le contenu en SiO2 et phosphates augmente progressivement avec la profondeur.
Des concentrations en Fe et Mn, sous l'influence de mécanismes bactériens, sont
également possibles.

Il faut remarquer que la dissolution des tests carbonatés est sélective et dépend de
paramètres comme la minéralogie (par résistance croissante: aragonite-calcite Mg-
calcite), la taille, la présence éventuelle d'enduits organiques, la présence de
courants de fond froids qui favorisent la dissolution. Cette particularité permet de
subdiviser la lysocline en plusieurs zones caractérisées par la nature des tests
préservés (exemple: de bas en haut: lysocline des coccolites, lysocline des
foraminifères).

En conséquence, les sédiments océaniques profonds ne peuvent être constitués de


boues carbonatées qu'au-dessus de la lysocline. Il s'agit alors essentiellement de
débris d'organismes planctoniques: coccolithes, foraminifères (globigérines),
ptéropodes. Au-dessous ou à des latitudes non favorables, s'observent des boues à
radiolaires et diatomées (eupélagique) et des boues terrigènes (hémipélagique)
auxquelles s'ajoutent des turbidites (Fig. V.1). Il semble qu'un autre facteur
important de la formation de carbonates profonds soit la précipitation de ciments
(calcite Mg et surtout calcite) dans des zones à sédimentation très ralentie.
Figure VIII.6: profondeur de la CCD dans l'océan mondial et relation entre
lysocline et CCD.
Pour en savoir plus

 J.J. Fornos & W.M. Ahr, 1997. Temperate carbonates on a modern, low-energy, isolated ramp: the
Balearic platform, Spain. J. of Sedimentary Research, 67, 364-373.
 A. Lees & A.T. Buller, 1972. Modern temperate-water and warm-water shelf carbonate sediments
contrasted. Marine Geology, 13, M67-73.
 M. Mutti & P. Hallock, 2003. Carbonate systems along nutrient and temperature gradients: some
sedimentological and geochemical constraints. Int. J. Earth Sci., 92, 465-475.
 B.H. Purser, 1980. Sédimentation et diagenèse des carbonates néritiques récents. Tome 1: les éléments
de la sédimentation et de la diagenèse. Ed. Technip, 367 pp.
 B.H. Purser, 1983. Sédimentation et diagenèse des carbonates néritiques récents. Tome 2: Les domaines
de sédimentation carbonatée néritique récents; application à l'interprétation des calcaires anciens. Ed.
Technip, 389 pp.
 A.N. Strahler & A.H. Strahler, 1983. Modern physical geography. John Wiley & Sons, 532 pp.
 J.L. Wray, 1979. Paleoenvironmental reconstructions using benthic calcareous algae. Bull. Cent. Rech.
Explor. Prod. Elf-Aquitaine, 3 (2), 873-879.
 http://www.ig.uit.no/~bjarne/Rafaelsen&Nielsen_2005_ver_1_01.html

IX. Description et interprétation des roches et


paléoenvironnements carbonatés
1. GENERALITES

Les roches carbonatées regroupent des calcaires francs, des calcaires


dolomitiques et des dolomies, voire des roches franchement magnésiennes. Lorsque
l'on dispose d'analyses chimiques, on peut distinguer plusieurs termes en fonction
du rapport Ca/Mg (Fig. IX.1A). Sur le terrain, on se contentera de distinguer la
dolomie du calcaire en se basant sur la réaction à l'HCl 10% : le calcaire réagit
franchement, alors que la dolomie ne réagit qu'à chaud (mettre un petit peu de
roche dans une cuillère et chauffer au briquet !).

Figure IX.1 : A : classification des roches carbonatées en fonction du rapport


Ca/Mg. B : classification des roches carbonatées en fonction de la teneur en argile.
Les roches carbonatées peuvent aussi contenir de l'argile et constituer des calcaires
marneux, marnes calcaires, marnes (Fig. IX.1B). En général, un calcaire pur est
relativement cassant, alors qu'une marne est plus friable. L'introduction d'argile
dans le calcaire facilite aussi l'apparition de la schistosité et la formation de nodules
diagénétiques.

Certains calcaires peuvent être durs, d'autres plus tendres, comme les craies. Ces
différences sont dues au degré de consolidation acquis lors de la diagenèse.

Pour aller plus avant dans la description et la classification des calcaires, une
analyse pétrographique (lame mince) est en général nécessaire (voir ci-dessous).
On pourra cependant distinguer à l'œil ou à la loupe sur cassure fraîche des
calcaires grenus et des calcaires fins.

2. CLASSIFICATION DES ROCHES CARBONATEES

Les roches carbonatées peuvent être classées en fonction de leur composition


chimique ou minéralogique, de propriétés physiques comme leur porosité ou encore
en fonction de leur texture, matrice ou ciment et grains. Actuellement, les
classifications les plus utilisées font appel à des paramètres accessibles sur
échantillon ou en lame mince tels que proportion matrice-ciment-grains.

Un consensus semble s'être progressivement établi au sein de la communauté des


sédimentologues quant à la classification la plus commode: il s'agit de la
classification proposée par Dunham (1962) et complétée par Embry & Klovan
(1972) et Tsien (1981). La classification de Folk (1959) possède également des
adeptes.

2.1. Classification de Folk (Fig. IX.2)

On considère que les constituants majeurs des calcaires sont:

- les "allochems" (grains, corpuscules, éléments figurés):

 les intraclastes: sédiments remaniés;


 les pellets: grains ovoïdes de micrite de taille inframillimétrique;
 les oolithes;
 les fossiles, bioclastes et grains squelettiques;

- la matrice (micrite);

- le ciment (sparite).

Les appelations obtenues par combinaison d'un préfixe (intra-, pel-, oo-, bio-) et
d'un suffixe (-micrite ou -sparite) peuvent être complétées par l'adjonction du terme
"rudite" pour les grains dont la taille est supérieure à 4 mm (exemple:
"biosparrudite" décrit un calcaire à grands bioclastes ou fossiles cimentés par de la
sparite).

Figure IX.2: classification des roches calcaires selon Folk (1959).

2.2. Classification de Dunham complétée par Embry & Klovan et Tsien (Fig.
IX.3)

Cette classification est basée essentiellement sur la texture de la roche et sur le type
de liaison entre les grains. Les différents termes de la classification sont ensuite
combinés avec les noms des types de grains les plus abondants. On a:

- contenant moins de 10% d'éléments > 2 mm:

 avec matrice micritique:


o mudstone: moins de 10% de grains;
o wackestone: plus de 10% de grains, mais texture non jointive ("mud-
supported");
o packstone: texture jointive, c'est-à-dire empilement des grains en
équilibre mécanique ("grain-supported")
 avec ciment sparitique:
o grainstone: texture jointive;

- contenant plus de 10% d'éléments > 2 mm:

 boundstones, constructions récifales, c'est-à-dire roches dont les éléments


étaient liés d'une manière ou d'une autre dès le dépôt:
o bafflestone: organismes érigés piégeant le sédiment en suspension par
ralentissement de l'écoulement du fluide transporteur (exemple:
bryozoaires);
o coverstone: organismes lamellaires ou tabulaires stabilisant le
sédiment par leur simple présence (exemple: tabulés lamellaires des
monticules frasniens);
o bindstone: organismes stabilisant le substrat par encroûtement
(exemple: algues corallines);
o framestone: organismes édifiant une charpente rigide (exemple:
coraux constructeurs actuels);
 non construit:
o floatstone: texture non jointive;
o rudstone: texture jointive.
Figure IX.3: classification des roches calcaires selon Dunham (1962) et Embry &
Klovan (1972).
3. DESCRIPTION DES PALEOENVIRONNEMENTS CARBONATES: LA
NOTION DE FACIES

A la base de cette notion coexistent à la fois un souci de simplification et de


standardisation de la description sédimentologique et une volonté de clarifier
l'interprétation. Détaillons ces deux aspects.

- Il est évidemment possible, pour décrire une succession de types de sédiment, de


reprendre à chaque banc, niveau, etc. une caractérisation détaillée de ce que l'on
observe. Si certains de ces types de sédiment sont "raisonnablement" identiques, il
est beaucoup moins fastidieux de définir une série de "sédiments-types" (faciès) et
de représenter leur succession en regard de la coupe.

- Dans l'esprit de la plupart des sédimentologues, on trouve l'espoir qu'à un type de


sédiment corresponde un environnement bien précis. Des exceptions à cette relation
s'observent, bien entendu, mais si des types de sédiment analogues existent, ceux-
ci, par des études plus approfondies, devraient voir leur individualité propre se
dessiner de plus en plus nettement.

La description synthétique envisagée ici est aussi une aide à l'interprétation des
paléoenvironnements dans la mesure où elle permet de détecter une organisation à
grande échelle des types de sédiment dans un corps sédimentaire. Cette
organisation à grande échelle est souvent une des clés de l'interprétation. Précisons
maintenant ces fameux "types de sédiment".

Le lithofaciès: ce terme a été défini pour la première fois par Krumbein (1948, p.
1909) comme "the sum total of the lithological characteristics of a sedimentary
rock", incluant donc outre la lithologie, la nature, l'abondance des organismes s'ils
sont caractéristiques de la roche en question. Ce terme est descriptif et ne doit
contenir aucun élément interprétatif. Il est donc, pour prendre un exemple, injustifié
de parler de "lithofaciès de mer ouverte" pour ce qui devrait être appelé "lithofaciès
des calcaires argileux gris foncé à brachiopodes".

Le microfaciès: c'est la correspondance microscopique du lithofaciès. Flügel (1982,


p. 1) en propose la définition suivante: "Microfacies is the total of all the
paleontological and sedimentological criteria which can be classified in thin-
sections, peels, and polished slabs". Il va sans dire que cette notion est elle aussi
purement descriptive.

L'utilisation conjointe des notions de lithofaciès et de microfaciès permet de


respecter le principe de la gradation des échelles d'observation (on ne passe pas
directement de la photo satellite au microscope à balayage...). L'expérience montre
qu'en général, à chaque lithofaciès correspondent un ou plusieurs microfaciès. A
chaque microfaciès ne correspond qu'un lithofaciès.
L'assemblage fossile: c'est la somme des constituants biotiques d'un sédiment. Cette
notion à coloration plus directement écologique est donc incluse dans la notion de
faciès. Un micro- ou lithofaciès est caractérisé à la fois par la nature, la texture,...
du sédiment et par un assemblage fossile.

4. LES MICROFACIES STANDARDS DE WILSON-


UN MODELE DE PLATE-FORME CARBONATEE

Afin d'une part d'arriver à une plus grande objectivité et homogénéité dans la
description sédimentologique et d'autre part de faciliter l'interprétation des
paléoenvironnements, un certain nombre d'auteurs ont proposé une série de
"microfaciès standards", localisés dans un modèle général de plate-forme
carbonatée.

Le plus connu et le plus utilisé de ces modèles est celui de Wilson (1975), basé sur
24 "standard microfacies types" ("SMF"), intégrés dans un système de neuf
ceintures de faciès ("standard facies belts", "SFB") correspondant à des grands
environnements de dépôt: "basin (SFB1)-open sea shelf (SFB2)-deep shelf margin
(SFB3)-foreslope (SFB4)-organic buildup (SFB5)-winnowed edge platform sands
(SFB6)-shelf lagoon, open circulation (SFB7)-shelf and tidal flats, restricted
circulation (SFB8)-sabkhas with evaporites salinas (SFB9)". Voici ces microfaciès,
avec successivement leur abréviation, leur nom et éventuellement une brève
description et enfin, la ceinture de faciès où ils peuvent être observés (Fig. IX.4).

Fig. IX.4: microfaciès standards "SMF" et ceintures de faciès "SFB" de Wilson


(1975) (hauteurs fortement exagérées).

 SMF1: spiculite: mudstones ou wackestones argileux sombres, riches en


matière organique et/ou spicules d'éponges. SFB1, bassin.
 SMF2: packstones microbioclastiques: grainstones et packstones à très petits
bioclastes et péloïdes. SFB1, SFB2, SFB3.
 SMF3: mudstones et wackestones à organismes pélagiques (exemple:
globigérines, certains lamellibranches, etc.). SFB1, SFB3.
 SMF4: microbrèche ou packstones à lithoclastes et bioclastes: mono- ou
polymictique; peut inclure également du quartz ou chert. SFB3, SFB4,
avant-talus.
 SMF5: grainstones/packstones ou floatstones à éléments récifaux; géopètes
et structures d'ombrelle dûs à l'infiltration de sédiments fins. SFB4, flanc
récifal.
 SMF6: rudstones à éléments récifaux; gros fragments de constructeurs, peu
de matrice. SFB4, talus d'avant-récif.
 SMF7: boundstone: organismes constructeurs en position de vie. SFB5,
environnement de haute énergie, récif.
 SMF8: wackestones et floatstones avec fossiles bien conservés, quelques
bioclastes. SFB2, SFB7, plate-forme ou lagon ouvert, sous la zone d'action
des vagues.
 SMF9: wackestones bioclastiques bioturbés; les bioclastes peuvent être
micritisés. SFB2, SFB7, plate-forme ouverte peu profonde, près de la zone
d'action des vagues.
 SMF10: packstones/wackestones avec bioclastes dégradés et encroûtés.
SFB2, SFB7, grains provenant d'environnements à forte agitation, déposés
en milieu calme.
 SMF11: grainstones à bioclastes encroûtés. SFB5, SFB6, corps sableux dans
la zone d'action des vagues, éventuellement en bordure de plate-forme.
 SMF12: grainstones/packstones/rudstones bioclastiques, avec prédominance
de certains types d'organismes (crinoïdes, bivalves, dasycladales,...). SFB5,
SFB6, bordure de plate-forme.
 SMF13: grainstones à oncoïdes et bioclastes. SFB6, agitation assez
importante, profondeur très faible.
 SMF14: "lags": grains dégradés et encroûtés, localement mélangés à des
oolithes et des péloïdes, voire des lithoclastes; phosphates, oxydes de fer.
SFB6, accumulation lente de matériaux grossiers dans des zones agitées.
 SMF15: grainstones à oolithes, à stratification entrecroisée. SFB 6, bancs,
dunes, cordons oolithiques en milieu agité.
 SMF16: grainstones à péloïdes, souvent mélangés à quelques bioclastes
(ostracodes, foraminifères,...). SFB7, SFB8, environnement très peu profond
à circulation modérée.
 SMF17: "grapestone": grainstones à grains agrégés (lumps, bahamite),
quelques péloïdes, et grains encroûtés. SFB7, SFB8, plate-forme à
circulation restreinte, "tidal flats".
 SMF18: grainstones à foraminifères ou dasycladales. SFB7, SFB8, cordons
littoraux, chenaux lagunaires.
 SMF19: loférite: mudstones/wackestones laminaires à péloïdes et fenestrae,
passant à des grainstones à péloïdes; ostracodes, quelques foraminifères,
gastéropodes et algues. SFB8, mares et lagons à circulation restreinte.
 SMF20 & 21: mudstones à stromatolithes. SFB8, SFB9, mares intertidales.
 SMF22: wackestones à oncoïdes. SFB8, environnement calme, souvent en
arrière-récif.
 SMF23: mudstones homogènes, non fossilifères; évaporites possibles. SFB8,
SFB9, mares hypersalines.
 SMF24: packstones/wackestones à lithoclastes de micrite non fossilifère.
SFB8, "lag deposit" de fond de chenaux tidaux.

L'utilisation des microfaciès standards peut aider lors d'une première approche et
possède le mérite certain de structurer les observations. Dans un deuxième temps,
l'affinement des observations doit permettre de mieux préciser les environnements
de dépôt et de compléter en conséquence le modèle standard.

Grands environnements de dépôts (ceintures de faciès) au sein d'une plate-forme


carbonatée avec barrière: Dévonien supérieur du Canning Basin, Australie.

5. LE MODELE DE RAMPE

On a vu dans le chapitre précédent que les différences sédimentologiques entre


plate-forme et rampe carbonatées sont importantes, particulièrement en ce qui
concerne la répartition des niveaux d'énergie. Les "SMF" et "SFB" de Wilson
s'intègrent clairement dans un modèle de plate-forme avec barrière récifale. Il est
donc nécessaire de considérer également la répartition des microfaciès au long d'un
modèle de rampe. Ce modèle a été proposé par Burchette &Wright (1992)
(Fig. IX.5).
Figure IX.5: répartition des faciès "RF" sur un modèle de rampe carbonatée
(hauteurs fortement exagérées).

La rampe externe est localisée sous la zone d'action des vagues de tempête, à une
profondeur de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de mètres. On y observe des
sédiments carbonatés fins, autochtones ou allochtones, associés à des dépôts
hémipélagiques. Les bioconstructions y sont de type "monticule".

 RF1: monticule micritique: bioconstruction isolée, riche en matrice calcaire


et comprenant des éponges et des microbes; tous les organismes sont en
position de vie.
 RF2: marno-calcaires: mudstones et wackestones argileux
microbioclastiques alternant avec des argiles; la faune est benthique,
nectonique, planctonique avec un net caractère ouvert: bryozoaires, éponges,
foraminifères planctoniques, échinodermes, mollusques. La bioturbation est
présente.
 RF3: tempestites distales: minces niveaux granoclassés dans des sédiments
fins. Ces niveaux un peu plus grossiers peuvent inclure des sédiments
remaniés issus de zones moins profondes de la rampe.

La rampe médiane correspond à la zone située entre la base de la zone d'action des


vagues de beau temps et la base de la zone d'action des vagues de tempête. La
profondeur y est de quelques dizaines de mètres. Les tempestites sont les dépôts
dominants, associés souvent à des niveaux intraclastiques.

 RF4: monticules squelettiques et récifs: il s'agit de bioconstructions à faune


plus diversifiée, incluant des niveaux à organismes en position de vie et
d'autres remaniés par l'action des vagues; les constructeurs comprennent des
bryozoaires, coraux, éponges, échinodermes, algues rouges,...
 RF5: "shoals": grainstones et packstones à bioclastes remaniés (bryozoaires,
crinoïdes, brachiopodes,...), stratifications obliques.
 RF6: tempestites proximales, souvent amalgamées: sédiments granoclassés,
transportés, structures HCS, grainstones et packstones. Les éventuelles
périodes de calme sont représentées par des sédiments plus fins, de type
wackestone, bioturbés.

La rampe interne comprend la zone située entre la plage et la base de la zone


d'action des vagues de beau temps. Cette portion de rampe est située dans la zone
photique et le fond marin est remanié pratiquement en permanence par les vagues
et les courants. On observe les faciès suivants:

 RF7: récifs: biostromes et patch-reefs à coraux, lamellibranches, rudistes,


stromatopores; les constructeurs sont rarement en position de vie; nombreux
remaniements.
 RF8: packstones et grainstones à bioclastes variés.
 RF9: shoals oolithiques et bioclastiques; grainstones et packstones à
stratification entrecroisée; oolithes, péloïdes, bioclastes (algues vertes,
foraminifères, mollusques, échinodermes,...)
 RF10: "plage" et "mares": grainstones et packstones bien classés à
stratification plane et/ou mudstones et wackestones bioturbés à faune et flore
plus réduite. Les bioclastes gardent un caractère varié et partiellement
"ouvert".

6. INTERPRETATION DES PALEOENVIRONNEMENTS


CARBONATES: UNE BREVE ANALYSE DES METHODES UTILISEES

L'interprétation d'un faciès en terme de paléoenvironnement est basée bien entendu


sur une comparaison avec la nature actuelle. Si la continuité des processus
sédimentaires peut être garantie en première approximation pour des échelles de
temps relativement grandes en ce qui concerne les processus physiques de la
sédimentation (viscosité et température des fluides, pression, teneur en oxygène,...),
ce n'est évidemment pas le cas dès qu'intervient la vie, en constante évolution.
L'application de l'actualisme doit alors être tempérée suivant l'ancienneté des
environnements étudiés.

- L'actualisme appliqué aux organismes: cette méthode d'actualisme strict n'est


applicable que pour des environnements très récents, où les espèces sont identiques.
Au-delà du Miocène, la proportion d'organismes possédant des équivalents actuels
tend vers zéro au niveau de l'espèce, puis du genre et enfin de la famille. L'étude de
l'Actuel nous montre que des espèces différentes d'un même genre peuvent occuper
des niches écologiques très différentes.

- L'analyse morpho-fonctionnelle: il s'agit de déduire des implications écologiques


de la morphologie et des diverses adaptations d'un organisme. Cette méthode est à
appliquer avec précaution. Exemple: les épines: il peut s'agir d'un moyen de
défense contre des agresseurs, mais aussi d'un instrument de fixation au substrat;
voir également les nombreux essais d'interprétation en terme de bathymétrie de la
morphologie des organismes constructeurs (lamellaires, branchus, etc.);

- L'actualisme appliqué aux processus physico-chimiques: revenons-y pour


souligner que pour de grandes échelles de temps, des modifications générales de
ces paramètres sont possibles: exemples: la teneur plus élevée en CO 2 de l'air au
Carbonifère est peut-être à l'origine de la taille plus importante des libellules
(densité de l'air plus élevée); autre exemple: les "Red Banded Ironstones" du
Précambrien impliquent une atmosphère différente de notre atmosphère actuelle.
D'une manière générale, cependant, cette démarche est extrêmement fructueuse
pour l'interprétation des innombrables structures sédimentaires d'origine physique
(types de stratification, granoclassements,...);
- L'actualisme appliqué à la structure des populations: cette méthode est centrée
sur le fait que dans toute population, même si les organismes ont évolué au cours
du temps, des analogies de fonctionnement demeurent: il faut alors identifier la
fonction, la "niche écologique" (herbivore, suspensivore, mucophages, détritivores,
etc.) de chaque membre de l'assemblage fossile et interpréter le
paléoenvironnement en comparant avec des peuplements actuels de même type
(exemple: peuplement saumâtre, récifal, etc.). Pour citer un exemple, une
communauté à éponges, bryozoaires et brachiopodes sera systématiquement
localisée en milieu plus profond qu'une communauté à algues et coelentérés
constructeurs et ce, aussi bien au Silurien (récifs de l'Arctique canadien, Narbonne
& Dixon, 1984 p. 47) qu'au Frasnien (Canning Basin, Australie, Playford, 1981, p.
13) ou qu'à l'époque actuelle (Golfe d'Aqaba, Hottinger, 1984).

Le principal écueil de cette méthode réside dans la dégradation au cours du temps


de l'information disponible. Cette dégradation se produit en plusieurs étapes;
détaillons-les:

 entre sa mort et son enfouissement, l'organisme peut se décomposer


(disparition des organismes "à corps mou"); exemple: Nereis: ces
peuplements peuvent représenter jusqu'à 90% de la biomasse d'une
communauté. Ces organismes sans test disparaissent cependant totalement
lors de la fossilisation. Seule la découverte de leurs terriers peut témoigner
de leur présence. Autre exemple: les éponges dont la présence peut n'être
révélée que par les stromatactis (voir plus loin);
 de même, les tests résistants peuvent se désarticuler par disparition des tissus
qui maintenaient leur cohésion (crinoïdes,...) ou être désagrégés par abrasion
mécanique ou chimique (usure, transport, ingestion, oxydation,
dissolution,...); exemple: il est souvent difficile d'identifier avec certitude la
provenance d'un sable corallien: madréporaires ou mollusques?
 après l'enfouissement, le test peut être fortement dégradé par la compaction
et la diagenèse: remplacement (pyritisation, silification, dolomitisation,
inversion des carbonates) ou dissolution;
 lors de l'inventaire des fossiles, plusieurs biais peuvent être introduits: on ne
récolte souvent que les "beaux" specimens; dans les séries dures, les fossiles
sont plus difficiles à récolter que dans les roches tendres; le recensement des
organismes dépend aussi de la spécialisation du géologue, de sa minutie et
de son expérience...

Le résultat de tout ce qui précède constitue un assemblage fossile qui n'est en fait,


sauf cas exceptionnel, qu'une fraction dérisoire de la communauté originale: mais
c'est notamment sur ce témoignage que seront construits les modèles interprétatifs.
De toute manière, pour bien appréhender un peuplement, il faut garder à l'esprit que
la plupart sont organisés de la façon suivante:
Figure IX.6: pyramide écologique.

Avec un rapport de 10 entre chaque niveau de la pyramide alimentaire. Les fossiles


appartiennent la plupart du temps au groupe des consommateurs primaires (2) ou
secondaires (3). La découverte d'un fossile du groupe (3) implique donc que le
peuplement original comptait une dizaine de (2) et une centaine de (3)!

Autres pièges à éviter dans l'interprétation d'un assemblage:

 les mélanges de populations: exemple du Zuiderzee: après la construction du


barrage, la faune benthique a évolué d'un peuplement de milieu salé à un
peuplement d'eau douce; les récoltes actuelles de coquilles font cependant
penser à un peuplement mixte. Ceci est tout simplement la conséquence d'un
taux de sédimentation plus faible que le taux d'accumulation des coquilles.
Le même résultat peut être provoqué par une intense bioturbation qui
mélange les fossiles issus de deux couches distinctes à l'origine (Fig. IX.7)
ou encore par le dépôt en un même milieu d'organismes provenant de
communautés différentes;
 le problème plus général de l'inégale connaissance du milieu actuel: on
connaît particulièrement bien les littoraux... et les grands fonds; en ce qui
concerne les bioconstructions, ce sont les récifs algocoralliens tropicaux qui
ont été surtout étudiés...;
 le problème encore plus général de la représentativité du milieu actuel (on
touche là aux limites de l'actualisme): l'Holocène est une période de crise,
liée à la montée eustatique post-glaciaire. Beaucoup des peuplements que
nous examinons sont des peuplements jeunes, qui n'ont pas forcément atteint
leur maturité, au contraire d'exemples anciens correspondant à des périodes
de stabilité eustatique et/ou climatique.

Figure IX.7: mélanges de peuplements et interprétation des paléoenvironnements.


Une fausse interprétation de peuplement mixte peut être le résultat de la succession
de deux populations dans une zone à sédimentation ralentie, de la bioturbation ou
encore d'un transport.

En conclusion, il faut être persuadé que l'interprétation d'un faciès en terme de


paléoenvironnement ne peut être basée que sur un faisceau d'évidences, issues de
l'analyse morpho-fonctionnelle, d'analogies avec des peuplements actuels, de
l'interprétation des structures sédimentaires, etc. Toutes ces évidences doivent faire
l'objet d'un examen approfondi. Un argument négatif ne peut être écarté qu'après
discussion. L'utilisation de modèles doit toujours être réfléchie: quels sont dans le
modèle choisi, les éléments transposables tels quels, les analogies possibles, les
dissemblances et pourquoi... Enfin, toute interprétation d'un faciès en terme de
paléoenvironnement devra finalement tenir compte de l'interprétation que l'on aura
donnée aux faciès qui lui sont géométriquement liés au sein de l'édifice
sédimentaire et stratigraphiquement contemporains au sein du bassin de
sédimentation...

Dans la suite du cours, nous allons examiner différents types de bioconstructions,


échelonnées du littoral aux bassins océaniques.  Nous verrons que leur localisation,
leur composition, leur morphologie dépendent d'un paramètre fondamental: leur
source d'énergie.
Pour en savoir plus

 T.P. Burchette & V.P. Wright, 1992. Carbonate ramp depositional systems. In B.W. Sellwood (Ed.),


Ramps and Reefs, Sediment. Geol., 79, 3-57.
 E. Flügel, 2004. Microfacies of carbonate rocks. Analysis, interpretation and application. Springer-
Verlag, 976 pp.
 J.L. Wilson, 1975. Carbonate facies in geologic history. Springer Verlag, 471 pp.

X. Tapis algo-microbiens, stromatolithes & Co


1. TAPIS ALGO-MICROBIENS ET STROMATOLITHES ACTUELS

1.1. Introduction

Les premières constructions organiques que l'on rencontre le long d'une plage en
environnement de plate-forme tropicale sont les stromatolithes. Ces
bioconstructions particulières ont été beaucoup étudiées. Avec les travaux de
Logan, Playford, Purser et autres amateurs de stromatolithes, ce sont d'ailleurs un
peu les bases de la sédimentologie des carbonates actuels qui ont été jetées. Un vif
intérêt s'est fait sentir pour ces formes qui représentent sans aucun doute un
marqueur bathymétrique (proximité de la ligne de rivage) et peut-être, comme on le
verra plus loin, climatique. L'application de cet outil dans l'Ancien n'en est plus à
ses débuts.

Le caractère commun et fondamental des communautés algo-microbiennes qui


construisent les stromatolithes est leur autotrophie: leur source d'énergie primaire
est le soleil. D'une manière générale, les tapis algo-microbiens sont caractérisés par
une minéralisation d'origine allochimique dominante où les algues et les
cyanobactéries jouent un rôle de piégeage de matériau carbonaté par le
développement de tissus mucilagineux (EPS).

1.2. Description et classification

Au sein des carbonates algo-microbiens, on distingue aisément des sédiments


laminaires et des sédiments non laminaires.

- On range dans les sédiments algo-microbiens non laminaires essentiellement


les thrombolites, définis par Aitken (1967, p 1164) comme des "...cryptalgal
structures lacking lamination and characterized by a macroscopic clotted fabric".
Les thrombolites sont surtout restreints aux milieux subtidaux et intertidaux
inférieurs; ils sont caractérisés par une croissance rapide par rapport à la
sédimentation bioclastique, et par l'absence de phénomènes périodiques du type
exposition-immersion (d'où l'absence de lamination).

A: Edifices thrombolitiques bordant un chenal (Formation de Romaine,


Ordovicien, Mingan); B: détail (coupe).

- les sédiments algo-microbiens laminaires comprennent les stromatolithes et


les oncolithes.

1.2.1. Les stromatolithes

On classe dans les stromatolithes les formes possédant un relief (stromatolithes au


sens de Logan et al, 1964 p 69): "stromatolites are laminated structures composed
of particulate sand, silt, and clay-size sediment, which have been formed by the
trapping and binding of detrital sediment particles by an algal film (...)
stromatolites may be columnar, clubshaped, undulose or spheroïdal in form") et les
formes planes appelées par divers auteurs "laminites algo-microbiennes" ou
"laminites".

La classification et l'étude des stromatolithes a longtemps souffert du dualisme


existant entre la tendance paléontologique de l'école russe, et la tendance
écologique de l'école anglo-saxonne. Nous utilisons ici, bien évidemment, une
classification de type morphoécologique, qui est particulièrement bien adaptée à
l'étude des paléoenvironnements. Cette classification est celle de Logan et al.
(1964), complétée par Aitken (1967) et Kendall & Skipwith (1968) de façon à y
intégrer les laminites et les tapis à polygones de dessiccation. Cette classification
comprend brièvement les types illustrés à la Fig. X.1.

Toutes ces formes peuvent évoluer de l'une à l'autre, sans doute suivant l'évolution
des conditions du milieu. Ces morphologies existent à différentes échelles (aspect
fractal) et s'imbriquent pour donner des stromatolithes complexes.

1.2.2. Les oncolithes

Les oncolithes sont des formes libres, détachées du substrat, généralement de forme


subsphérique, limitées à la zone subtidale.

Oncolithes dans la Formation de La Vieille, Silurien, Québec.


Figure X.1: types de stromatolithes (d'après Logan et al., 1964, modifié).

Stromatolithes LLH-S, Barrémien, Bale, Croatie.

1.3. Quelques caractéristiques des stromatolithes

1.3.1. Biologie

Les tapis algo-microbiens à l'origine des stromatolithes peuvent être considérés


comme des communautés complexes composées de bactéries autotrophes, d'algues
eucaryotes, de bactéries hétérotrophes et d'algues bleu-vert ou cyanobactéries, ces
dernières étant les organismes les plus abondants.

Les cyanobactéries sont des procaryotes; sans entrer dans les détails, précisons
qu'elles sont classées en deux grands groupes: les unicellulaires ou coccoïdes, qui
se reproduisent par spores, et les pluricellulaires ou filamenteuses, qui se
reproduisent par fragmentation des filaments ou trichomes (Fig. X.2).

Une des caractéristiques importantes des cyanobactéries est leur faculté de secréter
du mucilage (EPS), ce qui augmente leur résistance à la dessiccation, et leur
mobilité en cas d'ensablement par le sédiment.

La capacité des cyanobactéries à résister à certaines contraintes du milieu leur a


permis d'occuper des niches écologiques inaccessibles à d'autres formes de vie
(Tableau X.1). La compétition avec les métaphytes et les métazoaires les ayant par
ailleurs éliminées d'environnements plus favorables au cours du Phanérozoique.

Facteur du bactéries algues


cyanobactéries
milieu hétérotrophes eucaryotes
température
70-73°C >99°C 56°C
max.
température
gel gel gel
min
pH
>10,5 (?) >10,5 (?) >10,5 (?)
maximum
pH
4-5 <1 <1
minimum
salinité
>250%o >250%o >250%o
maximale
intensité
lumineuse 2000 lux
minimale
croissance
oui oui non (?)
anaérobie

Tableau X.1: tolérance de quelques types de microorganismes aux facteurs de


l'environnement. D'après Brock, 1976, modifié.

Le fort échauffement provoqué par l'ensoleillement paraît être le principal facteur


responsable de l'élimination des algues eucaryotes des plaines maritimes tropicales,
bien plus que la salinité. Des différences du même ordre dans les tolérances aux
facteurs du milieu (ensoleillement, mais aussi pH, Eh, teneur en CO 2, O2...)
expliquent en partie la stratification biologique constatée dans la plupart des tapis
algo-microbiens actuels, les cyanobactéries occupant en général la zone la plus
superficielle et les bactéries hétérotrophes, la zone la plus éloignée de la surface, où
elles peuvent s'alimenter sur base de la matière organique en voie de dégradation.

Bien que le piégeage de grains carbonatés par les cyanobactéries à la surface des
tapis semble le phénomène le plus actif pour expliquer la nature calcaire des
stromatolithes, il existe également un processus de cimentation microbienne. Ce
processus n'est pas dû à l'activité des cyanobactéries, qui précipitent pourtant le
calcaire par la réaction suivante, alimentée par la photosynthèse:

2HCO3- + Ca2+  CH2O + Ca CO3 + O2

Mais la dégradation aérobie de CH2O produit H+, responsable d'une baisse du pH et


d'une dissolution du carbonate produit:

CH2O + O2 + Ca CO3  2HCO3- + Ca2+

La cimentation microbienne semble donc intervenir dans une zone plus profonde
des tapis, dominée par des bactéries hétérotrophes qui utilisent les restes des
cyanobactéries et des EPS pour leur fonctionnement. Dans cette zone, l'absence
d'oxygène est responsable de l'utilisation de processus oxydants moins énergétiques
comme la dénitrification et la sulfatoréduction:

2(CH2O ) + NO3- + Ca2+  Ca CO3 + CO2 + NH4+

2(CH2O ) + SO42- + Ca2+ + 2OH-  CaCO3 + HS- + HCO3-  + 2H2O

A la limite entre la zone superficielle des tapis, oxique, dominée par les
cyanobactéries et la zone inférieure, anoxique, dominée par les hétérotrophes, se
localise une zone riche en bactéries photosynthétiques anaérobies qui utilisent le
HS- généré dans la zone inférieure (Fig. X.3):

HS- + 2O2 + Ca CO3 SO42- + Ca2+ +HCO3-

Cette réaction est probablement responsable (avec la respiration aérobie) de la


dissolution du carbonate superficiel. La cimentation des grains carbonatés piégés
dans la partie superficielle du tapis par des cyanobactéries se fait donc dans une
zone plus profonde, dominée par les hétérotrophes.

 
Figure X.2: surface d'un tapis cyanobactérien; les filaments piègent les grains
détritiques.

A: tapis algaires aux abords de la sebkha El Melah, Tunisie. La lamination est due
à l'alternance de tapis algaires et de dépôts détritiques. Noter le caractère
réducteur du sédiment, favorisant la conservation de la matière organique. B:
bulles d'oxygène produites par photosynthèse à la surface d'un tapis algaire; ces
bulles, une fois recouvertes de sédiment donnent naissance aux "birdseyes"; la
flèche indique une cicatrice d'érosion dans le tapis.

1.3.2. Origine de la lamination

La lamination, qui peut être répétitive, alternante ou cyclique, enregistre un


phénomène périodique qui affecte la population algo-microbienne et/ou les facteurs
de l'environnement (Fig. X.3).
Parmi les divers phénomènes pouvant être à l'origine de la lamination; les
principaux sont:

 une différence de croissance algo-microbienne au cours d'un cycle jour-nuit;


 un changement périodique de l'espèce dominant la population lié à une
variation périodique des facteurs du milieu (humidité, salinité...);
 une calcification périodique du tapis;
 un afflux périodique de matériel détritique;
 une diagenèse différentielle (dolomitisation de certains niveaux microbiens
liée à la concentration du Mg dans le mucilage par exemple);
 un alignement de corpuscules;
 un alignement de "birdseyes";
 une stratification biologique au sein du tapis liée à des tolérances différentes
aux facteurs du milieu (particulièrement l'insolation).

Figure X.3: types de laminations et exemple de stratification biologique au sein


d'un tapis algo-microbien actuel

1.3.3. Ecologie

Les tapis algo-microbiens actuels colonisent la zone intertidale des plateformes


carbonatées, avec une extension possible vers les zones supratidale et subtidale
(Purser, 1980). Leur répartition et leur étendue dépendent de facteurs climatiques,
biologiques et mécaniques: 
 l'action des broûteurs et des fouisseurs qui, présents en zone intertidale ou/et
subtidale, y détruisent les tapis;
  la possibilité de cimentation précoce qui, en consolidant le stromatolithe,
limite l'action des organismes fouisseurs et broûteurs et permet donc
l'extension en zone subtidale;
  l'hypersalinité, qui élimine ou restreint la faune marine, permettant ainsi aux
tapis de s'étendre vers la zone subtidale. L'hypersalinité peut également avoir
pour effet d'éliminer les tapis algo-microbiens de la zone supratidale
(cristallisation d'évaporites au sein des tapis avec destruction des tissus);
  l'action destructrice des vagues et des courants qui limite l'extension des
tapis vers la mer et de même, la déflation éolienne s'exerçant sur les tapis
séchés et craquelés qui limite leur extension vers le continent;
  l'humidité du climat (les précipitations) qui favorise l'extension des tapis en
zone supratidale.

Ces facteurs, sauf l'action érosive des vagues, des courants et du vent, sont interliés
et dépendent in fine du climat, et particulièrement de son aridité.

Notre connaissance approfondie des tapis algo-microbiens actuels s'appuie sur des
études menées dans un certain nombre de régions à sédimentation carbonatée
dominante. Parmi ces régions, citons entre autre:

 l'île d'Andros (Fig. X.4);


 la Floride;
 diverses régions du Golfe Persique, (Fig. X.5);
 le golfe de Spencer (sud de l'Australie);
 la Baie des Requins (ouest de l'Australie) (Fig. X.6);
 la lagune de Boca Jewfish, sur l'île de Bonaire (Antilles néerlandaises);
 la lagune Mormona, en péninsule de Californie.
Figure X.4: A: l'île d'Andros et le banc des Bahamas, avec la localisation de la Fig.
B. B: détail de la zone de "Three Creeks" montrant la répartition des
environnements. C: coupe schématique E-W dans la zone de "Three Creeks".
Figure X.5A: carte schématique de la répartition des principaux types de sédiments
dans le Golfe Persique. D'après Purser (1983), modifié. B: détail montrant la
distribution des sédiments sur la côte d'Abu Dhabi. D'après Purser (1984), modifié.
Figure X.6: localisation de Hamelin Pool, lagune isolée de la mer par un seuil. Cet
isolement provoque une augmentation de la salinité, la disparition des organismes
broûteurs et le développement des stromatolithes.

De ces travaux, on peut retenir très schématiquement les points essentiels suivants: 

 l'aridité du climat et le confinement (isolement par rapport à la mer ouverte)


provoquent une augmentation de la salinité du milieu qui, par le contrôle
qu'elle exerce sur la faune, conditionne l'extension des tapis algo-microbiens
(notons que même sous un climat aride, une bonne circulation de l'eau
marine peut avoir comme effet le maintien d'une salinité normale:
35 o/oo dans la lagune de Boca Jewfish). Prenons deux cas extrêmes:
o  dans un environnement hypersalin, les tapis peuvent s'étendre de la
partie inférieure de la zone intertidale à la zone subtidale (cas de la
Baie des Requins);
o dans un environnement à salinité à peu près normale, les tapis
s'étendront de la zone supratidale à la partie supérieure de la zone
intertidale (cas du NW de l'île d'Andros, Fig. X.4);
  l'action des vagues et des courants conditionne d'une part l'extension des
tapis vers la zone subtidale (action érosive) et, d'autre part, la morphologie
externe des stromatolithes; on constate en effet que:
o  dans un environnement calme, les tapis algo-microbiens ont une
morphologie d'ensemble généralement plane (type "P"); c'est le cas de
certaines zones protégées de la Baie des Requins;
o dans un environnement agité, se développent des rides et des dômes
stromatolithiques à fort relief (types "SH"); c'est le cas de certaines
zones exposées de Hamelin Pool, Baie des Requins.

Stromatolithes érigés de Hamelin Pool (Shark Bay, Australie). A: dômes


stromatolithiques inactifs dans la zone intertidale; B: stromatolithes vivants en
zone subtidale.
L'explication la plus plausible de cette différence morphologique est que l'action
des vagues et des courants ainsi que l'accumulation de sédiments détruit localement
le tapis, limitant la croissance algo-microbienne à des zones légèrement surélevées,
à l'abri relatif des apports sédimentaires. Au fil du temps, le relief tend à s'exagérer,
et a former une ride ou une colonne stromatolithique. Il est intéressant de remarquer
que la genèse de stromatolithes à relief n'est possible qu'en environnement
hypersalin: pour que les tapis puissent enregistrer par leur morphologie l'action des
vagues et des courants, qui n'est sensible que dans les zones intertidale et subtidale,
il faut évidemment que ces zones leur soient accessibles, et pour cela, que la
salinité élevée inhibe le développement d'une faune de broûteurs. Il faut également
qu'une cimentation précoce consolide ces structures érigées;

- la composition taxonomique des tapis a une influence sur leur morphologie et leur
distribution sur le littoral; on constate (heureusement!) que cette composition est
très constante dans les exemples étudiés (on rencontre essentiellement des tapis
à Schizothrix, Lyngbya, Microcoleus et Scytonema);

- la lamination résulte le plus souvent de l'alternance tissus microbien/sable ou silt


bioclastique;

- le matériel sableux déposé, généralement en lentilles, sur les tapis provient de la


zone subtidale: "...subtidal zone is vital to the tidal flat system, because it is the
source of sediment needed for accretionary growth..." (Shinn, 1983 p. 190). Le
transport de ce matériel ne s'effectue en général qu'à l'occasion de tempêtes ou de
grandes marées;

- la nature et la composition du matériel silteux dépendent de la faune et de la flore


présentes en zone subtidale, qui approvisionnent le "stock" de bioclastes. Cette
faune et flore est directement liée à la salinité des eaux, elle-même dépendante du
climat et du confinement. On constate en effet que: 

 le matériel silteux composant les lamines "détritiques" des tapis d'Andros


comprend des débris d'algues vertes (dasycladacées surtout), des débris de
mollusques, des foraminifères;
 le matériel silteux composant les lamines détritiques des tapis du Golfe
Persique et de la Baie des Requins ne comprend que des foraminifères, des
pellets et des débris de coquilles.

Le Tableau X.2 reprend, pour les cas particuliers de la Baie des Requins, de l'Ile
d'Andros et du Golfe Persique certaines des caractéristiques énumérées ci-dessus.

morpholo répartiti
climat microflore fines
gie on
Golfe surtout P surtout aride, réduite,cyanobac pellets,
Persiq intertid. évaporit téries débris
moll.,
ue es
foram.
Baie
P, LLH, aride,
des intertid.- réduite,
SH selon évaporit idem
Requi subtid. cyanobactéries
agitation es
ns
semi-
intertid. aride, diversifiée, surtout
Andro sup. pluviosit cyanobactéries,al pell.
surtout P
s surtout é gues vertes +débris
supratid. saisonni (dasycladales) algaires
ère

Tableau X.2: caractérisation sommaire des stromatolithes de l'île d'Andros, de la


Baie des Requins et du Golfe Persique.

Reste un problème essentiel: des conclusions et des lois basées sur des observations
de l'Actuel sont-elles transposables au passé? Dans le cas particulier des
stromatolithes, les modèles actuels sont-ils transposables au Paléozoïque ?

En fait, on peut dire que les facteurs restreignant l'extension des tapis algo-
microbiens au littoral des plates-formes carbonatées existaient dès le début du
Paléozoïque (ce sont essentiellement les animaux broûteurs et fouisseurs: ils sont à
l'origine de "l'exil des stromatolithes" précambriens). De même, le degré de
saturation des océans en CaCO3 n'a plus varié dans de grandes proportions depuis la
fin du Protérozoïque, n'autorisant plus la précipitation extracellulaire qu'en
environnement hypersalin. On peut donc considérer que les stromatolithes érigés du
type SH, qui nécessitent pour leur édification une lithification précoce, n'ont pu
prospérer qu'en milieu hypersalin depuis l'aube du Phanérozoïque (ce qui n'a pas
été nécessairement le cas durant le Précambrien). Il faut également souligner
l'extrême lenteur évolutive des cyanobactéries au cours du Phanérozoïque.
Pour en savoir plus

 J.D. Aitken, 1967. Classification and environmental significance of cryptalgal limestones and
dolomites, with illustrations from the Cambrian and Ordovician of SW Alberta. J. of Sedimentary
Petrology, 37, 4, 1163-1178.
 T.D. Brock, 1976. Environmental microbiology of living stromatolites. In M.R. Walter, éd.:
Stromatolites. Developments in Sedimentology, 20, Elsevier, 141-148.
 C.D. Gebelein, 1976. The effects of the physical, chemical and biological evolution of the earth. In
M.R. Walter, éd.: Stromatolites. Developments in Sedimentology, 20, Elsevier, 499-515
 S. Golubic, 1976. Organisms that build stromatolites In M.R. Walter, éd.: Stromatolites. Developments
in Sedimentology, 20, Elsevier, 113-126.
 S. Golubic, 1976. Taxonomy of extant stromatolites-building cyanophytes In M.R. Walter, éd.:
Stromatolites. Developments in Sedimentology, 20, Elsevier, 127-140.
 L.A. Hardie & R.N. Ginsburg, 1977. Layering: the origin and environmental significance of lamination
and thin bedding. In L.A. Hardie, éd.: Sedimentation on the modern carbonate tidal flats of Northwest
Andros Island, Bahamas. The John Hopkins University Press, 50-124.
 C.G. Kendall & Sir P.A. d'E. Skipwith, 1968. Recent algal mats of a Persian Gulf lagoon. J. of
sediment. Petrology, 38, 4, 1040-1058.
 B.W. Logan, R. Rezak & R.N. Ginsburg, 1964. Classification and environmental significance of algal
stromatolites. J. of Geology, 72, 1, 68-83.
 R. Park, 1976. A note on the significance of lamination in stromatolites. Sedimentology, 23, 3, 379-393.
 P.E. Playford & A.E. Cockbain, 1976. Modern algal stromatolites at Hamelin Pool, a hypersaline barred
basin in Shark Bay, Western Australia In M.R. Walter, éd.: Stromatolites. Developments in
Sedimentology, 20, Elsevier, 389-411.
 B.H. Purser, 1980. Sédimentation et diagenèse des carbonates néritiques récents. Tome 1: les éléments
de la sédimentation et de la diagenèse. Ed. Technip, 367 pp.
 B.H. Purser, 1983. Sédimentation et diagenèse des carbonates néritiques récents. Tome 2: Les domaines
de sédimentation carbonatée néritiques récents; application à l'interprétation des calcaires anciens. Ed.
Technip, 389 pp.
 E.A. Shinn, 1983. Tidal flat. In P.A. Scholle, D.G. Bebout, C.H. Moore, eds.: Carbonate depositional
environments, AAPG Mem., 33, 708 pp.

2. TAPIS ALGO-MICROBIENS GIVETIENS

cf. excursions

XI. Les récifs


1. GENERALITES - TERMINOLOGIE

Les récifs ont toujours suscité un intérêt remarquable et une confusion


terminologique tout aussi exceptionnelle. La littérature est encombrée de
définitions variées des termes "récifs", "complexe récifal", "mud mound", etc.
Figure XI.1: "récifs": concepts élémentaires. D'après James & Macintyre (1985),
modifié.

Dans un souci d'efficacité, utilisons en première approche la classification suivante:

Choisissons d'abord le terme bioconstruction comme terme général regroupant


toutes les structures construites d'origine organique. Elles se distinguent
des bioaccumulations où des facteurs physiques sont responsables du dépôt
(lumachelles, etc.). On peut ensuite, au sein des bioconstructions, faire la part des:

Récifs : toute bioconstruction, normalement d'eau peu profonde, dont les


constituants édifient une charpente rigide (susceptible de résister à l'action des
vagues ou des courants). Exemple: les récifs tropicaux actuels.

Monticules récifaux: toute bioconstruction, de forme grossièrement lenticulaire,


sans charpente rigide. Ces monticules récifaux peuvent être subdivisés
en monticules algo-microbiens ("microbial mounds"),monticules micritiques ("mud
mounds") et monticules squelettiques ("skeletal mounds"). On ne range pas dans les
monticules les accumulations hydrodynamiques de boue, même si cette boue est
piégée/stabilisée par des algues ou autres organismes. Réservons donc le terme
de monticule aux accumulations de boue (accompagnée éventuellement d'autres
constituants) produite en grande partie in-situ. Passons en revue ces différents types
de monticules (Fig. XI.2A).

 Les monticules algo-microbiens comprennent deux termes: les monticules à


stromatolithes (tapis de cyanobactéries laminaires) et les monticules à
thrombolithes (cyanobactéries à structure péloïdique ou grumeleuse, ou
encore riche en fenestrae). Toutes les formes de transition sont évidemment
possibles. Exemple: le "cœur" gris des monticules du Membre du Petit-
Mont.
 Les monticules micritiques sont constitués principalement de micrite (à
l'origine, boue, gel?) (exemple: certains faciès des monticules waulsortiens).
Parfois, ces monticules sont constitués de boue et d'éponges (exemple: partie
inférieure à stromatactis des monticules du Membre du Petit-Mont). Comme
les éponges sont des organismes à corps mou, elles ne sont en général mises
en évidence que par les cavités qu'elles laissent après leur disparition (et les
réseaux spiculaires).
 Les monticules squelettiques comprennent une fraction non négligeable
d'organismes à tests calcaires (coraux, crinoïdes, bryozoaires, algues,…) qui
ne forment cependant pas de charpente rigide. Exemple: la plus grande part
des monticules du Membre du Lion.

Il faut noter qu'à ces types simples de monticules s'ajoutent toute une variété de
formes intermédiaires: la plupart des monticules micritiques comprennent aussi des
éléments squelettiques. De plus, des transitions évolutives sont fréquentes:
beaucoup de monticules micritiques évoluent au cours de leur développement vers
des monticules squelettiques et même vers des monticules algo-microbiens (cas des
monticules du Membre du Petit-Mont), voire des récifs.

Exemples de faciès issus des édifices du Membre de Petit-Mont dans la région de


Philippeville. A: calcaire rouge à stromatactis (monticule micritique); B: calcaire
rouge à coraux, crinoïdes, brachiopodes (monticule squelettique); C: calcaire gris
à coraux, stromatopores et cyanobactéries (monticule algo-microbien).

Devant la relative difficulté d'utilisation de cette classification sur le terrain, on


emploie souvent en première approximation des termes
comme bioherme et biostrome. Ces mots sont descriptifs et ne possèdent aucune
connotation génétique.

Le mot bioherme désigne un corps lenticulaire, bioconstruit, souvent encaissé de


sédiments de nature différente. Ce terme s'oppose à biostrome qui désigne un corps
bioconstruit stratifié, non lenticulaire. Les biostromes se différencient des
bioaccumulations ou lumachelles par le caractère constructeur des organismes
présents et leur faible transport. Un remaniement périodique par des tempêtes peut
faire alterner des épisodes où beaucoup d'organismes sont en position de vie et des
épisodes de démantèlement.

2. STABILISATION-MINERALISATION

L'établissement et la croissance d'une bioconstruction nécessitent une production de


carbonate in-situ et une certaine stabilisation du substrat, sans même parler de la
construction d'une charpente résistante à l'action des vagues. Trois grands processus
de production de boue et/ou de ciment carbonaté ont été recensés dans la nature:
la cimentation, la biominéralisation et l'organominéralisation (Fig. XI.2B).
Lacimentation est le processus "classique" de précipitation physico-chimique de
carbonate, sans qu'interviennent des processus organiques (hormis certains effets
indirects comme l'extraction de CO2 par photosynthèse, par exemple);
la biominéralisation correspond à une précipitation sous le contrôle de processus
vitaux, à l'intérieur ou à l'extérieur de cellules vivantes (exemple: la formation d'un
test carbonaté); enfin, l'organominéralisation est la précipitation de carbonate à
l'intervention de populations microbiennes utilisant des molécules issues de la
dégradation de la matière organique. Ici encore, les différents processus peuvent
agir dans une même bioconstruction, souvent avec une certain décalage dans le
temps. La biominéralisation est active dans la pellicule vivante, superficielle du
monticule, alors que l'organominéralisation se produit au sein du sédiment. Au
cours de l'évolution d'une bioconstruction, l'importance relative des différents
processus de production carbonatée peut varier (Fig. XI.2B). On constate par
exemple que les processus d'organominéralisation dominent dans les monticules
micritiques alors que la biominéralisation et la cimentation sont la règle dans les
récifs.
Figure XI.2: A: types de bioconstructions; B: les différents processus de
production/cimentation carbonatée. La flèche rouge correspond à un changement
dans l'importance relative des processus de production carbonatée au cours de
l'évolution d'un monticule micritique vers un récif.

3. EVOLUTION AUTOGENIQUE-EVOLUTION ALLOGENIQUE

La plupart des récifs, biohermes, monticules ne sont pas homogènes au point de


vue faciès: ils présentent une évolution, souvent à prédominance verticale: on y
observe une succession ou un renouvellement des communautés dominantes. Deux
modèles coexistent dans la littérature pour expliquer l'évolution des communautés
écologiques: il s'agit du modèle autogénique de Walker & Alberstadt (1975) auquel
on oppose en général un modèle allogénique inspiré des travaux de Lecompte
(1959 notamment).

Très brièvement, on peut dire que Lecompte considère la succession observée dans
les biohermes (et en particulier dans les biohermes du Frasnien belge, voir ci-
dessous) comme une adaptation des communautés à une diminution de la
profondeur, marquée principalement par une diminution de la turbidité et une
augmentation de la turbulence.

A ce modèle de succession écologique déterminé entièrement par des variations du


milieu, extrinsèques à la communauté biohermale, répond le modèle autogénique
où intervient une notion de structuration écologique, basée sur le développement de
modes de plus en plus complexes de circulation de l'énergie et d'utilisation de
l'espace. Walker & Alberstadt (1975) distinguent trois types d'espèces sur base de
leur "stratégie vitale": il s'agit des espèces caractéristiques qui sont typiques d'une
certaine communauté bien déterminée (il s'agit souvent de "stratèges K", suivant
Hottinger, 1984); des espècesintergraduelles qui peuvent apparaître dans une
communauté de manière accessoire mais sont typiques d'une communauté
adjacente et des espèces ubiquistes qui se retrouvent dans plusieurs communautés
mais ne sont caractéristiques d'aucune d'elles en particulier (il s'agit de "stratèges
r").

Sur base de cette classification et après avoir étudié un certain nombre de


biohermes (Ordovicien au Crétacé), Walker & Alberstadt distinguent les phases
suivantes dans l'édification d'une bioconstruction:

- la stabilisation: cette phase correspond à la fixation du substrat par un certain


nombre d'espèces ubiquistes (crinoïdes, bryozoaires branchus, éponges...);

- la colonisation: c'est une phase de courte durée, marquée par l'apparition


d'espèces constructrices, certaines déjà caractéristiques;

- la diversification: on observe une nette augmentation du nombre d'espèces et


l'apparition de communautés différenciées et spécialisées; cette phase forme la
majeure partie des édifices;

- la domination: cette phase surmonte abruptement la phase de diversification et est


caractérisée par une nette diminution du nombre d'espèces. Quelques organismes,
généralement encroûtants dominent.

On observe parallèlement à l'évolution des communautés, une variation de certains


paramètres comme la spécialisation, la diversité spécifique, la production organique
etc... (Fig. XI.3).

Il faut remarquer que Walker & Alberstadt ne rejettent pas une action du milieu sur
l'évolution des bioconstructions, mais estiment que pour expliquer cette évolution,
de la phase de colonisation à la phase de diversification, il n'est nullement
nécessaire de faire intervenir un processus allogénique. La phase de domination par
contre semble toujours liée à l'entrée de l'édifice dans une zone bathymétrique où il
subit nettement l'action des vagues.
 

Figure XI.3: variation des principaux paramètres écologiques des communautés


récifales en fonction de leur degré de maturité, suivant le modèle de Walker &
Alberstadt.

4. LES RECIFS DANS L'HISTOIRE GEOLOGIQUE

L'histoire des récifs a ceci de commun avec une pièce de théâtre, qu'au cours des
temps, les acteurs changent mais le récit/f demeure. De fait, au long des temps
géologiques, on distingue plusieurs périodes au cours desquelles des groupes de
métazoaires constructeurs différents ont édifié des récifs vrais, dotés d'une
charpente résistante aux vagues: les bryozoaires, stromatoporoïdes et tabulés au
cours de l'Ordovicien, les stromatoporoïdes, rugueux et tabulés au cours du Silurien
et du Dévonien, les stromatoporoïdes et les coraux à la fin du Trias et au cours du
Jurassique, les rudistes au Crétacé supérieur et enfin les coraux scléractiniaires
depuis l'Oligocène. En dehors de ces périodes, les seules bioconstructions étaient
les monticules récifaux. Notons que même au cours des époques à récifs, des
monticules se développaient, mais exilés dans des milieux moins favorables (plus
profonds, moins oxygénés, etc.). Très brièvement, passons en revue les différentes
étapes de cette histoire (Fig. XI.4).

- Les bioconstructions à stromatolithes du Précambrien: leur développement est lié


à l'absence de métazoaires broûteurs. Généralement localisés en bordure de plate-
forme, ces édifices pouvaient atteindre une taille importante et montrent une
zonation écologique et des séquences comme les bioconstructions à organismes
squelettiques.

- Les monticules du Cambrien inférieur: il s'agit d'édifices assez complexes,


biohermes et biostromes, composés d'une superposition de petites lentilles
micritiques à archaeocyathes, éponges, Renalcis,Epiphyton, entourés de sables
bioclastiques riches en crinoïdes et brachiopodes. Ces lentilles possèdent des
cavités de croissance emplies par des ciments précoces et des sédiments internes.
La bioérosion est relativement importante.

- A partir du Cambrien moyen, avec l'extinction des archaeocyathes, les monticules


sont principalement constitués de cyanobactéries (monticules stromatolithiques et
thrombolitiques). Au cours du Cambrien supérieur et jusqu'à l'Ordovicien inférieur,
ces monticules cyanobactériens vont progressivement s'enrichir en éponges et en
formes primitives de stromatoporoïdes et coraux (Pulchrilamina, Lichenaria).

- De l'Ordovicien moyen au Dévonien supérieur, s'ouvre une période très favorable


au développement de complexes récifaux: température élevée, formation de vastes
plates-formes carbonatées (Canning Basin, Australie; Golden Spike reef, Canada;
monticules et récifs belges). D'une manière générale, la séquence d'édification de
ces complexes commence par un monticule récifal à stromatactis avec quelques
éléments squelettiques (bryozoaires au Siluro-Ordovicien, coraux et algues au
Dévonien) et se poursuit par des récifs à coraux et stromatoporoïdes. Les flancs des
édifices sont généralement colonisés par des pelmatozoaires. La présence de talus
bioclastiques et de fractures synsédimentaires témoignent de la rigidité de ces récifs
(Canning Basin).

Contrairement à l'extinction de la fin de l'Ordovicien, l'extinction tardi-frasnienne a


particulièrement touché les communautés récifales: des stromatoporoïdes ne
subsisteront que quelques genres, les tabulés et les rugueux disparaîtront
pratiquement totalement.

- Durant le Dinantien, période caractérisée par des températures plus fraiches et des
fluctuations glacio-eustatiques, on observe peu ou pas d'organismes constructeurs.
La niche écologique des coraux et des stromatoporoïdes est occupée par les
bryozoaires et les pelmatozoaires. Les seules bioconstructions importantes sont les
"récifs waulsortiens", des monticules micritiques à péloïdes (témoins de tapis
microbiens?) et stromatactis, avec quelques crinoïdes et bryozoaires (ces édifices
atteignaient une centaine de mètres de relief avec un pendage des flancs de l'ordre
de 50°).

- Au cours du Namurien et au Westphalien-Stéphanien, de nouveaux organismes


constructeurs apparaissent qui évolueront jusqu'à la fin du Trias: algues
phylloïdes (Archaeolithophyllum, Eugoniophyllum, Ivanovia) et surtout Tubiphytes,
un constructeur énigmatique très important depuis le Carbonifère jusqu'au sommet
du Jurassique (maximum au Permien, Trias et Jurassique). Les édifices à phylloïdes
sont relativement modestes, avec un relief d'une trentaine de mètres et des flancs
atteignant environ 25° de pente. D'autres constructeurs sont également fréquents:
foraminifères tubulaires, petits stromatoporoïdes branchus (Komia), calcisponges
et Archaeolithoporella (algues corallines?).
- Les édifices permiens sont toujours essentiellement des biohermes à phylloïdes,
avec une participation de plus en plus importante de Tubiphytes et
d'Archaeolithoporella, associés à des bryozoaires et d'autres algues calcaires
(Solenopora, Parachaetetes). Ciments précoces et talus bioclastiques sont bien
développés et on observe de véritables barrières récifales (Capitan reef, Texas),
caractérisées par une grande variété de niches écologiques dont de nombreux
habitats cryptiques.

De manière un peu surprenante, tous ces constructeurs semblent avoir été peu
affectés par la grande extinction tardi-permienne, au contraire des organismes
associés: on passe en effet d'un assemblage à brachiopodes-bryozoaires-
pelmatozoaires à un assemblage plus "moderne" à mollusques-crustacés-
osteichythes.

- Après un arrêt du développement des bioconstructions au cours du Trias inférieur,


dès le Trias moyen réapparaissent des petits monticules relativement profonds avec
de rares bryozoaires et coraux. Ensuite, se réinstallent de grands complexes
récifaux à Tubiphytes, calcisponges, quelques stromatoporoïdes et d'assez
nombreux coraux. Il s'agit cette fois de scléractiniaires, nos coraux actuels,
caractérisés par leur association symbiotique avec des algues photosynthétiques.

- Au cours de la fin du Trias se développent des récifs à coraux, calcisponges,


algues calcaires et stromatoporoïdes. Les coraux se localisent plutôt dans les zones
à forte énergie, les éponges et les stromatoporoïdes en environnement plus protégé
(zone interne du récif). Pour la première fois, la bioérosion par des algues et des
bivalves devient un agent important de la dégradation des communautés récifales. 

- Les récifs jurassiques connaissent un maximum de développement au cours de la


fin de la période. Leur morphologie varie de patch-reefs en environnemment de
plate-forme interne à des récifs barrières étendus. La communauté dominante est à
coraux et stromatopores, avec des algues vertes (dasycladacées) et des algues
rouges (Solenopora). Les codiacées modernes et les corallinacées articulées
apparaissent pour la première fois dans ces édifices. Les éponges y occupent un
habitat cryptique. L'intensité de la bioérosion atteint progressivement le niveau
actuel. On observe également des monticules récifaux profonds, à relief assez
important (centaine de mètres), constitués d'éponges siliceuses, de foraminifères
tubulaires et associés à des bryozoaires et des brachiopodes.

- La communauté récifale tardi-jurassique persiste au cours du Crétacé inférieur. A


la même époque, un groupe de mollusques, les rudistes, évolue rapidement et
devient un constructeur important dès le Crétacé moyen. Ces bivalves envahissent
tous les types de récifs, depuis les patchs de lagons jusqu'aux édifices croissant sur
les marges continentales. Au cours du Crétacé supérieur, les rudistes dominent
complètement les coraux et les algues encroûtantes. Ils édifient des biostromes sur
les plates-formes et des biohermes sur leurs marges.
L'extinction bien connue de la fin du Crétacé frappe durement les communutés
récifales: les rudistes disparaissent totalement, les coraux sont sévèrement touchés,
avec perte de 60 genres sur 90, les calcisponges et les stromatoporoïdes sont
également très affectés.

- Au cours du Cénozoïque se mettront en place les communautés récifales actuelles,


dominées par les coraux scléractiniaires et les algues corallines. Solenopora (algue
coralline) disparaît à la fin du Paléocène.Halimeda (codiacée) ne devient
importante comme constituant des sables coralliens qu'à partir du Miocène moyen.

Figure XI.4: récifs et monticules récifaux au cours de l'histoire géologique. La


largeur de la colonne lithologique schématise l'importance du développement
récifal; les étoiles noires représentent les extinctions majeures. D'après James,
1984, modifié.
Pour en savoir plus
 Álvaro J.J, Aretz M, Boulvain F., Munnecke A., Vachard D. & Vennin E., 2007. Palaeozoic Reefs and
Bioaccumulations: Climatic and Evolutionary Controls. Geological Society, London, Special
Publications, 275, 285 pp.
 D.W.J. Bosence & P.H. Bridges, 1995. A review of the origin and evolution of carbonate mud-mounds.
In Monty, C.L.V., Bosence, D.W.J., Bridges, P.H., and Pratt, B.R. (eds.): Carbonate Mud-Mounds, their
origin and evolution. International Association of Sedimentologists, Spec. Publ. 23, p. 3-9.
 R. J. Dunham, 1970. Stratigraphic reefs versus ecologic reefs. American Association of Petroleum
Geologists Bulletin, 54, 1931-1932.
 J. A. Fagerstrom, 1991. Reef-building guilds and a checklist for determining guild membership. Coral
Reefs, 10, 47-52.
 P. H. Heckel, 1974. Carbonate buildups in the geologic record: a review. In: Laporte, L. F. (editor)
Reefs in Time and Space. Society of Economic Paleontologists and Mineralogists Special Publications,
18, 90-155.
 A. Hoffman & M. Narkiewicz, 1977. Developmental pattern of Lower to Middle Paleozoic banks and
reefs. Neues Jahrbuch für Geologie und Paläontologie Abhandlungen, 5, 272-283.
 L. Hottinger, 1984. Les organismes constructeurs sur la plate-forme du Golfe d'Aqaba (Mer Rouge) et
les mécanismes régissant leur répartition. Geobios, Mém. sp. 8, 241-249.
 N.P. James & P.-A. Bourque, 1992. Reefs and Mounds. In Walker, R.G., and James, N.P. (eds.), Facies
Models - Response to Sea-Level Change. Geol. Assoc. Canada, p. 323-347.
 N.P. James & I.G. Macintyre, 1985. Carbonate depositional environments. Part 1: reefs, zonation,
depositional facies, and diagenesis. Colorado School of Mines Quarterly, 80, 3, pp. 1-70.
 F. Neuweiler, P. Gautret, V. Thiel, R. Lange, W. Michaelis, & J. Reitner, 1999. Petrology of Lower
Cretaceous carbonate mud mounds (Albian, N. Spain): insights into organomineralic depsoits of the
geological record. Sedimentology, v. 46, p. 837-859.
 R. Riding, 2002. Structure and composition of organic reefs and carbonate mud mounds: concepts and
categories. Earth-Science Reviews, 58, 163-231.
 W. Schlager, 2003. Benthic carbonate factories of the Phanerozoic. Int. Jour. Eartth Sciences (Geol.
Rundschau), v. 92, p. 445-464.
 K.R. Walker & L. Alberstadt, 1975. Ecological succession as an aspect of structure in fossil
communities. Palaeobiology, 1, 238-257.
 E. Vennin, M. Aretz, F. Boulvain. & A. Munnecke, 2007. Facies from Palaeozoic reefs and
bioaccumulations. Mém. Museum national Histoire naturelle, Paris, T. 195, 341 pp.
 R. Wood, 1999. Reef Evolution. Oxford University Press, 414 pp.

5. RECIFS ALGO-CORALLIENS DES EAUX SUPERFICIELLES


TROPICALES

5.1. Introduction

Entrent dans cette catégorie les bioconstructions holocènes résistantes aux vagues,
érigées principalement par des coraux scléractiniaires et des algues corallines. Ce
sont les édifices popularisés par les études océanographiques, nombreuses depuis le
célèbre voyage du "Beagle". Aux données véhiculées par la littérature géologique
en général s'ajoute un grand nombre d'études biologiques, certaines très détaillées
(recensements exhaustifs de la faune et de la flore m² par m², études minutieuses de
la structure des populations, etc.). La compréhension que nous avons donc de ces
récifs est sans commune mesure avec ce que nous savons de l'Ancien.

Les coraux scléractiniaires peuvent être subdivisés en deux groupes: les coraux


hermatypiques et les coraux ahermatypiques.
- Les coraux hermatypiques sont caractérisés par la présence, au sein de leurs
tissus, de symbiotes photosynthétiques: les zooxanthelles. La densité de ces algues
unicellulaires peut atteindre plusieurs millions par cm² de polype. Leur rôle est
double: d'une part, elles fabriquent des glucides (au départ d'énergie lumineuse et
de sels nutritifs) dont une fraction importante est fournie au corail par transfert
interne et d'autre part, elles contribuent à la calcification du squelette corallien.
Grâce à ces symbiotes, on peut dire que, bien qu'une colonie corallienne puisse
compléter ses besoins nutritifs par capture de proies planctoniques, son
fonctionnement est essentiellement autotrophe. Ceci explique peut-être le paradoxe
de la formidable productivité de l'écosystème corallien (au sommet du classement
planétaire: fixation > 1 kg de carbone/m²/an) alors que les courants qui baignent les
récifs sont clairs et contiennent peu de plancton et de sels nutritifs (fixation dans les
plaines péri-récifales < 50 g de carbone/m²/an). Par ailleurs, dans une colonie
corallienne en bonne santé, la densité de zooxanthelles peut doubler tous les dix
jours, ce qui excède largement le taux de croissance des polypes. Ceux-ci expulsent
alors la fraction excédentaire au rythme de plusieurs milliers d'algues/heure/m².
Cette expulsion de zooxanthelles constitue la base de la chaîne alimentaire récifale.
Il faut donc garder à l'esprit qu'un récif corallien actuel est avant tout une
association symbiotique performante entre un animal et des micro-algues
monocellulaires.

Productivité et richesse de l'écosystème récifal.

Cette association limite cependant l'aire de répartition des coraux hermatypiques


(du fait des exigences photiques des algues symbiotiques) aux eaux peu profondes.
Les larves des coraux (organismes libres et nageurs) ne supportant pas des
températures moyennes inférieures à 18°C, cela restreint les récifs coralliens aux
eaux peu profondes tropicales (Fig. XI.5).

Figure XI.5: températures océaniques de surface en hiver. D'après Sverdrup et al.,


1942, modifié.

 Paramètres écologiques des coraux hermatypiques:

 profondeur: moins de 100 m; optimum, moins de 20 m;


 température: plus de 16-18°; moins de 36°; optimum: 25-29°;
 salinité: 27 à 40 o/oo ; optimum: 36 o/oo ;

La Figure XI.6 montre qu'il existe une zone, centrée sur l'équateur, où le nombre de
genres de coraux hermatypiques est supérieure à 50. Cette "zone sanctuaire"
comprend les îles et archipels suivants: Bornéo, les Célèbes, la Papouasie, les
Salomon, le nord de la Grande Barrière de Corail d'Australie, le Vanuatu. Dès que
l'on s'éloigne de ces régions, le nombre de genres diminue. L'explication principale
de ce phénomène paraît être les glaciations: la zone sanctuaire de Bornéo-Vanuatu,
proche de l'équateur, aurait été épargnée par le refroidissement des eaux et aurait
réapprovisionné en larves coralliennes ses abords proches. Seules les régions les
plus lointaines de ce foyer de repeuplement sont restées relativement pauvres en
genre du fait de leur éloignement.
Figure XI.6: répartition du nombre de genres de coraux hermatypiques. D'après
Stoddart, 1969, modifié.

- Les coraux ahermatypiques ne possèdent pas de symbiotes algaires: leurs


exigences écologiques sont donc moindres et leur aire de répartition plus vaste.
Leur taux de croissance est cependant nettement inférieur à celui des coraux
hermatypiques et ils ne sont pas compétitifs. Ils se développent soit en habitat
cryptique (cavités, zones obscures) dans les récifs algo-coralliens, soit sous forme
de récifs en eaux profondes et/ou froides (fjords norvégiens, par exemple). Des
exemplaires ont été observés jusqu'à 6000 m de profondeur, dans des eaux de -
1,1°C. Dans ces habitats, ils peuvent atteindre une taille métrique (Lophelia).

5.2. Généralités: morphologie des récifs peu profonds actuels

On distingue sur base de la géométrie des corps récifaux, de leur taille et de leur
relation avec le continent les grands types suivants (Fig. XI.7):

- les récifs frangeants: ces édifices se développent directement le long de la ligne


de rivage;

- les bancs récifaux: ces récifs linéaires, généralement parallèles au rivage,


ressemblent aux récifs barrière, mais sont localisés dans le lagon, en arrière d'un
vrai récif barrière. Ces récifs peuvent être coalescents avec des récifs frangeants;

- les patch reefs: il s'agit de petits édifices croissant en milieu lagonaire;

- les récifs-barrières: ce sont des récifs sensiblement linéaires, localisés à la


bordure de la plate-forme. Ces édifices, souvent de taille importante, délimitent un
lagon de plate-forme en direction du continent. La Grande Barrière d'Australie est
le plus grand récif barrière actuel: il possède une largeur de 300 à 1000 m et s'étend
sur près de 1950 km de longueur;

- les atolls: ces récifs océaniques de forme annulaire délimitent un lagon. Leur


dimension est très variable: de moins de 2 km à plus de 32 km de diamètre (détail
ci-dessous);

- récifs tabulaires: récifs océaniques sans lagon intérieur.

Figure XI.7: types de constructions récifales. D'après James & Macintyre, 1985,


modifié.

5.3. Un exemple: les atolls

5.3.1. Quelques définitions: atolls, îles hautes carbonatées

Les atolls sont donc des anneaux de terre ferme de quelques centaines de m de


large, ceinturant une étendue d'eau marine d'une quarantaine de m de profondeur au
plus appelée lagon (et non lagune). La couronne atollienne comprend les zones
suivantes, de l'océan vers le lagon (Fig. XI.8, Tuamotu du NW):

 récif externe avec coraux vivants;


 ride à lithothamniées;
 platier externe;
 beach rock exhumé (voir ci-dessous);
 plage;
 motu avec cocoteraies alternant avec hoa; parfois, passes;
 levée sédimentaire avec éventuellement stromatolithes;
 talus sédimentaire se raccordant au plancher du lagon; dans la zone
supérieure, nombreux coraux vivants, souvent de grande dimension.

Motu: terme issu du vocabulaire polynésien désignant une île sableuse: aussi
"caille", "key"; hoa: terme polynésien désignant une zone de largeur très variable
de la couronne d'un atoll, de quelques m à plusieurs km, permettant le passage de
l'eau à marée haute de l'océan vers le lagon, mais ne permettant pas le passage des
bateaux; passe: interruption de la couronne atollienne permettant le passage d'un
bateau et de l'eau du lagon vers l'océan.

Les îles hautes carbonatées sont constituées de carbonates de plate-forme qui


présentent des formes d'érosion concentrique avec un anneau périphérique. Ces îles
hautes ne sont pas des atolls soulevés comme on l'a cru quelquefois et leur forme
d'érosion annulaire est due uniquement à la karstification.

Figure XI.8: coupe dans une couronne atollienne. D'après Bourrouilh, 1996,


modifié. Lors d'un tsunami, le mécanisme mis en jeu est le suivant: (1) abaissement
du niveau de la mer avec arrachement et vidange des sédiments; (2) arrivée de la
vague avec arrachement et transport de blocs; (3) écoulement de l'inondation,
piégeage des sédiments sur les motu et transport dans le lagon via les hoa.

5.3.2. Fonctionnement

Au point de vue du budget nutritif: malgré le fonctionnement partiellement


autotrophe de l'écosystème corallien, il semble difficile de comprendre l'existence
de récifs très productifs au sein d'eaux océaniques tropicales qui le sont très peu.
L'hypothèse de l'endo-upwelling géothermique permet peut-être de résoudre ce
paradoxe (Rougerie & Wauthy, 1990). Ce phénomène correspond à la remontée
d'eaux océaniques profondes riches en nutriments, au sein de la structure récifale
poreuse, à la faveur du flux géothermique subsistant à l'interface volcan-récif. Les
eaux profondes réchauffées remontent par convection et diffusent dans le haut de
l'atoll. L'arrivée de ces eaux riches en surface s'accompagne d'un double processus
de précipitation: une précipitation organique résultant du métabolisme des coraux et
des algues (dont la prospérité est assurée par l'apport de nitrates, phosphore et silice
contenus dans les eaux profondes) et une précipitation inorganique due aux
propriétés intrinsèques de ces eaux. L'eau profonde est en effet riche en gaz
carbonique dissous, sous-saturée en CaCO 3 (forme aragonite), avec un pH de
l'ordre de 7,8 ce qui facilite la pénétration à la base de l'atoll par dissolution des
flancs calcaires. Pendant son réchauffement et sa montée par convection, le produit
de solubilité du carbonate de calcium diminue. Des précipitations carbonatées se
produisent alors à l'intérieur de la matrice calcaire, cimentant et consolidant
l'édifice. Ces précipitations sont favorisées par la diminution de la pression partielle
de CO2 due au dégazage en surface et à la photosynthèse qui utilise le CO 2;
l'ensoleillement et la forte évaporation, habituelle par petit fond en zone tropicale,
sont également des facteurs favorables. Ce modèle rend ainsi compte de la présence
de grandes quantités de ciment dans la structure récifale et de son éventuelle
dolomitisation. En effet, le passage de grandes quantités d'eau sous-saturée en
CaCO3 mais toujours saturée en carbonate de magnésium ne peut que favoriser les
échanges Ca/Mg qui transforment la matrice calcaire en calcite magnésienne puis
en dolomite. Il faut remarquer que sur le plancher du lagon, la sédimentation de
particules fines diminue la perméabilité du substrat et ne permet pas la sortie d'eaux
"endo-upwellées" (d'où la rareté des coraux). Suivant la belle expression de
Rougerie & Wauthy (1990, p. 838), "les nutrients pénétrant la structure poreuse
diffusent lentement vers le haut de l'atoll: affleurant à la surface océanique, la
vasque récifale fonctionne ainsi de façon analogue à une lampe à pétrole; la
photosynthèse brûle les nutrients qui apparaissent à la base du lagon après avoir
migré dans le socle corallien (la mèche) à partir du riche réservoir océanique
profond".

Sans faire appel à la convection, des études récentes ont montré (par exploration
endoscopique des cavités des récifs) que l'eau des cavités se renouvelait en
quelques minutes par effet de pompe induit par les vagues. Ces cavités (1 m2 de
récif correspondant à 5 m2 de surface "interne"!) sont habitées principalement par
des éponges qui filtrent 60% du phytoplancton contenu dans l'eau; les sels
minéraux et substances nutritives libérés par la digestion du phytoplancton
représenteraient près de 20% des besoins nutritifs de l'ensemble de la communauté
récifale.

Au point de vue sédimentaire: l'essentiel de la production carbonatée est localisée


au récif qui apparaît comme une véritable "usine à carbonates" grâce aux nombreux
organismes qui le composent et qui fabriquent soit de l'aragonite, soit de la calcite
magnésienne. Ces carbonates sont ensuite triturés par les poissons broûteurs de
corail ou perforés par les lithophages. Les particules calcaires ainsi créées vont
sédimenter dans des zones plus ou moins proches du récif: turbidites carbonatées
dans les plaines abyssales environnant les récifs, cordons de sable et de gravier sur
les îles, accumulation de boue et de débris coralliens dans le lagon. Ces transports
sédimentaires se font en général sous l'action d'événements hydrodynamiques de
très haute énergie, cyclones ou tsunamis. Les conséquences écologiques et
sédimentologiques de ces événements sont très grandes pour les récifs: les vagues
engendrées peuvent dépasser 10 m d'amplitude et déplacer des blocs cyclopéens
résultant du démantèlement de la dalle du platier. Il semble également que la
succession des motu et hoa soit le résultat de l'action des tsunamis et ouragans.

Gravier calcaire formé principalement de fragments de coraux, platier corallien,


Seychelles.

L'origine de la morphologie typique des atolls a été d'abord interprétée par Darwin
comme la conséquence de la subsidence d'un édifice volcanique supportant un récif
frangeant (Fig. XI.9A). Cette subsidence aurait induit la croissance verticale de ce
récif afin de demeurer dans sa zone de prospérité. Actuellement, les auteurs
semblent s'orienter vers un héritage à la fois eustatique et diagénétique (Fig.
XI.9B): les baisses du niveau marin seraient à l'origine du développement d'une
morphologie karstique par installation d'une lentille d'eau douce; la dissolution des
carbonates étant maximale au centre des îles. Ensuite, après ennoiement, la
présence d'une aire déprimée (lagon) au centre de l'édifice persisterait suite à
l'absence de lithification en milieu lagonaire et à l'exportation de sédiments lors des
événements de forte énergie (tempêtes, tsunamis).

Evolution morphologique récente (Fig. XI.9B): exemple des Tuamotu du NW


(Bourrouilh-Le Jan, 1996). A: vers 14.000 ans BP les atolls sont tous émergés et
dominent de 120 à 140 m le paléoniveau marin. B: la transgression holocène est
très rapide et dépasse vers 4000 ans BP le niveau actuel: tous les atolls sont
submergés. La biocénose récifale se réinstalle et édifie les platiers actuels ("catch-
up"). C: entre 4000 ans BP et maintenant, le niveau de la mer baisse jusqu'au
niveau actuel. D1 et D2 illustrent les deux morphologies possibles de la couronne
atollienne des Tuamotu; D1: le motu entouré d'un beach-rock exhumé d'âge mi-
holocène formé durant la phase C et D2: une petite lagune (eaux saumâtres à
stromatolithes) formée à la suite de l'excavation de matériel sédimentaire sous
l'effet des événements de forte énergie.
Figure XI.9. A: origine d'une couronne atollienne par subsidence d'un volcan; B:
évolution morphologique récente d'une couronne atollienne. Tuamotu du
NW. D'après Bourrouilh, 1996, modifié.

5.4. Un autre exemple: le récif barrière

Par comparaison, la Figure XI.10 montre la zonation écologique et la morphologie


d'un récif barrière. Il s'agit de Carrie Bow Cay, récif de Belize (Caraïbes) (James &
Macintyre, 1985).
- Lagon: ce lagon de plate-forme comporte deux zones distinctes: une prairie
à Thalassia testudinum ("herbe à tortues") sur un substrat silto-sableux; en direction
du large, les herbes à tortues disparaissent et le substrat devient sablo-graveleux
avec quelques buissons d'Acropora cervicornis.

- Arrière-récif: la profondeur s'y échelonne de 1 m à l'émersion (partie interne de la


crête récifale). On y observe également deux zones: la première est la zone des
"patch-reef" avec des coraux commeMontastrea annularis, Diploria
labyrinthiformis, Acropora cervicornis et Porites astreoides. Une bonne moitié de
la surface de ces patch-reef est encroûtée par des algues dont des algues corallines.
Les oursins y sont abondants. La seconde zone est la zone des graviers et pavement,
avec apparition progressive au milieu des sables et cailloux d'un substrat induré (le
pavement). Ce substrat rocheux est un conglomérat de fragments de coraux,
mollusques et algues corallines dans une matrice sableuse cimentée par de la calcite
magnésienne. Les coraux qui se développent sur ce fond durci sont
principalementPorites astreoides, avec quelques Siderastrea siderea, Agaricia
agaricites, Diploria clivosa, Acropora cervicornis et A. palmata.

A: platier récifal à marée basse avec Acropora (remarquer la coloration verte due
aux algues symbiotiques), île de Laing; B: Halimeda, une algue verte calcaire dont
la contribution à la production des sables carbonatés est très importante. Photos
A. Herbosch.
A: platier récifal séparant la plage de la mer; B: bloc de grande taille (fragment
récifal), arraché et déposé sur la côte par une tempête ou un tsunami. Iles Ryukyu,
Japon; photos A-C. da Silva.

- Récif: la bordure interne de la crête récifale consiste en un réseau ("framework")


de coraux morts (environ 60%) encroûtés par des algues. Les coraux sont
représentés principalement par Acropora palmata, Agaricia agaricites et Porites
astreoides. En direction de l'océan, ce réseau passe progressivement à une barrière
dense de Millepora complanata, suivie en eau un peu plus profonde par des
buissons d'Acropora palmata. Latéralement ces bioconstructions peuvent passer à
des accumulations de cailloux et blocs.

- Avant-récif interne: à partir d'une profondeur d'environ 2 m, s'observent des


"pinnacles" de Millepora complanata, A. palmata et Agaricia tenuifolia. Ces
constructions coalescent en direction de l'océan pour former les spectaculaires
éperons de la zone des "éperons et sillons" ("spur and grooves") qui s'élèvent
d'environ 7 m au-dessus des sillons emplis de sable et gravier. Du sommet des
éperons aux sillons, on observe la succession Acropora palmata et A. cervicornis,
ensuite Agaricia tenuifolia, Millepora complanata et Porites porites et
enfin Agaricia agaricites, Diploria strigosa et Montastrea annularis avec quelques
octocoralliaires.

La zone des éperons et sillons passe vers 10 m de profondeur à une zone où les
éperons sont moins élevés (relief de 1 m au plus) avec Montastrea annularis, M.
cavernosa, Diploria strigosa et des octocoralliaires. Le remplissage sableux des
sillons diminue et un substrat induré colonisé par des octocoralliaires et des coraux
massifs apparaît.

- Avant-récif externe: sa bordure interne est marquée par une nette augmentation de
la pente du récif jusqu'à environ 25°: c'est le talus récifal interne qui s'échelonne de
15 à 22 m et qui est couvert de buissons d'Acropora cervicornis et Montastrea
annularis. Vers la base, les colonies columnaires de M. annularis prennent une
morphologie lamellaire et sont accompagnées de Agaricia tenuifolia,Porites
astreoides et Siderastrea siderea. Le talus récifal interne s'achève dans un fossé à
remplissage sablo-graveleux où s'observent quelques pinnacles avec Montastrea
annularis et Acropora cervicornis.

Une ride à relief prononcé (environ 10 m de haut) délimite la partie externe du


fossé sableux. Sur le flanc interne de cette ride croissent Acropora cervicornis et
une variété de coraux massifs dontMontastrea annularis, Diploria
labyrinthiformis et Porites astreoides. Le flanc externe de la ride descend ensuite
assez abruptement. La partie supérieure de cette pente, le talus d'avant-récif, à pente
variant entre 50 et 70°, est caractérisée par une communauté à coraux lamellaires,
dominée notamment par Montastrea annularis, M. cavernosa, Agaricia
fragilis et Leptoseris cucullata. Sous cette communauté récifale, qui semble
pouvoir s'étendre jusqu'à 70 à 80 m, s'observe un escarpement (falaise sous-marine)
plongeant jusqu'à -120 m. Cette falaise est constituée de calcaire récifal et a été
érodée durant les périodes de bas niveau marin du Pléistocène. Elle est colonisée
par des éponges, des crinoïdes et des coraux ahermatypiques.

Figure XI.10: zonation écologique et morphologie d'un transect dans le récif


barrière de Carrie Bow Cay (Caraïbes). D'après James & Macintyre (1985),
modifié.

5.5. Rôle des paramètres physiques sur la répartition et la morphologie des


coraux

Par ordre décroissant d'importance, on peut citer la nature du substrat, l'intensité


d'éclairement, les effets hydrodynamiques (Geister, 1980).
- La nature du substrat: pour se développer, la plupart des coraux ont besoin d'un
substrat dur. La période la plus critique est leur première phase de vie après la
fixation des larves: dans des sédiments trop meubles, le petit polype risque d'être
recouvert. C'est ce qui explique la rareté des coraux dans les lagons ou sur les côtes
très calmes. Certaines espèces spécialisées ont cependant développé des caractères
originaux leur permettant de se développer en l'absence de substrat induré: c'est le
cas des colonies non fixées de Siderastrea radians roulant à la surface des
sédiments. Certains coraux d'espèces ramifiées (Acropora cervicornis), qui vivent
normalement fixés sur substrat dur, peuvent former des colonies mobiles sur le
sable. Ces colonies naissent par régénération de branches brisées durant les
tempêtes. Ces branches, déposées sur des sédiments meubles, ne peuvent se fixer.
En conséquence, elles sont basculées et roulées périodiquement au gré des
courants. Leur croissance phototropique pendant les phases de calme engendre
progressivement des colonies grossièrement sphériques.

- L'intensité d'éclairement: conséquence évidente de la symbiose avec les


zooxanthelles. On observe une diminution progressive du nombre d'espèces avec la
profondeur (Fig. XI.11). Ce modèle correspond à des eaux océaniques limpides.
Dans des eaux plus turbides, l'extension bathymétrique des coraux est réduite.

Figure X.11: zonation bathymétrique de coraux fréquents. D'après Geister (1980).


On peut également remarquer une variation morphologique au sein d'une même
espèce: des coraux massifs en eau peu profonde adoptent une morphologie de plus
en plus aplatie à partir de 20 m de profondeur. Les branches de certaines espèces
ramifiées (Acropora cervicornis) deviennent plus minces et moins fourchues au-
delà de 15 à 20 m, de manière à augmenter la surface illuminée.

- L'action des vagues: l'intensité de cette action est très variable en fonction de la
profondeur, de l'orientation par rapport à la houle dominante, etc. Cette variation
induit des adaptations morphologiques des coraux et des modifications dans la
composition des communautés.

Au point de vue morphologique, on observe que les colonies branchues d'Acropora


cervicornis deviennent plus touffues en milieu plus agité. Certaines espèces tendent
également à développer une morphologie encroûtante (A. palmata) et à croître
parallèlement à la direction de propagation des vagues.

En comparant les associations des organismes colonisant les crêtes récifales, on


peut noter une forte différentiation selon le degré d'exposition aux vagues. La
Figure XI.12 représente les types récifaux principaux observés en mer des
Caraïbes.

Figure XI.12: conséquences de l'agitation de l'eau et de la bathymétrie sur la


distribution des communautés récifales. D'après Geister (1980), modifié.
Ce modèle est différent pour les récifs exposés fréquemment aux tempêtes. Dans ce
cas, les espèces ramifiées sont généralement remplacées par des espèces
hémisphériques ou encroûtantes. Partant de ces observations, on peut classer les
espèces suivant leur plus ou moins grande sensibilité aux dégâts provoqués par les
tempêtes. Des plus résistants aux plus fragiles, on a: colonies encroûtantes
(Diploria clivosa, Porites astreoides), colonies massives (Montastrea annularis,
Diploria strigosa), colonies branchues avec base vivante (régénération plus facile
après bris: Millepora, Acropora palmata) et enfin colonies branchues avec base
nécrosée (Acropora cervicornis, Porites porites). On a constaté aussi que des
tempêtes fortes et fréquentes inhibent la formation d'une charpente récifale
(framestone). Dans ce cas, les rudstones dominent (Braithwaite et al., 2000).
Pour en savoir plus

 F. Bourrouilh-Le Jan, 1996. Plates-formes carbonatées et atolls du centre et sud Pacifique.


Stratigraphie, sédimentologie, minéralogie et géochimie. Diagenèses et émersions: aragonite, calcite,
dolomite, bauxite et phosphate. Documents du BRGM, 249, 365 pp.
 C.J.R. Braithwaite, L.F. Montaggioni, G.F. Camoin, H. Dalmasso, W.C. Dullo & A. Mangini, 2000.
Origins and development of Holocene coral reefs : a revisited model based on reef boreholes in the
Seychelles, Indian Ocean. International Journal of Earth Sciences, 89, 431-445.
 J. Geister, 1980. Morphologie et distribution des coraux dans les récifs actuels de la mer des Caraïbes.
Annali del l'Università di Ferrara, Sez IX, Vol. VI, 28 pp.
 E.G. Purdy & E. Gischler, 2003. The Belize margin revisited: 1. Holocene marine facies. Int. J. Earth
Sci., 92, 532-551.
 F. Rougerie & B. Wauthy, 1990. Les atolls oasis. La Recherche, 223, 832-842.

6. MONTICULES RECIFAUX A CORAUX AHERMATYPIQUES

6.1. Les lithohermes

Découverts dans les années '70 le long de la marge orientale du "Little Bahama
Bank", par des profondeurs de 600 à 700 m, ces édifices couvrent une superficie de
plusieurs milliers de km2 (Fig. X.4A). Il s'agit de monticules de morphologie
grossièrement elliptique, allongés parallèlement aux courants de fond (2 à 7 cm/s),
de taille variable (quelques centaines de mètres de longueur pour une cinquantaine
de mètres de hauteur). Les flancs des grands édifices sont relativement abrupts,
avec des pentes moyennes atteignant 20° à 30° (la pente d'équilibre de sédiments
fins non cimentés ne dépasse pas 6°). Récemment, Paull et al. (1998), ont observé
une ride de 4,4 km de long pour 150 m de haut, allongée parallèlement à la pente et
établie au niveau d'une rupture de pente, formée par coalescence d'édifices plus
petits.

La surface supérieure de ces monticules apparaît très irrégulière: elle est constituée
de croûtes de sédiments indurés de 10 à 30 cm d'épaisseur. Des accidents (cassures,
érosions,...) permettent d'observer par endroit la structure interne de ces
"lithohermes": les croûtes se superposent de manière régulière, séparées les unes
des autres par des niveaux de sédiment meuble, souvent excavé par des organismes
fouisseurs. La structure générale des lithohermes paraît donc être "en pelure
d'oignon".

La surface des lithohermes est intensément perforée par une endofaune très
développée. D'assez fortes différences apparaissent entre les divers édifices:
certains sont partiellement couverts de sédiments meubles, d'autres montrent une
surface rocheuse, d'autres encore sont complètement recouverts de buissons
coralliens.

La faune est généralement dominée par les coraux branchus


ahermatypiques Lophelia et Enallopsammia, les éponges et les crinoïdes non-érigés
(Comatulidés), associés à des éponges endolithiques. Une zonation écologique, par
rapport aux courants, se manifeste: les coraux sont situés sur la face exposée, tandis
que les crinoïdes se développent "à l'arrière" des bioconstructions. L'essentiel du
piégeage de sédiment semble réalisé par les coraux et l'édifice prograde en
direction du courant. Le caractère relativement fin des sédiments des lithohermes
s'oppose au caractère plus grossier des sédiments situés en dehors des édifices. Ceci
suggère que la fraction fine est emportée par les courants de fond au niveau des
interbiohermes et piégée par les organismes sur les lithohermes (bafflestone).

D'un point de vue pétrographique, le sédiment meuble est constitué pour la fraction
sableuse de foraminifères planctoniques et de tests de ptéropodes avec une
contribution mineure de grains exportés de la plate-forme peu profonde
(oolithes, Halimeda). La fraction graveleuse comprend essentiellement des
fragments de coraux. La minéralogie globale des sédiments meubles est dominée
par l'aragonite. Les sédiments lithifiés sont par contre constitués principalement de
calcite Mg (14 moles % MgCO3), avec de rares concentrations de micrite
aragonitique. La texture est variable, depuis des rudstones et floatstones à coraux
jusqu'à des wackestones/packstones à foraminifères, péloïdes et ptéropodes.

La nature exacte du mécanisme de lithification sous-marine est encore mal


comprise: Neumann et al. (1977) suspectent une interaction entre un régime
océanographique particulier (courant de fond ascendant, entraînant une diminution
de pression et une augmentation de température) associé à un apport important de
micrite aragonitique peu stable issue du "Little Bahama Bank".
A gauche, fragment de lithoherme (Blake Plateau) montrant les nombreuses
perforations affectant le sédiment. Echantillon C. Neumann; à droite, colonie de
Lophelia actuelle, Atlantique nord.

6.2. Les monticules coralliens profonds

6.2.1. Exemple des Bahamas

Ces monticules ont été observés par 1000-1300 m de fond, sur le talus nord ("lower
slope", avec une pente de l'ordre de 1°) du "Little Bahama Bank" où ils couvrent
une superficie de 2500 km2. Les courants de fond sont de l'ordre de 50 cm/s, la
température de l'eau se situe entre 4 et 6°C, avec une salinité normale de l'ordre de
34,5 à 35,5 o/oo.

Les édifices ont un relief de 5 à 40 m, une morphologie elliptique à circulaire


(diamètre de 50 à 200 m), avec des flancs relativement raides. Contrairement aux
lithohermes, leur surface n'est pas lithifiée, mais est constituée de sédiment fin,
colonisé par une communauté relativement diversifiée de coraux ahermatypiques
(généralement solitaires et de petite taille), de gorgones, hyalosponges et
calcisponges, de bryozoaires, de vers serpulidés et de crinoïdes. A cette
communauté fixée se joignent quelques mollusques, échinodermes et arthropodes.
Comme dans le cas des lithohermes, le caractère fin des sédiments biohermaux
(20% sable et gravier) contraste avec le caractère plus grossier des sédiments
interbiohermaux (entre 50% et 90% de sable et gravier). Ceci suggère encore un
mécanisme de piégeage par les organismes sur les monticules. L'analyse détaillée
de la fraction grossière montre que les éléments graveleux proviennent
essentiellement du remaniement des organismes colonisant les monticules, alors
que la fraction sableuse consiste surtout en foraminifères pélagiques et ptéropodes.
La composition minéralogique du sédiment est la suivante: 50% aragonite, 15%
calcite Mg et 35% calcite. L'aragonite semble provenir des coraux et des
ptéropodes et aussi de boue issue du "Little Bahama Bank", la calcite provient des
foraminifères planctoniques et de coccolithes et enfin, la calcite Mg dériverait de
fragments d'échinodermes et de foraminifères benthiques.

Le développement de ce type d'édifice semble correspondre à la séquence suivante:

 colonisation d'un substrat dur (fond durci, bloc allochtone,...) par des coraux
pionniers;
 ces premières colonies piègent le sédiment en suspension; en même temps, la
destruction des colonies coralliennes par des organismes endolithiques
fournit un substrat stable pour l'installation de nouvelles larves;
 le monticule se développe par la combinaison d'un processus de piégeage de
sédiment en suspension et de production in-situ de matériel plus grossier.

Critères de reconnaissance des monticules récifaux


profonds dans l'histoire géologique
absence d'algues
diversité spécifique moins élevée: 60 à 100 espèces de coraux en
milieu récifal peu profond actuel pour 1 à 16 pour les biohermes
profonds
microperforations souvent parallèles à la surface du substrat; en
environnement peu profond, ces microperforations sont
généralement perpendiculaires au substrat
contexte général très différent: les récifs peu profonds sont
associés à des environnements lagonaires, intertidaux, tandis que
les monticules profonds se développent dans un contexte de
talus; de même, la nature de la fraction sableuse est totalement
différente, avec des grains de type "peu profond" (oolithes,
agrégats, algues,...) pour les récifs et "profond" pour les
monticules à coraux ahermatypiques (organismes pélagiques et
planctoniques)
teneur en éléments traces différente: les coraux ahermatypiques
ont une teneur en Sr et U plus élevée que les coraux
hermatypiques.

Mud mound ("kesskess") emsiens, Hmar Lakdad (Maroc). Il s'agit de monticules


profonds à éponges, coraux et crinoïdes.
6.2.2. Exemple des monticules de l'Atlantique nord

Très récemment, suite à l'exploration pétrolière détaillée de l'Atlantique nord, de


très nombreux monticules coralliens profonds ont été découverts. Ces édifices sont
généralement localisés entre 500 et 1500 m de profondeur (500 m semble être leur
profondeur minimale, elle correspond à la séparation entre les eaux atlantiques de
surface chaudes et les eaux arctiques froides). Certains de ces monticules peuvent
atteindre une extension horizontale kilométrique et un relief de près de 200 m.
Comme dans le cas des autres bioconstructions profondes, la diversité spécifique
des communautés organiques est faible et le corail ahermatypique Lophelia semble
dominer.

Une hypothèse intéressante est que ces écosystèmes profonds seraient liés à des
arrivées en surface de méthane ("cold seepage"), alimentant une communauté de
bactéries chémolithotrophiques (dégradation du méthane). Ces bactéries
formeraient ainsi la base d'une pyramide alimentaire non photosynthétique. A
l'appui de cette hypothèse, outre de nombreuses structures sédimentaires
probablement liées au dégazage et outre des arrivées de méthane mesurées en
surface, on a découvert des récifs annulaires, véritables "atolls" profonds, centrés
autour d'un évent.

Pour distinguer les monticules profonds liés au dégazage ("cold seep mounds" dont
la pyramide écologique est basée sur le méthane) des autres monticules profonds
("marine mounds" dont la pyramide écologique est basée sur les nutriments en
suspension dans l'eau marine), Peckmann, Reitner & Neuweiler (1998, in
"Carbonate mud mounds and cold water reefs") proposent les critères suivants:

Critères de reconnaissance des monticules profonds liés


au dégazage
texture: les sédiments des "cold seep mud mounds" sont toujours
fortement bréchifiés: ceci est dû à des accumulations gazeuses ou
à la croissance dans le sédiment d'hydrates de méthane
faune: les "cold seep mud mounds" semblent caractérisés par des
accumulations de grands bivalves (dans la nature
actuelle: Bathymodiolus,Calyptogena,...) ou de tubes de vers
(Lamellibrachia, Escarpia,...). Sont également associés:
décapodes et éponges. Dans le cas des "marine mounds", la faune
est dominée par des filtreurs: bryozoaires, éponges, coraux avec
quelques brachiopodes, foraminifères encroûtants. Une zonation
bathymétrique ou en fonction des courants est souvent
perceptible
diagenèse précoce: l'aragonite semble souvent associée aux "cold
seep mounds". D'un point de vue isotopique, les valeurs de 13C
des monticules de dégazage sont très basses, atteignant -
30 o/oo (PDB)
Une fois ces critères établis, l'étude d'une bioconstruction conduira à
l'identification des communautés, de sa bathymétrie et surtout de son mode de
fonctionnement (Fig. XI.13): s'agit-il de la photosynthèse seule (tapis algaires et
cyanobactériens, cf. ch. X), d'un mélange d'hétérotrophie et de photosynthèse
(récifs à coraux hermatypiques), d'hétérotrophie seule (lithohermes, monticules des
bahamas) ou enfin de chemolithotrophie ("seepage mounds")? Le mode de
production/stabilisation de la boue carbonatée est également un paramètre lié au
type de bioconstruction, même si plusieurs modes sont généralement actifs au sein
d'un même édifice. La cimentation et la biominéralisation sont les processus
principaux dans les récifs algo-coralliens, tandis que l'organominéralisation
semble prépondérante dans les édifices plus profonds.

Nous allons envisager maintenant un certain nombre d'exemples anciens.


Fig. XI.13: principales caractéristiques des différents types de bioconstructions.
Pour en savoir plus

 C. Dullo & J-P. Henriet, 2007. Carbonate mounds on the NW European margin: a window into Earth
history. International Journal of Earth Sciences, Sp. Issue, 96, 213 pp.
 A.C. Neumann, J.W. Kofoed & G.H. Keller, 1977. Lithoherms in the Straits of Florida. Geology, 5, 4-
10.
 H.T. Mullins, C.R. Newton, K. Heath, H.M. Vanburen, 1981. Modern deep-water coral mounds north
of Little Bahama Bank: criteria for recognition of deep-water coral bioherms in the rock record. Journal
of Sedimentary Petrology, 51 (3), 999-1013.

7. LES MONTICULES WAULSORTIENS

cf. excursions

8. LES MONTICULES MICRITIQUES FRASNIENS

cf. excursions

9. LES BIOSTROMES GIVETIENS

cf excursions

XII. Les sédiments organiques


1. INTRODUCTION

Même dans les milieux où la production primaire de matière organique est élevée,
sa conservation dans les sédiments et son insertion dans le cycle géologique est
problématique. Si l'on prend l'exemple de l'océan, la matière organique produite par
le phytoplancton dans la zone photique est en grande partie recyclée dans la chaîne
alimentaire. Une partie réduite de cette matière organique tombe à travers la
colonne d'eau vers le fond marin en subissant encore des processus de
décomposition et enfin, dans le sédiment, une part importante de la matière
organique sera détruite par oxydation dans la tranche bioturbée (Fig. XII.1). On
considère qu'il y a en général un rapport de 1 à 100 entre production primaire et
matière organique arrivant sur le fond marin.
Figure XII.1: Flux de la matière organique depuis sa production dans la zone
photique jusqu'à son enfouissement dans le sédiment.

La dégradation aérobie de la matière organique, le processus le plus important,


correspond schématiquement à la réaction suivante:

C6H12O6 + 6 O2  6 CO2 + 6 H2O

C'est en fait la réaction inverse du processus mis en oeuvre dans la production


primaire de sucre par la photosynthèse. Dans les sédiments bioturbés donc, la plus
grande partie de la matière organique est oxydée. Dans les milieux déficitaires en
O2, la décomposition de la matière organique est incomplète et certains composés
relativement stables peuvent être préservés. Les conditions menant à une diagenèse
précoce anaérobie sont:
- une production de matière organique tellement importante que sa dégradation
consomme tout l'oxygène disponible; c'est le cas de certaines zones océaniques à
haute productivité (upwellings,...);

- la présence d'eaux anoxiques au contact du sédiment: c'est le cas de bassins


stratifiés comme la Mer Noire; c'est aussi le cas lorsque le fond marin est baigné
par la zone d'oxygène minimum;

- un taux de sédimentation élevé, inhibant la présence d'endofaune;

- une granulométrie fine, limitant les échanges entre le sédiment et les eaux
oxygénées. A titre d'exemple, les grès contiennent en moyenne 0,05% de matière
organique, les calcaires 0,3% et les roches pélitiques 2%.

N'oublions cependant pas que d'autres processus d'oxydation de la matière


organique, bien que moins performants en terme d'énergie et en quantité de matière
organique dégradée, sont observés dans les sédiments (cf. Processus sédimentaires).
D'une manière générale, la succession des différents processus traduit l'utilisation
d'oxydants de moins en moins puissants, respectivement: O 2, NO3-, Mn et Fe, SO42-,
et CO2 et définit une série de zones biogéochimiques depuis l'interface
eau/sédiment jusqu'à une profondeur variable.

Les principaux sédiments organiques sont les schistes bitumineux, le pétrole,


le gaz, le charbon, la lignite et son équivalent actuel, la tourbe. Passons les en
revue.

2. LES SEDIMENTS ORGANIQUES ACTUELS

Les types principaux en sont l'humus, la tourbe et le sapropel. L'humus consiste en


matière organique fraîche, localisée dans la partie superficielle des sols. Une fois
déposée, cette matière organique subit plusieurs stades de dégradation:

- la première étape est une décomposition par les enzymes hydrolytiques secrétées
par les bactéries et les champignons aérobies du sol. A ce stade, la population
microbienne est très élevée et peut atteindre 1/3 de la masse totale de matière
organique. Les polysaccharides facilement dégradables sont transformés en
CO2 par la respiration et la fermentation (CO 2 qui peut intervenir dans la mise en
solution des carbonates ou s'échapper dans l'atmosphère). Les protéines et les
nucléotides sont décomposés en acides aminés et acides nucléiques et ensuite en
molécules simples comme NH4+, NO3-, SO4=, H2PO4-, Ca++, Mg++, K+,... Les nitrates
et sulfates sont entraînés avec les cations dans les solutions, en partie absorbées par
les racines, en partie évacuées. Les phosphates sont souvent précipités sous la
forme d'apatite;
- quand tous les matériaux organiques facilement dégradables sont consommés, la
population microbienne diminue et seules demeurent la lignine, la résine et les
cires. C'est ce que l'on appelle les substances humiques.

Au cours du temps, la plus grande partie de l'humus est oxydée et n'est pas
conservée dans les formations géologiques. Sa présence est cependant importante
au travers de l'action exercée par les acides humiques sur les minéraux des sols.

La tourbe est une accumulation de débris végétaux dans des zones marécageuses


où les conditions anaérobies inhibent la dégradation de la matière organique. Enfin,
le terme sapropel se réfère à des sédiments organiques, dérivés du phytoplancton et
déposés dans des bassins lacustres ou marins.

3. LES SEDIMENTS ORGANIQUES ANCIENS

On les classe en deux groupes principaux: les sédiments organiques formés in-situ
comme la tourbe et l'humus (groupe humique) et les sédiments constitués de
matière organique transportée ou déposée en suspension comme les sapropels
(groupe sapropélique). La plupart des lignites et charbons appartiennent au groupe
humique, avec des contenus en matière inorganique inférieurs à 33% (argile, silt,
sable) alors que les schistes bitumineux et certains charbons ("cannel coals",
"boghead", formés principalement de débris allochtone de plante et d'algues) font
partie du groupe sapropélique; leur contenu en matière inorganique peut dépasser
33%.

Les sédiments organiques anciens peuvent aussi être secondaires et résulter de la


migration de composés organiques à partir d'une roche-mère vers un sédiment
poreux (pétrole, gaz).

4. LES CHARBONS

Les charbons sont issus de l'évolution diagénétique de débris végétaux. Ainsi, les
charbons humiques forment une série continue depuis la tourbe jusqu'à l'anthracite,
en passant par le lignite et le charbon bitumineux. On appelle houillification les
processus physico-chimiques et organiques intervenant au cours de la
transformation de la tourbe en charbon et rang un stade déterminé de cette
évolution. Un rang croissant indique une teneur croissante en carbone et
décroissante en H2O, CO2, CH4, N2 (Tab. XII.1).

De manière simplifiée, on peut dire que la diagenèse conduit des tourbes aux
lignites (dans lesquelles les débris de plantes sont toujours visibles) jusqu'à environ
1000 m d'enfouissement. Jusqu'à 5000 m de profondeur (soit 100-200°C) se
forment ensuite des charbons de plus en plus bitumineux, dans lesquels un
processus de gélification fait disparaître les cellules végétales au profit de la
vitrinite. Enfin, les anthracites apparaissent dans l'anchizone du métamorphisme.
On reconnaît l'anthracite à son aspect brillant et sa cassure conchoïdale. Il faut
noter que lors de la transformation du charbon bitumineux en anthracite, du
méthane est libéré; c'est le grisou, si dangereux dans les mines de charbon.

Exploitation de lignite miocène à Garzweiler, Allemagne.

valeur
Rang C (%) volatiles (%) calorifique
(KJ/g)
tourbe <50 >50
lignite 60 50 15-25
charbon sub-
75 45 25-30
bitumineux
charbon
85 35 30-35
bitumineux
semi-anthracite 87 25 30-35
anthracite 90 10 30-35
graphite >90 <5

Tableau XII.1: rang et caractéristiques des charbons de la série humique.

Depuis la fin du Dévonien (prolifération de la végétation sur les continents), du


charbon se forme dans les zones climatiques humides. On distingue deux types
d'environnements de formation de charbon: les milieux paraliques et les
milieux limniques. La plupart des charbons westphaliens (exemple: Belgique) se
sont développés dans des environnements paraliques, probablement de type
deltaïque côtier, alors que plus tard, au Stéphanien, prédominent les charbons de
milieux limniques, correspondant à des lacs, souvent localisés dans des fossés
d'effondrement de la chaîne varisque (exemple: Montagne Noire, France).

A: mine de charbon à ciel ouvert de Graissessac (Montagne Noire, France); les


veines de charbon alternent avec des grès fluviatiles; l'échelle est donnée par le
personnage (flèche). B: détail montrant un tronc préservé dans une des veines.
Stéphanien.

Dans les charbons de type paralique, la séquence type est constituée d'une
succession de sédiments pélitiques à fossiles marins, suivie de pélites, siltites et
éventuellement grès fluviatiles, puis de la veine de charbon. Le charbon surmonte
un sol caractérisé par des traces de racines. Dans le cas des sols développés sur
sable, le grès évolue souvent en quartzite très dur ("ganister"); dans le cas de sols
sur sédiments plus fins, ce sédiment contient des nodules de sidérite.

Dans beaucoup de séries houillères, on observe des niveaux de cendres


volcaniques: tonsteins riches en kaolinite et bentonites riches en smectites. Ces
niveaux, de même que les niveaux marins à fossiles servent à dater ces séries.

5. LES SCHISTES BITUMINEUX

Il s'agit de sédiments fins contenant de 4 à 50% de bitume ou de kérogène. On y


observe une fine lamination, faisant alterner lamines organiques et lamines
détritiques. L'origine de la matière organique semble être algaire. Ces deux
observations permettent de supposer que ces schistes bitumineux se forment dans
des corps d'eau stratifiés, où des blooms algaires en surface donnent lieu à des
apports massifs et périodiques de matière organique sur le fond anoxique. Ceci peut
se produire en environnement lacustre aussi bien qu'en milieu marin.

6. LE PETROLE

Le pétrole est un mélange de solides (bitumes), de liquides (huiles) et de gaz. Sa


formation résulte de l'évolution, au cours de l'enfouissement, de la matière
organique piégée dans des sédiments (roches-mères). Cette matière organique à
l'origine du pétrole est appelée kérogène. A partir de ce kérogène, des réactions
thermocatalytiques produisent des alkanes et des naphtènes, les principaux
constituants du pétrole. Au fur et à mesure de l'enfouissement et de l'augmentation
de température, la production de pétrole augmente, passe par un maximum (fenêtre
à huile, entre 70 et 100°C) et diminue ensuite (Fig. XII.2). A plus grande
profondeur, la production de pétrole décroît au profit de la production de gaz
(craquage naturel du pétrole en hydrocarbures plus légers); il s'agit d'abord de gaz
humides puis, au-dessus de 150°C, de gaz secs. Le résidu de ce craquage est
appelé kérabitume.

Figure XII.2: formation du pétrole. Les profondeurs sont indicatives et dépendent


du gradient géothermique.

La formation d'un gisement de pétrole nécessite aussi un mécanisme de migration.


La plupart des roches-mères sont en effet des sédiments fins dont il n'est pas
possible d'extraire le pétrole. Une première migration a lieu sous l'effet de la
compaction des sédiments (migration primaire); ensuite, le pétrole est amené au
réservoir par des drains (migration secondaire) sous l'effet de la gravité (le pétrole
est moins dense que l'eau). La roche jouant le rôle de réservoir peut posséder une
micro-porosité (sable, grès, craie, dolomie) ou une porosité en grand (calcaire). La
géométrie des réservoirs peut résulter de la tectonique (anticlinaux, failles, diapirs)
ou de la sédimentation (discontinuité, onlap,...). Enfin, pour que le pétrole demeure
dans le réservoir, il faut que celui-ci soit surmonté d'une barrière imperméable. Les
roches-barrières les plus fréquentes sont les argiles et les évaporites.
Pour en savoir plus

 Gluyas, J. & Swarbrick, R.E., 2001. Petroleum geoscience, Blackwell, 400 pp.
 Lyons, P.C. & Alpern, B. (Eds.), 1989. Coal. Elsevier, 678 pp.
 Whateley, M.K.G. & Spears, D.A. (Eds.), 1995. European coal geology. Sp. Publ. 41, Geol. Soc.
London, 500 pp.

XIII. Dépôts volcano-sédimentaires


1. INTRODUCTION

Précisons d'abord le sens des termes utilisés. D'une manière générale, le


terme volcano-sédimentaire pourrait s'appliquer à n'importe quel sédiment
renfermant du matériel volcanique en proportion importante. Mais on réserve plutôt
le terme aux dépôts élaborés par des processus où le volcanisme est dominant. C'est
ce sens que nous utiliserons dans la suite du chapitre; il implique donc la
contemporanéité de la sédimentation et du phénomène volcanique. Le
terme pyroclastique s'applique aux roches résultant de l'accumulation de débris
volcaniques provenant de l'expulsion de matériaux volcaniques.

L'importance des dépôts volcano-sédimentaires reflète plus que leur simple


abondance crustale, déjà remarquable (environ le quart de l'ensemble des roches
sédimentaires). Ces sédiments sont en effet essentiels pour comprendre la
dynamique des orogènes; de plus, beaucoup de dépôts volcano-sédimentaires sont
associés à des minéralisations d'importance économique et enfin, il n'est pas
nécessaire d'insister sur l'importance des manifestations volcaniques sur l'activité
humaine. Malgré cela, ces sédiments ont été peu étudiés, probablement par suite de
leur identification malaisée et de leur sensibilité à l'altération, mais aussi du fait de
leur caractère mixte, impliquant à la fois des processus sédimentaires et
magmatiques (les spécialistes des deux disciplines se renvoyant la balle et hésitant
à s'aventurer dans des matières qu'ils maîtrisent plus difficilement).

Les dépôts volcano-sédimentaires ont ceci de particulier qu'ils échappent à la


distribution zonale ou bathymétrique de beaucoup de sédiments : ils peuvent donc
être associés à n'importe quel type de faciès : glaciaire, éolien, bathyal, littoral, etc.
En outre, leur vitesse d'accumulation est très rapide : entre 10 3 et 106 fois plus que
la sédimentation normale, d'où une oblitération des caractères du milieu ambiant.

Les différents matériaux impliqués dans une manifestation volcanique comprennent


les fractions solides (cendres, lapilli, bombes), les solutions
hydrothermales (enrichies en Si02, Mn, Fe, Al, Cu, As, P, Pb, Zn,...) et
les émanations gazeuses (H2O, CO, CO2, NH3, H2S, HCl, SO3,...). Il faut aussi
insister sur le fait que les matériaux éjectés durant les processus volcaniques ont un
caractère réducteur. Par conséquent, tous les éléments susceptibles d'être réduits
vont l'être (Fe++, Mn++,...). De plus, si H2S est présent, les éléments lourds vont
migrer sous forme de sulfures (ce qui est tout-à-fait différent des processus de
l'altération superficielle).

Notons également qu'au cours d'une éruption volcanique subaérienne, seuls les
produits solides sont incorporés dans la sédimentation environnante, tandis que les
solutions hydrothermales sont diluées par les eaux météoriques et que les
émanations gazeuses sont dispersées dans l'atmosphère, alors que dans le cas des
éruptions sous-marines ou sous-lacustres, c'est la totalité de l'apport magmatique
qui sera impliqué dans la sédimentation.

Dans ce chapitre, nous allons passer rapidement en revue les différents types de
dépôts volcano-sédimentaires en insistant sur leur genèse.

A: dépôts volcanosédimentaires déformés par la chute d'une bombe volcanique


(Laacherzee); B: dépôts volcanosédimentaires décalés par un jeu de failles et
recoupés par un dyke (Causse du Larzac).

2. ROCHES PYROCLASTIQUES

Ces roches sont le résultat de la lithification des tephra. Le terme tephra est


synonyme de dépôt volcanoclastique, c'est-à-dire d'accumulation de matériaux
éjectés par une éruption. Comme pour les roches détritiques, une classification
granulométrique est utilisée (Tableau XIII.1). Cette classification ne tient pas
compte de la composition des tephra.

Taille des Equivalent Roche


Tephra
constituants détritique pyroclastique
>62 mm galets, blocs blocs (anguleux) brèche volcanique
bombes
agglomérat
(arrondies1)
2-62 mm graviers, granules lapilli tuf à lapilli
62 µm-2 mm sable cendre grossière tuf grossier
<62 µm silt et argile cendre fine tuf fin

Tableau XIII.1 : classification granulométrique des roches pyroclastiques. 1les


blocs anguleux sont des fragments de lave refroidie avant leur éjection; les bombes
sont des paquets de lave qui se figent durant leur projection.

D'autres classifications sont basées sur des critères pétrographiques, c'est le cas par
exemple de la classification de Friedman et al. (1992) qui utilise un diagramme
triangulaire (Fig. XIII.1). Ce diagramme permet de subdiviser les tufs en fonction
de la proportion relative de trois constituants : les débris lithiques, les cristaux
(surtout des feldspaths et du quartz, euhédraux et zonés) et les fragments de verre
volcanique. Les tufs à fragments de verre volcanique sont issus de la désagrégation
de laves, les tufs cristallins se forment quand une partie du magma a commencé à
cristalliser avant l'éruption et les tufs lithiques sont constitués de fragments de
roche volcanique ou de l'encaissant remaniés au cours de l'éruption. Les deux
classifications citées ci-dessus sont souvent combinées pour donner des noms du
type "tuf lithique à lapilli", "tuf cristallin grossier", etc.

Figure XIII.1: classification des roches pyroclastiques.

Envisageons maintenant la genèse des différents types de roches pyroclastiques.


Les retombées pyroclastiques (" pyroclastic air-fall deposits ") se forment à
proximité des volcans avec un granoclassement latéral (les éléments les plus
grossiers se situant le plus près des centres d'émission) et une épaisseur variable,
fonction de la distance au volcan. L'extension des dépôts pyroclastiques est
largement dépendante du volume des ejecta et des caractéristiques des vents
dominants. Chaque retombée peut être grossièrement granoclassée, avec les dépôts
les plus fins au sommet. Les tephra peuvent être plus ou moins soudés entre eux, en
fonction de leur température au moment de leur dépôt.

Les ignimbrites sont produites par des nuées ardentes. Celles-ci sont des nuages
d'un mélange de tephra chauds (fragments de verre, cristaux et débris lithiques) et
de gaz, se propageant sous l'effet de la gravité à des vitesses atteignant 200 km/h.
Ce sont en fait des courants de densité dont les grains sont maintenus en suspension
sous l'effet des chocs interparticulaires et de l'échappement des gaz. D'un point de
vue textural, les ignimbrites montrent une grande variété de granulométrie, les
éléments les plus grossiers étant généralement concentrés vers le haut (il s'agit donc
d'un granuloclassement inverse). Une des caractéristiques importantes des
ignimbrites est la présence de grains soudés par la chaleur dans leur partie la plus
interne et le caractère plan de la surface supérieure des dépôts: contrairement aux
retombées pyroclastiques, les ignimbrites ne nappent pas le relief préexistant mais
s'écoulent dans les dépressions, à la manière des fluides (Fig. XIII.2).

Les dépôts de "pyroclastic surge" sont également des écoulements de matériaux


pyroclastiques, mais à la différence des ignimbrites, ils sont plus fins et montrent
des laminations planes, en auge, des antidunes, etc. Ils possèdent un
granoclassement modéré à faible, avec une décroissance granulométrique rapide
lorsqu'on s'éloigne de la source. On pense que les "pyroclastic surge" sont des
écoulements gravitaires de faible densité, dont les particules sont maintenues en
suspension par la turbulence d'un fluide (gaz, eau). Ils se forment lors du collapse
d'un panache volcanique saturé en vapeur d'eau (en fait, ce phénomène a été mis en
évidence lors des premières explosions nucléaires) ou lorsqu'un magma entre en
contact avec de l'eau. Les pyroclastic surges ont tendance à napper les reliefs, mais
montrent quand même une épaisseur plus importante dans les dépressions
(Fig. XIII.2).
Dépôts volcanosédimentaires au Cap d'Agde. A: "pyroclastic surge" avec
antidunes. B: cendres remaniées par les courants marins (noter les rides
montantes).

Les lahars sont des mudflows constitués d'une majorité de matériel volcanique. Ils


se forment lorsque des dépôts pyroclastiques non consolidés sont mis en
mouvement sur le flanc d'un volcan suite à de fortes pluies ou lors d'une éruption
sous-glaciaire. Ces lahars possèdent les caractères des autres mudflows comme leur
richesse en matrice et leur très faible classement (sauf un grossier granoclassement
inverse, voire un granoclassement inverse à la base de l'unité, suivi d'un
granoclassement normal à son sommet). Les lahars peuvent être distingués
facilement des pyroclastic surges par l'absence de stratifications et par la présence
de matériaux divers comme des troncs d'arbre, branches, etc.

Fig. XIII.2: géométrie de différents types de dépôts volcano-sédimentaires par


rapport au relief préexistant.

3. AUTRES DEPOTS VOLCANO-SEDIMENTAIRES

D'autres types de roches sédimentaires sont liés à une activité magmatique autre
qu'une éruption volcanique. Citons essentiellement les brèches autoclastiques qui
sont dues au refroidissement et à la bréchification de la partie supérieure d'une
coulée de lave en mouvement et surtout les hyaloclastites qui résultent de la
fragmentation d'un verre volcanique par contact avec l'eau. Beaucoup de pillow-
lava sont associées à des hyaloclastites.

Revenons aussi sur les émanations gazeuses et les solutions hydrothermales qui se
propagent dans la mer ou dans les lacs lors des éruptions sous-aquatiques. La silice,
différents composés de Fe, Mn, Al ou des éléments mineurs comme As, Ba,... vont
précipiter pour former une partie du sédiment. Le processus de précipitation de ces
composés est apparemment purement chimique et non biochimique comme dans la
sédimentogenèse "normale".

Des changements dans le milieu physico-chimique de secteurs où se manifestent


des éruptions sous-aquatiques peuvent provoquer une précipitation chimique
temporaire et des phénomènes locaux particulier. Relevons entre autre:
 beaucoup de CO2 et parfois du HCl, HF et SO3 sont injectés dans le milieu
de sédimentation dont ils abaissent le pH. Ceci retarde inévitablement la
précipitation carbonatée (avec une remontée éventuelle de la lysocline);
 quand des solutions hydrothermales dépourvues d'oxygène sont injectées
dans l'océan, de grandes masses d'eau peuvent acquérir un caractère
réducteur, provoquant la précipitation de carbonates et de silicates de Fe et
Mn ;
 lorsque de grandes quantités de H2S sont émises, des conditions favorables à
la précipitation des sulfures de Fe, Pb, Zn à partir des eaux marines sont
réalisées.

Ainsi, les émanations volcaniques provoquent l'apparition locale de minéraux qui,


dans les conditions normales de la sédimentogenèse, ne se formeraient que durant
la diagenèse ou dans des environnements très riches en matière organique.

4. DIAGENESE DES MATERIAUX VOLCANO-SEDIMENTAIRES

Les verres volcaniques sont métastables: dans la plupart des cas, ils ne sont pas
observés dans des roches plus anciennes que le Tertiaire. De ce fait, les dépôts
volcano-sédimentaires anciens sont souvent difficiles à mettre en évidence. Les
produits de l'altération des verres volcaniques sont les argiles, les zéolites et la
palagonite (altération sous-marine des basaltes).

Les argiles issus de la diagenèse des verres volcaniques sont la montmorillonite, la


saponite et la kaolinite. Les bentonites sont des lits riches en smectite issus de
l'altération de cendres volcaniques. L'équivalent riche en kaolinite est
appelé tonstein. Outre la nature minéralogique des argiles, la présence de
(pseudomorphes de) fragments de verre et de cristaux euhédraux zonaires de
quartz, feldspath ou de pyroxène peuvent aider à identifier l'origine volcano-
sédimentaire d'un niveau argileux.

En ce qui concerne la palagonite, c'est un matériau amorphe, translucide, orangé,


souvent observé en bordure des grains d'hyaloclastite. Il s'agit d'une altération du
verre volcanique par hydratation, oxydation du fer, augmentation du K et Fe et
perte de Na et Mg. La palagonite n'est pas un minéral, mais un mélange de
montmorillonite et de phillipsite.

Enfin, beaucoup d'hyaloclastites sont cimentées par de la calcite.

AUTRES COURS EN LIGNE/OUVRAGES proposés par le Laboratoire


de Pétrologie sédimentaire:

géologie de terrain
géologie de la Wallonie

excursions

processus sédimentaires

une brève histoire de la géologie

compléments de pétrologie sédimentaire

notes de TP de pétrologie sédimentaire

AUTRES SITES (sélectionnés par L. Hauregard):

  http://www.epoc.u-bordeaux.fr/fr/eqsedimento.htm (Equipe "Sédimentologie et
Géologie Marines")
  http://www.shom.fr/index.htm (Service Hydrographique et Océanographique de la
Marine-Activités scientifiques-Géosciences-Sédimentologie)
  http://www.unifr.ch/geoscience/geologie/welcome.html (University of Fribourg,
Switzerland: Department of Geosciences-Geology and paleontology-Research-
Sedimentology)
  http://www.unibas.ch/earth/sedi/index.htm (Geological & Paleontological Institute:
Sedimentology Group)
  http://www.blackwell-science.com/~cgilib/jnlpage.asp?journal=sed&file=sed&page=aims (
Blackwell Science: Sedimentology)
  http://www.blacksci.co.uk/uk/society/ias/ (International Association of
Sedimentologists)
  http://darkwing.uoregon.edu/~dogsci/dorsey/SedResources.html (Web Resources for
Sedimentary Geologists)
  http://www.palmod.uni-bremen.de/FB5/geochron/index.htm (Bremen University
Geosciences: Stratigraphy and Sedimentology)
  http://www.dur.ac.uk/~dgl0mew/BSRG/index.html (The British Sedimentological
Research Group)

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Date de dernière mise à jour : 1/4/2011
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