SPLEEN

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SPLEEN

( j’ai plus de souvenirs)

Introduction
Charles Baudelaire écrit dans un projet d’épilogue pour Les Fleurs du Mal :
“Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or”. Par là il compare sa poésie à de
l’alchimie, il va donc faire correspondre le genre poétique avec des
préoccupations plus triviales, d’où le nom de notre parcours Alchimie
poétique : la boue et l’or.
On retrouve d’ailleurs cette association de termes antithétiques dans le
poème que je vais vous présenter qui s’intitule Spleen ( J’ai plus de
souvenirs”) écrit par Charles Baudelaire en 1857 dans Les Fleurs du Mal.

Charles Baudelaire est un poète n'appartenant à aucune école spécifique, il se


situe au croisement du romantisme, du symbolisme et même du Parnasse et
c'est grâce à sa poésie et notamment à son recueil Les Fleurs du Mal qu'il
gagne en notoriété.

Les Fleurs du Mal est un recueil de poèmes paru en 1857 avec lequel l'auteur
révolutionna la poésie lyrique en introduisant des textes modernes abordant
des sujets provocants et prosaïques, c'est pour cette raison que 6 poèmes
font l'objet d'un procès et sont par la suite censurés.Baudelaire met à
l'honneur le concept du spleen qui plongeait la personne concernée dans un
profond mal-être et désespoir. Baudelaire était lui-même touché par cette
mélancolie.
On retrouve d'ailleurs cette idée du spleen et de l'angoisse du temps qui
passe dans 4 poèmes qui s’intitulent tous “Spleen” et ils illustrent tous à leur
manière une facette de ce spleen. Nous allons donc étudier l’un de ces 4
poèmes qui représente cet ennui profond métaphysique.

trivial = choquant, vulgaire


prosaïque = Qui est dépourvu de noblesse, de distinction, d'élégance.

--------Lecture------
pb : On se demandera alors quelle définition du spleen Baudelaire élabore
t-il dans son texte.
plan : Dans le premier vers, le poète annonce le bilan. Puis des vers 2 à 14, il
dresse un inventaire chaotique de ses souvenirs. Enfin des vers 15 à 25, nous
verrons qu'il ne reste au poète plus que l'ennui.

Aliénation : en quête d’ID, ne plus s’appartenir

Mise en page et fonctionnement


Le poème a une forme irrégulière, il n'est pas régulièrement disposé en
strophe.
- Fragmenté en ensemble inégaux vers 1 - vers 10 - vers 13, si on tient
compte du blanc, des tirets.
- Le poème fonctionne par accumulation d'images apparemment
disparates (= sans unité), le cerveau du poète est successivement un
meuble (vers 1-4), une pyramide (vers 5-6), un cimetière (vers 7- 8), un
vieux boudoir (= salon)(vers 11-14), un granit (vers 19-21) et un sphinx
(vers 22-24).
- Le spleen = chaos de l'âme.

=> La mise en page d'une part et le fonctionnement d’autre part donnent une
impression de chaos.

Mais on voit tout de même que la versification se fait en alexandrin tout le


long du texte.

------Analyse Linéaire-----

LXXVI - Spleen

J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.


Vers liminaire, isolé sur le plan typographique ; il synthétise les enjeux
principaux du poème.
On voit grâce à cette hyperbole que le sujet est atteint d’un trouble mnésique, qui
semble gêné par son passé, celui des autres, et celui de toute l’humanité.
Marque du lyrisme avec “j’”.
Vers 2 à 14 : il dresse un inventaire chaotique de ses souvenirs à l’aide de
métaphores
Un gros meuble à tiroirs encombrés de bilans,
Métaphore réifiante qui montre une claustration

De vers, de billets doux, de procès, de romances,


On retrouve le thème de l’amour qui est contrasté avec le thème de l’argent
“bilans”, “quittances” qui est un thème trivial (=vulgaire) et qui dégrade le mot
“romance”.
On note aussi une mise en abyme, donc une réflexion métatextuelle avec “vers”
et “romances”.

Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,


La chevelure déclenche traditionnellement la rêverie érotique chez Baudelaire et
qui a donc ici un usage métonymique de la femme.
Mise en relation de 2 univers diamétralement opposés à savoir l’amour et les
considérations pécuniaires. (=l’argent)

5 - Cache moins de secrets que mon triste cerveau.


On retrouve ici une personnification du cerveau ; une métonymie qui signale un
dysfonctionnement, une perturbation mentale.
Tout ses souvenirs sont dévalorisés car ils sont accumulés, mélangés dans un bric
à brac.

C'est une pyramide, un immense caveau,


On a ici une nouvelle allégorie, une allégorie funèbre celle-ci.
Le cerveau du poète devient une pyramide, un caveau, un cimetière...

Qui contient plus de morts que la fosse commune.


La métaphore transforme ses souvenirs en ossements. Sa mémoire devient
champ de cadavres.

- Je suis un cimetière abhorré de la lune,


abhorré = détesté
Idée de persécution, mise en scène du “moi” qui crée l’emphase puisque l’on a
une référence orgueilleuse à l'intérêt que lui porterait un astre.
La lune n'éclaire même plus sa mémoire devenue cimetière.
Où comme des remords se traînent de longs vers
Nous pouvons voir par ailleurs des remords importants qui le condamnent.
Sa mémoire est comme un cadavre qui se putréfie, rongé par les vers (= remords
qui hantent le poète). Il a le sentiment qu'il a échoué en tant que poète.

10- Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Importance du superlatif “les plus” et de l’adverbe “toujours”. On retrouve
d’ailleurs ici le registre tragique avec le thème de la mort. Le poète est à l’image
du poète maudit.

Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,


Sa mémoire est à présent “un vieux boudoir” où on trouve un souvenir de la
nature avec “roses”.
Il y a un sentiment d’abandon avec “fanées”, une absence de vie.
On a donc un mal aux proportions de l’éternité, un mal qui se dilate.

Où gît tout un fouillis de modes surannées,


Il y règne le désordre, les objets sont proches du néant, anciens, démodés.

Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher


Nous avons tout d’abord ici une allitération en P ce qui introduit une certaine
harmonie et musicalité.
On retrouve à présent un souvenir d'art : “les pastels”, “les pâles Boucher”
=> Baudelaire a vécu son enfance dans les œuvres d'art de son père et est devenu
critique d'art.
Boucher qui est d’ailleurs un peintre grivois du 18è s. très apprécié de Louis 15.

Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché.


On retrouve une fois de plus des synesthésies avec “respirent l’odeur” mais aussi
“pastel”, “pâles” qui expriment l’absence de vie.

Baudelaire semble transformer tous ses souvenirs en ossements et fait de sa


mémoire un champs de cadavres.

15 - 25 : Un mal aux proportions de l’éternité

Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,


Il y a un glissement métonymique au vers 15 puisque ce n’est plus le poète il est
pris pour point de comparaison mais “les boiteuses journées” qui sont associées
aux “neigeuses années” qui recommencent sans cesse, On a donc une image des
saisons et une certaine lassitude.

Quand sous les lourds flocons des neigeuses années


“lourds flocons” fait échos à “lourds cheveux” au vers 4 qui renvoie à une idée
d'écrasement et d’oppression mais aussi renvoie métaphoriquement aux
cheveux blancs de la vieillesse.

L'ennui, fruit de la morne incuriosité


Au vers 17 il est question du thème Baudelairien de l’ennui, Il prend la place du
“je” et devient le sujet du texte.
D’autre part, “morne” et “incuriosité” sont 2 termes péjoratifs qui renvoient à
l’insatisfaction, au manque d'appétence.

Prend les proportions de l'immortalité.


L’ennui est d’abord pris dans un sens faible et déployé ensuite dans son sens fort
« les proportions de l’immortalité » inini avec cette hyperbole.
Le temps qui passe apparaît pour Baudelaire comme un supplice, un calvaire,
renvoyant à une idée d’enlisement de l’âme.

- Désormais tu n'es plus, ô matière vivante !


L’adverbe de temps “désormais” marque une rupture et le pronom personnel “tu”
exprime une forme de distance puisque le poète s’adresse à lui-même.

20- Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,


On retrouve ici une antithèse puisqu’on passe de l’animé (“matière vivant”) à
l’inanimé (“granit”) qui montre un figement, une pétrification.

Assoupi dans le fond d'un Sahara brumeux ;


Ici, “assoupi” renvoie à une image d’immobilité, de stagnation.
Baudelaire décrit un ailleurs flou au sein duquel vie un sphinx

Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,


Nous avons affaire ici à une créature mythologique, mi-femme mi-lion, qui pose
des énigmes aux visiteurs.
Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche
Baudelaire décrit un ailleurs flou au sein duquel vie un sphinx (=un poète) qui est
mis au ban de la société et qui apparaît comme un être sauvage et misanthrope.

Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.


Ce vers fait échos à la légende selon laquelle la statue de Memnon qui, à la suite
d’un séisme émettait des sons harmonieux au rayon du soleil qui se lève donc à
l’aube et non au crépuscule.
Enfin Baudelaire introduit une certaine musicalité avec le chant et fait preuve de
modernité dans cette alliance surprenante qui fait référence à la magie du nadir.

Conclusion
Ce poème pour définir ce qu’est le spleen nous propose une succession de
métaphores apparemment chaotique mais en fait très liées. De plus, il nous
précise que c’est un mal qui prend des proportions gigantesques, des
proportions éternelles et cosmiques.
Cependant le spleen n'est pas la seule émotion éprouvée par Baudelaire.
En effet certains textes mettent à l'honneur le concept d'idéal, c'est-à-dire
une sorte de bonheur esthétique ou amoureux. Ainsi dans le célèbre poème
« L'Invitation au Voyage », le poète exprime sous la forme d'un leitmotiv une
sorte de refrain : « là tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté ».

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