Décision Quant À La Peine D'andré Boisclair
Décision Quant À La Peine D'andré Boisclair
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL
N° : 500-01-205651-208
500-01-213049-205
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SA MAJESTÉ LA REINE
Poursuivante
c.
ANDRÉ BOISCLAIR
Délinquant
SURVOL
[1] M. Boisclair, (le délinquant), a enregistré des plaidoyers de culpabilité au sujet de
deux accusations de nature sexuelle. L’une vise une agression de groupe et lors de la
seconde, il est le seul agresseur.
[2] Lors de l’enregistrement des plaidoyers, de façon commune, les parties ont soumis
qu’une peine totale d’incarcération de 2 ans moins un jour serait appropriée, à savoir 18
mois pour le premier dossier et 6 mois moins un jour, pour le second. Cette peine devant
être purgée de façon consécutive à la première.
LES FAITS
[3] Les premières accusations remontent à 2014. La victime F.B. fait la rencontre de M.
Boisclair par l’entremise des réseaux sociaux. Ils échangent quelques conversations ou il y
sera question d’activités sexuelles, ce à quoi la victime indique qu’elle ne désire pas de sexe
anal.
[4] Un rendez-vous est fixé chez M. Boisclair le 8 janvier 2014. Lors de son arrivée, la
victime remarque la présence d’autres individus dont l’un quitte. Il en demeure deux autres.
Pendant la conversation, le délinquant parlera de sodomie et, après avoir consommé des
stupéfiants, il ordonne aux deux individus de sodomiser la victime. Celle-ci est saisie de
force et retenue par l’une des personnes. Pendant ce temps, la deuxième personne tente,
effectivement, de la sodomiser.
[5] La victime se débat tant bien que mal et, au bout d’un moment, elle est relâchée
sans qu’il y ait eu pénétration. F.B. quittera ensuite l’appartement à la demande du
délinquant.
[6] En 2015, la victime D.N. fait aussi connaissance de M. Boisclair par l’entremise des
réseaux sociaux. Ici également, il y a un rendez-vous fixé chez le délinquant. D.N. se rend
à l’adresse mais, après un moment, il désire quitter l'appartement. Il croit que le délinquant
l’a embrassé. Par la suite, ce dernier lui fait une fellation et D. N. dit ‘je ne crois pas’. La
fellation se termine alors.
[7] D.N. est amené vers le lit où il est couché sur le ventre et ses pantalons sont baissés.
Le délinquant lui lèche l’anus et il y aura une pénétration digitale. D.N. dit au délinquant
d’arrêter ce qu’il fait. D.N. quittera par la suite.
[9] Il a fait des thérapies dont les succès apparaissent pour le moins mitigés. Il a dû
prendre de la médication disant vivre avec de grandes peurs. Tout cela a des répercussions
dans sa vie. Il a vécu des échecs scolaires le conduisant à l’abandon de ses études. Alors
qu’il était impliqué en politique, il vit maintenant avec une aversion pour les politiciens. Il
ne peut plus s’impliquer socialement. Puisqu'il est isolé, il ressent un manque d’affection.
[10] Il indique que ses plans d’avenir ont dû être mis au rancart et qu’il vit avec un
sentiment d’échec.
[11] D. N. a également lu une déclaration. Il explique qu’au moment des évènements, il
venait de faire son « coming out » seulement quelques mois auparavant et il commençait
tout juste à s’épanouir. Les gestes posés par le délinquant ont causé une grande blessure
qui n’est toujours pas guérie. Il indique que depuis l’évènement, il n’est pas capable de
lâcher prise. Il tient le délinquant responsable de ses déboires.
[12] Les gestes posés l’ont pris de cours et il s’est dit paralysé.
LES PRINCIPES
[13] Toute décision quant à la détermination d’une peine juste et appropriée doit
nécessairement tenir compte des principes et objectifs énumérés aux articles 718 à 718.3 du
Code criminel, incluant la dénonciation et la dissuasion. La prise de conscience et la
réhabilitation doivent aussi faire partie de l’équation. La peine doit correspondre à la
responsabilité du délinquant, à sa situation et elle doit, dans la mesure du possible,
s’apparenter aux peines prononcées en semblable matière.
[14] L’ensemble des facteurs aggravants et atténuants doit aussi être soupesé. Cette
évaluation déterminera plus précisément à quel endroit se situe cette peine à l’intérieur de
la fourchette qui sera établie plus avant. Les fourchettes demeurent des guides pour les
juges et, lorsque les circonstances le justifient, il est possible d’imposer une peine se situant
à l’extérieur de cette dernière, que ce soit vers le haut ou vers le bas.
[15] Quant au principe de globalité de la peine, il doit aussi être examiné afin que
l’ensemble des peines, si le Tribunal décide d’imposer des peines à être purgées de façon
consécutive, ne soit pas excessif en dépassant la responsabilité criminelle du délinquant.
[16] Au final, un exercice tenant compte de l’ensemble des principes, objectifs et facteurs
ainsi que de leurs importances relatives devrait amener le Tribunal à imposer une peine
juste, proportionnée et personnalisée.
une suggestion qu’il croit trop ou non suffisamment sévère1. Le juge peut intervenir s’il est
convaincu que ce qui est proposé est contraire à l’intérêt public, ce qui représente un
fardeau élevé2.
[18] Si le juge arrive à une telle conclusion, il doit offrir aux parties la possibilité
d’expliciter leurs positions quant à cette recommandation. Si ces explications ne changent
pas l’avis du juge, ce dernier peut permettre au délinquant de retirer son plaidoyer ou
imposer la peine qu’il estime appropriée, c’est l’état du droit canadien.
[19] Il faut cependant garder en tête, les propos de la Cour suprême sur l’importance et
la valeur des recommandations communes, tel que mentionnées dans l’arrêt Nixon3 :
« Compte tenu de cette nécessité pratique, l’effet obligatoire des ententes sur le
plaidoyer est une question d’importance capitale en ce qui a trait à l’administration
de la justice. Il va sans dire que c’est par le biais de telles ententes que l’on règle la
grande majorité des affaires pénales au Canada, et qu’elles contribuent donc à
rendre le système de justice pénale équitable et efficace. »
[20] Les avantages sont certains pour chacune des parties. Il n’y a pas de certitude en
droit criminel. Personne ne peut prévoir le déroulement des procédures, que ce soit lors de
l’enquête préliminaire et particulièrement lors du procès. Considérant le lourd fardeau qui
incombe au ministère public de démontrer, hors de tout doute raisonnable, la culpabilité
d’un accusé sur tous les éléments constitutifs d’une infraction. De plus, la reconnaissance
de la culpabilité d’un accusé, par son plaidoyer, peut aussi être un facteur important pour
les victimes.
[21] Pour un accusé, il y a aussi des avantages. Sa reconnaissance de culpabilité entraine,
habituellement, la recommandation d’une peine plus clémente que celle qu’il pourrait
recevoir suite à un procès4.
[22] Cet allègement de peine trouve sa source dans la reconnaissance de culpabilité, qui
elle se traduit par un début de réhabilitation chez l’accusé, puisqu’il reconnait ses torts et,
aussi, en économisant des ressources judiciaires qui sont, pour notre district, dans un état
critique. De plus, les victimes n’ont pas à témoigner. Tout cela doit être reconnu et pris en
compte dans l’exercice qui m’occupe.
LA SITUATION DU DÉLINQUANT
[23] M. Boisclair est âgé de 56 ans. Il a occupé de nombreux postes publiques. En 2013, il
a vécu une situation professionnelle difficile et a dû entamer des procédures civiles. Cela
l’amène à consommer des médicaments, il consommait également des stupéfiants.
1
R. c. Blondeau, QCCA 2018, paragr. 50.
2
R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.
3
R. c. Nixon, 2011 CSC 34, paragr. 47.
4
R. c. Anthony-Cook, supra, paragr. 36.
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LES FACTEURS
[27] Les facteurs atténuants sont les suivants :
Il est sans antécédents judiciaires;
Il enregistre des plaidoyers de culpabilité, avant la tenue d’une enquête
préliminaire ou du procès ce qui a évité aux victimes de témoigner;
Il a entrepris une thérapie pour la consommation de stupéfiants et un suivi
thérapeutique;
Il bénéficie de support de la part de sa famille et de ses amis. Ceci indique qu’il
n’est pas isolé et que des gens seront là pour l’aider pendant sa réinsertion
après la détention. Cela diminue d’autant les risques de récidives et de
rechutes;
Il a toujours été un actif pour la société;
Il a fourni une lettre d’excuses aux victimes;
Bien que je ne possède pas de rapport présentenciel, par les démarches
effectuées par M. Boisclair, je suis satisfait que le risque de récidive qu’il
représente, est bien encadré, sinon faible.
[28] Les facteurs aggravants sont les suivants :
Il y a deux agressions;
Les lourdes et difficiles conséquences avec lesquelles les victimes doivent
composer;
Même s’il ne s’agit pas d’un abus de confiance tel que définit 718.2 a) (iii) du
Code criminel, je suis d’avis que le statut de M. Boisclair est un facteur qui lui
a permis de faire la rencontre des deux victimes;
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[29] Finalement, la couverture médiatique est un facteur neutre. Il est fort possible que
si l’accusé avait été inconnu du publique, il aurait vécu son passage devant la justice dans
un anonymat complet, comme c’est souvent le cas. M. Boisclair est connu puisqu’il a occupé
de nombreux postes prestigieux, il est une personnalité publique, cela vient avec de grandes
responsabilités et aussi son lot d’inconvénients5.
LES FOURCHETTES
[30] Il est certain que tout exercice de comparaison possède des limites concrètes, mais
des décisions possédant des situations factuelles qui s’apparentent à ce qui a été présenté,
peuvent informer et aider à définir une fourchette appropriée. Il est certain que je ne ferai
pas un survol de l’ensemble de la jurisprudence en la matière, mais certaines décisions sont
évidemment pertinentes.
[31] Le principe établi par notre Cour d’appel est que, pour des infractions de nature
sexuelles, la règle est habituellement, mais pas toujours6, une période de détention ferme7.
[32] Dans la décision Côté, notre Cour d’appel indique qu’une peine de 18 mois est
appropriée pour une personne qui a pénétré une victime inconsciente alors qu’il était
accompagné de son frère8.
[33] La Cour d’appel dans la décision Oum, rappelle qu’une seule agression, ici d’avoir
touché le clitoris d’une colocataire qui était endormie et d’avoir procédé à une pénétration
digitale, doit se retrouver dans une fourchette de 12 à 20 mois9. La Cour confirme d’ailleurs
la peine imposée en première instance de 18 mois de détention10.
[34] De plus, les auteurs Parent et Desrosiers11 rappellent que les peines de moins de 24
mois de détention sont appropriées lorsqu’il s’agit d’un évènement unique, de gravité
objective moindre et qui ne concerne qu’une seule victime. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une
règle absolue et il est nécessaire que les peines soient individualisées aux circonstances
particulières de chaque dossier et aussi au délinquant. Tel que le disait le juge Tremblay de
notre Cour :
« La disparité des peines reflète bien l’attention que portent les juges aux
particularités de chacun des dossiers. Parmi les circonstances retenues pour les
peines sévères, on retrouve : le nombre et l’âge des victimes, la quantité, la nature et
la durée des attouchements, la gravité des séquelles chez les victimes, la
vulnérabilité de certaines victimes et la présence d’antécédents judiciaires » 12.
5
R c. Savard, 2016 QCCA 381, paragr. 20.
6
R. c. Gravel, 2018 QCCQ 1114 paragr. 15
7
R. c. Nguyen, 2005 QCCA, paragr. 10 à 19.
8
R. c. Côté, 2014 QCCA 2083, paragr. 22 à 25.
9
R. c. Oum, 2021 QCCA 462, paragr. 54 et 55.
10
R. c. Oum, 2019, QCCQ 5791.
11
Hugues PARENT, Julie DESROSIERS, Traité de droit criminel, Tome III, La Peine, Ed Thémis.
12
R. c. Labranche, 2019, QCCQ 6623, paragr. 25.
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[35] Il est nécessaire de revenir sur l’expression de gravité objective moindre. Cette
expression ne doit pas être comprise comme niant les conséquences dévastatrices qu’ont
subis et subissent encore les victimes. Cependant, nous ne sommes pas face à un dossier
ou les agressions ont duré plusieurs années et où les gestes posés seraient plus graves ou
plus intrusifs encore.
[36] Considérant la panoplie des peines qui ont été imposées par le passé, je suis
convaincu que la suggestion faite se retrouve dans les fourchettes établies, et ce, pour les
deux accusations.
ANALYSE
[37] Dans un premier temps, je salue le courage des victimes d’avoir fait leurs dépositions
aux autorités et aussi, d’avoir fait la lecture de leurs déclarations respectives, en salle de
cour. Malheureusement, il n’y a rien que je puisse dire dans cette décision qui pourrait
changer quoi que ce soit et apaiser leurs souffrances. Je leur souhaite que celles-ci
diminuent et qu’ils puissent croiser, dans le futur, des personnes bienveillantes.
[38] Doit-on faire une hiérarchie dans les gestes de nature sexuelle répertoriés dans les
dossiers d’agressions sexuelles ? En d’autres mots, une pénétration digitale est-elle moins
blâmable qu’une pénétration pénienne ? La réponse est non. Sur ce propos, je fais mien le
raisonnement de mon collègue Mascia, de notre Cour, dans la décision Toure13.
[39] Il indique :
« En somme, toute infraction d’ordre sexuel est grave, et même des attouchements
légers non consensuels de nature sexuelle peuvent avoir de lourdes conséquences
pour la victime. La conception moderne des infractions d’ordre sexuel exige que l’on
mette davantage l’accent sur les formes de préjudice émotionnel et psychologique,
plutôt que sur l’intégrité physique seulement » 14.
[40] Toujours dans la même décision, il écrit :
« En somme, la gravité d'un délit sexuel ne doit pas être jugée simplement en établissant
une distinction entre la pénétration du pénis et la pénétration par d'autres parties du corps
ou objets. Quel que soit le moyen utilisé pour la pénétration, la gravité de l’agression doit
être évaluée en fonction de toutes les circonstances (aggravantes et atténuantes) plutôt que
par une distinction artificielle et souvent trompeuse entre la pénétration pénienne et les
autres moyens de pénétration. Ensuite, la reconnaissance des impacts préjudiciables que
l’agression sexuelle a sur ses victimes (même adultes) fait en sorte que les Tribunaux
doivent se montrer plus sévères que dans le passé dans l’imposition de la peine » 15.
[41] Les gestes posés par le délinquant sont hautement répréhensibles. S’attaquer ainsi
à des personnes, blesse le plus profond de leurs intégrités et de leurs dignités. Il n’est pas
13
R. c. Toure, 2022 QCCQ 772, paragr. 74 à 78.
14
Supra, paragr. 78.
15
Supra, paragr. 80.
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étonnant, dans les circonstances, d’avoir entendu les deux victimes relater les
conséquences avec lesquelles elles ont dû et doivent encore composer aujourd’hui. Cet état
de fait amène le Tribunal à considérer en premier lieu, les facteurs de dénonciation et de
dissuasion, c’est-à-dire indiquer au délinquant et à la population, le caractère grandement
délictuel des actes et, du même souffle, imposer une peine qui aurait pour effet de
décourager le délinquant et les membres de la société de se conduire de la même façon.
Évidemment, lorsque nous regardons ces deux principes, ils militent pour l’imposition d’un
terme d’emprisonnement ferme.
[42] Il en va de même du principe de déterminer si le délinquant doit être isolé du reste
de la société. Ici également, la réponse est positive.
[43] Par ses plaidoyers de culpabilité, le délinquant démontre un début de
reconnaissance des torts causés envers les victimes. Il en est de même pour les différentes
thérapies et suivis qu’il a entrepris. Je comprends des remarques faites par les deux
procureurs que le progrès est réel et que les démarches continuent. Cela augure bien pour
un autre principe, celui d’assurer la réparation des torts causés. Il est bien évident que le
passé ne peut être effacé ou modifié, mais les démarches entreprises peuvent, dans une
certaine mesure, prévenir le risque de récidive et ainsi favoriser la réinsertion sociale du
délinquant, puisque la réhabilitation demeure, encore et toujours, un objectif important de
la détermination de la peine.
[44] Dans cette optique, le support que M. Boisclair reçoit de la part de sa famille et de
ses amis est aussi important pour assurer sa réinsertion sociale. En effet, au terme de sa
période de détention, il sera bien entouré, ce qui limite les risques de rechute et du même
coup, de récidive.
[45] Bien qu’il y ait plusieurs facteurs atténuants, ceux-ci ne peuvent diminuer
l’importance des principes de dénonciation et de dissuasion au point ou la peine serait autre
que celle proposée. D’aucun pourrait prétendre que la peine aurait pu être plus sévère après
un procès, c’est possible. La peine suggérée se trouve à l’intérieur des fourchettes identifiées
plus haut. Elle tient compte des facteurs atténuants et aggravants et m’apparait tenir
compte de l’ensemble des faits et de la situation du délinquant. Il y a pleine reconnaissance
de culpabilité et la peine proposée m’apparaît juste, proportionnée et personnalisée. Je vais
donc y donner suite.
CONCLUSIONS
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
CONDAMNE le délinquant, André Boisclair, dans le dossier 500-01-205651-208, à
une peine d’incarcération de 18 mois;
500-01-205651-208; 500-01-213049-205 PAGE : 9
Pierre
ce, à perpétuité. Signature numérique
de Pierre Labelle
Me Jérôme Laflamme
Au nom de la poursuivante
Sa Majesté la Reine
Me Michel Massicotte
Au nom du délinquant
André Boisclair