CI 2020 - Droit Public
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CI 2020 - Droit Public
Concours interne
1ère épreuve d’admissibilité : Droit public
NOTE
à l’attention du cabinet du ministre
S/C du directeur
Objet : opportunité d’adresser aux préfets une circulaire afin de leur demander de systématiquement déférer au
juge administratif les arrêtés municipaux concurrençant l’exercice d’une police spéciale dévolue aux autorités
étatiques.
Les enjeux actuels, qu’ils soient sanitaires ou environnementaux, conduisent les autorités publiques, tant
nationales que locales, à faire un usage plus soutenu de l’un des outils à leur disposition : les pouvoirs de police
administrative.
Qu’il s’agisse de garantir l’ordre public dans ses trois composantes classiques que sont la tranquillité, la sécurité et
la salubrité ou de prendre des mesures plus spécifiques fondées sur un texte catégoriel (police des immeubles
menacant ruine, police des débits de boisson, police de l’environnement…), les actes de police administrative
s’additionnent au sein de l’ordonnancement juridique sous forme de mesures de police administrative générale et
de police administrative spéciale, nationales et locales. Cette superposition d’actes conduit nécessairement à
l’apparition de concours de polices, notamment de polices administratives spéciales. Ces cas, où deux normes se
concurrencent sur un même sujet menacent la clarté et l’efficacité de tout l’édifice juridique et doivent donc être
solutionnés. L’exercice, par les préfets de département, de leur déféré préfectoral peut-être l’une des voies
permettant cette solution.
Ainsi, dans un contexte où de nombreux maires ont fait usage de leurs pouvoirs de police pour faire face à la crise
sanitaire et où les contertations environnementales sont multiples (5G, produits phytosanitaires), il y a lieu de se
questionner sur l’opportunité que soit adressée aux préfets une circulaire leur demandant de systématiquement
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déférer au juge les arrêtés municipaux qui viendraient concurrencer l’exercice d’une police spéciale dévolue aux
autorités étatiques.
La présente note vise à analyser la faisabilité de ce projet (I) et à proposer les axes principaux autour desquels une
telle circulaire pourrait s’articuler (II).
I S’il est nécessaire d’encadrer les concours de polices administratives concurrencant l’exercice d’une police
spéciale étatique afin de garantir l’efficacité des politiques publiques et dispositifs nationaux, une circulaire
demandant aux préfets de faire systématiquement usage de leur pouvoir de déférer n’est pas dénuée de
risques contentieux.
A. L’exercice des pouvoirs de police administrative par l’échelon local, élément central de la
décentralisation, ne doit pas conduire à une mise en échec des politiques publiques et dispositifs
nationaux.
1. L’existence d’un pouvoir de police fait partie intégrante de la décentralisation. Le maire est ainsi chargé
par les articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT) de pouvoirs de
police municipale, générale et spéciale, à exercer sur le territoire de sa commune.
Ces pouvoirs font partie du pouvoir normatif des collectivités, lequel est une composante de leur libre
administration.
2. Les autorités publiques locales ne sont pas les seules à disposer de pouvoirs de police. En effet, les
autorités nationales, au premier rang desquelles se trouve le Premier ministre, sont également dotées d’un
pouvoir réglementaire, pouvant prendre la forme d’un pouvoir de police administrative. Ainsi, la loi du 23
mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a doté le Premier ministre de nouveaux
pouvoirs de police spéciale lui permettant, après déclaration de l’état d’urgence sanitaire, d’imposer sur
l’ensemble du territoire national d’importantes restrictions de déplacements, des mises en quarantaine,
des fermetures d’établissements (mesures listées par l’article L. 3131-15 du code de la santé publique). Les
autorités déconcentrées de l’État peuvent prendre toutes mesures permettant l’application dans les
territoires de cette police spéciale dévolue au Premier ministre.
3. L’existence de ces deux niveaux de police, locale et étatique, expose à la survenance de concours de
polices portant en eux plusieurs risques :
- Les matières objets d’une police administrative spéciale étatique sont souvent très techniques. Les
mesures prises sont précédées d’une expertise scientifique qui n’est pas disponible au niveau local.
C’est notamment le cas en matière d’urgence sanitaire (L. 3131-13 CSP).
- Certaines des polices spéciales étatiques interviennent dans des matières pour lesquelles l’État est
lié par le droit de l’Union Européenne, rendant impossible une déclinaison locale de ces polices (en
matière de produits phytosanitaires ou d’OGM).
- Les actes pris par l’échelon communal sont exécutoires dès publication et transmission au contrôle
de légalité (article L. 2131-1 CGCT), rendant immédiats leurs effets et risquant ainsi de brouiller
rapidement la lisibilité des normes, de rompre l’égalité entre territoires et de mettre en échec des
dispositifs nationaux ne pouvant souffrir d’exceptions locales (politique sanitaire, aménagement du
territoire).
4. Face à ces risques, le recours au juge est une arme efficace. La jurisprudence administrative classique a
de longue date élaboré des règles permettant de résoudre les conflits de polices administratives :
- Une autorité de police de niveau inférieur ne peut qu’aggraver la mesure prise par l’autorité de
rang supérieur. Il ne lui est pas possible de l’assouplir. Cette solution, qui permet de préserver
l’efficacité de la mesure supérieure, n’est pas sans risque pour les libertés individuelles et doit
obligatoirement être justifiée par des circonstances locales (Conseil d’Etat, 1902, Commune de
Neris-Les-Bains)
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- Les autorités publiques exercant leur pouvoir de police ne peuvent s’affranchir des règles limitant
leur champ de compétences, et ce même en se fondant sur le principe de précaution de l’article 5
de la Charte de l’environnement (CE, 2012, Commune de Valence)
- La police spéciale instituée en matière d’urgence sanitaire tend à garantir cohérence et efficacité
du dispositif de lutte contre l’épidémie de covid-19. Elle fait obstacle à l’exercice du pouvoir de
police générale du maire, sauf raisons impérieuses tenant aux circonstances locales, sans pour
autant compromettre l’efficacité du dispositif national.
B. L’encadrement de l’exercice local des pouvoirs de police concurrençant l’exercice d’une police spéciale
étatique par voie de circulaire demandant un recours systématique au déféré préfectoral est porteur de
risques contentieux forts.
1. Prévu par l’article L. 2131-6 du CGCT, et pouvant être accompagné d’une demande de suspension, le
déféré préfectoral est un outil efficace compte tenu de la jurisprudence en matière de concurrence par
l’échelon local de la police spéciale dévolue à l’État (I.A.4.).
2. Pour autant, une circulaire demandant aux préfets d’en faire un usage systématique face à des cas de
concurrence risquerait de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, comme le permet la
jurisprudence du Conseil d’État DUVIGNÈRES (2002) en matière de circulaire impérative.
En effet, un écrit du ministre, supérieur hiérarchique des préfets leur donnant instruction de toujours tenir
la même attitude face à un acte déterminé risque fort d’être qualifié de circulaire impérative par le juge.
Le prétoire étant ouvert, des requérants potentiels (associations d’élus) devront démontrer son illégalité.
Son caractère systématique, supposant un déféré contre toute mesure locale concurrencant une mesure
de police spéciale étatique pourrait faire risquer son annulation dans la mesure où ce type de mesure locale
n’est pas interdit par principe :
- Le Conseil d’État (2020, Commune de Sceaux) admet que le maire puisse user de son pouvoir de police
en cas de raisons impérieuses liées à des circonstances locales, même si s’exerce une police spéciale
dévolue à l’Etat.
- Le tribunal administratif de Montreuil (3 mars 2020, Préfet de la Seine-Saint-Denis) admet, en raison
de circonstances locales particulières et compte tenu de l’absence de mesures prises par les autorités
chargées de la police spéciale, que le maire face usage de son pouvoir de police générale. Même s’il
ne s’agit que d’un jugement de première instance, la jurisprudence du Conseil laisse penser que des
mesures de police locales pourraient légalement être adaptées dans le champ d’une police spéciale de
l’État.
II. Une circulaire plus large, rapplant les enjeux et les marges de manœuvre des collectivités territoriales, et
incitant à la conduite d’un dialogue local dense au sein du couple maire-préfet en matière de police
administrative serait à privilégier
A. La circulaire adressée aux préfets pourra leur proposer une grille d’analyse des arrêtés municipaux de
police administrative pouvant aller jusqu’à l’exercice du déféré préfectoral en cas de risque avéré pour la
cohérence d’ensemble des dispositifs nationaux.
1. Le choix d’une rédaction souple, non impérative, et renvoyant à l’appréciation locale des situations par
les préfets sera privilégié. En plus de fermer la porte à un éventuel recours pour excès de pouvoir et à ses
conséquences en termes de relations État-territoires, cette rédaction permettra une marge de manœuvre
dans chaque département, participera à une action de l’Etat moins centralisée et permettra aux préfets
d’enclencher un dialogue avec les élus qui ne soit pas biaisé par la certitude de voir les actes envisagés
déférés.
2. Après avoir rappelé les enjeux et les risques de ces concours de police, la circulaire pourrait encourager
les préfets à ouvrir le dialogue avec les élus exprimant l’envie d’adapter des mesures de police dans le
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champ de la police spéciale dévolue à l’Etat. Ce dialogue sera l’occasion d’insister sur la nécessité de
circonstances locales solides et sur la vigilance à avoir vis-à-vis de l’efficacité des politiques publiques et
dispositifs nationaux.
3. Le déféré ne pourrait être envisagé qu’après étude fine des circonstances locales, jugées insuffisantes,
et qu’en cas de risque avéré pour l’efficacité des dispositifs nationaux.
4. Il pourrait être demandé aux préfets de cibler leurs contrôles sur les trois domaines qualifiés de
prioritaires pour le contrôle de légalité par la circulaire du 25 janvier 2012. Au besoin, cette dernière
pourrait être mise à jour.
B. La circulaire destinée aux préfets pourrait utilement être complétée d’une partie consacrée au dialogue
avec les élus locaux, inspirée de certaines pratiques observées pendant la crise sanitaire, et permettant
de prévenir les conflits de polices administratives locales et nationales.
1. Bien avant que naissent les possibles concours de police, un dispositif permettant un dialogue ancré,
régulier et formalisé entre les élus et les services déconcentrés de l’État, dans les domaines qui s’y prêtent
et qui donnent lieu à conflits, pourrait être généralisé sur la base de pratiques observées en préfecture
pendant la crise sanitaire :
- L’instauration d’un comité territoriale thématique (sanitaire, environnement, aménagement du
territoire…), présidé par le préfet, permettrait de faire connaître les enjeux des dispositifs nationaux qui ne
doivent pas être mis en échec par des mesures locales. En retour, il permettrait d’identifier les points de
blocage et les irritants locaux. Sa réussite sera conditionnée par le niveau de représentation et par sa
capacité à ne pas être absorbé par les sujets trop techniques que les services locaux et déconcentrés
seraient tentés d’y faire évoquer.
- Une lettre électronique aux élus, adressée très régulièrement, pour faire connaître les évolutions du
droit sur un sujet donné et la position qu’entend tenir le préfet. Adressée chaque jour par certaines
préfectures pendant le confinement et le déconfinement, elle permet de répondre aux questions les plus
courantes. Rédigée pendant la crise sanitaire par les services de protection civile et de gestion de crise, elle
a notamment permis de renseigner les maires sur leurs options en matière de police administrative. Il est
à noter que ce type d’outil électronique est à manier avec prudence compte tenu des évolutions récentes
en matière de droit souple (CE, 2020 GISTI qui étend la jurisprudence CE 2016 FAIRVESTA).
- Un numéro de téléphone dédié aux élus locaux a pû être ouvert pendant la crise sanitaire par les services
de cabinet des préfets de département. Il a essentiellement permis des échanges rapides et informels sur
l’étendue des mesures de police spéciales prises par l’État et sur les conséquences à l’échelle communales.
Il a ainsi été utile pour dissuader la prise d’arrêtés municipaux plus restrictifs et non justifiés.
Si en période « normale », ces conseils sont donnés par chaque service, le numéros dédié pourrait trouver
à se généraliser en période de crise donnant lieu à l’adoption de mesures de polices administratives locales.
2. Ces dispositifs de dialogue très en amont sont encouragés par la Cour des Comptes dans ses rapports
sur l’exercice du contrôle de légalité, notamment avec les collectivités de petites tailles.
3. Ce dispositif préventif, en ce qu’il peut éviter des déférés, semble d’autant plus nécessaire que les
éffectifs de préfectures et sous-préfectures en charge du contrôle de légalité ont été réduits par les
différentes réformes de l’État, rendant indispensable le ciblage des actes contrôlés et déférés (1350 ETPT
en 2008, 885 ETPT en 2016).