Addiction Aux Jeu Video

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 3

REVUE MÉDICALE SUISSE

Addiction aux jeux vidéo, que du virtuel ?


Drs Gabriel Thorens a, Sophia Achab a, Stephane Rothen a, Prs Yasser Khazaal a et Daniele Zullino a

Rev Med Suisse 2016 ; 12 : 1554-6

Les jeux vidéo sont largement pratiqués. Des questions autour JEUX VIDÉO, DÉFINITION
des risques de santé qu’ils peuvent engendrer se posent, notam-
ment sur le risque d’addiction. S’il n’existe pas à l’heure actuelle Avec la technologie, les jeux vidéo se sont complexifiés et les
de diagnostic officiel d’addiction aux jeux vidéo, le DSM-­5 pro- tentatives de classification peuvent devenir laborieuses. Wiki­
pose des critères provisoires basés sur ceux de l’addiction aux pedia propose une définition générale : « jeu électronique qui
jeux d’argent et de hasard. L’addiction aux jeux vidéo touche une implique une interaction humaine avec une interface utilisa-
minorité d’individus à risque. Les traitements proposés sont teur dans le but de générer un retour visuel sur un dispositif
­essentiellement psychothérapeutiques. L’accent est mis sur le vidéo ». Il faut ensuite savoir sur quel support ils sont prati-
fait que les jeux vidéo peuvent être pratiqués de manière non qués : ordinateur, console de jeu, smartphone. Ces supports
problématique et qu’ils peuvent avoir également de potentiels peuvent être en ligne (connectés au web avec la possibilité de
effets bénéfiques sur les individus. Il est donc recommandé, lors jouer avec d’autres joueurs) ou hors ligne (les joueurs contre
d’une évaluation d’une pratique à risque des jeux vidéo, de l’intelligence artificielle du jeu). Les jeux sont ensuite classés
prendre en compte les impacts positifs et négatifs de cette utili- par genre. Voici une liste des genres les plus populaires et
sation de manière nuancée. ­potentiellement les plus à risque de mésusage :
• Les jeux de rôle massivement multijoueurs en ligne
(MMORPG) : les joueurs incarnent un avatar qui va pro-
Is video game addiction a reality ? gresser en réalisant des quêtes en interaction avec d’autres
Video games are widely practiced. Questions about their potential joueurs. Les joueurs sont regroupés par guilde (exemple :
health risks arise, including the risk of addiction. If there is at present World of Warcraft).
no official diagnosis of video games addiction, the DSM-­5 proposes • Les arènes de bataille en ligne multijoueurs (MOBA). Il
temporary criteria based on pathological gambling. Video game s’agit de jeux de combat où deux équipes de 3 à 5 joueurs
­addiction affects a minority of at risk individuals. The proposed treat- s’affrontent dans des matchs sur un terrain défini (exemple :
ments are essentially psychotherapeutic. Video games practices can League of Legends).
be non problematic and they may also have potential beneficial • Jeu de tir à la première personne (FPS) : les joueurs incar­
­effects on individuals. It is therefore recommended, when assessing nent un avatar en vision subjective. Ces jeux sont fondés
video games practices, to take into account the positive and negative sur les combats de ces avatars (exemple : Call of Duty).
impacts of their use.
Il existe d’autres catégories comme les simulateurs, jeux de
plateforme, etc. Nous verrons dans le chapitre suivant que
INTRODUCTION ­selon le type de jeu, le risque de développer un mésusage est
plus ou moins important.
La pratique des jeux vidéo est aujourd’hui incontournable. Si
les premiers jeux vidéo étaient réservés à une niche de férus
d’informatique, très rapidement leur succès commercial a RISQUE DE DÉVELOPPER UNE ADDICTION
touché toutes les couches de la population. Aujourd’hui, avec
la pénétration sur le marché des smartphones et l’accès inter-
AUX JEUX VIDÉO
net généralisé, l’usage des jeux vidéo se démocratise. Aux Toute substance ou comportement pouvant potentiellement
Etats-­Unis, l’Entertainment software association fait un rapport entraîner une addiction vont agir sur le centre du renforce-
annuel sur l’utilisation des jeux vidéo.* En 2016, 63 % des ment :1 les substances addictives par une action neurobiolo-
­ménages interrogés ont au moins un individu qui pratique les gique directe, et les comportements comme le jeu patholo-
jeux vidéo 3 heures par semaine ou plus, la moyenne d’âge du gique sous forme de récompenses répétées aléatoires. Les
joueur est de 35 ans et les jeux les plus pratiqués sont les jeux mécanismes pouvant entraîner une addiction aux jeux vidéo
dits casual (puzzle, cartes…). sont essentiellement à chercher dans la façon dont les récom-
penses virtuelles sont distribuées aux joueurs. En effet, si l’on
Dès lors qu’une pratique devient populaire, des enjeux fait une comparaison avec des jeux d’argent et de hasard, la
­sociaux apparaissent, notamment l’impact de ces pratiques plupart des jeux vidéo fonctionnent sous forme de récom-
sur la santé. Dans cet article, nous allons nous intéresser au penses (argent virtuel, équipement virtuel, etc.). Ces récom-
potentiel risque de mésusage et d’addiction des jeux v­ idéo. penses sont distribuées de manière rapide qui rappelle les
machines à sous, il s’agit d’une forme de conditionnement
a Centre ambulatoire d’addictologie psychiatrique (CAAP), HUG, 70C rue Grand opérant.2 A cela s’ajoutent, comme dans le jeu pathologique,
Pré, 1202 Genève d’autres éléments renforçateurs du comportement comme
gabriel.thorens@hcuge.ch | sophia.achab@hcuge.ch | stephane.rothen@hcuge.ch les interactions sociales entre joueurs (appartenance à un
yasser.khazaal@hcuge.ch | daniele.zullino@hcuge.ch groupe et sentiment d’obligation de réaliser certaines tâches
* http://essentialfacts.theesa.com/Essential-­Facts-­2016.pdf dans le jeu) ou la compétition.

WWW.REVMED.CH
1554 21 septembre 2016

1554-6_39388.indd 1554 15.09.16 09:09


psychiatrie

Dès lors, la probabilité de développer un usage problématique TRAITEMENT


est dépendante du type de jeu pratiqué. Par exemple, les
MMORPG offrent un système de récompenses aléatoires Le diagnostic n’étant pas officiellement reconnu, il n’existe
­rapides, couplé à un engagement social important comme le bien évidemment aucun traitement pharmacologique enre­
fait de devoir être membre d’une guilde de joueurs pour gistré pour le jeu vidéo. Le traitement principal consiste donc en
­progresser.3 Les MMOPRG sont parmi les jeux qui entraînent une prise en charge psychothérapeutique, dérivée du traitement
potentiellement un mésusage. des addictions. Les approches cognitivo-­comportementales, les
techniques d’entretien motivationnel, et des modèles de prise
Le risque d’un engagement problématique est aussi fonction en charge groupale sont les traitements actuellement propo-
des motivations décrites par le joueur. Ainsi, le fait de vouloir sés. Une revue des traitements d ­ isponibles révèle l’hétéro­
aller au bout du jeu (Achievement) ou celui de fuir la réalité du généité des pratiques et le manque d’évaluations communes.11
quotidien (Escapism) sont des éléments pouvant amener un
mésusage des MMORPG.4 Les traitements proposés diffèrent d’un pays à l’autre. Une
abstinence totale des jeux vidéo est souvent proposée dans
les pays asiatiques, reproduisant le modèle de la cure addic­
DÉFINITION DE L’USAGE PROBLÉMATIQUE tologique. Ce modèle de la cure amenant à l’abstinence (mise
à l’abri du patient pour une période déterminée) pour les
Si la prévalence du jeu pathologique et l’impact concret que ­addictions classiques est actuellement remis en question tant
ce trouble a sur les individus et leur famille (endettement, co- au niveau de son coût que de son efficacité.
morbidités psychiatriques, ennuis avec la justice, etc.) sont
bien décrits dans la littérature,5 il n’en va pas de même pour le Des modèles de diminutions de consommation progressive ou
mésusage des jeux vidéo. Cela peut paraître trivial, mais si de consommation contrôlée sont des alternatives efficaces. Dans
l’on veut considérer un comportement comme problémati­que, le cadre de la pratique du jeu vidéo, une pratique modérée en
il faut nécessairement qu’il y ait des répercussions négatives harmonie avec les objectifs de vie des individus semble plus
sur l’individu ou son entourage, et qu’il ne s’agisse pas simple- ­raisonnable que l’abstinence complète. Cette approche semble
ment d’un changement sociétal dû à l’évolution technologique particulièrement intéressante au vu de l’importance des produits
(l’impact de la radio sur la santé n’est plus discuté). connectés et d’internet dans la vie quotidienne. Si besoin, une
des options de traitement est celle de renoncer uniquement aux
Bien que cela soit artificiel et parfois peu représentatif de la jeux vidéo considérés comme les plus problématiques
réalité, pour chaque description d’une pathologie, il est utile
pour la compréhension du trouble d’isoler un élément
­distinct, il en va de même pour la pratique des jeux vidéo. En PERSPECTIVES ET ENJEUX
effet, celle-­ci s’inscrit bien évidemment dans une pratique
plus large des écrans (internet, télévision, smartphone, etc.) Un courant se dégage pour l’utilisation des jeux vidéo pour pro-
et in fine du mode de vie de l’individu. diguer des soins ou contribuer à la psychoéducation (­Serious
Games).12 On voit donc que la pratique du jeu vidéo se situe
Pour le jeu vidéo, caractériser les pratiques est plus laborieux. dans un continuum d’effets bénéfiques et d’effets n ­ égatifs.
A quel moment franchit-­on la barrière symbolique de la pra-
tique récréative pour aller vers un usage problématique ?
Cette question représente un réel défi pour les addictologues. Critères provisoires du DSM-­5, sous
Tableau 1 forme de questions de dépistage
Une tentative de réponse est celle d’appliquer les critères du
Le diagnostic est positif si 5 items sur les 9 sont présents
jeu pathologique aux jeux vidéo. Dans l’annexe du DSM-­5,6,7
une proposition de critères d’addiction aux jeux vidéo a été 1. Passez-­vous beaucoup de temps à penser aux jeux vidéo, y compris quand
vous ne jouez pas, ou à prévoir quand vous pourrez jouer à nouveau ?
proposée. Si ces critères sont critiqués par une partie de la 2. Lorsque vous tentez de jouer moins ou de ne plus jouer aux jeux vidéo, ou
communauté scientifique,8 le fait qu’ils soient mentionnés lorsque vous n’êtes pas en mesure de jouer, vous sentez-­vous agité, irritable,
dans la référence des diagnostics des troubles psychia- d’humeur changeante, anxieux ou triste ?
triques va, de facto, leur donner une importance clinique. 3. Ressentez-­vous le besoin de jouer aux jeux vidéo plus longtemps, de jouer à
des jeux plus excitants, ou d’utiliser du matériel informatique plus puissant,
Ces critères sont au nombre de 9 (tableau 1). Le diagnostic pour atteindre le même état d’excitation qu’auparavant ?
est positif si cinq des neuf critères sont remplis sur une 4. Avez-­vous l’impression que vous devriez jouer moins, mais que vous n’arrivez
­période de 12 mois. pas à réduire votre temps de jeux vidéo ?
5. Avez-­vous perdu l’intérêt ou réduit votre participation à d’autres activités
(temps pour vos loisirs, vos amis) à cause des jeux vidéo ?
6. Avez-­vous continué à jouer aux jeux vidéo, tout en sachant que cela entraînait
chez vous des problèmes (ne pas dormir assez, être en retard à l’école / au
PRÉVALENCE DU TROUBLE travail, dépenser trop d’argent, se disputer, négliger des choses importantes
à faire) ?
Les études de prévalence9 qui appliquent ces critères mon­ 7. Vous arrive-­t‑il de cacher aux autres, votre famille, vos amis, à quel point vous
trent une prévalence dans les pays asiatiques d’environ 8 % jouez aux jeux vidéo, ou de leur mentir à propos de vos habitudes de jeu ?
chez les adolescents masculins et 4,5 % chez les femmes. Les 8. Avez-­vous joué aux jeux vidéo pour échapper à des problèmes personnels, ou
pour soulager une humeur dysphorique (exemple : sentiments d’impuissance,
études européennes10 montrent des prévalences moins éle- de culpabilité, d’anxiété, de dépression) ?
vées (1,2 %). Mais à l’heure actuelle, les études de prévalence 9. Avez-­vous mis en danger ou perdu une relation affective importante, un
restent limitées par l’absence de consensus sur les critères travail, un emploi ou des possibilités d’étude à cause des jeux vidéo ?
diagnostiques et les outils de mesure. (D’après réf.7).

www.revmed.ch
21 septembre 2016 1555

1554-6_39388.indd 1555 15.09.16 09:09


REVUE MÉDICALE SUISSE

La frontière entre jeu vidéo et jeu d’argent devient perméable. classiques, comme la prohibition ou à l’inverse l’accès libre et
La gamification des jeux d’argent et de hasard tente de s’ap- non réglementé au produit. Pour les jeux vidéo, leur utilisa-
puyer sur le succès des jeux vidéo pour attirer plus de joueurs tion potentiellement bénéfique soulève le double enjeu de la
et inversement les modèles du gambling sont appliqués au jeu promotion d’utilisation bénéfique et de la prévention des
vidéo, comme les jeux dits free to play qui sont gratuits à la usages à risque.
base mais qui peuvent aboutir à des investissements d’argent
importants de la part des joueurs.13
Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation
avec cet article.
Les évolutions technologiques rapides, comme par exemple
les casques de réalité virtuelle, peuvent à la fois laisser
craindre une augmentation du risque d’addiction, liée à
­l’aspect immersif intense de cette nouvelle technologie, et Implications pratiques
donner de l’espoir à la généralisation des traitements psy­
chothérapeutiques d’exposition aux phobies. Il n’existe pas de diagnostic officiel d’addiction aux jeux vidéo,
le DSM-­5 propose des critères provisoires basés sur les critères
du jeu pathologique (gambling)

CONCLUSION Une minorité d’individus est à risque, le traitement consiste en


une prise en charge psychothérapeutique par un spécialiste en
Le jeu vidéo est associé à des symptômes d’addiction compor- addiction
tementale chez une minorité d’individus à risque. Pour La pratique du jeu vidéo se situe dans un continuum d’effets
l’heure, il n’existe pas encore de diagnostic défini mais les négatifs à positifs pour un individu donné, une approche tenant
études cliniques objectivent une souffrance associée à une en compte cet état de fait est nécessaire pour une bonne prise en
pratique excessive. L’enjeu pour le futur est celui de ne pas charge
­reproduire les erreurs dans la prise en charge des addictions

1 * Volkow ND, Morales M. The Brain on behaviours in the virtual world of Azeroth. 8 Billieux J, Schimmenti A, Khazaal Y, et al. gaming disorder treatment : A review of
drugs : From reward to addiction. Cell Comput Human Behav 2013;29: 103‑9. Are we overpathologizing everyday life ? A definitions of diagnosis and treatment
2015;162: 712‑25. 5 Blanco C, Hanania J, Petry NM, et al. tenable blueprint for behavioral addiction outcome. J Clin Psychol 2014;70:942‑55.
2 Thorens G, Wullschleger A, Khan R, et Towards a comprehensive developmental research. J Behav Addict 2015;4:119‑23. 12 DeSmet A, Van Ryckeghem D,
al. What is addictive in Internet ? Open model of pathological gambling. 9 Ferguson CJ, Coulson M, Barnett J. A Compernolle S, et al. A meta-­analysis of
Addict J 2012;5(Suppl. 1: M2):14‑9. Addiction 2015;110:1340‑51. meta-­analysis of pathological gaming serious digital games for healthy lifestyle
3 ** Thorens G, Zullino D. Une meilleure 6 American Psychiatric Association. prevalence and comorbidity with mental promotion. Prev Med 2014;69:95‑107.
appréhension du concept de cyberaddic‑ Diagnostic and statistical manual of health, academic and social problems. 13 Weber N, Thorens G. Les frontières
tion. Illustré par le potentiel addictogène mental disorders : DSM-­5TM. 5th ed. J Psychiatr Res 2011;45:1573‑8. entre le gaming (jeux vidéo) et le gambling
des jeux de rôle massivement multi‑ Washington, DC: American Psychiatric 10 Rehbein F, Kliem S, Baier D, et al. (jeux d’argent et de hasard) existent-­elles
joueurs en ligne. Schweiz Arch Neurol Publ., 2013, p. 795‑8. Prevalence of Internet gaming disorder encore ? Dépendances 2015;55:24‑6.
Psychiatr 2011;162:232‑8. 7 ** Petry NM, Rehbein F, Gentile DA, in German adolescents : Diagnostic contri‑
4 Billieux J, Van der Linden M, Achab S, et al. An international consensus for bution of the nine DSM-­5 criteria in a
et al. Why do you play World of Warcraft ? assessing internet gaming disorder using state-­wide representative sample.
An in-­depth exploration of self-­reported the new DSM-­5 approach. Addiction 2014; Addiction 2015;110:842‑51. * à lire
motivations to play online and in-­game 109:1399‑406. 11 * King DL, Delfabbro PH. Internet ** à lire absolument

WWW.REVMED.CH
1556 21 septembre 2016

1554-6_39388.indd 1556 15.09.16 09:09

Vous aimerez peut-être aussi