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Développement durable

de l’agriculture urbaine
en Afrique francophone
Enjeux, concepts et méthodes
Cette page est laissée intentionnellement en blanc.

Développement durable
de l’agriculture urbaine
en Afrique francophone
Enjeux, concepts et méthodes
Olanrewaju B. Smith, Paule Moustier,
Luc J.A. Mougeot et Abdou Fall, éditeurs
Centre de coopération internationale
en recherche agronomique pour le développement

Centre de recherches pour le développement international


Ottawa • Dakar • Le Caire • Montevideo • Nairobi • New Delhi • Singapour

Le Cirad, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, est


un organisme scientifique spécialisé en agriculture des régions tropicales et subtropicales. Sa mission
est de contribuer au développement de ces régions par des recherches, des réalisations expérimentales,
la formation et l’information scientifique et technique. Il emploie 1 850 personnes, dont 950 cadres,
qui interviennent dans l’outre-mer français et dans une cinquantaine de pays. Son budget s’élève à près
de 180 millions d’euros. Le Cirad comprend sept départements de recherche : cultures annuelles ;
cultures pérennes ; productions fruitières et horticoles ; élevage et médecine vétérinaire ; forêts ;
territoires, environnement et acteurs ; amélioration des méthodes pour l’innovation scientifique. Le
Cirad travaille dans ses propres centres de recherche, au sein des structures nationales de recherche
agronomique des pays partenaires ou en appui à des opérations de développement.
42, rue Scheffer, 75116 Paris, France
www.cirad.fr
ISBN 2-87614-551-0

Le Crdi, Centre de recherches pour le développement international, est une société d’Etat créée par le
Parlement du Canada en 1970 pour aider les pays en développement à trouver, par la recherche
scientifique et l’utilisation du savoir, des solutions viables aux problèmes sociaux, économiques, et
environnementaux auxquels ils font face. L’appui du Crdi sert en particulier à consolider la capacité de
recherche locale afin d’appuyer les politiques et les technologies susceptibles de contribuer à
l’édification, dans les pays du Sud, de sociétés plus saines, plus équitables et plus prospères.
BP 8500, Ottawa (Ontario) Canada K1G 3H9
pub@idrc.ca / http://www.crdi.ca
ISBN 1-55250-134-5

Cet ouvrage a bénéficié d’une subvention du ministère français des Affaires étrangères.
Couverture
Périmètres maraîchers à Dakar, Sénégal (© I. Vagneron/Cirad)
Etal de légumes sur le marché de Thiaroye à Dakar, Sénégal
(© I. Vagneron/Cirad)
Elevage d’ovins en stabulation, Sénégal (© R. Lancelot/Cirad)

© Cirad et Crdi, 2004

Sommaire

Avant-propos, Paule Moustier et Olanrewaju B. Smith 7

Introduction, Luc J.A. Mougeot et Paule Moustier 11

1. Les dynamiques de l’agriculture urbaine : caractérisation


et évaluation, Paule Moustier et Abdou Salam Fall 23
Le contexte de l’urbanisation en Afrique 23
Les définitions de l’agriculture urbaine 25
Les interactions de la ville et de l’agriculture 29
Les typologies et les échelles 33
Les disciplines et les concepts associés 34
Les fonctions et les impacts de l’agriculture urbaine 36
Les dynamiques de l’agriculture urbaine 37

2. La place de l’agriculture urbaine dans les dispositifs


institutionnels et la planification, Djibrill Doucouré et André
Fleury 45
L’agriculture urbaine dans le développement des villes 46
La méthodologie de la planification 47
La mise en œuvre de la planification 61
Conclusion 77

3. La gestion concertée et durable des filières maraîchères


urbaines, Paule Moustier, Michel Moumbélé et Joël Huat 79
Pourquoi le maraîchage? 80
Pourquoi une approche par filière? 81
Les spécificités des filières maraîchères en zone
urbaine 82
La caractérisation des filières 83
Les systèmes de production dans les filières
maraîchères urbaines 94

4. La gestion concertée et durable des filières animales


urbaines, Abdou Fall, Maty Ba Diao, Denis Bastianelli et
Aimé Nianogo 115
Les enjeux et les impacts du développement des
productions animales en zone urbaine 116
La caractérisation des filières animales 120
Les voies d’amélioration 134
Conclusion 141

5. Le recyclage des déchets et effluents dans l’agriculture


urbaine, Jean-Luc Farinet et Seydou Niang 143
Les déchets et effluents urbains 145
La valorisation agricole des rejets urbains 149
Les techniques de traitement 160
Conclusion 170
Adresses des auteurs 173

Avant-propos
Cet ouvrage est le fruit des travaux de quatre institutions, qui se sont associées pour
capitaliser et diffuser leurs méthodes de diagnostic et d’intervention en agriculture
urbaine : le Crdi (Centre de recherches pour le développement international), au
Canada, le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique
pour le développement) et le ministère des Affaires étrangères, en France, l’Isra
(Institut sénégalais de recherches agricoles), au Sénégal.

Le Crdi est actif depuis les années 1990 dans le domaine de l’agriculture urbaine
grâce à son programme Agriculture urbaine/Cities Feeding People. Ses recherches
visent trois domaines principaux : les systèmes de production en espace réduit à
destination des agriculteurs urbains à faibles revenus ; le traitement et la réutilisation
des eaux résiduaires ; le développement des instruments stratégiques et politiques
qui favorisent l’activité des producteurs. Outre les travaux localisés dans des pays
africains et latino-américains, le Crdi s’engage dans des activités à caractère
régional, comme le réseau Aguila (Latin American Network on Urban Agriculture), qui
permet d’échanger des expériences entre pays latino-américains, et celui mis en
place en 2000 pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. En 1997, le Crdi a mis sur pied
un programme de bourses pour financer des travaux de recherche appliquée sur
l’agriculture urbaine, au niveau de la maîtrise et du doctorat (AGROPOLIS).
Parallèlement à ce programme, le Crdi a décidé d’organiser un atelier annuel sur les
méthodes de recherche-développement appliquées à l’agriculture urbaine, chaque
année dans une région du monde différente, en partenariat avec des institutions du
Nord et du Sud. L’Afrique de l’Ouest et du Centre a été retenue pour le premier
atelier, et le Crdi a souhaité associer le Cirad et l’Isra à son organisation.

Au Cirad, des travaux originaux se sont développés depuis une dizaine d’années sur
les systèmes de production et d’approvisionnement alimentaires urbains, en
particulier pour les produits maraîchers et animaux. Un premier bilan en a été dressé,
en avril 1998, lors d’un colloque du Cirad et du Coraf (Conseil des responsables de
recherche agronomique en Afrique de l’Ouest et du Centre). Ces travaux portent sur
l’identification, la caractérisation et le diagnostic des exploitations (économie,
agronomie, zootechnie), sur les référentiels technico-économiques pour une
intensification raisonnée des systèmes de production (agronomie, zootechnie), sur le
suivi et l’animation de filières et marchés (économie), sur le recyclage des déchets
animaux et domestiques pour l’agriculture et sur l’intégration de l’agriculture à la
planification urbaine, en partenariat avec l’Ensp (Ecole nationale supérieure du
paysage). En Afrique, le Cirad intervient principalement au Sénégal, en partenariat
avec l’Isra et des opérateurs privés, et au Cameroun, en partenariat avec l’Irad
(Institut de recherche agricole pour le développe-

ment) et l’Iita (International Institute of Tropical Agriculture). Au Congo et au Gabon, il


collabore avec l’organisation non gouvernementale Agrisud dans le domaine du suivi
des exploitations et des marchés. Par ailleurs, le Cirad participe aux réseaux du
Coraf portant sur l’élevage et le maraîchage.

Le ministère français des Affaires étrangères compte parmi ses priorités, dans le
domaine agricole, le renforcement de la sécurité alimentaire des pays du Sud. C’est
à ce titre qu’il s’intéresse depuis quelques années à l’agriculture urbaine et élabore
des propositions pour une meilleure efficacité des projets dans ce domaine. Ces
propositions mettent l’accent sur la recherche-développement, la formation,
l’organisation des producteurs et l’accès au crédit et au foncier. Le ministère a, par
ailleurs, approuvé le financement d’un projet régional sur l’agriculture périurbaine au
Cameroun, au Sénégal et au Bénin, coordonné par le Cirad à partir de 2004.

Au Sénégal, l’Isra travaille depuis une dizaine d’années dans le domaine de


l’agriculture urbaine, à travers ses programmes sur le maraîchage, l’élevage et le
traitement des déchets. Des résultats intéressants ont été obtenus, notamment sur la
culture de légumes en hydroponie, le recyclage des eaux usées et des déchets
d’abattoir dans l’agriculture, la production laitière intensive. En 2000, l’Isra a organisé
un forum sur l’agriculture urbaine, qui a rassemblé un large éventail de chercheurs,
administrateurs publics et opérateurs privés. En 2001, un premier bilan des
recherches du programme d’intégration horticulture-élevage en zone périurbaine a
été réalisé lors d’un séminaire de l’Isra et de l’Itc (International Trypanosomosis
Center), à Banjul en Gambie, qui a fait l’objet d’un livre, Cités horticoles en sursis.
Les recherches portent sur la caractérisation des systèmes de production, les
impacts de l’agriculture urbaine sur l’environnement et la santé des populations, le
problème de l’utilisation des terres, les interactions horticulture-élevage et les
stratégies mises en œuvre par les différents acteurs.

Depuis une dizaine d’années, les travaux réalisés soulignent le rôle majeur de
l’agriculture urbaine dans l’approvisionnement des villes, la création d’emplois et la
préservation de l’environnement urbain. Mais les outils de diagnostic des problèmes
de cette agriculture et les moyens d’intervention pour y répondre font défaut aux
chercheurs, décideurs et agents de développement, traditionnellement tournés vers
les zones rurales, ainsi qu’aux spécialistes de la gestion urbaine, peu familiers du
monde agricole. L’agriculture urbaine est en effet plus complexe que l’agriculture
rurale, parce qu’elle est plus mobile dans l’espace et dans le temps et que ses
productions sont plus risquées. Pour saisir cette complexité, il est nécessaire
d’articuler plusieurs disciplines : la géographie, l’urbanisme, l’agronomie, la
zootechnie, les sciences de l’environnement, l’économie, la sociologie.

C’est pour combler cette lacune et améliorer la pertinence des initiatives de


recherche-développement dans les grandes villes d’Afrique de l’Ouest et du

Centre que l’ouvrage a été conçu. Son objectif premier est de rendre accessibles aux
chercheurs et aux praticiens du développement des approches et des outils adaptés
aux problèmes de l’agriculture urbaine en Afrique de l’Ouest et du Centre, mais aussi
de diffuser des méthodes pour gérer à la fois les espaces agricoles en ville et les
filières des produits de l’agriculture urbaine. Il s’adresse aux étudiants, experts,
chercheurs et responsables, issus de centres de recherche, d’universités et
d’organisations non gouvernementales, impliqués dans divers domaines de
l’agriculture urbaine : gestion du foncier, développement des filières maraîchères ou
animales, recyclage des déchets. Il a servi de support pédagogique à un atelier sur
l’agriculture urbaine1 et s’est enrichi des réactions et échanges qui ont eu lieu au
cours de cette manifestation.

Chaque chapitre de l’ouvrage est rédigé par un binôme constitué de cadres africains
et français, issus d’organisations gouvernementales et non gouvernementales, qui
ont une expérience reconnue en recherche-développement dans les différents
secteurs de l’agriculture urbaine.

• Les dynamiques de l’agriculture urbaine : caractérisation et évaluation, Paule


Moustier (économiste, Cirad, Montpellier) et Abdou Salam Fall (sociologue, université
Cheikh Anta Diop, Dakar).

• La place de l’agriculture urbaine dans les dispositifs institutionnels et la


planification, Djibrill Doucouré (planificateur urbain, Iagu, Institut africain de gestion
urbaine, Dakar) et André Fleury (agronome, Ensp, Versailles).

• La gestion concertée et durable des filières maraîchères urbaines, Michel


Moumbélé (juriste, Agricongo, Brazzaville) et Joël Huat (agronome, Cirad, Saint-
Louis).

• La gestion concertée et durable des filières animales urbaines, Abdou Fall et Maty
Ba Diao (zootechniciens, Isra, Dakar), Aimé Nianogo (zootechnicien, Inera, Institut
de l’environnement et des recherches agricoles, Ouagadougou) et Denis Bastianelli
(spécialiste de l’élevage, Cirad, Montpellier).

• Le recyclage des déchets et effluents dans l’agriculture urbaine, Seydou Niang


(spécialiste du traitement des déchets, université Cheikh Anta Diop, Dakar) et Jean-
Luc Farinet (spécialiste du traitement des déchets, Cirad, Montpellier).
Nous souhaitons vivement que cet ouvrage soit utile à tous ceux qui se mobilisent
pour que les villes de demain soient mieux nourries et plus durables, grâce à une
agriculture rentable et saine.

Paule Moustier
Olanrewaju B. Smith

1. Cet atelier a rassemblé, du 5 au 24 juin 2000 à Dakar, seize participants de dix pays de la
sous-région : Mali, Burkina, Niger, Tchad, Bénin, Togo, Cameroun, Gabon, Congo, Sénégal.

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Introduction

Luc J.A. Mougeot, Paule Moustier

D’ici 2030, la population mondiale augmentera de 3 milliards d’individus, dont 95 %


dans les pays en développement, la production de nourriture devra doubler, et celle
des déchets et effluents sera multipliée par quatre dans les villes. Trois milliards de
personnes ne disposeront pas d’équipements d’évacuation des eaux usées. Ces
tendances et leur impact potentiel, tout comme le défi que pose la gestion de cet
impact, seront particulièrement prononcés dans les régions en voie d’urbanisation
rapide, comme l’Afrique subsaharienne.

En Afrique de l’Ouest et du Centre en particulier, les villes, petites et moyennes, se


multiplient. L’influence des marchés urbains sur les productions rurales s’accentue,
les populations sont de plus en plus mobiles et les régimes alimentaires se modifient.
De plus en plus de citadins acquièrent un patrimoine foncier rural. Les villes se
ruralisent tandis que les campagnes s’urbanisent (Chaléard et Dubresson, 1999).
Alors que l’Etat se désengage de l’économie, la pauvreté urbaine s’accroît même si
le pouvoir économique des femmes augmente, à la faveur notamment du
développement du secteur informel (Coussy et Vallin, 1996).

Divers facteurs poussent les productions agricoles urbaines à accroître leur part dans
l’approvisionnement alimentaire des villes de cette région. Depuis une dizaine
d’années, l’agriculture urbaine est reconnue comme un enjeu majeur en termes
d’approvisionnement des villes, d’emploi et de gestion de l’environnement urbain
(Undp, 1996). Cependant, les outils de diagnostic des problèmes de cette agriculture
et les moyens d’intervention pour son développement durable font défaut aux
chercheurs, décideurs et agents du développement, traditionnellement tournés vers
les zones rurales, et aux spécialistes de la gestion urbaine, peu familiers du monde
agricole.

En effet, l’agriculture urbaine a des spécificités par rapport à l’agriculture rurale


(Mougeot, 2000 ; Moustier et Mbaye, 1999) : nouvelles fonctions, marchandes et non
marchandes (coupures vertes, emploi de marginaux urbains, etc.) ; acteurs aux
opportunités d’emploi et de capitaux plus variés qu’en milieu rural ; complexité du
droit foncier ; sophistication voire artificialisation

de certaines pratiques culturales. Le jeu des contraintes et des atouts est complexe.
Les risques par rapport à l’environnement et au marché sont nombreux.

Il est donc nécessaire d’articuler différentes disciplines pour caractériser l’agriculture


urbaine et lui permettre de mieux répondre aux défis de la société et de
l’environnement urbains. Certaines de ces disciplines prennent plus particulièrement
en compte les spécificités du milieu urbain : c’est le cas de la géographie, de la
sociologie, de la planification urbaine et des sciences du paysage. D’autres éclairent
le fonctionnement des exploitations agricoles dans leur environnement : l’agronomie,
l’économie ainsi que les sciences de l’environnement.

L’ouvrage a pour objectif de familiariser le lecteur avec les approches et les outils
appliqués aux problèmes posés par le développement de l’agriculture urbaine. Il
s’inscrit dans une démarche de recherche-développement : améliorer la rigueur
scientifique des diagnostics (recherche) et privilégier les interventions concrètes
visant à maintenir ou à transformer les systèmes pour répondre à la demande des
acteurs concernés à court, moyen et long terme (développement durable).

Il est issu des travaux d’un atelier, qui a été l’occasion à la fois de présentations à
caractère didactique et de discussions sur les projets de recherche-développement
des participants. Grâce à la diversité des origines des participants et intervenants,
l’atelier a permis de développer des échanges de questionnements et d’expériences
dans une perspective de réseau.

Les problématiques
de l’agriculture urbaine
L’ouvrage comprend cinq chapitres. Le premier présente des définitions et des
concepts sur l’agriculture urbaine et ses dynamiques. Il montre en quoi l’agriculture
urbaine pose des questions différentes de l’agriculture rurale. Il expose, en
particulier, les spécificités de l’agriculture urbaine, la pluralité des approches qui s’y
rapportent, la multiplicité de ses fonctions, ses impacts et ses facteurs de
changement. Il met en relation l’intérêt récent de la communauté scientifique pour
l’agriculture urbaine avec l’urbanisation en Afrique, le développement des flux entre
la ville et l’agriculture, ainsi que les politiques de décentralisation. Il souligne la
diversité des définitions de la ville et de l’agriculture urbaine et périurbaine, ainsi que
leurs points de convergence, car toutes mettent l’accent sur les interactions entre la
ville et l’agriculture. Ces interactions sont caractérisées, en mettant en avant la
compétition pour l’accès aux ressources foncières ainsi que les pollutions urbaines et
agricoles. Ce chapitre illustre également la prise en compte de différentes

catégories et échelles dans des typologies et présente les disciplines qui se sont
intéressées à l’agriculture urbaine, notamment, l’économie spatiale et institutionnelle.
Enfin, il décrit la diversité des fonctions et des impacts de l’agriculture urbaine, ainsi
que les principaux paramètres de son évolution dans le temps, en soulignant la non-
linéarité de la dynamique de l’agriculture urbaine.
Deux chapitres sont centrés sur la place de l’agriculture urbaine dans son
environnement physique et administratif immédiat : le deuxième, sur la place de
l’agriculture dans la planification urbaine, et le cinquième, sur l’utilisation des déchets
urbains par l’agriculture urbaine.

Le chapitre 2 démontre que l’agriculture urbaine qui se développe dans plusieurs


villes de l’Afrique de l’Ouest et du Centre est confrontée à diverses contraintes,
lesquelles limitent son plein essor. Il aborde, dans une première partie, la prise en
compte de l’agriculture urbaine par les politiques publiques. Après une réflexion à
caractère général sur sa place dans le développement des villes, l’accent est mis sur
les conséquences pour l’agriculture urbaine de l’application des textes législatifs et
réglementaires édictés en vue d’autres objectifs et des stratégies générales de
développement. La deuxième partie du chapitre est consacrée aux méthodes de
planification urbaine. Les méthodes participatives peuvent améliorer le
développement de l’agriculture urbaine en l’incorporant à la stratégie de
développement socio-économique local. Ces méthodes insistent sur l’implication de
tous les acteurs du secteur dans l’élaboration des politiques, sur l’identification des
problèmes majeurs et leur hiérarchisation, sur le choix de solutions adaptées pour
résoudre les problèmes identifiés et sur le partage des responsabilités pour les
actions de suivi.

Les troisième et quatrième chapitres se situent au croisement entre une approche


horizontale, par espace, et une approche verticale, par filière. Les exploitations
urbaines dépendent en effet fortement à la fois de leur environnement physique et
administratif urbain et de leur marché, urbain également. Ces deux chapitres
considèrent la place de l’agriculture dans le marché des intrants et des produits, pour
deux types de production : le maraîchage et l’élevage.

Le chapitre 3 concerne la gestion des filières maraîchères. L’accent y est mis sur les
fonctions productives du maraîchage, c’est-à-dire la fourniture de produits
alimentaires, d’emploi et de revenus. La question de la durabilité de ces filières
résulte des multiples contraintes exercées par le milieu urbain, notamment la
contrainte foncière et les pollutions. Etant donnée la diversité des acteurs et des
intérêts en jeu, la concertation est la condition essentielle d’une meilleure réponse du
maraîchage urbain aux objectifs de revenus et d’alimentation, auxquels ce secteur
répond. La forte liaison du maraîchage urbain et la relative spécialisation des
activités de production justifient une approche par filière pour répondre à ces
problèmes. Des méthodes pratiques

de caractérisation de la consommation et de la commercialisation sont présentées,


avec une combinaison d’analyses sociologiques, économiques et géographiques. Un
exemple d’amélioration de la commercialisation par la diffusion d’informations sur les
marchés est proposé. Une partie du chapitre est consacrée spécifiquement au
diagnostic des contraintes et des voies d’amélioration des systèmes de production,
en mettant l’accent sur les typologies de systèmes de culture et d’exploitations et sur
l’analyse de l’impact des pratiques culturales sur l’environnement.

Le chapitre 4, pour sa part, porte sur les productions animales urbaines et


périurbaines. Celles-ci sont le fait de plusieurs types d’exploitation : de très petits
élevages, qui ont principalement une vocation d’autoconsommation, de spéculation
ponctuelle et, parfois, de maintien d’une tradition ; des élevages plus importants, qui
ont une réelle vocation de production destinée prioritairement au marché. Dans tous
les cas ces élevages doivent s’insérer dans le contexte urbain. Ils contribuent à
l’approvisionnement des villes ainsi qu’à l’emploi et au revenu des familles, mais ils
ont également des impacts négatifs sur l’environnement et parfois sur la santé
publique. L’insertion dans la ville comporte des avantages liés, par exemple, à la
proximité du marché (achat des intrants et accès au marché) mais pose certains
problèmes : gestion des nuisances (effluents, bruits et divagation d’animaux),
problèmes sanitaires (pour les animaux et pour la santé publique). L’étude des
élevages en milieu urbain utilise en partie les outils classiques de l’étude des
systèmes d’élevage : typologie, étude technique et économique des filières, etc.
Toutefois, le contexte urbain impose de prendre en compte les autres activités
agricoles et non agricoles qui entrent en compétition avec l’élevage pour l’occupation
de l’espace, l’accès aux ressources et l’emploi de la main-d’œuvre. Tous ces
éléments ainsi que le jeu des contraintes de l’environnement urbain agissent sur les
caractéristiques des filières et contribuent à expliquer leur évolution. Les
perspectives d’amélioration passent par une bonne connaissance des filières et de
leurs problèmes spécifiques, qui permet de limiter les inconvénients liés au contexte
urbain, notamment l’approvisionnement en aliments et la gestion des nuisances, et
d’améliorer les avantages de ces filières, en organisant le marché et en instaurant
une gestion de la qualité pour rompre avec la mauvaise réputation des produits
urbains. La recherche a un rôle majeur à jouer pour identifier les pratiques d’élevage
les mieux adaptées à ce contexte particulier, qui diffèrent des situations
traditionnelles rurales ou des modèles étrangers.

Enfin, le chapitre 5 aborde le traitement et la réutilisation des déchets organiques des


villes dans l’agriculture urbaine. Les rejets urbains comprennent les déchets solides
et les effluents liquides. Les premiers contiennent une forte proportion de matière
organique et d’éléments fertilisants nécessaires à l’amélioration de la productivité des
sols tropicaux. Les effluents liquides, composés essentiellement d’eau, sont
particulièrement intéressants pour

l’irrigation des cultures. Toutefois, la présence d’éléments contaminants tels que les
métaux lourds et les pathogènes constitue un frein au recyclage direct des effluents
liquides dans l’agriculture. Pour les déchets solides, des techniques de traitement
telles que la méthanisation et le compostage permettent de disposer d’un coproduit
de qualité : le compost. Pour les effluents liquides, il existe des techniques de
collecte et de traitement adaptées, telles que le réseau à petit diamètre et le
lagunage. Le recyclage agricole des rejets urbains ne sera envisageable à grande
échelle que si, à l’échelon gouvernemental, des décisions politiques sont prises pour
éduquer et impliquer les populations, mais aussi pour sensibiliser les services publics
aux nouvelles relations possibles entre la ville et l’activité agricole.

Quelques tendances et questionnements


Quelques tendances de l’agriculture urbaine se dégagent de ces différents chapitres,
de même que des questions ouvertes pour la recherche dans ce domaine.

Un secteur très dynamique


L’agriculture urbaine dans la région se modernise et s’intensifie ; elle jouit d’un accès
meilleur et plus diversifié aux intrants et attire toujours de nouveaux acteurs, dans un
milieu pourtant soumis à de multiples contraintes (légales, foncières, sanitaires,
financières, techniques, organisationnelles).

Face aux contraintes et aux atouts liés à la croissance urbaine, notamment le


manque de protection et l’ambiguïté des droits fonciers, l’agriculture urbaine cherche
à s’adapter en repoussant constamment les frontières du techniquement possible.
Ainsi, les cycles de production sont parfois raccourcis, l’utilisation d’intrants et les
rendements augmentent, l’élevage et l’horticulture se combinent, le disponible
fourrager s’améliore. La recherche doit également s’adapter, par exemple en
renforçant les services de diagnostic et de surveillance épidémiologique, surtout pour
le petit élevage, l’adéquation de l’habitat urbain aux fonctions d’élevage et la diffusion
de systèmes de culture hors sol.

Une agriculture aux multiples risques sanitaires


Le développement en quantité et la diversité des rejets urbains avaient fait
abandonner les processus de valorisation au profit d’une élimination simple et rapide
(les décharges). Cette approche représente maintenant des coûts environnementaux
difficiles à prendre en charge par la collectivité. Il faut

articuler à nouveau la gestion des déchets organiques à l’agriculture intra et


périurbaine, mais les risques sanitaires doivent être bien gérés. Le coût élevé du
transport par rapport à la valeur marchande des coproduits du traitement oblige à
revoir l’organisation spatiale des activités génératrices et consommatrices de rejets,
impliquant forcément le recours à une stratégie diversifiée de réutilisation des rejets
organiques à différentes échelles.

En termes d’environnement, une interrogation demeure sur l’impact de l’agriculture


urbaine sur l’approvisionnement d’autres secteurs en eau potable (via le prélèvement
ou la contamination). Ses productions et ses systèmes se redéfinissent-ils dans le
temps et l’espace en fonction de la disponibilité des ressources en eau fraîche dans
les villes de la région? Partout et de plus en plus l’agriculture urbaine est irriguée
avec des eaux usées, le plus souvent non traitées : dans quelle mesure cette
agriculture peut-elle accroître l’approvisionnement des villes en aliments sains tout
en prolongeant la vie utile des eaux déjà utilisées par les activités urbaines à d’autres
fins?

Peu d’attention est portée aux pollutions et aux prédations de l’agriculture sur le
milieu urbain mais beaucoup aux pollutions engendrées par les activités non
agricoles qui affectent les activités agricoles ou ses produits. Par exemple, la qualité
de l’eau épandue conditionne le choix de la spéculation tout comme la qualité
sanitaire requise de la spéculation conditionne le choix du traitement exigé de l’eau
usée pour son irrigation. Les boues peuvent provoquer le colmatage physique par
des matières en suspension, le colmatage biologique par le développement végétatif
d’algues, le colmatage chimique par défloculation des argiles par le sodium
échangeable. Les eaux usées et excréta posent des problèmes sanitaires :
concentration d’agents pathogènes, maladies diarrhéiques et parasites intestinaux.
La faible biodégradabilité et le pouvoir de concentration des polychlorobiphényles
(PCB) dans certains tissus végétaux restreignent leur utilisation. La présence de
matières organiques et minérales, de métaux lourds et d’organismes pathogènes
impose des précautions ou des traitements : séparation physique ou traitement
primaire (séparation des éléments solides de la phase liquide) par décantation ou
flottation, transformations biologiques secondaires, corrections chimiques ou
désinfection tertiaire. Les sous-produits sont les boues, qui elles-mêmes subissent
des traitements préalables à leur évacuation finale (épaississement, déshydratation)
pour éviter leur putréfaction et réduire leur volume.

A Dakar, on a démontré qu’il est possible de réaliser un assainissement avec la


réutilisation des eaux domestiques traitées dans l’agriculture urbaine et de revaloriser
des espaces avec des techniques efficaces et adaptées. Cet assainissement peut
être couplé à des productions agricoles, qui fournissent un fonds de roulement pour
agrandir le réseau d’assainissement. Il est aussi possible de déléguer le pouvoir de
services publics urbains aux organisations et microentreprises pour cet
assainissement. Les principaux problèmes résident

dans l’entretien et l’amortissement du réseau, le recouvrement des dettes et la


rentabilité des microentreprises.

L’ouvrage consacre peu de place aux zoonoses résultant d’interactions entre


l’environnement contaminé (sol, air et eau) et les animaux ou les hommes, entre les
animaux, les hommes infectés et l’environnement, entre les animaux infectés et les
animaux non infectés. Certaines situations — espèces, systèmes de production,
produits animaux et groupes de personnes, conditions de travail et manipulation des
produits — sont plus propices à la transmission de zoonoses que d’autres.

Dans tous les cas, l’analyse du risque attribuable et du risque relatif doit occuper une
plus grande place dans l’évaluation des dangers qu’entraînent certaines pratiques
agricoles urbaines pour la santé publique ou dans l’appréciation des risques que
l’environnement urbain fait courir à la qualité des produits agricoles.

La perception qu’ont les communautés agricoles et non agricoles des pratiques


agricoles urbaines varie grandement d’un endroit à l’autre et dans le temps. La
préférence pour certaines spéculations, l’acceptabilité de certains systèmes de
production, le seuil de tolérance des habitants face à certains impacts
environnementaux, les processus de résolution de conflits, la réglementation elle-
même sont grandement influencés par l’appartenance culturelle des exploitants, de
leur voisinage, de la ville ou du pays en général. C’est une dimension importante,
mais sur laquelle il existe encore trop peu d’études spécifiques.

Des questions à approfondir en sciences sociales


L’application de l’économie spatiale à l’analyse des différents systèmes agricoles
urbains reste à approfondir.

Sur le plan macroéconomique, il y a encore peu d’études sur l’impact des politiques
économiques nationales ou sous-régionales sur la compétitivité des produits en
milieu urbain : certaines politiques peuvent affecter l’importation d’intrants en même
temps qu’elles favorisent l’exportation de produits. Par exemple, l’élevage urbain, en
général plus intensif qu’en milieu rural, peut être fortement dépendant d’aliments
importés (son principal coût d’exploitation). En général, on ignore la nature des taxes
sur les produits exportés et des droits de douane sur les intrants importés, ainsi que
leurs impacts sur le développement des filières.

Sur le plan local, quel est le poids de facteurs au coût d’opportunité proche de zéro
— par exemple les terres marécageuses utilisées en maraîchage — dans le
développement, la rentabilité et la durabilité de certaines pratiques agricoles
urbaines, sachant que dans des économies de marché imparfaites

les relations entre les acteurs conditionnent de façon critique l’accès aux ressources,
aux intrants et aux débouchés? Sur le plan des bénéfices, y a-t-il des externalités
autres que purement économiques qui puissent expliquer qu’une agriculture urbaine,
à l’origine fortement stimulée par une situation de crise, ne se résorbe pas, ou
beaucoup moins que prévu, une fois cette crise passée?

Sur le plan microéconomique, des productions agricoles urbaines spécifiques


acquièrent leur rationalité lorsqu’elles sont replacées au sein de stratégies
économiques antirisque, en combinaison avec d’autres systèmes, ou dans le cadre
de la gestion de la fertilité (utilisation des déchets d’élevage dans les jardins), des
calendriers de travail (vivrier-maraîchage à Bangui), de la trésorerie (maraîchage-
maraîchage à Bissau), des complémentarités entre productions rurales et urbaines
(Congo) et de la vente d’autres produits. L’utilité de ces productions au sein des
stratégies économiques des ménages doit être mieux appréciée.

En milieu urbain, on invoque la méfiance croissante des consommateurs citadins à


l’égard de produits alimentaires d’origine lointaine et l’avantage que peuvent en tirer
les productions urbaines, proches de leur marché. Mais la contribution de
l’agriculture urbaine à des systèmes d’approvisionnement alimentaire urbain qui
soient qualitativement plus sûrs reste à démontrer : est-ce que les productions
urbaines, en principe mieux gérables, sont moins risquées, vu le nombre moindre
d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur? Ou le seraient-elles plus,
étant donné les plus hauts niveaux de pollution possibles par les intrants chimiques
et organiques généralement disponibles et abordables dans les villes? Même si les
produits urbains affichaient une qualité supérieure, cet avantage ne risquerait-il pas
d’être largement annulé par l’effet de sources de pollution en aval (mise en marché
des légumes, du lait)?

Pour comprendre la rationalité des pratiques agricoles urbaines, il est indispensable


de mieux prendre en compte son économie institutionnelle et sa gouvernance,
laquelle est essentielle pour que les interventions sur ses principales contraintes
soient durables. Les chapitres sur les systèmes de production et le recyclage des
déchets mettent en évidence l’importance des relations entre acteurs, principalement
entre propriétaires fonciers, exploitants et commerçants, et entre les exploitants eux-
mêmes. Sur le plan de la distribution des pouvoirs de négociation entre les acteurs
dans la formation des prix, les producteurs urbains semblent avantagés par rapport
aux ruraux : dans les filières maraîchères en tout cas, la distribution du capital
stockage est moins critique et celle du capital transport est plus équilibrée dans le
cas de l’agriculture urbaine. La distribution de l’information sur l’offre et la demande y
est aussi plus équilibrée, ce qui avantage les exploitants urbains par rapport aux
ruraux.
Ces relations donnent lieu à des situations de collaboration, de concurrence ou de
conflit. Les liens interpersonnels de fidélisation et de confiance mutuelle semblent
capitaux et se concrétisent par des contrats, une intégration verticale, des
associations, des règles. On ne connaît pas encore assez bien les modalités de mise
en relation entre les acteurs de l’agriculture urbaine, lesquelles sont pourtant
cruciales pour la reconnaissance, sinon la protection, de l’activité par les institutions
publiques. Mais s’il est vrai que dans plusieurs cas les exploitants ont ressenti le
besoin de s’organiser pour pallier les multiples contraintes (petites surfaces, vols,
déguerpissement, nuisances, problèmes d’évacuation des déchets) et pour accroître
les bénéfices liés à l’écoulement des produits, à la transformation agroalimentaire, à
l’accès aux intrants et au recyclage des déchets, il y a très peu d’informations sur ces
organisations, leur genèse et leur efficacité (par exemple, les mutuelles d’épargne). Y
a-t-il, parmi les petits exploitants, des systèmes plus propices à l’organisation que
d’autres? Est-ce que le groupement spatial des exploitants est une condition
préalable à la création d’une organisation? Pourquoi dans certaines villes, comme
Dakar, l’approvisionnement en intrants est-il facilité par des sociétés et un réseau de
revendeurs spécialisés et pas ailleurs?

Les problèmes de durabilité économique et écologique


La durabilité économique et écologique des systèmes agricoles urbains est une
préoccupation que l’on retrouve dans tous les chapitres. Plutôt qu’une pérennisation
ou une reproduction sur place de systèmes spécifiques, en milieu urbain l’agriculture
doit se doter de moyens pour s’ajuster au fil de la dynamique urbaine. Il lui faut
constamment redéfinir les stratégies de production en fonction des valeurs ajoutées
et des avantages comparatifs des spéculations et des sites de production choisis.
Sur le plan écologique, on constate une réduction de la jachère, imposée par une
pression foncière toujours plus forte (maraîchage dans la Grande Niaye de Pikine).
Ce phénomène, s’il n’est pas compensé, mine la qualité des sols. La réduction des
rotations culturales peut rendre inefficace la protection phytosanitaire et ce, malgré
des traitements chimiques abondants. Est-ce que la durabilité écologique de
l’agriculture urbaine passe obligatoirement par une agriculture plus biologique? Si
c’est le cas, est-ce que cette approche rend incontournable une gestion plus intégrée
des déchets urbains?

La durabilité économique et la durabilité écologique des systèmes agricoles urbains


sont intimement liées l’une à l’autre et semblent devoir s’appuyer sur la diffusion de
solutions techniques reproductibles (nouvelles variétés permettant de réduire l’effet
de saisonnalité, meilleure gestion des ressources en eau disponibles) et de formes
de coordination et de concertation (services d’appui et de conseil, formation,
recherches d’accompagnement et obser-

vatoire économique pour le maraîchage et l’élevage, voir les chapitres 3 et 4).


Pourtant, on connaît toujours très peu les performances technico-économiques des
exploitations à vocation maraîchère. De nouveaux systèmes d’intensification, des
outils d’aide à la décision (avec un souci multidisciplinaire), un meilleur partage de
connaissances et des compétences via des organisations régionales sont aussi
nécessaires.
Des dispositifs institutionnels encore trop rigides
La multiplicité de ses systèmes et de ses produits permet à l’agriculture urbaine de
s’acquitter, en principe, de diverses fonctions au sein de la ville. Toutefois, on
retrouvera dans une ville donnée quelques-uns de ces systèmes, chacun remplissant
tant bien que mal et de façon isolée l’une ou l’autre de ces fonctions. Moins
nombreuses sont les villes qui délibérément stimulent la fonctionnalité de systèmes
agricoles urbains spécifiques. Et encore plus rares sont celles qui, maîtrisant
pleinement la multifonctionnalité de l’agriculture urbaine, promeuvent une multitude
de systèmes et de combinaisons de systèmes afin de gérer de façon plus efficace et
sans risque l’ensemble des ressources et des flux de leur environnement et de leur
économie locale. Il est nécessaire de faire prévaloir les diverses fonctions de
l’agriculture urbaine et sa contribution à des objectifs politiques pour inciter les
gestionnaires à protéger l’agriculture urbaine et à accompagner ses spécificités par
des mesures financières et réglementaires.

Un survol des dispositifs institutionnels en vigueur dans la plupart des pays de la


région suggère que les réglementations héritées sont souvent mal adaptées au
contexte local. Mais une analyse critique des politiques publiques et de leur effet sur
l’agriculture urbaine reste à faire. Les politiques publiques peuvent s’exercer dans les
domaines suivants : santé publique, agriculture, habitat, environnement et
assainissement, industrie agroalimentaire, infrastructures et mise en marché,
politique sociale, fiscalité locale, voirie et travaux communaux. Par exemple,
l’analyse épidémiologique a permis de spécifier des facteurs de risque (helminthes)
liés à l’utilisation des eaux usées, non détectés jusqu’à récemment par les analyses
microbiologiques mais persistants malgré les traitements habituels, et donc de
préciser les groupes exposés aux risques d’infection, de réviser les normes et les
mesures de protection sanitaire applicables, en plus du traitement des eaux au sein
d’une approche plus intégrée.

La révision de ces dispositifs institutionnels doit compter avec l’implication


d’expertises traditionnellement non associées à l’élaboration de ces dispositifs. Par
exemple, dans le cas de réglementations ou de normalisations portant sur certaines
productions agricoles en milieu urbain, les arrêtés sur la possession d’animaux
d’élevage en concession sont trop souvent de nature prohibitive et générique ; ils ne
spécifient pas le nombre ou l’espèce, lesquels

pourraient varier selon la culture locale, la densité de l’habitat dans l’un ou l’autre
secteur de la ville, le zonage prédominant, les espaces disponibles en concession et
les conditions d’exploitation. Les spécialistes de l’agriculture et ceux de la ville
doivent travailler avec les municipalités pour élaborer des réglementations mieux
raisonnées techniquement, plus acceptables culturellement et plus opérationnelles.
Autre exemple, la mise en marché des produits de l’agriculture urbaine est moins
concentrée dans l’espace urbain : le repérage des flux de ses produits et les
spécificités des marchés (taille, fréquence, spécialisation) pourraient induire un
aménagement du territoire plus réceptif à l’intégration de l’agriculture urbaine au
système d’approvisionnement alimentaire urbain. Une cartographie spatiale et
temporelle des échanges de rejets organiques et leur emploi dans les productions
agricoles urbaines permettraient également de réutiliser plus efficacement ces rejets
dans l’agriculture urbaine et de mieux intégrer l’agriculture urbaine à l’écologie de la
ville.
Références bibliographiques
Chaléard J.L., Dubresson A., 1999. Villes et campagnes dans les pays du Sud : géographie
des relations. Paris, France, Karthala, 258 p.

Coussy J., Vallin J., 1996. Crise et population en Afrique : crises économiques, politiques
d’ajustement et dynamiques démographiques. Paris, France, Ceped, 580 p.

Mougeot L.J.A., 2000. Urban agriculture: definition, presence, potential and risks. In : Bakker
N. et al., Growing cities, growing food: urban agriculture on the policy agenda, a reader on
urban agriculture. Feldafing, Allemagne, Des-Etc.

Moustier P., Mbaye A., 1999. Introduction générale. In : Moustier P. et al. (éd.), Agriculture
périurbaine en Afrique subsaharienne. Montpellier, France, Cirad, Colloques, p. 7-17.

Undp (United Nations Development Program), 1996. Urban agriculture: food, jobs and
sustainable cities. New York, Etats-Unis, Undp, 302 p.

Cette page est laissée intentionnellement en blanc.

1. Les dynamiques
de l’agriculture urbaine :
caractérisation et évaluation

Paule Moustier, Abdou Salam Fall

Ce chapitre vise à préparer le lecteur à la pluralité des définitions et des approches


de l’agriculture urbaine. Il s’attache également à souligner la complexité des
dynamiques de l’agriculture urbaine et à montrer comment les différents chapitres de
l’ouvrage correspondent aux questionnements de l’agriculture urbaine. Il analyse en
particulier la nature des liens entre la ville et l’agriculture et les problèmes de
recherche qu’ils posent, puisque ces liens sont au cœur de l’identité des agricultures
dites urbaines.

Il présente le contexte de l’urbanisation en Afrique à partir de l’analyse de deux


textes de synthèse, la diversité des définitions de l’agriculture urbaine, les
interactions de la ville et de l’agriculture ainsi que les atouts et les contraintes qu’elles
génèrent. Il traite également de l’intérêt des typologies de systèmes de production
agricoles urbains, des concepts et des disciplines qui apportent des éclairages
théoriques sur les questions posées par l’agriculture urbaine, des fonctions et des
impacts de l’agriculture urbaine. Enfin, il expose les principaux critères d’analyse de
la dynamique de l’agriculture urbaine, illustrés par des études de cas dans différents
pays africains.

Le contexte de l’urbanisation en Afrique


L’intérêt pour l’agriculture urbaine s’est accru au cours des dix dernières années.
Deux phénomènes expliquent en partie cette situation : la rapidité de la croissance
urbaine, d’une part, le renouvellement des politiques publiques, d’autre part. Le taux
d’accroissement urbain de l’Afrique se situe à 4 % par an depuis 1960, il est
supérieur à celui de l’Amérique latine ou de l’Asie (Undp, 1996). Nous nous
appuyons sur deux textes de synthèse pour expliciter ces évolutions (Pélissier, 2000
; De Lattre, 1994).

Les tendances de l’urbanisation


en Afrique de l’Ouest et du Centre
Selon Pélissier (2000) et De Lattre (1994), l’urbanisation en Afrique de l’Ouest et du
Centre se caractérise :
– par un taux d’urbanisation variable selon les pays ;
– par une croissance urbaine moins forte depuis 1990 que pendant la période 1960-
1990, mais qui affiche des tendances à la reprise ;
– par la multiplication des villes petites et moyennes, alors que le poids des grandes
villes dans la population reste stationnaire ;
– par le développement du secteur informel par manque de qualification
professionnelle ;
– par la ruralisation des villes.

Les interactions entre monde urbain


et monde rural
Le monde urbain et le monde rural interagissent. Ainsi, les villes exercent une
influence sur les campagnes en favorisant l’émergence de secteurs vivriers,
maraîchers et fruitiers marchands, en stimulant la mobilité des personnes et des
produits, en diffusant leur mode d’alimentation vers les campagnes, en acquérant
une partie du patrimoine foncier rural.

Réciproquement, les campagnes influencent les villes. Les habitudes alimentaires


rurales se retrouvent en ville : ces dernières années, les régimes alimentaires
urbains ont tendance à s’africaniser, les consommateurs recherchant la typicité des
produits villageois. Les structures d’autorité villageoises sont reproduites dans
certaines composantes de la vie de quartier des villes. Les ruraux investissent dans
l’immobilier urbain (c’est le cas des ressortissants de la région de l’ouest à Douala,
au Cameroun).

Compte tenu de ces observations, Pélissier (2000) prévoit, dans les dix prochaines
années, une intégration toujours plus forte des lois du marché dans les agricultures
rurales (commercialisation, intensification), l’urbanisation des campagnes
(augmentation du nombre de villes dans toutes les régions) et la ruralisation des
villes (développement de l’agriculture urbaine).

Les politiques de décentralisation


et d’aménagement du territoire
Par les politiques de décentralisation, encouragées par de nombreux bailleurs de
fonds, les populations se trouvent responsabilisées dans la gestion des ressources
de leurs terroirs. Ces évolutions conduiraient à la super-

position de pouvoirs entre gestionnaires étatiques, contribuables et élus locaux. Elles


renforceraient le pouvoir foncier des citadins à fort pouvoir d’achat et le
développement du bâti au détriment de l’espace agricole urbain. Elles favoriseraient
l’accès à l’eau, aux intrants, au crédit et au transport des populations rurales. L’un
des problèmes des politiques d’aménagement réside dans le décalage entre les
prévisions et l’évolution démographique des villes.

Les définitions de l’agriculture urbaine

Les problèmes de définition


de l’espace urbain et périurbain
Comme l’écrit Snrech (1997), la ville est un concept flou, ce qui complique la
définition de l’agriculture urbaine, puisque celle-ci est définie par rapport à la ville. On
distingue des définitions statistiques de la ville, c’est-à-dire celles qui sont utilisées
dans les recueils de données statistiques, des définitions analytiques, celles qui
s’appuient sur l’analyse des spécificités du milieu urbain, et des définitions
géographiques, fondées sur l’utilisation de l’espace. Les définitions statistiques elles-
mêmes sont extrêmement diverses selon les pays. Elles prennent en compte des
critères démographiques, complétés parfois par des critères administratifs et
économiques (tableau 1).

Tableau 1. Définitions statistiques de la


population urbaine dans différents
pays africains, d’après Un (1995).

Les définitions analytiques considèrent que les critères démographiques sont


insuffisants pour saisir la spécificité du monde urbain par rapport au monde rural.
Coquery-Vidrovitch (1988) propose la définition suivante de la ville : la ville est un
centre de densification humaine et de diffusion culturelle. Son existence repose sur
des conditions économiques et politiques particulières d’organisation de la
production et des échanges : un surplus agricole nourrissant des spécialistes non
agricoles, une classe de dirigeants, une classe de marchands.

Il existe d’autres critères de définition : la permanence d’activités de service liées à


l’exercice du pouvoir politique (De Maximy, 1988) ; le niveau d’équipement social
(écoles, hôpitaux, casernes, etc.) ; le degré de monétarisation des échanges — pour
l’historien Fernand Braudel (1980), la ville est le lieu de l’élaboration monétaire —,
les dépenses par tête sont deux fois plus élevées en ville qu’en milieu rural (Cour,
1990) ; le degré de disparité des revenus, dû à des sources de revenus plus
diversifiées qu’en milieu rural (Cour, 1990).

Comme l’indique Tricaud (1996), les définitions géographiques considèrent la ville


physique, c’est-à-dire l’agglomération, telle qu’elle peut être repérée à partir de
l’observation visuelle, de la photographie aérienne ou de l’image satellitaire. Tricaud
définit l’espace urbain, au sens strict, comme l’ensemble des parcelles bâties ou
revêtues, c’est-à-dire les parcelles portant des bâtiments ou majoritairement
couvertes d’un revêtement empêchant la végétation (dallage, ciment) ou de sol
majoritairement tassé pour assurer la circulation (cour, marché). Ces parcelles sont
ainsi définies par leur absence de végétation et leur imperméabilité. On définit la ville,
ou l’agglomération, au sens le plus étroit, comme un espace urbain de surface ou de
population supérieure à un seuil donné. L’Onu (Organisation des nations unies), la
base de données Géopolis et l’Insee (Institut national des statistiques et études
économiques) recommandent de considérer comme agglomérées des constructions
éloignées de moins de 200 m, en Europe, ou de moins de 500 m, en Amérique
latine. L’Iaurif (Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France)
distingue trois catégories d’usage du sol : rural, urbain construit (bâti ou revêtu),
urbain ouvert (parcs et jardins, terrains de sport, cimetières).

Mais les villes, si denses soient-elles, ne sont pas des continuums d’espaces bâtis
contigus. L’enveloppe urbaine, ou périmètre urbain, englobe un certain nombre
d’espaces urbains extérieurs et d’espaces non urbains intérieurs.

A mesure que l’on s’éloigne du centre, certains caractères distinctifs de la ville et de


la campagne suivent un gradient croissant ou décroissant : densité des espaces
bâtis et revêtus ; caractère monétaire des productions ; pression foncière. Ce
gradient permet d’identifier des espaces urbain, rural ou périurbain, sans tracer leurs
limites précises (Tricaud, 1996).

Agriculture périurbaine, intra-urbaine, urbaine


Les agricultures urbaine, intra-urbaine et périurbaine font l’objet de définitions
multiples dans la littérature. Nous nous proposons ici de réaliser une analyse critique
de neuf de ces définitions selon les variables suivantes : les principaux critères de
caractérisation ; la mise en évidence de spécificités par rapport à l’agriculture rurale ;
le caractère opérationnel ; la distinction entre agriculture urbaine, intra-urbaine et
périurbaine.
1. Urban agriculture is an industry that produces, processes, and markets food and
fuel, largely in response to the daily demand of consumers within a town, city or
metropolis, on land and water dispersed throughout the urban and peri-urban area,
applying intensive production methods, using and reusing natural resources and
urban wastes, to yield a diversity of crops and livestock (Undp, 1996).

2. Urban agriculture is an industry located within (intra-urban) or on the fringe (peri-


urban) of a town, an urban centre, a city or a metropolis, which grows or raises,
processes and distributes a diversity of food and non-food products, (re-)using mainly
human and material resources, products and services found in and around the urban
area, and in turn supplying human and material resources, products and services
largely to that urban area (Mougeot, 2000).

3. While there is not yet a universally agreed-upon definition, urban and peri-urban
agriculture—referred to jointly in this paper as UPA, except in the cases where a
clear distinction must be made—is perceived as agricultural practices within and
around cities which compete for resources (land, water, energy, labor) that could also
serve other purposes to satisfy the requirements of the urban population. Important
sectors of UPA include horticulture, livestock and milk production, aquaculture, and
forestry (Fao, 1999).

4. Urban agriculture is defined as agriculture that occurs in or on the perimeters of


cities, for market purposes. As such, it contains the elements of both urban and peri-
urban agriculture (Ipc, 1999).

5. L’agriculture périurbaine, au strict sens étymologique, est celle qui se trouve à la


périphérie de la ville, quelle que soit la nature de ses systèmes de production. Avec
la ville, cette agriculture peut soit n’avoir que des rapports de mitoyenneté, soit
entretenir des rapports fonctionnels réciproques. Dans ce dernier cas, elle devient
urbaine et c’est ensemble qu’espaces cultivés et espaces bâtis participent au
processus d’urbanisation et forment le territoire de la ville (Fleury et Donadieu, 1997).

6. L’agriculture périurbaine — correspondant à l’agriculture urbaine selon la


terminologie anglo-saxonne — est considérée comme l’agriculture localisée dans la
ville et à sa périphérie, dont les produits sont destinés à la ville

et pour laquelle il existe une alternative entre usage agricole et urbain non agricole
des ressources ; l’alternative ouvre sur des concurrences, mais également sur des
complémentarités entre ces usages :
– foncier bâti et foncier agricole ;
– eau destinée aux besoins des villes et eau d’irrigation ;
– travail non agricole et travail agricole ;
– déchets ménagers et industriels et intrants agricoles ;
– coexistence en ville d’une multiplicité de savoir-faire dus à des migrations,
cohabitation d’activités agricoles et urbaines génératrices d’externalités négatives
(vols, nuisances) et positives (espaces verts) (Moustier et Mbaye, 1999).

7. Urban agriculture is farming and related activities that take place within the purview
of urban authorities . . .[where urban authorities are] the panoply of laws and
regulations regarding land use and tenurial rights, use of water, the environment,
etc., that have been established and are operated by urban and municipal
authorities. Urban agriculture takes place within certain boundaries which may extend
quite far from an urban centre, while peri-urban agriculture takes place beyond that
often geographically precise boundary, although its own outer boundary may be less
well defined (Aldington, 1997).

8. Urban agriculture refers to farming or livestock keeping within the municipal


boundaries. Peri-urban agriculture refers to the same activities in the area
immediately surrounding the city in areas where the presence of the city has an
impact on land values, land use, property rights, and where proximity to the urban
market and urban demand drive changes in agricultural production (Maxwell et
Armar-Klemesu, 1998).

9. Urban agriculture is understood as agricultural activities undertaken within the


urban area or its surroundings, by people living within the city’s administrative
boundaries (Lourenco-Lindell, 1995).

Ces définitions peuvent être classées selon différents critères.

• La définition n. 4, qui définit l’agriculture urbaine ou périurbaine principalement par


rapport au marché urbain, a l’avantage de la simplicité mais elle manque de
spécificité par rapport à l’agriculture rurale. Si la localisation est spécifiée (à l’intérieur
de la ville ou à sa périphérie), cette indication est peu précise.

• La définition n. 1 définit l’agriculture urbaine ou périurbaine de manière précise et


opérationnelle, par rapport à l’intensification des systèmes de production et à
l’utilisation des déchets urbains. Cependant, cette définition est restrictive, car
certaines formes de production urbaine sont extensives, et certaines exploitations
n’utilisent que des fertilisants chimiques et pas de déchets urbains.

• Les définitions n. 2, 5 et 6, qui définissent l’agriculture urbaine ou périurbaine par


rapport aux flux de ressources et de produits entre l’agriculture et la ville, ces flux
créant des concurrences et des complémentarités entre usages agricoles et non
agricoles, apparaissent comme les plus pertinentes : elles font bien ressortir la
spécificité de l’agriculture urbaine.

• Les définitions n. 7, 8 et 9, qui définissent l’agriculture urbaine principalement en


fonction des limites administratives de la ville, sont les plus opérationnelles, mais
elles sont peu analytiques et elles excluent des zones très proches de la ville mais
appartenant à des juridictions différentes de la municipalité, qui peuvent être
beaucoup plus influencées par l’expansion de la ville que certaines zones urbaines.

Quant à la distinction entre agriculture intra-urbaine, périurbaine, urbaine, elle diffère


selon les auteurs. La définition n. 2 considère l’agriculture urbaine comme englobant
l’agriculture intra et périurbaine. La définition n. 6 considère l’agriculture périurbaine
comme englobant l’agriculture intra et périurbaine au sens strict et comme synonyme
de l’agriculture urbaine. La définition n. 8 considère l’agriculture urbaine comme
synonyme d’agriculture intra-urbaine. La définition n. 5 fait une différence entre
agricultures urbaine et périurbaine selon la présence ou l’absence de rapports
fonctionnels entre ville et agriculture. Les autres définitions ne suggèrent pas de
différences entre les trois termes.
Dans certaines définitions, le type d’activités englobées sous le vocable d’agriculture
est précisé : activités de production, commerce, transformation ; productions
végétales et animales, alimentaires et non alimentaires (n. 1, 2, 3 et 8).

Les interactions entre la ville et l’agriculture, en termes de flux de ressources et de


produits, sont au cœur de l’identité de l’agriculture urbaine (terme que nous
employons ici pour désigner à la fois l’agriculture intra et périurbaine). La suite du
chapitre se propose de caractériser ces interactions et leurs conséquences en
termes d’atouts et de contraintes pour l’agriculture urbaine.

Les interactions de la ville


et de l’agriculture

Les spécificités de la contrainte foncière


Alors qu’en milieu rural le mode prédominant d’accès au foncier demeure un droit
d’usage gratuit, inhérent à l’appartenance à une communauté détentrice d’un terroir,
les modes marchands d’accès au foncier se développent en milieu urbain et
périurbain, bien qu’ils ne se substituent jamais totalement

aux modes traditionnels de type lignager (sur l’accès au foncier en Afrique, voir
Verdier et Rochegude, 1986). En milieu urbain et périurbain, la terre devient un enjeu
monétaire, en premier lieu parce qu’elle peut porter des bâtiments ou des
équipements lucratifs. En milieu urbain, l’achat d’une parcelle pour la construction de
logements qui seront loués est généralement plus rentable que l’exploitation du
même terrain à des fins agricoles. Le coût du terrain est ainsi dissocié de la
rentabilité de l’activité agricole.

Des exemples de monétarisation des terres sont donnés par Swindell (1988) : « In
1967-1968, Goddard et al. (1971) found that 19 and 29% of land had been acquired
by purchase in the periphery of Sokoto. Near Kano, Hill (1977) estimated that 44 per
cent of the land of rich farmers had been purchased ». A Brazzaville, en 1986, une
parcelle de 400 m2 valait 200 000 à 300 000 FCfa dans le quartier de Madibou, en
1988, la même parcelle valait entre 400 000 et 500 000 FCfa (Moustier, 1995).

La concurrence pour le foncier entre usages agricoles et non agricoles affecte tous
les types de terrain, car même les terrains marécageux peuvent être drainés en vue
d’être construits, et la bonne terre agricole peut avoir favorisé le développement
d’infrastructures de desserte, qui attirent l’immobilier (Moustier et Pagès, 1997).

Le retrait des usages agricoles du périurbain au bénéfice de la construction est


favorisé par des politiques foncières ambiguës de la part des autorités. Une
cohabitation tendue entre droits coutumiers et droits constitutionnels aggrave la
précarité de la propriété foncière agricole. Les modes d’accès au foncier agricole
sont variés : installation par le gouvernement, paiement d’une somme forfaitaire ou
d’un loyer à un propriétaire coutumier ou combinaison de ces formes, voire
installation sans aucune procédure préalable. Dans tous les cas, aucune procédure
ne protège de l’expulsion. L’expulsion peut avoir lieu après qu’une offre intéressante
a été faite au propriétaire coutumier par un citadin qui veut bâtir sur le terrain, ou si
les autorités municipales souhaitent aménager le terrain, par exemple y construire
une route. Une compensation peut être accordée à l’agriculteur, mais rarement au
prix du marché (Swindell, 1988). D’ailleurs, les agriculteurs peuvent contribuer eux-
mêmes au processus en faisant construire sur leurs propres terrains, c’est l’exemple
de Kinshasa (Richard et al., 1985). Le manque de protection du foncier et l’ambiguïté
des droits fonciers conduisent les autorités à marginaliser les activités de production
agricole. L’absence de données sur cette agriculture, son caractère informel, parfois
saisonnier, et la séparation des fonctions relevant de l’urbanisme et de l’agriculture
au sein de l’administration sont autant de facteurs qui contribuent à brouiller la
perception de ce secteur. Même en Zambie, où le Président Kauda déclarait en 1972
que les « 450 000 citadins de Lusaka devaient faire pousser leurs propres légumes
et céréales », les agriculteurs urbains cultivent sur des terrains sur lesquels ils n’ont
pas de maîtrise foncière légalement reconnue (Jaeger et Huckabay,

1984). D’autres motifs sont également évoqués pour justifier des mesures parfois
extrêmes. C’est le cas de Bafoussam, dans l’ouest du Cameroun, où, sous prétexte
d’hygiène, le maire a fait couper le maïs et saisir tous les animaux domestiques (Cta,
1991 ; Moustier et Pagès, 1997).

La précarité des activités agricoles


L’ambiguïté du droit foncier en milieu urbain entraîne la précarité des activités
agricoles. D’après Van Den Berg (1984), la conversion de la terre agricole en terre
urbaine en périphérie des villes africaines est irrémédiable et procède par étapes : à
l’agriculture rurale, de rente ou d’autoconsommation, succèdent différents types de
maraîchage ; le maraîchage est suivi de la « jachère sociale » (social fallow), c’est-à-
dire d’une situation dans laquelle une utilisation du foncier disparaît bien avant que la
suivante ne la remplace ; la jachère sociale conduit à la construction. Le maraîchage
périurbain est donc considéré par Van Den Berg (1984) comme un mode transitoire
d’utilisation du foncier (Moustier et Pagès, 1997).

La concurrence entre eau d’irrigation et eau potable


La concurrence entre eau d’irrigation et eau potable est surtout marquée en zone
sahélienne, comme l’illustre le cas de Dakar. Malgré la diversité et l’abondance des
différentes ressources hydriques utilisées, l’approvisionnement de Dakar reste
actuellement caractérisé par un important déficit de l’ordre de 100 000 m3 par jour en
période de pointe (Mbaye et al., 1999). Cette situation résulte du déficit
pluviométrique et de l’accroissement de la population, passée de 54 000 habitants,
en 1930, à près de 1 500 000 habitants, en 1988. Une évaluation par la Sonees
(Société nationale d’exploitation des eaux du Sénégal) des productions des forages
alimentant Dakar et ses environs, depuis 1925, montre que l’accroissement continu
des prélèvements a entraîné une baisse importante du niveau des nappes et, dans
certains cas, une avancée du biseau salé, avec parfois la pollution des forages.
Plusieurs ressources ont été utilisées de manière excessive pour l’agriculture et
l’alimentation en eau potable, notamment les nappes quaternaires du Cap-Vert et les
nappes paléocènes de Sébikhotane.
Des interactions négatives
Les pollutions

Les pollutions non agricoles en ville correspondent aux pollutions liées aux activités
industrielles, aux égouts et aux déchets domestiques et industriels. Ces pollutions
affectent l’air, l’eau et le sol. Elles sont responsables des concentrations en métaux
lourds et en agents microbiologiques pathogènes.

Les déchets de plastiques et les débris de verre dans les déchets domestiques et
industriels sont également des facteurs de nuisance.

Les pollutions agricoles sont liées aux apports d’engrais (concentration de nitrates),
aux pesticides et aux déchets et effluents d’élevage.

Les pollutions engendrées par les activités urbaines, agricoles et non agricoles,
entraînent des risques sanitaires pour les produits. A Hanoi, des métaux lourds ont
été détectés dans les produits cultivés dans des eaux et des sols contaminés par les
pollutions urbaines ou des déchets recyclés : des excès de plomb ont été décelés
dans les étangs piscicoles, par exemple (Le Thi Nham et al., 1995). A Bangkok, il
existe des données sur les problèmes posés à l’agriculture par la pollution de l’eau
(Vagneron et al., 2003). Les producteurs peuvent aussi être directement affectés par
la pulvérisation des pesticides ainsi que par le contact avec des eaux polluées (cas
de cécité recensés à Hanoi). Enfin, l’utilisation mal raisonnée des pesticides et des
engrais peut contribuer à la pollution des nappes phréatiques. En Afrique, les études
sur ce type de problème sont peu nombreuses. Il existe cependant des travaux sur la
contamination des légumes par les eaux usées (voir le chapitre 5).

Les prédations et les nuisances

Le vol des produits ou des bêtes sur les parcelles est un problème couramment cité
par les agriculteurs urbains. La divagation des animaux peut occasionner des dégâts
sur les parcelles cultivées. Les élevages urbains peuvent provoquer des nuisances :
fumier, odeurs, bruits, etc. La proximité de bas-fonds cultivés est parfois considérée
par les citadins comme source d’insalubrité et de paludisme, souvent sans
fondement.

Des interactions positives


Les interactions positives entre la ville et l’agriculture sont développées dans la partie
sur les impacts de l’agriculture urbaine. En ce qui concerne l’effet positif de la ville
sur l’agriculture, on peut citer la proximité du marché et ses opportunités
commerciales, mais aussi un accès plus facile aux services de crédit, aux intrants et
à la vulgarisation.

La perception réciproque
Comment les citadins perçoivent-ils l’agriculture dans leur ville : comme une source
de nuisances ou, au contraire, comme un bienfait pour leur environnement?
Comment les agriculteurs perçoivent-ils l’environnement urbain : comme une gêne
pour leurs activités agricoles ou plutôt comme un

atout? Ces questions sont fondamentales car de leurs réponses dépend la capacité
des agriculteurs de voir relayées leurs revendications par les acteurs de la ville. Ce
sujet a été étudié par des chercheurs de l’Ensp pour des agriculteurs de villes
françaises, canadiennes et tunisiennes (Mouez, 1999 ; Donadieu et Fleury, 1997). Ils
montrent que les perceptions de part et d’autre seraient plus positives si les pratiques
agricoles des exploitants périurbains étaient mieux connues des citadins. C’est un
sujet à approfondir pour l’Afrique subsaharienne.

Les typologies et les échelles


Les typologies de systèmes de production, de zones de production ou d’exploitations
ont pour objectif de présenter des caractéristiques pertinentes pour l’ensemble d’un
groupe tout en tenant compte de la diversité des situations entre plusieurs groupes
(généralement de deux à cinq).

Exemple de typologies
Pour chaque groupe d’unités d’analyse retenues, une liste de variables de
caractérisation est élaborée, ces variables pouvant être corrélées. Nous reprenons ici
l’exemple de la typologie des systèmes de production présents dans l’agriculture
urbaine des Niayes au Sénégal (Fall, 2000). Les variables suivantes ont été retenues
:
– les sites écologiques de production ;
– le type de production : arboriculture, maraîchage, céréaliculture, floriculture ;
– la taille des exploitations ;
– les spéculations les plus fréquentes ;
– la destination des productions
– les régimes fonciers ;
– les techniques d’exploitation : itinéraires techniques, mode d’irrigation ;
– les acteurs sociaux impliqués.

Des exemples de typologies seront développées dans les chapitres 3 et 4.

Les échelles
La caractérisation de l’agriculture urbaine peut être réalisée à plusieurs échelles
complémentaires. En termes d’unités d’analyse, on peut considérer les ménages, les
exploitations, les systèmes de production. En termes d’espace, on peut considérer
un site écologique, un quartier, un espace administratif.

Les disciplines et les concepts associés

L’économie spatiale
Le modèle de Von Thünen concerne l’effet de la distance sur l’utilisation des sols. Il
est résumé ici à partir des textes originaux (Huriot, 1994). Von Thünen (1783-1850)
était un exploitant agricole allemand. La première traduction française, partielle, de
son ouvrage L’Etat isolé date de 1851. L’ouvrage de Huriot (1994) rassemble les
textes essentiels de cet ouvrage traduits en français. Le modèle de Von Thünen
repose sur un certain nombre d’hypothèses. Il considère une ville dont l’arrière-pays
est une plaine homogène séparée du reste du monde par un désert. Le cultivateur
fait des choix de culture rationnels en terme de rentabilité. Ce modèle répond à la
question suivante : comment le cultivateur choisit-il ses systèmes de culture en
fonction de la distance de son exploitation à la ville? Sa principale conclusion est que
ce choix est déterminé par la part du coût de transport du produit dans la valeur
marchande du produit. Ainsi, les produits de grand poids par rapport à leur valeur,
représentant des frais de transport élevés, sont cultivés près de la ville. C’est
également le cas des produits très altérables, consommés à l’état frais, comme la
salade et le lait. Avec la proximité de la ville, la jachère disparaît et l’agriculture utilise
plus d’engrais acheté en ville. Le modèle offre toujours une certaine pertinence pour
les agricultures tropicales, où les infrastructures de transport sont peu développées.
Ainsi, dans les études de cas citées par Moustier (1998), plus des trois quarts des
flux de légumes-feuilles proviennent de zones situées à moins de 30 km de la ville.
Gockowski (1988) a appliqué le modèle au cas de Yaoundé, au Cameroun, Kumar
(1986) à celui d’Amritsar, en Inde. Quand le coût de transport devient négligeable par
rapport à la valeur marchande du produit, comme c’est le cas dans les pays
occidentaux, l’apport du modèle est limité.

L’économie spatiale s’intéresse aux déterminants de la localisation des activités


économiques. Cette discipline est notamment inspirée de Von Thünen. L’économie
et la géographie des territoires sont des disciplines récentes (Rallet et Torre, 1995).
Ces disciplines aident à comprendre les spécialisations de certains bassins
d’approvisionnement : par exemple, l’ouest du Cameroun pour le maraîchage ou la
région de Sikasso au Mali pour la pomme de terre. L’analyse des spécialisations
géographiques s’appuie généralement sur les spécificités agroécologiques. La notion
de territoire fait intervenir également la concentration et la proximité d’entreprises,
l’importance des savoir-faire collectifs et les économies d’échelle.

En milieu urbain, les logiques de territoire semblent moins marquées qu’en milieu
rural, les savoir-faire se côtoient sans s’échanger avec facilité, la cohé-

sion sociale est moins forte. L’espace de l’agriculture urbaine est-il un territoire?
C’est un sujet de recherche à approfondir (Bomkondé, 1999 ; Fleury et Moustier,
1999).

Les systèmes d’approvisionnement


et de distribution alimentaires
Les systèmes d’approvisionnement et de distribution alimentaires (Sada) sont l’objet
du Programme approvisionnement et distribution alimentaires des villes lancé en
1995 par la Fao, dont l’activité principale est la diffusion de documentation sur
Internet (http://www.fao.org/waicent/faoinfo/agricult/ags/agsm/sada/sada.htm). Ces
systèmes correspondent à la définition classique de filière, appliquée au domaine de
l’approvisionnement des villes. La filière est définie comme l’ensemble des agents
économiques qui contribuent directement à la production puis à la transformation et à
l’acheminement jusqu’au marché d’un produit. La filière correspond à la succession
des opérations qui partant d’un produit aboutit, après plusieurs stades de transfert
dans le temps, l’espace et la forme, à un produit fini pour le consommateur (Duruflé
et al., 1988).

Le programme de la Fao s’est donné comme objectif d’améliorer l’efficacité des


systèmes d’approvisionnement et de distribution alimentaires des villes, c’est-à-dire
leur capacité à assurer l’approvisionnement alimentaire, en quantité, en qualité et à
un prix accessible à toutes les catégories de la population urbaine, et cela de façon
durable (Wilhelm, 1998).

Les intermédiaires entre la production vivrière et la consommation alimentaire


urbaine et l’efficacité de cette mise en relation sont également au centre des
analyses économiques de Hugon (1985) et des études sociologiques de Guyer
(1987). L’approvisionnement des villes et les relations ville-campagne sont des
thèmes classiques de la géographie. On pourra se rapporter à Bricas (1998),
Moustier et Leplaideur (1998), Scott et Griffon (1998) pour des méthodes pratiques
d’étude de la consommation et du commerce alimentaires à destination des villes.

Le concept de sécurité alimentaire fait référence à l’accès de tous, toute l’année, à


une alimentation équilibrée. Le concept de sécurité des aliments est plus récent. Il
correspond à l’absence de risques sanitaires résultant de l’ingestion des aliments
(Hanak et al., 2002).

Les systèmes agricoles et urbains durables


La durabilité au sens économique fait référence à la capacité de l’exploitation à être
rentable et à se reproduire au fil du temps. La durabilité au sens écolo-

gique fait référence à la préservation des ressources naturelles de base utilisées par
l’exploitation ou affectées par les ressources agricoles (Robin, 2000).

Pour l’agriculture, Robin (2000) présente les définitions de la production intégrée et


de l’agriculture raisonnée. Ces deux concepts, proches, impliquent une réduction des
apports d’intrants chimiques, afin de préserver l’environnement, et la prise en compte
des spécificités du milieu naturel. Seule l’agriculture biologique fait l’objet de critères
précis dans la nature des intrants utilisés. En milieu urbain, dans un contexte de forte
pression sur les ressources naturelles, la question de la durabilité de l’agriculture est
cruciale (voir le chapitre 4).

A l’échelle de la ville, la notion de durabilité fait référence au recyclage des intrants,


qui limite les sorties de produits polluants : boucles fermées plutôt que boucles
ouvertes (Undp, 1996).

L’économie institutionnelle et la gouvernance urbaine


L’économie institutionnelle2 s’intéresse aux formes de coordination entre acteurs
économiques (Bardhan, 1989 ; Ménard, 1990). Le marché n’est pas considéré
comme la forme de coordination la plus efficace dans une situation d’information
imparfaite, de risques pour l’environnement et de comportements opportunistes. Les
formes de coordination étudiées sont principalement : les liens de fidélisation
interpersonnels, les contrats, l’intégration verticale, les associations, les règles.

Il est important de prendre en compte ou de promouvoir ce type d’organisations dans


le domaine de l’agriculture urbaine où les risques sont nombreux (sur l’accès au
foncier et au marché).

La gouvernance urbaine s’intéresse surtout aux règles de gestion des ressources


urbaines, qui doivent s’appliquer dans un contexte de conflits d’intérêt et de biens
communs ou collectifs difficilement gérables par des structures privées (chapitre 2).

Les fonctions et les impacts


de l’agriculture urbaine
L’agriculture urbaine a de multiples objectifs et remplit de nombreuses fonctions
(tableau 2). Pour l’analyser, il convient de séparer ses sous-secteurs — maraîchage,
élevage. . . —, car ils ne remplissent pas les mêmes fonctions

2. Pour simplifier, nous avons appelé économie institutionnelle un ensemble d’écoles


(économie néo-institutionnelle, économie des contrats, économie de l’information, économie
des conventions . . .) s’intéressant aux institutions ou aux organisations.

avec le même poids. Les impacts comprennent la contribution aux fonctions


précédemment citées ainsi que les effets indirects, négatifs et positifs, que les
économistes qualifient d’externalités : pollutions, inéquité, bénéfices réciproques des
co-usagers (par exemple entre les arboriculteurs et les apiculteurs).

Tableau 2. Matrice d’analyse des


fonctions de l’agriculture urbaine,
d’après Cissé et Moustier (1999).

Les dynamiques de l’agriculture urbaine


L’agriculture urbaine se caractérise par une évolution rapide, qui résulte des
changements fréquents dans l’utilisation de l’espace urbain, d’une part, et du
dynamisme des acteurs, d’autre part. Il est donc indispensable de disposer
d’indicateurs de suivi de cette évolution. Le tableau 3 synthétise les variables
susceptibles de changer dans l’évolution de l’agriculture urbaine et qu’il convient
d’observer à différentes échelles de temps.

L’évolution de ces variables ou indicateurs résulte de nombreux facteurs de


changement, révélés par plusieurs études de cas (Moustier et David, 1997 ; tableau
4).

En conséquence de ces nombreux facteurs de changement et de leurs effets


contrastés sur l’agriculture urbaine, les dynamiques d’évolution de l’agriculture
urbaine ne sont pas linéaires. Les analyses historiques permettent de relativiser les
discours tendant à présenter l’agriculture urbaine comme irré-médiablement
galopante ou au contraire vouée au déclin. On peut mettre en relation l’importance
de l’agriculture urbaine dans l’approvisionnement avec la densité urbaine : elle
occupe une place beaucoup plus grande dans les villes à faible densité foncière,
comme Bangui, que dans les villes à forte pression foncière, comme Antananarivo.

Cependant, la précarité de l’emploi en ville peut entraîner le développement du


périurbain malgré une pression foncière forte, c’est le cas à Yaoundé. Mais ce
développement peut se heurter au faible pouvoir d’achat des consommateurs. A
Bangui, le nombre de producteurs de légumes

Tableau 3. Les variables de


l’agriculture urbaine, d’après Moustier
et David (1997).

n’avait pas augmenté entre 1989 et 1996 du fait de la restriction du pouvoir d’achat
des consommateurs. A Madagascar, le développement des infrastructures de
transport reliant la ville à sa plaine, en sus de la pression foncière urbaine, a conduit
à la régression de l’agriculture urbaine et du périurbain dans les années 1950 au
profit des productions rurales (Douessin, 1974). A l’heure actuelle, la production
maraîchère intra-urbaine se limite à une centaine de producteurs de cresson, sur des
parcelles d’une centaine de mètres carrés. Cependant, le périurbain proche (20 km
des limites de la ville) approvisionne toujours le marché des légumes-feuilles. Au
Congo, les perturbations du chemin de fer de 1992 et 1993 ont incité des
producteurs du sud du pays à se déplacer dans les environs de Pointe-Noire pour
cultiver (expérience d’un groupement de producteurs de Loutété). Si dans certaines
villes, des organisations publiques, des groupements de producteurs et des
associations de commerçants ont permis un maintien et un développement
harmonieux de l’agriculture urbaine (cas de Brazzaville et de Bissau), dans d’autres
situations (Dakar, Pointe-Noire), l’absence de régulation institutionnelle a conduit à
des situations de crises, de conflits et de tensions sociales (pour l’accès à l’eau et à
la terre surtout), dommageables à l’approvisionnement des consommateurs. Ces
comparaisons soulignent les conséquences négatives d’un laisser-faire. Il ne s’agit
pas de créer ex nihilo ou de conserver de manière figée des activités qui se
développent et s’adaptent avec une grande souplesse, mais plutôt d’accompagner
les dynamiques existantes en s’inspirant des expériences réussies (Moustier, 1998).

Tableau 4. Les principaux facteurs de


changement de l’agriculture urbaine,
d’après Moustier et David (1997).

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Cette page est laissée intentionnellement en blanc.

2. La place de l’agriculture
urbaine dans les dispositifs
institutionnels
et la planification

Djibrill Doucouré, André Fleury

L’agriculture urbaine qui se développe dans plusieurs villes d’Afrique de l’Ouest et du


Centre est confrontée à des contraintes qui limitent son essor. Dans ce chapitre,
l’accent est mis sur la planification, indispensable pour une réelle prise en compte de
l’agriculture urbaine par les politiques publiques, et sur les conséquences pour
l’agriculture urbaine des stratégies générales de développement et des textes
législatifs et réglementaires promulgués en vue d’autres objectifs.

Dans son introduction, ce chapitre esquisse une réflexion sur la place de l’agriculture
urbaine dans le développement des villes. La première partie présente ensuite les
méthodes de planification urbaine susceptibles d’améliorer le développement durable
de l’agriculture urbaine par sa prise en compte effective dans le contexte du
développement socio-économique local. Ces méthodes reposent sur l’implication de
tous les acteurs du secteur dans l’élaboration des politiques, sur l’identification des
problèmes majeurs et leur hiérarchisation et sur le choix des solutions appropriées
pour les résoudre. La seconde partie applique ces principes généraux. Elle resitue
d’abord la question de l’agriculture dans le contexte urbain, en précisant les enjeux et
les dynamiques urbaines et en examinant le caractère durable de cette agriculture.
Puis elle aborde les conditions spécifiques pour que l’agriculture urbaine trouve sa
place dans les documents d’urbanisme : identifier une zone agricole et en définir les
règles de fonctionnement. La conclusion du chapitre souligne la nécessité de
l’innovation juridique dans le domaine de l’agriculture urbaine.
L’agriculture urbaine
dans le développement des villes
Les termes de référence du Réseau francophone pour l’agriculture urbaine en
Afrique de l’Ouest et du Centre (Rfau/Aoc), mis en place par le Crdi, rappellent que
cette agriculture contribue à plusieurs titres à la gestion de la ville :
– en participant à l’approvisionnement, surtout en produit frais ;
– en créant des emplois et des revenus, qui contribuent à l’équilibre social ;
– en améliorant l’environnement par une gestion spécifique des déchets ;
– en occupant des terrains qui font office de coupures vertes dans le tissu urbain et
en participant ainsi à l’aménagement des espaces verts et à l’amélioration de la
qualité de l’air.

Outre sa dimension strictement agronomique, l’agriculture urbaine permet de


résoudre certaines questions sociales graves en jouant un rôle d’intégration
(migration des ruraux, chômage endémique). Pourquoi son développement pose-t-il
alors un problème? L’un des nombreux paradoxes de l’agriculture urbaine est d’être
à la fois ancienne, quasi universelle et souvent en marge, sinon de la loi, du moins
de la pratique ordinaire de l’urbanisme : la pratique sociale n’a pas (encore) fait
évoluer le droit. Il y a probablement plusieurs raisons à cela.

• L’implantation de l’agriculture urbaine, dans et autour de la ville, se situe


précisément là où s’opère la progression de la ville. Dans les pays développés, cela
ne pose pas de problèmes, le découplage entre bassin de production et bassin de
consommation étant quasiment total. L’agriculture périurbaine professionnelle y
ressemble à l’agriculture rurale avec laquelle elle est articulée.

• Les pouvoirs publics n’interviennent pas, en général, dans l’organisation de


l’approvisionnement. Les agriculteurs périurbains sont assez proactifs pour prendre
des initiatives dans le domaine de la production (Bryant et Johnston, 1992). L’action
traditionnelle des villes relève essentiellement de l’organisation des marchés
physiques.

• Les politiques locales ont davantage planifié le développement économique que le


développement social. L’espace agricole n’est pas un élément structurant des projets
urbains.

• En outre, l’administration de l’espace se partage souvent entre le code rural et le


code de l’urbanisme, fréquemment irréductibles l’un à l’autre. Dans l’espace
périurbain, les contradictions sont particulièrement nombreuses et visibles et, le plus
souvent, les conflits sont réglés au profit de la ville au sens strict. Les anciens jardins
ouvriers ou familiaux, version européenne de l’agriculture urbaine tropicale, en ont
largement fait les frais.

Mais le plus important est sans doute que, dans le diagnostic des politiques
publiques et dans la mise en œuvre des processus de planification, la concertation
entre acteurs n’est souvent pas de mise. En effet, les populations les plus
concernées par l’agriculture urbaine ne sont que peu représentées auprès du pouvoir
urbain, qui privilégie d’autres groupes sociaux et d’autres enjeux. La planification
mise en œuvre ces dernières décennies dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et
du Centre, traduction de la stratégie globale de développement, n’a guère tenu
compte de l’agriculture urbaine, malgré tous ses avantages sociaux, économiques et
environnementaux. Les conséquences en sont, d’une part, que les problèmes des
acteurs sont négligés ou mal pris en compte avec pour corollaire que les solutions
préconisées ne rencontrent pas l’adhésion, d’autre part, que le développement
accuse un retard et que les ressources de la planification se perdent, d’autant plus
que le constat de l’échec arrive avec quelques années de retard et qu’il faut alors
recommencer tout le processus.

La méthodologie de la planification
Les organismes de développement ont instauré depuis quelques années des
méthodes d’approche des problèmes, qui mettent l’accent sur la concertation et la
participation des acteurs, notamment communautaires. Elles peuvent ainsi conduire
à reformuler les politiques publiques et à mieux les appliquer. Par la prise en compte
des problématiques exprimées par les acteurs eux-mêmes, elles permettent
d’améliorer le secteur et facilitent l’accès aux ressources nécessaires. Elles peuvent
être utilisées dans le cadre de l’agriculture urbaine pour son insertion véritable dans
la définition, l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques centrées sur
différents secteurs d’activité.

En premier lieu, nous considérons les méthodes de planification conventionnelles et


les méthodes stratégiquement concertées, sur la base d’exemples mettant en
évidence des processus de participation et de concertation — processus de
planification et de gestion de l’environnement, consultation de ville, processus
d’élaboration des plans locaux d’action environnementale (Plae) et des plans
nationaux d’action pour l’environnement (Pnae). En second lieu, nous examinons
certains mécanismes durables de concertation et de mise en réseau entre les
acteurs de l’agriculture urbaine et périurbaine en Afrique de l’Ouest et du Centre.

L’évolution de la planification

La planification classique

Le schéma de planification dit classique se déroule en quatre phases : la collecte


d’un grand nombre de données chiffrées (statistiques démographiques,

emploi, branches économiques), le traitement des données et leur croisement, la


rédaction d’un document de base, l’élaboration du plan proprement dit. Dans ce
schéma, des spécialistes d’un secteur ou des experts multidisciplinaires sont mis à
contribution pour définir un plan selon le cycle : définition du système,
hiérarchisation, analyse préliminaire, identification, évaluation et comparaison des
scénarios, choix du plan, processus de mise en œuvre.

L’analyse détaillée de cette procédure ainsi que les résultats obtenus, dans divers
cas et à l’échelle mondiale, ont révélé les limites du schéma de planification
classique. C’est pourquoi une nouvelle génération de méthodes de planification a été
développée.

La planification stratégique
Ces nouvelles méthodes de planification s’appuient sur des outils simples et souples,
compris et acceptés de l’ensemble des acteurs, y compris les bénéficiaires. Elles
mettent l’accent sur l’implication de tous les acteurs dès le début du processus,
aspect fondamental pour la réussite de l’exercice. Cette rupture avec les procédures
classiques a donc consacré l’émergence de la planification dite stratégique
concertée (tableau 5).

Les exemples de processus


de planification stratégique
Plusieurs processus de planification stratégique susceptibles d’intégrer l’agriculture
urbaine dans le schéma de développement sont mis en œuvre actuellement.

La consultation de ville

La consultation de ville est une démarche d’expérimentation sociale d’un processus


Agenda 21 dans les unités urbaines. Elle repose sur trois principes fondamentaux :
la concertation et la coordination intersectorielle des activités, la participation
communautaire et l’engagement municipal. La consultation de ville intègre dans sa
démarche plusieurs outils de planification et des techniques d’analyse de la
participation et de l’animation sociale. Elle a une fonction pédagogique de mise en
réseau des différents acteurs du développement urbain dans la perspective du «
penser globalement et agir localement » (think globally and act locally). La
consultation de ville se déroule selon plusieurs étapes.

• Le profil environnemental. Les principaux objectifs de ce profil de l’agriculture


urbaine sont la collecte de l’information, l’identification des problèmes prioritaires des
acteurs du secteur, l’identification des acteurs clés et

Tableau 5. Les étapes de la


planification stratégique.
des institutions à impliquer, le partage avec tous les partenaires du processus de
planification et de gestion, les orientations et l’évolution de l’approche adoptée. La
collecte et l’arrangement de toutes les informations liées à ce secteur se font par le
biais d’outil de collecte de l’information comme la méthode accélérée de recherche
participative (Marp), le focus group, l’observation participante, les interviews
communautaires, la recherche documentaire, les enquêtes par questionnaire. A la
suite de la collecte des informations, on effectue un exercice d’intégration et de mise
en cohérence des données qualitatives et quantitatives, étape importante

dans la perspective d’une complémentarité fonctionnelle des informations. Cette


mise en cohérence peut se faire selon un processus continu d’interprétation ou de
restitutions avec les acteurs.

Les acteurs clés et les institutions à impliquer sont :


– les producteurs (individus, groupements, coopératives), les intermédiaires, les
transporteurs, les commerçants, à l’échelon local ou international ;
– les groupes communautaires (populations) et les organisations communautaires de
base ;
– les industries chimiques (engrais) ;
– les collectivités locales pour la gestion des déchets, le développement, la
planification et la fiscalité locale ;
– les acteurs des secteurs formels et informels des déchets ;
– les industries de transformation ;
– les chercheurs, les universitaires, les spécialistes de la gestion urbaine et de
l’environnement ;
– les propriétaires terriens.

Le profil est un document d’évaluation participative et consensuelle de l’état de


l’agriculture urbaine. Nous prenons ici l’exemple du profil • environnemental qui
permet d’expliciter les relations entre l’agriculture et l’environnement dans la ville
(voir l’encadré ci-dessous).
Le canevas du profil environnemental
1. Introduction : le problème ; cadre géophysique et occupation des sols ; données
socio-économiques (démographie, structure économique, pauvreté urbaine).
2. Etat de l’environnement dans l’agglomération urbaine : qualité de l’air ; qualité de
l’eau (eaux superficielles, souterraines, côtières, zones de pêche) ; sol (forêts et
végétation naturelle, terres agricoles, parcs, zones de loisirs et espaces publics, sites
historiques et patrimoines culturels, qualité du sol) ; risques naturels et anthropiques.
3. Interactions du développement et de l’agriculture urbaine : alimentation en eau et
disponibilité de l’eau ; assainissement des eaux usées et des excréta ; gestion des
déchets solides ; contrôle de la pollution atmosphérique ; disponibilité du sol et
accessibilité ; réseau de transport ; développement de l’habitat ; emploi.
4. Principaux acteurs de la gestion de l’agriculture urbaine : secteur public ; secteur
privé formel ; secteur privé informel ; mouvement associatif (organisations non
gouvernementales, organisations communautaires de base, média, coopératives).
5. Fonction de gestion : instruments d’intervention ; coordination et processus de
décision ; contraintes de gestion effective ; initiatives en cours sur le renforcement
institutionnel.

• La consultation de ville. La consultation de ville est une réunion organisée par les
initiateurs de l’exercice de planification stratégique. Elle a trois objectifs principaux :
la validation du profil environnemental ; l’identification des problématiques
environnementales prioritaires ; la mise en place des groupes de travail thématiques,
dont le nombre sera fonction des problématiques identifiées. L’organisation d’une
consultation de ville suppose

une large diffusion du profil environnemental dans la communauté des acteurs du


développement urbain (public, privé, société civile) et une bonne compréhension de
l’exercice de planification par les autorités municipales. La consultation de ville peut
durer un ou deux jours selon le degré de mobilisation des acteurs et la taille de la
ville.

• L’élaboration et la mise en œuvre des plans d’action municipale (Pam). Le plan


d’action est beaucoup plus orienté vers l’exécution. Il est flexible, peut s’accommoder
de changements et s’adapte aux différences géographiques. Sa formulation et son
exécution dépendent de l’engagement des acteurs et de leur capacité à générer et à
mobiliser des ressources. Le plan d’action s’élabore après avoir défini les problèmes
prioritaires, clarifié ces problèmes et formulé les stratégies.

• Les problèmes prioritaires. L’objectif est de concentrer les efforts sur des problèmes
prioritaires, dont les conséquences sont néfastes, et d’affecter les ressources
limitées disponibles à leur résolution. Sont considérés comme problèmes prioritaires
les problèmes intersectoriels, à long terme, récurrents, qui affectent de nombreux ou
de vastes espaces géographiques. Les critères de sélection sont la gravité des
conséquences sanitaires, l’importance de la perte de productivité urbaine, l’influence
sur la consommation non durable des ressources et les impacts irréversibles. Le
nombre de problèmes prioritaires doit être limité, notamment par rapport aux
disponibilités financières.

• La clarification des problèmes. Un exercice de clarification des problèmes est


nécessaire selon leur nature : quel est le type de problème (de gestion,
technologique, financier, institutionnel ou autre)? sa durée (phénomène passager,
problème à long terme, structurel ou cyclique)? son impact (social, économique)?
quels sont les frais engendrés (directs ou indirects)? les conséquences à long terme
qui ne peuvent être évaluées en terme monétaire? Quelles sont ses causes
fondamentales? ses acteurs à l’échelon politique, institutionnel, managérial? Quel
rôle peuvent-ils jouer et quels sont les instruments d’exécution dont ils disposent?

• La formulation de stratégies. C’est lors de cette étape que sont examinées les
options stratégiques : les stratégies passées et présentes sont analysées avant
d’entreprendre les actions sur le terrain. La mobilisation de groupes de travail sur une
durée raisonnable, avec des réunions espacées et flexibles, doit permettre de définir
ces plans d’action municipale en fonction des besoins et des possibilités de
financement. Cela suppose d’identifier et de contacter les guichets de financement
disponibles sur le plan national, par l’intermédiaire de la municipalité et d’un comité
de pilotage, reconnu officiellement, chargé de la coordination et des orientations
stratégiques de l’exercice. Il est possible d’envoyer des consultants de manière
ponctuelle, pour recueillir certaines informations et analyser certains aspects clés,
afin d’alimenter la réflexion des groupes de travail. Les groupes de travail assu-

rent le passage des plans d’action municipale conçus sous forme de fiches par
activité en documents de projet. Le succès de cette étape dépend de la maîtrise des
procédures et des mécanismes d’accès aux fonds des guichets de financement.

Les partenaires du projet doivent amener la municipalité à faire siens des projets
d’investissement et à les inscrire dans le budget municipal avec sa participation en
nature ou en espèces. Une phase dite de postconsultation donne lieu à la mise en
œuvre concrète des projets d’investissement. La mise en œuvre des plans d’action
doit être fondée sur un processus de validation communautaire en deux étapes.
Dans la première, il s’agit de lancer, auprès des communautés ciblées, un diagnostic
participatif par la méthode accélérée de recherche participative, le focus group ou la
stakeholders analysis. La seconde étape consiste à organiser des forums
communautaires pour restituer les résultats de la méthode accélérée de recherche
participative ainsi que les conclusions des groupes de travail qui auront fait l’objet de
plusieurs échanges. L’objectif assigné à la validation communautaire est de tester
l’acceptabilité sociale des plans d’action municipale.

La consultation de ville est un exercice de planification stratégique concertée,


largement expérimenté durant ces dernières années par le Cnueh (Centre des
Nations unies pour les établissements humains), le bureau pour l’Afrique du Pgu
(Programme de gestion urbaine) et l’Iagu (Institut africain de gestion urbaine).

Le processus de planification et de gestion de l’environnement


Le processus de planification et de gestion de l’environnement (Ppge) a été lancé
par le Programme cité durable (Pcd) du Cnueh. Cette démarche met l’accent sur les
interactions environnement-développement. Elle est fondée sur la participation du
public, du privé et des groupes communautaires et traite les aspects intersectoriels et
interorganisationnels, en privilégiant les réponses qui viennent de la base et en
insistant sur le renforcement des capacités locales. Elle est mise en œuvre dans plus
de vingt villes à travers le monde depuis 1991.

Le processus est une séquence d’activités connectées, sur un schéma logique et


pratique, avec un certain nombre de productions importantes pour l’évolution du
projet. Le processus se déroule selon trois phases.

• Le lancement et l’évaluation. C’est une période initiale qui peut durer neuf mois et
comprend les activités suivantes :
– identification et mobilisation des participants et partenaires du projet ;
– familiarisation des partenaires du projet avec les concepts du processus de
planification et de gestion de l’environnement et les approches « cité durable » ;
– préparation d’un profil environnemental et identification préliminaire des problèmes
environnementaux prioritaires ;
– identification des ressources, outils et informations disponibles et élaboration d’un
système d’information géographique et d’un système d’information de gestion
environnementale (environment management information system, Emis)
spécialement adapté aux besoins de la ville ;
– organisation et tenue d’une consultation de ville ;
– installation des groupes de travail par thème prioritaire.

• La stratégie et le plan d’action. Cette phase peut durer de quinze mois à deux ans.
C’est une période d’analyse, de discussion et de négociation intenses dans les
groupes de travail. Le nombre, l’objectif et le statut des membres dans ces groupes
changent et évoluent au fil du projet. Les groupes de travail restent l’aspect principal
du Programme cité durable. Chaque problème prioritaire identifié est défini et détaillé
pour atteindre un consensus sur les stratégies appropriées à mettre en œuvre pour
le traiter. A partir de ces stratégies, des plans d’action sont préparés puis soumis aux
organisations et aux groupes impliqués dans leur mise en œuvre. Il est souhaitable
que de petits projets de démonstration soient entrepris pour tester les approches
développées : quelques actions du plan peuvent être ainsi transcrites en projet.
Toutes ces activités doivent être menées graduellement, de façon pragmatique et
coopérative. Il est aussi possible de conduire des opérations visant à renforcer les
capacités institutionnelles et à développer les ressources humaines.

• Le suivi et la consolidation. Sans durée précise, c’est une période de suivi et de


mise en œuvre. Les stratégies et les plans d’action résultant des groupes de travail
sont améliorés afin de définir un cadre de gestion environnementale à l’échelle de la
ville et une stratégie de développement urbain. Les projets d’investissement sont
traités dans le détail, après une analyse rigoureuse, et un plan de mobilisation des
ressources est arrêté. La tâche d’institutionnalisation du processus, lancée lors de la
deuxième phase, est poursuivie de même que les activités de formation et de
développement institutionnel.

L’institutionnalisation du processus de planification et de gestion de l’environnement


repose sur deux préalables : la reconnaissance institutionnelle du comité de pilotage
(arrêté municipal, avis consultatif au sein du conseil municipal, présence effective de
tous les acteurs du développement urbain dans le comité) et l’appréciation des plans
d’action municipale comme formant un cadre stratégique dans lequel doivent
s’insérer toutes les initiatives de développement local. Ainsi, l’interaction est rendue
plus facile entre les pôles de décision et les organes d’exécution dans les
administrations urbaines. Enfin, des rencontres et des ateliers régionaux ou
nationaux sont organisés pour reproduire le processus dans d’autres villes en tenant
compte de l’expérience acquise dans la mise en œuvre du projet.

Les structures de mise en œuvre du processus sont le groupe consultatif, les


groupes de travail et le comité de pilotage. Le groupe consultatif est la première
structure à être formée pour la consultation de ville et l’identification des problèmes
prioritaires.

Le groupe consultatif est ensuite élargi pour former un groupe de travail bien
structuré avec des procédures opérationnelles formelles. Le groupe de travail n’est
pas organisé en fonction des institutions, des professions ou des disciplines. Ses
membres proviennent d’organisations et de groupes des secteurs public, privé et
communautaire pour assurer une participation active de tous les acteurs dont la
coopération est nécessaire. Les membres du groupe de travail doivent posséder
l’expertise ou l’information concernant la problématique pour traiter le problème et
pour développer des stratégies de gestion et des plans d’action. Ils doivent avoir des
responsabilités liées à cette problématique, c’est-à-dire contrôler les instruments de
gestion du problème, et porter un intérêt aux questions et aux stratégies
environnementales ainsi qu’aux plans d’actions.

La participation de tous les membres, experts et non, offre la possibilité d’établir un


consensus. Les membres constituent le relais entre le groupe de travail et les
acteurs. Ils doivent apporter au groupe de travail les idées, points de vue,
propositions, expertises et centre d’intérêts de leurs structures respectives. Ils
doivent prendre les décisions.

Au fur et à mesure que les travaux du groupe de travail progressent (clarification des
problématiques, analyse des options, élaboration des stratégies et des plans
d’action), de nouveaux rôles et de nouvelles compétences peuvent s’avérer
nécessaires, ce qui conduit à identifier de nouveaux acteurs.

Pour assurer la cohésion de groupe et une participation productive, l’expérience


suggère un maximum de 10 à 12 membres et un minimum de 7 membres. Pour
maintenir et promouvoir la participation de tous les acteurs, il peut être nécessaire de
mettre en place :
– des réunions élargies du groupe de travail sur des sujets spécifiques, où d’autres
acteurs sont conviés ;
– des miniconsultations, des réunions à l’échelle de la ville sur un problème
spécifique, où sont invités tous les acteurs possibles ;
– des ateliers spécifiques plus techniques ;
– des sous-groupes du groupe de travail qui ont pour mandat de traiter d’un
problème spécifique et qui peuvent s’adjoindre d’autres membres ;
– des réunions consultatives communautaires sur un problème spécifique d’une zone
donnée, qui ont pour objectif de stimuler une large participation, spécialement des
acteurs d’autres secteurs que le secteur public ;
– des projets de démonstration, engagés par le groupe de travail, dont la petite taille
permet de mettre en place une équipe spéciale qui comprend plusieurs types
d’acteur.

Chaque groupe de travail a un coordinateur désigné. S’il y a plusieurs groupes de


travail, un groupe de travail de coordination rassemble les coordinateurs des groupes
de travail spécifiques dans un forum qui facilite l’échange de leurs stratégies et de
leurs résultats. Aussi, selon la complexité des problèmes et la technicité requise, un
comité de coordination technique peut être mis en place pour aider le groupe de
travail à comprendre les plans sectoriels, pour renforcer sa coordination et l’aider à
capter l’attention des décideurs.

Le processus du groupe de travail est construit sur le principe de base simple de la


participation intersectorielle dans la planification et la gestion de la prise de décision.
La structure générale repose sur trois fonctions principales : la fonction de soutien
politique ; le consensus dans la fonction de prise de décision ; la fonction de
coordination.

Les groupes de travail sont au centre de la mise en œuvre d’un projet du Programme
cité durable. Les groupes de travail sont normalement opérationnels juste après la
consultation de ville sur la base des travaux préparatoires à la consultation et durant
la consultation. Ils le restent tout au long de la mise en œuvre du processus de
planification et de gestion de l’environnement et sont la base de l’institutionnalisation
du projet à long terme.

Les problématiques environnementales prioritaires, identifiées et formulées durant la


première phase du projet puis hiérarchisées et confirmées lors de la consultation,
deviennent la base de travail de ces groupes. Chaque groupe de travail traite d’un
problème spécifique.

Un comité de pilotage composé de dirigeants politiques, administratifs et


communautaires, de représentants des principales agences de financement et
d’acteurs stratégiques peut mobiliser un fort soutien politique. Un comité de pilotage
mis en place dès le début permet de stimuler l’appui politique nécessaire au
lancement du processus. Le comité de pilotage peut aussi jouer un rôle important de
soutien aux groupes de travail spécifiques.

La consultation de ville dans le Programme de gestion urbaine

La consultation de ville est utilisée par le Programme de gestion urbaine dans un


processus moins long, qui dépend du contexte local. Le maître mot étant l’implication
de la population dans la prise de décision, les consultations de ville sont mises en
œuvre sur la base d’une demande locale et des priorités définies par la population
(figure 1). Elle débute par une intense activité de préparation lors de laquelle le profil
est élaboré. Les thématiques clés du Programme de gestion urbaine autour
desquelles s’orientent les consultations de ville sont la pauvreté, la gouvernance,
l’environnement et le genre comme thème transversal. Actuellement et dans le cadre
de la thématique environnementale, un vaste programme de consultation de ville est
mis en œuvre dans sept villes de l’Afrique de l’Ouest par le Réseau francophone
Figure 1. Processus de consultation de
ville.

pour l’agriculture urbaine en Afrique de l’Ouest et du Centre, abrité par l’Iagu. Des
études de cas et des profils sont élaborés sur la problématique foncière et la
réutilisation des eaux usées dans l’agriculture urbaine. Elles seront présentées lors
de la consultation de ville où le plan d’action sera élaboré avec la hiérarchisation des
actions à mettre en œuvre et leurs acteurs. La mobilisation des ressources, tant
locales qu’externes, est suivie par la mise en œuvre et le suivi-évaluation.

Les plans locaux d’action environnementale


et le plan national d’action pour l’environnement

L’élaboration des plans locaux d’action environnementale (Plae) est aussi une
démarche efficace pour gérer l’environnement urbain. Ces plans combinent
l’évaluation des conditions environnementales locales sous forme d’audit et
l’identification des problèmes prioritaires, auxquels sont associés

des politiques locales appropriées et des investissements nécessaires. A travers ce


processus les planificateurs peuvent évaluer la nature et l’importance de l’agriculture
urbaine, les potentialités de l’intégration de l’agriculture urbaine dans la gestion des
déchets urbains, les stratégies de gestion du sol et toutes les autres contraintes.
L’élaboration ou la révision, à l’échelon national, des plans d’action
environnementale peut être l’occasion d’améliorer la gestion des ressources
naturelles par l’intermédiaire de l’agriculture urbaine.
Le plan local d’action environnementale est un outil de planification, de suivi et de
gestion d’actions identifiées et hiérarchisées par les populations. Il constitue un
document de référence pour les planificateurs et comporte un ensemble de projets. Il
se fixe un horizon de trois ans avec des objectifs à plus long terme. Dans sa
stratégie, les premières actions environnementales sont exécutées dans le très court
terme (deux ans). Son processus d’élaboration comporte plusieurs étapes.

• La journée de dialogue public. Elle est organisée pour identifier les problèmes
environnementaux et sensibiliser les populations à leur sujet. C’est l’occasion de
partager des expériences, de mettre au jour les conflits que peut soulever la gestion
de la ville, mais aussi de cerner les problèmes qui préoccupent le plus la population.

• L’établissement d’un schéma de la ville et du territoire communal.

• L’atelier municipal de planification. Cet atelier est organisé pour clarifier le profil
environnemental de la ville, les causes et les conséquences des problèmes, leur
localisation, leurs solutions et les initiatives locales. Il s’agit :
– de rappeler les problèmes d’environnement ;
– de classer les problèmes selon leurs causes, leurs effets et les priorités ;
– de localiser les problèmes dans la ville ;
– de récapituler les expériences et les solutions locales ;
– de définir les objectifs importants ;
– d’identifier les actions prioritaires ;
– d’établir un plan programme.

• L’atelier de planification d’actions. Les acteurs concernés se regroupent par action


prioritaire ou par thème pour concevoir le microprojet : objectifs, activités de
réalisation et de maintenance, durée et programmation, exécutants, coûts de
réalisation et de maintenance.

• Les fiches et la convention des microprojets. C’est le dossier de projet à soumettre


éventuellement à l’assistance technique ou financière nationale ou internationale. La
fiche synthétise le plan d’opération du microprojet : plan de la ville et localisation du
projet, objectifs et description succincte, bénéficiaires, actions menées et proposées,
délais, contributions locales ou sollicitées. La convention est l’acte d’engagement
signé par les parties concernées sur des éléments de négociation clairs. Le
programme municipal, qui

regroupe tous les schémas, plans programmes et plans d’opération, est présenté aux
acteurs ayant participé aux différentes phases pour approbation.

Une variante de cette procédure consiste à élaborer un document préliminaire


statuant sur l’état des lieux concernant tous les problèmes environnementaux de la
ville. Ce document de base, audit environnemental, est discuté, amendé et complété
lors d’un atelier local de planification. Des enquêtes complémentaires sont effectuées
pour recueillir l’avis de la population sur l’état de l’environnement, la hiérarchisation
des problèmes, ses engagements techniques et financiers pour résoudre les
problèmes majeurs. Sur cette base, des plans d’action sont élaborés et soumis à
nouveau aux différents acteurs par le biais d’une seconde consultation locale de
restitution. Ce schéma a été utilisé pour élaborer les plans départementaux et
régionaux d’action pour l’environnement au Sénégal.
La synthèse de plusieurs plans locaux d’action environnementale élaborés à
l’échelon national constitue le plan national d’action pour l’environnement (Pnae), qui
peut être enrichi par l’organisation d’ateliers de concertation sur des thématiques
spécifiques, importantes à l’échelle nationale. La plupart des pays d’Afrique
subsaharienne sont impliqués dans l’élaboration de plans nationaux d’action pour
l’environnement.

Les réseaux et leur mise en place


Le réseau désigne des types de relations précises, dynamiques et transversales. Il
est le lieu où émergent des idées et des innovations, dont la mise en œuvre selon le
contexte serait aléatoire. Il est le moyen, permanent ou non selon les circonstances,
de communication et d’échange autour de centres d’intérêts communs à plusieurs
organisations.

Le réseau n’est pas :


– uniquement un ensemble de relations entre plusieurs personnes physiques ou
morales ;
– une organisation qui, par définition, est une entité formelle réunissant des
personnes physiques ou morales autour d’objectifs affichés et collectivement
acceptés et fonctionnant selon des règles, normes et valeurs librement consenties à
travers un centre de commandement ;
– une fédération d’organisations représentées par des rapports de partenariat ou de
relations informelles (personne, structure).

Le réseau favorise des relations transversales dynamiques et suscite des échanges,


qui valorisent les expériences et les innovations (dissémination, réplication, gestion
du savoir, capitalisation). Il augmente le pouvoir de négociation des structures qui le
composent. Il améliore la coordination et l’efficacité des programmes mis en œuvre.
Il permet de rationaliser et d’optimiser l’exploitation des ressources, propres ou
externes, mobilisées par les

organisations. Il offre une vision d’ensemble du secteur. Le réseau ne remet pas en


cause l’identité des organisations qui le composent, ni leur autonomie de décision ou
leurs règles de fonctionnement. Le réseau n’impose pas une relation hiérarchique
entre les organisations bien qu’il puisse impliquer une structure légère de
coordination ou de pilotage des activités.

Les conditions d’émergence des réseaux sont multiples : le souhait du bailleur ou du


partenaire financier de voir se créer un réseau associant un ensemble
d’organisations à l’échelon national, régional ou international ; la nécessité d’asseoir
une stratégie de mobilisation des ressources ; l’existence de circonstances
particulières.

Les réseaux qui s’intéressent à l’agriculture urbaine et périurbaine dans la zone


francophone de l’Afrique de l’Ouest et du Centre sont nombreux. Au Sénégal, il en
existe plusieurs : le Conseil national de coordination et de concertation des ruraux
(Cncr) ; le Réseau sénégalais d’agriculture durable (Resad) ; le Réseau Afrique 2000
; le Réseau africain pour le développement intégré (Radi) ; le Réseau pour la
protection naturelle des cultures (Rpnc) ; l’Union nationale des coopératives agricoles
du Sénégal (Uncas) ; le Réseau pour le développement participatif de technologies.

D’autres réseaux ont une vocation sous-régionale, voire internationale, comme le


Conseil des responsables de recherche agronomique en Afrique de l’Ouest et du
Centre (Coraf) et le Réseau francophone pour l’agriculture urbaine en Afrique de
l’Ouest et du Centre (Rfau/Aoc).

Les politiques publiques


Même si actuellement les villes ou les Etats n’ont pas une véritable politique de
l’agriculture urbaine, ils interviennent de multiples façons sur cette agriculture. De
nombreux textes — codes, règlements, lois — ont une influence sur certaines de ses
composantes. Nous proposons ici une analyse synthétique de quelques-uns de ces
textes (voir l’encadré ci-dessous), où nous distinguons les textes réglementaires —
dont la durée de vie est généralement longue et qui ont besoin d’un toilettage
périodique — et les politiques élaborées en fonction d’enjeux qui prennent de
l’importance à certains moments.

Les textes réglementaires

• Code de l’hygiène
Enjeux : santé publique.
Impact sur l’agriculture périurbaine : restriction de l’emploi des eaux usées, effluents et
ordures ménagères en agriculture ; interdiction de la production alimentaire à partir des
déchets ou sur une zone polluée ou à risque ; interdiction de l’élevage domestique en
ville.
Impact sur les groupes d’acteurs et d’agents économiques : supplément de coûts
en agriculture pour gérer la fertilité et l’irrigation ; nécessité d’autres systèmes
d’épuration des eaux usées ; pratiques clandestines ; élevages clandestins ; nonrespect
de la réglementation.
Illustration : livraison sans contrôles par les vidangeurs des eaux vannes aux
maraîchers de Dakar ; épidémie de choléra à Santiago du Chili ; détérioration des
réseaux d’approvisionnement en eau potable ; ovins, caprins et volailles élevés dans
beaucoup d’arrière-cours en Afrique de l’Ouest.

• Code rural
Enjeux : statut des agriculteurs ; valeur des baux agricoles.
Impact sur l’agriculture périurbaine : difficultés d’application de la pluriactivité de
l’agriculture périurbaine ; coût d’accès à la terre.
Impact sur les groupes d’acteurs et d’agents économiques : limitation de la diversité des
revenus en agriculture ; clandestinité ; élimination des agriculteurs pauvres ; élimination
de l’agriculture.
Illustration : apparition de friches périurbaines.

• Code de l’urbanisme
Enjeux : mise à disposition de sols pour l’extension urbaine ; projet général public sur la
ville (schéma directeur) localisant les grandes affectations ; réglementation de l’habitat ;
localisation de l’habitat en zone favorable.
Impact sur l’agriculture périurbaine : réduction des surfaces cultivables en ville ; mise en
question de sa pérennité locale ; prévision éventuelle de sa relocalisation ; zonage
favorisant le développement de l’habitat sur les espaces d’agriculture urbaine ; zones
affectées à différents usages ; nuisances sur l’espace cultivé.
Impact sur les groupes d’acteurs et d’agents économiques : incertitude pour agriculture
; conflits entre propriétaires, investisseurs et agriculteurs ; cohérence des choix
urbanistiques ; répartition des plus-values foncières à venir ; exercice de l’agriculture
sous le regard urbain.
Illustration : défaut d’investissement agricole.

• Politique de l’environnement et de l’assainissement


Enjeux : traitement des eaux usées pour en améliorer la qualité hygiénique.
Impact sur l’agriculture périurbaine : utilisation différentielle des eaux plus ou moins
assainies (pour arroser des espaces verts, des arbres).
Impact sur les groupes d’acteurs et d’agents économiques : recherche du marché de
l’épuration par de grands opérateurs.
Illustration : qualité des composts et fabrication en tenant compte des usages agricoles.

• Politique agricole générale (grandes filières agroalimentaires de mise en marché)


Enjeux : compétition commerciale par l’abaissement des prix.
Impact sur l’agriculture périurbaine : risque de régression des parts de marché.
Impact sur les groupes d’acteurs et d’agents économiques : mise à l’écart de la plupart
des acteurs de l’agriculture urbaine.

• Politique locale de mise en marché


Enjeux : distribution des produits de l’agriculture urbaine.
Impact sur l’agriculture périurbaine : accès plus général des producteurs à la vente.
Impact sur les groupes d’acteurs et d’agents économiques : possible concurrence entre
les différentes filières de distribution.
Illustration : utilisation de labels spécifiques.

• Politique locale et nationale de l’eau


Enjeux : arbitrage des besoins en eau.
Impact sur l’agriculture périurbaine : disponibilité de l’eau pour l’arrosage ; qualité.
Impact sur les groupes d’acteurs et d’agents économiques : coût de l’eau et profit des
entreprises de distribution.
Illustration : disponibilité d’eau moins purifiée pour l’agriculture.

• Politique sociale et de l’immigration


Enjeux : régulation des besoins en main-d’œuvre.
Impact sur l’agriculture périurbaine : disponibilité de main-d’œuvre et, à terme,
renouvellement des producteurs.
Impact sur les groupes d’acteurs et d’agents économiques : insertion de jeunes,
protection contre la désinsertion sociale ; intégration des populations immigrées par le
jardinage.

• Fiscalité locale
Enjeux : ressource des collectivités (patentes, taxes foncières).
Impact sur l’agriculture périurbaine : accroissement des charges.
Impact sur les groupes d’acteurs et d’agents économiques : politique d’organisation par
le découpage administratif et le zonage.

• Voirie et travaux communaux


Enjeux : amélioration de la circulation dans la ville.
Impact sur l’agriculture périurbaine : fragmentation du territoire agricole rendant
l’organisation du travail et l’accès plus difficiles ; aggravation de la pollution.
Impact sur les groupes d’acteurs et d’agents économiques : développement de conflits
de circulation.
• Justice et police
Enjeux : prise au sérieux des plaintes des agriculteurs, par exemple concernant les
vols.
Impact sur l’agriculture périurbaine : les déprédations se traduisent par des charges
supplémentaires pour les producteurs, des pertes de récolte ou des coûts de remise en
état.

La mise en œuvre de la planification


Une planification rénovée, conduite avec la participation de tous les acteurs, peut
imposer le maintien de l’agriculture urbaine comme projet collectif et condition d’un
développement urbain plus équitable. Les références sont encore limitées : les
espaces agricoles sont rarement protégés en milieu urbain et cette protection passe
par une prise de conscience des nouveaux enjeux de l’habitabilité urbaine.

L’agriculture dans la ville :


acteurs, enjeux et projets pour la ville
L’autonomie alimentaire

Responsable de la sécurité générale des citoyens, l’Etat doit mettre en place les
conditions générales propres à une politique d’approvisionnement et de distribution
alimentaires. Les bassins de production de proximité offrent plus de garanties que les
importations ou les zones rurales éloignées, les systèmes logistiques risquant d’être
déstabilisés lors de crises géopolitiques. En corollaire, surtout si la surface cultivable
par habitant est faible (le seuil critique est de l’ordre de 0,3 ha par habitant), l’Etat
doit élaborer des règles de protection de l’espace cultivé, qui s’imposent à tout le
territoire, donc aux villes.

Ce problème de rareté se pose à l’échelle des villes : c’est en effet celle du territoire
vécu par les habitants et aussi celle de la planification opératoire (voir la première
partie). Compte tenu de la compétition entre projets de développement, il faut
d’abord que l’Etat définisse des règles du jeu intransgressibles et qu’il dispose des
moyens de faire respecter la loi.

Enfin, à l’échelle des ménages, l’approvisionnement alimentaire peut être assuré par
le marché ou par l’autoconsommation. L’approvisionnement hors marché concerne
soit des entités sociales autonomes (économie domaniale), soit des ménages qui ne
disposent pas des ressources monétaires d’accès au marché. Ils sont donc amenés
à produire leur propre consommation et ne peuvent le faire que s’ils disposent
d’accès aux ressources ad hoc, en premier lieu la terre et l’eau. A cette échelle
familiale, de nombreux pouvoirs politiques ont régulé l’accès à la terre des plus
pauvres3 ; de telles mesures ont été prises en Asie de Sud-Est après la crise
boursière de 1997.

La gestion des déchets urbains

Les déchets urbains ont trois destinations :


– le rejet pur et simple dans les espaces périurbains vides, terrestres (zones à faible
peuplement ou zones spécialisées) et aquatiques (fleuves et mer pour les eaux
brutes d’assainissement) ;
– le recyclage des déchets biologiques, utilisables dans l’agriculture, qui suppose le
maintien de la sécurité des aliments. La composition complexe des déchets
modernes rend plus difficile ce recyclage ;
– l’incinération après le tri et le traitement des eaux, qui sera sans doute de plus en
plus pratiqué dans les pays développés, l’opinion publique acceptant de moins en
moins le recyclage.

3. Jadis, en Europe de l’Ouest, avec les terrains communaux et le droit de vaine pâture, de
glanage (après récolte des grains) et d’affouage (collecte de bois de chauffage), les pauvres
de la communauté paroissiale avaient accès à ces ressources (Fleury, 2001).

L’utilisation agricole des déchets urbains et des eaux usées exige une grande
vigilance, comme l’a montré le grave accident de Santiago du Chili en 1989, où une
épidémie de choléra s’était déclarée à partir de salades irriguées aux eaux usées
(Fleury, 2001). C’est un contexte particulièrement favorable au développement de
controverses à fondement idéologique, ce qui en rend l’approche plus difficile en
planification : c’est ainsi que l’agriculture sur les champs d’épandage d’eaux usées
est actuellement interdite dans presque toute l’Europe pour des raisons objectives
(métaux lourds), mais aussi largement subjectives (manger des déchets!).

La sécurisation environnementale

Certaines formes d’agriculture, lorsqu’elles occasionnent des nuisances olfactives


(élevages hors sol, petits élevages familiaux), altèrent fortement l’habitabilité. La
pollution des sols engendre celle des eaux : la protection des ressources en eau, qui
sont fréquemment des eaux de surface, est également importante.

Des exemples récents montrent les risques résultant de l’absence de contrôle de


l’urbanisation des espaces agricoles : inondations et coulées de boues au Venezuela
en 1999 (Fleury, 2001), pollution des ressources en eau par la croissance des
favelas à São Paulo actuellement. Certains de ces environnements altèrent la qualité
des produits, comme le voisinage d’axes routiers responsables de la dégradation de
la qualité de l’air, notamment de pollution par le plomb des supercarburants (Fleury,
2001). La reconnaissance par le public et les acteurs des risques induits par ces
relocalisations de l’agriculture est encore très limitée.

Les enjeux sociaux

La population urbaine est, par définition, diversifiée :


– du point de vue des revenus : on trouve en ville les revenus les plus élevés,
souvent associés aux fonctions de direction politique et économique et parfois aux
statuts traditionnels, mais aussi les plus bas, au sein du prolétariat ;
– du point de vue des activités : on y pratique des activités qui couvrent l’ensemble
des secteurs secondaires et tertiaires, surtout importants dans les métropoles, le
secteur primaire, dont l’agriculture, n’y est habituellement pas à sa place ;
– du point de vue de la légitimité de sa présence : la forte expansion urbaine
contemporaine est surtout liée à l’immigration, généralement de paysans sans
qualification autre qu’agricole : c’est le cas dans les pays développés, avec
l’immigration mexicaine, aux Etats-Unis et au Canada, ou maghrébine, dans le sud
de l’Europe, mais aussi dans les pays en développement — Guinéens au Sénégal,
Burkinabés et Maliens en Côte d’Ivoire, Egyptiens, Syriens et Palestiniens au Liban
(Fleury, 2001) ;
– du point de vue de son sentiment d’appartenance à la ville : chaque communauté a
une perception différente de son appartenance à la collectivité urbaine.

Spontanément, la population dominante a tendance à refuser cette diversité sociale.


Dans les cas extrêmes, le pouvoir local a recours à l’expulsion, mais la réponse la
plus courante est la ségrégation spatiale (Fleury, 2001). On distingue ainsi :
– au centre-ville, le bâti lié aux fonctions politiques et économiques et l’habitat
correspondant à ces activités ;
– dans des quartiers périphériques, l’habitat des actifs à revenu moyen ou faible ;
– l’habitat aisé dans des espaces choisis de proximité (la campagne, le bord de mer,
la proche montagne), cette localisation repose sur le développement ad hoc des
réseaux viaires, principalement automobiles ;
– l’installation des plus pauvres et des migrants dans les franges, mal équipées et
faiblement contrôlées socialement, dans un habitat précaire (bidonville). C’est un site
d’élection de l’agriculture urbaine, près d’activités nécessaires au fonctionnement
urbain, mais insalubres et socialement rejetées.

Selon les pays et les réglementations, ces processus seront acceptés ou non. En
Tunisie, par exemple, des implantations précaires (gourbivilles) se mettent sous la
protection du président pour transgresser le droit commun. Ailleurs, au contraire, le
pouvoir détruit périodiquement ces implantations (déguerpissement). Dans les pays
développés, le contexte politique ne permet plus le développement des bidonvilles,
remplacés par une urbanisation sommaire (Fleury, 2001).

L’agriculture et la ville : coexistence et reconnaissance


Face à ces enjeux, la capacité de l’agriculture urbaine à améliorer la qualité de vie de
la ville et son habitabilité a besoin d’être reconnue par les aménageurs. La première
étape est naturellement d’organiser la coexistence d’espaces agricoles et d’espaces
urbanisés mais, au-delà, le principal enjeu politique est la reconnaissance mutuelle
de l’unité de la ville par les différentes entités sociales et spatiales. En effet, la
dynamique urbaine est forte et, pour convaincre le pouvoir politique, il faut que
l’agriculture apparaisse comme nécessaire au fonctionnement urbain.

L’analyse des besoins de l’agriculture est essentielle dans la réflexion planificatrice. Il


faut également répondre à la question des processus de reconnaissance mutuelle
des différents groupes sociaux et identifier les instruments propres à la faire
progresser (entre autres le paysage). C’est bien l’enjeu de la planification
stratégique, telle qu’elle est analysée dans la première partie : réussir à définir et à
mobiliser ces instruments pour aboutir à sa reconnaissance.

Les dynamiques urbaines

L’intervention directe du pouvoir politique est vieille comme la ville, puisque la ville
est précisément le siège du pouvoir. Elle relève de trois domaines : l’affirmation de la
délimitation territoriale (régime fiscal et politique), l’accompagnement des grands
investissements et la mise en place de la représentation du pouvoir (urbanisme,
architecture). Cette dernière caractéristique est visible dans beaucoup de capitales et
constitue réellement un argument politique (Fleury, 2001), souvent invoqué contre
l’agriculture par les responsables municipaux qui veulent une ville propre et moderne
et qui pensent que l’agriculture en ville est archaïque. Les modalités d’intervention de
la puissance publique se traduisent surtout par des réglementations.

La ville, entre initiatives individuelles et action du pouvoir politique

Les villes modernes sont principalement produites à l’initiative d’entrepreneurs, qui


leur ont donné leur identité propre (villes commerçantes, industrielles, etc.). Leur
action ne vise jamais la conception d’ensemble de la ville, mais elle donne un rôle de
médiation privilégiée à la rente foncière, dont l’élévation est un facteur fort de rejet de
l’agriculture. La rente foncière, accaparée surtout par les propriétaires fonciers, a une
légitimité largement reconnue4.

L’agriculture paysanne a contribué aussi à la construction urbaine. En Europe, elle a


souvent utilisé la disponibilité de la main-d’œuvre familiale et l’équipement de
l’exploitation (champs et bâtiments) pour développer des activités artisanales5. Dans
de nombreuses villes africaines, elle a aussi imposé ses pratiques (l’élevage en ville,
etc.). Le caractère diversifié de l’agriculture n’est pas toujours pris en compte dans
les définitions de l’agriculture, par exemple dans les codes ruraux.

Entre ville et espace rural, le périurbain

Comme l’a énoncé le premier chapitre, l’effet incontrôlé de la rente foncière est
d’engendrer la friche sociale, c’est-à-dire une solution de continuité entre des usages
organisés agricoles et les usages urbains. Les couronnes périurbaines sont par
essence mobiles : l’agriculture y est en permanence en situation de voir son espace
investi. Parfois, elles accueillent des fonctions

4. L’innovation sociale des entrepreneurs continue d’opérer, comme le prouve en Europe la


réussite des nouveaux centres de vie dans les périphéries urbaines (zones commerciales,
cinémas, restaurants) qu’aucun urbaniste n’aurait osé pronostiquer (Dubois-Taine et Chalas,
1997). Cela montre la capacité de l’initiative privée à bien anticiper la demande collective.
Les villes, surtout les plus grandes, accueillent les pouvoirs politiques, qui veulent
généralement se faire reconnaître des habitants par la qualité sémiologique de l’urbanisme ;
en général, leur intérêt se limite au centre-ville.
5. La forme urbaine est alors celle de la ville diffuse, résultant de la coexistence de multiples
petits pôles d’urbanisation. Ce concept a été formalisé par l’urbaniste italien B. Secchi
(Fleury, 2001).

qui leur confèrent une protection, par exemple des résidences de loisir, mais le plus
souvent elles sont envahies par des activités urbaines nuisibles, de voisinage
désagréable, ou ouvertes à l’habitat précaire.

La présence de ces activités désorganise l’agriculture, qui tend à se retirer.


L’agriculture n’a pas de place dans la ville, sauf comme instrument de gestion
d’espaces inconstructibles ou en attente d’urbanisation. Toutes ces activités
périurbaines sont peu à peu repoussées par la progression du tissu urbain
(densification). Le périurbain est l’espace où s’opère une déterritorialisation rurale,
suivie d’une reterritorialisation urbaine. Son avenir n’étant pas encore déterminé, il
constitue un lieu de conflits d’appropriation, mais aussi d’invention sociale.

On peut remarquer qu’il existe d’autres systèmes régulateurs efficaces pour éviter la
friche sociale et assurer le maintien de l’état agricole organisé. C’est le cas du régime
français de tenure appelé fermage : en liant la redevance de bail au système de
production agricole, il la déconnecte de la valeur foncière, le terrain reste cultivé tant
qu’il est cultivable, c’est-à-dire tant que son lien matériel à l’espace agricole est
assuré.

Le moteur d’évolution de la ville : les crises sociales

Bien des transformations de la ville, en particulier la reconstruction de ses rapports à


l’agriculture, se sont produites à la suite de profondes crises sociales d’adaptation.
C’est souvent la condition pour convaincre les groupes dominants de modifier leur
manière d’organiser le devenir urbain.

Dans les pays en développement, il y a eu des crises, notamment la confrontation


entre la ville de type européen et la ville locale. La crise contemporaine vient d’un
cumul de processus : une tendance profonde des populations rurales à migrer vers la
ville afin de connaître des conditions de vie meilleures, mais aussi en réponse aux
changements climatiques (sécheresse) et aux événements politiques (guerres
civiles).

La proportion d’habitants qui n’ont pas accès au marché est devenue assez forte
pour provoquer dans les grandes villes une crise urbaine. Leurs besoins alimentaires
sont trop forts pour qu’ils prennent beaucoup de précautions de droit : la friche
sociale et les terrains insalubres ont ainsi trouvé preneur. De fait, l’usage illégal des
friches agricoles sociales est toléré6. Ce n’est pas tant l’usage en soi que craignent
les spéculateurs fonciers que la légitimation d’un droit ; il relève de l’Etat d’assurer la
durabilité de la ville en développant des dispositifs ad hoc en faveur de l’habitat
social7. C’est précisément l’enjeu de la planification que de projeter sur la ville
d’autres règles et d’autres formes.

6. On observe ainsi en France une tolérance vis-à-vis des implantations illégitimes,


temporaires ou durables, des gens du voyage ; cela fait obstacle à nombre d’usages, mais
pas réellement à celui de construire (Fleury, 2001).
7. La récente loi française Solidarité et renouvellement urbain en est un exemple.

Les conceptions de la ville qui sous-tendent la planification

La conception des villes oscille entre deux pôles d’organisation spatiale, la ville
horizontale et la ville verticale, distinctes au premier abord par la densité de
population et la forme du bâti.

La première est faite d’une multitude de maisons individuelles avec jardin, faciles à
construire, qui ont généralement la faveur des habitants. Elle engendre des coûts
d’infrastructure, provoque une pollution liée à la circulation automobile et consomme
beaucoup de surface. Elle n’est pas propice à une vie sociale développée mais
favorise l’intimité familiale, et les jardins sont le lieu de pratiques agricoles souvent
très recherchées. La structuration spatiale de la ville est surtout définie par le réseau
interurbain et intra-urbain des voies, ferrées ou routières. Même dans le cas où
l’espace vert est très privatif, on commence à admettre l’utilité de coupures vertes,
qui cassent la monotonie de la ville et accèdent au rang d’équipement structurant.

A l’opposé, la ville à forte densité privilégie les immeubles de grande hauteur, qui
libèrent au sol de vastes surfaces non bâties disponibles pour des espaces verts. Les
atouts environnementaux sont nombreux : réduction des coûts et des nuisances liés
à la circulation, meilleur partage de la lumière, abaissement des coûts grâce à
l’industrialisation de la fabrication de la ville, collecte et traitement des déchets. Ce
choix a souvent été fait pour répondre aux grandes crises de logement, comme en
France dans l’après-guerre et dans la période de forte immigration, où les pouvoirs
publics ont assumé la direction de l’urbanisation. Les habitants en apprécient
certains aspects (simplification des tâches, sécurité, proximité), mais regrettent
l’excès de vie collective par rapport à la vie familiale. Si l’urbanisme est bien maîtrisé,
cette forme libère de vastes espaces au sol. Dans le passé, ils ont plutôt été dédiés à
des espaces verts publics, conçus comme un service collectif.

Jusqu’à présent l’agriculture a rarement constitué un projet local. En effet, la


production alimentaire relève essentiellement de l’initiative privée. Ce point de vue
évolue de nos jours et pose la question nouvelle de la durabilité de l’agriculture dans
ce contexte.

L’agriculture urbaine, système durable?

La ville durable doit assurer des conditions de vie meilleures à tous ses habitants et
leur permettre de participer aux décisions collectives. Les espaces ouverts en sont
l’un des éléments clés. L’agriculture peut les occuper, mais est-elle en soi durable?

L’agriculture urbaine : un état social transitoire?

La pérennité de l’agriculture urbaine dans sa fonction de production hors marché


n’est pas avérée parce que le statut social des populations qui la pra-

tiquent n’est pas stable. La population immigrante, qui en est souvent actrice, vit
l’insertion dans un autre milieu culturel, voire dans une autre civilisation, celle de la
ville. Même déterminé par la nécessité économique, le changement est souvent
irréversible, sauf quand l’application du droit le contrôle étroitement (contrats de
travail très stricts, interdiction de l’immigration familiale). La population locale à faible
revenu peut aussi rêver d’améliorer sa situation.

Dans cette conception, l’agriculture urbaine alimentaire pourrait n’être que transitoire,
aux pas de temps ordinaires de l’évolution socio-économique. Elle aurait alors
vocation à rester marginale, au double sens de la localisation aux marges de la cité
et de sa faible importance. Sa pratique peut donc s’interpréter comme un moyen de
faciliter ce passage, notamment sur le plan de l’économie familiale. Il s’agit alors
moins de la maintenir que de réduire sa nécessité, soit de façon malthusienne, en
limitant l’afflux d’autres populations, soit par une politique active de développement
social.

Vers de nouvelles formes urbaines


Avec la progression du niveau économique, on constate, en Europe et en Amérique
du Nord, que le jardinage se maintient mais évolue en jardinage d’agrément ou
s’oriente vers la production ornementale8. A l’échelle de la ville, l’agriculture ne peut
se maintenir que si elle répond effectivement à une nécessité : pour les agriculteurs,
l’agriculture est une profession ; pour les plus pauvres, c’est un moyen de se nourrir
et de s’insérer dans la société ; pour les autorités, c’est un instrument de
gouvernance urbaine, qui permet de résoudre certains problèmes politiques et
sociaux. Pour les citadins, l’espace agricole peut être un lieu d’agrément : la
campagne (la traduction anglaise en est countryside, avec une forte connotation
émotionnelle et patrimoniale ; Fleury, 2001), qui voit se généraliser le passage des
potagers utilitaires en jardins d’agrément.

Cette organisation de la ville assigne à l’agriculture de nouvelles fonctions, qu’elle


peut continuer de tenir en changeant la nature de son système de production. Il en
existe déjà de nombreux exemples dans les pays développés. L’Ile-de-France est
actuellement à la recherche d’un sens local aux vastes champs céréaliers des
exploitations orientées vers le marché mondial. Le cœur vert du randstad (anneau de
ville) néerlandais est lié à l’expansion des villes d’Amsterdam, au nord, d’Utrecht, à
l’est, de Rotterdam, au sud, et de La Haye, au sud-ouest, qui enserrent une vaste
zone de plus de 1 000 km2 où se maintient une agriculture de surface à finalité peu à
peu métissée (Fleury, 2001). La ceinture de verdure d’Ottawa témoigne d’une
agriculture

8. Les marais intra-urbains de Bourges (France) ont été proposés au classement de site
comme patrimoine technologique agricole parce que l’ensemble de l’aménagement comme
espace maraîcher a été conçu au XVIIe siècle. Ils sont actuellement très vivants et repris
comme jardins familiaux ; certains se sont alors demandé s’il fallait, dans le classement,
proscrire l’usage en jardin d’agrément. . . (Fleury, 2001).

ancrée dans l’histoire et la géographie du Canada et affirme les choix politiques de


l’Etat en matière de défense de l’unité du pays et de développement durable.
L’émergence de la multifonctionnalité de l’agriculture en Europe tend à inverser la
question de la planification. Au lieu de se demander comment la ville peut aider
l’agriculture, on cherche comment l’agriculture peut aider la ville à mieux fonctionner.
Ce peut être en réduisant la nécessité de l’intervention publique d’assistance, mais
aussi en maintenant l’équilibre général de la ville grâce à une nature de proximité. Ce
sont des modèles qu’il serait peut-être intéressant d’évaluer dans les pays en
développement : prévoir pour le long terme des emplacements réservés à de futures
ceintures vertes ou coupures d’urbanisation. Cela implique que l’on puisse opposer
la force réglementaire, soutenue par la participation des citoyens, à la production de
la ville sous le seul effet d’initiatives privées. En particulier se pose la question de la
constructibilité.

On voit ainsi se profiler un vaste projet unificateur entre les différents pays,
développés ou non, une clé de reconnaissance : l’espace de l’agriculture urbaine,
comme gage de paix sociale et de qualité paysagère. La justification de l’agriculture
se transforme, mais son espace devient une valeur forte pour une autre territorialité
urbaine. Le principal déterminant de son évolution serait alors le niveau de vie, en
interaction probable avec les références culturelles locales.
Le projet dans les documents d’urbanisme
Les documents d’urbanisme, en particulier les schémas directeurs d’agglomération et
leurs traductions locales (plan d’occupation des sols), matérialisent ces choix. Ils sont
cependant généralement mal adaptés à l’agriculture, l’espace agricole étant une
terre inconnue pour l’urbanisme traditionnel car la ville s’est développée sur les
espaces périphériques sans considérer leur état socio-économique comme un
système de contrainte. C’est d’autant plus vrai que, du moins en France, les
initiatives illégales de construction ne sont guère réprimées et, le cas échéant, ne
font jamais l’objet d’une astreinte pour une remise en l’état antérieur. Autrement dit,
la récente prise en compte des espaces agricoles dans la planification n’est due qu’à
l’émergence de nouvelles préoccupations et de nouveaux rapports sociaux9. C’est
donc une

9. L’Ile-de-France en donne un bon exemple. La prise en compte de l’agriculture y est en


effet très progressive. Peu après 1960, l’espace agricole est considéré comme vide et libre à
la construction. Vers 1970, le nouveau rapport à l’espace et à la nature fait évoluer la
réflexion sur l’aménagement : des zones naturelles d’équilibre sont maintenues, des espaces
naturels et forestiers sont dédiés à la récréation de la population citadine, les espaces
agricoles sont reconnus comme les lieux d’une activité économique dynamique et légitime.
Enfin, le schéma directeur de 1994 introduit le concept de ceinture verte : un cordon vert de
20 km autour de la ville, où tout espace vert, y compris l’espace agricole, est préservé
(Fleury, 2001).

approche intégrée espace-temps qu’il faut envisager, parce que c’est la dimension
de l’agriculture.

La définition des zones agricoles

La diversité de l’agriculture périurbaine

Les observateurs de l’agriculture périurbaine sont toujours frappés par sa diversité,


qui est due pour l’essentiel aux conditions dans lesquelles elle se développe. Il existe
ainsi :
– une agriculture nouvelle liée au développement de l’économie de marché ;
– une agriculture rurale rejointe par l’expansion urbaine, mais qui a gardé sa
cohésion en se déplaçant ;
– une agriculture familiale de subsistance, qui fonctionne à une échelle beaucoup
plus modeste.

L’agriculture périurbaine des pays tropicaux suit l’évolution de l’agriculture


professionnelle, avec une spécialisation et un accroissement de sa dimension
économique. Elle s’implante dans les grandes filières, soit internationales du fait de
la demande des pays développés, soit régionales en réponse au développement
démographique. Cette agriculture professionnelle utilise des infrastructures
concentrées en ville : marchés de gros, port ou aéroport d’exportation, usines de
conservation ou de surgélation. Le marché local est également approvisionné par
une agriculture professionnelle familiale en ville.

Cependant, l’agriculture rurale classique reste souvent présente aux portes des
villes, avec des systèmes agricoles ou d’élevage. Les conditions sont plus difficiles,
mais les propriétaires utilisent la plus-value foncière pour financer le redéploiement
de leur exploitation vers l’extérieur, selon un mécanisme de délocalisation. Cette
agriculture périurbaine est d’autant plus importante que le développement des
transports favorise le découplage entre les bassins de production et de
consommation10.

Enfin, une agriculture familiale originale et spontanée s’affirme, dénuée de


l’enracinement traditionnel de l’agriculture. Elle est souvent le fait de citadins à faibles
ressources, qui disposent d’un savoir-faire paysan. Mais il en existe d’autres types,
qui s’épanouissent dans les pays développés. Une partie de cette agriculture et de
cet élevage se pratique hors sol : élevage en cave, jardins suspendus de balcons.

La zone agricole : une exigence essentielle pour toute agriculture

Quel que soit son niveau d’intensification économique, l’agriculture a besoin d’une
sécurité spatiale durable, parce que ses infrastructures ne sont

10. C’est un paradoxe mal compris des urbanistes qui, comme ils manquent de références
en matière agricole, considéraient comme une évidence la ceinture verte agricole
d’approvisionnement (Fleury, 2001).

que peu ou pas déplaçables. Certaines sont bien visibles et, partant, bien identifiées
par les aménageurs, comme les bâtiments techniques. Mais ce n’est pas le cas des
infrastructures commerciales et industrielles de l’agro-alimentaire, peu visibles et mal
identifiées à l’extérieur du métier agricole.

Les nuisances spécifiques à l’agriculture sont multiples et trouvent en partie leur


solution dans la séparation des espaces. Elles concernent l’agriculture au sens strict,
surtout lorsqu’elle utilise des équipements encombrants ou nocifs, et l’élevage pour
ses nuisances, olfactives en particulier. Beaucoup de législations locales prohibent
l’animal d’élevage en ville, invoquant son archaïsme — la divagation des animaux en
particulier11. Cela se traduit, entre autres, par l’introduction d’une distance minimale
entre l’habitat humain et les bâtiments d’élevage et par l’obligation d’une gestion des
effluents d’élevage, surtout pour l’élevage hors sol professionnel, mais aussi
domestique (les petits animaux, du lapin au mouton).

Aussi la réponse en planification est-elle la création de zones d’activité spécialisées,


comme c’est déjà le cas pour le hors-sol végétal en Europe (Fleury, 2001). Leur
proximité avec la ville soulève des questions, entre autres celle du paysage.

Satisfaire aux exigences d’une agriculture durable

Le maintien d’une exploitation agricole est lié aussi à un ensemble de conditions


socio-économiques (Landais et Sebillotte, 2000).

La viabilité considère le bilan économique de l’exploitation par rapport aux objectifs


de production définis par l’agriculteur. Elle met en jeu les fonctions de production,
l’autonomie de l’exploitation, l’importance des valeurs ajoutées (vente directe, etc.) et
la pluriactivité individuelle ou familiale. La viabilité concerne les conséquences de
l’organisation de l’exploitation sur le mode de vie familial (désorganisé par le
surtravail, l’insécurité), sur les relations à la vie locale et sur l’appartenance au
groupe socio-professionnel.

La reproductibilité environnementale s’analyse sous l’angle de l’utilisation des


ressources naturelles non renouvelables. Le maintien de la biodiversité, à l’échelle
du territoire, en fait également partie. L’agriculture sera d’autant plus légitime qu’elle
n’apparaîtra pas comme facteur de dégradation de l’environnement mais, au
contraire, comme agent de son amélioration.

Enfin, la transmissibilité, ou reproductibilité sociale, est liée aux facteurs internes, à la


succession familiale des générations (capital et savoir-faire, sécurité parentale), aux
facteurs socio-économiques, juridiques notamment, et à la question capitale de la
représentation sociale de l’agriculture auprès des jeunes.

11. C’est au XIVe siècle qu’à Paris la libre divagation des porcs a été interdite (Fleury, 2001).

De même que pour le sol, l’ensemble de ces exigences se décline sur un pas de
temps long, parce qu’elles impliquent des processus écologiques et sociaux lents.
Cela ne signifie pas nécessairement que l’agriculture doit se maintenir indéfiniment in
situ, mais que, si son déplacement est nécessaire, il faudra en prendre le temps afin
que les conditions de son déplacement soient satisfaisantes.

Une question cruciale : l’échelle spatiale et temporelle de la planification

Les structures territoriales des villes sont souvent anciennes et très diversifiées. Or,
la gestion intégrée des espaces selon le concept territorial d’agriculture urbaine
implique que les espaces agricole et bâti relèvent de la même autorité publique.
C’est une condition nécessaire bien que non suffisante12.

L’aire urbaine, constat géographique des territoires vécus, devient peu à peu la base
matérielle pour formuler un projet cohérent de territoire, parce qu’elle prend en
compte l’ensemble des pratiques de la société sur l’espace ouvert périurbain et l’aire
nécessaire d’extension urbaine. Tant que cette unité n’est pas réalisée par la fusion
des collectivités locales en une entité plus vaste, la ville-centre s’autorise souvent à
reporter sans organisation ses externalités négatives sur sa périphérie13. Cette
échelle, généralement nouvelle et donc sans expertise locale approfondie, permet
une réexploration locale du territoire afin de mieux répondre à des questions mal
résolues par les politiques publiques actuelles. Ainsi, on peut penser aux supports
spatiaux de la biodiversité, où les espaces abandonnés reprennent un sens, et aux
lieux d’insertion de pratiques sociales spontanées, de type agriculture urbaine et
autres (nomades, déchets, etc.).

Les villes ont besoin de se projeter à long terme, parce que la réalisation des
grandes infrastructures est longue et implique des investissements considérables. Un
schéma directeur oriente l’aménagement à vingt ans, encore que les capacités de
prévision soient limitées14. Ce pas de temps rejoint d’ailleurs celui de l’agriculture.
Les villes-centres et les collectivités périphériques ont un effort important à faire pour
se réunir dans un projet agricole commun (intercommunalité de projet).
12. Par exemple, la ville de Rome est, malgré ses 2 millions d’habitants, la plus grande
commune agricole d’Europe ; elle comprend 800 km2 d’espace agricole, mais n’a pas pour
autant de politique agri-urbaine (Fleury, 2001).
13. A Montpellier même, le district (14 communes), qui considère comme réserve foncière
une large partie de l’espace ouvert, est toujours à la recherche de la localisation de l’usine
de traitement de ses déchets. Le passage en communauté d’agglomération (41 communes
prévues) permettra de mieux traiter un tel problème (Fleury, 2001).
14. On constate en effet que les prévisions de croissance urbaine des années 1960 étaient
souvent erronées, parce que les hypothèses sur lesquelles elles étaient bâties ont été
invalidées (Fleury, 2001).

Les règles de fonctionnement des zones agricoles

La stabilisation dans les documents d’urbanisme

Les documents d’urbanisme doivent être assez ouverts pour permettre l’installation
de l’agriculture, dans différents cas de figures d’occupation durable en milieu peu
constructible (zones inondables, pentes très fortes) comme en milieu construit
(agriculture hors sol). Ils doivent s’intéresser explicitement à la multifonctionnalité de
l’espace (gestion durable d’espace produit par une autre activité). Ils traduisent ainsi
la volonté collective d’implanter l’agriculture urbaine.

En France, la loi d’orientation de l’agriculture de 1999 a introduit la zone agricole


protégée (Zap), définie en droit comme une servitude qui s’impose aux documents
d’urbanisme. Les autres activités ne sont pas exclues, mais l’agriculture y bénéficie
de l’antériorité et de la priorité, les nouvelles activités s’engagent à s’y subordonner,
en particulier l’habitat. D’autres formes de protection, favorables de fait à une
agriculture ad hoc, existent de longue date, notamment pour la protection des
ressources en eau.

L’occupation d’espaces destinés ultérieurement à d’autres usages mais disponibles


transitoirement relève d’une autre stratégie. L’agriculture peut en effet les protéger
d’autres usages moins positifs. Un progrès important est de négocier avec les
promoteurs d’urbanisation un calendrier, afin que les agriculteurs, quel que soit leur
statut, disposent d’un délai suffisant pour réorganiser leur activité. Le pouvoir
politique peut imposer à ces promoteurs d’organiser le déplacement de l’agriculture,
en en renouvelant les investissements d’aménagement.

L’accueil de l’agriculture urbaine : ressources et mise en marché

L’eau est presque toujours une question cruciale (sauf dans les zones inondables à
nappe phréatique pérenne), d’autant plus que l’agriculture, qui la transforme en
vapeur, la consomme, alors que la plupart des utilisations citadines la dégradent en
eaux usées. L’exploitation de la nappe phréatique — le maraîchage est l’exploitation
d’un marais, c’est-à-dire d’une zone marécageuse aménagée (Fleury, 2001) — doit
être coordonnée à l’échelle de la zone agricole et reconnue en droit pour que
l’aménagement général ne prive pas l’agriculture de l’eau (voir l’évolution dans les
Niayes dakaroises). Plus généralement, il s’agit d’inscrire l’agriculture comme partie
prenante légitime dans les ressources en eau locales.

La facilité d’accès est très importante, car les circulations agricoles, même limitées
aux déplacements d’animaux de bât ou de charrettes à bras, se font à des vitesses
et des encombrements très différents de la circulation générale. L’accès aux zones
agricoles doit donc être spécifiquement prévu, en relation avec les zones d’habitat.
Au sein même des zones agricoles la desserte des emprises individuelles doit être
également pensée. Parallèlement la sécurité

des productions doit être assurée et donc sa surveillance, le vol (produits, outils)
étant souvent un problème majeur.

Sur la question des déchets (voir le chapitre 5), l’usage agricole doit être sécurisé par
rapport aux risques du recyclage. A cette condition, l’agriculture devient un élément
central de l’organisation des systèmes d’assainissement et donc le partenaire d’une
composante importante de la politique de planification.

Enfin, les relations entre l’agriculture urbaine et l’agriculture rurale doivent être
maintenues, car ces deux agricultures ont des besoins semblables en matière
d’encadrement technique et de recherche agronomique, par exemple. Ces relations
sont physiques (circulation des matériels et des approvisionnements) et
immatérielles (circulation des informations).

Un point central : la définition de la constructibilité agricole

Un agriculteur en milieu périurbain conserve souvent la pratique qu’il a acquise en


milieu rural : il construit en fonction de règles traditionnelles à partir de son droit de
cultiver (Fleury, 2001). Comme dans beaucoup de pays, ce droit est inscrit dans le
code rural français. Cependant, aux différentes échelles de temps — devenir citadin
est un processus long — et d’espace — l’urbanisation même rapide est un processus
lent (Fleury, 2001) —, la constructibilité incontrôlée en zone ouverte périurbaine
constitue un processus d’autodestruction de l’espace agricole.

Le maintien durable des espaces ouverts suppose de séparer strictement, à


l’intérieur des espaces agricoles, les champs au sens strict, rigoureusement
inconstructibles, excepté un bâti très léger, et les zones de construction légitime.
Quant au hors-sol (serres ou étables), il devrait relever de la politique des zones
d’activité (Fleury, 2001). Le hors-sol pose en outre des problèmes spécifiques, qui
renvoient à des systèmes techniques originaux et à l’identification des systèmes
légitimes en agriculture urbaine (Fleury, 2001). On trouve d’ailleurs en zone tropicale
de nombreux exemples de zones agricoles spécialisées ou artificialisées comme les
oasis et les rizières.

Enfin, l’implantation hors sol de l’agriculture dans le bâti classique devrait faire l’objet
de réglementations spécifiques de construction et donner naissance à des formes
architecturales originales.

La place du paysage

Le paysage reste un mot controversé, mais un consensus tend à s’imposer


actuellement pour lui donner un sens de médiation : c’est la manière spécifique qu’a
un groupe social de lire et d’interpréter un espace organisé par d’autres groupes
sociaux en utilisant des processus techniques ou écologiques propres. Ce choix
conceptuel met en évidence deux composantes du paysage : un fait objectif et
matériel — la structuration de l’espace — et un fait culturel — les références
mobilisées pour son évaluation. Cependant, il
existe d’autres sens, résultats d’un parti pris d’esthétisme, mais aussi parfois
simplement liés à des incertitudes sémantiques dans la traduction — le meilleur
exemple en est peut-être la traduction de landscape ecology par écologie du
paysage, alors qu’il s’agit d’écologie spatialisée, mais ce contresens est largement
utilisé par certaines idéologies (Fleury, 2001). Dans une conception politique, la
tentation est forte de vouloir se limiter à une action sur l’espace, alors que le plus
important est peut-être de comprendre en fonction de quelles références la société
locale évalue un état de l’espace local.

Dans cet esprit, les citoyens ne doivent pas s’en tenir à des évaluations négatives :
une agriculture utilisant les déchets, pratiquée en partie par des étrangers à la ville
souvent pauvres et localisée dans des espaces sans usage urbain. Une telle
représentation ne peut que légitimer la volonté d’éliminer l’agriculture urbaine. Au
contraire, il est important de construire des images positives, fondées sur les effets
bénéfiques de l’agriculture périurbaine sur la qualité de la ville tant sur le plan de
l’environnement et du paysage que de l’insertion ou de la réinsertion sociale (Fleury,
2001). Les citoyens prendront mieux conscience que l’autonomie alimentaire des
nouveaux venus est un gage de paix sociale.

La construction réglementaire des projets

Créer le concept de projet agri-urbain

Le projet agri-urbain, en cours d’élaboration en France (Fleury, 2001) mais de valeur


plus générale, vise à créer une agriculture durable dans un contexte inhospitalier et à
repenser la ville. Il doit traduire en terme de planification (organisation spatiale et
programmation) la participation de l’agriculture au développement politique,
économique et social de la ville.

Son élaboration relève de la mise en œuvre de la planification stratégique et implique


des démarches participatives, avec tous les destinataires du projet de ville, y compris
les agriculteurs urbains, acteurs principaux de l’espace. La synthèse de ces
démarches fait l’objet d’une charte locale de l’agriculture urbaine, qui explicite les
tâches que la ville confie à l’agriculture, en échange de son développement durable :
– les questions urbaines que peut contribuer à résoudre l’agriculture, comme
l’autonomie alimentaire, la cogestion de l’environnement, l’amélioration du
fonctionnement social, l’enrichissement du paysage urbain ;
– les termes de l’engagement des agriculteurs urbains et les modalités d’évaluation
de leur prestation ;
– les formes de la reconnaissance de la ville envers l’agriculture, qui relèvent
notamment d’actions juridiques et de mesures matérielles (financières et autres).

Dès que la puissance publique attend de l’espace cultivé une production spécifique
(souvent dite immatérielle), elle est prête à s’engager dans une définition
contractuelle avec les acteurs de cette production. Même si la situation des pays en
développement n’est pas favorable aux engagements financiers, elle permet
d’imaginer de multiples formes de troc juridique.

Réécrire ensemble le code rural et le code de l’urbanisme


Les documents d’urbanisme doivent enregistrer la nouvelle forme spatiale qu’est
l’espace de l’agriculture urbaine, en reconnaissant clairement son caractère
structurant pour la ville. Ils doivent se situer par rapport aux externalités agricoles :
partager les positives, réduire les négatives.

Dans la plupart des pays, un statut particulier, écrit ou non, souvent ancré dans le
droit coutumier, définit le droit spécifique de l’agriculteur et ses rapports au sol et à la
société (Fleury, 2001). Le statut de l’agriculteur urbain doit prendre en compte un
autre contexte : autres rapports au sol, diversité sociale, multiactivité, etc. Il est donc
indispensable de rédiger un code de l’agriculture urbaine.

La question foncière est presque toujours centrale puisqu’elle ne se pose pas de la


même manière en milieu rural et en milieu urbain. En ville, les relations entre
agriculteurs et propriétaires sont perturbées par la valeur foncière et le souci du
propriétaire de ne pas partager son droit à la rente foncière. Le statut précaire de
l’agriculteur urbain en est la conséquence. C’est pourquoi la déconnexion entre
usage agricole et valeur foncière est importante ; elle consiste notamment à
désolidariser le prix d’accès à la terre et le prix du foncier urbain (en France c’est le
rôle de fait du fermage) et à définir des règles d’échange de ce droit d’usage
particulier qu’est le droit à cultiver. Il institue notamment l’obligation de rendre la
terre, pour permettre une autre installation. L’organisation socio-économique agricole
peut alors survivre à son déplacement physique.

L’agriculture et le projet urbain


L’agriculture urbaine peut répondre aux enjeux urbains à condition qu’elle soit
clairement insérée dans le projet urbain, c’est-à-dire l’urbanisme et la planification.
Sa pérennisation oblige les urbanistes à réviser leurs conceptions traditionnelles :
l’agriculture n’est plus l’état antérieur mais une composante de la ville. Elle doit
compter dans le débat sur l’aménagement d’ensemble et dans la réflexion sur la
forme de la ville, sur la gestion des impératifs environnementaux et sur la
coexistence des groupes sociaux. Cette agriculture pour se pérenniser doit être
rémunératrice, sur le marché des denrées, mais aussi sous d’autres formes. Elle doit
être mieux organisée pour répondre aux besoins de la société, en termes
d’approvisionnement

alimentaire, d’insertion sociale, etc. C’est ce qui lui confère le droit à un espace
garanti.

L’agriculture urbaine exige aussi des agronomes qu’ils conçoivent de nouveaux


systèmes de culture et d’élevage adaptés à un contexte périurbain contraignant, où
les difficultés sont multiples : faire accepter par les citadins les externalités négatives
de l’agriculture (il faut en tenir compte dans la mise en œuvre d’un système
technique) ; introduire un terme à l’exercice de l’agriculture (l’investissement et la
gestion de la fertilité doivent être révisés par rapport aux références rurales) ;
organiser spécifiquement le système de production en fonction des intrants ou des
choix de production.

Conclusion
L’agriculture n’avait pas sa place en ville, où elle était considérée comme marginale
et provisoire. Alors que certaines composantes sociales cherchent en permanence à
la maintenir ou à la réintroduire, d’autres tendent à l’éliminer, parfois de bonne foi (au
nom de la modernité de la ville, entre autres), souvent au nom d’intérêts particuliers
(le prélèvement de la rente foncière).

Pour introduire la société dans son ensemble et sa diversité dans la définition des
orientations de la politique de la ville, il est nécessaire de substituer la planification
stratégique aux méthodes habituelles de planification. La planification stratégique
doit favoriser la réécriture de certaines parties du code de l’urbanisme à la lumière de
pratiques sociales reconnues comme légitimes et refonder ainsi le droit à la ville.

Les villes devraient alors apparaître comme plus habitables et donc plus durables.
Plus habitables, parce qu’une fraction de leur population se trouvera légitimée dans
sa présence et que l’agriculture permet d’introduire, à bon compte, la nature dans la
ville. Plus durables, parce que l’équité reste le fondement le plus sûr de la paix
sociale, établie sur la reconnaissance réciproque de la légitimité des groupes
constitutifs de la société urbaine.

L’agriculture urbaine ne peut plus gérer seule son devenir, elle doit s’engager à
répondre aux attentes urbaines. Le principe de réciprocité doit s’appliquer : à partir
du moment où la ville lui assure la durabilité, elle doit s’astreindre à accepter la
négociation avec les autres acteurs.

Références bibliographiques
Bryant C.R., Johnston T.R.R., 1992. Agriculture in the city’s countryside. Londres, Royaume-
Uni, Belhaven Press.

Dubois-Taine G., Chalas Y., 1997. La ville émergente. La Tour d’Aigues, France, Editions de
l’Aube.

Fleury A., 2001. Cours d’agriculture urbaine. Versailles, France, Ensp.

Landais E., Sebillotte M., 2000. Agriculture et développement durable. In : Encyclopaedia


universalis. Paris, France, Universalia, p. 119-125.

Larcher G., 1998. Les terroirs urbains et paysagers, pour un nouvel équilibre des espaces
périurbains. Paris, France, Librairie du Sénat.
3. La gestion concertée
et durable des filières
maraîchères urbaines

Paule Moustier, Michel Moumbélé, Joël Huat

Dans le chapitre précédent, nous avons vu que, pour pérenniser les activités
agricoles en ville, il est indispensable de les prendre en compte dans les politiques
de développement urbain. En effet, le maintien de l’agriculture en ville ne s’inscrit pas
« naturellement » dans les objectifs prioritaires des gestionnaires de la ville, qui
visent plutôt le développement de l’habitat, objectif défavorable au maintien de
l’agriculture dans l’espace urbain. C’est en faisant prévaloir les diverses fonctions de
l’agriculture urbaine et sa contribution à des objectifs politiques — emploi et création
de revenus, alimentation, coupures vertes et gestion des déchets —, que les
gestionnaires politiques peuvent être amenés à protéger l’agriculture de la ville de sa
substitution par le bâti ou, au moins, à accompagner ses déplacements par des
mesures financières et réglementaires. Ainsi, les rapports de l’agriculture à la ville
doivent être considérés à la fois en termes de fonctions productives ou matérielles
(production d’aliments et de revenus) et dans leurs fonctions non productives, de
gestion de l’environnement et du cadre de vie.

Dans les chapitres 3 et 4, nous prendrons surtout en compte les fonctions


productives des deux sous-secteurs les plus représentés dans l’agriculture urbaine :
le maraîchage et l’élevage. Une analyse centrée sur les fonctions productives nous
permet de mieux apprécier la contribution de ces secteurs aux objectifs sociaux et
économiques précédemment cités (alimentation, emploi) et de proposer des moyens
d’amélioration de cette contribution. Par ailleurs, même lorsque les gestionnaires de
la ville sont plus intéressés par les fonctions liées à l’environnement que par les
fonctions socio-économiques de l’agriculture en ville, l’agriculture pour se maintenir
doit faire la preuve de sa viabilité technique et économique, du moins lorsqu’elle est
menée à des fins lucratives, comme c’est généralement le cas pour le maraîchage.
Or cette viabilité est à la fois favorisée par un champ d’opportunités et menacée par
un jeu de contraintes liées à la localisation en milieu urbain.

Pourquoi le maraîchage?
Dans les études menées en Afrique, le maraîchage apparaît comme la principale
activité de l’agriculture urbaine. Cette situation tient à plusieurs facteurs :
– la proximité de la ville, qui entraîne une spécialisation des systèmes de production
dans les cultures à haute valeur ajoutée ou périssables (voir le chapitre 1) ;
– les exigences variables en capital et en expertise de ces productions, qui les
rendent accessibles à des populations aux ressources diverses — ces exigences
sont faibles pour les légumes-feuilles, qui peuvent être cultivés près des maisons
avec des ressources exclusivement locales, elles sont plus élevées pour des
systèmes intensifiés à base de variétés importées ;
– les cycles courts des cultures maraîchères, moins de trois mois, qui sont adaptés
au caractère précaire des activités en milieu urbain et au manque de ressources
financières de certaines populations urbaines ;
– l’adéquation des légumes à l’alimentation en milieu urbain, où ils permettent de
diversifier les régimes alimentaires ;
– les faibles exigences en capital de départ du commerce de légumes frais.

Ainsi, les cultures maraîchères apparaissent comme typiques du milieu urbain, en


termes de production, de commercialisation et de consommation. Elles ont un fort
impact sur l’emploi et l’alimentation en ville, en particulier pour les populations aux
possibilités d’emploi limitées (femmes peu qualifiées, migrants), comme nous le
verrons dans la partie sur les systèmes de production.
Quelques chiffres illustrent l’enjeu du développement du maraîchage en zone
urbaine (Moustier, 1996). A Lusaka, près de 45 % des 648 ménages interrogés en
1992-1993 cultivaient des jardins (Drescher, 1994). Dans deux quartiers de Harare,
les quatre cinquièmes des ménages interrogés tiraient une partie de leur alimentation
de leur jardin (Drakakis-Smith, 1991). Dans les études de cas du Cirad, menées
entre 1990 et 1995 dans quatre villes d’Afrique, le pourcentage de ménages
impliqués dans la production de légumes variait de 10 % à Garoua à 50 % à
Antananarivo (Moustier et David, 1997). Pour l’approvisionnement marchand, la part
des jardins situés en ville et dans sa périphérie proche dans l’approvisionnement en
légumes-feuilles était, pendant la même période, de 80 % pour Brazzaville, de 100 %
pour Bangui et de 90 % pour Bissau et Antananarivo. Le reste de
l’approvisionnement était assuré par train ou par camion à partir de zones plus
éloignées (Moustier et David, 1997).

L’importance relative des flux de l’agriculture urbaine et de l’agriculture rurale diffère


selon les saisons. C’est un aspect fondamental qui doit être pris en compte pour
assurer l’approvisionnement régulier des consommateurs en

jouant sur les complémentarités entre ces deux types d’agriculture (Moustier, 1996).
A Bangui, comme à Bissau, la part des champs villageois dans l’approvisionnement
en tomate passe de 40 % à 50 % entre la saison sèche et la saison des pluies
(David, 1992 ; David et Moustier, 1993). L’accès à des terrains non inondables est
plus aisé en milieu rural, d’où une possibilité de relais en saison des pluies. Pour
Nouakchott, Margiotta (1997) indique également une complémentarité saisonnière
entre agriculture urbaine et agriculture rurale, avec des flux en provenance du milieu
rural qui restent beaucoup plus importants que ceux de l’agriculture urbaine (20 000
tonnes et 6 000 tonnes respectivement), mais une période d’approvisionnement plus
longue pour l’agriculture urbaine que pour l’agriculture rurale (9 mois sur 12 au lieu
de 3 mois sur 12). Ces études montrent en outre que les activités de maraîchage
permettent d’y nourrir une famille toute l’année (mais seulement 4 mois à Bissau).

Pourquoi une approche par filière?


Nous commencerons par caractériser la demande en produits maraîchers et les
filières de commercialisation. En effet, ces paramètres aval sont déterminants dans
les choix des producteurs et dans leurs marges de manœuvre, en termes de produits
cultivés, de niveau d’intensification et de motivation pour des pratiques moins
polluantes. Les choix des producteurs s’expliquent également par des contraintes
liées à l’environnement physique et par la diversité des motivations sociales et
économiques des producteurs, qui seront analysées dans un deuxième temps.

Historiquement, le maraîchage s’est d’ailleurs développé avec l’évolution des besoins


de consommation du milieu urbain, à la fois des populations locales et migrantes. Il
est essentiel de comprendre les dynamiques de consommation et de marché pour
appréhender les tendances d’avenir du maraîchage urbain, même si d’autres
variables doivent être prises en compte (voir le chapitre 1). La capacité à développer
les avantages comparatifs liés à la proximité des consommateurs urbains est un
facteur décisif de la viabilité des exploitations périurbaines, même dans les pays
développés, comme le montrent les expériences de cueillette à la ferme.
Inversement, la méfiance des consommateurs vis-à-vis de la qualité sanitaire des
productions urbaines peut être un facteur de rejet de l’agriculture loin de la ville (voir
le chapitre 2).

Même les productions périurbaines, proches des marchés de consommation, font


l’objet de critiques quant à leurs systèmes de commercialisation (inorganisés,
inefficaces, spéculatifs), qui seraient à l’origine d’une faible rémunération des
producteurs, de leur manque de motivation, voire du recours aux importations. Mais
ces suppositions sont rarement étayées d’analyses

rigoureuses sur la distribution des revenus, les facteurs de compétitivité entre


productions locales et importations et les formes d’organisation endogènes.

Mis à part le cas des femmes cultivatrices des champs vivriers où sont produits des
légumes indigènes comme le gombo ou, à l’autre extrême, celui des entrepreneurs
capitalistes pluriactifs, qui combinent tout un portefeuille d’activités agricoles
(maraîchage, élevage, pisciculture, arboriculture), le maraîchage commercial est
typiquement le fait de citadins peu qualifiés, qui en tirent l’essentiel de leurs revenus,
même s’ils peuvent les compléter par d’autres sources (activité du conjoint, petit
commerce, etc.). Cette relative spécialisation correspond à la sélection de
productions qui offrent des avantages comparatifs par rapport à celles des zones
rurales, mais aussi au savoir-faire technique que requiert le maraîchage.

La fonction d’approvisionnement des villes ainsi que la relative spécialisation des


acteurs justifient une approche par filière, qui devra toutefois prendre en compte des
aspects plus transversaux dans la gestion des exploitations et de l’environnement.
En effet, le maraîchage peut compléter d’autres spéculations dans l’exploitation ou
d’autres activités dans le ménage. La diversification agricole et extra-agricole, par
exemple l’association cultures vivrièresmaraîchage, maraîchage-élevage ou
maraîchage-arboriculture, peut correspondre à des stratégies antirisque ou à des
complémentarités en termes de fertilité (déchets animaux pour les jardins), de
calendrier de travail (vivrier et maraîchage) ou de trésorerie (maraîchage en
attendant la croissance du verger). De même, pour le marché, la vente de légumes
peut être associée à celle d’autres produits alimentaires comme les fruits et les
condiments.

Les spécificités des filières maraîchères


en zone urbaine
Le tableau 6 présente les atouts et les contraintes déterminées par le voisinage de la
ville aux stades de la production et de la mise en marché.

Ces contraintes et ces atouts confèrent aux cultures maraîchères en zone urbaine
des caractéristiques qui les différencient de celles des zones éloignées des villes.
Les légumes les plus périssables, comme les légumes-feuilles, sont majoritairement
fournis par les zones les plus proches des villes, à la différence des légumes secs
comme l’oignon ou le haricot. Les systèmes de production urbains ont une forte
valeur ajoutée à l’hectare et sont intensifiés (par rapport à l’eau et aux intrants). On y
observe une forte différenciation en fonction de la taille des parcelles, du niveau
d’intrants, du type de légumes et des sources de revenus extra-agricoles. Les
producteurs spécialisés sont motivés par des revenus réguliers et cumulent les
fonctions de production et de commerce.

Tableau 6. Atouts et contraintes du


voisinage urbain, d’après Moustier et
David (1997).

Les caractéristiques du milieu urbain posent de manière prégnante la question de la


durabilité économique et écologique des systèmes maraîchers. Pour améliorer cette
durabilité, il est nécessaire de s’interroger sur la diffusion de systèmes techniques
reproductibles sur le plan économique et écologique (reproduction de la fertilité,
gestion de la pression phytosanitaire, limitation des prélèvements en eau). Les
formes de coordination et de concertation entre acteurs (producteurs, commerçants,
fournisseurs d’intrants et de services, gestionnaires de la ville) peuvent également
contribuer à limiter les risques pour la production et le marché. Dans ce chapitre, des
méthodes de caractérisation de la consommation et de la commercialisation seront
tout d’abord présentées, ainsi que les moyens d’améliorer le fonctionnement des
filières. Le diagnostic des contraintes et les voies d’amélioration des systèmes de
production feront l’objet d’une dernière partie dans un objectif de meilleur
approvisionnement du marché et de plus grande durabilité écologique de l’agriculture
urbaine.

La caractérisation des filières


Nous donnons ici des éléments de diagnostic de l’approvisionnement des
consommateurs urbains en produits maraîchers (voir aussi Leplaideur, 1991 ;
Moustier, 1995a, 1995b, 1999 ; Ofouémé-Berton, 1996 ; Moustier et al., 1997 ;
Moumbélé et Torreilles, 1997 ; Moustier et Seck, 1999). L’efficacité de
l’approvisionnement est considérée à partir de la satisfaction des consommateurs en
termes de disponibilité, qualité et prix des produits.

Ces résultats sont analysés en relation avec les stratégies et organisations


identifiées dans les filières. Nous présentons d’abord des éléments méthodologiques
sur le diagnostic de la consommation et des systèmes d’approvisionnement puis
nous détaillons le fonctionnement et les résultats de l’observatoire économique des
filières maraîchères à Brazzaville15.

Le diagnostic de la consommation
Le diagnostic de la consommation permet de préciser la place des légumes dans les
pratiques de consommation et les déterminants des choix des consommateurs. Ces
deux volets doivent s’appuyer sur des éléments de typologie des ménages et des
produits.

Les typologies

• La typologie des ménages. D’un ménage à l’autre, la consommation varie selon


différents facteurs socio-économiques (Bricas, 1998) : la taille du ménage ; le revenu
; les caractéristiques socioculturelles (le groupe ethnique ou la durée d’installation
dans la ville sont parfois des bons indicateurs). Ce sont des indicateurs de
différenciation indispensables pour une typologie des ménages.

• La typologie des produits. A partir d’une liste de légumes présents sur les marchés,
on peut établir une typologie des produits selon les critères suivants :
– les légumes les plus importants dans les rations ou ceux pour lesquels les
consommateurs souhaitent le plus une amélioration de l’approvision-nement ;
– les légumes qui fournissent le plus de revenus aux exploitations maraîchères.

La place des légumes dans la consommation

La place des légumes dans la consommation doit être analysée selon plusieurs
critères : quantités, valeurs nutritionnelles, fréquences de consommation, dépenses
occasionnées, mais aussi statut particulier des légumes dans les repas — des
légumes peuvent être employés en faible quantité mais être indispensables aux
sauces. L’importance dans la consommation peut d’autre part ne concerner qu’un
groupe d’individus dans le ménage, par exemple les enfants.

Il est important de hiérarchiser les principaux légumes consommés, en termes de


fréquences, de dépenses et de quantités. Généralement, ce classement met en
évidence l’importance des légumes-feuilles, de l’oignon et de la tomate. La
consommation des légumes de type tempéré, comme la

15. Au Congo, l’organisation non gouvernementale Agrisud-Agricongo, en partenariat avec le


Cirad, a analysé les filières maraîchères à destination de Brazzaville depuis 1989. Ces
filières ont fait l’objet d’un diagnostic approfondi et d’une quantification. Elles sont suivies par
un observatoire économique permanent depuis 1995.

laitue ou la carotte, est plus sensible au revenu du ménage. Ces informations sont
parfois disponibles dans les enquêtes budget-consommation ou doivent être
complétées par des enquêtes spécifiques sur un échantillon de ménages.

Les déterminants des choix des consommateurs


Les facteurs clés de choix des citadins en matière d’alimentation sont les suivants
(Bricas, 1998) : le prix par rapport au budget alimentaire du ménage ; la disponibilité
régulière du produit ; les caractéristiques qualitatives du produit.

Les variations de prix et la consommation

Les prix des légumes font l’objet de très fortes variations saisonnières. Il est
important de connaître les réactions des consommateurs à ces variations. S’ils y sont
très sensibles et réduisent fortement les quantités consommées, une action de
développement de l’offre en légumes permet un bon écoulement des produits par les
producteurs et les commerçants et une amélioration du bien-être du consommateur.
Pour analyser la variation de la consommation par rapport aux prix, on peut suivre
son évolution pendant deux périodes de l’année, l’une de prix élevés et l’autre de prix
bas. Cette étude peut être complétée par le suivi des quantités consommées à
chacune des périodes considérées. Le problème qui se pose est que tous les
légumes ne sont pas disponibles en même temps, d’où l’intérêt de limiter le suivi à
quelques légumes pour l’analyse. Cette étude doit permettre de connaître :
– la sensibilité des consommateurs aux variations de prix et donc, les effets
escomptés d’actions permettant d’abaisser les prix à certaines saisons, pour certains
produits ;
– les stratégies de report d’un légume à l’autre selon les disponibilités respectives,
qui peuvent conduire à favoriser la diversité des espèces disponibles sur les
marchés.

L’analyse repose sur un suivi des prix effectué sur des points de vente au détail
représentatifs de leur diversité, à une fréquence rapprochée, au moins mensuelle. Il
faut rappeler ici les difficultés et les dangers des enquêtes sur les prix : un prix n’a de
sens que s’il est bien spécifié dans le temps et dans l’espace (type de marché), pour
un produit défini en terme de qualité et une quantité précise. Si l’on dispose de
données sur une longue période — par exemple les quantités consommées et les
prix, relevés chaque mois pendant trois ans pour un échantillon représentatif de
ménages —, on pourra procéder à une analyse économétrique de l’élasticité-prix de
la consommation.

La disponibilité régulière sur le marché

La gastronomie africaine intègre surtout des produits que la ménagère est à peu près
sûre de trouver à tout moment sur le marché. Les produits disponibles

de manière épisodique — par exemple certains légumes de type européen comme la


courgette ou le concombre — ne sont pas encore entrés dans les habitudes de
préparation des couches aux revenus faibles ou moyens. On constate ainsi une
fidélisation des pratiques de consommation autour des légumes les plus
régulièrement disponibles et ce, plus particulièrement dans les ménages à budgets
tendus. Le cas extrême de la sécurisation de l’approvisionnement est
l’autoproduction : des légumes condimentaires, comme le gombo, peuvent être
cultivés à proximité des maisons. En ville, cette option est cependant limitée par la
pression foncière.

La qualité des produits


Les composantes de la qualité sont multiples. On distingue les caractéristiques
intrinsèques du produit — caractéristiques physiques (grosseur, couleur, niveau de
maturité, présentation, aptitude à la conservation), organoleptiques, hygiéniques —
et les caractéristiques de réputation — une ménagère peut déduire qu’un produit est
de qualité (par exemple gustative) s’il est commercialisé par une vendeuse d’une
certaine ethnie ou qu’elle connaît depuis longtemps. L’explication des préférences de
qualité pose un problème délicat. A partir de quel moment un consommateur
distingue-t-il deux produits? Ou encore, jusqu’à quel point un produit peut se
substituer à un autre?

Ces niveaux de différenciation sont généralement assez poussés. Par exemple, on


ne peut pas traiter sur le même plan — en terme de fréquence d’achat, de type de
préparation, etc. — une petite tomate locale bien mûre, utilisée cuite pour la sauce,
et une grosse tomate de type hollandais, utilisée crue pour la salade. Il est important
d’obtenir une liste des légumes présents sur les marchés urbains et d’interroger les
consommateurs sur leurs préférences selon un certain nombre de critères
préalablement établis pour chaque légume (grosseur, couleur, degré de maturité,
etc.). On demandera également au consommateur s’il juge le produit sain pour la
santé et s’il y a un lien entre l’origine du produit et sa qualité.

Le diagnostic des systèmes d’approvisionnement


Le repérage des flux

Le repérage des flux vise à déterminer l’origine des produits approvisionnant les
consommateurs finaux (lieux de production locale, origine des produits importés) et à
reconstituer les flux entre lieux de production et lieux de consommation. Le repérage
doit aboutir à localiser sur une carte des lieux de production et de vente en gros et au
détail ainsi que des infrastructures de stockage et de transformation et des voies de
communication. On trace les

flux des produits entre ces différents espaces, en distinguant les flux d’origine
urbaine, périurbaine, rurale, régionale et internationale.

La connaissance des flux marchands permet d’analyser la place particulière de


l’agriculture urbaine dans l’approvisionnement de la ville, en complément d’autres
sources d’approvisionnement comme l’agriculture rurale et les importations
(Moustier, 1999b).

Pour estimer le poids relatif des différentes origines dans l’approvisionnement des
consommateurs urbains, on utilise un indicateur indirect, le pourcentage de
détaillantes commercialisant les produits de différentes origines. En effet, tous les
produits commercialisés de l’agriculture urbaine passent par un stade de vente au
détail alors que le stade de vente en gros n’est pas systématique. Par ailleurs, les
détaillantes connaissent généralement la zone de production des produits
commercialisés. Ces données sont obtenues par enquête sur un échantillon
représentatif de détaillantes, interrogées à différentes périodes de l’année pour
prendre en compte les variations saisonnières.
La part de jardins situés dans la ville et dans sa périphérie proche dans
l’approvisionnement en légumes feuilles est de 80 % pour Brazzaville, de 100 % pour
Bangui et de 90 % pour Bissau et Antananarivo. Le reste de l’approvisionnement est
assuré par train ou par camion pour des zones plus éloignées (Moustier et David,
1997). Pour les autres légumes, les zones rurales jouent un rôle important dans
l’approvisionnement, même pour un produit périssable comme la tomate. La part des
champs villageois, situés à plus de 50 km du centre urbain, dans l’approvisionnement
en tomate est de 80 % à Brazzaville, de 60 % à Bangui et de 50 % à Bissau (ces
pourcentages concernent à la fois la tomate sauce et la tomate européenne). Mais la
part de l’agriculture urbaine augmente en saison sèche du fait d’un recours à
l’irrigation, alors que l’agriculture rurale est surtout pluviale.

Le graphe des filières permet de repérer les intermédiaires entre la production et la


consommation et leurs différentes fonctions : collecte, regroupement, transport,
stockage et redistribution (figure 2).

Figure 2. Exemple de la filière des


légumes-feuilles à Brazzaville.

La description des marchés

Les marchés sont les lieux d’échange les plus caractéristiques. Cependant,
beaucoup de transactions sont réalisées en dehors des places de marché :
directement sur les lieux de production, dans les entrepôts, près des gares, aux
points de stationnement des camions. On peut classer les marchés selon la
régularité des transactions : les marchés spontanés, les marchés périodiques, les
marchés permanents. On peut aussi les classer selon la place qu’ils occupent dans
la chaîne d’approvisionnement :
– les marchés de détail sont les lieux d’approvisionnement des consommateurs. On
distingue les marchés de détail selon la nature de la clientèle (marché populaire ou
marché à clientèle aisée) dans la mesure où l’assortiment des produits disponibles,
leur qualité et leur prix sont intimement liés au pouvoir d’achat des consommateurs
qui s’y approvisionnent ;
– les marchés de gros sont les lieux de transactions des producteurs-grossistes et
des grossistes-détaillants. On distingue les marchés de production (transactions
producteurs-grossistes dominantes), les carreaux (transactions producteurs-
détaillants), les marchés de redistribution (transactions grossistes collecteurs-
grossistes-distributeurs ou grossistes-détaillants).

Les stratégies des commerçants


Le bon fonctionnement des filières repose sur la souplesse des échanges. Les
acteurs « commerçants » y jouent un rôle clé. C’est pourquoi le diagnostic des
systèmes d’approvisionnement doit s’intéresser aux stratégies des commerçants,
notamment aux stratégies d’approvisionnement (choix des réseaux en amont) et aux
stratégies de vente (choix des réseaux en aval). Ces stratégies concernent les choix
des commerçants dans l’exercice de leurs activités, c’est-à-dire principalement le
choix des produits, le choix des quantités commercialisées, les prix d’achat et de
revente, les lieux d’achat et de revente, la nature des fournisseurs.

Il est important de connaître les critères de choix des fournisseurs par les
commerçants, tout particulièrement lorsqu’ils s’adressent à des fournisseurs de
produits importés pour savoir comment augmenter la part de marché des productions
locales. Ces critères peuvent être les suivants :
– le lien de parenté ou la connaissance de longue date, qui établit une relation de
confiance et garantit la régularité de l’approvisionnement et la qualité des produits ;
– les prix avantageux par rapport à d’autres sources ;
– une qualité supérieure, par exemple une durée de conservation plus longue ;
– la possibilité d’acheter les quantités nécessaires ;
– des conditions de paiement avantageuses (paiement différé, crédit) ;
– la possibilité d’acheter d’autres produits que les légumes.

Il est fréquent que les commerçants, faute d’autres sources de revenus que la vente
des légumes, adoptent des stratégies antirisque, par exemple :
– la diversification des produits commercialisés ;
– le choix des produits dont l’approvisionnement et l’écoulement sont les plus sûrs ;
– la limitation du fonds de roulement et du capital investi ;
– le stockage ou la transformation des produits.

Les stratégies des commerçants visent à satisfaire leurs intérêts. Ces intérêts offrent
à la fois des points de convergence et des points de divergence avec ceux des
autres acteurs de la filière, comme les producteurs, en particulier du fait des tensions
qui existent autour de la formation des prix.

La formation des prix et des revenus

La formation des prix des légumes entraîne celle des revenus dans les filières. Elle
dépend étroitement des pouvoirs de négociation entre vendeurs et acheteurs, c’est-
à-dire de la capacité relative des différents acteurs à obtenir des conditions
avantageuses au cours d’une transaction commerciale. Ces conditions peuvent avoir
trait au prix, aux quantités, à la qualité, au délai de paiement, au lieu et au moment
de la transaction. D’une manière générale, plus les pouvoirs de négociation sont
concentrés entre les mains de certains acteurs, plus les rémunérations sont
inégalement réparties et moins les ajustements entre l’offre et la demande sont
fluides. Aussi, lorsqu’un changement dans la consommation se produit, il est possible
qu’il soit mal répercuté sur la production.

Dans les théories économiques dites néoclassiques, les pouvoirs de négociation


sont équilibrés en situation de concurrence pure et parfaite. La réponse de la
production à la demande est alors la plus rapide et la moins coûteuse. Cette situation
suppose que soient réunies un certain nombre de conditions :
– l’atomicité du marché : aucun agent pris individuellement n’a de poids sur la
formation des prix ;
– l’homogénéité du produit : tous les produits vendus ont les mêmes caractéristiques
;
– le libre accès au marché : tout agent nouveau peut vendre sans barrière à l’entrée ;
– la transparence du marché : une information parfaite existe pour tous les
participants sur l’état de l’offre et de la demande et sur les prix.

Cependant, ces conditions idéales ne sont jamais réunies et sont difficiles à mettre
en œuvre. Il est en particulier impossible d’obtenir une information juste sur l’état
futur de la production et de la consommation. Les marchés africains sont tous en
situation de concurrence imparfaite.

Il est difficile de mesurer directement les pouvoirs de négociation mais il existe des
indicateurs indirects :
– la distribution des moyens, par exemple, le commerçant ou le producteur peut
exploiter le besoin de trésorerie de son partenaire. Celui-ci sera obligé de vendre ou
d’acheter dans des conditions de marché défavorables alors qu’il aurait pu attendre
un prix plus élevé si sa situation monétaire n’était pas tendue ;
– dans les filières des légumes, la distribution du capital « stockage » et « transport »
est déterminante pour comprendre les pouvoirs de négociation ;
– dans les filières des produits stabilisés (oignon, pomme de terre et concentré de
tomate), ce capital est typiquement concentré entre les mains des grossistes, qui
sont les points clés de fixation des prix et volumes ;
– dans les filières de produits frais, c’est le maillon du transport qui est le plus
déterminant. Dans l’agriculture périurbaine, où les légumes peuvent être distribués à
pied, en bus et en taxi, les pouvoirs de capital « transport » et ceux de négociation
sont assez équilibrés. En revanche, dans les zones rurales, un grossiste collecteur
peut représenter un point de blocage des volumes et de la fixation des prix s’il
contrôle le maillon du transport.

Les variations de prix dans le temps et dans l’espace reflètent l’état de l’offre et de la
demande ainsi que la qualité de l’information des différents acheteurs et vendeurs
sur cet état. Par exemple, un commerçant peut demander à un producteur de vendre
ses produits à un prix plus bas que d’ordinaire en arguant du fait que les
consommateurs réduisent leurs achats en raison de problèmes budgétaires. Pour
conserver son revenu ou ne pas trop le voir baisser, le commerçant doit bénéficier
d’un prix à l’achat minimal. Cependant, le producteur est parfois incapable de vérifier
l’information sur la consommation que lui transmet le commerçant, à cause de
difficultés de liaisons avec la ville ou de manque de temps. Le producteur n’ayant pu
vérifier l’information, le commerçant peut alors exploiter ce défaut d’information en
achetant des denrées à un prix minimal.

Les analyses économiques de la formation des prix et des revenus dans les filières
doivent s’appuyer sur le suivi des comptes de résultats (charges-produits) des
différents acteurs, à intervalle régulier pour tenir compte des variations saisonnières
(Duruflé et al., 1995).

Les formes d’organisation dans les filières


Des formes d’organisation peuvent exister au sein d’un groupe professionnel :
organisations de producteurs, de commerçants, de transporteurs. Elles peuvent
aussi relier des acteurs de différentes professions, de manière plus ou moins large.
On peut ainsi observer des contrats reliant un producteur à un commerçant ou des
contrats à l’intérieur des comités de concertation

interprofessionnels regroupant l’ensemble des professionnels de la filière. Ces


organisations sont des structures de coordination des décisions des agents. Cette
coordination vise notamment à renforcer les pouvoirs de négociation vis-à-vis des
partenaires (acheteurs, vendeurs, administrations), à mettre en commun les
infrastructures pour réaliser des économies d’échelle et à échanger des informations.
On trouve généralement deux formes d’organisation dans les filières maraîchères :
les contrats d’achat et de vente et les structures de concertation entre producteurs.

Les contrats d’achat et de vente

Les acheteurs et les vendeurs sont souvent liés par des relations de longue durée,
qui ont permis d’instaurer la confiance et d’établir des engagements réciproques. Ces
engagements prennent différentes formes :
– la garantie de priorité d’achat ou de vente entre les partenaires du contrat, qui
permet d’écouler plus rapidement un produit et limite les risques de mévente ;
– la fourniture d’intrants par le commerçant au producteur (cas du Sénégal) ou
l’octroi par le producteur d’un délai de paiement au commerçant (cas de Brazzaville) ;
– la fourniture d’intrants par le commerçant au producteur dans le cas où le
producteur serait limité en terme de trésorerie avant la campagne (cas du Sénégal).

Les structures de concertation entre producteurs

Il peut également exister des organisations de production et de mise en marché


collectives. Mais ces expériences sont rares dans le secteur des légumes. Les
conditions de production et de commercialisation étant très variables d’un producteur
à l’autre et d’une période à l’autre, la gestion des approvisionnements et l’entente sur
un prix d’achat commun sont particulièrement délicates pour une structure collective
d’achat.

Les voies d’amélioration : l’observatoire économique


et les organisations professionnelles de Brazzaville
L’observatoire économique permanent de la filière des légumes à destination de
Brazzaville vise principalement à réguler l’offre en produits maraîchers au cours de
l’année. Le programme Filmar, qui a réalisé un diagnostic appliqué aux filières
maraîchères de Brazzaville, a en effet mis en évidence les points suivants :
– la consommation en légumes est dominée par les légumes-feuilles ;
– les importations sont limitées à l’oignon et à la pomme de terre pour tous les types
de marché, aux légumes d’introduction récente (chou, carotte, tomate couteau, etc.)
pour les supermarchés et le marché du Plateau ;
– l’approvisionnement en légumes est assez régulier grâce aux jardins périurbains.
Des reports de consommation sont possibles entre les légumes-feuilles abondants
en saison des pluies, comme les feuilles de manioc, et les légumes-feuilles
abondants en saison sèche, comme l’endive locale et l’amarante ;
– les filières des légumes-fruits locaux en provenance des villages se caractérisent
par une forte fluctuation des prix, à l’échelle de la semaine. Cette situation est due
aux calendriers de travail des agriculteurs villageois et aux problèmes d’information
et de transport des producteurs situés dans les zones enclavées ;
– pour la filière des légumes de type européen, aucun groupe d’opérateurs locaux
n’est jusqu’à présent parvenu à répondre à l’exigence de régularité et de qualité des
supermarchés et du marché du Plateau. D’où la difficulté d’établir des contrats
d’approvisionnement et le recours aux importations, ce qui renforce le caractère
aléatoire des débouchés pour les producteurs locaux.

Les contraintes d’approvisionnement sont donc surtout liées à l’irrégularité de l’offre.


L’objectif de l’observatoire économique est de repérer précisément les périodes de
baisse de l’offre pour en informer les producteurs et de focaliser l’appui aux
producteurs pendant ces périodes.

La collecte et la diffusion des informations

La collecte des informations est centrée sur un certain nombre d’indicateurs :


– les indicateurs d’offre des produits sur Brazzaville : les variations au cours de
l’année des prix de gros et de détail peuvent être considérées comme des
indicateurs de la variation de l’offre, le commerce des légumes à Brazzaville étant
assez concurrentiel, de même que le nombre de détaillants vendant les différents
légumes retenus ;
– les indicateurs d’origine des produits : pourcentage de détaillants vendant les
légumes des différentes origines ;
– les indicateurs sur la consommation des ménages : les dépenses et les quantités
consommées pour différents types de légume et leurs variations au cours de l’année
;
– les indicateurs sur les revenus des producteurs et des commerçants.

Les résultats de l’observatoire sont diffusés à deux types d’opérateurs : Agricongo et,
d’une manière générale, les organismes pouvant intervenir dans le domaine du
développement maraîcher pour mieux connaître les périodes de baisse de l’offre et
ses facteurs explicatifs et apporter les solutions ; les professionnels de la filière,
essentiellement les producteurs de légumes et les commerçants.

Ces destinataires n’ont pas les mêmes exigences de rapidité de l’information, ce qui
implique des modes de diffusion différents. L’information pour le premier type
d’opérateur est transmise, tous les deux mois, grâce à un bulletin de quelques
pages, qui fournit les informations de base sur l’état des filières sous forme de
tableaux ou de graphiques et les commente (tendances des prix, quantité par
origine, compte des agents de la filière, tendances de consommation) ; deux fois par
an, par des rapports qui détaillent les informations sur la saison passée et, une fois
par an, par un document de synthèse. L’information pour le deuxième type
d’opérateur est diffusée lors d’une journée d’information, qui a lieu deux fois par an,
au début de chaque saison, et qui permet aux producteurs et aux commerçants de
se concerter pour approvisionner plus régulièrement le marché.

La concertation entre acteurs : les journées d’information


Les journées d’information réunissent des représentants des maraîchers de
Brazzaville et des producteurs du bassin vivrier qui approvisionne Brazzaville, des
commerçants, des consommateurs, des agents des services techniques et des
organisations non gouvernementales.

Un travail préliminaire avec les acteurs de la filière est réalisé par les responsables
de l’observatoire économique afin de recenser les thèmes importants qui seront
développés au cours de la journée. En dehors de ces thèmes sont aussi présentés le
bilan de la saison écoulée et la préparation de la saison à venir.

Lors des journées d’information, des discussions en groupe sont organisées en


associant producteurs, commerçants, consommateurs et techniciens afin de favoriser
les échanges d’expériences entre professionnels. A cette occasion, les commerçants
expriment leur demande (disposer de tels légumes à une période donnée) et les
producteurs signalent leurs contraintes. Avec l’appui des techniciens, ils proposent
ensemble des solutions pour produire les légumes qui sont demandés sur le marché.
La synthèse de chaque journée est reprise dans une fiche conseil, qui est rédigée
par les responsables de l’observatoire économique et diffusée dans les zones de
production et sur les principaux marchés de Brazzaville. Elle fait l’objet d’émissions à
la radio rurale ou nationale.

L’optimisation des journées d’information se situe essentiellement sur trois plans :


– la représentativité des acteurs invités. Ils doivent avoir une légitimité vis-à-vis du
groupe qu’ils représentent et une bonne connaissance de leur secteur d’activité ;
– la diffusion de l’information. Le faible nombre d’invités (une vingtaine de personnes
par catégorie d’acteurs) et la diffusion restreinte par les médias

(presse écrite, radio) ne permettent pas actuellement à l’information d’être disponible


pour tous ;
– la création d’une interprofession. La quasi-inexistence de structures
interprofessionnelles tant pour les producteurs que pour les commerçants ne leur
donnent pas une forte représentativité vis-à-vis de leurs interlocuteurs institutionnels.
De telles organisations amélioreraient la diffusion de l’information, renforceraient les
pouvoirs de négociation dans les différents secteurs d’activité et permettraient de
cofinancer les activités de l’observatoire économique.

Les systèmes de production


dans les filières maraîchères urbaines
L’agriculture urbaine sera considérée comme l’agriculture localisée dans la ville et sa
périphérie, dont les produits sont destinés à la ville et pour laquelle il existe une
alternative entre usage agricole et usage urbain non agricole des ressources. Cette
alternative suscite des concurrences, mais également des complémentarités entre
ces usages (Moustier, 1999). L’analyse des systèmes de production se limitera aux
systèmes urbains au sens large (intra et périurbain) pour des raisons de
simplification. En effet, il n’est pas toujours facile de distinguer, sur la base de la
localisation, le pôle urbain et le pôle périurbain.

Les principales contraintes de production


S’agissant des cultures maraîchères, les techniques et les résultats d’exploitation
sont variables. Ils sont tributaires notamment des disponibilités en ressources
naturelles (terres, eau), de la maîtrise de l’intensification des productions (accès aux
intrants, au crédit) et des conditions de commercialisation.

L’accès au foncier

Les agriculteurs urbains cultivent pour la plupart des terrains sur lesquels ils n’ont
pas de maîtrise foncière. L’accès au foncier est la contrainte majeure dans de
nombreux pays (Congo, Cameroun, Guinée-Bissau. . .) et l’une des sources de
différenciation des systèmes de production et des revenus. La culture choisie est
généralement d’autant plus risquée que la surface foncière est élevée (légumes de
type européen, légumes-feuilles traditionnels).

En ville, la pression de l’urbanisation tend à limiter les surfaces. A Brazzaville,


plusieurs enquêtes montrent que 80 % des maraîchers urbains

cultivent une surface inférieure à 700 m2 (Torreilles, 1989 ; Moustier, 1995c). A


Bangui, la surface moyenne est estimée à 1 500 m2 (David, 1992). A Bissau, la
surface moyenne par productrice est de 760 à 900 m2 (David et Moustier, 1993). A
Madagascar, la moyenne de surface potentiellement cultivée (bas-fonds et tanety) de
3 000 exploitations maraîchères est de 700 m2 (Rakatoarisoa et al., 1994). A Dar es
Salam, 10 000 producteurs exploitent chacun une surface moyenne de 500 m2 dans
la ville (Jacobi et al., 2000). A Abidjan, la taille moyenne des parcelles est de 600 m2
(Yappi Affou, 1999). A Bhaktapur dans la vallée du Katmandou, la surface cultivée
en légumes varie entre 3 000 et 5 000 m2 (Jansen et al., 1994). A Dakar, les
maraîchers des Niayes exploitent une superficie comprise entre 1 000 m2 et 1 ha (De
Bon et al., 1997 ; Mbaye et Moustier, 2000). Autour des principales villes burkinabés,
Bobo-Dioulasso, Kadiogo, Koudougou, Bam et Yatenga, le maraîchage périurbain
est pratiqué sur des petites surfaces de 200 à 1 000 m2 (Dupeloux et Ouatara, 1993).
La protection de zones urbaines à vocation agricole constitue donc un enjeu
important.

Le climat

Une différenciation climatique peut être établie selon la zone géographique : Afrique
tropicalo-équatoriale (longue saison humide) et Afrique soudanosahélienne (longue
saison sèche). La contrainte climatique majeure est la concentration et l’intensité des
pluies pendant quatre à six mois de l’année. Ces pluies occasionnent des dégâts
physiques (inondations, érosions, destruction des pépinières) et parasitaires
(maladies fongiques et bactériennes particulièrement) importants (Moustier et
Essang, 1996). Par ailleurs, en fin de saison sèche, les cultures et les pépinières
souffrent du manque d’eau. Ces contraintes, qui empêchent une mise en valeur
permanente des parcelles, peuvent être levées, d’une part, en ayant recours à
l’irrigation, d’autre part, en utilisant des abris et un paillage en saison des pluies ou
encore en choisissant, quand cela est possible, des terrains non inondables. Ces
terrains sont plus disponibles en zone périurbaine qu’en ville. En saison sèche, seuls
les cultivateurs de plein champ disposant de terrains près de cours d’eau ont recours
à l’arrosage compte tenu de la force de travail qu’il requiert (rareté des équipements
d’irrigation). Ces contraintes naturelles expliquent en grande partie la saisonnalité de
l’approvisionnement urbain et la nature des légumes urbains.
L’Afrique tropicale se caractérise par une forte production de légumes-feuilles en
plein champ pendant la saison des pluies, tandis que les jardins maraîchers de
saison sèche avec une production de légumes tempérés (carottes, tomates,
aubergines) sont caractéristiques de l’Afrique sahélienne.

L’accès aux intrants

Dans la quasi-totalité des pays étudiés, il n’existe pas de systèmes performants


d’approvisionnement en intrants et en équipements maraîchers (semences
améliorées, engrais, pesticides, petit matériel agricole). Nombreux sont les
producteurs qui se plaignent de la cherté des intrants. L’approvisionnement est
assuré principalement par l’intermédiaire de projets ou par des boutiques de vente
d’autres produits (notamment les supermarchés) et ce, de manière discontinue
(Jansen et al., 1994 ; Moustier et David, 1997 ; Kintomo et al., 1999). A Dakar, ce
problème est fortement atténué par l’existence de sociétés spécialisées dans la
production de semences et d’intrants et par un réseau de revendeurs spécialisés
dans la fourniture de produits et de matériels agricoles.

La matière organique utilisée par le maraîchage urbain provient de divers types de


déchets urbains (ordures ménagères, drêches de brasserie, déchets d’abattoirs,
déchets halieutiques, coques d’arachide), du fumier des élevages périurbains
(fientes de volailles, fèces des petits ruminants), des terreaux et des composts
divers. Les activités de production, de collecte et de distribution de déchets
organiques font vivre un grand nombre d’artisans. Outre les problèmes liés à la
valorisation des ordures ménagères et des déchets industriels (triage, risques pour
l’environnement et la santé humaine), les maraîchers sont confrontés à des
problèmes de disponibilité (quantité, régularité) et de coût (transport) et à un manque
d’information sur les doses et les mélanges nécessaires à un bon équilibre de la
matière organique utilisée. La maîtrise de l’approvisionnement en intrants constitue
l’un des facteurs clés de l’intensification.

La pression parasitaire

La pression parasitaire est une contrainte importante pour les maraîchers


périurbains, particulièrement pendant la saison des pluies (Jansen et al., 1994 ;
Moustier, 1995a ; Moustier, 1995b ; Moustier et Essang, 1996 ; Gockowski, 1999).
Les maladies prédominent pendant la saison des pluies, alors qu’en saison sèche ce
sont les insectes phytophages qui deviennent préoccupants. Certains parasites
tendent à devenir endémiques (nématodes, teignes, viroses, cochenilles). L’intensité
des dégâts occasionnés dépend largement de la capacité des maraîchers à maîtriser
les techniques de lutte : les connaissances sur les méthodes de lutte, les ravageurs
et les maladies sont généralement limitées.

La caractérisation des systèmes de culture


Les systèmes de cultures peuvent être caractérisés par les variables classiques que
sont le calendrier cultural, les rotations culturales et l’itinéraire tech-

nique, mais aussi et surtout par leur mode de gestion de la fertilité (jachère, crue,
fumure organique, engrais minéral).
Le calendrier cultural

L’analyse du calendrier cultural, couplé au calendrier de trésorerie des producteurs,


permet d’expliquer en partie les phénomènes de pénurie, tantôt en saison sèche
(pour les légumes locaux), tantôt en saison humide (pour les légumes tempérés).
Certaines adaptations du calendrier cultural répondent à la pression foncière par la
répétition de cycles culturaux. On peut se reporter aux calendriers culturaux
observés à Brazzaville, Bissau et Bangui.

A Bangui, sur les terrains de polyculture vivrière situés autour de la ville, pour des
raisons avant tout alimentaires, le producteur combine sur son champ vivrier
plusieurs cycles de manioc décalés dans le temps (David, 1992). Le cycle agricole
commence en janvier, en saison sèche, par la défriche d’un hectare environ. Les
terrains sont emblavés en légumes et maïs après les pluies de mars. Le bouturage
du manioc a lieu en juillet-août. Le producteur associe trois variétés de manioc —
une de six mois, une de dix mois et une d’un an — afin d’étaler les récoltes. Les
feuilles des trois variétés sont vendues sur les marchés. La principale période de
récolte des légumes va de mai à août. Les agriculteurs bénéficiant d’un terrain situé
le long d’un cours d’eau cultivent des légumes en saison sèche, cette fois en
monoculture. Aucun intrant n’est apporté aux cultures. En ville, les jardins urbains
combinent toute une gamme de légumes selon la longueur de leur cycle, leur degré
de risque à la production et à la vente. Les jardins sont toutefois dominés par la
tomate et les légumes de type tempéré, qui représentent le tiers des planches. Les
semences des légumes tempérés sont achetées alors que celles des légumes locaux
sont produites par les maraîchers. Plus de 80 % d’entre eux utilisent des engrais, du
fumier et des pesticides et arrosent systématiquement leurs planches, ce qui permet
une culture de saison sèche. En saison des pluies, les cultures sont fortement
exposées aux dégâts physiques et phytosanitaires liés aux précipitations.

A Bissau, la grande saison maraîchère se situe pendant la saison sèche (David et


Moustier, 1993). Les maraîchères travaillent à leur jardin, aménagé aux marges de
bas-fonds, d’octobre-novembre à avril-mai, soit six à sept mois. La surface moyenne
cultivée est de 500 m2. Les premiers légumes cultivés sont le plus souvent des
légumes locaux, du fait de leurs besoins en eau plus élevés et de leurs cycles plus
courts — oseille de Guinée, gombo, aubergine amère, piment. Les légumes
tempérés ne viennent qu’ensuite : tomate, oignon vert, laitue, chou pommé. Ces
produits assurent une rentrée d’argent rapide, qui peut être employée pour acheter
de nouvelles semences (tomate, poivron, chou, carotte, navet, aubergine) et pour
payer la main-d’œuvre qui préparera une nouvelle parcelle. A partir d’avril et mai, les
cultures cessent par manque d’eau. Les maraîchères se livrent alors à

d’autres activités : récolte de la noix de cajou, commerce. A partir de juin, les femmes
reviennent au maraîchage en cherchant un autre terrain non inondable, le plus
souvent éloigné de la ville. Elles cultivent généralement des légumes locaux car ils
sont moins chers à produire, plus faciles à cultiver et moins sujets au vol : oseille de
Guinée, piment, gombo, aubergine amère. Le coefficient d’intensification cultural est
de 1,5 pour une année. Cette intensification est une réponse à la pression foncière et
à la réduction des surfaces disponibles.

A Brazzaville, on compte environ un millier de producteurs maraîchers, en majorité


des femmes (80 à 90 %), qui exploitent en moyenne chacune 700 m2 (Torreilles,
1989 ; Moustier, 1994). Le foncier est le premier facteur de différenciation des
maraîchers en terme de revenus et de choix culturaux. Les légumes-feuilles, peu
risqués, prédominent dans les parcelles inférieures à 400 m2, avec un ralentissement
en saison des pluies. D’une manière générale, les légumes locaux sont
prépondérants sur deux tiers des planches. Les légumes tempérés se limitent aux
périmètres moins sujets à la menace urbaine, qui bénéficient pour la plupart d’un
appui du projet Agricongo.

L’analyse du calendrier cultural montre que les légumes proviennent à la fois de


systèmes villageois, où ils sont cultivés avec peu d’intrants en complément d’autres
cultures vivrières, et de systèmes urbains spécialisés, qui offrent un certain niveau
d’intensification (utilisation de semences sélectionnées, recours aux engrais
minéraux et aux pesticides, culture sur planches, arrosage). Ces deux systèmes de
culture sont complémentaires pour les saisons de production et pour les légumes
produits : avantage des zones périurbaines pour les légumes périssables et pour les
légumes de type tempéré pour lesquels l’accès aux intrants et à l’appui technique est
plus facile en milieu urbain ; avantage des zones éloignées des centres urbains pour
les produits à faible marge, dont la qualité ne pâtit pas des longs trajets et pour
lesquels la production en extensif intéresse plus les ruraux que la production en
intensif n’intéresse les citadins (Moustier et Pagès, 1997).

Les rotations culturales

Nous renvoyons le lecteur aux études de Torreilles (1989) à Brazzaville, David


(1992) à Bangui, David et Moustier (1993) à Bissau, De Bon et al. (1997) à Dakar
pour la présentation de quelques rotations culturales ainsi qu’au paragraphe
précédent sur le calendrier cultural. Avec la pression foncière, la durée de la jachère
se réduit : à Bangui, par exemple, elle est passée de 8-10 ans à 3-4 ans en une
dizaine d’années (Moustier, 1994). Cela risque de poser des problèmes de maintien
et de gestion de la fertilité, particulièrement dans les systèmes vivriers où les engrais
minéraux et organiques ne sont pas utilisés.

L’itinéraire technique

Nous ne décrivons pas ici en détail les itinéraires techniques rencontrés en


maraîchage périurbain. Le lecteur pourra se reporter aux études disponibles dont
celles de Torreilles (1989), David (1992), Moustier et David (1997), Jansen et al.
(1994), Moustier (1995c), Gockowski (1999), Mbaye et Moustier (2000). Les
variables observées dans l’itinéraire technique sont les suivantes :
– le type de semence, sélectionnée (importée) ou produite par les maraîchers ;
– le type de légume cultivé ;
– la densité de plantation ;
– le mode de plantation, en planche, sur billons ou dans les sillons ;
– les associations culturales ;
– la quantité d’engrais minéral apportée ;
– le type et la quantité de matière organique utilisée ;
– le nombre de traitements phytosanitaires ;
– le type et la fréquence d’arrosage ;
– la force de travail.
Le niveau d’intensification par apports d’intrants et recours à la main-d’œuvre peut
être un discriminant des itinéraires techniques maraîchers.

La durabilité des systèmes de culture peut être évaluée par le suivi d’indicateurs
d’impact sur certains paramètres environnementaux. Le choix des indicateurs
dépend du niveau de durabilité auquel on s’intéresse : durabilité de la parcelle
cultivée ou durabilité de l’activité maraîchère.

Le milieu biologique est caractérisé par les données suivantes :


– le taux de matière organique du sol ;
– le potentiel microbien du sol ;
– le niveau d’infestation et la biodiversité des adventices ;
– le niveau d’infestation et la biodiversité du parasitisme tellurique (nématodes,
champignons) ;
– la biodiversité animale, en particulier des insectes, avec l’usage mal géré des
pesticides ;
– l’inventaire et la dynamique des ravageurs et des maladies ;
– la biodiversité végétale (avec pour hypothèse, son maintien dans les jardins de
case et son érosion dans les systèmes plus intensifs et commerciaux, souvent
fondés sur des espèces allogènes hybrides).

Le milieu physique (sol, eau) est défini par les variables suivantes :
– le taux de nitrates dans les eaux ;
– le taux de métaux lourds dans le sol (lié aux boues d’épuration) ;
– les résidus de pesticides en sortie de parcelle ;
– le pH, la capacité d’échange cationique (CEC), la conductivité du sol ;
– la compacité.

La santé humaine est liée aux données suivantes :


– les résidus de pesticides dans les légumes (protection du consommateur) ;
– le taux de nitrates dans les légumes ;
– l’état sanitaire des légumes vendus (lié à la qualité des eaux d’arrosage).

Les motivations et les stratégies de production


L’analyse des stratégies de production des producteurs maraîchers permet de
comprendre ce que représente le maraîchage dans l’exploitation agricole et de savoir
avec quels objectifs les producteurs travaillent et quels types d’action il est possible
d’engager avec eux. Les motivations qui guident le choix du maraîchage sont
nombreuses : une faible exigence foncière, un entretien aisé, un gain rapide, un
investissement de base réduit, un écoule-ment facile des produits. Plusieurs
stratégies de production se dessinent en fonction de ces motivations : stratégie
d’autosubsistance, stratégie commerciale, stratégie sociale.

L’autosubsistance alimentaire

Des enquêtes menées à la fin des années 1980 à Bamako, Nairobi, Dar es Salam,
Bangkok et La Paz montrent que les ménages urbains pauvres consacrent entre 60
et 90 % de leurs revenus à l’alimentation (Mougeot, 1993). En 1990, les ménages de
la plupart des grandes villes des pays en développement dépensaient plus de la
moitié de leur revenu moyen en nourriture. Selon Hussain (1990), la proportion de la
population urbaine vivant au-dessous du seuil de pauvreté devrait atteindre 57 % en
l’an 2000, alors qu’elle était d’un tiers en 1988.

Les légumes apparaissent comme les principaux éléments constitutifs de la sauce


protéique qui accompagne la base calorifique de l’alimentation des Africains (manioc,
riz, mil). Les légumes les plus fréquemment cités comme éléments constitutifs des
sauces dans les études de consommation réalisées en Afrique sont les morelles, les
amarantes, les oseilles et les feuilles de manioc, dans certaines zones (Moustier,
1991). La consommation de légumes-feuilles concerne surtout l’Afrique tropicale et
équatoriale. En Afrique sahélienne, le gombo, la courge et le chou sont davantage
autoproduits et autoconsommés que sous l’équateur. En tant que condiments, les
légumes les plus courants sont la tomate et l’oignon, qui font l’objet d’échanges
transnationaux en Afrique.

Dans les zones tropicales humides, où les racines et les tubercules sont les aliments
énergétiques dominants, les légumes sont la principale source de protéines à
moindre coût. Dans les zones de savane sèche, le manque de légumes est l’une des
causes du déficit en vitamine A et en carotène (Okigbo, 1990). C’est ainsi qu’en
Afrique centrale les feuilles de manioc sont riches en

protéines contrairement au pain ou à la boule de manioc qui les accompa-gnent. Les


légumes ont une forte teneur en vitamines A et C et en éléments minéraux comme le
calcium, ce qui convient tout à fait aux enfants. Le gombo, la tomate et le poivron,
par exemple, sont d’excellentes sources de vitamine C.

Les jardins maraîchers permettent ainsi aux ménages les plus défavorisés de
s’alimenter en légumes frais et d’améliorer la valeur des repas en protéines et en
vitamines, tout en réalisant des économies (Jacobi et al., 2000 ; Mougeot, 2000).

La commercialisation de la production

Pour les maraîchers en général, urbains ou ruraux, produire répond à un objectif


commercial : fournir des revenus. A Brazzaville, Ofouémé-Berton (1996) montre que
les légumes représentent 15 % des dépenses des ménages, avec des quantités
consommées qui restent largement en dessous des recommandations de la Fao. Le
maraîchage urbain est souvent une activité à quasiment plein temps, spécialisée,
pratiquée par des citadins qui en tirent l’essentiel de leurs revenus (tableau 7).

En Côte d’Ivoire (Yappi Affou, 1999), la persistance du maraîchage périurbain


s’explique par le fait que c’est une activité de survie pour de nom-

Tableau 7. Estimation des revenus des


producteurs urbains, d’après Torreilles
(1989) pour Brazzaville, David (1992)
pour Bangui, David et Moustier (1993)
pour Bissau, Jacobi et al. (2000) pour
Dar es Salam, Kintomo et al. (1999)
pour Ibadan.
breux citadins. Des enquêtes montrent que les producteurs n’ont pas suivi de
formation professionnelle, sont largement analphabètes (84 % à Abidjan, 80 % à
Bouaké) et n’ont pu accéder aux emplois formels. Le maraîchage apparaît comme
leur seule chance d’obtenir rapidement, et à faible coût, un revenu monétaire. Ainsi,
dans l’agglomération d’Abidjan, pour 85 % des producteurs interrogés, le
maraîchage intra-urbain est la seule activité qui leur procure un revenu.

Plusieurs types de légumes sont cultivés. Ils se classent en différentes catégories


selon la longueur de leur cycle, leurs exigences en intrants et le degré de risque lié à
leur production (sensibilité aux maladies et aux ravageurs) et à leur
commercialisation (délai de stockage et de transport, demande du marché). Les
légumes-feuilles de cycle court (moins d’un mois), comme l’amarante, le chou chinois
et l’oseille locale, sont peu sensibles aux parasites et ne demandent que peu
d’intrants. Ils s’adressent à une large clientèle, qui les consomme régulièrement, et
assurent ainsi une rentrée d’argent quasi quotidienne au producteur. Leurs marges
par hectare sont les plus faibles. Les légumes-feuilles de cycle long (un à deux
mois), dont la production et la commercialisation présentent peu de risques, comme
les morelles, les choux, la ciboule et les épinards, permettent de disposer de fortes
recettes périodiques, qui peuvent répondre à des besoins financiers importants :
problème de santé, épargne pour la construction d’une maison. Les légumes
tropicaux et les légumes d’origine tempérée à cycle court (moins de deux mois), dont
la production et à la commercialisation présentent peu de risques, comme la salade
et le persil, peuvent servir de tête de rotation pour financer le reste de la campagne
maraîchère comme c’est le cas à Bissau. Les légumes d’origine tempérée à cycle
long (plus de deux mois), comme les tomates, les carottes, les aubergines violettes
et les concombres, présentent des risques à la production et à la commercialisation.
Leurs marges par hectare sont cependant les plus élevées. Il est donc possible de
relier l’importance des différents types de légumes dans les systèmes de culture aux
objectifs de trésorerie des exploitations et à leurs capacités financières.

Le recours à l’achat d’intrants et le niveau de technicité des exploitations suit la


même différenciation. Ainsi à Brazzaville, les légumes-feuilles de cycle court (moins
d’un mois), comme les amarantes, l’endive locale, la baselle et l’oseille de Guinée,
dominent dans les exploitations tenues par les femmes qui n’ont pas d’autres
sources de revenu dans le ménage, qui ont de lourdes charges familiales, sont
installées sur de faibles surfaces (moins de 700 m2) et ont besoin de rentrées
d’argent régulières et stables. Les légumes de cycle long (deux à trois mois) peu
risqués, la ciboule, la morelle amère, le gombo et le piment, par exemple, dominent
pour les niveaux de surface et de capital intermédiaires (700 à 1 000 m2, accès au
foncier et à l’outillage par un emploi préalable, héritage ou installation par les autori-

tés). L’activité maraîchère est alors la source principale de revenus dans le ménage.
Les légumes de cycle long (tomates, courgettes, aubergines violettes), dont la
production et la commercialisation sont risquées, dominent pour les niveaux de
surface et de capital importants (plus de 1 000 m2). Une activité préalable salariée
(anciens fonctionnaires) a permis d’acquérir le foncier et l’outillage par voie
monétaire. A Abidjan, la plante la plus cultivée est la laitue : plus de 72 % des
producteurs en font. Elle est suivie de l’oignon-feuille (38 % de l’effectif), des
légumes-feuilles (18 %), puis du haricot vert, du chou et du concombre. Le type de
plante cultivée traduit l’objectif de gains monétaires des producteurs.

Le rôle social

Le rôle social du maraîchage revêt plusieurs aspects : contribution à la sécurité


alimentaire, lutte contre le chômage, émancipation des femmes et des jeunes (accès
aux revenus).

Selon Yappi Affou (1999), les maraîchers sont majoritairement en âge d’assumer des
responsabilités familiales. Ainsi, les maraîchers de Bouaké et d’Abidjan, en Côte
d’Ivoire, sont mariés pour la plupart (70 % des cas) et ont en moyenne 6 enfants à
charge à Bouaké et 3 à Abidjan. Cette situation les pousse à exercer une activité
rémunératrice comme le maraîchage.

A Dakar, où est concentrée plus de la moitié de la population urbaine pauvre, le


maraîchage permet d’améliorer les conditions de vie des gens et surtout de créer des
emplois rémunérés, principalement dans les quartiers proches des zones dunaires et
des bas-fonds (Mbaye et Moustier, 2000).

Kintomo et al. (1999) à Ibadan, au Nigeria, évaluent le temps de travail entre 3 000 et
10 000 heures par hectare pour un cycle de culture de huit mois comprenant la
préparation du terrain, la construction des canaux de drainage, la préparation des
planches et la conduite de la culture.

A Katmandou au Népal, en zone tropicale humide, Jansen et al. (1994) estiment que
l’exploitation d’un hectare de cultures légumières demande 600 jours par an de main-
d’œuvre familiale, contre 300 jours pour un hectare en système rizicole intensif
(main-d’œuvre essentiellement salariée).

Les producteurs maraîchers sont largement de sexe masculin en Côte d’Ivoire : 99 %


de l’effectif à Abidjan, 56 % à Bouaké. Les femmes constituent cependant la quasi-
totalité des revendeurs et des détaillants sur les marchés. A Dar es Salam, tout
comme à Brazzaville, la production maraîchère, essentiellement de légumes-feuilles,
est surtout l’affaire des femmes. A Bissau, ces dernières sont largement impliquées
dans la commercialisation de la production.
La recherche et la reconnaissance d’un statut social et la volonté d’organisation
affichée par la plupart des producteurs en groupements d’intérêt écono-

mique (Gie), coopératives ou fédérations pour mieux défendre leurs intérêts sont
également perceptibles.

Les typologies d’exploitations

Les variables observées dans les systèmes de production sont les suivantes :
– la taille et le statut du foncier ;
– l’âge et le sexe de l’exploitant ;
– la taille de la famille ;
– la nature de la main-d’œuvre ;
– le niveau du capital ;
– le mode de commercialisation ;
– le recours à l’achat d’intrants : semences, engrais, pesticides ;
– le type d’arrosage : manuel à partir de puits et céanes, gravitaire à partir de
pompage et tuyaux ;
– le type de matière organique utilisé : fumier d’élevage, drêches de brasserie,
ordures ménagères, composts ;
– le type de légume cultivé : légumes-feuilles de cycle court (moins d’un mois),
légumes-feuilles de cycle long ; légumes africains ; légumes tempérés ;
– la disponibilité de l’appui technique.

Les systèmes de production et de commercialisation à Brazzaville ont fait l’objet


d’une analyse qui a pris en compte l’approvisionnement de la ville (Moustier et
Pagès, 1997). Quatre types d’exploitations ont été mis en évidence : les exploitations
très limitées par le foncier, de moins de 400 m2 de surface utile (type 1) ; les
exploitations aux contraintes foncières modérées, entre 400 et 700 m2 de surface
utile (type 2) ; les exploitations sans contrainte foncière avec le maraîchage comme
activité principale, de plus de 700 m2 de surface utile (type 3) ; les exploitations sans
contrainte foncière, en polyactivité, de plus de 1 000 m2 de surface utile (type 4).

D’autres auteurs ont proposé des typologies similaires en utilisant la taille des
parcelles comme premier facteur de différenciation des systèmes de culture et des
revenus des exploitants : Torreilles (1989) à Brazzaville, David (1992) à Bangui,
David et Moustier (1993) à Bissau, Jansen et al. (1994) à Katmandou, Mbaye et
Moustier (2000) à Dakar, Bakker et al. (2000) à Dar es Salam. Plus les parcelles sont
importantes, plus les maraîchers sont prêts à utiliser de nouvelles variétés, des
intrants agricoles et des équipements appropriés.

Une autre typologie peut être proposée en fonction de la durabilité, économique et


écologique, présumée des exploitations. Elle distingue quatre types d’exploitation.

• Le jardin de case, que sa faible dimension met plus ou moins à l’abri d’une
opération immobilière, où la production est très variée et fait appel à des techniques
le plus souvent traditionnelles. Ce type d’exploitation

permet d’assurer une certaine subsistance pour les ménages les plus défavorisés.
Villien (1987) signale que 99 % des ménages de Bangui subviennent en partie à
leurs besoins en légumes et en condiments grâce à leurs jardins de case. La
production s’insère plutôt dans un circuit de troc ou de marché local que de grand
commerce. Ces jardins ont aussi l’avantage de maintenir un savoir-faire, un lien avec
les racines rurales, et de préserver la biodiversité végétale.

• La parcelle de taille plus importante, à la limite du bâti ou dans les interstices, dont
l’avenir immédiat est compromis par l’immobilier. Deux situations s’y rencontrent. Soit
le producteur est engagé dans une course à la productivité sans aucun souci de
durabilité écologique, donc dans une logique d’intensification (rotation rapide,
diversification des espèces et des variétés, utilisation d’intrants). Soit le producteur,
ou plutôt le propriétaire, est dans une position d’attente spéculative et réduit au
maximum ses coûts de production. Dans les deux cas, la durabilité, tout au moins
celle de la parcelle, est compromise par l’urbanisation, mais aussi par les stratégies
d’intensification de l’un, de laisser-aller de l’autre.

• La parcelle la plus éloignée, sur laquelle la menace est plus lointaine, qui est mieux
gérée dans une perspective de durabilité à moyen terme. Elle se trouve en zone
périurbaine à la limite de la zone rurale. L’innovation étant plus audacieuse dans les
jardins maraîchers hautement intensifs, il serait opportun de mettre davantage en
contact les maraîchers des villes qui travaillent sur des parcelles compromises par
l’urbanisation avec ceux qui sont sur des terres plus éloignées et moins menacées.
C’est dans cet environnement que l’expérimentation et l’introduction de nouvelles
techniques seraient les plus utiles.

• Enfin, l’agriculture qui participe d’un plan d’urbanisme et dont l’avenir est planifié.
Elle devrait être davantage prise en compte par les autorités administratives. Cette
agriculture permet de maintenir une activité agricole qui peut alors avoir d’autres
rôles que celui de nourrir la ville : lutter contre la pauvreté, fournir des emplois,
organiser le paysage. Le maraîchage peut représenter une activité de repli dans un
contexte d’emploi précaire : il requiert peu de capital de départ, mais exige une force
de travail et une préparation de l’installation. Citons le projet de ceinture verte autour
de Bangui (Deshayes, 1992) et le programme de ceinture maraîchère de Brazzaville
(Belantsi et Torreilles, 1999).

Une telle approche doit être complétée par l’évaluation des groupes d’exploitations
selon leurs poids respectifs sur le marché, en terme d’effectif, de valeur et de
diversité. Bien que plusieurs typologies d’exploitants soient connues, très peu de
travaux sur la caractérisation des performances technico-économiques des
exploitations agricoles à vocation maraîchère ont été réalisés.

L’un des enjeux pour la recherche est d’identifier les conditions de durabilité des
systèmes de production à base de maraîchage dans un environnement urbain en
constante évolution afin de proposer des systèmes reproductibles, viables et
durables.

Les voies d’amélioration


Faciliter l’accès à un terrain non inondable

L’accès au foncier est le premier facteur de différenciation des revenus. C’est aussi
le facteur qui détermine la capacité à prendre des risques, en particulier pour
produire en saison des pluies. Pour faciliter l’accès à un terrain non inondable,
l’appui aux producteurs peut prendre la forme d’une aide juridique ou d’un
accompagnement de la recherche de terrains adaptés au maraîchage.

Améliorer l’accès aux semences

L’amélioration de l’accès aux semences passe par les réseaux existants. Pour les
maraîchers qui produisent une partie de leurs semences, un appui à la sélection des
semences est préconisé. Un catalogue de variétés recommandées peut être diffusé
auprès des vendeurs d’intrants et des producteurs (D’Arondel de Hayes et Moustier,
1994). Ainsi, au Sénégal, un catalogue des variétés recommandées a été rédigé par
le Cdh (Centre de développement de l’horticulture) de l’Isra avec le concours de la
Fao (Cdh, 1996). Il mérite d’être largement diffusé. Les échanges variétaux entre
zones agroécologiques similaires doivent être facilités. Afin de protéger ce potentiel
d’échange, une conservation des espèces indigènes s’avère indispensable. Une
collaboration avec les institutions internationales de recherche telles que l’Avrdc
(Asian Vegetable Research and Development Center) est à explorer dans le cadre
d’échanges de semences maraîchères (légumes-fruits, légumes-feuilles). La création
de l’Afsta (Association africaine du commerce des semences), en mars 2000, devrait
contribuer à promouvoir l’utilisation de variétés améliorées et de semences de qualité
en Afrique (http://www.wordseed.org/afsta.htm/). Il convient de signaler l’expérience
très intéressante de production de plants-mottes à partir des déchets organiques de
l’abattoir de Thiès, au Sénégal, qui assurent une meilleure résistance de la plante
aux dégâts physiques et phytosanitaires de saison des pluies (Farinet et Copin,
1994).

Exploiter le patrimoine génétique

Le nombre d’espèces maraîchères sélectionnées par la recherche ou expérimentées


par le développement a augmenté continuellement depuis trente ans dans tous les
pays d’Afrique (De Bon et Pagès, 1996). Les principales

espèces sont la tomate, l’oignon, le chou pommé, le haricot vert, le melon, la patate
douce et la pomme de terre. Malgré des efforts considérables pour produire des
variétés africaines, la gamme est encore largement couverte par du matériel végétal
du Nord.
Quelques variétés créées ou sélectionnées en Afrique
Tomate : Xina, Romitel, Rotella (Sénégal) ; Farako-Ba, Farako-Ba x Pelican, 8SC x
R14-6-40, 8SC x R15-14-42 (Burkina) ; Tropiva n. 3 (Cap-Vert).
Oignon : Violet de Galmi, Violet de Soumarana (Niger), Yaakar (Sénégal).
Gombo : Pop 12, Puso (Sénégal).
Jaxatu : Keur Mbir Ndaw, L10, L18 (Sénégal).
Patate douce : Ndargu, Louga 5, clone 2, clone 27, clone 29 (Sénégal).
Oseille de Guinée : Koor, Vimto (Sénégal).

De 1978 à 1985, le Cdh de Cambérène, au Sénégal, a introduit et testé plus de 3


000 variétés légumières. Il a réalisé des travaux sur le calendrier cultural, en vue
d’étaler la production, notamment au cours des périodes de culture les moins
favorables (saison des pluies, saison sèche et chaude). Plus de 23 espèces
maraîchères ont ainsi été vulgarisées auprès des producteurs, des référentiels
techniques et économiques ont été diffusés et des listes variétales ont été établies.
Les recherches en sélection variétale ont porté sur l’adaptation aux conditions de
culture et sur la résistance aux maladies et aux ravageurs, principalement sur les
solanacées (tomate, piment, jaxatu), les racines et tubercules (manioc, pomme de
terre, patate douce), l’oignon et les malvacées (gombo, oseille de Guinée).
L’inventaire et l’étude des principaux ravageurs et maladies ont permis de
développer des méthodes de lutte intégrée, pour la plupart appliquées par les
producteurs.

Les légumes-feuilles indigènes, très importants pour les citadins, ont fait l’objet de
peu de recherches. La précieuse diversité génétique des espèces locales mérite une
attention particulière : tomate et gombo ouest-africain (Abelmoschus cailliei),
aubergine amère (Solanum aethiopicum), amarante (Amaranthus spp.), morelle
(Solanum nigrum, S. scabrum, S. macrocarpum) et Corchorus spp. Cette biodiversité
végétale se maintient surtout dans les jardins maraîchers.

Faciliter l’accès aux petits abris

Le matériel doit là aussi épouser la diversité des capacités financières des


producteurs. Les abris de plastique mis au point par le projet Agricongo (11,6 x 3,5
m), d’une valeur de 90 000 FCfa en 1990, sont plutôt adaptés aux capacités
financières des fonctionnaires urbains. Les techniques d’abris traditionnels en
palmes et bambou aménagés par les maraîchers congolais et centrafricains
pourraient être proposées aux maraîchers de Bissau et d’autres pays qui ne les
connaissent pas.

Faciliter l’accès à l’eau et optimiser la ressource

A la fin de la saison sèche, la production de légumes, notamment celle des légumes-


feuilles, souffre du manque d’eau. Plusieurs types d’intervention sont possibles :
– l’aménagement de bassins-versants et l’installation de systèmes de distribution
gravitaire au tuyau — dans le cadre du projet Agricongo, l’installation de la
motopompe est subventionnée et des cotisations permettent de l’entretenir ;
– l’amélioration des techniques traditionnelles de puisage, comme c’est le cas du
projet nord-est Bénoué, au nord du Cameroun, et le pompage de l’eau par
motopompe ;
– la mise au point de techniques de production économes en eau. Une méthode de
culture hors sol sur substrat solide et sur solution nutritive, adaptée aux microjardins,
a été testée par la direction de l’horticulture, au Sénégal (Ba, 1999). Elle doit
permettre de produire des légumes sains à moindre coût toute l’année. De nombreux
légumes de types feuilles, fruits et bulbes ont déjà été expérimentés avec succès.
Cette méthode doit cependant faire l’objet d’une analyse technico-économique et
sociologique pour évaluer les réactions et les comportements des groupements
choisis pour les opérations de démonstration et de diffusion de la technique. Un
guide pratique illustré est en cours de préparation ;
– l’irrigation au goutte-à-goutte. Cette innovation s’est très peu développée,
vraisemblablement parce qu’elle n’a pas encore fait ses preuves sur le plan de la
rentabilité des investissements et qu’elle requiert un capital de départ et une
formation technique qui ne sont pas à la portée de nombreux producteurs.

Promouvoir la qualité sanitaire


des aliments à l’échelle de la filière
Le développement des activités maraîchères urbaines pose des problèmes
d’hygiène alimentaire. C’est le cas à Abidjan, où des eaux sales sont utilisées pour
arroser les légumes généralement consommés crus, tels que la laitue, la tomate et le
concombre (Yappi Affou, 1999). C’est aussi le cas à Yaoundé, où l’eau d’arrosage
est puisée dans des zones d’accumulation d’eau de pluie et d’eaux usées (De Bon et
al., 1999). Il est nécessaire d’étudier des systèmes de filtrage et de prélèvement de
l’eau d’irrigation (voir le chapitre 5), mais aussi de sensibiliser les autorités
administratives et les producteurs aux risques que ces pratiques font courir pour la
santé publique.

Créer ou maintenir un service d’appui et de conseil

La demande des producteurs en appui et en conseils est forte compte tenu de leur
faible niveau de formation professionnelle. Une marge de progrès en intensification
est encore possible en aidant les producteurs à maîtriser les

différents points de l’itinéraire technique. C’est ce que fait Agricongo en


accompagnant les dynamiques d’installation des exploitations maraîchères dans trois
secteurs complémentaires : la formation, les recherches d’accompagnement,
l’observatoire économique de la filière (Belantsi et Torreilles, 1999).

Les systèmes pour être durables doivent aussi s’appuyer sur un environnement
institutionnel favorable : garantie foncière (qui favorise les investissements), accès au
crédit, reconnaissance du rôle de l’agriculture urbaine par les autorités
administratives.

Les limites actuelles et les nouvelles orientations


Malgré les tendances à la dégradation des ressources physiques, il est encore
possible d’améliorer, de diversifier et d’intensifier la production urbaine, compte tenu
de la croissance de la population et de l’environnement socio-professionnel et
économique associé au développement de l’urbanisme. La disponibilité en terre et
en eau, de plus en plus limitée, oblige nécessairement à redéfinir les stratégies de
production en fonction des valeurs ajoutées et des avantages comparatifs des
spéculations et des sites de production.

Un système maraîcher intensif sur une parcelle permanente et de taille réduite


entraîne des contraintes pour la fertilité du milieu (physique, chimique et
microbiologique), pour l’environnement (pollution des eaux par les nitrates, résidus
de pesticides dans les légumes, pollution des légumes par les eaux sales, pollution
des sols en métaux lourds) et pour la gestion du parasitisme. Les innovations
techniques qui permettent d’augmenter les revenus des producteurs par unité de
surface (traitements phytosanitaires, gestion des engrais minéraux et organiques,
amélioration variétale, densité de peuplement) ne peuvent plus être considérées
indépendamment des autres préoccupations des exploitants et de celles des autres
acteurs de l’agriculture urbaine. On observe, par exemple, des exploitations qui
essayent d’associer des activités d’élevage (embouche, petit élevage, production
laitière) aux productions horticoles (floriculture, arboriculture fruitière). La recherche
doit donc définir de nouveaux systèmes technico-économiques d’intensification des
productions végétales et des outils d’aide à la décision permettant de valoriser et de
préserver les ressources naturelles (terre et eau), fondés non seulement sur
l’application d’itinéraires techniques, mais aussi sur des analyses sociologiques,
économiques, politiques et juridiques. Cette approche requiert des équipes
pluridisciplinaires associant agronomes, économistes, géographes et sociologues.
En conclusion, nous citons quelques axes de recherche pour des travaux en
agronomie sur les conditions de durabilité des systèmes de culture :
– recherche sur les programmes de fertilisation à moindre coût prenant en compte
les résidus de fertilisation des cultures précédentes, particulièrement en systèmes
intensifs ;
– recherche sur les rotations culturales appropriées en vue de maintenir le
rendement légumier ;
– exploitation de la biodiversité variétale des légumes africains, notamment des
légumes-feuilles ;
– mise au point de méthodes de lutte intégrée compatibles avec le niveau de
formation des producteurs et leurs capacités financières ;
– prévention de la résistance des insectes aux insecticides ;
– recherche sur les causes de la baisse de fertilité du milieu et mise au point
d’indicateurs de suivi ;
– lutte contre l’érosion des sols, notamment en terrains accidentés ;
– mise au point d’indicateurs pour l’évaluation de la pollution des milieux physiques
(eau et milieu aérien) et des produits vendus ;
– inscription du maraîchage dans les plans d’occupation et d’affectation des sols
(Poas) ou les plans locaux de développement (Pld) ou les schémas directeurs
d’urbanisme.

Etant donné le manque de ressources dont disposent les institutions publiques de


recherche, les efforts devraient porter sur le partage des compétences et des
connaissances par l’intermédiaire d’organisations régionales comme le Coraf, qui
met en relation les services nationaux de recherche agricole d’Afrique du Centre et
de l’Ouest.

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Cette page est laissée intentionnellement en blanc.

4. La gestion concertée
et durable des filières
animales urbaines

Abdou Fall, Maty Ba Diao, Denis Bastianelli, Aimé Nianogo

Pour l’agriculture urbaine, l’élevage constitue souvent le secteur le mieux représenté


après le maraîchage. Cette activité se maintient ou se développe dans les centres
urbains ou à proximité, en se satisfaisant du peu d’espace disponible. Elle est
marquée par une certaine évolution et par une situation multiforme des techniques,
des spéculations et des structures d’exploitation. A côté des éleveurs traditionnels,
on retrouve dans l’espace périurbain des citadins éduqués (commerçants,
fonctionnaires), souvent porteurs de changements, disposant de capitaux qu’ils
investissent dans l’agriculture.
Or, cette cohabitation entre l’élevage et la ville et les spécificités structurelles et
fonctionnelles de l’élevage en milieu urbain posent de véritables questions de
recherche-développement : importance économique de cette activité, rôle dans la
constitution des revenus des familles urbaines et dans leur intégration sociale,
productivité des animaux compte tenu des contraintes d’espace et d’un meilleur
accès aux intrants et aux services de proximité, effets du confinement des animaux
sur leur santé, notamment l’augmentation du risque parasitaire, effets de la
promiscuité de l’homme et de l’animal sur la situation épidémiologique urbaine
(zoonoses), impact de cet élevage dans l’environnement urbain avec la
détermination d’indicateurs de nuisance et l’évaluation du rôle des animaux dans
l’assainissement des villes et le transfert de fertilité vers les productions végétales.

La problématique est donc de gérer l’élevage urbain dans la concertation et la durée,


pour qu’il approvisionne mieux les villes et procure un revenu régulier aux citadins
qui le pratiquent, tout en préservant l’environnement. Cette problématique doit
intégrer de manière interdisciplinaire les facteurs techniques, socio-économiques et
écologiques (Moustier, 1999).

Ce chapitre vise à préparer les lecteurs à la pluralité des approches des filières
animales et à la complexité des dynamiques qui s’y rattachent. Il

comprend trois parties : définition des enjeux, impacts, contraintes et atouts de


l’élevage en milieu urbain ; présentation et discussion des principaux outils utilisés
dans l’analyse des systèmes et filières de production animale ; réflexion sur les voies
d’amélioration de l’élevage en milieu urbain, en particulier les aspects orientés vers la
recherche-développement.

Les enjeux et les impacts


du développement des productions
animales en zone urbaine

Les enjeux
Le développement des villes ne s’est pas accompagné de la marginalisation des
activités d’élevage dans les espaces urbains et périurbains en Afrique de l’Ouest. Au
contraire, on constate une expansion de l’élevage de bovins, d’ovins et de volailles
en zone urbaine et périurbaine à la faveur de la croissance des villes. En effet, le
développement des filières avicole et laitière autour des grandes villes africaines a
été remarquable au cours des dernières décennies. L’urbanisation et les problèmes
qu’elle pose pour l’entretien des animaux n’ont pas dissuadé les citadins des villes
africaines d’élever des animaux dans leurs maisons, l’élevage des moutons à Dakar
en est un exemple parfait. Cette dynamique reflète les multiples bénéfices liés aux
filières animales urbaines, notamment la formation de revenus, la création d’emploi,
l’approvisionnement des villes, la sécurité alimentaire et l’amélioration de
l’environnement et du cadre de vie. Malgré cela, la légitimité urbaine de l’élevage
reste encore à conquérir pour amener les gestionnaires politiques à prendre en
compte les activités d’élevage dans la planification urbaine.
Les activités de production, de transformation et de commercialisation dans les
filières d’élevage urbain offrent des possibilités d’emploi pour une part importante de
la population en situation de chômage chronique et de ruraux en migration
saisonnière. L’un des enjeux des productions animales urbaines est de fournir un
revenu aux multiples acteurs qui interviennent dans ces filières, en particulier les
pauvres des villes et des campagnes, qui peuvent grâce à ces activités assurer leurs
moyens d’existence et leur bien-être social. Enfin, les filières animales urbaines
intensives représentent une forme d’épargne lorsqu’elles sont menées à petite
échelle. Elles constituent aussi une véritable opportunité d’investissement et de
création de richesse pour certains opérateurs économiques des villes qui ont
accumulé un capital financier dans d’autres secteurs économiques.

Des quantités appréciables de produits alimentaires d’origine animale (viande, lait et


dérivés, œufs) de haute valeur nutritive sont issues des filières animales urbaines.
Ces produits sont destinés à l’autoconsommation chez les exploitants et à
l’approvisionnement des villes. Les systèmes d’élevage urbain participent de manière
significative à la satisfaction d’une demande accrue en produits d’origine animale
déterminée par la forte croissance démographique, l’urbanisation accélérée et
l’augmentation des revenus dans les villes.

La gestion des déchets constitue un sérieux défi pour les gestionnaires et les
habitants des villes. L’assainissement des villes par la valorisation des déchets
domestiques pour l’alimentation animale constitue avec les loisirs deux fonctions
spécifiques de l’élevage qui participent à l’amélioration du cadre de vie dans les
espaces urbains.

Les impacts
L’impact des filières animales urbaines peut être positif ou négatif. Dans le domaine
des effets bénéfiques, outre les fonctions productives (formation de revenus, création
d’emplois, sécurité alimentaire) et non productives (assainissement, loisirs) déjà
mentionnées, les formes intensives de production animale dans les espaces urbains
et périurbains sont plus efficientes en matière d’utilisation des ressources et plus
productives que les productions rurales. Elles limitent ainsi la pression sur les
ressources naturelles qui seraient nécessaires pour satisfaire la demande en
produits animaux à partir des systèmes extensifs. De plus, ces systèmes intensifs,
fondés sur une alimentation concentrée, sont moins polluants pour l’atmosphère car
ils produisent moins de méthane que les systèmes extensifs utilisant plus de
fourrages grossiers. Ils reposent souvent sur la production de fourrages, qui
augmente la quantité de matière organique susceptible d’être recyclée pour
maintenir et restaurer la fertilité des sols dans les espaces périurbains.

Les impacts négatifs de l’élevage urbain sont les plus visibles et suscitent souvent
une perception défavorable de la part des habitants de la ville. Il s’agit
essentiellement :
– des nuisances causées par les animaux (bruits, accidents) et leurs déjections
(odeurs) ;
– la concentration des déchets animaux, qui polluent les eaux de surface et
favorisent la contamination des eaux souterraines ;
– les risques sanitaires pour les producteurs et la population consommatrice de
produits animaux potentiellement contaminés par des agents pathogènes (risque
plus grand de zoonoses) ou par des métaux lourds ;
– la divagation des animaux, qui peut engendrer une dégradation des espaces verts
dans les villes.

Les contraintes
• Le manque d’espace. Les filières animales urbaines se situent dans des espaces
où elles sont en concurrence avec l’usage des terres pour l’habitat. La contrainte
foncière qui caractérise ces espaces conduit à des systèmes de production fondés
essentiellement sur le confinement des animaux dans des habitats exigus, favorables
au développement d’une pathologie microbienne et parasitaire spécifique. Ce
manque d’espace s’oppose aussi à la production fourragère indispensable à une
production animale améliorée.

• Le coût de l’eau. Dans bien des cas — dans les Niayes de la zone de Dakar au
Sénégal, par exemple — l’eau est devenue une denrée rare en raison de sa
surexploitation et de la sécheresse, ce qui en fait un facteur de production
relativement cher pour des activités agricoles.

• Le coût des intrants. La cherté des intrants (aliments, médicaments et autres


produits vétérinaires) se traduit par des coûts de production élevés, qui affectent la
rentabilité et la reproductibilité de certains élevages. Les fourrages valorisés dans les
élevages urbains et périurbains proviennent essentiellement des zones rurales et les
coûts de transport en font des facteurs de production peu accessibles. Une bonne
partie des aliments concentrés est importée et les produits locaux susceptibles d’être
valorisés dans les filières animales urbaines trouvent des possibilités d’exportation
qui augmentent leur coût d’opportunité.

• La concurrence des produits importés. La contrainte majeure des filières animales


urbaines est sa compétitivité par rapport aux importations (voir les encadrés p. 119) ;
du fait de leur offre saisonnière, les produits provenant du milieu rural sont plutôt
complémentaires de ceux des filières urbaines. Trois facteurs déterminent la
compétitivité des produits : leurs coûts de production, leur qualité hygiénique, leur
acceptabilité par les consommateurs. Les coûts élevés des facteurs de production
essentiels (aliments, eau, intrants vétérinaires, équipements) et les mesures sur les
importations font que les produits importés, comme le lait, sont relativement plus
accessibles que les produits locaux. Ils bénéficient, de plus, de garanties
hygiéniques, appréciées par les consommateurs.

• Les risques liés à l’utilisation des médicaments. En milieu urbain, les intrants
vétérinaires sont distribués dans un contexte non normalisé, peu soucieux des
risques pour la santé publique. Les règles d’utilisation des médicaments, en
particulier les délais avant la consommation des produits, sont rarement respectées.
La proximité entre les unités de production périurbaines et les marchés de
consommation aggrave cette situation. Dans ce domaine, les produits ruraux sont
considérés comme plus sains que les produits urbains.
Compétitivité des filières animales urbaines : le cas du lait au Sénégal
La fiscalité des produits laitiers importés a connu des évolutions importantes pour la
filière. Tous les produits laitiers importés font l’objet d’une taxation douanière, qui
contribue à hausser leur prix final. Ainsi, jusqu’en 1994, la principale taxe appliquée sur
les produits laitiers était la valeur mercuriale ou la « mercuriale sociale », dont le
montant variait avec le type de produit. Pour le lait en poudre, son montant était de 60
FCfa/kg. Elle a été supprimée en 1994 et remplacée par une taxe valeur facture Caf
(coût assurance fret) de 29,6 %. Cette réforme de la fiscalité des produits laitiers a eu
pour conséquence une augmentation de 14 % des frais de dédouanement et une
hausse substantielle du prix final. Ce prix s’est aussi trouvé majoré, en 1994, du fait de
la dévaluation du franc Cfa, ce qui semblait favorable à la production laitière locale.
Cependant, depuis 1999, la tarification douanière a été modifiée suivant les dispositions
arrêtées par l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine). Le système
harmonisé mis en place distingue deux catégories d’acteur : les importateurs ordinaires
(les particuliers) et les industries de transformation. Les premiers doivent s’acquitter
d’une taxe de 26 % environ contre 5 % pour les industriels. Les produits laitiers issus de
la transformation de la poudre de lait importée par les industriels de Dakar deviennent
relativement moins chers que ceux provenant des fermes laitières de la zone de Dakar.
En se référant aux avantages accordés aux producteurs européens dans le cadre de la
Politique agricole commune, une taxe d’au moins 30 % devrait être appliquée sur tout
produit laitier étranger importé pour une consommation finale afin d’augmenter
directement la compétitivité du lait local.
Compétitivité des filières animales urbaines :
le cas des produits avicoles au Sénégal
Jusqu’en 1998, les prix relativement élevés des produits avicoles sur le marché
sénégalais s’expliquaient par la protection tarifaire. Mais les droits de douane, qui
étaient de 55 % avant avril 1998, sont passés à 30 % pour se stabiliser à 25 % en 1999
puis à 20 % en 2000. Pour le poulet de chair sénégalais, la concurrence internationale
risque de rester très forte dans un contexte où les morceaux de découpe provenant des
Etats-Unis, d’Europe et du Brésil sont très bon marché. (Cheikh Ly, Eismv, comm.
pers.)

Les atouts de l’élevage urbain


Comme toutes les autres activités agricoles dans les espaces urbains, les filières
animales présentent des avantages liés à leur proximité par rapport à la ville,
notamment :
– des infrastructures routières favorables à l’accès aux intrants et à l’écoulement des
produits vers un marché plus rémunérateur ;
– la proximité du marché, la facilité d’écoulement permettant de raccourcir le circuit
de commercialisation (et donc d’augmenter les marges) ;
– un accès plus facile aux services d’appui (services vétérinaires, services de
maintenance, crédit, formation, recherche) ;
– une meilleure disponibilité des intrants locaux ou importés ;
– un accès à l’électricité ;
– de meilleures possibilités de transformation.

La localisation des activités de productions animales en zone intra ou périurbaine


leur confère des avantages, mais présente aussi des inconvénients (tableau 8).

Tableau 8. Avantages et contraintes


de l’élevage en milieux intra et
périurbain.
La caractérisation des filières animales
Dans la phase de planification d’actions de recherche ou de développement sur
l’agriculture urbaine, les responsables ont besoin d’informations sur les producteurs,
leurs conditions de travail, leurs pratiques en matière de culture et d’élevage, les
contraintes auxquelles ils doivent faire face ainsi que leur potentiel de
développement. A cette fin, l’approche utilisée doit permettre de recueillir et
d’analyser des informations, d’identifier les solutions applicables et de fixer les
priorités de la recherche-développement. Les concepts de système de production ou
de filière correspondent chacun à une échelle et à un niveau d’analyse particuliers au
sein de l’approche systémique.

Les exploitations agricoles ne sont ni isolées les unes des autres, ni isolées de
l’environnement socio-économique lié au type de produit qu’elles élaborent. Les
modalités d’approvisionnement en intrants, les débouchés des produits, les
éventuels concurrents industriels, les structures d’encadrement des exploitations,
tout cela constitue un réseau, avec ses relations et ses flux. L’étude de filière permet
de définir les contraintes et les atouts que les éleveurs doivent prendre en compte,
ainsi que le champ des possibles. La caractérisation des systèmes de production
permet d’analyser les possibilités de développement, ou de meilleure reproductibilité,
des élevages et les conditions d’une meilleure adéquation entre les élevages et le
reste de la filière.

Dans ce chapitre, nous croisons donc deux démarches : une démarche verticale de
type filière pour étudier les relations entre les différents acteurs autour d’un même
produit (l’exemple de la filière avicole au Burkina sera analysé) et une démarche
transversale d’analyse des systèmes de production.

Les concepts
Le concept de système d’élevage
La caractérisation de l’exploitation des animaux repose sur la description du système
d’élevage. Ces deux termes définissent « l’ensemble des techniques et des pratiques
mises en œuvre par une communauté pour exploiter dans un espace donné des
ressources végétales par des animaux dans des conditions compatibles avec ses
objectifs et avec les conditions du milieu » (Lhoste, 1986).

Le système d’élevage inclut donc les animaux (espèces, races, catégories), l’espace
(hors sol ou non et sa gestion) et l’éleveur (motivations, stratégies, caractéristiques
socio-économiques). Il s’intègre dans la notion plus large de système de production
agricole.

Un système de production agricole est défini comme « un ensemble structuré de


moyens de production (travail, terre, équipement) combinés entre eux pour assurer
une production végétale et/ou animale en vue de satisfaire les objectifs et besoins de
l’exploitant (ou du chef de l’unité de production) et de sa famille » (Jouve, 1992).

L’analyse des systèmes de production s’appuie fréquemment sur la typologie, définie


comme « un groupement des systèmes de production qui ont un fonctionnement
identique, c’est-à-dire une similitude d’objectifs, de stratégies et de facteurs limitants
».

La typologie des systèmes d’élevage urbain se fonde sur la description des


exploitations à l’aide d’un certain nombre de critères, qui varient largement en
fonction du système étudié mais peuvent se regrouper en quelques grandes
catégories (voir l’encadré ci-dessous).

Typologie des systèmes d’élevage : critères de description

• L’exploitation
Caractéristiques structurelles de l’exploitation :
– surface, accès à l’eau, à l’électricité, utilisation de l’espace ;
– bâtiments, matériels d’élevage ;
– distance par rapport au marché ou aux axes de communication ;
– main-d’œuvre familiale et salariée.

Degré d’intégration de l’exploitation :


– le système de production est uniquement animal ;
– le système comprend des productions animales et végétales. Ces dernières sont
déconnectées du point de vue technique mais peuvent être liées du point de vue du
partage des ressources (en temps, en investissement) et des revenus ;
– le système comprend des productions animales et végétales. Celles-ci sont en
interaction technique et économique : flux de matière et d’argent entre ces productions ;
compétition ou complémentarité pour l’utilisation de l’espace, du capital, de la main-
d’œuvre . . . les modalités de l’équilibre entre les productions peuvent être très variables
;
– il y a presque uniquement des végétaux, les productions animales sont très
marginales.

Spécialisation des productions animales :


– il y a un seul type de productions animales ;
– il y a plusieurs types de productions, complémentaires ou en concurrence (pour les
ressources).
• Les animaux

Ateliers de production animale :


– nombre d’ateliers ;
– types de production.

Caractéristiques des animaux :


– espèces, races ;
– effectif.

Conduite des animaux :


– systèmes d’alimentation, de conduite sanitaire ;
– pratiques d’achat, de vente.

• L’éleveur

Description socio-économique :
– âge, niveau d’études de l’éleveur ;
– famille : composition, activités ;
– origine : citadine ou rurale ;
– ethnie.

Activités :
– agricoles ;
– autres ;
– présence sur l’exploitation.

La typologie des systèmes d’élevage est un préalable à leur étude mais constitue
rarement une fin en soi. Elle peut ensuite servir de base à des recherches plus
poussées concernant le fonctionnement et les performances techniques et
économiques des différents types identifiés, l’évolution des exploitations à partir des
trajectoires observées, la pérennité des exploitations et les moyens d’action pour
améliorer certains systèmes. Ce système de classification est illustré par l’étude de
cas sur la typologie des élevages avicoles périurbains au Sénégal (p. 123). D’autres
critères, le revenu par exemple, peuvent être utilisés pour caractériser la
consommation en milieu urbain (voir les études de cas sur la consommation de
viande, de lait et de produits laitiers, à Dakar, et sur la filière de production d’œufs, à
Ouagadougou, p. 124-128).
La typologie des élevages avicoles
périurbains au Sénégal
L’exemple des élevages avicoles périurbains au Sénégal (Arbelot et al., 1997) illustre
l’élaboration d’une typologie. La typologie est une étape importante dans l’analyse des
systèmes de production. Elle doit permettre par la suite d’analyser le fonctionnement et
les performances des différents types d’élevage, de choisir des modes d’intervention
appropriés et de suivre les conséquences des interventions sur l’évolution des
systèmes d’élevage.
La typologie des exploitations avicoles a été réalisée sur un échantillon de 174 élevages
: 33 en zone intra-urbaine et 141 en zone périurbaine (exploitations le long des axes
routiers partant de Dakar sur un rayon de 50 km). Les critères définis pour décrire les
élevages sont indiqués dans le tableau 9. A partir de variables continues (âge de
l’exploitation, surface), des classes ont été constituées de façon à avoir des effectifs de
classe de même ordre de grandeur.
L’analyse factorielle des correspondances multiples et la classification hiérarchique
ascendante sur les variables qualitatives ont permis d’identifier trois grands groupes
d’aviculteurs, qui sont ensuite décrits sur la base de leurs caractéristiques communes
(tableau 10).

Tableau 9. Définition des variables


décrivant les élevages, d’après Arbelot
et al. (1997).

Tableau 10. Caractéristiques des


groupes d’aviculteurs et trajectoires,
d’après Arbelot et al. (1997).
La consommation de viande à Dakar
L’objectif principal de cet exemple (Mankor, 1999) est d’étudier les facteurs qui
influencent la demande en viande à Dakar. Il part de l’hypothèse que les revenus des
consommateurs, les prix des produits, la pression urbaine et les préférences en fonction
des usages jouent un rôle majeur dans la demande en viande.
L’étude s’appuie sur une enquête menée en deux temps. Dans un premier temps, des
entretiens exploratoires (30 entretiens ouverts avec des ménagères et des groupes
restreints aux points de vente) ont permis d’identifier les principaux types de viande
consommée à Dakar, les canaux d’approvisionnement, les intervenants terminaux de la
filière et leurs r ôles respectifs, les plats associés à la viande et les occasions dans
lesquelles elle est consommée. Les informations recueillies à partir de ces entretiens
ont servi de base à une enquête structurée auprès de 157 ménagères, choisies au
hasard dans des quartiers représentatifs a priori de la diversité des situations socio-
économiques. Cinq types de quartier ont été distingués
en fonction de la catégorie de logement : les quartiers résidentiels à hauts revenus ; les
quartiers résidentiels à revenus intermédiaires ; les grands quartiers populaires à
revenus très diversifiés ; les villages traditionnels ; les quartiers populaires défavorisés.
Le bœuf est la viande la plus consommée en situation ordinaire (tableau 11). Par
rapport aux autres viandes, elle est moins chère, plus facile à trouver, plus sûre sur le
plan sanitaire, facile à partager, moins susceptible de perte à la cuisson, mieux adaptée
aux nombreux convives. Le mouton est surtout destiné à la consommation individuelle
hors du domicile, dans les restaurants, dibiterie et borom bol. C’est la viande préférée
des consommateurs car elle est plus savou-reuse mais plus chère. Le poulet est
privilégié pendant les fêtes de fin d’année, les fêtes chrétiennes, les week-ends et pour
les réceptions.
Tableau 11. Fréquence (%) de la
consommation de viande à Dakar
selon le quartier, d’après Mankor
(1999).

La consommation de lait et de produits laitiers à Dakar


Cette étude (El Ketrouci, 1993) sur la consommation du lait à Dakar a pour objectifs de
saisir la manière dont sont perçus les différents types de lait (lait local et lait
reconstitué), de connaître les préférences des consommateurs ainsi que les habitudes
et les fréquences de consommation et de déterminer les quantités consommées. Les
enquêtes ont été menées dans quatre quartiers, qui se distinguent par les revenus et
l’habitat : Sacré-Cœur, quartier de grand standing ; Gueule-Tapée, quartier traditionnel
avec des habitudes urbaines et un habitat diversifié (dur, baraque) ; Grand-Yoff, quartier
semi-urbain, à l’habitat diversifié et à forte densité démographique ; Pikine, quartier à
forte croissance démographique.
Le lait en poudre est largement consommé dans les trois quartiers populaires Gueule-
Tapée, Pikine et Grand-Yoff (tableau 12). En revanche, à Sacré-Cœur, où les revenus
sont plus élevés, les habitants consomment moins de poudre de lait et plus de lait frais
et de produits laitiers comme le yaourt et le fromage. La consommation du lait caillé
reconstitué est forte dans les quartiers populaires mais nulle à Sacré-Cœur.

Tableau 12. Pourcentage de ménages


consommant tous les jours des
produits laitiers, d’après El Ketrouci
(1993).
La filière de production d’œufs à Ouagadougou
L’exemple de la filière de production d’œufs à Ouagadougou montre comment on peut
aborder les différents aspects d’une filière de production animale en milieu urbain :
description des maillons de la production (technotecture) et étude des acteurs sur le
marché (mercatecture) et de leurs relations. L’approche choisie pour analyser la filière
comprend une description des circuits (opérations techniques), des acteurs (typologie)
et des échanges.
On identifie d’abord les fonctions existant dans la filière puis les acteurs, qui peuvent
remplir plusieurs fonctions complémentaires (ou contradictoires!). On distingue trois
types de producteur : les éleveurs petits et moyens, peu professionnels ; les éleveurs
moyens, relativement professionnels ; les éleveurs moyens ou gros, professionnels. De
même, on identifie plusieurs types de revendeur : les gros revendeurs ; les revendeurs
moyens ; les supermarchés ; les détaillants et kiosques ; les éleveurs pratiquant la
vente directe ; les vendeurs d’œufs bouillis. L’amont de la filière est plus simple dans la
mesure où les fournisseurs d’intrants sont en situation de monopole ou d’oligopole. Les
intrants vétérinaires et certains services sont assurés par une structure
interprofessionnelle. La figure 3 présente les relations entre acteurs dans la filière des
gros producteurs.
L’analyse socio-économique de la filière comprend trois volets :
– une analyse comptable : calcul des coûts de production et de commercialisation aux
différents maillons et selon le type d’acteur (catégorie d’éleveur, catégorie de
revendeur) puis étude de la répartition de la valeur ajoutée le long de la filière dans les
différentes configurations de circuits de vente identifiées. Le tableau 13 donne une idée
des coûts et des revenus par type d’exploitation ;
– une analyse de la situation actuelle en termes de rapports de force entre acteurs et
éventuelles asymétries d’information ;
– une étude prospective de l’évolution de la filière : utilisation de statistiques, d’enquêtes
(souhaits d’évolution).
Figure 3. Schéma de la filière avicole à
Ouagadougou (Bastianelli, 1999).

Tableau 13. Coûts et revenus des


différents types d’exploitation, d’après
Bastianelli (1999).

On peut tirer de cette étude quelques conclusions générales. La demande en œufs est
porteuse et ne crée pas de concurrence horizontale forte entre les producteurs. Le fait
qu’il y ait relativement peu de revendeurs contribue à réguler le marché : la tromperie
sur la qualité, qui pourrait apparaître sur un marché urbain peu réglementé, est
inexistante car les vendeurs d’œufs de mauvaise qualité seraient rapidement identifiés
et disqualifiés dans ce marché relativement fermé.
Il existe plusieurs types de producteur et de revendeur, et donc plusieurs souscircuits
de commercialisation, avec une prédominance de gros producteurs — gros revendeur
(assurance d’écoulement) et producteur moyen — et reven-
deurs moyens (maximisation du profit ou difficultés d’approvisionnement et
d’écoulement), avec quelques opérateurs ayant des stratégies atypiques (intégration
des deux maillons par la vente directe, par exemple). La figure 3 montre les liaisons qui
peuvent exister entre les acteurs au sein de la filière des gros producteurs.
Le partage de la valeur ajoutée est relativement équitable, avec une bonne
rémunération des producteurs, ce qui montre que le rapport de force leur est
globalement favorable.
Pour analyser les rapports de force, l’hypothèse utilisée est celle qui s’attache au risque
lié au caractère périssable du produit (risque de pertes) et, à l’opposé, à l’intérêt qu’il y a
à prendre une part importante du marché (concurrence douce). Le caractère périssable
des produits incite les acteurs à établir des relations de confiance entre production et
commerce. Plus les volumes sont élevés, plus ces relations confinent au contrat
implicite ou explicite car les risques sont importants.

Deux exploitations visitées (voir les encadrés ci-dessous) dans la zone périurbaine
de Dakar illustrent bien la diversité des situations. La première est spécialisée dans
la production laitière intensive, la seconde comprend des productions animales (lait,
poulet de chair, volaille de loisir, mouton) et végétales (maraîchage et arboriculture
fruitière). L’une des caractéristiques principales de l’élevage périurbain est la
fourniture de produits à cycles courts : lait, œufs, viande de volailles et de petits
ruminants. Ces filières font l’objet depuis quelques années de nombreuses initiatives
privées ou publiques. Elles utilisent beaucoup d’intrants et sont très monétarisées.
Elles participent à des degrés divers à l’approvisionnement de la ville de Dakar en
produits animaux.

Une ferme spécialisée en production laitière


Localisée dans la communauté rurale de Sangalkam à 40 km de Dakar, la ferme a été
créée en 1995 et occupe une superficie de 5 ha. Elle comptait à ses débuts une
cinquantaine de vaches laitières de race Jersey importées du Danemark, à présent elle
abrite 400 vaches élevées pour la production intensive de lait. Le propriétaire est un
homme d’affaires engagé dans les activités commerciales, le transport et le transit, mais
demeure passionné par l’élevage comme bon nombre de citadins. Les investissements,
importants, ont permis de construire une exploitation moderne, d’acheter un noyau de
femelles laitières de race exotique et d’acquérir le matériel d’élevage : salle de traite,
tracteur, ensileuse, etc. Cette exploitation se caractérise par son ouverture à
l’innovation technique. La ration alimentaire est composée d’une association d’ensilage
de fourrages cultivés (maïs et sorgho), de sous-produits de l’industrie (mélasse, drêche
de brasserie, tourteaux d’arachide et de palmiste, graines de coton), de céréales (maïs,
sorgho) et de concentré minéral et vitaminé (CMV). La méthode de reproduction est
l’insémination artificielle. Le suivi sanitaire est permanent et le planning de vaccination,
respecté. L’une des activités connexes de la production est la commercialisation du lait
sous le label Saloum Sowe. Mais le lait local subit fortement la concurrence du lait en
poudre importé, d’où des difficultés de commercialisation, surtout pendant la saison
sèche
froide, période de forte production et de relativement faible consommation. Cette
situation pose le problème de la rentabilisation des investissements lourds face à un
marché non maîtrisé. Le recyclage de capitaux provenant des autres activités du
propriétaire permet de soutenir le secteur laitier. Les performances techniques
observées sont cependant tout à fait louables. Il serait possible de les améliorer encore
par une gestion plus rigoureuse de l’alimentation des laitières, une bonne stratégie de
réforme des mâles et des femelles non productives et une meilleure valorisation du
fumier produit actuellement en quantité importante et non utilisé. Une laiterie est en
construction pour transformer le lait en produits plus stables tels que le lait caillé et le
yaourt. L’étalement de la production est également un objectif majeur.
Une exploitation mixte horticulture-élevage
D’une superficie de 3 ha, la ferme est localisée à 35 km de Dakar, dans le village de
Noflaye, où un certain nombre d’exploitations traditionnelles ont été déclassées et ont
rejoint le foncier bâti. Le propriétaire est un grand commis de l’Etat, qui a consenti un
investissement relativement important dans le domaine des infrastructures : bâtiments
d’élevage, logements du personnel, château d’eau avec réseau d’irrigation au goutte-à-
goutte, groupe de motopompes. Un groupe électrogène permet l’électrification du
domaine. La diversification des activités agricoles caractérise cette ferme. L’élevage est
composé de bovins laitiers (une dizaine de têtes de races Pakistanaise, Jersey, Métisse
ou Gobra), de moutons, de volailles (quelques poulets de chair, pondeuses, poules
locales, canards, dindes, oies). Les chevaux et les ânes servent au transport.
L’essentiel des arbres fruitiers est constitué de manguiers, de mandariniers,
d’avocatiers, de corossoliers, de cocotiers, de kolatiers et de palmiers. Le maraîchage
est, en revanche, une activité très marginale avec un peu d’aubergine, de tomate et de
fraise. Les interactions entre les différentes activités d’élevage et d’horticulture sont à
sens unique. L’utilisation de la fumure organique (fientes de volaille et fèces de moutons
et de vaches) est permanente pour l’horticulture. En revanche, l’élevage n’est pas
intégré dans le système de production. La totalité de l’alimentation des animaux (sous-
produits agricoles et agro-industriels) est d’origine extérieure. Cependant, ces
productions sont complémentaires pour le revenu et pour l’occupation de l’espace dans
l’exploitation.

Le concept de filière

Il existe de nombreuses définitions du concept de filière, utilisées par différents


auteurs en fonction de leurs besoins ou de leur problématique. Quelle que soit cette
définition, elle repose sur trois éléments constitutifs déterminants (Morvan, 1985) : un
espace de technologies (succession de transformations), un espace de relations
(ensemble de relations commerciales et financières), un espace de stratégies
(ensemble d’actions économiques).

Les systèmes d’élevage sont consommateurs d’intrants (aliments, médicaments,


matériels, semences) et leurs produits peuvent être transformés avant d’atteindre les
consommateurs. Dans ce contexte, les comportements et les stratégies des agents
économiques concernés par un même produit (éleveurs et leurs partenaires en
amont ou en aval) interagissent nécessairement.

Comme le suggère la définition ci-dessus, la filière va être analysée en termes


techniques, d’une part, et économiques, d’autre part. L’enchaînement des techniques
utilisées constitue la technotecture de la filière. Au sens large, on va s’intéresser à
l’utilisation des intrants, aux opérations techniques de l’élevage (qui peuvent être
regroupées chez un même opérateur) et à l’aval : abattage et élaboration des
produits jusqu’au marché. L’identification et la description des agents de l’économie
liée au circuit du produit constituent la mercatecture.

Le concept de filière est un outil qui permet d’identifier les modes de coordination des
échanges, l’efficacité des formes d’organisation des marchés et leur durabilité. Le fait
d’isoler les relations techniques et économiques liées à un produit permet d’étudier
divers aspects, dont nous donnons quelques exemples.

• Les comptes des acteurs impliqués dans cette filière. On peut ainsi voir le bénéfice
financier qu’ils tirent de leur participation à la filière. En agrégeant l’information sur
les acteurs, on peut étudier la répartition de la valeur ajoutée le long de la filière, ce
qui fournit des indications sur la position relative des acteurs. Dans le contexte des
productions animales, les producteurs sont souvent dominés par les acteurs du
marché, sauf dans certains cas particuliers de sous-production chronique (voir
l’étude sur la filière de production d’œufs à Ouagadougou, p. 126) ou conjoncturelle
(augmentation de la demande au moment des fêtes).
• Les relations entre les agents : existence de formes de contractualisation explicite
ou implicite entre les producteurs et l’aval. Ces contrats méritent souvent d’être
étudiés car ils montrent bien les jeux de pouvoir entre les acteurs. Les produits
périssables sont particulièrement concernés par ce type de relations puisque les
producteurs peuvent accepter des conditions économiquement peu favorables mais
qui limitent le risque de perte de produits.

• L’accès à l’information sur la production et sur les marchés. Les relations de


pouvoir sont souvent renforcées par une asymétrie d’information, qui favorise les
acteurs ayant une bonne connaissance du marché.

On voit que toute une série d’éclairages complémentaires, relevant de plusieurs


disciplines, se combinent pour parvenir à décrire les filières. Selon l’objectif des
études, technique ou économique, le dosage de chacune de ces approches sera
différent.

Les filières animales en milieu périurbain se caractérisent généralement :


– par un niveau élevé d’intrants, notamment alimentaires, aux coûts élevés, voire
parfois par un accès difficile à certains intrants (fourrages, sous-produits exportés) ;
– par un faible niveau de transformation et de conditionnement des produits ;
– par la prédominance de circuits de commercialisation courts ; les opérateurs sont
rarement en situation monopolistique (ou oligopolistique) pour la
collecte des produits auprès des producteurs comme cela peut être le cas en milieu
rural ;
– par une relative segmentation du marché (voir les exemples du marché du lait et de
la viande à Dakar, p. 124-126) ;
– par le caractère spéculatif des productions animales « professionnelles » ;
– par une faible compétitivité, dans certains cas, des produits locaux (notamment le
lait et les poulets de chair) par rapport aux produits importés ;
– par un niveau de consommation de produits animaux généralement faible (voir les
études sur la consommation de viande et de lait à Dakar, p. 124-126).

Le contrôle des performances zootechniques


des élevages urbains et périurbains
L’analyse zootechnique des élevages n’est qu’une partie de l’analyse des systèmes
d’élevage. Elle repose sur une évaluation chiffrée des performances du troupeau, qui
permet de juger leur niveau par rapport à d’autres référentiels disponibles. Elle
s’intéresse aussi aux effets des facteurs de variation des performances en vue de
formuler des solutions pour leur amélioration. L’analyse zootechnique repose sur la
définition, la mesure et l’interprétation de plusieurs variables.

Les principales variables zootechniques

Les performances animales dépendent du génotype des animaux, de leur


environnement, du mode d’élevage, etc. Les différents paramètres concernent la
reproduction, la viabilité, la croissance, la production laitière, le travail.

Les paramètres d’exploitation, à l’inverse, résultent directement de l’intervention


humaine : prélèvements d’animaux, de lait, de fumier, de travail.
Les variables de conduite sont généralement qualitatives. Elles caractérisent le mode
de conduite (stabulation, circuits de pâturage), le rôle socio-économique du bétail, le
savoir-faire et les pratiques des éleveurs. Elles jouent un rôle explicatif.

Les variables exogènes influent fortement sur le système d’élevage : prix des
animaux et des produits animaux, prix des intrants, variables climatologiques.

Les performances animales et les paramètres d’exploitation sont les variables à


privilégier dans l’analyse zootechnique, car elles caractérisent le rendement général
du système (Lhoste et al., 1993). Pour effectuer une analyse zootechnique, il faut
choisir des variables appropriées, les évaluer à partir des données recueillies et
établir des bilans. La précision des résultats dépend de la nature des variables et de
la méthode de collecte des données.

Les méthodes de collecte des données

La recherche de l’information se déroule selon plusieurs étapes : la collecte et


l’analyse des données acquises, les enquêtes informelles, les enquêtes formelles, le
suivi zootechnique des troupeaux. Les tâches spécifiques accomplies lors d’une
étape dépendent étroitement des résultats de l’étape précédente.

L’information acquise renseigne sur les caractéristiques générales de la zone :


données socioculturelles, agroécologiques, agroéconomiques et agrobiologiques ;
infrastructures matérielles et institutionnelles. Peu coûteuse, cette information
provient des institutions régionales ou locales et des recherches ou projets de
développement antérieurs. Il est absolument nécessaire d’évaluer de manière
critique la fiabilité de cette information acquise.

Les enquêtes informelles viennent confirmer et compléter l’information acquise. Elles


s’effectuent par observation directe sur le terrain et par entretien avec les
informateurs clés (dirigeants, négociants locaux, responsables de projets) et les
familles (sans questionnaire, mais avec une liste de contrôle) sur des thèmes qui
évoluent au fur et à mesure que les connaissances du terrain s’accumulent.

Les enquêtes formelles, ou structurées, donnent une base quantitative aux


conclusions tirées durant les premières phases. Elles peuvent également servir à
redéfinir les groupes cibles (ou les domaines de recommandation) et à éprouver les
hypothèses sur les relations. Ces enquêtes peuvent combiner une observation
transversale instantanée, qui permet à l’enquêteur de faire une série d’observations
pendant une courte période, et une observation rétrospective, fondée sur la mémoire
de l’éleveur, qui permet de reconstituer l’histoire du troupeau, les carrières des
femelles, etc.

Quel que soit le type d’enquête, il faut se poser les questions suivantes :
– Quel est l’objectif de l’enquête?
– Les types de données à recueillir sont-ils en adéquation avec cet objectif?
– Les méthodes de collecte sont-elles adaptées aux circonstances et au type de
données recherchées?
– Les avantages de l’enquête en justifient-ils le coût?
Les enquêtes, quel que soit le soin apporté à leur réalisation, ne fournissent qu’une
photographie plus ou moins détaillée de systèmes d’élevage souvent très complexes
et en évolution permanente. Elles servent à situer le problème, mais ne sont jamais
assez précises pour permettre de tirer des conclusions définitives concernant le
fonctionnement d’un système d’élevage. Pour l’analyser en détail, il est
indispensable de procéder à des suivis sur de longues périodes.

Le suivi individuel des troupeaux

Le suivi est un outil d’analyse des systèmes d’élevage complémentaire des


enquêtes. Il permet :
– d’observer un système d’élevage, partiellement ou globalement, de comprendre
son fonctionnement, pour éventuellement intervenir et l’améliorer ;
– de suivre les effets d’une intervention, par exemple étudier l’impact d’un
programme de développement ;
– d’accompagner une expérimentation en conditions réelles d’élevage, par exemple,
tester un traitement antihelminthique et en suivre les conséquences.

Le suivi peut être global et aboutir à une connaissance assez fine des systèmes
d’élevage en suivant leur évolution sur plusieurs cycles. Il peut être partiel et ne
s’intéresser qu’à un aspect du système d’élevage : la production laitière, la mortalité
des jeunes, le niveau d’infestation glossinaire. Le suivi est une procédure exigeante.
Le protocole doit être rigoureux et négocié en fonction des intérêts réciproques de
l’éleveur et du technicien.

Pour le suivi en milieu urbain et périurbain, plusieurs facteurs doivent être considérés
: le repérage des élevages en ville (souvent difficile) ; la distance entre les élevages ;
la coopération des propriétaires ; la prise en charge des coûts et les avantages
réciproques ; la conduite des troupeaux (gestion technique, valorisation des
productions) ; la présence d’autres activités agricoles, commerçantes ou autres ; le
niveau d’instruction des interlocuteurs ; l’importance des investissements (bâtiments,
matériel).

Plusieurs logiciels informatiques ont été mis au point pour le suivi des troupeaux.
Parmi les logiciels utilisés en Afrique, on peut citer :
– Panurge, conçu par le Cirad et l’Isra (Faugère et Faugère, 1993). C’est l’un des
logiciels de gestion, d’analyse et d’interprétation de données zootechniques les plus
connus en Afrique de l’Ouest francophone ;
– Laser, logiciel d’aide au suivi des élevages de ruminants, a été développé par le
Cirad, pour remplacer Panurge. Il permet une saisie normalisée des données
relatives au suivi de troupeaux (Juanès et Lancelot, 1999) ;
– Lims (livestock information management system), logiciel de gestion de données, a
été mis au point par l’Ilri, International Livestock Research Institute (Ilri, 1992).

Il existe plusieurs méthodes et modèles statistiques pour analyser les données


d’enquête ou de suivi de troupeaux. Il est impératif que les modes de dépouillement
et de traitement des données soient précisés avant de lancer les enquêtes ou le suivi
zootechnique. Il faut toujours s’attacher les services d’un biométricien, qui doit
participer à la définition des objectifs et à la planification des activités.
Les voies d’amélioration
Il existe un certain nombre de freins et de limites au développement des productions
animales en milieu périurbain et urbain, il est donc intéressant de voir quelles sont
les voies d’amélioration de cette activité. Ces voies sont pour partie individuelles
(stratégies d’évolution des exploitations d’élevage) et pour partie collectives
(organisation et optimisation du contexte de l’activité).

Les objectifs de l’amélioration


Consolider l’impact positif

L’impact positif de la filière animale urbaine concerne aussi bien les éleveurs que la
communauté urbaine en général. La filière animale procure aux producteurs un
revenu, un emploi, un statut social, que ce soit une activité marginale (production de
quelques animaux pour l’autoconsommation) ou l’activité principale du foyer. Les
enjeux sont pour les éleveurs de sécuriser leur production et d’améliorer leurs
conditions de vie ou d’activité : clarification du statut de l’élevage urbain, amélioration
de l’efficacité technique, circuits de vente. Pour la communauté urbaine, la filière
animale améliore la disponibilité en produits animaux — et donc en protéines de
qualité. Elle génère aussi un chiffre d’affaire (emplois, activités). D’autres fonctions
déjà évoquées, comme l’utilisation des déchets végétaux, peuvent être locale-ment
significatives.

Minimiser les effets négatifs

La réduction des effets négatifs, réels ou supposés, de l’élevage — impact sur


l’environnement, nuisances, risques pour la santé publique (zoonoses) — contribue à
sa consolidation dans l’environnement urbain et donc à sa pérennité.

Les facteurs d’évolution


Un certain nombre de facteurs influent sur l’évolution des productions animales
périurbaines. Nous en citons quelques-uns mais il conviendrait, pour être exhaustif,
de prendre en compte tous les facteurs de l’environnement périurbain.

La démographie

L’évolution démographique, quantitative et qualitative, est un élément déterminant du


contexte urbain. L’évolution démographique est quantitative, car les dynamiques
d’évolution sont très fortes. Dakar, par exemple, concentre plus de 20 % de la
population du Sénégal et sa population croît de 4 % par

an. L’extension de la ville éloigne les ressources qui restaient à proximité (espace
disponible, fourrages). L’évolution démographique est qualitative, car la croissance
des villes n’est plus uniquement le fait de l’exode rural : elle est également due à la
croissance endogène des villes, et la proportion des citadins vrais, nés en ville,
augmente. Le facteur démographique est essentiel lorsqu’on parle d’amélioration de
l’élevage périurbain, car le simple maintien de l’activité, dans un contexte qui change,
qui s’urbanise, peut déjà être difficile.

L’éloignement des citadins de leurs racines rurales joue, en revanche, un double rôle
: d’un côté, l’ancrage des pratiques d’élevage est moins fort et les techniques
traditionnelles sont moins maîtrisées, d’un autre côté, les éleveurs sont plus réceptifs
aux innovations techniques et à l’adaptation de leur activité à l’environnement urbain.

La disponibilité en main-d’œuvre

En ville, la main-d’œuvre disponible est importante du fait, notamment, d’un fort taux
de chômage et de la présence d’employés, principalement des fonctionnaires, qui
ont le temps de mener une activité secondaire. Ces ressources humaines sont
essentielles pour les productions animales.

La disponibilité en capitaux

La disponibilité en capitaux pour l’élevage dépend du milieu. Elle peut être forte chez
les employés, les fonctionnaires et les commerçants, et les inciter à investir dans une
activité annexe à caractère spéculatif : c’est le cas de beaucoup d’élevages avicoles
et de certains grands élevages laitiers. Cette situation peut induire une fragilité de
l’élevage si les capitaux disparaissent. A l’inverse, certains élevages se font
quasiment sans capitaux : c’est souvent le cas des petits élevages urbains de
moutons, qui peuvent être le résultat d’une épargne plus ou moins longue. Ces
élevages, qui ne sont pas liés à des capitaux exogènes, sont moins fragiles, mais ils
peuvent avoir du mal à surmonter un épisode catastrophique (mortalité).

L’environnement économique et institutionnel

En ville, où le revenu moyen est élevé, il existe une classe moyenne qui consomme
plus de viande. La demande y est donc supérieure. En outre, les échanges sont plus
monétarisés, ce qui peut favoriser l’intensification des productions puisque les
intrants doivent généralement être achetés.

Les stratégies d’amélioration des exploitations


Dans les exploitations, plusieurs stratégies peuvent être mises en œuvre pour
développer ou rationaliser les activités d’élevage. Certaines de ces stratégies

sont complémentaires et ne doivent donc pas être vues comme des alternatives
s’excluant mutuellement.

L’intensification de l’élevage

En matière d’élevage, l’intensification vise à raccourcir les cycles de production, à


accélérer les processus biologiques et à maximiser la production par unité (de
surface, de capital, de travail). Ces objectifs sont atteints notamment par une
utilisation accrue et plus rationnelle des intrants, et en premier lieu de l’alimentation.
L’intensification est une réponse à la contrainte foncière puisqu’elle permet
d’augmenter le revenu par unité de surface. Toutefois, elle a des limites, notamment
du fait qu’elle accroît la production d’effluents, souvent difficiles à gérer en milieu
urbain. Sur le plan économique, elle est parfois la seule solution face aux prix élevés
des intrants, notamment des fourrages : seule une production intensive et efficace
peut rentabiliser les intrants.

La diversification ou la spécialisation

La diversification et la spécialisation sont deux stratégies opposées à l’échelle du


système d’élevage mais elles sont conciliables dans un système d’exploitation : des
ateliers peuvent être spécialisés dans plusieurs productions (maraîchage, animaux,
fruits), complémentaires pour le revenu comme pour l’occupation du temps et de
l’espace.

Dans le cas des productions animales, on trouve généralement des exploitations


diversifiées lorsqu’il s’agit de productions de subsistance, à très petite échelle, et des
ateliers spécialisés pour les productions plus intensives, à une échelle plus
importante. Toutefois, le mouton de case est un exemple de spécialisation à petite
échelle.

L’intégration

L’intégration des productions animales en milieu urbain facilite éventuellement


l’accès aux ressources (fourrages et autres intrants) ou au marché. Elle est
intéressante lorsque les coûts d’approvisionnement ou de mise sur le marché
dépassent la marge bénéficiaire prélevée par l’intégrateur ou lorsque celui-ci assure
des débouchés dans un marché instable. Dans la pratique, c’est principalement dans
les filières avicoles que l’on trouve ce type de fonctionnement.

La grille d’analyse

La grille d’analyse des stratégies d’amélioration des filières animales présentée ci-
dessous peut être utilisée pour construire des hypothèses sur les tendances et
l’avenir des systèmes d’élevage périurbains.

L’organisation et la promotion
de l’élevage périurbain
Les conditions de développement de l’élevage

Avant d’envisager l’amélioration des systèmes d’élevage périurbain et leur


promotion, il faut faire en sorte que l’élevage puisse exister, sinon se développer,
dans de bonnes conditions sanitaires, économiques et environnementales. Ce sont
en effet ces critères qui vont déterminer le caractère durable de l’activité d’élevage. Il
convient, en particulier, de limiter les impacts négatifs de l’élevage pour éviter son
rejet par les autres utilisateurs de la ville et par les autorités. Pour parvenir à ce
résultat de façon non coercitive (la méthode réglementaire est souvent inefficace), il
faut que ce ne soit ni plus cher ni plus difficile de produire « sainement ». Il faut donc,
par exemple, lutter contre les zoonoses (vaccination accessible et peu onéreuse),
organiser les marchés de façon à ce que les circuits, mieux contrôlés, soient plus
rémunérateurs pour les producteurs, offrir des conseils ou des services pour
l’évacuation des effluents (circuits de valorisation).

Les actions techniques

Les actions techniques envisageables sont nombreuses et parfois spécifiques à


certaines situations (villes, filières). Dans les quelques exemples mentionnés ci-
dessous, le dénominateur commun est celui de l’adaptation de techniques et de
services à la ville, voire la création d’information et de références sur les pratiques
les mieux adaptées aux milieux périurbains.

L’amélioration de l’approvisionnement en intrants alimentaires

La disponibilité en fourrage de qualité en quantité suffisante est une contrainte


technique majeure des exploitations laitières périurbaines et de l’élevage de mouton
en ville. C’est en particulier le cas à Dakar. Les acquis techniques de la recherche en
matière de cultures fourragères trouvent aujourd’hui des applications dans les
systèmes de production laitière intensifiée.

Les grandes exploitations laitières ont souvent recours à la culture fourragère du


sorgho et du maïs pour couvrir leurs besoins alimentaires. Cependant, des
contraintes à l’optimisation de ces cultures persistent : disponibilité des semences ou
du matériel végétal pour la multiplication, disponibilité et coût de la terre, possibilités
d’irrigation. La pratique de la conservation des fourrages est peu répandue, la
disponibilité des fourrages est donc saisonnière.

Il est donc nécessaire de mener des recherches qui tiennent compte des réalités
économiques locales afin de mettre au point des rations adaptées à une faible teneur
en fourrages et d’identifier les cultures les mieux adaptées aux contraintes :
disponibilité en terres, en eau, en travail, qualité et coût des transports.

L’intégration élevage-horticulture

Il existe de nombreuses interactions potentielles (ou à renforcer) entre l’élevage et


l’horticulture en zone périurbaine à l’échelle des exploitations et de la zone :
– l’utilisation des effluents en maraîchage ;
– l’utilisation des résidus de cultures maraîchères pour l’alimentation du bétail (la
fane de haricot est le produit le plus disponible à Dakar mais d’autres sous-produits
ont un bon potentiel d’utilisation) ;
– l’utilisation des restes de cultures et de marché (écarts, fruits et légumes abîmés,
feuilles) ;
– le transport par les chevaux.
On observe rarement une intégration au sein des exploitations agricoles, les
problèmes de transport et de conservation limitent les possibilités d’utilisation des
sous-produits. L’intégration peut plus facilement être mise en place entre deux ou
plusieurs exploitations qu’au sein d’une exploitation.

La conception de bâtiments d’élevage adaptés

L’élevage urbain de moutons se heurte à plusieurs problèmes : le coût de


construction de la bergerie, le coût des aliments, l’exiguïté de l’habitat, qui pose des
problèmes de santé pour les animaux (mauvais éclairage, mauvaise ventilation,
atmosphère confinée). Il est possible d’intervenir en proposant des bergeries
adaptées, en ciment ou en tôle, éventuellement sur la terrasse des maisons, qui
facilitent le nettoyage et l’entretien, et améliorent les conditions de vie des animaux.

Le développement de référentiels technico-économiques

Les filières animales périurbaines mettent en œuvre des processus de production


intensifiée exigeants sur le plan technique et organisationnel. Elles s’appuient
souvent sur des techniques d’origine extérieure (des types génétiques exotiques, par
exemple), qui doivent être adaptées aux conditions locales.

Pour bien choisir les investissements et les techniques adaptées, il est nécessaire de
disposer de conseils. Ces conseils sont fondés sur des connaissances scientifiques
et techniques. Celles-ci doivent être à la base de l’élaboration de référentiels
technico-économiques, qui s’appuient sur un contrôle des performances techniques
et financières des exploitations.

Le développement d’itinéraires techniques optimaux peut également améliorer


l’efficacité technique et économique des exploitations. En effet, la pérennité des
exploitations est souvent menacée par les faibles capacités de gestion technique,
par les choix techniques et le manque de technicité d’opérateurs parfois d’origine
non agricole ou, au contraire, trop liés à des pratiques rurales inadaptées en ville
(divagation des animaux, élevage peu extensif . . .).

Les particularités du contexte périurbain doivent être prises en compte car elles
conditionnent la réponse technique à apporter : taille des exploitations souvent très
différente du standard rural, main-d’œuvre souvent pluriactive, capitaux parfois
exogènes à l’agriculture

Les problèmes financiers

En raison de leur difficulté d’accès aux sources de financement conventionnelles, les


producteurs des filières animales sont contraints de compter sur leurs propres
ressources ou de solliciter l’aide et l’appui de proches. Les opérateurs des filières
intensives comme l’aviculture ont en général des capitaux propres qui proviennent
d’une autre activité (emploi, commerce), mais la situation est plus difficile pour les
petits éleveurs pour lesquels l’investissement initial est proportionnellement plus
important. Les obstacles à l’accès au crédit sont multiples : taux d’intérêt très élevés,
échéanciers de remboursement inadaptés aux réalités des productions animales
(fonctionnement par bandes ou par à-coups), dépôt de garantie.
La vocation des mutuelles d’épargne et de crédit est d’organiser la collecte de
l’épargne, individuelle ou collective, des membres et de la leur restituer sous forme
de crédits d’investissement et de fonctionnement destinés à développer leur
entreprise. En zone urbaine à Dakar, le Programme de modernisation et
d’intensification agricole aide plusieurs producteurs des filières urbaines à obtenir un
crédit en agréant des mutuelles d’épargne. La mise en place de fonds de garantie et
la bonification des taux d’intérêt est en mesure de faciliter l’accès au crédit.

Une approche participative de la recherche


et du développement en agriculture périurbaine
L’élevage urbain et périurbain est un domaine d’investigation relativement récent.
Son développement repose sur des innovations techniques et organi-

sationnelles, dont l’adoption permettra aux acteurs de rendre cette filière viable,
techniquement et financièrement, et durable.

Les interfaces entre acteurs et détenteurs d’enjeux, qui leur permettent de participer
à la création et à la diffusion des innovations, sont en mesure de faciliter la prise en
charge des demandes diverses et donc d’améliorer l’adéquation entre la recherche
et la demande de ses clients. Cette démarche participative de la recherche-
développement en agriculture urbaine assure la prise en compte efficace de
questions posées par l’élevage urbain, mais aussi de l’agriculture urbaine en général,
qui ne peuvent pas être traitées dans le cadre des filières.

Le schéma d’organisation de la recherche-développement proposé pour l’agriculture


urbaine repose sur la création d’un cadre de concertation regroupant tous les acteurs
intéressés par le développement de l’élevage dans l’espace urbain et périurbain. Il
s’agit notamment des collectivités locales, de la recherche (universités, systèmes
nationaux de recherches agricoles), du conseil agricole et rural (structures privées et
publiques), des producteurs et de leurs organisations. Cette interface aura un comité
d’orientation chargé de la construction d’une vision partagée du développement de
l’élevage dans les villes et les espaces périurbains.

Les fonctions de cette interface de concertation sont multiples :


– faire travailler ensemble tous les partenaires au développement de l’élevage
périurbain pour améliorer leur efficacité individuelle ;
– faire participer les producteurs et les autres utilisateurs à l’identification des besoins
de recherche ;
– aider à programmer la recherche et la validation des résultats ;
– favoriser la constitution de réseaux d’échange d’informations et d’expériences en
matière de diffusion des innovations ;
– exécuter des activités de recherche-développement orientées vers le suivi des
transformations qui s’opèrent dans les espaces urbains et périurbains sous
l’influence des innovations qui y sont introduites. Ces actions peuvent accompagner
les projets de développement dans un espace donné de la zone urbaine ou
périurbaine (voir l’encadré ci-dessous).

Renforcement des services de diagnostic et de surveillance épidémiologique


La contrainte sanitaire est forte dans l’environnement périurbain. Pour les productions
avicoles, on observe notamment des épizooties de la maladie de Newcastle, mais aussi
de nouvelles maladies comme l’encéphalomyélite aviaire. Il faut donc échanger les
informations sanitaires pour agir de manière plus efficace. Le Réseau sénégalais
d’épidémiosurveillance des pathologies aviaires (Resesav) a pour objectifs de repérer et
de quantifier, dans le temps et l’espace, les pathologies existantes, d’informer
l’administration sur la situation sanitaire et de développer un centre d’information et
d’échange entre acteurs (Cardinale, 2000).
• Maladies surveillées : maladie de Newcastle, de Gumboro et de Marek,
salmonelloses, coccidioses, maladies respiratoires chroniques.
• Elevage ciblé : aviculture semi-intensive de la région de Dakar et de Thiès.
• Fonctionnement : collecte des données au moyen d’une fiche de renseignements.
• Données : population aviaire, localisation, type de production.
• Diagnostic : observations cliniques ou analyses de laboratoire.
• Edition : bulletin trimestriel sur l’actualité de la filière avicole, résultats
épidémiologiques (déclarations, taux de mortalité) ; lettre d’information aux aviculteurs,
outil de formation et d’information pour les techniciens ; bilan synthétique annuel.

Conclusion
Malgré leur spécificité, les systèmes et les filières d’élevage peuvent contribuer à la
dynamique globale des agricultures périurbaines et aux équilibres qu’elles doivent
trouver au sein du développement de la ville.

L’accroissement des productions dans des conditions optimales de sécurité, tant


pour les producteurs que pour les consommateurs, est un objectif à moyen terme
qu’il faut relativiser. Une question reste posée : les systèmes d’élevage sont-ils
capables de s’insérer sans nuisance dans l’environnement urbain ou faut-il les
déplacer vers une périphérie rendue plus accessible et plus sûre? Il est donc
important d’approfondir l’analyse des opportunités qui s’offrent à l’élevage périurbain.

Pour traiter la problématique de la pérennité des systèmes d’élevage périurbains, il


reste pertinent de croiser une démarche horizontale de gestion d’un espace avec
une démarche de type filière, qui favorise la concertation entre acteurs d’un même
produit (Moustier, 1999).

Les actions prioritaires, en terme de diagnostic et d’analyse, sont de définir et de


caractériser de manière pertinente et fonctionnelle les systèmes d’élevage en
s’appuyant sur une diversité de situations urbaines concrètes et en prenant en
compte différents critères, sur les plans écologiques, socio-économiques et
institutionnels. De manière spécifique, il est également nécessaire :
– d’élaborer des référentiels technico-économiques spécifiques pour les élevages
périurbains sur des bases scientifiques, adaptés aux contextes locaux ;
– de concevoir des bâtiments d’élevage compatibles avec l’hygiène et le confort des
animaux, la productivité et la santé publique ;
– d’étudier les facteurs de risque des maladies et d’optimiser les mesures
prophylactiques sur le plan technico-économique ;
– d’améliorer la qualité des fourrages et des sous-produits agro-industriels pour
l’alimentation animale et d’adapter les recommandations de rationnement aux
contextes locaux de production.
Le développement des filières animales repose sur l’analyse des circuits, de leurs
contraintes, notamment en matière d’infrastructures, et de la législation,

mais aussi sur l’analyse socio-économique de la consommation des produits


animaux. Il doit s’appuyer sur des modèles de simulation technico-économique pour
l’aide à la décision, sur des procédures de contrôle pour optimiser la qualité et
l’hygiène des produits animaux et sur des méthodes d’évaluation de l’impact des
actions d’appui aux filières d’élevage périurbain, mais aussi de l’impact de ces filières
sur l’environnement urbain et le bien-être des populations.

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5. Le recyclage des déchets
et effluents dans
l’agriculture urbaine

Jean-Luc Farinet, Seydou Niang

La population mondiale augmentera de 3 milliards d’individus à l’horizon 2030 et


cette augmentation concernera à 95 % les pays en voie de développement. La
production de nourriture devra doubler pour assurer les besoins et la production de
déchets et d’effluents quadruplera dans les villes. En outre, on estime que plus d’un
milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et que plus de 3 milliards ne
disposent pas d’équipements d’évacuation des eaux usées. Or, l’accès à l’eau
potable et à un service d’assainissement fiable est déterminant dans la lutte contre
les maladies liées à l’eau. La quasi-absence de traitement efficace pour les déchets
et les effluents constitue actuellement l’un des problèmes de santé les plus sérieux.
Dans ce contexte, la problématique du recyclage agricole des déchets et des
effluents se situe au cœur des préoccupations de nos sociétés.

Nos sociétés ont en effet développé à l’extrême un modèle économique fondé sur la
relation entre producteur et consommateur, sans se préoccuper de la gestion des
rejets. Une approche pragmatique, bien que partielle, de cette problématique
consiste à favoriser le recyclage d’une partie des rejets urbains dans l’agriculture
selon des méthodes et des normes acceptables. C’est l’objectif d’un programme
mené, dans sa première phase, par le World Engineering, la Banque mondiale, des
acteurs du secteur privé et des organisations non gouvernementales. Nous nous
inspirons en particulier du premier rapport de ce programme (Sanio et al., 1998) pour
décrire le concept de base du recyclage agricole.

On constate actuellement qu’il n’y a pas de lien entre la gestion des rejets du secteur
urbain et l’agriculture (figure 4). D’un côté, les villes produisent de grandes quantités
de rejets, riches en eau, en matière organique et en minéraux, qui sont soit rejetés
directement dans les espaces libres,

les fleuves et les océans, soit éliminés par enfouissement dans les décharges, par
incinération ou par traitement en station d’épuration. De l’autre côté, l’agriculture,
notamment l’agriculture urbaine contrainte à l’intensification, consomme de grandes
quantités de fertilisants (souvent importés) et d’eau puisée dans les ressources en
eau potable (réseaux, fleuves, nappes). Une nouvelle stratégie (figure 5) pourrait, au
contraire, viser à créer (ou recréer) des liens entre la gestion des rejets urbains et
l’agriculture, sans remettre en cause le mode de développement industriel et
économique des villes. Cette stratégie repose sur des techniques de traitement des
déchets et effluents, qui doivent aboutir à des coproduits facilement utilisables par
l’agriculteur, sans dangers pour sa santé et pour la qualité de ses productions, et
réduire au minimum les impacts sur le milieu naturel.
Figure 4. Situation actuelle : absence
de liens entre rejets urbains et
agriculture.

Figure 5. Nouvelle stratégie : créer des


liens entre rejets urbains et agriculture.

Les déchets et effluents urbains


Nous qualifierons de « rejets » toute substance ou tout matériau que son détenteur
ne peut ni valoriser, ni rejeter tel quel dans le milieu extérieur, dans les conditions de
lieu et de temps de sa production. Au sein de ces rejets, nous distinguerons les
déchets, de consistance solide, et les effluents liquides. On considère comme solide
un rejet pelletable et comme liquide un rejet pompable.

Les déchets
Aucune classification des déchets n’est parfaite et les différentes catégories peuvent
se recouper. Les déchets sont classés suivant leur origine ou suivant la nature du
danger qu’ils font courir à l’homme ou à son environnement. Pour ce qui est du
recyclage en vue d’une valorisation agricole, nous nous limiterons à la description
des déchets urbains, industriels et agricoles :
– déchets urbains, dont l’élimination est prise en charge par les communes, soit
directement, soit par l’intermédiaire de contrats de fermage avec des sociétés
spécialisées ;
– déchets industriels, produits par les entreprises industrielles, commerciales et
artisanales, dont l’élimination incombe généralement à ces établissements ;
– déchets agricoles, produits par les exploitations agricoles, les élevages ou les
industries agro-alimentaires artisanales.

Les déchets urbains

Les déchets urbains représentent l’ensemble des déchets de la collectivité dont la


gestion incombe aux municipalités. On distingue : les déchets des ménages ; les
déchets des activités économiques ; les déchets de nettoiement ; les déchets
d’assainissement.

Les déchets des ménages sont liés à l’activité domestique, ils comprennent les
ordures ménagères au sens strict, les encombrants et les déchets de jardinage, ou
déchets verts. Seuls les ordures ménagères et les déchets verts sont susceptibles
d’être valorisés en agriculture après un traitement adéquat. Dans les villes des pays
en développement, la production d’ordures ménagères est très variable selon les
auteurs et serait en moyenne de l’ordre de 0,75 kg par habitant et par jour avec de
fortes disparités entre les quartiers d’habitat spontané (0,3 kg par habitant et par jour)
et les quartiers de standing (1,4 kg par habitant et par jour). La composition des
ordures ménagères étant très hétérogène, il faut regrouper les constituants en
catégories physiques homogènes. La classification détaillée comporte dix catégories,
mais une classification

simplifiée en cinq catégories peut être utilisée en vue d’une première typologie :
– matières fines inférieures à 20 mm ;
– matières combustibles (chiffons, plastiques, os, bois) ;
– matières inertes (métaux, verres, porcelaine, faïence) ;
– matières fermentescibles (restes de végétaux, viandes) ;
– papiers, cartons (combustibles ou fermentescibles).

Il existe peu de références sur la composition des ordures ménagères dans les pays
en développement (tableau 14), mais les matières fermentescibles en constituent
une part importante : 40 à 50 % contre seulement 25 % en Europe. C’est leur
principal intérêt pour un recyclage agricole. Ce taux a cependant tendance à baisser
du fait de l’évolution des habitudes de consommation.

Tableau 14. Composition des ordures


ménagères dans différentes villes,
d’après Ndoumbe et al. (1995) pour
Yaoundé, Diop et Maystre (1990) pour
Dakar, Gloaquin (1997) pour
Mohammédia, Farinet et Sow (1997)
pour Bakel.
Les déchets des activités économiques sont les déchets issus du commerce, de la
petite industrie et du secteur tertiaire, qui utilisent généralement les mêmes circuits
d’élimination que les ordures ménagères. Ils comportent une grande proportion
d’emballages (papiers, cartons, plastiques) et d’encombrants.

Les déchets de nettoiement sont les déchets récoltés au cours de l’entretien du


domaine public (voiries, espaces verts, marchés). On y retrouve en majorité des
matériaux similaires à ceux des ordures ménagères et des déchets verts, avec en
plus des encombrants et des résidus de nettoyage des canaux et plans d’eau.

Les déchets d’assainissement sont issus de l’épuration des effluents chargés en


matières organiques par des procédés biologiques. Cette épuration conduit à la
formation de boues dont la consistance liquide en fait plutôt des effluents.

Les déchets industriels

Les déchets industriels correspondent à l’ensemble des déchets produits par les
entreprises industrielles, commerciales et artisanales, dont l’élimination incombe
normalement à celles-ci. Ces déchets regroupent des catégories très différentes du
fait de leur variété, de leur origine et de leur quantité. Les déchets industriels sont
souvent considérés comme dangereux ou toxiques, parfois à tort. Pour simplifier, ils
peuvent être regroupés en trois catégories :
– les déchets banals, qui peuvent être éliminés dans les mêmes conditions que les
ordures ménagères. Ce sont essentiellement les papiers, cartons, plastiques, bois,
verres et fermentescibles ;
– les déchets inertes, qui sont constitués pour leur presque totalité par des déblais et
gravats de démolition ainsi que par des résidus minéraux d’extraction et de
fabrication de matériaux de construction ;
– les déchets spéciaux, qui correspondent aux autres déchets industriels et peuvent
occasionner des nuisances. Il est important, sur le plan pratique, d’établir qu’un
déchet est spécial, car cela détermine le type de traitement à entreprendre. Dans la
catégorie des déchets spéciaux sont inclus les déchets dangereux et les déchets
toxiques. A l’initiative du Pnue (Programme des Nations unies pour l’environnement),
la Convention de Bâle portant sur le contrôle des mouvements transfrontaliers des
déchets dangereux a été adoptée le 22 mars 1989 par 104 pays. Les principes de
cette Convention se réfèrent aux travaux antérieurs de l’Ocde (Organisation de
coopération et de développement économique), qui a établi un système de
classification, le Code international d’identification des déchets (Ciid).

Les déchets agricoles


Sont rangés dans la catégorie des déchets agricoles des rejets de nature et d’origine
très différentes. Ils peuvent provenir des exploitations (agriculture et élevage) et des
industries agro-alimentaires dites artisanales. La frontière avec les déchets
industriels est donc assez floue. Beaucoup de ces rejets sont liquides et à ce titre
peuvent être plutôt considérés comme des effluents. En agriculture, nombre de ces
déchets sont réutilisés directement sur l’exploitation.

Les effluents
Les activités humaines produisent une grande variété de déchets, dont beaucoup
sont entraînés par l’eau, qui doit alors être traitée avant d’être rejetée dans le milieu.
L’eau chargée de convoyer ces déchets est qualifiée d’eau usée. Les eaux usées
proviennent principalement de quatre sources :
– les eaux usées domestiques rejetées par les ménages ;
– les eaux usées industrielles ;
– les eaux de pluie et de ruissellement dans les villes ;
– les eaux de ruissellement dans les zones agricoles.

Ces eaux usées sont acheminées loin des habitations par un ensemble de
canalisations. Selon que cet ensemble évacue séparément ou non les eaux usées
domestiques, les eaux usées industrielles et les eaux de ruissellement, on parle,
pour la ville, de réseau séparatif, unitaire ou mixte.

L’intérêt croissant porté à la qualité de l’eau, dans ses multiples usages, a conduit à
définir pour les eaux usées tant domestiques qu’industrielles un certain nombre de
paramètres spécifiques.

• Les paramètres physiques. Les caractéristiques physiques des eaux résiduaires


peuvent altérer le milieu récepteur dans lequel elles se déversent. Ces altérations
diffèrent selon les paramètres physiques concernés et portent principalement sur le
pH, la température, les graisses, les matières décantables et les matières en
suspension (MES).

• Les paramètres chimiques. Les paramètres chimiques déterminés dans les eaux
résiduaires urbaines ne présentent pas tous une égale importance pour leur
traitement ultérieur. Par ordre d’importance croissante, on peut les classer de la
façon suivante :
– les demandes en oxygène, DBO5 (demande biologique en oxygène sur 5 jours),
DCO (demande chimique en oxygène) ;
– les nutriments, principalement l’azote et le phosphore, facteurs d’eutrophisation ;
– les autres constituants chimiques (sels, détergents, pesticides, métaux lourds).

• Les paramètres biologiques. Les eaux usées évacuent les matières fécales et les
urines des populations. Elles sont chargées en germes communs habituels de
l’homme et en germes pathogènes en provenance de porteurs sains ou de malades.
Les micro-organismes pathogènes présents dans les eaux usées se classent en
quatre groupes :
– les bactéries pathogènes, essentiellement des entérobactéries : salmonelles
(fièvres typhoïdes et paratyphoïdes, toxi-infection), shigelles (bacilles dysentériques),
colibacilles ;
– les virus, représentés par les entérovirus (poliovirus, coxsachie A et B et
échovirus), les réovirus, les adénovirus (affections respiratoires), les rotavirus
(diarrhées du jeune sujet), le virus de l’hépatite A ;
– les parasites : œufs des vers (ténia, ascaris), kystes d’amibes et de giardia ;
– les champignons, encore mal connus.

Il est difficile de mettre en évidence les agents pathogènes en raison de leur faible
nombre dans les eaux usées : les techniques de recherche et de dénombrement
sont souvent complexes, longues et fastidieuses. La pratique courante de contrôle et
de surveillance est de rechercher dans le milieu des

germes dont la présence indique l’existence possible de germes pathogènes. Trois


groupes principaux sont utilisés comme germes témoins de contamination fécale :
les coliformes fécaux, les streptocoques fécaux et les clostridiums sulfito-réducteurs.

Les eaux usées domestiques

Pour une habitation, il existe deux types d’eau à évacuer : les eaux usées
ménagères, ou eaux grises, et les eaux vannes, ou eaux noires. Les eaux
ménagères proviennent de la cuisine, de la salle de bains (baignoire, douche,
lavabo, bidet) et de la buanderie. Les eaux vannes sont essentiellement les eaux des
WC. Elles présentent une charge bactériologique très élevée caractérisée par les
germes de la flore intestinale, de l’ordre de 10 milliards de germes tests pour 100 ml.

Les eaux usées industrielles

On considère comme eau industrielle tout effluent qui ne peut être rejeté à l’égout en
raison de ses caractéristiques ou de son volume. Les eaux usées industrielles sont
caractérisées par leur diversité : il y a autant d’eaux usées industrielles que
d’industries.

La valorisation agricole des rejets urbains

La valorisation agricole
de la matière organique des déchets
La matière organique est d’une importance fondamentale pour la fertilité des sols, du
fait de ses effets physiques, chimiques et biologiques. Pour certains auteurs, la
matière organique, et plus particulièrement l’humus, serait un facteur de sécurité et
d’économie dans la production végétale. Le taux de matière organique d’un sol serait
l’un des indicateurs les plus sensibles de son évolution. Un sol cultivé vieillit
inéluctablement car, que la culture soit intensive ou non, les pertes par minéralisation
de matière organique sont toujours supérieures aux apports. Les méthodes, dites
modernes, de fertilisation et de travail du sol, conjuguées à une intensification parfois
mal maîtrisée (monoculture, abandon des jachères), accélèrent ce vieillissement.
L’apport de matière organique au sol revêt alors une dimension capitale. Son intérêt
se mesure cependant à long terme, selon son aptitude à se transformer en humus
(forme stable de cette transformation).
Outre l’amendement des sols cultivés, la matière organique peut être utilisée pour
remplacer le sol. Elle doit dans ce cas présenter des caractéristiques physico-
chimiques bien particulières, qui la rendent compatible avec la germination des
semences et les premiers stades de développement des plantes.

La matière organique
et les fertilisants dans les déchets

Les déchets constituent un gisement de matière organique fraîche et transitoire,


précurseur de l’humus. Ils contiennent également des composés minéraux sous
diverses formes, qui peuvent contribuer à la fertilisation des sols.

Pour les déchets urbains, après le tri des ordures ménagères, les matières
organiques recyclables en agriculture sont les fines, les fermentescibles, les papiers
et les cartons. Ces matières sont généralement pauvres en éléments fertilisants. S’ils
sont collectés séparément, les déchets verts permettent de produire une matière
organique de grande qualité pour l’agriculture et l’horticulture. Ils sont pauvres en
éléments fertilisants, notamment en azote. Les déchets d’assainissement, et plus
particulièrement les boues d’épuration, sont également susceptibles d’être recyclés
dans l’agriculture. Très peu de déchets industriels sont recyclables en agriculture.
Seule la matière organique issue du tri des déchets banals peut être recyclée dans
les mêmes conditions que les ordures ménagères. A l’exception des emballages en
plastique, des métaux et des déchets toxiques, presque tous les déchets agricoles et
ceux des petites industries alimentaires peuvent être recyclés dans l’agriculture.

Les matières animales sont riches en éléments fertilisants, alors que les débris
végétaux sont plutôt des précurseurs de l’humus. Leur mélange est donc intéressant
pour produire amendements et engrais organiques de qualité. Le tableau 15 donne
la teneur en matière sèche totale (MST), la teneur en matière organique (MO), le
rapport carbone/azote (C/N) et la teneur en éléments fertilisants — azote (N),
phosphate (P2O5), potasse (K2O) — de différents déchets bruts.

L’emploi direct des déchets dans l’agriculture se heurte à certaines difficultés


techniques : présentation physique et taux d’humidité élevé (peu appropriés au
stockage et au transport) ; caractère putrescible qui provoque des nuisances ;
déséquilibre azoté et rapport carbone/azote élevé qui peut réduire l’intérêt pour les
cultures ; risques toxiques et sanitaires pour ceux qui les emploient et pour les
cultures.

A ces considérations techniques s’ajoutent des contraintes économiques et


financières. Il faut noter que la biodégradabilité de la matière organique est un
paramètre important à prendre en compte pour prévoir le devenir des déchets
organiques dans l’environnement. En l’absence d’indicateurs simples, le rapport
carbone/azote est souvent utilisé, bien que sa pertinence soit maintenant contestée.
On considère qu’un rapport carbone/azote de l’ordre de 30 est nécessaire pour une
bonne dégradation de la matière organique.
Attention. Au Sahel, en conditions limites d’alimentation hydrique, les apports de
matière organique peuvent avoir un effet négatif sur le développement des cultures en
favorisant leur croissance en début de cycle (rétention d’eau en surface, minéralisation
de l’azote), ce qui réduit d’autant leur capacité de résistance ultérieure en cas de stress
hydrique prolongé. Il convient de réserver ces apports aux cultures correctement
alimentées en eau, ce qui est généralement le cas des cultures urbaines et
périurbaines.

Tableau 15. Caractérisation de la


matière organique de différents
déchets.

Le compost de déchets

Le compostage est avant tout le moyen de transformer les déchets pour mieux les
valoriser. Le compost obtenu est défini comme un coproduit du traitement de ces
déchets. Outre l’homogénéité du coproduit final par rapport au déchet ou mélange de
déchets initial, l’intérêt du compostage réside

dans la stabilisation biologique des matières putrescibles, la diminution du volume et


de la teneur en eau à quantité d’éléments fertilisants pratiquement équivalente et
l’élévation de la température au cours de la fermentation contrôlée, qui détruit les
germes pathogènes et inhibe les graines de mauvaises herbes. Le compostage se
traduit malgré tout par une perte de matière organique. Cependant, d’après certains
auteurs, il permet d’obtenir plus d’humus qu’une dégradation non contrôlée dans le
sol (Mustin, 1987).
Il y a très peu d’essais comparatifs, sur une longue durée, de l’effet d’une matière
organique brute ou compostée. On peut signaler les résultats récents d’un essai en
lysimètre sur dix ans, réalisé avec du fumier de bovin à la station fédérale de
recherches en production végétale de Changins, en Suisse. Cet essai montre que,
même si le compostage entraîne une baisse de la teneur initiale en matière
organique et en azote, aucune différence n’apparaît entre fumier et fumier composté
sur le plan de l’efficacité des éléments nutritifs (Ryser et al., 1998).

A titre d’exemple, la composition de différents composts de déchets est donnée dans


le tableau 16. On remarque qu’aucun élément fertilisant ne dépasse une teneur de 3
% de la matière sèche dans ces composts. Ce sont donc plutôt des amendements
que des engrais organiques, pour lesquels la teneur en l’un des éléments fertilisants
majeurs, généralement l’azote, serait supérieure à 3 % de la matière sèche.

La maîtrise des risques

Nous avons vu l’intérêt agronomique du recyclage des déchets contenant de la


matière organique et des fertilisants. Leur emploi est cependant limité du fait des
risques liés aux excédents de nutriments : l’excès d’apport nutritif aux cultures
entraîne parfois des dysfonctionnements dus à l’accroissement des formes solubles
d’azote et de phosphore dans les milieux aquatiques. Leur utilisation est aussi limitée
du fait des éléments indésirables qu’ils contiennent : essentiellement des métaux,
des polluants organiques et des micro-organismes pathogènes, qui peuvent affecter
directement les cultures, les animaux et les hommes, ou migrer vers les eaux
souterraines ou superficielles.

Plusieurs études concernent le comportement des métaux dans les sols et l’eau du
sol, leur disponibilité et les modalités de leur passage dans les plantes et dans la
chaîne alimentaire. Leurs résultats ont permis de mettre au point des conseils et des
réglementations en matière d’apport d’éléments traces métalliques dans les sols via
le recyclage des déchets transformés ou non. On peut résumer ces
recommandations en trois points :
– il est indispensable de maintenir un pH du sol supérieur à 6 pour limiter la
disponibilité des métaux les plus mobiles, tels que le cadmium et le zinc ;

Tableau 16. Exemples de composition


de différents composts de déchets,
d’après Soclo et al. (1999) pour
Cotonou, Ngnikam et al. (1993) pour
Yaoundé, Farinet et Sow (1997) pour
Bakel, Farinet et Copin (1994) pour les
déchets d’abattoir au Sénégal.
– il faut être très prudent si on utilise des déchets sur les cultures maraîchères dont
les feuilles sont consommées — certains métaux, comme le cadmium, s’accumulent
préférentiellement dans les parties foliaires ;
– à long terme, il est absolument nécessaire de respecter les limites en terme de
quantités apportées, mais aussi de teneurs maximales admissibles dans les sols.

Concernant ce dernier point, et en l’absence de précisions sur la réglementation en


Afrique, nous avons résumé dans le tableau 17, pour les principaux métaux, les
teneurs limites en vigueur dans certains pays européens et les récentes propositions
de l’Union européenne en la matière.

Les polluants organiques sont essentiellement des produits pétroliers, des solvants
de synthèse organique, des hydrocarbures polycycliques aromatiques (HPA), des
hydrocarbures polycycliques aromatiques chlorés (PCB) et des

Tableau 17. Teneurs limites en métaux


lourds dans les composts (en mg/kg
MST).
résidus de produits phytosanitaires à base de chlore tels qu’insecticides, fongicides
et herbicides. Des expérimentations réalisées en Europe montrent que leur transfert
du sol vers les plantes serait à exclure. Néanmoins, des mesures ont été prises dans
plusieurs pays industrialisés pour limiter leurs apports par le recyclage des déchets
ou des coproduits.

Pour les micro-organismes pathogènes, les risques sanitaires majeurs sont liés aux
salmonelles (un groupe de bactéries), aux œufs de parasites (helminthes
pathogènes) et aux entérovirus. Les précautions sanitaires lors de l’utilisation
agricole des déchets, qu’ils soient traités ou non, offrent les meilleures garanties de
protection contre ces risques.

La valorisation agronomique des eaux usées


Les eaux résiduaires, de par leur richesse en matière organique, constituent
d’excellents amendements pour les sols. Selon des études réalisées à Yuma en
Arizona (Sanio et al., 1998), l’irrigation des sols par des eaux usées contenant en
poids secs 8 tonnes de matière organique par acre permet d’économiser les trois
quarts des besoins en engrais, la première année, et la totalité des engrais
chimiques, la troisième année. Pour des sols pauvres en matière organique, les eaux
résiduaires sont plus bénéfiques que les engrais chimiques : les matières organiques
qu’elles contiennent augmentent la capacité de rétention en eau et d’échange
gazeux de la rhizosphère et améliorent la capacité des sols à mettre les nutriments à
la disposition des plantes. En plus de l’effet fertilisant, l’étude effectuée à Yuma
montre que l’utilisation des eaux résiduaires peut réduire les besoins en pesticides et
en herbicides. Une enquête réalisée à Dakar sur l’utilisation des eaux résiduaires en
agriculture urbaine (Niang, 1996) a abouti aux mêmes conclusions (figure 6). A
Yuma, les économies réalisées sur l’apport d’engrais, de pesticides et d’herbicides
sont évaluées à près de 2 millions de dollars par an (Sanio et al., 1998).
Figure 6. Utilisation des intrants selon
le mode d’approvisionnement en eau,
d’après Niang (1996).

L’épandage des eaux usées brutes

L’épandage des eaux résiduaires ne peut pas se pratiquer sur n’importe quel sol, ni
avec n’importe quelle culture. En dehors des aspects sanitaires liés à l’utilisation de
la récolte, la première qualité du système sol-culture est de permettre l’exportation ou
la réduction maximale des éléments polluants contenus dans l’eau épandue (Collin
et al., 1983). Les eaux utilisées sont d’origine urbaine, agricole ou industrielle et n’ont
subi aucun traitement d’épuration, tout au plus, une épuration primaire. Elles sont le
plus souvent fortement chargées et préférentiellement d’origine domestique car les
charges en métaux lourds des effluents industriels sont à éviter. Ainsi, n’importe
quelle eau usée n’est pas apte à l’épandage. Pour que cette procédure soit
applicable, il faut que l’effluent présente une composition favorable (absence de
substances toxiques, aptitude à la dégradation et à l’assimilation dans le sol,
absence de risque de perturbation de la structure du sol).

Les caractéristiques généralement admises pour l’épandage d’eaux usées urbaines


rapportées à l’équivalent-habitant sont données dans le tableau 18.

Tableau 18. Quantités admises pour


l’épandage des eaux usées urbaines.
On considère que l’habitant d’une agglomération rejette entre 35 et 40 g de DBO5 par
jour, dans les pays en développement, entre 54 et 74 g, en France, et entre 80 et
100 g, en Suède et en Suisse, selon le réseau d’égout (séparatif ou unitaire) et selon
l’activité artisanale et l’équipement ménager (Valiron, 1985).

Par ailleurs, le sol destiné à l’épandage doit avoir un drainage naturel au moins
moyen à bon, sans excès, ce qui exclut à la fois les zones à tendance marécageuse
et les pentes trop fortes, égales ou supérieures à 10 %. La profondeur du sol doit
être de préférence de l’ordre du mètre : en dessous de 0,3 m, le sol est en principe
inapte à l’épandage des eaux résiduaires. La texture la plus adaptée correspond à
des sols limoneux ou limono-sableux.

L’irrigation par les eaux usées traitées

Contrairement à l’épandage (considéré comme un procédé d’épuration des eaux


usées), dans le cas de l’irrigation, c’est la production agricole qui est la finalité
première. Les eaux usées utilisées ont préalablement subi un traitement d’épuration.
La qualité des eaux utilisées dépend du type de traitement. Dans la majorité des cas,
les effluents subissent au moins un traitement secondaire. Pour une bonne irrigation,
les eaux épurées doivent répondre aux critères de qualité suivants :
– une teneur en matières en suspension comprise entre 20 et 30 mg/l, ce qui
correspond aux teneurs contenues dans un effluent urbain ayant subi un traitement
secondaire ;
– une teneur en éléments fertilisants (N, P, K) acceptable. Pour des eaux dont la
teneur en azote est de l’ordre de 15 mg/l, une application de 100 mm correspond à
un apport azoté d’environ 15 kg/ha ;
– une teneur en sel et un taux d’adsorbtion du sodium moyens. Une minéralisation
élevée des eaux combinée à un taux d’adsorbtion du sodium important peut avoir
des effets néfastes sur le sol : altération de sa structure entraînant une réduction de
sa perméabilité ;
– une teneur en éléments traces métalliques faible. Il s’agit essentiellement des
métaux lourds et du bore pour lesquels les apports au sol doivent être limités (Collin
et al., 1983).

La valorisation agricole des boues

Les boues soutirées des stations de traitement des eaux résiduaires sont riches en
matière organique et contiennent des doses non négligeables d’azote et de
phosphore. Leur valeur fertilisante est donc bien réelle. La composition moyenne
d’une boue est présentée dans le tableau 19 (Bechac et al., 1984).

L’épandage des boues sur les sols destinés à l’agriculture s’accompagne d’une
minéralisation de la matière organique avec la formation d’humus stable et la
libération progressive de composés minéraux ou gazeux. Par

opposition aux éléments minéraux provenant des engrais de synthèse, qui sont
directement utilisables, les éléments fertilisants des boues, qui se composent
d’éléments majeurs comme l’azote, le phosphate et la potasse et d’oligoéléments
(fer, manganèse, bore, amine, etc.), ont une disponibilité retardée et progressive. La
pratique de l’épandage devra donc tenir compte de cette donnée.
Tableau 19. Composition moyenne
d’une boue en pourcentage de la
matière sèche.

L’époque la plus favorable pour l’épandage dépend des conditions climatiques et des
disponibilités des cultures. Il est recommandé d’épandre les boues lorsque l’humidité
du sol est inférieure à la capacité de rétention en eau, en d’autres termes, lorsque
l’évapotranspiration est supérieure à la pluviométrie. Il est déconseillé d’épandre sur
un sol gelé ou sur une pente trop importante.

Les risques potentiels

Le risque principal pour le sol lors de l’irrigation des cultures au moyen des
différentes techniques existantes est celui du colmatage. Il peut être d’origine
physique, biologique ou chimique. En règle générale, ce colmatage n’affecte que la
partie superficielle du sol (Collin et al., 1983). Le laboratoire de Riverside, aux Etats-
Unis, propose un diagramme pour déterminer les effets d’une eau sur le sol (Collin et
al., 1983). Pour remédier à ces phénomènes de colmatage, il est recommandé
d’effectuer fréquemment un travail du sol.

Les risques liés aux composés chimiques sont les mêmes, tant pour les eaux
d’épandage que pour les eaux d’irrigation, mais sont aggravés par le fait que les
concentrations dans les eaux brutes peuvent être plus élevées. Les concentrations
excessives, en dehors des métaux lourds, peuvent être le fait de composés non
toxiques, voire fertilisants, et entraîner une modification qualitative des végétaux
cultivés (Collin et al., 1983).

Concernant les risques sanitaires, des virus, des bactéries, des protozoaires et des
helminthes pathogènes passent dans les excréta des personnes infectées et se
retrouvent dans les eaux usées. Ils peuvent être transmis soit par voie orale (par la
consommation de légumes contaminés), soit par la peau (dans le cas des
ankylostomes et des schistosomes). Les eaux usées contiennent

généralement de fortes concentrations d’agents pathogènes, en particulier dans les


pays où les maladies diarrhéiques et les parasites intestinaux sont répandus.

La maîtrise des risques sanitaires

Faute de données épidémiologiques adéquates, les directives et les normes en


vigueur jusqu’à présent pour la qualité des eaux usées réutilisées étaient fondées
essentiellement sur des critères microbiologiques. L’objectif était d’éliminer tous les
organismes pathogènes d’origine fécale pour éviter les risques pour la santé. Ainsi,
les premières normes correspondaient à la concentration minimale de bactéries (100
bactéries coliformes par 100 ml) qui pouvait être détectée dans les eaux usées par
des moyens de contrôle ordinaires et être respectée avec les procédés d’épuration
existants. Dans certains cas, ces normes étaient analogues à celles qui étaient
appliquées pour l’eau de boisson. Toutefois, la présence dans les eaux usées
d’organismes indicateurs d’une provenance fécale (bactéries vivant normalement
exclusivement dans l’intestin de l’homme et des autres mammifères sans causer
d’infection) ou même d’agents pathogènes n’implique pas nécessairement une
augmentation de la morbidité. En effet, le risque de contamination suppose
l’intervention d’autres facteurs, dépendant chacun des conditions locales. Du point
de vue épidémiologique, la protection de la santé publique passe par l’évaluation des
risques de maladies attribuables à l’utilisation d’eaux usées et non à la simple
détection des germes pathogènes.

Au cours des dernières années, l’analyse des données épidémiologiques, réalisée à


partir de nombreuses études récentes, a permis d’élaborer de nouvelles directives
fondées sur des critères, non plus microbiologiques, mais épidémiologiques. Les
études épidémiologiques ont révélé que la réutilisation des eaux usées, en particulier
des eaux usées brutes, peut être la cause d’une morbidité importante due à des
agents pathogènes, en particulier des helminthes, qui ne sont pas décelés par les
méthodes classiques d’examen microbiologique des eaux usées et qui ne sont pas
toujours éliminés par les procédés de traitement habituels.

Les nouvelles directives devraient donc indiquer une teneur en bactéries plus
réaliste, qui tienne compte à la fois des données épidémiologiques et du fait que les
risques d’infection bactérienne sont plus faibles qu’on ne le supposait auparavant.
Elles devraient également mentionner la teneur maximale en œufs d’helminthe en
tenant compte des observations épidémiologiques. La démarche épidémiologique
met aussi en évidence les groupes exposés aux risques d’infection associés à la
réutilisation des eaux usées. Il s’agit des ouvriers agricoles et des pisciculteurs, des
personnes qui manipulent les récoltes et des consommateurs, ainsi que des
personnes de passage ou vivant à proximité des champs ou des bassins où sont
utilisées des eaux usées. Cette

démarche permet aussi d’identifier les autres mesures de protection sanitaire


pouvant être appliquées en plus du traitement des eaux usées. A l’heure actuelle, on
estime que, pour minimiser les risques pour la santé, il serait judicieux d’adopter une
approche plus intégrée, dans laquelle le traitement, qui reste en principe la meilleure
méthode de protection, ne serait que l’une des mesures envisagées au stade de la
planification, les autres étant la restriction des cultures, l’application contrôlée des
eaux usées, le contrôle de l’exposition des groupes à risque et la promotion de
l’hygiène. Le tableau 20 résume les nouvelles directives conseillées par l’Oms
(Organisation mondiale de la santé).

Par ailleurs, dans les programmes de réutilisation des eaux usées, il faut toujours
veiller à ne pas créer un habitat pour les vecteurs de maladies, comme les
moustiques ou les mollusques. Dans le passé, les champs d’épandage favorisaient
parfois la reproduction des moustiques de l’espèce Culex pipiens dans les eaux
polluées à faible courant et les bassins d’eau stagnante. Non seulement ils
constituent une nuisance, mais ils peuvent aussi transmettre la filariose
bancroftienne (Oms, 1989) dans la plupart des régions où cette maladie est
endémique. Des méthodes classiques de lutte contre le développement des vecteurs
devraient être appliquées en cas de besoin pour éviter la transmission des maladies
qu’ils propagent.

Tableau 20. Directives concernant la


qualité microbiologique des eaux
usées utilisées dans l’agriculture,
d’après Oms (1989).

Les techniques de traitement

Le traitement des déchets


Par principe, nous n’évoquons ici que les filières de traitement biologique qui
permettent de recycler la matière organique et fertilisante dans l’agriculture.
Toutefois, nous abordons les grands principes de collecte et de tri des déchets des
ménages car ils sont maintenant jugés indissociables de la qualité du coproduit
recyclé dans l’agriculture.

La fermentation, au sens large, est la seule voie de traitement adaptée au recyclage


agricole des déchets organiques, car elle permet toujours d’obtenir un coproduit
résiduel pour amender et fertiliser les sols. On distingue trois types de fermentation :
la fermentation alcoolique, la digestion anaérobie, ou méthanisation, et la
fermentation aérobie, ou compostage.

Il est important de signaler que, pour obtenir un compost de qualité, il faut presque
toujours une fermentation aérobie pour la maturation finale des résidus de digestion
anaérobie ou de fermentation alcoolique. En conséquence, le compostage, et plus
particulièrement sa phase finale de maturation, peut être considéré comme une
technique récurrente quel que soit le type de fermentation choisi au départ. Nous ne
traitons ici que la technique de compostage.
Le compostage

Principe général

Le compostage est une dégradation de la matière organique en présence d’oxygène.


Les molécules organiques sont transformées par étapes successives en substances
de poids moléculaire de plus en plus faible pour aboutir à la production de dioxyde
de carbone (CO2) et d’eau. Cette fermentation se déroule selon trois phases
successives.

• La phase de latence correspond au temps nécessaire à la colonisation du milieu


par les micro-organismes. Elle dure environ un jour. La température s’élève
progressivement : elle résulte de l’activité respiratoire endogène des cellules vivantes
présentes dans la masse.

• La phase de fermentation chaude, d’abord mésophile, est due à la multiplication


des micro-organismes, qui provoquent le début de la fermentation. La réaction
exothermique dégage de la chaleur et la température du mélange s’accroît fortement
pour passer ensuite en régime thermophile. A 60-70 oC, les micro-organismes
thermophiles meurent (température optimale d’activité à 50-55 oC) et le processus
s’autorégule.

• La phase de refroidissement et de maturation termine le processus jusqu’à la


raréfaction des matières facilement utilisables par les micro-organismes. Le compost
a alors atteint son stade de maturité ; il est apte à un usage agricole.

Les principaux paramètres régissant le compostage concernent particulièrement la


phase de fermentation chaude.

• Le taux d’oxygène lacunaire : tout organisme aérobie consomme de l’oxygène pour


oxyder les composés organiques qui lui servent de nourriture. L’aérobiose est
maintenue tant que le taux d’oxygène ne descend pas en dessous de 5 %, bien que
la limite réelle de l’anaérobiose soit de 1 %. Des valeurs de 30 à 36 % d’espace
lacunaire dans la masse en fermentation sont citées comme optimales.

• L’humidité : pour chaque substrat, l’humidité est en relation avec le volume


d’espace lacunaire. Ainsi pour la fraction organique des ordures ménagères, le
volume d’espace lacunaire optimal correspond à un taux d’humidité de 55 à 65 %.
Un taux d’humidité trop faible entraîne une baisse de l’activité des micro-organismes.
Un taux d’humidité trop important conduit à une obstruction des espaces lacunaires,
d’où une disponibilité moindre de l’oxy-gène pour ces mêmes micro-organismes.

• La température : celle obtenue dans la masse en fermentation est le résultat d’un


équilibre thermique avec le milieu extérieur, d’où l’importance des conditions
climatiques pour ce paramètre. Une température supérieure à 55 oC pendant au
minimum 4 jours assure la destruction de certains germes pathogènes et parasites
divers.

• Le rapport carbone/azote : celui-ci décroît constamment au cours du compostage


pour se stabiliser vers 8 à 10 dans un compost mûr. Au regard des études réalisées,
les meilleurs rendements sont observés pour des rapports carbone/azote initiaux
compris entre 20 et 70.
Ces paramètres imposent des conditions spécifiques pour le compostage de certains
déchets en raison de leur taux d’humidité élevé, de leur rapport carbone/azote faible
ou de leur très mauvaise tenue structurale. En règle générale, la production finale de
compost est de l’ordre de 45 à 55 % du poids initial de déchets (en brut).

Les procédés de compostage

Le compostage a évolué depuis une dizaine d’années vers une meilleure maîtrise
des conditions de fermentation car la question des nuisances engendrées par les
sites de compostage est devenue sensible. Ainsi, le compostage passif, qui consiste
à laisser un tas de déchets évoluer en l’état sans aucune intervention, n’est plus
d’actualité sauf pour des unités individuelles traitant de petites quantités. Les
procédés de compostage se distinguent essentiellement dans leurs phases de
latence et de fermentation chaude, par le mode d’aération et le niveau de contrôle
des différents paramètres. Il existe trois procédés de compostage : le compostage
extensif en andains retournés, le compostage intensif à aération forcée, le
compostage industriel en réacteur fermé (voir l’étude de cas sur la valorisation des
déchets d’abattoir au Sénégal, p. 163). Nous ne détaillons que le premier procédé et
nous évoquerons également un cas particulier de finition du compost : le lombri-
compostage.

Le compostage extensif en andains retournés est souvent utilisé dans les pays en
développement. L’oxygénation la plus efficace d’une masse en fermentation est
obtenue par un retournement périodique, qui assure une fermentation homogène.
Les déchets sont disposés en andains de section triangulaire (base 2 à 3 m ; hauteur
1,5 à 2 m ; longueur à la demande) sur une aire étanche. Ces andains sont retournés
manuellement ou mécaniquement à une certaine fréquence pour assurer l’apport
d’oxygène dans le milieu. Le facteur limitant de cette technique est la teneur en
oxygène dans la masse, qui retombe très rapidement après chaque retournement,
surtout au cours de la première phase de fermentation chaude. En pratique, la
fréquence et la qualité des retournements sont les paramètres clés de cette
technique. Pour la fraction organique des ordures ménagères sous climat chaud, on
admet une durée totale de latence et la fermentation chaude de 1,5 à 2 mois avec un
retournement des andains par semaine au cours du premier mois, puis un
retournement toutes les deux semaines le deuxième mois. A la suite de la
fermentation chaude, le précompost subit obligatoirement une maturation en tas
pendant au minimum 2 mois. En fonction des conditions locales et du débit de
déchets à composter, le retournement des andains peut s’effectuer manuellement ou
mécaniquement à l’aide d’équipements agricoles tels que les retourneurs d’andins.
Dans les deux cas, il faut prévoir un espace suffisant entre les andains pour leur
déplacement ou pour le passage du tracteur. A l’issue de la fermentation chaude en
andains, le compost poursuit sa maturation en tas, éventuellement retournés une fois
par mois. Les tas en maturation d’un âge supérieur à 2 mois tiennent lieu de
stockage avant un affinage par criblage et un éventuel conditionnement avant
utilisation.

Le lombri-compostage est une technique relativement récente développée à petite


échelle dans différents pays. Il s’agit, après une phase initiale de fermentation
chaude classique, d’une transformation du compost en couche mince qui utilise des
vers adaptés, de la classe des épigés, pour dégrader par ingestion la matière
organique. Après une inoculation au départ, la population de vers croît et
s’autorégule en fonction de la matière organique disponible. Après cette
transformation, le compost subit une phase courte de maturation (1 mois). L’intérêt
principal de cette technique réside dans la qualité visuelle du produit final et, pour les
ordures ménagères brutes, dans le tri effectué par les vers. Lors de la transformation,
on observe en effet que les matériaux indésirables (non ingérables) se concentrent à
la surface de la couche et que le compost peut être soutiré à la base. Parmi les
inconvénients, il faut noter l’emprise foncière très importante et le contrôle rigoureux
des conditions de vie et de reproduction de ces vers (humidité de 55 à 60 %,
température entre 25 et 35 oC). Dans la situation actuelle, il ne semble pas que le
lombri-compostage puisse être considéré réellement comme une technique complète
de traitement des déchets, mais plutôt comme un maillon complémentaire pour la
finition du produit dans un compostage classique.
La valorisation des déchets d’abattoir au Sénégal
Les contraintes à l’origine de l’expérience (Farinet et al., 1991 ; Farinet et Copin, 1994)
sont les nuisances et la pollution dues au rejet des déchets et effluents dans le milieu
naturel et les consommations d’énergie et d’eau qui fragilisent l’activité d’abattage. Les
déchets produits se répartissent en solides — matières stercoraires (contenu des
panses et boyaux) récupérées au niveau de la triperie et fumiers des parcs d’attente,
soit environ 280 kg de déchets par tonne de carcasse (1 tonne de carcasse = 7,5
bovins) — et liquides — eaux de lavage riches en sang et graisses, environ 5 m3 par
tonne de carcasse.
La solution consiste à valoriser les déchets solides par méthanisation et à traiter les
eaux de lavage par lagunage, cette dernière technique étant bien adaptée au climat
tropical. Elle est testée depuis 1989 à l’abattoir de la ville de Thiès, avec un système
combiné Transpaille-lagunage. Nous détaillons surtout les caractéristiques et les
performances de l’unité de fermentation méthanique Transpaille installée sur ce site.
L’unité Transpaille, mise en service en 1989, comprend :
– un fermenteur d’une capacité utile de 40 m3, dont la charge nominale est de 1,3 tonne
de déchets par jour ;
– un dispositif de stockage du biogaz en réservoirs souples d’une capacité totale 60 m3 ;
– un groupe électrogène 100 % gaz, de 20 KVA à 3 000 tours/mn, avec récupération de
calories pour le réchauffage du fermenteur ;
– deux fosses de finition du compost, avec récupération des écoulements.
Chaque jour, les matières stercoraires et les fumiers sont chargés dans la trémie du
fermenteur, tandis que les effluents de fermentation sont évacués trois fois par semaine
à l’autre extrémité. Ils subissent ensuite une finition aérobie en fosse pendant 75 jours
pour donner un amendement organique stabilisé, épandable en grandes cultures.
Le groupe électrogène à gaz est connecté sur la ligne d’alimentation électrique de
l’abattoir, de préférence lors des fortes consommations (fonctionnement des chambres
froides). Il permet ainsi des économies notables d’électricité et se substitue au réseau
en cas de coupure.
Compte tenu des problèmes de commercialisation de l’amendement organique, une
filière de production de support de culture pour les pépinières de plants maraîchers et
fruitiers a été mise en place en 1991. Le compost doit dans ce cas subir une finition
aérobie beaucoup plus prononcée pendant 3 à 5 mois, avec plusieurs retournements. Il
est ensuite mélangé à du sable et à divers adjuvants, puis conditionné sous forme de
minimottes ou en pots. Après semis et élevage sous ombrière, le produit final est un
plant maraîcher (tomate, melon) ou fruitier (papayer) prêt au repiquage en plein champ.
Selon les résultats obtenus sur 3 ans à l’abattoir de Thiès, ce système permet de
produire 36 k Wh électriques et 107 kg de compost par tonne de déchets d’abattoir. Une
analyse économique réalisée en 1994 montre que, sur la base de ces performances et
pour une commercialisation du compost au prix de 45 FCfa/kg, le bilan des produits et
charges est équilibré : l’abattoir traite ses déchets à un coût nul. Pour une
commercialisation des plants maraîchers à un prix variant, selon les espèces, entre 18
et 25 FCfa l’unité, le bilan économique est positif, avec un temps de retour de
l’investissement de l’ordre de 4 ans.

La collecte et le tri des ordures ménagères

Contrairement aux déchets de l’agriculture et des petites industries alimentaires, qui


sont rejetés en un lieu unique à l’issue d’une opération de production, les ordures
ménagères sont dispersées en zone d’habitat et constituées de plusieurs catégories
de déchets de provenances multiples. Elles doivent donc être rassemblées avant
toute opération d’élimination, de traitement ou de recyclage. Le traitement se justifie
si les ordures ménagères renferment :
– des matériaux potentiellement recyclables en tant que tels (verre, papiers, cartons,
plastiques, métaux) ;
– une fraction organique importante recyclable dans l’agriculture ou dans la
production d’énergie ;
– une fraction combustible importante (dont la proportion augmente continuellement
du fait des nouvelles habitudes de consommation).

Aucune filière de traitement ne peut véritablement traiter à elle seule la totalité des
ordures ménagères. Les solutions sont complexes et doivent nécessairement
préserver l’environnement : l’élimination des ordures ménagères passe par une
séparation de leurs principaux constituants et la mise en décharge doit être réservée
aux seuls déchets ultimes (les refus des différentes filières de traitement). Outre leur
hétérogénéité avec la présence de matières inertes sans valeur agronomique, les
ordures ménagères collectées par la voie classique peuvent être contaminées par
des éléments traces métalliques ou des polluants organiques. Il suffit d’un pot de
peinture mal fermé dans un tas d’ordures ménagères pour le rendre impropre à toute
valorisation agricole. Les techniques de production de compost ont d’abord cherché
à s’adapter en mettant en avant la méthode dite du « tri-compostage ». En Europe,
les techniciens ont misé sur la qualité du compost mais, au cours des années 1980,
l’image du compost d’ordures ménagères semble s’être irrémédiablement ternie.
Certains, considérant que l’évolution des techniques de tri avait atteint une limite
quant à la qualité du compost, préconisent soit d’abandonner cette filière, soit de ne
traiter que des produits sélectionnés à la collecte.

Dans les villes d’Afrique, nous avons vu que la fraction organique des ordures
ménagères recyclable en agriculture est constituée des fines, des fermentescibles et
des papiers et cartons souillés. Il existe deux solutions pour sélectionner cette
fraction organique : la collecte sélective ou les techniques de tri.

La collecte sélective

La collecte sélective de la fraction organique des ordures ménagères serait donc un


préalable essentiel pour les traitements en vue d’un recyclage agricole. Il ne faut
cependant pas oublier que, dans la plupart des pays en développement, la collecte
classique des ordures ménagères pose déjà des pro-

blèmes aux municipalités. La mise en place d’une collecte sélective entraînera


inévitablement des surcoûts plus ou moins élevés, qui seront répercutés sur les
administrés. La communication est un élément essentiel du succès d’une opération
de collecte sélective. Elle doit permettre de motiver la population par une information
régulière sur les résultats obtenus et le devenir des déchets triés. Elle doit aussi
fournir des consignes de tri claires et précises par le biais de prospectus, d’articles
de presse, d’expositions. En zone urbaine, la collecte sélective peut être opérée de
deux manières : en porte-à-porte ou par apport volontaire.

La collecte sélective en porte-à-porte consiste à demander à la population de


séparer les déchets organiques dans un contenant spécifique par rapport aux autres
déchets. Les ordures ménagères sont ensuite collectées, soit avec deux
équipements classiques (bennes), soit avec un équipement spécifique (benne à deux
compartiments). Elle pose le problème essentiel du coût des contenants mis à la
disposition des populations, qui peuvent aller du simple sac en papier ou en
plastique au container de 120 litres. La fréquence de collecte est un autre paramètre
important et détermine directement le degré des nuisances qui résultent
inévitablement du stockage de matières organiques humides. En Europe, la
fréquence est généralement hebdomadaire. En région chaude, deux collectes
hebdomadaires seraient sans doute nécessaires.

Pour la collecte sélective par apport volontaire, il est indispensable de disposer de


points de regroupement suffisamment nombreux, qui permettront de récupérer
correctement les déchets organiques. Le contenant d’apport volontaire et la
fréquence de la collecte sont déterminants : ils doivent permettre de réduire au
minimum les nuisances qui démobiliseraient la population avoisinante. Des bacs de
gros volume et des conteneurs peuvent être utilisés avec les mêmes fréquences de
collecte que pour le porte-à-porte.

Le tri des ordures ménagères

Aucune technique mécanique ne permet actuellement de séparer des ordures


ménagères une fraction organique de qualité suffisante pour être ensuite directement
traitée puis recyclée dans l’agriculture. En dehors du tri manuel, la seule voie
possible consiste à intégrer le procédé biologique de traitement dans le processus de
tri, c’est le tri-compostage, ou plus généralement le tri-fermentation. Le procédé de
fermentation, qu’il soit aérobie ou anaérobie, est souvent associé à une
humidification puis à une trituration (retournement, mélange, agitation), qui vont
faciliter la séparation ultérieure des fragments de matières organiques synthétiques
(MOS) indésirables, telles que les plastiques et le caoutchouc.

Le tri manuel n’est efficace que s’il est effectué sur des ordures ménagères brutes,
non broyées, ni dilacérées. Le produit défile sur un transporteur à faible vitesse
devant plusieurs personnes chargées d’éventrer les sacs puis de prélever le verre,
les métaux, les plastiques, les papiers et les cartons en état

afin de les évacuer. Les coûts d’équipement sont relativement bas et l’intérêt du tri
manuel dépend surtout du rapport entre le coût de la main-d’œuvre et la valeur
économique des matières récupérées.

Pour le tri-fermentation, plusieurs équipements mécaniques sont employés


successivement au cours d’un processus qui intègre la phase de fermentation,
qu’elle soit aérobie ou anaérobie. Il est recommandé :
– d’éviter de broyer des ordures ménagères brutes et de préférer un déchiquetage
grossier suffisant pour éventrer les sacs en plastique, cela afin de limiter la
pulvérisation des matières organiques synthétiques, du verre et des piles ;
– d’éviter le criblage avant fermentation afin de ne pas perdre la fraction cellulosique
des ordures ménagères (papiers et cartons) ;
– d’éliminer les éléments lourds et les métaux ferreux le plus tôt possible dans la
chaîne de tri afin d’éviter tout relargage de métaux lourds ;
– d’assurer une fermentation performante, associée à une trituration pour fragiliser et
fractionner la matière organique utile et faciliter sa séparation ultérieure.

Les procédés de fermentation en réacteur aérobie ou anaérobie sont les mieux à


même d’assurer une bonne trituration. Toutefois, un compostage extensif en andains
retournés ou un compostage intensif à aération forcée et retournement peuvent
permettre des tris d’affinage corrects si la matière organique est suffisamment
dégradée.

Le traitement des effluents


Les eaux usées sont un milieu complexe chargé de matières présentes sous
différentes formes. Pour éliminer ces matières, il existe des techniques de dépollution
ou d’épuration fondées sur des processus simples de séparation physique, de
transformation biologique et de correction chimique (figure 7). L’ensemble de ces
processus crée des sous-produits sous formes de boues, qu’il convient soit
d’éliminer, soit de valoriser.

Figure 7. Circuit de traitement des


eaux usées.

Les niveaux de traitement

Les procédés de traitement des effluents comportent quatre opérations.

• Les séparations physiques, ou prétraitement. On désigne sous le terme de


prétraitements physiques la séparation des éléments solides de la phase liquide.
Cette séparation, selon la taille et la densité des éléments solides, est réalisée par
des dispositifs simples de criblage ou en utilisant un processus de décantation
physique, sédimentation ou flottation.

• Les transformations biologiques, ou traitement secondaire. Lorsque les éléments


sont présents sous forme soluble ou lorsque leur taille ne permet pas de les piéger
par les prétraitements physiques, sauf au prix d’un conditionnement physico-
chimique complémentaire, on utilise le plus souvent un traitement biologique. Il
permet de faire passer des éléments présents sous forme soluble ou colloïdale en
éléments floculables et de constituer des agrégats que l’on peut de nouveau séparer
de la phase liquide. Les systèmes biologiques reposent sur l’aptitude de nombreuses
espèces bactériennes à dégrader la matière organique inerte pour assurer leurs
besoins métaboliques. L’appauvrissement du substrat qui en résulte se traduit par un
abaissement des concentrations en matières organiques exprimées par la DBO5 ou
la DCO et par une transformation en nouvelles bactéries floculables et séparables
par décantation.

• Les corrections chimiques, ou traitement tertiaire. Elles sont utilisées pour


conditionner ou transformer certains éléments en particules séparables de la phase
liquide ou pour éliminer les micro-organismes. L’élimination des micro-organismes
est souvent appelée désinfection ou traitement quaternaire.

• Le traitement des boues. La plupart des techniques de traitement utilisées


normalement dans la maîtrise de la pollution de l’eau produisent de la boue
provenant d’un procédé de séparation solide-liquide (décantation, flottation) ou
résultant d’une réaction chimique (coagulation) ou biologique. Ces matières sont
soumises à un ensemble de traitements comprenant l’épaississement, la
déshydratation et l’évacuation finale. Les boues organiques peuvent aussi subir des
traitements visant à réduire la fraction organique ou la teneur en matières volatiles
avant l’évacuation finale. Le traitement des boues, part importante du traitement des
eaux usées, a pour but de réduire leur volume et d’empêcher la putréfaction.

Les filières de traitement

Dès que la nécessité du traitement des eaux usées avant rejet s’est imposée, alors
qu’il n’existait encore aucun procédé physico-chimique ou biologique de traitement
intensif, le sol est apparu comme une solution assez intéressante (Bechac et al.,
1984). En effet, les premiers centimètres d’un sol consti-

tuent un milieu biologiquement très actif, extrêmement riche en micro-organismes de


toutes sortes (bactéries, protozoaires, champignons, micro-faunes). De plus, la
présence d’une végétation dont l’essentiel du système radiculaire se développe dans
cette zone augmente considérablement le potentiel d’épuration du sol (Bechac et al.,
1984) et a permis de développer des techniques individuelles d’assainissement.
Ensuite, sont apparues les techniques collectives intensives d’épuration, dites
techniques classiques, qui assurent un traitement biologique des eaux usées
(traitement secondaire) grâce à un apport artificiel d’oxygène. Ce traitement intervient
après une préparation des eaux, qui consiste en un prétraitement (dégrillage,
dessablage et déshuilage) et un traitement primaire (décantation). Ces techniques
consomment beaucoup d’énergie, exigent l’intervention permanente d’une main-
d’œuvre qualifiée et requièrent souvent des pièces de rechange fabriquées dans les
pays développés. Elles demandent donc des efforts financiers, que les pays en
développement ne peuvent pas consentir.

A côté de ces techniques collectives intensives, se sont développés d’autres


procédés : les techniques collectives extensives ou techniques rustiques, qui sont
fondées surtout sur la capacité épuratrice des milieux naturels. Ces techniques
conviennent mieux aujourd’hui au traitement et à la valorisation des eaux usées dans
les pays en développement, du fait de leurs coûts d’investissement et de
maintenance relativement abordable. De plus, elles éliminent plus efficacement les
germes pathogènes, facteur déterminant dans le cadre de la valorisation en
agriculture urbaine. L’expérience de l’Enda (Environnement et développement en
Afrique) à Rufisque illustre bien cet aspect (voir l’étude de cas sur l’épuration des
eaux usées urbaines au Sénégal).

L’épuration des eaux usées urbaines dans les quartiers pauvres


et l’assainissement semi-collectif à Diokoul et Castor (Rufisque, Sénégal)
Dans le cadre de son programme Pade (processus d’amélioration durable de
l’environnement), dont l’objectif est de mettre en place des systèmes d’assainissement
à la portée des populations pauvres, deux stations d’épuration des eaux usées
domestiques ont été construites, en 1994, dans les quartiers de Diokoul et Castor, sur
la commune de Rufisque, par l’équipe Rup (Relais pour le développement urbain
participé) de l’Enda (Enda, 1996, 1999 ; De Reviers, 1995). Ces stations ont bénéficié
d’un financement de l’Acdi (Agence canadienne pour le développement international) et
d’une autorisation préfectorale et communale (la commune ayant fourni les deux
terrains). Elles répondaient à la demande de la population, excédée par l’insalubrité qui
régnait dans ces quartiers. La première station est située dans un quartier d’habitat
planifié ; elle est dimensionnée pour environ 300 concessions (la concession regroupe 8
à 15 personnes). La seconde, dimensionnée pour environ 150 concessions, se trouve
dans une zone d’habitat spontané. Les deux stations ont été conçues suivant la
technique de lagunage à macrophytes flottantes à laitue d’eau, Pistia stratiotes
(Charbonnel, 1989). Mais l’innovation la plus audacieuse est le système de collecte et
de transport qui approvisionne le système de traitement. En effet, après passage dans
un dégrais-
seur, les eaux ménagères rejoignent les eaux vannes au niveau d’un décanteur (mini-
fosse septique), où elles séjournent environ 4 heures, avant d’arriver dans le réseau de
petit diamètre (en PVC 110, polychlorure de vinyle), qui les achemine vers la station de
traitement. Les eaux ainsi traitées sont réutilisées dans l’agriculture, la floriculture et les
pépinières. Plusieurs ouvrages ont été réalisés : – un vidoir avec filtre, deux bacs
dégraisseurs et un petit décanteur situés à l’intérieur des concessions. Ces ouvrages
ont pour rôle de retenir les graisses, le sable et les diverses matières solides
susceptibles d’obstruer les égouts. Leur coût est d’environ 175 000 FCfa par
concession ; – deux réseaux d’égout d’un diamètre de 110 mm, avec regards, qui
s’étendent sur une longueur de 4 000 m. Leur coût est estimé à environ 17 000 000
FCfa ; – deux stations d’épuration destinées à épurer les eaux usées provenant des
concessions. Celle de Castor s’étend sur une superficie de 0,5 ha. Elle comprend un
décanteur digesteur suivi de 7 bassins de lagunage. Elle a coûté environ 14 000 000
FCfa. Celle de Diokoul occupe une superficie de 0,7 ha ; elle est composée d’un
décanteur digesteur et de 4 bassins de lagunage. Son coût est estimé à environ 11 000
000 FCfa. Il faut signaler qu’avant la mise en place du traitement semi-collectif, les
actions étaient orientées vers la mise en place de fosses septiques toutes eaux dans
les zones à nappe phréatique profonde. Leur coût unitaire est estimé à 270 000 FCfa.
L’assainissement des villes est devenu une priorité dans les programmes de
développement. Or, il ne fait plus de doute que les technologies importées des pays
développés ne suffisent pas pour résoudre les problèmes (niveau élevé des
investissements et de l’entretien, comportements non conformes des populations
bénéficiaires). Par ailleurs, l’utilisation des eaux usées urbaines dans l’agriculture est
une pratique courante à travers le monde, qui, dans le contexte actuel de pénurie d’eau
dans les zones arides, constitue une solution réaliste. Des recherches et études
réalisées à Dakar, il est possible de tirer quelques enseignements.
• Il est possible, à l’échelle d’un quartier, d’effectuer un assainissement qui permette
d’utiliser les eaux usées domestiques traitées dans l’agriculture urbaine et de revaloriser
ainsi des espaces urbains sauvages où des problèmes d’environnement se posent.
• Il existe d’autres techniques que les techniques classiques, efficaces et adaptées aux
contextes socio-économiques, géographiques et écologiques.
• Il est également possible de rendre l’assainissement productif (création d’emploi) et de
générer un fonds permanent pour poursuivre les opérations d’assainissement dans les
quartiers pauvres à partir d’une subvention de départ.
• Il est possible pour les communes de déléguer les services publics urbains aux
organisations et microentreprises émanant des populations dans le domaine de la
production et de l’entretien des infrastructures d’assainissement, mais aussi de la
gestion et de la valorisation des déchets ménagers. Il en résulte un renforcement, d’une
part, des capacités de planification et de gestion urbaine pour les autorités locales,
d’autre part, de la citoyenneté chez les populations.
Malgré tout, il reste des obstacles qu’il s’agira de surmonter. En effet, l’entretien du
système, son amortissement, le recouvrement des dettes et la rentabilité des
groupements d’intérêt économique qui s’occupent de la gestion des stations
posent toujours des problèmes. De plus, l’implantation d’une station d’épuration à
l’intérieur même des quartiers pourrait engendrer des risques pour la santé publique.
Les études doivent donc se poursuivre. C’est pourquoi un programme de recherche
centré sur ces questions a été mis en place par l’Ifan (Institut fondamental d’Afrique
noire) et l’université Cheikh Anta Diop, en collaboration avec l’Enda, grâce à un
financement conjoint du Crdi et de l’Acdi.

Conclusion
La valorisation agricole des déchets agricoles et agro-industriels ne pose pas de
problèmes particuliers dès lors qu’ils sont traités sur place. En revanche, en matière
de collecte et de tri des ordures ménagères, il semble maintenant acquis que la
collecte sélective, et plus particulièrement le tri à la source, est la seule voie d’avenir.
Ce tri soulève une question essentielle dans les grandes villes des pays en
développement : dans les quartiers défavorisés, comment responsabiliser une
population par rapport à ses déchets alors que, chaque jour, sa principale
préoccupation est de se nourrir suffisamment et correctement? Il y a parfois une
distorsion flagrante entre le discours progressiste de certaines municipalités et
organisations non gouvernementales et la situation économique et sociale des
populations. Dans une telle situation, il nous semble que toute politique
d’assainissement devrait d’abord se traduire par des créations significatives
d’emplois pour la collecte, le tri et le traitement des ordures ménagères. La collecte
en amont et le recyclage des coproduits en aval peuvent être à l’origine de la
création de microentreprises mettant en œuvre des moyens de transport adaptés à la
trame urbaine (charrettes, camionnettes, camions).

Pour les effluents urbains, l’un des postes les plus coûteux est celui du système
d’évacuation et de transport. En effet, dans le cas d’un assainissement collectif, le
réseau d’évacuation doit acheminer les effluents sur de longues distances. Il doit
donc être suffisamment large pour éviter d’éventuels colmatages, ce qui a pour
conséquence d’augmenter les coûts. Un réseau de petit diamètre constitue une
alternative assez intéressante pour rendre l’assainissement accessible aux plus
démunis, mais il suppose l’intégration du procédé de traitement au sein des
habitations ou à proximité. Cette condition peut être à l’origine d’inconvénients tels
que la propagation de mauvaises odeurs ou la prolifération d’insectes et autres
vecteurs de maladies. Les travaux de recherche devraient s’orienter vers des
procédés qui tiennent compte de ce type de contrainte.

Pour le traitement des déchets, la digestion anaérobie et le compostage fournissent


des composts de qualité similaire. La digestion anaérobie produit aussi de l’énergie,
ce qui lui confère un avantage certain dans les pays en développement. Les aspects
économiques ont une importance considérable

dans le choix du recyclage agricole, mais aussi du type de traitement à mettre en


œuvre, mais la diversité des situations ne permet pas de fixer des règles précises.

Pour le traitement des effluents, il existe plusieurs procédés collectifs et semi-


collectifs. Les procédés extensifs, qui ne demandent que peu de personnel qualifié et
sont peu coûteux, offrent les meilleures perspectives pour les pays en
développement. Le choix du traitement doit reposer non seulement sur les conditions
d’implantation au sein de la communauté, mais aussi sur les utilisations prévues de
l’eau épurée.

Certaines techniques peuvent créer une synergie entre traitement des déchets et des
effluents. Ainsi, le traitement des ordures ménagères par compostage requiert
souvent une phase d’humidification des tas : la mise à disposition d’une eau usée
traitée peut satisfaire ces besoins à moindre coût. Par ailleurs, le traitement des
effluents par lagunage peut conduire à la production de biomasse (macrophytes)
elle-même compostable.

Références bibliographiques
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Adresses des auteurs


Ba Diao Maty, Isra, Centre de développement de l’horticulture, BP 2619, Dakar, Sénégal
Bastianelli Denis, Cirad, département d’élevage et de médecine vétérinaire, TA 30/A, 34398
Montpellier Cedex 5, France

Doucouré Djibrill, Iagu, Liberté 6 extension 5, BP 7262, Dakar, Sénégal

Fall Abdou, Isra, Laboratoire national d’élevage et de recherches vétérinaires, BP 2057,


Dakar-Hann, Sénégal

Fall Abdou Salam, université Cheikh Anta Diop, BP 5005, Dakar-Fann, Sénégal

Farinet Jean-Luc, Cirad, département des cultures annuelles, TA 74/09, 34398 Montpellier
Cedex 5, France

Fleury André, Ensp, 10, rue du Maréchal Joffre, 78009 Versailles Cedex, France

Huat Joël, Cirad, département des productions fruitières et horticoles, TA 50/PS4, 34398
Montpellier Cedex 5, France

Mougeot Luc J.A., Crdi, 250, rue Albert, CP 8500 Ottawa, Ontario, Canada K1G 3H9,
Canada

Moumbélé Michel, Agricongo, BP 1795, Pointe Noire, Congo

Moustier Paule, Cirad, département des productions fruitières et horticoles, TA 50/PS4,


34398 Montpellier Cedex 5, France

Niang Seydou, université Cheikh Anta Diop, BP 5005, Dakar-Fann, Sénégal

Nianogo Aimé, Inera, productions animales, 04 BP 7192, Ouagadougou 04, Burkina

Smith Olanrewaju B., Crdi, 250, rue Albert, CP 8500 Ottawa, Ontario, Canada K1G 3H9,
Canada

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Edition et mise en pages


Service des éditions du Cirad
Dépôt légal : 1er trimestre 2004

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