Regards Pluriels: La Question Éducative Au Burkina Faso

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Sous la direction de •

Félix Compaoré, Maxime Compaoré,


Marie-France Lange et Marc Pilon

La question éducative au Burkina Faso


Regards pluriels

Publié grâce au financement de la coopération suisse


Photo de couverture:
Élèves de CM1, Province du Sanmatenga, Burkina Faso, mai 2004.
IRD Marie-France Lange
CNRST,2007
LA QUESTION ËOUCATIVE AU BURKINA FASO: REGAROS PLURIELS

La question éducative au Burkina Faso


Regards pluriels
Félix Compaoré
(Institut des sciences des sociétés - INSS)

Maxime Compaoré
(Institut des sciences des sociétés - INSS)

Marie-France Lange
(Institut de recherche pour le développement - IRD)

Marc Pilon
(IRD, en accueil à l'Institut supérieur des sciences de la population -
ISSP)
ISBN: 978-2-9520054-2-5
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Sommaire

Préface (Fernand SANOU) 7

Introduction générale (Maxime COMPAORÉ et Marc PILON) 15

Première partie: état des lieux de l'éducation au Burkina 23


L'évolution de la scolarisation au Burkina Faso
(Félix N. D. COMPAORÉ, Michel N. OUÉDRAOGO) 25
L'alphabétisation et l'éducation non formelle au Burkina Faso:
état des lieux (Anatole NIAMEOGO) 51

Deuxième partie : éducation et société 69


Discours sur l'école et représentations du système scolaire à Ouagadougou
(Stéphanie BAUX) 71
Représentation de l'école par les parents au Burkina Faso (Anselme YARO) 85
Education et développement: les enjeux du renforcement
des capacités humaines (Afsata PARÉ / KABORÉ) 107

Troisième partie: accès à la scolarisation : déterminants et disparités 119


De la campagne à la ville, constances et différences dans les déterminants
de la scolarisation des enfants au Burkina Faso (Jean-François KOBIANÉ) 121
La scolarisation au primaire à Ouagadougou:
niveau de disparités (Marc PILON) 145
Travail et trafic des enfants: le cas au Burkina Faso (Frédérique BOURSIN) 161
VIH/Sida et éducation au Burkina Faso:
que savons-nous? (Yacouba YARO) 181
Conditions socio-économiques et rendement scolaire des élèves
sous tutorat à Ouagadougou : une approche des relations entre
la famille « tutorale » et les résultats à l'école (Komla LOKPO) 197

Quatrième partie: langues et éducation 207


Le français: évaluation des niveaux de compétence des scolaires
au Burkina Faso (Anselme YARO et Daniel BARRETEAU) 209
Les langues d'enseignement et l'enseignement des langues au Burkina Faso:
le cas de l'arabe (Mamadou Lamine SANOGO, Hamed ABUHADRA) 223
Pour une alphabétisation durable en milieu peul (Issa DIALLO) 243
Les obstacles sociolinguistiques à l'introduction des langues nationales
dans l'enseignement primaire au Burkina Faso (Abou NAPON) 253
Étude comparative des écoles satellites 1999-2002 (André BATIANA) 265

Conclusion (Maxime COMPAORÉ et Marc PILON) 283

5
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Préface

'atelier de Recherche sur l'Education au Burkina (AREB) m'a fait


L l'honneur de dire un mot de commentaire plus que de présentation
(par ailleurs bien faite dans l'introduction) des fruits de ses réflexions menées
au cours d'un colloque organisé à Ouagadougou du 19 au 22 novembre 2002
sur le thème: « La recherche face aux défis de l'éducation au Burkina Faso ».
En ma qualité de membre fondateur de l'AREB qui a vu le jour en 1999,
je ne pouvais qu'accepter avec plaisir cet honneur - et cette responsabilité -
à défaut d'avoir pu moi-même participer à ces réflexions.
A vrai dire, le thème même du colloque résume toute l'ambition de
l'AREB qui s'est voulu, à sa création, un forum de discussions autour de
recherches achevées et/ou en cours, voire en gestation sur la problématique
éducationnelle au Burkina Faso. Les membres fondateurs avaient la convic-
tion que cette problématique était vitale pour un pays comme le Burkina Faso
qui se classait (et se classe toujours) à la queue du peloton des pays du globe
en grande partie pour et à cause de son système éducatif sur l'Indice du
Développement Humain Durable (IDH) basé sur le taux de croissance éco-
nomique, l'espérance de vie et le niveau d'alphabétisation/éducation.
Le gouvernement burkinabè n'a jamais accepté ce classement qui vient
rougir la couleur verte de ses indicateurs de développement, avec, depuis le
milieu des années 90, un taux de croissance de 5% en moyenne. Il est plutôt
enclin à dire que le classement du PNUD devrait se limiter à l'appréciation
des taux de croissance plus significatifs des efforts faits au lieu de s'étendre
à des éléments sociopolitiques dont la solution dépend de cette croissance.
Cette thèse, implicite, de la primauté de la croissance des secteurs pro-
ductifs a été celle qui a prédominé dans notre pays comme dans les autres
pays africains de la sous-région, après l'euphorie de la première décennie des
indépendances au cours de laquelle on pensait mener le combat sur tous les
fronts y compris celui de l'éducation.
Les désillusions nées des crises sociopolitiques qui ont marqué cette
décennie et qui ont été aggravées par la crise pétrolière ont relégué l'éduca-
tion, sinon aux oubliettes, du moins, au second plan des préoccupations
désormais strictement ou prioritairement économiques.
Il faut dire que cette relégation a été, paradoxalement, encouragée par la
Banque mondiale avec ses exigences d'équilibres macro-économiques et son
ajustement sectoriel éducationnel mettant l'accent sur l'éducation de base en
raison de son taux de rentabilité sociale plus élevé que ceux des deux autres
niveaux à laisser à la charge des bénéficiaires.

7
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

La plupart des gouvernements africains ont interprété cela comme une·


autorisation, voire une injonction internationale à se débarrasser de ces deux
niveaux supérieurs d'éducation pour s'agripper au primaire avec d'autant
plus de ferveur que ce niveau bénéficiait de la manne internationale et per-
mettait à ses gestionnaires d'opérer des retenues plus que moins substan-
tielles comme illustré récemment au Burkina Faso et au Niger.
Les crises qui ont secoué les campus africains, surtout francophones, dans
les années 90 et qui s'originaient dans la détérioration des conditions de vie
et de travail des étudiants et de leurs enseignants, détérioration provoquée par
les Programmes d'Ajustements Structurels (PAS), n'ont pas ébranlé la déter-
mination des gouvernements concernés à maintenir le cap de la primarisation
de la formation des ressources humaines parallèle à celle de l'économie.
A plusieurs reprises, les participants au séminaire déplorent l'absence de
certains thèmes majeurs pouvant mieux éclairer la compréhension du systè-
me et les actions ou décisions politiques pour son développement. Font par-
tie de tels « oublis» les problématiques de la demande d'éducation, des
déterminants de la scolarisation au sein d'un groupe, au profit de telle ou telle
catégorie d'enfants, qu'ils soient ceux des familles concernées ou ceux qui
leur ont été confiés par d'autres parents ou amis (phénomène de confiage).
Leurs explorations sur ces thèmes montrent tout le parti que l'on pourraient
en tirer. Comme le rappellent si bien les organisateurs du Colloque, d'autres
recherches antérieures, notamment la revue critique des études menées au
Burkina Faso sur l'éducation entre 1994 et 1999 réalisée par le Groupe de tra-
vail sur l'analyse sectorielle en éducation du Burkina (GTASE Burkina) en
2000, avaient mis en évidence « un grand déséquilibre dans la couverture du
seeteur par les études ... L'approche sous-sectorielle est privilégiée par rap-
port à l'approche sectorielle. Le sous-secteur de l'éducation de base, notam-
ment de l'éducation formelle, est nettement prédominant ». C'est dire qu'il y
a encore beaucoup de travail à faire dans la recherche éducationnelle!
La question de langues d'enseignement est un thème largement exploré au
cours de ce colloque. Moins sous l'aspect technique classique que sous l'as-.
peet socioculturel et sociopolitique. Avec un vibrant plaidoyer en faveur de
l'arabe utilisé dans les instances internationales au même titre que l'anglais,
le français ou l'espagnol et qui, en plus d'être un outil pédagogique, est aussi
un outil culturel pour la socialisation dans les valeurs islamiques. Avec, sur-
tout, la dénonciation du manque de détermination et de volonté politique
pour l'enseignement en langues nationales. L'initiative dans ce domaine étant
laissée aux ONG nationales ou, plus souvent, internationales en quête de visi-
bilité ou de champ d'eXpérimentation.
Chacune de ces critiques et remarques est parfaitement fondée et renvoie
à cette situation de désengagement de l'Etat de la recherche éducationnelle

8
PRÉFACE

depuis le milieu des années 80 et, plus exactement, depuis la réforme avortée
de 1979-1984, qui avait vu l'introduction des langues nationales et du travail
manuel dans l'éducation de base.
Le Centre de Documentation et de Perfectionnement Pédagogique
(CDPP) qui avait été le fer de lance de la réflexion pédagogique pour le pri-
maire jusqu'au milieu des anné~s 70 avait cédé la place à l'Institut National
d'Éducation (INE). Celui-ci avait amplifié le mouvement d'élargissement
amorcé par le CDPP pour inclure dans ses recherches pédagogiques le secon-
daire, plus précisément certaines disciplines comme le français, l'angl~is,
l'histoire-géographie et les mathématiques. Le milieu des années 70 fut aussi
l'époque où l'on avait (re) mis en place un Conseil supérieur de l'éducation
nationale regroupant les principaux responsables et acteurs du système édu-
catif et chargé de donner les grandes orientations pour le développement et
l'amélioration ·du système comprenant alors essentiellement les deux pre-
miers niveaux, le troisième étant très embryonnaire sur le sol national.
Depuis la quasi-d~onnexion du premier niveau du système éducatif à la
faveur du PAS éducationnel du début des années 90, la dynamique des années
70 s'est estompée. L'éducation de base et l'alphabétisation se sont pratique-
ment repliées sur elles-mêmes aussi bien en termes de focus de recherche-
action qu'en termes de ressources humaines. Les structures nées de la
restructuration de l'INE ne se préoccupèrent plus que d'encadrement et de
perfectionnement pédagogiques assurés par les inspecteurs de l'enseigne-
ment primaire ou d'alphabétisation en langues nationales assurée par d'an-
ciens instituteurs initiés à la transcription des langues, avec l'appui individuel
et sporadique de quelques linguistes universitaires.
L'Institut des Sciences de l'Education (INSE) créé en 1985 s'était assigné
la double mission de formation et de recherche en éducation. Mais jusqu'à
présent, cette dernière mission a été mise en veilleuse au profit de la première
élargie entre-temps à la formation du personnel d'encadrement du primaire.
Ce long rappel historique des « politiques » officielles de recherche
en éducation pour éclairer davantage la pertinence du thème du colloque et
montrer aussi les limites d'une recherche non ancrée dans une politique glo-
bale et prospective de développement du système éducatif. Comme chacun ~
sait, à l'exception très remarquable de celle court-circuitée de 1979-1984, les
réformes éducatives au Burkina Faso, en particulier celle relative à l'éduca-
tion rurale ainsi que celles de différents projets éducation de la Banque mon- .
diale, des écoles satellites ont été d'inspiration exogène (études de faisabilité,
programmation, évaluation) et n'ont pas donné lieu'à une capitalisation d'ex-
périences ni à un renforcement des capacités de chercheurs nationaux.

9
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Comme le souligne justement cet ouvrage, nos gestionnaires de projets


sont sans doute prompts à intégrer les concepts proposés par les partenaires
techniques et financiers, par exemple l'importance de la dimension renforce-
ment des capacités dans les projets de développement, mais ne démontrent
pas, dans la pratique une véritable adhésion à ces concepts et se contentent
d'un vernis extérieur. On pourrait aller plus loin dans la critique en l'étendant
auxdits partenaires qui se montrent parfois inconséquents dans leurs proposi-
tions de réformes éducatives par rapport à leurs propres pratiques et procla-
mations de foi domestiques, mais ne trouvent pas devant eux des gens pour
relever ces inconséquences, par peur, par ignorance ou par complexe.
Ainsi par exemple, l'Afrique vit depuis le début des années 90 un PAS
éducationnel donnant la priorité absolue à l'éducation de base qui serait la
plus socialement rentable. S'il s'agissait d'un souci de démocratisation, il n'y
aurait rien à redire à une telle proposition-orientation de nos systèmes éduca-
tifs. Mais s'il s'agit de rentabilité économique, là proposition est de toute évi-
dence en porte-à-faux par rapport à toutes les professions de foi faites au
milieu des années 90 sur l'importance capitale de l'enseignement supérieur
dans le contexte de l'économie mondialisée qui serait une économie immaté-
rielle dans laquelle la matière grise serait devenue une matière première selon
l'expression heureuse de Robert REICW et, bien avant lui, du Professeur
Joseph KI-ZERBO qui disait en 1972 que « La matière grise est la locomoti-
ve du progrès, surtout dans les pays en développement »2.
Dans son rapport sur le développement du monde de 1998, la Banque
mondiale écrivait que « Plus que dans le patrimoine des connaissances, c'est
dans la capacité à inventer que le décalage se fait sentir. Et les disparités que
font apparaître certains grands indicateurs de la création du savoir sont en fait
bien plus grandes que les écarts de revenu entre pays riches et pays
pauvres »3. Au même moment, l'UNESCO écrivait aussi que « Sans établis-
sements d'enseignement supérieur et de recherche adéquats, permettant de
constituer une masse critique d'individus qualifiés et éduqués, aucun pays ne
peut assurer un authentique développement endogène et durable et les pays
en développement et les pays les moins avancés, en particulier, ne peuvent
espérer réduire l'écart qui les sépare des pays industriellement développés ».

'L'Écorwmie mondia/isée. Paris: DunodINouveaux Horizons, 1993


2 Education et Jéveloppement, in Perspectives, vol. II, n° 4, hiver 1972.

J Banque Mondiale : Rapport sur le développement dans le monde 1998-1999: le savoir au

service du développement, Résumé, 1999. Voir aussi, Banque Mondiale: Constructing


Knowledge Societies. New Challenges for Tertiary Education. International Symposium on
Higher Education Reform, Bangkok, 27 \pril 2004. UNESCO: Déclaration et cadre d'action
prioritaire pour le changement et le développement de l'enseignement supérieur, adoptés par
la Conférence mondiale sur« L'enseignement supérieur au XXIe siècle: vision et actions »,
9 octobre 1998.

10
PRÉFACE

C'est en étant capables de dialoguer avec les partenaires sur la base de


données pertinentes et contrôlables par les différentes parties que nous pour-
rions répondre au vœu de voir l'Afrique disposer de ressources humaines
qualifiées capables de relever ses défis de développement.
A travers plusieurs de ses contributions, l'ouvrage a aussi le mérite de rap-
peler la nécessité de porter un peu plus notre regard sur les autres acteurs du
système éducatif que sont les familles demandeuses (ou non) d'éducation.
Parce que jusqu'ici le regard n'a été porté que sur une catégorie d'acteurs,
certes importants mais non uniques, à savoir ceux qui offrent l'éducation, en
particulier l'Etat, les ONG et les entrepreneurs privés.
Par ailleurs, on peut retenir que l'offre n'était pas toujours et partout le
seul facteur déterminant de la scolarisation dans notre pays et que les parents
choisissaient d'envoyer à l'école une partie et/ou une catégorie déterminée de
leurs enfants en fonction de leur rang de naissance ou du rôle qu'ils sont
appelés à jouer au sein de la famille.
Il est pertinent d'insister sur cet aspect des choses pour équilibrer et rendre
globale et opérationnelle notre vision de la dynamique éducationnelle du
pays. Il faut effectivement voir comment les différents acteurs se positionnent
par rapport au système éducatif, les uns par rapport aux autres. Il est fort pos-
sible qu'il Y ait antagonisme ou correspondance entre les différentes straté-
gies déployées par les uns et les autres. Il est possible, par exemple, que les
filles soient victimes des stratégies de sélection publiques ou privées fami-
liales. Il est possible qu'à la stratégie sélectionniste de l'Etat corresponde ou
réponde une stratégie de ségrégation des familles en défaveur des filles des-
tinées à conserver les liens sociaux traditionnels ce pendant que les garçons
reçoivent mission de tenter l'incertaine insertion dans la nébuleuse moderne.
Selon que l'option politique serait en faveur d'une éducation-bien de
consommation ou d'une éducation-outil de développement national, deman-
de et offre recevront une attention plus ou moins p~iculière.
C'est un peu dans le même esprit de vision globale du jeu des acteurs que
l'ouvrage nous invite à analyser de façon critique le comportement des cher-
cheurs, des populations et, surtout, de l'Etat vis-à-vis de l'importante problé-
matique de l'utilisation des langues nationales dans l'enseignement. Au-delà
du technicisme unilatéral avec lequel les praticiens abordent ce problème,
celui de comment utiliser ces langues interpelle l'Etat sur la nécessité de cla-
rifier les enjeux de cette problématique.
Il s'agit là d'une interpellation, non pas à décréter un choix, mais plutôt à
organiser un débat national, le plus large et le plus franc possible au niveau
des populations pour que le choix final résulte d'une volonté vraiment natio-
nale, populaire. On se rappelle que le dossier initial de la réforme de 1976

11
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

avait prévu l'éventualité d'une décision politique et bureaucratique de l'utili-


sation des langues nationales pour les seuls enfants des autres, des pauvres,
et avait prévenu que « La réforme sera globale. Il n'y aura pas deux écoles,
une pour les riches, une pour les pauvres, une pour les citadins, l'autre pour
les paysans. Les pères et mères d'aujourd'hui qui décident de la réforme déci-
dent pour leurs enfants et no"n pour ceux du voisin. La réforme se réalisera
lorsque les voltaïques seront unanimes à la faire sans qu'aucun n'aille à contre
courant ».
Nous ne pouvons donc pas nous fier aux seuls avantages techniques et
pédagogiques qu'offrent les langues nationales pour en décréter la générali-
sation, au risque de nous heurter, comme en 1979-1984, à un rejet plus ou
moins ouvert aussi bien de la part des populations prétendument bénéficiaires
que, surtout, de la part de l'élite sociale et intellectuelle.
L'ouvrage invite les chercheurs à se pencher sur d'autres thèmes majeurs:
la contribution de l'enseignement privé à la scolarisation, les conditions de
vie et de travail des enseignants de tous les ordres, particulièrement ceux du
secondaire et du supérieur et l'impact de ces conditions sur le rendement sco-
laire, la mal gouvernance et la corruption dans le système éducatif, la deman-
de d'éducation et d'alphabétisation des adultes, l'impact des problèmes de
santé et « l'après école» de ceux, de plus en plus nombreux, qui n'accèdent
pas à l'enseignement secondaire.
Ce sont là des thèmes assurément importants et il en existe certainement
bien d'autres, tellement le champ éducatif est vaste et les défis nombreux et
complexes. Ces défis ne pourront être relevés que si la recherche en éduca-
tion est prise plus au sérieux, est mieux organisée et est soutenue financière-
ment et matériellement, avec des axes prioritaires et prospectifs pour faire de
l'éducation et de la formation des ressources humaines le pilier d'un déve-
loppement économique et social endogène. A l'instar de tous nos partenaires,
en particulier français, qui s'enorgueillissent du fait que « toutes les grandes
réformes mises en place au cours de ces trente dernières années - collège
unique, loi d'orientation, création des ZEP - sortent directement des labora-
toires de recherche », même si les politiques sont loin d'être de simples exé-
cutants des recommandations et résultats de ces recherches, comme le note
Frédérique PASCAL présentant l'analyse de Jean-Louis DERûUET sur
« La construction des politiques d'éducation» in Revue française de péda-
gogie n° 154-20064 • Ces défis ne pourront être relevés sans une détermina-
tion scientifique des chercheurs, leur capacité à engager un débat franc et
sans complaisance entre eux, avec le seul souci d'atteindre la vérité.

4 Frédérique PASCAL: « Le savant et le politique », Le Monde de l'Education n° 351


d'octobre 2006, p. 77.

12
PRÉFACE

Il faut donc remercier les organisateurs de ce colloque, les intervenants,


les participants ainsi que les partenaires qui l'ont rendu matériellement pos-
sible, d'avoir ouvert un chantier, d'en avoir montré l'étendue et la complexi-
té mais aussi l'exaltation d'y participer. Puisse leur appel à plus de
mobilisation scientifique et à plus de détermination - et de clairvoyance -
politique être entendu par tous!
Pr. Fernand SANOU
Sociologue,
Chevalier de l'Ordre du Mérite des Palmes Académiques
Chevalier de l'Ordre National

13
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Introduction générale

Maxime COMPAORÉ*,
Marc PILON**

ans le souci de contribuer à la réflexion pour le développement de


D l'éducation au Burkina Faso, l'Atelier de Recherche sur l'Education
au Burkina Faso (AREB), à travers un partenariat entre l'Institut des Sciences
des Sociétés (INSS) et l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD),
a organisé du 19 au 22 novembre 2002 à Ouagadougou un colloque national
sur le thème « La recherche face aux défis de l'éducation au Burkina Faso »'.
Le présent ouvrage fait suite à ce colloque en publiant une sélection des tra-
vaux qui y ont été présentés.
Dans un contexte africain marqué par une crise des systèmes éducatifs, et
un contexte national caractérisé entre autre par le démarrage du Plan
Décennal de Développement de l'Education de Base (PDDEB) et la refonda-
tion de l'Université, ce colloque visait un double objectif: d'une part, il
s'agissait de contribuer à un état des lieux de la recherche en éducation; et
d'autre part, d'identifier des axes prioritaires de recherche au regard des défis
posés par l'éducation au Burkina Faso.
Avant de présenter le contenu de l'ouvrage, nous vous donnons un aperçu
de l'état de la recherche en éducation au Burkina Faso.

La recherche en éducation au Burkina Faso


Depuis 1978, l'organisation de la recherche scientifique et de l'enseigne-
ment supérieur au Burkina Faso revient au Ministère des enseignements
secondaire, supérieur et de la recherche scientifique (MESSRS). Panni les
structures intervenant dans la recherche en éducation, on peut citer:
- les structures publiques d'enseignement et de recherche: l'Université de
Ouagadougou (UO), le Centre national de la recherche scientifique et tech-
nologique (CNRST) et l'Ecole normale supérieure de Koudougou (ENSK) ;

* Historien, INSS/CNRST, Chargé de recherche


** Démographe, IRD-UERD, Directeur de recherche

1 Ce colloque a reçu le soutien financier des coopérations suédoise, suisse et française, du


CNRST, de l'IRD et de l'ONG Aide et Action. Plus d'une trentaine de communications ont
été présentées au cours des différentes séances. À la diversité des sujets traités s'ajoute
aussi celle des disciplines représentées: sociologie, anthropologie, démographie, économie,
pédagogie, linguistique, sciences de l'éducation, etc,

15
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

- les structures chargées de recherche dans les différents ministères: Direction


de la recherche et du développement pédagogique (DRDP), l'Institut national
d'alphabétisation (INA), l'Institut national de la statistique et de la démographie
(INSD) ;
- les structures internationales de recherche: l'Institut de recherche pour le
Développement (IRD).
Chacune de ces structures travaille dans son domaine à travers la mise en
œuvre de programmes spécifiques impliquant parfois des chercheurs d'autres
structures. Dans la plupart des cas, les résultats de la recherche sont peu
connus et leur utilisation également limitée. Faute d'une base documentaire
consistante sur les travaux de recherche en éducation au Burkina Faso, il est
très difficile de brosser un état des lieux qui soit réellement représentatif de
la recherche existante. Sur la base des informations disponibles, quelques
tendances peuvent cependant être dégagées.
Ainsi par exemple, la revue critique des études menées au Burkina Faso
sur l'éducation entre 1994 et 1999 réalisée par le Groupe de travail sur l'ana-
lyse sectorielle en éducation du Burkina (GTASE Burkina) en 2000 a permis
de répertorier deux cent vingt sept (227) études 2 • Cette revue a révélé un
grand déséquilibre dans la couverture du secteur par les études. Ainsi par
exemple, l'approche sous-sectorielle est privilégiée par rapport à l'approche
sectorielle. Le sous-secteur de l'éducation de base, notamment de l'éducation
fonnelle, est nettement prédominant. La période des ajustements structurels aura
consacré ces pratiques où le développement de l'éducation de base devint une
priorité absolue au détriment des sous-secteurs des enseignements secondaire et
supérieur, jugés très peu rentables en raison des coûts élevés de la formation.
L'analyse des études répertoriées fait ressortir également des disparités
dans les thèmes abordés. Ainsi, les thèmes les plus étudiés portent sur les
stratégies et les politiques éducatives, l'éducation des filles, l'éducation non
formelle, l'évaluation et la qualité du service éducatif. Par contre, la deman-
de d'éducation, les inégalités d'accès à l'éducation selon le revenu des
parents, sont des thèmes quasiment inexplorés. La revue a ainsi identifié un
certain nombre de problèmes dans l'analyse sectorielle. Parmi ces problèmes,
on peut citer le manque de visibilité des études réalisées, la faible utilisation
des résultats des études par les décideurs, le manque de concertation dans la
formulation et l'exécution des études non seulement entre les services de
l'Etat mais aussi entre ses services et les partenaires techniques et financiers.

2 Ilboudo E., Compaoré M. el al., Revue de l'analyse sectorielle en éducation au Burkina Faso,
1994-1999, GTASE/UNESCO, 2001, ISOp.

16
INTRODUCTION GÉNÉRALE

A l'occasion du colloque organisé par l'AREB en 2002, une base de don-


nées bibliographiques des mémoires de fin d'études et de maîtrise a été réa-
lisée. Certes, il ne s'agit pas d'une recherche de haut niveau; les moyens des
étudiants sont souvent très limités, les approches méthodologiques n'ont
généralement pas la rigueur attendue d'une recherche de niveau 3 e cycle.
Néanmoins, ces travaux existent, peuvent constituer une sorte de première
étape vers une recherche plus approfondie et apportent très souvent des maté-
riaux originaux. Ainsi par exemple, dans le cadre des mémoires de fin
d'études d'élèves-inspecteurs, le regard et l'analyse du praticien peuvent être
riches d'enseignements. Produits à une fin académique et moins reconnus
scientifiquement, tous ces mémoires restent largement ignorés. Un total de
six cent quatre vingt dix huit (698) documents ont ainsi été recensés entre
1975 et 2002 dans les centres de documentation suivants:

Ecole des cadres administratifs et pédagogiques (ECAP) 305


Ecole nationale d'administration et de magistrature (ENAM) 156
Bibliothèque centrale de l'Université de Ouagadougou 141
Bibliothèque du Département de psychologie et sociologie 33
Bibliothèque de l'UFR Sciences économiques et de gestion 28
Bibliothèque de l'Ecole normale supérieure de Koudougou (ENSK) 28
Bibliothèque du Département d'histoire et archéologie 8
Ecole nationale des régies financières (ENAREF) 4
Bibliothèque du Département d'arts et communication 1
Autres 2

On devine à travers cette répartition la contribution relative des différents


champs disciplinaires ou thématiques. Les mémoires relevant de l'ECAP
touchent essentiellement aux questions d'ordre pédagogique ; ceux de
l'ENAM renvoient aux questions portant sur l'administration de l'éducation
et l'intendance; au niveau de l'Université de Ouagadougou, les champs
disciplinaires les plus concernés sont : sociologie, lettres et philosophie,
économie, psychologie, linguistique, sciences de j'éducation, droit, médecine,
sciences et techniques de l'information.
Une première analyse des thèmes abordés par ces mémoites révèle les
constats suivants:
- environ un dixième des mémoires portent sur l'alphabétisation et notam-
ment l'alphabétisation fonctionnelle;
- le préscolaire fait l'objet d'une attention encore très marginale (avec moins
de 10 références).

17
LA QUESTION ËDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

- au sein du système fonnel, le nombre de références décroît lorsque l'on


passe du niveau primaire au secondaire puis au supérieur. Pour le secondai-
re, les travaux s'intéressent surtout à l'enseignement général;
-les secteurs public et privé sont couverts; les travaux sur le privé renvoient
assez souvent au niveau secondaire;
- les sujets traités sont très diversifiés;
-les sujets sont souvent abordés en terme de bilan (critique), de perspectives
et de propositions de stratégies;
- on trouve à la fois des sujets à portée nationale, d'autres sur des entités
administratives spécifiques (région, province, département, circonscription
scolaire, ville, village): d'autres encore sur des aires socio-culturelles (pays
moaga, pays dagara, pays gulma, pays san, etc.) ;
- environ un dixième des mémoires portent explicitement sur la capitale,
Ouagadougou.
A ces travaux, il faut ajouter une trentaine de thèses (3° cycle, nouveau
régime, PhD, doctorat d'Etat) soutenues dans le domaine de l'éducation.
Comme l'a révélé la revue documentaire citée plus haut, il apparaît ainsi
très clairement qu'au Burkina Faso, comme dans les autres pays africains, la
connaissance du phénomène éducatif demeure essentiellement axée sur
l'offre: politiques éducatives, fonctionnement des systèmes scolaires, finan-
cement de l'éducation, etc.
La demande d'éducation suscite en revanche un intérêt bien moindre, tant
de la part des décideurs que des chercheurs. Au delà du constat général d'une
sous-scolarisation rurale et féminine, on sait encore peu de choses sur les pra-
tiques familiales en matière de scolarisation: quels enfants scolarise-t-on ou
non au sein des ménages? comment agissent des facteurs tels que le statut
familial des enfants, les caractéristiques des chefs de ménages, la structure
des ménages, leurs conditions d'habitat, le besoin de main-d'œuvre à des fins
domestiques et productives, mais aussi les facteurs liés à l'école, etc.
On peut aujourd 'hui recenser environ une cinquantaine de références de
travaux de recherche qui abordent, plus ou moins directement, la question des
déterminants de la scolarisation. L'intérêt pour le sujet apparaît récent, avec
la plupart des études menées depuis les années 1990. Ces travaux sont de
nature très diverse: mémoires de fin d'études et de maîtrise; rapports d'étu-
de commandités par les ministères et/ou des institutions intemationales
(UNESCO, UNICEF, Banque mondiale), voire des ONG (Cathwel) ; thèses
et articles scientifiques.
Depuis quelques années, les démographes manifestent un intérêt croissant
pour cette problématique des pratiques familiales en matière de scolarisation.

18
INTRODUCTION GÉNÉRALE

Leur démarche qui s'inscrit dans le cadre du réseau « Famille et scolarisation en


Afrique» (FASAF) repose sur le principe d'une analyse secondaire des sources
de données (non scolaires) existantes que sont les recensements de la population
et les enquêtes sociodémographiques. Les analyses déjà effectuées à partir de
ces sourcesde données apportent des résultats très intéressants et révèlent un fort
potentiel d'analyse. Ont ainsi été mis en lumière des différences de scOlarisati<?n
selon le statut familial des enfants (la relation entre confiage des enfants et sco-
larisation), le se~e du chef de ménage, la structure démo-économique des
ménages, les conditions d'habitat, etc. La problématique du genre (gender
issues) appanu"t essentielle à la compréhension des comportements.

De quelques regards sur la question éducative


au Burkina Faso
Dans la première partie de l'ouvrage, deux contributions font le point sur
l'évolution et l'état des lieux d'une part de la scolarisation, d'autre part de
l'alphabétisation et de l'éducation non formelle au Burkina Faso.
Félix Compaoré et Michel Ouédraogo, après quelques rappels historiques
relatifs aux politiques éducatives, retracent l'évolution de la scolarisation,
tant au niveau primaire que secondaire et supérieur depuis 1960.
De son côté, Anatole Niaméogo, après avoir évoqué les grandes lignes des
politiques d'éducation non formelle, brosse un état des lieux de l'alphabéti-
sation et de l'éducation non formelle à partir des sources de _données exis-
tantes. Si ces deux contributions donnent la mesure des progrès accomplis,
elles soulignent aussi tout le chemin qui reste à parcourir pour atteindre
« l'éducation pour tous ».
La deuxième partie renferme des contributions sur les relations entre édu-
cation et société en insistant sur les représentations sociales de l'école. Le texte
de Stéphanie Baux analyse à la fois les discours et les représentations du systè-
me scolaire à Ouagadougou. L'analyse révèle des déficits de communication
entre les décideurs des politiques éducatives et le personnel enseignant d'une
part et entre ce personnel enseignant et les parents d'élèves d'autre part.
Pour sa part, Anselme Yaro montre tout l'intérêt scientifique qu'il y a à
étudier les représentations de l'école construite par les parents, mais aussi
l'intérêt pratique d'une meilleure connaissance de ces représentations- dans la
perspective de l'amélioration de la participation des communautés de base à
l'action éducative.
Le troisième texte, celui de Afsata ParélKaboré, insiste sur les liens qui
s'établissent entre éducation et développement. Pour l'auteur, le développe-
ment et l'investissement dans le secteur de la formation sont indispensables
pour assurer le développement durable d'une part et la lutte contre la pau-
vreté d'autre part.

19
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

La troisième partie de l'ouvrage traite de diverses formes de disparités


spatiales et d'inégalités sociales en matière de scolarisation.
A partir des données d'une enquête nationale, Jean-François Kobiané
identifie et hiérarchise différents facteurs susceptibles d'influer sur la fré-
quentation scolaire au primaire. Ses résultats mettent en lumière à la fois des
constances et des différences entre les milieux rural et urbain et selon le sexe
des enfants. Pour l'auteur, l'offre scolaire en tant que telle aussi bien que les
facteurs économiques, sociaux et culturels ont des effets différenciés selon le
milieu de résidence et le genre.
En ce qui concerne le milieu urbain et plus particulièrement la capitale,
des analyses appropriées du dernier recensement de la population et des sta-
tistiques scolaires permettent à Marc Pilon de montrer que si Ouagadougou
présente le niveau de scolarisation le plus élevé du pays, cela s'accompagne
de fortes disparités intra-urbaines, à la fois spatiales et socio-économiques, au
détriment des zones périphériques, des populations les plus démunies et des
filles issues du milieu rural confiées à des familles de la capitale.
Sur la base des études existantes, Frédérique Boursin retrace l'évolution du
travail des enfants au Burkina Faso. Tout en rappelant la pratique ancienne de la
socialisation par le travail, notamment à travers la pratique du confiage, l'auteur
met en lumière les nouvelles formes que prend le travail des enfants, et
particulièrement les situations d'exploitation et de trafic des enfants à des fins
économiques et/ou sexuelles qui surviennent dans un contexte économique,
social et géographique en pleine mutation ; elle examine aussi la manière
dont le Burkina Faso a traduit son engagement en faveur de l'abolition du tra-
vail des enfants y compris dans ses pires formes.
Le VIH/sida constitue une autre source d'inégalités en matière de scolari-
sation. Après avoir caractérisé l'ampleur de l'épidémie au Burkina Faso,
Yacouba Yaro montre de quelle manière à la fois le système scolaire notam-
ment au niveau des enseignants et la demande scolaire au niveau des effets et
des familles sont affectées par le VIH/Sida. Il évoque aussi le rôle que peut
jouer l'école elle-même dans la lutte contre le VIH/sida et les initiatives
entreprises par le monde associatif dans ce domaine.
Placer son enfant auprès d'un parent dans une famille d'accueil à des fins
de scolarisation est une pratique sociale assez répandue dans la ville de
Ouagadougou. Les résultats d'une approche sociologique, bien qu'explora-
toire, permettent à Komla Lokpo de montrer clairement la pertinence et l'in-
térêt du problème dans un contexte urbain. Ces résultats révèlent en effet une
grande diversité de situations et des interactions complexes de facteurs mul-
tiples influant sur le déroulement de la scolarité de ces enfants sous tutorat.
La quatrième partie de l'ouvrage s'intéresse à l'évaluation des compé-
tences et à la question linguistique dans le système éducatif burkinabé.

20
INTRODUCTION GÉNÉRALE

Daniel Barreteau et Anselme Yaro se sont penchés sur les niveaux de


compétence en français avec des exemples portant sur les moyennes indivi-
duelles des élèves, les moyennes générales par niveau d'étude et par zone. Ils
concluent que la réussite et l'échec à l'école sont des phénomènes scolaires
certes, mais que les racines proviennent aussi de la société.
Sur la question des langues d'enseignement au Burkina Faso, Mamadou
Lamine Sanogo et Hamed Abuhadra décrivent l'histoire de la langue arabe
dans l'Afrique noire de façon générale et dans les contrées musulmanes du
Burkina Faso en particulier. En substance, les auteurs font observer que si la
politique linguistique du Burkina Faso se caractérise par une hégémonie de
fait du français, il faut retenir que les autres langues remplissent des fonctions
ou représentent certains symboles, rôle que ne peut pas toujours assurer le fran-
çais. C'est ainsi le cas de l'arabe, une langue qui incarne les valeurs de l'islam.
A partir d'enquêtes effectuées en milieu fulaphone, Issa Diallo fait res-
sortir des statistiques assez mitigées de la durabilité des acquis de l'alphabé-
tisation, rappelant ainsi la nécessité de la création d'un environnement lettré
dans les zones alphabétisées. Il en conclut que le réel développement d'un
environnement lettré, à savoir la possibilité effective pour les alphabétisés
d'avoir accès à des documents écrits dans leur langue d'alphabétisation, est
une condition indispensable au maintien des acquis.
Pour sa part, Abou Napon propose un examen des problèmes sociolin-
guistiques qui entravent la bonne application des différentes décisions en
matière de promotion des langues nationales au Burkina Faso. L'auteur
dénonce l'absence d'une politique linguistique claire en faveur de l'utilisa-
tion des langues nationales dans le système d'éducation formelle. Il fait ainsi
observer la frilosité de l'Etat dans ce domaine en rappelant que la plupart des
expériences en matière de promotion des langues nationales est l'œuvre
d'ONG, d'Associations ou d'institutions internationales.
Au sujet des innovations pédagogiques, la contribution de André Batiana
analyse les résultats d'une évaluation sur les écoles satellites (ES). Ces écoles
abritent une expérimentation éducative qui, dans les objectifs de départ ,
devrait conduire à l'avènement d'une nouvelle école au Burkina Faso.
L'auteur fait observer que entre 1999 et 2002, on assiste à une forte baisse au
niveau des moyennes des élèves dans les écoles satellites que dans les écoles
classiques. Il explique cette baisse par le manque de motivation financière
des enseignants communautaires des écoles satellites et l'absence de statuts.
Telles sont, en résumé, les grandes articulations de cet ouvrage qui pro-
pose des regards croisés de chercheurs de plusieurs disciplines sur la question
éducative au Burkina Faso.

21
Première partie
État des lieux de l'éducation
au Burkina Faso
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

L'évolution de la scolarisation au Burkina Faso

Félix N. D. COMPAORÉ* et Michel N. OUEDRAOGO**

Introduction
Le Burkina Faso compte parmi les pays ayant des taux de scolarisation les
plus bas au monde. En 2002, selon l'annuaire statistique de la Direction des
études et de la planification (DEP) du Ministère de l'enseignement de base et
de l'alphabétisation (MEBA), le taux brut de scolarisation était de 47,5 %.
Face à ce faible taux de scolarisation et à sa lente évolution depuis 1960,
l'Etat et les partenaires au développement tentent ensemble de trouver des
solutions durables.
L'école burkinabè concentre depuis plusieurs années trois maux qui ont
une grande influence sur les ambitions de développement du pays. Il s'agit de
la faiblesse du taux de scolarisation, de la médiocrité des rendements internes
et externes, de l'insuffisance des capacités de gestion, d'administration et de
planification du système éducatif. En outre, le système se caractérise par son
iniquité et sa sélectivité. L'entrée en vigueur du Programme décennal de
développement de l'éducation de base (PDDEB) en 2001 vise à combattre
tous ces maux qui assaillent le système éducatif bukinabè.
Depuis plus d'une quarantaine d'années, l'Etat burkinabè est confronté
aux questions d'accroissement des capacités d'accueil en raison de la pres-
sion de la demande en éducation. Le Plan d'ajustement structurel (PAS) en
1991, tout comme la dévaluation du franc CFA en 1994 ont eu une inciden-
ce sur l'expansion de la scolarisation, notamment aux niveaux secondaire et
supérieur.
En dépit de la constance des efforts déployés depuis lors, on constate
qu'un nombre encore important des enfants de la tranche d'âge de 7-12 ans
n'ont toujours pas accès à l'école. L'enseignement secondaire enregistre en
2002 moins de 13 % de taux brut de scolarisation, tandis qu'au supérieur
celui-ci est plus que catastrophique, moins de 1 %.

* Sciences de l'éducation. Chargé de recherche à l'INSS/CNRST


** Planificateur en éducation, Ingénieur de recherche à ]'INSS/CNRST

25
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

AI'évidence, depuis la conférence d'Addis-Abéba (Ethiopie) en 1961


préconisant une scolarisation universelle, suivie de « l'Education Pour Tous»
lancée en 1990 à Jomtien (Thaïlande) et renouvelée à Dakar (Sénégal) en
2000, le chemin de l'expansion de la scolarisation reste encore long.
L'objectif de ce travail est de présenter l'évolution de la scolarisation au
Burkina Faso depuis 1960 jusqu'en 2001. Il prend en compte les trois
niveaux d'enseignement. Après un bref rappel du contenu des politiques édu-
catives, nous présentons l'évolution d'ensemble des infrastructures, des
effectifs d'élèves et d'enseignants.

Evolution des politiques éducatives au Burkina Faso


L'évolution des politiques éducatives au Burkina Faso se place dans une
dynamique régionale et mondiale et ne peut être appréhendée sans se référer
aux grands débats passés ou en cours sur l'éducation. Ces débats menés au
plan international ont nécessairement influé et influent toujours sur la poli-
tique éducative du Burkina Faso.
Dans ce sens, nous pouvons citer les conférences d' Addis-Abéba en 1961,
de Lagos en 1976, de Hararé en 1982, de Jomtien en 1990 et enfin celle de
Dakar en 2000, sans oublier les différentes conférences des ministres de
l'éducation (CONFEMEN) des pays membres de la francophonie qui se tien-
nent régulièrement.
Il faut rappeler que le plan d'Addis-Abéba (1961) sus-cité,« dans un élan
de générosité dont le but était de pallier la situation catastrophique de l'édu-
cation en Afrique, prévoyait en vingt ans, pour l'ensemble du continent, d'une
part, la généralisation de l'enseignement primaire, ce qui supposait un taux
annuel de progression de 5,6 % et d'autre part, un taux de scolarisation de 23 %
dans l'enseignement secondaire et de 2 % pour l'enseignement supérieur. »
(UNESCO, 1982, p.7).
A l'instar des autres pays africains, le Burkina Faso s'était donc fixé
comme objectif de parvenir à une scolarisation totale de ses enfants dans les
délais prévus. Or, son taux de scolarisation atteignait à peine 6,5 % en 1961.
Assurer une scolarisation totale en vingt ans revenait à combler un déficit d'en-
viron 93,5 %. Pendant 19 ans donc, il fallait obligatoirement réaliser un gain
annuel de 4,9 points quels que soient les circonstances, les moyens et les fac-
teurs. Atteindre 100 % de taux de scolarisation ne serait-il pas un pari audacieux
quand on sait que la population scolarisable en Afrique est galopante?
Selon Yaro K. Y. (1994: 95), le taux d'accroissement de 1960 à 1966 fut
spectaculaire. Ainsi, on enregistrait à cette période un taux d'accroissement
de 13 %. Malheureusement, à la rentrée 1966-1967, ce taux d'accroissement
de la population scolaire chutait à 2 % alors que l'UNESCO préconisait une

26
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

progression de 5,6 points l'an. Comme explication avancée pour cette chute
de la population scolaire, il faut se référer à la grave crise économique qui a
frappé le Burkina à partir de 1965 conduisant celui-ci à prendre des mesures
drastiques concernant le train de vie de l'Etat l .
Cette politique d'austérité a conduit à l'élaboration d'un plan cadre de
développement en 1967. Celui-ci stipulait que : « dans les circonstances
actuelles, en raison de la limitation très stricte des ressources humaines et
financières que la nation peut consacrer à son enseignement, l'éducation est
un bien coûteux et rarè dont tout le monde ne peut disposer selon ses propres
moyens ou ses propres désirs. C'est pourquoi, la planification de l'éducation
doit porter sur l'ensemble du système éducatif et relier son développement
aux besoins et objectifs du pays sur le plan économique et social. La crois-
sance démographique conjuguée avec la soif montante d'instruction pousse
des effectifs de plus en plus nombreux vers les portes des écoles. Dans l'im-
possibilité de les recevoir tous, il faut s'organiser pour sélectionner les
meilleurs éléments et en accueillir le plus grand nombre ».Selon Compaoré
N.D.F. (1997: 152),« à la lumière d'une telle politique sélective, il n'est pas
étonnant que les effectifs et les taux de scolarisation soient aussi faibles pour
le Burkina ».11 est bon de souligner que le système scolaire connaissait déjà
des difficultés d'expansion tant au primaire qu'au secondaire et que les
concours d'entrée en seconde et en sixième ont été instaurés depuis cette
période pour limiter le nombre de ceux qui seront accueillis dans le niveau
secondaire.
A la fin de la décennie 1960-1970, une crise mondiale (Coombs,1968)
frappe l'éducation tant au niveau des pays développés que de ceux sous-
développés comme le Burkina Faso. En tennes de stratégie de sortie de crise, le
Burkina Faso va s'engager dans une réfonne de son système éducatif. Ainsi, la
décennie 1970-1980 est marquée par une remise en cause générale du système
éducatif burkinabè avec la conviction qu'il ne saurait se développer sans une
refonte des programmes, des méthodes d'enseignement et une révision des
modes et des sources de financement de l'éducation. Cette décennie sera donc
marquée par une réfonne du système éducatif. Initiée, à partir de 1972, elle ne
sera mise en application qu'à partir de 1979 dans des écoles expérimentales.
Entre autres objectifs, l'on prévoyait dans cette réfonne de :
- démocratiser le savoir en entreprenant l'éducation des masses par la scola-
risation et l'alphabétisation en vue d'atteindre 50 % (1977-1987) de taux de
scolarisation au niveau de l'enseignement élémentaire de base pour les
deux sexes;

1 Cette période fut appelée la « garangose » du nom du Ministre des finances de l'époque.

27
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

-lancer en même temps un programme national d'élimination de l'analpha-


bétisme.
A travers ces objectifs, on peut facilement se rendre compte que la préoc-
cupation concerne une fois de plus l'expansion du système éducatif au cours
de la décennie 1970-1980. Malheureusement, cette décennie sera également
marquée par des crises au niveau du système éducatif, de l'économie et de
la politique. La conjonction de toutes ces crises créera un contexte particulier
non favorable au développement d'un système éducatif harmonieux. Ainsi,
l'expérimentation de la réforme sera interrompue par le régime révolution-
naire sans une évaluation conséquente.
A partir de 1983, la scolarisation va connaître des taux d'accroissement
importants en dépit de la situation d'exception que vit le Burkina Faso. Les
nouvelles autorités du Conseil national de la révolution4 (CNR) en place vont
afficher une volonté politique de démocratiser l'accès à l'éducation en s'ap-
puyant sur la mobilisation du peuple autour des mots d'ordre révolution-
naires tels que: « un village, une école », « un département, un collège
d'enseignement général », « une province, un lycée ».
Malgré la persistance d'une mauvaise conjoncture économique, la crois-
sance du taux de scolarisation se poursuivra jusqu'à la fin des années 1980.
Au niveau de l'enseignement secondaire, les comportements révolutionnaires
vont favoriser un développement du secteur public dans les années 1990 où '
l'augmentation de l'offre est encore plus forte que sous la révolution (Pilon
et Wayack, 2004).
En dépit des efforts fournis par les autorités du Burkina Faso, le taux de
scolarisation à tous les niveaux restera en-dessous de celui préconisé par
la conférence d'Addis-Abéba. Les efforts menés au cours de la décennie
1990-2000 permettront de relever les taux sans pour autant assurer l'atteinte
de la scolarisation universelle. Au Burkina Faso comme dans les autres pays
de la zone franc, cette décennie est toutefois marquée par une baisse drastique
du pouvoir d'achat des ménages à cause des effets pervers de la dévaluation
du franc CFA et du Programme d'ajustement structurel (PAS).
Face à cette situation, l'Etat va entreprendre une politique nouvelle en se
tournant vers de nouveaux acteurs sociaux tels les ONG, la société civile, les
collectivités locales et le secteur privé pour les encourager à investir dans le
système éducatif. Tout en conservant un rôle prépondérant dans la gestion de
l'offre et de la demande d'éducation, l'Etat va se positionner également
comme le régulateur du système éducatif.

2 Organe dirigeant du Burkina Faso de 1983 à 1987, sous le Président Thomas SANKARA.

28
ÉTAT DES LIEUX DE l'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

A partir des années 1990, la recherche des solutions appropriées pour l'at-
teinte de l'éducation universelle conduira les autorités politiques burkinabé à
élaborer, en lien avec les partenaires de l'éducation, deux plans dans le sec-
teur de l'éducation. Il s'agit:
- du Plan décennal de l'enseignement post-primaire 1996-2005 qui vise 25 %
de taux de scolarisation au secondaire à l'orée 2005 (pendant qu'en 2001,
ce taux de scolarisation n'était que de 11 ,90 %) ;
- du Programme décennal de développement de l'éducation de base
(PDDEB) 2001-2010 qui prévoit à tennes un taux de scolarisation de 70 %
au primaire et un taux d'alphabétisation de 40 %.

L'évolution de l'enseignement primaire


Depuis 1960, année de l'accession du Burkina Faso à l'indépendance, la
politique éducative du pays a été focalisée sur :
-le développement quantitatif du système éducatif qui doit pennettre l'accès
de tous les citoyens au savoir ;
-l'amélioration de l'efficacité du système;
-l'adéquation du système avec l'environnement culturel et économique des
apprenants.
Si ces trois axes sont demeurés des préoccupations constantes des régimes
successifs qui ont eu la charge de la gestion de l'éducation en général, du
sous-système de l'enseignement primaire en particulier, force est de consta-
ter que les stratégies développées ont comporté des différences notables.
A cet effet, on peut distinguer trois périodes marquantes de l'histoire du
système éducatif burkinabè de 1960 à 2001 . Ces trois périodes significatives
sont:
- 1960-1982 : la période de l'autoajustement ;
- 1983-1990 : la période des régimes d'exception qui peut être scindée en
deux sous-périodes, celles du Conseil National de la Révolution et du Front
Populaire;
- 1991-2001 : la période des ajustements structurels.
Au cours de ces trois phases, l'évolution du système éducatif est percep-
tible à travers des indicateurs comme le nombre des infrastructures, l'évolu-
tion des effectifs d'élèves, d'enseignants et les taux de scolarisation
(pédagogie).

29
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Au niveau des infrastructures


Les salles de classe et les groupes pédagogiques
Le nombre de salles de classes s'est régulièrement accru, passant de 1 068
à 19 252 entre 1960 et 2001, soit un taux d'accroissement moyen annuel de
7,3 %. Pour l'analyse des infrastructures scolaires, nous utilisons le groupe
pédagogique comme unité d'analyse dans la mesure où une classe peut conte-
nir un ou plusieurs groupes pédagogiques.
En effet, depuis 1992, la réorganisation du système pédagogique s'est tra-
duite par l'introduction des groupes pédagogiques2 dans l'enseignement pri-
maire. Toute analyse portant sur les infrastructures scolaires et notamment les
salles de classe doit se fonder sur le groupe pédagogique qui en est l'unité de
base.
Les groupes pédagogiques multigrades et à double flux ont été introduits
dans l'enseignement primaire en 1992 à la faveur du programme d'ajuste-
ment structurel et notamment du N'projet d'éducation qui en avait fait une
conditionnalité.
La classe à double flux est appliquée dans les cas de grands effectifs. Le
groupe d'élèves d'un même niveau pédagogique est scindé en deux cohortes.
Elles alternent matin et après-midi dans l'occupation de la salle de classe
avec le même enseignant. Les écoles abritant des classes à double flux sont
le plus souvent situées en zone urbaine pour absorber les grands effectifs.
La classe multigrade est instituée dans les situations de faibles effectifs
scolaires pour rationaliser l'utilisation des enseignants et des salles de
classes. La classe multigrade comporte deux niveaux pédagogiques qui reçoi-
vent ensemble l'enseignement dispensé par le même maître. Les écoles abri-
tant des classes multigrades se rencontrent surtout en zone rurale du fait des
faibles effectifs scolaires qui y sont fréquemment rencontrés. Ainsi, la classe
à double flux et la classe multigrade accueillent chacune deux groupes péda-
gogiques.
Le graphique nOl présente la répartition des 24 813 groupes pédagogiques
que comptait l'enseignement primaire en 2001. Le flux simple représentait la
grande majorité avec 55 %. Le multigrade et le double flux suivent respecti-
vement avec 35 et 10 % du nombre total des groupes pédagogiques.

l Le groupe pédagogique désigne 'In groupe d'élèves d'un même niveau recevant dans un
même lieu et au même moment l'enseignement d'un maître.

30
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

Poids de chaque groupe pédagogique


16000
<Jl
0
::::l
14000
0-
'bb 12000
0
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"'"
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0.
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0
.D
4000

E 2000
0
Z
0
Double flux Multigrades Flux simple

Groupes pédagogiques

Graphique 1. Répartition des groupes pédagogiques dans l'enseignement


primaire en 2001 .
Sources: Base de données DEP/ MEBA.

Les établissements
A l'instar des salles de classes et des groupes pédagogiques, le nombre
des établissements a connu une croissance régulière, passant de 411 en 1961
à 5389 en 2001. Le rayon d'action moyen d'une école qui était de 14,6 km
en 1961 est tombé à 4 km en 2001. Il convient cependant de souligner qu'à
cette même date (2001) dans les provinces à faible densité telles que la
Kompienga, l'Oudalan, la Komandjoari, la Tapoa, le Yagha, le Sourn et le
Gourma, le rayon moyen d'action d'une école était encore élevé, variant
entre 10 et 6,1 km 2 •
Le graphique n° 2 qui présente l'évolution du nombre d'établissements
fait apparaître une longue période de stagnation qui va jusqu'en 1981. C'est
après cette année que le rythme d'ouverture des écoles s'accélère pour se
maintenir jusqu'en 2001.

, Ces sept provinces figurent parmi les moins scolarisées du pays.

31
LA QUESTION EDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

, Z. :5 '" S 6 7 8 9 la 11 12 13 1'" 15 16 17 la 19 Z 2'1 2 2 2 Z Z Z 2 2 3 " ! J S 3 :5 ~ .3 3 '" ""

Graphique 2. Evolution du nombre d'écoles de 1961 à 2001.

Le statut des établissements


En considérant les établissements selon le statut, les écoles publiques
constituent l'écrasante majorité avec 87,2 %. Elles sont suivies par les écoles
franco-arabes/médersas et les écoles privées laïques qui représentaient res-
pectivement 5,7 et 4,1 % du réseau scolaire national en 2001.
Plusieurs initiatives s'inscrivant dans le cadre de la recherche de nouvelles
stratégies de développement de l'enseignement primaire ont permis d'expé-
rimenter et de mettre en place des formules éducatives alternatives. Leur spé-
cificité réside dans l'utilisation de personnel enseignant à statut particulier,
l'utilisation des langues locales en alternance avec le français, J'introduction
d'activités productives à l'école, la gestion communautaire, etc. Si elles pré-
sentent quelques différences avec J'école classique, du point de vue du statut,
ces écoles sont en général publiques comme par exemple les écoles satellites
et les écoles bilingues; elles sont privées dans le cas des écoles communau-
taires.
Localisation des établissements
Concernant la localisation, 4 139 établissements représentant la grande
majorité (77 %) se trouvent en zone rurale. A l'exception des écoles méder-
sas, les autres écoles à statut privé sont situées pour la plupart en zone urbai-
ne. On peut retenir comme le révèle le tableau 1 que l'école privée est un
phénomène essentiellement urbain. A titre d'exemple, le réseau scolaire de
Ouagadougou, le principal centre urbain du Burkina était constitué à 42,4 %
par les établissements privés.

32
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

Tableau I. Localisation des écoles en 2001 .


Ecoles % Ecoles % Total Pourcentage
urbaines rurales du total
Médersas 125 10 183 4,4 308 5,7
Privées catholiques 62 5 19 0,5 81 1,5
Privée laïques 205 16 18 0,4 223 4,1
Privées protestantes 57 5 23 0,6 80 1,5
Publiqu~s 801 64 3896 94,1 4697 87 ;l
Total 1 250 100 4139 100,0 5389 100
Sources: Annuaires statistiques DEPIMEBA

Au niveau des effectifs d'élèves


Accroissement des effectifs
Le développement des infrastructures et la forte pression démographique
ont eu pour conséquence l'accroissement des effectifs scolaires à un rythme
exponentiel, passant de 55 558 en 1960 à 938 238 en 2001. Malgré cet
accroissement, le taux brut de scolarisation en 2001 s'élevait à 43,4 %.
L'analyse de ce taux pennet d'affinner qu'une frange importante de la popu-
lation scolarisable n'avait pas accès à l'école en 2001.
Le taux d'accroissement moyen annuel des effectifs scolaires de 1960 à
200 1 s'établit à 7,3 %. La période 1960-1982 qui correspond à celle de
l'autoajustement enregistre un taux d'accroissement supérieur au taux moyen
de la période 1960-2001. La période du Conseil national de la révolution
(1983-1987) se singularise par le taux d'accroissement le plus élevé (10,5 %).
Le plus faible taux se situe dans la période des ajustements structurels
(1991-2001). Il convient de noter que les ajustements structurels ont donné la
priorité à l'enseignement primaire qui a bénéficié et qui continue de bénéfi-
cier d'un régime très favorable d'allocations financières. En dépit de ce
contexte favorable, c'est au cours de cette période que les effectifs scolaires
ont le moins progressé (5,9 %).,

33
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Accroissement des effectifs scolaires selon les périodes


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1960-1982 1983-1987 1988-1990 1991-2001

Périodes

Graphique 3. Accroissement moyen des effectifs scolaires au cours


des différentes périodes

En considérant les éléments de la base de données du MEBA, on peut


affirmer que la répartition des effectifs selon les groupes pédagogiques révè-
le une prédominance des effectifs scolaires des classes à flux simple qui
accueillaient en 2001 environ 66 % des effectifs scolaires. Les deux autres
types de groupes pédagogiques que sont les classes multigrades et les classes
à double flux encadraient respectivement 19 et 15 % des effectifs scolaires de
l'enseignement primaire.
Effectifs scolaires et statuts des établissements
L'analyse des effectifs scolaires selon les statuts des établissements
montre que la couverture scolaire est assurée par l'enseignement public qui
représentait en 2001 environ 87 % des effectifs scolaires.
L'évolution des effectifs scolaires selon les statuts des établissements de
1997 à 2001 fait apparaître un fort taux d'accroissement des effectifs des éta-
blissements privés. Quel que soit le type d'établissement privé considéré, le
taux d'accroissement des effectifs est au moins le double de celui du public
comme l'illustre le tableau II. Le taux élevé constaté pour les écoles catho-
liques s'explique par la rétrocession progressive par l'Etat de certains éta-
blissements qu'il gérait depuis 1969 à la suite des divergences survenues
avec l'Eglise catholique au sujet de la contribution financière de l'Etat.

34
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

Tableau II. Evolution des effectifs scolaires selon le statut des établisse-
ments de 1997 à 2001.

Années Médersas Catho Laïc Protestant Public Total


1997-1998 23936 3 129 37411 13 226 698696 776398
1998-1999 27051 3842 41602 15645 727990 816 130
1999-2000 29071 4426 45921 17460 755058 851 936
2000-2001 32470 7545 49059 19514 792703 901 291
2001-2002 37524 9877 50941 20558 819338 938238
Accroissement/an 11,9 % 33,3% 8,0 % 11,7 % 4,1 % 4,8 %

Les taux de scolarisation


Malgré l'augmentation des effectifs constatés tant au niveau des écoles
publiques que des écoles privées, le taux brut de scolarisation était seulement
de 43,4 % en 2001. Le tableau III qui présente l'évolution des taux bruts de
scolarisation de l'enseignement primaire de 1996 à 2001 rend compte d'une
augmentation du taux qui est passé de 38,8 % à 43,4 % en 2001, soit un gain
de 5 points en l'espace de cinq années. A ce rythme le système mettra 57 ans
pour parvenir à la scolarisation universelle. La situation est encore plus pré-
occupante quand on examine le taux net de scolarisation qui était seulement
de 33,9 % en 2001.

Tableau III. Evolution des taux de scolarisation de 1996 à 2001.


Années Taux bruts Taux nets
de scolarisation (%) de scolari,sation (% )

1996 38,4 31,3

1997 40,9 33,8

1998 40,5 32,5

1999 41,3 33,4

2000 42,7 34,3

2001 43,4 33,9


Sources: Annuaires statistiques DEPIMEBA

35
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

La présence des filles dans les effectifs scolaires


La présence des filles dans les effectifs scolaires a lentement progressé
passant de 33 % en 1963 à 41,8 % en 2001. Cette progression est le fruit de
plusieurs programmes mis en œuvre particulièrement à partir de 1994.
Certaines innovations pédagogiques pratiquent par ailleurs le recrutement
paritaire entre filles et garçons. La progression de la présence des filles dans
les effectifs s'est accélérée à partir de 1996.

L'efficacité interne du système


Un système d'enseignement efficace est celui qui conduit l'ensemble
d'une cohorte d'élèves du début à la fin du cursus scolaire. De ce point de
vue, l'efficacité de l'enseignement primaire burkinabè est faible malgré cer-
tains aménagements introduits dans le but de garder le maximum d'élèves
dans le système.
Les taux de flux moyens calculés sur la période 1997-2000 ont donné les
résultats contenus dans le tableau IV. La cohorte fictive reconstituée à partir
de ces taux de flux permet d'affirmer que pour 1 000 élèves entrant dans le
système, seulement 580 (58 %) parviendront au cours moyen deuxième
année (CM2). Parmi eux, 263 arrivent au CM2 sans redoublement tandis que
202 redoublent une fois et 93 redoublent 2 fois.

Tableau IV. Taux de flux moyens calculés pour la période 1997-2000.

CP1 CP2 CEl CE2 CMI CM2


Promotion 81,6% 81,0% 73,3% 74,7% 72,8%
Redoublement 12,3% 12,9% 17,4% 15,9% 18,1% 40,1%
Abandon 6,1% 6,1% 9,3% 9,4% 9,1%
Sources: Base de données DEPIMEBA

La proportion de redoublants dans les effectifs constitue aussi un indica-


teur souvent utilisé pour analyser l'efficacité des systèmes éducatifs. Depuis
1960 et ce jusqu'en 2001 , la proportion de redoublants dans les effectifs est
restée quasi stationnaire, fluctuant entre 16 et 17 %. Elle a même atteint les
18 % de 1976 à 1978. La classe du CM2 se singularise par une proportion de
redoublants constamment élevée comprise entre 30 et 40 %. Les redouble-
ments massifs dans cette classe s'expliquent par la faible capacité d'accueil
en classes de 6' et le désir de réussir au concours d'entrée en 6'. A cet effet,
certains élèves titulaires du certificat d'étude primaire n'hésitent pas à redou-
bler cette classe pour se donner plus de chances de réussir au concours d'en-
trée en classe de 6' des lycées et collèges.

36
ÉTAT DES L1EU)( DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

Le personnel enseignant
Nombre et qualification du personnel enseignant
Depuis 1991, date de mise en œuvre du programme d'ajustement structu-
rel, l'enseignement de base a bénéficié d'un régime favorable en ce qui
concerne le recrutement de son personnel enseignant. Parallèlement au recru-
tement régulier du personnel enseignant, le nombre des écoles de formation
professionnelle des enseignants du primaire a également connu une augmen-
tation passant de deux en 1997 à cinq en 2001. Il en a résulté une améliora-
tion de la qualification du personnel dont 87,6 % en 2001 étaient titulaires
d'un titre de capacité. Le corps numériquement le plus important était celui
des instituteurs adjoints certifiés qui totalisait 54 % des effectifs du person-
nel enseignant.
Le taux d'encadrement des élèves
Le taux d'encadrement des élèves varie d'un groupe pédagogique à
l'autre. Ainsi en 2001, pour le double flux on dénombrait 54 élèves en
moyenne par groupe pédagogique, équivalant à un ratio d'un enseignant pour
108 élèves.
Dans le cas du multigrade, l'effectif moyen par groupe pédagogique était
de 20 élèves, correspondant à un ratio de 40 élèves par enseignant.
Le simple flux totalisait un effectif moyen de 46 élèves par enseignant. La
formule du double flux semble de ce fait la plus rentable du point de vue de
la capacité d'accueil des effectifs scolaires. Il est alors à espérer que ces gains
d'effectifs ne se réalisent pas au détriment de la qualité des apprentissages
scolaires.

L'évolution de l'enseignement secondaire


Au Burkina Faso, la situation de l'enseignement secondaire est marquée
par son faible niveau de développement. Situé en aval de l'enseignement pri-
maire dont il reçoit des sortants titulaires du CEP, il alimente à son tour l'en-
seignement supérieur par ceux ayant réussi au baccalauréat. Il constitue donc
le maillon central du système éducatif. L'enseignement secondaire burkinabè
affiche des effectifs qui figurent parmi les plus bas du continent africain
(moins de 13 % en 2002). Les facteurs qui expliquent cette situation sont:
-le déficit chronique d'enseignants;
-le faible taux des rendements internes de l'enseignement de base
(une réussite au CEP qui dépasse à peine 65 % pour les meilleures années) ;
- le faible taux de réussite au concours de l'entrée en 6' ;
- le faible développement des infrastructures scolaires du secondaire;

37
LA QUESTION ËDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

-les mauvaises conditions économiques de la plupart des parents,


notamment ceux du milieu rural;
- le faible niveau de représentation des filles dans le système scolaire.

Au niveau des infrastructures


L'expansion du système éducatif est aussi tributaire de l'existence en
nombre suffisant d'infrastructures d'accueil. En ce qui concerne l'enseigne-
ment secçmdaire, celles-ci sont relativement limitées quoiqu'on enregistre un
développement significatif des établissements secondaires durant la période
1990-2000 (graphique 4).
Le nombre d'établissements publics est passé de 99 à 212 (une progres-
sion d'environ 11,3 établissements par an), soit plus du double en dix ans.
Dans l~ même temps, celui des établissements privés est passé de 88 à 195
(une progression d'environ 10,7 établissements par an). Il ressort de l'obser-
vation du graphique 4 que dans chaque cas l'évolution a été significative. Il
est même constaté que le rôle du privé a été très déterminant dans la réponse
à la demande d'éducation (cf. graphique 4). Il faut souligner que 60 % des
infrastructures scolaires du privé sont majoritairement situées dans les villes,
notamment Ouagadougou et Bobo-Dioulasso (Pilon et Wayack, 2004).

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Années scolaires

Graphique 4. Evolution du nombre d'établissements d'enseignement


secondaire

38
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

Deux raisons peuvent expliquer l'augmentation des infrastructures de


l'enseignement secondaire :
- A partir de 1997, un projet dénommé projet enseignement post-
primaire a été mis en œuvre. Il a permis de construire en l'espace de 5 ans
(1997-2001),63 collèges d'enseignement général (CEG) dont la majorité
se trouve en zone rurale.
- En 1998 , toujours dans le cadre de l'exécution du projet enseignement post-
primaire, l'Etat par des mesures incitatives, a encouragé les privés à inves-
tir dans l'éducation. Ces mesures se sont traduites par la mise à leur
disposition des établissements construits par l'Etat et mis en location vente,
par la prise en charge du passif du privé qui était redevable à la caisse de
sécurité sociale pendant la période révolutionnaire, par la prise de textes
favorables aux entreprises privées œuvrant dans l'éducation.

Au niveau des enseignants


Le nombre d'enseignants qui était de 2 390 en 1989 dont 1 737 du public
est passé à 6 215 en 1999. Malgré ce nombre qui croît, le système présente
un important déficit sur le terrain. C'est pour pallier cette insuffisance que le
recours au service national pour le développement a été quasiment érigé en
règle. L'entrée de ces nouveaux enseignants dans le circuit scolaire est consé-
cutive à la Révolution.
De nos jours, la plupart des établissements connaissent un déficit d'ensei-
gnants de façon structurelle. On assiste pratiquement chaque année à des
recrutements d'enseignants à la dernière minute (en catastrophe) pour pallier
le manque d'enseignants. Le déficit est surtout important dans les disciplines
scientifiques, notamment en zone rurale. Or, il est constaté que le manque
d'enseignants affecte non seulement les taux de scolarisation, mais surtout la
qualité.

Au niveau des effectifs d'élèves


Depuis 1960, on observe une lente évolution des effectifs scolaires dans
l'enseignement secondaire. Ainsi, jusqu'en 1970, soit dix ans après l'indé-
pendance du Burkina Faso, le nombre total d'élèves de cet ordre d'enseigne-
ment n'a jamais atteint 9 000 au plan national. Ce n'est qu'à partir de la
décennie 1980-1990 que les effectifs connaissent une évolution significative.
Au cours de l'année scolaire 1990-1991, on comptait dans l'enseignement
secondaire public près de 58 004 élèves tandis que le privé enregistrait
40 660 élèves. Dix ans après, c'est-à-dire en 1999-2000, on dénombrait
124 790 élèves au public contre 64 889 au privé. On constate ainsi que les
effectifs du public ont plus que doublé. L'écart des effectifs ente 1990 et 2000
est de 66 706. Ainsi en dix ans, l'enseignement secondaire a connu une

39
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

progression annueIle de 6 670 nouveaux élèves. Le secteur privé, pour la


même période, enregistre un écart de 24 889 élèves, soit un gain annuel de
2500 nouveaux élèves.
Quant à l'enseignement secondaire technique, il est plus que sous-
représenté et constitue de ce fait le maillon le plus faible du système.
En effet, près de 92 % des élèves fréquentent l'enseignement secondaire et
reçoivent une formation générale, tandis que seulement 8 % proviennent de
l'enseignement technique.
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160 roJ
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140 000
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Années scolaires

Graphique S. Evolution des effectifs des élèves de l'enseignement secondaire.

L'examen des effectifs scolaires permet de faire ressortir des inégalités de


genre (graphique 6) qui se traduisent par des écarts importants. Les filles, au
cours de l'année scolaire 1992-1993, étaient au nombre d'environ 40 327 soit
un taux brut de scolarisation de 6 %. En 2000, soit dix ans après,
on dénombre 73 887 filles contre 115 802 garçons. En dépit de la priorité
accordée à la scolarisation des jeunes filles, l'écart de genre reste important
à combler dans l'enseignement secondaire.

40
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

200 000
100000
100 000
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Années scolaires

Graphique 6. Evolution des effectifs des élèves de l'enseignement secondaire


selon le sexe.

L'examen des Taux bruts de scolarisation (TBS) de l'ensemble de


l'enseignement secondaire montre que le taux de scolarisation brut est de
1l,90 % en 1999-2000. Pour la même année, celui des filles était de 9,44 %
(cf. graphique 7). Malgré la mise en œuvre d'une politique discriminatoire
en faveur des filles, on note une plus grande scolarisation des garçons dans
l'enseignement secondaire.

14,00

12,00

10.00
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f-
6,00

4,00
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Années scolaires

Graphique 7. Evolution des TBS des filles et de l'ensemble de l'enseigne-


ment secondaire.
Sources: Services des statistiques, de la carte scolaire et de la documentation
(SSCDIDEPIMESSRS),

41
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Au niveau des taux de scolarisation


En partant des données contenues dans les différents tableaux, on
remarque que les taux de scolarisation sont faibles d'une manière générale.
De même, il apparaît que l'évolution de la scolarisation au secondaire se
déroule très lentement surtout entre 1960 et 1980. Elle est même restée
presque stationnaire aux premières années de l'indépendance du Burkina.
Entre 1960 et 1970, l'enseignement secondaire gagne 1% de taux de pro-
gression. Au cours des trois décennies couvrant la période de 1970 à 2000,
on observe respectivement une progression de 1,30 %, de 5,1 % et de 4,1 %
(cf. graphique nO 8).

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12,00 +----------------------",==----1
10.,00 1-------------,...----r-----4'
~ 8,00 .t----------------~=~-­
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4,00 -1----------------
2,00 I - - - - - - - - : - - - - - - U
0,00 r----.....=----,r--'-'------,,----
1960 1970 1980 1990 2000

Période décennale

Graphique 8. Evolution des taux bruts de scolarisation de l'enseignement


secondaire de 1960 à 2000.

Jusqu'en 1980, l'enseignement secondaire enregistre un taux de scolari-


sation inférieur à 3 %. Cette évolution est relativement lente, voire station-
naire. On peut interpréter ce faible développement comme une conséquence
du plan cadre de 1967 qui préconisait une régulation des flux scolaires. Par
ailleurs, une des caractéristiques du système scolaire burkinabé dans son
ensemble demeure son aspect sélectif.
A partir des années 1980, l'étau va commencer à se desserrer. On note
ainsi une ascension assez significative des effectifs scolaires pour les deux
décennies 1980-1990 et 1990-2000. L'explication de cette ascension peut se
retrouver dans la politique volontariste de la Révolution d'août 1983. Les
taux de scolarisation obtenus sous la révolution doublent pratiquement ceux
enregistrés entre 1960 et 1980. Ainsi, on constate que malgré les difficultés
économiques et les différentes crises sociopolitiques, la décennie 1990-2000
maintiendra le cap en termes d'augmentation numérique des effectifs.
Néanmoins, en ce qui concerne les taux, il existe un écart d'un point entre
les deux périodes (5,1 % de progression entre 1980-1990 contre 4,1 % en
1990-2000).

42
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

L'évolution de l'enseignement supérieur au Burkina Faso


L'enseignement supérieur est très faiblement représenté au Burkina Faso,
en dépit des efforts fournis dans ce domaine au cours de ces dernières années.
A titre de rappel, jusqu'en 1974, l'enseignement supérieur était dispensé dans
sa grande majorité dans des établissements situés hors du Burkina (Afrique
et Europe surtout). L'Université de Ouagadougou n'ouvrira ses portes qu'en
1974 avec à peine 393 étudiants. Après une lente évolution à ses débuts, l'en-
seignement supérieur va connaître une accélération à partir de la décennie
1990-2000, appelant du même coup une augmentation des infrastructures.

Au niveau des infrastructures


Pendant près de deux décennies, l'Université de Ouagadougou est restée
enfermée sur le même site et pratiquement dans les mêmes locaux. Les nou-
velles infrastructures ne datent pratiquement que des années 1990. Il Y avait
environ 7 000 places assises dans l'enseignement supérieur contre un effec-
tif total de 8 881 étudiants en 1998. Ce nombre s'est accru de nos jours et les
infrastructures sont devenues très aiguës.
L'enseignement supérieur au Burkina compte à la fois des établissements
publics (au nombre de 11) et des établissements privés (au nombre de 10).
L'on peut donc imaginer la pression exercée par les effectifs sur les infra-
structures, alors que paradoxalement les mêmes effectifs figurent parmi les
plus bas du monde. De quelles marges de manœuvre et de quelles stratégies
pourrait disposer le Burkina Faso pour assurer l'accroissement des capacités
d'accueil quand on sait que l'enseignement supérieur compte environ 15000
étudiants en 2002 pour moins de 10 000 places assises.

Au niveau des effectifs des étudiants


En 1970, le Burkina Faso comptait environ 251 étudiants dont 209 hommes
et 42 femmes. Dix ans après, soit en 1980, les effectifs atteignent 1 226 étu-
diants. Ce nombre passera en 1998-1999 à 8881 étudiants. En dépit de cette
évolution, l'on constate que l'enseignement supérieur reste encore faiblement
représenté au Burkina Faso. En effet, il touche à peine 1 % de hl' population
scolarisable des 20-28 ans en 2001.
En termes de taux d'accroissement, l'enseignement supérieur a connu des
hauts et des bas. A travers le graphique 9, on s'aperçoit de l'irrégularité de la
progression des effectifs. Si dans l'ensemble, l'allure générale est à la haus-
se, on enregistre des années de stagnation ou de régression4 • De toute évi-
dence, ces années semblent avoir été affectées par des crises à la fois
académiques que sociopolitiques.

411 s'agit des années suivantes: 1979-1980,1989-1991,1993-1994,1996-1998

43
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Années universitaires

Graphique 9. Evolution des effectifs des étudiants de 1970 à 1999.

Dans l'ensemble, un certain nOlllbre de facteurs explique cette situation de


faiblesse des effectifs. Ce sont:
-le faible développement des infrastructures d'accueil tant dans les univer-
sités de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso qu'à l'Ecole normale supé-
rieure de Koudougou ;
-les mauvais rendements internes de l'enseignement secondaire (taux
médiocres de promotion et de succès au BEPC et au BAC) ;
- la dégradation des conditions de vie et d'études qui décourage certains
bacheliers à s'inscrire à l'université et oblige quelques anciens à la quitter.
Par ailleurs, on peut noter qu'au· cours de l'année académique 200 1-2002,
les effectifs scolarisés dans l'enseignement supérieur public sont près de neuf
fois supérieurs à ceux de l'enseignement supérieur privé (soit 13 948 contre
1 587). Cette situation peut trouver son explication par le fait qu'il existe une
surcharge des classes au niveau de l'enseignement supérieur public.
L'administration universitaire est obligée de recourir à des structures exté-
rieures pour louer des locaux. Ainsi, pendant près de deux à quatre années
consécutives, les locaux du Salon international de Ouagadougou (SIAO) ont
été réquisitionnés pour les étudiants de première année de droit.
Les conditions dans lesquelles est dispensé l'enseignement supérieur au
Burkina Faso justifient en partie les rendements internes médiocres attestés
par de nombreux redoublants notamment dans les premières années des dif-
férents cycles. li n'est donc pas étonnant que l'enseignement public concentre
l'essentiel des redoublants de l'enseignement supérieur (tableau V). Comment
peut-on expliquer ces différences? Peut-on mettre ce constat en rapport avec
le constat précédent de la surcharge des effectifs? Peut-on évoquer l'hétéro-
généité de la population étudiante scolarisée dans le public? Ou encore le
mode d'évaluation?

44
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

Tableau V. Effectifs des étudiants et des redoublants en 2üül-2002.

Effectifs 1 Pourcentages Redoublants

Homme Femme Total Homme Femme Total


Enseignement 10 699 3249 13 948 2076 643 2719
supérieur public 92,3% 82,3% 89,7% 98,9% 98 % 98,7%

Enseignement 890 697 1587 22 13 35


supérieur privé 7,7% 17,7% 10,3% 1,1% 2% 1,3 %
Total 11 589 3946 15535 2098 656 2754
100% 100% 100% 100% 100% 100%
Source: DEPI MESSRS

Disparité de genre dans l'enseignement supérieur


Le constat qui se dégage à partir des statistiques déjà présentées est que
les filles sont faiblement représentées dans l'enseignement supérieur. Cette
situation est une conséquence de leur sous-représentation dans les deux
autres niveaux d'enseignement.
A partir des sources de la Direction des études et de la planification (DEP)
du Ministère des enseignements secondaire, supérieur et de la recherche
scientifique (MESSRS), il ressort que les garçons représentent environ 75 %
des effectifs de l'enseignement supérieur burkinabè. Le déséquilibre est plus
accentué dans l'enseignement public (77 % de garçons contre 23 % de filles)
que dans l'enseignement privé (56 % de garçons contre 44 % de filles). Dans
l'absolu, quel que soit le statut de l'établissement, les garçons représentent la
majorité des redoublants mais en tenant compte des déséquilibres numé-
riques, on peut nuancer cette constatation. En effet, les garçons représentent
75 % des effectifs numériques et 76 % des effectifs des redoublants.
Cependant, on constate que les filles réussissent davantage dans l'enseigne-
ment supérieur privé que dans l'enseignement supérieur public.

45
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Une autre constatation est que les effectifs s'étiolent de la 1re année à la
7< année, ce qui va davantage jouer sur les effectifs des filles.

Tableau VI. Répartition des étudiants de l'université de Ouagadougou


par établissement fréquenté, par sexe et par niveau d'étude
2000-2001.
Sexe 1re 2e 3e 4e 5e 6e 7e To t al
année année année année année année année
UFRfSEG H 1 108 642 274 150 0 2174
F 281 141 59 37 0 518
T 1 389 783 333 187 0 2692
UFRfLAC H 343 446 236 109 0 1 134
F 197 163 90 48 0 498
T 540 609 326 157 0 1632
UFRfSH H 752 742 273 366 8 1 2142
F 192 244 89 182 0 2 709
T 944 986 362 548 8 3 2851
UFRfSEA H 634 241 144 74 21 6 27 1 147
F 30 06 06 01 0 0 1 44
T 664 247 150 75 21 6 28 1 191
UFRfSVT H 624 308 111 49 14 4 0 1 110
F 112 56 21 14 04 1 0 208
T 736 364 132 63 18 5 0 1318
UFRfSDS H 385 206 128 71 81 60 136 1067
F 173 74 42 37 19 30 29 404
T 558 280 170 108 100 90 165 1471
UFRfSJP H 291 469 165 151 21 0 0 1397
F 308 153 45 65 02 0 0 573
T 499 622 210 216 23 0 0 1970
IBAM 5 H 108 27 0 0 0 0 0 135
F 121 32 0 0 0 0 0 153
T 229 59 0 0 0 0 0 288
Total H 4545 3081 1 331 970 145 70 164 10306
F 1414 869 352 384 25 31 32 3107
T 5959 3950 1683 1354 170 101 196 13 413
H: Hommes; F: Femmes ; T: Total
Source: DEPIMESSRS

1 IBAM : Institut Burkinabè des Arts et Métiers

46
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

Sur la base des statistiques générales qui précèdent, la répartition sexuelle en


fonction du niveau d'étude et du statut de l'établissement (public ou privé)
autorise les constations suivantes:
- il Y a plus d'équité dans l'enseignement supérieur privé que dans l'ensei-
gnement supérieur public. En effet, les déséquilibres entre garçons et filles
sont moindres dans le privé que dans le public;
- les filles sont mieux représentées dans les formations courtes « profession-
nalisantes ». C'est le cas par exemple à l'IBAM dans l'enseignement supé-
rieur public et dans l'enseignement supérieur privé en général;
- dans les formations littéraires, des sciences humaines et sociales, des
sciences juridiques et médicales, les filles quoique minoritaires sont mieux
représentées que dans les formations scientifiques, dans les sciences
exactes, les sciences de la vie et de la terre (SEA, SVT) et en économie/
gestion (SEG).
Au niveau des enseignants
A la rentrée académique 2001-20026 , on dénombrait dans l'enseignement
supérieur, 807 enseignants dont 297 du privé. Parmi ces enseignants, on
comptait 747 hommes et 60 femmes. A travers ces chiffres, on se rend comp-
te que le rapport de féminité est extrêmement faible. En outre, on recensait
pour la même année 418 enseignants permanents contre 389 vacataires. Ce
qui explique dans une certaine mesure des charges trop élevées en termes de
paiement des salaires des enseignants du public.
Quelques années auparavant, notamment en 1992-1993 (DEPIMESSRS),
l'effectif des enseignants ne dépassait guère 387 à l'Université de
Ouagadougou, seule structure d'enseignement supérieur public. On remarque
qu'en l'espace de 9 ans, le nombre d'enseignants dans le supérieur est passé
à 807 soit un accroissement de 420. Il est à wuligner que cet accroissement
est consécutif au recrutement important d'enseignants du supérieur par le
MESSRS depuis 1998 et au développement de l'enseignement supérieur privé.

• Source DEPIMESSRS.

47
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Conclusion
L'analyse de l'évolution de la scolarisation au Burkina Faso a fait ressor-
tir le grand nombre de stratégies, d'innovations et de formules éducatives
alternatives mises en place depuis plus de 40 ans pour répondre aux besoins
éducatifs des populations. En dépit des efforts déployés, le constat suivant se
dégage:
-les composantes du système éducatif évoluent à des rythmes différents.
Des signes de dysfonctionnement sont déjà perceptibles avec l'engorgement
des classes de CM2 au primaire et de celles de 6< au secondaire.
Ce constat qui menace l'équilibre et la stabilité du système contraste avec
la politique éducative poursuivie actuellement qui ne prévoit pas de mesu-
re pour le réajustement de l'équilibre du système ;
-la couverture éducative est faible et s'aggrave au fur et à mesure que l'on
va du premier niveau vers les niveaux supérieurs. Le niveau de scolarisa-
tion auquel se situe le Burkina Faso amène à le classer parmi les pays les
moins scolarisés de la planète ;
- la qualité et la performance du système laissent à désirer. En effet, le maté-
riel pédagogique est insuffisant, la qualification des enseignants est plutôt
faible et leur nombre est dérisoire au secondaire et au supérieur. Le ratio
élève par classe au secondaire tourne autour de cent élèves ;
-l'équité en matière d'accès à l'éducation selon le sexe, le lieu de résidence
et l'origine sociale n'est pas encore une réalité, malgré la politique volon-
tariste mise en place en faveur notamment de l'éducation des filles et des
femmes, avec le soutien de certains programmes.
Le défi que le système doit relever est de parvenir à réaliser les objectifs
de l'EPT et des üMD et de fournir à l'économie nationale les cadres compé-
tents dont elle a besoin pour son développement.

Bibligraphie
COOMBS P., 1968. La crise mondiale de l'Education, PUF, Paris.
COMPAORÉ F., 1997. Discours politique et inadaptation de l'école au Burkina
Faso. Thèse de Doctorat Unique, Université de Paris 8,527 p.
DEPIMESSRS, 1996. L'éducation Post-Primaire, Stratégies, Politiques et
Programmes, Service de la documentation, Ouagadougou, 109 p.
DEP!MESSRS, Annuaires statistiques, 92-93. Service des statistiques de la carte
scolaire et de la documentation, Ouagadougou.
DEP/MESSRS, Annuaires statistiques, 95, 96, 97, 98, 99, 200(). Service des sta-
tistiques de la carte scolaire et de la documentation, Ouagadougou.
DEP/SG/MESSRS, données globales sur les enseignements secondaire et supérieur,
année 2001-2002.

48
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

MESSRS / UO, novembre 2000. La refondation de l'Université de Ouagadougou,


travaux des commissions, rapport final, 202 p.
MESSRS / UO / Rectorat, 1993. Plan d'action de développement de l'Université de
Ouagadougou, 39 p.
MESSRS / MEBA, 1994. Comité des experts pour les états généraux de l'éducation,
annexes 1,2,3,4, Ouagadougou, 104 p.
PILON M., WAYACK P. M., 2004. L'évolution de l'enseignement secondaire au
Burkina Faso de 1960 à 1999, Analyse des bulletins de statistiques scolaires, Etudes
et Documents de l'UERD, n° 8, Ouagadougou, 55 p.
UNESCO, 1982. L'éducation en Afrique à la lumière de la conférence de Hararé,
Educ. W 50, 37 (6) , MICRO FICHE, 86 mm 0209 (eng-Imf).
YARO K.Y., 1994. Pourquoi l'expansion primaire est-elle si difficile au Burkina
Faso? Une analyse socio-démographique des déterminants et des perspectives scolaires
de 1960 à 2006, doctorat unique, Université de Paris, Panthéon Sorbonne, 391 p.

49
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

L'alphabétisation et l'éducation
non formelle au Burkina Faso : état des lieux

Anatole NIAMEOGO*

Introduction
L'Éducation non formelle (ENF) en général et l'alphabétisation en parti-
culier ne sont pas seulement les parents pauvres du système éducatif; elles
sont les moins connues parce qu'ayant fait l'objet de peu d'intérêt de la part
des chercheurs et des planificateurs de l'Éducation.
Au Burkina Faso, la Loi d'Orientation de l'Éducation du 9 mai 1996 en
son chapitre II, article 18 définit l'éducation non formelle comme suit :
« l'Éducation non formelle concerne toutes les activités d'éducation et de for-
mation structurées et organisées dans un cadre non scolaire et s'adressant à
toute personne désireuse de recevoir une formation spécifique dans une struc-
ture non scolaire ».
Auparavant, P. COOBS (1968) avait défini l'éducation non formelle
comme « un ensemble anarchique ou confus d'activités non scolaires d'édu-
cation et de formation» 1 et en 1983 comme « toute activité organisée et sys-
tématique se situant en dehors du système éducatif traditionnel et visant à
offrir certains types d'enseignement à des groupes déterminés de la popula-
tion d'adultes comme d'enfants »2. Définie de cette façon on voit bien que
l'éducation non formelle que l'on se borne souvent à limiter à la seule alpha-
bétisation recouvre un domaine très vaste dans lequel l'alphabétisation n'est
qu'un des éléments constitutifs.
Nous avons retenu quelques études réalisées ces cinq dernières années et
qui visent à faire connaître l'éducation non formelle, un sous-système éduca-
tif appelé à se développer dans la perspective de l'Éducation pour tous (EPT)
en 2015. Il s'agit de:
- l'état des lieux de l'édllcation non formelle réalisé par l'Association pour la
promotion de l'éducation non formelle (APENF) en 1999 ;
- répertoire des opérateurs réalisé en 2002 par l'INA (INEBNF) ;

* Conseiller en éducation au CRS/Burkina.

1 COOBS Philip, La crise mondiale de l'Education. PUF, Paris, 1968, p.203-204.


2 COOBS Philip, « Attaching rural poverty: How non-formel education an help » Cité par
BHOLA HS. « l'Education non formelle en perspective» in UNESCO. Perspectives, Revue
trimestrielle de l'Éducation Vol XIII n" 1, 1983, p.49.

51
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

- l'étude sur la stratégie de renforcement des capacités des opérateurs en


éducation non formelle commanditée par la Coopération Suisse et réalisée
en août 2002.
Les deux dernières études ont été réalisées dans le cadre de la mise en
œuvre de la politique du « Faire Faire» décidée lors du premier Forum natio-
nal sur l'alphabétisation organisé par l'INA du 20 au 24 septembre 1999.
Avant de présenter la synthèse de ces études, il est nécessaire de faire un
rappel de l'évolution de la politique d'éducation non fonnelle au Burkina Faso.

Rappel de la politique d'éducation non formelle


En 1960, au moment où le Burkina Faso accédait à l'indépendance, le pays
comptait moins de 7 % de taux de scolarisation. Dans le même temps,
l'alphabétisation des adultes, quasi inexistante, ne se manifestait qu'à travers
des cours du soir en français organisés par de bonnes volontés ou des élèves
et étudiants en vacances et des activités d'alphabétisation en langues natio-
nales soutenues par des institutions religieuses et des ONG comme « Frères
des Hommes ».
En l'an 2000, avec un taux de scolarisation d'environ 41 % et un taux
d'alphabétisation estimé à environ 26 %, le Burkina Faso a fait des progrès
remarquables mais très largement insuffisants au regard de l'objectif poursui-
vi par l'éducation de base pour tous (EPI)3. Dans le domaine de l'éducation
en général et de l'alphabétisation en particulier, ces vingt dernières années
ont été marquées par des efforts fournis par l'Etat et ses partenaires en édu-
cation. Ainsi par exemple, nous pouvons mentionner les réalisations sui-
vantes:
- initiation avec la Révolution d'Août 1983 d'une politique d'alphabétisation
de masse dénommée « Alphabétisation Commando » de 30 000 produc-
teurs en 1986. Face à la faible participation des femmes à cette opération,
une deuxième opération réservée essentiellement aux femmes et dénommée
« Opération Bantaaré » concernera 15 000 productrices à partir de 1988 ;
en 1990, on note la mise en œuvre de la stratégie des Centres Permanents
d'Alphabétisation et de Formation (CPAF) qui, au-delà de la consolidation
des acquis des opérations Commando, visait à doter chacun des 8 000
villages du pays d'un centre à même d'abriter toutes les formations à savoir
l'alphabétisation de base et les fonnations techniques spécifiques ;

] Conformément aux conclusions du Forum mondial sur l'Éducation de Dakar tenu en avril
2000, l'EPT devrait être une réalité en 2015.

52
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

- développement de l'éducation non formelle et d'écoles communautaires à


travers le lancement de plusieurs projets novateurs tels que les Centres
d'Éducation de Base Non Formelle (CEBNF), l'Opération Zanu, les Écoles
Satellites, les Centres Banma Nuara, les Ecoles Bilingues.
Au Burkina Faso, on peut relever que la société civile a toujours accom-
pagné les efforts de l'État dans le développement de l'éducation de base et que
certaines des innovations en cours dans le pays relèvent de sa propre initiati-
ve. Avec cette forte implication de la société civile, on comprend que la ques-
tion d'éducation doit cesser d'être l'apanage d'un État-providence tenu
d'assurer la gratuité de l'éducation à tous. Les faits d'ailleurs toujours têtus
contredisent chaque jour qui passe ce vieux postulat qui a conduit à la stag-
nation de l'offre d'éducation dans beaucoup de pays africains.
Au regard donc d'une société civile de plus en plus entreprenante dans le
développement de l'éducation de base, le Burkina Faso vient de décider d'une
nouvelle politique, en particulier dans le domaine de l'alphabétisation et de
l'éducation non formelle. Cette nouvelle politique d'éducation non formelle
repose sur trois axes:
- repenser l'alphabétisation et l'éducation des adultes de telle manière qu'elles
soient un processus de mise à contribution de tous les savoirs traditionnels
et modernes pour une formation permanente et continue de l'homme en rap-
port avec son environnement et en fonction des exigences du moment.
Conduite de cette façon, l'alphabétisation favorisera d'une part la prise en
main de l'école par les communautés de base lettrées et sera d'autre part un
moteur de développement en mettant à la disposition du pays des res-
sources humaines de qualité;
accroître et diversifier l'offre éducative en invitant et en encourageant toute
la communauté nationale à s'y investir. Le développement de la société
civile et le processus de décentralisation devront renforcer la prise en char-
ge de l'éducation de base par les collectivités et les communautés locales;
- l'État assurera son rôle de concepteur, de catalyseur des initiatives, de
coordonnateur de l'action éducative et de garant de la qualité.
Pour mettre en œuvre cette nouvelle politique, le gouvernement a opté
pour la stratégie du « Faire-Faire ». Elle se définit comme étant une stratégie
novatrice et efficace permettant à l'État et aux partenaires (ONG, Association
GPF, services étatiques, etc) de se doter d'une clé de répartition fonctionnel-
le des rôles dans l'exécution des programmes d'alphabétisation et d'éducation
de base. Cela se traduit par la responsabilisation de la société civile dans la
mise en œuvre des activités de formation sur le terrain. Toutefois, la réussite
de cette stratégie n'est possible qu'à certaines conditions bien résumées par
WADE DIAGNE :

53
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

« Le faire faire (à distinguer du laisser-faire) suppose l'existence d'un qua-


druple cadre d'intervention très clairement défini. a) un cadre politique: une
politique sectorielle claire, un consensus au plus haut niveau; b) un cadre de
concertation participatif et consensuel des espaces d'échange où se forge et se
cultive une unité de vision; c) un cadre de financement adapté: un organis-
me capable d'organiser des transferts de manière efficace et de recevoir des
fonds de tous contributeurs (État, partenaires publics ou privés, internatio-
naux ou nationaux) ; d) un cadre de conseil, d'appui technique, adapté et effi-
cace, un institut national spécialisé» (WADE DIAGNE, 2001).
Les activités d'alphabétisation et de formation sur le terrain reposant
entièrement sur les opérateurs en alphabétisation, la connaissance exacte de
leur situation est un impératif pour le MEBA et surtout pour le Fonds natio-
nal pour l'alphabétisation et l'éducation non formelle (FONAENF).

État des lieux de l'éducation non formelle


Pour combler l'absence d'un répertoire sur les institutions et ONG tra-
vaillant dans le non formel, l'Association pour la promotion de l'éducation
non formelle (APENEF) du Burkina Faso a sillonné en 1998 les 45 provinces
du pays réparties en sept zones pour y recueillir les données nécessaires. Les
fruits de cette recherche ont été consignés dans un document réalisé avec le
soutien de l'Association pour le développement de l'éducation en Afrique
(ADEA).
Dans un premier temps, le travail a essentiellement consisté à former des
enquêteurs aptes à récolter des informations aussi exhaustives que possible
auprès de 400 institutions exerçant dans l'éducation non formelle. Les princi-
pales données recueillies ont concerné les aspects suivants:

L'ancienneté des institutions intervenant dans l'Éducation non


formelle
Comme l'indique le tableau ci-dessous la toute première institution recen-
sée existe depuis 1923 tandis que la dernière est née au moment de l'enquê-
te, en 1997. La question relative à l'ancienneté des institutions n'a pas reçu de
réponse de la part de 46 % des institutions interrogées. On constate que le
« printemps» de l'éducation non formelle survient en 1990, année interna-
tionale de l'alphabétisation et année de la Conférence mondiale de Jomptien.

54
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

Tableau J. Les tranches d'âges de création des Institutions.


Tranche d'année Nombre Fréquence
1923 - 1959 8 4%
1960 - 1969 2 1%
1970 - 1979 16 7%
1980 - 1989 34 16 %
1990 - 1997 155 72%
TOTAL 215 100 %

Il ressort de ce tableau qui fait le point des institutions qui ont répondu à
cette question relative à l'ancienneté que 72 % (soit 155 sur un total de 215)
ont été mises en place entre 1990 et 1997, 16 % des institutions ont vu le jour
entre 1980 et 1989, tandis que 12 % ont été créées avant 1980.

Les types d'institutions


Sur la base des informations collectées, les différents opérateurs dans le
domaine de l'éducation non formelle ont été regroupés par catégories.
Notons que la classification retenue ici ne tient pas compte des critères de
classification du Bureau de suivi des ONG (BSONG). Les différents types
d'institutions sont les associations (paysannes, syndicales, de femmes, etc.),
les Organisations non gouvernementales, les institutions internationales, les
services techniques étatiques, les projets de développement, les institutions
religieuses et enfin les prestataires de services privés.

Tableau II. Les types d'institutions


N° d'ordre Types d'institutions Nombre
01 Associations paysannes 67
02 Associations syndicales 15
03 Centre de formation d'étude et de recherche 23
04 Systèmes financiers décentralisés 5
05 Autres types d'associations 59
06 ONG 43
07 Projets (de développement) 50
08 Offreurs de service privés 4
09 Services techniques étatiques 78
10 Institutions religieuses 44
11 Autres institutions 12
TOTAL 400

55
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Les domaines d'activités


Si l'éducation non formelle est un point commun à l'ensemble des insti-
tutions recensées, on remarque que ces mêmes institutions interviennent dans
des domaines très diversifiés. Ainsi, on peut retenir que les domaines d'inter-
vention touchent surtout à l'éducation et à la santé, aux principaux problèmes
socio-économiques du monde rural, mais aussi à l'environnement, à la sécu-
rité alimentaire, à l'artisanat, à l'économie domestique et à l'hydraulique.
Au niveau des formations techniques spécifiques, les thèmes abordés sont
entre autres l'informatique, le journalisme, le théâtre, le syndicalisme, l'arti-
sanat, la gestion des entreprises, la santé de la reproduction, l'enseignement
ménager et la couture. Le constat général qui se dégage est qu'il existe une
faible spécialisation des institutions par rapport aux domaines d'activités.
C'est ainsi par exemple que plus de 90 % des institutions interviennent dans
plus de deux secteurs d'activités. En réalité, la plupart de ces institutions ratis-
sent large et ouvrent leurs activités sur tous les domaines porteurs dans les-
quels on trouve facilement des financements.

Les langues utilisées


Au niveau de l'utilisation des langues dans l'éducation nOIl formelle, les
institutions déclarent utiliser 32 langues dont 3 étrangères (Français, Anglais
et Arabe). Le tableau ci-dessous présente les 10 premières langues les plus
utilisées.

Tableau III. Liste des 10 premières langues les plus utilisées.

N° d'ordre Langues Nombre d'observations


Moore 230
2 Français 150
3 Jula 83
4 Fulfulde 46
5 Gulmancema 42
6 Dagara 17
7 Bissa 15
8 Nouni 14
9 Lobiri 11
10 Kasena 10

56
ÉTAT DES LIEUX DE l'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

En plus du français, on peut observer que l'utilisation des langues


nationales se fait progressivement. Sur la soixantaine de langues que compte
le Burkina Faso, seules une trentaine est utilisée dans l'enseignement non
formelle.

Le financement
Notre enquête s'est également intéressée aux budgets des institutions et à
leurs sources de financement. C'est un domaine très sensible et très peu de
structures acceptent mettre à la disposition des chercheurs les informations
sur leurs ressources. Ainsi par exemple, 252 institutions sur les 400
(soit 62 % ~e l'échantillon) ont fourni des données sur leur budget annuel.
Le montant total des budgets pour la campagne 1995-1996 s'est élevé
à 5 449000000 de F CFA soit en moyenne 21 062000 F CFA par institution.
Les montants dépensés en moyenne par institution, pour la même année,
sont de 19014000 F CFA pour les 252 institutions. Les montants dépensés
représentent donc environ 89 % des montants acquis soit 4 825 000 000 F CFA.
Si l'on s'intéresse au coût unitaire des formations, les 238 institutions qui ont
répondu à l'enquête, soit 60 % de l'échantillon, ont eu à dépenser
3694000 000 F CFA pour former 355 593 bénéficiaires. Ce qui revient à dire
que chaque personne formée aurait coûté Il 009 F CFA. En ce qui concerne
les sources de financement, il ressort de nos investigations que le finance-
ment des activités d'éducation non formelle provient des bénéficiaires pour
5 % des ressources propres des institutions pour 32 % et de l'appui extérieur
pour 63 %.

Les résultats
En termes de résultats pour la campagne 1995-1996, à savoir la campagne
qui a précédé l'étude, on a enregistré 43 223 personnes formées en alphabé-
tisation initiale (AI), Il 283 en formation complémentaire de base (FCB) et
24 826 dans les différentes formations techniques spécifiques (FfS). Les
bénéficiaires étaient de la tranche d'âge de 15 ans et plus et on dénombrait
53 % d'hommes et 47 % de femmes.
L'état des lieux complété d'ailleurs par une étude d'impact de l'alphabéti-
sation ciblée sur 15 des 400 institutions recensées atteste les effets bénéfiques
des différentes formations. Les effets bénéfiques sont le changement positif
du comportement, l'amélioration des conditions de vie, de la gestion des acti-
vités économiques, des revenus et de la santé, les meilleures applications des
techniques culturales et le dynamisme des organisations paysannes.
L'étude sur l'état des lieux a ainsi permis de répertorier 19 résultats qualita-
tifs dont les plus importants sont présentés dans le tableau ci-dessous.

57
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO : REGARDS PLURIELS

Tableau IV. Les prillCipaux résultats qualitatifs des formations acquises.

N° Résultats qualitatifs Nombre Fréquence


d'ordre d'observations %
Changement positif de comportement 114 27
2 Amélioration des conditions de vie 96 23
3 Meilleure gestion des activités 64 15
4 Meilleure application des techniques
culturales 52 12
5 Plus grand dynamisme des organisations
paysannes 34 8
6 Augmentation significative des revenus 32 7
7 Amélioration de la santé 29 7
TOTAL 421 99

L'état des lieux se présente donc comme un bon document de référence


sur les acteurs de l'éducation non formelle. Ainsi, quelques uns des
problèmes rencontrés par les acteurs sont cités dans ce document qui demeu-
re cependant insuffisant pour permettre d'appréhender l'ensemble des
problèmes à résoudre pour que les opérateurs burkinabè s'engagent avec séré-
nité et certitude de réussir dans sa stratégie du « faire faire » prévue pour
commencer dès la campagne d'alphabétisation 2002 - 2003.
Les problèmes qui ressortent de l'état des lieux sont essentiellement les
suivants:
- collecte souvent incomplète des données et des statistiques pas toujours
fiables;
- faible spécification des associations selon les activités;
- faible spécification des institutions par rapport au domaine d'activité;
- faible taux d'alphabétisation des femmes alors que plusieurs organisations
s'intéressent à ce volet;
- forte dépendance des financements étrangers ;
- faible taux de succès à l'alphabétisation initiale.

58
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

Le répertoire des opérateurs en alphabétisation


En juin 2002, l'Institut national d'éducation de base non formelle
(lNEBNF) a réalisé pour le compte du Secrétariat permanent du Plan décen-
nal de développement de l'éducation de base (PDDEB)4, un répertoire natio-
nal des opérateurs évoluant dans le sous-secteur de l'éducation non formelle.
La production de cet outil qui se veut un instrument de capitalisation du
potentiel institutionnel pour l'accroissement des compétences sociales et pro-
fessionnelles répond au souci du MEBA de disposer d'une banque de données
fiables sur les capacités des opérateurs. L'exploitation de ces données lui per-
mettra d'impulser le développement d'un management de qualité desactivi-
tés d'éducati!ln non formelle et de positionner l'alphabétisation utilitaire dans
le concert des alternatives de lutte contre la pauvreté.
Plus spécifiquement, le répertoire national des opérateurs a été réalisé
dans le but de :
- identifier sur le plan national, toutes les structures publiques et privées
œuvrant à la promotion de l'éducation non formelle;
- établir un partenariat fonctionnel entre le MEBA et les intervenants en
alphabétisation;
- favoriser l'émergence et la consolidation d'une culture de collaboration
entre les opérateurs ;
- apprécier les capacités de ces opérateurs aux fins d'asseoir un dispositif
efficace de gestion du sous-secteur sur la base de la distribution fonction-
nelle des rôles et l'application des principes d'équité et de transparence qui
conditionnent la mise en œuvre du fonds pour l'alphabétisation et l'éduca-
tion non formelle.

Les résultats de l'enquête au plan national


Pour l'essentiel, le répertoire fait ressortir au total 376 opérateurs en édu-
cation non formelle classés selon la nature de leur intervention, leur capacité
d'ouverture des centres et leur statut.
Tableau V. Catégorisation des opérateurs selon la nature de leur intervention.

Catégorie Nombre total Pourcentage


Opérateurs prestataires de service 14 3,72
Opérateurs bénéficiaires 256 68,09
Opérateurs bénéficiaires et prestataires
de service 106 28,19
Total 376 100

• MEBA, Le répertoire des opérateurs en alphabétisation et en éducation non fonnelle,


INEBNF (ex INA), juin 2002.

59
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Tableau VI. Classification des opérateurs selon leurs capacités d'ouverture


des centres.
Catégorie Capacités d'ouverture Nombre total Pourcentage
de centres
Première catégorie 1 à 10 centres 207 55,05
Deuxième catégorie 10 à 20 centres 73 19,41
Troisième catégorie Plus de 20 centres 96 25,53
TOTAL 376 55,06

Tableau VII. Classification selon le statut des opérateurs.

Statut opérateurs Nombre total Pourcentage


Associations 216 57,44
Fédérations 20 5,32
Groupements 26 6,91
ONG 52 13,82
Union de groupements 40 10,63
Autres dont les confessions religieuses, 22 5,88
les projets et programmes de développement,
les bureaux d'études et les coopératives
TOTAL 376 100

A travers ces tableaux récapitulatifs, on se rend compte de la diversité des


opérateurs et de leurs capacités à contribuer à l'amélioration de l'offre d'édu-
cation non formelle au Burkina Faso.

60
ÉTAT DES LIEUX DE L'ËDUCATION AU BURKINA FASO

Situation par région

Tableau VIII. Répartition des opérateurs par région et par province.

N° Région Provinces Opérateurs' Opérateurs' Opérateurs Total


prestataires bénéficiaires bénéficiaires'
de service et prestataires
de services

Boucle du Balé 1 5 1 7
Mouhoun Banwa 1 0 6 7
Kossi 0 1 2 3
Mouhoun 0 0 6 6
Nayala 0 0 2 2
Sourou 0 1 3 4
Total 2 7 20 29
2 Cascades Comoé 2 3 4 9
Léraba 0 1 2 3
Total 2 4 6 12
3 Centre Kadiogo 0 24 6 30
Total 0 21 6 30
4 Centre-Est Koulpelogo 1 0 5 6
Kouritenga 1 5 1 7
Total 2 6 14 22
5 Centre-Ouest Bulkiemdé 0 1 11 12
Sanguié 0 0 10 10
Sissili 0 0 7 7
Ziro 0 0 2 2
Total 0 1 30 31
6 Centre-Nord Barn 1 1 8 10
Narnentenga O, 1 3 4
Sanmatenga 2 6 13 21
Total 3 8 24 35
7 Centre-Sud Bazèga 0 2 12 14
Nahouri 0 4 2 6
Zoundwéogo 1 0 3 4
Total 1 6 17 24

, L'opérateur prestataire de service est un opérateur dont les missions consistent exclusivement
à apporter un appui technique aux autres opérateurs dans la réalisation de leurs programmes
d'alphabétisation et d'éducation non formelle.
6 L'opérateur bénéficiaire et prestataire de service est un opérateur ouvrant des centres et

apportant aussi un appui technique aux autres intervenants.


7 L'opérateur bénéficiaire est un opérateur exécutant un programme d'alphabétisation sur le

terrain.

61
LA QUESnON ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

8 Est Gounna 0 6 4 10
Gnagna 0 7 3 10
Kornandjari 0 1 1 2
Tapoa 0 9 1 10
Total 0 25 11 36
9 Hauts- Houet 0 1 4 5
bassins Kénédougou 0 2 3 5
Tuy 0 1 0 1
Total 0 4 7 11
10 Nord Lorurn 0 0 14 14
Passoré 0 0 14 14
Yatenga 0 0 21 21
Zondorna 0 0 Il Il
Total 0 0 60 60
Il Plateau Ganzougou 1 3 4 8
central Kourwéogo 0 3 6 9
Oubritenga 0 6 14 20
Total 1 12 24 37
12 Sahel Oudalan 1 2 3 6
Séno 0 6 10 16
Sourn 0 0 4 4
.
Yagha 0 0 1 1
Total 1 8 18 27
13 Sud-Ouest Bougouriba 1 0 5 6
loba 0 1 4 5
Nournbiel 0 0 4 7
Poni 0 0 7 7
Total 1 1 20 22
Total général 14 106 256 376

Les statistiques indiquent une inégale répartition des opérateurs dans les
régions. On totalise ainsi 60 opérateurs au Nord contre seulement Il dans les
Hauts-Bassins. A ces disparités régionales s'ajoute la fragilité du mouvement
associatif pour la promotion de l'éducation non formelle dans la plupart des
provinces où l'aide extérieure est peu présente. Six provinces (Yagha, Tuy,
Komandjari, Ziro, Léraba, Nayala) enregistrent entre 1 et 3 opérateurs dont
le dynamisme n'augure pas de leur participation accrue à l'atteinte des objec-
tifs du PDDEB en dehors d'un appui conséquent.
Un regroupement du potentiel des opérateurs actifs dans le sous-secteur
avec les zones prioritaires d'intervention du PDDEB laisse entrevoir l'urgen-
ce de la mise en œuvre d'un dispositif de planification efficiente. Cela doit

62
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

permettre de corriger les disparités géographiques en incitant d'autres opéra-


teurs plus nantis et bien expérimentés à investir dans les provinces concer-
nées. Ainsi, l'on pourra relever significativement le taux d'alphabétisation et
assurer aux populations une alphabétisation de qualité intégrée aux pro-
grammes de développement local.

La situation dans les 20 provinces prioritaires


duPDDEB
Tableau IX.

N° Ordre Provinces Nombre d'opérateurs


01 Banwa 7
02 Kossi 3
03 Ganzourgou 8
04 Koulpelogo 6
05 Namentenga 4
06 Sanmatenga 21
07 Ziro 2
08 Gourma 9
09 Kornandjari 2
10 Kornpienga 4
11 Tapoa 10
12 Lorurn 14
13 Sourn 4
14 Oudalan 6
15 Seno 16
16 Yagha
17 Nournbiel 4
18 Poni 7
19 Gnagna 10
20 Léraba 3
Total 141

63
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Les 20 provinces prioritaires totalisent 141 opérateurs, soit 37,5 % des


opérateurs recensés. Cinq d'entre elles (la Tapoa, le Lorum, le Séno, la
Gnagna et le Sanmatenga) comptent au moins 10 opérateurs au moment où
les autres provinces n'en comptent qu'entre 1 et 9. Par ailleurs, le répertoire offre
un aperçu détaillé de chaque opérateur en déclinant son identité juridique, sa
localisation spatiale, son extension géographique, sa nature et ses capacités. TI
présente aussi la situation des opérateurs par province, par région et au plan
national, ce qui lui vaut d'être un outil opérationnel à valeur consultative.
Enfin le contenu analytique des données du répertoire permet d'avoir une
lecture générale de la configuration du tissu institutionnel de l'alphabétisation
au Burkina Faso et de percevoir les liens articulatoires entre les programmes
d'alphabétisation et les unités socio-économiques gérées à la base.
Toutefois, pour une exploitation des données dans le cadre de la mise en
œuvre des dispositions du manuel de procédure du FüNAENF, il serait avan-
tageux de procéder à une réactualisation et à un approfondissement du réper-
toire qui tiennent compte des aspects stratégiques suivants:
- la stabilisation des concepts d'opérateur, de bénéficiaire, de prestataire de
service, d'opérateur émergent, en référence à la nomenclature adoptée dans
le manuel de procédure et à la littérature sous-régionale sur la question;
- la catégorisation des opérateurs en opérateurs éligibles au FüNAENF et en
opérateurs émergents ;
- la prise en compte de la situation du mouvement associatif féminin dans ses
rapports avec le milieu et les activités de développement;
-la séparation entre intervenants en éducation non formelle (opérateurs,
projets, sociétés de développement...) et opérateurs éligibles au FüNAENF ;
- la certification des affirmations des opérateurs sur la base d'une visite in
situ et d'analyse des sources prouvant les assertions des opérateurs;
- la plus grande commodité dans l'utilisation du répertoire en classant les
opérateurs par ordre alphabétique, par site d'implantation du siège, par pro-
vince d'intervention, par statut, par envergure;

64
ÉTAT DES LIEUX DE L'ËDUCATION AU BURKINA FASO

- une nouvelle classification nationale des opérateurs8 de manière à intégrer


les avantages du répertoire actuel et à prendre en compte les critères de
capacité et de qualité ;
- l'identification des opérateurs relais et de leurs capacités à accompagner les
petits opérateurs et ceux émergents vers l'autonomie;
- l'analyse de la couverture des zones prioritaires retenues dans le plan de
développement de l'éducation non formelle par des opérateurs qualifiés.

La stratégie de renforcement des capacités


des opérateurs en éducation non formelle
Cette problématique est abordée par une étude qui entre dans le cadre de
la prise en charge des facteurs d'efficacité du programme dont la mise en
oeuvre est marquée par de multiples innovations politiques, institutionnelle,
administratives et techniques. Les opérateurs en alphabétisation vont être au
cœur de la stratégie du « faire-faire» et l'expérience sous-régionale a montré
que le succès de l'entreprise est essentiellement tributaire de la qualité de la
sélection des opérateurs et de la rigueur du suivi et de l'évaluation. C'est pour-
quoi une attention particulière doit être accordée aux opérateurs dont le ren-
forcement des capacités constitue une des vocations du FONAENF.
L'étude devait permettre de :
- effectuer un diagnostic des besoins d'accompagnement des opérateurs sur
la base du répertoire des opérateurs ;
- définir une stratégie de diffusion du manuel de procédure;

8 Selon notre entendement, les précisions suivantes méritent d'être apportées:


a) Opérateur =organisation (quel que soit son statut) capable de concevoir et de mettre en œuvre
un programme d'éducation non formelle et le développement réellement sur le terrain.
b) Opérateur éligible au FONAENF = opérateur remplissant le critère lié à l'expérience et la
capacité et dont les indicateurs sont précisés dans le manuel de procédures:
c) Opérateur émergent = soit une organisation qui vient d'être créée, soit une organisation
ayant ouvert des centres mais sans grandes ressources, soit une organisation ayant une expé-
rience dans d'autres domaines du développement et qui s'intéresse maintenant à l'éducation
non formelle. L'opérateur émergent ne remplit pas tous les indicateurs du critère portant
expérience et capacité de l'opérateur.
d) Institutions d'appui = organisations prestataires de services dans le domaine de l'éducation
non formelle à la demande (étude du milieu, formation de formateurs. évaluation, études et
formations diverses ). Ces institutions d'appui qui peuvent être des cabinets privés, des ins-
tituts, des ONG n'ouvrent pas de centres d'éducation non formelle; cependant. certains opé-
rateurs de grande envergure peuvent offrir ce type de services gratuitement ou sur
rémunération.
e) Bénéficiaires = groupes d'apprenants suivant le programme proposé par l'opérateur en
réponse à leurs besoins révélés par une étude participative du milieu.

65
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

- proposer des mécanismes institutionnels et opérationnels en vue de garantir


l'efficience des programmes des opérateurs éligibles, de rendre compétitifs les
opérateurs non encore éligibles et de favoriser l'émergence d'opérateurs dans
les zones défavorisées (sans opérateurs) et leur accès au fonds;
- définir des stratégies pertinentes, les outils y compris pour le système de
contrôle de qualité à travers le suivi;
- définir les mécanismes efficaces pour l'information des opérateurs sur tout
le processus du manuel de procédure et leur formation sur son utilisation;
- proposer une stratégie pour l'exécution du programme d'appui 1 accompa-
gnement élaboré.
En somme, il s'agissait de faire un diagnostic des besoins et de définir des
stratégies de formation et d'accompagnement des opérateurs. Pour y parvenir
il a fallu réaliser une étude documentaire, organiser des entretiens et observer
sur sites réels la situation des opérateurs.

Les résultats de l'étude


A l'exception des opérateurs de grande envergure qui sont financés par des
bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, la plupart des opérateurs tra-
vaillent avec de petits budgets, un petit nombre de spécialistes et offrent des
programmes de petite échelle qui ciblent de petits groupes bien définis dans
des zones géographiques déterminées. On ne sait pas grand chose sur l'effi-
cacité des programmes offerts par les petits opérateurs, on ne sait pas non
plus s'ils ont la capacité professionnelle de développer et de gérer des pro-
grammes plus importants. De nombreux opérateurs maintiennent toutefois
qu'il faudrait prendre soin d'assurer un appui technique aux opérateurs les
plus petits, notamment dans les domaines de la formation des formateurs, des
méthodes d'étude participative du milieu, d'éducation des adultes et des maté-
riels didactiques.
L'étude menée dans huit régions a permis de rencontrer 145 personnes,
109 opérateurs et 20 Services d'éducation non formelle (SENF) et Services
d'alphabétisation (SA). Les résultats font ressortir le niveau très bas d'infor-
mation des acteurs à la base à la fois sur le plan du développement de l'édu-
cation non formelle, du FONAENF, de la stratégie du « faire-faire», du
manuel de procédure du FONAENF ainsi que des mutations institutionnelles
en cours (réorganisation du cabinet du ministre délégué, changement de statut et
de missions de l'INA). Les quelques exceptions constatées proviennent des opé-
rateurs ayant participé au premier forum national sur l'alphabétisation.

66
ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉDUCATION AU BURKINA FASO

Comme présenté ci-dessus, les opérateurs émergents en alphabétisation


constituent la majorité des opérateurs recensés sur le terrain. Ils sont caracté-
risés par :
- une absence d'expérience confirmée en conception et en gestion d'un
programme d'alphabétisation à la carte;
- une faible envergure de leur intervention ou leur caractère incomplet
(AI seulement) ou aléatoire (rareté ou caractère instable, insuffisant ou irré-
gulier du financement) ;
- une absence de ressources humaines qualifiées du fait de l'incapacité
d'assurer leur rémunération ou leur formation;
- une difficulté dans le développement d'un partenariat profitable avec les
organismes d'appui technique et financier.
Les conclusions de cette étude font apparaître une série de problèmes dont
la résolution permettrait une amélioration sensible de la prestation des opéra-
teurs en éducation non formelle. Ces problèmes sont:
- l'absence ou la faible présence d'opérateurs qualifiés dans beaucoup de pro-
vinces où des objectifs de correction des disparités sont retenus compte
tenu du taux d'analphabétisme élevé;
- la situation particulière de certaines langues minoritaires pour lesquelles
des efforts de productions écrites sont encore à faire ;
- la rareté des ressources humaines qualifiées pour toutes les opérations
requises pour un programme de qualité;
- la présence de beaucoup d'opérateurs qui ne remplissen~ pas les conditions
d'éligibilité au FüNAENF du fait de la faiblesse de l'expérience elle-même
tributaire de l'accès à des financements consistants et réguliers;
- la faiblesse de la qualité des résultats obtenus par certains opérateurs du fait
de la conjugaison de plusieurs facteurs 9 •

Conclusion
Nous retenons qu'il est très difficile d'établir un état des lieux complet et
exhaustif de l'éducation non formelle au Burkina Faso, Notre contribution a
été plus orientée vers une présentation des initiatives en cours. De ce fait,
nous confirmons que l'évolution de l'alphabétisation et de l'éducation non
formelle au Burkina Faso, ces dernières années, a connu une accélération du
fait d'une meilleure organisation du sous-secteur et d'une meilleure implica-
tion des différents acteurs,

'II s'agit notamment de la faiblesse des ressources, du retard de leur mise à disposition ou leur
irrégularité, de la non réalisation d'un~ étude du milieu. de l'utilisation de formateurs non quali-
fiés dans les centres d'alphabétisation, de l'impossibilité de payer le matériel didactique adapté.
de la faiblesse du suivi et de la supervision. de l'utilisation de programmes inadaptés. etc,

67
LA QUESTION ËDUCATIVE AU B'JRKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Les innovations en cours actuellement dans le sous système éducatif non


formel (Centres d'éducation de base non formelle, Écoles communautaires,
Centres Banma Nuara, Approches Reflect et Pédagogie du texte, ... ) attestent
de la volonté des acteurs de trouver des formes d'éducation alternatives en
évitant autant que faire se peut de reproduire au niveau de ce sous-secteur une
sorte de scolarisation parallèle, sans acquis véritables en termes de rendement
interne et externe.
Malgré les acquis enregistrés, le poids de l'analphabétisme se fait toujours
sentir de jour en jour. Nous sommes donc encore loin de réaliser l'éducation
pour tous au Burkina Faso. Les trois études de cas analysées dans cet article
se sont essentiellement focalisées sur les aspects quantitatifs pour rendre
compte de l'importance de l'alphabétisation et de l'éducation non formelle et
de leur implantation sur le territoire national.

Bibliographie
APENF/ADEA., L'état des lieux de l'éducation non formelle au Burkina Faso, 1999,
68 p.
COOMBS P., La crise mondiale de l'éducation, PUF, Paris, 1968.
COOMBS P., Attaching rural poverty : How non formel education can help. Cité par
BHOLA H.S., « L'éducation non formelle en perspective » in UNESCO,
Perspectives, Revue trimestrielle de l'éducation, Vol. XIII, Numéro 1, 1983.
DIAGNE A.W., NIAMEOGO A., OUOBA, « La stratégie de renforcement des
capacités des opérateurs en éducation non formelle », MEBAJFONAENF, Août
2002,51 p.
DIAGNE A. W., Le développement de l'éducation non formelle au Burkina Fr.so à
travers la stratégie du faire-faire, PENF, juin 2001, 50 p.
MEBA, Le programme Décennal de Développement de l'Éducation de Base
(PDDEB) 2000-2009, 1999,97 p.
MEBA, Le répertoire des opérateurs en alphabétisation et en éducation non formelle,
INEBNF (ex INA), juin 2002,450 p.
NIAMEOGO A. T., Etude-bilan de l'alphabétisation au Burkina Faso, UNESCO,
2001,92 p.

68
Deuxième partie
Éducation et société
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

Discours sur l'école et représentations


du système scolaire à Ouagadougou

Stéphanie BAUX*

Les représentations sociales sont définies, par un des fondateurs du


concept comme « une modalité de connaissance particulière ayant pour fonc-
tion l'élaboration de comportements et la communication entre individus»
(Moscovici, citée par Brigitta ORFALI, 2000, p. 240). Elles forment donc un
mode de connaître et d'agir en proposant un regard sur la réalité et en ori-en-
tant l'action. Historiquement et socialement déterminées, elles « investissent
la vie collective et engendrent des pratiques plus ou moins différenciées selon
les groupes sociaux» (ORFALI, 2000, p. 240). Si les pratiques sont large-
ment déterminées par les représentations sociales élaborées par les groupes et
les individus, les premières ont également une influence sur l'évolution et les
transformations des secondes. Pratiques et représentations sont donc liées. Il
apparaît alors important, d'une part, d'envisager, à travers les discours, les
schémas mentaux mis en place pour justifier les comportements et d'autre
part, de confronter les conduites passées ou actuelles des agents sociaux pour
l'évolution des représentations. « La compréhension des relations entre repré-
sentations et pratiques sociales suppose donc toujours un double travail d'ana-
lyse et de connaissance de chacun des deux termes en présence» (ABRIC, 1994,
p. 238). La tâche, étant donné son ampleur, n'est pas aisée, d'autant plus que
représentations et pratiques sont souvent polysémiques et ne peuvent se réduire
à une seule interprétation. Notre propos ici n'est pas de mettre en place un modè-
le théorique sur ces questions, il vise plutôt à fournir quelques résultats empi-
riques utilisant ces notions. L'exemple du système scolaire ouagalais montre
alors tout l'intérêt de ce type d'étude dans la compréhension des rapports entre
des acteurs et une institution sociale et socialisante.
Les conclusions proposées sont tirées d'une étude exploratoire effectuée
de juin 2001 à mars 2002 au sein de 1'UERD (Unité d'Enseignement et de
Recherche en Démographie) sur « l'offre et la demande d'éducation à
Ouagadougou », sous la direction de Marc Pilon et en collaboration avec
Komla Lokpo. Fondée sur un travail sociologique de type qualitatif, elle s' ap-
puie sur des entretiens approfondis (individuels et de groupe) auprès des
différents acteurs du système éducatif. Si cette recherche ne vise pas la repré-
sentativité statistique, elle tend à créer des pistes de réflexion pour la
construction d'un tableau d'ensemble de la scolarisation primaire à
Ouagadougou (à partir de deux quartiers de la ville, un loti et un non loti) en

* Sociologue, Doctorante à l'EHESS. Volontaire civile internationale à l'IRD.

71
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

analysant le fonctionnement de l'école, les pratiques familiales en matière de


scolarisation, les rapports entre les différents acteurs et leurs représentations
du système scolaire. L'enquête s'est déroulée auprès de trois fondateurs
d'établissements privés, six directeurs d'établissements (deux du public trois
du privé un d'une école franco-arabe), douze enseignants (deux instituteurs
d'écoles privées, quatre maîtres de l'école franco-arabe et six institutrices
d'une école publique), l'inspecteur de la circonscription étudiée, le Directeur
Provincial de l'Enseignement de Base et de l'Alphabétisation (DPEBA), le
Directeur Général de l'Éducation de Base (DGEB) du Ministère de l'Éduca-
tion de Base et de l'Alphabétisation (MEBA), un membre du cadre de
concertation des Partenaires Techniques et Financiers (PTF), un membre de
la coordination du Cadre de Concertation des ONG de l'Éducation de Base
au Burkina Faso (CCEBIBF), six membres du bureau des Associations de
Parents d'Élèves (APE) des établissements enquêtés et quinze ménages (huit
en zone non lotie et sept en zone lotie) dont les chefs de ménage leurs épouses
et les enfants de plus de douze ans ont été interrogés. La diversité des per-
sonnes enquêtées et leur positionnement dans le champ social a permis de
mettre en avant, d'abord la pluralité des discours sur le fonctionnement de
l'école dans la capitale ainsi que les difficultés que cette hétérogénéité susci-
te dans la construction du fait scolaire (notamment à cause des rapports par-
fois conflictuels entre les agents). Elle offre ensuite la possibilité d'esquisser
une analyse sur la place de l'école, à l'heure actuelle, à Ouagadougou et
même plus généralement, en milieu urbain au Burkina Faso.

Les discours sur le fonctionnement de l'école


Les perceptions des atouts et des contraintes de l'école, tant publique que
privée 1,à Ouagadougou sont différentes en fonction de la position de l'acteur
dans l'espace social et scolaire. Ainsi, les membres du MEBA, des ONG et
des PTF, qui ont une vision de la situation au niveau macro, jugent la ville
de Ouagadougou plutôt bien pourvue en ce qui concerne l'offre scolaire par
rapport au reste du pays: pour eux, la quasi-totalité des enfants vont à l'éco-
le, les enseignants sont en surnombre et bien formés, le matériel pédagogique
est suffisant, la ville est mieux adaptée au programme scolaire et les parents
sont globalement plus aisés, les enfants ont donc de meilleures conditions
de travail qu'en zone rurale. Les structures déconcentrées comme la DPEBA

1 En 2001 à Ouagadougou, il y a autant d'écoles privées (50,1 %) que d'écoles publiques


(49,9 %) même si les effectifs restent plus importants dans le public puisqu'ils représentent
plus de 60 % de l'ensemble des élèves ouagalais. Mais la tendance de 1997 à 2001 est à la
stagnation des effectifs dans le public (4 %) alors qu'elle est au fort accroissement (près de
54 %) dans le privé.

72
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

et l'inspection relaient quasiment le même discours: le système scolaire pri-


maire à Ouagadougou est globalement satisfaisant même s'il demeure
quelques problèmes notamment au niveau des infrastructures et du matériel
pédagogique. De leur côté, les directeurs et les instituteurs des écoles enquê-
tées évoquent davantage des difficultés liées à la défaillance des infrastruc-
tures, au manque de matériel pédagogique, aux classes surchargées, aux
problèmes économiques (notamment pour les factures d'eau et d'électricité)
et aux difficultés financières des familles. Le point de vue du personnel ensei-
gnant marque la nécessité de mettre en place des études approfondies en
désagrégeant les indicateurs pour avoir des données plus fines sur le fonc-
tionnement de l'éducation dans la capitale.
La fracture entre les décideurs des politiques éducatives et le personnel
enseignant mais aussi les familles est stigmatisée par la question des classes
à double flux instaurée dans les écoles publiques en réponse aux problèmes
de sureffectifs. Les premiers voient dans le système à double flux un moyen
de satisfaire au maximum la forte demande d'éducation, tout en limitant le
coût des infrastructures et du personnel. Ils assurent que cette réforme n'est
pas mauvaise en théorie mais qu'elle est le plus souvent mal appliquée. Les
enfants doivent normalement être toute la journée à l'école. Ils sont sensés
être encadrés pour d'autres activités comme les exercices et les travaux diri-
gés. Or, selon le ministère et les PTF, les enseignants ne respectent pas les
principes de fonctionnement. S'ils reconnaissent que les mesures d'accom-
pagnement élaborées pour que les élèves travaillent toute la journée, même
s'ils n'ont qu'une matinée ou une après-midi de cours, tardent aussi à se
mettre en place, ils considèrent que l'échec du double flux est imputable à
certains instituteurs qui choisissent de réunir les deux cohortes et de faire
cours avec des effectifs pléthoriques de 100 à 120 élèves. Ce que le MEBA
qualifie de « mesure d'efficacité », dans son Plan Décennal de Développement
de l'Éducation de Base (PDDEB) 2000/2009 est très mal perçu et jugé ineffi-
cace par le personnel enseignant qui évoque aussi le mécontentement des
parents. Il rejette la politique du MEBA qui n'a pour seul but que l'augmen-
tation de la quantité de l'offre scolaire au détriment de la qualité: « Les auto-
rités en charge de l'éducation savent très bien que le système est inadapté.
C'est une politique qui consiste à inscrire beaucoup d'enfants sans se soucier
de la qualité, du rendement. Les enfants issus d'un tel système ont un niveau
d'enseignement très bas. ». explique un directeur d'établissement. Nombreux
sont les membres du personnel enseignant qui affirment que la dépréciation
de l'enseignement primaire public vient des classes à double flux. « Les
parents ont bien conscience que les élèves apprennent moins bien quand ils
ont deux fois moins d'heures de cours ». Ainsi, le rejet de cette innovation
pédagogique orienterait les familles qui ont les moyens vers des établisse-
ments privés. Les familles refusent. en effet, massivement le double flux

73
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

arguant que les enfants dans ce type de classe ont un enseignement dévalué
puisqu'ils ont un volume horaire réduit. Cette méthode est d'autant plus mal
perçue par les familles les plus démunies qu'elle s'inscrit en contradiction
avec un système de pensée relevant d'une culture du travail où l'effort four-
ni est en rapport direct avec la réussite. Ainsi, les parents ont tendance à
considérer l'efficacité d'une école en fonction de la quantité de travail
demandé aux élèves. Les écoles privées l'ont bien compris et développent,
surtout dans les classes d'examen, des cours supplémentaires de préparation.
Au niveau des familles enquêtées, les critiques proférées à l'encontre
du système scolaire concernent aussi l'absentéisnJ~ des enseignants que leur
pluriactivité qui les empêchent de se consacrer à leurs tâches éducatives et le
harcèlement par les fondateurs des écoles privées des parents d'élèves qui
tardent à payer. De leur côté, les enseignants, même s'ils admettent les diffi-
cultés financières de nombreux ménages ouagalais, ont souvent une percep-
tion déficitaire du comportement des familles qu'ils jugent laxistes,
désinvoltes, non disponibles et non présentes dans la scolarisation de leurs
enfants. Suivant les interlocuteurs, le discours met plutôt l'accent sur les
causes objectives (manque de disponibilité, soucis financiers, etc.) ou
subjectives (insouciance, mauvaise volonté, choix de priorités non rationnels,
alcoolisme, etc.). Au contraire, beaucoup de ménages affirment se sacrifier,
notamment au niveau financier pour la scolarité de leurs enfants et soutien-
nent qu'ils sont le plus présents possible à l'école. Mais certains pères
avouent également que la honte, liée au dénuement et à l'analphabétisme les
empêche parfois d'aller voir les enseignants surtout quand ils ne peuvent
s'acquitter des frais de scolarité dans les délais. C'est aussi pour cette raison
que les parents se montrent globalement peu critiques à l'égard du système
scolaire et de son fonctionnement, dévoilant ainsi leur sentiment d'infériorité
face aux lettrés et à la puissance emblématique de l'école en tant qu'organe de
transmission d'un modèle culturel dominant.
L'ensemble de ces discours montre la diversité des représentations liée au
fonctionnement de l'école à Ouagadougou. Leur confrontation permet
d'illustrer une partie des problèmes de l'activité scolaire dans la capitale et
révèle que les auteurs se renvoient les responsabilités. Elle souligne égale-
ment les déficits de communication entre les décideurs des politiques éduca-
tives et le personnel enseignant d'une part et d'autre part entre ce personnel
enseignant et les parents d'élèves, stigmatisant par-là les relations difficiles
entre analphabètes et gens instruits. Mais si les différents acteurs rencontrés
n'ont pas les mêmes conceptions du fonctionnement du système et qu'il en
résulte des tensions entre eux, tous s'accordent à penser que la scolarisation
des enfants est aujourd'hui indispensable.

74
,,
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

L'institutionnalisation du fait scolaire dans la capitale


Les discours recueillis auprès des différentes personnes interrogées souli-
gnent tous une institutionnalisation du fait scolaire à Ouagadougou et une
légitimation du savoir véhiculé par l'école. Les acteurs du système scolaire
(MEBA, organes déconcentrés, PTF, ONG et personnel enseignant) conçoi-
vent tous l'école comme un réel facteur d'intégration et de construction
sociale car elle permet d'enseigner « le minimum commun», le socle social
des références communes indispensables à la constitution d'une nation. Les
parents d'élèves et les APE considèrent également cette intégration sociale
mais à un niveau plus micro: ils veulent que, par l'école, leurs enfants soient
«comme les autres ». Dans une ville comme Ouagadougou aujourd'hui où le
taux de scolarisation est élevé par rapport au reste du pays, les enfants scola-
risés représentent la norme et les non-scolarisés, l'exception. Celui qui ne
« fréquente» pas en devient isolé.
Cette vulgarisation de l'institution scolaire ne concerne pas seulement la
capitale burkinabé mais plus généralement le milieu urbain en Afrique,
comme le montrent les conclusions des recherches menées par Etienne
GERARD à Bobo-Dioulasso (GÉRARD, 1999) mais aussi celles de Bénédicte
Kail à Bamako (KAIL, 1999) ou de Laurence Proteau à Abidjan (PROTEAU,
1999). Il apparaît alors important, pour comprendre ce phénomène, de resituer
les discours recueillis sur l'importance de l'école dans leur contexte, notam-
ment géographique et historique. Le système scolaire, érigé sur une base struc-
turelle mise en place sous la colonisation, a d'abord été réservé à une élite. Il
s'est ensuite étendu à une part plus large de la population en vue de la propa-
gation d'un modèle culturel mais aussi pour le renforcement de l'appareil
administratif. Pour cette raison, l'expansion scolaire épousait la carte politique:
le système scolaire s'est alors d'abord développé en milieu urbain, pôle de ges-
tion administrative et politique (GÉRARD, 2001).
A l'heure actuelle, le français, langue officielle et l'écrit structure le
monde social, par l'intermédiaire de la Loi, de la communication et de l'in-
formation notamment ce qui participe à la propagation de la « culture scolai-
re ». Les parents qui ont bien conscience de cette nouvelle donne sociale
expriment cette nécessité: « Il ne faut pas laisser les enfants dans le noir. Si
on t'envoie une lettre, tu ne peux pas lire. Si tu demandes à ce qu'une tierce
personne te lise, ce n'est pas la peine. Ce qu'on dit à la radio, dans les jour-
naux, il faut pouvoir lire. Or si tu n'es pas scolarisé ce n'est pas la peine» ;
« Les temps anciens et maintenant, ce n'est pas la même chose: si tu ne
connais pas écrire ton nom, tu ne peux rien faire ».
La scolarisation a alors une fonction concrète: l'apprentissage du fran-
çais, de l'écriture et de la lecture. L'analphabétisme marginalise et inflige
une dépendance vis-à-vis du lettré. celui qui possède ce savoir permettant

75
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

la connaissance des règles sociales et leur utilisation. Comme l'illustre cette


citation, les parents illettrés ont bien conscience de l'état de servilité dans
lequel les place cette méconnaissance du « papier» et du français: « Quand
on ne sait ni lire, ni écrire, c'est pas bon. On peut se faire rouler par quelqu'un
d'autre». Ceux qui ont été à l'école ont la possibilité de se défendre, de faire
valoir leurs droits alors que ceux qui n'ont jamais fréquenté sont condamnés
à la soumission. Ils peuvent être manipulés par les gens instruits et ont le sen-
timent d'être toujours en position d'infériorité. C'est d'ailleurs ce qui ressor-
tait de l'entretien de groupe effectué auprès des parents d'élèves. Ils se
sentaient rejetés par l'institution scolaire, notamment à cause de l'impossibi-
lité d'être élu au bureau de l'APE parce qu'ils ne savaient ni lire ni écrire.
C'est la raison pour laquelle, la mise a l'école apparaît comme un devoir
moral, une obligation pour éviter que leurs enfants subissent le même sort.
Pour tous les acteurs rencontrés, l'école est donc indispensable pour réus-
sir tant au niveau individuel que collectif: « un pays sans école, je ne sais pas
comment il peut se construire. Un enfant qui n'est pas allé à l'école,je ne sais
pas ce qu'il peut devenir.» résumait un membre d'une APE. La scolarisation
devient alors le gage d'un futur: développement de la nation mais aussi épa-
nouissement individuel. Elle apparaît comme le seul moyen de s'insérer dans
le marché du travail. Jusqu'aux années 1980, le système scolaire ouvrait
directement la porte de l'administration publique et du secteur moderne.
La scolarisation engendrait une nouvelle forme de différenciation sociale et
bouleversait les structures sociales existantes par la création d'une nouvelle
hiérarchie fondée non plus sur la naissance mais sur la formation. Le systè-
me scolaire contenait alors la promesse d'une promotion sociale, fondée sur
la puissance symbolique d'une culture dominante, « le savoir du blanc» et
son corollaire de prestige.
Depuis la mise en place des politiques d'ajustement structurel dans les
années 1990 qui ont mis un frein au recrutement systématique des diplômés
dans la fonction publique sans que cela ait été compensé par le développe-
ment du secteur privé « moderne» de l'économie, la possession de capital
scolaire n'est plus synonyme de mobilité sociale. Si les familles ont bien
conscience de l'arrêt de cette symétrie entre scolarisation et travail salarié, la
mise à l'école garde sa puissance symbolique et cristallise l'espérance de pro-
motion sociale pour au moins un des enfants scolarisés. Ainsi, planent enco-
re dans les représentations de l'école, le rêve, même s'il est écorné, du
fonctionnariat et d'un changement radical de la situation économique et
sociale: les familles espèrent encore que leurs enfants réussissent scolaire-
ment pour devenir « fonctionnaires» ou « employé de bureau» dans l'édu-
cation ou la santé essentiellement professions qui incarnent encore le haut

76
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

niveau de la hiérarchie'. Parallèlement, ['école apparaît actuellement indis-


pensable pour toute forme d'emploi et pour réussir toute activité rémunéra-
trice. Nombreuses sont les personnes qui ont affirmé ne pas pouvoir trouver
de travail en raison de leur méconnaissance des rudiments scolaires: la sco-
larisation est alors nécessaire même « pour creuser un trou» ou « faire la
mécanique» : « un mécanicien qui reçoit une machine en réparation avec la
notice et qui ne sait pas la lire a un vrai handicap dans l'exercice de sa pro-
fession ». Le système scolaire représente donc un outil primordial pour
apprendre à être autonome, indépendant, pour « se débrouiller dans la vie»
et subvenir à ses besoins.
Ainsi, la représentation du rôle de l'école est étroitement liée à la quête
d'un emploi. Mais, le chômage des diplômés et la paupérisation des popula-
tions depuis la dévaluation de franc CFA jettent un voile de doute sur la capa-
cité du marché de l'emploi à assimiler tous les jeunes sortant de l'école avec
un certain bagage en poche, d'autant plus que, face à la volonté politique de
développement du système scolaire primaire, « le droit à J'école pour tous
n'est dorénavant pl us affirmé en ce qui concerne l'enseignement secondaire
et supérieur, ces enseignements étant jugés par les bailleurs de fonds trop
coûteux et à faible incidence sur le développement économique. » (LANGE,
1999). Au vu de cette restructuration du système, la quasi-unanimité des
discours exprime la volonté de développer la professionnalisation de l'édu-
cation. Le MEBA, la DPEBA et plusieurs directeurs et instituteurs y sont
favorables dès le primaire'. Le premier cycle doit pouvoir être aussi un
apprentissage. Certains directeurs regrettent que des élèves refusent les tra-
vaux manuels au sortir des écoles. Est aussi sous-jacent le rejet de l'intellec-
tuel inutile qui ne fait rien de concret. Beaucoup souhaiteraient que soient mis
en place des ateliers de travaux manuels (couture, mécanique, etc.) pour
apprendre aux enfants un métier.

2 Il est, à ce titre, intéressant de constater comment le métier d'enseignant est valorisé pour les
familles que nous avons interrogées, alors que de l'autre côté, les instituteurs se plaignent de
la perte de reconnaissance de leur profession qui s'inscrit en parallèle de la dégradation de
leurs conditions de vie.
1 En ce qui concerne les acteurs de l'offre, seul J'inspecteur et un membre des PTF ont rejeté

la professionnalisation de récole en affirmant que le chômage et la pléthore de main-d'œuvre


n 'ont aucun rapport avec un problème d'inadéquation de la formation et de l'emploi. L'école,
pour eux, n'a pas pour rôle d'apprendre une profession mais de véhiculer des valeurs et de
former l'enfant mentalement. En ce sens, la formation est adaptée mais J'emploi est en crise.

77
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Selon le SNEA-B4, syndicat enseignant, les enseignants peuvent « mieux


jouer leur rôle d'éducateur en prenant en compte les domaines du savoir, du
savoir-faire et du savoir être afin d'assurer aux enfants une formation globa-
le et équilibrée ». L'idée d'un cycle primaire terminal autosuffisant dévelop-
pé dans le PDDEB reflète cette conception de l'éducation. L'école doit
fournir les moyens à l'enfant de s'intégrer au processus de production. Il doit
pouvoir s'insérer économiquement dans la société après le CM2.
Selon le Directeur général de l'Enseignement de base (DGEB), il y a trop
de « déchets scolaires» à l'heure actuelle, peu d'enfants entrent en sixième
et l'État n'a pas les moyens de développer un accès massif dans le secondai-
re. Faire du système primaire un cycle terminal permet alors de donner aux
enfants un minimum d'acquis pour s'insérer professionnellement dans la
société. Pour les acteurs de l'offre scolaire, dont le capital scolaire a permis
d'acquérir un certain capital politique, économique et symbolique, selon leur
place dans la hiérarchie sociale, ces discours renvoient l'idée sous-jacente
que la majorité des enfants doivent recevoir une formation pratique et seule
une petite catégorie doit être formée dans l'abstraction pour constituer les
décideurs de demain. Leur volonté de construire une « école de production»
reflète une vision élitiste de l'école qui est un, sinon le seul facteur détermi-
nant de la hiérarchisation de la société. 5

4 Le SNEA-B veut réhabiliter les travaux, in Le Pays n02459 du mardi 4 septembre 2001.
, Les familles semblent, au contraire, construire leurs schémas représentatifs sur l'école sans
prendre en compte son fonctionnement inégalitaire ou en la légitimant. Les représentations
que l'on peut qualifier d' « aliénantes» selon l'expression de Michel Gilly (1989) ne remet-
tent pas en cause la sélectivité du système: elles attribuent aux enfants ou à Dieu les raisons
de l'échec. Seul un père interrogé a accusé le système de freiner la progression des enfants
au cours des cycles par l'introduction de barrières économiques. surtout dans le secondaire:
« l'école empêche les pauvres de réussir », dit-il.

78
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

Mais beaucoup de parents concluent aussi qu'il est nécessaire de ne pas


s'en tenir aux savoirs scolaires pour préparer l'avenir de ses enfants. Ils pen-
sent alors qu'il est indispensable de développer leurs connaissances des tra-
vaux manuels. Si certains considèrent que ce n'est pas à l'école d'enseigner
ce type d'apprentissage et préfèrent former leurs enfants pendant les
vacances, de nombreuses familles et membres du bureau des APE se sont dits
eux-aussi, favorables à une professionnalisation de l'éducation: les enfants
qui ne peuvent pas travailler dans des bureaux doivent donc apprendre à l'éco-
le les travaux manuels comme la mécanique, la couture, voire les travaux ména-
gers pour les filles. Cette idée n'est pas nouvelle : une enquête réalisée
en 1973-1974 par le Service de la Planification de l'Éducation du Ministère de
l'Éducation Nationale dans 42 localités du Burkina Faso concluait que les popu-
lations avaient déjà le souci d'avoir une formation utile liée à l'enseignement et
à l'apprentissage d'un métier (KABORÉ et al., 2001, p. 99).
Si pour les parents, le désir de professionnaliser l'éducation scolaire pro-
vient probablement d'une inquiétude grandissante face à un avenir incertain
où il faut multiplier les ouvertures pour avoir des chances de « se
débrouiller », on peut se demander si ce désir n'émane pas de leur volonté
d'intégration dans l'institution par l'introduction de savoir-faire qu'ils possè-
dent. Les parents illettrés qui ne se sentent pas la légitimité d'intervenir dans
un modèle éducatif dont ils ne maîtrisent pas les règles expriment ainsi la
volonté d'être partie prenante du système éducatif par la mise en place d'un
certain syncrétisme entre culture « occidentale» et culture séculaire.
Les changements sociaux opérés depuis l'indépendance et l'assimilation
de plus en plus poussée, parce qu'elle s'immisce dans l'ensemble du champ
social, de la culture allochtone (celle des anciens colons) s'inscrivent dans les
discours. Ils apparaissent irréversibles et obligent donc à un repositionnement
souvent difficile: dans les milieux citadins populaires, « les différents savoirs
(initiatiques, pratiques, sociaux) s'articulent autrement et occupent une place
différenciée depuis l'incursion de l'école. ( ... ) Avec l'école, le champ des
savoirs, caractéristiques de ces sociétés subsahariennes, s'est transformé; en
milieu urbain, la culture scolaire en occupe le pôle. (... ) Elle est devenue
référentielle» (GÉRARD, 1999, p. 106). Les savoirs scolaires représentent
donc une ouverture. Ils sont associés à l'idée de progrès auquel les popula-
tions se doivent de participer. Mais, pour beaucoup, il ne s'agit pas non plus
de le substituer complètement aux savoirs autochtones qui structurent eux
aussi le social. Il ressort de l'analyse des représentations de l'institution
scolaire un tiraillement entre les deux systèmes de valeurs en présence.
Ce tiraillement est cristallisé dans 1'hétérogénéité des discours concernant
l'adéquation des valeurs de l'école à la société burkinabé. Pour beaucoup
d'acteurs du système scolaire, l'école n'est pas en accord avec les valeurs de la

79
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

société mais les valeurs diffèrent selon l'interlocuteur. Pour certains, l'école est
un produit de la colonisation. Elle va donc à l'encontre des valeurs sociales
séculaires. Ainsi, l'école amène l'individualisme quand la société tradition-
nelle est fondée sur la solidarité et la communauté, elle entraîne le rejet des
travaux agricoles et manuels alors que le pays est essentiellement rural, etc.
Pour d'autres, l'école véhicule une éthique que la société, décomposée, a
perdu; mais certains admettent que c'est l'école qui forme les technocrates
corrompus. École et société sont donc intimement liées, elles s'influencent
mutuellement que ce soit positivement ou négativement. Trois niveaux de
discours ressortent des entretiens auprès des familles. Pour certains, l'éduca-
tion scolaire et les valeurs transmises à l'école sont en accord avec celles
inculquées au sein de la cellule familiale. Pour d'autres, le champ des savoirs
est, surtout en milieu urbain, stigmatisé par le savoir scolaire. Les valeurs de
la famille et de l'éducation parentale sont alors complètement dénigrées. Les
parents analphabètes semblent être en rejet de leur éducation qui n'apprend
plus rien aux enfants alors que l'école ouvre de nombreuses perspectives rejet
qu'ils légitiment par le fait que les enfants ne les écoutent plus. D'un autre
côté, plusieurs parents pensent que les éducations scolaire et familiale sont
complémentaires et qu'ils ont un rôle à jouer dans l'école même si on leur
refuse ce droit. Certains pères et mères considèrent que l'école alphabétise
mais n'éduque pas. C'est à eux que revient alors l'essentiel de la transmis-
sion des savoirs et des valeurs sociales. Ainsi l'éducation des enfants procé-
derait d'une alchimie complexe entre savoirs «modernes », symbolisant le
progrès et l'avenir, transmis par l'école, et savoirs « traditionnels », garants
des valeurs sociales et morales ancestrales, indispensables à la définition de
l'identité.
La diversité des discours souligne le laborieux travail de syncrétisme qui
se construit petit à petit entre des systèmes de pensées et de construction
sociale hétérogènes, voire antagonistes et la lutte des différents champs des
savoirs pour trouver leur place. « En extrayant la formation des jeunes acteurs
sociaux de l'immédiateté des situations pratiques, en les arrachant à leurs
ethnismes, elle crée les conditions de conquête d'une certaine distance à
soi-même et engage la genèse de nouvelles formes d'individualités. »
(DE QUEIROZ, 1995, p. 121). Si l'éveil et l'ouverture d'esprit que transmet
l'école sont plébiscités, il peut aussi faire peur car il donne la possibilité aux
enfants de remettre en cause l'ordre établi. Certains comportements refl"œnt
alors ces oppositions, c'est notamment le cas de la scolarisation des filles.
L'importance de celle-ci est quasiment unanimement reconnue dans les
discours par l'ensemble des personnes interrogées. Mais, si peu de parents
avouent ouvertement des pratiques discriminantes à l'égard des filles.

80
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

La différenciation des stratégies entre filles et garçons est perceptible dans


ces pratiques6 • Ainsi, dans plusieurs familles, le favoritisme envers les gar-
çons est manifeste : les filles sont scolarisées mais moins longtemps, elles se
retrouvent plutôt dans le public ; elles connaissent davantage des change-
ments d'écoles, au gré des aléas économiques et de la scolarisation des autres
frères et sœurs ; elles sont aussi plus souvent confiées à un tiers pour leur
mise à l'école. L'échec scolaire des filles n'est pas forcément vécu comme un
échec social. Si les filles sont bien scolarisées au primaire puisque la parité y
est atteinte, elles sont moins nombreuses au collège. Il ressort d'ailleurs des
entretiens menés auprès des filles scolarisées que leurs aspirations futures,
reflet de l'ampleur de la pression sociale sur leur vision de l'éducation, sont
moins ambitieuses que celles des garçons. Ainsi, la scolarisation des filles est
importante car, instruites, elles acquièrent un certain capital social qui favo-
risera le mariage à « un bon parti» mais une trop longue scolarisation pour
les femmes fait croire à une trop grande autonomie, préjudiciable au mariage
(GÉRARD, 1998). L'autocensure des jeunes filles concernant la durée de leur
étude prouve que cette idée conditionne les pensées et maintient la femme
dans le rôle qui lui est imparti. C'est la raison pour laquelle, quasiment toutes
les filles rencontrées se plient aux activités extra-scolaires que leurs parents
leur imposent de faire: elles doivent apprendre, avant tout, leur futur rôle de
mères et d'épouses. Même les principales intéressées sont d'accord avec cet
état de fait: « tu dois laver les plats et préparer la nourriture car si tu te maries
et tu ne connais rien faire, c'est pas bon ». L'école créant une certaine auto-
nomisation des filles et les empêchant de se consacrer pleinement aux tâches
ménagères, les mères sont souvent les premières à rejeter la mise à l'école ou
le maintien des jeunes filles dans un long cursus scolaire.
La quasi-totalité des acteurs de l'offre d'éducation admettent que « édu-
quer une fille c'est éduquer une nation »7. Mais on peut se demander s'ils ne
considèrent pas, comme bon nombre d'acteurs internationaux, que l'aug-
mentation de la scolarisation des filles procède davantage d'une vision utili-
tariste, sachant que les filles d'aujourd'hui seront les femmes et les mères de
demain, que d'une question éthique posée en terme de droit fondamental à
l'éducation, qui implique de réduire les inégalités» (KABüRÉ et al., 1999,
p. 3). L'instruction des femmes ne doit donc pas remettre en cause leur rôle
et leur place dans la société. Seul un membre de la coordination

6 « Certains aspects de la représentation sont explicitement véhiculés dans les discours et


d'autres enfouis dans les pratiques» (ABRIC, 1994, p. 229). Il est donc indispensable, dans
des études sur les représentations d'articuler la recherche tant sur les dires que sur les actes.
7 Cette citation de l'UNICEF a été fréquemment utilisée par les acteurs rencontrés lors de l'en-

quête exploratoire mais aussi par certains écoliers, preuve que c'est l'école même qui véhi-
cule et reproduit les valeurs sociales.

81
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PlURIELS

du CCEBIBF, l'inspecteur de la zone, une mère d'élève et une jeune fille


revendiquent explicitement l'éducation des filles comme un moyen d'éman-
cipation du sexe féminin et comme un instrument de changement social en
faveur des droits de la femme: « sans école, la fille aura des difficultés avec
son mari. En matière d'argent, ton mari ne peut pas te déranger si tu as ton
boulot et il a le sien. Une femme qui n'a pas étudié ne peut pas être libre ».
Les modes de scolarisation des filles élaborés par les familles ainsi que le
comportement des fillettes qui adaptent leur scolarité aux exigences sociales
montrent les moyens d'ajustement des stratégies mises en place pour que
l'école restructure mais ne déstructure pas un certain ordre social. La diver-
sification des pratiques scolaires face à une offre variée (écoles publiques ou
privées, laïques ou confessionnelle), dont l'État n'a plus le monopole, reflè-
te l'autonomisation des familles et contribue au processus d'appropriation
par les populations du champ scolaire. En effet, l'institutionnalisation de
l'école a pour corollaire une pluralité des actes de scolarisation d'une famil-
le à l'autre mais aussi à l'intérieur de celles-ci : les stratégies de scolarisation
sont mixtes ; elles consistent à scolariser ses enfants dans des établissements
différents (publics, privés laïcs ou confessionnels) ou à changer les enfants
d'établissement au gré de leur réussite et des contraintes posées au ménage.
Les pratiques actuelles reflètent en cela les systèmes de représentations éla-
borés : la mise à l'école est nécessaire, certains parents mettent donc en
œuvre des stratégies d'acharnement scolaire, de maintien dans le système par
le changement d'école du public au privé ou inversement, etc. D'autres sco-
larisent leurs enfants dans les écoles franco-arabe pour que l'apprentissage de
l'écrit et du français se fasse en parallèle à l'instruction d'un savoir religieux
musulman. «Loin d'être reproduits à l'identique, la culture scolaire et le sys-
tème qui l'a transmise sécrètent une multiplication des structures et modèles
éducatifs. Tout autant qu'ils les transforment, ils sont travaillés par les struc-
tures et pratiques sociales ». (GÉRARD, 1999, p. 114). Cette institutionnali-
sation de l'école par l'ensemble de la population urbaine permet aussi la
transformation des politiques éducatives. La scolarisation étant admise et
considérée comme indispensable, elle donne la possibilité de privatiser l'édu-
cation, en laissant les écoles privées se développer tout en stoppant les inves-
tissements publics, sans prendre le risque d'un processus de déscolarisation
dû au désintérêt des ménages.

82
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

Conclusion
Comme nous avons essayé de le montrer tout au long de cet exposé, l'éco-
le à Ouagadougou « s'institue» : les parents sont de plus en plus conscients
de l'importance de la scolarisation des enfants pour leur pennettre de s'inté-
grer socialement et de s'insérer plus tard dans le marché du travail. Même si
les familles connaissent la crise de l'emploi à l'heure actuelle, elles fixent
beaucoup d'espoir dans l'école pour préparer leurs enfants à un avenir
meilleur. De leur côté, les jeunes scolarisés gardent tous le rêve de devenir un
jour «employés de bureau ». La plupart des parents interrogés lors de notre
enquête étaient analphabètes, ils avaient donc une représentation du système
très symbolique fondée sur le prestige des gens lettrés mais ignoraient tout
des mécanismes scolaires et du fondement profondément inégalitaire du sys-
tème. Peut-on alors envisager cette institutionnalisation comme un phénomène
irréversible? Une mère d'élèves rencontrée dans un quartier non loti qui avait
été à l'école jusqu'en classe de troisième, se plaignait de n'avoir jamais pu
utiliser son bagage scolaire pour améliorer sa situation économique difficile.
Elle se trouvait en rejet de la scolarisation arguant qu'elle ne lui avait été
d'aucun secours pour s'intégrer dans le marché du travail. Ses enfants ne fré-
quentaient un établissement scolaire que par la volonté de son mari. Cet
exemple reflète la fragilité de la situation actuelle : quelles pratiques et
quelles représentations auront les déçus du système scolaire, devenus à leur
tour parents quand il sera question d'inscrire leurs enfants à l'école? « C'est
au moment où l'école finit par sunnonter les méfiances populaires et obtenir
leur adhésion qu'elle trompe dans bien des cas leurs attentes, soit en ne trans-
mettant pas ce que les parents désirent et de la façon dont ils le désirent, soit
en mettant l'élève en situation d'échec, soit encore en décernant un diplôme
dévalorisé» (DE QUEIROZ, 1995, p. 121). Les déscolarisés (PROTEAU,
1999) ou les diplômés au chômage révèlent une nouvelle fonne d'exclusion
ou de marginalisation sociale qui posent le problème de la pérennité de
l'institutionnalisation de l'école, basée sur son pouvoir d'intégration sociale.
Les changements actuels des représentations relatifs à l'école s'inscrivent
donc dans d'autres systèmes généraux de représentations sociales en cours
qui tendent à établir un syncrétisme entre différents savoirs et différentes cul-
tures. Le système scolaire, au cœur de ses transfonnations complexes, ne
semble pas avoir encore trouvé sa place.

83
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

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84
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

Représentation de l'école par les parents


au Burkina Faso

Anselme YARü *

Introduction
Depuis les « appels à réorientations » pour une éducation de base pour
tous issus de la Conférence de 10mtien en Thailande, en 1990, des aménage-
ments et des réformes ont été mis en œuvre au sein du système éducatif bur-
kinabè. Les efforts se situent sur le plan du développement quantitatif et
qualitatif, à travers l'objectif de l'accroissement du taux de scolarisation et
l'amélioration de l'efficacité du système éducatif, tant interne qu'externe. Au-
delà des objectifs de 10mtien, les réalités scolaires de ce pays réclamaient des
initiatives et des stratégies. C'est ainsi qu'ont été adoptés ou développés les
systèmes du double flux et du multigrade, la pédagogie de grands groupes et
l'enseignement bilingue français-langues nationales. Parallèlement à ces
innovations, ont été déployées plusieurs autres interventions comme celles
observables du côté des populations, au nom d'un partenariat de l'État avec
la société civile. Dans les tendances actuelles, une adhésion plus forte des
communautés à la scolarisation est en effet recherchée. La participation des
communautés devrait être plus intense et se diversifier en portant sur le finan-
cement (main-d'œuvre, équipement des élèves et des écoles) et sur le fonc-
tionnement de l'école (sa vie quotidienne) ou sur l'éducation (appui aux
maîtres dans certains enseignements, suivi de la scolarité des élèves). En fait,
la politique éducative s'appuie sur les communautés dont on espère que la
participation soit à la hauteur des attentes.
À vrai dire, il paraît bien que pour une période plus ou moins longue le
choix soit déjà effectué et que tout devienne désormais une question de mise
en œuvre (MEBA, 1999a). Dans ce contexte, se pose la question des préa-
lables nécessaires à la réussite d'une telle politique. Au regard de la situation,
on note que ceux-ci relèvent des ressources économiques des populations, de
leur niveau d'instruction et des manières dont l'école est appréhendée.

* Doctorant à l'Université de Ouagadougou.

85
LA QUESTION ~DUCAnVE AU BURKINA FASO: REGARDS PlURIELS

Sur ce dernier point, sans conteste, les rapports des communautés à l'éco-
le restent un thème à explorer. Les connaissances demeurent insuffisantes,
notamment en milieu rural. En outre, à l'instar des autres phénomènes
sociaux, l'objet est de nature dynamique: il s'agit de prendre en compte et
d'analyser la demande d'éducation en Afrique comme préconisé dans un
ouvrage récent (pILON et YARO (dir), 2(01). La connaissance des repré-
sentations de l'école par les individus ou les communautés est primordiale à
cette approche: partir des représentations de l'école permet en effet de mettre
en bmière certains aspects de la demande d'éducation. Ce contexte nous a
conduit à étudier l'évolution de la perception de l'école puis la représentation
du coût de l'école à Tiodié (YARO, 1998 ; 1999). La présente recherche tente
ainsi d'évaluer les rapports des parents d'élèves à l'école primaire classique
dans des milieux différents, urbain et rural. Comment les parents apprécient-
ils la présence de l'école dans leur localité ? Quels sont les problèmes de
l'école? Quels sont les souhaits des parents pour l'école? Quels sont leurs
« choix scolaires » ? Quelles sont les demandes de formation pour adultes ?
Ces adultes désirent-ils apprendre leur propre langue ou le français, ou bien
les deux langues ?
Les enquêtes menées pour répondre à ces questions reposent sur un ques-
tionnaire comportant des questions fermées et ouvertes. Elles ont eu lieu de
décembre 1999 à janvier 2000 à Koudougou' (chef-lieu de la Province du
Boulkiemdé), à Kyon2 (chef-lieu du département de Kyon, Province du
Sanguié) et à Tiodié3 (province du Sanguié). Ces localités du Centre-Ouest
du pays se situent dans un périmètre rapproché (distance maximum d'envi-
ron 68 km). L'ethnie Moaga est fortement représentée à Koudougou tandis
que les Lyèla sont majoritaires à Kyon et les Nuna à Tiodié.
Koudougou est une ville peuplée d'animistes, de chrétiens et de musul-
mans. Les chrétiens sont majoritaires dans la bourgade de Kyon où les habi-
tants sont également presque tous animistes à l'exception de quelques
musulmans'. Tiodié est un village d'animistes qui « subit» une christianisa-
tion tardive (par rapport à d'autres villages ou régions du pays) depuis
les années 1985. Koudougou possède de nombreuses écoles classiques, plus
importantes en nombre que les écoles coraniques ou franco-arabes ou
medersas. On enregistre deux écoles classiques à Kyon, une Ecole satellite (ES),

1 Population de 72 490 habitants en 1996 (INSD. 2000).

'Population de 8 405 habitants en 1996 (INSD, 20(0).


J Population de 1 224 habitants en 1996 (INSD, 2(00).

4 Nous nous référons aux pratiques.

86
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

un Centre d'éducation de base non fonnelle (CEBNF) et plusieurs Centres


pennanents d'alphabétisation fonctionnelle (CPAF)s. Tiodié dispose d'une
école classique, mais aussi d'un CPAF (non fonctionnel au moment de nos
enquêtes).
Dans chaque localité, cent parents ont été contactés, à raison d'un par
famille6 • Nous les avons choisis selon les critères de la composition de la
famille (voir au moins un enfant scolarisable), du genre (pour obtenir un cor-
pus varié) et de l'âge (pour prendre en compte la dimension historique). Les
entretiens ont été le plus souvent réalisés à domicile7 •
Les enquêtes qui se veulent plutôt descriptives et qualitatives étaient
exploratoires à Koudougou comme à Kyon et exhaustives à Tiodié. Au total,
elles ne prétendent pas fournir l'ensemble des opinions en vigueur dans les
localités concernées. Au départ, nous pensions que les représentations de
l'école étaient variables selon les localités et les milieux. À la fin des
enquêtes, les faits se présentent autrement. Nous allons présenter ces conclu-
sions en quatre parties: dans un premier temps, les profils socio-écono-
miques et culturels des parents, dans un second temps, les premières
réactions face à l'école, ensuite, les représentations actuelles et, pour finir, les
demandes des parents par rapport à l'école.

Profils socio-économiques et culturels des parents


Scolarisation des parents' et formations scolaires
Les parents ayant été scolarisés constituent une minorité caractérisée par
un plus grand nombre d'hommes que de femmes. Les chances qu'ils ont
d'être instruits sont d'autant plus faibles qu'ils vivent en campagne (d'où un
nombre décroissant de parents ayant été scolarisés de Koudougou, à Kyon,
puis à Tiodé). A cela s'ajoute le faible niveau atteint9 •

, Les ES et les CEBNF sont des innovations pédagogiques bilingues. Les premières accueillent
des enfants en âge de scolarisation tandis que les secondes se chargent de jeunes non scola-
risés ou déscolarisés. Quant aux CPAF, on y alphabétise des adultes dans leur langue.
• Ici, la famille est la plus petite unité de parenté et de résidence manifestant une solidarité,
notamment pour l'éducation des enfants.
7 C'est surtout à Koudougou que nous avons un peu enquêté au grand marché.

• La scolarisation regroupe ici toutes les formes d'éducation scolaire.


• Au Burkina Faso, les femmes ont toujours été moins scolarisées que les hommes. Celles de
notre échantillon n'ont pas pu bénéficier de l' « accentuation » depuis les années 1986 de la
politique éducative en faveur des femmes. Aujourd'hui, le taux d'alphabétisation des adultes
est estimé à 26 % (PDDEB : Plan décennal de développement de l'éducation de base).

87
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

La majorité des parents scolarisés ont quitté l'école au primaire (éduca-


tion formelle) ou ont été alphabétisés (éducation non formelle) en français
dans les Centres d'éducation rurale (CER), en français et en langue nationa-
le dans les Centres de formation des jeunes agriculteurs (CFJA) ou en langue
nationale dans les CPAF IO • Certains parents (uniquement à Kyon) ont d'abord
fréquenté l'école primaire avant d'être alphabétisés plus tard. L'école cora-
nique les a plus rarement touchés. Concernant l'éducation formelle Il , les
niveaux atteints sont bas. Néanmoins, les hommes sont « allés plus loin» que
les femmes.
Parmi le nombre réduit de parents pouvant lire ou lire et écrire, les
hommes sont plus nombreux que les femmes. Très peu de parents savent lire
en français, en langue nationale ou, rarement, en arabe, avec une inégalité de
compétences selon les genres. Les aptitudes deviennent rares au fur et à
mesure qu'on s'éloigne de la ville: 33 % à Koudougou ; 25 % à Kyon ; 14 %
à Tiodié. Les mêmes constats se font en écriture, où les taux de compétence
par localité sont les suivants: 33 % à Koudougou ; 23 % à Kyon ; 9 % à
Tiodié.
On constate que quelques parents scolarisés ont quitté l'école ou les
centres de formation sans avoir été capables de lire ou d'écrire ou ont perdu
leurs acquis (illetrisme de retour). En outre, à l'école coranique, il s'agit bien
moins de lecture et d'écriture en arabe que d'apprentissage du coran.
Tableau I. Scolarisation des parents.
Scolarisés Koudougou % Kyon % Tiodié % Total %

Hommes 81 37 52 28,8 58 19 191 29,3


Femmes 19 31,6 48 25 42 7,1 109 19,3
TOTAL 100 36 100 27 100 14 300 25,7
Sources: résultats d'enquête menée par Anselme Yaro en 1999-2000.

10 Respectivement Centres d'éducation rurale et Centres de formation des jeunes agriculteurs.


Pour développer l'alphabétisation en langue nationale, l'INA (Institut national d'alphabéti·
sation) a déployé la stratégie des CPAF en 1990. Depuis 2001, l'INA est devenu l'Institut
national de l'éducation de base non formelle (lNEBNF).
Il Dans le pays, on distingue les éducations formelle, non formelle et informelle (Loi d'orien·
tation de l'éducation, 1996).

88
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

Tableau Il. Niveau de formation des femmes et des hommes.


Femmes Hommes Total
Primaire Il 22 33
Alphabétisation 7 24 31
École coranique 3 8 Il
Troisième 0 4 4
Supérieur 0 2 2
Total 21 60 81

Tableau III. Niveau de formation atteint par les femmes et les hommes.
Femmes % Hommes % Total %

Primaire Il 10,1 22 Il,5 33 Il

Classe de 3' 0 0,0 4 2,1 4 1,3


Supérieur 0 0,0 2 1,0 2 0,7
Total 11 10,1 28 14,7 39 13

Tableau IV. Aptitudes en lecture et écriture des femmes et des hommes


(quelle que soit la langue) (%).
Lecture Écriture Total
Hommes 27,7 25,7 26,7
Femmes 17,4 14,7 16,1
Total 24 21,7 22,8

Tableau V. Formation et compétences en lecture et écriture (%).


Alphabé- École Formel Total des % de ceux
tisation coranique trois types qui savent lire
de formation ou écrire
Hommes 12,6 4,2 14,7 29,3 26,7
Femmes 6,4 2,8 10,1 19,3 16,1
Total 10,3 3,7 13 25,7 22,8

89
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Caractéristiques des parents (profession, voyage, langues)


Les parents mènent à la fois plusieurs activités et cela leur permet de
mieux « survivre ». Les femmes et les hommes ont les mêmes professions,
excepté le ménage (apanage des premières) et l'industrie (celui des seconds).
Le ménage, l'agriculture et le commerce sont les activités, pas toujours
cumulées, des femmes à Koudougou. À Kyon par contre, elles sont le plus
souvent cultivatrices, ménagères, commerçantes, éleveuses ou jardinières.
On observe la même situation à Tiodié, mais sans le jardinage. Les femmes
vendent du bois de chauffe à Tiodié, des produits maraîchers et des céréales
à Koudougou et à Kyon. En campagne, elles élèvent surtout des porcins.
Que ce soit en ville ou en campagne, les hommes s'adonnent à diverses
occupations. Toutefois, l'industrie et la fonction publique sont des domaines
investis par les parents résidant en ville, tandis que le jardinage l'est en milieu
rural (Kyon).
Les hommes voyagent davantage que les femmes. Les séjours à l'exté-
rieur, notamment en Côte d'Ivoire, concernent moins de la moitié des parents
d'élèves. Mais ceux qui résident en campagne sont plus mobiles.
Les parents sont légèrement plus bilingues que monolingues. La richesse
de leurs répertoires se justifient par leurs activités (qui font acquérir la langue
mooré), l'école (le français) et la mobilité sociale (dans leurs migrations en
Côte d'Ivoire, les ruraux et leurs épouses acquièrent le jula ou le français). Le
plurilinguisme plus accru observé chez les hommes s'explique par différents
facteurs : la majorité des femmes de notre échantillon réside dans les cam-
pagnes (90 sur 109), caractérisées par le monolinguisme (BATIANA &
CAITUCOLI, 1992) ; presque la moitié des hommes enquêtés (81 sur 191)
réside en ville, foyer du bilinguisme; les hommes se déplacent plus; enfin,
les hommes ont été plus scolarisés que les femmes. Les parents d'élèves peu-
vent être amenés à pratiquer jusqu'à quatre et même cinq langues.
Des langues parlées en Côte d'Ivoire (baoulé) ou au Ghana (ashanti) figu-
rent également dans les répertoires. Toutefois, le bilinguisme des parents est
d'« opportunité ». À Tiodié, bien avant le mooré et le jula, le nuni est la
langue de communication. À Kyon, le lyèlé l'emporte sur le mooré et le jula.
En revanche, à Koudougou où les langues véhiculaires sont le français et le
mooré, c'est le second qui est dominant. Une minorité de parents est « fran-
cophone» avec plus de compétences chez les hommes. Le nombre de parents
pouvant communiquer en français est d'autant plus important que ceux-ci
résident en ville.

90
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

Tableau VI. Profession des femmes et des hommes.


Femmes Hommes Total
Agriculture-élevage 0 88 88
Agriculture-commerce-élevage 0 38 38
Agriculture-ménage-commerce-élevage 37 0 37
Agriculture-ménage-commerce-élevage-jardinage 36 0 36
Commerce-élevage-jardinage 0 32 32
Industrie 0 16 16
Ménage-commerce 12 0 12
Autres 24 17 41

Tableau VIT. Voyages effectués à l'étranger par les femmes et les hommes.
a voyagé Koudougou Réf. Kyon Réf. Tiodié Réf. Total Réf.
Hommes 29,6% 81 50% 52 65,50% 58 46,10% 191
Femmes 5,30% 19 20,80% 48 38,10% 42 24,80% 109
Total 25% 100 36% 100 54% 100 38,30% 300

Tableau VITI. Les répertoires linguistiques des femmes et des hommes (%).
Koudougou Kyon Tiodié Total
F H F H F H F H F+H
Monolingues 31,6 46,9 75 46,2 47,6 37,9 56,9 44 48,7
Bilingues 68,4 53,1 25 53,8 52,4 62,1 43,1 56 51,3

Tableau IV. Nombre de langues parlées par les femmes et les hommes.
Koudougou Kyon Tiodié Total Total
Pratiques F H F H F H F H F+H
1 langue 6 38 36 24 20 22 62 84 146
2 langues 7 35 10 15 9 15 26 65 91
3 langues 5 5 2 9 10 14 17 28 45
4 langues 1 2 0 4 3 7 4 13 17
5 langues 01 0000 011

91
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Tableau X. Pourcentages de femmes et d'hommes parlant le français (%).

Koudougou Kyon Tiodié Total

Hommes 34,6 32,7 8,6 26,2

Femmes 26,3 16,7 7,1 16,5

Total 33 25 8 22,7

Accès à l'information
Les familles possèdent plus de postes de radio que de téléviseurs. Elles
n'ont presque pas de livres (tous genres confondus). La possession de ces
biens « culturels» diminue du milieu urbain au milieu rural. En plus de la
radio nationale et des quatre radios internationales (RFI, BBC, Africa nOl et
VOA), il y des radios privées dans les milieux urbains et semi-urbains qui
ciblent les campagnes du pays. Les stations émettent en plusieurs langues.
Médium exclusif sur les chaînes internationales, le français est la langue la
plus utilisée à la radio nationale du Burkina Faso. Viennent ensuite le mooré,
le jula et le fulfuldé, considérés comme les langues nationales les plus impor-
tantes. D'autres langues du pays (gulmancema, dagara, lyèlé, san, nuni. .. )
n'ont, chacune, que quelques heures d'audience un jour par semaine.
Toutefois, les radios privées de Koudougou, qui touchent Kyon et Tiodié,
émettent en plusieurs langues dont le lyèlé, l'un des principaux véhicules de
communication. Mais dans quelles langues les parents suivent les émissions?
Les principales langues dans lesquelles les parents suivent les émissions
radiophoniques sont respectivement le mooré, le français, le lyèlé, le nuni et le
jula. Mais par localité, ils le font généralement dans la langue ethnique, souvent
langue première (langue la plus parlée) pour bien comprendre les messages.
Plus de la moitié des parents écoutent la radio mais avec une fréquence
plus grande chez les hommes. Au niveau des analphabètes en ville ou au vil-
lage, la culture féminine de la radio est peu développée. Toutefois, les radios
privées du genre communautaire, associatif ou confessionnel en germination
en zone semi-urbaine (ou rurale) font espérer des changements: elles ciblent
les femmes et tentent de favoriser leur accès aux postes radio (exemples de
« Radio Gaoua »et la« Voix du paysan »). En outre, plus le milieu est rural,
moins la radio est écoutée. Dans les villages, les parents arrivent à obtenir des
postes radio mais n'ont souvent pas les moyens d'acheter des piles 12 •

" En dehors de panneaux solaires très sporadiques, il n'y a pas d'électricité dans les cam-
pagnes du pays.

92
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

Tableau XI. Possession de radio, de télévision et de livres par famille


(en effectifs).
Koudougou Kyon Tiodié Total
Radio 100 54 42 196
Télévision 40 7 o 47
Livres 10 o o 10

Tableau XIT. Langues d'écoute des radios par les parents.


Koudougou Kyon Tiodié Total
Mooré 87 24 12 123
Français 50 25 7 82
Lyèlé 3 57 2 62
Nuni 3 0 43 46
Jula 13 16 17 46

Tableau XIII. Pourcentage des parents écoutant la radio.


Koudougou Réf. . Kyon Réf. Tiodié Réf. Total Réf.
Hommes 97j% 81 75% 52 60,3% 58 80,1% 191
Femmes 63,2% 19 37,5% 48 38,1% 42 42,2% 109
Total 91% 100 57% 100 51% 100 66,3% 300

Les informations sur l'école


En ville, les moyens d'information sont les communications interperson-
nelles, la radio, la télévision, les journaux et les livres. Tous sont à la portée
des parents mais pas de la même manière. Les conversations entre les indivi-
dus sont gratuites. Les postes radio ne coûtent pas chers, contrairement aux
téléviseurs, biens de consommation de luxe. Quant aux journaux et aux
livres, il faut non seulement être capable de lire, mais en plus avoir les
moyens pour les acheter (néanmoins, on emprunte facilement le journal d'au-
trui). Les parents sont informés sur l'école surtout dans les réunions avec le
personnel enseignant et par les médias. Les analphabètes ou les plus
« pauvres» y trouvent donc leur compte. Mais c'est généralement à la ren-
trée scolaire ou à la période des examens qu'ils sont nombreux à s'informer
sur l'école (pour les inscriptions, les frais de scolarité, le choix des meilleures
écoles, les fournitures, suivre le déroulement des examens, avoir les résultats ... ).

93
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

En milieu rural par contre, les sources d'infonnation scolaire à la disposi-


tion des parents sont les élèves, les échanges avec l'autorité administrative
(les préfectures) et la radio, écoutée par 54 % des parents dont une faible pro-
portion de femmes (37,8 %). Mais le corps enseignant reste la principale
source de renseignement 13 • Non seulement les possibilités d' infonnation sont
réduites, mais certains parents ne recherchent pas ces infonnations ; ce sont
les enseignants qui se préoccupent de leur fournir les renseignements utiles.

Représentations de l'école
Premier contact avec l'école
L'école a été ouverte depuis 1913 à Koudougou (COMPAORÉ, 1995), en
1955 à Kyon et, récemment, en 1983 à Tiodié. Aucun parent n'a déclaré avoir
connu Koudougou sans école. Quatorze parents ont déclaré avoir vu Kyon
sans école contre cent parents pour Tiodié. À Tiodié, les femmes (de notre
échantillon) originaires d'autres villages sont toutes nées avant l'ouverture de
l'école. Toutefois, la précocité des mariages explique aussi qu'elles ont
connu le village san aucune structure éducative fofmelle '4 .
Le premier contact des populations de Koudougou avec l'école a eu lieu
en 1913. À Kyon comme à Tiodié, ce fut en1929-1930 et les enfants recrutés
devaient aller à l'école régionale de Koudougou. Partout, l'école était perçue
à ses débuts comme un « événement malheureux dans lequel les Blancs attra-
paient les enfants »15. Elle a troublé les populations du fait des conditions de
vie de la période coloniale, du caractère forcé de la scolarisation et du fait
aussi que l'enfant devait quitter sa région (Tiodié et Kyon) et sa famille. A
cause de cette vision de l'école, on avait peur, on cachait ses enfants, on s'in-
terrogeait sur l'événement. À Koudougou, les inquiétudes se sont dissipées
assez tôt, grâce à une meilleure compréhension de l'institution scolaire. De
même, à Kyon, elles se dissipent lorsque l'école s'ouvre dans le village.
À Tiodié, l'ouverture d'une école à Pouni en 1952 et à Zawara l6 en 1955 a
suscité des changements dans les attitudes des villageois vis-à-vis de l'école.
Partout, les inquiétudes ont progressivement évolué vers l'adoption de l'éco-
le, mais selon des processus différents ,1.

IJ La télévision, les journaux et les livres sont quasiment absents des milieux ruraux.
14 Un CER a été ouvert en 1968 dans le village puis substitué par la suite par un CFJA en 1974
(fermé en 1976). Il Y avait donc des parents nés au moment où l'un ou l'autre centre fonc-
tionnait ou qui, à l'époque, avaient déjà grandi au point de pouvoir se rendre compte de leur
environnement. Mais la question ne portait que sur l'école primaire, pionnière dans les autres
localités.
"C'est ainsi que l'on peut résumer les propos de nos « témoins ».
" Pouni et Zawara sont des villages avoisinant Tiodié.
17 À Koudougou et à Kyon, les missions chrétiennes ont joué un grand rôle.

94
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

A l'opposé de la première école de Koudougou et de celle de Kyon qui ont


été imposées, celle de Tiodié a été désirée par la communauté, d'où les sen-
timents de satisfaction ou de joie reconnus à son ouverture (YARO, 1998).
De nos jours, quels sont les termes de l'adoption de l'école?

Représentations actuelles
Pour cerner les représentations actuelles de l'école, nous avons procédé à
une analyse thématique des réponses aux questions posées. Ainsi par
exemple, les parents reconnaissent quasiment à l'unanimité que la présence
de l'école dans leur localité ou leur quartier est un fait positif (les pourcen-
tages sont calculés à partir de l'ensemble de parents touchés dans chaque
localité, donc 100 parents). Dans tous les milieux, ils considèrent que l'éco-
le permet une ouverture sur la vie moderne, procure des chances pour une
réussite professionnelle et facilite la scolarisation. L'assistance que les scola-
risés, devenus salariés (fonctionnaires, travailleurs dans les ONG,
ouvriers ... ) apportent à leur famille ainsi que la contribution de l'école au
développement de la localité sont plus ressenties en campagne l8 •

Tableau XIV. La présence de l'école dans la localité est positive: motifs des
parents.

Koudougou Kyon Tiodié Total sur 300


(effectifs)
Ouverture sur la vie moderne,
connaissances 66% 49% 54% 169
Réussite professionnelle 66 % 33 % 41 % 140
Facilitation de la scolarisation 42% 16 % 60% 118
Apport des enfants salariés, instruits 4% 40 % 3% 47
Développement de la localité 5% 20% 13 % 38

Mais les rapports des parents à l'école ne sont pas seulement positifs.
D'après un chef de ménage à Koudougou, « on n'enseigne pas les bons
comportements aux élèves, les effectifs sont pléthoriques, l'entrée des désco-
larisés dans la vie active est un cauchemar pour les parents. Actuellement, je
suis en mauvais termes avec un de mes fils qui a été exclu en classe de qua-
trième. J'ai voulu l'initier au commerce mais il a refusé. Il préfère être oisif.
D'ailleurs, il me volait ». Ainsi, les aspects négatifs de l'école ont aussi été
mentionnés par les parents (tableau XV).

18 Les scolarisés qui ont « réussi » agissent dans le cadre d'associations qu'ils ont créées pour
des motivations politiques ou individuellement de manière apolitique.

95
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Tableau XV. Aspects négatifs de l'école selon les parents.

Koudougou Kyon Tiodié Total sur 300


(effectifs)
Coût trop élevé de la scolarisation '9 33 % 39 % 17 % 89
Déscolarisation trop importante,
échec scolaire 20 % 21 % 35 % 76
Chômage des diplômés, manque
de débouchés 14 % 12 % 4% 30

Bien que l'école soit considérée comme tout à fait bénéfique, il n'en
demeure pas moins que les parents émettent des critiques. Les insatisfactions
des parents s'expliquent principalement par le fait que l'école est chère (four-
nitures, vêtements, frais de scolarité ...), les échecs sont excessifs, enfin, par
le manque de débouchés pour les diplômés. La difficile intégration des ex-
étudiants dans la vie active déplaît encore plus en ville qu'en campagne. La
mauvaise prestation des enseignants, les sureffectifs et le manque de cantine
s'affichent également sur le tableau des insuffisances, mais en second rang.
Ainsi, il apparaît que l'offre scolaire n'est vraiment pas conforme aux
demandes familiales d'éducation.
En somme, l'école est source de bien, mais aussi de mal. Elle ne tient pas
ses promesses, ne répond plus aux espoirs. Mais du fait de son caractère
indispensable (le passage par l'école demeure la condition pour s'approprier
les pouvoirs économique, social et politique), on peut conclure avec Gérard
Etienne que «critiquer l'école ne saurait s'accompagner du refus d'instruire
ses enfants» (GÉRARD, 1999a: 107).

Parents et scolarisation des enfants


À Tiodié, les parents ont scolarisé tous leurs enfants à l'école classique.
À Kyon où quelques enfants fréquentaient l'école satellite ou le centre d'édu-
cation de base non formelle, la large majorité allait à l'école classique.
À Koudougou enfin, la scolarisation concerne généralement l'école
classique. Mais il y a quelques rares cas de scolarisation à l'école coranique
(suite à la déscolarisation du classique ou à l'impossibilité de réinscription
dans le privé laïc)l° ou de double scolarisation classique - coranique. Les sta-
tistiques ici ne prennent pas en compte l'enseignement confessionnel.

19 À Koudougou, en plus du nombre d'enfants à scolariser, les réinscriptions des déscolarisés


rendent l'école chère.
'" Faisant que la fréquentation de l'école coranique apparaît comme une scolarisation par
défaut.

96
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

Tableau XVI. Formes de scolarisation des enfants.


Scolarisation Koudougou Kyon Tiodié Total
Partielle* 41 55 69 165
Totale** 59 33 16 108
Non-scolarisation*** 12 15 27
Total
°
100 100 100 300
* Scolarisation partielle des enfants au sein de la famille
** Tous les enfants de la famille sont scolarisés
*** Aucun enfant n'est scolarisé.

Tableau XVll. Situation des enfants (7-14 ans).

Koudougou Scolarisés Déscolarisés Jamais s<x>larisés

Garçons 73,91 24,46 1,63


Filles 64,81 30,25 4,94
Ensemble 69,65 27,17 3,18

Kyon Scolarisés Déscolarisés Jamais scolarisés

Garçons 48,68 17,76 33,55


Filles 53,68 II,03 35,29
Ensemble 51,04 14,58 34,37

Tiodié Scolarisés Déscolarisés Jamais scolarisés

Garçons 39,01 15,60 45,39


Filles 33,97 10,26 55,77
Ensemble 36,36 12,79 50,84

97
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Koudougou
100%
90%
80%
70%
60% CJamais scolarisés
50% • Déscolarisés
40% • Scolarisés
30%
20%
10%
0%
Garçons Filles

Kyon

100%
90% -
80%
70%
60% - o Jamais scolarisés
50% - • Déscolarisés
40% • Scolarisés
30% -
20%
10%
0% -
Garçons Filles

Tiodié

100%
90%
80%
70%
60% o Jamais SCOlariSéSJ
50% • Déscolarisés
40% - • Scolarisés
30% -
20%
10% -
0% -
Garçons Filles

Figure 1. Situation des enfants (7-14 ans).

98
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

Comme on pouvait s'y attendre, les taux de scolarisation sont plus forts
en ville qu'en campagne. De même, des disparités persistent entre les
genres 21 • Dans ce contexte, nous avons essayé de comprendre comment les
familles réagissent par rapport à la scolarisation, pourquoi certains ménages
scolarisent soit tous leurs enfants, soit quelques-uns, soit aucun.

Tableau XVllI. Les raisons de la scolarisation évoquées par les parents


ayant scolarisé tous leurs enfants.
Koudougou Kyon Tiodié Total
École perçue comme une nécessité 22 40 15 5 60

Réussite professionnelle 17 9 12 38

Pour les parents qui scolarisent tous leurs enfants, l'école est perçue
comme une nécessité ou comme apportant de nombreux avantages. Comme
dans les autres formes de scolarisation, nous n'évoquons que les justifica-
tions pertinentes. Notons également que quelques chefs de ménages n'ont pas
pu expliciter leurs argumentations ou n'en avaient pas vraiment.

Tableau XIX. Les raisons de la scolarisation évoquées par les parents ayant
scolarisé une partie de leurs enfants.
Koudougou Kyon Tiodié Total
Manque de moyens 14 19 39 76

Déceptions suites aux déscolarisations 32 9 20 66

Travail des enfants 4 10 17 37

Trois raisons principales sont évoquées par les parents qui ne scolarisent
pas tous leurs enfants: le manque de moyens, les échecs scolaires et la néces-
sité de garder des enfants à la maison comme main-d'œuvre. Les mêmes
motifs sont évoqués par les parents qui ne parviennent à scolariser aucun
enfant (cela se produit surtout en campagne).

" Dans le Sanguié, le taux net de scolarisation des filles de 7-12 ans en 1999 était de 33,8 %
contre 43,3 % pour les garçons, soit un taux net de 38,8 %. Dans le Boulkiemdé, on enre-
gistre à la même période des taux de 29,7 % (filles), 44,7 % (garçons) et 37,4 % (total).
Quant au taux national, il est de 32,5 % : 26,8 % pour les filles et 37,9 % pour les garçons
(MEBA,1999b).
" Permet une ouverture sur le monde, la réussite professionnelle et sociale, procure des «apti-
tudes pratiques».

99
LA QUESTION ËDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Tableau XX. Les raisons de la scolarisation évoquées par les parents ayant
scolarisé aucun enfant.
Koudougou Kyon Tiodié Total
Manque de moyens o 10 10 20
Travail des enfants o 3 5 8

Parmi les raisons évoquées par les parents n'ayant scolarisé aucun enfant,
il yale manque de moyens pour supporter le coût de la mise à l'école. Ici se
trouve posé le problème de la contribution demandée aux parents d'élèves.
La mise à l'école représente également pour certains parents une sorte de
manque à gagner, puisque l'enfant qu'on envoie à l'école représente une
force de travail en moins dans la famille. Il n'est donc pas rare de voir cer-
tains parents refuser de scolariser leurs enfants afin de mieux les utiliser dans
les travaux domestiques.

Tableau XXI. La rentabilité de la scolarisation selon le sexe de l'enfant vue


par les parents.
Koudougou Kyon Tiodié Total
sur 300
Même rentabilité pour les filles
et les garçons 82 76 74 232
Plus de chances de réussir
pour les garçons 3 13 14 30
Scolarisation des garçons
plus rentable 2 6 12 20

En campagne, on admet que l'école est destinée aux enfants des deux
sexes, mais certains préjugés demeurent quant aux différences entre les
genres 23 • Ainsi, la scolarisation des enfants résulte de choix comme de
contraintes. Mais notamment en campagne, « la plupart [des parents]
n'avaient pas de « programme » ou de tactique précise de scolarisation dans
le temps. Leur stratégie avait davantage les contours d'une démarche
conjoncturelle, induite par des événements ponctuels aléatoires, que ceux
d'un projet éducatif précis et fixe» (GÉRARD, 1995, p. 605).

23 Mais avec la politique pour la promotion de la scolarisation des femmes, des réajustements
s'opèrent résolument.

100
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

Les parents et leur propre scolarisation


Tableau XXll. Apprentissage des langues maternelles.
Souhaitent Koudougou Réf. Kyon Réf. Tiodié Réf. Total Réf.
apprendre
Femmes 31,6 % 19 39,6 % 48 66,7 % 42 48,6% 109
Hommes 37 % 81 7,7 % 52 31 % 58 27;2 % 191
Total 36% 100 23 % 100 46% 100 35 % 300

Les femmes souhaitent apprendre à lire et à écrire dans leur langue davan-
tage que les hommes, notamment en milieu rural. Mais une chose est de sou-
haiter apprendre, une autre est de pouvoir le faire. Ceux qui veulent maîtriser
leur langue à l'écrit, en nombre réduit, ont cité deux obstacles majeurs 24 •

Tableau XXllI. Obstacles à l'apprentissage de la langue maternelle par les


parents.
Empêchements Koudougou Kyon Tiodié Total
sur 105
Manque de centres 17 0 35 52
Activités 21 19 10 50

Tableau XXIV. Les raisons avancées pour ne pas apprendre la langue


maternelle.
Raisons avancées Koudougou Kyon Tiodié Total
sur 195
Age, facultés 34 19 22 75
Activités 21 7 29
Déjà scolarisés 9 14 24
Sans avantages 10 3 14

24 Installés en milieu rural depuis 1990, la majorité des CPAF ne fonctionnaient plus norma-
lement au moment de nos enquêtes, essentiellement pour des questions financières. Celui
de Tiodié a fini par fermer en 1998, mais à Kyon, véritable cité d'alphabétisation où chaque
quartier a son CPAF, les centres s'ouvrent toujours. En campagne, des époux croient qu'aller
dans les centres de formation peut favoriser des aventures amoureuses et s'en inquiètent.

101
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Les parents qui ne désirent pas maîtriser leur langue à l'écrit avancent
deux raisons principales. À cause de leur âge, ils trouvent qu'apprendre à lire
et à écrire dans leur langue ne leur servirait à rien ou, pour quelques-uns,
qu'ils n'ont plus les facultés intellectuelles que requiert un tel apprentissage.
En plus, ils estiment que leurs activités absorbent leur temps.

Tableau XXV. Apprentissage du français.


Souhaitent Koudougou Réf. Kyon Réf. Tiodié Réf. Total Réf.
apprendre
Femmes 36,80 % 19 50 % 48 69 % 42 55 % 109
Hommes 38,30 % 81 19,20 % 52 37,90 % 58 33 % 191
Total 38 % 100 34% 100 51 % 100 41 % 300

Plus de femmes s'intéressent à l'apprentissage scolaire du français.


Indisposés par leur âge, beaucoup de parents ne désirent pas maîtriser la
langue, mais également à cause de leurs occupations. L'inutilité comme
d'autres raisons ont très peu été évoquées.

Tableau XXVI. Apprentissage des langues maternelles et du français.


Souhaitent apprendre LM Réf. Français Réf. Total
Femmes 48,6 % 109 55 % 109 51,8 %
Hommes 27,2% 191 33 % 191 30,1 %
Total 35% 300 41 % 300 38 %

Dans les trois localités étudiées, les populations perçoivent les langues
comme complémentaires. Que ce soit dans leur propre idiome ou en français,
moins de la moitié des parents souhaitent apprendre à lire et à écrire, mais les
desiderata vont plus au français. Les taux sont plus élevés chez les femmes
pour la simple raison qu'elles sont moins âgées. Elles ont 42,6 ans comme
moyenne d'âge contre 51,2 ans pour les hommes.

Avantage à apprendre les langues


Tableau XXVII. Avantages de l'apprentissage des langues maternelles.
Koudougou Kyon Tiodié Total
sur 300
Conservation du patrimoine culturel 25 14 3 42
Apports du bilinguisme / biculturalisme Il 13 9 33
Réussite sociale Il 4 5 20

102
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

L'apprentissage ou l'enseignement des langues maternelles est intéressant


pour valoriser le patrimoine culturel, mais aussi pour développer des
aptitudes (à mieux s'orienter, à mieux s'épanouir, à mieux profiter du
monde...). Avec le français, on serait dans un contexte de bilinguisme et de
biculturalisme25 •

Tableau xxvm. Avantages de l'apprentissage du français.


Koudougou Kyon Tiodié Total
sur 300
Réussite professionnelle ou sociale
(suivi des élèves) 63 37 72 172
Ouverture 38 39 62 139
Communication 34 20 20 74

Partout, des parents trouvent que l'apprentissage ou l'enseignement du


français est un marchepied vers des avantages, notamment la réussite profes-
sionnelle et sociale, le suivi de la scolarité des enfants, l'ouverture sur le
monde ou la communication. Le milieu rural est plus sensible à l'épanouis-
sement des individus.

Les demandes par rapport à l'école


Tableau XXIX. Revendications des parents.
Koudougou Kyon Tiodié Total
sur 300
Baisser les coûts 28 % 36 % 15 % 79
Rapprocher l'école du monde
du travail 27 % 14 % 9% 50
Contrôler la gestion des écoles 0% 3% 34% 37
Éviter les « exclusions injustes ,,27,
les déscolarisations 3% 19 % 5% 27

" Il s'est avéré que la plupart de ceux qui ne désiraient pas maîtriser les langues nationales à
l'écrit ne trouvaient pas d'intérêts à ces dernières. Ce sont donc ceux qui souhaitent
apprendre les langues nationales qui mentionnent des avantages.
"Facilités de communication, meilleure intégration à la vie du village (participer à des
réunions sur l'école, être en rapport avec les institutions intervenant pour le développement
du village ...).
27 Exclusions non fondées ou absurdes du point de vue des parents.

103
LA QUESTION ËOUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Pour répondre aux aspirations des parents, il conviendrait de réduire les


coûts de la scolarisation, de rapprocher l'école du monde du travail et d'évi-
ter les exclusions. Un minimum d'efficacité est attendu de l'école
(BARRETEAU, 1999). En campagne, les attentes minimales, « modérées»
ou « réalistes» (GÉRARD, 1999a) dans « les besoins éducatifs fondamen-
tauX» se résument, apparemment, en pouvoir lire et écrire en français tout en
étant plus « intelligent» (capacités à bien agir ou réagir) que les analpha-
bètes211 • En ville, les exigences de base vont plus loin: pouvoir entrer dans la
vie active tout en ayant un bon comportement dans la société. En somme,
l'école doit être accessible, doit fournir des bases pour gagner sa vie, on doit
en sortir avec des « aptitudes pratiques ». Pour cela, les parents souhaiteraient
participer davantage à sa gestion. En campagne, contrôler le fonctionnement
des écoles et éviter les nombreuses déscolarisations sont des souhaits plus
manifestes qu'en ville où, en contrepoint, plus de parents souhaiteraient que
l'on oriente l'école vers l'apprentissage de métiers.

Conclusion
Les représentations de l'école dépendent des infrastructures mises en
place (implantation, fonctionnement), des résultats obtenus et des contraintes
économiques des parents: les régulateurs sont internes et externes. Elles sont
donc forgées par le contexte social (limité à l'environnement immédiat ou
allant au-delà) et débordent largement ainsi du simple fait scolaire (LANGE,
1998 ; GÉRARD 1999b), montrant que l'école est imbriquée aux faits
sociaux: elle agit positivement ou négativement sur la société, est sociale-
ment inconvenante, insuffisante selon les besoins collectifs exprimés.
Les perceptions sont comparables d'un milieu à l'autre, mais des diffé-
rences existent sur les arguments ou les souhaits. Les sensibilités varient et
cela d'autant plus que les exigences d'une communauté envers l'école vont
de pair avec la durée de son expérience scolaire. Dans cette région du
Burkina Faso, l'école est perçue positivement, mais elle présente des insuffi-
sances et des inadaptations par rapport aux aspirations parentales (inadéqua-
tions entre offre et demande), d'où les contradictions dans les discours que
nous avons recueillis. A la fois l'école est désirée, mais elle est aussi critiquée
et elle ne répond pas toujours aux attentes des parents.

'" On ne tolère pas « l'idiotie» du déscolarisé et encore davantage de l'élève.

104
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

Cependant, on ne peut pas conclure à un refus de l'école. Même en milieu


rural, les traditions et les religions ne vont pas à l'encontre de l'institution,
contrairement à d'autres régions du pays (YARO, 1994 ; 1995)29. Les parents,
analphabètes pour la plupart, souhaitent même apprendre leur propre langue
ou le français, parce qu'ils perçoivent les avantages divers (entre autres,
suivre la scolarité de leurs enfants) que pourrait leur procurer la maîtrise de
l'écriture et de la lecture.
En revanche, ce sont surtout des facteurs économiques qui pèsent sur la
scolarisation. En milieu rural, pour accroître les taux de scolarisation ou
mieux négocier l'adhésion des populations à l'école, il faudrait se pencher sur
l'amélioration des niveaux de vie des parents, sur la qualité des relations avec
les maîtres et sur le rapprochement de l'école par rapport au monde du tra-
vail : l'école « avance [...] lorsque la dynamique sociale l'autorise, lorsque le
champ social lui offre des plages où elle peut prendre place, mais également
lorsque s'est peu à peu imposée la logique de son érection, autrement dit quand
on admet qu'on «peut gagner» grâce à elle.» (GÉRARD, 1995 : 613).

Bibliographie
BARRETEAU Daniel, 1999. Les écoles de Téra au Niger. Choix des parents et poli-
tique scolaire, Les Cahiers ARES n° l, IRD, Bondy, p. 83-99.
BATIANA André et CAÏTUCOLI, 1992. Aspects du multilinguisme au Burkina
Faso, Sciences Humaines et Sociales, Série A, Annales de l'Université de
Ouagadougou, p. 173-191.
COMPAORÉ Maxime, 1995. L'École en Haute-Volta: une analyse de l'évolution
de l'enseignement primaire de 1947 à 1970, Université Paris VIl / Denis Diderot,
Thèse de Doctorat, 415 p.
GÉRARD Étienne, 1995. Jeux et enjeux scolaires au Mali: le poids des stratégies
éducatives des populations dans le fonctionnement et l'évolution de l'école publique,
Les stratégies éducatives en Afrique subsaharienne (M.-F. Lange et J.Y. Martin éd.),
Cahiers des Sciences Humaines, vol. 31, n° 3, p. 595-615.
GÉRARD Étienne, 1999a. Être instruit, en tout cas. Représentations du fait scolai-
're en milieu urbain (B urkina Faso), Variations, Autrepart / Cahiers des Sciences
Humaines, Nouvelle série n° Il, pp.lOl-114.
GÉRARD Étienne (ed.), 1999b. Les Cahiers ARES n° 1, IRD, Bondy, 179 p.
INSD, 2000. Recensement général de la population et de l'habitation, 10-20
décembre 1996. Fichiers des villages du Burkina Faso, Ouagadougou, 315 p.
LANGE Marie·France, 1998. L'école au Togo. Processus de scolarisation et insti-
tution de l'école en Afrique, Paris, Karthala, 337 p.

,., À Tiodié, l'adoption de l'école se manifeste aussi à travers son rattachement au « va-demè»
«daba productrice », fétiche de la production agricole. On peut lui demander de favoriser la
réussite d'un élève: faire l'école, c'est cultiver, mais l'inverse n'est pas dit.

105
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

MEBA et MESSRS (Ministère des Enseignements secondaire, supérieur et de la


recherche scientifique), 1996. Loi d'orientation de l'Éducation, 31 p.
MEBA, 1999a. Plan Décennal de Développement de l'Éducation de Base [PDDEB],
Ouagadougou, 97 p.
MEBA, 1999b. Statistiques scolaires 199811999,314 p.
PILON Marc et YARO Yacouba (dir.),2001.La demande d'éducation en Afrique.
État des connaissances et perspectives de recherche, UEPA, 221 p.
YARO Anselme, 1998. Évolution de la perception de l'école à Tiodié, un village
nuna du Burkina Faso, ORSTOM, Ouagadougou, Journées sur les Enjeux de l'édu-
cation et des savoirs du Sud, 30 novembre - 1" décembre 1998, Bondy, 5 p.
YARO Anselme, 1999 (à paraître). La perception du coût de l'école dans un villa-
ge du Burkina Faso, Paris: Commission Coopération-Développement, 29 p.
YARO Yacouba, 1994. Pourquoi l'expansion de l'enseignement est-elle si difficile
au Burkina Faso ? Une analyse socio-démographique des déterminants et des
perspectives scolaires de 1960 à 2006, Univ. Paris 1- Panthéon Sorbonne, Thèse de
doctorat, 391 p.
YARO Yacouba, 1995. Les stratégies scolaires des ménages au Burkina Faso, Les
stratégies éducatives en Afrique subsaharienne (M.-F. Lange et J.-Y. Martin éd.),
Cahiers des Sciences Humaines, vol. 31, n° 3, p. 675-696.

106
ÉDUCATION ET socrËTÉ

Education et développement : les enjeux


du renforcement des capacités humaines

Afsata PARÉ/KABORÉ*

Introduction
A l'heure où les politiques de développement des pays africains insistent
sur la réduction de la pauvreté, l'éducation doit être organisée de manière à
pouvoir répondre adéquatement et efficacement aux exigences de cette fina-
lité. On devrait ainsi poursuivre des objectifs de quantité dans le sens d'une
démocratisation absolue d'une éducation de base et des objectifs de qualité
visant à munir les populations des habitudes comportementales favorables à
l'établissement des bases préalables à tout développement. Cela revient non
seulement à promouvoir une éducation pragmatique à court et moyen terme,
mais également à former des techniciens et décideurs capables d'une bonne
gestion des questions complexes du développement, capables d'anticiper les
problèmes et de planifier des solutions optimales à cet effet. Le renforcement
des capacités institutionnelles et des populations en termes de connaissances
de qualification, de compétence est importante et se doit d'être global.
S'interroger sur la question du renforcement des capacités en vue du
développement suppose que l'on s'intéresse à la fois aux systèmes d'éduca-
tion formelle, non formelle et informelle capables de favoriser une prise de
conscience et l'adoption de comportements propices au développement. Y a-
t-il un intérêt manifeste à cet égard dans les politiques éducatives et les pro-
jets de développement? Cette volonté est-elle soutenue par un investissement
à la hauteur des ambitions?
La problématique même du renforcement des capacités tant des popula-
tions que des institutions sera d'abord envisagée, puis ce renforcement sera
vu sous l'angle de la scolarisation d'une part et d'autre part sous l'angle de
l'apport des projets et programmes de développement.

. Enseignante à l'Ecole Normale Supérieure de Koudougou (ENSK).

107
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

La problématique du renforcement des capacités


des populations et des institutions
Si l'on prend le développement dans le sens développement humain
durable qui suppose enrichissement humain et accroissement de la produc-
tion et du bien-être de la population, renforcer les capacités des populations
et des institutions, c'est accroître leur capacité à gérer au mieux leur vie
propre, à planifier et gérer les questions du développement à travers des capa-
cités de formulation de politiques de développement et d'analyse de leur
impact. En somme, il s'agit pour les populations et les institutions d'arriver
à une situation de rationalisation des conduites, des activités, des investisse-
ments, en fonction des objectifs de développement clairement identifiés.

Le renforcement des capacités des populations


Comme on le sait le taux d'analphabétisme est élevé au sein des popula-
tions jeunes ou adultes. Il apparaît clairement que cet analphabétisme n'est
pas inhérent seulement à l'incapacité de lire ou écrire dans une langue don-
née, mais s'accompagne surtout du défaut d'adopter les conduites favorables
au processus du développement. S'il est vrai que l'alphabétisation facilite
l'ouverture à ces nouvelles façons de voir la vie, il n'empêche qu'une ins-
truction ou une alphabétisation qui n'intègre pas des questions d'éducation
pour un changement de comportement serait restrictive et peu pertinente pour
les besoins du développement.
Aussi, qu'il s'agisse de l'éducation scolaire ou de l'alphabétisation des
adultes, il importe que soit joint un effort de sensibilisation et de conscienti-
sation aiguë sur des thèmes pertinents et porteurs en termes d'enrichissement
humain, d'accroissement des productions à tous les niveaux et du bien-être
social en général. •
Les axes d'une telle option du renforcement des capacités des populations
devraient envisager en termes synergiques, l'instruction, la formation tech-
nique et professionnelle et l'information - éducation - communication (IEC)
pour le changement de comportement. Il s'agit donc bien de l'éducation au
sens plein du terme et telle que cela est envisagé dans le monde traditionnel
c'est-à-dire, une éducation qui prend l'individu dans sa globalité et qui essaye
de toucher tant son côté physique, intellectuel qu'affectif et social. On sait en
effet que dans le monde traditionnel, l'éducation était globale, qu'elle se prati-
quait en tout lieu c'est-à-dire en lien étroit avec les expériences de la vie et on
sait aussi que chacun pouvait être éducateur d'un plus jeune que soit. Dans le
contexte actuel, les moyens à mettre en œuvre dans ce domaine sont divers :
- une scolarisation associée à un apprentissage de techniques et à une éduca-
tion morale et comportementale ;

108
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

- une alphabétisation des adultes qui intègre une formation ou un renforce-


ment technique de leur compétence professionnelle ainsi que des thèmes
d'information, éducation et communication (IEC) ;
- des campagnes générales d'IEC de masse dans le but de conscientiser et de
plaider pour l'émergence de comportements novateurs.
Si ces éléments renvoient au renforcement des capacités des populations,
le renforcement des capacités des institutions va plus loin et intègre même
parfois la capacité à gérer les stratégies de renforcement des capacités des
populations. C'est à des institutions que revient effectivement la charge de
planifier, d'exécuter, de gérer et de suivre les politiques, les stratégies, les
programmes de renforcement des capacités des populations, jeunes ou
adultes.

Le renforcement des capacités des institutions


Nous entendons par là l'amélioration des compétences des personnels des
institutions pour un meilleur rendement mais également l'accroissement du
pouvoir de décision et de gestion de certaines structures. A ce niveau, on ne
peut passer sous silence le processus de décentralisation en cours au Burkina
Faso depuis 1991. Son objectif est de « restructurer, sous l'impulsion du
Ministère de l'administration territoriale et de la sécurité (MATS) et de la
Commission nationale de décentralisation (CND), la répartition du pouvoir
par la délégation des fonctions et des ressources de l'administration centrale
aux administrations locales et permettre aux populations locales de s'investir
beaucoup plus dans la gestion de leurs collectivités» (Fonds africain de déve-
loppement, 1998 ; 5). Le dispositif institutionnel actuellement mis en place à
ce sujet a dévolu au Ministère de l'Administration territoriale et de la
Décentralisation la tutelle des communes. Ce ministère est censé assumer la
responsabilité de l'exécution de la décentralisation en mettant en place les
organes communaux, en formant les élus et agents municipaux, en affectant
le personnel compétent dans le cadre de l'assistance de l'Etat aux services
municipaux, en contrôlant la gestion municipale. La CND et l'Association
des maires du Burkina Faso (AMBF) sont des instruments conçus pour aider
dans cet effort de décentralisation. Ainsi, on note que « La décentralisation
consacre le droit des collectivités territoriales ou collectivités locales à s'ad-
ministrer librement et à gérer des affaires propres en vue de promouvoir le
développement à la base et de renforcer la gouvernance locale» (les textes
d'orientation de la décentralisation du Burkina Faso, 1998 ; 10). Pour ce
faire, le renforcement des ressources humaines des municipalités est bien ins-
crit dans les moyens d'autonomisation des communes et cela mérite d'être
soutenu au-delà des simples initiations aux fonctions essentielles.

109
LA QUESnON ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

En effet, si les communes sont censées assumer des pouvoirs au niveau


politique et économique et si elles doivent participer au renforcement des
capacités de leurs populations, il est clair qu'elles ont besoin d'une véritable
expertise en matière de formation et en matière de gestion des questions
essentielles du développement. Cela suppose l'existence de cadres en ges-
tion, en économie du développement, en formation et en éducation. Cette
dimension est essentielle mais n'est malheureusement pas encore prise en
compte dans les politiques de renforcement des capacités des communes.
Outre les communes, les services étatiques et le secteur privé sont tous
autant concernés par la nécessité du renforcement des capacités. A cet égard,
il ne s'agit pas de parler simplement en termes de diplômés mais de per-
sonnes ressources fonctionnelles dans le cadre de la conception, la planifica-
tion et de la gestion d'un ensemble complexe de données relatives au
développement dans tous ses aspects.

La scolarisation et le renforcement des capacités


La scolarisation renvoie bien sûr à l'éducation aswrée par le système sco-
laire dont on sait qu'il est un héritage de la période coloniale même si l'on a
tenté de l'adapter à nos contextes de pays indépendants.
Il n'est pas utile de revenir ici sur l'appréciation mitigée de l'efficacité
interne de l'enseignement au Burkina Faso. Nous attendons de voir si les spé-
cificités du PDDEB vont apporter des solutions aux problèmes ressentis.
Si on se situe dans le cadre de l'efficacité externe de l'école, en dehors
de l'enseignement technique et professionnel encore marginal dans le pays,
l'appréciation est encore plus sévère car l'école ne prépare pas à une réelle inser-
tion professionnelle avant l'université. L'ouvrage de Marc Pll..,ON et Yacouba
YAROI fait le point des critiques du système à cet égard et des tentatives de
réorganisation visant à combler cette lacune. Il n'empêche que le problème
demeure et est de plus en plus ressenti face aux grands défis du développement.
Au-delà de ces appréciations peu élogieuses du système éducatif burkina-
bè, on peut noter que de manière générale, la scolarisation semble favoriser
une ouverture d'esprit, l'adoption de comportements adéquats en matière de
santé, de population, ... ce qui rejoindrait dans un certain sens les conditions
nécessaires à toute action en faveur du développement. Par exemple, comme
le notait HAQ (1993)2 ainsi que BOMMIER et SHAPIR.() (in Marc PILON
et Yacouba YARO, op. cit.), les jeunes générations bénéficient grandement

1Marc PILON et Yacouba YARO (2001). La demande d'éducation en Afrique, état des
connaissances et perspectives de recherche. Réseau sur la famille et la scolarisation en
Afrique (FASAF). Union pour l'étude de la population africaine (VEPA).
'HAQ, K. Unicef. 1993. Discours prononcé à la Conférence Panafricaine sur l'Éducation des
filles, Ouagadougou, 28 mars - 2 avril 1993.

110
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

d'une éducation de leurs parents comparativement à ceux dont les parents


n'ont pas été scolarisés. Cela se manifeste au niveau des moyens de produc-
tion ou dans l'éducation même des enfants; on comprend dès lors que ces
auteurs insistent sur le fait que ce bénéfice est nettement supérieur lorsque le
parent scolarisé est la mère. Les femmes interviennent énormément dans la
production des biens et des services dans nos pays. Elles sont, plus que les
hommes, responsables de l'éducation des enfants en termes de soins pri-
maires (hygiène, alimentation, prime socialisation, suivi scolaire) ; la qualité
de leur intervention dans la gestion quotidienne de la famille ou dans l'édu-
cation des enfants est donc nettement améliorée lorsqu'elles ont été à l'école.
Tous ces gains dus à l'école dépassent le simple cadre de la famille pour enri-
chir toute la nation (KING and HILL, 1991)3. En somme, cela signifie que
l'aspect IEC relevé initialement comme importante composante de l'éduca-
tion pour le développement est assez encrée dans le processus de scolarisa-
tion même si elle n'est que sous-jacente au programme d'enseignement
explicitement développé. Elle peut bien sur être renforcée.
Aussi et pour notre propos, les lacunes au niveau scolaire renvoient-elles
surtout, outre la démocratisation de l'éducation, à la question de l'efficacité
interne (taux de réussite) et à l'efficacité externe en son aspect lien formation-
emploi. Autant les approches pédagogiques que les programmes développés
à l'école peuvent expliquer cette situation.
La formation des formateurs est aussi en règle générale déclarée insuffi-
sante tant en quantité qu'en qualité et sur un terrain de motivation peu affir-
mée (problème du niveau des émoluments, des conditions difficiles de
travail, etc.). C'est dire que les mauvaises performances du système éducatif
burkinabè trouvent en partie leurs causes dans l'état d'esprit dans lequel les
enseignants travaillent.
Si l'on tient compte des axes de priorité que nous avons retenus comme
devant être ceux du renforcement des capacités des populations pour le déve-
loppement, on peut dire que des ajustements sont à faire nécessairement dans
l'organisation de notre système éducatif afin qu'il puisse répondre au soucis
du développement. A ce titre, le système des Centres d'éducation de base non
formelle (CEBNF) peut servir de source d'inspiration, même si ces centres,
peu soutenus financièrement et matériellement n'ont pas encore entièrement
répondu aux attentes des populations. Les CEBNF s'adressent en effet aux
jeunes non scolarisés ou déscolarisés de 10 à 15 ans. En alliant alphabétisa-
tion en langue nationale à apprentissage professionnel ainsi qu'à éducation-
sensibilisation à la vie de citoyen, ces centres visent l'acquisition par les

'KING, E. M. and HILL, M. A. 1991. Women Education in Developing Countries : Barries,


Benefits and Policy. John Hopkins University Press.

111
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

jeunes de compétences instrumentales de base en langues nationales et en


français, ainsi que de savoir-faire et de savoir-être utiles à la vie. La pratique
de l'agriculture, de l'élevage et de l'artisanat y est envisagée. Les ajuste-
ments du système fonnel se situeraient donc aux niveaux suivants:
-lier scolarisation et production afin de faciliter un certain auto-financement
de l'école et également favoriser un pré-apprentissage professionnel des
apprenants pour les besoins de leur insertion socio-professionnelle future ;
- valoriser la fonction enseignante en améliorant les conditions de travail des
enseignants et des élèves en assurant une fonnation complète et efficace, en
motivant d'une façon ou d'une autre ces enseignants;
- hisser les investissements financiers à la hauteur des ambitions exprimées.
En effet, ce n'est pas au niveau des ambitions et de la reconnaissance offi-
cielle de l'importance de l'éducation que le problème de l'école burkinabè
se pose. En réalité, le problème se trouve au niveau de l'acceptation de l'in-
térêt de l'investissement dans ce secteur. Pour un pays aux ressources limi-
tées, tous les secteurs sont prioritaires et on est souvent tenté d'investir dans
les secteurs aux retombées immédiates plutôt que dans l'éducation. En fait
donc, c'est la conscience et la volonté d'investir dans l'éducation malgré
ses effets à long tenne qui doivent être soutenues. Il s'agit donc bien de his-
ser et de maintenir le niveau des investissements financiers au bénéfice de
l'éducation à un niveau égal aux ambitions exprimées.

Les projets de développement et la logique du renforce-


ment des capacités des populations et des institutions
Le Burkina Faso a beaucoup de projets ou programmes qui, à l'image des
ONG, œuvrent dans le domaine du développement social et économique du
pays. Mais, dans quelle mesure ces programmes ou projets intègrent-ils le
renforcement des capacités dans leurs activités?
Edouard V. K. JAYCOX (1992) traitant des défis du développement en
Afrique souligne que le renforcement des capacités est le « maillon man-
quant» des plans et stratégies de développement en Afrique subsaharienne.
Ainsi par exemple, il écrit que « '" le renforcement des capacités locales -
qualification, connaissances et institutions ne figuraient jamais au premier
plan des approches envisagées» (p. 59). Dans son argumentation, il cite une
étude prospective à long tenne de la Banque mondiale de 1989 (L'Afrique
subsaharienne : de la crise à une croissance durable) qui, déplorant également
la faiblesse de la prise en compte des capacités humaines et institutionnelles
dans les différents secteurs de développement, préconisait « un réexamen
en profondeur des stratégies d'assistance technique en Afrique et l'intensifi-
cation des investissements dans les ressources humaines et les institutions

112
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

locales ». Ces ouvrages datent d'une dizaine d'années et on est tenté de se


demander si, à l'heure actuelle, les choses ont changé.
Pour tenter de répondre à une telle question, nous nous sommes intéres-
sée à des projets de développement pour voir dans quelle mesure ils accor-
dent une place à la formation ou au renforcement des capacités des acteurs.
Nous n'avons considéré que des projets relevant du Ministère de l'économie
et des finances d'antan et qui ne sont pas spécifiquement consacrés à la for-
mation. Pour ce travail, nous nous sommes largement inspirée du document
intitulé : Structures et actions économiques, les projets rattachés aux minis-
tères sur le plan économique et social, les grandes réalisations, perspectives,
2002-2003 4 • Les informations relatives aux différents projets en sont tirées.
- Le Projet d'appui aux micro-entreprises rurales (PAMER)
C'est un projet qui vise « à accroître et à diversifier les revenus des
populations rurales de la zone du projet grâce à la promotion des micro-
entreprises rurales non agricoles» (p. 24). Ce projet a trois composantes: le
renforcement des capacités locales, l'appui technique aux micro-entreprises
rurales (MER) et la facilitation de l'accès au crédit pour les MER. Dans ce pro-
jet, la composante renforcement des capacités est bien présente et se fait à tra-
vers des actions de sensibilisation et de conscientisation à tous les niveaux, la
formation des bénéficiaires du projet ainsi que du personnel du PAMER et des
institutions partenaires. Enfin, l'accompagnement et l'élaboration d'outils péda-
gogiques pour la promotion des micro-entreprises rurales sont également des
actions relevant de cette composante. Il nous est impossible de définir la place
qu'occupe cette composante dans le projet en termes budgétaires.
- Le Projet d'appui au renforcement de la gouvernance économique
(pRGE)
Ce projet a pour but d'« appuyer le gouvernement de façon coordonnée
avec les autres partenaires au développement, en vue d'améliorer la gouver-
nance économique afin d'assurer un environnement politique et économique
approprié à la lutte contre la pauvreté et au renforcement du Développement
humain durable (DHD) » (p. 28). Dans l'organisation de ce projet, le renfor-
cement des capacités occupe une bonne place à travers deux cellules de rt?n-
forcement des capacités, l'une pour l'ex Ministère de l'économie et des
finances (MEF) et l'autre pour l'ex Ministère de l'emploi, du travail et de
la sécurité sociale (METSS) au niveau respectivement des axes 2 (pilotage
économique et gestion de l'aide) et 3 (observatoires sur la pauvreté et le DHD
et sur l'emploi et la formation professionnelle). On peut du reste constater

4 Burkina Faso, Ministère de l'économie et des finances, Structures et actions économiques,


les projets rattachés aux ministères sur le plan économique et social, les grandes réalisations,
perspectives, 2002-2003.

113
LA QUESTION ~DUCAT/VE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

que le renforcement des capacités dans ce projet vise un haut niveau


d'expertise pour les agents de ces ministères dans la perspective d'accroître
leur capacité de pilotage des stratégies économiques et d'appréhension
des questions de pauvreté, de formulation de politiques et d'utilisation des
observatoires.
- Le Programme de réduction de la pauvreté au niveau communal
(PRPC)
Le PRPC se fonde sur la dynamique du processus de décentralisation
auquel il apporte un appui par le renforcement de l'assistance à la maîtrise
d'ouvrage des communes. Son objectif global est de contribuer à la réduction
de la pauvreté au niveau communal et ses objectifs spécifiques sont :
i) renforcer les capacités institutionnelles et financières des populations et des
communes; ii) améliorer l'accès aux services sociaux de base.
Pour atteindre ces objectifs, trois composantes sont mises en œuvre : le
renforcement des capacités des populations et des institutions, le fonds de
développement comprenant le volet infrastructuré et le volet micro-crédit et
enfin la composante gestion du programme. Si le renforcement des capacités
des populations renvoie essentiellement aux diverses formes de formation, le
renforcement des institutions renvoie non seulement à des formations mais
également à des appuis en personnel et en matériel.
Par ailleurs, le programme renvoie à la conception de politiques et plans
de développement ou encore à la structuration de services essentiels (services
d'état civil et domanial). Là encore, on peut se réjouir que le renforcement
des capacités des acteurs n'ait pas été occulté comme facteur important du
développement local.
- Le Programme d'appui aux initiatives communautaires de base
pour la lutte contre la pauvreté (pAICBILCP)
La raison d'être de ce programme est essentiellement le renforcement des
capacités des organisations communautaires de base, des services techniques
au niveau national et provincial, des ONG nationales par des formations
appropriées aux méthodologies d'auto-promotion et de développement parti-
cipatif.
- Les différents projets de développement local (Zoundwéogo,
Komandjari, à l'Est, Sanmatenga, Oudalan, ...) ont dans leur préoc-
cupation le renforcement des capacités des acteurs "du développement
local (populations, services décentralisés, ...).
Bien souvent. l'approche genre est utilisée dans la conception des projets,
dans la mesure où l'on sait que la pauvreté est plus prononcée dans la popula-
tion féminine et que la réduction de la pauvreté féminine a un impact positif

114
ÉDUCATION ET SOCIÉTË

plus direct sur les conditions de vie de la famille que celles de l'homme
(HAQ, 1993). Nous n'allons toutefois pas nous centrer sur cette question par-
ticulière parce que notre propos est plus général.
En réalité donc, lorsqu'on observe le montage des projets et programmes
de développement (PNGT, PRPC, PAMER, ... ), toutes prévoient dans leurs
objectifs le renforcement des capacités tant des populations que des institu-
tions centrales, déconcentrées ou décentralisées. C'est dire qu'il est unani-
mement reconnu que rien d'efficace et de durable n'est possible sans une
bonne qualification des ressources humaines. A cet égard, on peut dire, en
référence au constat de Edouard V. K. JAYCOX ci-dessus cité, que les choses
ont sans doute positivement changé depuis lors. Même si nous ne pouvons
rien affIrmer sur la manière dont ces volets sont gérés, on constate que des
lignes budgétaires plus ou moins importantes sont généralement consacrées
pour des actions de formation, d'encadrement, de sensibilisation, etc.
Il convient cependant de regarder les choses de très près pour se
convaincre que du chemin reste à faire en vue d'une valorisation franche du
renforcement d~s capacités humaines dans le cadre de la gestion du dévelop-
pement. En effet, il arrive que les budgets alloués à ces volets soient en deçà
des besoins du terrain et bien en deçà des objectifs qui lui sont assignés ou
encore parfois dilués dans l'exécution des autres volets desdits projets d'une
manière telle qu'à l'exécution, la prise en compte des formations se fait de
façon mitigée. La volonté affichée au niveau financier dont nous avons fait
cas plus haut n'existe franchement dans les projets de développement que
lorsque ceux-ci sont consacrés exclusivement au renforcement des capacités
des ressources humaines (cas des projets éducation ou encore du PAICBILCP
à la base). Dès lors que l'on a affaire à un projet plus global de développe-
ment avec un volet formation, l'assurance que la portion du budget qui lui est
consacrée soit à la hauteur de l'importance qui lui est explicitement reconnue
n'est pas du tout garantie comme en témoigne l'exemple ci-dessous.
Un des nombreux projets de lutte contre la pauvreté intervient dans une
quinzaine de communes du Burkina Faso en s'appuyant sur le processus de
décentralisation qu'il essaye de renforcer. Ce projet accorde une grande place
au renforcement des capacités que ce soit des populations ou des institutions,
notamment communales.
Dans sa composante renforcement des capacités des populations, le projet
insiste sur les activités d'IEC / plaidoyer dans chacune des communes cibles
avec de grandes ambitions. Ces campagnes d'IEC ont pour but de mobiliser
les populations en vue du développement participatif et s'articulent autour des
quatre principaux problèmes de population renvoyant aux plaidoyers suivants :
- IEClPlaidoyer population-développement, lutte contre la pauvreté, méthode
participative;

115
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

- IEClPlaidoyer pour la gestion rationnelle de l'environnement;


- IEClPlaidoyer pour la promotion de la femme ;
- IEClPlaidoyer décentralisation.
Il est évident que ces thèmes sont pertinents et importants en matière de
développement, notamment de développement participatif dans le contexte
de la décentralisation. Dans la mise en œuvre, le projet doit utiliser des
consultants pour exécuter ces campagnes d'IEC/plaidoyer. Le budget du pro-
jet prévoit 2 500 000 F CFA pour chaque plaidoyer et pour l'ensemble de ses
15 communes cibles. Il est nonnalement prévu que ces activités soient exé-
cutées par des consultants recrutés sur la base d'une consultation restreinte.
Au contact avec les consultants, on se rend compte que le budget prévu ne
pennet d'exécuter, pour une certaine efficacité, qu'un plaidoyer dans une
seule commune. Aussi en arrive-t-on à tenter, avec ce petit budget, un « sau-
poudrage» dans toutes les communes.
Dans le même ordre d'idée, on peut évoquer un autre exemple éloquent:
un des aspects les plus importants du volet renforcement des capacités des
populations du même projet est la Fonnation technique et professionnelle
(FfP). Les populations comptent énonnément sur cet aspect et leurs besoins
en matière de fonnation technique et professionnelle sont immenses. Des ser-
vices de consultants doivent être également utilisés pour exécuter ces activi-
tés. Les objectifs poursuivis par ces fonnations tels que définis dans le
programme sont les suivants:
- munir les populations de technologies appropriées pour l'entrée dans la vie
active;
- renforcer ou améliorer les savoir-faire professionnels de personnes dési-
reuses d'accroître leur perfonnance et la rentabilité de leurs activités;
- favoriser le développement de l'entreprise locale;
- soutenir l'activité commerciale dans les communes.
Dans ce cas précis, le montage du projet n'a cependant prévu aucune ligne
budgétaire spécifique à la fonnation technique et professionnelle. Les
concepteurs du projet ont tout simplement décidé qu'il fallait l'envisager
dans le budget de la formation des bénéficiaires de micro-crédits, ceux-ci
devant être encadrés en gestion de micro-entreprises. Que les budgets de ces
deux activités soient fondus n'est pas en soi une mauvaise chose, d'autant
plus qu'après la FfP, on peut être orienté vers le micro-crédit. Ce qui par
contre est décevant, c'est que le budget fonnation des bénéficiaires de micro-
crédits est de 17 000 000 F CFA chaque année pour l'ensemble des com-
munes du projet. Il est évident que ce budget est insuffisant même s'il ne
s'agissait que de l'encadrement des bénéficiaires de micro-crédits en gestion
seulement (sans parler de FTP). Là encore, on peut se rendre compte que des
espoirs sont déçus.

116
ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ

On peut néanmoins se réjouir quelque peu du fait que l'alphabétisation


des populations de ce projet bénéficie d'un budget plus conséquent, même
s'il ne peut permettre de combler une bonne partie des besoins de terrain. On
n'hésite cependant pas à le ronger pour combler certains déficits çà et là, ce
qui témoigne aussi d'une considération mitigée à l'endroit de la formation.
En ce qui concerne le renforcement institutionnel, ledit projet l'a pris en
considération à travers le recrutement de personnel pour les communes et de
certains experts de courte durée pour des activités ponctuelles dans certains
services. Il renforce également les municipalités et certains services éta-
tiques en matériels, mobiliers, fournitures, etc. Il prévoit aussi des formations
pour les élus, des agents communaux et les personnels de certains ministères
partenaires. A cet égard, c'est sans étonnement que l'on se rendra compte que
la portion congrue en matière de budget dans ce cadre revient à la formation
(comparativement au renforcement en matériel) qui est encore obligée de
faire d'importantes restrictions pour rester dans l'enveloppe prévue.
Restons toutefois nuancée pour dire qu'il est également possible que les
concepteurs de ce projet n'aient pas pris toute la mesure du coût réel des acti-
vités de formation au regard des objectifs planifiés. Cela, du reste, ne serait
pas non plus excusable au regard de l'importance et de la précision métho-
dologique qui doivent présider au montage d'un programme ou projet de
développement.

Conclusion
En matière de renforcement et de qualification des ressources humaines,
si un changement positif est perceptible dans le montage de projets et pro-
grammes de développement, notamment par la reconnaissance de l'impor-
tance de cette question et par les efforts dans l'allocation de ressources
budgétaires, du chemin reste à faire pour la mise à disposition de fonds à la
hauteur des objectifs définis. Cela est d'autant important que c'est dans le
cadre des projets et programmes de développement que l'opportunité est
effectivement offerte de lier directement l'éducation et la formation au déve-
loppement ; c'est là que l'agencement éducation/développement devrait
s'opérer de manière plus pertinente et plus efficiente.
Suite aux efforts faits par les bailleurs et les opérateurs pour prendre en
compte la question du renforcement des capacités des ressources humaines,
un effort supplémentaire doit être fait pour que ce secteur soit budgétisé à la
hauteur de l'importance qui lui est unanimement reconnue. De cette manière
et avec la qualification des ressources humaines par le biais du système édu-
catif formel ou non formel, le Burkina Faso pourra récupérer la responsabili-
té de la conception et de la gestion de son développement. C'est à ce prix et
pour aller dans le même sens que JAYCOX (1992), que le pays disposerait

117
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

d'un grand nombre d'analystes critiques des grandes orientations politiques


ou économiques et de gestionnaires de haut niveau qui seraient à même de
guider le pays à travers les aléas économiques auxquels il faut faire face
continuellement. Il pourrait ainsi se passer des experts qui lui sont souvent
imposés par les bailleurs ou tout au moins être mieux outillé pour apprécier
l'adéquation de leurs interventions pour le pays.
Au demeurant, il appartient peut-être aussi aux spécialistes des questions
d'éducation de s'investir davantage dans la sensibilisation des décideurs pour
que ces changements s'opèrent. Il leur appartient sans doute aussi de s'insé-
rer dans le tissu des politiques et actions de développement pour tenter de
changer les choses de l'intérieur.

Bibliographie
Burkina Faso, 1998. Les textes d'orientation de la décentralisation (TOD) du
Burkina Faso, Ouagadougou, 128 p.
Ministère de l'économie et des fmances, 2003. Structures et actions économiques,
les projets rattachés aux ministères sur le plan économique et social, les grandes
réalisations, perspectives, 2002-2003, Ouagadougou, 288 p.
Fonds africain de développement (FAD), 1998. Rapport d'évaluation, Programme
de réduction de la pauvreté au niveau communal. Ouagadougou, 58 p.
Gouvernement du Burkina Faso, 2001. Cadre stratégique de lutte contre la
pauvreté. Ouagadougou, 90 p.
HAQ, K. Unicef. 1993. Discours prononcé à la Conférence Panafricaine sur
l'Éducation des filles, Ouagadougou, 28 mars - 2 avril 1993.
JAYCOX Edouard V. K., 1992. Les défis du développement de l'Afrique. Banque
Mondiale, USA, 226 p.
KING, E. M. and HILL, M. A., 1991. Women Education in Developing Countries :
Barries, Benefits and Policy. John Hopkins University Press, World Bank, 354 p.
PILON Marc et YARO Yacouba (2001). La demande d'éducation en Afrique, état
des connaissances et perspectives de recherche. Réseau sur la famille et la scolarisa-
tion en Afrique (FASAF). Union pour l'étude de la population africaine (UEPA),
Dakar, 221 p.

118
Troisième partie
Accès à la scolarisation :
déterminants et disparités
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

De la campagne à la ville, constances et différences


dans les déterminants de la scolarisation des
enfants au Burkina Faso

Jean-François KOBIANÉ*

« Aujourd'hui encore, de hauts responsables de l'éducation croient


qu'on planifie l'éducation pour tous comme on régularise le lit d'un
fleuve ou comme on élimine la fièvre jaune. Quand bien même le
théâtre et le concert seraient gratuits, les éléments socio-économiques
les moins favorisés ou les plus pauvres de la population s y
rendraient-ils en nombre suffisant pour remplir les salles ? L'offre
seule ne suffit pas .. il est indispensable de se pencher aussi sur la
question de la demande ».
(Hallak, 1994, p. 25)

Introduction 1

Le rôle de l'éducation dans le processus de développement est unanime-


ment reconnu de nos jours: impact sur les évolutions démographiques mais
aussi impact sur la productivité (CALDWELL, 1980 ; Banque mondiale,
1995; Nations Unies, 1995 ; LLOYD et al., 2000). La question est plutôt de
savoir comment arriver à une amélioration substantielle des taux de scolari-
sation, notamment dans des pays africains comme le Burkina Faso où seule-
ment un enfant d'âge scolaire sur trois fréquente l'école primaire2 • Faut-il
continuer à se focaliser sur l'offre scolaire? Ne faut-il pas de plus en plus
accorder un intérêt plus grand à la demande?
Du point de vue de la politique éducative ou plus largement de la politique
gouvernementale, la réalisation d'un objectif donné de scolarisation à une date
ou sur une période donnée, dépend non seulement des moyens financiers qui
pourraient être déployés en vue de la construction d'écoles, de l'achat d'équi-
pements scolaires, de la formation (et par la suite du paiement) du personnel
enseignant, mais aussi et avant tout du nombre d'enfants potentiellement
concernés (conformément aux tranches d'âge officielles) par la scolarisation
à cette date. Ce nombre dépend directement de l'accroissement naturel récent

* Démographe, Institut supérieur des sciences de la population (ISSP) - Université


Ouagadougou.

1 Ce texte reprend quelques uns des principaux résultats d'une thèse de doctorat soutenue en
août 2002 à l'Institut de démographie de l'Université catholique de Louvain (Belgique).
2 Pour l'année 2000, J'annuaire statistique du Ministère de l'enseignement de base et de

l'alphabétisation donne un taux net de scolarisation au primaire de 33 % pour les 7-12 ans.

121
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

de la population. Plus la croissance démographique est élevée, plus la deman-


de potentielle de scolarisation (donc le nombre d'enfants scolarisables) sera
importante. Par conséquent, plus la demande potentielle est élevée, plus l'in-
vestissement démographique (pour reprendre l'expression ancienne de A.
SAUVY, 1966) dans le domaine de l'éducation sera important.
Mais si de bonnes prévisions de l'offre éducative sont nécessaires, en
tenant compte de la croissance de la population scolarisable et des contraintes
budgétaires, elles ne suffisent évidemment pas à entraîner un engouement des
ménages vis-à-vis de l'école ou du système scolaire. Il semble que les
familles et les ménages décident d'envoyer ou pas leurs enfants à l'école non
seulement en fonction de la disponibilité et de la qualité des institutions
scolaires, mais aussi et peut-être avant tout, en fonction d'autres facteurs de
natures très diversifiées qui relèvent de leurs caractéristiques culturelles,
sociales, économiques et démographiques.
Les travaux sur les déterminants de la scolarisation des enfants au Burkina
Faso (DACHER, 1977 ; DAMIBA, 1978 ; DELMAS-SOULIÉ, 198 l ;
SANOU, 1988 ; ADllBADÉ, 1989 ; SOMÉ, 1994 ; YARO, 1994 et 1995
SANOU, 1995 ; GÉRARD, 1998 ; KABORÉ et al., 2003, etc.) restent domi-
nés par deux thématiques souvent liées: d'une part la problématique de la
sous-scolarisation des filles et, d'autre part, le rôle des facteurs sociaux et
culturels dans l'explication de cette sous-scolansation féminine. Ces travaux
portent également, dans une large majorité, sur le milieu rural, lieu par excel-
lence des représentations et des rapports sociaux discriminatoires envers les
filles. Sans toutefois nier l'importance des facteurs socio-culturels, une
meilleure appréhension des déterminants de la demande scolaire implique
une approche globale, c'est-à-dire la prise en compte aussi bien des facteurs
socio-culturels que des facteurs économiques et démographiques.
Ce texte s'inscrit dans cet axe analytique; il a pour objectif d'identifier et
de hiérarchiser les facteurs de la fréquentation scolaire en faisant ressortir
non seulement les différences rurales/urbaines mais aussi les différences
entre garçons et filles. Le texte est structuré en deux parties : la première
aborde les aspects méthodologiques tandis que la seconde est consacrée aux
principaux résultats de la recherche.

Éléments de méthodologie
Données
Les données utilisées proviennent de l'enquête prioritaire: étude sur les
conditions de vie des ménages au Burkina Faso» (EPI) réalisée entre
octobre 1994 et janvier 1995 par l'Institut National de la Statistique et de la

122
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Démographie (lNSD). Cette enquête qui a concerné 8 642 ménages a bénéficié


du concours financier de la Banque mondiale, de la BAD, du PNUD et du
Gouvernement burkinabé.
Le principal apport de l'Enquête Prioritaire tient à la diversité des thèmes
abordés (questionnaire comportant treize sections au total) offrant ainsi la
possibilité d'approcher plusieurs dimensions des facteurs explicatifs de la
demande scolaire. Toutefois, n'ayant pas été réalisée pour l'étude spécifique
de la demande scolaire, elle comporte certaines limitations quant à l'analyse
des déterminants de la scolarisation: par exemple, on ne sait rien des enfants
du chef de ménage vivant ailleurs dans d'autres unités résidentielles, on ignore
les motifs de présence des membres extérieurs au noyau familial de base, les
informations sur l'investissement scolaire concernent l'ensemble du ménage
et non chaque enfant pris individuellement, la dimension temporelle
(approche longitudinale) n'intervient pas puisqu'il s'agit de données trans-
versales ... Malgré ces limitations, l'exploitation secondaire de ces sources
de données 3 permet de mettre en lumière quelques enseignements sur les
facteurs de la scolarisation.
Groupe d'âge considéré
Compte tenu du très faible niveau de la scolarisation au primaire au
Burkina Faso, nous nous intéressons au groupe d'âge d'enfants susceptibles
de se trouver à ce niveau du système d'enseignement. Les statistiques offi-
cielles considèrent généralement le groupe d'âges des 7 à 12 ans comme la
population scolarisable au primaire, ce choix étant justifié par le fait que l'âge
officiel d'entrée à l'école au Burkina Faso est de 7 ans et que l'enseignement
primaire comporte six années d'études. Pour notre part, nous considérerons
un groupe d'âge plus large, à savoir 6 à 14 ans. De plus en plus d'enfants
entreraient à l'école avant l'âge officiel. En considérant une limite d'âge infé-
rieure de la population scolarisable en deçà de l'âge officiel, on peut appré-
cier le niveau de fréquentation à cet âge et analyser les différences sexuelles
de cette « entrée précoce ». Par ailleurs, c'est à partir de 11-12 ans, que les
sollicitations des jeunes filles dans les activités domestiques seraient impor-
tantes. En considérant une limite d'âge supérieure à 12 ans, on peut mieux
mettre en évidence les schémas différentiels suivant le sexe.

3 C'est la démarche à la base de la mise en place du réseau de recherche Famille et


Scolarisation en Afrique (FASAF) qui, sans toutefois exclure la réalisation d'études spéci-
fiques sur la scolarisation, a pour objectif, entre autres, de promouvoir la valorisation des
sources de données secondaires (recensements, enquêtes socio-économiques et démogra-
phiques) (CEPED-UEPA-UNESCO, 1999 ; PILON et YARO, 2001).

123
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Variables
Treize variables interviennent dans la présente étude : sept variables
démographiques (le sexe et le statut familial de l'enfant, le sexe et la situa-
tion matrimoniale du chef de ménage, la taille, la structure familiale et le pro-
fil démographique du ménage), deux variables économiques (le niveau de vie
du ménage et le mode de production) trois variables socio-cuiturelles
(le niveau d'instruction, la religion et l'ethnie du chef de ménage) et enfin
un indicateur de la disponibilité de l'offre scolaire, à savoir la distance
moyenne à l'école primaire la plus proche.
Il convient de donner quelques précisions d'ordre méthodologique sur la
construction de certains indicateurs: il s'agit du profil démographique du
ménage, du niveau de vie du ménage, du mode de production et de la distan-
ce moyenne à l'école primaire la plus proche4 •
Le profil démographique du ménage est un indicateur synthétique des carac-
téristiques démographiques du ménage: à partir des scores factoriels d'une
Analyse de Correspondances Multiples (ACM) appliquée à l'ensemble des
caractéristiques démographiques du ménage et du chef de ménage, nous avons
procédé à une classification des ménages en trois grands profils.
Le profil 1 est caractérisé par des ménages monogames de petite taille 5 , le pro-
fil 2 est celui des ménages élargis et de grande taille et enfin le profil 3 comprend
des ménages ayant des traits extrêmes : de très petite taille (moins de
6 personnes) ou de très grande taille (plus de 15 personnes). Ce profil 3 com-
prend une forte proportion de ménages monoparentaux dirigés par des femmes.
Le niveau de vie du ménage est un indicateur de pauvreté monétaire basée
sur les dépenses annuelles de consommation du ménage. Le choix des
dépenses de consommation se justifie par le fait que les dépenses totales du
ménage au cours d'une année sont une meilleure mesure du revenu perma-
nent du ménage que le revenu annuel lui-même, plus sujet à fluctuations et
plus difficile à obtenir de manière fiable (KOZEL, 1990 ; De VREYER, 1993 ;
RAVALLION, 1996). Nous avons opté pour une approche relative de la pau-
vreté, notamment celle basée sur les quintiles. Avec les quinti1es, les ménages
sont répartis en cinq classes regroupant chacune 20 % de l'effectif total : les
20 % en bas de l'échelle (1'" quintile ) correspondent à « l'extrême pauvreté»
alors que les 20 % en haut de l'échelle (5< quintile) sont considérés comme
étant « très riches» ou « très nantis ». Entre ces deux extrêmes, il y a les
« pauvres» (2< quintile) la classe intermédiaire (3< quintile) et les « riches»
(4< quintile) (KUSNIC et DA VANZO, 1982 ; GILLIS et al., 1990 ;

• Pour plus de détails sur la construction de ces indicateurs, voir KOBIANÉ (2002).
, Le ménage de petite taille est compris ici comme un ménage comptant moins de dix
personnes.

124
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DlËTERMINANTS ET DISPARlTlËS

Burkina Faso, 1996, KOBIANE, 1998 et 2002). Cependant, compte tenu des
contraintes de faibles effectifs lorsqu'on procède à des analyses plus fines par
milieu de résidence et suivant le sexe des enfants, nous avons finalement rete-
nu trois classes de statut économique : les « pauvres » (les 40 % en bas de
l'échelle de niveau de vie), la classe intermédiaire (les 20 % au centre de la dis-
tribution de niveau de vie) et les « nantis» (les 40 % au sommet de l'échelle).
Le mode de production est un indicateur construit à partir du type de pro-
fession, du statut dans la profession et de la possession ou non d'une entre-
prise familiale par le ménage. Compte tenu des différences rurales/urbaines
dans la structure de l'activité économique, les modalités de l'indicateur de
mode de production varient d'un milieu d'habitat à un autre.
La distance à l'école primaire a été construite à partir de deux questions
de la section 9 « accès aux services sociaux de base les plus proches » du
questionnaire de l'EP : « combien de temps faut-il pour se rendre au service
le plus proche? » et « par quel moyen? » (à pied, à bicyclette, à motocy-
clette, en automobile ou autre moyen). Moyennant quelques hypothèses sur
la distance moyenne qu'on pourrait parcourir en une heure par chacun des
moyens de déplacement, on obtient par la relation qui lie la vitesse à la dis-
tance et au temps la distribution de cette variable. Le tableau 1 confirme un
résultat déjà bien connu, celui de la concentration des infrastructures
scolaires en milieu urbain. En effet, en milieu rural, 65 % des enfants sont à
plus de 5 km d'une école primaire (24 % à 6-15 km et 41 % à plus de 15 km).
A l'opposé, 57 % des enfants dans les « autres villes» et 61 % à Ouagadougou
sont à une distance de moins de 2 km d'une école primaire.
Tableau I. Répartition des enfants de 6-14 ans suivant la distance moyenne qui
les sépare de l'école primaire la plus proche. Burkina Faso 1994-95.

Distance moyenne Milieu de résidence


à l'école primaire Rural Autres villes Ouagadougou Ensemble
<2km 14 57 61 20
2-5 km 21 27 33 22
6-15 km 24 15 5 24
> 15 km 41 1 1 34
Total 100 100 100 100
(Effectif) (12685) (2271) (2234) (17190)

Méthode statistique et démarche d'analyse


Nous étudions les déterminants de la fréquentation scolaire au moment de
l'enquête, plus précisément la probabilité qu'un enfant fréquente ou non l'école
en 1994-1995, année scolaire de référence. La variable à expliquer est donc

125
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

dichotomique (l si l'enfant fréquente l'école et 0 si l'enfant ne fréquente pas


l'école) et l'une des méthodes de régression adaptées à l'analyse de telles
variables est la régression logistique (ou modèle logit). Les variables explica-
tives quant à elles peuvent être catégorielles ou continues. Toutes les variables
utilisées dans cette étude sont catégorielles ou rendues telles. Lorsque les
variables sont catégorielles, le coefficient utilisé ici, appelé rapport des chances
ou rapport des cotes, s'interprète en termes d'écart par rapport à une modalité
(ou catégorie) de référence, choisie par l'analyste. Par exemple, en considérant
la catégorie « pauvres» comme la catégorie de référence, on analyse les chances
de fréquenter l'école d'un enfant de la catégorie « intermédiaire» et d'un autre
de la catégorie « nantis» par rapport à un enfant de la catégorie « pauvres ».
La catégorie de référence étant supposée présenter la valeur l, un rapport de
chances supérieur à 1 (par exemple 1,20) signifie plus de chances de fré-
quenter l'~cole (20 % de chances en plus). À l'opposé, un rapport de chances
inférieur à 1 (par exemple, 0,70) signifie moins de chances de fréquenter
l'école (soit 30 % de chances en moins).
La démarche adoptée est progressive en ce sens que nous avons élaboré
différents modèles allant d'un modèle de base où interviennent uniquement
les variables démographiques (<< modèle démographique») à un modèle com-
prenant aussi bien les variables démographiques que les variables écono-
«(
miques modèle démo-économique »), puis un modèle « démo-économique
et culturel », c'est-à-dire dans lequel interviennent en plus les variables cul-
turelles et enfin, un modèle final dans lequel intervient l'ensemble des
«(
variables d'étude modèle démo-économique et culturel» + offre scolaire).
Une telle démarche permet de contrôler les effets des différents types de
variables et de mettre ainsi en évidence des phénomènes d'interactions entre
déterminants de la fréquentation scolaire.
Chaque type de modèle a été réalisé pour chacun des trois milieux
d'habitat: rural, « autres villes» (ou villes intermédiaires) et Ouagadougou.
Dans chaque milieu de résidence, nous avons réalisé des modèles sur
l'ensemble des enfants et sur la population des seuls enfants du chef de
ménage, l'objectif d'une telle démarche étant de mettre en évidence certains
résultats qui vont au-delà du statut familial de l'enfant. En outre, pour analyser
les différences sexuelles dans les déterminants de la scolarisation, des modèles
par sexe ont été construits.
Nous ferons ici l'économie de l'ensemble des résultats intermédiaires et met-
trons davantage l'accent sur les principaux enseignements des modèles finaux 6 •

6 Pour plus de détails, voir Kobiané (2002).

126
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Principaux résultats
La présentation des résultats est structurée en trois parties: tout d'abord,
nous donnons une vision synoptique de l'importance de chaque variable
explicative, ensuite nous abordons les différences rurales/urbaines dans les
déterminants de la scolarisation pour les deux sexes réunis ; enfin, la troisiè-
me partie met l'accent sur les différences entre garçons et filles et leurs varia-
tions suivant le milieu d'habitat.
Hiérarchisation des variables suivant leur pouvoir explicatif
La hiérarchisation des variables suivant leur pouvoir de prédiction
(tableau II) met en évidence les variables les plus déterminantes ainsi que les
différences rurales/urbaines dans l'importance de chaque facteur. Les chiffres
en caractères gras dans le tableau II permettent d'identifier dans chaque
milieu d'habitat les variables les plus déterminantes, c'est-à-dire celles qui
occupent un rang inférieur à 6 (ce choix, bien qu'arbitraire, tient compte du
nombre total de variables qui interviennent dans les modèles).

Tableau II. Hiérarchisation des variables suivant le pouvoir de prédiction dans


le modèle global portant sur l'ensemble des enfants de 6-14 ans.
Variables Rural Autres villes Ouagadougou Burkina Faso
Sexe de l'enfant 1 2 8 3
Sexe du chef de ménage la la 9 9
Situation matrimoniale du C.M 11 Il 4 12
Taille du ménage 11 9 6 la
Typologie familiale 9 Il 9 la
Profil démographique 11 4 6 13
Statut familial de l'enfant 8 5 1 8
. Niveau de vie du ménage 6 3 2 6
Mode de production 2 1 3 1
Instruction du chef de ménage 7 11 5 6
Religion du chef de ménage 4 6 9 5
Ethnie du chef de ménage 4 7 9 4
Distance à l'école 2 9 9 2
Note: L'absence de certains rangs est due aux ex-requos.

Au niveau de l'ensemble du Burkina Faso, il ressort que les variables


démographiques ne jouent pratiquement pas sur la fréquentation scolaire au
regard des rangs qu'elles occupent. Seul le sexe de l'enfant est déterminant
(troisième rang), ce qui dénote de la prééminence des rapports sociaux
discriminatoires dans la scolarisation des enfants.
7 Le pouvoir explicatif d'une variable est donné par la valeur du coefficient de
corrélation partielle.

127
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO : REGARDS PLURIELS

En ce qui concerne le rôle des variables économiques, le mode de pro-


duction est la variable la plus déterminante (premier rang). Le niveau de vie
du ménage occupe également une place de choix dans l'explication de la
fréquentation scolaire puisqu'il vient en sixième position.
Les variables socio-culturelles, comme l'ont documenté nombre de tra-
vaux sur les déterminants de la demande scolaire en Afrique sub-saharienne
(KOBIANÉ, 2001) jouent un rôle important dans l'explication de la scolari-
sation. L'ethnie, la religion et l'instruction du chef de ménage occupent ainsi
respectivement les quatrième, cinquième et sixième rangs.
L'importance de la distance à l'école (deuxième rang au niveau de l'en-
semble du pays) montre que l'expansion de l'offre scolaire reste encore un
défi majeur dans la réalisation de l'Éducation Pour Tous.
Ces résultats au niveau de l'ensemble du pays sont très influencés par la
situation en zone rurale compte tenu du très grand poids du milieu rural qui
représente 84 % de la population burkinabé. L'examen des résultats suivant le
milieu d'habitat est en ce sens nécessaire et permet de voir comment le proces-
sus d'urbanisation influe sur les facteurs de la demande scolaire.
En ce qui concerne les variables démographiques, il ressort comme nous
l'avons observé au niveau de l'ensemble du Burkina Faso, quel que soit le
milieu de résidence, elles sont globalement peu déterminantes. Cependant,
il existe quelques exceptions:
-le sexe de l'enfant occupe le premier rang en milieu rural et le deuxième
rang dans les « autres villes ». Avec l'urbanisation, les inégalités sexuelles
de scolarisation tendent à diminuer, le sexe de l'enfant n'occupant plus que
la huitième position à Ouagadougou. Si en milieu rural, un garçon a 2,2 fois
la chance d'être scolarisé qu'une fille, dans la capitale, ce coefficient ne
représente plus que] ,3 (tableau III) ;
-la situation matrimoniale du chef de ménage est une variable particulière-
ment déterminante dans la capitale où elle occupe le quatrième rang : un
enfant dans un ménage polygame a 50 % de chances en moins d'être sco-
larisé qu'un autre dans un ménage monogame (tableau III) ;
- le profil démographique du ménage apparaît comme déterminant dans les
villes intermédiaires (quatrième rang) et un peu moins dans la capitale
(sixième rang). Dans les « autres villes », la différence entre les profils] et
2 n'est pas statistiquement significative, mais comme dans l'ensemble du
pays le profil démographique 3 celui comprenant les femmes chefs de
ménage offre plus de chances de fréquenter l'école que le profil] (ménages
monogames de petite taille) ;
- le statut familial de l'enfant est un facteur important de la fréquentation sco-
laire en milieu urbain et son effet se renforce avec l'urbanisation. Il est de loin

128
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

la variable la plus déterminante à Ouagadougou avec un très fort pouvoir de pré-


diction (0,24) (tableau Ill). En milieu rural, il n'y a pratiquement aucune diffé-
rence de scolarisation entre les enfants du chef de ménage et ceux d'« autres
parents », alors que dans les « autres villes» et dans la capitale, un enfant d'un
« autre parent » a resPectivement 30 % et 80 % de chances en moins de fré-
quenter l'école qu'un enfant du chef de ménage. Plus le degré d'urbanisation est
élevé, plus les besoins de main-d' œuvre domestique se font sentir (plus de
femmes sont en effet amenées à s'investir dans le travail extérieur) et les enfants
(particulièrement les fIlles, comme nous le verrons dans les modèles spécifIques
par sexe) sont accueillis plus comme aides familiales que pour la scolarisation.
Lorsque l'enfant n'a aucun lien de parenté avec le chef de ménage, il est quasi
certain que sa présence est liée à une autre raison que la scolarisation : à
Ouagadougou, un enfant non apparenté au chef de ménage a pratiquement deux
fois moins de chances de fréquenter l'école qu'un enfant du chef de ménage
(tableau Ill).
Tableau m. Effet des variables démographiques dans le modèle logistique
global (ensemble des enfants de 6-14 ans, les deux sexes réunis)
Rapports de chances (eB;)
Variables Burkina Faso Rural Autres villes Ouagadougou
(N= 17190) (N= 12685) (N=2271) (N= 2 234)
1. Sexe du chef de ménage [0,03]*** [0,01] [0,02] [0,00]
1. Homme MR MR MR MR
2. Femme 1,6*** 1,3 1,6 1,3
II. Situation matrimoniale du chef de ménage [0,01]* [0,00] [0,00] [0,06]**
1. Monogame MR MR MR MR
2. Polygame 0,9* 1,0 0,9 0,5***
3. Veuf/veuve 0,8* 0,8 0,7 0,5
4. Célibataire 0,8 0,8 0,9 {O,7}
m. Caractère nucléaire ou élargi du ménage [0,02]** [0,02]* [0,00] [0,00]
I. Nucléaire MR MR MR MR
2. Élargi 1,2*** 1,2* 1,1 1,1
3. Autre 1,1 0,9 0,9 2,2
IV. Taille du ménage [0,02]*** [0,00] [0,01] [0,04]*
1. <= 5 personnes MR MR MR MR
2. 6-7 personnes 1,2* 1,1 1,2 1,4*
3. 8-9 personnes 1,5"* 1,2* 1,7** 1,8**
4. 10-11 personnes 1,4"* 1,2 1,6* 1,9"
5. 12-15 personnes 1,4"* 1,2 1,7* 2,0"
6. >= 16 personnes 1,3" 1,2 1,4 1,7
V. Profil démographique du ménage [0.01] [0,00] [0,06]*" [0,04]*
1. Profil démographique 1 MR MR MR MR
2. Profil démographique 2 l,l l,l 0,8 1,6**
3. Profil démographique 3 1,2* 1,1 1,6* 1,7*
VI. Sexe de l'enfant [0,12)*" [0,14]*** [0,13]"* [0,03]*
1. Garçon 2,0"* 2,2*" 2,1*** 1,3*
2. Fille MR MR MR MR
VII. Statut familial de l'enfant [0,05]*** [0,03]*** [0,05]** [0,24]***
1. Enfant du chef de ménage MR MR MR MR
2. Autre parent 0,8*** l,l 0,7** 0,2***
3. Non apparenté 0,3*** 0,3*** 0,8 0,04***
Note: [...] : Coefficient de corrélation partielle r ; MR : Modalité de référence; Seuil de signification:
*** : 10/00 ; ** : 1 % ; * : 5 % ; { ... } : Faible effectif « 30)

129
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Comme nous l'avons observé pour l'ensemble du pays, les variables éco-
nomiques demeurent des facteurs importants de la fréquentation scolaire quel
que soit le milieu d'habitat: le mode de production occupe le premier rang
dans les villes intermédiaires comme dans l'ensemble du pays, le deuxième
rang en milieu rural et le troisième rang dans la capitale. Mais les écarts de
scolarisation en fonction du mode. de production ont tendance à se rétrécir
avec l'urbanisation : ils sont particulièrement élevés en milieu rural. Par
ailleurs, le mode de production n'a pas la même signification d'un milieu à
un autre : si être agriculteur avec une entreprise familiale est une situation
favorable à la scolarisation des enfants en milieu agricole, par contre dans la
capitale qui présente des niveaux de scolarisation très élevés, la situation
d'enfant d'agriculteur est la moins favorable. Un enfant d'un agriculteur sans
entreprise familiale et un enfant d'agriculteur avec entreprise familiale, en
milieu rural, ont respectivement 2,3 et 3 fois plus de chance de fréquenter
l'école qu'un enfant d'éleveur. Mais dans les campagnes comme dans les
villes, c'est le salariat qui conduit à la meilleure scolarisation (tableau IV).
Quant au niveau de vie du ménage, son rôle augmente avec l'urbanisation
(6 e rang en milieu rural, 3e rang dans les « autres villes » et 1er rang à
Ouagadougou). Si la scolarisation croît avec l'urbanisation, on peut noter que le
développement de l'économie marchande consécutive au processus d'urbanisa-
tion s'accompagne aussi d'un renforcement des inégalités d'accès à l'école lié à
la classe sociale: alors qu'en milieu rural, un enfant d'un ménage nanti et un
enfant d'un ménage de la classe intermédiaire ont respectivement 40 % et 90 %
de chances en plus d'être scolarisés qu'un enfant de classe pauvre. Dans les
« autr~s villes », ces chiffres se situent respectiveme~t à 60 % et 120 % et à
Ouagadougou à 60 % et 180 %. Le rapport des chances de la classe des nantis
(écart par rapport à la classe des pauvres) passe de 1,9 en milieu rural à 2,2 dans
les autres villes et à 2,8 à Ouagadougou (tableau IV).
L'un des résultats classiques quant aux facteurs de la scolarisation est la
relation positive toujours observée entre le niveau d'instruction du chef de
ménage (ou des parents) et la scolarisation des enfants. Ce résultat qui se
confirme au niveau de l'ensemble du pays présente des spécificités en fonc-
tion du milieu d'habitat:
- l'instruction du chef de ménage ne joue pas dans les villes intermédiaires ;
-l'instruction est déterminante à Ouagadougou (elle occupe le 5e rang) et en
milieu rural où elle occupe le 7e rang) ;
- le caractère discriminant de l'instruction du chef de ménage n'est pas le
même en milieu rural et dans la capitale: en milieu rural, les chances de
scolarisation des enfants croissent avec le niveau d'instruction du chef de
ménage, avec toutefois un faible écart entre ceux qui ont le niveau primai-
re et ceux qui ont le niveau secondaire ou plus. À Ouagadougou, seuls les

130
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

enfants dont le chef de ménage est du niveau secondaire ou plus se distin-


guent véritablement des autres par des chances de scolarisation nettement
plus grandes: il n'y a pas de différence entre ceux qui n'ont aucun niveau
d'instruction et ceux qui ont le niveau primaire.
, L'ethnie et la religion du chef de ménage sont des variables particulière-
ment déterminantes en milieu rural. Avec l'urbanisation, le rôle joué par ces
variables dans l'explication de la demande scolaire devient de moins en
moins déterminant: alors qu'en milieu rural, elles viennent toutes les deux en
quatrième position, dans les villes intermédiaires, la religion occupe le
sixième rang et l'ethnie le septième rang. Dans la capitale, elles ne sont plus
du tout déterminantes puisque leur pouvoir explicatif est nul (tableau IV).
Dans l'ensemble du pays, un enfant dont le chef de ménage est de religion
chrétienne a 50 % de chances en plus d'être scolarisé qu'un enfant dont le
chef de ménage est musulman. La situation la moins bonne est celle des
enfants dont le chef de ménage se réclame de la religion traditionnelle
(que l'on retrouve essentiellement dans la catégorie « autre» en milieu rural
et dans l'ensemble du pays), puisqu'un enfant dans cette catégorie a 40 % de
chances en moins de fréquenter l'école qu'un enfant de musulman. En milieu
rural, l'écart entre chrétiens et musulmans est encore plus important (rapport
de chances de 1,7) (tableau IV). Les différences, nous l'avons dit, ne sont
plus significatives à Ouagadougou.
Au niveau de l'ethnie, ce sont les enfants peul et lobi qui se trouvent de
loin au bas de l'échelle de scolarisation. À l'opposé, les meilleures chances
de scolarisation s'observent chez les enfants des ethnies gourounsi (rapport
de chances de 5,1) et samo (rapport de chances de 4,0). Autrement dit, un
enfant dont le chef de ménage est gourounsi et un autre dont le èhef de
ménage est samo ont respectivement 5 et 4 fois la chance d'être scolarisé
qu'un enfant peul.
L'offre scolaire est surtout déterminante en milieu rural (et donc égale-
ment dans l'ensemble du pays). Elle vient au deuxième rang au même titre
que le mode de production en milieu rural, au neuvième rang dans les villes
intermédiaires et n'est plus déterminante dans la capitale. Plus l'école est
éloignée, moins grande est la probabilité que les enfants soient aux études,
mais c'est en milieu rural, au-delà de 5 km, que les chances d'accéder à
l'école deviennent nettement plus faibles (tableau IV).
Les résultats que nous venons de présenter concernent les enfants des
deux sexes. Or, compte tenu des représentations sociales sur les rôles et sta-
tuts de chaque sexe, on peut s'attendre à une différenciation sexuelle dans les
déterminants de la fréquentation scolaire.

131
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Tableau IV. Effet des variables économiques, sodo-culturelles et de l'offre


scolaire dans le modèle logistique global (ensemble des enfants
de 6-14 ans, les deux sexes réunis).
Rapports de chances (e B')
Variables Burkina Faso Rural Autres villes Ouagadougou
=
(N I7 190) =
(N 12685) (N = 2 271) (N = 2 234)
VIII. Niveau de vie du ménage [0,07)*** [0,10)*** [0,10)*** [0,13)***
1. Pauvres MR MR MR MR
2. Classe interm. 1,3*** 1,4*** 1,6*** 1,6**
3. Nantis 1,6*** 1,9*** 2,2*** 2,8***
IX. Mode de production [0,20)*** [0.12)*** [0,16)*** [0,11)***
1. Éleveur MR MR MR (AAE) MR (Agricul.)
2. Agriculteur sans une entreprise
familiale 2,6** 2,3* 1,3 (ASE) 1,8** (Comm.)
3. Agriculteur ayant une entreprise
familiale 3,2*** 3,0** 2,0*** (lAE) 1,4 (Aut. ind.)
4. Autre indépendant 8,8*** 6,4*** 1,2 (ISE) 2,7*** (Salarié)
5. Salarié 20,7*** 20,2*** 4,6***(Salarié) 2,0*** (ASP)
6. Autre statut d'occupation
(rentiers, retraités...) 5,8*** 2,8** 2,3***(ASP)
X. Niveau d'instruction du chef de
ménage [0,07]*** [0,04]*** [0,00] [0,05]**
1. Aucun MR MR MR MR
2. Primaire 1,5*** 1,4*** 0,8 1,1
3. Secondaire ou plus 1,9*** 1,5** 1,0 1,6**
XI. Religion du chef de ménage [0,09]*** [0,11]*** [0,04)* [0,00]
1. Musulmane MR MR MR MR
2. Chrétienne 1,5*** 1,7*** 1,4** 1,2
3. Autre 0,6*** 0,6*** 0,9 {1,4}
XII. Ethnie du chef de ménage [0,10]*** [0,11]***
1. Peulh MR MR MR MR (Peul)
2. Lobi 1.3 1,2 1,4 (senoufo) MR (Mossi)
3. Gourmantché 1,8*** 1,9*** 1,6 (Gouroun.) 1,3 (Bissa)
4. Dioula 2,0*** 1,4*** l ,6* (Mossi) 1,9* (Gouroun.)
5. Mossi 3,2*** 3,3*** 1,7 (Bissa) 0,9 (Aut. ethn.)
6. Senoufo 3,7*** 3,4*** 2,1 ** (Bobo)
7. Dagari 2,6*** 3,5*** 1,8 (Samo)
8. Bissa 3,4*** 3,4*** 1,1 (Aut. ethn.)
9. Bobo 3,4*** 3,4***
10. Samo 4,0*** 4,7***
Il . Gourounsi 5,1 *** 5,9***
12. Autres ethnies 2,1*** 2,8***
XIII. Distance à l'école la plus proche [0,15]*** [0,12)*** [0,01)*** [0,00]***
1. < 2 km MR MR MR MR
2.2-5 km 0,8*** 0,9 1,0 1,0
3.6-15 km 0;6*** 0,7***0,8 0,9
4.>15km 0,3*** 0,4*** 0,5 {1,6}
Pouvoir de prédiction du modèle global (53,16) (59,54) (42,32) (50,32)

Note: [...] : Coefficient de corrélation partielle r ; MR : Modalité de référence; Seuil de signification:


***: 10/00 ; **: 1 % ; * : 5 % ; { ... } : Faible effectif « 30). AAE =Agriculteur Avec Entreprise;
ASE = Agriculteur Sans Entreprise; IAE =Indépendant Avec Entreprise; ISE =Indépendant Sans
Entreprise; ASP = Autre Statut dans la Profession.

132
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Déterminants de la fréquentation scolaire suivant le sexe


des enfants
Certains résultats apparaissent comme des constances que ce soit chez les
garçons ou chez les filles. D'autres sont spécifiques à l'un des sexes et
limités à un milieu d'habitat donné.
Constances dans les déterminants de la scolarisation chez les garçons
et les filles
- quel que soit le milieu d'habitat, l'absence de relation ou le faible rôle joué
par les caractéristiques démographiques du ménage dans l'explication de la
demande scolaire. Deux exceptions cependant: le profil démographique en
milieu urbain et la situation matrimoniale à Ouagadougou qui présentent
des relations d'intensité moyenne;
- quel que soit le milieu d'habitat, le rôle important joué par les variables
économiques dans l'explication de la demande scolaire, avec cependant
une prééminence du mode de production sur le niveau de vie du ménage en
milieu rural et dans les « autres villes » ;
-l'importance des variables culturelles et de l'offre scolaire en milieu rural
(et dans l'ensemble du pays) : exception pour l'instruction du chef de
ménage dont le rôle en milieu rural demeure faible ;
- le rôle très faible des variables culturelles et de l'offre scolaire en milieu
urbain, avec deux exceptions: le niveau d'instruction et la religion du chef
de ménage qui sont déterminants chez les filles à Ouagadougou.
Différences sexuelles dans les déterminants de la fréquentation scolaire
Au niveau de l'ensemble du pays, on peut retenir que:
- la situation matrimoniale du chef de ménage présente une relation de faible
intensité chez les filles mais n'est pas du tout déterminante chez les
garçons : une fille dans un ménage de polygame a ainsi 30 % de chances
en moins de fréquenter l'école qu'une fille dans un ménage de monogame,
les garçons, eux, ayant quasiment les mêmes chances (tableau V).
L'hypothèse suivant laquelle l'organisation des activités dans les ménages
de polygames permettrait de réduire la demande du travail des filles et donc
d'accroître leur scolarisation est très peu probable, d'autant que, même
chez les filles du chef de ménage (résultats non présentés ici), on observe
cette moindre scolarisation chez les polygames comparativement aux
monogames;
- le caractère nucléaire ou élargi du ménage présente une relation de faible
intensité chez les garçons mais a un pouvoir explicatif nul chez les filles :
c'est aux garçons que profite l'arrivée de personnes extérieures au noyau
familial du chef de ménage. Ainsi, un garçon dans un ménage élargi a 30 %

133
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

de chances en plus d'être scolarisé qu'un autre dans un ménage nucléaire


(tableau V) ; les filles, elles, présentent des chances égales qu'elles soient
dans un ménage nucléaire ou dans un ménage élargi. Une fois encore,
l'hypothèse suivant laquelle la présence de personnes extérieures au ménage
permettrait de libérer les filles des activités domestiques et par conséquent de
favoriser leur scolarisation est peu probable. Il semble que cet apport en
ressources humaines contribue surtout à une amélioration des ressources éco-
nomiques du ménage et, dans ce cas, ce sont les garçons qui en profiteraient.

134
Tableau V. Résultats du modèle logistique global par sexe (enfants de 6-14 ans).
Rapports de chances (é)
Burkina Faso Rural Autres villes Ouagadougou
Variables G (S SS4) F (S 306) G (6 653) F (6 032) G(l137) F (1 134) G (l OS4) F(l140)
I. Sexe du chef de ménage [0,02]** [0,03]** [0,00] [0,02]* [0,00) [0,00] [0,00] [0,00]
1. Homme MR MR MR MR MR MR MR MR
2. Femme 1,6** 1,7** 1,1 1,7* 1,9 1,5 1,4 1,4 >
()
II. Situation matrimoniale du chef de ménage [0,00] [0,04]*** [0,00] [0,00) [0,00) [0,00] ()
[0,00] [0,09]*** m·
1. Monogame MR MR MR MR MR MR MR MR CIl

2. Polygame 1,0 0,7*** 1,1 0,9 1,1 O,S O,S 0,4*** >-
3. Veuf/veuve O,S 0,7* O,S 0,7 0,7 0,7 O,S 0,3** S; ,"'

CIl
4. Célibataire 0,9 0,7 O,S O,S I,S O,S 0,7 0,7 ()
III. Caractère nucléaire ou élargi du ménage [0,031*** [D,DO] [0,02]* [0,00] [0,00] [0,00] [0,00] [0,00] 0
S;
1. Nucléaire MR MR MR MR MR MR MR MR ::0
2. Élargi 1,3*** 1,1 1,2** 1,1 1,2 1,1 1,2 1,1 U:i
>
--i
3. Autre 1,0 1,1 0,9 O,S 0,5 1,0 {1,6} {1,4}
Ô
...... IV. Taille du ménage [0,02]* [0,02]* [0,00] [D,DO] [0,00] [0,00] [0,00) [0,00] z
W 1. <= 5 personnes MR MR MR MR MR MR MR MR --Cl
(JI
2. 6-7 personnes 1,2 1,2 1,1 1,2 1,0 1,2 1,6 1,1 m·
--i
3. S-9 personnes 1,5*** 1,3** 1,2 1,2 2,1 1,3 2,3** 1,5 m
::0
4. 10-11 personnes 1,3* 1,4** 1,1 1,3 1,9 1,5 2,1* 1,7 s::
S. 12-15 personnes 1,2 1,6*** 1,0 1,4 1,6 I,S 2,0 1,9 Z
>
6. >= 16 personnes 1,3 1,3 1,2 1,2 1,4 1,3 1,9 1,5 ~
CIl
V. Profil démographique du ménage [0,00] [0,02]** [0,01] [0,00] [0,03] [O,OS]** [0,00] . [0,06]***
m
1. Profil démographique 1 MR MR MR MR MR MR MR MR --i
2. Profil démographique 2 1,1 1,1 1,2 1,0 0,6 1,0 1,1 2,6** Cl
U:i
3. Profil démographique 3 1,0 1,5** 1,0 1,2 1,0 2,4** 1,4 2,1*
VII. Statut familial de l'enfant [0,03]*** [0,09]*** [0,03]*· [0,03]·· [0,00] [D,II]··· [0,14]··* [0,29]·**
"
>
::0
1. Enfant du chef de ménage =i
MR MR MR MR MR MR MR MR m
CIl
2. Autre parent 1,1 0,5*** 1,2* 1,0 1,1 0,4·*· 0,5*· 0,1··*
3. Non apparenté 0,4*** 0,2·** 0,4· 0,2·* {3,6} {0,4} {0,3***} {D,OS···}
VIII. Niveau de vie du ménage [0,07]*** [0,07]*** [0,09]*·· [0,12]··· [0,09]··* [0,09)**· [O,IS]··· [0,09]··*
1. Pauvres MR MR MR MR MR MR MR MR
2. Classe interm. 1,3*** 1,2** 1,4··* 1,5·*· 1,4 I,S*· 2,2·*· 1,2
3. Nantis 1,7*** 1,6**· I,S**· 2,2*·* 2,4·*· 2,1·** 5,1··* 2,2·**
Tableau V (suite)
IX. Mode de production [0.19]**· [0.21]··· [0.12]··· [0.12]··· [0.17]··· [O.IS]··· [0.13]··· [0,08].·.
1. Éleveur MR MR MR MR MR (ME) MR (ME) MR (Agri.) MR (Agri.)
2. Agriculteur sans une entreprise familiale 2,5 2.8 2.3 2.1 0.9 (ASE) 2.0···ASE 2.4··Comm. 1.4 Comm.
3. Agriculteur ayant une entreprise familiale 3,3· 2.9 3,2· 2,7 1.9· (IAE) 2,2·· (IAE) 1,1 Au!. ind. 1,5 Au!. ind.
4. Autre indépendant 8.1·** 9.1··· 6.4··· S.9·· 0,9 (ISE) I,S (ISE) 3.1··· Sala. 2,5··· Sala. ç-
S. Salarié 24.7·** 18,S··· 23.1··· 17.2··· 4.4···Salar. S.4··· Sala. \,5 (ASP) 2,3·· (ASP) ac
6. Autre statut dans la profes. (rent.. retraités ... ) S.3·** 6,4**· 3.1· 2L_ _ 2J·· (ASP) 2.4··· ASP rO.13]··· m
X. NIveaud'instruction du chef de ménage [0.06]··· [0.OS1··· - [0.04]··'-[0.02]· [0.00] [0,00] [0,00] - -[0.08]· ~
1. Aucun MR MR MR MR MR MR MR MR Ô
2. Primaire 1,5·** 1.6**· 1,5··· 1.4· 0.7 1,0 1,2 1.1 z
3. Secondaire ou plus 1,9··· ~O·**_ _ ~-"- _ _ 1~ _ 0.9 1,1 1,3 2,0··· m-
a
XI. Religion du chef de ménage [0.09]*** [0,09] [0.10]*·* [0.12]··· [0.10] [O,OS]· [0.04]· [0,00] c(')
1. Musulmane MR MR MR MR MR MR MR MR ~
2. Chrétienne 1,5*** 1,4"*· 1.6·" I.S.. •• 1,3 I.S· I.S" 1.1 :<
m
3. Autre 0.6*'" 0,5*" 0.7.... _ _O~.. ~ _ _ L3 0,7 {0,5} {2,S}
»
XII. Ethnie du chef de ménage [0,12]·.. • [O.OS]··· [0,12]··· [0,09].... • [0.00] [0.00) - [0.00]-[0,00] c
... 1. Peulh MR MR MR MR MR (Peul) MR (Peul) lJJ
C
W 2. Lobi 0,9 1.8 0.8 2.1 3,2 (Senou.) 0.8 (Senou.) MR (Mossi) MR (Mossi) :Il
Ol 3. Gourmantché
4. Dioula
1,7**
2.1**
2,1 **
1,9*
1.6·
1,3
2,5···
1,5
2,1 Gourou 1.3 (Gourou.) I.S (Bissa) 1,0 (Bissa)
2.0· (Mossi) 1.3 (Mossi) 1.9 (Gourou.) 1.7 (Gourou.)
"»Z
S. Mossi 3,4*·* 2,9*·" 3.4.... • 3,3··· 1,4 (Bissa) 1.7 (Bissa) 1.0 (Autelh.) 0.9 (Aul eth.) ~
6. Senoufo S.O**· 2.7*·· 3.7··· 3.0·· 3.1·" (Bobo) 1,5 (Bobo) ~
7. Dagari 2.S·** 2.3·· 3.0·· 4,2..•• 1,6 (Sarno) 1.7 (Sarno)
8. Bissa 3,2*·* 3.4*·" 3.1 .... • 4.0··.. 1.4 (Auteth.)O.S (Autelh.) :Il
m
9. Bobo 4.2*** 2.6*·· 3,6·..• 3,1 .. •• Ci>
10. Samo 3,7*** 4.2**· 3.9··.. 6.0·.. • »
:Il
Il. Gourounsi S.2*"* 4.8*·· S,3·..• 6.9··· a
CIl
12. Autres ethnies 2.3*** 2.6... • 2,4··· 3,4··.. "tl
r
XIII. Distance à l'école la plus proche [0.14]*** [O.IS]· ..• [0.12]··· [0;12] ..•• - - [0.00] [0.00] [0.00] -[0.00] C
1. < 2 km MR MR MR MR MR MR MR MR :Il
2. 2-S km 0,8** O.S*· 0.9 O.S 1.1 1.0 1.1 0,8
m
3. 6-IS km 0.6*** 0,5*·· 0.7..•• 0.7··· 0.8 O.S 0.6 0.9
!il
4. > IS km O~*-*-"-_ ~.l""-"- _ _O~·~ _ Q,4~· {0,5} {0.6} {2.8} {1,2}
Pouvoir de prédiction (48,22) (S9,34) (49.82) (69.92) - (S0;40) (37.S6) (SS.76) (49,82)
Note: [... ] : Coefficient de corrélation partielle r; MR : Modalité de référence. (... ) : Pouvoir de prédiction du modèle; Seuil de signification: .... : 1 0/"" ; ... : 1 % ; • : S %
; {... } : Faible effectif « 30). AAE = Agriculteur Avec Entreprise; ASE = Agriculteur Sans Entreprise ;IAE = Indépendant Avec Entreprise; ISE = Indépendant Sans
Entreprise; ASP = Autre Statut dans la Profession.
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

-le profil démographique est légèrement déterminant chez les filles (relation
d'intensité faible) et n'est pas du tout déterminant chez les garçons: une
fille appartenant au profil 3 (groupe comprenant des ménages de taille
extrême et dans lequel se retrouvent, en grande partie, les ménages mono-
parentaux dirigés essentiellement par des femmes) a 50 % de chances en
plus d'être scolarisée qu'une fille du profil démographique 1 (ménages
monogames et de petite taille) ; les garçons, eux, ont des chances identiques
quel que soit le profil démographique du ménage (tableau V). La présence
de femmes chefs de ménage dans le profil 3 expliquerait cette meilleure
scolarisation des filles par rapport au profil 1 ;
- le statut familial est plus déterminant chez les filles (relation d'intensité
moyenne) que chez les garçons (relation faible) : chez les garçons, les
chances de scolarisation des fils du chef de ménage et des « autres parents»
sont égales, seuls les garçons non apparentés au chef de ménage présentent
un risque nettement plus faible de fréquenter l'école par rapport aux fils du
chef de ménage. Mais chez les filles, plus l'enfant est « éloigné» du chef
de ménage, en termes de parenté, moins ces chances d'être aux études sont
grandes: une fille d'un « autre parent» a 50 % de chances en moins de fré-
quenter l'école qu'une fille du chef de ménage, rapport qui est de
80 % lorsque la fille n'est pas apparentée au chef de ménage (tableau V) ;
-l'ethnie du chef de ménage est plus déterminante chez les garçons (relation
forte) que chez les filles (relation d'intensité moyenne) : en effet, les rap-
ports de chances observés dans les différents groupes ethniques sont géné-
ralement plus élevés chez les garçons que chez les filles, ce qui signifie que
l'ethnie est plus discriminante chez les premiers que chez les secondes.
Étant donné que ce sont les garçons qui profitent en premier lieu de l'in-
vestissement scolaire, c'est chez eux qu'on observe plus les différences
ethniques en matière de scolarisation. Le modèle portant sur les seuls
enfants du chef de ménage révèle un certain nombre de résultats qui
n'apparaissent pas dans le modèle sur l'ensemble des enfants:
- le statut de femme chef de ménage profite plus aux filles du chef de ména-
ge (relation d'intensité faible) qu'aux garçons (pouvoir de prédiction très
faible et non significatif) : une fille d'une femme chef de ménage voit ses
chances de fréquenter l'école multipliées par presque 2 par rapport à une
fille d'un homme chef de ménage, ce rapport de chances étant de 1,4 chez
les fils ;
- un ménage de grande taille offre plus de chances aux fils du chef de ména-
ge de fréquenter l'école, alors qu'il n'est pas déterminant chez les filles.
Ce résultat est en conformité avec celui observé précédemment quant à
l'effet du caractère nucléaire ou élargi du ménage, puisque nous avons vu
qu'un ménage élargi profitait plus aux garçons qu'aux filles en termes de
scolarisation. Les résultats au niveau de l'ensemble du pays, quoique fort

137
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO : REGARDS PLURIELS

intéressants, masquent souvent les spécificités de chaque milieu d'habitat.


Voyons maintenant comment les différences sexuelles dans les déterminants
de la scolarisation se présentent d'un milieu à un autre:
- le sexe du chef est plutôt déterminant chez les filles en milieu rural: si en
milieu urbain le sexe du chef de ménage n'est déterminant ni chez les gar-
çons ni chez les filles, en milieu rural il présente un léger pouvoir explica-
tif chez les filles alors qu'il n'est pas du tout déterminant chez les garçons.
Le sexe du chef de ménage est particulièrement discriminant chez les filles
en milieu rural puisqu'une fille dans un ménage dirigé par une femme a
70 % de chances en plus d'être aux études qu'une fille dans un ménage
dirigé par un homme. Ce rapport de chances est de 100 % dans le modèle
sur les enfants du chef de ménage. Chez les garçons, les chances sont
égales quel que soit le sexe du chef de ménage;
- la situation matrimoniale du chef de ménage est plutôt déterminante chez
les filles dans la capitale: en milieu rural et dans les villes intermédiaires,
la situation matrimoniale du chef de ménage a un pouvoir explicatif nul
aussi bien chez les garçons que chez les filles. Cependant à Ouagadougou,
la situation matrimoniale du chef de ménage est particulièrement détermi-
nante chez les filles alors qu'elle ne l'est pas chez les garçons. Ce sont les
filles dans les ménages de polygames et de veufs qui souffrent d'une
sous-scolarisation importante comparativement aux filles des ménages de
monogames;
- le caractère nucléaire ou élargi du ménage est déterminant chez les garçons
du milieu rural: en milieu urbain, le caractère nucléaire ou élargi n'est pas
déterminant ni chez les garçons, ni chez les filles. Chez les filles du milieu
rural il ne l'est pas non plus, alors que chez les garçons, il est légèrement
déterminant et discriminant. En effet en milieu rural, un garçon, quel que
soit son statut familial a 20 % de chances en plus de fréquenter l'école
qu'une fille;
- le statut familial est particulièrement déterminant chez les filles en milieu
urbain: en milieu rural, le pouvoir explicatif du statut familial est le même
chez les filles et chez les garçons. Mais une différence existe quant au
caractère discriminant de cette variable: les garçons « d'autres parents»
ont 20 % de chances en plus d'être aux études que les fils du chef de
ménage. Chez les filles, il n'y a pas de différence de scolarisation entre les
filles du chef de ménage et les filles « d'autres parents ». Dans les villes
intermédiaires, le statut familial n'est pas du tout déterminant chez les
garçons, alors qu'il l'est chez les filles (relation d'intensité forte).
À Ouagadougou, milieu plus urbanisé où les besoins en main-d'œuvre pour
les activités domestiques mais aussi, très probablement, pour les nom-
breuses activités du secteur informel sont importants, le statut familial se
révèle déterminant chez les garçons, tandis que chez les filles, son pouvoir

138
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

explicatif se renforce davantage: alors que dans les « autres villes », les
chances de scolarisation des garçons « d'autres parents » et des fils du chef
de ménage sont identiques, dans la capitale un garçon d'un « autre parent»
a 50 % de chances en moins de fréquenter l'école qu'un fils du chef de
ménage. Chez les filles, le rapport de chances des « autres parents» passe
de 0,4 dans les villes intermédiaires à 0,1 dans la capitale;
- le profil démographique est plutôt déterminant chez les filles en milieu
urbain: en milieu rural, quel que soit le sexe de l'enfant, le profil démo-
graphique du ménage n'est ni déterminant, ni discriminant. Par contre, dans
les « autres villes» comme à Ouagadougou, le profil démographique est
plus déterminant chez les filles que chez les garçons. Un résultat demeure
constant aussi bien dans les villes intermédiaires que dans les capitales :
une fille du profil démographique 3 (présence de femmes chefs de ménage)
a deux fois la chance de fréquenter l'école qu'une fille du profil démogra-
phique 1 (ménages monogames de petite taille) ;
- le niveau de vie est légèrement plus déterminant chez les filles en milieu
rural et, au contraire, plus déterminant chez les garçons dans la capitale: en
milieu rural, le niveau de vie est légèrement plus déterminant et discrimi-
nant chez les filles que chez les garçons. Dans les « autres villes », le pou-
voir explicatif du niveau de vie est le même chez les filles et chez les
garçons. Dans la capitale, on observe, contrairement à la campagne, que le
profil de pauvreté du ménage est plus déterminant et plus discriminant chez
les garçons que chez les filles. La relation positive entre le niveau de vie et
la scolarisation des enfants apparaît nettement chez les garçons, alors que
chez les filles l'écart de scolarisation entre la classe intermédiaire et la clas-
se des pauvres n'est pas significative.
- le mode de production est légèrement plus déterminant chez les garçons
dans la capitale: en milieu rural et dans les villes intermédiaires, le mode
de production a le même pouvoir explicatif chez les garçons et les filles.
Mais dans la capitale on note un pouvoir explicatif du mode de production
plus élevé chez les garçons. Un résultat mérite d'être mentionné: si les
chances de scolarisation des filles de commerçant et des filles d'agriculteur
dans la capitale sont peu différentes, par contre, un garçon dont le chef de
ménage est commerçant a 2,4 fois la chance de fréquenter l'école qu'un
garçon dont le chef de ménage est agriculteur ;
-l'instruction du chef de ménage est légèrement plus déterminante chez les
garçons en milieu rural, alors qu'elle est particulièrement déterminante
chez les filles de la capitale: dans la capitale, l'instruction du chef de
ménage n'est pas du tout déterminante chez les garçons, alors qu'elle pré-
sente une relation d'intensité moyenne dans le modèle sur l'ensemble des
enfants et de forte intensité dans le modèle portant sur les enfants du chef
de ménage. Les rapports de chances indiquent qu'en réalité il n'y a pas de

139
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

différence de scolarisation entre les filles dont le chef de ménage est du


niveau primaire et celles dont le chef de ménage n'a aucun niveau d'ins-
truction. L'écart de scolarisation entre filles existe lorsqu'on compare le
niveau du secondaire ou plus à« aucun niveau d'instruction» (rapport de
chances de 3) ;
- la religion du chef de ménage est plutôt déterminante chez les filles dans
les villes intermédiaires et, au contraire, déterminante chez les,garçons dans
la capitale: en milieu rural, le pouvoir explicatif et le caractère discrimi-
nant de la religion sont quasiment les mêmes chez les garçons et chez les
filles. Dans les « autres villes », la religion du chef de ménage n'est pas du
tout déterminante chez les garçons, alors qu'elle l'est chez les filles: une
fille dont le chef de ménage est de religion chrétienne a 50 % de chances
en plus de fréquenter l'école qu'une autre dont le chef de ménage est
musulman. Dans la capitale, c'est plutôt un garçon dont le chef de ménage
est chrétien qui a 50 % de chances en plus d'être scolarisé qu'un garçon
d'un ménage de musulman.

Conclusion
L'un des principaux enseignements de cette recherche est que la transforma-
tion des modes de production conduit à une amélioration substantielle des taux
de scolarisation au Burkina Faso. Quel que soit le milieu d'habitat, le salariat est
de loin le mode de production le plus associé à une meilleure scolarisation des
enfants. L'implication des ménages dans des activités non agricoles, particuliè-
rement en milieu rural, est un moyen d'accroître les niveaux de scolarisation.
L'amélioration du niveau de vie s'accompagne non seulement d'un
accroissement du niveau de scolarisation des enfants, mais aussi d'une dimi-
nution de la discrimination sexuelle. L'effet de la pauvreté monétaire est
certes plus important en milieu urbain, mais en milieu rural la contrainte
financière apparaît aussi comme un facteur important de non scolarisation.
La pauvreté en milieu rural ainsi que ses effets sur la scolarisation des enfants
est une piste de recherche à approfondir.
Les variables culturelles, particulièrement l'ethnie et la religion, sont
apparues très discriminantes en milieu rural et montrent ainsi l'importance du
facteur historique dans les niveaux de scolarisation observés de nos jours
dans certains groupes sociaux. Le processus d'urbanisation est un facteur de
changement qui contribue à réduire l'influence des facteurs socio-culturels.
Mais compte tenu du faible niveau d'urbanisation du pays, le facteur culturel
continuera à peser encore longtemps dans les inégalités de scolarisation.
Le développement quantitatif de l'offre, particulièrement en milieu rural,
apparaît nécessaire comme le montre le rôle important joué par la distance
moyenne à l'école la plus proche. Son effet, contrairement à ce qu'on aurait

140
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

pu attendre, a la même importance chez les filles que chez les garçons.
Si d'une manière générale, la distance à l'école n'est discriminante qu'au-
delà de 5 km, pour les filles du chef de ménage (résultats non présentés ici),
elle l'est déjà pour une distance supérieure à 2 km. Comme cela ressort de la
littérature, la distance à l'école serait donc plus discriminante pour les filles.
Mais, il faudrait aller au-delà du seul aspect quantitatif de l'offre pour
prendre en compte l'aspect qualitatif. La disponibilité de l'école est une
chose, son fonctionnement en est une autre. Il est donc utile d'étudier davan-
tage l'effet des différentes composantes de l'offre sur les stratégies scolaires
des ménages et des familles.
D'une manière générale, les variables démographiques jouent un rôle
relativement faible, mais certains résultats importants sont à souligner: la
propension des femmes chefs de ménage à scolariser les enfants plus que les
hommes, résultat observé ailleurs en Afrique sub-saharienne et qui apparaît
très nettement dans les analyses portant sur les enfants du chef de ménage.
Ce sont surtout les filles qui profitent de ce statut de femme chef de
ménage: l'autonomisation des femmes, par l'acquisition de certains statuts
de pouvoir est sans doute un processus qui contribuera à une réduction
importante des inégalités sexuelles. Mais cette association entre le statut de
femme chef de ménage et une meilleure scolarisation mérite des investiga-
tions plus approfondies.
Les résultats de cette recherche ont certaines implications dans le
domaine de l'action:
-la différence des résultats suivant le milieu d'habitat implique une approche
différenciée de la question de la sous-scolarisation des enfants en général
et des filles en particulier entre la campagne et la ville. Au sein même du
milieu rural, des politiques régionales, tenant compte des spécificités éco-
nomiques et culturelles, seraient très probablement à même d'aboutir à des
résultats probants en termes d'augmentation des taux de scolarisation ;
-l'importance du mode de production comme l'un des facteurs déterminants
de la scolarisation signifie que l'amélioration des niveaux de scolarisation
doit être accompagnée d'une politique générale de transformation des
structures de production. Comment espérer en effet une transformation
structurelle du mode de production agricole actuel, fortement demandeur
de main-d'œuvre enfantine, vers un mode moins demandeur et rentable
économiquement à même d'entraîner une meilleure scolarisation sans asso-
cier l'ensemble des institutions impliquées dans le développement rural;
-la pertinence d'une politique de lutte contre la pauvreté, notamment
l'objectif d'une « amélioration de l'accès des pauvres aux services sociaux
de base », semble réelle dans la mesure où, que ce soit en milieu urbain ou
en milieu rural, les ressources économiques du ménage sont apparues

141
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

comme l'un des facteurs importants de la scolarisation des enfants.


Cependant, l'aspect économique ne devrait pas être la seule orientation
d'une telle politique. Il faudra, pour le moins, une approche multidimen-
sionnelle pour une efficacité maximale des actions. Nous avons observé,
après contrôle de l'ensemble des variables, que la polygamie est associée
à une faible scolarisation des enfants, particulièrement des filles et que
cette association est d'autant plus forte que le milieu est urbanisé. Il est
aussi apparu, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, que les inéga-
lités de scolarisation entre classes sociales à Ouagadougou sont plus
importantes chez les garçons que chez les filles. Certes, la lutte contre la
sous-scolarisation des filles devra être l'une des composantes de cette
politique, mais il faudra aussi accorder un intérêt particulier à la scolari-
sation des garçons. Le besoin de main-d'œuvre enfantine et féminine est
sans aucun doute important en ville, mais celui des garçons est certaine-
ment très important aussi, compte tenu de l'importance des activités de la
petite production marchande urbaine.

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LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

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144
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

La scolarisation au primaire à Ouagadougou :


niveau et disparités

Marc PILON*

Introduction
Globalement privilégiée en matière de santé et d'éducation (par rapport
au reste du pays) et donc considérée comme non prioritaire par le Plan
Décennal de Développement de l'Éducation de base (PDDEB),
Ouagadougou présente néanmoins d'importantes disparités et des pr0blèmes
1·,
spécifiques ; le système éducatif y présente des dysfonctionnements et des
insuffisances avec un processus de privatisation qui n'est pas sans consé-
quence sur l'accès à l'éducation. Dans un contexte d'urbanisation croissante,
de mise en place du processus de décentralisation et en l'absence d'une
politique sociale efficace et équitable, cette situation générerait immanqua-
blement des situations de plus en plus difficiles. Mieux vaudrait anticiper. ..
ce qui nécessite d'avoir une connaissance adéquate de la situation qui prévaut
dans la capitale.
Or, la question éducative à Ouagadougou a jusqu'à ce jour peu retenu
l'attention à la fois des décideurs et des chercheurs (KABORÉ et al., 2001).
Un réel besoin de connaissance existe donc tant du côté de l'offre éducative
que de la demande d'éducation.
Nous présentons ici quelques uns des résultats issus d'une étude qui s'ins-
crit dans le cadre du projet d'Observatoire de population, santé, éducation et
habitat à Ouagadougou, conduit par l'UERD (BAUX et al., 2002)1. Après
avoir exposé les sources de données utilisées, l'objectif est ici, par-delà la
présentation de la situation générale qui prévaut dans la capitale, de mettre en
lumière quelques formes de disparités intra-urbaines à Ouagadougou, tant du
côté de l'offre scolaire que du côté de la demande (en termes de fréquenta-
tion scolaire).

* Démographe, IRD-UERD, directeur de recherche.

1 Il s'agit d'un programme de recherche, d'action et de plaidoyer dont les objectifs sont
d'identifier, de mesurer et d'étudier les iniquités en santé, éducation et habitat à
Ouagadougou, et de concevoir et tester des stratégies pour les réduire. Pour être efficientes,
de telles stratégies doivent s'insérer dans une analyse rigoureuse des dynamiques sociales,
économiques et démographiques spécifiques aux milieux urbain et périurbain. L'étude citée
a été réalisée grâce à un financement de j'ONG DIAKONIA.

145
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Les données utilisées


En ce qui concerne l'offre scolaire, les analyses ont été effectuées principa-
lement à partir de la base de données infonnatisées du MEBA (Ministère de
l'Enseignement de base et de l'Alphabétisation). Cette base, élaborée suite à la
mise en place d'un nouveau système de collecte et de traitement des statistiques
scolaires depuis 1998 (en collaboration avec la coopération française), pennet
actuellement de produire des résultats sur la période 1996/97 à 2000/01.
Pour l'étude de la population de Ouagadougou et des facteurs influant sur
la demande d'éducation, des analyses secondaires ont essentiellement été
faites à partir des données du dernier recensement général de la population
datant de 19962 • Le principal intérêt de cette source de données, au regard de
la problématique de l'étude, réside dans son caractère exhaustif qui pennet
ainsi de produire des analyses spatiales au niveau des secteurs ; ce qui n'est
pas possible avec les données d'enquêtes.

La population de Ouagadougou en 1996


Caractéristiques générales
En 1996, selon les résultats du recensement, la population de la capitale
s'élevait à 709 736 habitants. Elle regroupait alors 6,9 % de la population
totale du pays et 44,3 % de l'ensemble de la population urbaine.
La comparaison avec l'effectif recensé lors du recensement de 1985 abou-
tit à un taux de croissance moyen annuel de 4,3 % sur la période, alors que
les rythmes de croissance précédents auraient été de 7,4 % entre 1960 et
1975 et de 9,4 % entre 1975 et 1985. Ce très fort ralentissement (de plus de
la moitié) de la croissance démographique de la capitale depuis 1985 semble
assez surprenant au regard de la poursuite de l'expansion spatiale de la ville
largement alimentée par des migrations internes, même en tenant compte de
la baisse de la fécondité (l'Indice Synthétique de Fécondité serait passé de
6,2 enfants par femme en 1985 à 5 en 1996 ; et le chiffre serait de 4,1 selon
l'Enquête démographique et de Santé de 1998).
Si cette baisse de la fécondité a pu ralentir quelque peu le rythme de la
croissance démographique de la capitale, il convient d'envisager aussi
l'hypothèse d'un sous-dénombrement de la population en 1996, à moins que
ce soit l'effectif des recensements antérieurs qui était surestimé.
En référence aux tranches d'âges scolaires officielles, près d'un habitant
sur quatre (24,8 %) de Ouagadougou était en 1996 susceptible d'être à
l'école, soit au primaire (15,9 %) soit au collège (9,9 %), si l'on se réfère

2 Ces analyses sont issues d'une collaboration avec Idrissa Kaboré de l'Institut National de la
Statistique et de la Démographie (INSD).

146
ACCÈS A LA SCOlARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

à la définition de « l'enseignement de base» retenue par l'UNESCO.


L'analyse du rapport de féminité selon ces tranches d'âges révèle une sur-
représentation féminine aux âges scolaires, entre 7 et 19 ans.
Les disparités spatiales (selon les secteurs)
Certes, « tracés « à la règle », les secteurs ne correspondent à aucune
réalité, englobant à la fois des aires loties et non loties, des espaces inhabités,
en particulier dans les zones périphériques, des zones industrielles ou
des infrastructures collectives, le camp militaire au secteur 18, etc. »
(SUBRA, 1999 : 31-32). Néanmoins, ils constituent un maillage spatial qui
permet un premier niveau de différenciation, notamment entre les quartiers
centraux et les zones périphériques.
Sur le plan démographique, la croissance urbaine s'est surtout faite par le
biais d'une expansion spatiale, d'un développement des secteurs périphé-
riques. Les migrations internes en constituent le premier facteur. Au niveau
des chefs de ménage, seulement 29 % sont originaires de la Province du
Kadiogo (et pour la plupart nés à Ouagadougou) ; la grande majorité vient
donc du reste du pays. L'analyse par secteur révèle très clairement une rela-
tion de proximité géographique entre la province d'origine et le lieu de rési-
dence dans la capitale. Ainsi, dans les secteurs situés au sud (15, 16 et 17) des
proportions élevées de chefs de ménage sont originaires du Bazéga (presque
un tiers pour le secteur 16) ; plus de la moitié (56 %) des chefs de ménage
nés dans le Bazéga résidaient en 1996 dans l'ensemble de ces trois secteurs.
La croissance démographique des zones périphériques semble aussi être
le produit d'une dynamique migratoire intra-urbaine :
« Les Ouagalais de souche sont devenus mobiles. par choix ou par
contrainte. Ils quittent le centre-ville pour la périphérie où l'offre de
logements leur permet de devenir propriétaires ( ..). Ce sont des chefs
de famille souhaitant assurer leurs vieuxjours à l'abri de tout souci de
logement, mais aussi de jeunes ménages en quête d'indépendance qui
délaissent le foyer parental. C'est le mouvement de ces jeunes qui est
en partie responsable de la baisse de la population dans les secteurs
centraux» (SUBRA. 1999 : 32).
L'effet combiné de ces deux phénomènes se traduit par une structure par
âge plus jeune dans les zones périphériques. Outre une proportion plus éle-
vée de la tranche des 0-4 ans, on observe aussi une proportion plus forte des
5-6 ans et des 7-12 ans, deux catégories d'enfants concernées par la scola-
risation au primaire. Les six secteurs périphériques évoqués ci-dessus qui
concernent la périphérie sud et sud-est de la capitale concentrent près de la
moitié (46,7 %) des enfants en âge scolaire pour le primaire (7-12 ans)
(carte 1).

147
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Carte 1. Effectif des 7-12 ans par secteur, à Ouagadougou en 1996.

Cette dynamique du peuplement de la capitale se retrouve dans les profils


socio-culturels des différents secteurs. Plus fortement peuplés par des familles
originaires des zones rurales environnantes, les secteurs périphérigues se carac-
térisent par des proportions plus élevées de chefs de ménages qui exercent
encore dans l'agriculture et sont analphabètes et par ailleurs de confession
musulmane. En regard de la problématique de la scolarisation, il ressort claire-
ment que les zones périphériques se caractérisent par le plus fort potentiel de
population en âge scolaire (en effectif et en pourcentage) par des proportions
importantes de familles de migrants, analphabètes et musulmans et encore
largement impliqués dans des activités agricoles ; un profil socio-démogra-
phique qui apparaît peu favorable à une dynamique forte de scolarisation.

L'offre scolaire au primaire à Ouagadougou


état des lieux
Au cours de l'année scolaire 2000/200 l, la ville de Ouagadougou comptabi-
lisait 393 écoles primaires, représentant 2 176 salles de classe et accueillant
138 883 élèves encadrés par 2 210 enseignants. Au cours des cinq dernières
années scolaires (1997-2001), le nombre d'écoles s'est accru de 31 %, passant
de 300 à 393 ; et le nombre de salles de classe a augmenté de 29,8 %, passant
de 1 677 à 2 176.

148
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Cette évolution globale est essentiellement le fait du secteur privé (dont


70 % des écoles ont été ouvertes depuis 1990) : le nombre d'établissements
s'est accru de 47 % contre seulement 18 % pour les écoles publiques. En 2001,
le nombre d'écoles privées devient même équivalent à celui du public (197 et
196). La forte expansion de l'offre scolaire privée se retrouve bien sûr au niveau
des effectifs d'élèves (figure 1) : alors que les élèves scolarisés dans le public
ont vu leur effectif augmenter de seulement 4 % entre 1997 et 2001 (passant de
36 048 à 55 526), dans le privé, la croissance de l'effectif a été de 54 % au
cours de la même période (de 80 249 à 83 357). La part des élèves du
primaire scolarisés dans le secteur privé est ainsi passée de 31 % en 1997 à
40 % en 2001.

%du plwe
60 .
160000
EGoles Total
50"'~"" 14D000

:::.~~:e.
120000
100000

WOOD ....... ". . .•..... -.,-


Put>lic
.. ,.
20

10
.

.
60000
40000 ......... .
Prive
.
20000
o +------,---.-----,------,---. o +--~-~-----,--~~
1997 1998 1999 2000 2001 1997 1998 1999 2000 2001

Figure 1. Évolution des secteurs public et privé dans l'enseignement


primaire à Ouagadougou.

La croissance du secteur privé s'accompagne d'une certaine diversifica-


tion. Elle se fait au profit des écoles franco-arabes et medersa d'une part
(dont la proportion est passée de 2,2 % à 8,6 %), des écoles catholiques
d'autre part (avec des pourcentages de 1,5 % et 6,1 %). La part des écoles
protestantes accuse un léger recul (de 15,7 % à 13,2 %). Si les écoles laïques
ont vu leur part diminuer (de 80,6 % à 72,1 %), elles demeurent néanmoins
très largement majoritaires, puisque représentant encore en 2001 près des
trois quarts de l'offre scolaire privée à Ouagadougou.
Les disparités spatiales
L'information sur la distance parcourue par les élèves pour se rendre à
l'école met en exergue une insuffisance de l'offre scolaire. En 2001, d'aprè.s
les statistiques scolaires, plus d'un élève sur quatre (28,6 %) doit parcourir
entre 1 et 3 km et plus d'un sur dix (13,5 %) plus de 3 km. Compte tenu des

149
LA QUESTION ËDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

difficultés de transport, des problèmes de pollution urbaine et de la dangero-


sité de la circulation à Ouagadougou, ces chiffres révèlent un réel problème
d'accès physique à l'école pour une proportion non négligeable des élèves.
Un autre élément joue sur la distance à l'école, mais dont on ne peut apprécier
l'ampleur : certains parents, pour des raisons de commodités de transport, pré-
fèrent scolariser leurs enfants dans des écoles proches de leur lieu de travail,
ce qui leur permet de pouvoir les y déposer (en mobylette ou en voiture).
Globalement insuffisante en regard de la demande, l'offre scolaire
est en outre inégalement répartie au sein de la capitale (carte 2) et ce au détri-
ment des zones périphériques. La prise en compte du type d'école, public ou
privé, montre que dans ces zones l'offre est essentiellement le fait du secteur
privé ; particulièrement dans les zones non loties où l'État ne construit pas
d'écoles. C'est donc pour les enfants de ces zones que le problème de trans-
port se pose avec le plus d'acuité.

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Carre 2. Localisation des écoles primaires, publiques et privées, de Ouagadougou,


en 2001-02 (source: MEBA- UERD).

150
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Mesure du niveau et des disparités de scolarisation


au primaire
Quel est le niveau de la scolarisation dans la capitale ?
Répondre à cette question n'est pas aussi facile que l'on pourrait le
croire. Le calcul des taux brut et taux net de scolarisation produit par le
Ministère de l'éducation requiert la connaissance de l'effectif des élèves du
primaire (tous âges et de 7-12 ans 3) qui est issu des statistiques scolaires
annuelles et du total des enfants âgés de 7-12 ans qui est obtenu à partir des
données du dernier recensement de la population. Pour l'année scolaire
1996/1997, le taux net de scolarisation s'élevait à 74,1 %. Mais la compa-
raison avec d'autres sources de données (le recensement de 1996 et des
enquêtes démographiques) révèle des différences (tableau 1).

Tableau I. Proportion d'enfants de 7-12 ans solarisés à Ouagadougou selon


différentes sources de données.
Enquête UERD 1992/93 78,4 %
Enquête prioritaire 1994/95 76,6 %
Recensement 1996 66,7 %
MEBA / Rec.96* 1996/97 74,1 %
Taux de croissance
moyen annuel 1985-1996
MEBA / Rec.96** 2000/01 83,7 % 2,37 % (BF)
2000/01 76,1 % 4,32 % (Ouaga)
2000/01 77,4 % 3,96 % (7-12 ; Ouaga)
* Le nombre des élèves est issu des statistiques scolaires du MEBA ; la population scolarisable
(7-12 ans) est donnée par le recensement de la population de 1996.
** Le nombre des élèves est issu des statistiques scolaires du MEBA ; la population scolarisable
(7-12 ans) provient de projections partant des données du recensement de 1996 selon différentes options
de taux de croissance intercensitaire.

Comment expliquer ces différences ?


Un premier élément d'explication tient au fait que les deux types de sources
de données ne traduisent pas la même réalité scolaire. D'un côté, le mode de
collecte des données organisé par la DEP du MEBA via l'enquête scolaire
annuelle auprès de toutes les écoles conduit à recueillir en fait les élèves
inscrits en début d'année scolaire. De l'autre, les données issues du recensement

) Tranche d'âges officielle pour le niveau primaire.

151
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

et des enquêtes informent quant à elles sur la fréquentation scolaire au moment


de la collecte. Le phénomène de la déperdition en cours d'année scolaire peut de
lui-même expliquer des écarts dans les niveaux de scolarisation.
Une sous-déclaration des élèves par le recensement peut aussi être envisagée.
L'information relative à la fréquentation scolaire au moment du recensement fut
recueillie à travers la modalité« élève ou étudiant » concernant la question sur
le statut d'occupation au cours des sept derniers jours. On peut alors penser que
la saisie de la fréquentation scolaire du moment à travers une modalité du statut
d'occupation soit moins précise, moins fiable que la question directe habituelle-
ment posée sur la fréquentation d'un établissement scolaire.
La sous-déclaration des élèves tient également au fait que le recensement
ne prend en compte que les enfants âgés de 6 ans et plus ; il ignore donc tous
les élèves âgés de moins de 6 ans. Or, comme le montrent les statistiques
scolaires, la scolarisation se fait de façon de plus en plus précoce, même
avant l'âge de 6 ans.
Un autre facteur d'explication serait un réel sous-dénombrement pouvant
à la fois porter sur des ménages au sein de zones recensées et concerner des
zones entières (plutôt alors à la périphérie).
En ce qui concerne les enquêtes, on peut toujours s'interroger sur le mode
d'échantillonnage qui pourrait par exemple se traduire par une sous-repré-
sentation des zones non loties ?
La vérité se trouve sans doute dans un effet combiné de ces différents
facteurs mais sans que l'on puisse en mesurer l'importance respective. Pour
le milieu des années 1990, on peut retenir comme ordre de grandeur un taux
net de scolarisation (7-12 ans) situé entre 70 % et 75 %.

Quel peut être le niveau de scolarisation actuellement ?


Le calcul du taux net pour les années postérieures à celle du recensement
repose notamment sur celui de l'effectif des 7-12 ans obtenu par projection.
L'application du taux de croissance moyen annuel de la population, observé
sur la période intercensitaire 1985-1996 pour l'ensemble du pays qui fut de
2,37 % aboutit alors à un taux net de scolarisation de 83,7 %. Mais si l'on
applique le taux de croissance observé pour la capitale sur la même période,
à savoir 4,32 %, on obtient alors 76,1 %. Et si l'on raisonne au niveau de la
tranche d'âge scolaire (7-12 ans) qui aurait connu dans la capitale un rythme
de croissance légèrement inférieur, à savoir 3,96 %, le taux net de scolarisa-
tion est de 77,4 %.
Cet exercice montre combien, par le système des projections, les diffé-
rences de rythme de la croissance démographique peuvent affecter les
niveaux de scolarisation ... Or, nous avons souligné précédemment que ce

152
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÈTERMINANTS ET DISPARITÉS

taux de croissance annuelle de 4,32 % pour la capitale semble surprenant au


regard du rythme passé et de ce que l'on sait de la poursuite de l'expansion
spatiale de la ville.
En février 2002, dans le cadre de son projet d'observatoire, l'UERD a réa-
lisé une enquête auprès de tous les ménages de deux zones de dénombrement
de la capitale (soit une population totale de 5 000 personnes), l'une située en
zone lotie l'autre en zone non lotie. Il en ressort un taux net de scolarisation
(7-12 ans) de 75 %. Bien que cette enquête ne puisse prétendre à la repré-
sentativité statistique au niveau de l'ensemble de la capitale, le résultat obte-
nu apparaît du même ordre que la valeur des taux issus des projections.
On pourrait ainsi conclure qu'aujourd'hui le taux net de scolarisation
(7-12 ans) à Ouagadougou se situe entre 75 % et 80 %.
Les inégalités dans la fréquentation scolaire des '-12 ans
Les résultats présentés ci-après sont principalement issus d'une analyse
secondaire des données du recensement de 1996. Pour Ouagadougou, on
observe ainsi très clairement (figure 2) :
• une plus faible scolarisation des filles ;
• une scolarisation quasiment identique entre les garçons et les filles du chef
de ménage

80 % d'enfants scolarisés (7-12 ans)


71,0 69.1 69,4

60

40

20

o
Enfants du CM Autres enfants Ensemble

ml Garçons ml Filles

Figure 2. Taux de scolarisation (7-12 ans) selon le statut familial et le sexe des
enfants ; Ouagadougou, recensement de 1996.

153
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

- une plus faible scolarisation des« autres enfants », très marquée pour les
filles.
L'analyse de la fréquentation scolaire selon le niveau d'instruction et la
catégorie socio-professionnelle du chef de ménage confirme bien l'importan-
ce de ces deux variables pour la scolarisation (figures 3 et 4) :
-la fréquentation scolaire augmente avec le niveau d'instruction du chef de
ménage;
- elle est plus élevée dans les catégories socio-professionnelles qui apparais-
sent les plus favorisées économiquement.
Mais on observe dans le même temps la forte sous-scolarisation qui
touche les jeunes filles autres que celles du chef de ménage et qui
s'observe particulièrement dans les ménages les plus instruits et/ou les plus
« aisés ». C'est précisément dans ces ménages que l'on trouve les plus
fortes proportions de jeunes filles autres parentes qui sont avant tout
accueillies, non pas pour être scolarisées, mais pour aider aux travaux
domestiques notamment ... Ainsi« le travail des unes permet la scolarisa-
tion des autres» (POIRIER et al.,19).

100
mAucun
80 ocr
mCE
60 .CM
o Sec 1er cycle
40
II1II Sec 2nd cycle
20 • Supérieur

Enfants du CM Autres enfants

Figure 3. Pourcentage d'enfants de 7-12 ans scolarisés selon le sexe des enfants et
le niveau d'instruction du chef de ménage ; Ouagadougou, recensement
de 1996.

154
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

%
100 ...........................................................•..........•.......•....•...................•..
ml Garçons Il Filles
80

60

40

20

Agricul Cad Sup, Cadmoy Emp.Ouv, Commerce Artisanal SelVdom Forces


libé Man SéclJrilé

Figure 4. Pourcentage d'enfants de 7-12 ans scolarisés selon le sexe des enfants et
la catégorie socio-professionnelle du chef de ménage ; Ouagadougou,
recensement de 1996.

Sur la base des statistiques scolaires, la distinction entre les secteurs


public et privé montre que les écoles privées de Ouagadougou accueillent
surtout des enfants de salariés (environ un tiers des élèves) alors que dans les
écoles publiques, ce sont les enfants de cultivateurs qui sont les plus nom-
breux (représentant plus de 40 % des élèves). La prise en compte du type
d'école privée permet de mettre en lumière, même grossièrement, une certai-
ne spécificité des« profils sociaux » des élèves attachée au type d'école qui
se dichotomise ainsi en 2001 (tableau II) :
- les écoles franco-arabes et les medersa sont majoritairement fréquentées par
les enfants de cultivateurs et de commerçants ;
-les autres écoles privées (laïques, catholiques et protestantes) accueillent
surtout des enfants de salariés (à plus de 30 %, voire jusqu'à 45 % pour les
écoles catholiques).

155
'LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Tableau II. Répartition des élèves selon leur origine sociale, par type
d'école privée, en 2001 ; Ouagadougou
Origine sociale Franco-arabe Medersa Catholique Laïque Protestante
Cultivateur 32,5 35,3 Il,5 19,1 21,7
Éleveur 5,0 5,8 0,1 0,8 0,7
Salariés 5,5 8,2 44,9 36,2 31,5
Artisan 3,7 3,1 3,9 2,3 2,2
Commerçant 25,3 28,3 14,1 15,1 11,9
Ouvrier 7,6 15,0 7,8 6,8 7,2
Retraité 3,6 0,8 2,8 2,9 3,1
Autre Il,6 1,4 10,0 14,8 17,3
Indéterminé 5,2 2,1 4,8 2,0 4,4
Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0
Effectif 2910 621 2581 39468 9946

Les disparités spatiales


Nous avons vu précédemment qu'en 1996, les zones périphériques de la
ville de Ouagadougou se caractérisent par une population composée pour une
large part de migrants, avec des chefs de ménage qui sont majoritairement
analphabètes, encore très impliqués dans les activités agricoles et avec une
offre scolaire le plus souvent inférieure aux besoins, au regard du potentiel
d'enfants en âge scolaire.
C'est donc logiquement que l'on y observe un niveau de scolarisation plus
faible que dans les quartiers centraux (carte 3) ; d'après les données du
recensement de 1996, le pourcentage d'enfants scolarisés parmi les 7-12 ans
était en effet plus élevé dans les zones loties, à hauteur de 68 % contre 58 %
dans les zones non loties. En revanche, le pourcentage d'enfants n'ayant
jamais été scolarisés est plus élevé dans ces secteurs périphériques (carte 4).
Si l'on considère la catégorie des enfants âgés des 10-14 ans non encore
scolarisés qui regroupe des enfants en principe trop « vieux » pour aller à
l'école et trop « jeunes» pour le marché du travail, on observe à partir du
recensement de 1996 qu'elle concernerait un enfant sur cinq du groupe
d'âges; soit un effectif d'environ 18 000 enfants. Dans le même temps, près
d'un enfant sur quatre avait quitté l'école (soit environ 21 000 enfants),
ayant alors fort peu de chance d'y retourner et risquant en revanche (surtout
en cas d'abandon précoce) de revenir à l'analphabétisme ... Si ces chiffres ne
doivent pas être pris « à la lettre » (ce sont des approximations), ils inter-
pellent tous les acteurs de l'éducation, mais aussi la société sur la situation
actuelle et le devenir de ces enfants, majoritairement situés dans les zones

156
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

périphériques de la capitale ; milieu où la famille n'est quasiment plus le lieu


de la production, où les parents sont souvent absents (partis au travail) une
bonne partie de la journée.

54.4-65
65-70
70-75
75-82.1

Carte 3. Pourcentage d'enfants de 7-12 ans scolarisés par secteur à Ouagadougou


en 1996.

Carte 4. Pourcentage d' enfants de 7-12 ans « jamais scolarisés »par secteur à
Ouagadougou en 1996.

157
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO : REGARDS PLURIELS

Conclusion
Sur le plan scolaire, la capitale est sans conteste globalement privilégiée
par rapport au reste du pays. Mais les disparités, les inégalités y sont sans
doute plus accentuées qu'ailleurs. L'analyse secondaire des données du
recensement de 1996 a permis de caractériser le profil socio-démographique
de la population de Ouagadougou et de mettre en lumière ses variations et
spécificités intra-urbaines avec une opposition schématique entre le centre et
la périphérie. Les modalités de la dynamique démographique de la ville font
que les zones périphériques se caractérisent par une population plus jeune et
concentrent ainsi la majorité des enfants en âge scolaire ; ces mêmes zones
sont habitées par des ménages vivant encore souvent de l'agriculture, avec de
faibles revenus et présentant un niveau élevé d'analphabétisme.
De son côté, l'analyse des statistiques scolaires révèle la très inégale
répartition spatiale de l'offre scolaire au sein de la capitale. Le déficit est
patent dans les zones périphériques et particulièrement dans le non loti où
l'État ne construit pas d'écoles. On voit se dessiner un paysage scolaire spa-
tialement et socialement différencié : un secteur public (le moins coûteux)
pour les moins nantis ; un secteur privé pluriel, ici destiné aux plus nantis
pour les écoles les plus coûteuses, là fréquenté par les enfants des familles les
plus pauvres ou encore en raison d'un choix religieux (pour les écoles fran-
co-arabes et medersa). Dans les zones périphériques, faute d'écoles publiques,
l'alternative est souvent entre ne pas pouvoir scolariser ses enfants (le coût des
écoles privées étant trop élevé) ou faire parcourir quotidiennement une longue
distance aux enfants, avec tous les risques que cela entraîne.
On observe alors « logiquement » de fortes disparités, sociales et spa-
tiales, dans la fréquentation scolaire au détriment des plus pauvres et des
zones périphériques. Et c'est dans ces zones les plus peuplées que l'on ren-
contre les plus fortes proportions et les plus gros effectifs d'enfants, soit
n'ayant jamais été scolarisés (et qui à partir de 9 ans ne pourront plus l'être),
soit ayant quitté l'école précocement (sans même achever le primaire) : que
font-ils ? quel peut être leur avenir dans la capitale ? Ces enfants constituent
assurément une population à risque, en regard notamment du phénomène des
« enfants de la rue », en termes de« marginalisation sociale ». Cette situa-
tion pose des problèmes spécifiques au milieu urbain dont il conviendrait de
mesurer toutes les conséquences, tant au niveau individuel, familial que
sociétal. Dans la logique du Plan Décennal de Développement de l'Éducation
de Base, la capitale sera sans doute« servie» en dernier. S'il est compré-
hensible de mettre 'ln accent particulier sur les provinces les plus faiblement
scolarisées, on aurait tort de se désintéresser de la situation qui prévaut dans
la capitale, d'en ignorer les particularités et d'en sous-estimer les consé-
quences.

158
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Bibliographie
BAUX S., KABORÉ 1., LOKPO K., PILON M. (coordonné par PILON M.),
2002. Étude exploratoire de l'offre et de la demande d'éducation à Ouagadougou,
Rapport d'étude, UERD, Ouagadougou, 167 p.
KABORÉ 1., KOBIANÉ J.-F., PILON M., SANOU F., SANOU S., 2001.
« Le Burkina Faso », in Pilon M. et Yaro Y. (éds.), La demande d'éducation en
Afrique: état des connaissances et perspectives de recherches, UEPA, Dakar,
p. 99-116.
PILON M. et YARO Y. (éds.), 2001. La demande d'éducation en Afrique: état
des connaissances et perspectives de recherches, UEPA, Dakar, 221 p.
SUBRA K., 1999. Géographie du système de soins à Ouagadougou (Burkina Faso),
mémoire de maîtrise de géographie, Université de Paris X-Nanterre, 120 p.

159
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Travail et trafic des enfants :


le cas du Burkina Faso

Frédérique BOURSIN·

Introduction
L'Afrique est particulièrement affectée par l'existence du travail des
enfants. Selon le Bureau International du Travail (BIT), 41 % des enfants
sont économiquement actifs, dont 26,3 % concerne les 10-14 ans, la propor-
tion la plus élevée au niveau mondial. Au Burkina Faso, la proportion d'en-
fants travailleurs s'élève à 51 % pour ceux âgés de 10 à 14 ans. Après le M~li,
le Burkina Faso fait partie des pays de la sous-région les plus touchés par le
phénomène..
S'il est certain que le travail des enfants en Afrique n'est pas un phéno-
mène nouveau, ce qui est nouveau en revanche, ce sont les formes que pren-
nent actuellement le travail des enfants et particulièrement les situations
d'exploitation et de trafic des enfants à des fins économiques et/ou sexuelles.
Ce constat ne nous autorise pas, bien évidemment, à banaliser le travail des
enfants sous d'autres formes, mais il nous permet de focaliser notre attention
sur les pires formes de travail des enfants et d'opérer une distinction entre les
tâches autorisées qui relèvent d'une expérience intéressante ou d'un appren-
tissage couplé avec les études et celles interdites qui conduisent à l'exploita-
tion économique et aux mauvais traitements causés aux enfants.
Cette préoccupation s'est récemment concrétisée au niveau mondial à tra-
vers l'élaboration d'un nouvel instrument international relatif aux droits de
l'homme, la convention n0182, sur les pires formes de travail des enfants.
Cette convention renvoie aux formes de travail qui entravent l'éducation,
l'épanouissement physique, mental et social de l'enfant. Elle a pour cible des
pratiques telles que: l'esclavage; le travail forcé; la traite; l'utilisation des
enfants à des fins de prostitution ou à des fins pornographiques et les diverses
formes de travail dangereux ou qui s'exercent dans des conditions d'exploi-
tation.
Après la convention nO 138 sur l'âge minimum d'admission à l'emploi qui
s'inscrit dans une perspective à plus long terme quant à son application en
faveur de 'l'abolition du travail des enfants, la convention nO 182 s'inscrit
dans une perspective à court terme et demande aux gouvernements qui l'ont

* Sociologue, ADEC-Enfance (Agence d'étude, d'infonnation et d'appui conseil pour l'enfance).

161
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

ratifiée de se concentrer dans l'immédiat sur les pires formes de travail des
enfants qui sont moralement inacceptables quelles que soient les circons-
tances et quel que soit le degré de développement du pays. Cette nouvelle
convention a été ratifiée par le Burkina Faso le 25 mai 2001.
Après avoir défini les concepts d'enfant, d'exploitation du travail et de
trafic des enfants, nous brosserons la situation du travail et du trafic des
enfants au Burkina Faso à partir des statistiques officielles disponibles.
Sur la base des études existantes, nous retracerons l'évolution du travail des
enfants, caractérisée par le passage de la socialisation par le travail à
l'exploitation économique et au trafic des enfants. Un accent particulier sera
mis sur la permanence de pratiques traditionnelles propres au statut et au rôle
de l'enfant dans la société, mais qui s'exercent désormais dans un contexte
économique, social, géographique en pleine mutation, générant des déra-
pages, des détournements qui sont préjudiciables aux enfants. Nous exami-
nerons enfin la manière dont le Burkina Faso li traduit son engagement en
faveur de l'abolition du travail des enfants, y compris dans ses pires formes.

Définition des concepts


L'enfant
Selon Pierre Bourdieu, la jeunesse n'est qu'un mot, l'âge étant« une don-
née biologique socialement manipulée et manipulable » (PASCALIS, 1992).
Ainsi, le contenu de la notion d'enfant et d'enfance peut avoir des connota-
tions très différentes selon le temps et selon l'espace, en fonction de la cultu-
re et de la structure de chaque société.
Néanmoins, nous nous baserons sur l'examen du travail des enfants jus-
qu'à 18 ans car le droit international (Convention des Droits de l'Enfant)
retient cet âge comme seuil minimal d'accès aux travaux dangereux et
comme entrée dans l'âge adulte.
L'exploitation du travail des enfants
Il n'existe pas de définition internationale, mais selon le semmaire
d'Arusha en Tanzanie tenu en Avril 1997, la définition se pose en
termes de « distinction entre le travail autorisé, celui qui procure une
formation et qui n'entrave pas l'éducation, l'épanouissement physique,
mental et social de l'enfant et le travail interdit qui conduit à l'exploitation
économique et aux mauvais traitements causés aux enfants ». En d'autres
termes, on distingue :
- le« child work » qui renvoie au travail des enfants au sein de leur famille
et qui consiste à aider à la tenue du foyer ou à la culture de la parcelle agri-
cole ; cette forme de travail est assimilée à une formation à la vie d'adulte
et elle n'empêche pas une forme de scolarisation, même partielle

162
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

-le « child Labour », qui représente un degré supplémentaire dans


l'intensité du travail : il renvoie à une activité à plein temps, qu'elle soit
intérieure ou extérieure à la famille, mais qui empêche toute scolarisa-
tion ;
-« l'exploitation» qui se rapporte en général à un travail à l'extérieur de
la famille, là où les notions d'intérêt économique et de profit entrent en
jeu. L'exploitation se traduit par un travail abusif, un « sur travail » :
l'effort physique requis y dépasse largement les forces de l'enfant ; les
horaires sont excessifs ; la rémunération sans rapport avec l'intensité du
travail ou carrément inexistante ; le bien-être physique, mental et social
est compromis. C'est cette dernière catégorie qui renvoie aux pires
formes de travail des enfants définies dans la convention n° 182 de
l'Organisation International du Travail (OIT).
Le trafic des enfants
Il n'existe pas non plus de définition consensuelle sur le phénomène, où
les termes « trafic », « traite », « enlèvement » ou « vente d'enfants »
ont des significations différentes selon les pays, avec de réelles conséquences
pour les réponses politiques.
Néanmoins, des instruments juridiques existent et représentent des textes
de référence pour appréhender le phénomène. C'est le cas du protocole de
Palerme élaboré le 15 décembre 2000 et qui fournit une définition internatio-
nale et opérationnelle du mot« traite ». Cette norme a largement influencé
le contenu du texte de loi portant définition et répression du trafic des enfants
au Burkina Faso et qui en donne la définition suivante:
« Est réputé trafic d'enfant (s) tout acte par lequel un enfant est
recruté, transporté, transféré, hébergé ou accueilli, à l'intérieur ou
à l'extérieur du territoire burkinabé par un ou plusieurs trafiquants
au moyen de menaces et d'intimidation, par la force ou d'autres
formes de contraintes, de détournements, de fraudes ou superche-
ries, d'abus de pouvoir ou d'exploitation de la situation de vulnéra-
bilité d'un enfant ou dans le cas d'offre ou de réception de rémuné-
ration en vue d'obtenir le consentement d'une personne ayant le
pouvoir de contrôle sur lui à des fins d'exploitation économique,
sexuelle, d'adoption illicite, d'union matrimoniale précoce ou for-
cée ou à toute autre fin préjudiciable à la santé, au développement
physique, mental et au bien-être de l'enfant » (Journal Officiel,
2003).

L'Ampleur et les manifestations du travail et du trafic


des enfants au Burkina Faso
Deux études ont été validées par le Burkina Faso relatives à la situation
du travail et du trafic des enfants.

163
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

La première étude porte sur la situation du travail des enfants. Elle a été
réalisée en 1998 par le programme IPECIBIT et elle a porté sur 2 000 enfants
travailleurs répartis dans les secteurs suivants :
-l'agriculture et l'élevage dans le Sud-ouest (région de Bobo-Dioulasso)
-l'orpaillage (Nord) ;
- les métiers à risque dans le secteur informel à Ouagadougou
-les petites filles domestiques à Ouagadougou.
Les résultats de cette étude confirment la situation d'exploitation des
enfants au travail dans ces différents domaines d'activité. Les activités
menées empêchent toute forme de scolarisation, puisque 76 % des enfants ne
vont pas à l'école, soit qu'ils n'y soient jamais allés, soit qu'ils aient été
déscolarisés. Par ailleurs, l'effort physique requis dépasse largement les
forces de l'enfant, puisque près de 54 % ont évoqué la grande pénibilité
de leur travail. Cette pénibilité est accentuée par les horaires de travail exces-
sifs : 34 % travaillent entre 6 et 10 heures par jour et 55,6 % plus. de
10 heures par jour. Enfin, la rémunération est sans rapport avec l'intensité du
travail ou carrément inexistante dans près de 70 % des cas.
On peut donc retenir que le bien-être physique, mental et social de l'en-
fant est compromis par un travail pénible et non rémunéré qui s'effectue sans
un minimum de protection, l'exposant ainsi à de graves dangers et qui de sur-
croît, n'offre que très peu d'opportunités d'apprentissage compromettant
ainsi son avenir social.
La seconde étude a été réalisée en mai 2000, toujours sur l'initiative du
programme IPEClBIT, sur la situation plus précise du trafic des enfants au
Burkina Faso.
Deux formes de trafic y sont présentées et qui concernent des enfants âgés
de 10 à 18 ans : le trafic interne qui semble prédominant et qui concerne des
déplacements d'enfants à l'intérieur du pays et le trafic transfrontalier qui
concerne des déplacements d'enfants d'un pays à l'autre.
Les situations liées au trafic interne renvoient aux situations suivantes: le
« louage d'enfants» dans l'agriculture ou dans le secteur des mines et des
carrières et de l'élevage ; le placement ou le« confiage »de domestiques et
d'aides familiaux, notamment auprès de familles urbaines; et dans une
moindre mesure, le trafic à des fins d'exploitation sexuelle.
En ce qui concerne le trafic transfrontalier, le Burkina est apparu à travers
cette étude du BIT comme un pays récepteur de main-d'œuvre enfantine, un
pays fournisseur de main-d'œuvre enfantine et enfin, un pays de transit de

1 Ministère de l'Action Sociale et de la Solidarité Nationale.

164
ACCÈS A LA SCOLARISATION : DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

main-d'œuvre enfantine. Les résultats de cette étude ont été confInnés par
ceux du projet conjoint MASSN 1 / UNICEF de lutte contre le trafIc des
enfants exécuté dans 10 régions du Burkina depuis juin 2001 et qui fait appa-
raître l'ampleur et les manifestations suivantes du phénomène.
Ainsi, entre juin 2001 et octobre 2004, 1 356 enfants ont été interceptés
par les comités de vigilance et de surveillance de lutte contre le trafIc des
enfants installés dans 33 provinces du pays (tableau 1). Les garçons demeu-
rent globalement plus exposés, mais de fortes disparités existent selon les
régions et la forme du trafIc.

Tableau I. Nombre d'interceptions selon le sexe, de 2001 à 2004,


au Burkina Faso.
Année Filles Garçons Total
2001 190 17 207
2002 219 194 413
2003 111 195 306
2004 132 298 430
Total 652 704 1 356
Source: UNICEF, novembre 2004.

Dans les régions du Sahel et de la Boucle du Mouhoun, les fIlles repré-


sentent la quasi-totalité des enfants interceptés. Il s'agit essentiellement de
jeunes fIlles d'ethnie dogon et samo acheminées vers les centres urbains pour
les travaux domestiques. Quant aux régions du sud-ouest et du plateau mossi
par exemple, le trafic concerne davantage des garçons exploités dans le sec-
teur agricole, minier ou du secteur informel.
La répartition par sexe est également déterminée par la forme que prend
le trafic : ainsi, les élèves des écoles coraniques uniquement composées
de garçons (pris en compte depuis 2002 par les comités de vigilance et de
surveillance) représentent plus de 60 % des garçons interceptés victimes
de trafic.
Toujours selon les données fournies par le projet expérimental, le trafic
des enfants prend deux formes principales, à savoir, le trafic interne et le
trafic externe.
Le trafic interne représente environ 60 % des cas de trafic recensés
dans le cadre du projet. Il y a essentiellement deux catégories d'enfants.
D'une part, les jeunes filles convoyées des provinces vers les centres
urbains du pays pour leur placement dans le secteur des travaux domes-
tiques ou à l'intérieur des provinces pour leur placement dans le secteur

165
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

agricole, essentiellement celui du coton. D'autre part, les jeunes garçons


des écoles coraniques déplacés par leur « maître » d'une province à
l'autre pour être exploités dans le secteur de la mendicité ou celui des tra-
vaux agricoles.
Le trafic externe représente environ 30 % des cas de trafic. fi concerne
essentiellement des garçons convoyés dans le secteur agricole et minier des pays
voisins, notamment la Côte d'Ivoire, mais aussi le Mali, le Niger et le Bénin.
Enfin, le trafic de transit représente environ 10 % des cas recensés et il
concerne des enfants (essentiellement des garçons) de nationalité malienne,
nigérienne, togolaise acheminés vers la Côte d'Ivoire principalement et le Mali,
via le Burkina Faso. On note cependant l'influence de la situation qui prévaut en
Côte d'Ivoire depuis 2002 sur les circuits du trafic ; le Mali particulièrement
étant devenu une zone de destination importante dans le cadre du secteur agri-
cole pour les garçons (rizières) et du travail domestique pour les filles.

Les nouveaux visages du travail des enfants


Si le travail de l'enfant n'est pas nouveau, force est de constater que le
phénomène a considérablement évolué aujourd'hui et que le travail de l'en-
fant s'apparente de moins en moins à « un apprentissage de la vie ».
En effet, si une minorité d'enfants a encore la chance d'envisager le travail
comme une possibilité offrant de nombreux avantages économiques et
sociaux, la majorité est aspirée dans un travail souvent préjudiciable à leur
développement et à leur santé.
Le constat est donc le suivant : de socialisateur, dans ses formes tradition-
nelles, le travail des enfants devient, selon une expression consacrée,
« déshumanisant» (UNICEF, 1995). Pour expliciter cette évolution du cadre
de travail des enfants, nous insisterons sur la permanence de certaines pra-
tiques traditionnelles inhérentes au statut et au rôle de l'enfant dans la société
mais qui s'exercent désormais dans un contexte économique, social et géo-
graphique en pleine mutation, caractérisé par la pauvreté des familles, le relâ-
chement des réseaux d'entraide et de solidarité, l'effritement des valeurs
morales, etc., générant des dérapages, des détournements qui sont directement
préjudiciables aux enfants. Ainsi, la mise au travail précoce dans le cadre de
l'économie domestique ou rurale, le départ en migration de travail dans une
ville ou un pays étranger, le « conflage » à une famille apparentée ou amie
en milieu urbain ou encore à un maître coranique, etc. sont autant de pratiques
qui trouvent leur fondement dans la société traditionnelle, mais qui s'expri-
ment aujourd'hui dans des formes et des modalités différentes, compte tenu
des contraintes vécues par les familles ou les enfants eux-mêmes et qui sont la
porte ouverte à l'exploitation et au trafic des enfants.

166
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

La mise en évidence de ces pratiques représente une étape fondamentale


dans le processus de lutte contre le travail et le trafic des enfants car elle
s'attaque à la racine du mal, à la genèse de la situation et devrait permettre de
dépasser certaines représentations ou certaines pratiques qui contribuent à
masquer la réalité du travail des enfants.
Nous allons nous attacher à analyser trois pratiques qui touchent les enfants
dans la société : la mise au travail précoce des enfants, le « confiage » des
enfants et la migration de travail des enfants ; et tenter de démontrer, à tra-
vers l'évolution que connaissent ces pratiques, les risques qu'elles représen-
tent pour les enfants en termes d'exploitation et de trafic.
La mise au travail précoce des enfants
A travers l'exploration du statut de l'enfant dans la société ancienne,
il apparaît que le travail représente une dimension fondamentale dans le proces-
sus de socialisation du jeune enfant. La mise au travail est en effet le cadre
d'apprentissage de valeurs essentielles, de principes nécessaires à l'intégration
de l'enfant au sein de sa communauté. (BADINI, 1994). Cette participation des
enfants ne manque pas cependant de s'intégrer à la survie économique de la
famille et elle représente également, au-delà de sa vocation éducative, la contre-
partie de l'assistance que l'enfant reçoit de sa famille (logement, nourriture,
soins, vêtements). L'enfant a donc des droits, mais il a également des obligations
et le travail accompli par l'enfant, à travers l'aide à la famille, est en quelque
sorte l'expression de son devoir de reconnaissance à l'égard de ses parents.
Le travail des enfants, dans sa dimension originelle est donc une initiation à une
façon de vivre et de travailler, encadrée et protégée par sa famille et qui reste
proportionnelle à la force de travail de l'enfant. Ainsi, l'enfant reste pris en
charge par la communauté indépendamment du travail fourni.
Cependant, dans un contexte socio-économique de plus en plus difficile,
marqué par la paupérisation des ménages, on peut se demander si le travail
de l'enfant, hier considéré comme un surplus, n'est pas en train de devenir,
dans la composition du revenu des ménages, un minimum de survie. La déci-
sion de mise au travail des enfants relèverait alors davantage d'une stratégie
initiée par les familles pour augmenter les revenus de la famille. D'où une
diversification des tâches confiées à l'enfant qui ne correspondent plus for-
cément à sa force de travail et à son âge et qui se font non seulement au détri-
ment du temps qui pourrait être consacré aux loisirs, à l'épanouissement de
l'enfant, mais surtout à l'éducation.
Les différents indicateurs de changement observés sont les suivants
(ME'rSIIPEC, 1998) :
- une exigence de rentabilité compte tenu des longues heures de travail :
entre 6 et 10 heures dans les filières de la riziculture, de la récolte c.U coton,

167
LA auESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

du maraîchage et des travaux champêtres. Ce sont les éleveurs et les


orpailleurs qui travaillent, pour près de 91 % d'entre eux, plus de 10 heures
par jour;
- une charge de travail excessif, puisque dans la riziculture, la récolte de
coton et les travaux champêtres, près de 100 % des enfants ont évoqué
l'importante pénibilité de leurs travaux;
- il semble par ailleurs, et c'est là un autre indicateur du changement, que
le cadre de travail de l'enfant « s'extériorise », sachant que près de
55 % des enfants travaillant dans l'agriculture et l'élevage résident chez
leurs parents, mais travaillent à l'extérieur de l'unité familiale. Cela
laisse supposer que la prise en charge de l'enfant, dans les milieux les
plus pauvres, soit en quelque sorte soumise à des conditionnalités.
Les obligations prennent le pas sur les droits. Ce sont les enfants les plus
productifs que l'on gardera auprès de soi dans le cadre de la production
familiale. Les autres enfants seront encouragés, plus ou moins implicite-
ment, à rechercher les moyens de leur propre subsistance. Dans le secteur
rural, les enfants iront travailler sur des exploitations privées de coton ou
de maraîchage par exemple, ou iront travailler dans l'orpaillage, selon
leur zone de résidence.
Le travail de l'enfant n'est donc plus encadré et protégé par la famille,
comme dans sa forme originelle et cela représente une porte ouverte supplé-
mentaire à l'exploitation de leur travail d'une part et au trafic des enfants
d'autre part.
Dans certaines situations, la mise au travail précoce de l'enfant peut
également induire des situations de trafic des enfants. L'appât du gain faci-
le motive certains parents à vendre la force de travail de leurs enfants à des
intermédiaires peu scrupuleux ou directement à des patrons d'exploitation
agricole ou minière. Le récent rapport sur l'évaluation du projet expéri-
mentai de lutte contre le trafic des enfants au Burkina Faso (MASSNI
UNICEF, 2002) révèle l'implication des parents dans la majorité des cas,
cette situation se faisant très rarement à leur insu. La difficulté des familles
à conserver auprès d'eux les enfants qui représentent une charge va égale-
ment se traduire par le départ des enfants du foyer familial, soit que cela
s'inscrive dans une stratégie familiale, à travers le « confiage », soit que
cela relève d'une stratégie plus individuelle à travers le départ en migra-
tion de travail des enfants et des adolescents, sous une forme plus ou
moins déguisée. Ces pratiques largement répandues trouvent une fois
encore leur fondement dans la société ancienne, mais elles vont s'exprimer
dans des formes et des modalités différentes compte tenu des contraintes
vécues par les individus.

168
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Le confiage des enfants


Le confiage à une famille apparentée
Au Burkina Faso, selon les données de l'enquête démographique et de
santé, Il,5 % des enfants de moins de 15 ans ne vivent pas avec leurs
parents (DABlRÉ, 1998). A l'image de la mise au travail précoce, le
confiage des enfants à une famille apparentée ou amie est une pratique
ancienne dans la société burkinabé et elle revêt également, dans sa fonne
traditionnelle tout au moins, une dimension éducative et sociale. Une
dimension éducative d'abord, parce que l'enfant élevé ailleurs que dans son
foyer naturel y sera traité avec moins d'indulgence ; ce cas de figure
concerne essentiellement le milieu rural et les tuteurs seront choisis en
fonction de leur âge ou de leur statut coutumier, garant des traditions et de
la sagesse. En milieu urbain ou semi-urbain, la dimension éducative ren-
voie surtout à l'opportunité qui sera donnée à l'enfant issu du milieu rural
ou issu d'une famille pauvre d'être scolarisé ou embauché par un membre
de la famille. La dimension sociale tient au fait que cette fonne de circula-
tion des enfants visait également à consolider les liens entre les familles.
Même si les aspects économiques ne peuvent être occultés dans la situation
de « confiage »,l'enfant accueilli effectuant, comme dans sa famille, une
multitude de petits services comme contrepartie de la prise en charge qu'il
reçoit, cette dimension ne prenait pas le pas sur les motivations premières
de transfert des enfants.
Actuellement, plusieurs indicateurs témoignent de changements et on se
demande si le confiage n'a pas été détourné de sa vocation originelle à la
faveur de considérations plus économiques.
Le premier indicateur renvoie à une disparité géographique, le phénomè-
ne étant davantage tourné vers le milieu urbain : 15,2 % des enfants sont
confiés en ville contre 9,6 % en milieu rural (DABIRÉ, 1998). Au fur et à
mesure du processus de paupérisation en milieu rural, le choix du tuteur s'est
davantage porté vers celui qui pouvait faciliter la scolarisation ou l'embauche
au détriment du statut coutumier. Au premier rang, figurent les fonctionnaires
dont le statut social est particulièrement valorisé en milieu rural, mais égale-
ment les commerçants et les artisans. Aujourd'hui cependant, les obligations
traditionnelles telles que l'accueil d'un cousin ou neveu du village s' accom-
modent difficilement des exigences et des contraintes économiques
auxquelles sont confrontées les ménages en milieu urbain. De plus en
plus souvent ces chefs de famille disent ne plus pouvoir faire face à
leurs obligations vis-à-vis de la famille élargie, du lignage et des réticences
commencent à se manifester lorsqu'il s'agit d'accueillir un enfant ou un ado-
lescent « confié» par un parent du village.

169
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Quand bien même l'enfant est accueilli, au regard de la pression socia-


le qui pèse sur la famille, celle-ci ne peut faire face à ses besoins souvent
les plus élémentaires, elle qui assume déjà difficilement la charge de ses
propres enfants. Paradoxalement, ce qui devait représenter une forme de
protection et d'insertion peut induire des situations de rejet et d'exclusion
et se transformer en une exploitation pure et simple de ces enfants et
adolescents confiés. Si les filles sont généralement mises à contribution
dans des tâches domestiques, les garçons seront « invités » à participer
aux charges de la famille d'accueil par le biais de l'improvisation d'un
petit métier dans l'univers des activités les plus marginales de l'économie
populaire urbaine, « le secteur sous informel ». Ils rejoindront ainsi le
nombre croissant des enfants précocement mis au travail dans les rues de
la capitale. Ce sont ces enfants que l'on retrouve comme vendeurs de
kleenex aux feux de stop, cireurs de chaussures, vendeurs de gâteaux ou
de sachets d'eau dans les rues. Exerçant leur activité dans la rue, les
enfants dits« dans la rue» cumulent différents risques: d'une part, ceux
communs aux enfants travailleurs, en terme d'exploitation économique,
d'absence de formation professionnelle, de longues heures de travail dans
des conditions climatiques éprouvantes ; d'autre part, ceux particuliers au
milieu de la rue (familiarisation à la vie dans la rue, risques d'abus sexuels
pour les fillettes, exposition aux activités marginales et illégales: mendicité,
vol, prostitution, toxicomanie).
Il est important de noter que la frontière est très mince entre les enfants dans
et de la rue, une situation de travail précaire dans la rue étant souvent à l'origi-
ne du basculement des enfants dans la seconde catégorie. Confiés à un parent
artisan, d'autres enfants seront embauchés dans un atelier. Cependant, l'existen-
ce de relations de parenté entre l'apprenti et le patron n'exclut pas l'exploitation
économique. Au Burkina comme ailleurs, c'est souvent au prix de l'exploitation
de cette main-d'oeuvre jeune et parfois enfantine qu'est assurée la dynamique
de revenus de certains secteurs de l'informel, particulièrement en ce qui concer-
ne le petit commerce et l'artisanat. Cette formation est donc la plus longue pos-
sible, l'artisan ne désirant pas se séparer trop rapidement d'une main-d'oeuvre
rentable et peu coûteuse. Peu ou pas rémunérés (en échange des repas et de
l'hébergement), travaillant dans des conditions que bien peu d'adultes suppor-
teraient, de plus en plus rares sont les enfants qui peuvent prétendre au statut
d'apprenti conférant une certaine garantie de l'emploi sur plusieurs années et au
bout du compte un réel transfert des savoirs et des qualifications.
Le second indicateur de changement concerne l'existence d'une distinction
selon le genre, les filles étant davantage confiées et particulièrement en milieu
urbain : à Ouagadougou, 20,2 % des filles (soit plus d'une fille sur cinq) sont
en situation de confiage contre seulement 8,8 % des garçons. Cette situation
est encore plus marquée pour les fillettes âgées de 12 à 14 ans, plus de 40 %

170
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

d'entre-elles étant confiées à Ouagadougou (DABIRE, 2(01). On observe éga-


lement une tendance que nous n'avons pas encore vérifié de façon statistique,
mais qui revient souvent dans les entretiens que nous avons eu avec des enfants
travailleurs et particulièrement les filles, à savoir une inversion de la demande
d'accueil des enfants. Si la tendance majeure reste toujours celle du milieu rural
vers le milieu urbain ou semi-urbain, il est désormais fréquent que des ménages
urbains demandent des fillettes à la famille du village.
L'ampleur prise par l'arrivée massive des filles en milieu urbain relève
principalement de deux facteurs que sont la déscolarisation et la sous-
scolarisation des filles d'une part, qui restent une réalité malgré les efforts
déployés par les Etats et les partenaires au développement, et l'arrivée crois-
sante des femmes sur le marché du travail, d'autre part. Cette seconde asser-
tion nous inspire les remarques suivantes: d'abord, aussi paradoxal que cela
puisse paraître, il semblerait que la « libération» d'une génération de
femmes, ayant eu accès à l'éducation, puis à un travail à l'extérieur de l'uni-
vers domestique, compromette aujourd'hui les chances d'une certaine caté-
gorie de petites filles à reproduire le parcours de leurs aînées. Eu égard au
coût de la main-d'œuvre adulte, comparé au niveau de salaire des femmes sur
le marché du travail, l'accès des femmes à l'emploi semble fortement corré-
lé à l'exploitation d'une main-d'œuvre enfantine, docile et peu coûteuse,
pour la remplacer dans les tâches domestiques. Cette remarque ne remet
évidemment pas en cause l'impact de l'éducation des femmes sur la scolari-
sation des enfants et des filles en particulier, mais elle permet de souligner le
lien de parenté comme facteur discriminatoire. L'enfant confié ne
bénéficiera pas du même traitement que l'enfant biologique. En outre, ce tra-
vail domestique est parfois associé à la mise au travail de l'enfant dans un
petit commerce afin d'augmenter les gains personnels de l'employeur. Une
fois les travaux domestiques exécutés, la petite fille sera chargée d'aller
vendre des sachets d'eau, des gâteaux ou d'autres marchandises et la recette
sera remise intégralement à sa patronne. Tous ces éléments contribuent à
expliquer la plus faible scolarisation des enfants, mais surtout des filles
confiées en ville (voir le chapitre de Marc Pilon dans cet ouvrage).
La pratique du« confiage »des enfants dans les situations extrêmes peut
également être à l'origine de trafic d'enfants. Dans ce cas, on sort des inter-
médiations de type familial pour rentrer dans des formes d'intermédiation à
but lucratif gérées par des professionnels. C'est le cas exposé plus haut des
fillettes recrutées dans les villages que les parents vont confier à un intermé-
diaire qui se chargera de les acheminer en ville puis de les placer comme
bonnes chez des employeurs. Là encore, on se demande si la réticence des
familles en milieu urbain à accueillir ou favoriser l'embauche d'un ~nfant
du village n'est pas une porte ouverte aux intermédiaires peu scrupuleux
qui viennent offrir aux parents et aux enfants cette opportunité de départ.

171
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Dans ce cas de figure, l'intennédiaire est connu directement des parents ou


par personne interposée. Il peut être un ressortissant de la région ou du
village. En revanche, l'employeur de l'enfant n'est pas connu des parents et
cela représente un danger supplémentaire. Le phénomène d'exploitation de la
main-d'œuvre enfantine est d'autant plus pernicieux qu'il est souvent masqué
par des relations de parenté ou d'appartenance villageoise justifiant la
circulation des enfants d'une famille à l'autre.
Le confiage à un maître coranique
Un dernier cas de « confiage » qu'il est important de souligner même s'il
touche au domaine sensible de la religion est le « confiage » des enfants à
un maître coranique. Les pratiques de mendicité qui touchent les enfants
répondent généralement à des pratiques qui trouvent leur fondement dans la
religion ou la coutume du pays. Néanmoins, le phénomène de paupérisation
des populations et la recherche de stratégies de survie qui favorisent le
«. confiage » des enfants mais aussi la cupidité de certains adultes ont géné-
ré un « détournement »de ces pratiques traditionnelles, des dérapages dont
les enfants sont les premières victimes. L'illustration la plus tangible est celle
des « garibous », enfants mendiants pour le compte d'un maître coranique
dont l'encadrement répond davantage à des motivations d'ordre économique
qu'éducationnel.
Dans sa fonne originelle, selon les infonnations recueillies auprès d'un
responsable de la communauté musulmane2 , les enfants se devaient de men-
dier autour de la zone d'habitation du maître et à des heures bien détenninées
qui ne devaient pas compromettre le temps passé à l'apprentissage du Coran.
C'est seulement dans les situations de déplacement des enfants, lors d'un
voyage par exemple, qu'il était pennis aux enfants de mendier en dehors de
cet espace et de ce temps prédétenninés. Pourtant, aujourd'hui, cette fonne
de mendicité s'étend à l'ensemble des artères de la ville et à toute heure du
jour et de la nuit. Exercée dans de telles conditions, avec de surcroît l'obli-
gation imposée par le maître de rapporter une certaine somme d'argent, cette
fonne de mendicité s'apparente à un véritable travail qui compromet grave-
ment l'avenir, la santé et la moralité de ces enfants. De même, la situation des
enfants guidant des mendiants âgés et/ou handicapés est également une
violation intolérable aux droits fondamentaux de l'enfant. Si la plupart sont
les propres enfants de ces mendiants, fils, filles ou petits-fils (filles), des
enfants ayant un lien de parenté plus éloigné sont également mis à la dispo-
sition de ces personnes âgées pour mendier dans les rues à longueur de jour-
née. Ce sont là des fonnes intolérables d'exploitation du travail des enfants,
qui, dans certains cas, frisent le travail en servitude.

2 Tall Yéro, Secrétaire Général de la·communauté musulmane.

172
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Un autre indicateur qui témoigne d'un dérapage de cette pratique et de


l'absence de tout contrôle de la part des responsables est l'appropriation de
cette pratique par les enfants vivant dans la rue. Actuellement, il est difficile
de savoir qui est élève, qui est enfant dormant dans la rue. On observe une
forte corrélation entre la mendicité des enfants et le phénomène des enfants
de la rue. Face à l'exploitation et aux mauvais traitements, nombreux sont les
enfants « garibous »qui fuguent et qui se retrouvent à mendier dans la rue
pour leur propre compte. Le fait que près de 41 % des enfants qui vivent dans
la rue, selon une enquête du MASSN (MASSNIDPEA, 2002), soient issus de
l'école coranique interpelle sur les risques et les dérapages de cette pratique.
À travers l'analyse des caractéristiques des enfants encadrés par le projet
Action Educative Milieu Ouvert qui accompagne les enfants vivant dans la
rue à Ouagadougou, il ressort également que sur la période 1998-2000, sur les
218 nouveaux arrivants dans la rue, 39,5 % sont issus de l'école coranique
(UNICEF,20oo).
Les situations de « confiage »à un maître coranique ont également révélé
des situations de trafic; elles sont d'autant plus pernicieuses qu'elles se mas-
quent derrière la religion d'une part et derrière la circulation traditionnelle des
enfants et de leurs maîtres d'un village à l'autre, d'autre part. C'est également
par l'intermédiaire des maîtres coraniques que s'effectuent les situations de
louage d'enfants dans l'agriculture. En plus de la parcelle du maître, les enfants
sont astreints de travailler sur celles de paysans qui le demandent moyennant
une rémunération directement versée au maître coranique.
La migration de travail
Le phénomène migratoire, très intense au Burkina Faso, connaît de profonds
changements, particulièrement en ce qui concerne la destination des migrations,
l'âge et le statut des candidats au départ. Les études existantes révèlent que la
migration de travail peut favoriser l'exploitation et le trafic des enfants.
Si les adolescents et les jeunes adultes représentent la part la plus impor-
tante des migrants, la précarisation des conditions de vie dans les campagnes
génère également le départ de couches de plus en plus larges de la popula-
tion, indépendamment de l'âge ou du statut social, comme l'atteste d'ailleurs
le départ de plus en plus fréquent des chefs de famille, jusque là épargnés par
la migration. Mais les plus jeunes semblent aussi de plus en plus concernés ;
notamment les enfants âgés de 9-14 ans, suite à la déstructuration de la
cellule familiale. En effet, si le milieu rural apparaît comme le foyer de résis-
tance au changement de la famille, on assiste néanmoins à la multiplication
des familles monoparentales. À l'issue de la migration du père et au regard
des difficultés croissantes pour le chef de lignage d'assurer, comme par le
passé, l'entretien de l'ensemble des membres de son lignage, de plus en plus
de femmes deviennent chefs de ménage, assumant à la fois des rôles

173
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

masculins et féminins auxquels, ni elles, ni la société ne sont préparées. Face


à la multiplication des charges leur revenant, elles sont amenées à rechercher
de nouvelles stratégies de survie, notamment à travers la mise au travail de
plus en plus précoce de leurs enfants à l'extérieur de la cellule familiale.
La migration vers la ville est ainsi encouragée par les familles elles-
mêmes. Michel BONNET (1993) fait ainsi remarquer que l'entrée dans le
secteur non structuré urbain apparaît comme le lieu de passage du rural à l'ur-
bain et des modes de vie traditionnels à ces modes de vie nouveaux dont la
ville est le creuset. Mettre l'enfant au travail, c'est le pousser vers l'avenir,
car dans l'imaginaire des populations rurales, aller vers un travail en ville,
c'est s'acheminer vers un avenir meilleur.
Auparavant, le point commun à ces migrations de travail des adolescents
était le cadre relativement structuré dans lequel il s'opérait: les plus jeunes
étaient accompagnés d'un adulte parent ou membre du village, et chacun
avait une idée précise du travail et de son point de chute. Aujourd'hui, la pré-
cocité de l'âge des migrants est aggravée par le relâchement des filets de
sécurité qui accompagnaient cette migration, tant au départ de l'enfant, qu'à
l' arrivée de l'enfant.
L'ensemble de ces changements crée des conditions favorables à l'exploita-
tion des jeunes migrants, tant dans le cadre des migrations internes que externes.
Dans le cadre des migrations internes, la situation des jeunes filles dogon, samo,
dagara, dafing, qui partent offrir leurs services vers Bobo-Dioulasso ou
Ouagadougou est significative. Elles partent davantage par groupe d'âge avec
comme chef de file une fillette plus âgée qui a déjà fait l'expérience du travail
en ville. Arrivées à destination, elles logent toutes ensemble et font du porte à
porte pour proposer leurs services à moindre coût. Elles ne bénéficient donc
plus, ni des conseils, ni de la protection d'un adulte. Dans le cadre des migra-
tions externes, transfrontalières, d'autres enfants choisiront des destinations
étrangères, tels que la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Bénin ou le Nigeria. La tenta-
tion est forte pour ces jeunes ruraux de vouloir reproduire le parcours de leurs
pères, de leurs aînés qui sont partis travailler en Côte d'Ivoire, et qui sont reve-
nus avec les signes extérieurs de la réussite, à savoir le vélo, les vêtements et
l'argent qui permettaient de revenir se marier et travailler au village. Mais là
encore, l'environnement évolue et les migrations externes sont souvent la porte
ouverte à l'exploitation économique des jeunes Burkinabé sur les plantations de
Cacao ou de coton de Côte d'Ivoire. Quand bien même les enfants partent de
leur propre gré, pour aller rejoindre un frère qui travaille déjà à l'étranger, les
conditions sur place de vie et de travail sont extrêmement difficiles.
Les migrations de travail, de type transfrontalier, demeurent le cadre pri-
vilégié du trafic d'enfants dans la sous-région. L'implication des parents est
souvent plus indirecte et elle se manifeste par l'autorisation qui est donnée à

174
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

fenfant d'aller travailler à l'extérieur du village. C'est souvent dans le souci


d'aider les enfants à trouver un emploi ou à s'insérer dans la vie que les
parents acceptent de les engager dans un processus qui aboutit parfois au
trafic. Bien souvent, c'est l'enfant qui prend directement contact avec le
réseau qui organise le convoyage des enfants vers leur destination de travail.
Les parents ne reçoivent donc pas directement de l'argent, mais fondent
davantage leur espoir sur l'argent que pourra envoyer l'enfant.
Dans le cadre du trafic interne, le rapport sur le trafic des enfants (METS/
IPEC, 20(0) a souligné que c'était le cas des filles qui quittent leur village
sous la houlette d'un intermédiaire pour aller chez des « tanties » à
Ouagadougou ou à Bobo-Dioulasso. Les jours et lieux d'arrivée de ces jeunes
filles sont connus des employeurs qui viennent y choisir leur future domes-
tique, contre rémunération à la « tantie ». Chaque fin de mois, l'employeur
vient remettre le salaire de l'enfant directement à la« tantie ». Le rapport met
en évidence l'existence de 15 réseaux au Burkina Faso spécialisés dans le pla-
cement d'enfants domestiques dont huit à Ouagadougou et sept à Bobo-
Dioulasso. Depuis le démarrage de projets de lutte contre le trafic des enfants,
d'autres réseaux ont été identifiés : en ce qui concerne la communauté samo,
l'ONG Terre des Hommes / Lausanne a recensé 17 réseaux accueillant des
filles samo, à raison d'une centaine de filles par cour et par an (KY, 2(03).
Dans le cadre du trafic externe, de nombreux enfants burkinabé sont
convoyés vers les plantations de Côte d'Ivoire. Tout comme dans la situation
du« confiage », des professionnels ont pu s'infiltrer dans cette organisation
et se substituer aux parents ou amis de la famille d'antan. L'intermédiaire du
réseau est souvent un membre du village qui vient recenser au préalable les
enfants qui souhaitent partir travailler à l'étranger. Une date et un lieu de
départ leur sont ensuite communiqués. Et avec la complicité du chauffeur de
bus, ils sont acheminés vers leur lieu de travail. Ces jeunes travaillent envi-
ron 12 heures par jour dans les plantations, hébergés dans des hangars, mal
nourris, souvent maltraités et très peu payés. Beaucoup de situations sont
assimilables à une forme d'esclavage, l'esclavage moderne en quelque sorte,
puisque la force de travail de ces enfants est ensuite revendue par leur patron
à d'autres exploitants agricoles ou miniers sur place.

Les actions de lutte contre le travail et le trafic


des enfants au Burkina Faso
Suite au lancement par le bureau international du travail (BIT) du
programme international pour l'abolition du travail des enfants en 1992,
le Burkina Faso a mis en place en octobre 1998 un plan d'action national de
lutte contre le travail des enfants piloté par le Ministère de l'emploi, du travail
et de la jeunesse et dont le lancement officiel a eu lieu le 12 octobre 1999.

175
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Soumis au dernier trimestre 1999 par des ONG et associations nationales et


internationales, les différents programmes d'actions ont été approuvés en
février 2000 et leur mise en œuvre a démarré en mars 2001.
Compte tenu de l'ampleur du phénomène d'une part et de sa complexité
d'autre part, l'IPEC s'inscrit dans une stratégie progressive pour atteindre des
résultats tangibles à court et moyen tenne. Cette approche s'est traduite par
la définition d'étapes dans le processus d'abolition du travail des enfants : à
court et moyen tenne, il n'est pas question d'abolir toute fonne de travail des
enfants, mais celles qui sont extrêmes, dangereuses, les autres fonnes de tra-
vail devant être prévenues ou améliorées et protégées afin qu'elles soient
compatibles avec le développement, l'épanouissement et l'éducation de l'en-
fant. Le Burkina Faso dispose d'une législation fournie en matière de protec-
tion de l'enfance, y compris l'enfance au travail, à travers les législations et
réglementations nationales d'une part, et à travers la ratification des princi-
pales conventions internationales d'autre part, suscepti61es de consolider les
actions entreprises par l'IPEC pour l'abolition du travail des enfants.
L'instrument principal est la convention N°182 de l'OIT ratifiée par le
Burkina Faso en mai 2001 et qui cible les pires fonnes de travail des enfants.
D'un point de vue institutionnel, le Burkina Faso dispose, depuis le
15 octobre 2004, d'un plan d'action national de lutte contre le trafic des
enfants placé sous la tutelle du Ministère de l'action sociale et de la solidari-
té nationale (MASSN) et qui réunit l'ensemble des acteurs impliqués dans la
lutte : ministères, partenaires au développement, ONG et associations, socié-
té civile. Avant l'adoption de ce plan d'action national, certains de ces parte-
naires avaient déjà développé des actions concrètes sur le terrain
en collaboration avec le MASSN.
La première action fût celle de l'UNICEF, via son bureau régional, à tra-
vers l'organisation d'une consultation sous-régionale sur le développement
des stratégies de lutte contre le trafic des enfants à des fins d'exploitation de
leur travail, tenue à Libreville en février 2000 et qui a donné lieu à« la plate-
fonne d'action de Libreville ». L'autre action majeure de ce partenaire est la
mise en œuvre, depuis juin 200 1, du projet expérimental de lutte contre le tra-
fic des enfants exécuté dans six régions du pays et qui s'est étendu par la suite
à dix régions du Burkina Faso. Ce projet consiste dans l'implantation de
comités de vigilance et de surveillance (CVS) dans chacune des provinces
ciblées par le projet qui mènent des actions de prévention, d'interception, de
protection et de réhabilitation des enfants victimes de trafic.
Le BIT, via ses programmes IPEC, a procédé au lancement du program-
me LUTRENA (programme sous-régional de lutte contre le trafic des enfants
à des fins"" exploitation de leur travail) qui concerne dix pays d'Afrique de
l'Ouest et du Centre dont le Burkina Faso en 2003. Pour mettre en œuvre ce

176
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

programme, l'IPEC a reçu le soutien financier des Etats-Unis. Le but essen-


tiel du programme est d'aider les organisations partenaires au niveau gou-
vernemental et non gouvernemental à prendre des mesures préventives
efficaces contre le trafic des enfants et offrir des cadres de réhabilitation aux
victimes. Le programme LUTRENA intervient au Burkina dans les cinq pro-
vinces de la région de l'Est du pays.
Du point de vue du cadre juridique, le Burkina Faso dispose d'une légis-
lation fournie. Il existe des instruments juridiques du droit international rati-
fiés par le Burkina Faso tels que :
- les différentes conventions de l'OIT et particulièrement la convention
n° 182 ratifiée par le Burkina Faso le 25 mai 2001 ;
- les différentes conventions et protocoles des nations unies et particulière-
ment la CDE ratifiée par le Burkina en juillet 1990 qui fait cas de
l'exploitation et du trafic des enfants.
Il existe également des textes spécif1ques à caractère régional tels que :
- la charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant ;
- le projet de résolution de la CEDEAO sur .la traite des personnes en
Afrique;
- des protocoles bilatéraux tels que le protocole d'accord de coopération
entre la Côte d'ivoire et le BF en matière de trafic transfrontalier d'enfants.
Enfin, il existe un instrument juridique national à travers la loi N° 038-
2oo3/AN portant définition et répression du trafic d'enfants voté le 27 mai
2003, suite au plaidoyer réalisé par le MASSN et l'UNICEF à l'efldroit des
institutions judiciaires.
Enfin, dans le cadre de la coopération bilatérale, on souligne la signature
d'un accord de coopération entre le Mali et le Burkina Faso en matière de lutte
contre le trafic transfrontalier des enfants signé le 25 juin 2004 à Ouagadougou.

Conclusion
La mise au travail précoce des enfants, le confiage des enfants ou encore
la migration de travail des adolescents sont autant de pratiques qui visent
l'éducation des enfants, leur formation, la recherche de leur bien-être et de leur
insertion en général dans la société. Elles représentent des alternatives à une
autre forme d'éducation ou de formation, plus conventionnelle, mais qui n'est
pas accessible à tous les enfants. Cependant, dans un contexte marqué par la
pauvreté des populations, le relâchement des filets de sécurité communau-
taires et l'influence de nouveaux modes de vie, notamment urbains, ces pra-
tiques peuvent devenir dangereuses et être détournées de leur vocation initiale
pour devenir des cadres favorables à l'exploitation et au trafic des enfants.

177
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

TI a ainsi été relevé que le travail précoce de l'enfant, ayant pour but
initial sa socialisation, n'est plus toujours encadré et protégé par la famille.
De même, le « confiage » des enfants,· considéré comme un moyen
d'améliorer leur éducation ou de favoriser leur insertion peut devenir dans
certains cas un masque à l'exploitation et au trafic des enfants. La mise en
évidence du détournement de ces pratiques à des fins d'exploitation et de tra-
fic des enfants représente une étape significative dans le processus de pro-
tection et de promotion des droits de l'enfant au Burkina Faso. Si l'Etat et ses
partenaires s'organisent déjà pour endiguer ce fléau, il est néanmoins néces-
saire de s'attaquer également aux situations qui favorisent au départ la vul-
nérabilité de l'enfant dans la société burkinabé. La circulation des enfants en
général dans la société (sous ses multiples formes), souvent motivée par Wl
objectif d'éducation et/ou de formation, mérite de faire l'objet d'études
approfondies, tant qualitatives que quantitatives, car elle concerne une fran-
ge importante de la jeunesse burkinabé.

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UNICEF, 1997.« La situation des enfants dans le monde », New York, 118 p.
UNICEF, 1995.« Enfant roi, enfant victime », Desclée De Brouwer, Paris, 126 p.
YARO Y., 1998. « Situations, conditions de vie et travail des enfants sur les sites
aurifères du Sahel », Save The Children, Ouagadougou, Burkina Faso, 68 p.

179
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANl'S ET DISPARITÉS

VIH/Sida et éducation au Burkina Faso :


que savons-nous ?

Yacouba YARO·

Introduction
De toutes les parties du monde, l'Afriq'l:le sub-saharienne paye surtout le
tribut le plus lourd à la pandémie du VIHIsida où elle constitue aujourd'hui
la première cause de mortalité (UNAIDS, 2001 ; KELLY, 2002 ; PNUD,
2002). Elle freine la plupart des efforts de développement entrepris dans les
pays africains, elle réduit fortement l'espoir d'atteindre les objectifs fixés
en matière de développement, de bien-être social et de prospérité écono-
mique (UNICEF, 1999 ; GACHUHI, 1999). En somme le VIH/sida pose un
défi phénoménal aux actions actuelles et futures quel que soit le domaine.
C'est notamment le cas pour le Burkina Faso l'un des pays les plus affectés
de l'Afrique de l'Ouest après la Côte d'Ivoire et le pays sahélien le plus frap-
pé par la pandémie du VlHlsida.
La pandémie du VlHlsida pose un grand défi par rapport à des irlstitutions
sociales comme la famille et l'école. Ses effets concernent à la fois l'of:flre et
la demande scolaire. Nous nous proposons ici de faire un état des lieux
concernant les effets de la pandémie dans le domaine de l'éducation au
Burkina Faso. Après un rappel de l'ampleur du VIH/sida en Afrique et au
Burkina Faso, nous verrons de quelle manière, sur la base des informations
disponibles, se trouvent affectés le système scolaire, notamment au niveau
des enseignants et la demande scolaire au niveau des enfants et des
familles ; nous évoquerons aussi le rôle que peut jouer l'école elle-même
dans. la lutte contre le VIH/sida et les initiatives entreprises par le monde
associatif.

Quelques repères sur l'ampleur ~ les conséquences


du VIHlSIDA en Afrique
Selon les statistiques disponibles
- sur les 40 millions de personnes vivant avec le virus dans le monde,
28 millions vivent en Afrique au sud du Sahara (UNAIDS, 2001) ;
- sur les 22 millions de décès occasionnés par le VIH/sida parmi lesquels
4 millions d'enfants, 85 % surviendraient de l'Afrique (UNAIDS,
OMS, 2001).

* Démographe à CERFüDES et chercheur associé à l'IRD.

181
LA OUESllON ËOUCATlVE AU 8URKINA FASO: REGARDS PWRIELS

- sur les 13,2 millions d'enfants orphelins du VIHlsida, 90 % des orphelins


du VllI/sida vivent en Afrique au sud du Sahara (UNAIDS, WHO 2001) ;
-l'espérance de vie qui est le nombre moyen d'années à vivre par un indivi-
du depuis la naissance a considécablement baissé en Afrique subsaharien-
ne, passant de 59 ans à 45 ans au cours de ces cinq dernières années
0J.NAIDS,WH02(01);
- plus de 500 000 nouveaux-nés ont été infectés par leur mère, dont 95 % se
trouvent en Afrique au sud du Sahara. Ces nouveaux nés infectés risquent
pour la plupart d'entre eux de ne pas avoir la chance d'aller à l'école, car plus
de 90 % meurent avant d'atteindre l'âge scolaire 0J.NAIDS, WHO 2(01).
L'effet du VIHlsida sur les enseignants en Mrique
La Banque mondiale rappelle que, sur les 15 000 cas de Vlli/sida détectés
par jour dans le monde, la moitié concerne la tranche des 15-24 ans (chiffres
de 1999). Les jeunes de 15 à 25 ans représentent déjà aujourd'hui un tiers des
séropositifs de la planète, soit dix millions de personnes, avec évidemment
une grande proportion en Afrique (entre 75 et 83 %). Ces jeunes décimés par
le VIHlsida sont souvent des enseignants qui constituent les poumons de
l'institution scolaire.
En Afrique, les systèmes scolaires les plus touchés par les conséquences
du phénomène sont la zambie, la Côte d'Ivoire, l'Ouganda, la République
Centrafricaine et le Lesotho. Dans ces pays sont enregistrés en moyenne
10 cas de décès d'enseignants par mois, soit une perte annuelle de plus de
100 enseignants. En Côte d'Ivoire, certaines estimations vont même jusqu'à
estimer à 4 à 5, le nombre d'enseignants qui décèdent en moyenne chaque
semaine du virus du VIHIsida. La situation du système scolaire zambien
se révèle beaucoup plus préoccupante. Rien qu'en 1998, ce pays a perdu
1 300 enseignants du fait du VIHIsida, soit l'équivalent de « deux tiers de
tous les nouveaux enseignants fonnés chaque année dans ce pays ». L'école
zambienne courait même le risque de voir doubler ses pertes en maîtres entre
1999 et 2000 (MOH Zambia, 1999). Une étude réalisée par la Banque mon-
diale prévoyait qu'entre 2010 et 2020, soit l'échéance retenue pour atteindre
« zéro enfant non scolarisé en Afrique », le VIHIsida aura tué entre 15 000
et 27 000 enseignants. Ce qui serait une catastrophe pour le continent le
moins scolarisé à cause du manque d'enseignants fonnés, d'écoles équipées
et en nombre suffisant.
En République Centrafricaine, on estime qu'au moins 200 enseignants
meurent chaque année dont 92 % à cause du Vlli/sida (AFP, Il Mai 2002).
Cette tendance avait été déjà révélée par une étude de l'ONUSIDA en 1999 qui
relevait que plus de 75 % des décès d'enseignants étaient liés au Vlli/sida
(UNAIDS ,1999) ; ce qui met en péril le système scolaire de ce pays.

182
ACCÈS À LA SCOlARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

L'effet du VIHlSIDA sur les enfants en Afrique


La situation actuelle de l'Mrique, surtout dans sa partie subsaharienne, se
caractérise par l'extrême vulnérabilité de millions d'enfants que le Vlli/sida
a rendu orphelins. Pour beaucoup d'entre eux, les chances sont minces non
seulement d'accéder à l'école, mais en plus elles se trouvent quasiment
réduites pour la poursuite des études pour ceux qui y sont déjà inscrits.
En effet, l'absence de soutien vital aux orphelins et enfants vulnérables est
souvent le fait explicatif de leur précarité scolaire. La Banque mondiale
(1999) estime que parmi les enfants scolarisés, un sur quatre quitte l'école
avant d'avoir appris à lire et à écrire.
Cette désaffection scolairé est très généralement corrélée à la conséquen-
ce du VHl!sida lorsque l'enfant se trouve affecté par le décès d'un ou des
deux parents ou encore quand le parent pourvoyeur des ressources familiales
est lui-même malade et ne pouvant plus garantir les ressources. En Côte
d'Ivoire, des études ont montré que lorsque la personne qui procure la prin-
cipale source de revenu est atteinte du Vlli/sida, le revenu du ménage est
réduit des deux tiers et sa consommation, notamment en matière d'éducation,
baisse de plus de la moitié (IRIN, 1998). Ce qui évidemment a pour consé-
quence de rendre la scolarisation non prioritaire quand le Vlli/sida frappe la
famille (KELLY, 2(02). En outre, l'avenir de la scolarisation se trouve éga-
lement menacé au regard de la séroprévalence dans certains pays comme le
Malawi, la Zambie, le Zimbabwe, l'Afrique du Sud où l'on estime que d'ici
2010 la population sera réduite d'un quart par rapport à des conditions
normales d'évolution démographique (KELLY, 2002 ; SA AIDS, 1999 ;
The policy Project USAID, 2(00).
Dans certaines régions comme la Tanzanie, les projections établies dans le
cadre d'une étude de planification et d'évaluation sur le VlliIsida montrent
que selon le scénario le plus pessimiste, il y aura 22 % en moins d'enfants
scolarisés dans le primaire (Banque Mondiale, 1993). De fait, avec la pandé-
mie du VlliIsida, l'accès à l'école devient non seulement hypothétique mais
il se présente comme une priorité de moindre importance car la recherche du
minimum vital est la priorité des priorités.
Situation et évolution du VIHlSIDA au Burkina Faso
Au Burkina Faso, le taux officiel de séroprévalence, c'est-à-dire le
nombre de personnes supposées vivre avec le virus actuellement, est passé
respectivement de 7,1 % en 2000 à 6,5 en 2001, à 4,62 à 2002 puis de nos
jours il est estimé à 2,7 %. Ce taux officiel est issu des données observées à
travers les sites sentinelles. Cependant, l'Enquête Démographique et de Santé
réalisée en 2003 au Burkina trouve un taux de séroprévalence global de
1,9 %. Ce taux n'a pas emporté l'adhésion des autorités, surtout du Conseil

183
LA QUESTION ÉDUCA1WE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

National de Lutte contre le Sida et les IST. De nos jours le taux de séropréva-
lence suscite de nombreux questionnements. n est important de souligner que
la lecture des indicateurs, quel que soit leur tendance à la baisse, ne signifie pas
une baisse systématique des effets déjà induits par le Sida sm la population
générale. En tout état de cause, que ce soit les indicateurs des sites sentinelles
ou ceux issus de l'EDS 2003, ils appellent à une interprétation prudente.
En réalité, ces indicateurs à la baisse montrent la situation des nouvelles
infections au sein de la population globale. En clair, ces tallX montrent que si
l'infection à Vlli concernait plus de 7 % de la population au début des années
1990-2000, de nos jours, elle est entre 2 et 3 % ; un tel taux indique, tout de
même une pandémie généralisée au sein de la population. Il est donc impor-
tant de distinguer d'une part l'effet déjà induit par cette pandémie avec son
lot de personnes déjà infectées, avec d'autre part une apparition en baisse des
nouveaux cas.
Le Burkina Faso figure panni les quatre pays les plus infectés de l'Afrique
de l'Ouest qui sont la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Togo.
Le tableau ci-dessous indique le nombre de cas de Sida notifiés depuis
1986 jusqu'au 30 juin 2004.

Tableau 1. Evolution du Sida de 1986 au 30 juin 2004.


Année Nouveaux cas Nombre de cas cumulés
1986 10 10
1987 21 31
1988 394 425
1989 351 776
1990 202 978
1991 835 1 813
1992 1073 2886
1993 836 3722
1994 1 892 5614
1995 1684 7298
1996 1 838 9 136
1997 2216 Il 352
1998 2166 13 518
1999 2031 15549
2000 1532 17081
2001 1 951 19032
2002 957 19989
2003 942 20931
2004 (30 juin) 658 21 589

Source : CNLS-IST (2004).

184
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Pour le Burkina Faso, la pandémie a évolué de façon progressive et expo-


. nentielle et pour tout dire, de façon inquiétante. En effet, le nombre de cas
cumulés pour la séroprévalence au 30 juin 2004 (qui représente en fait ceux
qui ont été dépistés comme séropositifs) était de 21 589 contre seulement
10 cas en 1987. En s'intéressant à l'accroissement annuel de la séropréva-
lence à partir des données du CNLS au cours des cinq dernières années
(1999-2004), on est impressionné par le taux d'accroissement annuel de la
population infectée qui est de 6,8 %. Néanmoins au cours de la même pério-
de le nombre de nouveaux cas d'infection a effectivement diminué de 68 %
si l'on sait que l'~n est passé de 2031 cas en 1999 à 658 cas en 2004.
La plupart des données statistiques soulignent par exemple que lors de
ces dernières années le Burkina Faso compte un nombre total de 620 000 à
680 000 personnes infect&<s (UNAIDS, CNLS, 2000) et environ 250 000
personnes seraient déjà décédées du VIHIsida. L'une des conséquences mani-
festes est le nombre de plus en plus élevé d'orphelins du VIHIsida qui serait
estimé à plus de 350000 (enfants ayant perdu au moins un parent.)
Quant à l'espérance de vie, elle a considérablement baissée et laisse
entrevoir des perspectives de vie de plus en plus réduites. En effet, l'espé-
rance de vie a fortement régressé passant de 52 ans à 46 ans entre 1985 et
1996 (UNDP, 1998). De nos jours, cette espérance de vie est estimée à
52 ans comme en 1985, soit un retard d'au moins 20 ans. (YARO, 2001 ;
ZOUNGRANA,1997).
Plus inquiétant demeurent les perspectives, car selon les projections du
US Bureau of Census (1996), la mortalité des enfants au Burkina Faso et en
Côte d'Ivoire sera presque de 70 % plus élevée en l'an 2010 qu'en 1996 à
cause du VIHlsida.
Conséquences du VIWsida sur les enseignants
Les enseignants, au même titre que certains groupes tels que les militaires
et les routiers, payent un lourd tribut à la pandémie du VIHlsida. TI ressort de
l'enquête réalisée,dans le cadre du projet Virus! par le centre Muraz en 2004
que le taux de séroprévalence est de 2,7 % pour le monde de l'éducation, taux
qui par ailleurs correspond à celui estimé au niveau national. Selon cette étude,
le secteur de la santé présente un taux de séroprévalence de 3,4 % nettement
supérieur donc à celui de l'éducation. Toutefois, le secteur de l'éducation étant
celui qui compte le plus d'agents pour la Fonction Publique (plus de
33000 personnes, enseignements de base et secondaire réunis), il est évident
que c'est celui qui compte en tennes absolus le plus de personnes infectéès.

1 Ministère de la Santé, Centre Muraz, Projet VIH et IST en milieu rural, ûrbain et sectoriel
(VIRUS), Rapport final provisoire, 15 janvier 2005.

185
LA QUESTION l':DUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PlURIELS

On ajoutera que la campagne de dépistage effectuée dans le monde scolaire


par le Programme d'Appui Multisectoriel aux Associations et Communautés
(PAMAC, 2004) ciblant les élèves de 18 ans et plus, les enseignants,
ainsi que les personnels administratifs et de service a également donné des
résultats différentiels sur la prévalence du VIH. En effet, cette campagne en
milieu éducatif permet de voir un taux relativement bas pour les étudiants
(0,8 %), moyen pour les élèves du secondaire (1 ,6 %), proche des résultats du
projet Virus pour les enseignants (2,3 %) et très élevé pour le personnel admi-
nistratif et de service (Il %).
Par ailleurs, en utilisant le canal des tranches temporelles de la Radio
Nationale du Burkina allouées au Ministère de l'éducation pour ses commu-
niqués nécrologiques comme source d'estimation indirecte du niveau de la
mortalité des enseignants, on remarque que cette tranche temporelle a sensi-
blement augmenté. Estimée de 5 à 7 minutes il y a environ cinq ans, cette
tranche est de nos jours passée de 10 à 30 mimttes, soit une augmentation
allant du simple au quintuple de nos jours. Certes le sida ne peut pas être
considéré comme la cause de cette hausse de la mortalité mais elle n'est pas
à exclure. Ainsi à titre illustratif, sur la base des communiqués nécrologiques,
il ressort que de 26 enseignants décédés en 1999, on en comptait 90 en 2004.
Ceci laisse percevoir que de nombreux enseignants meurent et que cette
mortalité a augmenté au moins trois fois plus qu'il y a cinq ans.
Une telle situation est préjudiciable à la tenue des écoles qui se retrouve
menacée. La Banque mondiale mettait en exergue que « dans les pays où
l'infection est très haute, le virus du VIHlsida tue les enseignants plus vite
qu'ils ne peuvent être formés» (Word Bank, 2000).
L'école burkinabé se retrouve'donc avec de plus en plus ù' enseignants qui
meurent ou qui sont trop malades pour enseigner. En effet, lorsque l'ensei-
..gnant est infecté et qu'il développe la maladie, il se retrouve très souvent à
l'extérieur de l'institution scolaire à la recherche de soins. Ainsi, le Vlll/sida
entraîne des taux élevés d'absentéisme chez les enseignants. Très souvent ces
enseignants ne sont pas remplacés pour continuer les programmes scolaires.
Dans certaines zones où un des enseignants est constamment malade, de
nombreuses écoles se débattent avec un seul ou deux enseignants là où
normalement il en faudrait six (UNAIDS, 2001).
Avant même de tuer, le VIHlsida réduit le niveau d'encadrement péda-
gogique offert par les enseignants, déstabilise les programmes scolaires et
produit conséquemment de médiocres performances scolaires pour les
élèves dont les maîtres sont infectés. En tout état de cause, il est plausible
que si la pandémie continue son ravage actuel dans le monde des
enseignants, cela aura pour conséquence d'affecter l'offre scolaire,
obligeant l'Etat à augmenter significativement le recrutement du nombre

186
ACCÈS À LA SCOlARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

d'enseignants, mais aussi à revoir ses différents plans de développement de


l'éducation qui pourraient ne plus atteindre les perspectives et les objectifs
fixés antérieurement.
La Banque mondiale rappelle par exemple que l'impact de l'épidémie
sur l'éducation serait que 55 des pays les plus pauvres dont le Burkina Faso
seraient incapables d'atteindre leurs objectifs scolaires fixés à l'orée de 2015.
La Banque mondiale conclut qu'en plus de cette incapacité de pouvoir
atteindre les objectifs, il est tout aussi important de signaler que la disparition
de l'inégalité entre les filles et les garçons dans l'éducation primaire et secon-
daire d'ici à 2005 pourrait devenir une utopie.
En somme la pandémie du VIHlsida appelle implicitement à une révision
des actions et objectifs planifiés étant donné que la maladie semble fortement
agir sur le secteur de l'éducation.
Les conséquences de la pandémie sur les enfants et les familles
Le VIHlsida affecte les enfants de deux manières. D'une part, pour ce qui
est des 20 000 enfants directement infectés par le virus (UNAIDS, 2000),
il existe peu de chance pour une grande partie d'entre eux d'atteindre l'âge
scolaire. Quant à ceux qui parviennent à l'âge scolaire et qui sont scolarisés,
ils sont souvent malades ou affaiblis par la maladie qu'ils ne parviennent pas
à suivre le cursus scolaire normal.
D'autre part, les 223 000 enfants (Op. cit) qui sont affectés par le
VIHlsida à travers la perte au moins de l'un des parents génite~ ont une chan-
ce très limitée de fréquenter une institution scolaire. En effet, il ressort que
lorsque l'enfant a perdu un parent, il a seulement 50 % de chance d'aller à
l'école, mais quand les deux parents sont tous décédés, il ne lui reste plus que
10 % de chances d'accéder à une école (HUNTER S., & Wll..LIAMSON J.,
2001). Pour ceux qui sont déjà scolarisés, il arrive fréquemment qu'ils soient
exclus de l'école - ou qu'eux-mêmes s'excluent - car n'ayant plus souvent
de moyens pour continuer ou retourner à l'école. Ceux qui, malgré tout, par-
viennent à rester à l'école se retrouvent dans une situation de dualité entre
école et emploi domestique pour subvenir à leurs besoins vitaux.
Pour ce qui est des enfants affectés et infectés qui sont de plus en plus
désignés par les termes d'orphelins et enfants vulnérables (OEV), il importe
d'analyser leur situation par rapport à la famille et à leur communauté pour
comprendre leur situation face à l'école.
L'orphelin dans le contexte social et culturel burkinabé
L'orphelin dans le contexte social et culturel burltinabé a, en dépit du
décès d'un ou de ses parents, toujours appartenu à une famille; il a égale-
ment bénéficié de soins et d'attentions égales aux autres enfants dont les

187
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

parents vivent toujours. 11 n'existait pas de difficultés pour tout orphelin de


bénéficier au même titre que les autres enfants des avantages qui leur étaient
accordés. Ne dit-on pas par ailleurs en pays moaga que« l'orphelin n'est pas
une poule de sacrifice », pour simplement rappeler à chaque membre de la
communauté que l'orphelin ne doit pas servir uniquement pour les corvées.
S'il arrivait que les enfants étaient scolarisés dans cette communauté ou cette
famille, alors l'orphelin y avait droit.
Cette situation d'appartenànce à une famille continue d'être réelle de
nos jours. La prise en charge de ces enfants par la famille reste une pratique
courante en Afrique et plus précisément dans sa partie australe, comme ont
pu le constater Tony Barnett et Piers Blaikie (1992). Ce rôle incombe le
plus souvent aux grands-parents, oncles et tantes. En effet, dans l'objectif
de mieux comprendre la situation des orphelins et des veuves du VIWsida,
une étude commanditée par l'üNG Plan/Burkina a permis de voir auprès
de 1 200 ménages que 373 ménages avaient ën charge d'autres enfants que
leurs propres enfants. Au total, ces 373 ménages avaient accueilli
972 enfants. Le tableau suivant situe la répartition des ménages en fonction
du nombre d'enfants accueillis.

Tableau II. Répartition du nombre d'enfants pris en charge par ménage.


Nombre Nombre Nombre Nombre total % du total
d'enfants à charge Moyen de-ménages de ménages
concernés
1 2,51 106 266 27,4
2 2,63. 99 260 26,7
3 2,87 76 218 22,4
4 2,6 42 109 11,2
5 2,68 22 59 6,1
6 2,11 9 19 2,0
7 2,17 6 13 1,3
8 2,17 6 13 1,3
10 2,14 7 15 1,5
Total 2,61 373 972 100,0

Source : enquête Plan sur la prévalence du VIH/Sida sur le Plateau central.


Si en moyenne, chaque ménage compte 3 enfants de moins de 18 ans,
l'étude révèle également qu'ils sont pratiquement en moyenne trois enfants
accueillis/ou pris en charge dans les ménages. Ce qui évidemment laisse
supposer que les ménages d'accueil sont constitués en moyenne de presque
six enfants. Cela imprime une nouvelle lecture de la composition et de la taille

188
ACCÈS À LA SCOlARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

de la famille dans ces zones enquêtées. Le plus souvent, les enfants sont
accueillis pour plusieurs raisons : 39,5 % parce qu'ils étaient otphelins ; 26 %
pour la scolarisation ; 28,7 % pour les travaux domestiques et 5 % pour une for-
mation religieuse islamique et moins de 1 % pour d'autres raisons non précises.
Ces raisons doivent être comprises comme des facteurs d'analyse impor-
tants dans la recomposition familiale, si l'on sait que les raisons qui sous-
tendaient le confiage des enfants relevaient plus de raisons domestiques ou
scolaires que la perte d'un ou des parents. Il faut aussi rappeler que
l'Initiative Privée Communautaire (IPC), lors de son enquête en 2001, avait
également trouvé les mêmes résultats pour ce qui est de l'importance numé-
rique des orphelins dans les ménages.
L'analyse de ces indicateurs permet d'observer que l'importance numé-
rique des orphelins dans les ménages est un élément important pour apprécier
l'étendue dévastatrice du VIHlsida dans les communautés étudiées. Il est fort
probable que la s~tuation observée dans ces quatre provinces soit quasiment
identique dans une grande majorité des provinces du pays. Avec ces indica-
teurs, on peut supposer que les orphelins sont accueillis dans des ménages qui
sont proches.
Les résultats de l'enquête montrent que les enfants sont accueillis dans des
ménages aux profils différents. Ainsi, les oncles/tantes (33 %) et les grands
parents (32 %) sont les premiers accueillants des orphelins. Ce constat rejoint
des analyses antérieures menées en Côte d'Ivoire par Sylvie Delcroix et
Agnès Guillaume (1998). Le plus surprenant est que dans ces communautés
rurales, il existe 19 % des veuves qui déclarent prendre en charge les orphe-
lins. Est-ce un indicateur de tendance confirmant la disparition du lévirat ?
Tout pourrait le laisser penser. De toutes les façons, les indicateurs soulignent
que le premier cercle d'accueil des orphelins reste la famille, étant donné que
dans ces communautés les amis qui ont en charge des orphelins ne représen-
tent que 1 % des accueillants. Il faut cependant noter que 5 % des orphelins
ont déclaré se prendre directement en charge.
En tout état de cause, dans cette partie du Burkina, les choses ont évolué si
l'on considère qu'auparavant il n'existait pas, d'un point de vue social, de
veuves ou d'orphelins. En effet, avant que le VIHlsida n'entraîne de plus en
plus la disparition de la pratique du lévirat, les veuves étaient remariées à des
frères du défunt afin de pouvoir conserver les orphelins dans le cadre familial
et surtout de pouvoir convenablement les prendre en charge en leur offrant les .
mêmes conditions comme si leur père était vivant (Le PALEC, 1995 ~
DANZIGER, 1994). Par ce procédé de perpétuation des liens familiaux, les
orphelins ne sont pas spécifiquement reconnus comme tels dans la commu-
nauté car ils sont réintégrés dans le circuit de la grande famille et considérés
comme des enfants biologiques de l'héritier de la veuve.

189
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Cependant dans un contexte de paupérisation des familles/ménages, cette


tendance de l'accueil se trouve de plus en plus mise en difficulté, comme en
témoigne le cas de certains orphelins qui déclarent se prendre eux-mêmes en
charge. Dans ces conditions, il est clair qu'au vu du nombre de plus en plus
croissant des orphelins dans les communautés, les orphelins se trouvent dans
une situation de plus en plus vulnérable, sachant que les grands parents, les
tantes/oncles et les veuves doivent eux-mêmes faire face à des difficultés
socio-économiques pour leur propre prise en charge.
Les orphelins scolarisés avec lesquels des discussions de groupe ont eu lieu
montrent que ces dernières années, ils étaient pratiquement près de huit sur
dix qui avaient dû abandonner l'école parce qu'ils ne pouvaient plus
suivre: « ce n'est pas parce que nous n'étions pas intelligents, c'est parce que
nous n'avions plus nos parents pour nous aider ». Un d'entre eux dira par
exemple que durant ses premières cinq classes à l'école primaire, il a toujours
été le premier de sa classe. Mais, lorsqu'il a perdu son père suivi quelques mois
du décès de sa mère, ses résultats scolaires ont commencé à être médiocres.
Cela était expliqué par le fait qu'il partait à l'école affamé et de retour à la
maison il devait accomplir d'autres tâches domestiques avant de se reposer.
Très vite, il ne pouvait plus supporter cette surcharge d'activités extrascolaires.
En conséquence,. il a dû quitter l'école malgré lui. Pourtant, conclut-il,
« je rêvais d'être un jour un médecin pour soigner les populations pauvres ».

A la décharge des familles d'accueil, on peut avancer que les raisons de la


vulnérabilité sont souvent tributaires des difficultés que ces familles d'ac-
cueil ont elles-mêmes à subvenir à leurs propres besoins. Pour cela, l'enquê-
te a également voulu savoir quels étaient les cadres idéaux pour la prise en
charge des enfants et surtout quel était le meilleur cadre d'accueil qui pou-
vait faciliter l'accès des enfants orphelins à l'école

Tableau ill. Répartition des réponses pour le cadre idéal de la prise en


charge des OVC.
Cadre idéal Province Total
d'accueil Sanmatenga Kouritenga Namentenga Bam
Famille Proche 77 48 39 63 227
Famille Elargie 17 7 14 18 56
Communauté 8 5 7 4 24
Etat 9 26 32 47 114
Association/ONG 22 33 23 24 102
Ne sait pas 1 7 2 5 1
Total 81 94 89 109 373
NB : les réponses étaient multiples pour ce qui est des différents cadres idéaux
d'&XUeil des OEY : ce qui explique que le nombre de personnes ayant
répondu dépasse le nombre total.

190
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DIITERMINANTS ET DISPARI"ftS

On observe que pour l'ensemble des quatre provinces, les enquêtés dési-
gnent en premier lieu la famille nucléaire comme le cadre idéal d'accueil.
La grande famille (famille élargie) est en revanche citée bien après les ONG
et l'Etat. Ces données ont le mérite de montrer que les populations ont pris
conscience que mises à part les familles nucléaires, il importe de recourir aux
personnes morales comme les ONG ou l'Etat pour aider à la prise en charge
des besoins fondamentaux des enfants. Cette tendance pourrait dénoter le fait
que désormais la prise en charge des orphelins dépasse le cadre de la famille.
L'école au service de la lutte contre le VIII/SIDA pour sa propre
survie
Conscients de l'effet néfaste et destructeur de cette pandémie sur le sec-
teur de l'éducation, les agents du ministère de l'éducation se sont réunis à
Bobo-Dioulasso en février 2002 pour élaborer leur plan sectoriel de lutte
contre le VIHIsida et soumis au Conseil National de Lutte contre le Vlli/sida
et les infections sexuellement transmissibles (CNLS/IST). Dans ce plan
sectoriel, est mentionné l'objectif de réduire considérablement l'effet du
VIHIsida au sein de l'institution scolaire en faisant de l'école non seulement
un lieu de dispensation du savoir mais aussi un cadre de sensibilisation
et d'éducation à la base en vue de promouvoir des comportements positifs
pour juguler la pandémie du VIHIsida dans notre pays. Le plan sectoriel a le
mérite de mettre l'emphase sur les enseignants comme étant les premiers
acteurs de cette lutte contre le VIHlsida. Toutefois, faut-il voir en cela une
mission actuelle assignée à l'école comme un instrument de lutte contre la pan-
démie du VIHIsida ? Demande-t-on encore à l'institution scolaire burkinabé
de nouvelles missions comme cela l'a été à plusieurs reprises ? En effet, faut-il
rappeler que cette école fut au lendemain des indépendances le creuset pour « la
création de la Nation », ensuite le bastion« du développement des idéaux révo-
lutionnaires »puis, au début des années 1990, l'instrument privilégié pour aider
à l'implantation des idéaux et des pratiques démocratiques ?
En tout état de cause, le défi est important et les enseignants qui consti-
tuent un maillon du développement social et économique devraient effecti-
vement trouver un rôle prioritaire à jouer dans la lutte contre le VIH/sida.
Sinon ce sont des efforts de plusieurs années qui pourraient être anéantis.
Rôle des ONG et des associations de prise en charge et de lutte
contre le VIHIsida dans la demande scolaire au Burkina
De nombreuses associations et organisations non gouvernementales
inscrivent la prise en charge des besoins fondamentaux, dont prioritairement
l'éducation des OEY comme une nouvelle piste pour l'action humanitaire.
Au-delà de cette action, il faut y voir une demande scolaire institutionnelle et
associative qui viserait à confronter ou à suppléer la demande des ménages.

191
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

.Cette nouvelle stratégie de scolarisation, tout en ayant le mérite de pouvoir


donner l'opportunité aux OEY d'accéder à l'école, peut toutefois connaître des
limites.
Ces limites sont d'abord manifestes au regard même du nombre d'orphe-
lins et enfants vulnérables en âge d'aller à l'école et ayant besoin de cette
prise en charge scolaire. Par exemple, l'action du Centre d'Information
Culturelle et de Documentation (CICDOC), l'aide d'un consortium d'asso-
ciations de prise en charge et de lutte contre le Vlli/SIDA à Ouagadougou,
n'a pu bénéficier qu'à seulement 10 000 OEY sur une population d'OEY
estimée, selon eux, à 80 0000 pour la rentrée scolaire 2002/2003
(SIDWAYA, 28 oct. 2002).
L'autre limite est relative à la possible marginalisation de ces OEY que
pourrait engendrer la demande scolaire institutionnelle et associative. Ils
pourraient d'une manière ou d'une autre être vus comme les« élèves ou les
scolarisés du VIHIsida ». Une perception que le Secrétaire pennanent du
CNLS n'a pas manqué de relever en déclarant que le cadre familial et com-
munautaire devrait pouvoir jouer son rôle classique dans la demande de sco-
larisation afin que les enfants qui sont soutenus par les associations ne soient
pas stigmatisés dans les écoles et leurs communautés.
Si la demande institutionnelle et associative est réelle et appréciable, il
apparaît souhaitable que cette demande ne soit pas directe mais qu'elle parti-
cipe à appuyer les ménages accueillant les orphelins et enfants vulnérables
ou, tout au moins, en les y associant au premier plan. Cela pennettra aux
familles et ménages qui accueillent des orphelins de se sentir partie prenante
dans l'éducation scolaire de ces enfants.

Conclusion
Le VIHJsida agit de manière importante sur le système scolaire dans sa
globalité. Au niveau de l'offre scolaire, la pandémie du VIHIsida pourrait
remettre en cause tous les plans de développement et les objectifs scolaires
fixés à moyen et long terme. En effet, au regard du fait de l'évolution de la
pandémie au sein du monde scolaire qui touche de plein fouet de nombreux
enseignants et dont les conséquences sont la mortalité élevée en leur sein ou
l'incapacité de ceux qui sont malades à assurer convenablement l'encadre-
ment des élèves, l'école burkinabé pourrait se retrouver dans une situation
délicate. Unl- telle perspective devrait amener les autorités à adopter des stra-
tégies salutaires pour l'école au Burkina.
Un pays comme le Burkina Faso qui fait partie des pays où le taux de séro-
prévalence est élevé pourrait voir ses efforts de promotion scolaire
passés et actuels anéantis. Certes conscient que cette pandémie est un véritable

192
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

danger pour la survie de l'école au Burkina, le secteur de l'éducation s'orga-


nise pour juguler le fléau. Quant aux familles affectées ou infectées par le
virus, la scolarisation des enfants est souvent reléguée au second plan.
En effet, les orphelins se retrouvent de plus en plus à la porte des écoles, non
pas parce que ceux-ci ont des incapacités intellectuelles ou des performances
scolaires médiocres, mais simplement parce que dans le dualisme entre la
survie et l'acquisition du savoir, le premier élément prime souvent. Il est vrai
que des associations et institutions tentent de combler ce fossé de la deman-
de scolaire mais cela reste limité. En plus, il faudrait que ces actions de
scolarisation des OEY s'inscrivent en liaison avec les familles et les commu-
nautés pour éviter que les orphelins et enfants vulnérables bénéficiant de
l'aide scolaire ne soient en définitive stigmatisés.

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195
ACCÉS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Conditions socio-économiques et rendement


scolaire des élèves sous tutorat à Ouagadougou :
une approche des relations entre la famille
« tutorale » et les résultats à l'école

Komla LOKPO*

Introduction
La crise qui secoue les systèmes éducatifs est presque générale à tous
les pays africains. Les possibilités pour les gouvernements de faire face
aux besoins ont largement diminué. Au Burkina Faso, les solutions aux
problèmes éducatifs se sont davantage focalisées sur la création de nou-
veaux collèges et lycées, l'augmentation des classes et des bâtiments afin
de permettre à chaque enfant de trouver une place à l'école. Par contre,
les effets des conditions socio-économiques des familles sur les pratiques
scolaires ne sont pas pris notamment en charge et l'intérêt pour l'amélio-
ration des conditions de vie des enfants dans leur milieu est quasi absent
des politiq ues d'éducation.
Placer son enfant auprès d'un parent dans une famille d'accueil est une pra-
tique sociale assez répandue dans la ville de Ouagadougou. On sait qu'un grand
nombre d'élèves n'ont pas leurs parents résidant à Ouagadougou : mais com-
ment vivent-ils et dans quelles conditions s'effectue la fréquentation scolaire?
Cette communication (qui présente les résultats d'une étude menée dans le
cadre d'un mémoire de maîtrise en sociologie en 1998) traite de la situation des
élèves vivant dans les familles d'accueil dans le cadre de leur scolarité.
Aborder le rapport des élèves à l'école sous l'angle des conditions
environnementales conduit logiquement à introduire la problématique du
tutorat comme relais entre la famille d'origine et l'école et ses incidences
sur les performances académiques. La famille « tutorale » qui peut se
définir comme une société restreinte est aussi un groupe majeur fondé sur
l'autorité du tuteur. Les pouvoirs économique, culturel et moral reviennent
au tuteur et il est appelé à gérer le quotidien de ses membres et à mettre
l'élève accueilli dans des conditions favorables à sa réussite scolaire.
Or, la famille du tuteur en tant que groupe social crée un type de relations
particulières liées aux systèmes de valeurs, aux normes, aux croyances ...
qui définissent la vision du monde du tuteur qui oriente les rapports au sein

* Sociologue, assistant de recherche

197
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

de la famille. Le tuteur, son épouse, l'élève et les autres membres de la


famille se situent les uns par rapport aux autres dans des relations spéci-
fiques régulées et socialement reconnues agissant et interagissant dans un
effort d'intégration et de cohésion familiale. Mais· l'élève peut se sentir en
marge de ce système de légitimation bien qu'il vive dans cette nouvelle
famille qui l'a reçu. Cela peut survenir quand le tuteur n'a pas pleine
conscience du rôle qu'il doit jouer vis-à-vis de l'élève accueilli, soit par
ignorance ou négligence, soit pour des raisons évidentes ou inavouées.
L'élève ne se sentant plus en sécurité dans la famille« tutorale », les rap-
ports interpersonnels au sein de cette famille et singulièrement ceux avec
le tuteur apparaissent à cet effet comme un élément décisif pouvant influer
sur la fréquentation scolaire et les perfonnances académiques.
En abordant cette problématique du tutorat, il s'agit de détenniner les
différents liens qui peuvent exister entre les conditions socio-économiques
des élèves vivant auprès d'un tuteur à Ouagadougou et leur rendement
scolaire. Une hypothèse centrale a été construite et qui suggère une exis-
tence supposée de corrélation positive entre conditions socio-économiques
et rendement scolaire. Cette hypothèse centrale est soutenue par deux
hypothèses secondaires qui anticipent une relation de cause à effet entre la
profession du tuteur, le degré d'intégration de l'élève dans la cellule fami-
liale du tuteur et les résultats scolaires.
Les résultats de l'enquête (qui font état des caractéristiques sociales de la
famille d'origine des élèves, de leurs conditions de vie dans les familles
d'accueil et de leur rendement scolaire) sont exposés en six points après avoir
explicité la méthodologie et les données utilisées.

Méthodologie et données utilisées


Le choix des écoles, des élèves et de leurs tuteurs nécéssite la combi-
naison des techniques d'échantillonnage probabiliste, systématique et des
quotas. Sont concernés par l'étude le premier cycle du secondaire des éta-
blissements d'enseignement général public ou privé. Pour l'année acadé-
mique 1997/1998, on dénombre dans la ville de Ouagadougou 53 lycées
et collèges. Un taux d'échantillon de 15 % correspond à 8 lycées et
collèges regroupant 112 élèves (51 filles et 61 garçons) à enquêter. Les
établissements secondaires concernés sont: collège privé Trikouni, lycée
Saint Joseph, collège privé Saint Christophe, lycée Marien N'gouabi,
lycée Bambata, lycée Philippe Zinda Kaboré, lycée Mixte de Gounghin,
lvcée privé Zémaguida.
Pour l'enquête auprès des tuteurs, après les entretiens exploratoires, nous
avons estimé que le maximum d'infonnations pouvait être obtenu auprès des
élèves eux-mêmes, soit 85 % et que la part des tuteurs ne représentait que

198
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

15 %, soit 20 tueurs. Tandis que les élèves et les tuteurs ont été soumis aux
questionnaires, des entretiens individuels ont été menés auprès des personnes
ressources (proviseurs, directeurs et fondateurs d'école, directrice de l'enfan-
ce du Ministère de l'action sociale et de la famille).
Ces deux instruments d'observation ont été conçus sur la base de deux
types de variables. Il s'agit de variables classiques, qualitatives et quanti-
tatives (le sexe, la religion, l'ethnie et l'âge) et de variables spécifiques
liées au phénomène observé (niveau de revenu du tuteur, profession du
tuteur, profession du père, profession de la mère, lieu de résidence du père
et de la mère, l'habitat et le cadre de vie de la famille d'accueil, quartier
de résidence du tuteur, niveau d'étude du tuteur, diplôme du tuteur, situa-
tion matrimoniale du tuteur, relations interpersonnelles du tuteur, l'am-
biance du milieu de vie, relations personnelles de l'élève avec le tuteur,
nombre de personnes à charge du tuteur, relations de l'élève avec l'entou- .
rage immédiat, relations de l'élève avec les autres élèves, relation de
l'élève avec les enseignants, la classe par rapport à la durée de scolarisa-
tion, le classement de l'élève, redoublement, abandons, exclusion).
Dans cette étude, nous proposons de définir le tuteur (ou tutrice) comme
toute personne physique, différente des parents géniteurs, chargée de pro-
téger et de soutenir un« mineur non émancipé )), de gérer ses biens et de
pourvoir à ses besoins. Un tuteur se singularise des parents géniteurs car il
peut ne pas considérer la protection du mineur comme une « obligation
morale )) en s'occupant moins de lui que ne le feraient les parents biolo-
giques. Par cette définition précise, nous excluons des élèves bénéficiant
d'aides matérielles d'une autorité morale ou des élèves assistés matérielle-
ment ou financièrement de parents ou amis, mais qui ne sont pas directe-
ment sous leur contrôle. Sont également exclus des élèves vivant en
location à moins que le propriétaire de l'habitation n'ait un « droit )) de
surveillance sur ceux-ci.
Les tuteurs, au regard de la place occupée dans la société en fonction de
leur profession, peuvent être regroupés en catégories socioprofessionnelles
(CSP) suivantes : CSP 1 = agriculteurs et éleveurs ; CSP 2 = ouvrier
(manœuvres, plantons, chauffeurs, magasiniers, gens de maison, travailleurs
=
migrants vers les pays voisins) ; CSP 3 artisans urbains (tailleurs, sou-
deurs, bouchers, menuisiers disposant souvent d'une entreprise gérée sur la
base familiale ou avec un salariat très limité-l, 2 ou 3 employés-) ;
CSP 4 =grands commerçants, fonctions libérales ; CSP 5 = fonctionnaires
et militaires ou bureaucrates. Les résultats de l'analyse des données de
l'enquête sont les suivants.

199
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Les résultats : présentation et discussion


Une forte proportion d'élèves qui vivent chez des tuteurs est issue de
familles paysannes économiquement défavorisées et résidant pour la
plupart en milieu rural.
Un peu plus d'un élève sur deux ont un père cultivateur (54,5 %) suivis
d'enfants de retraités et/ou décédés (16 %) et de fonctionnaires (14,3 %).
Les ouvriers, artisans et commerçants sont représentés dans les proportions
respectives de 6,3 %,3,6 % et 5,3 %. Ce résultat suggère que le flux migra-
toire en matière de scolarisation des zones rurales du pays vers Ouagadougou
touche encore une frange importante de la population scolaire. Cela dénote
aussi de l'insuffisance de l'offre scolaire à l'intérieur du pays et d'une forte
concentration d'écoles à Ouagadougou (SANOU, 1985 ; SOULE, 1989).
Pour une famille de grande taille avec de nombreux enfants à scolariser et
surtout avec un revenu faible et irrégulier, le tutorat se présente aux parents,
notamment pauvres, comme une sorte de solidarité qui allège les charges sco-
laires. Les 2/3 des élèves viennent de la Région du Plateau central et le tiers
des élèves viennent de l'Ouest et du reste du Burkina Faso.

60%
54,5%
50% -

40% -,-.
-;!!..
0
c
Q) 30%
c
0
t 20% 14,3 % 16 %
0
a.

- • 1 1
....
0


0.. 10% 6,3% 5,3%
3,6%

0%
CSP1 CSP2 CSP3 CSP4 CSP5 Autres
Catégories socio-professionnelles

Graphique 1. Regroupement des élèves selon la profession du père.


(Source: Données d'enquête avril- mai 1998).

Les données de l'enquête montrent que les familles de fonctionnaires


(37,5 %) accueillent prioritairement les élèves de familles de commerçants
(18,8 % ), de personnes à la retraite (14,3 % ) et d'artisans (12,5 %).
Les tuteurs cultivateurs et ouvriers n'accueillent respectivement que 8 %,
et 8,9 % des élèves.

200
ACCÈS A LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

40% 37,5%

35%

30%

25%

20%

15%

10%

5%

0%
CPS1 CPS2 CPS3 CPS4 CPS5 Autres

Graphique 2. Regroupement des élèves selon la profession du tuteur.


(Source: Données d'enquête avril- mai 1998)

• Les élèves ayant des tuteurs économiquement démunis échouent


plus facilement
Le nombre de redoublements par élève dans le cycle indique nettement
que les élèves issus de couches sociales supposées pauvres de la société
(agriculteurs/éleveurs, ouvriers et retraités) échouent (57,1 %) globalement
plus que le reste des élèves (48,1 %) vivant auprès des tuteurs supposés riches
(commerçants/profession libérale, fonctionnaires/militaires et artisans).
Le Khi-deux obtenu (3,38 pour 4 degrés de liberté) comparé à celui lu sur la
table R. A. FISHER atteste un lien significatif.

Tableau 1. Répartition des élèves selon la profession du tuteur et les résultats


scolaires.
Résultats
CSP Succès Échec Total
Tuteurs supposés pauvres 15 (42,9) 20 (57,1) 35 (31,3)
Tuteurs supposés riches 40 (51,9) 37 (48,1) 77 (68,7)
Total 65 (49,1) 57 (50,9) 112 (100)
Source: Données d'enquête/ avril-mai 1998

201
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

• Un réel problème de soutien (matériel et financier) pour les


élèves vivant auprès des tuteurs
Un tuteur sur deux ne paye ni la scolarité ni la cotisation de son filleul
(50 %). La même proportion de tuteurs évalue une dépense annuellement
entre 5 000 F CFA et 15 000 F CFA pour les effets d'habillement et 30 %
des tuteurs y consacrent moins de 5 000 F CFA par an. En matière de four-
nitures scolaires 15 % de tuteurs n'achètent quasiment rien ; 60 % des
tuteurs estiment leurs dépenses annuelles en fournitures scolaires entre
5 000 F CFA et 10 000 F CFA et 10 % des tuteurs fixent les leurs entre
20 000 F CFA et 30 000 F CFA.
Le nombre de bourses nationales (dont le montant était de 82 080 F
CFA par an) qui pouvait soutenir les efforts des tuteurs s'amenuise consi-
derablement et n'en bénéficient que 12,5 % seulement des élèves enquêtés,
alors que le soutien des parents est rare et n'arrive pas à couvrir les besoins
de ceux-ci. 56,3 % des élèves jugent insuffisant le soutien reçu et 26,8 %
des élèves affirment n'avoir qu'un soutien moral. 14,3 % n'ont aucun
soutien et doivent compter sur l'effort personnel ou la générosité d'autres
personnes.
• L'investissement des tuteurs dans la scolarité de leurs filleuls
dépend à la fois des moyens fmanciers mais aussi de la volonté de
ceux-ci de s'occuper effectivement des élèves qui leur sont confiés
Le manque de matériels scolaires est constaté au niveau de tous les élèves
(44,4 %), des élèves ayant des tuteurs cultivateurs/éleveurs, (60 %) des
élèves ayant des tuteurs ouvriers, (71,4 %) des élèves ayant des tuteurs
artisans, (52,9 %) des élèves ayant des tuteurs commerçants/profession libé-
rale et (62,7%) des élèves ayant des tuteurs à la retraite, excepté ceux vivant
auprès des tuteurs fonctionnaires/militaires qui en manquent dans une
proportion relativement moindre de 28,6 %. Ce qui laisse imaginer que la
profession du tuteur ne constitue pas un gage pour venir en appui à l'élève en
matière de matériels scolaires.
• La difficile cohabitation entre l'élève et la famille d'accueil
augmente le risque d'échec scolaire
Le tableau ci-dessous indique que les élèves qui ont de bons rapports avec
leurs tuteurs réussissent mieux (53,9 %) que ceux qui disent avoir des
rapports conflictuels avec leurs tuteurs ou avec d'autres membres de la
famille (36,1 %).

202
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

Tableau II. Répartition des élèves selon l'importance des relations avec les
tuteurs et les résultats scolaires.
Résultats
Relations Succès Échec Total
Bonnes 41 (53,9) 35 (46,1) 76 (67,9)
Pas bonnes ou Mauvaises 13 (36,1) 23 (63,9) 36 (32,1)
Total 54 (48,2) 58(51,8) 112 (100)
Source: Données d'enquête/avril-mai 1998. X2 =5,08 dl =2 P =0,05
40 élèves sur 112, soit une proportion non négligeable de 35,7 % affir-
ment avoir des rèlations particulièrement difficiles avec les épouses de leur
tuteur et 8 élèves sur 112 (7,2 %) affirment être l'objet de critiques et de
mépris de la part d'autres membres de la famille d'accueil.
Quelques exemples de propos recueillis :
- « Je suis une fille de 14 ans. Je suis en classe de 4'. et je vis avec
mon oncle paternel. L'épouse de mon tuteur ne me considère pas
comme ses propres enfants, elle me déteste, elle me fait savoir que je
ne suis pas chez moi ici .. d'attendre quand je vais me marier. Mon
tuteur aussi me menace, il me disait queje vais « chier» dans la mai-
son si je ne faisais pas attention )).
- « Je suis un garçon de 18 ans. Je suis en 3'. Je vis depuis 3 ans avec
mon cousin et safemme. L'épouse de mon tuteur ne veut pas me voir
de ses yeux. Elle emboîte le pas à son mari .. elle demande au tuteur
de me renvoyer. Elle lui dit des choses que je n'ai pas faites )).
Un peu plus de la moitié des élèves déclarant être« mal à l'aise» chez leur
tuteur présentent une fréquence de redoublements de l'ordre de 64,9 %
contre 45,5 % des élèves se sentant « à l'aise» dans leur famille d'accueil.
Le Khi-deux calculé, comparé à celui lu sur la table de R. A. FISHER (4,3 pour
1 degré de liberté) atteste un lien significatif. Le tutorat comme pratique sociale
et expression d'une forme de solidarité communautaire permet d'accueillir
l'élève et de garantir un certain soutien. Néanmoins, celui-ci pourrait avoir une
situation précaire puisque personne ne peut arbitrer les relations avec la famille
d'accueil et influer sur les prises de décisions concernant le rôle et la fonction
de l'élève, ce qui peut être préjudiciable à ses résultats scolaires.
• Les difficultés de concilier les travaux domestiques et l'appren-
tissage scolaire sont susceptibles de freiner la réussite, surtout
pour les filles qui doivent jouer le rôle de« domestiques ~
La presque totalité des élèves des deux sexes font des travaux domestiques
de différents ordres, les filles (94,2 %) davantage que les garçons (86,9 %).
Si pour certains la conjugaison des tâches domestiques et l'apprentissage

203
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

scolaire se passe sans gêne, d'autres au contraire affirment avoir des


difficultés. Les différents propos recueillis auprès des élèves convergent sur ce
point: voici en exemple le témoignage d'une élève en classe de 4< :
« Je suis une fille de J 7 ans et je vis avec mon tuteur depuis 5 ans.
Les relations entre mon tuteur et moi sont mauvaises. Je le sais par ses
manières. Le matin, je dois servir le petit déjeuner à tout le monde,
balayer seule la cour, la maison, souvent même laver la maison le matin
avant de venir à l'école. Je suis exposée aux besoins de toute lafamille
saufle boy. Mon tuteur me déteste du fond de son cœur. Il n 'a pas pitié
de moi, il me frappe, m'insulte à chaque moment. Je sais bien que s'il
pouvait me tuer, il allait le faire avant qu'une seconde ne passe. »

Dans les différentes communautés socioculturelles du Burkina Faso, les


tâches domestiques sont une partie intégrante de l'éducation et jouent une
fonction de socialisation des enfants et singulièrement des filles afin que
celles-ci se préparent au futur rôle de mère et d'épouse. Mais on ne sait vrai-
ment pas où s'arrête cette fonction de socialisation et où commence l'exploi-
tation. On peut ainsi se demander comment après un tel effort physique au
petit matin un élève peut être en éveil à 7 heures pour suivre les cours.

Conclusion
L'enquête montre clairement que plus de la moitié des élèves rencontrés
sont issus de familles économiquement défavorisées et de parents cultiva-
teurs, démunis, avec un revenu fortement tributaire de la nature et des aléas
climatiques. Ces agriculteurs n'ont pas un revenu régulier comme c'est le cas
des fonctionnaires, ce qui les oblige parfois à placer leurs enfants auprès
d'autres parents quelquefois avec transfert des charges scolaires.
L'analyse cumulative qui a pris en compte le nombre total de redouble-
ments par élève pendant le cursus scolaire montre que les élèves ayant des
tuteurs supposés déshérités (agriculteurs/éleveurs, ouvriers et retraités) sont
les plus exposés aux échecs scolaires. Ceci s'explique par un manque de
moyens qui traduit l'incapacité des tuteurs, se situant au sein des couches
sociales défavorisées, à offrir aux enfants de bonnes conditions d'études.
Ainsi, l'échec scolaire peut être mis en rapport avec les mauvaises conditions
de travail et donc avec l'origine sociale en ce sens que la capacité ou l'inca-
pacité de la prise en charge de la scolarité de l'élève est fonction de la caté-
gorie socioprofessionnelle du tuteur. Mais la volonté du tuteur de s'occuper
véritablement de l'enfant qui lui est confié intervient aussi comme un facteur
déterminant des rapports interpersonnels et du succès scolaire.
La situation socio-économique des élèves sous tutorat et son impact sur
leur rendement scolaire procède donc d'une combinaison de facteurs
multiples qui interviennent en interaction. Les quelques résultats présentés ici

204
ACCÈS À LA SCOLARISATION: DÉTERMINANTS ET DISPARITÉS

posent assurément plus de questions qu'ils n'apportent de réponses. Ils ne


sont que les prémices d'une démarche analytique en cours devant conduire à
un approfondissement de l'interrelation entre accès à l'éducation et famille
d'origine via le tutorat. Néanmoins, ils suffisent déjà à montrer la pertinence
et l'intérêt du problème dans un contexte urbain, une optique quelque peu
ignorée des travaux de recherches antérieures.

Bibliographie
BAUDELOT c. et ESTABLET R., 1973. L'école capitaliste en France, Maspéro,
(Cahiers libres 213-214).
BELEM I., 1990. Situation sodo-économique et rendement scolaire: Etude d'une
cohorte d'élèves (1985-1989) du lycée Bambata, Mémoire de fin de cycle,
Ouagadougou.
DEP-MESSRS, 1994-1995. Bulletin des statistiques scolaires et universitaires.
KABRE E. Problèmes liés à l'enseignement du français dans les collèges au Burkina
Faso, Mémoire de DEA, Lettres Modernes, Ouagadougou.
MAIGA A., 1990. Scolarité et problèmes socio-économiques dans la province du
Kadiogo : une lecture des échecs scolaires au Burkina Faso, Mémoire de Maîtrise,
Ouagadougou.
SANOU F. et al., 1988. Etude sodo-économique du milieu étudiant de l'Université
de Ouagadougou.
SANOU F., 1985. « Avant-propos pour une réforme de l'éducation au Burkina
Faso : les intérêts des bureaucrates dans l'école et sa reforme» in Annales de
l'école supérieure de lettres et des sciences humaines ; N° 7, p. 191-283.
YE O. O., 1991. Le problème de la baisse de la qualité de l'enseignement: Mythe
ou réalité : une analyse des problèmes de l'enseignement au Burkina Faso. Un cas :
les établissements secondaires de Ouagadougou, Mémoire de Maîtrise, Ouagadougou.

205
Quatrième partie:
Langues et éducation
.'! .
LANGUES ET ÉDUCATION

Le français : évaluation des niveaux


de compétence des scolaires au Burkina Faso

Anselme YARO' et Daniel BARRETEAU"

Introduction
Au Burkina Faso où l'on compte une soixantaine de langues « nationales »,
l'acquisition, la pratique et la maîtrise de la langue française sont primor-
diales pour les scolaires: bien que langue seconde pour la grande majorité, le
français est la langue officielle du pays, la langue d'enseignement et de tra-
vail. Pourtant, en dépit des initiatives développées dans le système éducatif,
on mentionne fréquemment la faiblesse des niveaux, le problème étant que
l'on ne connaît ~ffectivement que fort peu de choses sur les niveaux de
maîtrise du français par les scolaires.
La mesure de ces niveaux de compétence des élèves en français (CM2, 3',
Terminale), ainsi que l'identification des déterminants de l'échec scolaire
étaient précisément l'objectif principal de la thèse d'Anselme Yaro (2004)1.
Plusieurs questions se posaient alors : quels sont, effectivement et objec-
tivement, les niveaux de compétence en français des scolaires au Burkina
Faso ? Comment ces niveaux sont-ils échelonnés selon les degrés de scola-
risation et les milieüx ? A quel niveau d'étude peut-on dire qu'un élève est
véritablement « francophone» ? Une telle étude, basée sur un test reconnu
intemationalement, devrait permettre de comparer nos résultats avec ceux
que l'on pourrait obtenir partout ailleurs dans le monde: en banlieue pari-
sienne, au fin fond de la campagne française, aux Antilles, à Madagascar, au
Maghreb ... Il serait, en effet, extrêmement important « d'étalonner» nos
résultats en les comparant à des situations différentes dans d'autres pays
'. « francophones ».

Pour des raisons évidentes de limitation, nous exposons ici nos résultats de
façon concentrée. Après une brève introduction où nous expliquerons notre
méthodologie, nous distinguerons les différentes compétences:
la compréhension orale, la compréhension écrite, la production orale, la pro-
duction écrite. Une synthèse permettra de situer, de manière globale, les niveaux
de compétence en français des scolaires. Des leçons pourraient en être tirées de
manière à renforcer le système éducatif en l'adaptant au mieux aux acquis.

• Sociolinguiste, chargé de programme à l'ONG Tintua (Burkina Faso) .


•• Linguiste, Directeur de recherche, IRD.

1 L'étude présentée ici reprend certains des principaux résultats de cette thèse.

209
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Méthodologie et sources de données


L'étude sus-citée s'est appuyée sur le test d'Abidjan, élaboré par Robert
CHAUDENSON et al. (1997). Ce test ne vise pas à un classement des fran-
cophones selon une simple dichotomie, mais plutôt à les évaluer sous diffé-
rents aspects en les situant dans une échelle de compétences. Les unités et les
structures évaluées relèvent de la phonétique, du lexique et de la grammaire.
Dans le test, les candidats doivent répondre à des questions orales et écrites,
raconter des histoires présentées par les images, remplir des cases dans des
exercices à trous ou répondre à des questions à choix multiples. On utilise des
supports oraux, écrits et visuels. Il implique que l'on effectue des enregistre-
ments et que l'on relève des réponses écrites. Le barème de notation est équi-
libré : il permet de comparer les types de compétence. Chaque série comptant
100 points, le total des points pour l'ensemble du test est de 400. Dans le prin-
cipe, la moyenne générale requise de 8,75/10 garantit qu'un locuteur atteint le
«Seuil Minimal Individuel de Compétence» en français (SMIC) et donc qu'il
est effectivement francophone. Le test porte sur quatre types d'épreuves,
caractérisant quatre types de compétence: compréhension orale (CO),
compréhension écrite (CE), production orale (PO) et production écrite (PE).
Les résultats globaux permettant de situer le pourcentage de « vrais » fran-
cophones, en respectant strictement la grille d'évaluation et les seuils établis par
Robert CHAUDENSON et al. (1997), auraient donné 73,3 % en terminale,
35 % en troisième et 2,1 % en CM2. Compte tenu de la faiblesse de ces résul-
tats, il nous a paru que l'appréciation semblait trop « sévère », au vu de notre
perception intuitive de la situation. Nous avons donc estimé plus judicieux de
baisser le seuil. Mais comment opérer cet ajustement sans attribuer le statut
sociolinguistique de « francophones» à des sujets qui ne le « méritaient» pas
(en tombant dans une largesse excessive) ? Pour cela, considérant que les
meilleurs élèves de CM2 étaient« francophones », nous avons ramené le SMIC
à la moyenne déduite des meilleures notes des classes de CM2 (en prenant la
meilleure note de chaque classe), soit une moyenne de 8,2110 que nous avons
arrondie à 8/10. En conséquence, la moyenne du SMIC a été rabaissée dans
cette étude de 8,75 à 8/10, soit à un total de 320/400 au lieu de 350/400.
Les résultats seront présentés sous forme de moyennes sur dix ou de
pourcentages de scolaires parvenus à tel ou tel niveau de compétence, des
« paliers ». Nous procéderons par types de compétence avant d'effectuer des
comparaisons, puis la synthèse.
L'étude portait sur 28 classes (14 classes de CM2, 8 classes de 3" et
6 classes de Terminale) et 280 élèves (10 élèves par classe), issus du milieu
rural (Pouni-Zawara-Zamo), semi-rural (Koudougou-Réo, Fada N'Gourma)
ou urbain (Ouagadougou). Les trois niveaux choisis (CM2, 3", Terminale)
marquent des fins de cycle.

210
LANGUES ET ÉDUCATION

La compréhension orale
Bien que les compétences individuelles soient caractérisées par une cer-
taine homogénéité (95 % de moyennes supérieures à 8/10), leur degré de
concentration est fonction des niveaux d'étude: il progresse du CM2 à la ter-
minale et notamment du CM2 à la troisième. Quant aux performances elles-
mêmes, elles évoluent dans le même sens. Elles progressent sensiblement
d'un niveau de scolarisation à l'autre, bien qu'il y ait peu de différence entre
la 3" et la terminale. La compréhension d'un français oral fondamental est
acquise depuis le CM2 : 87,5 % pour les CM2, 100 % pour les troisièmes et
les terminales.

Tableau I. Résultats en compréhension orale selon le niveau d'étude.


10 9 8 7 6 5 4 3 SMIC Moyenne
CM2 8,6 50 27,1 9,3 2,9 0,7 a 1,4 85,7 8,9
3ème 42,5 50 7,5 a a a a a 100 9,7
Terminale 55 45 a a a a a a 100 9,8
Moyenne 28,2 48,9 15,7 4,6 1,4 0,4 a 0,7 92,8 9,3

Les compétences paraissent hiérarchisées selon le milieu. En se basant sur


les totaux des paliers 10,9 et 8 (SMIC), on observe que la compréhension
d'un français oral de base est acquise par une large majorité des scolaires
(Pouni-Zawara-Zamo,90 % ; Koudougou-Réo, 91,3 % ; Fada N'Gourma,
91,4 % ; Ouagadougou, 97,5 %). On observe une certaine hiérarchisation
selon le degré d'urbanisation : les niveaux supérieurs sont atteints plus
fréquemment en zone urbaine.

Tableau Il. Résultats en compréhension orale selon la zone.


la 9 8 7 6 5 4 3 SMIC Moyenne
Pouni 25 50 15 5 a a a 5 90 9,1
Koudougou 20 50 21,3 3,8 3,8 1,3 a a 91,3 9,3
Fada 23,8 51,3 16,3 7,5 1,3 a a a 91,4 9,4
Ouagadougou 42,5 45 10 2,5 a a a a 97,5 9,7
Moyenne 28,2 48,9 15,7 4,6 1,4 0,4 a 0,7 92,8 9,3

Pour l'ensemble des scolaires, il Y a donc une bonne maîtrise de la com-


préhension orale avec une moyenne de 9,3/10. La compréhension d'un
français oral minimal concerne 92,9 % des élèves, ce qui est l'indice d'un
acquis réel.

211
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

La compréhension écrite
Les niveaux des scolaires progressent considérablement du CM2
(6,5/10 en moyenne) à la troisième (9,5/10 en moyenne), niveau à partir
duquel les progrès ne sont plus très sensibles (9,5/10 en terminale).
Par ailleurs, les compétences, très hétérogènes en CM2, paraissent concen-
trées en troisième et plus encore en terminale. Au secondaire, se développent
les capacités pour une compréhension écrite de base : 30 % des élèves de
CM2 atteignent le SMIC contre 95,7 % en troisième et 100 % en terminale.

Tableau III. Résultats en compréhension écrite selon le niveau d'étude.


10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 SMIC Moyenne
CM2 5 8,6 16,4 20,7 12,9 Il,4 Il,4 3,6 7,1 1,4 1,4 30 6,5
3· 46,3 37,5 10 6,3 0 0 0 0 0 0 0 93,8 9,5
Tenninale 73,3 20 6,7 0 0 0 0 0 0 0 0 100 9,8
Moyenne 31,4 19,3 12,5 12,1 6,4 5,7 5,7 1,8 3,6 0,7 0,7 63,2 8,0

Une comparaison des différentes zones fait apparaître une forte hétérogé-
néité des compétences et une hiérarchisation assez nette entre le milieu rural
et le milieu non rural. Les compétences en compréhension écrite sont
acquises par la moitié des scolaires en zone rurale (50 % à Pouni-Zawara-
Zamo), les scores étant inférieurs aux zones semi-urbaines (61,4 % à
Koudougou-Réo ; 66,3 % à Fada N' Gourma) et urbaine (68,9 % à
Ouagadougou).

Tableau IV. Résultats en compréhension écrite selon la zone.


10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 SMIC Moyenne
Pouni 7,5 25 17,5 17,5 10 10 5 2,5 2,5 0 2,5 50 7,5
Koudougou 36,3 16,3 8,8 8,8 7,5 5 5 2,5 7,5 1,3 1,3 61,4 8,5
Fada 36,3 17,5 12,5 15 5 6,25 1,3 2,5 2,5 1,3 0 66,3 8,8
Ouaga 33,8 21,3 13,8 10 5 3,8 Il,3 0 1,3 0 0 68,9 8,8
Moyenne 31,4 19,3 12,5 12,1 6,4 5,7 5,7 1,8 3,6 0,7 0,7 63,2 8,0

La moyenne générale est de 8110. La compréhension d'un français écrit


minimal est acquise par 63,2 % des élèves. Ainsi, elle est peu ou prou
effective chez les scolaires, bien que relativement faible en zone rurale.

La production orale
Les compétences progressent du CM2 à la terminale en passant par la
troisième. La concentration des performances suit les degrés de scolarisation :
très dispersées au CM2, les performances sont plus homogènes en troisième
et encore plus en terminale. L'acquisition de la production d'un français' oral

212
LANGUES ET ÉDUCATION

de base est très faible au primaire (12,1 % atteignent le SMIC), moyenne en


troisième (46,3 %) mais réelle en tenninale (78,3 %). Autrement dit, très
peu de scolaires à l'école primaire produisent, oralement, des énoncés de
qualité linguistique suffisante. Toutefois, cet aspect du discours s'améliore
dans les collèges et les lycées.

Tableau V. Résultats en production orale selon le niveau d'étude.

9 8 7 6 5 4 3 2 SMIC Moyenne
CM2 o 12,1 16,4 35,7 22,1 9,3 2,9 1,4 12,1 6,1
3' 8,8 37,5 37,5 12,5 3,8 o o o 46,3 7,9
Terminale 18,3 60 18,3 3,3 o o o o 78,3 8,4
Moyenne 6,4 29,6 22,9 22,1 12,1 4,6 1,4 0,7 36 7,0

En règle générale, les niveaux sont très hétérogènes. Mais on observe une
certaine hiérarchisation des perfonnances selon les milieux : les moyennes
progressent lorsque l'on passe du contexte rural aux contextes semi-urbain et
urbain. Si l'on ne considère que les moyennes générales, il apparaît que la
production d'un français oral de base n'est acquise dans aucun milieu
(17,5 % à Pouni-Zamo-Zawara ; 25 % à Koudougou-Réo ; 37,5 % à Fada
N'Gourma ; 40 % à Ouagadougou).

Tableau VI. Résultats en production orale selon le niveau d'étude.

9 8 7 6 5 4 3 2 SMIC Moyenne
Pouni 0 17,5 37,5 15 20 7,5 2,5 0 17,5 6,9
Koudougou 2,5 22,5 23,8 26,3 12,5 8,8 3,8 0 25 7,2
Fada 12,5 25 16,3 28,8 12,5 2,5 o 2,5 37,5 7,5
Ouagadougou 7,5 32,5 25 Il,25 15 7,5 1,25 0 40 7,6
Moyenne 6,4 25,4 23,9 21,1 14,3 6,4 1,8 0,7 31,8 7,0

En général, les performances des scolaires sont très hétérogènes. La pro-


duction d'un français oral « minimal» est assurée pour 31,8 % (seulement)
des élèves. Son acquisition est de ce fait minoritaire.

La production écrite
Les compétences sont en relation avec les niveaux d'étude: elles se déve-
loppent très sensiblement du CM2 (moyenne de 5,6/10) à la troisième
(7,1/10), seuil à partir duquel leur évolution devient moins sensible
(7,8/10 en tenninale). Elles manifestent une certaine homogénéité en
tenninale tandis qu'en troisième et au CM2, elles sont très hétérogènes.
Au primaire, les élèves sont très loin d'avoir acquis des compétences pour
une production écrite minimale (2,9 % des élèves atteignent le SMIC).

213
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Quant au secondaire, la production d'un français écrit fondamental est acqui-


se par une minorité en troisième (26,3 %), alors que la moitié seulement des
effectifs atteint ce seuil en terminale (48,3 %).

Tableau VU. Résultats en production écrite selon le niveau d'étude.


9 8 7 6 5 4 3 2 SMIC Moyenne
CM2 0 2,9 14,3 25,7 23,6 18,6 14,3 0,7 2,9 5,6
3" 0 26,3 37,5 17,5 10 6,3 1,3 1,3 26,3 7,1
Tenninale 10 38,3 35 11,7 3,3 1,7 0 0 48,3 7,8
Moyenne 2,1 17,1 25,4 20,4 15,4 11,4 7,5 0,7 19,2 6,5

Si l'on examine les pourcentages d'élèves atteignant le SMIC, quel que


soit le milieu, la production d'un français écrit fondamental n'est acquise
que par une faible minorité (19,2 % des effectifs). Quasi-absente en
contexte rural (10 % à Pouni-Zawara-Zamo), elle s'observe très peu en
contexte urbain (21,3 % à Ouagadougou) ou semi-urbain (26,3 % à
Koudougou-Réo et 15,1 % à Fada N'Gourma). Partout, les niveaux indivi-
duels sont très hétérogènes.

Tableau VIII. Résultats en production écrite selon le niveau d'étude.


9 8 7 6 5 4 3 2 SMIC Moyenne
Fada 1,3 13,8 15 22,5 25 16,3 5 1,3 15,1 6,4
Pouni 0 10 37,5 25 12,5 7,5 7,5 0 10 6,6
Koudougou 1,3 25,0 27,5 12,5 8,8 12,5 12,5 0 26,3 7,0
Ouagadougou 5 16,3 27,5 23,8 13,8 7,5 5 1,3 21,3 7,0
Moyenne 2,1 17,1 25,4 20,4 15,4 Il,4 7,5 0,7 19,2 6,5

La moyenne générale est de 6,5/10. Elle indique que seulement 19,2 %


des scolaires ont acquis des compétences linguistiques « de base » en pro-
duction écrite, les performances individuelles étant très hétérogènes.

Comparaison des types de compétences


En ce qui concerne les types de compétence, quatre observations d'ordre
général s'imposent d'emblée:
-la logique est totalement observée puisque la hiérarchie scolaire est tou-
jours respectée : le niveau s'accroît du CM2 à la 3" puis à la terminale ;
-l'autre logique concerne les types de compétences puisque l'ordre est tou-
jours le même: le niveau augmente au fur et à mesure que l'on passe de la
compréhension orale à la compréhension écrite, puis à la production orale
et enfin à la production écrite ;

214
LANGUES ET ÉDUCATION

- le seuil de 8/10 est atteint au CM2, uniquement en compréhension orale


ce même seuil est atteint en 3e, uniquement pour la compréhension ; enfin,
en terminale, c'est seulement en production écrite que le seuil n'est pas
atteint.

• Compréhension orale o Compréhension écrite


Q Production orale o Production écrite
9,7 9,5 9,8 9,8
10
8
6
4
2
o
CM2 3ème Terminale

Figure 1. Types de compétences selon le niveau d'étude

Au niveau de chaque type de compétence, une hiérarchisation distingue


bien le primaire du secondaire, la troisième s'avérant (souvent) proche de la
terminale. La compréhension d'un français oral de base est acquise depuis le
CM2. En revanche, c'est à partir de la troisième que se développent des
capacités pour une compréhension écrite minimale, tandis que l'acquisition
de la production d'un français oral fondamental est « nulle» au primaire,
assez effective en troisième mais réelle en terminale. En production écrite, au
primaire, les élèves sont très loin d'avoir des compétences minimales.
Au secondaire, les productions écrites « basiques» ne sont guère acquises,
mais elles sont meilleures en terminale. On sortirait donc du secondaire sans
que ne se soient réellement développées des capacités pour produire un
français écrit de niveau minimal.
De ce fait, les différences entre les types de compétences tendent à
s'estomper au fur et à mesure de l'avancée des études. En conclusion, les rap-
ports inter-compétences, relativement constants, montrent que les meilleures
compétences sont « passives» (compréhension) et les niveaux, meilleurs à
l'oral qu'à l'écrit. Retenons que la compréhension orale est acquise à la fin du
primaire, la compréhension écrite en troisième, la production orale en
troisième et surtout en terminale et la production écrite, à la fin du secondaire.

215
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

La hiérarchisation entre les milieux (urbain, semi-urbain, rural) paraît bien


établie puisque l'ordre est presque toujours le même, à savoir que le niveau
croît lorque l'on passe du rural (Pouni) au semi-urbain (Koudougou et Fada)
puis à l'urbain (Ouagadougou), sauf pour la production écrite où la zone de
Fada se situe en dessous de ce que l'on attendrait. Il faut toutefois mettre de
côté la zone de Pouni, puisqu'il n'y a pas de lycées dans cette zone.
L'acquisition des performances minimales par une large majorité des sco-
laires ne se constate qu'en compréhension orale et cela, dans tous les milieux.
Les capacités pour une compréhension écrite de base sont généralement
acquises. Globalement, tous niveaux confondus, il apparaît que la production
d'un français oral de base n'est acquise dans aucun milieu. L'acquisition
insuffisante des capacités minimales est encore plus observable en produc-
tion écrite.

• Compréhension orale o Compréhension écrite


o Production orale o Production écrite

10 9,1

8 7

0
Pouni Koudougou Fada Ouagadougou

Figure 2. Ordre des localités par type de compétence

Dans toutes les zones et pour tous les niveaux de scolarisation, les perfor-
mances sont meilleures à l'oral qu'à l'écrit, en compréhension qu'en
production.
Dans tous les milieux, les performances de base sont effectives en com-
préhension et notamment à l'oral. En revanche, la production d'un français
oral de base ne paraît peu acquise qu'en zone urbaine. Ailleurs, une telle apti-
tude ne concerne qu'une minorité.

216
LANGUES ET ÉDUCATION

Synthèse sur les niveaux en français


La maîtrise de la langue française est très hétérogène au CM2. En
revanche, elle s'uniformise en troisième et davantage encore en terminale.
Les niveaux progressent considérablement du CM2 à la troisième, seuil à par-
tir duquel on ne constate plus guère d'amélioration 2 • On remarquera que le
seuil minimal individuel de compétence francophone est atteint par 100 %
des terminales, 85,1 % des troisièmes et 12,9 % des CM2. Ainsi, c'est au
secondaire que l'on trouve des « francophones confirmés ou réels» (à partir
de la troisième). Au primaire, on a plutôt affaire à des « francophones débu-
tants » ou « francophones potentiels».

Tableau IX. Résultats sur les niveaux de français selon le niveau d'étude.
Classe 9 8 7 6 5 4 SMIC Moyenne
CM2 0 12,9 30 31,4 19,3 6,4 12,9 6,7
Troisième 16,3 68,8 15 0 0 0 85,1 8,5
Terminale 50 50 0 0 0 0 100 9
Moyenne 15,4 36,8 19,3 15,7 9,6 3,2 52,2 7,7

Une certaine hiérarchie s'établit entre les milieux, les niveaux progressant
sensiblement du milieu rural au milieu urbain. En zone urbaine, les franco-
phones confirmés représentent une proportion légèrement supérieure à la
moyenne (56,3 % à Ouagadougou).

Tableau X. Résultats sur les niveaux de français selon la zone.


,

Zone 9 8 7 6 5 4 SMIC Moyenne


Pouni 7,5 40 20 20 5 7,5 47,5 7,6
Koudougou 16,3 37,5 15 13,8 10 7,5 53,8 7,9
Fada 15 33,8 23,8 15 12,5 0 48,8 8
Ouagadougou 18,8 37,5 18,8 16,3 8,8 0 56,3 8,2
Moyenne 15,4 36,8 19,3 15,7 9,6 3,2 55,2 7,7

Conclusion
Tout d'abord, comme nous l'avons expliqué précédemment, la faiblesse des
résultats nous a conduit à estimer que le seuil de 8,75 (sur 10) ou de 350
(sur 400) devait être revu à la baisse afin qu'il colle mieux au niveau du « fran-
çais de base» du Burkina Faso. Nous l'avons donc abaissé à 8/10, soit 320/400.

, La nature du test et surtout son niveau de difficulté ne permettent pas de mesurer très préci-
sément les progrès réalisés entre la troisième et la terminale. Il paraa"t, en revanche, bien
approprié pour évaluer les différences entre les CM2 et les troisièmes.

217
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

En d'autres termes, dans l'espace francophone, il nous semble que des sujets
ont une maîtrise de la langue leur assurant des capacités de communication
sur un registre « de base », « commun» ou « standard », même s'ils
n'obtiennent pas le nombre de points requis initialement par le test pour être
reconnus comme de « vrais francophones »3.
Dans le contexte du Burkina Faso, nous sommes arrivés à la conclusion
que la compréhension orale est acquise au CM2, la compréhension écrite et
la production orale en troisième et la production écrite en terminale. Les pro-
grès sont bien nets du CM2 à la troisième et vérifiables également de la troi-
sième à la terminale. En somme, on peut dire que le SMIC (avec le seuil que
nous avons fixé) correspond bien au niveau atteint par une majorité des
élèves de troisième; peu d'élèves de CM2 atteignent ce niveau tandis que la
totalité des lycéens en terminale dépassent ce seuil. Il y a donc à relativiser
les jugements sur les niveaux des élèves. Les capacités de communication
dans un « français minimal » seraient limitées à l'école primaire. Mais au
secondaire, les élèves finissent par être détenteurs d'un « français de base»
et cela s'observe nettement à partir de la troisième. Une majorité d'entre eux
entre alors dans le cercle des « francophones confirmés ».
Pour comprendre ce « retard» des élèves à atteindre le SMIC francopho-
ne, il faut rappeler la situation du Burkina Faso et de nombreux pays africains
(Niger, Mali, Sénégal, Tchad... ), où les taux de scolarisation sont encore très
faibles. La pratique du français est loin d'être généralisée comme c'est le cas,
par exemple, dans des pays comme le Cameroun (surtout la partie méridio-
nale) ou le Gabon. Parmi les déterminants de l'échec scolaire, il ne faut pas
oublier l'absence de bain linguistique (notamment en milieu rural) et le fait
que les élèves doivent tout apprendre d'une langue « étrangère» dans des
conditions pour le moins défavorables (manque de livres et supports didac-
tiques, effectifs pléthoriques ... ). La progression (quantitative) de la scolari-
sation devrait entraîner une extension de la pratique du français et par la suite,
une amélioration des niveaux de compétence.
Il serait fort intéressant de comparer les résultats obtenus au Burkina Faso
avec des données provenant d'autres pays et situations où le français est une
langue étrangère ou une langue seconde (autres pays « francophones »
africains ou maghrébins, Madagascar, Haïti ...). Il serait, du reste, tout aussi
utile de disposer d'une évaluation similaire en France (en milieu rural, dans
les banlieues des grandes villes avec un fort pourcentage d'immigrés ou dans
les départements d'outre-mer, par exemple en Martinique et en Guyane).
Par comparaison, on pourrait alors mieux apprécier ce qui relève de la spéci-
ficité de la situation des différents pays.

, Les particularismes n'ont pas été considérés comme des fautes.

218
LANGUES ET ÉDUCATION

Dans les tableaux de moyennes par classes, on aura observé certains che-
vauchements : des élèves de CM2 obtiennent parfois de meilleurs résultats
que des élèves de 3e , ou bien des élèves de 3< parviennent à se hisser au
niveau des tenninales. Ceci est observé dans les résultats de types de compé-
tences mais non pas au niveau de la synthèse générale, où la hiérarchie
scolaire est bien respectée. L'hétérogénéité des compétences, notamment en
CM2, doit être mise en relation avec le fait que le passage d'une classe à une
autre est en principe automatique dans le primaire4 (du moins pour les CPI,
CEl et CMI) quel que soit le niveau des élèves; par ailleurs, on n'accepte
qu'un nombre limité de redoublements dans les autres classes. On peut en
conclure qu'il y a certainement un manque de moyens et de techniques péda-
gogiques appropriées pennettant d'équilibrer les niveaux.
Le saut très important observé entre les niveaux des CM2 et des 3e peut
trouver d'autres explications:
-le niveau de difficulté du test pennet effectivement de bien mesurer les
niveaux de cette tranche de scolarisés;
- il y a une réelle progression entre les moyennes générales obtenues par les
élèves de CM2 et par les élèves de 3< ;
-la très forte sélection opérée à l'entrée en 6< (seulement 10 % environ des
élèves du CM2 passent dans le secondaire) explique que le niveau moyen
de compétence des élèves en 6e soit déjà nettement meilleur que celui des
CM2 (cela resterait à démontrer en effectuant des tests auprès des élèves
de 6<).
Les résultats que nous avons obtenus ont montré très clairement que les
compétences étaient plus affinnées à l'oral qu'à l'écrit d'une part et davanta-
ge en compréhension qu'en production d'autre part. Il paraît assez logique
que l'acquisition d'une langue secondaire ou d'une langue « étrangère»
suive cette progression: de l'oral à l'écrit et de la compréhension à la pro-
duction. Mais il faut tout de même souligner un éventuel biais relatif à la
quantité et la complexité des questions posées et des critères retenus dans le
test. Pour être jugé compétent en production écrite, il faut satisfaire à un
grand nombre de conditions et pouvoir produire une quantité importante de
textes (phrases, mots, etc.) : c'est la condition première pour obtenir de bons
résultats. Il semble donc que ce test d'évaluation mette la barre très haut en
matière d'écrit et de production. Selon le test d'Abidjan, les « vrais» franco-
phones doivent être des lettrés. Dans ce jeu, les jeunes élèves de CM2 du
Burkina Faso ne sont pas favorisés : ils écrivent très peu et ils commencent
seulement à maîtriser, oralement, la langue officielle.

• Depuis la mise en œuvre du PDDEB, le passage est en principe automatique (pas de redou-
blement) au CPI, CEl et CMl, et le redoublement limité dans les autres classes.

219
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Il ressort que les élèves de CM2 ont des compétences essentiellement


passives (compréhension), tandis que les élèves du secondaire parviennent à
des compétences actives (production). La différence essentielle entre les
élèves de troisième et de terminale se situerait au niveau de la production
écrite. Les comportements actifs dans le maniement de la langue française
sont rares en milieu rural (du moins dans le primaire). En revanche, quelques
capacités de production apparaissent en zone urbaine. Sur un plan général, les
résultats sont meilleurs à l'oral qu'à l'écrit, en compréhension qu'en produc-
tion. Tel paraît bien être le mode d'appropriation du français à l'école. Les
méthodes pédagogiques ne sont pas suffisamment orientées vers la pratique.
Dans l'ensemble, les niveaux en français sont faibles et disparates dans le
primaire ; ils s'homogénéisent et s'améliorent en passant dans le secondaire.
En bref, nous pouvons caractériser les élèves du primaire comme des
« francophones de niveau indéterminé », des « francophones débutants ou
potentiels ». Il faut attendre et atteindre les niveaux de troisième, voire de
terminale, pour trouver des « francophones confirmés », le test mettant
clairement en avant les difficultés pour atteindre un seuil correct en produc-
tion écrite.
L'élève termine souvent sa scolarité primaire avec une faible maîtrise du
français, notamment à l'écrit et en production. Généralement, son niveau
ne lui permet pas « d'avoir une expression orale spontanée, naturelle »,
de « savoir s'exprimer oralement et par écrit» ou de « maîtriser la lecture et
l'écriture de textes simples portant sur ses réalités quotidiennes ». Ce constat
est relativement alarmant, mais il faut bien se rendre à l'évidence : dans les
conditions historiques, sodo-économiques et culturelles du Burkina Faso, à
l'heure actuelle, ou bien il conviendrait de réviser fondamentalement les
méthodes et les pratiques d'enseignement (en adoptant, par exemple, des
méthodes d'enseignement bilingue dans des contextes appropriés et des
conditions convenables), ou bien il faut prolonger la scolarisation pour que
les élèves parviennent effectivement à un niveau de compétences minimales
en français. En tout état de cause, la notion d' «éducation de base» devrait
certainement être reconsidérée. Un complément d'apprentissage pour les sor-
tants du primaire, axé sur une mise en pratique active des acquis, semble
indispensable pour que l'école soit plus en phase avec la société. Par ailleurs,
le niveau des élèves de 3e , susceptibles d'être recrutés comme enseignants du
primaire, devrait être sérieusement évalué et amélioré par des compléments
de formation de façon à maintenir une certaine qualité de l'enseignement.
Les voies du développement sont étroites: elles passent par de l'ambition
(long terme) et de la négociation (court terme). Comment répondre à des
impératifs de quantité (augmenter le taux de scolarisation) tout en préservant
la qualité de l'éducation ?

220
LANGUES ET ÉDUCATION

Bibliographie
BARRETEAU D. (éd.), 1998. Système éducatif et multilinguisme au Burkina Faso.
Recueil d'articles, Ouagadougou, ORSTOM.
BARRETEAU D., BATIANA A. et YARO A., 1999. Évaluation des niveaux des
élèves des écoles satellites, Ouagadougou, IRD - Université de Ouagadougou,
AREB,48 p.
CHAUDENSON R. (dir.), 1997. L'évaluation des compétences linguistiques en
français. Le test d'Abidjan, Paris, CIRELFA - ACCT, Didier Érudition, 206 p.
LEMÉTAYER L.-G., 1999. Le français au Burkina Faso. Évaluation des compé-
tences en français des scolaires, Mémoire de DEA de Linguistique générale appli-
quée, Université Paris V - René Descartes, 74 p.
YARO A., 2004. Le français des scolaires au Burkina Faso: niveaux de compé-
tences et déterminants de l'échec scolaire (sous la direction de N. Nikièma et D.
Barreteau), Université de Ouagadougou, Département de Linguistique, 602 p.

221
LANGUES ET ÉDUCATION

Les langues d'enseignement et l'enseignement


des langues au Burkina Faso : le cas de l'arabe!

Mamadou Lamine SANOGO', Hamed ABUHADRA"

Si la question des langues demeure cruciale dans les politiques africaines


post-coloniales, il faut reconnaître qu'elle reste variable suivant les langues
et les situations dans les différents pays. Aussi, les solutions envisagées dans
les politiques nationales et/ou sous-régionales devront-elles se fonder sur des
travaux de recherche mettant l'accent sur la description la plus juste possible
des réalités africaines.
Nous inspirant de l'évolution d'un monde plurilingue où les relations
entre les langues deviennent de plus en plus complexes devant les enjeux
économiques, géopolitiques et géostratégiques de toute sorte, nous envisa-
geons étudier la situation, la place de l'arabe dans le système éducatif du
Burkina Faso.
Notre intérêt dans cette étude est fondé sur l'histoire de la langue arabe
dans l'Afrique noire de façon générale et dans les contrées musulmanes du
Burkina Faso en particulier. Cette langue jadis associée à l'expansion de
l'islam en Afrique au Sud du Sahara a formé les premières élites africaines
dans ces régions. Les marabouts et autres érudits issus de ces écoles ont
conseillé les grands rois africains dont Soundiata Keita. Un roi comme
Amadou Sekou Tall du Macina a brillé dans sa contrée non seulement grâce
à son organisation et à sa gestion mais surtout à cause de son statut d'érudit.
Les grandes cités marchandes comme Tombouctou, Djenné et Kano étaient
aussi de grands centres de diffusion du savoir en arabe essentiellement.
Les marabouts de ces villes avaient aux yeux de la société une valeur et un
prestige réels. Ce n'est donc pas un hasard si le pouvoir colonial a été parti-
culièrement sévère envers les marabouts et leurs écoles car ils constituaient à
leurs yeux de véritables obstacles à la mission civilisatrice.

, Chargé de recherches à l'Institut des sciences des sociétés (INSS/CNRST).


" Chercheur associé à l'Institut des sciences des sociétés (lNSS/CNRST).

, Le présent texte est une version résumée d'un rapport d'étude disponible sous le même titre
en multigraphiée de 42 pages. Il constitue l'étape actuelle de nos réflexions sur la place et
le rôle de l'arabe dans le système éducatif burkinabè. D'autres recherches sont envisagées
afin de répondre aux questions restées en suspend tel le rôle des confréries, la politique de
l'Etat ainsi que le système maraboutique et leurs influences sur ces écoles.

223
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Le Burkina Faso à l'instar des anciennes colonies françaises fait partie de


l'espace géopolitique francophone caractérisé par ses exigences à l'égard de
la langue française. La gestion des nombreuses langues est perçue comme
une diffIculté devant la suprématie du français et la montée de l'anglais au
rang de langue planétaire. Aux 59 langues nationales, il faut ajouter le fran-
çais, l'unique langue officielle, l'anglais, la seconde langue d'enseignement
obligatoire, l'arabe, une langue facultative dans le système d'éducation offi-
cielle, tout comme l'allemand, l'espagnol, le latin, etc. Toutes ces langues
sont présentes dans un même Etat et la place de chacune se définit dans
l'ensemble sociolinguistique caractérisé par les dynamiques particulières.
Si la politique linguistique du Burkina Faso se caractérise par une hégé-
monie de fait du français, il faut retenir que les autres langues remplissent des
fonctions ou représentent certains symboles, rôle que ne peut pas toujours
assurer le français. C'est le cas de l'arabe, langue d'enseignement en Afrique
noire depuis l'introduction de l'islam. Très liée au Coran, elle revêt tout son
caractère de « langue sacrée », de « langue de Dieu » dans l'inconscient
collectif de nombre de musulmans. Par conséquent, sa connaissance est non
seulement un devoir mais aussi, une chance, voire une bénédiction car c'est
encore« la langue du paradis».
Mais l'histoire des langues étant liée à celle des peuples qui les parlent,
nous assistons de nos jours à un déclin sans précédent de celle-ci dans le
domaine de l'éducation. Ainsi, la langue des érudits de jadis n'est plus ensei-
gnée que dans des écoles en quête de leur identité et de leur perspective.
En plus, le public de ces écoles n'a pas de débouchés certains.
L'enseignement de l'arabe au Burkina Faso peut être qualifié de parent
pauvre du système d'enseignement des langues. De même, les écoles où
l'arabe est utilisé soit comme médium ou soit comme matière ne répondent
pas aux exigences de la société à savoir : amener les apprenants à avoir des
aptitudes à s'intégrer dans la société et à la transformer. Tout se passe comme
si les écoles en arabe conduisaient vers une incertitude, voire l'exclusion.
sociale.
Cependant, les enfants continuent d'aller dans ces écoles et les popula-
tions y croient encore. Plus encore, ces écoles occupent plus de 50 % de l'en-
seignement privé et plus de 70 % de l'enseignement primaire privé. A cela,
il faut ajouter que ces écoles représentent près de 90 % de l'offre scolaire
dans tout le Nord du pays2. Devant cette situation de l'arabe et de ces écoles
dans le système éducatif au Burkina Faso, on en vient à se poser un
certain nombre de questions :

2 Ces données chiffrées proviennent des rapports de techniciens que nous avons rencontrés
au ministère en charge de ('enseignement.

224
LANGUES ET ÉDUCATION

- quelle est la place de la langue arabe dans le système éducatif au Burkina


Faso?
- quel est le profil de ceux qui fréquentent les écoles où on enseigne en arabe ?
- quelles sont les difficultés spécifiques de cette branche de l'enseignement
des langues au Burkina Faso ?
Pour mener cette étude, nous sommes partis de trois hypothèses qui justi-
fient et fondent les points de réflexion :
-l'arabe est enseigné à un public qui n'a pas la chance d'accéder à l'école en
français ;
- les difficultés de l'enseignement de l'arabe n'ont aucun lien avec une pré-
tendue difficulté de la langue mais elles résident dans l'organisation
générale de son système (formation, motivation, etc.) ;
- l'arabe comme le français sont enseignés comme les langues premières des
apprenants. La connaissance des structures des langues premières des
élèves ne préoccupe aucunement les enseignants de ces écoles.

Objectifs de l'étude
En nous penchant sur le système d'enseignement de l'arabe au Burkina
Faso lors de discussions et de rencontres informelles, nous avons évoqué de
nombreuses difficultés'. Au fur et à mesure que les cadres de discussion se
multipliaient, il nous a paru nécessaire de formaliser nos points de vue à
travers des réflexions soutenues par des arguments scientifiquement élaborés.
C'est donc à cet effet que nous avons initié la présente étude afin de
proposer des voies pouvant contribuer à la promotion de l'enseignement de
la langue arabe au Burkina Faso.
Cet objectif fondamental a pour corollaire un certain nombre d'objectifs
spécifiques parmi lesquels nous pouvons évoquer les points ci-dessous:
- la mise à la disposition de la communauté scientifique et des pédagogues
des données scientifiques sur l'état de l'enseignement de l'arabe au
Burkina Faso;
-la fourniture d'aide à des millions de jeunes qui vont dans ces écoles en fai-
sant en sorte qu'ils trouvent un espoir dans la formation et des raisons
d'aller vers ces écoles ;
-la contribution à jeter les bases d'un enseignement égalitaire qui participe
à la formation intellectuelle de la jeunesse ;
- le renforcement de la capacité de l'offre scolaire du pays qui est en deçà des
espérances depuis l'indépendance.

'Ces travaux de recherche ont un caractère purement personnel. Il ne s'agit ni d'une étude
commanditée, ni de travaux de recherche financés par un organisme quelconque.

225
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO : REGARDS PLURIELS

Méthodologie
Nous situant dans le cadre de l'analyse sociolinguistique, les présentes
recherches en politique linguistique s'inscrivent dans la recherche d'une
meilleure gestion des ressources culturelles et linguistiques dispûnibles.
La présente étude sur l'état de l'enseignement de l'arabe au Burkina Faso est
le résultat de travaux de recherche documentaire, d'enquêtes de terrain et de
séries d'entretiens.
Les enquêtes menées dans le cadre de la présente étude ont été conduites
par un questionnaire guide ad-hoc.
Le questionnaire comporte les volets suivants :
- au premier point ou état civil de l'enquêté, nous examinons son âge, son
environnement sociolinguistique à travers son lieu de naissance, de rési-
dence, le niveau d'instruction et les langues en présence dans son environ-
nement scolaire. Dans cette première partie du questionnaire, nous
espérons dresser le background de l'enquêté afin de comprendre son profil
qui viendra en deuxième point ;
- ensuite, suivra donc le volet sur le profil de l'eI)<luêté qui prend en compte
les langues d'enseignement, les connaissances linguistiques, les difficultés
et avantages de l'enquêté en rapport avec son apprentissage de l'arabe ;
- en troisième point de notre questionnaire, nous amenons l'enquêté à se pro-
jeter dans son environnement, à juger ses propres attitudes sociolinguis-
tiques. Devant la difficulté qu'il a à faire parler de lui-même, nous avons
adopté la stratégie qui consiste à parler de soi à travers les impressions qu'il
a des autres.
Quant aux entretiens, les plus importants sont ceux menés avec les
responsables techniques des commissions et services en charge de l'ensei-
gnement de l'arabe au niveau des deux ministères qui gèrent l'éducation au
Burkina Faso·. Nous pouvons citer entre autres personnes rencontrées à cet
effet Monsieur Koïta FIaS et Monsieur Koussé Tahirou6 • Nous avons égale-
ment rencontré quelques responsables d'établissements d'enseignement
arabe ainsi que des enseignants avec qui nous avons eu des échanges
fructueux.

• Le Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique


(MESSRS) et le Ministère de l'Enseignement de Base et de l'Alphâbétisation.
, Monsieur Koïta est secrétaire Permanent de la Commission Nationale pour l'Enseignement
Secondaire et Supérieur Privé.
• Monsieur Koussé est directeur du service de l'enseignement primaire privé.

226
LANGUES ET ÉDUCATION

Méthode de collecte des données


Les enquêtes ont eu lieu sur une période de deux mois (mars et avril) en
2002 dans trois villes du Burkina Faso. Il s'agit de Ouagadougou, de
Ouahigouya et enfin de Bobo-Dioulasso. Nous avons fondé le choix de notre
terrain sur la division géolinguistique entre les trois grandes langues domi-
nantes. Il s'agit du moore, du dioula et du fulfulde. Toutefois, nous avons
choisi de mener l'enquête à Ouahigouya qui n'est pas le pays peul mais
moaaga. Les contraintes financières et le fait que les Peuls dominent depuis
de longue période le système d'enseignement arabe dans cette zone sont les
principales raisons qui nous ont amené à Ouahigouya.
Ces trois grandes langues qui représentent les trois grandes familles lin-
guistiques, sont représentées dans presque les mêmes proportions. Il s'agit
d'un équilibre qui est l.oin de refléter la réalité sociolinguistique du pays.
Il s'explique par notre souci de prendre en compte les grands espaces
linguistiques et d'analyser les manifestations sociolinguistiques en rapport
avec nos préoccupations de recherche en politique linguistique. Le besoin de
contraster les données devrait nous permettre de dégager les rapports entre
les langues nationales concernées par l'étude et l'arabe.

La population cible de l'étude


La population cible de la présente étude est composée de personnes direc-
tement concernées par l'enseignement arabe au Burkina Faso. Il s'agit aussi
bien d'enseignants, de directeurs-fondateurs des écoles que des élèves. Nous
avons mené notre enquête auprès d'un échantillon qui répondait aux critères
suivants :
- être résident d'une des trois villes d'enquête représentant les zones linguis-
tiques évoquées ;
- avoir l'une des trois langues ci-dessus citées comme langue première ;
- être toujours dans le système d'enseignement arabe en qualité d'enseignant
ou d'élève.
Les présentes recherches ont concerné 117 personnes dont 26 enseignants
et 91 élèves. Nous n'avons pas tenu compte des distinctions fondées sur le
genre car la problématique de la recherche ne le nécessitait pas. Le tri à plat
qui a été fait durant les premières phases de dépouillement nous a réconforté
dans cette position.
Deux catégories d'écoles ont été prises en compte dans le cadre des
présentes recherches. Il s'agit aussi bien des écoles coraniques que des écoles
medersa ou écoles franco-arabes. Au niveau du ministère, seule la deuxième
catégorie d'école est reconnue et prise en compte dans les statistiques
scolaires.

227
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO : REGARDS PLURIELS

Nous avons tenu cependant à ce que les deux types d'écoles soient
représentés d'une façon équilibrée. A cet effet, nous avons obtenu en tout
42 % pour les écoles coraniques et 58 % pour les écoles franco-arabes.
Cette proportion est loin de refléter la réalité de répartition de ces écoles au
Burkina Faso car nombre d'écoles coraniques ne sont pas officiellement
enregistrées.

Dépouillement des questionnaires et analyse


des données
Caractéristiques sociologiques de la population cible
Notre échantillon comporte des gens de tous les âges susceptibles d'être
retrouvés dans les centres d'enseignement. Il s'agit des tranches d'âges
situées entre 5 et 20 ans pour les élèves et de 16 à 60 ans pour les enseignants.
L'exploitation des données recueillies sur le terrain nous permet de dire
qu'il s'agit essentiellement de population née en milieu rural. Sur les
117 personnes qui ont pris part à l'enquête, 17 sont nées à Ouagadougou,
8 à Bobo-Dioulasso et 4 à Ouahigouya soit un taux de 24 %. Les autres se
répartissent entre la Côte d'Ivoire et la zone rurale du Burkina Faso. Notons
tout de même que pour nombre de nos enquêtés, Ouagadougou, Ouahigouya
ou encore Bobo-Dioulasso signifient « les environs » de ces localités.
Il s'agit de réponses adaptées à l'enquêteur qui n'est pas censé connaître le
nom du petit village situé à côté de la grande ville prise comme référence.
Nous pouvons donc revoir cette estimation de nombre de ruraux à la hausse.
De même, nous avons de nombreux enquêtés qui sont nés à l'extérieur
du pays. Il s'agit en grande partie des enfants burkinabé qui ont été envoyés
des plantations de Côte d'Ivoire par les parents. Ils représentent plus de 50 %
des enquêtés de Bobo-Dioulasso. Ce sont des enfants confiés à« une partie
de la famille» restée au pays. Ces Burkinabè de l'extérieur que nous avons
rencontrés dans ces écoles proviendraient des zones que l'on peut considérer
comme des ghettos linguistiques. Ils parlent tous la langue ethnique d'origi-
ne des parents, mais ils ont en plus d'autres langues grégaires de la Côte
d'Ivoire dans leur répertoire.
Il ressort du dépouillement des enquêtes que la proportion des enquêtés
qui a déjà voyagé est de 26 % contre 46 % qui n'ont jamais quitté le Burkina
Faso. 28 % des enquêtés n'ont pas répondu à cette question. Notons que nous
ne prenons en compte que les voyages de plus de six mois en dehors du lieu
de naissance. Nous avons estimé que les voyages de brefs séjours ne sont pas
susceptibles d'entraîner des modifications significatives dans les pratiques
langagières.

228
LANGUES ET ÉDUCATION

Les destinations les plus évoquées sont la Côte d'Ivoire qui réunit plus de
50 % des voyages. Notons tout de même que les quelques rares personnes,
soit 3 % de l'ensemble de notre population cible ont voyagé vers les pays
arabes. Il s'agit essentiellement des enseignants qui ont été dans ces pays
pour des raisons d'études universitaires.
Caractéristiques sociolinguistiques
Bien que tous ont déclaré qu'ils parlent toujours leur langue première,
5 résidents de Bobo-Dioulasso ont pour pratique courante le dioula qui est
désormais la langue déclarée la mieux parlée. Cette mutation qui s'explique
par les voyages permet de comprendre comment les enquêtés changent sou-
vent de langue ou de répertoire linguistique.
En dehors de leur langue première, nos enquêtés parlent assez bien
d'autres langues du pays. Nous avons recueilli à cet effet les langues sui-
vantes : bambara, dioula, fulfulde, gulmanceman, moore, marka, bisa, san,
zarma, haousa, yoruba ... Le nombre restreint de langues nationales parlées à
diverses fréquences par les enquêtés du système d'enseignement arabe
s'explique par le fait que cet enseignement étant considéré comme foncière-
ment lié à l'islam, les populations non islamisées n'y envoient leurs enfants
qu'au cas où ils n'ont pas d'autres offres scolaires à leur portée.
Quel que soit le degré de connaissance déclaré de l'une ou l'autre langue,
nous pouvons la considérer comme faisant partie des répertoires linguistiques
des enquêtés.
Ainsi, pour ceux dont les réponses nous ont permis de dresser le portrait,
nous pouvons dégager les caractéristiques suivantes :
- une présence assez remarquable de l'arabe dont la présence sur la scène
sociolinguistique burkinabé est très peu importante ;
-le dioula et le moore restent les deux langues dominantes du pays. La pre-
mière assure la fonction véhiculaire à l'Ouest et la seconde est la langue
démographiquement la plus importante du pays avec une présence très
marquée dans le centre ;
- la faible proportion des langues grégaires comme le marka et le bissa. Cette
proportion peut s'expliquer par deux raisons : d'abord, les minorités lin-
guistiques sont pour la plupart sous la domination du dioula à l'Ouest.
Ensuite, les zones de minorité linguistique en dehors de ce foyer du dioula
ont été très peu touchées par l'islam qui reste le principal support de la
langue arabe au Burkina Faso;
-lefulfulde est rarement une langue seconde, par conséquent, il reste essen-
tiellement la langue première de ceux chez qui il fait partie du répertoire
linguistique ;

229
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

- une importance relative du français chez les différents locuteurs. Il est le


plus souvent associé à une autre langue.
Si les enquêtés connaissent de nombreuses langues, il faut reconnaître
qu'il y a une inégalité dans la fréquence d'utilisation. Nous avons alors des
langues les plus connues et les plus utilisées, des langues moyennement uti-
lisées et des langues rarement utilisées.
Il ressort du dépouillement des données de notre enquête que contraire-
ment aux langues connues, les langues les plus utilisées demeurent les
langues du Burkin,a Faso. En effet, le moore vient en tête avec 48 % de
locuteurs ce qui nous rapproche de la composition ethnique du pays qui
n'est pas à confondre avec la dynamique sociolinguistique. La présence très
importante de cette langue peut s'expliquer par la prédominance des Moose
qui ont pris part à l'enquête. Ainsi, que ce soit à Bobo-Dioulasso, à
Ouahigouya ou encore à Ouagadougou, la population moose a été la plus
importante quand bien même nous avons fondé nos critères de choix des
enquêtés sur l'usage d'une langue première qui correspond à la langue
dominante de la région.
La principale remarqueest la faible fréquence de la langue arabe. Nous
voyons que dans l'ensemble le cas de l'arabe qui est l'objet principal de la
présente étude reste une langue très faiblement représentée. Quand on sait
que cette langue est enseignée suivant les mêmes méthodes que le français,
on en vient à formuler quelques interrogations :
- qu'est-ce qui explique une présence si peu importante de l'arabe chez ceux
qui sont concernés par les écoles où il est matière et médium ?
- Ya-t-il une motivation à apprendre ou à parler l'arabe chez les élèves ?
-le contexte socio-politique du pays a-t-il une influence sur l'enseignement
de cette langue ?
Pour répondre à ces questions, nous avons tenté de comprendre les pra-
tiques langagières des enquêtés afin de voir en quoi ces pratiques langagières
influencent l'enseignement de l'arabe au Burkina Faso.

Pratiques langagières en milieu scolaire


Avant d'exposer les pratiques langagières dans les écoles franco-arabes et
écoles coraniques du Burkina Faso, nous allons évoquer les langues enseignées
dans ces écoles. li s'agit de trois langues qui sont l'arabe, le français et l'anglais.
Dans 45 % des écoles, l'arabe est l'unique langue présente dans le systè-
me éducatif. Il s'agit des écoles coraniques traditionnelles bien que nous
assistons depuis un certain temps à une certaine modernisation de ces écoles
avec l'enseignement d'un français élémentaire.

230
LANGUES ET ÉDUCATION

langues enseignées

45,9%
• arabe
• arabe, français

33.9%'-
lJ arabe, français, anqlai

Les écoles dites« franço-arabes» occupent les deux autres catégories car
c'est dans ces écoles que le français est enseigné comme matière de même
que l'anglais pour les élèves qui arrivent au cycle des lycées et collèges.
Un fait non moins important révélé par cette étude est l'exclusion des
langues nationales dans ce système éducatif. Tout comme l'enseignement
en français, les écoles d'enseignement en langue arabe ne prennent pas
en compte les langues nationales. Par conséquent, ces enseignements sont
fondés sur la « méthode directe » répétitive pour mieux implanter les sons
et les structures de la langue cible.
En outre, tout comme dans les écoles en français, les élèves et les ensei-
gnants baignent dans un environnement sociolinguistique qui reste marqué
par la forte présence des langues nationales. En effet, si les langues d'ensei-
gnement dominent les situations de communication dans les salles de classe,
la cour de récréation demeure sous l'emprise des langues nationales qui sont
les plus utilisées. A cet effet, le tableau ci-dessous nous permet de voir les
langues et les pratiques langagières dans les écoles d'enseignement arabe au
Burkina Faso.
Il ressort de la présente approche des aspects très curieux dans les pra-
tiques langagières en milieu scolaire arabe. En effet, les points suivants
retiennent l'attention :

231
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

.dioula
langues parlées à ('école
.moore

o fulfulde

o arabe, français
1%
• arabe, français, anglais, moone,
fulfulde
• arabe, français, dioula

• arabe, français, dioula, moone

CJ arabe, moore
3%
• arabe, moore, fulfulde

• diou/a, moore
8%
• dioula, moore, fulfulde

1% • dioula, bissa
12%
• dioula, da fin

o morre, fulfufde

- il n'y a pas d'usage exclusif de l'arabe chez les élèves comme chez les
enseignants, En d'autres termes, s'il arrive que certains n'utilisent que ou
le moore (19 %), ou le dioula (1 %) ou encore soit lefulfulde (2 %) à l'éco-
le, ce cas n'est pas envisageable pour l'arabe. Cette langue qui est pourtant
enseignée dans ces écoles partage le champ de communication avec
d'autres langues ;
- les langues nationales les plus fréquemment utilisées demeurent les langues
dominantes que nous avons retenues au départ de l'étude ;
- bien que l'anglais soit une langue d'enseig~ement, il est absent des pra-
tiques langagières.
Ces pratiques sont déclarées aussi bien par les élèves que par les ensei-
gnants. Mais, dans le souci de comprendre les pratiques des différentes caté-
gories, nous allons les analyser de façon séparée, En effet, les pratiques

232
LANGUES ET ÉDUCATION

langagières des élèves des écoles d'enseignement arabe au Burkina Faso


devront refléter le type d'enseignement dont ils sont le produit.
Il ressort de la présente approche que les élèves n'utilisent jamais de façon
exclusive l'arabe. Les langues nationales comme le dioula, le moore et le
fulfulde sont, comme nous l'avons vu plus haut les seules langues utilisées
par des élèves.

langues parlées entre les élèves

Dbissa

Darabe, français

.arabe, français, anglais

lliI arabe, français, anglais,


, moore, fulfulde
.arabe, français, dioula

Darabe, français, dioula,


moore
.arabe, français, dioula,
moore, fulfulde
• arabe, français, moore

D arabe, français, moore,


fulfulde
o arabe, français, fulfulde

.arabe, dioula

.arabe, dioula, moore

.arabe, moore

Quant au français, sa présence est également remarquable mais il reste


associé aux langues nationales ou à l'arabe.
L'anglais est utilisé par les élèves mais dans une proportion insignifiante.
Il s'agit des élèves qui fréquentent le cycle des collèges des écoles franco-
arabes.

233
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Ces pratiques relevées chez Jes élèves démontrent que ces derniers n'ont
pas des attitudes conduisant à une implantation sérieuse de la langue arabe au
Burkina Faso. En effet, comment comprendre que la langue d'enseignement
n'est pas utilisée fréquemment et de façon exclusive par ceux qui sont sup-
posés en être les principaux agents de l'expansion. Si les élèves des écoles
d'enseignement arabe ont une attitude sociolinguistique qui constitue une
entrave à la didactique de leur médium, nous pensons qu'il faut rechercher
les causes dans les pratiques des enseignants de ces écoles. En d'autres
termes, il s'agit de voir en quoi les pratiques des enseignants peuvent-elles
influencer celles des élèves.
Il ressort des travaux que nous avons menés que tout comme chez les
élèves, les enseignants ne parlent pas beaucoup l'arabe. En effet, seulement
3 % ont déclaré qu'ils parlent exclusivement cette langue. Dans ce contexte
nous n'avons que des pratiques bilingues courantes comme l'arabe-français,
l'arabe-langue nationale. L'anglais n'est pas présent chez les enseignants que
nous avons rencontrés.

Il non repondu
langues parlées avec les enseignants

• arabe

o dioula

1% 9% o moore
10%

1% • fulfulde

3%~
;~1)Jl
1%
~ bissa
3%
2%
180 • arabe, français

o arabe, français, dioula,


3%[ ~ moore
• arabe, français,moore

3% • arabe, français, moore,


fulfulde
o arabe, français, fulfuld

lilI arabe, dioula


40%
• arabe, moore,;fulfulde

• dioula, moore

234
LANGUES ET ÉDUCATION

La faible fréquence de la langue arabe nous a amené à formuler


d'autres interrogations d'ordre sociolinguistique. Il s'agit des questions
fondamentales de FISHMAN J. (1971) « qui parle quelles langues avec
qui, comment et à propos de quoi ».
D'abord, à la question de savoir « qui parle l'arabe ? » 22 % des enquêtés
ont déclaré qu'ils ne parlent pas l'arabe, chiffre étonnant quant on sait qu'il
s'agit de la langue utilisée en priorité dans ce système d'enseignement. Parmi
ces 22 % nous avons 90 % des élèves des établissements d'enseignement cora-
nique et 7 % de nouveaux élèves des écoles franco-arabes contre 3 % d'ensei-
gnants. Ces derniers sont des enseignants en français.
Ensuite, pour ceux qui ont déclaré qu'ils parlent l'arabe, il nous revient de
retrouver leurs interlocuteurs. En d'autres termes, avec qui parlent-ils
l'arabe ? Nous savons que la recherche des interlocuteurs avec lesquels la
langue arabe est utilisée peut également contribuer à faire connaître
davantage la situation sociolinguistique de cette langue.
De cette deuxième question, il ressort que l'arabe est essentiellement uti-
lisé en milieu scolaire. 96 % des enquêtés ont répondu qu'ils utilisent cette
langue avec les enseignants ou les camarades à l'école. Nous pouvons en
conclure que cette langue est présente exclusivement en milieu scolaire. 87 %
des enquêtés reconnaissent qu'ils n'utilisent l'arabe qu'à l'école. Par
conséquent, les conditions d'un apprentissage en situation de la vie cou-
rante ne sont pas présentes car il n'y a pas un environnement permettant de
s'habituer aux sons et aux structures de la langue arabe.
Une très faible minorité de 2 % a reconnu utiliser l'arabe à la maison.
Mais quand nous analysons les réponses, nous constatons qu'il s'agit des
élèves d'une même famille et l'arabe n'est utilisé que pour apprendre les
leçons. Ils ont reconnu également que les situations où ils parlent en arabe
sont rares.
Les rares moments d'utilisation de la langue arabe sont consacrés à la
révision des leçons et aux exercices. Il n'y a donc pas chez ces élèves des
conversations en arabe sur les sujets de la vie courante. Par conséquent, cette
langue n'est utilisée que dans le cadre du prolongement du milieu
scolaire.
Pour compléter notre analyse, nous avons décidé de recueillir les opinions
des enquêtés sur leurs pratiques. Cette dernière partie du questionnaire vise à
collecter et analyser les jugements qu'ils ont eux-mêmes à propos de ce qu'ils
pensent être leurs pratiques langagières. C'est ce qui nous a amené à inviter
les élèves et les enseignants de ces écoles à juger leur usage de l'arabe.
Les principales questions posées à ce propos ont été fonnulées de sorte à faire
ressortir ce que l'enquête semble être considéré comme la bonne pratique.

235
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

En lui permettant de fixer lui-même« les normes »d'un arabe« correct »


il jugera aussi bien les pratiques de ceux qui l'entourent que ses propres
pratiques.
97 % disent connaître des personnes« qui parlent bien l'arabe », ce qui
signifie qu'ils ont leurs propres opinions sur ce que c'est que parler bien
l'arabe. Les critères reconnus à cet effet comme faisant partie des éléments
de jugement sont les suivants : niveau de formation, bonne prononciation,
vocabulaire recherché, articulation admirable, connaissance culturelle du
monde arabe, etc.
Si ce jugement sur les normes de l'arabe émane surtout des ensei-
gnants, il faut ajouter que 86 % ont reconnu que les élèves lisent bien en
arabe. Nous pensons qu'ils sont très tolérants vis-à-vis de leurs élèves.
Nombre d'enseignants se sont empressés de rectifier à la fin de l'enquête
en nous disant que les élèves font déjà beaucoup d'efforts en apprenant
une langue réputée difficile. Nous avons 43 % des enquêtés qui recon-
naissent que l'arabe est une langue difficile. Par conséquent, les élèves ont
une excuse à ne pas pouvoir articuler correctement les sons de la langue
arabe qui sont reconnus par 63 % comme différents de ceux de leur langue
maternelle.
Pour terminer avec ce volet sociolinguistique, il nous parut important de
chercher à savoir s'il y a une variété d'arabe propre au Burkina Faso ou à une
des régions linguistiques déterminées. A cet effet, la question posée était la
suivante : pouvez-vous reconnaître les origines de quelqu'un lorsqu'il vous
parle l'arabe ?
67 % des gens ont répondu positivement à cette question ce qui a de nom-
breuses implications :
- premièrement, chaque locuteur parle l'arabe avec les interférences de sa
langue maternelle et les plus évoquées sont les sons du moore ;
- deuxièmement, il n'y a pas un parler arabe propre au Burkina Faso car les
seules références non-burkinabè évoquées sont des arabes et non d'autres
africains de la sous-région.
Comme nous le voyons, l'enquête révèle que le système d'enseignement
arabe au Burkina Faso se caractérise par :
- une population cible essentiellement rurale ;
- un enseignement de langue qui privilégie la méthode audiovisuelle au détri-
ment de la méthode contrastive dont le succès n'est plus à démonter;
- une langue réputée difficile même s'il ne s'agit pas d'arguments scientifiques,
cette prétendue difficulté peut être à la base d'une certaine démotivation
- une langue d'enseignement mal connue sinon très peu utilisée;

236
LANGUES ET ÉDUCATION

- une omniprésence des langues nationales dominantes


- un groupe d'apprenants très peu motivés car leur langue n'a pas une
influence politique importante ;
- un environnement sociolinguistique défavorable car l'arabe reste essentiel-
lement une langue scolaire ;
- une langue considérée comme liée à l'islam et à la diffusion de la foi
musulmane.
Toutes ces caractéristiques ne sont pas sans conséquence sur le système
d'enseignement arabe dans le pays. Cependant, il faut reconnaître que
d'autres facteurs et non des moindres contribuent à rendre difficile un sys-
tème d'enseignement qui a déjà du mal à s'adapter à l'évolution du monde
moderne.

Les contraintes spécifiques liées à l'enseignement


de l'arabe au Burkina Faso
Domaine très peu connu du système éducatif, l'enseignement de l'arabe a
fait l'objet de très peu de recherches. Aussi, allons-nous nous contenter de
rapporter les contraintes recueillies lors des entretiens avec les institutions
que sont les écoles franco-arabes, les écoles coraniques et les personnes
ressources représentant l'Etat auprès de ces écoles. Nous allons catégoriser
les contraintes afin de les saisir dans leur dimension réelle.
Au plan organisationnel
Au niveau de l'Etat
En premier, notons le manque d'encadrement de la part de l'Etat alors que
ces écoles où l'arabe est enseigné représentent plus de 50 % de l'enseignement
privé de façon générale et près de 70 % de l'enseignement primaire privé.
En plus et d'après les responsables de la Commission Nationale pour l'ensei-
gnement Secondaire et Supérieur Privé, le taux de scolarisation du Nord du pays
serait inférieur à 5 % s'il n'existait pas les écoles d'enseignement en arabe.
Ensuite, notons le manque d'une structure de coordination et d'informa-
tion alors que ces écoles ont souffert du mépris de la colonisation au point
que certaines étaient dans la clandestinité et le peu d'intérêt accordé à ces
écoles au nom de la laïcité de l'Etat, en dépit de leur apport non négligeable
dans l'offre scolaire à laquelle l'Etat a montré les preuves de son insuffisan-
ce. A ce sujet, l'avis défavorable de certains fonctionnaires de l'Etat vis à vis
de ces écoles est à mentionner. Il nous a été rapporté que certains fonction-
naires sont très hostiles à ces écoles à cause d'une prétendue liaison avec
l'islam, voire l'islamisme. Les fondateurs qui viennent alors vers l'adminis-

237
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

tration sont souvent offusqués par des propos malveillants tenus à leur
encontre.
Au niveau des écoles
La désorganisation générale fait que chaque école a son programme qui
le plus souvent n'est même pas consigné dans l'organisation générale de
l'école. Ainsi, l'enseignant responsable de son cours ne reçoit ni directives
ni documentation pédagogique devant l'aider dans son travail. L'absence
d'un programme d'enseignement harmonisé et cohérent accentue l'isole-
ment des enseignants: ni les programmes, ni les diplômes délivrés par les
uns ne sont reconnus par les autres. A titre d'exemple, une enquête menée
par le Service de l'enseignement primaire privée a montré qu'il existe au
Burkina Faso 15 diplômes du BEPC, 7 du BAC. Il faut reconnaître qu'il
est difficile de gérer autant de diplômes dans un même système à l'échelle
d'un pays. Notons aussi la sous-information des personnes et des structures
qui créent et gèrent ces écoles. Les fondateurs de ces écoles ne connaissent
ni les conditions ni les dispositions réglementaires en matière de création
et de gestion d'une école. Tout se passe comme s'il suffisait d'avoir des
salles, des enseignants et des élèves pour avoir une école.
Par conséquent les fondateurs n'ont pas d'autorisation d'ouvrir et les
enseignants n'ont pas d'autorisation d'enseigner.

Au plan du fonctionnement
De nombreux fondateurs n'ont ni la capacité de diriger, ni de créer et pro-
mouvoir une structure éducative. Ainsi, l'absence de capacité de gestion
administrative en conformité avec les aspirations et les besoins de l'Etat est
patente. Nombre de ces écoles n'ont ni comptabilité, ni comité de gestion à
même de penser une politique de promotion amenant l'école à se projeter
vers l'avenir. Enfin, il y a une désarticulation culturelle avec les structures de
l'Etat au point que les fonctionnaires paraissent non pas comme des agents
devant les promouvoir mais plutôt comme des obstacles institutionnels.

Au plan matériel
La pauvreté matérielle de certains fondateurs surtout dans les écoles cora-
niques : nombre de ces écoles sont en réalité des « boîtes à mendicité» pour
assurer la survie du maître coranique et de sa famille. Notons aussi le manque
de formation des enseignants et des directeurs d'école surtout dans le domai-
ne de la gestion des charges administratives et l'insuffisance de documents
didactiques faisant en sorte que le coran reste l'unique document pédago-
gique dans nombre d'écoles coraniques.
Suite à cette analyse des difficultés de l'enseignement de l'arabe au

238
LANGUES ET ÉDUCATION

Burkina Faso, nous pensons qu'il est nécessaire de mettre en œuvre les
dispositions suivantes :
- création d'un organe d'appui et de coordination des études et de l'ensei-
gnement de l'arabe ;
- mise en place d'une structure de formation et d'encadrement du personnel
enseignant et administratif ;
- création d'un centre de formation pédagogique à l'attention des enseignants ;
- élaboration de programmes de formation intégrant le besoin d'emploi et de
formation professionnelle ;
- reconnaissance officielle des programmes, des structures de formation et
d'enseignement en arabe ;
- harmonisation des programmes de formation ;
- organisation d'un cadre de concertation qui devra répondre d'une seule
voix au nom de toutes les écoles d'enseignement arabe au Burkina Faso.
Pour faciliter la mise en œuvre de ces dispositions, le Ministère de
l'Enseignement de Base et de l'Alphabétisation (MEBA) pourrait organiser un
forum où il sera discuté un plan stratégique devant contribuer à appuyer
l'enseignement de l'arabe au Burkina Faso. La solution qui consiste à noyer des
problèmes aussi importants dans un plan national nous semble une fuite en
avant. Il est temps de regarder avec plus d'attention le problème spécifique
des établissements d'enseignement arabe qui ne sont pas des établissements
d'enseignement ordinaires. Si l'exclusion politique dont ces écoles sont l'objet
n'a pas pu porter atteinte au flux de plus en plus important d'enfants qui vont
vers ces structures, il appartient à l'Etat de rechercher les pistes permettant de
tirer une meilleure partie de ces écoles.
Au-delà des préoccupations d'ordre purement pédagogiques, les écoles
d'enseignement arabe devront faire l'objet de beaucoup plus d'attention.
Le manque d'encadrement des structures d'Etat et l'influence des grands
courants musulmans ne doivent pas contribuer à maintenir un pan aussi
important d'enfants dans des ghettos. Si les écoles coraniques n'ont que le
Coran comme outil pédagogique, elles ont tout de même formé et continuent
de former des hommes qui prennent en compte leur destin, du moins, à leur
façon. Si les écoles medersa contribuent à rehausser les statistiques scolaires
pour le plaisir de quelques bureaucrates en quête de chiffres, leurs élèves ne
trouvent pas de débouchés. Ces écoles ne font que se reproduire elles-mêmes
car les débouchés qui s'offrent jusqu'à présent à ses sortants sont des postes
d'enseignant dans les mêmes écoles. Si l'administration coloniale a récupéré
et refonné les écoles d'enseignement arabe, c'est parce qu'elles devaient ser-
vir la cause française tout en restant sous-surveillance. Nous pensons que
l'administration burkinabé devra faire en sorte que ces écoles répondent à la

239
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

philosophie de l'Etat tout en formant des hommes et des femmes proches des
aspirations de leur milieu.

Bibliographie
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CALVET L-J., 1991. Véhicularité/Simplicité, Mythe ou réalité ? dans linx,
Diffusion Éditions de l'Espace Européen, Nanterre, p. 107-120.
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240
lANGUES ET ÉDUCATION

thème : étude linguistique contrastive et comparée entre la langue arabe et les


langues des pays du Sahel africain, par l'Organisation de la lingue arabe pour
l'éducation et la science (Alesco), Association Mondiale pour l'appel Islamique et
l'Université de N'Djamena, du 28-31 octobre 2002, N'Djamena, Tchad.
TAINE C., 1994. « Les langues africaines comme enjeux identitaires » dans poli-
tique africaine n° 55, Karthala, Paris, p. 57-65.
TURCOTIE D., 1983. Lois, règlements et textes administratifs sur l'usage des
langues en Afrique Occidentale Française (1826-1959), éditions Presses de
l'Université Laval, 117 pages.

241
LANGUES ET ÉDUCATION

Pour une alphabétisation durable en milieu peul

Issa DIALLO'

Introduction
Depuis des décennies, le Burkina Faso lutte contre l'analphabétisme qui,
en 1993, touchait 83 %1 de sa population. Deux années après, le Rapport
mondial sur l'éducation faisait état d'un taux d'analphabétisme de 75~ %
chez les hommes et de 90,8 % chez les femmes 2 •
Le fulfulde, deuxième langue démographiquement la plus importante du
Burkina Faso et parlée par plus de 10 % de la population, est une des langues
d'alphabétisation. Dans les provinces du pays où il est la langue la plus par-
lée, le taux d'alphabétisation en langues nationales est faible : 1,7 % dans la
province du Sourn contre l ,0 % dans le Séno3 •
De nos jours, une longue littérature explique la faiblesse du taux d' alphabé-
tisation au Burkina Faso. Pour notre part, nous constaterons que les alphabétisés
des milieux fulaphones deviennent, quelques années après, des analphabètes, ce
qui participe, à un second niveau, à une autre baisse du taux d'alphabétisation et
pose le problème même de la pérennité de l'alphabétisation.
Pour une alphabétisation durable en milieu fulaphone, nous nous sommes
intéressés à l'analphabétisme de retour chez les fulaphones. Nous avons
mené des recherches documentaires sur l'alphabétisation, effectué des suivis,
appuis et évaluations des auditeurs de centres d'alphabétisation fulaphones
pendant quatre campagnes, puis administré des tests de niveau à d'anciens
alphabétiseurs et alphabétisés .

• Chargé de recherches en Linguistique, à l'Institut des sciences des sociétés (lNSS/CNRST).

1 Niameogo A. T., 1994, p. 69.


l Le rapport mondial sur l'éducation, 1995, p. 125.
] Analyse des résultats du recensement général de la population et de l'habitation de 1996,
2000, p. 139.

243
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

L'alphabétisation en milieu fulaphone


Le milieu fulaphone
L'alphabétisation est l'enseignement de la lecture et de l'écriture à des
adolescents ou à des adultes qui n'ont pas fréquenté l'école ou qui ne l'ont
·pas fréquentée assez régulièrement pour en tirer profit (GALISON et al.,
1976). Ces adolescents et adultes sont des analphabètes 4 •
En milieu fulaphone, les analphabètes sont très nombreux. Dans certains
villages et hameaux, tous les adultes seraient des analphabètes n'eût été la
présence de quelques élèves et maîtres coraniques sachant généralement lire
l'arabe sans le comprendre. En effet, dans ce milieu, savoir lire et écrire en
français ne procure pas forcément un prestige ; il semblerait même que
l'islam ne recommande pas la scolarisation en français si c'est pour se retrou-
ver avec une progéniture qui refuse de faire régulièrement les cinq prières.
De plus, les sortants des écoles françaises estiment tout savoir et vont jusqu'à
refuser de s'occuper de l'élevage, l'activité principale des parents. Alors, on
se contente juste d'envoyer l'enfant à l'école coranique.
A la fin de ses études coraniques, l'enfant revient dans son milieu, lisant
à peine les écrits en arabe. N'est-il d'ailleurs pas établi dans ces milieux
traditionnels que moins on sait lire, moins on lit de mauvaises choses5 ?
Toutefois, une ouverture vers l'apprentissage de la lecture et de l'écritu-
re commence à s'opérer dans les milieux fulaphones depuis que les éleveurs
ont constaté les bienfaits de l'alphabétisation. En effet, il apparaît très clai-
rement que ceux qui savent lire et écrire sont plus à l'aise dans les réunions
des groupements villageois, avec l'autorité administrative ou dans l'exécu-
tion des activités génératrices de revenus (embouche, vente de lait, ... ) que
les analphabètes. Vygostsky dans BOODY J. (1994: 214-215) ne soutient-il
pas d'ailleurs que « lorsqu'un individu parvient à maîtriser l'écriture, le
système de base qui sous-tend la nature de ses processus mentaux est chan-
gé de fond en comble, car le système symbolique externe en vient à agir
comme médiateur dans l'organisation de toutes ses opérations intellectuelles
de base. C'est ainsi que la connaissance d'un système d'écriture modifierait

• Une autre tenninologie distingue des fonctionnellement analphabètes. Sera considérée


. comme« fonctionnellement analphabète, une personne incapable d'exercer toutes les acti-
vités pour lesquelles l'alphabétisation est nécessaire dans l'intérêt du bon fonctionnement
de son groupe et de sa communauté et aussi pour lui pennettre de continuer à lire, écrire et
calculer en vue de son propre développement et de celui de sa communauté » (Etudes et
documents d'éducation na 42, p. 5)
S Ce point de vue se retrouve également chez d'autres religieux. En répondant à une enquête

de Dupanloup, certains curés du diocèse d'Orléans n'avouent-ils pas tout bonnement:


« Moins on sait lire, moins on lit de mauvais livres » (Marcilhacy, 19~. p. 253)

244
LANGUES ET ÉDUCATION

jusqu'à la structure de la mémoire, des modes de classification et de solution


des problèmes, en altérant la façon dont ces processus élémentaires sont orga-
riisés afin d'inclure un système symbolique extérieur ».
Par ailleurs, l'ouverture à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture
n'est pas si forte dans certains milieux fuI aphones , notamment dans les petits
villages et hameaux d'éleveurs semi nomades où les conditions de vie sont
encore difficiles. Et nous convenons avec Hamadache pour dire que « dans
un environnement inhospitalier, quand la case est inondée à chaque pluie,
quand les enfants sont atteints de paludisme, quand il faut faire plusieurs
kilomètres pour aller chercher une eau souvent non potable au puits ou à la
mare les plus proches, apprendre à lire et à écrire n'apparaît pas toujours
comme un souci prioritaire» (HAMADACHE A. et al., 1988, p. 30).
Néanmoins des campagnes d'alphabétisation enfulfulde sont ouvertes dans de
nombreux villages.

Les alphabétisés en milieu fulaphone


Dans les milieux fulaphones où se sont déroulées nos enquêtes,
l'alphabétisation est organisée par campagne avec un public cible réparti en
deux groupes : le groupe des débutants et le groupe des déclarés alphabéti-
sés en alphabétisation initiale.
Le groupe des débutants
Il s'agit des apprenants qui reçoivent des cours d'alphabétisation initiale
(AI) en une cinquantaine de jours. Officiellement,« l'alphabétisation initia-
le dispense en 300 heures les cours d'apprentissage de la lecture, de l'écritu-
re et du calcul et ambitionne de donner à l'apprenant, la maîtrise d'une
lecture courante et expressive, l'aptitude à s'exprimer par écrit avec aisance,
la connaissance parfaite des mécanismes et du sens des quatre opérations et
la capacité de résoudre des problèmes simples et pratiques liés à sa vie de
chaque jour» (OUOBA B. B. et al., 2002, p. 10).
Les déclarés alphabétisés en AI des centres d'alphabétisation fulaphones
sur l'ensemble du territoire burkinabé des campagnes d'alphabétisation
1995/1996 à 1999/2000, soit cinq ans, sont estimés à 12077 (tableau 1).

245
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Tableau 1 : Déclarés alphabétisés en AI, centres fulaphones 6


Campagne Orgs Cent Ani. Sup. Inscrits Évalués Alphabétisés
H F T H F T H F T
95/96 29 188 193 40 3438 1497 4935 2754 1251 4005 1627 547 2174
96197 25 159 163 25 2856 1544 4400 2313 1181 3494 1375 637 2012
97/98 35 188 205 23 3178 1761 4939 2502 1141 3643 1359 615 1974
98/99 33 149 151 14 2403 1668 4071 1886 1251 3137 1067 518 1585
99/00 73 348 358 41 5050 4488 9538 4008 3537 7545 2581 1751 4332
Total 195 1032 1070 143 16925 10958 27883 13463 8361 21824 5428 4068 12077

NB : Orgs.= organisme ; Cent. = centre d'alphabétisation ; Ani. = animateur;


Sup. = superviseur
Comme on peut le constater dans le tableau ci-dessus, les cinq campagnes
d'alphabétisation niveau AI auraient mobilisé en moyenne et par an 39 orga-
nismes, 207 centres d'alphabétisation, 214 alphabétiseurs et 29 superviseurs
pour une moyenne de 2415 déclarés alphabétisés.
Le groupe des déclarés alphabétisés en alphabétisation initiale
Il s'agit des apprenants qui reçoivent une formation complémentaire de
base (FCB) en une trentaine de jours après avoir été déclarés alphabétisés en
alphabétisation initiale. Officiellement, « la formation complémentaire de
base vise à consolider les aptitudes au niveau antérieur. Elle vise également
à dispenser à l'alphabétisé un minimum de savoirs, savoir-faire, savoir-être,
considérés comme indispensables pour la vie quotidienne et susceptibles de
l'aider à comprendre les problèmes de son milieu, à avoir conscience de ses
devoirs et droits, à participer au développement socio-économique de sa
communauté. Le programme de la FCB s'exécute en 197 heures» (OUOBA,
B. B. et al., 2002, p.lO-ll).
Les déclarés alphabétisés en FCB des centres d'alphabétisation fui a-
phones du Burkina Faso de la campagne d'alphabétisation 1995/1996 à celle
de 1999/2000 sont estimés à 4 025 apprenants sur l'ensemble du territoire
national (tableau 2).

6 Les données du tableau des campagnes 199511996, 1996/1997,1997/1998 sont tirées res-
pectivement des 16<, 17< et 18< séminaire national de bilan et de programmation des activités
d'alphabétisation au Burkina Faso. Les données des campagnes 1998/1999,199912000 sont
tirées respectivement des Journées Nationales des Statistiques de l'Alphabétisation et de
l'Education Non Formelle au Burkina Faso de 2000 & 2001.

246
LANGUES ET ÉDUCATION

Tableau 2: Déclarés alphabétisés en FCB, centres fulaphones7


Campagne Orgs Cent Ani. Sup. Inscrits Évalués Alphabétisés
H F T H F T H F T
95/96 15 77 77 17 1031 315 1346 836 285 1121 714 205 919
%/97 27 101 102 12 1140 627 1767 928 521 1412 740 363 1103
97/98 16 36 36 7 364 253 617 303 189 492 222 107 329
98/99 19 45 45 13 495 270 765 416 191 607 659 124 783
99/00 24 89 90 5 814 564 1378 635 483 1118 539 352 891
Total 101 348 350 54 3844 2029 5873 3118 1669 4750 2874 1151 4025

En milieu fulaphone, on ne saurait déclarer un apprenant AI alphabétisé.


Ne pourraient être effectivement déclarés alphabétisés que les sortants des
FCB ayant obtenu la moyenne à l'évaluation finale. Aussi, au regard des
résultats des 5 dernières campagnes d'alphabétisation, se dégagera-t-il une
moyenne de 805 déclarés alphabétisés en fulfulde et par an, sur l'ensemble
du territoire burkinabé.
La qualité de l'alphabétisation en milieu fulaphone
L'alphabétisation de qualité en milieu fulaphone est celle permettant au
déclaré alphabétisé non seulement de ne pas perdre l'usage habituel de la lec-
ture et de l'écriture, mais aussi de se servir, dans ses calculs, des unités de
mesures que sont le mètre, le litre, le gramme, etc. Une alphabétisation de qua-
lité est donc celle permettant d'atteindre les objectifs fondamentaux suivants :
Objectif 1 : être capable de lire et d'écrire en fulfulde ;
Objectif 2 : être capable d'effectuer les quatre opérations (addition, sous-
traction, division, multiplication) à l'écrit ;
Objectif 3 : être capable de se servir des unités de mesure que sont le mètre,
le litre, le gramme dans ses calculs écrits et oraux;
Objectif 4 : être capable d'exploiter une fiche ou notice technique rédigée
dans un fulfulde standard ;
Objectif 5 : être capable de conserver et d'enrichir en permanence l'usage
habituel de la lecture et de l'écriture.
Pourtant, en milieu fulaphone du Burkina Faso, l'alphabétisation semble
ne viser que les objectifs 1 et 2 même si pendant les séances de causerie en
vue d'aboutir à la lettre clef du jour, il peut être question de la santé ou de
l'environnement, de l'agriculture, toute chose utile que l'atteinte de l'objectif 5
impliquerait.

, Les données du tableau des campagnes 199511996, 1996/1997, 199711998 sont tirées res-
pectivement des 16', 17' et 18' séminaire national de bilan et de programmation des activités
d'alphabétisation au Burkina Faso. Les données des campagnes 1998/1999, 1999/2000 sont
tirées respectivement des Journées Nationales des Statistiques de l'Alphabétisation et de
l'Education Non Formelle au Burkina Faso de 2000 & 2001.

247
LA QUESTION ËDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Le déclaré alphabétisé en fulfulde est donc incapable de calculer le


nombre de kilogrammes de mil ou de maïs qu'il obtiendrait par hectare. Il ne
sait pas non plus, même connaissant le prix d'un litre de lait ou de beurre,
calculer le prix de 0,75 litres sans avoir recours à ses anciennes pratiques qui
relèvent plutôt de l'oralité. Du reste, l'objectif 3 ne fait pas partie de la pré-
occupation des concepteurs des programmes d'alphabétisation. Aussi, les
néo-alphabétisés ne sont-ils pas capables d'évaluer une superficie, une dis-
tance ou un volume à partir des unités de mesure communément admises que
sont le mètre et le litre.
En somme, les déclarés alphabétisés des campagnes d'alphabétisation au
Burkina Faso ne sauraient atteindre que les objectifs l et 2 dans un environ-
nement, hélas, où l'écrit n'a pas encore droit de cité. Les conditions défavo-
rables à l'émergence d'une culture de l'écrit aidant, il en résulte alors un
analphabétisme de retour.

L'analphabétisme de retour en milieu fulaphone


Nous entendons par analphabétisme de retour l'état du néo-alphabétisé
qui a perdu partiellement ou intégralement l'usage de la lecture et de
l'écriture. En milieu fulaphone, l'analphabétisme de retour bat son plein.
Les tests de niveau en lecture et en orthographe et ceux sur l'usage de la
lecture et de l'écrit le confirment. En effet 100 % des femmes testées
avouent n'avoir pas lu ou écrit un seul mot depuis qu'elles ont quitté les
centres d'alphabétisation une ou deux années auparavant. Et les tests de
l'usage de la lecture et de l'écriture révèlent que 27 % des déclarés alpha-
bétisés n'arrivent plus à lire ou à écrire, ne serait-ce que les 32 lettres de
l'alphabet du f ulfulde .
Pour une alphabétisation durable, il faut travailler à identifier les causes
de l'analphabétisme de retour pour pouvoir les éliminer, l'analphabétisme
de retour étant la face visible d'une alphabétisation non pérenne.
L'analphabétisme de retour trouve ses causes dans la culture de l'oralité qui
est en porte-à-faux avec celle de l'écrit.
La culture de l'oralité
C'est en forgeant que l'on devient forgeron, a-t-on coutume de dire.
En effet un usage habituel de la lecture et de l'écriture pérennise les acquis
de l'alphabétisation. Or cet usage n'est possible que si le milieu le favorise:
un milieu où la lecture et l'écriture sont des besoins quotidiens, motivés et
renouvelés dont la satisfaction a un impact moral et matériel important.
Or sur le plan national, lire ou écrire en fulfulde ne semble pas susciter
un intérêt particulier, les néo-alphabétisés se comptant encore sur le bout
de doigts. En effet sur 100 personnes sachant lire et écrire en langues

248
LANGUES ET ÉDUCATION

nationales8 au Burkina Faso, lefulfulde n'en compte que 5,5 (1P. Mieux, sur
l'ensemble des alphabétisés du pays, toutes langues confondues, seulement
0,7 % le sont en fulfulde 10 , langue par ailleurs parlée dans les ménages
par 10 % de la population du pays.
Sur le plan villageois, le bouche à oreille est encore d'actualité dans les
milieux fulaphones. Un ordre transmis oralement par un homme ou une
femme jouissant d'une certaine notoriété a plus de chance d'être exécuté ou
pris au sérieux que celui écrit enfulfulde et transmis sous pli fermé. En effet,
le système de communication en milieu fulaphone est complexe et différent
de celui de l'Occident. Dans ce milieu, envoyer une lettre pour transmettre un
message à un oncle ou à un grand frère ressemblerait parfois à de la provo-
cation. Il faut plutôt effectuer soi-même le déplacement ou trouver un inter-
médiaire : tout est fonction de l'importance accordée au destinataire et non
au message lui-même. Dans un tel système de communication, les acquis de
l'alphabétisation ne tardent pas, par défaut de réactualisation, à se perdre.
Dans un environnement comme celui du Burkina Faso, les acquis de
l'alphabétisation enfulfulde ne sauraient donc résister aux pratiques relevant
plutôt du cadre de l'oralité. Une alphabétisation qui se veut durable devrait
en tenir compte et favoriser l'émergence d'une culture de l'écrit.
La culture de l'écrit
Pour être durable, l'alphabétisation en milieu fui aphone doit veiller à pré-
server et à renforcer ses acquis de base par la promotion d'une culture de
l'écrit. En effet, après un maximum de 497 heures de cours Il , les néo-
alphabétisés ne sont pas suffisamment outillés en lecture et en écriture.
Or, l'absence d'ouvrages de lecture et le manque de motivation en matière de
lecture et d'écriture exposent inexorablement les néo-alphabétisés à un anal-
phabétisme de retour. En effet, ils ne recherchent guère les rares documents
existants enfulfulde pour entretenir leur acquis, à plus forte raison écrire eux-
mêmes des textes à lire.
Dès lors, il est impérieux de travailler à une consolidation permanente des
acquis en lecture et en écriture. Pour ce faire, il convient d'envisager une
fourniture conséquente en ouvrages de lecture et en tout autre support indis-
pensable à l'émergence d'un environnement lettré en milieu fulaphone.

• Le français, l'anglais, l'arabe ne sont pas pris en compte.


• Analyse des résultats du recensement général de la population et de l'habitation de 1996, p.
138.
10 Il y'aurait plus de 1 million de fulaphones inégalement repartis sur l'ensemble du territoire

burkinabè.
" Il s'agit de la somme des heures de cours en AI et en FeB. Rares sont ceux Qui font les
497 heures de cours.

249
LA OUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Parallèlement, il faudra créer une forte envie de lire enfulfulde et travailler à


officialiser la langue qui, avec le moorél2 et le jula, seront des langues offi-
cielles au Burkina Faso.

Conclusion
L'analphabète s'adapte généralement très mal à la vie moderne et à la vie
technique du fait de son isolement par rapport aux sources d'information.
Son alphabétisation devient une condition essentielle pour une meilleure par-
ticipation au développement national. Cette alphabétisation, contrairement à
ce que l'on observe en milieu fulaphone et peut-être même sur l'ensemble du
pays, doit être envisagée sous l'angle de la durabilité. Pour cela, les cam-
pagnes d'alphabétisation doivent - si l'on sait que seulement 0,7 % de la
population du Burkina est alphabétisée enfulfulde - tenir compte de la puis-
sance de l'oralité. Aussi, les acteurs de l'alphabétisation doivent-ils orienter
leurs actions de manière à favoriser l'émergence d'une culture de l'écrit et
d'un environnement lettré. Conférer aufulfulde le statut de langue officielle
au Burkina Faso leur sera d'un grand apport.

Bibliographie
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40 % d'ici l'an 2009, Ouagadougou, sept. 1999.
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250
LANGUES ET ÉDUCATION

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251
LANGUES ET ÉDUCATION

Les obstacles sociolinguistiques à l'intr~tion


des langues nationales dans l'enseignement
primaire au Burkina Faso

Abou NAPON*

Introduction
Le Burkina Faso fait partie de la catégorie des pays francophones possé-
dant, en plus du français comme langue officielle, des langues locales.
Comme toutes les ex-colonies françaises, le Burkina Faso a subi la politique
linguistique de la puissance colonisatrice pendant plusieurs années. Cette
politique linguistique reflétait une conception unitaire de la nation qui ne
pouvait tolérer les différences culturelles. L'impérialisme culturel français
reproduisait en fait la politique menée en métropole visant à nier, puis à
éliminer toutes les particularités linguistiques (LANGE M. F , 1991).
Les méthodes utilisées pour imposer le français comme seule langue
écrite officielle sont les mêmes que celles qui furent employées dans les pro-
vinces françaises.« En partant du présupposé de la supériorité du français on
provoque la marginalisation et l'infériorisation des autres langues auxquelles
on dénie jusqu'au nom de langues et qui sont désignées par les termes de dia-
lectes ou idiomes. Les locuteurs de ces dialectes sont alors en situation d'hu-
miliation permanente, en particulier au sein de l'école où l'utilisation du
signal rappelle que l'appartenance au monde des lettrés fait référence à un
univers linguistique non francophone» (LANGE M. F., 1991: 487).
La politique de la France en matière de langue était d'assurer la pérennité du
français à travers le monde et plus singulièrement dans ses colonies. A cet
effet, différentes méthodes ont été élaborées par des inspecteurs français tels
que MONOD et DAVESNE pour amener les élèves africains à« manier»
le français avec la même aisance que les petits écoliers de la métropole.
Au seuil des indépendances, l'on s'attendait à ce que les Etats africains
adoptent de nouvelles politiques en matière de langues afin d'affirmer leur
indépendance. En effet, toute indépendance véritable doit être politique,
économique et linguistique. Malheureusement, beaucoup de pays sont res-
tés dépendants du legs linguistique du colonisateur. C'est le cas du
Burkina Faso où le français a été et demeure l'unique véhicule de l'ensei-
gnement. L'argument utilisé pour justifier un tel choix est la multiplicité

* Professeur titulaire en Linguistique à l'Université de Ouagadougou.

253
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

des langues en contact au Burkina Faso. Quelle langue choisir sans léser les
autres langues nationales ? Le français de par sa neutralité, c'est-à-dire
langue d'aucun groupe ethnique burkinabè est donc le seul trait d'union entre
les différents groupes ethniques en présence sur le territoire burkinabé.
A ce sujet, il importe de souligner que le pays compte une soixantaine de
langues nationales. La prise de position en faveur de l'exclusivité du français
a eu également pour raison le fait que seule cette langue pouvait permettre
aux Burkinabé de s'ouvrir au monde extérieur et partant à la civilisation
occidentale.
Cette attitude des autorités burkinabé qui a consisté à nier les capacités
des langues nationales à véhiculer le savoir scientifique et la modernité, a
perduré jusqu'en 1972. A partir de cette date, les responsables du système
éducatif vont abandonner leur attitude de démission et se prononcer sur l'in-
troduction des langues nationales dans l'enseignement primaire. La première
expérience qui a duré de 1979-1984 a été interrompue sans aucune évaluation
officielle. Après cette expérimentation, il a fallu attendre les états généraux
de l'éducation à Koudougou en 1989 pour qu'on reparle de l'introduction des
langues nationales dans l'enseignement primaire. Mais, ce n'est qu'en 1998
que les langues nationales ont été réintroduites à titre expérimental dans les
écoles satellites et les écoles bilingues. Malgré cette volonté de l'Etat de pro-
mouvoir les langues nationales, force est de constater que les objectifs
escomptés n'ont jamais été atteints.
Il s'agit ici de décrire les problèmes sociolinguistiques qui entravent la
bonne application des différentes décisions en matière de promotion des
langues nationales au Burkina Faso. Notre travail, pour aboutir, s'est appuyé
sur une recherche documentaire et sur une enquête de terrain réalisée en 2001
sur la perception des écoles satellites et des écoles bilingues par les parents
d'élèves. Sur ce dernier point, nous avons rencontré des fonctionnaires et des
paysans pour recueillir leur point de vue sur la question de l'introduction des
langues nationales dans l'enseignement primaire.

La situation des langues nationales dans l'enseignement


au Burkina Faso (1979-2002)
De 1960 à 1979, la langue française a régné sans partage sur le systè-
me primaire burkinabé et ce, malgré les différents appels des linguistes et
des psycho-pédagogues sur la nécessité d'éduquer les enfants dans leur
langue maternelle. Pour les premiers, le recours aux langues permettrait
d'une part, de valoriser les langues locales et d'autre part, de sauvegarder
l'identité culturelle des enfants. En ce qui concerne les seconds, leur sou-
hait de voir les langues nationales être utilisées comme véhicule de
l'enseignement est motivé parle fait que celles-ci assurent la continuité du

254
LANGUES ET ÉDUCATION

développement psychomoteur, affectif et cognitif de l'enfant.« En retirant


à l'enfant la possibilité d'utiliser son parler familier pour luifournir un ins-
trument de communication encore totalement inexploitable en début de
scolarité, l'école le met dans l'impossibilité matérielle d'extérioriser ses
sentiments et ses intérêts» (POTH J., 1997 : 9).
C'est à la suite des différents efforts de sensibilisation de l'UNESCO sur
l'importance des langues nationales dans le développement des pays africains
que le Burkina Faso s'est engagé dans la lutte pour la promotion de ses
langues et ce à partir de 1974. A cette période, une conférence regroupant des
professionnels de l'enseignement ainsi que des hommes politiques et des
sociologues s'est tenue à Ouagadougou. Son but était de proposer une réfor-
me qui tienne compte des réalités linguistiques, culturelles et sociales du
pays. Au sortir de cette conférence, a été élaboré en 1976 un document
intitulé: « L'école voltaïque en question ». On a rassemblé dans cette
œuvre les grands axes de l'école nouvelle voltaïque.
L'objet premier de ce texte est le suivant: « un système d'éducation pour
un changement profond et global de la société en revalorisant le patrimoine
culturel par l'utilisation des langues nationales ». Avec ce projet, les autorités
burkinabè pensaient libérer l'enseignement burkinabé de l'emprise culturelle de
l'étranger d'une part, et d'autre part, favoriser l'intégration nationale par une
valorisation de la culture nationale et par une distribution équitable du savoir à
tous les Burkinabé. Dans cette optique, le projet de réforme a décidé d'intro-
duire trois langues nationales dans l'enseignement au Burkina Faso. Il s'agissait
du mooré, dujula et dufulfuldé. Les critères de choix de ces langues qui ont été
retenus par l'INE (Institut National d'Education) étaient les suivants :
- le premier élément est l'importance numérique des locuteurs de ces langues.
Ainsi, l'on a estimé que près de 70 % de la population burkinabé était en
mesure de comprendre au moins une des trois langues ci-dessus citées ;
- deuxièmement, la représentativité régionale de ces langues. A ce propos, la
répartition de ces langues en zones montre la prépondérance du mooré au
centre et à l'est, celle dufulfuldé au nord. Quant aujula, il émerge comme
principale langue de communication à l'ouest et au sud-ouest du pays. Ces
trois moyens de communication couvrent à eux seuls presque tout le champ
communicatif burkinabé;
- le dernier élément est l'importance des études qui ont été faites sur les trois
langues. Beaucoup de travaux avaient été réalisés sur ces dernières, les
dotant de systèmes orthographique grammatical, ce qui facilitait leur utili-
sation dans l'enseignement.
Après l'adoption du projet, il a fallu attendre encore trois ans pour
que les langues mooré, jula et fulfuldé soient effectivement introduites
à titre expérimental dans une centaine d'écoles primaires du pays.

255
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Ces écoles étaient réparties sur l'ensemble du territoire en fonction des


aires linguistiques mooréphone, julaphone et fulaphone. L'objet de ces
écoles était d'utiliser les langues nationales comme matières et véhicules
de l'enseignement. Ainsi, au cours préparatoire première année et au cours
élémentaire deuxième année, la langue nationale enseignée en fonction de
l'aire géographique est utilisée comme le support des premiers apprentis-
sages. Durant cette période, le français était admis en classe uniquement
comme matière à l'oral. C'est à partir du cours élémentaire deuxième
année (CE2), jusqu'à la fin du cycle primaire, cours moyen deuxième
année qu'un équilibre entre la langue enseignée et le français était établi.
A ces niveaux, le français n'était plus utilisé comme matière orale mais
comme un véhicule de l'enseignement.
L'équilibre établi entre le français et les langues nationales reposait sur
des critères fonctionnels. Chaque langue était chargée de fonctions pédago-
giques qu'elle est apte à remplir. De fait, l'enseignement de la géographie et
de l'histoire était fait en langues nationales compte tenu de la réalité sociale
dans laquelle les élèves vivaient. Quant .aux mathématiques et aux sciences
naturelles, elles étaient enseignées en français en raison de l'absence de cer-
taines terminologies appropriées dans les langues nationales pour rendre
compte des réalités scientifiques et techniques.
L'expérimentation dont il a été question a duré cinq ans, soit de 1979 à
1984. Le bilan de cette expérience a été négatif. Seuls 168 écoles primaires
ayant 281 classes et comprenant 17 141 élèves avaient été touchées. Les
résultats peu encourageants de cette réforme ont conduit le Conseil National
de la Révolution à mettre fin à cette expérimentation en septembre 1984.
Après cette expérience, il a fallu attendre plus de Il ans pour que les autorités
burkinabé ne se remettent à parler des langues nationales à travers le projet
ES/CEBNF. En effet, les écoles satellites ont été initiées en 1998 par le gou-
vernement burkinabé avec le soutien de l'UNICEF et d'autres partenaires au
développement.
Conçues pour rapprocher l'école de l'élève et surtout faciliter l'accès et
la fréquentation des filles, les écoles satellites font partie intégrante du
système primaire. Elles constituent le premier maillon de ce système dans
les villages où il n'existe pas encore une école primaire classique. Elles
correspondent aux trois premières années du primaire (cours préparatoire
première année, cours préparatoire deuxième année, cours élémentaire
première année). Les écoles satellites accueillent des jeunes de 7 à 9 ans
non scolarisés à raison de 40 élèves environ par classe. Les écoles satellites
peuvent cependant être normalisées soit par l'application du multigrade
(accueil de deux promotions dans une même classe) soit par la construction
des trois classes restantes.

256
lANGUES ET ÉDUCATION

Les objectifs des écoles satellites sont à la fois quantitatifs et qualita-


tifs, fonner plus et mieux. Quantitativement, elles visent à accroître l'offre
éducative en réduisant les écarts entre villes et campagnes, entre filles et
garçons. Qualitativement, ces innovations éducatives visent l'adéquation
des enseignements dispensés au contexte de vie des apprenants et par-delà
leur intégration dans leur milieu. Pour éduquer l'enfant en tenant compte
de sa réalité sociale, il a été décidé de transmettre le savoir-faire, le savoir-
être aux apprenants en s'appuyant sur les langues nationales (langues d'in-
tégration au groupe) et le français (langue d'ouverture au monde
extérieur). Ainsi, les connaissances acquises dans la première langue sont
réinvesties comme tremplin pour acquérir facilement et rapidement la
seconde langue. C'est ce qu'on appelle le bilinguisme de transfert. Le
bilinguisme se présente de la façon suivante :
- première année : alphabétisation en langue nationale ;
- deuxième année : utilisation de la langue nationale et du français
- troisième année : utilisation exclusive du français.
Les premières évaluations faites par le Ministère de l'Enseignement de
Base et de l'Alphabétisation (MEBA, 1998) et l'Institut de Recherche pour le
Développement (IRD, 1998) sur les apprentissages ont montré que les élèves
des écoles satellites étaient plus perfonnants que ceux des écoles classiques.
Mais cet enthousiasme a été de courte durée. En effet, NAPON (2001) et
BATIANA (2002) ont montré dans leurs études sur les apprentissages que les
résultats dans les écoles satellites ne sont pas bons.
En plus des écoles satellites, notons les écoles bilingues, créées en
1995 dans le cadre d'une coopération institutionnelle « Association
Namalguebzanga, Œuvre Suisse d'Entraide Ouvrière - Institut National
d'Alphabétisation ELAN - Développement », à travers la méthode ALFAA
(Méthode d'Apprentissage de la Langue Française à partir des Acquis de
l'Alphabétisation dans les Langues Nationales). La toute première expéri-
mentation a été faite avec des jeunes de 9 à 14 ans à Nomgana et à Goué avec
55 élèves. Ces élèves ont eu un taux de succès de 80 % au certificat d'étude.
Ces résultats satisfaisants ont donc motivé la poursuite de l'expérimentation.
C'est ainsi qu'en 1999, l'expérimentation officielle des écoles bilingues a
démarré avec le recrutement d'enfants de 7 à 14 ans. Le cycle scolaire dure
5 ans. Les langues nationales sont utilisées comme médium dans tous les
enseignements. Le français est enseigné comme matière à partir de la deuxiè-
me année. Les langues nationales sont utilisées durant tout le système. C'est
donc un bilinguisme additif qui est pratiqué dans ces écoles. Dans les écoles
bilingues, le bilinguisme se présente de la façon qui suit
- première année : langue nationale + français oral ;
- deuxième année : langue nationale + français oral ;

257
LA QUESTION ËDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

- troisième année : français (toutes les disciplines) ;


- quatrième année : français ;
- cinquième année: français.
A la cinquième année, les élèves peuvent se présenter au certificat
d'études primaires.
Aujourd'hui, les écoles bilingues sont en train d'être généralisées sur
l'ensemble du territoire burkinabé. Elles touchent à présent six groupes
linguistiques : mooré, jula, fulfuldé, lyélé, bisa et gulmancema.
Progressivement, les écoles bilingues sont en train d'être rétrocédées au
Ministère de l'enseignement de base et de l'alphabétisation par l'Œuvre
Suisse d'Entraide Ouvrière, sans aucune évaluation de ces écoles par le
MEBA.
Les enquêtes épilinguistiques réalisées auprès des fonctionnaires et des
paysans montrent que la plupart des Burkinabé ont peur de l'introduction des
langues nationales dans l'enseignement primaire. Et cette peur est, selon
nous, en partie liée à un certain nombre d'obstacles sociolinguistiques que
l'Etat burkinabé ne prend pas au sérieux.

Les obstacles sociolinguistiques à l'introduction


des langues nationales dans l'enseignement primaire
Le premier obstacle à l'introduction des langues nationales dans l'en-
seignement primaire est l'absence d'une politique linguistique claire en
faveur de leur utilisation dans le système formel. En effet, on note que la
plupart des expériences en matière de promotion des langues nationales est
l'œuvre d'ONG, d'Associations ou d'institutions internationales. L'Etat
burkinabé refuse de s'y impliquer; ce qui donne l'impression que l'Etat
attend de voir si ces expériences vont réussir avant de se les réapproprier.
En d'autres termes, l'Etat burkinabé lui-même a peur de ses langues natio-
nales. La conséquence d'une telle situation est que l'Etat ne jette pas un
regard objectif sur l'application de ces différentes innovations, il se
contente d'adopter les différents rapports qui lui sont présentés sans cher-
cher à vérifier les données sur le terrain. Ce qui a amené certains à dire que
le Burkina Faso est un vaste champ où chaque institution vient expéri-
menter ses projets en matière d'éducation.
Cette attitude passive de l'Etat vis-à-vis des expérimentations risque à
terme de folkloriser les langues nationales. En effet, les projets conçus la plu-
part du temps dans la précipitation sont exécutés sans tenir compte des
réalités socio-culturelles du pays. De plus, ces expéri~entatioJ:ls sont généra-
lisées sans évaluations préalables.

258
LANGUES ET ÉDUCATION

La conséquence d'une telle situation est que les différentes expérimen-


tations sont décriées de plus en plus sur le terrain par les populations, car
ne prenant pas en compte leurs préoccupations. Par exemple sur le plan
linguistique, les apprenants n'arrivent pas à maîtriser correctement les
langues nationales fautes de documents didactiques. Sur le plan de l'acquisi-
tion des connaissances instrumentales, les contenus des programmes sont
modifiés d'une année à une autre sans aucune évaluation préalable. En ce qui
concerne la philosophie et les objectifs des projets, ils sont revus d'une année
à une autre en fonction des contraintes financières. L'on se retrouve donc à la
longue face à un projet« hybride »en déphasage avec ce qui avait été dit au
départ aux populations.
N~us pensons que ces situations pourraient être évitées si l'Etat burkinabé
s'impliquait réellement dans la gestion des langues. En effet, toute action en
matière de promotion des langues nationales nécessite la collaboration de
plusieurs spécialistes : les politiciens, les linguistes, les sociologues, les
pédagogues, les économistes et les psychologues. La coordination des actions
de tout ce personnel doit être faite par l'Etat, si l'on veut permettre à un tel
projet d'avoir des chances de réussir. Tant que l'Etat ne coordonnera pas les
différentes expériences en matière d'innovations éducatives, on continuera à
sacrifier des promotions entières de jeunes gens et d'enfants non pas au ser-
vice de la promotion des langues nationales mais pour satisfaire les ambitions
personnelles de quelques personnes.
L'attitude attentiste de l'Etat burkinabé explique également l'absence de
linguistes dans la plupart des projets éducatifs. En l'absence donc des spé-
cialistes de la langue, l'on a recours à des agents des services d'alphabétisa-
tion pour la formation des animateurs ou des enseignants des écoles. Ces
derniers sont le plus souvent recrutés sans aucune expérience. Ce que l'on
recherche, c'est la main-d'œuvre à moindre coût. La qualité de l'éducation
n'est pas prise en compte. La conséquence d'une telle attitude est que les ani-
mateurs abandonnent les enfants en pleine année scolaire dès qu'ils sont
admis à un concours. Cette situation explique en partie les difficultés qu'ont
les enseignants à utiliser le bilinguisme de transfert dans les salles de classes.
Le manque de linguistes est lié au fait que l'Etat burkinabé a mis l'accent
sur son indépendance politique et économique pour promouvoir le dévelop-
pement. Mais ce qu'on oublie c'est qu'il ne peut y avoir une indépendance
véritable si l'on ne prend pas en compte la dimension linguistique. Le dépar-
tement de linguistique de l'Université de Ouagadougou a reçu de 1996-2001
environ 600 étudiants. Ce qui n'est pas significatif au regard des besoins
actuels du système éducatif burkinabé. Cette situation est due au fait que très
peu d'étudiants y sont orientés. Ce qui veut dire en clair que la question des
langues nationales intéressent peu l'Etat. Ce qui est en contradiction avec

259
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS
• "0 ,

l'article 4 de la loi d'orientation de l'éducation qui accorde une place impor-


tante aux langues nationales et l'article 1 sur la place du non formel. A titre
indicatif, voici le contenu de l'article 4 : « Les langues d'enseignement sont
le français et les langues nationales ».
Nous pensons que les discours tenus de temps en temps sur les langues
nationales par les autorités burkinabè visent en réalité à calmer les ardeurs
-des partisans de l'introduction des langues nationales dans l'enseignement ou
à s'attirer les bonnes grâces de certaines institutions internationales.
Comment peut-on déclarer vouloir promouvoir les langues nationales en
oubliant la formation des ressources humaines à même de faire des
recherches scientifiques pertinentes sur les langues à enseigner ?
L'insuffisa~ce de linguistes est réel au Burkina Faso, et risque à terme de
compromettre la réussite des différentes expériences en cours dans le pays. Par
exemple, la Direction des enseignements spécifiques du secondaire qui a réussi
à faire introduire les langues nationales au secondaire à titre optionnel a du mal
à réunir des linguistes en mooré, en jula et en fulfuldé pour assurer les cours.
De même, plusieurs ONG cherchent depuis plus de deux ans à s'attacher les
services de linguistes mais en vain.
Cette absence de politique claire de l'Etat en matière de promotion des
langues nationales est encouragée par l'attitude passive des linguistes burki-
nabè. Ces derniers sont impliqués dans la plupart des projets, mais ne se don-
nent pas le temps de réfléchir sur leur pertinence et leur efficacité réelle.
Aucun regard critique n'est jeté sur les expériences en cours. De ce fait, ils
se font complices de la folklorisation des langues nationales. Pris entre les
différentes expérimentations, les linguistes sont incapables de se retrouver
pour élaborer une méthode efficace d'enseignement des langues nationales
s'appuyant sur les différentes méthodes actuellement en expérimentation.
Cette attitude de démission est dénoncée par CALVET L. 1. (1974 : 37) :
« une linguistique consciente de ses implications politiques ne peut être que
militante. C'est aux linguistes concernés, dans leurs pays
respectifs, dans leur région, qu'il appartient d'assumer cette prise en
charge, ce combat pour la défense de l'épanouissement de leur langue et leur
culture propre ».
Au lieu de parler de leur attitude, les linguistes burkinabé se réfugient
derrière un certain nombre de facteurs qui entravent l'introduction des
langues nationales dans l'enseignement. Il s'agit entre autres de l'absence
d'une politique linguistique claire, du multilinguisme que connaît le pays, de
l'absence de ressources financières pour mener les recherches. Nous pensons
que tous ces problèmes pourraient avoir un début de solution si des
recherches efficientes étaient réalisées sur le terrain par les linguistes et ce
pour montrer les capacités de nos langues à véhiculer des savoirs techniques

260
LANGUES ET ÉDUCATION

modernes.
Un autre problème qui entrave l'introduction des langues nationales dans
l'enseignement est l'irrédentisme linguistique qui s'observe aussi bien chez
les intellectuels que chez les paysans. Nous entendons par irrédentisme lin-
guistique l'amour exagéré qu'une personne a pour sa langue maternelle.
Certains intellectuels et paysans se disent partisans de la promotion des
langues nationales mais dès que l'on arrive à la pratique, ils se montrent peu
enthousiastes à l'idée de voir leurs enfants apprendre une langue autre que la
leur. En effet, en raison du multilinguisme qui est un trait caractéristique du
Burkina Faso (une soixantaine de langues environ), le choix des langues à
enseigner est fait en fonction de leur poids démographique. Ce qui n'est pas
du goût de tout le monde. A ce sujet NIKIEMA N. (1993 : 134) affirme que
« le choix de telles ou telles langues pour telle(s) fonction(s) dans l'éduca-
tion (...) n'est pas une interdiction de s'intéresser aux autres langues, de les
écrire, de les enseigner, etc. L'Etat choisit seulement, compte tenu de ses
moyens, de s'investir dans un certain nombre de langues dont le poids démo-
graphique est tel qu'elles permettent d'atteindre le maximum de gens pos-
sibles ».
Les locuteurs des langues minoritaires acceptent difficilement cette réalité
pour des raisons de fidélité, d'appartenance et d'identité culturelle. A ce sujet
M. OUEDRAOGO (2002 : 13) dit que« ceux qui tenteraient de ne pas en tenir
compte courent le risque d'être taxés de traîtres par les autres membres de leur
groupe ethnique ». En plus de l'irrédentisme linguistique qui est un frein à
l'expansion du bilinguisme au Burkina Faso, il y a un phénomène de l'attache-
ment linguistique de la majorité des Burkinabé au français, langue de promotion
sociale du pays. Cette langue de par son statut de langue officielle est omnipré-
sente dans tous les domaines de la vie de la nation : économique, politique et
culturelle. Le français est donc un outil de travail, de communication, de pro-
motion sociale, bref, la langue à travers laquelle, on devient« quelqu'un ». Au
contraire du français, les langues nationales ne procurent aucun avantage socio-
économique à leurs locuteurs. Au regard de cette situation, les uns et les autres
sont réticents vis-à-vis de la promotion des langues nationales.

Les chances de réussite d'une politique d'introduction


des langues nationales dans l'enseignement primaire
Pour permettre aux langues locales 'd'avoir leur place dans le système
formel burkinabé, il faut que l'Etat burkinabé définisse une politique linguis-
tique claire en matière de promotion des langues nationales. Pour ce faire,
il se doit de répondre aux questions suivantes :
- veut-on introduire les langues nationales comme moyen de promotion de fa
culture burkinabé ?

261
LA QUESTION ËDUCAnVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

- Veut-on utiliser les langues nationales seulement comme marche-pied pour


faciliter l'apprentissage du français ?
En d'autres termes, il faut que les responsables burkinabè répondent à
la question « les langues nationales pourquoi faire ?» Pendant longtemps,
certains linguistes ont laissé croire qu'au Burkina Faso, on avait déjà trouvé
une réponse à cette question. Ce qui restait donc, c'est de trouver une répon-
se à la question « les langues nationales comment ? » Cependant, le bref
aperçu sur la place des langues nationales dans l'enseignement primaire
montre que l'Etat burkinabé n'a répondu à aucune des deux questions.
Une fois que les responsables du système éducatif burkinabé auront trou-
vé une réponse à ces deux questions, l'Etat devrait désormais s'impliquer un
peu plus dans toutes les innovations éducatives susceptibles d'entraîner des
bouleversements sociaux dans le pays. Ainsi, il faudrait désormais éviter de
généraliser les expérimentations sans évaluation préalable. De plus, la mise
en place d'expériences éducatives doit prendre appui sur des enquêtes socio-
linguistiques et ce pour recueillir les jugements de valeurs des locuteurs des
différentes langues sur l'opportunité de la réforme linguistique. Les popula-
tions devraient être associées à tout le processus de mise en place des expé-
rimentations (de la conception jusqu'à l'exécution). Cette information
langagière à l'endroit des locuteurs est fondamentale, si on veut donner des
chances à tout projet incluant les langues nationales de réussir. Les uns et les
autres sont tellement accrochés à leurs avantages acquis grâce à leur maîtri-
se du français si bien que pour rien au monde ils ne veulent se départir de
cette langue.
Au regard de cette situation, nous pensons que seule une redistribution des
rôles des langues nationales et du français permettrait aux premières langues
d'être valorisées. Ainsi par exemple, on pourrait décider de faire des langues
nationales des outils de promotion culturelle et du français, la langue d'ou-
verture au monde extérieur. Dans le cadre d'une telle politique, on pourrait
par exemple dire que l'accès à la fonction publique serait conditionné par la
maîtrise écrite de deux types de langues : une langue nationale et le français.
Ce n'est qu'à ce prix qu'on pourra amener les intellectuels qui sont les plus
réticents à utiliser les langues nationales à accepter la réforme linguistique.
Si cette politique n'est pas appliquée, on risquerait de donner raisons aux
sceptiques qui disent que « l'éducation en langues nationales est faite pour
les enfants du monde rural ». A ce sujet OUEDRAOGO M. (2002 : 3) ajou-
te qu'il n'est pas rare d'entendre les propos du genre « ceux qui s'intéres-
sent aux langues nationales ce sont ceux qui mangent dans ça ». Ce qui veut
dire que la question des langues netionales est une affaire de quelques indi-
vidus qui veulent s'enrichir sur le dos des pauvres paysans analphabètes.
En ce qui concerne les linguistes, nous pensons que leur rôle étant d'éclairer

262
LANGUES ET ÉDUCATION

les autorités politiques sur les dangers d'une mauvaise gestion des langues, ils
se doivent de créer un cadre de concertation pour échanger leurs expériences sur
les langues en contact. Ce n'est qu'à ce prix qu'ils pourront se mettre au-dessus
de la mêlée et apporter des arguments scientifiques sérieux à même de faciliter
l'introduction des langues nationales dans le système éducatif burkinabé.

Conclusion
L'examen de la place des langues nationales dans l'enseignement
primaire a révélé que l'Etat burkinabé ne joue pas le rôle qui aurait dû être le
sien dans la gestion des langues nationales et du français à l'école. En effet,
on note une faible implication des premiers responsables du système éduca-
tif burkinabè dans les débats concernant l'introduction des langues locales
dans le système formel. Toutes les expériences concernant l'utilisation des
langues sont l'œuvre d'ONG, d'Associations et d'institutions internationales.
Ce désengagement de l'Etat explique en partie les difficultés que rencontrent
les différentes expérimentations en cours au Burkina Faso.
L'on pourrait trouver des solutions aux obstacles qui entravent l'introduc-
tion des langues dans l'enseignement si l'Etat burkinabé avait une politique
linguistique claire qui tienne compte de la dynamique des langues en présen-
ce et des besoins linguistiques des populations. En effet, nous pensons à la
suite de CALVET L. J. (2001 : 10) que« les hommes ne sont pas au service
des langues, mais qu'à l'inverse celles-ci doivent servir les hommes ».
La mise en place d'une telle politique nécessiterait que l'Etat burkinabè
réponde aux questions : les langues nationales à l'école pourquoi ? les
langues nationales comment ?
Tant que les gouvernants n'auront pas de réponses à ces questions, le
risque que les langues nationales soient folklorisées une fois de plus est
grand. En effet, cette situation s'observe de plus en plus dans des pays qui
jusqu'alors étaient cités en exemple sur la base des expériences qu'ils avaient
réalisées (Ghana, Nigeria, Guinée, Mali, etc.).
Au Ghana, après plus de 40 ans d'utilisation des langues nationales dans
l'enseignement de base, le Ministre de l'éducation vient de remettre en cause
cet acquis en accusant les langues locales d'être à la base de la mauvaise
maîtrise de l'anglais par les élèves ghanéens. Ce revirement de situation au
Ghana doit inciter les Burkinabé à la prudence, car ceci est un témoignage
des difficultés qu'ont les Africains à trouver des remèdes« au mal qui mine
leurs pays », le complexe des langues nationales. « Le complexe des
langues nationales est le préjugé qui est ancré dans les esprits des Africains
eux-mêmes et qui veut que les langues africaines soient incapables de véhi-
culer le progrès et donc de susciter le développement d'une façon générale »
(BATIANA A., 1995 : 6).

263
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Bibliographie
BATIANA A., 1995. Problématique d'une politique linguistique : le cas du Burkina
Faso, non publié, Il p.
BATIANA A., 2802. Evaluation des écoles satellites, UNICEF.
CALVET L. J., 1974. Linguistique et colonialisme, Payot, Paris.
CALVET L. J., 2001. Dynamiques langues Africaines / langues partenaires, com-
munication à la~onsultation africaine, Mission pour l'Académie des langues, Mali,
Bamako.
IRD (2000). Evaluation des niveaux des élèves des écoles satellites.
LANGE M. F., 1991. Le choix des langues enseignées à l'école au Togo: quels
enjeux politiques dans CHARMES (Dir) plurilinguisme et développement,
p.480-491.
MEBA, 1998. Rapport de l'étude sur la consolidation des écoles satellites pour
l'amélioration de l'enseignement de base au Burkina Faso (Evaluation conjointe
avec la Banque Mondiale, 51 p.).
NAPON A., 1994. L'enseignement du français au Burkina Faso: méthodes et stra-
tégies dans les Annales de l'Université de Ouagadougou, série A, vol VI, p. 23-41.
NAPON A., 1992. Etude du français des non lettrés au Burkina Faso, thèse nouveau
régime, université de Rouen, 322 p.
NAPON A., 2001. La place des langues nationales dans le système éducatif burki-
nabè, dans les cahiers CERLESHS, Université de Ouagadougou.
NAPON A., 2001. Le bilinguisme de transfert langues nationales / français dans les
écoles satellites au Burkina Faso, rapport d'étude.
NIKIEMA N., 1993. Les langues nationales et intérêts de classe au Burkina Faso
dans les actes du colloque, IPB, p. 131-144.
OUEDRAOGO M., 2002. L'utilisation des langues africaines dans les système édu-
catifs en Afrique (pour que les langues africaines prennent les chemins de l'école),
non publié.

264
LANGUES ET ÉDUCATION

,
Etude comparative des écoles satellites 1999-2002

André BATIANA *

Introduction
Les écoles satellites, partie intégrante de l'école classique, ont été créées
au Burkina Faso en 1995 par le Ministère de l'Enseignement de Base
et de l'Alphabétisation (MEBA) avec l'appui de l'UNICEF. D'après le
« Document du projet » de la Direction des études et de la planification
(DEP, 1995), cinq objectifs leur étaient assignés : augmenter la couverture
~colaire ; réduire les disparités régionales ; réduire les disparités entre les
sexes ; rapprocher les écoles des domiciles ; améliorer la qualité de l'ensei-
gnement. L'originalité du projet résidait surtout dans ce dernier volet qui
devait consister en ce que l'enseignement allait se faire dans les langues natio-
nales les deux premières années, avec introduction progressive du français.
Les écoles satellites (ES) sont une expérimentation éducative qui, dans les
objectifs de départ, devrait donner jour à la « nouvelle école burkinabé de
demain ». De plus, elles sont en pleine croissance numérique. Au départ,
9 provinces abritaient 31 écoles satellites qui enseignaient dans 5 langues
nationales. En 2002, ce sont plus de 210 écoles satellites qui emploient
7 langues dans 18 provinces. La majeure partie de ces écoles se situe en
milieu rural ou périurbain. Les écoles satellites devaient, dans les principes
fondateurs du projet écoles satellites/centres d'éducation de base non
formelle, faire l'objet d'un suivi-évaluation permanent. Mais, au vu de
l'enjeu qu'elles représentent, celles- ci ont naturellement intégré la réflexion
du public (les parents comme les éducateurs et les chercheurs).
Dans ce contexte, plusieurs travaux ont été réalisés : enquête menée en 1998
parBARRETEAU, MÉTAYER et YARO A. ; évaluation en 1998 par uneéqui-
pe du MEBA (BARRYffRAORÉ et al., 1998) ; étude de YARO y. en 1999 ;
étude de NAPON et BENGALI en 2001, etc. Dans cette logique, une évaluation
a été réalisée par BARRETEAU, BATIANA et YARO en juin 1999 (donc en
fin d'année scolaire), afin d'élargir les bases de ces études. En mai 2002, dans
le cadre des évaluations périodiques prévues par le projet ES/CEBNF et du fait
de l'extension des écoles satellites (leur nombre a été multiplié par 7 de 1999 à
2002, où on compte plus de 210 ES), une évaluation a été commanditée par
l'UNICEF et conduite par BATIANA et KONÉ avec la participation de
YARO A. Les études couvrent ainsi plusieurs années et permettent de disposer
de la littérature pour appréhender l'évolution des ES, au moins de 1998 à 2002.

* Maître Assistant, Linguiste à l'Université de Ouagadougou.

265
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO : REGARDS PLURIELS

Notre objectif ici est de nous pencher sur le thème à travers les années
1999 et 2002 qui sont en fait deux époques différentes marquant la brève his-
toire des écoles satellites.
Pour ce faire, nous nous appuyons sur l'évaluation des niveaux des élèves
des écoles satellites (BARRETEAU, BATIANA et YARO, 1999) et sur
l'évaluation des performances des élèves des écoles satellites (BATIANA et
KONÉ,2002).
En 1999, l'étude s'est fondée sur la totalité des écoles satellites (ES) ayant
des classes de CEl (31 écoles) et sur les « écoles-mères» (EM) correspon-
dantes (25 écoles ont répondu aux questionnaires).
Nous avons utilisé le même questionnaire que celui du MEBA. Les items
couvraient les connaissances en orthographe, vocabulaire, grammaire, conju-
gaison, arithmétique, géométrie et système métrique, autrement dit les outils
d'apprentissage essentiels de français et de mathématique. C'est pour cela
que nous l'avons appelé test général (TG). Cette étude s'était donné le prin-
cipe de ne pas opérer de sélection parmi les écoles satellites, de manière à
confirmer ou à infirmer l'évaluation précédente du MEBA dont les résultats
paraissaient quelque peu surprenants. Cette recherche portait exclusivement
sur les classes du CEl qui représentaient le niveau terminal des écoles satel-
lites, les élèves devant, théoriquement, passer dans les « écoles-mères »au
CE2. De plus, afin de corroborer les résultats, nous avons analysé et compa-
ré h..,,, Conl:lu,. :on de ce test général à deux autres séries de données : les
r

résultats d'ulle étude plus détaillée sur les niveaux de français, basée sur un
test de compétence en f ranyais (TCP) élaboré par l'équipe de Chaudenson
(1997) et que nous avons adapté au niveau du CEll ; un relevé des notes aux
compositions trimestrielles. Enfin, un questionnaire adressé aux directeurs
d'école visait à inventorier les déterminants des réussites et les causes des
échecs. Est-ce que les réussites des uns et les échecs des autres peuvent s'ex-
pliquer par des facteurs propres au fonctionnement de ces écoles ? L'objectif
final de cette étude était de tirer des conclusions sur la possibilité d'étendre ou
non le projet des écoles satellites et dans quelles conditions ou d'apporter des
éléments de manière à répondre à la question de l'avenir des écoles satellites.
En 2002, l'étude a porté sur un échantillon de 50 écoles satellites se
voulant représentatif au plan linguistique, géographique et chronologique
(ouverture en 1995,1996,1997,1998) ; et sur 30 «écoles-mères ».
Comme la précédente, cette deuxième évaluation a utilisé les mêmes
démarches d'enquêtes et d'analyse: TG, TCF, notes trimestrielles; compa-
raisons des différents résultats. Cependant, les épreuVes du test général ont

1 En nous servant du manuel de lecture en usage.

266
LANGUES ET ÉDUCATION

été changées suivant le niveau d'exécution des programmes dans les CEl
(mais le test reste le même), l'épreuve de production écrite a été supprimée
(par choix délibéré) ; enfin, en plus du questionnaire sollicitant l'opinion des
directeurs d'école, un autre a été soumis aux APE (Association des parents
d'élèves) de l'école classique tout comme aux CV (Comités villageois) des
écoles satellites. De façon spécifique, l'étude visait les objectifs suivants :
tester le niveau réel des élèves des écoles satellites en mathématiques et en
français ; identifier les difficultés rencontrées par les élèves ; identifier les
problèmes des enseignants dans l'exercice de leur fonction ; faire des sugges-
tions et recommandations pour l'amélioration du projet « écoles satellites ».
.
À terme, il s'agissait de justifier la poursuite du projet.
À partir de ces deux travaux, nous avons procédé à une analyse comparative
de leurs principales conclusions avec l'intention de répondre aux questions sui-
vantes: comment les. ES fonctionnent trois années après 1999?
Y a-t-il des changements ? Les conditions d'enseignement / apprentissage ou les
niveaux des élèves sont-ils les mêmes ? Quels sont les facteurs du changement?

Test général
En 1999, le test général (français et mathématique) a été administré dans
31 écoles satellites (ES) et 25 écoles classiques (EC). Il comportait les
épreuves suivantes: dictée, grammaire, conjugaison et vocabulaire, d'une
part ; opérations et problème, d'autre part. En 2002, le test général (français
et mathématique) a été administré dans 49 écoles satellites (une école ayant
fait défection) et 30 écoles classiques. Les résultats ont été ramenés à des
moyennes sur dix.
Comparaison entre les matières
Moyennes générales selon les matières en 1999
Dictée Gram- Conju- Voca- Opération Problème Moyenne
maire gaison bulaire génénérale
Ecoles satellites 5,2 5,4 4,7 5,8 7,6 5,7 5,7
Ecoles classiques 3,5 3,4 2,7 4,3 4,9 2';; 3,5
écarts 1,7 2 2 1,5 2,7 3,2 2,2

Les moyennes générales sont toujours supérieures dans les écoles satellites,
quelles que soient les matières. Les écarts les plus forts se situent en mathéma-
tiques, l'écart le plus faible apparaissant en vocabulaire et ~n français. Les écoles
satellites obtiennent des moyennes supérieures à 5/10 dans tous les domaines,
sauf en conjugaison. En revanche, les écoles classiques n'obtiennent la moyen-
ne générale dans aucun domaine, bien qu'elles s'en approchent pour les opéra-
tions (4,9/10). Qu'en est-il trois années plus tard?

267
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Moyennes générales selon les matières en 2002

Dictée Grammaire Conjugaison Vocabulaire Calcul Moyenne


générale
Ecoles satellites 1,8 4,3 3,8 2,7 2,7 3,3
Ecoles classiques 1,5 3,2 2,7 2,5 1,5 2,6
Écarts 0,3 1,1 1,1 0,2 1,2 0,7

En 2002, les opérations et le problème ont été considérés comme une


seule matière et regroupés sous l'appellation de« calcul ». En effet, leur dis-
tinction ne nous paraissait pas fondamentale. Il apparaît que les moyennes
générales, quelles que soient les matières, sont supérieures dans les écoles
satellites. Toutefois, bien que les résultats soient en faveur des écoles satellites,
celles-ci n'obtiennent dans aucune des disciplines une moyenne supérieure à
SIlO. De plus, les écarts ne sont pas très significatifs. Les moyennes en français
et en mathématiques, tout comme les pourcentages d'élèves,traduisent les
tendances générales.

Moyennes générales en français et en mathématiques en 1999


Dans le tableau ci-dessous, on a regroupé la dictée, la grammaire, la
conjugaison et le vocabulaire d'une part sous« français »et les opérations
et le problème sous« mathématiques »d'autre part.

Français Mathématiques Total


Ecoles satellites S,3 6,6 S,7
Ecoles classiques 3,S 3,7 3,5
Écarts 1,8 2,9 2,2

En regroupant les matières de français, d'une part et de mathématiques,


d'autre part, on observe que les rapports sont nettement en faveur des écoles
satellites. Les différences sont plus nettes en mathématiques.
Moyennes générales en français et en mathématiques en 2002
Français Mathématiques Moyenne
générale
Ecoles satellites 3,2 2,7 3,3
Ecoles classiques 2,S I,S 2,6
Écarts 0,7 1,2 0,7

Les moyennes sont plus élevées en français ou en mathématiques dans les


écoles satellites, avec des distances plus manifestes dans le dernier domaine.
Néanmoins, la faiblesse des écarts est perceptible.

268
LANGUES ET ÉDUCATION

Pourcentages d'élèves ayant obtenu la moyenne en français


et en mathématiques en 1999
Français Mathématiques Moyenne
Ecoles satellites 55,6 75,7 62,2
Ecoles classiques 32,9 44,4 27,1
Écarts 22,7 31,3 35,1

Il ressort de ce tableau les résultats suivants :


- les écoles satellites présentent toujours de meilleurs résultats que les écoles
classiques ;
- les résultats en mathématiques sont meilleurs qu'en français ;
- dans les écoles satellites, les résultats sont excellents en mathématiques et
passables en français ;
- dans les écoles classiques, les résultats sont faibles en mathématiques et
médiocres en français.
Pourcentages d'élèves ayant obtenu la moyenne en français
et en mathématiques en 2002
Français Mathématiques Moyenne
Ecoles satellites 31,4 23,2 29,6
Ecoles classiques 22,3 4,4 18,7
Écarts 9,1 18,8 10,9

Le tableau indique que


-les écoles satellites présentent toujours de meilleurs résultats que les écoles
classiques ;
- les résultats en français sont meilleurs qu'en mathématiques
- dans les écoles satellites, les résultats en français sont passables et
médiocres en mathématiques ;
- dans les écoles classiques, les résultats en français sont médiocres et nuls
en mathématiques.
On constate, à partir des résultats des évaluations, que les niveaux par
matière ou les moyennes générales dans les ES ou dans les écoles classiques
se sont amenuisés en trois ans. Bien que les écoles satellites affichent tou-
jours des scores supérieurs, ce sont elles qui présentent les plus fortes baisses
en français et en mathématiques, comme le témoigne la chute des écarts par
matière. La chute des moyennes générales est de 2,4 pour les ES contre
0,9 pour les écoles classiques, ce qui implique une réduction de l'écart entre
les deux types d'écoles de 2,2 à 0,7. Comme nous le verrons plus loin, cette
situation s'expliquerait par des facteurs matériels et structurels.

269
LA QUESTION ËDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Si les résultats au test général sont à eux seuls révélateurs, ils ne permet-
tent pas de mesurer la compétence des enfants en français. C'est pour cette
raison que la comparaison des deux types d'école s'est aussi étendue à cet
aspect.

Test de compétence en français


En 1999, ce test a été administré dans quatre écoles satellites et dans les
quatre « écoles-mères» correspondantes, à raison de dix élèves par classe, un
échantillon qui se voulait représentatif du niveau de la classe. En 2002,
ce même échantillon a été prélevé dans les classes de 49 écoles satellites et
26 écoles classiques. Le test a porté sur la compréhension orale (CO), la pro-
duction orale (PO), la compréhension écrite (CE) et, en 1999 la production
écrite (PE).
Moyennes obtenues aux différentes parties du test
Moyennes générales en 1999
CO PO CE PE Moyenne
Écoles satellites 6,7 3,1 2,1 4,4 4,1
Écoles classiques 6,9 3,1 1,2 3,8 3,8

Dans l'ensemble, les moyennes se révèlent faibles (4,1110 pour les


écoles satellites et 3,8/10 pour les écoles classiques) à l'exception des
résultats au test de compréhension orale (où les questions étaient certaine-
ment plus à la portée des élèves). La moyenne générale est légèrement
inférieure pour les écoles classiques. Des différences entre écoles satellites
et écoles classiques apparaissent surtout à l'écrit où les écoles satellites ont
de meilleurs résultats.
Moyennes générales selon les domaines en 2002
CO PO CE Moyenne
Ecoles satellites 6,3 3,7 3,2 4,4
Ecoles classiques 7~ 5~ 4,9 6
Écarts 1 ,2 1,8 1,7 1,6

Il faut tout d'abord noter que dans le tableau ci-dessus ne figurent pas les
moyennes en production écrite (PE). Cela est dû au fait que le test n'ayant
pas été bien administré par les enseignants dans toutes les écoles concernées,
les données n'étaient pas exploitables. On constate cependant que ces syn-
thèses montrent, contrairement à 1999, l'avance des écoles classiques sur les
écoles satellites. Dans les deux types d'écoles, on remarque que la compré-
hension orale dépasse la moyenne de 5110, même si les écoles classiques ont
obtenu une moyenne nettement supérieure aux écoles satellites.

270
LANGUES ET ÉDUCATION

Moyennes générales oral/écrit par type d'écoles en 1999


Oral Ecrit Moyenne
Écoles satellites 4,9 3,2 4,1
Écoles classiques 5 2,5 3,8

La tendance générale qui se dégage est que les moyennes sont toujours
plus faibles à l'écrit qu'à l'oral. Les différences entre l'oral et l'écrit sont très
évidentes dans les écoles classiques.
Moyennes générales oral/écrit par type d'écoles en 2002
Oral Ecrit Moyennes
1

Ecoles satellites 5 3,21 4,4


1

Ecoles classiques 6,5 4,9! 6

La tendance constatée en 1999 se confirme en 2002. Ainsi, on constate


que les moyennes sont plus fortes à l'oral qu'à l'écrit. On note cependant que
dans l'ensemble les moyennes sont plus élevées en 2002 qu'en 1999.
Moyennes générales en compréhension/production par type d'écoles
en 1999
Compréhension Production Moyenne
Ecoles satellites 4,4 3,7 4,1
Ecoles classiques 4,1 3,4 3,8

Les tests de compréhension ont donné de meilleurs résultats que les tests
de production. Cette situation est certainement imputable au fait que le fran-
çais est une langue seconde et que les méthodes d'enseignement ne poussent
pas spécialement à la production (surtout dans des contextes « spontanés »).
Les écoles satellites obtiennent partout des résultats légèrement supérieurs.
Moyennes générales en compréhension/production par type
d'écoles en 2002
Compréhension Production Moyennes
Ecoles satellites 4,8 3,7 4,4
Ecoles classiques 6,2 5,5 6

Les tests de compréhension et de production ont donné de meilleurs résul-


tats dans les écoles classiques que dans les écoles satellites. On compte
17 écoles satellites sur 49 qui ont obtenu une moyenne au moins égale à 5
pour la compréhension et Il sur 49 pour la production, tandis que 21 écoles
classiques sur 26 ont obtenu la moyenne en compréhension et 17 sur 26 en
production. D'une manière générale, la compréhension est plus élevée que la
production. Les pourcentages qui suivent attestent les tendances.

271
LA QUESTION ËDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Pourcentages d'élèves ayant obtenu la moyenne


Pourcentages en 1999
co PO CE PE Moyenne
Écoles satellites 85 27,5 12,5 42,5 41,9
Écoles classiques 87,5 20 7,5 40 38,7

Les pourcentages de réussite sont excellents uniquement en compréhen-


sion orale.

Pourcentages en 2002
CO PO CE Moyennes
Ecoles satellites 71,7 36,8 27,4 45,3
Ecoles classiques 87~ 63,7 51,2 67,6

Ces synthèses confirment les résultats très similaires aux tableaux des
moyennes, car il ressort très nettement que les écoles satellites ont obtenu
des résultats plus faibles que les écoles classiques quel que soit l'aspect du
test considéré. Par ailleurs, on constate que les compétences des élèves
décroissent de la compréhension à la compétence écrite. Contrairement aux
tendances observées au test général (TG), trois années après 1999, c'est la
situation inverse au test de compréhension en français (TCF). Bien que
leurs moyennes générales se soient légèrement améliorées (de 4,1 à 4,4),
les écoles satellites demeurent moins performantes que les écoles
classiques où les scores se sont beaucoup plus rehaussés (de 3,8 à 6) ;
et cela est bien visible par domaine.
On constate dans un premier temps que les résultats se sont améliorés
par type de compétence (sauf en CO au niveau des écoles satellites).
Ensuite, dans les résultats de 1999, les notes en PE sont meilleures à celles
en PO ou en CE. Cela pourrait faire penser que les moyennes des écoles
satellites et des écoles classiques auraient été davantage élevées si les
performances en PE avaient été évaluées en 2002. Réciproquement,
l'absence de la PE aurait limité la hausse des moyennes. Il est donc diffi-
cile de trouver une explication (qui serait partielle) à cette croissance
globale des moyennes par le fait que les performances en PE n'ont pas été
testées dans la seconde étude. Les raisons se trouveraient plutôt ailleurs
(comme par exemple le cas où les items de CE venaient d'être vus en
classe avec le maître).
Que ce soit le test général ou le test de compétence en français, il s'agit
d'évaluations externes. Les résultats obtenus lors de ces tests auraient pu être
influencés par le fait que ce ne sont pas les enseignants qui ont composé
les items. C'est pour cette raison que l'objectivité de la comparaison

272
LANGUES ET ÉDUCATION

commandait qu'on regarde aussi du côté des évaluations internes, c'est-à-dire


celles que chaque maître, en fonction de l'avancement de son programme,
organise dans sa classe.

Notes aux compositions trimestrielles


Afin de comparer les résultats obtenus par les élèves dans les évaluations
internes effectuées par les maîtres, on a relevé les notes des élèves aux compo-
sitions trimestrielles, pour l'année 1998-1999 (sur deux ou trois trimestres
selon les cas), puis on a calculé les moyennes générales par école, en les rame-
nant à dix. Il en a été de même pour la deuxième étude où on a relevé les notes
trimestrielles pour l'année scolaire 2001-2002. Selon les cas, on a eu les résul-
tats d'une ou de deux et parfois de trois évaluations trimestrielles. Que ce soit
en 1999 ou en 2002, toutes les écoles n'ont malheureusement pas répondu à
cette partie de l'enquête, mais on a obtenu des données de la majorité.
Moyennes générales et pourcentages d'élèves ayant obtenu la moyenne
en 1999
Satellites Classigues
Moyennes 5,5 4,6
Pourcentages 60,2 44,6

A travers ce tableau de synthèse, on constate que les écoles satellites pré-


sentent de meilleurs résultats, la comparaison des pourcentages d'élèves
ayant la moyenne donnant des écarts plus importants que la comparaison des
moyennes générales.
Moyennes générales et pourcentages d'élèves ayant obtenu la moyenne
en 2002
Satellites Classiques
Moyennes 4,4 4,7
Pourcentages 37,8 46,1

Dans ce tableau de synthèse, on constate que les écoles satellites présen-


tent des résultats inférieurs aux écoles classiques, la comparaison des pour-
centages d'élèves ayant obtenu la moyenne donnant des écarts plus
importants que celle des moyennes générales.
La baisse du niveau des écoles satellites est ici flagrante. Les notes tri-
mestrielles, jadis favorables aux écoles satellites, le sont maintenant aux
écoles classiques. Cela est, a priori, incompréhensible, car les évaluations
internes (celles que fait le maître) tiennent généralement compte du
niveau réel des élèves. On ne comprendrait donc •pas qu'à ces évaluations,

273
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

on obtienne des pourcentages très en dessous des 50 %. L'une des explica-


tions de cette contre-performance tiendrait à l'absence de motivation des
enseignants des écoles satellites qui abandonnent souvent leurs classes.

Synthèse des résultats


Comparaison entre les moyennes et les pourcentages de réussite
en 1999
Moyennes Test gén. Test Fr. Notes trim. Moyennes Ecarts-
moyens
Écoles satellites 5,7 4,1 5,5 5,6 0,1
Écoles classiques 3,5 3,8 4,6 3,7 0,6

Pourcentages Test gén. Test Fr. Notes trim. Moyennes Ecarts-


moyens
Écoles satellites 62,2 % 41,9 % 60,2 % 61,2 % 1%
Écoles classiques 27,1 % 38,7 % 44,6% 35,8 % 8,8 %

Dans l'ensemble, on observe que les résultats convergent parfaitement, les


calculs de pourcentages donnant parfois des écarts plus prononcés (notam-
ment au test général).
Comparaisons entre les moyennes et les pourcentages de réussite
en 2002
Moyennes TG TCF TRIM Moyennes Ecarts-
moyens
Écoles satellites 3,3 4,4 4,4 4,0 0,5
Écoles classiques 2,6 6,0 4,7 4,4 1,2

Pourcentages TG TCF TRIM Moyennes Ecarts-


moyens
Écoles satellites 29,6 % 45,3 % 37,8 % 37,6 % 5,3 %
Écoles classiques 18,7 % 67,6 % 46,1 % 44,1 % 17,0 %

Tout comme en 1999, les résultats sont parfaitement convergents.


On constate la baisse générale dans les écoles satellites. Quant aux écoles
classiques, leurs moyennes et pourcentages en TCF ont connu une hausse
remarquable.
Dans la première enquête, les écoles satellites étaient les meilleures et
partout. Dans la seconde en revanche, elles ont cédé au TCF comme aux
compositions trimestrielles leur place aux étoles classiques. Mais au TG,

274
LANGUES ET ÉDUCATION

elles la maintiennent. Nous avons donc affaire à une évolution complexe


frisant le paradoxe. En étant meilleures au TG en 2002, les écoles satellites
devaient l'être au TCF (essentiellement oral) tout comme aux évaluations
internes classiques. Comment expliquer ou comprendre la situation ?
C'est pour cette raison que l'exploration des déterminants s'avère
nécessaire.

Déterminants des réussites et des échecs


En vue d'expliquer les résultats, les deux études ont adressé une série de
questions aux directeurs d'école. On a voulu avoir ainsi le point de vue des
maîtres sur les paramètres qui auraient pu jouer comme facteurs de réussite
ou causes d'échec. Les réponses obtenues ont été traitées de la façon
suivante : les réponses par oui / non ont été traduites par une simple opposi-
tion l / 0 ; les autres types de réponses étaient « calibrés » en trois
. niveaux : l / 0 ~ /0. Les totaux ont ensuite été rapportés sur l O. Il est à signa-
ler que, pour l'enquête de 2002, des directeurs d'écoles n'ont pas retourné
leurs réponses ou que celles-ci sont arrivées si tard qu'il n'a pas été possible
de les prendre en compte dans les analyses.
Dans le tableau suivant, ne sont retenus que les paramètres les plus signi-
ficatifs (facteurs qui sont particulièrement importants dans chaque type
d'école) qui pourraient expliquer les différences entre les écoles satellites et
les écoles classiques (sans compter le fait, extrêmement important, que
l'enseignement initial se fait dans la langue maternelle).
Déterminants les plus significatifs en 1999
Déterminants ES EC ES-EC
Suivi par un superviseur ou un conseiller 7;1 1,5 5,7
Effectifs 8,3 4,1 4,2
Réunions de l'A.P.E. 8,4 6,3 2,1
Fréquentation scolaire 5,8 4,6 1,2
Formation continue 9,3 8,3 1
Distance moyenne entre l' habitation des élèves et l'école 8,6 7,8 0,8
Disponibilité (présence/absence) des enseignants 6~ 6;1 0,7
Manuels de français pour deux élèves 1,9 3,3 -1,4
Manuels de maths pour deux élèves 1 2,5 -1,5
Résidence des maîtres dans le village 5;1 8,7 -3,5
Formation initiale des enseignants (2 ans/2 mois) 0 5,6 -5,6
Moyennes 5,7 5,3 0,4

275
LA QUESTION ËDUCATIVE; AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Parmi les facteurs favorables aux écoles satellites, on relève surtout le suivi
par les superviseurs auquel on peut ajouter la formation continue et le fait que
les effectifs sont plus réduits. La régularité des réunions des Associations de
parents d'élèves (APE), la plus grande disponibilité des enseignants et la
meilleure fréquentation scolaire semblent traduire une meilleure intégration de
l'école dans le milieu. L'implantation des écoles satellites se révèle un facteur
important (moindre distance de l'école par rapport à l'habitat).
Parmi les facteurs plus favorables aux écoles classiques, on note une
meilleure formation initiale des enseignants et la mise à disposition de plus
de manuels (mais la situation n'y est pas très reluisante non plus).
Le facteur de résidence des maîtres dans le village reste à interpréter.
Dans les écoles classiques, les maîtres sont rarement originaires du village.
Lorsqu'ils bénéficient d'un logement de fonction, ils résident évidemment sur
place. Mais ils vivent souvent en communauté ferryée, parfois sans essayer
d'apprendre la langue locale afin d'avoir des échanges avec la population.
En revanche, les enseignants des écoles satellites sont originaires de la région.
Ils n'ont pas de logement de fonction, si bien qu'ils n'habitent pas nécessaire-
ment tout près de l'école. Malgré cela, même s'ils habitent à quelque distance
de l'école, ils ont de meilleurs contacts avec la population.

Déterminants les plus significatifs en 2002


Détenninants ES EC ES-EC
Fonnation continue ou stages de recyclage ou en 2000-2001 9,8 3,8 6
Effectifs 8,7 4,2 4,5
Nombre de visites du superviseur ou du conseiller en 2000-2002 5,2 1,3 3,9
Manuels de français pour deux élèves 4,8 2,3 2,5
Nombre de réunions du comité ou de l'A.P.E. en 2000-2001 8 6,3 1,7
Accès des écoles au programme 7,9 8,8 -0,9
Manuels de maths pour deux élèves 0,6 2,1 -1,5
Nombre de maîtres habitant dans le village où se trouve l'école 4,6 10 -5,4
Fonnation initiale 0 7~ -7,9
Moyennes 5 4,7 0,3

La formation continue des enseignants, les effectifs des élèves relative-


ment réduits, les visites des superviseurs et la régularité" des réunions des
Comités villageois (CV) constituent les critères déterminants qui font la
différence entre les écoles satellites et les écoles classiques.

Quant aux écoles classiques, les facteurs favorables sont l'accès au pro-
gramme à temps, la formation initiale des maîtres et la disponibilité des
manuels de calcul. On pourrait aussi souligner la plus grande stabilité des
enseignants qui ont un salaire plus régulier et plus conséquent.

276
LANGUES ET ÉDUCATION

Ces facteurs, bien qu'importants, ne jouent pas tous directement ou néces-


sairement sur les résultats scolaires des élèves. Prenons les exemples des visites
du superviseur ou les effectifs réduits dans les écoles satellites. C'est moins le
fait que le superviseur passe dans une école pour prendre les nouvelles des
maîtres que celui que cette visite soit une occasion pour corriger les insuffi-
sances ou erreurs dans l'application de la méthodologie et l'avancée régulière
du programme qui est pertinent. Nous pensons que les résultats issus de cette
évaluation auraient pu être meilleurs si les suivis des superviseurs étaient plus
pédagogiques. De même, les effectifs réduits devraient permettre un meilleur
encadrement des élèves mais visiblement ce n'est pas le cas.
Dans l'ensemble, les écoles satellites ont conservé la plupart de leurs
facteurs favorables les plus significatifs que sont le suivi des superviseurs, la
formation continue, les effectifs réduits et la régularité des réunions des
comités villageois. En plus, il y a l'utilisation de la langue maternelle et/ou le
bilinguisme de transfert et l'implantation des écoles, atout physique gagné
pour de bon. On note cependant une légère détérioration de ces facteurs.
La formation continue demeure plus régulière dans les écoles satellites,
mais elle semble bien avoir perdu de son efficacité comme l'ont témoigné
nombre d'enseignants. Quant à la disponibilité de ces derniers, la situation est
inversée telle que de 0,7 comme écart ES-EC, on en est à un écart déficitaire
de -0,5. Cet amenuisement de la fréquentation de l'école par les maîtres est
le reflet d'un des problèmes essentiels des écoles satellites : celui du« pro-
blème du statut des maîtres des écoles satellites et l'irrégularité de leurs inté-
ressements ». C'est une épine qui a émergé avec la « confirmation» des
soupçons sur les bons niveaux dans ces centres expérimentaux. Ce problème
a commencé à se poser avec acuité à partir de 1999, soit quatre années après
leur ouve.rture. A l'analyse du problème, on dirait qu'en dépit des données
(les maîtres des écoles satellites sont des enseignants différents à plusieurs
niveaux de ceux du classique) mais aussi des explications et des sensibilisa-
tions déployées à l'intention de ces enseignants au début de l'expérimenta-
tion, ceux-ci semblaient garder un secret : revendiquer de meilleures
conditions d'enseignement dès que l'opinion « officielle» (des respon-
sables notamment) notera leur bonne prestation. Ce problème constitue la
véritable « plaie » des écoles· satellites qui a assombri bien des facteurs
favorisants, notamment la motivation et l'assiduité des maîtres ainsi que la
portée des réunions des comités villageois. Il a également limité l'effet
d'autres, comme la bonne convenance des effectifs, le caractère actif des pra-
tiques didactiques, la langue maternelle et le bilinguisme de transfert.
Quant aux écoles classiques, les atouts les plus distinctifs maintenus
sont l'accès au programme à temps, la formation initiale des enseignants,
la disponibilité en manuels (de calcul) et la résidence des maîtres dans le

277
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

village (même si cela est d'effet limité). Du fait de la baisse de la disponibi-


lité des maîtres des écoles satellites, la plus grande stabilité des enseignants
apparaît maintenant comme un avantage nouveau. Il n'y a donc pas de pertes
identifiables dans le classique.
S'il ne fait pas de doute que les déterminants de réussite jouent un rôle
important dans les résultats scolaires, leur mise en correlation avec les résultats
obtenus au test général permet de mettre davantage en évidence leur impact.

Déterminants de réussite et résultats au test général


Afin d'approfondir l'étude des corrélations, nous avons sélectionné, d'une
part, les cinq « meilleures» écoles (désignées par la lettre A) et, d'autre
part, les cinq « moins performantes » (désignées par B) des deux types
d'écoles. Les tableaux suivants présentent des synthèses.
Comparaison entre les classes présentant de bons ou de mauvais
résultats en 1999
Test général Déterminants
Satellites A 8,4 6,7
Classiques A 5,6 6,3
Satellites B 3,3 6,3
Classiques B 1,8 6

Globalement, en sélectionnant les cas les plus typiques, une corrélation


apparaît entre les déterminants de réussite et les résultats au test général
(taux de corrélation de 0,94 d'après le tableau de synthèse), malgré la fai-
blesse des écarts pour les déterminants. Les écarts seraient plus évidents si
l'on ne retenait que les critères les plus significatifs. Il y a donc bien des
facteurs externes de réussite scolaire, même si les déterminants ne sont pas
systématiques, cas par cas. Il faut aussi tenir compte du fait que les réponses
données par les directeurs d'école gagneraient parfois à être précisées au vu
des résultats obtenus.

Comparaison entre les classes présentant de bons ou de mauvais


résultats en 2002
Test général Déterminants
Satellites A 6,4 7,1
Classiques A 3,9 6,4
Satellites B o 5
Classiques B 1 6

278
LANGUES ET ÉDUCATION

Tout comme en 1999, on constate que globalement il y a une corrélation


entre les déterminants de réussite et les résultats au test général, même si les
rapports ne l'affichent pas de manière très frappante. Toutefois, l'impact de
facteurs extérieurs sur la réussite scolaire est bien attesté.

Réponses ouvertes aux facteurs de réussite et d'échecs


Les directeurs des écoles étaient invités à expliquer, dans un texte libre,
quels étaient, selon eux, les facteurs de réussite et les causes des échecs dans
leur établissement. Les facteurs de réussite (R) et les causes des échecs (E)
étant les deux faces de la même médaille, les tableaux suivants regroupent les
arguments, de manière à les comparer dans leur totalité (T), entre les écoles
satellites et les écoles classiques. Les tableaux sont ordonnés en fonction des
différences entre les totaux des écoles satellites et des écoles classiques (S-C).
Comparaison entre les facteurs de réussites et les causes
des échecs en 1999
Déterminants Satellites Classiques
RET RET S-C
Conditions de vie des enseignants 7 19 26 o 0 0 26
Documents et matériel 7 20 27 3 14 17 10
Cantine 4 3 7 1 0 1 6
Formation des maîtres 2 8 10 617 3
Réticences des parents pour le système o 2 2 000 2
Effectifs 101 000 1
Logement 1 0 1 000 1
Niveau des élèves 1 0 1 000 1
Intégration du maître dans le milieu 1 0 1 o 0 0 1
Système d'enseignement 2 3 5 325 o
Manque d'information 000 o 1 1 -1
Départs d'enseignants o 0 0 011 -1
Suivi et appui des encadreurs 303 325 -2
Distance 336 3 5 8 -2
Conditions de vie des élèves 044 1 2 3 -2
Conditions de vie des parents o 0 0 022 -2
Motivation des élèves 707 5 5 10 -3
Motivation des enseignants Il 0 Il 16 0 16 -5
Fréquentation scolaire 2 5 7 8 7 15 -8
Collaboration des parents 2 5 7 10 12 22 -15

Si l'on examine les écarts entre les écoles satellites et les écoles
classiques, il apparaît très clairement que les préoccupations majeures des
écoles satellites sont les conditions de vie des enseignants et la formation
des maîtres ; vient ensuite le manque de documents et de matériel.

279
· LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO : REGARDS PLURIELS

Pour simplifier, on peut dire que ce sont des problèmes structurels et maté-
riels qui se posent surtout dans les écoles satellites. Quant aux écoles clas-
siques, les principaux sujets de préoccupation sont le manque de
collaboration des parents, les problèmes de fréquentation scolaire et la moti-
vation des enseignants, soit plutôt des problèmes d'ordre relationnel.
Comparaison entre les facteurs de réussite et les causes
des échecs en 2002
Déterminants communs
Déterminants ES EC
RET RET ES-EC
Mise à disposition de documents,
manuels, matériel ; équipement des
élèves, équipement des écoles 24 16 40 6 12 18 22
Infrastructures 5 24 29 6 4 lO- 19
Motivation des enseignants 11 17 28 8 2 lO 18
Formation des enseignants 7 16 23 2 5 7 16
Fréquentation de l'école 7 9 16 2 2 4 12
Environnement physique 2 7 9 2 1 3 6
Alimentation 3 15 18 Il 2 13 5
Motivation des élèves 7 0 7 3 0 3 4
Santé des élèves o 3 3 o 1 1 2
Activités extra-scolaires o 2 2 o 1 1 1
Pratiques didactiques 2 516 9 4 13 -7

Selon les écarts qui résultent de cette comparaison, il apparaît très claire-
ment qu'en 2002 les préoccupations majeures des écoles satellites sont la dis-
ponibilité en manuels et l'équipement des élèves et des écoles. Vient ensuite
le manque d'infrastructures (bâtiments inachevés, logements des ensei-
gnants). La motivation des enseignants vient en troisième position, suivie de
la formation. Ce qui préoccupe le plus les écoles classiques, c'est l'inadapta-
tion des pratiques didactiques.
En somme, les mêmes problèmes d'ordre structurel et matériel persistent
dans les écoles satellites, mais avec une détérioration de la motivation des
enseignants. En effet, avant, malgré les mauvaises conditions d'enseigne-
ment, lès enseignants étaient motivés : la motivation a été citée uniquement
comme facteur de réussite à l'époque. Quant aux écoles classiques, les pro-
blèmes relationnels n'ont pas disparu, mais les enseignants sont aujourd'hui
plus sensibles aux difficultés didactiques.
2 Portent sur le respect des méthodologies et des programmes. En tant que raisons d'échec,
il s'agit de : difficultés dans l'exécution des programmes, concrétisation des leçons difficiles
à assurer, élèves passifs... .

280
LANGUES ET ÉDUCATION

Conclusion
La comparaison des deux évaluations est édifiante à plusieurs titres.
Dans un premier temps, on peut constater que dans l'ensemble les résultats
dans les écoles satellites sont plus satisfaisants que dans les écoles classiques.
Les atouts de cette innovation pédagogique ti~nnent en trois facteurs princi-
paux : l'utilisation de la langue première de l'enfant dans les premières
années de sa scolarisation, le fait que l'enseignant soit issu du même milieu
que l'enfant et la fréquence élevée du suivi pédagogique par les superviseurs.
En ce qui concerne l'utilisation des langues nationales à l'école, beaucoup
de pédagogues et de chercheurs ont attiré l'attention sur l'inadaptation de
l'école en Afrique noire du fait de l'utilisation des langues étrangères comme
langues de la scolarisation. Très peu de pays ont osé faire le pas en raison de
-l'opposition des intellectuels. Aux arguments qui prouvent qu'un enfant
apprend mieux et plus facilement dans sa langue, on a toujours brandi l'épou-
vantail de la multiplicité des langues, avec comme corollaire la menace d'une
remise en cause de l'unité nationale. L'expérience des écoles satellites vient
une fois de plus donner raison à ceux qui veulent une école intégrée au
milieu.
Le fait que l'enseignant soit issu du milieu où l'école est implantée est un
facteur favorisant. En effet, cela a une incidence importante sur le dévelop-
pement intellectuel et psycho-affectif de l'enfant. Il le connaît et ses parents
le connaissent. C'est différent d'avec les maîtres des écoles classiques qui,
bien qu'ils vivent dans le village, n'ont généralement pas de contact avec la
population. De même, l'enseignant se sent investi d'une mission, car les
enfants sont perçus plus comme des petits frères ou des neveux que comme
de simples écoliers. Enfin, le suivi pédagogique a ceci d'important que sa
régularité pennet de corriger, quand cela est nécessaire, les erreurs des
maîtres tout en constituant une fonnation pennanente et un encouragement
pour eux.
Dans un second temps, l'arbre ne devrait pas cacher la forêt. En trois ans
on a pu remarquer une baisse des perfonnances des écoles satellites. Cela se
produit alors que cette expérimentation bénéficie encore du soutien financier
et matériel de l'UNICEF. On peut craindre que, si ce soutien venait à cesser,
les écoles satellites ne connaissent d'énonnes difficultés qui pourraient com-
promettre jusqu'à leur existence. Cela pourrait servir d'argument à ceux qui
ne croient pas en la capacité des langues nationales à véhiculer le savoir
scientifique pour justifier leur réticence à ce système d'éducation.
Or, en parcourant les détenninants, le facteur linguistique a été cité aussi
bien par les enseignants que par les parents comme positif. La méthode
bilingue n'est donc pas en cause. Les causes des difficultés sont d'autres

281
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO; REGARDS PLURIELS

ordres (structurel et matériel). Il n'y a donc pas lieu de se tromper de sujet.


L'espoir est permis pour peu que la volonté politique soit du côté de la
recherche des vraies solutions aux problèmes du système éducatif.

Références bibliographiques
BARRETEAU Daniel avec coll. Laura LEMÉTAYER et Anselme YARO, 1998.
« Système éducatif et multilinguisme au Burkina Faso: des innovations durables? »,
Système éducatif et multilinguisme au Burkina Faso. Recueil d'articles,
Ouagadougou: IRD, p. 55-73.
BARRETEAU Daniel, YARO Yacouba, 1997. Lecture des statistiques scolaires
du Burkina Faso, Année 1994-1995, Ouagadougou: Orstom-UERD, Les études et
documents de l'UERD n° 2, 95 p.
BARRETEAU Daniel, BATIANA André, YARO Anselme, 1999. « Evaluation
des niveaux des élèves des écoles satellites» ; IRD - Université de Ouagadougou ;
Atelier de Recherche sur l'Education au Burkina Faso, 48 p.
BARRYffRAORÉ Micheline et al., 1998. Rapport de l'étude sur la consolidation
des écoles satellites pour l'amélioration de l'enseignement de base au Burkina Faso,
Ouagadougou: MEBA, UNICEF, Banque Mondiale, 66 p. multigr.
BATIANA André, KONE Batiémoko, 2002. « Evaluation des performances des
élèves des écoles satellites» ; Rapport, DRDP - UNICEF Ouagadougou, 90 p.
CHAUDENSON Robert (dir.), 1997. « L'évaluation des compétences en français.
Le test d'Abidjan », Paris: Didier Erudition, 206 p.
Direction des études et de la planification, 1995. « Projet Écoles satellites et
Centres d'éducation de base non formelle, Document du projet », Ouagadougou:
Ministère de l'enseignement de base et de l'alphabétisation de masse, 61 p.
Direction des études et de la planification, 1996. « Projet Écoles satellites et
Centres d'éducation de base non formelle (ES/CEBNF) », Rapport d'exécution,
Ouagadougou: Ministère de l'enseignement de base et de l'alphabétisation, 40 p.
Direction des études et de la planification, 1999.« Statistiques scolaires 1998/l999 »,
Ouagadougou ,: Ministère de l'enseignement de base et de l'alphabétisation (avec le
concours du Projet Coopération française d'appui à l'enseignement de base), 314 p.
LEMÉTAYER Laura. 1999. Le français au Burkina Faso: Évaluation des compé-
tences en français des scolaires, Université Paris V, René Descartes, La Sorbonne,
Mém. DEA, 74 p.
NAPON Abou et BENGALI Marcelline, 2001. Étude sur le bilinguisme de trans-
fert langue nationale/français dans les écoles satellites au Burkina Faso, Rapport,
UNICEFlBurkina, Ouagadougou, 110 p.
YARO Yacouba, 1999.« «Écoles Satellites» et« Centres d'Éducation de Base non
Formelle» dans le processus de décentralisation au Burkina Faso: Innovations péda-
gogiques et enjeux de développement », Les enjeux de l'éducation et des savoirs au
Sud (E. Gérard éd.), Bondy: IRD (Les Cahiers ARES n° 1), p. 75-84.

282
CONCLUSION GÉNÉRALE

Conclusion générale

Maxime COMPAORÉ*, Marc PILON**

Dans le prolongement du colloque de 2002, ces « regards pluriels »


portés par les chercheurs sur la question éducative au Burkina Faso témoi-
gnent tout d'abord de l'existence d'une réelle dynamique de recherche en
éducation dans ce pays. Sans prétendre fournir un état des lieux complet de
l'éducation au Burkina Faso, ni un bilan exhaustif de la recherche dans ce
domaine, le présent ouvrage, à travers les éclairages qu'il apporte, montre à
la fois l'intérêt et la nécessité d'une recherche en éducation qui soit résolu-
ment pluridisciplinaire et diversifiée tant sur le plan méthodologique que
thématique, qui s'intéresse tout autant aux politiques éducatives, qu'au fonc-
.tionnement du système éducatif lui-même et aux facteurs influant sur la
demande d'éducation.
Parmi les enseignements tirés de cet ouvrage, on peut retenir :
-le phénomène de la sous-scolarisation des filles qui tient pour partie à la
pratique du confiage à des fins non scolaire et aux représentations sur leurs
statut et rôle au sein de la société ;
-l'aggravation du travail des enfants, glissant vers des formes d'exploitation
et de trafic qui pèse très négativement sur leur scolarisation ;
-l'impact spécifique du VIHlsida, tant au niveau des enseignants que des
élèves;
-la précarité du niveau de vie des ménages qui pose très clairement le pro-
blème de la pauvreté ;
-le rôle des caractéristiques socio-culturelles des parents et l'importance des
représentations ;
-les fortes disparités intra-urbaines en matière de scolarisation qui posent
notamment le problème d'une privatisation croissante de l'éducation ;
-l'insuffisance quantitative et qualitative de l'offre scolaire;
-les problèmes de la mesure du niveau d'alphabétisation, de l'évaluation des
actions et du maintien des acquis ;
-la question de l'environnement lettré, posant le problème de l'accès aux
écrits (tant en tenues de coût que de disponibilité) et de la place spécifique
de la production littéraire nationale et des langues nationales
- enfin, la question centrale de la finalité de l'éducation.

* Historien, INSS/CNRST, Chargé de recherche


** Démographe, IRD, Directeur de recherche

283
LA QUESTION ÉDUCATIVE AU BURKINA FASO: REGARDS PLURIELS

Sur la base des débats tenus lors du colloque de 2002 et des travaux de
recherche présentés dans cet ouvrage, un certain nombre de thématiques res-
tent à aborder ou à approfondir, en regard des enjeux de l'éducation du
Burkina Faso; et particulièrement des objectifs du Plan Décennal de
Développement de l'Education de Base (PDDEB). On peut ainsi retenir les
points suivants:
- le fonctionnement et le rendement des classes à double flux : afin de véri-
fier si cette méthode pédagogique a des raisons d'être tant décriée ; et si
c'est le cas, fournir aux décideurs des données leur permettant de prendre
les mesures qui s'imposent. Les classes multigrades devraient aussi être
évaluées pour fournir une base potentielle permettant la mise en œuvre
éventuelle de formations en vue d'une amélioration de la pédagogie;
-l'enseignement privé, qu'il soit primaire ou secondaire, étant donné que la
tendance politique est à vouloir le développer : évaluer son rendement,
son efficacité (et à quel prix) et les répercussions sur la démocratisation du
système, en regard du processus de privatisation de l'éducation en milieu
urbain;
-la situation des enseignants : apporter plus d'informations sur les salaires
des enseignants, les pratiques pédagogiques, les conditions de logement,
les problèmes d'absence, etc. et apprécier leur impact sur les résultats sco-
laires ;
-la mauvaise gestion et la corruption dans le domaine de l'éducation : des
organismes comme le RENLAC fournissent certaines données, mais il fau-
drait les approfondir. Sachant que la corruption concerne autant les acteurs
de l'offre et de la demande scolaire, elle correspond donc à un phénomène
d'une grande ampleur qu'il convient d'observer;
-la demande d'éducation: si des études de plus en plus nombreuses pren-
nent en compte cette question, il convient de creuser ce thème, notamment
en ce qui concerne le financement de la scolarisation par les parents qui
se voient de plus en plus sollicitées, surtout à partir du secondaire.
Les familles sont-elles en mesure d'assumer ce financement, alors que la
pauvreté et la vulnérabilité s'accroissent ?
-les enseignements secondaire et supérieur : l'enseignement technique et
professionnel mériterait une attention particulière au moment où la profes-
sionnalisation de l'éducation est souhaitée par bon nombre d'acteurs de
l'éducation ;
-l'alphabétisation des adultes: son utilité, son efficacité, sa portée, son
harmonisation. Plus généralement, la question des langues nationales appa-
raît comme un thème pertinent de recherche qui pose une question de fond
sur l'éducation et le système éducatif, sur l'intégration de l'école à son
milieu. Pour cela, il est donc important de questionner le rôle de la

284
CONCLUSION GÉNÉRALE

littérature burkinabé et de son insertion dans les programmes scolaires,


comme celui de l'environnement lettré et de l'accès à l'écrit pour les scola-
risés ou ceux qui sont passés par l'école. Ces thèmes interrogent la culture de
l'écrit et son poids au sein de la société burkinabé dans son ensemble ;
- L'impact des problèmes de santé : outre les terribles conséquences du
VIH/sida sur le système éducatif et sur la demande scolaire, il apparaît
nécessaire d'appréhender l'impact des problèmes de santé en général, tant
au niveau des élèves que de la famille sur la scolarisation et ce, particuliè-
rement dans un contexte de pauvreté ;
- « l'après école » : que deviennent les enfants qui ont été scolarisés et
qui ne le sont plus (qu'ils aient arrêté leurs études ou qu'ils les aient ache-
vées) ? Quels sont les acquis, pour quelles utilisations du savoir scolaire et
pour quels débouchés ? Quel devenir pour les « recalés »de l'entrée au
secondaire, qui deviennent de plus en plus nombreux avec le PDDEB ?
Au Burkina Faso, comme ailleurs, la recherche en éducation n'est pas un
luxe, elle est une nécessité. Afin d'être mieux à même de faire face aux
différents défis de l'éducation, d'une part les décideurs doivent donner à la
recherche les moyens, humains et financiers, à la hauteur des enjeux ;
d'autre part les chercheurs en éducation auraient tout intérêt à trouver les
voies et moyens de définir une véritable politique de recherche en éducation
et de diffusion des résultats de leurs travaux. Il convient aussi de s'interroger
sur la place de la recherche et la position du chercheur : son rôle est-il sim-
plement de constater la situation ? Il semble au contraire que l'engagement
de la recherche soit indispensable. Elle doit donc pouvoir s'exprimer et être
entendue, même si ce qu'elle dit n'est pas toujours facile à entendre. Elle
nécessite donc d'être à la fois rigoureuse et indépendante.

285
Imprimerie de l'Avenir du Burkina
Tél. 50370625
ISBN : 978-2-9520054-2-5

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