JARDIN RAMLI TUNIS Mappemonde-751
JARDIN RAMLI TUNIS Mappemonde-751
JARDIN RAMLI TUNIS Mappemonde-751
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/mappemonde/751
DOI : 10.4000/mappemonde.751
ISSN : 1769-7298
Éditeur
UMR ESPACE
Référence électronique
Hamouda Samaâli et Ibtissem Tounsi-Guerin, « Les « Ramli », Jardins de culture du littoral nord-est
tunisien : cartographie de l’évolution récente d’un système original d’irrigation », Mappemonde [En
ligne], 125 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le 20 juin 2019. URL : http://
journals.openedition.org/mappemonde/751 ; DOI : 10.4000/mappemonde.751
La revue Mappemonde est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons
Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.
Les « Ramli », Jardins de culture du littoral nord-est tunisien : cartographi... 1
Introduction
1 Depuis le XVIIe siècle sous le règne d’Othman Bey, des Andalous, musulmans chassés
d’Espagne par Philippe III, puis des Maltais se sont implantés dans le secteur de Ghar El
Melh (région de Sidi Ali El Mekki). Ils y ont développé une technique unique au monde et
d’un grand intérêt patrimonial, qui consiste à gagner des terres agricoles sur la mer et à
irriguer les cultures, depuis leurs racines, par la montée de la nappe phréatique (Ramli),
elle-même provoquée par les mouvements de la marée. Ce site est d’autant plus
important qu’il est menacé par la montée du niveau marin (Oueslati et al., 2015) et par
l’urbanisation galopante depuis la construction de l’autoroute Tunis-Bizerte en 2010.
2 L’idée principale de cette étude est d’analyser et cartographier, sur un intervalle de
presque 70 ans, la dynamique spatiale récente de la lagune de Sidi Ali El Mekki, et les
changements dans la répartition et la morphologie des parcelles agricoles. Ces
changements seront analysés sur un ensemble de cartes topographiques, de
photographies aériennes et d’extraits d’images Google Earth ©, puis cartographiés et
quantifiés dans une base de données géolocalisée (SIG). Ce travail bénéficie également des
résultats d’une enquête directe auprès des agriculteurs.
3 La lagune de Sidi Ali El Mekki constitue la partie nord-est du complexe lagunaire de Ghar
El Melh, qui s’étend sur une superficie de 30 km². De forme triangulaire, elle est bordée au
nord par une étroite plaine côtière au pied des jebels Ennadhour et Eddmina, à l’ouest par
l’ancienne flèche littorale stabilisée d’El Edhreâ, qui la sépare de la lagune principale, et à
l’est ainsi qu’au sud par le lido de Chatt El Hay qui la sépare de la mer. La profondeur
assez faible de la lagune a permis aux civilisations qui s’y sont succédées de gagner, par
une forme de poldérisation, des îlots agricoles connus sous l’appellation de « Ramli » (
figure 1).
4 Le terroir agricole est composé par les parcelles gagnées sur la lagune au sud de la route
qui mène jusqu’à la plage de Sidi Ali El Mekki, et par les terrasses de piémont du jebel
Ennadour, au nord de la même route, dans les secteurs d’El Hmari et Ennjila. Il s’agit le
plus souvent de cultures aménagées sur un sol perméable (le grès de Porto-Farina). Elles
se distinguent de celles de Chatt El Hay ou des Gtaïas par « leur sol généralement plus
grossier et moins sableux puisqu’il provient surtout du versant » (Oueslati et al., 2015).
5 L’occupation agricole du sol dans les environs de Ghar El Melh résulte d’une dynamique
spatiale qui porte les empreintes des différentes époques, civilisations et collectivités
(Juifs, Berbères, Musulmans, Andalous…). Ceci a abouti souvent à l’extension des terroirs
cultivés entre les reliefs au nord et les lagunes au sud ainsi que le développement de
nouvelles techniques de production agricole adaptées à la rigidité du milieu.
6 Dès l’époque romaine, le terroir de Ghar El Melh (Rusconium) comme celui de Tebourba (
Tuburbo Minus) « avait connu un développement de l’agriculture sans égal » (Ginestous,
1955, in Samaâli, 2016). Cet auteur précise aussi que les environs de Porto-Farina
(appellation ancienne de Ghar El Melh), ont été dominés par l’olivier, les vergers et
parfois même les vignobles.
7 Contrairement à la période de l’invasion Hilalienne, où les crises se sont multipliées
partout dans l’Ifriqiya tellienne, l’immigration morisque au début du XVII e a contribué à
l’émergence, pour la première fois, d’une organisation régionale (Despois, 1961) et à
l’essor d’une agriculture irriguée intensive (petite hydraulique). Cette prospérité agricole
est due au savoir-faire des Andalous, acquis dans des milieux très ingrats (Regadíos
espagnols), et enrichi par l’incorporation des techniques turques et maltaises au XIXe
siècle (Cherif, 1993). Ces facteurs ont contribué à l’extension des parcelles agricoles, aux
dépens de la lagune de Ghar El Melh et de son annexe, la lagune de Sidi Ali El Mekki), ainsi
que sur les bancs de sable d’El Edhreâ et d’El Gtaïas.
8 Les descriptions paysagères recueillies dans les textes écrits par les voyageurs,
essentiellement au XIXe siècle, établissent que les immigrés andalous, ou même maltais,
ont développé une agriculture de jardinage. En effet, les villages andalous ont été
entourés ou bordés par « des jardins irrigués avec l’eau puisée dans les nappes du sous-
sol » (Pellissier, 1853, Guérin, 1862). Ces auteurs ont aussi décrit le secteur de Ghar El
Melh, qui était pour eux un territoire typique et bien planté, « une végétation fraiche et
riche, s’étend de la montagne aux rives mêmes du lac ». L’ancienne carte topographique
de Porto-Farina au 1/50 000, datant de 1891 (figure 2), montre des zones cultivées,
parfois assez ponctuelles entre les reliefs et les lagunes, à Chatt El Hay ou même sur les
Gtaïas.
9 François Bonniard (1934) décrit les terrasses façonnées sur le piémont, réservées à
l’arboriculture, aux céréalicultures et aux légumineuses. Il précise que ce terroir
« comptait plus de 10 000 amandiers et 8 000 caroubiers, outre le figuier, l’olivier et la
vigne (plus tard Jean Despois dans La Tunisie, ses régions, 1961, considèrera même que :
« dans certains secteurs les arbres étaient trop serrés »). Quant aux cultures maraichères
(tomates, primeurs et pomme de terre), elles occupaient les bordures de la lagune et
étaient « expédiées par charrette à Tunis ». Bonniard évoque aussi la richesse culturelle
et professionnelle des paysans andalous, qui possédaient un savoir-faire leur permettant
de développer notamment la culture du pavot à opium et des fleurs, favorisant ainsi
l’apiculture (Cherif, 1993).
10 Les îlots gagnés sur l’écosystème lagunaire obéissent en général à la technique Ramli (le
nom désigne la population de Ghar El Melh : les Ghramelhi, abrégé en Ramli). Il s’agit d’une
adaptation aux conditions du milieu dont l’objectif est de faire irriguer les cultures
naturellement par le bas, grâce au mouvement de percolation d’une petite nappe d’eau
douce en rapport avec la marée. Les terroirs concernés par cette technique sont ceux « les
plus proches du rivage de la lagune » (Oueslati et al., 2015), soit les parcelles agricoles qui
occupent le lido de la plage de Sidi Ali El Mekki jusqu’au nord de l’ancien Boughaz (passe
de la lagune de Ghar El Melh), le secteur d’El Edhreâ, les berges nord de la lagune de Sidi
Ali El Mekki, précisément les parcelles agricoles qui se trouvent au sud de la route qui
mène à la plage de Sidi Ali El Mekki et enfin les Gtaïas.
11 Les îlots gagnés sur la lagune ont souvent une forme rectangulaire orientée
perpendiculairement à la ligne de rivage. Ils sont colmatés par du sable, prélevé dans la
plupart des cas dans le lido. La hauteur du sable déposé est bien définie (figures 3a et 3b)
afin que les racines puissent profiter « des mouvements d’une mince nappe phréatique
d’eau douce qui se forme dans le sol artificiel » (figure 4). L’irrigation se fait
Sur la figure 3b on voit la limite de l’humidité (marée haute), qui touche la partie inférieure du sable
déposé, indiquée par un trait continu.
Photos Samaâli et Tounsi-Guérin, 2017
12 Les parcelles ont été matérialisées par des piquets métalliques et des ficelles, ou par la
plantation de roseaux. Les sols nécessaires sont transportés du piémont de jebel
Ennadhour (sols riches en matière organique). D’autres îlots sont remblayés de sable,
rapporté du lido de Chatt El Hay. Chaque îlot est entouré par une haie « d’oliviers de
bohème ou zensfour (Elaeagnus angustifolia) » (Cherif, 1993). À l’intérieur de chaque îlot,
des limites secondaires sont souvent constituées par une palissade de roseaux (figure 3a),
matérialisent la séparation des cultures et jouent, de plus, le rôle de brise-vent.
Figure 4. Transect à travers l’ancienne flèche d’El Edhreâ, El Gtaïas, la lagune de Sidi Ali El Mekki et
le cordon littoral actuel
Approche méthodologique
Conception d’un SIG pour le suivi de la dynamique de l’occupation
du sol
13 L’étude de l’extension spatiale des espaces agricoles repose notamment sur l’intégration
des techniques cartographiques et des données spatiales dans des systèmes d’information
géographique (SIG). L’approche méthodologique adoptée dans ce travail est fortement
inspirée des travaux de M. Franchomme (2003), Tounsi et al. (2003), H. ET O. Décamps
(2004) et A.-C. Delavaud (2007) et, qui visent à étudier la dynamique des mosaïques
paysagères, en s’appuyant sur des indicateurs de changement. La valeur opérationnelle
réside dans la conception et la structuration d’une base de données cartographique grâce
aux logiciels dédiés aux SIG (ArcGis, QGis). La valeur méthodologique dépend de
l’utilisation d’une variété assez large de documents cartographiques afin de tester leurs
potentialités et leurs apports à l’étude.
14 Le SIG conçu pour la lagune de Sidi Ali El Mekki est alimenté par des photographies
aériennes multi-dates (1948, 1962 et 1974), par des cartes topographiques à différentes
échelles et par des extraits d’images Google Earth (2010 et 2016) à très haute résolution
spatiale (tableau 1).
Extraits d’images
Les photos aériennes du Dj. Ichkeul-
La carte topographique de Porto Google Earth © (JPEG)
Porto Farina
Farina au 1/50 000 (1891) (3 octobre 2010)
au 1/25 000 (1948)
2,5 m* 2,5m
Extraits d’images
La carte topographique de Ghar Les photos aériennes de Ghar El Melh Google Earth © (JPEG)
El Melh au 1/25 000 (1982) au 1/12 500 – A44 VII (1962) (4 octobre 2016)
2,5 m* 2,5m
15 Les traitements effectués (calage spatial, mosaïquage…) ont pour objectif d’harmoniser
les documents existants. Le système de projection cartographique utilisé est l’UTM (
Universal Transvers Mercator), zone 32 nord. Les données vectorielles extraites de ces
documents ont été stockées et structurées sous forme de couches et de tables sous le
logiciel ArcGis 10.3.
16 La création d’une grille en format vecteur sous QGIS permet un maillage des changements
paysagers (Jaziri, 2017) avec une maille d’un hectare qui répond à l’échelle d’observation
souhaitée pour comparer et localiser spatialement les changements de l’occupation du sol
(agricole, sableux, etc.) entre deux dates (figure 5). Les indices permettant de
caractériser ces changements paysagers concernent l’évolution du nombre de mailles,
l’indice de diversité des aires de ces mailles et leur indice de forme. Pour plus de
précision, le calcul de l’évolution des métriques paysagères et des indicateurs de diversité
et de forme ont été déduits à partir des entités spatiales proprement dites et non pas à
partir de leur généralisation par carroyage.
Figure 5. Modèle utilisé pour qualifier les changements de chaque maille sur les cartes d’évolution
de l’occupation du sol
17 Le nombre de taches : indicateur qui renseigne sur l’accroissement d’une entité spatiale
entre deux périodes. Dans notre cas, l’accroissement du nombre d’îlots agricoles peut être
dû soit à la fragmentation de cette classe thématique, soit à l’apparition de nouvelles
parcelles (Davidson, 1998).
Cet indice est calculé selon la formule suivante (Inoussa et al., 2012) :
Résultats cartographiques
21 La dynamique récente du littoral de Ghar El Melh est le résultat de la conjoncture de
plusieurs facteurs naturels et anthropiques. En effet, avec le changement de
l’embouchure de l’oued Mejerda en 1935, « l’effet de chasse » provoqué par les apports
des crues de ce cours d’eau a cessé ce qui entraine l’appauvrissement des eaux de la
lagune en nutriments (Cherif, 1993). La conséquence directe a été le déclin de la pêche
lagunaire, même si elle ne constitue pas un moyen de revenu principal, et l’intensification
de « l’agriculture lagunaire ». De plus, les aménagements portuaires des années 1970 ont
favorisé l’extension des parcelles agricoles notamment sur l’estran de Chatt El Hay. C’est
ce que montre la succession chronologique surtout des cartes et des extraits d’images
Google Earth ainsi que des calculs d’indices de structures spatiales des parcelles qu’elles
ont permis.
22 La première mission aérienne utilisée remonte à l’année 1948. Les photos concernent les
secteurs de Djebel Ichkeul-Porto Farina au 1/25000 (tableau 1). La mission de 1962 (A 44/
VII) est au 1/12500. Les effets de parallaxe et les distorsions éventuelles ont été corrigés.
Les photos relatives à la mission n° 359 de 1974 (1/25000) présentent une meilleure
qualité visuelle que les précédentes. En plus de la taille des photos qui est révisée
(23 cm* 23cm), les inscriptions marginales présentent des indications sur le niveau
sphérique et la distance focale.
23 Les photos sont converties en projection UTM sous SIG. Elles sont rendues superposables
à l’image correspondante (la carte topographique de Ghar El Melh au 1/25000). Le calage
est basé sur l’utilisation d’un modèle polynomial d’ordre 2 et qui aboutit à des RMS 1 qui
ne dépassent pas 2,5 m sur le terrain). Les photos ont par la suite été orthorectifiées grâce
à un MNT de 10 m de résolution (issu de la base de données du centre national de
cartographie et de télédétection de Tunis). L’interprétation visuelle des photos nous a
permis de délimiter et de vectoriser sous ArcGis les Zones d’Égale Apparence (Z.E.A) et
d’affecter une classe de couverture pour chacune.
24 Les premiers résultats cartographiques constituent une image similaire aux informations
qui figurent en noir et blanc sur les photos aériennes et apportent des éléments de
réponse sur l’état d’occupation du sol et sur la dynamique des parcelles agricoles (
figure 6).
25 L’interprétation visuelle de la figure 6 ainsi que l’examen et la qualification des
changements de l’occupation des mailles de la figure 7 nous ont permis de déduire que
les berges nord de la lagune de Sidi Ali El Mekki abritent l’essentiel des exploitations
aménagées entre 1948 et 1962. De même, elles enregistrent un taux d’accroissement des
superficies le plus significatif dans cette même période pour la totalité de la lagune (
figure 8), soit 49,6 %.
26 Quant au milieu proprement lagunaire, l’examen visuel de la carte de 1981 et la photo
aérienne de 1948 montrent que le nombre des Gtaïas a évolué d’une façon remarquable
(cela peut être dû aussi à un regroupement des taches, généré par l’échelle de la carte, qui
reste inexploitable pour une étude détaillée sous SIG).
27 Pour la période 1962-1974 (figure 9), la superficie des îlots agricoles n’a pas beaucoup
changé, cela correspond à la période de politique socialiste menée en Tunisie entre 1963
et 1969, durant laquelle les biens agricoles ont été redistribués.
28 On observe une régression de la surface agricole essentiellement sur l’estran de Chatt El
Hay (figures 7, 8). La superficie occupée par l’agriculture est tombée de 7,4 ha en 1948 à
3,2 ha en 1974, soit une baisse de 56,7 % qui s’explique par l’érosion et par le recul du lido
lié à une dérive forte de direction nord-est/sud-ouest qui refaçonne une côte meuble très
fragile (notamment pour la période 1948-1962). L’équilibre sédimentaire entre la lagune
de Sidi Ali El Mekki et la mer dépend aussi des apports sédimentaires des cours d’eau
avoisinants et des relations d’interéchanges entre les différents éléments du complexe
lagunaire de Ghar El Melh. Par conséquent, il s’agit bien d’une évolution structurelle
visible déjà sur les photos d’origines (1948 et 1962) qui ont la même échelle (1/12 500).
L’hypothèse d’une variation sous l’effet des marées est à éliminer vu que les valeurs entre
marée haute et marée basse sont très négligeables pour ce secteur ne dépassant pas
19 mm entre 1936 et 2001 (Boujara et Ayache, 2017).
29 Les modifications au niveau des haies pour la période 1948-1962 sont enregistrées sur les
mailles d’El Edhreâ (qui présentent un réseau serré de haies fortement connectées), sur
les berges nord de la lagune et sur les Gtaïas (figure 7). Quant à la période 1962-1974, les
modifications au niveau du réseau bocager sont enregistrées sur les secteurs cités
précédemment, mais avec un rythme de changement très faible pour El Edhreâ par
rapport à la première période (figure 9).
Figure 6. Évolution de l’occupation du sol sur les bordures de la lagune de Sidi Ali El Mekki entre
1948 et 1962
Source : Photos aériennes de 1948 et 1962, carte conçue par Samaâli et Tounsi-Guérin
Figure 7. Qualification des changements entre 1948 et 1962 à partir des mailles appliquées à la
lagune de Sidi Ali El Mekki (méthode Qgis)
Figure 8. Évolution de la superficie agricole de la lagune de Sidi Ali El Mekki par secteur entre 1948
et 1964
Figure 9. Occupation du sol en 1974 et qualification des changements entre 1962 et 1974 à partir
des mailles appliquées à la lagune de Sidi Ali El Mekki (méthode Qgis)
30 Les indices de structure spatiale des îlots agricoles de la lagune de Sidi Ali El Mekki
(indices de paysage) sont calculés à l’aide de l’outil « calculer la géométrie » dans le menu
des tables attributaires (ArcGis). Les résultats statistiques obtenus ont permis de
consolider ceux cartographiques et de détecter des changements de la structure spatiale
du paysage étudié entre les trois dates. Le nombre d’îlots agricoles a connu un
accroissement de 23,5 % entre 1948 et 1962 et de 13,7 % entre 1962 et 1974 (tableau 2).
Ceci indique soit la fragmentation des îlots initiaux, soit la naissance de nouveaux
polders. De même on constate que, pour l’occupation agricole du sol, l’indice de Shannon
augmente respectivement pour les mêmes dates de 2,32 à 3,15, puis à 3,46. Cela confirme
la tendance d’égalité : beaucoup de nouvelles parcelles aménagées au milieu et sur les
bordures de la lagune ont remplacé celles perdues notamment à Chatt El Hay entre 1962
et 1974. Enfin, l’indice de forme que nous avons obtenu confirme la complexité et la
diversité des formes des îlots agricoles au sein de la lagune.
Tableau 2. Indices de structures spatiales des îlots agricoles entre 1948 et 1974
1948 1962 1974 1948 1962 1974 1948 1962 1974 1948 1962 1974
îlots
agricoles 365 451 513 63,1 68 69,6 5,2 5,78 5,92 2,32 3,15 3,46
nj = nombre de taches de la classe j (îlots agricoles) ; atj = aire totale de la tache j en hectares ; Hj =
Indice de Shannon de la tache j ; Ifj = Indice de forme de la tache j
31 Le 1/25 000 est en Tunisie la plus grande échelle disponible pour les cartes. En outre, les
mesures géodésiques, le nivellement et les techniques de conception se sont beaucoup
améliorés par rapport aux cartes au 1/50.000. La figure 10 (1982) présente les données
issues de la feuille topographique de Ghar El Melh au 1/25.000 (Office de la
Topographie et de la Cartographie).
32 Le passage de microparcelles très éclatées à des formes regroupées et plus étendues est
essentiellement dû au processus de généralisation cartographique qui engendre un
regroupement des taches et des classes thématiques lors du passage d’une photographie
aérienne à une carte topographique (figure 10). Il est important de signaler que, malgré
la diminution sur la carte du nombre des parcelles agricoles et du réseau bocager, les
calculs réalisés à partir des couches vectorielles de 1982 ont permis de montrer un léger
accroissement de l’indice relatif à l’aire totale des parcelles agricoles « at j » qui atteint
77,1 hectares par rapport à 1974. Le calcul des indices « nj », « Hj » et « IFj » donne des
valeurs inférieures à celles des dates précédentes. Les résultats sont ainsi influencés par
la diminution du nombre des parcelles agricoles due à des groupements d’ordre
thématique à l’échelle du 1/25 000.
Figure 10. État de l’occupation du sol de la lagune de Sidi Ali El Mekki en 1982
Source : OTC, carte conçue par Samaâli et Tounsi-Guérin à partir de la Carte topographique au
1/25 000 de 1982
33 L’aménagement par l’État d’un nouveau port depuis 1974 a permis de créer des conditions
favorables de dépôt au nord-est de cet édifice ce qui a contribué à l’élargissement de
l’estran et à l’apparition de nouvelles parcelles Ramli (figure 11). Les fellahs qui ont déjà
des exploitations sur le lido ont vite saisi l’occasion pour « déplacer les limites de leurs
parcelles en direction de la mer » (Oueslati et al. 2015). Quelques nouvelles parcelles
agricoles sont apparues également sur l’extrémité nord-est des berges nord de la lagune
de Sidi Ali El Mekki, au sein de la lagune (El Gtaïas) et à l’Est du port (figure 11).
34 Du côté sud-est, la création du nouveau port a engendré des modifications
géomorphologiques lourdes. Une érosion intense ravage les parcelles agricoles et détruit
les quelques constructions qui existaient déjà : « les fellahs ont perdu la quasi-totalité de
leurs parcelles » (Cherif, 1993).
Figure 11. Qualification des changements entre 1974 et 1982 à partir des mailles appliquées à la
lagune de Sidi Ali El Mekki (méthode Qgis)
35 La rareté des données (cartes, photos…) à grande échelle pour les années 1990 et 2000 et
le coût élevé des scènes à très haute résolution spatiale (THRS) nous ont conduits à
exploiter la plate-forme Google Earth© pour l’utilisation des images qu’elle propose à la
visualisation. Afin d’obtenir des extraits calés spatialement (UTM-zone 32 N), fiables et
mosaïqués, on a eu recours à l’utilisation du logiciel « Stitch Maps ». Les fenêtres extraites
datent du 3 octobre 2010 pour la première image et du 4 octobre 2016 pour la deuxième
image et sont numérisées sous ArcGis 10.
36 L’interprétation visuelle de la figure 12 ainsi que l’examen des changements de
l’occupation des mailles de la figure 13 montrent que les environs du nouveau port et le
lido de la lagune de Sidi Ali El Mekki abritent l’essentiel des exploitations agricoles
aménagées entre 2010 et 2016. La construction des jetées a participé à l’élargissement du
lido par l’effet de chasse (figure 12) et favorise encore l’extension de la surface agricole
depuis les années 2000. Quant aux îlots agricoles qui se situent dans les environs du port
de pêche et au sud et à l’est du laboratoire d’aquaculture (milieu lagunaire), ils ont été
aménagés après la révolution du 14 janvier 2011 au moment où le pouvoir local de l’État
s’était affaibli.
Figure 12. Évolution de l’occupation du sol sur les bordures de la lagune de Sidi Ali El Mekki entre
2010 et 2016
Figure 13. Qualification des changements entre 2010 et 2016 à partir des mailles appliquées à la
lagune de Sidi Ali El Mekki (méthode Qgis)
37 Durant cette période quelques parcelles de culture Ramli apparaissent également dans le
secteur d’El Gtaïas. D’autres apparaissent sur les bordures nord de la lagune au niveau
d’El Hmari et d’Ennjila. Au sud du nouveau Boughaz (figure 13), quelques îlots agricoles
ont été aménagés depuis 2010 malgré les effets de la dérive littorale pour ce secteur.
L’extension des parcelles agricoles est accompagnée par des modifications au niveau du
réseau bocager. Ces changements sont observés sur le côté est du lido dans la zone proche
du port qui a connu un ensablement, au niveau d’El Gtaïas, sur le secteur d’El Edhreâ et
sur les bordures nord de la lagune (figure 13).
38 Par rapport à 1982, les résultats statistiques obtenus pour 2010 et 2016 indiquent un
accroissement de l’aire totale des parcelles agricoles « atj » qui atteint 102 hectares en
2010 et 113 hectares en 2016. L’indice « nj » relatif au nombre de parcelles agricoles a
aussi enregistré un accroissement de l’ordre de 26,6 % (923 parcelles) pour 2010 et de
21,8 % (1125 parcelles) pour 2016. L’indice de Shannon « Hj » relatif à la diversité des aires
des taches a atteint 5.98 en 2010 et 6,07 en 2016. Enfin, l’indice de forme « IFj » est passé
de 3,6 en 2010 à 3,77 en 2016.
39 Tous ces résultats confirment bien l’extension de la surface agricole et l’apparition de
nouvelles formes géométriques notamment sur le lido.
40 Entre 1948 et 1982, les jardins de culture (figure 14) occupent les berges nord de la
lagune de Sidi Ali El Mekki
Figure 14. Évolution des cultures irriguées à la lagune de Sidi Ali El Mekki et Morphologie de Chatt
El Hay entre 1948 et 2016
Photos aériennes de 1948, carte topographique au 1/25 000 de 1982-OTC et extrait d’image Google
Earth 2016
41 L’aire totale des parcelles agricoles atteint 20,1 hectares (tableau 3) en 1982, soit 28,35 %
de la surface agricole totale de lagune et enregistre un taux d’accroissement de l’ordre de
55,8 par rapport à 1948. Dans les autres secteurs, l’accroissement des îlots agricoles se fait
à un rythme très faible. Le bilan est parfois négatif, comme dans le cas de Chatt el Hay
pour la période de 1948 à 1974 (figure 14 et tableau 3).
Tableau 3. Évolution des superficies (en ha) des jardins de culture Ramli
Figure 15. Accroissement de la population communale de Ghar El Melh entre 1975 et 2014
On y trouve parfois des immeubles de quelques étages qui occupent l’emplacement des parcelles
agricoles et sont destinées à accueillir les estivants.
Photos Samaâli et Tounsi-Guérin, 2017
Conclusion
48 La cartographie de la dynamique récente de la lagune de Sidi Ali El Mekki (sur près de 70
ans) nous a permis de mettre en évidence les mutations spatiales profondes. Par rapport
au reste du complexe lagunaire, le site étudié paraît le plus vulnérable, le plus exploité et
le plus touché par la pression anthropique.
49 L’approche méthodologique utilisée dans ce travail (basée sur l’utilisation des données
cartographiques et des indices statistiques) nous a permis de qualifier et quantifier les
changements de l’état de recouvrement du sol au niveau des mailles choisies. En effet, la
superficie des exploitations agricoles a enregistré un taux d’accroissement de l’ordre de
79 % entre 1948 et 2016. Quant aux indices utilisés, ils marquent bien une corrélation avec
l’extension de la superficie agricole, et ont enregistré un accroissement de l’ordre de
208 % pour « nj », de 16 % pour « Hj » et de 64 % pour « IFj » entre 1948 et 2016.
L’extension des parcelles agricoles se fait dans un premier temps sur les bordures nord de
la lagune de Sidi Ali El Mekki (El Hmari et Ennjila) et dans le secteur d’El Gtaïas, mais à
partir des années 1980 les transformations sédimentaires du lido ont permis d’élargir et
accueillir l’essentiel des exploitations agricoles.
50 Ce patrimoine agricole, unique au monde, se trouve aujourd’hui confronté à de sérieux
problèmes. C’est un espace saturé, et souvent à faible rendement agricole, menacé par
l’anthropisation. L’abandon progressif de l’exploitation de certaines parcelles a favorisé
l’extension du bâti. L’avenir de ce secteur dépendra des conditions naturelles, de
l’évolution de cette zone face aux aléas climatiques, morphologiques et humains, mais
aussi des actions de sensibilisation de la population locale et de la volonté politique de
préserver ce patrimoine. Nous avons proposé d’utiliser une nouvelle technique
d’acquisition (drône, Lidar) pour conduire les prochains travaux, mais celle-ci se heurte à
la réticence du pouvoir pour des raisons de sécurité nationale.
BIBLIOGRAPHIE
BOUJARRA A., AYACHE F. (2017). Le complexe lagunaire de Ghar El Melh : les métamorphoses d’un
géosystème côtier. Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Sousse. Latrach éditions. 211 p.
BOGAERT J., ROUSSEAU R., VAN HECKE P., IMPENS I. (2000). “Alternative area-perimeter ratios for
measurement of 2D shape compactness of habitats”. Applied Mathematics and Computation, vol. 111,
n° 1, p. 71-85. doi.org/10.1016/S0096-3003(99)00075-2
BONNIARD F. (1934). La Tunisie du Nord : le Tell septentrional. Étude de géographie régionale. Paris :
Éditions Paul Geuthner, 533 p.
COLLIN DELAVAUD A. (2007). « L’apport des images satellitaires dans l’étude des dynamiques de
l’occupation du sol des villes d’Amérique latine ». Cybergéo. En ligne : https://
journals.openedition.org/cybergeo/722
DÉCAMPS H., DÉCAMPS O. (2004). Au printemps des paysages. Paris : éd. Buchet/Chastel, série
« écologie », 240 p. ISBN 978-2-283-02042-5
DESPOIS J. (1961). La Tunisie, ses régions. Paris : Éditions Armand Colin, Paris, 224 p.
FRANCHOMME M. (2002). Surveillance par télédétection des évolutions de la couverture végétale en zone
côtière méditerranéenne de Tunisie. Mémoire de maîtrise, Université des Sciences et Technologies
de Lille, 100 p.
GUERIN V. (1862). Voyage archéologique dans la Régence de Tunis. Paris : Éditions Plon, t. II, 395 p.
JAZIRI B. (2017). « Évaluation quantitative et mise au point d’un SIG sur la structuration du
paysage bocager de Ras Djebel dans le sahel de Bizerte (Tunisie) ». Physio-Géo, vol. 11, n° 1,
p. 161-180. En ligne : https://journals.openedition.org/physio-geo/5451
OUESLATI A. (1993). « Milieux naturels et ports de pêche dans la Tunisie septentrionale. Le cas du
littoral de Ghar El Melh ». Cahiers du CERES, n° 9, p. 161-193.
OUESLATI A. EL AROUI W., SAHTOUT N. (2015). « Sur la grande vulnérabilité du lido du complexe
lagunaire de Ghar El Melh et de ses terres humides ». Méditerranée, n° 125, p. 65-73. En ligne :
https://journals.openedition.org/mediterranee/7944
TOKO MOUHAMADOU I., TOURÉ F., TOKO IMOROU I. ET SINSIN B. (2012) « Indices de structures spatiales
des îlots de forêts denses dans la région des Monts Kouffé ». VertigO - la revue électronique en
sciences de l'environnement, vol. 12, n° 3. En ligne : http://journals.openedition.org/vertigo/13059 ;
DOI : 10.4000/vertigo.13059
TOUNSI-GUÉRIN I., RABIA CH., BEN AMOR N. (2003). « Systèmes d’Information géographique et
télédétection pour l’analyse spatiale en environnement côtier : Cas de la lagune de Ghar-El-Melh
(Nord-Est tunisien) ». In Liauzu C. (éd.), Tensions méditerranéennes, Paris : L’Harmattan, p. 11-25.
ISBN 2-7475-4478-8
NOTES
1. RMS : moyenne des erreurs résiduelles.
RÉSUMÉS
Cette contribution vise à étudier, par approche cartographique, l’évolution récente des jardins de
culture « Ramli ». Ce parcellaire agricole a été aménagé sur la lagune de Sidi Ali El Mekki (zone
humide du golfe de Tunis, l’ancienne baie d’Utique). Il est irrigué par un système original,
utilisant le mouvement des marées, mouvement qui pousse la nappe phréatique jusqu’aux
racines. L’approche méthodologique se base sur l’utilisation d’une variété de données
cartographiques, photographiques et satellitaires à grandes échelles traitées sous un SIG. Cette
étude s’appuie en outre sur une enquête réalisée auprès 67 agriculteurs locaux. Le travail sur
l’évolution parcellaire s’étaye sur la cartographie des changements dans l’occupation du sol entre
1948 et 2016 et il est consolidé par les résultats statistiques des indices de structure spatiale qui
ont permis de mettre en évidence des mutations profondes. En effet, entre 1948 et 1982 ce sont
les berges nord de la lagune qui abritaient l’essentiel des parcelles agricoles aménagées pour
cette période, soit 28,35 % de la surface agricole totale. À partir des années « 1980 » et avec les
transformations sédimentaires, la zone située sur le littoral a accueilli l’essentiel des
exploitations agricoles aménagées avec un taux d’accroissement de l’ordre de 217,5 %. Après
2010, cette même zone a subi une forte pression anthropique et accueilli l’essentiel de
l’urbanisation qui risque de réduire l’aire de ces jardins uniques au monde.
Using a cartographic approach, this paper studies the recent evolution of Ramli gardens. This
agricultural parcel was developed on the lagoon of Sidi Ali El Mekki (wetlands in the Gulf of
Tunis, the former Bay of Utica). Its unique irrigation system uses the movement of tides to push
the water table to the roots. Our methodology is based on the use of a variety of large-scale
mapping, photographic, and satellite data processed under a GIS. This study is also based on a
survey of 67 local farmers. The work on plot evolution is based on the cartography of changes in
land use between 1948 and 2016 and is consolidated by the statistical results of spatial structure
indicators that have revealed profound changes. In fact, between 1948 and 1982, the northern
banks of the lagoon sheltered most of the agricultural parcels developed for this period, which
covers 28.35% of the total agricultural area. Starting from the 1980s, and with sedimentary
transformations, the zone located on the coast hosted most of the managed farms with a growth
rate of around 217.5%. After 2010, this same area has undergone strong anthropic pressure and
the majority of the area's urbanization; aprocess that may shrink the overall area of these
garden's that are the sole of their kind in the world.
Esta contribución pretende estudiar mediante cartografía temática la evolución actual de los
huertos « Ramli ». Son parcelas agrícolas en las proximidades de la laguna de Sidi Ali El Mekki
(humedal del golfo de Túnez en la antigua bahía de Útica). Su riego se realiza mediante un
original sistema que utiliza el movimiento de las mareas que hace ascender el nivel del freático
hasta las raíces. Para su investigación se han utilizado mediante sistemas de información
geográfica distintas fuentes de información: bases cartográficas, fotografías e imágenes satélite a
gran escala. Además, este estudio se complementa con una encuesta a 67 agricultores de la zona.
El análisis de la evolución de las parcelas se apoya en una cartografía de cambios de uso del suelo
entre 1948 y 2016, y se refrenda con los resultados estadísticos de los índices de estructura
espacial que confirman importantes transformaciones. Así, entre 1948 y 1982 el 28.35% de la
superficie agrícola total se situaba en las márgenes del norte de la laguna. Es, a partir de la
década de los ochenta, con los cambios sedimentarios, cuando el litoral acoge a la mayoría de las
nuevas explotaciones agrícolas con tasas de crecimiento del 217.5%. A partir del 2010 este espacio
se está antropizando con una fuerte urbanización que pone en riesgo estas huertas únicas en el
mundo.
INDEX
Palabras claves : huerta Ramli, cartografía, dinámicas actuales, humedal, laguna de Sidi Ali El
Mekki
Keywords : Ramli garden, cartography, recent dynamics, wetland, Sidi Ali El Mekki lagoon
Mots-clés : jardin de culture Ramli, cartographie, dynamique récente, zone humide, lagune de
Sidi Ali El Mekki
AUTEURS
HAMOUDA SAMAÂLI
Maître-assistant, Département de géographie, FSHST de Tunis –UR : Géomatique des
géosystèmes, FLAH la Manouba.
IBTISSEM TOUNSI-GUERIN
Maître de Conférences, Université Paris VIII- laboratoire LADYSS UMR 7533