Beaux Arts Magazine #391. Janvier 2017
Beaux Arts Magazine #391. Janvier 2017
Beaux Arts Magazine #391. Janvier 2017
par
Fabrice Bousteau
Culture :
le bilan mou de Hollande
Dans le bilan de son quinquennat qu’a dressé le président de la République,
jeudi 1er décembre, avant d’annoncer qu’il renonçait à se représenter à l’élection
présidentielle, la culture était aux abonnés absents. Rien d’étonnant à cela !
Peu féru d’art ni même de littérature ou de cinéma, François Hollande a en efet
commencé son mandat en déniant ses engagements. Après avoir garanti en jan-
vier 2012, pendant la campagne présidentielle, que «le budget de la culture serait
entièrement sanctuarisé», il l’a en réalité réduit de 6 % dès les deux premières
années de son quinquennat. Une première dans l’histoire de la Ve République.
Sa ministre de la Culture d’alors, Aurélie Filippetti, a eu beau afrmer, études à
l’appui, que «le secteur de la culture et de la création représente 1, 3 million d’em-
plois, soit le double du secteur de l’automobile, avec une croissance supérieure
à celle de l’ensemble de l’économie française», rien n’y a fait. Et ce n’est pas
l’annonce récente d’un budget 2017 en augmentation, permettant sur le papier
d’afcher fnalement une hausse de 1,7 % sur toute la durée du quinquennat, qui
sufra à efacer ce péché originel… On aura, pour le moins, la tentation de rele-
ver que tout cela arrive un peu tard et que ce rattrapage ne fait pas une politique
culturelle. Car comment concevoir une telle action sans vision présidentielle,
le tout en changeant trois fois de ministre en cinq ans ? Force est de constater
qu’il ne restera aucune grande réforme ni aucun grand projet dans le secteur cultu-
rel. Pire encore, les deux engagements majeurs du candidat Hollande n’ont pas
été tenus : Hadopi (la loi «inopérable» de Sarkozy sur le piratage Internet en
matière de création) est toujours là ; et, malgré la promesse de développer l’ensei-
gnement artistique et l’accès à la culture pour tous les enfants, le programme
Hollande demeure inférieur au plan Tasca-Lang de… 2000 ! Au crédit du Prési-
dent, il faut cependant reconnaître que les fondamentaux ont été préservés
– notamment avec le vote feuve de l’étrange loi «Création» –, voire relativement
bien gérés. Mais cela ne suft pas. Notre nation, considérée dans le monde entier
comme un modèle culturel, mérite bien davantage. Les candidats à la présiden-
tielle devront donc clairement afrmer leur vision de la politique culturelle de
demain, celle qui aura des répercussions majeures sur l’emploi et l’économie, mais
surtout celle qui portera nos valeurs, notre identité nationale et internationale.
Beaux Arts 5
Sommaire N° 391 • janvier 2017
38 Livres Existe-t-il un art préhistorique ? consacrée à Vermeer et son entourage par le Louvre,
à partir du 22 février. soit la présentation de 12 des
Entretien avec Alain Jaubert : 35 tableaux absolument authentifés du maître de la peinture
«Chez Turner, le sublime mène à l’obscène» hollandaise. alors, comme la Jeune Fille à la perle du
40 Je pisse donc je suis mauritshuis de La haye ne sera pas du voyage, Beaux arts
42 Philo magazine vous la sert sur un plateau doré en guise de
Et si le style était une question vitale ? couverture. À savourer en plus de la soixantaine d’autres
expositions qui composent notre menu 2017, assorties
44 La chronique de Nicolas Bourriaud d’un forilège de mets divers et variés !
De quoi Bernard Buffet est-il le nom ? Vers 1665, huile sur toile, 44,5 x 39 cm.
L’AFRIQUE
DES ROUTES
Exposition 31 / 01 / 17 au 12 / 11 / 17
Vu par
Florelle Guillaume
10 Beaux Arts
Les expositions en 2017
THE COLOR LINE, Les artistes africains-américains et la ségrégation (Jusqu’au 15 / 01 / 17) Arts vivants, Conférences,
PLUMES, Visions de l’Amérique précolombienne (jusqu’au 29 / 01 / 17) Université populaire,
ÉCLECTIQUE, Une collection du XXIe siècle (jusqu’au 02 / 04 / 17) Colloques scientifiques…
DU JOURDAIN AU CONGO, Art et christianisme en Afrique centrale (jusqu’au 02 / 04 / 17)
L’AFRIQUE DES ROUTES (31 / 01 / 17 – 12 / 11 / 17)
PICASSO PRIMITIF (28 / 03 / 17 – 23 / 07 / 17)
LA PIERRE SACRÉE DES MAORIS (23 / 05 / 17 – 01 / 10 / 17)
UNE FENÊTRE SUR LES CONFLUENCES (07 / 03 / 17 – 21 / 05 / 17)
MAYA REVIVAL (20 / 06 / 17 – 08 / 10 / 17)
LES FORÊTS NATALES, Arts de l’Afrique équatoriale atlantique (03 / 10 / 17 – 28 / 01 / 18)
GÉNÉRATION RIVET (14 / 11 / 17 – 28 / 01 / 18)
AVANT LES INCAS (14 / 11 / 17 – 01 / 04 / 18)
www.quaibranly.fr
Masque cimier © musée du quai Branly - Jacques Chirac, DR
Vu par
Vincent Bernière
Gotlib, fn d’esprit
Un peu comme Astérix et le général de Gaulle, il est celui qui nonsense anglais des Monty Python et de l’esprit fran-
a dit «non !», quittant Pilote, la Rubrique-à-brac et Goscinny, chouillard, il reçoit le Grand Prix de la ville d’Angoulême en
son mentor, pour aller fonder l’Écho des savanes avec Man- 1991, après avoir déridé les zygomatiques de plusieurs géné-
dryka et Bretécher. C’est dans l’Écho que les premières flles rations. Pour autant, Gotlib était passablement dépressif et
de la bande dessinée française, certes à poil, frent leur appa- il avait posé défnitivement ses crayons depuis longtemps.
rition en couverture. Et puis en 1975, Marcel Gottlieb, dit En 1942, la police française lui avait ôté son papa, qui dis-
Gotlib, s’en va fonder Fluide glacial. Parfaite synthèse de paraîtra quelques années plus tard en déportation. On ne
l’humour juif new-yorkais de Harvey Kurtzman dans Mad, du peut pas rire de tout.
12 Beaux Arts
Vu par
Marie Darrieussecq
14 Beaux Arts
Ils font l’actu par Armelle Malvoisin
16 Beaux Arts
L’essentiel France pages réalisées par Françoise-Aline Blain
Up
CamiLLe morineau
Polémique auTour On lui doit les expositions «Niki de
Saint Phalle» au Grand Palais, ainsi
du CaravaGe de Toulouse
que «Roy Lichtenstein» ou encore
«Gerhard Richter – Panorama» au
Centre Pompidou. L’ex-conservatrice
Découvert il y a deux ans dans le grenier d’une maison de la région toulousaine, Judith du musée national d’Art moderne
prend la suite de l’Italienne
et Holopherne, un tableau de grand format présumé de Caravage fait toujours polémique.
Chiara Parisi à la Monnaie de Paris.
La toile est exposée jusqu’au 5 février à la Pinacothèque de Brera, à Milan, aux côtés
d’œuvres incontestées de l’artiste. Problème : le cartel de l’exposition l’attribue au maître
Xavier rey
italien, assorti d’un astérisque qui renvoie à une note «plus nuancée» dans le catalogue.
Directeur des collections du musée
Cette attribution «était la condition du prêt mais ne refète pas nécessairement la posi- d’Orsay depuis 2013, il pilotera les
tion offcielle du musée», selon la direction. Critiquant cette décision, un membre du musées de Marseille à partir de février.
conseil consultatif du musée, l’historien de l’art Giovanni Agosti, a donné sa démission. Ce normalien de 34 ans a assuré
En attendant, des analyses, dont on attend toujours les résultats, ont été effectuées par le commissariat de «Degas et le nu»
le Centre de recherche et de restauration des musées de France. À suivre. ou «Masculin / Masculin». Son chantier
principal sera de réorganiser le réseau
http://pinacotecabrera.org des musées de la Ville.
Laurent SaLomé
Depuis mars 2011, il était directeur
scientifque de la Réunion des
musées nationaux, en charge de
la programmation des expositions de
la RMN-Grand Palais. Il est nommé
directeur général de l’établissement
public du musée et du domaine de
Versailles. Il succède à Béatrix Saule.
anne mény-Horn
La directrice des opérations
de l’agence France-Muséums (créée
en 2007 pour mettre en œuvre
le projet du Louvre Abu Dhabi)
prend la tête de l’institution.
Elle sera secondée depuis Paris
par Marie-Anne Ginoux, nommée
directrice générale adjointe.
auréLien Lemonier
Architecte de formation et jusqu’ici
conservateur au Centre Pompidou,
il a été choisi pour diriger le musée
de l’Histoire de l’immigration,
installé au palais de la Porte dorée,
à Paris.
attribué à Michelangelo Merisi da caravaggio, dit caravage Judith et Holopherne, 1606-1607
18 Beaux Arts
L’essentiel France
le chIffre
500 000 € C’est la somme que
le musée du Louvre espère réunir d’ici au 31 janvier,
via un appel aux dons, pour lancer le chantier de
rénovation de la chapelle du mastaba d’Akhethétep,
wIm à l’automne 2017. www.tousmecenes.fr
delvoye
tutoIe la france restItue
un taBleau spolIÉ
les ÉtoIles Le tableau a été retrouvé par les Alliés dans
les mines de sel d’Altaussee, près de Salzbourg
L’artiste belge Wim Delvoye a été (Autriche), avec des milliers d’autres œuvres.
retenu pour réaliser l’hommage à l’as- Un portrait famand du XVIe siècle dont les époux
tronome François Arago, qui a joué un Hertha & Henry Bromberg, juifs allemands, avaient
rôle majeur dans l’histoire de l’École été contraints de se séparer en 1938 alors qu’ils
polytechnique et dans celle de l’Ob- fuyaient les nazis. La France vient de le restituer
servatoire de Paris. Cette statue en aux petits-enfants du couple. Portrait d’un homme
à la fourrure, attribué au Flamand Joos Van Cleve,
bronze tourbillonnante, de 2,5 m de
était depuis janvier 1960 en dépôt au musée des
haut, viendra remplacer celle qui
Beaux-Arts de Chambéry, sous le code MNR 387
avait été érigée en 1894 grâce à une (Musées Nationaux Récupération), dans l’attente
souscription publique, puis fondue en de l’identifcation de son propriétaire.
1942 par les Allemands et jamais
remplacée. Elle sera installée dans le
jardin de l’Observatoire sur le méri- les audI talents awards
dien de Paris, le 7 juin à l’occasion de exposent leurs laurÉats
la célébration des 350 ans de l’insti-
Le constructeur automobile a lancé il y a dix ans
tution, à quelques mètres seulement
un programme de mécénat innovant, les Audi Talents
de son emplacement initial. Awards, pour soutenir la création française dans
https://arsarago.polytechnique.org des domaines aussi variés que l’art contemporain,
le design, le court-métrage ou la musique. Parmi la
quarantaine d’artistes récompensés, citons Cyprien
WiM DElvoyE
Gaillard, Neil Beloufa, Felipe Ribon ou encore le duo
Maquette du projet Hommage à Arago
Raphaël Pluvinage & Marion Pinaffo. Pour célébrer
cet engagement, Audi expose ses lauréats jusqu’au
10 mai dans un lieu éphémère en plein Marais.
«Bertrand Dezoteux (lauréat 2015) – En attendant Mars»
du 11 janvier au 5 février • galerie Audi Talents
23, rue du Roi de Sicile • 75004 Paris • 01 76 54 16 23
www.auditalentsawards.fr
20 Beaux Arts
Jean-Luc Verna
MAC
— Non
d’ar t
du Val contempora
-de-M in
arne
22 oct. 16 — 26 févr. 17
Rétrospective
Place de la Libération — Vitry-sur-Seine (94)
www.macval.fr
Sur la planète par Françoise-Aline Blain
états-unis roumanie
Les emoticons au moma Bucarest récupère
En 1999, de petits pictogrammes pixellisés illustrant toute une gamme un Brancusi
d’expressions du visage ou de phénomènes météorologiques 10 M€. C’est la somme que va devoir
apparaissaient dans les téléphones portables japonais. Dix-sept ans débourser la Roumanie – l’un des
plus tard, les emoticons (emoji, en japonais) font leur entrée dans pays les plus pauvres de l’Union
les collections du MoMA de New York, offerts par l’entreprise Nippon européenne – pour acquérir une
Telegraph and Telephone. Mises au point par le graphiste japonais sculpture en pierre de Brancusi, après
Shigetaka Kurita, ces 176 images de 12 x 12 pixels vont désormais l’échec d’une souscription publique
côtoyer les chefs-d’œuvre de Van Gogh et de Picasso. www.moma.org lancée en mars dernier. Taillée en
1907, la Sagesse de la terre avait été
vendue par l’artiste à un ami roumain,
Gheorghe Romascu. Confsquée
en 1957 par le régime de Ceausescu,
elle avait été rendue à la famille
du collectionneur en 2012, au terme
de nombreux procès. La sculpture sera
exposée au musée national d’Art de
Roumanie, à Bucarest, puis entamera
une tournée à travers le pays.
Constantin BranCusi La Sagesse de la terre, 1907
Jordanie Grèce
L’arcHéoLoGie atHènes ouvre enfin
a encore parLé son premier musée
Un tombeau de la période hellénistique a d’art contemporain
été découvert dans la ville de Beït Ras, Le projet aura mis près de vingt ans à voir
au nord du pays, lors de travaux le jour. Le 31 octobre, le musée national
d’extension du réseau de traitement des d’Art contemporain d’Athènes (EMST)
eaux usées. L’une des deux chambres a ouvert ses portes au public, après
funéraires taillées dans le basalte de nombreuses péripéties liées en partie
est décorée de gravures représentant à la crise fnancière. Installé dans une
deux têtes de lion et est ornée de ancienne brasserie dont la réhabilitation
fresques fgurant des scènes a coûté 37 M$, l’EMST, livré en 2014, était
mythologiques peintes à l’huile. Si resté fermé depuis. En guise d’exposition
certains éléments ont souffert de inaugurale, «Urgent Conversations:
l’érosion, la majeure partie est restée Athens-Antwerp», sous le commissariat
intacte, ce qui permet d’avoir un aperçu de Bart De Baere et Katerina Koskina
des rites funéraires de l’époque. (jusqu’au 29 janvier). L’institution a aussi
été chargée du pavillon grec de la
57e édition de la biennale de Venise
(artiste, George Drivas). www.emst.gr
cHine
anseLm kiefer
s’oppose
à sa rétrospective Japon
À l’occasion de sa rétrospective Hokusai sanctifié à tokyo
en Chine qui se tient actuellement
sans son autorisation, l’artiste allemand C’est la première fois que l’archipel nippon
Anselm Kiefer rappelle : «Tout au long consacre un musée à l’un de ses plus grands
de ma carrière, j’ai été extrêmement artistes, Katsushika Hokusai (1760-1849).
impliqué dans mes expositions Dessiné par l’architecte japonaise Kazuyo Sejima,
internationales et c’est avec frustration lauréate en 2010 du prix Pritzker, le musée
et un profond regret que j’apprends – magnifque bâtiment recouvert de plaques
que les organisateurs de ma première d’aluminium – a été inauguré le 22 novembre
monographie en Chine ont jugé bon dans le quartier de Sumida, à Tokyo, près
de m’exclure du processus.» Organisée du lieu où naquit l’artiste. Parmi les pièces
à la Central Academy of Fine Arts, phares de la collection de plus de 1 500 œuvres,
à Pékin, l’exposition présente 87 œuvres un rouleau de sept mètres de long baptisé
de l’artiste, jusqu’au 8 janvier. Sumidagawa Ryogan Keshiki Zukan, récemment
http://museum.cafa.com.cn redécouvert et que l’on croyait défnitivement perdu
depuis près d’un siècle. http://hokusai-museum.jp
22 Beaux Arts
Sur la planète par Françoise-Aline Blain
24 Beaux Arts
Architecture par Philippe Trétiack
26 Beaux Arts
www.rhone.fr 04 74 53 74 01
Architecture
sinuosités Zen
Taipei World Trade CenTer Square
Taiwan • Toyo Ito • 2011
la place du World Trade center de Taipei, à Taiwan,
se présente comme un jardin zen. Très graphique, elle
emprunte au monde végétal, une référence majeure
dans le travail de l’architecte Toyo Ito. le motif foral qui
dessine les différentes allées de promenade, les bancs
publics et les bassins est rehaussé par de vastes parcelles
de pelouse. cette approche ornementale et minimaliste
s’apparente à l’aménagement d’un jardin d’agrément.
Occupez la place !
parce qu’elles sont de plus en plus le théâtre d’usages inédits, les places publiques se métamorphosent. lieux de circulation
et de rassemblement, elles forment de nouveaux paysages urbains ouverts à toutes les improvisations… et tous les mirages.
terrain volant la place d’Israël, à copenhague, ressemble, selon ses concepteurs, à un immense tapis volant. Semblable métaphore
évoque l’idée une dalle souple marquée par des découpes et des plis permettant d’installer une large typologie d’équipements :
iSrael Square terrain multisport au centre, mini-skate park, aire de jeux ou de repos, gradins… Si l’option choisie pour le traitement du site
Copenhague (Danemark) est minérale, les quelques arbres qui jalonnent l’esplanade se font plus présents à l’approche du parc principal de la ville afn
Cobe + Sweco Architects • 2014 de rendre lisible ce lien urbain entre la ville construite au nord et le paysage naturel au sud.
28 Beaux Arts
par Céline Saraiva
Beaux Arts 29
Design par Claire Fayolle
vue de l’exposition «old Furniture – New Faces» à la chapelle Saint-Louis des Gobelins.
30 Beaux Arts
Design
signé jean nouvel
Fait rare pour un architecte contemporain,
Jean Nouvel a vu éditer plus de cent de ses
meubles et objets depuis 1987. À l’honneur aux
Arts décoratifs, ceux-ci s’enrichissent de
quelques luminaires et deux tapis en marbre
spécialement conçus pour l’occasion. Jean
Nouvel a eu la bonne idée de déployer l’expo-
sition non seulement dans l’espace dédié au
graphisme et à la publicité – dont il a signé la
rénovation en 1998 – mais aussi les collections
permanentes, afn d’ofrir une déambulation
physique et mentale entre la tradition mobi-
lière (du Moyen-Âge au XVIIIe siècle) et ses
propres recherches, fondées sur «l’élémenta-
rité». Parmi les pièces les plus récentes, sont
révélées les banquettes du futur Louvre Abu «LAd Line» • PoLtronA FrAu • 2016
Dhabi et une collection pour Roche Bobois lan- Cette banquette appartient à la collection d’assises conçues par jean nouvel pour le louvre abu Dhabi. Celle-ci
cée en novembre dernier. Et il n’est pas interdit se caractérise par un équilibre entre masse et ligne, le volume des pièces étant rythmé par une succession de fnes lamelles
de s’asseoir sur certaines des créations… de cuir moulées (2 cm). le principe constructif de modules encastrables permet de créer des objets de grande longueur.
Hors commerce
l’exposition
«Jean nouvel – Mes meubles d’architecte / sens et essence»
jusqu’au 12 février • Les Arts décoratifs
107, rue de Rivoli • 75001 Paris • 01 44 55 57 50
www.lesartsdecoratifs.fr • Catalogue : coéd. Flammarion /
Les Arts décoratifs • 272 p. • 49 €
32 Beaux Arts
par Claire Fayolle
«Modèle a» • coll. «tRiPtyques» • GaGosian GalleRy & GaleRie PatRick seGuin • 2014
Pour Jean Nouvel, ce grand miroir coloré à trois volets, présenté dans les collections
du XVIIe siècle du musée, est un «créateur de mystère».
À partir de 70 000 € • édition limitée à 6 ex. • 140 x 280 cm (ouvert)
www.gagosian.com • www.patrickseguin.com
Beaux Arts 33
CinéArt par Jacques Morice
En salles
un conte animé par la grâce
le fond est sombre, très cruel : l’histoire, inspirée d’un
conte des frères Grimm, est celle d’une jeune flle privée
de ses mains que son père meunier vend au diable
contre une rivière d’or. la forme, elle, est lumineuse,
aérée, épurée – grâce minimaliste du trait, transparence
des couleurs. c’est une merveille de flm dessiné,
pour adultes comme pour enfants.
La Jeune Fille sans mains de sébastien laudenbach
En salles depuis le 14 décembre
34 Beaux Arts
« LE PORTRAIT D’UN FAUSSAIRE DE GÉNIE. »
LE MONDE
« GUY RIBES, UN TALENT RECONNU JUSQU’AU TRIBUNAL ! »
LE PARISIEN
« UN FLIBUSTIER DU PINCEAU ! »
LES INROCKUPTIBLES
À regarder et aussi…
EnquêtE sur l’orEillE
gAuche lA plus célÈbre
À écouter
«AffAires sensibles» lascaux, saison 4 ¡ ViVA fridA ! vassily KanDinsKy,
sur écrAn La nouvelle réplique de la grotte de Lascaux On ne se lasse pas de frida Kahlo ni de sa vie un ApAtride à pAris
Présentée par fabrice Drouelle, l’excellente vient d’ouvrir [lire p. 104]. L’occasion de romanesque. france culture profte La fermeture par les nazis de l’école du Bauhaus
émission de france inter est disponible revenir en quatre épisodes sur ces fresques de l’exposition «mexique (1900-1950)» de Berlin, dans laquelle Kandinsky enseignait,
sur smartphones et tablettes. six histoires pariétales, vestiges d’une civilisation de près en ce moment au Grand Palais pour rediffuser provoqua, en 1933, l’exil du peintre à Paris.
sont disponibles, non pas sous la forme de 20 000 ans. cette série documentaire ce feuilleton qui vous emmènera dans le frédéric Taddeï reçoit dans son «social club»
d’un podcast mais présentées comme s’attardera sur la manière insolite dont mexique de la première moitié du XXe siècle. Guy Tosatto, directeur du musée de Grenoble
une BD numérique que le lecteur fait défler les grottes ont été découvertes, qu’il s’agisse Plusieurs fois frôlée par la mort, l’artiste a vécu qui consacre, jusqu’au 29 janvier, une exposition
sur son écran. La navigation est très fuide, de Lascaux, chauvet ou cussac. ainsi que une grande partie de sa vie emprisonnée aux années parisiennes de l’artiste, les dix
la technologie intuitive disparaît au sur les différents problèmes liés à leur dans un cercueil de plâtre. un récit à la première dernières de sa vie [lire p. 66]. autour du micro,
proft du récit des faits divers. sordide conservation. enfn, sera évoquée l’infuence personne aux sonorités envoûtantes. ils évoqueront cette ultime période du peintre
mais passionnant. des dessins sur les artistes du XXe siècle. frAnce culture «Des ailes de mouette allemand, déchu de sa nationalité car jugé
Gratuit • disponible sur smartphones, frAnce culture série documentaire noire – Portrait en miroir de Frida Kahlo» «dégénéré», et devenu citoyen français en 1939.
tablettes et sur le site «lascaux saison 4 – un art mort et enterré» du 12 au 16 décembre, de 20 h 30 EuroPE 1 «social club»
affaires-sensibles.franceinter.fr > Podcasts du 12 au 15 décembre • 60 min à 20 h 55 • disponible en podcast > Podcast du 8 décembre • 120 min
36 Beaux Arts
René Gruau / oeuvres originales
E x p o s i t i o n - Ve n t e 3 d é c e m b r e 2 0 1 6 a u 4 f é v r i e r 2 0 1 7
Catalogue d’exposition en vente sur le site de la librairie d’ar t Le Puits aux Livres : www.lepuitsauxlivres.com
Livres
«Chez Turner,
le sublime mène
à l’obscène»
Auteur de la série d’émissions «Palettes», qui a fait parler les œuvres d’art à la télévision, Alain Jaubert
est réalisateur et écrivain. Il vient de publier un essai passionnant sur l’histoire singulière des dessins érotiques
de Turner (1775-1851), longtemps cachés par de pudibonds Britanniques… Entretien.
Comment vous êtes-vous intéressé à ces carnets Turner toute la pureté de sa légende. Lui-même rend compte qu’ils ne fgurent que très rarement
dits «secrets» de Turner ? avait d’ailleurs un rapport particulier à la sexua- des femmes prenant la pose. Turner agit plutôt
En 2010, à l’occasion de l’une des premières lité : il aurait été traumatisé par sa nuit de noce en voyeur et c’est immédiatement perceptible.
grandes expositions françaises Turner, au Grand et en aurait gardé un dégoût de la chair, ce qui D’ailleurs, dès qu’il a eu l’âge légal, il a fréquenté
Palais, je lui ai consacré un documentaire très pourrait expliquer cette attitude. Toutefois, les salles de nu. Or ces dessins montrent, y com-
classique. J’ai donc tout lu sur le peintre et je suis malgré la destruction de cet œuvre érotique, on pris lorsqu’il est devenu plus tard professeur à la
tombé sur les articles de Ian Warrel, conserva- se rend compte que tout n’est pas si pur chez Royal Academy, qu’il ne se plaçait jamais à l’en-
teur à la Tate, consacrés à ces erotica. J’en Turner et qu’il nourrit une vraie fascination droit habituel, face au modèle, mais plutôt de
connaissais certes la légende depuis longtemps : pour l’horreur, le mal, la violence, le morbide ! manière décalée, dans l’axe des cuisses, toujours
celle du poète, artiste et critique d’art John Il suft de regarder des tableaux tels que le avec un peu de perversion. Ce voyeurisme est
Ruskin, exécuteur testamentaire du legs Turner, Négrier, dans lequel les esclaves sont jetés par- une constante.
brûlant en 1858 des centaines de dessins et de dessus bord, ou encore ses batailles, Waterloo ou
tableaux érotiques qui l’avaient horrifé. Sauf Trafalgar, avec leurs océans de cadavres. Ce sont Est-ce la principale caractéristique
que demeure une question : l’a-t-il vraiment fait ? des tableaux terribles. de ces dessins érotiques ?
Car 108 dessins pornographiques ont été épar- Sa fascination pour l’érotisme se heurte à un
gnés et soigneusement annotés de cette men- Quelle place occupent ces erotica dans son œuvre ? pendant : Turner semble avoir horreur du visage.
tion : «conservé seulement comme preuve de Il faut noter l’emplacement de ces dessins éro- On dirait que la physionomie lui fait peur. Or, si
dérèglement mental». Ruskin est d’ailleurs tou- tiques à l’intérieur des diférents carnets. La plu- l’on observe son autoportrait jeune – le seul –, il
jours resté évasif sur la manière dont il a procédé. part sont faits au hasard du chemin. Prenez par est manifeste qu’il sait peindre un visage. Pour-
D’où ce doute. En 2010, j’ai donc écrit un court exemple cette aquarelle exécutée en Suisse, et tant, il ne le fera que très rarement. Par contre,
essai sur ce sujet, confé aux éditeurs Adam Biro fgurant deux (ou trois) personnages dans un ce qui est perceptible, c’est sa manière de «phy-
et Stéphane Cohen. Puis le projet s’est arrêté car même lit. Elle a tout d’une scène prise sur le vif. siologiser» le paysage. Avec Courbet, on a sou-
nous avions l’idée d’une exposition qui n’a pas pu D’autres, en revanche, semblent relever du pur vent fait ce type de rapprochement – peut-être
voir le jour. Et Stéphane Cohen, qui avait entre- fantasme. D’autres encore ressemblent à des même un peu arbitraire – entre son obsession
temps créé sa propre maison d’édition, a fni par exercices. Tout cela demeure très énigmatique. pour la source de la Loue et l’Origine du monde.
le publier en lui donnant cette ampleur. Ce qui est intéressant, c’est de savoir pourquoi Chez Turner, il existe une liaison très forte entre
un artiste réalise des dessins érotiques. Après la le sublime et l’obscène. Le sublime, c’est le ver-
Pourquoi Ruskin a-t-il détruit ces dessins ? mort de Turner, on a pu lire diverses interpréta- tige ressenti face aux forces brutes de la nature,
Il l’a lui-même raconté de son vivant à plusieurs tions : il serait allé tous les vendredis au bordel la beauté sauvage d’un paysage. L’obscène, c’est
de ses proches puis, près de trente ans plus tard, car il allait percevoir le loyer d’une taverne dans une façon de voir le monde comme un corps. Le
à l’écrivain Frank Harris. Cela peut nous sem- la station balnéaire de Margate, dont il était pro- monde naît alors d’une sorte d’épreuve, d’ordalie.
bler scandaleux mais ce n’était pas le cas de son priétaire. Or, lorsque l’on observe dans le détail Turner n’est pas le seul à avoir cette démarche ;
vivant. En pleine époque victorienne pudi- ces dessins, qui vont du simple grafti à l’aca- au même moment, Blake ou Friedrich font de
bonde, John Ruskin voulait rendre à son «dieu» démie en passant par des scènes sur le vif, on se même. Mais il aime se placer dans des situations
38 Beaux Arts
propos recueillis par Sophie Flouquet
extrêmes – il raconte qu’il se serait fait ligoter au regard est toujours panoptique, il s’intéresse à des dessins érotiques ou libertins, Carrache,
mât d’un bateau pour vivre une tempête – voire la perspective, aux structures du paysage. Ses Füssli, Géricault ou même Léonard… On peut
dans des situations de crainte, un peu enfantine, carnets de croquis sont en quelque sorte son dire que, depuis Pompéi et même la Préhistoire,
devant le corps de la femme. Ces deux choses «grappin» inconscient sur le monde. Par ailleurs, c’est un fot continu. Turner n’était pas juste un
sont conjointes. Il s’agit d’une forme d’ap il y consigne aussi de nombreuses notes, sur les pervers marginal. Ce qui est exceptionnel, c’est
proche panthéiste, d’une conception de la terre couleurs, les lumières. Ses carnets lui servent à cette correspondance très étroite entre ses
comme un corps. Cela pourrait être résumé rendre compte d’une expérience et, de retour obsessions paysagistes et érotiques. Ou com
dans un dessin de montagne, où la caverne est dans l’atelier, il n’en tire que quelques images, ment le sublime nous mène à l’obscène.
dessinée comme un vagin vers lequel s’approche ensuite recomposées.
un énorme pénis.
Ces dessins ont-ils été divulgués de son vivant ?
Il serait donc guidé par une démarche Non, de son vivant, Turner n’a jamais rien divul
expérimentale ? gué. Longtemps, c’est son père, chez qui il avait
Turner nourrit toujours un double rapport à ce commencé à exposer dans sa vitrine de barbier,
qu’il voit. Lorsqu’il se déplace, il agit en dessi qui s’est occupé de tout. Il gérait ses afaires et
nant comme un photographe et semble tirer en repassait même ses chemises. Après la mort de
rafale. Il aurait pu inventer le cinéma ! En tout celuici, Turner est resté très négligent. Tout
cas, il le fait dans sa tête. Turner est un grand s’est accumulé dans l’atelier, une centaine de
marcheur, il se déplace énormément, a l’ob tableaux inachevés, 182 esquisses à l’huile,
session de tout voir et de changer de paysage 10 000 aquarelles ou dessins sur feuilles volantes. À lire
constamment. Par exemple, dans une seule Et 280 carnets, car il dessinait tout le temps. Cela J. M.W. Turner – Les Carnets secrets par Alain Jaubert
journée de descente de la Moselle, il réalise pas nourrissait sa pensée. Mais il ne faut pas aller éd. Cohen & Cohen • 290 p. • 65 €
moins de 150 dessins, ne se contentant jamais trop loin dans la sanctifcation de ces dessins. Turner’s Secret Sketches par Ian Warrell
de ce qui est dans son champ de vision. Son De nombreux peintres ont également produit éd. Tate • 144 p. (épuisé)
Beaux Arts 39
Livres
JE PISSE DonC JE SUIS
Depuis le début du XVIIe siècle, il urine au vu et
au su de tous les Bruxellois avec un air à la fois
amusé et satisfait. La célèbre statuette en bronze
du Manneken-Pis est devenue le symbole de l’hu-
mour belge et une fgure si populaire que même les
Japonais en possèdent une réplique. Depuis 1985,
il a aussi un pendant féminin, la Jeanneke-Pis,
commandée par un restaurateur qui voulait réta-
blir l’égalité homme-femme ! Et puis il y a tous les
Figures pissantes autres, tous ces pisseurs que l’histoire de l’art n’a
(1280-2014) pu empêcher de se soulager sur les ruines antiques,
par Jean-Claude dans les marges des manuscrits, du haut des fon-
Lebensztejn
taines baroques ou dans les recoins de grandes
éd. Macula
164 p. • 26 € toiles de maîtres tels que Michel-Ange, Titien
et Rubens. L’écrivain et critique Jean-Claude
Lebensztejn les a tous réunis dans cet essai original et érudit, qui s’ouvre
avec les fgures de petits Amours rondouillards moqueurs destinés à
donner un peu de piquant aux tableaux religieux de la Renaissance. «Tout
en faisant rire, explique Lebensztejn, le jet d’urine est chargé de vertus Sophy RICKETT Pissing Woman (Test), 1994
propitiatoires» et fgurait ainsi au revers de nombreux plateaux où l’on
servait à boire aux femmes en couches de Florence. Le pisseur gagne que Robert Mapplethorpe sublimait la golden shower (le fameux jet de
ensuite les scènes de genre et son apparition se multiplie. Sous la forme, pisse sur le corps ou dans la bouche) dans des photographies noir & blanc
cette fois, d’un homme trivial, souvent ivre, dont la pratique de l’excré- esthétisantes ultra-soignées. Et ce, une vingtaine d’années après que les
tion est joyeuse et sans gêne, qu’il se trouve en pleine rue ou au bordel. actionnistes viennois eurent déjà donné le ton lors de performances où
Au fl du temps, la fgure du pisseur va perdre en innocence pour gagner ils soulageaient leur vessie en public et dix ans après que Warhol eut peint
en érotisme et en agressivité. Si bien que les XXe et XXIe siècles, nous avec son urine dans sa série Oxidation. Les mâles n’ont pas le monopole
dit l’auteur, «allaient ofrir une vision renouvelée et brutale de la miction, de la pratique et les femmes aussi s’en sont donné à cœur joie, comme
un déferlement de provocations urinaires appelées à s’amplifer à la dans les photographies de Sophy Rickett montrant une délicate jeune
manière d’un orage qui va tout dévaster sur son passage». Andres Serrano femme qui projette un impressionnant jet d’urine contre un mur. Warhol
n’hésitait pas en 1987 à plonger un crucifx dans un bain de pipi, tandis et ses condisciples n’ont qu’à bien se tenir. Daphné Bétard
40 Beaux Arts
Philo par François Cusset
et si le style
était uNe
questioN
vitale ?
Non, être une bête de style n’est pas
forcément un signe ostensible de
narcissisme. De Nietzsche à Pasolini,
une universitaire démontre même
que le style est avant tout une «forme
de vie» singulièrement collective.
Mieux : un terrain de jeux politique.
Q
ui juge les manières bling-bling de
Trump moins graves que ses projets
ultraréactionnaires n’a simplement
rien compris. Le style n’est ni une broutille, ni un
ornement, c’est la force (et la forme) même de la
vie. Être écrivain, prévenait Rousseau dans le Le couple Eva & Adele, alias «les jumelles hermaphrodites de l’art», lors de l’inauguration de leur exposition
«You Are My Biggest Inspiration», à voir au musée d’Art moderne de la Ville de Paris jusqu’au 26 février.
préambule de ses Confessions, c’est «prendre son
parti sur le style comme sur les choses». Et être
artiste, pourrait-on ajouter, c’est éprouver à Marielle Macé part de Pier Paolo Pasolini, de sa tences. On peut tirer sa réfexion vers le champ
même son corps et son travail que, dans les rage contre la confscation capitaliste et télévi- de l’art, où l’ironie ofensive de Duchamp, la
formes, «il y va de la vie». Dans les deux cas, c’est suelle des «modes d’être populaires», pour arra- densité perceptive de Cézanne et l’interpella-
entrer, selon Marielle Macé dans son essai consa- cher cette question du style à ceux qui d’ordi- tion contre-publicitaire de Barbara Kruger
cré aux styles et à leurs enjeux politiques et exis- naire en ont le monopole : les médias et les sont toutes les trois des styles porteurs d’enjeux
tentiels, «en lutte contre toutes les façons, y com- gourous de la mode, les consultants et les réseaux cruciaux. Mais à condition de rester en deçà de
pris savantes, d’être inattentif au “comment”». sociaux, et même les dandys, résistants du style l’art exposé, fétichisé, associé aux noms propres
Savante, cette directrice de recherche au CNRS depuis l’aube de la modernité, qui font de ce comme à des icônes : car si le style n’est pas
l’est, mais en convoquant côte à côte, au service «phrasé de l’existence», de ce «grain stylistique qu’une question individuelle ou si chaque être
de cette énigme du «comment», des philosophes de toute vie», une afaire de distinction. Alors humain est une «bête de style», c’est en fait, dans
(de Nietzsche à Michel Foucault), des socio- qu’avec le style, comme l’afrme le chemine- les termes de Macé, qu’un «style n’est pas une
logues (de Georg Simmel à Pierre Bourdieu) et ment de ce livre en trois étapes, il s’agit non seu- chose mais […] sa façon singulière de s’élancer,
des écrivains – le Ponge des objets, le Balzac de lement de distinction mais aussi de modalité qui l’excède». Le style, donc, «s’ouvre au par-
la Théorie de la démarche, le Proust et le Flaubert (donc de puissance de vie) et d’individuation tage, au commun», et par là «aussi bien à l’expro-
d’une littérature devenue la question même du (donc de cohérence). priation» – enjeu collectif, terrain de lutte, en
style. Faire de ce «comment», du rapport entre L’approche est d’une grande élégance, érudite somme, et pas seulement ce
la vie et les formes qu’on lui choisit, une question et toujours singulière, comme dans cette façon repli sur soi narcissique et
vitale, un motif de colère, un engagement com- qu’a l’auteur de regarder diverger sur ces ques- oublieux qu’en font les
plet, tel pourrait être leur credo commun. C’est tions les penseurs pour mieux en faire son miel. cyniques et les cabinets de
aussi le souci nouveau, par rapport à leurs aînés Et s’il est essentiel de se réapproprier cette force tendance.
marxistes, des jeunes révolutionnaires d’Occupy du style, de la reprendre aux marchands et aux
Wall Street ou de Notre-Dame-des-Landes en idéologues, c’est que s’y jouent la valeur de nos Styles – Critique de nos formes
occupant durablement l’espace public, en inven- vies, le rayonnement des invisibles ou des de vie par Marielle Macé
tant un ton, en se façonnant des vies en rupture. «babioles et futilités» logées au cœur de nos exis- éd. Gallimard • 356 p • 22 €
42 Beaux Arts
La chronique de Nicolas Bourriaud
Bernard
Buffet
Les Clowns
musiciens
La Cantatrice,
1991
44 Beaux Arts
en couverture
Fernand Léger
Les Grands Plongeurs noirs [détail]
1944, huile sur toile, 189 x 221 cm.
46 Beaux Arts
Les 60 meiLLeures
expositions
à voir en 2017
vermeer Au louvre et rodin Au grAnd pAlAis, yves klein à
Bruxelles et les soviets à l’AttAque de londres et de
new york… l’AnnÉe 2017 semBle Avoir exAucÉ le vœu le
plus cher de fernAnd lÉger, Bientôt honorÉ d’une rÉtros-
pective Au centre pompidou-metz : que le BeAu soit pArtout !
par daphné bétard, armelle fémelat, Sophie flouquet,
emmanuelle lequeux & natacha nataf
Beaux Arts 47
PARIS / MUSÉE DU LOUVRE
Du 22 FÉvrIer Au 22 MAI
Vermeer, l’intégrale
(ou presque)
D’ordinaire, seuls deux tableaux de Vermeer du Siècle d’or qui s’épanouit simultanément à gée dans l’art hollandais du XVIIe siècle, les
sont présentés au Louvre : la Dentellière et Utrecht, Leyde, Delft et Amsterdam. Aux anti- expositions «Chefs-d’œuvre de la collection
l’Astronome. Mais à partir du 22 février ils seront podes du génie solitaire fantasmé par le roman- Leiden» et «La Hollande au Siècle d’or» présen-
douze, soit un tiers de l’œuvre identifé. Orga- tisme finissant, le «sphinx de Delft» (ainsi tées au même moment dans l’aile Sully et la
nisée en partenariat avec la National Gallery surnommé par le critique d’art Théophile rotonde Sully du musée du Louvre.
of Art de Washington et la National Gallery of Thoré-Bürger) apparaîtra aux côtés de ses Armelle Fémelat
Ireland (Dublin), l’exposition parisienne ne rivaux, les autres grands maîtres de ces scènes «Vermeer et les maîtres de la peinture de genre»
sera pas monographique pour autant, bien au de la vie quotidienne que furent Gérard Dou, www.louvre.fr ✶ Hors-série Beaux Arts éditions
contraire ! Son propos est d’insérer l’homme Gerard ter Borch, Jan Steen, Pieter de Hooch, > Ci-dessus : L’Astronome ou l’Astrologue, 1668
dans la société de son temps et son œuvre dans Gabriel Metsu, Frans Van Mieris et Caspar Et aussi : «Chefs-d’œuvre de la collection Leiden»
le contexte foisonnant de la peinture de genre Netscher. Idéales pour poursuivre cette plon- «La Hollande au Siècle d’or» • www.louvre.fr
48 Beaux Arts
Art ancien
PARIS / MUSÉE D’ORSAY
Du 14 mars au 25 juin
Paysages
métaphysiques
«Quel mortel, quel être doué de la faculté de sentir, ne
préfère pas au jour fatigant la douce lumière de la nuit
avec ses couleurs, ses rayons, ses vagues fottantes qui se
répandent partout.» Il suft de lire les Hymnes à la nuit du
poète romantique Novalis pour se souvenir combien le
rapport à l’Univers et au cosmos fut, au XIXe siècle, plus
mystique que jamais. Dans ce vaste mouvement philo-
sophique, les peintres jouent les rôles d’intermédiaires,
entre une nature ineffable, transcendante, et l’être
humain en quête d’une spiritualité nouvelle. Pour évo-
quer ce désir de fusion dans un grand tout qui s’empara
du siècle de toutes les révolutions, Orsay réunit les plus
illuminés des paysagistes : Gauguin, Maurice Denis,
Monet, Hodler, Klimt, Munch ou Van Gogh. Et rappelle
combien, avec le cataclysme de la Première Guerre mon-
diale, cette recherche fut brutalement interrompue.
Pour renaître aujourd’hui ? Emmanuelle Lequeux
«Au-delà des étoiles – Le paysage mystique, de Monet à Kandinsky»
www.musee-orsay.fr ✶ Hors-série Beaux Arts éditions
> Ci-contre : Maurice Denis, Procession sous les arbres, 1893
Beaux Arts 49
LENS / LOUVRE-LENS
DU 22 MARS AU 26 JUIN
50 Beaux Arts
Art ancien
Et aussi…
PARIS / PETIT PALAIS
DE 21 MARS Au 16 juILLET
Perles baroques
des églises de Paris
Elles recèlent des chefs-d’œuvre parfois
insoupçonnés, ces nombreuses églises
que compte Paris. Les grands tableaux
d’autel du XVIIIe siècle, qui viennent
PARIS / GRAND PALAIS & MUSÉE RODIN de faire l’objet d’une vaste campagne
Du 22 MARS Au 31 juILLET & Du 14 MARS Au 22 OCTOBRE de restauration, ont été décrochés
pour être réunis de manière exceptionnelle
Beaux Arts 51
en couverture
Et aussi…
Beaux Arts 53
en couverture
Et aussi…
LIBOURNE / CHAPELLE DU CARMEL
Du 13 MAI Au 19 AoÛt
54 Beaux Arts
Art moderne
Et aussi…
LE FRANÇOIS (MARTINIQUE) /
FONDATION CLÉMENT
DU 22 JANVIER AU 16 AVRIL
Abstractions faites
à Paris après 1945
Insaisissable et plurielle, lyrique, informelle,
tachiste ou gestuelle, la peinture abstraite
née à Paris au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale traduit l’envie des artistes
de repartir à zéro dans un rapport direct
et instinctif au matériau. La fondation
Clément en fait la démonstration avec Jean
Dubuffet, Olivier Debré, Georges Mathieu,
Hans Hartung ou Pierre Soulages. D. B.
«Le geste et la matière
Une abstraction autre (Paris, 1945-1965)»
www.fondation-clement.org
ROUBAIX / LA PISCINE
PARIS / MUSÉE DE L’ORANGERIE
DU 1er AVRIL AU 11 JUIN
DU 4 AVRIL AU 21 AOÛT
PARIS / MUSÉE PICASSO & MUSÉE DU QUAI BRANLY PARIS / MUSÉE D’ART MODERNE
DU 21 MARS AU 3 SEPTEMBRE & DU 28 MARS AU 23 JUILLET DE LA VILLE DE PARIS
ROUEN / MUSÉE DES BEAUX-ARTS, MUSÉE DE LA CÉRAMIQUE DU 24 FÉVRIER AU 20 AOÛT
& MUSÉE LE SECQ DES TOURNELLES
DU 1er AVRIL AU 11 SEPTEMBRE
Karel Appel,
spontanément régressif
Picasso sous infuence russe, africaine et normande Enfn une rétrospective digne de
ce nom pour le membre fondateur de
Comme il n’a jamais fait les choses à moitié, Picasso est triplement à l’afche en 2017. l’irrévérencieux groupe CoBrA (créé à Paris
D’abord à Paris, au musée Picasso, qui revient sur les années 1917-1935, passées avec sa en 1948 et dissous en 1951), dont
première femme, Olga Khokhlova, danseuse des Ballets russes et sujet de quelques- le credo était «la spontanéité irrationnelle».
unes de ses plus belles toiles. Au Quai Branly ensuite, où ses œuvres sont confrontées Inspirés par les dessins d’enfant et toute
à celles d’artistes africains, océaniens et amérindiens. Enfn, dans trois musées rouen- forme d’art non formaté, le Néerlandais
nais qui font renaître, le temps d’une saison, l’atelier de sculpture qu’il avait installé Karel Appel (1921-2006) et ses copains
dans le château de Boisgeloup, en Normandie. D. B. Corneille ou Asger Jorn se fchent
«Olga Picasso» • www.museepicassoparis.fr ✶ Hors-série Beaux Arts éditions des classifcations traditionnelles
«Picasso primitif» • www.quaibranly.fr ✶ Hors-série Beaux Arts éditions et prônent la pluridisciplinarité d’œuvres
«Saison Picasso à Rouen» • http://mbarouen.fr • http://museedelaceramique.fr collectives et internationales. D. B.
http://museelesecqdestournelles.fr
> Ci-contre (à voir au musée du quai Branly) : Femme enceinte, 1949 «Karel Appel» • www.mam.paris.fr
Beaux Arts 55
en couverture
Édens
mutants
Il faut cultiver son jardin, nous enseignait
Voltaire dans Candide. Les artistes l’ont entendu,
qui se sont passionnés pour ce territoire impré-
visible qu’est toute parcelle cultivée. Aire de
repos des sens, espace intime où converser avec
l’Univers, le jardin est examiné au Centre
Pompidou-Metz comme un lieu de mutation,
investi par les maniéristes et les surréalistes, mais
aussi les artistes contemporains. Pierre Huyghe
et Philippe Parreno répondent ainsi aux anciens
à la main verte, Pierre Bonnard, Claude Monet,
Georgia O’Keefe et Diego Rivera en tête, dans
une scénographie biomorphique qui promet de
rendre la balade particulièrement étonnante. Et
puisque c’est décidément le printemps, le Grand
Palais à Paris se penche lui aussi sur la question,
de façon plus classique : de la création du premier
jardin botanique à Padoue en 1545 au «jardin
planétaire» du paysagiste Gilles Clément, mille
graines sont lancées au vent. E. L.
«Printemps cosmique – Le jardin des métamorphoses»
www.centrepompidou-metz.fr
«Jardins» • www.grandpalais.fr
> Ci-dessus (à voir au Centre Pompidou-Metz) :
Ernesto Neto, Flower Crystal Power, 2014
56 Beaux Arts
Art contemporain
paris / fondation
louis vuitton / la villette
& institut du monde arabe
du 28 mars au 21 mai
Et aussi…
& du 13 avril au 30 juillet
Beaux Arts 57
en couverture
Génération
post-68
Quels enfants nous a légués Mai 1968 ? Et statu quo du modèle politique, qui nous mène complices racontent à leur manière, toujours
comment les avons-nous traités ? C’est une jusqu’au triste aujourd’hui. Quel impact les très singulière, la construction d’un «esprit fran-
cartographie subjective et critique de cet héri- cultures populaires alors en pleine explosion çais», fait d’irrévérences. Mais ils entendent sur-
tage que nous proposent les commissaires (cinéma, rock, BD, télévision, graphisme...) tout, en pleine campagne pour la présidentielle,
Guillaume Désanges et François Piron. Sur deux eurent-elles sur les savoirs dominants, le théâtre, éclairer ainsi diféremment notre présent. E.L.
décennies, 1970 et 1980, ils évoquent ce double la philosophie ou les arts plastiques ? De pam-
«L’esprit français – Contre-cultures en France (1969-1989)»
soufe paradoxal qui emporta la France : d’un phlets en contestations anarchistes, de combat www.lamaisonrouge.org
côté, une libération tous azimuts ; de l’autre, un féministe en éruption des radios libres, les deux > Ci-dessus : Jacques Monory, Jacques n°6, 1973
58 Beaux Arts
Art contemporain
TOURS / CeNTRe De CRéATION CONTeMPORAINe OlIVIeR DeBRé
à partir du 11 mars Et aussi…
Tours archi-contemporain BORDeAUX / FRAC AQUITAINe
du 19 JaNViEr au 20 mai
Le CCC (Centre de création
contemporaine) de Tours est Comics trip
depuis toujours un centre d’art Depuis le pop art, on le sait, la BD a une
ouvert à toutes les expérimenta- infuence indéniable sur l’art contemporain.
tions et toutes les émergences. Et Le Frac de Bordeaux évoque ces mille
ce, malgré un bâtiment plutôt complicités, en partenariat avec la Cité
ingrat. Nous sommes donc très de la BD d’Angoulême. Bertrand Lavier qui
heureux d’annoncer qu’après fait entrer Mickey dans la réalité, Philippe
trente-cinq ans de bons et loyaux Parreno qui fait des bulles, Raymond
services, le CCC se métamor- Pettibon et ses lignes pas très claires….
phose pour devenir le CCC OD. C’est un dialogue sur trois générations,
OD, pour Olivier Debré (1920- des années 1980 à aujourd’hui. E. L.
1999), représentant majeur de
«BD Factory» • www.frac-aquitaine.net
l’abstraction lyrique, dont il
intègre désormais le fonds historique. Il gagne surtout un nouvel espace, fambant neuf, signé par l’agence
portugaise Aires Mateus : soit 4 500 m2, avec une nef de 15 mètres de haut, une vaste galerie et une black PARIS / MUSée D’ART MODeRNe
box pour la vidéo. Sans oublier auditorium, librairie, café, et une immense Chambre d’huile de Per Barclay, du 18 mai au 5 NOVEmBrE
que le public sera invité à traverser. Et en guise d’exposition inaugurale ? Hommage à la fgure de Debré Un bijou d’exposition
voyageur, et cap sur la Norvège, d’où une jeune génération d’artistes arrive pour ouvrir le ban. E. L.
Après avoir remis à la mode le tissage
www.cccod.fr ✶ Hors-série Beaux Arts éditions > Ci-dessus : le nouveau bâtiment du CCOD réalisé par Aires Mateus dans l’art, le musée d’Art moderne de
la Ville de Paris se penche sur l’orfèvrerie,
vue par les plasticiens. On peut être
surpris du nombre de ceux qui se sont
DIJON / le CONSORTIUM risqués à la parure, et de leur nom aussi :
à partir du 18 mars l’exposition dévoile bagues, tours de cou
et bracelets de Meret Oppenheim, Man Ray,
Champagne pour le pionnier des centres d’art ! Calder, Dalí, Picasso, jusqu’aux plutôt
punks Fabrice Gygi ou Thomas Hirschhorn.
Quarante ans ! Respect pour le plus âgé des centres d’art de France. Pionnier dijonnais, le Consortium est Elle les met en écho avec les créations
né la même année que le Centre Pompidou (où il a d’ailleurs célébré ses 20 ans…). Fondé par quelques hur- ravissantes de Lalique ou d’Anni Albers,
luberlus, dont Xavier Douroux et Franck Gautherot, toujours à sa tête, il est devenu un modèle alors même mais aussi de bijoutiers contemporains,
qu’il n’en avait pas. Après avoir commencé dans une manufacture abandonnée, le voilà doté d’une belle voire de grandes maisons, et même
architecture de verre de Shigeru Ban (auteur du Centre Pompidou-Metz), et d’une solide collection, qui d’anonymes, version rap, SM ou
en fait un spécimen unique dans les centres d’art. Le New York Times l’a même récemment repéré comme amérindienne. Bref, «Medusa» devrait
un des lieux de défrichage les plus importants d’Europe : n’est-ce pas là qu’ont commencé Cindy Sherman briller de tous ses feux, sans négliger
et Richard Prince, de là qu’ont émergé Philippe Parreno et Pierre Huyghe ? On ne sait pas encore comment ceux de la pensée. E. L.
le Consortium va fêter ses 40 ans. Mais il est dans la feur de l’âge, plus puissant que jamais. E. L. «Medusa – Bijoux et tabous»
«Truchements – Les 40 ans du Consortium» • http://leconsortium.fr > Frank Stella, Polombe, 1994 www.mam.paris.fr
SAINT-NAZAIRe / le lIFe
du 13 JaNViEr au 26 mars
Harun Farocki refait le match
Voilà la base sous-marine transformée
en terrain de jeux. Mais de jeux intelligents !
S’y déploie l’une des dernières et plus
magistrales installations vidéo de feu
Harun Farocki : douze écrans, qui donnent
douze versions d’un même match. Jeu
vidéo, caméra de surveillance, transmission
télé : tous les régimes d’images sont
convoqués, pour un examen panoptique
de nos loisirs. Terriblement effcace ! E. L.
«Harun Farocki – Deep Play»
http://grandcafe-saintnazaire.fr
Beaux Arts 59
en couverture
60 Beaux Arts
Photographie
Les festivals
Beaux Arts 61
Société
Et aussi…
PARIS / MUSÉE DE L’HISTOIRE
DE L’IMMIGRATION
DU 28 mARs à sEpTEmbRE
Quand la France
avait l’accent italien
De la seconde moitié du XIXe siècle jusque
dans les années 1960, les Italiens furent
les étrangers les plus nombreux à choisir
PARIS / PHILHARMONIE
la France comme nouvelle patrie. Le musée
DU 4 AVRIL AU 20 AOÛT
de la Porte dorée raconte l’histoire de
cette immigration à travers des documents
PAYS-BAS
TouTe l’année
Stijl et encore !
De Stijl, voilà un centenaire bien portant ! Tout et Van Doesburg, les grands-parents, mais saison : le Gemeentemuseum de La Haye
a commencé en 1917, à Leyde, par un simple également leurs petits-enfants, Hella Jongerius dévoile plus de 300 trésors mondrianesques,
magazine, qui peu à peu a donné naissance à ou Maarten Baas, tous ces jeunes designers qui dont il est le grand gardien, en juin. De Stijl, plus
l’une des avant-gardes les plus forissantes du ont été à si bonne école. Utrecht, Eindhoven, que jamais à la mode ! E. L.
siècle passé. Les Pays-Bas fêtent donc comme Tilburg : dès le printemps, ils envahissent tout
www.gemeentemuseum.nl/mondriaan2017
il se doit l’anniversaire du mouvement, en le plat pays, de maisons d’architectes classées > Ci-dessus : Piet Mondrian, Victory Boogie Woogie,
réunissant toute la famille : Mondrian, Rietveld à l’Unesco en musées méconnus. Clou de la 1942-1944
Beaux Arts 63
en couverture
Damien Hirst
sur les deux rives
du Grand Canal
C’est la première fois qu’un seul
et même artiste envahira les deux
sites vénitiens de la collection
François Pinault. Enfant terrible
de la génération des Young Bri-
tish Artists, Damien Hirst s’ofre
donc le Palazzo Grassi et la
Punta della Dogana, en pleine AMSTERDAM / HERMITAGE
biennale de Venise. Pas mal, pour Du 4 FÉvrIer Au 17 SePteMBre
un come-back… Car malgré sa
rétrospective un peu ratée qui ft
le tour du monde en 2012, le scan-
Les derniers feux des Romanov
daleux s’était fait un brin plus Voilà un siècle que la révolution russe a balayé la dynastie des Roma-
discret : plus de requin scié en nov, détentrice du trône impérial russe pendant trois cents ans. Deux
deux, plus d’agneau plongé dans cent cinquante œuvres des collections publiques russes, œuvres d’art
le formol, plus de restaurant (dont les célèbres œufs de Fabergé) mais aussi objets plus intimes et
documents d’archives, viennent rappeler l’histoire et le train de vie
ouvert en grande pompe. Pein-
fastueux de cette famille de boyards qui atteignit les sommets. Non
tures à pois ou armoires à pharmacie, boîtes à papillon ou crâne en diamant,
sans éclairer le public sur les ferments de troubles politiques et sociaux
que va-t-il donc montrer sur la lagune ? Le secret est bien gardé sur cette expo- qui allaient annoncer la révolution et la chute tragique de Nicolas II,
sition qui devrait faire le bilan de dix ans de travail d’un artiste partageant assassiné avec tous ses proches sur ordre de Lénine, en 1918. S. F.
avec François Pinault une même obsession pour la mort. E. L.
«1917 – Les Romanov et la révolution» • www.hermitage.nl
«Damien Hirst» • www.palazzograssi.it.fr > Ci-dessus : Damien Hirst photographié > Ci-dessus : la famille du tsar Nicolas II, Olga, Marie, Nicolas,
dans un bac à formol à la White Cube Gallery de Londres Alexandra, Anastasia, Alexei et Tatiana, en 1914
64 Beaux Arts
à l’étranger
BOZAR / BRUXELLES
DU 23 FÉVRIER AU 4 JUIN (pol bURy)
DU 29 MARS AU 20 AoÛT (yVES klEIN)
Et aussi…
Tout ce que vous avez toujours voulu BâLE / FONDATION BEYELER
savoir sur les sixties DU 22 JANVIER AU 28 MAI
Imprévisible Tillmans
Est-ce encore de la photographie ?
Depuis le début des années 1990,
le trublion allemand Wolfgang Tillmans,
qui s’était d’abord fait connaître par
un journal de bord un peu trash
de sa génération X, a poussé le médium
dans tous ses retranchements. Images
réalisées sans appareil, abstractions
numériques, photographies érigées
au rang de sculptures… Tillmans mêle
tous les genres dans des accrochages
le plus souvent bluffants. E. L.
«Wolfgang Tillmans» • www.tate.org.uk
Beaux Arts 65
exposition / musée de grenoble / jusqu’au 29 janvier
les courbes
cosmiques
et parisiennes
de kandinsky
déchu de sA nAtionAlité AllemAnde, chAssé du BAuhAus et tAxé d’Artiste dégénéré pAr les
nAzis, VAssily KAndinsKy (1866-1944) trouVA refuge à pAris en 1934. le musée de grenoBle
reVient sur cette dernière période, étrAngement Assez méconnue, du peintre ABstrAit.
par Daphné BétarD
Courbe dominante
«Aujourd’hui, un point en dit parfois
en peinture plus qu’une fgure
humaine. Une verticale associée
à une horizontale produit un son
presque dramatique. Le contact
de l’angle aigu d’un triangle avec
un cercle n’a pas d’effet moindre
que celui du doigt de Dieu avec
le doigt d’Adam chez Michel-Ange.»
Ainsi faut-il comprendre l’œuvre
de Kandinsky.
1936, huile sur toile, 130 x 195 cm.
exposition / KandinsKy
B
PaGe ci-conTre
erlin, août 1933 : Vassily Kandinsky peint Développe-
Bleu de ciel
ment en brun, des parallélépipèdes sombres encadrant,
des fgurines festives,
tels les panneaux d’une porte coulissante, un espace
semblables à des jouets,
fottent dans un ciel
clair où des triangles et croissants de lune colorés se tiennent
lumineux. inutile de les uns sur les autres en un équilibre précaire. Dit autrement,
chercher ici un point une menace brune qui se rapproche et qu’il faut fuir, pendant
de repère, il faut laisser qu’il en est encore temps, en empruntant l’interstice lumineux
l’œil divaguer et se perdre au cœur de l’image… Développement en brun est le dernier
dans ce ballet aérien. tableau réalisé par l’artiste d’origine russe dans son pays
1940, huile sur toile,
100 x 73 cm.
d’adoption, l’Allemagne, où les nazis viennent d’accéder au
pouvoir. Le Bauhaus, cette école-laboratoire réunissant des
peintres, designers et architectes efrontément libres et à
laquelle Kandinsky a activement participé, a été dissous en
juillet. Juste après qu’il en a été renvoyé sans ménagement, lui
l’artiste bientôt cité comme exemple de cet art dit «dégénéré»
ci-dessous
Développement en brun
que le national-socialisme fustige. Ses tableaux sont décro-
Trait d’union entre
chés des musées et galeries. Vassily et sa femme Nina doivent
le Bauhaus et Paris quitter le pays de toute urgence. Ils choisissent Paris, où il a
où l’artiste assouplit son déjà exposé, en 1929 à la galerie Zak puis en 1930 à la galerie
vocabulaire géométrique, de France. Et c’est ainsi qu’après la période rigoureuse du Bau-
ce tableau a été choisi haus (que l’artiste qualifait lui-même de «froide»), Kandinsky
pour inaugurer le parcours va, à Paris, adopter une facture plus libre, plus spontanée, pour Kandinsky photographié par Hannes Beckmann
du musée de Grenoble.
donner naissance à un univers grouillant de vie, coloré et entre 1933 et 1935.
1933, huile sur toile,
101 x 102,5 cm. joyeux, malgré la chape de plomb s’étant abattue sur l’Europe.
une menace brune qui se rapproche et qu’il faut fuir, Kandinsky exalte la souplesse de la ligne courbe. Il en explore
les multiples possibilités pour donner naissance à des formes
pendant qu’il en est encore temps, en empruntant biomorphiques semblables à de minuscules cellules observées
au microscope. D’autres évoquent plutôt l’immensité du
l’interstice lumineux au cœur de l’image… cosmos, vu cette fois à travers une lunette astronomique, où
68 Beaux Arts
Beaux Arts 69
exposition / KandinsKy
Mouvement I
Les formes se superposent, se pénètrent,
se fractionnent et se démultiplient dans cet espace
cosmique infni. À n’en pas douter, il s’agit d’une des
toiles les plus éblouissantes de la période parisienne.
1935, huile sur toile, 116 x 89 cm.
70 Beaux Arts
exposition / KandinsKy
Accord réciproque
«Chaque tableau de
Kandinsky est un univers
réel, complet, c’est-à-dire
concret, renfermé en
lui-même et se suffsant
à lui-même : un univers qui,
tout comme l’univers non
artistique, l’uni-totalité
des choses réelles, n’est
qu’en soi, que par soi
et que pour soi», écrivait
le neveu de l’artiste,
le philosophe Alexandre
Kojève.
1942, huile et Ripolin
sur toile, 114 x 146 cm.
formats, carnets de notes, cartons photographiques et autres Domela et Nicolas de Staël. Il meurt moins d’un an plus tard
supports de fortune ; puis en 1943, il lui faut se réfugier à d’une attaque cérébrale, à l’âge de 78 ans. À son chevet,
Rochefort-en-Yvelines quand l’ouest parisien est bombardé. conformément à la tradition russe, Nina a accroché deux
Mais surtout Kandinsky est très afecté par la mort d’Oskar tableaux, Mouvement I, merveilleuse galaxie colorée où gra-
Schlemmer, ancien compagnon du Bauhaus [lire ci-contre], vitent des sphères architecturales peintes en 1935, et Accord
et celle de son amie Sophie Taeuber. La peinture s’assombrit, réciproque, sa dernière grande composition où deux
se fait moins enthousiaste, plus mélancolique. Les titres ensembles géométriques aux formes anguleuses se refer-
aussi. Bleu de ciel a cédé la place à Ténèbres. Épuisé, Kandinsky ment sur des petits cercles regroupés au cœur de l’image.
participe à sa dernière exposition parisienne à la galerie Leurs interprétations sont infnies et chacun peut y projeter
Jeanne Bucher, en janvier 1944, en compagnie de César ses propres émotions. n
un 150e anniversaire fêtÉ à grenoble, à bâle… «Kandinsky – Les années parisiennes (1933-1944)»
jusqu’au 29 janvier • musée de Grenoble • 5, place Lavalette
C’est en 2009, en visitant la rétrospective Kandinsky Le peintre est aussi à l’honneur à Bâle, à la fondation 38000 Grenoble • 04 76 63 44 44 • www.museedegrenoble.fr
Beyeler, qui retrace ses débuts et l’aventure Catalogue sous la dir. de Sophie Bernard • coéd. Somogy /
du Centre Pompidou (qui conserve avec le Lenbachhaus
Musée de Grenoble • 288 p. • 28 €
de Munich et le Guggenheim de New York la majeure du Cavalier bleu (Der Blaue Reiter). Ou comment
«Kandinsky, Marc & Der Blaue Reiter» jusqu’au 22 janvier
partie des œuvres de l’artiste grâce au legs effectué une poignée d’artistes (Kandinsky et Franz Marc fondation Beyeler • Baselstrasse 101 • Riehen / Bâle (Suisse)
par sa veuve Nina en 1976, suivi de celui du fonds en tête, accompagnés de Gabriele Münter, Marianne +41 61 645 97 004 • www.fondationbeyeler.ch
d’atelier en 1980), que le directeur du musée von Werefkin, Alexej von Jawlensky ou August Macke)
de Grenoble Guy Tosatto eut l’idée de consacrer une ont, entre 1908 et 1914 à Munich, exploré de
exposition à la période parisienne de l’artiste, à son nouveaux champs artistiques pour libérer la peinture … et en librairie
goût trop peu abordée. Fait de rapprochements subtils des contraintes de la représentation illusionniste. Kandinsky – Sa vie par Brigitte Hermann
et pertinents, l’accrochage montre comment Kandinsky Divers ouvrages viennent également de sortir à éd. Hazan • 304 p. • 15,30 €
met à plat toutes ses périodes de création passées l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de Kandinsky par Philippe Sers • éd. Hazan • 340 p. • 250 ill. • 65 €
pour inventer, par la grâce d’un vocabulaire plastique celui qui considérait que «la création d’une œuvre, Kandinsky, secret – L’énigme du premier tableau abstrait
inédit, un monde vivant. c’est la création d’un monde». par Andréi Nakov • éd. Les Presses du réel • 382 p. • 24 €
72 Beaux Arts
oskar schlemmer,
l’alter ego
délirant
«Je suis trop moderne pour peindre des toiles.
La crise de l’art me tenaille. Je soufre l’angoisse
plus que je ne peins ! Théâtre ! Musique ! Ma pas-
sion !» écrit fougueusement Oskar Schlemmer
dans son journal en 1925. Théoricien, choré-
graphe, décorateur, peintre, sculpteur et dan-
seur, Oskar Schlemmer (1888-1943) se fit le
chantre de l’interdisciplinarité. Grand ami de
Kandinsky, il fut comme lui un pionnier : là où
son complice alla défricher les voies de l’abs-
traction picturale, Schlemmer, lui, inventa de
nouvelles formes d’expressions corporelles
qui, parallèlement à Dada au Cabaret Voltaire,
aboutiraient à la naissance de la performance.
Kandinsky et Schlemmer participèrent tous
deux à faire du Bauhaus ce haut lieu d’expéri-
mentation avant-gardiste, comme le montre la
grande exposition des Arts décoratifs, à Paris,
où leurs œuvres sont actuellement réunies,
mais aussi le Centre Pompidou-Metz dans une
première rétrospective française consacrée à
Schlemmer. Alternant dessins et lithographies,
le parcours présente ses sidérantes sculptures en
fl de fer et la série des costumes géniaux qu’il
mit au point pour son Ballet triadique (visible sur
YouTube) ainsi que des extraits flmés de ballets
délirants qu’on ne se lasse pas de regarder en
boucle. Où des fgures masquées aux membres
rembourrés ou dotés d’extensions matérielles
comme de longs bâtons, prennent possession
de l’espace en abolissant la frontière entre la
scène et le spectateur.
à voir
«Oskar Schlemmer – L’homme qui danse» jusqu’au 16 janvier
Centre Pompidou-Metz • 1, parvis des Droits de l’Homme
57000 Metz • 03 87 15 39 39 • www.centrepompidou-metz.fr
«L’esprit du Bauhaus» jusqu’au 26 février
musée des Arts décoratifs • 107, rue de Rivoli • 75001 Paris
01 44 55 57 50 • www.lesartsdecoratifs.fr
Beaux Arts 73
Tendance
le retour
du gothique
ou l’art
du macabre
74 Beaux Arts
De frAnkenstein Aux vAmpires Du xxie siècle,
une formiDABle exposition genevoise retrAce
l’histoire De l’imAginAire gothique. voyAge Au
cœur D’un épouvAntABle mouvement, somBre
et trAnsgressif, qui revient hAnter les esprits.
Tony MaTelli
Old Enemy, New Victim
le gothique sait être hideux,
cruel et rebutant, avec la
participation de démons, de
spectres, de bêtes sauvages.
autant de créatures, réelles
ou fctives, qu’on a longtemps
tenues à l’écart d’un monde
raisonnable. Tony Matelli
met en scène, dans ce groupe
de sculptures, des singes
se comportant comme
des hommes. ou l’inverse.
Chassez le naturel…
2007, silicone, fbre de verre,
peinture, acier, poils de yack,
93 x 183 x 61 cm.
Beaux Arts 75
Tendance / le retour du gothIque ou l’art du macabre
Cameron Jamie
Untitled, série Michigan Spook House
Les Spook Houses sont de petits
théâtres des horreurs, improvisés par les américains
lors d’Halloween. Cameron Jamie leur a consacré
une série de photos. où les vampires, les sorcières à
verrues et les monstres de tout acabit ont le beau rôle.
et avec eux, une sorte de joyeuse catharsis collective
conjurant toutes les angoisses sociales et intimes.
2002, photographie.
I
l a fallu se frotter les yeux pour y croire. Que Annie Le Brun, explorant les paysages imagi- qui penche vers la transgression. Les artistes
l’imaginaire gothique, peuplé de spectres naires du roman noir, estime qu’il s’agit d’un contemporains ne sont pas les seuls à en
enchaînés, de ruines envahies par une végé- «moment capital dans l’histoire de la sensibilité reprendre les codes. Le succès populaire de
tation incontrôlable, de statues prenant soudain européenne : là prend naissance un mouvement Twilight ou de Lady Gaga participe de ce retour
vie, de portraits peints qui sortent de leur cadre, irrépressible qui va aller du grand refus roman- en veine d’un imaginaire noir, inquiet, pessi-
hante l’art contemporain contredit les allures tique à l’esprit de démoralisation véhiculé par miste dans une période de crise (des identités,
austères et cliniques héritées des avant-gardes Dada et le surréalisme, et qui n’a pas fni de du vivre-ensemble, du profane et du religieux)
modernes. Au lieu d’être mus par les déductions suspecter tous les lendemains qui chantent.» et dans un monde menacé de tomber en pous-
de la raison et de viser un futur radieux, une Elle avertit : «Imperceptiblement, le discours sière sous les feux du réchaufement climatique.
fopée d’artistes charrient aujourd’hui dans les sur le mal se transforme en discours noir, voix Dans l’éventail assez large de thèmes et motifs
salles blanches et aseptisées des lieux d’expo- longtemps indistincte, longtemps confuse, gothiques (la mort et les fantômes, la ruine et les
sition des idées noires, des créatures ambiguës transmettant non pas ce qui se dit mais ce qui se châteaux médiévaux, la chute des fgures incar-
et des paysages troubles, comme s’ils s’enfon- fomente au fond de l’Homme.» nant l’autorité et tenues au devoir de transmis-
çaient à nouveau dans ces cryptes et forêts sion, le surnaturel), les artistes en prélèvent
obscures que les auteurs de récits gothiques un train fantôme au musée certains plutôt que d’autres, avec une tonalité
visitaient en tremblant à la fn du XVIIIe siècle. Si les artistes se risquent volontiers dans ces plus ou moins sérieuse ou parodique, avec une
Les pionniers du genre, Horace Walpole et son ténèbres, c’est d’abord parce que leur travail traduction plus ou moins littérale de son esthé-
Château d’Otrante, Ann Radclife et l’Italien ou le tend à rendre visible l’invisible. Et puis le tique et de ses atours. Mais il y a bien un vieux
Confessionnal des pénitents noirs (réunis avec gothique a cette propension à combiner ce qui fond gothique dans l’art d’aujourd’hui. Qu’on
d’autres dans l’anthologie Romans terrifants, est censé, selon l’ordre des choses et de la raison, trouve d’abord dans la forme labyrinthique et
publiée dans la collection Bouquins des éditions rester nettement séparé. La science et la folie, caverneuse que peuvent prendre les installa-
Robert Lafont), ont planté une graine de mau- les vivants et morts, le masculin et le féminin se tions de Mike Nelson ou de Gregor Schneider.
vaise herbe qui poussera un peu partout. Dans croisent et s’entrecroisent aussi dangereusement À la biennale de Venise, en 2001, ce dernier
les Châteaux de la subversion (éd. Gallimard), que jouissivement. Le gothique est un genre aménageait un dédale de corridors et d’étroits
76 Beaux Arts
Ci-Contre
sturtevant
The House of Horrors
le gothique a une veine foraine et ludique.
C’est son côté mascarade. le train-fantôme
de sturtevant – dans lequel on a pu faire
un petit tour mémorable au musée d’art moderne
de la ville de Paris – l’incarne à merveille.
2010, installation.
GorDon matta-Clark
Splitting
Cette œuvre tranchante de matta-Clark
rejoue, pour de vrai cette fois,
la dernière scène, apocalyptique,
de la nouvelle d’edgar allan Poe,
la Chute de la maison Usher (1839).
1974, photographie d’époque
de la maison coupée par l’artiste.
Beaux Arts 77
Dans les espaces d’exposition ou en plein air, Il arrive que le gothique ouvre la boîte de GreGory Crewdson
Rachel Whiteread aime à implanter une ou plu- Pandore et révèle, avec jubilation, sa laideur Untitled (Ophelia), série Twilight
sieurs maisons qui étoufent le feu des désirs de pour mieux en rire. C’est son côté carnava- Corps fottants et livides dans des décors ordinaires de
pavillons de banlieue cossus : Gregory Crewdson,
leurs habitants. Volumes pleins, en ciment ou en lesque, son côté danse macabre. Cameron
bien avant la mode des revenants dans les séries télé,
plâtre, elles sont les moules, l’empreinte de Jamie, dans les années 2000, mena un long pro- a remis à fot l’idée que l’univers domestique est un
pièces de maison de l’époque victorienne, avec jet autour des représentations grotesques du tombeau rempli d’âmes déchues.
leur cheminée et leurs larges fenêtres. Les sculp- diable au cours de rituels populaires et folklo- 2001, photographie.
tures, souvent intitulées Ghost, sont des négatifs riques aux États-Unis ou en Autriche. L’artiste
d’habitations rendues inhabitables. Mais aussi américain livra une série de photographies
des monuments massifs (des pierres tombales documentant les Spook Houses, ces maisons Kranky Klaus, consista à flmer le cortège sata-
XXL) retournant l’intérieur (la vie intérieure) hantées ou décorées comme telles au moment nique, déflant chaque année (le 6 décembre)
vers l’extérieur, sans rendre rien pourtant plus d’Halloween par des gens qui se griment eux- dans un village près de Salzbourg, et à reproduire
pénétrable, plus transparent. mêmes en morts-vivants. Un autre projet, les efgies du diable qui y sont tracées.
Loin de cette démarche anthropologique, les
fgures d’êtres mutants ou hypnotiques (reje-
les figures d’êtres mutants ou hypnotiques tons lointains du Frankenstein de Mary Shelley
ou de l’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam,
des frères chapman ou de matthew monahan incarnent hérauts du genre fantastique, voire de la
un gothique coloré et psychédélique, facétieux science-fction), laissées en liberté par Francis
Upritchard, David Altmejd, Tony Matelli, sans
mais pas moins rétif aux bonnes mœurs. oublier les frères Jake & Dinos Chapman ou
78 Beaux Arts
Ci-dessous à gAuChe
JAke & diNos ChApMAN
Vue de l’exposition «Back to the End of the
Mike NelsoN Beginning of the End again»
I, Imposter Chez les frères Chapman, le pire du gothique se teinte
Avec Mike Nelson, de politique. la guerre et ses atrocités, les rituels des
l’espace d’exposition sociétés secrètes racistes sont mis en scène sous des
devient une crypte, un atours horrifques.
souterrain, un labyrinthe 2016, galerie Kamel Mennour, Paris.
où le plus diffcile
n’est plus de réussir Ci-dessous
Beaux Arts 79
portfolio
la Bhagavadgita
le livre des splendeurs infinies
le plus grAnd texte de l’hindouisme n’AvAit jAmAis été illustré in extenso. une édi-
trice frAnçAise l’A fAit : diAne de selliers, qui vient de redouBler lA BeAuté de cette
épopée mystique en lA sertissAnt de joyAux de lA peinture clAssique indienne. suBlime.
par natacha nataf
C
œur battant du Mahabharata, épopée traduction. Cristallisant tout le sel de la religion
monumentale composée autour du védique (hindouisme ancien), le dialogue mys-
IIe siècle avant notre ère, la Bhagavad- tique engagé avec Krishna le Bienheureux
gita, ou «Chant du bienheureux», est l’un des mènera peu à peu Arjuna sur la voie de l’ascèse
textes les plus sacrés de l’hindouisme. C’est aussi et du yoga – le détachement dans l’action prôné page de droite
l’œuvre littéraire indienne la plus traduite et la par Krishna se dit en sanskrit karmayoga. Indif- Visvarupa
plus lue au monde. Que chante-t-elle ? L’histoire férent au bénéfce de ses actes (déterminant le Visvarupa est le nom donné à cette manifestation
d’Arjuna, un prince guerrier de la famille royale cycle des renaissances), le vaillant archer porte cosmique hallucinante du corps de Krishna, qui apparaît
des Pandava, ravagé à l’idée de livrer bataille au enfn un regard égal sur toutes choses. Il a écouté au chant Xi de la Bhagavadgita : «regarde ici le monde,
du vivant à l’inanimé, qu’une seule partie de mon corps
clan des Karauva, ses proches parents. Par l’enseignement secret de son ami Krishna et est
contient tout entier. découvre là tout ce que tu désires
chance, son cocher et ami proche n’est autre que à nouveau prêt à combattre. «Me voici debout, voir. […] Je te donne la vision divine : admire ma souveraine
Krishna, qui va se révéler à lui sous la forme sou- libéré de mes doutes. Je ferai ce que tu as dit», puissance.» grouillante mais strictement hiérarchisée,
veraine du dieu Vishnu – garant de la stabilité du conclut vaillamment celui qui deviendra le noble cette représentation rajasthani de l’omniforme entremêle
monde – pour lui rappeler qu’il ne peut se sous- héros du Mahabharata. La Bhagavadgita est des divinités et êtres célestes dans la partie haute
traire à son devoir. En l’exhortant à ne jamais l’histoire de cette révolution intérieure. «La Gita de son corps immense, jusqu’au ventre où fgure Vishnu
«plus s’attacher à rien ni personne» s’il veut deve- n’est pas seulement ma Bible et mon Coran, elle étendu sur le serpent d’Éternité [lire page suivante].
animaux, hommes, végétaux et démons occupent,
nir maître de sa pensée et honorer sa caste. «Il est plus encore : elle est ma mère», disait Gandhi.
en s’imbriquant, tout l’espace de ses jambes, et l’on
ne s’agit pas de renoncer à agir, mais d’agir dans Et le père de la nation indienne d’ajouter : «Que reconnaît, brandis dans chaque main, les attributs
le renoncement», explique dans son introduc- la Gita vous soit une mine de diamants, comme de Vishnu, dieu suprême dont Krishna se révèle l’avatar :
tion Marc Ballanfat, professeur de philosophie elle l’a été pour moi ; qu’elle soit toujours votre la feur de lotus, la conque le disque et la massue.
indienne à Paris-IV et auteur de cette très belle guide et amie sur le chemin de la vie.» n école du Rajasthan, vers 1850, gouache et or sur papier.
80 Beaux Arts
portfolio / la Bhagavadgita
PAge De Droite
Cinq ascètes
Chef-d’œuvre de la peinture moghole, ce portrait
de groupe met en scène cinq ascètes méditant en silence
à l’écart de la ville, sous de délicates frondaisons.
Le corps nu, recouvert des cendres rituelles, et le regard
absent, comme tourné vers lui-même, ils semblent
indifférents au feu qui s’éteint. L’un d’eux, au centre,
est assis sur une peau d’antilope, enveloppé par une
incroyable chevelure, qu’il n’a jamais coupée à l’instar
de ses ongles, pareils à des griffes. ils ont renoncé à tout
et ne possèdent rien, sinon un rosaire, une gourde,
un vase à eau lustrale, une conque… Attribut de Vishnu,
cette dernière, venue des eaux primordiales, évoque
l’origine du monde par sa spirale interne, et le son qu’elle
produit n’est autre que la syllabe sacrée Aum. «Un bonheur
sans égal comble l’ascète à l’esprit apaisé ; la passion
s’est éteinte, toute tache s’en est allée : il vit en l’absolu»,
lit-on au chant Vi de la Bhagavadgita.
école moghole, page de l’album de Saint-Pétersbourg attribué
à Govardhan, vers 1630, gouache et or sur papier.
82 Beaux Arts
Beaux Arts 83
portfolio / la Bhagavadgita
«fais de toi-même
ton appui.
et dompte alors,
guerrier au Bras
puissant, ce
redoutaBle ennemi
qui prend la forme
du désir.» chant iii
pAge de drOiTe
84 Beaux Arts
Beaux Arts 85
exposition / musée d’Orsay / jusqu’au 5 mars
frédéric bazille
dandy mélancOlique
peu connAissAient ce peintre à lA vie Brève qui pourtAnt frÉ-
quentA Monet, renoir, ZolA… rêvAnt coMMe eux d’un Art
rÉsoluMent Moderne. s’AdonnAnt à lA peinture de plein Air.
suscitAnt lA polÉMique Au sAlon de 1870 Avec une scène d’été
Aux hoMMes à deMi nus. sAns conteste, une (re)dÉcouverte !
par daphné bétard
i
l a contribué à l’émergence de l’impression- protestante montpelliéraine) qui choisit de
nisme, soutenu Monet, inspiré Cézanne, devenir peintre contre l’avis de ses parents.
mais il a pourtant bien failli tomber dans Tout a commencé chez Alfred Bruyas, mécène
l’oubli. Mort tragiquement à l’aube de ses 29 ans et collectionneur, voisin et ami de la famille
lors de la guerre franco-prussienne, Frédéric Bazille. Dans son hôtel particulier, le jeune Fré-
Bazille (1841-1870) n’a pas eu le temps de s’épa- déric découvre, ébahi, les œuvres de Delacroix
nouir dans la grande aventure de la peinture et de Courbet dont il grave à jamais dans sa
moderne, sur laquelle son ombre continue de mémoire la Rencontre (tableau désormais intitulé
planer tel un lointain souvenir. Sans le recon- Bonjour, monsieur Courbet), où des fgures réalistes
naître, vous avez forcément remarqué son élé- ont été intégrées au paysage. C’est décidé, il sera
gante silhouette de dandy mélancolique dans artiste. Prétextant un doctorat de médecine
les expositions parisiennes à l’afche – c’est lui, (qu’il abandonne assez vite), il quitte son Mont-
le grand gaillard en pantalon à carreaux domi- pellier natal pour gagner la capitale en 1862. Il y
nant d’une tête ses camarades Zola, Renoir et rencontre le Tout-Paris culturel, Baudelaire,
Monet dans le fameux portrait de Fantin- Verlaine, Zola, Nadar, Fantin-Latour et aussi
Latour Un atelier aux Batignolles présenté au Manet. Il intègre l’atelier de Charles Gleyre, rue
musée du Luxembourg ; c’est encore lui étendu de Vaugirard, où il rencontre de jeunes étudiants
de tout son long au premier plan du Déjeuner qui comme lui rêvent d’une peinture radicale-
sur l’herbe de Monet, toile inachevée dont l’es- ment nouvelle, libérée des carcans de l’acadé-
quisse conservée compte parmi les chefs- misme du Salon et des Beaux-Arts. Ils ont qua-
d’œuvre de la collection Chtchoukine révélée siment le même âge, s’appellent Renoir, Sisley,
actuellement à la fondation Vuitton. Monet, Edmond Maître. Avec ses amis, Bazille
Souvent relégué dans l’ombre de ses camarades, part sur les traces des peintres de Barbizon
Bazille apparaît enfn en pleine lumière dans pour s’adonner à la peinture de plein air. Puis
une rétrospective qui insiste sur le caractère sur celles de Boudin, le long des côtes nor-
novateur de son œuvre. Et retrace l’itinéraire mandes, où Monet réalise quantité de paysages
non d’un artiste bohème mais d’un enfant gâté, que Frédéric admire et accroche dans le petit
fls de bonne famille (issue de la bourgeoisie atelier qu’ils vont louer un temps ensemble.
Scène d’été
L’artiste a planté son chevalet en pleine nature, au bord du Lez, pour capter sur le vif l’atmosphère d’une chaude
journée d’été. L’attention portée à restituer les sensations de l’air, les effets de la lumière ou de l’eau sur les corps,
fait davantage appel aux sens du spectateur qu’à son intellect. C’est une des grandes forces de Bazille.
1869-1870, huile sur toile, 160 x 160,7 cm.
86 Beaux Arts
exposition / frédéric bazille
88 Beaux Arts
Jeune femme aux pivoines
L’identité du modèle (probablement le même que pour son tableau intitulé la Toilette, où il ne jouait qu’un second rôle) n’est pas connue, mais son regard grave et déterminé est, lui, inoubliable.
Hésitant entre la scène de genre et le portrait, Bazille apporte un soin particulier aux détails, multipliant les variétés de feurs, preuve de sa maîtrise technique de la peinture à l’huile.
Printemps 1870, huile sur toile, 60 x 75 cm.
son nouvel atelier de la rue La Condamine, les efets et contrastes de la lumière, la plénitude maîtrisée, elle entraîne l’œil du spectateur
aux Batignolles. Considéré comme son chef- de l’atmosphère. Ce qui n’échappe pas à Zola. Le depuis la robe claire du modèle féminin installé
d’œuvre, la Réunion de famille est accepté au Salon célèbre écrivain et critique estime que la pein- à l’ombre jusqu’au point d’eau pour le perdre
de 1868, alors que les paysages de Monet sont, ture de Bazille «témoigne d’un vif amour de la au loin dans la lumière éblouissante du village
cette fois, refusés car trop audacieux. Il s’agit vérité», ajoutant : «On voit que le peintre aime aux tons ocre. Au Salon, Puvis de Chavannes
d’un tableau panoramique, à la mise en scène son temps, comme Claude Monet, et qu’il pense et Berthe Morisot le trouvent merveilleux,
photographique un peu figée, dans lequel qu’on peut être artiste en peignant une redin- mais, une fois de plus, Bazille ne déclenche pas
chaque fgure est traitée comme un portrait à gote.» Mis à part ce commentaire encourageant, les passions. Il lui faut attendre l’édition sui-
part entière, dont un autoportrait ajouté au der- le tableau est peu remarqué. Qu’importe ! vante, celle de 1869 où il présente Scène d’été,
nier moment au second plan. Excepté son père Requinqué par cette première reconnaissance, dans laquelle se baignent, se reposent ou s’en-
qui regarde au loin et deux cousins absorbés Bazille se rend en été 1868 à Méric, où son travail traînent à la lutte en pleine nature des person-
ailleurs, tous les yeux sont rivés sur le spectateur s’avère des plus féconds. Il réalise le Pêcheur à nages masculins à moitié nus.
de l’œuvre ou, si l’on adopte le point de vue de l’épervier, un homme nu ofrant au regard ses Dans ce grand format carré jouant des contrastes
l’artiste, sur l’auteur du tableau en personne, fesses rebondies et musclées, ainsi que la beau- entre l’ombre et la lumière, les maillots de bain
comme si ses modèles l’interrogeaient de coup plus sage mais non moins troublante rayés apportent des touches de couleurs vives
concert sur la fnalité de son art. Mais la force de Vue de village. Sorte de remake de la Robe rose, contrastées et transforment le traditionnel nu
l’œuvre tient surtout à sa propension à traduire dans une version cependant beaucoup plus académique en une fgure moderne. Il ne fait
Beaux Arts 89
exposition / frédéric bazille
Portraits de la famille, dit la Réunion de famille œuvre», ajoute-t-il. Ce tableau a donné en efet
La propriété à Méric, ses allées de pins, ses terrasses dominant beaucoup de fil à retordre au peintre, qui
le village, ont inspiré au peintre ses tableaux les plus oniriques. explique dans une lettre à Edmond Maître dialogue entre bazille,
L’artiste s’est ajouté au milieu des siens au dernier moment,
l’avoir conçu dans la douleur et être «dans un cÉzanne, monet, courbet…
comme s’il se sentait à l’étroit au sein de cette famille opulente,
enrichie grâce à l’exploitation terrienne et la fnance.
moment de découragement profond». Sa peine Pour retracer la brève mais prometteuse carrière
1867-1868, huile sur toile, 152 x 230 cm. n’aura pas été vaine. Au Salon de 1870, le tableau de Frédéric Bazille, le musée d’Orsay (après le
suscite une avalanche de commentaires – posi- musée Fabre de Montpellier, où l’exposition fut d’abord
tifs ou négatifs, mais surtout excessifs – faisant présentée) fait dialoguer ses œuvres avec celles
page de droite
du jeune homme l’un des peintres les plus pro- de ses contemporains (Puvis de Chavannes, Cézanne),
La Tireuse de cartes
metteurs de cette nouvelle tendance avant- ses amis (Manet, Monet, Renoir, Sisley, Fantin-Latour)
absorbée par son activité, elle ne nous prête pas la moindre et inspirateurs (Delacroix et Courbet), selon des
gardiste de l’art qui a le vent en poupe. «Je suis
attention. La Tireuse de cartes témoigne du goût prononcé rapprochements subtils qui permettent de comprendre
de Bazille pour les cadrages serrés, les contrastes entre
lancé et tout ce que j’exposerai dorénavant sera
les enjeux plastiques de l’époque. S’il faut saluer
ombre et lumière dessinant les formes, les mises en scène regardé», confe-t-il à son frère Marc. Il n’en
le remarquable travail de restauration des œuvres,
simples et silencieuses, où le temps semble suspendu. aura pas le temps. il est toutefois regrettable que les commissaires
Vers 1869-1870, huile sur toile, 61 x 46 cm. Un mois après qu’a éclaté la guerre franco- n’aient pas inclus (au moins dans le catalogue)
prussienne, en août, Bazille choisit soudaine- les recherches menées par Michel Schulman, expert
ment de s’engager dans le corps des zouaves, le de l’artiste et auteur de son catalogue raisonné,
aucun doute, Cézanne s’en est inspiré pour plus exposé – les raisons précises de ses moti- qui a apporté nombre de précisions essentielles
concevoir sa série de baigneurs, souligne Paul vations demeurent mystérieuses. Ses amis ten- sur le corpus de son œuvre et propose d’attribuer
Perrin, l’un des commissaires de la manifesta- tent de l’en dissuader, en vain. «Pour moi, je suis à Bazille quelques nouveaux travaux, notamment
tion. Selon lui, c’est «une des œuvres les plus per- bien sûr de ne pas être tué ; j’ai trop de choses à un très séduisant (et convaincant) portrait de Verlaine.
sonnelles de l’artiste», une «ode à la gloire d’un faire dans la vie», déclare-t-il la veille de son pre- «Frédéric Bazille (1841-1870) – La jeunesse
de l’impressionnisme» jusqu’au 5 mars
hédonisme homosocial, sinon homoérotique». mier et dernier assaut. Frédéric Bazille meurt musée d’Orsay • 1, rue de la Légion d’Honneur
«Et c’est sans doute parce qu’elle est un aveu trop sous le coup des balles allemandes sans avoir pu 75007 Paris • www.musee-orsay.fr
évident de ses désirs profonds de liberté que fêter son vingt-neuvième anniversaire. La pre- Catalogue • éd. Flammarion • 304 p. • 45 €
✶ Hors-série Beaux Arts éditions • 66 p. • 9,50 €
Bazille s’entrave lui-même d’une contraignante mière exposition impressionniste dont il avait
discipline formelle sans équivalent dans son rêvé aura lieu quatre années plus tard. Sans lui. n
90 Beaux Arts
Beaux Arts 91
exposition / la Maison Rouge / jusqu’au 22 janvier
92 Beaux Arts
hervé di rosa
super-héros
de l’art modeste
le peintre, BiBeronné Aux comics, Au rock et Au
punk, compile depuis toujours des oBjets «sAns
grAnde vAleur mArchAnde mAis À forte plus-
vAlue émotionnelle». une collection vAgABonde
À l’imAge de son Art, protéiforme et prolifé-
rAnt, dont lA mAison rouge fAit le portrAit.
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l y a comme un petit goût de revanche dans peint dans les sous-sols de la Maison rouge. sait. On est ambigus, on est superfciels, on n’est
l’exposition «Plus jamais seul – Hervé Di Rosa Di Rosa sait aussi l’importance de la documen- pas.» À l’époque, son père travaille à la SNCF et
et les arts modestes» présentée à la Maison tation. Depuis ses débuts, son œuvre a donné sa mère est femme de ménage. Le jeune homme
rouge, à Paris. Sa base-line est révélatrice à plus lieu à la publication de plus de 150 ouvrages. a grandi dans le Quartier Haut, avec les autres
d’un titre. Comme les groupes de rock, les jour- Quel autre artiste français vivant pourrait en familles d’immigrés italiens. Pour un garçon qui
naux alternatifs et les révolutions, Di Rosa a dire autant ? Reste que sa peinture fut souvent n’a pas accès à l’art de son temps – la décentrali-
toujours fonctionné en bande. Il vit depuis son vilipendée. Le magazine ArtPress qualifait son sation n’a pas encore fait son œuvre, Beaubourg
enfance entouré de tous ses amis : Tif et Tondu, travail de «pipicacaboudin» en 1982. Catherine n’existe pas, Paris est à dix heures de train –, la
Malabar, maître Yoda, les Shadocks, la Vache qui Millet, trente-cinq ans plus tard, écrit, dans un seule possibilité de voir des images, c’est de se
rit, et Peter Parker. Alan Moore, le Groland : «Si numéro spécial, que «les Arts modestes, ce plonger dans les journaux, Spirou, Tintin et Pif.
je lis une bio de Tony Blair, à la fn je ne sais tou- concept souple et vagabondant imaginé par Plus tard, Di Rosa en fera la matrice de son art
jours pas qui c’est. Mais je vis avec Hannibal Di Rosa […], marque une étape importante de dans un geste pictural maintes fois commenté :
Lecter et le magicien d’Oz.» Comme le scénariste l’histoire de l’art moderne et contemporain». la Figuration libre. Il voit pour la première fois
anglais, Hervé Di Rosa sait bien que l’histoire de Di Rosa, un artiste conceptuel ? Pas vraiment. une œuvre originale, un collage de Matisse inti-
l’art est une fction. Aujourd’hui, Di Rosa et les Les choses sont à la fois plus simples et plus com- tulé la Tristesse du roi, l’année de l’ouverture du
arts modestes sont partout. L’underground et pliquées. Flash-back. Centre Pompidou, en 1978, tandis qu’il entre aux
la pop culture ont renversé les arts ofciels. Arts-Déco de Paris. Très vite, Di Rosa casse la
Hergé est au Grand Palais et Walt Disney au il croise basquiat et haring à new york baraque. Invité à New York, il croise Basquiat et
musée de l’Art ludique. L’artiste savoure-t-il ce Sète, 1977. Di Rosa pose pour un journal local Haring, expose chez Blackston, Tony Shafrazi
retournement de situation ? Pas vraiment. avec ses amis punks (dont Robert Combas et et Sydney Janis. Aucun autre plasticien français
Di Rosa sait bien où se niche l’incarnation, lui Gilles Tandy, le futur chanteur des Olivensteins). n’aura d’exposition personnelle dans ces trois
qui tire sa légitimité d’une culture esthétique Le jeune homme, alors âgé de 18 ans, se fait appe- galeries majeures des années 1980 et 1990. Mais,
extraordinaire issue notamment d’une gigan- ler Plastic Lizard : «On est des crétins ; on est des premier problème, les institutions américaines
tesque bibliothèque transformée en papier petits cons, des pourris. On est laids, mais on le ne suivent pas. Trop vite, trop jeune ? Di Rosa
94 Beaux Arts
inteRnAtionAl Des ARts moDestes De sÈte, ouVeRt en 2000 PAR HeRVé Di RosA et BeRnARD BelluC.
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est limite ostracisé à la fn de la décennie 1980 modeste – fgurines, afches, jouets, enseignes, sont pas contraires à l’art contemporain. Je ne
par les tenants de l’art ofciel. Les mêmes qui art naïf, art brut… – et les confronter à leur pra- cherche pas à faire croire aux gens qu’un jouet
défensdaient dans les années 1970 l’art minimal tique artistique. L’exposition présentée à la en plastique est plus important que Claude
et Support/Surface. Maison rouge s’inscrit dans cette démarche. Au Lévêque. Mais si on n’a pas d’autre référence, on
En 1987, Di Rosa crée avec son frère Richard la point qu’on se demande parfois, au détour des peut mieux comprendre l’art contemporain
Dirosarl, fabrique de produits dérivés. Nouvel centaines de pièces qui sont accrochées, non pas grâce à la culture populaire.»
échec : Di Rosa voulait faire des jouets rigolos et si c’est de l’art mais si c’est du Di Rosa ou non.
il se retrouve à vendre des tee-shirts pour payer C’est un gigantesque autoportrait tronqué. Il un musée à lui tout seul
les charges. Aujourd’hui, le moindre jouet de la existe des dizaines de caisses de jouets archivées De fait, ses collections sont exceptionnelles.
Dirosarl s’arrache à prix d’or sur eBay et Uniqlo dont le fls de l’artiste, Vincent Di Rosa, critique Il y aurait cinq ou six expositions à faire outre
propose des tee-shirts à l’efgie de Keith Haring. de cinéma, a patiemment fait l’inventaire durant celle-ci. Par exemple, dans la salle du Tour du
L’artiste fuit le parisianisme et entame son «tour des mois. Mais dans l’exposition seules quelques monde, une ou deux pièces sont montrées par
du monde», fort aujourd’hui de 19 étapes et qui dizaines de fgurines de Docteur Fatalis, Thor, pays alors qu’il en existe parfois des dizaines.
semble ne pas avoir de fn. L’idée, c’est de se le Joker, Gros Minet ou du pape en personne Di Rosa : «Des séries comme les peintures avec
confronter artistiquement aux pratiques artisa- côtoient la Dirosapocalypse, une toile géante de les métaux, il y en a 100 ! Mes séries érotiques sur
nales locales. Une sorte de world art, au moment 1984, dans un agencement esthétiquement par- carton du début ne sont pas là. Il y a tout dans
où la world music fait recette. Avec l’aide de fait. À côté, d’autres super-héros conditionnés cette expo, mais en même temps il n’y a rien.
Jean Seisser, son âme damnée, Di Rosa fait pro- de la marque DC Comics forment au mur des Tout reste à faire sur mon travail.» Un travail de
duire des pièces issues de son univers : laques robots pixellisés. C’est sans doute la salle la plus tri ? Pas tout à fait. Car, bien qu’Hervé Di Rosa
du Vietnam, sculptures Bamoun du Cameroun, cohérente de l’exposition. Pour le néophyte, cela soit un musée à lui tout seul, c’est surtout un
enseignes du Ghana, terres cuites mexicaines… peut efectivement expliquer la peinture de excellent peintre. La preuve, en fn de parcours,
En 2000, il ouvre à Sète le musée international Di Rosa. Mais pour l’amateur éclairé, cette col- avec les toiles suspendues aux cimaises qui ont
des Arts modestes (Miam) avec l’artiste Bernard lection intacte est inestimable et extrêmement peu à voir avec le Di Rosa des débuts. Formelle-
Belluc. L’objet : recueillir des collections d’art pointue. Selon Di Rosa, «les arts modestes ne ment, elles ne sont pas en prise directe avec les
Beaux Arts 95
exposition / Hervé Di rosa
ci-contre à gauche
Découverte de l’art modeste
Le territoire des arts modestes vu par
hervé Di rosa. aux confns de l’art populaire,
des beaux-arts, de l’art contemporain
et de la décoration, son emplacement
est assez central. à noter, au nord, une terre
inconnue et qui reste à découvrir.
2007, papier peint, dimensions variables.
ci-contre à Droite
La Vie des pauvres
une partie de cette installation fut présentée
à la fête de l’Humanité.
1993, encre de Chine sur papier,
dimensions variables
en méDaiLLon
hervé di rosa réalise spécialement pour
l’exposition à la Maison rouge le sol pavé
de la Vie des pauvres.
arts modestes mais ressembleraient plutôt à un Les collections du Miam et de Di Rosa
David Hockney sous infuence. Ce sont des vues entrent parfaitement dans l’agenda de la fon-
de Tel-Aviv, Miami et Paris réalisées entre 2005 dation Antoine de Galbert, qui gère la Maison
patchwork immersif
et 2010. Et là, tout d’un coup, on comprend rouge, après les expositions consacrées à celles Des centaines de pièces d’art modeste,
que Di Rosa est un plasticien qui, non content de Jean-Jacques Lebel et Arnulf Rainer. Elles de l’enseigne de coiffeur africain aux robots
de savoir manier les couleurs primaires avec sont utiles pour comprendre l’homme, sinon japonais en passant par un extraordinaire
énergie, est aussi capable de rendre compte de l’artiste. Mais, surtout, elles révèlent combien vélotaxi philippin, côtoient certaines œuvres
emblématiques de Di Rosa. Deux thématiques
la nature des choses avec une grande subtilité. Di Rosa est un grand plasticien. Tout se passe
fortes essaiment dans l’exposition : les véhicules
Dans la Vie des pauvres, une fresque de panneaux comme s’il avait tout fait pour que, en remon-
et les scènes sous-marines. Le reste est un
fguratifs en noir et blanc formant un long cor- tant aux confns de la pop culture, on décortique patchwork indéfnissable et cohérent qui consacre
ridor sombre, on s’aperçoit également qu’il use sa pratique afn de mieux comprendre ses inten- une aventure esthétique et humaine entamée
à la perfection des teintes charbonneuses tions esthétiques. D’habitude, c’est le rôle d’un il y a près de quarante ans et qui s’inscrit dans
propres à cette technique, à l’instar d’un Frans appareil critique d’y pourvoir. Seulement, celui- la longue tradition des collections d’artistes.
Masereel ou d’un Otto Nückel. ci n’existe pas encore. Di Rosa s’est donc chargé «Plus jamais seul – Hervé Di Rosa et les Arts modestes»
lui-même de nous le transmettre visuellement. jusqu’au 22 janvier • la Maison rouge • 10, bd de la Bastille
l’inventeur d’une contre-histoire 75012 Paris • 01 40 01 08 81 • www.lamaisonrouge.org
Selon Antoine de Galbert, il est «l’inventeur
Et aussi : «Hervé Di Rosa– Images et peintures»
Nous reviennent alors à l’esprit ces mots de d’une contre-histoire qui ébranle les certitudes jusqu’au 14 janvier • galerie Louis Carré & Cie
Jean Dubufet de 1961 cités par Dorothée de ceux qui l’écrivent trop tôt». Résultat : le 10, avenue de Messine • 75008 Paris • 01 45 62 57 07
Charles dans le catalogue de l’exposition : «Le lézard en plastique s’est retrouvé en vitrine. Mais www.louiscarre.fr
vrai art est toujours là où on ne l’attend pas.» c’est pour mieux retourner dans son atelier. n
96 Beaux Arts
entretien
Laurence engeL
présidente de la BiBliothèque nationale de France
«La BnF
est la conscience
de ce que veut dire
un esprit libre»
À L’HEURE DU TOUT-DIGITAL, À QUOI PEUT ENCORE SERVIR LA BNF AVEC SES CENTAINES DE KILOMÈTRES
DE RAYONNAGES ? TOUT SIMPLEMENT À ÊTRE UN CONSERVATOIRE DE L’HISTOIRE CULTURELLE ET UN
OUTIL DÉMOCRATIQUE, RÉPOND SA PRÉSIDENTE, ALORS QUE L’INSTITUTION RÉNOVE SON SITE PATRI-
MONIAL, RUE DE RICHELIEU, À PARIS, ET POURSUIT SON ExTRAORDINAIRE RÉVOLUTION NUMÉRIQUE.
propos recueillis par FaBrice Bousteau & armelle Fémelat • portrait léa crespi pour Beaux arts magazine
98 Beaux Arts
Beaux Arts 99
entretien / laurence engel
La BnF
en ChiFFres
26 milliards de fchiers
dans les archives du web.
40 millions de
documents conservés.
370 000 manuscrits
(150 000 d’Occident
et 220 000 d’Orient).
800 000 cartes et plans.
4 millions de documents
numérisés pour la
bibliothèque numérique
de la BnF, Gallica.
4,4 millions de sites
web moissonnés en 2015.
80 000 livres par an
déposés au titre du dépôt
légal.
400 km linéaires
de rayonnages pour le site
François Mitterrand.
70 km linéaires
de rayonnages pour le site
Richelieu.
32 millions de visites
par an pour les services
en ligne.
Comment défniriez-vous la Bibliothèque nationale grand concepteur architectural Henri Labrouste puis de
de France ? Jean-Louis Pascal, qui se voient confer la restructuration Plus de 1 million
C’est l’institution culturelle par excellence et l’une des totale du site et l’aménagement de salles publiques de de visiteurs «physiques»
plus anciennes. Fruit de la vision de quelques rois qui ont par an.
lecture, les célèbres salles Labrouste et Ovale. C’est une
décidé de conserver l’histoire littéraire et intellectuelle étape importante : avec Labrouste, la Bibliothèque natio-
de leur pays, elle incarne cette idée extraordinaire de nale fait son entrée dans la modernité. Enfn, en 1988,
transmission des savoirs, de la pensée et de la culture fran- François Mitterrand propose la création d’une biblio-
çaises. Tout a commencé en 1368, quand Charles V a créé thèque d’un «genre entièrement nouveau», annonçant la
une bibliothèque royale pour conserver ses manuscrits. révolution numérique en même temps que la construc-
Louis XI l’a pérennisée en la rendant héréditaire et Fran- tion d’un second site parisien. Cette nouvelle biblio-
çois Ier a créé le dépôt légal en 1537, enjoignant les impri- thèque se voulait ouverte à un public plus large, au-delà
meurs de déposer dans sa «librairie» tout livre mis en vente des chercheurs, avec des collections plus accessibles,
dans le royaume. Une telle profondeur historique est grâce notamment à une politique de numérisation, qui
unique en Europe ! Mais la BnF, c’est aussi, tout simple- se concrétisera dans les années 1990 et 2000. Et
ment, un établissement dans lequel les lecteurs se sentent aujourd’hui, nous arrivons à une nouvelle étape, avec la
bien, comme dans un lieu familier. rénovation du site historique Richelieu [lire p. 103].
Quelles furent les différentes phases de son développement ? Quelles sont les missions d’une telle institution?
Après l’instauration du dépôt légal, quelques autres La vocation patrimoniale est première. Il s’agit de consti-
grands moments frappent l’esprit. La création d’un tuer une collection nationale massive, et de veiller à la fois
musée des Monnaies, médailles et antiques sous à sa conservation et à sa communication. Notre ambition
Louis XIV : il s’agit du premier musée constitué à partir est de rassembler les savoirs pour aujourd’hui et pour
d’une collection royale, et qui est transféré par Colbert, demain, en appréhendant les productions éditoriales
avec l’ensemble de la bibliothèque royale, dans deux sous toutes leurs formes. Au-delà des livres et des manus-
hôtels particuliers de la rue Vivienne. L’ensemble évolue crits, nos collections comptent non seulement des mon-
ensuite au gré de l’accroissement des collections, jusqu’à naies, médailles et antiques, mais aussi des partitions de
l’intervention, dans la seconde moitié du XIXe siècle, du musique et des costumes, et tout ce qui est imprimé ou
ci-dessus
rielles. Et impose donc une même attention. Avec un Lorsque François Mitterrand annonce dans le même
Dans l’axe de l’enflade du vestibule
aspect inédit : non seulement les supports sont fragiles Labrouste, une préfguration du futur temps la dématérialisation de la BnF et son agrandisse-
mais, en plus, les outils de lecture disparaissent rapide- escalier conçu par Bruno Gaudin. ment, il projette en fait l’institution vers ce qu’elle est
ment, rendant les archives illisibles. Le système d’archi- La restauration a redonné tout leur éclat aujourd’hui, trente ans après, à un moment où l’on
aux lambris de pierre des murs et au
vage numérique de la BnF, ultraperfectionné, est donc dallage du sol en marbre clair, décor constate un retour au monde physique, revendiqué même
dupliqué en trois exemplaires pour parer au risque de des- antiquisant en souvenir des vestiges chez les acteurs du numérique, l’expression d’un besoin
truction ; et il est vivant, pour réactualiser en permanence de Pompéi et des tombeaux étrusques. de matérialité. Je crois donc profondément à l’utilité des
sa capacité à lire les documents, quel que soit leur support salles de lecture : nous avons besoin d’espaces de travail,
page de droite
d’origine. Peu d’institutions le font. Ce vestibule qui donne sur la rue calmes, confortables et bien équipés. Mais nous nous y
de Richelieu via la cour d’honneur comportons diféremment. Une évolution qui remet à
Quelle sera la BnF de demain ? a été construit par Labrouste en 1867, l’honneur la fonction de sociabilité des bibliothèques.
en avant-cour de la salle de lecture
Cette question est celle des usages : à quoi et à qui sert la monumentale. Plusieurs fois remanié, C’est dans cette perspective qu’il faut penser la rénova-
BnF ? Il faut partir des missions fondamentales et voir en il a été restauré et doté d’un lustre tion de Richelieu.
quoi elles s’incarnent dans des formes nouvelles. Côté signé Bruno Gaudin & Virginie Brégal.
numérique, la question du référencement devient vitale. Justement, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le site Richelieu
Mais, au-delà, il faut repenser l’articulation entre cette en 2017, et ce qu’il sera en 2020, lorsque les travaux seront achevés ?
ofre dématérialisée et ce que fait la BnF dans le monde La rénovation du site historique de la BnF est un événe-
matériel. L’enjeu pour l’avenir est, j’en suis convaincue, ment en soi. Parce que les bâtiments recèlent des trésors
de donner une visibilité plus grande à ce que produit la architecturaux et artistiques peu connus. C’est d’abord
BnF sur le plan culturel – sa programmation, ses expo- l’avènement d’un nouvel espace public, inscrit dans la
sitions, ses conférences. J’y travaille avec les équipes : ces ville. L’ancien quadrilatère fermé sur lui-même s’est trans-
propositions, qui sont autant d’invitations non seulement formé en passage ouvert au cœur du Vieux Paris, en pleine
à découvrir un artiste, un auteur, mais aussi à mieux com- cohérence avec le quartier. Ce bâtiment magnifque va
prendre notre monde, doivent être reçues comme une pouvoir se visiter tout au long de l’année et devenir un lieu
évidence. Il faut par ailleurs prendre la mesure de l’évolu- de promenade. Ensuite, Richelieu sera le théâtre d’une
tion des usages dans les espaces de la bibliothèque. ofre culturelle totalement inédite. La salle Ovale, endroit
exIste-t-Il un art
préhIstorIque?
depuis les premières découvertes d’Art pAriétAl, le sujet fAit déBAt : nos Ancêtres ont-ils créé
ces chefs-d’œuvre pour céléBrer des rites chAmAniques ou comme Artistes en quête de BeAuté ?
éléments de réponse à l’heure où s’ouvre une mAgistrAle réplique de lA grotte de lAscAux.
par Jean-paul Jouary, philosophe et essayiste
Q
uiconque a visité une grotte ornée ou un clamer qu’au Louvre, par exemple, il y ait équi-
fac-similé comme on en a construit à valence esthétique entre la Sainte Anne de
Chauvet ou Lascaux, quiconque a vu les Léonard de Vinci et le logo des toilettes. Si, dans
innombrables reproductions photographiques une grotte ornée, des points rouges isolés ou
des œuvres, ressent comme une évidence aveu- insérés dans des fgurations peuvent participer
glante cette émotion que seuls peuvent procu- à l’esthétique de l’ensemble, en revanche ces
rer les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. De signes comme ceux que l’on trouve par millions
Pablo Picasso à Nicolas de Staël et de Joan Miró gravés dans la pierre des cavernes ont-ils la
à Antoni Tàpies, des centaines de peintres et même portée que les chevaux de Lascaux, les
sculpteurs du XXe siècle ont immédiatement bisons d’Altamira ou les lionnes de Chauvet ?
reconnu leurs auteurs comme étant des leurs.
Pourtant, de très nombreux préhistoriens un art «inventÉ» au XXe siÈcle
refusent de considérer qu’il y ait un art paléoli- Par-delà les débats et réfexions théoriques qui
thique, préférant parler de rituels chamaniques, ont permis de dépasser les conceptions méta-
de récits, voire de concepts. Il ne manque pas physiques anciennes de l’art, l’histoire de celui-
non plus de discours refusant plus généralement ci se poursuit : il existe des artistes qui peignent
l’idée de création artistique sous prétexte que et sculptent, inventent des dispositifs, com-
la conscience de la spécifcité de l’art n’apparaît posent et écrivent, interprètent et exposent, et
qu’à la fn du XVIIIe siècle, ou afrmant que, parmi eux quelques-uns dont les œuvres pro-
depuis le milieu du XXe siècle, tout peut être voquent des sentiments spécifques, des modi-
considéré comme de l’art si on le déclare comme fcations du goût tout aussi spécifques, et dont
Prouesse de technologie et de savoir-faire, le nouveau tel. Et la référence à l’urinoir de Duchamp joue on pourra observer ensuite un sillage d’in-
fac-similé de lascaux plonge le visiteur en immersion
totale dans cette cathédrale de l’art préhistorique. en la matière le rôle d’argument d’autorité indis- fuences diverses. Si le regard du spectateur est
ici, la salle dite des taureaux, l’une des plus cutable, oubliant au passage que Duchamp fut constitutif des œuvres, celles-ci construisent
imposantes de l’art pariétal avec sa cavalcade de aussi l’auteur du Processus créatif dont le contenu avec le temps nos propres regards. Est-ce le cas
bovidés mais aussi ses 17 chevaux, ses 11 vaches…
et la toute première licorne de l’histoire de l’art. est loin d’être aussi sommaire. À supposer que pour celles créées au paléolithique supérieur ?
tout puisse être considéré comme œuvre artis- De toute évidence, elles sont entrées dans le
tique, il faudrait admettre que l’on puisse pro- mouvement moderne et contemporain de l’art.
t-on un jour, et cela prouvera qu’ils en étaient manifestent des styles de représentation et des y sommes peu à peu parvenus. Cela signiferait
capables, mais qu’ils n’ont jamais donné à l’art constantes symboliques qui renvoient à la sub- que ce n’est pas parce que nous sommes devenus
la place extraordinaire que lui accorderont nos jectivité de leurs auteurs. À présent, ce qui est humains que nous avons inventé l’art, mais parce
ancêtres directs, les Homo sapiens sapiens. Ceux- perceptible au-delà des humains, dans la que nos ancêtres ont créé l’art qu’ils se sont créés
là gravent déjà des formes géométriques dans matière, c’est la vie intérieure elle-même des comme humains. En même temps, les œuvres
de l’ocre, comme à Blombos, en Afrique du sujets, leurs émotions, leurs plaisirs, leurs d’art paléolithiques, quel qu’en soit le «sens»
Sud, il y a 75 000 ans. croyances sans doute et leurs craintes. Les sujets vécu, sont avant tout des œuvres d’art.
On connaît la suite : des millions de gravures, s’impriment dans les objets et peuvent ainsi Pour toutes ces raisons, il y a bien un art paléo-
d’objets sculptés, de peintures fguratives ou voir face à eux ce qu’ils sont à l’intérieur d’eux- lithique et, pour les mêmes raisons, tout n’est
non, sur les cinq continents, d’une qualité tech- mêmes. C’est ce type de plaisir et de goût qui pas «art» dans les grottes ornées. En dépit de la
nique et d’une créativité esthétique déjà remar- naît avec l’art, et qui demeure irréductible à difculté quant à savoir parfois si des points, des
quables il y a environ 35 000 ans, comme en toute autre activité humaine. mains positives ou négatives, des traits, des
témoigne la grotte Chauvet. Sans doute en petits schémas, ressortissent ou non de l’«art»,
découvrira-t-on de plus anciennes, au Proche- des hommes devenus créateurs, certaines œuvres en relèvent de toute évidence,
Orient, ou en Asie, ou en Europe, et pourquoi ou l’inverse ? tandis que d’autres signes qui peut-être n’en rele-
pas en Afrique australe, en trouvera-t-on d’aussi Dans la réalisation comme dans une éventuelle vaient pas fnissent par en faire partie en raison
sublimes qu’à Lascaux. contemplation, ces ancêtres sentaient ces du regard porté sur eux. Surtout si ce regard est
Dès lors, pourquoi faire un sort à part à ces œuvres, et il est peu probable qu’ils aient pu alors celui d’un peintre comme Miró, par exemple,
œuvres ? Pour plusieurs raisons. Parce qu’elles distinguer clairement ce qui diférenciait ce qui s’en emparera pour créer ses propres toiles.
requièrent une extraordinaire préméditation «senti» des formes de raisonnement ou de Du coup, l’art paléolithique est pleinement et
dans la préparation des charbons, du support, croyance auxquelles ils commençaient à accéder. incontestablement artistique par la vertu de ce
du lieu, des couleurs parfois. Parce qu’elles se Aussi doit-on plutôt leur attribuer un «senti-cru- qu’il va inspirer aux artistes de la modernité. On
détachent de toute pratique immédiatement pensé» indissociable, à l’intérieur duquel on peut donc afrmer que l’art du XXe siècle nous
utilitaire, même si elles ont été probablement pourra plus tard spécifer, comme nous le fai- permet de regarder l’art paléolithique pour ce
vécues dans le cadre d’une activité symbolique sons, ce que signifent «croire», «sentir», «pen- qu’il est, et qu’ainsi cet art de nos ancêtres loin-
«utile» de type magique. Parce que, surtout, elles ser». C’est probablement à travers l’art que nous tains est devenu un art du XXe siècle. n
1
le concours d’architecte pour la réhabilitation globale des lieux (estimée à
Joyeux anniversaire, orsay ! dix millions d’euros), les quelques salles rénovées donnent un avant-goût du projet,
soit une centaine d’œuvres issues des collections d’art moderne et contemporain
1986-2016, le musée d’Orsay fête ses 30 ans. Pour l’occasion, 43 prêts
de l’IMA (d’habitude confnées dans ses réserves), enrichies par des pièces
exceptionnels, consentis par de nombreux musées parmi lesquels le Kimbell Art
historiques prêtées par le département des arts de l’islam du Louvre. D. B.
Museum de Fort Worth (le Pont de l’Europe de Caillebotte) ou la National
Gallery of Victoria de Melbourne (Gasometers at Clichy de Signac), sont présentés
au cœur des collections permanentes (jusqu’à fn janvier). Dans la foulée,
la création d’un centre d’études des Nabis et du symbolisme a été confrmée, suite
aux donations de Marlene et Spencer Hays, et de Zeïneb et Jean-Pierre Marcie-
Rivière. Guy Cogeval, l’actuel directeur du musée, quittera ses fonctions le 15 mars
pour en prendre la direction. www.musee-orsay.fr
MALiCk siDiBé Nuit de Noël, 1965 HAns HArtung T1963-R38, 1963 Louis siLVestre Guerrier en cours de modelage, 1898
Les succès et les échecs Chiffres au 1er décembre 2016 (source : musées)
nombre Cumul
Expositions Lieux d’entrées des
par jour entrées
AnALysE
Picasso / Giacometti Musée Picasso,
2 552 130 200
Encore un succès en vue pour le musée parisien. Sur les bases de «Picasso – Sculptures» (345 000 visiteurs
Du 4 octobre au 5 février Paris à l’été 2016), qui reste l’une des plus importantes fréquentations du lieu depuis son ouverture en 1985.
Mexique – Renaissances Grand Palais,
2 300 115 000
Une belle entrée en matière pour le Mexique. Pour rappel, l’exposition sur Haïti
Du 5 octobre au 23 janvier Paris de l’hiver 2015 avait attiré 69 149 visiteurs.
PUBLIC
À L’ŒUVRE
REG’ARTS DÉCALÉS
Léon Bakst
ou l’invention du
spectacle total
«Dites mille choses à Bakst que j’admire profondément,
ne connaissant rien de plus beau que Shéhérazade», écrit Marcel
Proust à son ancien amant, le compositeur Reynaldo Hahn, en
1911. Paris est encore sous le choc de Cléopâtre et Shéhérazade,
les deux premières créations des Ballets russes. La fascination
est telle que les élégantes troquent corsets et diadèmes contre
tuniques persanes et plumes d’aigrette, «tout un terrible attirail
des Mille et Une Nuits», s’amuse Cocteau. L’homme par qui
cette mode scandaleuse arrive est Léon Bakst. Élève de
Gérôme et maître de Chagall, il vient de dépasser les rêves
orientalistes de ses aînés en inventant un spectacle pictural
total : un tableau vivant dont les danseurs sont les éléments
mouvants. Auteur des décors, des costumes et parfois même
du livret, ce génial coloriste exalte la sensualité d’une Ida
Rubinstein et d’un Vaslav Nijinski dans des compositions chro-
matiques exubérantes. Le public, que l’archevêché de Paris
menace d’excommunication, voyage dans des forêts de lilas,
des îles sauvages, des palais sulfureux, vers des terres toujours
plus archaïques et modernes. La tension érotique culminera
en 1912 avec l’Après-midi d’un faune. Elle est encore palpable à
l’Opéra Garnier, où la Bibliothèque nationale de France expose
les gouaches, costumes, dessins et photos de ces sublimes fêtes
païennes. Frissons garantis. Natacha Nataf
LéoN BAkSt Costume pour une bacchante dans Narcisse
Couverture du Programme offciel des Ballets russes, théâtre du Châtelet, juin 1911
«Bakst – Des Ballets russes à la haute couture» • Palais Garnier • angle des rues Scribe et Auber • 75009 Paris • 01 53 79 37 40 • www.bnf.fr
Et aussi : «Designing Dreams – A Celebration of Leon Bakst» jusqu’au 15 janvier • NMNM-Villa Sauber • Monaco • +377 98 98 91 26 • www.nmnm.mc
Pascal Pinaud
plus solaire que jamais
De Marseille à Saint-Paul-de-Vence, cet hiver, c’est lui le roi de la Côte ! Le Niçois
Pascal Pinaud s’ofre trois expositions sur son terrain de jeux préféré. L’expo-
sition du Frac Paca, à Marseille, ouvrira plus tard, à l’été. L’occasion idéale pour
prendre la mesure de son talent facétieux et explorateur. Du château de Mouans-
Sartoux, ce peintre usant de techniques inattendues fait œuvre d’art total, opé-
rant un vertigineux brouillage des pistes (entre artisanat, design, brocante et art
«noble») dans une série de pièces qui se la joue domestique. La fondation Maeght,
elle, met l’accent sur ses infnies expériences de matières et de formes : tôles
réalisées à la laque industrielle chez un carrossier, toiles efectuées à partir de
tissus d’ameublement, collages de cire et faïence, jusqu’à un arbre sculpté avec
des centaines de fèves de galettes des rois. Le roi de la Côte, on vous dit ! E.L.
«Pascal Pinaud» • 623, chemin des Gardettes • 06570 Saint-Paul-de-Vence • 04 93 32 81 63 • www.fondation-maeght.com PASCAL PiNAuD
Et aussi : Espace de l’art concret • château de Mouans • 06370 Mouans-Sartoux • 04 93 75 71 50 • www.espacedelartconcret.fr Sans titre, 2008
Fenêtres
de réfexion
Eh non, il n’a pas fallu attendre le XXe siècle
pour que la peinture réféchisse sur elle-même !
Bien avant l’avènement de la modernité, l’art s’est
tourné vers le concept tout autant que vers l’af-
fect. C’est cette passionnante naissance de «l’idée
d’art» que retrace le Prado, à travers une centaine
de toiles appartenant principalement aux collec-
tions royales. Quel dialogue l’espace pictural
entretient-il avec l’espace réel ? Quelles révolu-
tions ont engendré les diférentes théories esthé-
tiques ? La contrée de Velázquez est mieux placée
que quiconque pour y répondre : depuis la mise en
abyme du peintre dans les Ménines jusqu’à la mise
en scène de la peinture même dans ses Fileuses, le
portraitiste de Philippe IV est l’exemple suprême
de cette «métapeinture», Michel Foucault l’a assez
démontré. Mais le Prado en appelle aussi à Titien,
au Bernin ou à Goya, pour faire mentir le ridicule
dicton qui dit «bête comme un peintre». E. L.
«Metapintura» • Paseo del Prado • Madrid
+913 30 28 00 • www.museodelprado.es
Muzéo
«Rendre l’art accessible à tous»,
c’est la démarche de cette jeune
entreprise parisienne fondée
en 2004. L’idée, aussi originale
qu’innovante, permet de créer
chez soi un décor personnalisé
avec des abat-jours, coussins
et autres objets reproduisant
des chefs-d’œuvre muséaux.
L’
initiative du label EPV détenir un patrimoine économique spécifque
revient à Renaud Dutreil (équipements, documentations, marques,
Les ePV
– alors secrétaire d’État des brevets, portefeuille clientèle) ; mettre en en chiffres
PME – après avoir décou- œuvre un savoir-faire rare ou de haute techni-
vert ce que représentent les cité ; bénéfcier d’une notoriété confrmée ou 62 000 emplois
Trésors vivants au Japon.
Amoureux du patrimoine
d’un solide ancrage territorial. Ainsi, sur plus
de 3 millions d’entreprises en France, seules
14 milliards d’euros
de chifres d’afaires (CA)
et des métiers d’art, il crée 1 375 sont labellisées EPV. Parmi celles-ci, des
cumulés
ce label national par la loi du 2 août 2005 pour maisons de luxe de plus de 3 000 salariés
soutenir des entreprises aux savoir-faire arti- comme des petites structures représentées 1 375 entreprises
sanaux ou industriels d’excellence. «Nous par- par un seul artisan (65 % emploient moins de labellisées
tageons tous la même philosophie», confrme 20 personnes). Chanel et Hermès y côtoient
Stéphane Parrain, de la société Jourdant, ainsi la Maison du pastel ou la maroquinerie 38 % ont un CA supérieur
fabricant d’outillage agricole. Rappelons Pierre Cotte. Et la palette des métiers est large : à 1,7 million d’euros
qu’il s’agit d’un projet mené par le ministère fondeur de cloches ou brodeur, facteur d’or- 24,8 % ont été créées
de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, gues ou traiteur, architecte ou mécanicien de avant 1900
et non par celui de la Culture et de la précision, tapissier ou restaurateur d’art…
Communication, ce qui explique la nature Tous s’accordent à dire que ce label constitue 21,6 % ont été fondées
des trois critères à remplir pour être éligible : une véritable reconnaissance par les pairs, entre 1900 et 1950
du côté du patrimoine • Les 10 ans du LabeL epV
Pastels Girault
Fondée en 1780 à Paris, à l’âge d’or du pastel,
cette maison a fourni dès ses débuts le «prince des
pastellistes», Quentin de La Tour. Trois semaines
de travail sont nécessaires avant l’achèvement total
d’un bâton : l’empâtement et le broyage pour obtenir
une homogénéité de texture et de couleur, le toilage
et la mise sous presse pour exsuder l’eau et produire
des planches, le flage pour réaliser de parfaits bâtons,
la coupe et le marquage manuel au poinçon pour
la référence de la teinte et la signature de fabrique.
à lire
Innovation et
savoir-faire français
46 Entreprises
du Patrimoine Vivant
✶ Beaux arts éditions
100 p. • 12 €
Vittorio serio
Vittorio Serio se défnit comme l’un des derniers dinosaures du quartier du Faubourg Saint-Antoine à Paris.
Attaché au savoir-faire et aux techniques des anciens ébénistes, il s’oriente vers la création de pièce uniques.
Rémy Garnier, estime que «c’est un point
important, mais pas primordial : nous forme-
rions des apprentis même si nous n’avions pas
cette aide». Car il n’existe plus de cursus pour
l’un des métiers piliers de sa société : la serru-
rerie d’art. Pour transmettre ce savoir-faire et
assurer sa pérennité, l’entreprise s’est tournée
vers des Compagnons, monteurs ou armu-
riers, qu’elle forme pendant trois à cinq ans.
Beaucoup d’autres métiers sont devenus rares
– citons les doreurs sur cuir, les écaillistes, les
éventaillistes, les graveurs sur cristal, les cor-
setiers, les lunetiers, les tourneurs sur bois, les
plumassiers…
L’atout de nombreuses maisons se trouve dans
leurs archives, devenues historiques, un
répertoire de formes et de modèles qui consti-
tue une véritable force commerciale. Et
comme le rappellent aussi bien Jean Delisle
(bronzier d’art) que Jean-Baptiste
Drachkovitch, président de Langlois-Martin
(fabricant de paillettes), tous les modèles PhiliPPe Tournaire
peuvent être adaptés pour du sur-mesure. Ce L’iconique collection «Alchimie» est la signature de la maison Tournaire, réunissant carré, triangle et rond,
dernier en possède plus de 5 000, créés depuis que l’on retrouve ici dans ce collier en or blanc avec des pierres de couleur, des diamants et une opale.
1869, dont de nombreuses formes fantaisie
courtisées tant par des maisons de couture
comme Yves Saint Laurent et Louis Vuitton
que par les plus grands brodeurs parisiens.
À l’embouchure du feuve Douro, la Ribeira est un quartier où il fait bon fâner. Conçue par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas,
la Casa da Música a des allures de diamant brut.
GAleries
Galeria Fernando Santos Rua Miguel Bombarda, 526
+ 351 226 061 090 • www.galeriafernandosantos.com
Galeria Pedro Oliveira Calçada de Monchique, 3
+351 222 007 131 • www.galeriapedrooliveira.com
Galeria Quadrado Azul Rua Miguel Bombarda, 553
Dans le parc de la fondation Serralves, la Casa de Serralves est une sublime villa Art déco +351 226 097 313 • www.quadradoazul.pt
commandée dans les années 1930 par le comte Carlos Alberto Cabral.
Hôtels
L’InterContinental Porto-Palacio das Cardosas
Cabrita Reis, One Floor, One Floor Plan découvrir la génération montante d’artistes L’un des plus beaux hôtels de la ville, installé dans
(jusqu’au 22 janvier) présentée dans le hall du portugais : João Louro, Ana Santos, Vera un monastère du XVIIIe siècle superbement rénové.
musée. À deux pas, le Palácio das Artes, amé- Mota… Mais Porto est aussi un concentré À partir de 150 € la chambre double.
nagé par la Fundação da Juventude dans d’architectures contemporaines. Élève puis > Praça da Liberdade 25 • +351 220 035 600
www.intercontinental.com/porto
l’ancien monastère de São Domingos, sou- collaborateur d’Álvaro Siza Vieira, Eduardo
Rosa et Al Déco design et accueil parfait pour ce
tient les jeunes créateurs. Le bâtiment abrite Souto de Moura, à qui l’on doit l’embléma- petit hôtel de 6 suites en plein cœur du quartier arty.
désormais des expositions, des résidences tique Casa das Artes et de nombreuses sta- Joli jardin à l’arrière. De 87 à 187 € environ.
d’artistes mais aussi des boutiques de design tions de métro de la ville, a d’ailleurs remporté > Rua do Rosário, 233 • +351 916 000 081
et le restaurant Dop du chef Rui Paula. En à son tour le Pritzker Prize en 2011. Dans le www.rosaetal.pt
remontant vers la gare de São Bento, dans quartier de Boavista, la Casa da Música de
restAurAnts
une petite rue cachée, Uma Certa Falta de Rem Koolhaas (2005), cœur de la scène cultu-
Coerência («Un certain manque de cohé- relle de Porto, a tout d’un ovni égaré. Casa de Chá da Boa Nova À 13 km au nord, l’étonnante
maison à fanc de falaise imaginée par Álvaro Siza
rence»), un artist-run space créé en 2008 par Non loin, sur les hauteurs du quartier chic de
Vieira (1963), et reconnue patrimoine national,
André Sousa et Mauro Cerqueira, est vite Foz de Douro, la Casa do Cinema, dont les est aujourd’hui un restaurant gastronomique emmené
devenu un incontournable du quartier. baies vitrées font immanquablement penser à par le chef Rui Paula. Magique. De 80 à 120 €.
Portés par des initiatives privées, ces lieux l’objectif d’une caméra, a été construite par > Avenida da Liberdade • Leça da Palmeira
culturels donnent un nouveau soufe à la ville. Souto de Moura en 2003 pour Manoel de Oli- + 351 229 940 066 • http://ruipaula.com
Maus Hábitos Bar-restaurant alternatif situé
Car Porto n’est pas qu’une ville-musée. Elle veira. Elle vient d’être rachetée 1,58 M€ par
au dernier étage d’un garage. Patio à ciel ouvert.
cultive aussi un esprit créatif et underground. Sindika Dokolo. Le gendre du président de Expositions et concerts en prime.
Au nord-ouest, le quartier méconnu de l’Angola, qui possède la plus grande collection > Rua Passos Manuel, 178 • +351 937 202 918
Massarelos, situé au pied du pont Arrábida, d’art africain contemporain, entend faire du www.maushabitos.com
s’est transformé en refuge arty. Concept bâtiment «un espace de réfexion et d’appren- Restaurante DOP Carpaccio de poulpe, Francesinha
stores alternatifs, galeries d’art contemporain tissage pour les jeunes artistes» et le siège euro- sandwich… Logé dans le Palácio das Artes,
au cœur du centre historique, l’un des meilleurs
(Quadrado Azul, Fernando Santos) et bou- péen de sa fondation créée en 2003 à Luanda. restaurants de la ville. Menu déjeuner à 20 € !
tiques arty feurissent dans les rues Miguel De quoi faire vibrer un peu plus la cité de gra- > Largo de São Domingos, 18
Bombarda et Rosário. Une belle occasion de nit, nouvel épicentre de la culture lusophone. +351 222 014 313 • http://ruipaula.com
Galerie
2 Patrice triGano
lemaître du lettrisme
Il est le dernier géant du lettrisme. Mais, à 90 ans,
le poète Maurice Lemaître n’est pas encore reconnu
à sa juste mesure. D’où cette exposition, qui rassemble
des œuvres presque oubliées de cet enragé de la
littérature, qui explora aussi bien la danse que le
théâtre ou le cinéma. De typographies explosées en
calligraphies à la machine à écrire, cet anar complice
d’Isidore Isou (qui aura droit à sa rétrospective en
2018 à Pompidou) a toute sa vie tenté de revivifer
la lettre autant que l’esprit. La preuve ici avec
quelques pièces que nul n’a vues depuis des
décennies, à commencer par sa sculpture Édition
spéciale ou l’œuvre-roman Double Exclamation
schizophrénique. À compléter par sa première
monographie, parue aux éditions de la Différence.
«Maurice Lemaître – 90 ans au-delà du déclic»
jusqu’au 28 janvier • 4 bis, rue des Beaux-Arts MAuRice LeMAîtRe Chronique d’un amour, 1971
75006 Paris • 01 46 34 15 01
www.galeriepatricetrigano.com
3 Galerie SerouSSi
fiGureS féminineS
PARIS • Galerie Mathias Coullaud
David LaChapelle et Pierre & Gilles sont les héritiers
De nus fantasmatiques en garçons manqués, la galerie de l’esthétique érotique de James Bidgood, l’auteur
Natalie Seroussi a remporté un joli succès à la dernière du mythique flm Pink Narcissus en 1971. Sa signature ?
Fiac avec son accrochage «La femme visible». Elle Des éphèbes nus dans des décors aux tons roses et bleus
le prolonge dans son propre espace, où la femme se que l’on retrouve un peu passés sur les 25 Polaroid
décline sous mille visages : démantelée par Hans Bellmer de 1963 présentés par la galerie. Tous proviennent
— dont une poupée défe de son étrange beauté deux de l’atelier new-yorkais de l’artiste. «Ces photographies
mannequins plus «traditionnels» en vitrine —, mécanisée sont troublantes car cette esthétique qui était
par Man Ray, libérée par Esther Ferrer, maquillée révolutionnaire, scandaleuse, gay et subversive il y a
comme un camion par Elaine Sturtevant, qui simule cinquante-trois ans se retrouve aujourd’hui dans
un visage de Martial Raysse en amusant vis-à-vis avec l’imagerie populaire», s’amuse le galeriste.
un vrai Raysse à la bouche de néon. Des années 1930 «James Bidgood» du 6 janvier au 4 mars
aux années 1970, du politique au cyborg, pas besoin 12, rue de Picardie • 75003
de se demander où sont les femmes : elles sont là. 01 71 20 90 41 • www.mathias-coullaud.com
«La femme visible» jusqu’au 14 janvier • 34, rue de Seine
75006 Paris • 01 46 34 05 84 • www.natalieseroussi.com
PARIS • Galerie Wallworks
MARTIAL RAySSE La France orange, 1963 Le Parnasse est en ébullition : Athéna pleure, Atlas
a des airs de Robinson Crusoé maintenant à bout de bras
une planète en train de s’effondrer, Charon commence
Galerie loevenbruck
4 bruno peinado, come-back pop
à fondre dans ses Enfers, Zeus est un mutant, fruit du
croisement entre Chewbacca et un guitariste de hard rock…
POES revisite les récits antiques et mythologiques, cernant
Il a fait un très joli come-back l’été dernier, avec une exposition folle au Mrac de Sérignan, après quelques
les héros de son large trait noir tout en les animant
années de discrétion. Porté par l’espoir d’un Bob Dylan qui chante The Times They Are A Changing, cette
de ses couleurs impertinentes. Une pirouette pour évoquer
exposition se veut havre de résistance à tous les replis identitaires. Formes ouvertes, couleurs mêlées, œuvres
notre époque non sans humour.
jamais arrêtées… Bruno Peinado a toujours milité pour le «vivre- et le faire-ensemble». Jusqu’à travailler
«POES – Vestiges de l’amour» jusqu’au 21 janvier
avec ses flles toutes jeunes, auteurs avec lui de sculptures qui décoiffent. Et qu’il mêle à ses toiles roses 4, rue Martel • 75010 • 09 54 30 29 51
et/ou grises, ces deux couleurs méprisées, dans un accrochage qui fourmille de références aux minimalistes www.galerie-wallworks.com
comme à Supports/Surfaces. Bref, c’est doux comme une pop song, mais ça accompagne longtemps
et ça redonne de l’espoir.
«Bruno Peinado – The Times They Are A Changing» jusqu’au 20 janvier • 6, rue Jacques Callot • 75006 Paris
Bruxelles • Galerie Lazarew
01 53 10 85 68 • http://loevenbruck.com Il est Ukrainien, n’a que 22 ans, et déjà l’étoffe d’un
génie. Sergey Kononov ne fait aucune concession face
à cette jeunesse qu’il dépeint, et pourtant, on ne peut
qu’être fasciné par cette beauté innervée de violence.
Alors, pourquoi ce choix du titre «Rouge» pour l’exposition ?
«Pour moi, c’est le sang qui coule à travers tout le corps,
c’est la pulsion animale de la vie, la force omniprésente
«Joël Stein et le GRAV» du physique qui domine toute autre forme d’expression,
jusqu’au 21 janvier telle que celles de l’âme, du spirituel ou de la pensée.»
108, rue Vieille du Temple
75003 Paris
Avec une force inouïe.
01 40 27 05 55 «Sergey Kononov – Rouge II» jusqu’au 7 janvier
www.xippas.com 66, place du Jeu de balle (Vossenplein)
+32 484 15 59 68 • www.galerie-lazarew.fr
JOëL STEIn
Proposition, 1958, refait en 1974
Bruxelles • Patrick Derom Gallery
Automne 2014. Fabienne Verdier est reçue en résidence
à la Juilliard School, à New York. Le but ? Créer une
5
rencontre artistique avec le pianiste Philip Lasser, la soprano
Galerie XippaS joël Stein en trompe-l’œil Edith Wiens, le chef d’orchestre William Christie, le
violoncelliste Darrett Adkins et les jazzmen Kenny Barron
Alors qu’à Miami les Américains s’esbaudissent de l’immense richesse de l’œuvre de Julio Le Parc, exposé
et Ray Drummond. La peintre a donné des contours
pour la première fois aux États-Unis au Pérez Art Museum, la galerie Xippas met en lumière l’un de ses complices,
aux sonorités, aux accords, aux harmonies sans s’enfermer
Joël Stein. Ensemble, dans les années 1960, ils ont créé le Groupe de Recherche d’Art Visuel (GRAV), avec
dans l’illustration littérale des sons. La clé, pour elle, est
François Morellet ou Jean-Pierre Vasarely, dit Yvaral. Une aventure magnifque, mais longtemps oubliée. Tous
d’avoir lâché prise et laissé son corps agir, portée par
infuencés par l’art concret autant que par le cinétisme naissant de Victor Vasarely, ils s’amusent à déjouer
une énergie qu’elle n’avait encore jamais expérimentée.
l’œil à coups de mille stimulations rétiniennes et réenchantent l’abstraction froide, sans jamais sombrer dans
«Fabienne Verdier – Soundscapes
le lyrisme de leurs pairs d’après-guerre. Ainsi le visiteur devient-il grâce à eux un Homo ludens, homme jouant, The Juilliard Experiment» jusqu’au 11 février
concept que Stein théorise, misant tout sur «la surprise, le geste, la provocation». Entouré d’œuvres d’Horacio 1, rue aux Laines • +32 25 14 08 82
Garcia-Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino et Yvaral, il palpite à nouveau. www.patrickderomgallery.com
vue de l’installation de toilet Paper (Maurizio Cattelan & Pierpaolo Ferrari) Matthias BitzEr Window, 2016
sur le stand de la fondation bâloise Beyeler. Galleria Francesca Minini, Milan
désormais des galeries venues d’Inde, du Japon piégeuse (on le verra au Palais de Tokyo au prin-
ou de Chine, pour asseoir le succès que ces temps). Beauté ténue, également, du dialogue
dernières rencontrent à Art Basel Hong Kong, entre Maria Loboda et Cristián Silva chez
dont les collectionneurs asiatiques ont désor- Maisterravalbuena. Le secteur «Positions»,
mais eux aussi de plus en plus tendance à faire censé faire découvrir de jeunes talents à travers
un détour par la Floride. Dans le secteur géné- un solo show, s’avérait, lui, très décevant. Preuve
ral, quelques stands sortaient du lot. À com- de vieillissement à nouveau ? C’était du côté de
mencer par celui des Mexicains d’OMR, qui «Survey», réservé aux historiques, que se
tournait au manifeste anti-Trump. «Notre plus nichaient quelques-unes des plus belles propo-
grand voisin a fait ce choix, nous ne pouvions sitions. Les délicates sculptures en mouvement
rester silencieux, clame la galerie. Ce stand, de George Rickey enchantaient chez Maxwell
c’est un peu notre île des réfugiés.» Cerné de Davidson, autant que les autels gitans de l’Afro-
rideaux de Guillaume Leblon, attisé par les Américaine Betye Saar chez Roberts & Tilton,
visages de Miriam Cahn, le stand de Jocelyn ou les Villeglé chez les Vallois, qui eux aussi ont
Wolf était tout aussi bien composé (ce qui lui su séduire les Américains. La France aurait-elle
a valu un joli succès). Idem, dans un genre plus le vent en poupe ? Sur la vingtaine de projets
historique, avec la galerie Gmurzynska, de dans l’espace public proposés devant le Bass
Zurich, qui ressuscitait efcacement la révolu- Museum, autour d’un totem revigorant du
tion russe de 1917. En tout cas, ses artistes. Suisse Ugo Rondinone, quatre jeunes Français
Dédié à des œuvres inédites, le secteur «Nova» étaient invités : Camille Henrot, Davide Balula,
Jonathan horovitz Does She Have a Good Body? No. réservait aussi de jolies surprises, comme le Jean-Marie Appriou et Éric Baudart. Soit 20 % :
Does She Have a Fat Ass? Absolutely, 2016 Japonais Taro Izumi chez Take Ninagawa, qui la France aurait renoué avec la croissance, et on
Sadie Coles Gallery, Londres crée une installation vidéo aussi charmante que ne nous aurait rien dit ?
Tout schuss !
Créé il y a six ans, le salon Art Genève
a non seulement trouvé immédiatement
sa place dans le calendrier des grandes
foires d’art contemporain, mais il a
très rapidement conquis les galeries
internationales et la clientèle suisse
ainsi que les collectionneurs européens
proftant de la saison de ski. Avec
80 exposants triés sur le volet,
dont les galeries Gagosian, Templon
et Obadia qui reviennent chaque année,
ce salon se distingue par sa taille
humaine, sa qualité d’exposition, son
organisation impeccable et sa clientèle
de collectionneurs avisés au fort
pouvoir d’achat. Sa force d’attractivité
est telle qu’on l’appelle «le petit
Art Basel», en référence à la fameuse
foire qui se tient chaque année
à Bâle en juin. Après un premier essai
très réussi, la galerie parisienne
Zlotowski revient avec une sélection
d’œuvres de Jean Dubuffet, François
Morellet et Le Corbusier. Deuxième
GreGOrY CreWdsOn Woman at Window participation également pour la galerie Tornabuoni avec ses artistes italiens des années 1950 à 1970 :
2014, photographie couleur numérique, 95,3 x 127 cm. Alberto Burri, Enrico Castellani, Lucio Fontana, Dadamaino… Le marchand, installé à Paris, a déjà un bon réseau
Galerie Templon, Paris-Bruxelles de collectionneurs suisses grâce à sa galerie de Crans-Montana. D’autres vont tenter l’aventure genevoise
Autour de 63 000 € pour la première fois, tels Georges-Phillipe & Nathalie Vallois avec quelques pièces des Nouveaux Réalistes
(dont le Suisse Jean Tinguely) à côté d’une programmation contemporaine regroupant Gilles Barbier, Peybak,
Art Genève • Palexpo Richard Jackson ou encore Taro Izumi, lequel sera exposé au Palais de Tokyo en 2017. Nouvelle venue
route François Peyrot 30 • le Grand-saconnex également, la galerie Mitterrand va montrer un ensemble historique d’art optique et cinétique face à des œuvres
www.artgeneve.ch récentes d’Allan McCollum et de Carlos Cruz-Diez.
Chic et éclectique
La Brussels Antiques & Fine Arts Fair (Brafa) revient chaque année, pour le plus grand bonheur des amateurs.
Avec le temps, cette foire d’art et d’antiquités qui réunit 132 exposants internationaux a su développer ses exigences
de qualité dans plusieurs spécialités, notamment l’art tribal, l’archéologie ou encore la bande dessinée. Parmi
les nouveaux exposants, la Belgian Fine Comic Strip Gallery, venue de Rombach (Luxembourg), présente un show
entièrement dédié à Hergé, «ce qui représente dix ans de préparation», précise Bernard Soetens, directeur de la galerie
et spécialiste de l’École belge de BD. Il a ainsi réuni un support publicitaire de 1968 consistant en un dessin original
du professeur Tournesol avec chapeau melon et parapluie, en hommage à Magritte ; le crayonné d’une planche
de Tintin au Tibet ; une mise en couleurs de 1952 représentant Tintin
dans la pirogue extraite de l’Oreille cassée ; ou encore le tapuscrit
de On a marché sur la Lune, avec des corrections manuscrites.
La galeriste belge Anne Autegarden fait son retour
après plusieurs années d’absence : «À l’époque, on était
peu à faire des arts décoratifs du XXe siècle. Aujourd’hui,
je constate que la foire a joliment progressé», souligne-t-elle.
Elle montrera du design italien des années 1950,
à l’instar d’un spectaculaire et sculptural meuble gainé
de parchemin par Valzania. Mais aussi un ensemble d’assises
des années 1950-1960 par Robsjohn-Gibbings, t. H. rOBsjOHn-GiBBinGs Méridienne
dont un rare modèle de méridienne aux pieds en laiton. Vers 1955, acajou avec piétement en laiton,
édition Widdicomb, 84 x 167 x 67 cm.
Brafa • tour & taxis • avenue du Port 86 C Galerie Anne Autegarden, Bruxelles
www.salon-antiquaires-bordeaux-lac.fr
jsforganisation@orange.fr
+33(0)5 56 30 47 21
MUSÉE
Design contemporain
1,55 M€
Estimation :
700 000 à 900 000 €
À voir : «Move On» (exposition de groupe autour de la sculpture en mouvement, avec Constant, Gerrit van Bakel, Panamarenko…) jusqu’au 23 avril • Kröller-Müller Museum • Otterlo (Pays-Bas) • http://krollermuller.nl
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Bracelets Perlée
or jaune,
or blanc et diamants.