Poesi 122 0235
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Guillaume Artous-Bouvet
Belin | « Po&sie »
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Guillaume Artous-Bouvet
Littérature et déconstruction
Le nom de l’être
Si, par conséquent, il nous faut chercher le parler de la parole (das Sprechen der
Sprache) où [il] a été parlé (im Gesprochenen), nous ferions bien, au lieu d’arraison-
ner au hasard n’importe quel parlé, de trouver un parlé où [il] soit purement parlé (ein
rein Gesprochenes zu finden). Le purement parlé (rein Gesprochenes) est tel qu’en lui
le parachèvement de parler – par quoi le parlé s’approprie à soi comme parlé – devient,
de son côté, initialité même. Le purement parlé est le Poème (Rein Gesprochenes ist
das Gedicht)2.
La Parole, en sa pureté, a lieu dans le poème ; le poème donne (le) lieu à l’épure de
toute parole. L’énigme d’un tel lieu, sans doute, reste à déchiffrer 3 ; il demeure que cette
assignation primordiale détermine chez Heidegger une attention profonde, constante, à
la poésie (Dichtung), dans l’enquête sur l’être, en tant précisément que le dire poétique
retient la Dite (Sage) ontologique elle-même.
L’avènement de la dictée de l’être ne se produit ainsi qu’« en » poésie (Dichtung). Au
pur lieu du poème, l’être lui-même résonne en son recueil. L’avènement se produit, nous
allons le voir, comme un appel ; dans le resson (Gelaüt) 4 de cet appel, la poésie situe –
en cela qu’elle se donne comme faveur même du site – l’essence de la langue, en tant que
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« plus d’un » – ceux-là qui voyagent (wandern) sur d’obscurs sentiers. Ces mortels-là
sont capables d’endurer le mourir (vermögen das Sterben), et ils l’endurent comme le
voyage (Wanderschaft) jusqu’à la mort. Dans la mort se recueille la plus haute retraite
(Verborgenheit) de l’être. La mort a déjà devancé tout mourir. 5
1. Sprache signifie en allemand, intraduisiblement, « langue » et « parole ». Voir à ce sujet la note 1, p. 11, de « La Parole »
(dans Acheminement vers la parole, traduit par François Fédier, Éditions Gallimard, coll. « Tel », Paris, 1976 (pour le texte
allemand : Unterwegs zur Sprache, Éditions Klett-Cotta, Stuttgart, 1959 (2003)).
2. Ibidem, p. 18. Nous avons (plus ou moins) légèrement modifié la traduction.
3. En s’aidant, peut-être, de ce que suggère Giorgio Agamben dans Le Langage et la mort (traduit de l’italien par Marilène
Raiola, Éditions Christian Bourgois, coll. « Détroits ») au sujet du trobar (p. 123) : « Ce dont ils [les poètes provençaux] font
l’expérience comme trobar remonte sans nul doute au-delà de l’inventio : les troubadours ne cherchent pas à évoquer des argu-
ments déjà assignés à un topos, mais entendent, plutôt, faire l’expérience du topos de tous les topoi, c’est-à-dire de l’avoir-
lieu même du langage comme argument originaire, d’où seul peuvent surgir les arguments au sens de la rhétorique classique ».
4. La traduction du terme Gelaüt (« son, tintement, résonance ») soulève, comme celle d’ailleurs de tout le lexique hei-
deggérien, de nombreuses et profondes questions. Nous les taisons ici, et espérons au moins, par le choix (imprudent) de res-
son, faire entendre quelque chose du Gelaüt der Stille (« résonance, recueil du silence »).
5. Ibidem, p. 25. Traduction légèrement modifiée.
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1. « La différance », dans Marges – de la philosophie, Éditions de Minuit, coll. « Critique », Paris, 1972, p. 29.
2. Voir, là encore, Agamben (Le Langage et la mort, op. cit., p. 121) : « La ratio inveniendi devint, pour les poètes pro-
vençaux, razo de trobar, et c’est de cette expression qu’ils tirèrent leur nom (trobador et trobairitz) ».
3. « L’homme habite en poète », dans Essais et conférences, Éditions Gallimard, coll. « Tel », Paris, 1958, p. 235.
4. Ibidem.
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Le nom de l’être se trouve ainsi « pré-compris dans tout langage en tant que tel et –
c’est l’ouverture de Sein und Zeit – seule cette pré-compréhension permet d’ouvrir la
question du sens de l’être en général, par-delà toutes les ontologies régionales et toute
la métaphysique »1. Mais si l’être « parle » à travers toute langue, il ne parle purement
qu’au lieu de la poésie, en tant qu’elle est accueil et recueil du tacite – i.e. du négatif.
En ce sens, le lieu du poème est un lieu « négatif ». D’où la nécessité de concevoir le
topos poétique comme lieu paradoxal : tout poème est ainsi identiquement poème du
lieu et du non-lieu, trobar abyssal en quoi s’annonce la dis-location du «purement parlé»,
sa dissémination dans l’ordinaire de la langue, dans le vertige illimité du précompris.
En ce sens, comme lieu paradoxal, le lieu du Gedicht est, d’emblée, en rapport avec un
Dehors simplement « littéraire » (i.e. impur), et non purement poétique 2.
Le troisième temps de sa réflexion donne cependant à Derrida l’occasion d’assumer
la filiation rapportant la déconstruction à un certain tour – l’ultime, sans doute – du
texte heideggérien. Certes, la détermination de la parole de l’être comme l’unité d’auto-
affection pure d’une seule voix rédime la différence du signe, transcende la diversité
des langues, et, plus gravement, occulte la différance de l’écriture, sur laquelle Derrida
ne cesse d’attirer notre attention. Mais Heidegger lui-même reconnaît ceci, que De la
grammatologie souligne, et dont l’ouvrage paraît – pour une part – admettre l’héritage :
« La voix des sources ne s’entend pas. Rupture entre le sens originaire de l’être et le
mot, entre le sens et la voix, entre la “voix de l’être” et la “phonè”, entre l’“appel de
l’être” et le son articulé » 3. Cette rupture ouvre l’espacement pur de la différence, à par-
tir de quoi le projet même d’une grammatologie trouve à se formuler. La « parole de
l’être » n’est pas une voix pleine, innocente et heureuse ; telle parole ne résonne qu’au
tact d’un faire silence (schweigen) en quoi, identiquement, elle parle et elle se tait. La
parole de l’être est donc, au sens derridien du terme, entamée par l’inscription diffé-
rentielle d’un silence, qui déjoue toute décision de transcendantalité. La « parole de
l’être » n’est pas, comme le serait une « voix des sources » authentique, présente à elle-
même dans le s’entendre-parler ; la parole de l’être se tait au cœur de la diversité des
langues, de la différence des signes, et de la différance de toute écriture. Le site où
s’accomplit le plus pur du parlé (rein Gesprochenes) est le lieu de l’absence. Ce qui, en
poésie, se trouve, au sens du trobar, c’est le négatif. D’où la rature, qui, dans Zur
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ne laisse lire le mot « être » que sous une croix (kreuzweise Durchstreichung). Cette
croix n’est pourtant pas un « signe simplement négatif ». Cette rature est la dernière
écriture d’une époque. Sous ses traits s’efface en restant lisible la présence d’un signi-
fié transcendantal. 4
La parole de l’être, dans la forme ultime de son affirmation, ne se passe pas d’une
« écriture », ou plus rigoureusement, d’une graphie qui désigne l’être en le biffant. Le
nom de l’être, ainsi, ne paraît que sous croix. Cette loi cruciale constitue sans doute une
violence faite à l’unité « transcendantale » pure de cela que nomme être. Mais la vio-
lence ne commence pas avec la croix ; elle commence avec le nom même qui en sup-
1. Ibidem.
2. Voir ci-dessous, « Le lieu de la croix ».
3. Ibidem, p. 36.
4. Ibidem, p. 38.
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porte la biffure : « Nommer, lit-on dans De la grammatologie, donner les noms […],
telle est la violence originaire du langage qui consiste à inscrire dans une différence, à
classer, à suspendre le vocatif absolu »1. Le geste de la croix ne constitue donc, à suivre
en toute rigueur l’analytique derridienne, qu’une répétition de la violence prime qui
définit l’a priori de toute nomination.
Quoi qu’il en soit, au-delà même de la reconnaissance d’une différence ontico-onto-
logique 2, demeure vivace, dans le discours heideggérien, le rêve d’un vocatif absolu
appelant (con-voquant) l’être sous chaque nom. Vocatif qui, depuis l’abîme d’une pro-
fondeur immobile, ne cesserait de résonner sous le nom, sous tout nom, et en particu-
lier sous les « noms » articulés par la parole poétique. Souvenons-nous de la lecture du
poème de Georg Trakl – Winterabend (« Soir d’hiver ») – que propose Heidegger, dans
« La Parole ». Il y décèle un enjeu essentiel : celui de la « nomination » (le « nommer »,
nennen) des choses à venir en présence («Qu’appelle cette première strophe? Elle appelle
des choses (Dinge), leur dit de venir » 3). Le poème, en son geste, est donc appel, voca-
tif. Le poème fait la présence ; et si Heidegger choisir de commenter ce poème de Trakl,
c’est sans doute parce que la puissance de l’« appel » y est non seulement le fait du
poème, mais encore son thème. Lisons :
Maint compagnon
Vient à la porte, par de sombres sentiers 4.
La figuration poétique constitue bien, ici, la scène d’un appel : à la con-venance des
signes du soir (la neige, la cloche, la table et la maison), ceux-là qui voyagent sont som-
més d’arriver. Leur (ad-)venue même paraît se produire comme réponse aux signes qui
résonnent au début du poème, sous la guise du « vocatif absolu » évoqué par Derrida.
Ainsi, le poème, profération des noms pour la venue des choses, nomme aussi – et du
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1. Ibidem, p. 164.
2. En témoigne notamment la manière dont, dans «La Parole», Heidegger interroge l’image poétique du «seuil» (Schwelle)
et tente de la saisir comme un des lieux de la Différence (Unter-Schied).
3. « La Parole », dans Acheminement vers la parole, op. cit., p. 23.
4. Poèmes majeurs, traduits par Jacques Legrand, Éditions Aubier, coll. « Domaine allemand bilingue », Paris, 1993,
p. 208-209. Voici le texte allemand : Wenn der Schnee ans Fenster fällt, / Lang die Abendglöcke laütet, / Vielen ist der Tisch
bereitet / Und das Haus ist wohlbestellt. / Mancher auf der Wanderschaft / Kommt ans Tor auf dunkeln Pfaden. Nous retra-
duisons.
5. « La Parole », dans Acheminement vers la parole, op. cit., p. 23.
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comme signifié transcendantal de tout signe, qui s’avive à l’appel de son nom, dans
l’espace résonant d’une onto-logie poétique. La poésie (Dichtung) est le lieu d’un rap-
port entre le vocatif pur – dictée de l’être et règne du nom – et la vocation, par quoi les
hommes répondent à l’avènement de cet appel, s’appropriant, comme mortels, à l’authen-
ticité de l’être. C’est précisément la chance de ce rapport que la croix interroge, de la
violence tacite de sa graphie.
Le lieu de la croix
La déconstruction, pourtant, ne se définit pas comme fin de l’âge des noms. Son dis-
cours se déploie à partir de la totalité des noms disponibles, selon la modalité que
Derrida nomme paléonymie. La paléonymie désigne, dans le lexique de la technologie1
déconstructrice, la nécessité de chercher des « pensées inouïes […] à travers la mémoire
des vieux signes » 2. C’est ainsi, on le sait, que la première époque de la déconstruction
(1967-1972) se caractérise, formellement, par une fidélité aux formes philosophiques –
et en l’occurrence, phénoménologiques – de la discursivité. C’est depuis l’assomption
de l’héritage rhétorique husserlien que s’écrit – entre autres exemples – La Voix et le
phénomène ; depuis, donc, ce qu’on pourrait appeler l’endurance pensive du logos de
la métaphysique. Dès lors, c’est encore la voix de la philosophie et, en elle, sans doute,
celle du savoir absolu, qui doit pouvoir dire « ce qui “commence” alors, “au-delà” du
savoir absolu » 3 au moment de La Voix et le phénomène. La déconstruction, à cet ins-
tant, ne requiert nulle autre langue que celle du logos philosophique, en tant que, par la
grâce d’une répétition, il s’ouvre à l’assomption de son propre dehors. La différance –
entre autres exemples – peut donc toujours être saisie comme un « concept » ; dès lors,
« elle reste un de ces vieux signes » ; et ce signe « nous dit qu’il faut continuer indéfini-
ment à interroger la présence dans la clôture du savoir » 4. C’est, à cet instant, la langue
philosophique dans sa traditionnalité, qui pourvoie seule les signes à partir desquels une
pensée est possible. L’innommable, évoqué par la conférence La différance – « plus
vieille que l’être lui-même, une telle différance n’a aucun nom dans notre langue »5 –
ne désigne pas l’attente, la patience ou l’impatience de noms qui ne seraient pas encore.
« “Il n’y a pas de nom pour cela” : lire cette proposition en sa platitude »6, écrit Derrida.
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Cet innommable est le jeu qui fait qu’il y a des effets nominaux, des structures rela-
tivement unitaires ou atomiques qu’on appelle noms, des chaînes de substitution de
noms, et dans lesquelles, par exemple, l’effet nominal « différance » est lui-même
1. Nous entendons le terme technologie au sens de « technique exposée », c’est-à-dire d’une instrumentation qui tout à la
fois réfléchit incessamment sa propre forme (notamment, dans la déconstruction, en la rendant visible), mais, du même mou-
vement, assume l’ex-position constante (i.e. le passage au dehors) qui l’anime.
2. La Voix et le phénomène, Éditions des Presses Universitaires de France, coll. « Quadrige », Paris, 1998 (1ère édition,
coll. « Épiméthée », 1967), p. 115.
3. Ibidem.
4. Ibidem.
5. Marges – de la philosophie, op. cit., p. 28.
6. Ibidem.
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entraîné, emporté, réinscrit, comme une fausse entrée ou une fausse sortie est encore
partie du jeu, fonction du système.1
1. Ibidem.
2. Voir à ce sujet Jacob Rogozinski, Faire part. Cryptes de Derrida, Éditions Lignes et manifestes, coll. « Essais », Paris,
2005, p. 22 : le terme crypte, indique J. Rogozinski, désigne chez Derrida « à la fois une sorte d’enclave interne, un caveau hanté
par un fantôme, et un cryptage, le chiffre d’un nom ou d’un mot étranger où se dissimule un indicible secret ». Notons à cet
égard que la rature « encryptée » du nom de l’être engage irréversiblement le chiffrage – différentiel – de la totalité des noms.
3. De la grammatologie, op. cit., p. 38.
4. Ibidem.
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1. Ibidem, p. 99.
2. « La différance », dans Marges – de la philosophie, op. cit., p. 18.
3. Ibidem p. 25, note 1.
4. Ibidem, p. 4.
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L’Acte déconstructeur
La différance, Derrida ne cesse de le rappeler, n’est « ni un mot ni un concept ».
L’« économie de la mort » que nous avons évoquée n’est qu’un des effets conceptuels
du différer transcendantal ; et la différance n’est elle-même qu’un opérateur stratégique,
«le plus propre à penser […] le plus irréductible de notre “époque”»1. Différance nomme
donc une singularité stratégique ; l’un des lieux de décisions de ce que nous appellerons
plus bas l’Acte déconstructeur. Dans cette perspective, ce que nous allons aborder main-
tenant sous le thème de l’opérativité déconstructrice n’est ni une conséquence, ni une
prémisse, de la production du quasi-concept de différance. C’est qu’en effet « la pro-
blématique de l’écriture s’ouvre avec la mise en question de la valeur d’arkhè », inva-
lidant « la requête d’un commencement de droit, d’un point de départ absolu, d’une res-
ponsabilité principielle » 2. C’est la valeur même de « dépendance » logico-philosophique
qui se trouve suspendue par l’efficience quasi-transcendantale de la différance.
Comprendre la déconstruction requiert, paradoxalement, de la re-construire comme
cohérence – toujours précaire – d’un ensemble stratifié d’opérations de lecture et d’écri-
ture. La déconstruction n’est rien d’autre que la totalité technologique des protocoles
discursifs par lesquels le Discours (logos) de la métaphysique en vient à réversion, et
par elle, à l’assomption violente de ses propres limites. Selon la suggestion si profonde
de François Laruelle, tels protocoles « ne sont pas des prises de position d’un ego volon-
taire et rationnel à l’égard de la structure, mais des interventions violentes, agressives,
qui re-produisent (ré-inscrivent), la transformant et pervertissant, la composante diffé-
rentielle enchaînée dans le signifiant » 3. L’opération déconstructrice n’implique aucun
opérateur. Performance anonyme, elle hante la cohérence des structures constituées
comme la possibilité instante de leur répétition. Comme telle, l’« opération » est un fait
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1. Ibidem, p. 7.
2. Ibidem, p. 6.
3. Machines textuelles. Déconstruction et libido d’écriture, Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », Paris, 1976,
p. 40. Sans doute réduisons-nous ici la portée des analyses laruelliennes, dont nous faisons un usage essentiellement heuris-
tique. Rappelons – au moins – au lecteur que Machines textuelles propose une lecture croisée (transversale) des élaborations
de Derrida et Deleuze (mais pas seulement), et que l’appareil de ses concepts est tributaire d’une telle transversalité.
4. Ibidem.
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qui désigne, peut-être contre ce que veut ou ce que peut ? la déconstruction, l’indiffé-
rance active de la généralité (de l’écriture) au texte, voire à l’écriture ; ou le mouve-
ment tendanciel de destruction de la représentation linguistique du texte ; soit le pro-
1. Ibidem, p. 69.
2. Ibidem, p. 77.
3. Ibidem, p. 13.
4. Introduction à Edmund Husserl, L’Origine de la géométrie, Éditions des Presses Universitaires de France, coll. « Épi-
méthée », Paris, 1990, p. 171.
5. De la grammatologie, op. cit., p. 95.
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cessus de détextualisation qui est l’envers de la production textuale lorsque celle-ci est
rapportée à la libido intensive.1
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Ces traits [ceux du concept de mimésis] formeraient une sorte de cadre, la clôture,
les bordures d’une histoire qui serait précisément celle d’un jeu entre littérature et
vérité. […] Et cette histoire, si elle a un sens, est toute entière réglée par la valeur de
vérité et par un certain rapport, inscrit dans l’hymen en question, entre littérature et
vérité. 2
Maximum – de la déconstruction
Nous avons tenté de le montrer ailleurs 3, la « littérature », dans l’économie d’ensemble
de la déconstruction, peut et doit être rapportée à une question de maximum. La déter-
mination du « lieu » (littéraire) de ce maximum dépend en conséquence elle-même d’une
évaluation 4. S’il y a un maximum littéraire, si ce maximum promeut la déclosion de
l’immanence logocentrique, c’est d’abord parce que les textes littéraires apparaissent
comme « moins compromis par les modèles, les règles, les genres et autres instances
affectées aux fonctions de clôture », comme l’écrit Derrida dans Positions 5. Il ajoute,
dans le même recueil, que « certains textes classés comme “littéraires” [lui] ont paru
opérer des frayages ou des effractions au point de la plus grande avancée »6. Mais ces
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1. « La double séance », dans La Dissémination, Éditions du Seuil, coll. « Tel Quel », Paris, 1972, p. 203.
2. Ibidem, p. 208-209.
3. Jacques Derrida et la littérature. Problématiques littéraires d’une déconstruction, mémoire de DEA, dir. Bruno
Clément, soutenu à l’Université Paris 8-Saint-Denis en 2003. Voir aussi « L’Autre Texte : Derrida lecteur du littéraire », dans
« Les philosophes lecteurs », Fabula LHT (Littérature, histoire, théorie), n° 1, février 2006 (URL : http://www.fabula.org/lht/
1/Artous-Bouvet.html). Nous reprenons ci-dessous deux brèves analyses issues de cet article.
4. La question de l’« évaluation », par quoi, semble-t-il, la déconstruction demeure tributaire d’un certain nietzschéisme,
reste, dans ce contexte, à penser. Contentons-nous de rappeler que Derrida, dans « La différance », cite le Deleuze de Nietzsche
et la philosophie (Marges – de la philosophie, op. cit., p. 18) : « La quantité elle-même n’est donc pas séparable de la diffé-
rence de quantité. La différence de quantité est l’essence de la force, le rapport de la force avec la force ». Le maximum (objet
d’une évaluation) est donc lui-même différentiel.
5. Cité par François Laruelle, dans Machines textuelles, op. cit., p. 128.
6. Positions, Éditions de Minuit, coll. « Critique », Paris, 1972, p. 138.
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quelques textes dits “littéraires” qui définissent un degré plus actif et plus avancé de
déconstruction et qui […] sont moins compromis par les modèles, les règles, les genres
et autres instances affectées aux fonctions de clôture »1. Le « maximum » que nous évo-
quions relève donc d’une efficience déconstructrice de la littérature.
Ainsi, par l’infléchissement imperceptible d’une lecture, tel texte de Ponge (« Fable »)
devient spontanément déconstructeur. La première proposition du poème (« Par le mot
par commence donc ce texte ») produit à la fois un performatif et un constatif, et met
en crise par la même l’opposition de ces deux modalités énonciatives :
Sans la ruiner totalement, puisque aussi bien elle a besoin d’elle pour provoquer ce
singulier événement, l’économie fabuleuse d’une petite phrase très simple (parfaite-
ment intelligible et normale dans sa grammaire) déconstruit spontanément la logique
oppositionnelle qui s’en tient à la distinction intouchable du performatif et du consta-
tif et à tant d’autres distinctions connexes.
Est-ce que dans ce cas l’effet de déconstruction tient à la force d’un événement lit-
téraire ? Quoi de la littérature et de la philosophie dans cette scène fabuleuse de la
déconstruction ? 2
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commentant et texte commenté), de telle sorte que la citation paraisse intervenir comme
le semblable inobjectif, et non comme l’autre objectif du discours de commentaire. Soit
tel passage de « La double séance » :
La scène n’illustre donc rien que la scène, l’équivalence du théâtre et de l’idée, soit,
comme ces deux noms l’indiquent, la visibilité (s’excluant) du visible qui s’y effectue.
Elle illustre dans le texte d’un hymen – plus que l’anagramme de l’hymne – « dans un
hymen (d’où procède le Rêve), vicieux mais sacré, entre le désir et l’accomplissement,
la perpétration et son souvenir : ici devançant, la remémorant, au futur, au passé, sous
une apparence fausse de présent ».1
1. Ibidem, p. 237.
2. « Tympan », dans Marges – de la philosophie, op. cit., p. XVIII.
3. Même si l’« altérité » littéraire paraît, dans ce cas-là, bien délimitée et, comme telle, déterminée. La différenciation
typographique se trouve cependant sans cesse rejouée, déjouée, par les effets citationnels et mimiques qui rapportent l’une
à l’autre les deux « colonnes », ou colosses textuels.
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nuée : a. affection du texte derridien par le texte hégélien (et réciproquement) ; b. affec-
tion du texte derridien par le texte genettien (et réciproquement) ; c. affection récipro-
quée des textes de Hegel et de Genet, selon la ligne d’un partage impossible, d’un
« blanc » pur séparant Glas en deux colonnes. La lecture ainsi produite par le geste
déconstructeur avive l’instance d’une division sans décision, qui emporte, par le jeu de
la parenthèse et de la greffe, l’évidence ipséique de chaque « texte » ; il n’y a plus rien
que de l’hétérotexte :
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