D'Aristote À Thomas D'aquin: Les Grands Thèmes: Sommaire
D'Aristote À Thomas D'aquin: Les Grands Thèmes: Sommaire
D'Aristote À Thomas D'aquin: Les Grands Thèmes: Sommaire
SOMMAIRE
Economique et chrématistique
La "bonne monnaie"
Le "juste prix"
Le prêt à intérêt ou la question de l'usure
Economique et chrématistique
Economique et Chrématistique chez Aristote
Aristote (384-322 av. J. C.) dans la Politique (335-322 av. J. C.) traite des
rapports entre l'Economique et la Chrématistique.
Dans la Politique, Aristote affirme que l'homme est "par nature un animal
politique", c'est-à-dire un être social destiné à vivre en communauté. L'homme
doit s'insérer à la fois dans une petite communauté, la famille (communauté
"naturelle" par excellence) et dans une grande communauté, la Cité.
Fils de père et de mère athéniens, le citoyen est le seul à jouir de tous les droits
politiques et judiciaires. Il se réserve les activités militaires, mais il est avant tout
un propriétaire foncier. Il dirige sa "maison" ou "famille", qui comprend les
esclaves (serviteurs, laboureurs, artisans), ainsi que les biens de toutes sortes
(terre, bâtiments, bétail). L'activité agricole vise à l'auto-consommation et ne
revêt pas un caractère professionnel. Le citoyen participe à l'administration de la
justice et aux différentes fonctions politiques. Il doit développer les vertus actives
(activité physique, guerre) et intellectuelles, sans travailler.
Pour Aristote, l'Economique correspond à l'"administration domestique", c'est-à-
dire de la "maison" ou de la "famille". Ce vocable est forgé à partir de maison
(oikos) et de loi (nomos). Il s'agit de l'art du maître de "maison", dans l'usage de
la propriété. L'Economique appartient à la Politique, tout comme la famille
appartient à la Cité.
a) Il existe tout d'abord dans l'Economique l'art naturel au sens propre d'acquérir
les richesses, par la prise de possession directe ou par l'utilisation du travail des
esclaves. La possession directe renvoie à la guerre, la pêche, la chasse, sans
oublier la rapine. La guerre a été une source essentielle pour
l'approvisionnement en esclaves des athéniens. L'utilisation du travail des
esclaves dans les activités d'agriculture, d'apiculture, d'élevage permet à la
famille d'obtenir les produits de la terre.
On retrouve donc bien le découpage aristotélicien entre la bonne et la mauvaise
chrématistique. Cependant, Thomas d'Aquin ne suit pas Aristote dans sa
condamnation du commerce proprement dit. Il admet que le profit modéré n'est
pas nécessairement contraire à la vertu, si l'intention du commerçant est
moralement bonne : pour subvenir à sa famille, pour secourir les indigents, pour
l'"utilité sociale", afin que son pays ne manque pas du nécessaire. Dans la
Scolastique, le profit peut être assimilé à une sorte de salaire qui récompense la
peine, l'effort fourni.
La "bonne monnaie"
La monnaie chez Aristote
Au livre V de l'Ethique à Nicomaque, après avoir traité, au sein de la "justice
particulière", de la "justice distributive", puis de la "justice correctrice" (dans les
transactions privées volontaires et involontaires), Aristote introduit une troisième
forme, la "justice réciproque". Il est nécessaire de respecter dans les échanges
l'égalité proportionnelle entre les choses : "Soit par exemple A un architecte, B
un cordonnier, C une maison et D une chaussure [_]. Il doit donc y avoir entre un
architecte et un cordonnier le même rapport qu'entre un nombre déterminé de
chaussures et une maison (ou telle quantité de nourriture), faute de quoi il n'y
aura ni échange ni communauté d'intérêts ; et ce rapport ne pourra être établi
que si entre les biens à échanger il existe une certaine égalité" (Ethique à
Nicomaque, traduction de Jules Tricot, Paris : J. Vrin, 1990, pp. 240-242). Les
biens se mesurent au moyen d'un étalon, le besoin réciproque, le lien de la
communauté d'intérêts. Or, le substitut du besoin est la monnaie (ou numisma),
qui existe "non pas par nature, mais en vertu de la loi (nomos)". En tant que
"mesure", la monnaie "rend les choses commensurables entre elles et les amène
ainsi à l'égalité" : ainsi, une maison pourra-t-elle s'échanger contre x paires de
chaussures. En l'absence provisoire d'échange, la monnaie est une "sorte de
gage" ; en effet, bien que soumise aux mêmes fluctuations que les autres
marchandises, elle tend à une "plus grande stabilité" (Op. cit., p. 244). Aristote
met l'accent sur les fonctions unité de compte et réserve de valeur de la
monnaie.
Le "juste prix"
Le "juste prix" dans la Scolastique
Reprenant chez Aristote la notion de "justice distributive", Albert le Grand et son
disciple Thomas d'Aquin vont fondre celles de "justice correctrice" et de "justice
réciproque" dans celle de "justice commutative". Ces deux aspects de la justice
sont présents derrière les questions relatives à la propriété et au "juste prix"
(justum pretium) des marchandises.
Le "juste prix" est apprécié par l' "estimation commune" (communis aestimatio),
qui peut être attestée par des hommes sages, non impliqués directement dans la
transaction, un prix coutumier, fixé en dehors de toute man?vre d'accaparement,
de monopole de vente. En fait, le "juste prix" est délimité à l'intérieur d'une
fourchette variable selon le temps et le lieu. Vendre au dessus de la limite
supérieure (pretium summum) est une injustice commise envers l'acheteur (profit
illicite), vendre au dessous de la limite inférieure (pretium infimum) est une
injustice commise envers le vendeur, qui ne pourra pas entièrement couvrir les
frais de production du bien.
Mais le "juste prix" peut correspondre aussi à un prix légal, fixé en cas de
nécessité par les pouvoirs publics (l'échevin au niveau local ou le Roi au niveau
national), par exemple un prix maximum pour le pain.
Dans le cas des biens fongibles, tels que le blé ou le vin, on ne peut pas séparer
l'usage de la chose et sa propriété. Le seul contrat acceptable est le "mutuum",
ou prêt gratuit par lequel la propriété du bien est transféré à l'utilisateur. On a
donc là un rapprochement possible avec un contrat de vente. Il n'est pas
possible pour les biens fongibles d'établir un contrat équivalent à la location.
Or, la monnaie va être assimilée aux biens fongibles, car elle existe pour être
consommée, certes pas exactement dans le même sens que le blé ou le vin,
mais au sens de dépense dans l'échange, quelle que soit la finalité
(consommation pure et simple ou investissement productif). Les théologiens
comme Thomas d'Aquin insistent sur le fait que la perception par le prêteur
d'argent d'un intérêt est absolument contraire à la justice, car on ne peut pas
exiger "deux compensations" : la restitution d'une même quantité d'argent et le
prix de son usage, ou l'"usure".
La "poena" est une pénalité que l'emprunteur devra acquitter s'il ne rembourse
pas son prêt à la date prévue. Elle est fixée ex ante au moment de
l'établissement du contrat de prêt (poena conventionalis). Dans la Somme
théologique, Thomas d'Aquin en accepte le principe : "Le débiteur qui retient
l'argent de son créancier au-delà du terme fixé lui fait tort de tout ce qu'il aurait
pu gagner avec cet argent" (Question 62, "De la restitution").
Le "lucrum cessans" (gain cessant). Ici, le prêteur aurait droit au même profit qu'il
aurait pu obtenir dans un emploi différent de son argent. On arrive ainsi à la
notion de coût d'opportunité. La validité de ce "titre" est évidemment la plus
discutée dans la littérature scolastique, car il conduit à reconnaître que la
monnaie peut être source de profit. Le gain futur étant aléatoire, cette indemnité
pour manque à gagner ne peut être fixée à l'avance, mais a posteriori. Si l'on fait
entrer le "lucrum cessans" ex ante dans le contrat, le prêt à intérêt deviendrait
alors licite. De nombreux "canonistes" et théologiens le rejetteront encore au
XVe siècle et Thomas d'Aquin l'avait évidemment refusé: "Quant à une indemnité
pour le dommage résultant de ce qu'il ne tire pas profit de son argent, le prêteur
ne peut en imposer l'obligation, parce qu'il ne doit pas vendre ce qu'il ne possède
pas encore et qu'il peut en mille manières être empêché de posséder" (Somme
théologique, Question 78, "Du péché d'usure").
En fait, l'argent ne peut être productif qu'entre les mains de celui qui travaille à le
faire fructifier. Thomas d'Aquin indique que si une personne investit une somme
d'argent dans une entreprise artisanale ou commerciale, elle reste sa propriété
et, au même titre que ses associés, il participe aux risques et "il peut licitement
réclamer, comme venant de son bien, une partie du profit réalisé" (Somme
théologique, Question 78, "Du péché d'usure").
Bibliographie
Berthoud (Arnaud) : Aristote et l'argent, Paris : F. Maspero, 1981.
De Roover (Raymond) : La pensée économique des Scolastiques - Doctrines et
méthodes, Paris : J. Vrin, 1971.
Finley (Moses I.) : Economie et société en Grèce ancienne, Paris : La
Découverte, 1984.
Lapidus (André) : Le détour de valeur, Paris : Economica, 1986.
Polanyi (Karl) : "Aristote découvre l'économie", in : Polanyi (Karl) et Arensberg
(Conrad), Les systèmes économiques dans l'histoire et dans la théorie, Paris :
Larousse, 1975.