Ecritures Créatives
Ecritures Créatives
Ecritures Créatives
Nicole Biagioli
NICOLE BIAGIOLI
ÉCRITURES CRÉATIVES
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DE l’AUTODIDAXIE PROFESSIONNELLE À LA DIDACTIQUE DE
L’ÉCRITURE LITTÉRAIRE
Écrire cela s’apprend, est le titre d’un article que J. Ricardou, écrivain et
théoricien du Nouveau Roman et instituteur fait paraître en 1984 dans le premier
numéro de Texte En Main, revue universitaire consacrée aux ateliers d’écriture.
Pour comprendre cette double évolution du champ de la production littéraire et de
l’appareil scolaire, il faut remonter à la naissance de l’atelier d’écriture à la
française (Oriol-Boyer, Bilous, 2011). Celui-ci prend sa source dans la littérature
à contraintes (Formules, n°4, 2000). Déjà présente dans l’antiquité, la contrainte
littéraire est illustrée à la fin du Moyen-Âge par les grands rhétoriqueurs, puis
connaît une vie souterraine mais perceptible chez tous les auteurs qui partent du
signifiant pour créer du signifié. Comment j’ai écrit certains de mes livres (1937),
ouvrage posthume dans lequel R. Roussel (1877-1933) dévoile ses procédés
d’écriture, est le point de départ de la réflexion contemporaine sur la contrainte en
littérature. La créativité n’appartient plus en propre à l’individu. Elle peut être
induite par des mécanismes qui relèvent de ce que l’école de Palo-Alto
(Watzlawick et al.; 1972) définit comme prescription du symptôme. Au lieu de
traquer le lapsus phonique ou syntaxique, on s’en sert comme embrayeur
d’écriture.
La contrainte n’est qu’un outil. Elle n’est pratiquée de façon indépendante
qu’à titre d’entraînement. Loin d’éliminer la responsabilité de l’auteur, elle lui
permet tout à la fois de se former et de se prolonger dans son texte. Que l’on
pense à la façon dont G. Perec utilise le lipogramme dans La Disparition, ou J.
Ricardou son patronyme dans La Conquête de Constantinople. C’est à ce postulat
commun qu’en dépit de leurs différences, souscrivent les deux groupes littéraires
qui ont le plus influencé la théorisation des écritures créatives : le Nouveau
Roman et l’OULIPO.
La transposition de cette méthodologie dans l’institution scolaire s’est révélée
particulièrement épineuse. On distingue deux périodes (Biagioli, 2016).
L’introduction, de 1980 à 2000, a bénéficié de deux adjuvants : les pionniers :
écrivains, théoriciens et enseignants qui réunissaient dans leur personne les
conditions indispensables à la transposition didactique de l’écriture littéraire, et la
linguistique textuelle, dont l’essor a permis d’intégrer dans les projets d’écriture
les apports de la grammaire et de la lecture littéraire. L’intégration définitive, à
partir des années 2000, va progressivement vider les écritures créatives de leur
sens. La tâche d’écriture, le plus souvent hypertextuelle, devient un simple
prolongement de la lecture littéraire. Imposée au baccalauréat, l’écriture
d’invention se borne à vérifier l’acquisition des savoirs sur la littérature à travers
des scénarios pseudo-fictionnels. Déconnectées de tout projet scriptural, les
écritures créatives changent d’identité et deviennent des « jeux littéraires ». La
petite fabrique de littérature (Duchesne et Leguay, 1985) publiée par un éditeur
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scolaire : Magnard, fournit aux enseignants un des premiers répertoires de
consignes créatives. Les livres du maître livrent des scénarios clefs en main pour
les mettre en œuvre en classe. Un des derniers ouvrages parus sous l’intitulé
Écritures créatives (Bara, Bonvallet, Rodier, 2011) a été édité au PUG dans la
collection Les outils malins du FLE, avec comme sous-titre : Des outils pratiques
pour animer la classe.
Conçue pour donner aux élèves une expérience d’auteur, la didactique des
écritures créatives repose sur trois principes : l’engagement, le décentrement par
le partage, et la réécriture (Bucheton, 1994). Elle ne limite pas la créativité à l’art,
ni l’art à la littérature. « Associée à tout exercice de la pensée quand elle devient
la pensée singulière (la pensée d’un sujet) » grâce au « rôle central donné aux
formes sémiotiques et […] au travail concret sur ces formes » (Chabanne et
Dunas, 1999 : 17), la créativité ordinaire qu’elle promeut renoue avec une
conception de l’art et de l’esthétique transdisciplinaire, sensible aux éléments
expérientiels communs : défamiliarisation, exploitation de l’émotion et de
l’intuition, primauté accordée aux formes sémiotiques (Schaeffer, 2015), et aux
spécificités des divers champs culturels.
On assiste actuellement à un retour en grâce des écritures créatives, à la
faveur de deux bouleversements : le passage de l’école au modèle d’évaluation
par compétences dans lequel la créativité a statut de métacompétence, et
l’apparition sur les réseaux sociaux d’un marché de la créativité fondé sur
l’intermédialité et la création collaborative (Chapelain, 2017). Ainsi les quatre
pistes de réflexion engagées par le colloque Écritures créatives : représentations
contemporaines, processus créatifs, nouveaux enjeux professionnels (Angers, juin
2018) : 1° Écrire, cela s’apprend, 2° Transmission et transferts de compétences,
3° Anthropologie et développement personnel, 4° Écritures, nouvelles
technologies et nouvelles socialités (Fabula, 2017), font explicitement écho aux
principes fondateurs de la didactique de la créativité littéraire.
Ce renouveau offre à la didactique de la littérature des opportunités
d’innovation dans l’école et d’extension dans la société. Dans les pratiques
scolaires, une tendance au rééquilibrage des relations entre lecture et écriture se
fait jour, avec des expérimentations privilégiant les traces de lecture et leur
transformation en textes originaux (Le Goff & David, 2008), textes qui peuvent
aussi bien être des images ou des objets (Biagioli, 2016). Un autre élément penche
en faveur du rôle décloisonnant de l’écriture : le métissage devenu inévitable entre
la didactique du français langue étrangère et celle du français langue première.
Tout écriture littéraire abordable pour des débutants facilite l’intégration
linguistique, culturelle et personnelle (Dompmartin-Normand, Le Groignec,
2015). De son côté, la mise en place de la formation tout au long de la vie a
favorisé l’essor des recherches sur les compétences adaptatives.
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Significativement, c’est le jardin d’enfants qui, parmi tous les dispositifs
didactiques, a été retenu pour modéliser cette méthodologie de la créativité
élargie. Dans le programme de ce retour aux sources de l’apprentissage :
Cultivating Creativity through Projects, Passion, Peers and Play (Resnick, 2017)
toutes les écritures créatives peuvent se reconnaître, et au premier chef l’écriture
littéraire qui l’a en grande part inspiré.
BIBLIOGRAPHIE
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l’écriture littéraire », dans Didactiques du français et de la littérature, éd. A.
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p. 59-71.
Mots-clés : Atelier d’écriture – Écriture d’invention – Écriture littéraire – Sujet
scripteur.
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CHABANNE, Jean-Charles & DUNAS, Alain, « La créativité « ordinaire », dans
« Écritures créatives », éds. N. Biagioli-(Bilous) & D. Bucheton, Le français
Aujourd’hui, n°127, 1999, p. 17-25.
CHAPELAIN, Brigitte, « La participation dans les écritures créatives en réseau de
la réception à la production », dans Le français aujourd’hui, n°196, 2017, p. 45-
56.
DOMPMARTIN-NORMAND, Chantal & LE GROIGNEC, Anne, « Un atelier
d’écriture créative en FLE », dans Éducation et sociétés plurilingues, n°38, 2015,
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DUCHESNE, Alain & LEGUAY, Thierry, Petite fabrique de littérature,
Magnard, 1985.
Ecritures créatives : représentations contemporaines, processus créatifs,
nouveaux enjeux professionnels (Angers 7, 8 9, juin 2018), Fabula, 29 Nov. 217,
Marc Escola.
Formules, n°4, 2000, Qu’est-ce- que les littératures à contraintes ?
ORIOL-BOYER, Claudette & BILOUS, Daniel (éds.), Ateliers d’écriture
littéraire, Actes du colloque de Cerisy de 2011, Paris, Hermann, 2013.
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Projects, Passion, Peers, and Play, Cambrigde, Massachussetts, London, The
MIT Press, 2018.
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