RFG 157 0059
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Frantz Maurer
Dans Revue française de gestion 2005/4 (no 157), pages 59 à 78
Éditions Lavoisier
ISSN 0338-4551
DOI 10.3166/rfg.157.59-78
© Lavoisier | Téléchargé le 28/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.146.110.228)
L’impact du risque
de marché
sur le résultat de l’entreprise
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L
a littérature de gestion est une grande consom-
n’échappe aujourd’hui à la
matrice du terme « risque ». Utilisé dans de nom-
nécessité de développer
une approche rigoureuse et breux contextes à des fins théoriques et métho-
systématique de la dologiques très différentes, des divergences importantes
quantification de ses sur la signification exacte de ce terme sont apparues. Il
risques. Le bon sens seul ne
en résulte qu’il est toujours aussi difficile de donner une
suffit plus en effet pour
estimer correctement les
réponse précise à une question apparemment simple :
risques de tous ordres, « qu’est-ce que le risque exactement ? ». Le débat sur la
ayant pour conséquences définition et la mesure du risque est en effet loin d’être
potentielles de lourdes
clos (Lacoste, 1997).
pertes financières. Ces
dernières années, les
En économie financière, la notion de risque est très
méthodes de mesure proche de celle d’incertitude. Une situation risquée est
et de contrôle des risques « une situation dont l’issue n’est pas totalement maîtri-
se sont considérablement sée par son initiateur et qui peut en conséquence réser-
développées. Cet article
s’intéresse plus
ver des surprises fâcheuses tout autant que plaisantes »
particulièrement à (Raimbourg, 2001, p. 827). Plus précisément, les deux
l’earnings-at-risk, un dérivé concepts de risque développés dans la littérature finan-
de la value-at-risk. Son cière sont le concept de variabilité des rendements
objectif est de préciser son
intérêt pour le manager en
montrant comment l’utiliser
de façon à préserver la
* L’auteur tient à remercier les deux rapporteurs de la revue ainsi que
performance de
le professeur André Labourdette pour leurs observations ayant permis
l’entreprise. d’améliorer notablement la version initiale de cet article.
60 Revue française de gestion
1. Pour un rapprochement de ces deux concepts et une application à la sélection de portefeuille, voir Albouy (1979).
L’impact du risque de marché sur le résultat de l’entreprise 61
Initialement développé afin d’optimiser fondé sur l’analyse des couples facteur de
la gestion des risques financiers dus aux risque-sensibilité (Bernard et al., 1996). Par
opérations initiées par les salles de mar- exemple, si la value-at-risk à 24 heures et
ché (Jorion, 1997), nous commencerons au niveau de confiance 99 % s’établit à un
par indiquer les quelques aménagements million de dollars, cela signifie qu’on a 99
imposés par le transfert des principes de chances sur 100 de ne pas perdre plus d’un
la VaR à l’entreprise. Puis, nous verrons million de dollars dans les prochaines
qu’un indicateur synthétique du risque de 24 heures2.
marché encouru, tel que l’earnings-at- La value-at-risk est un indicateur souple et
risk, permet au manager d’arbitrer plus puissant. Utilisé au niveau local d’un por-
efficacement entre différents profils tefeuille, d’un type de risque ou d’une
risque-rendement. Nous préciserons devise particulière, cet indicateur permet
ensuite les limites et conditions d’appli- de cerner l’origine du risque. De plus, le
cation de l’earnings-at-risk, et enfin, choix d’un niveau de confiance et d’un
nous présenterons un moyen simple de horizon de détention particuliers associé à
tester la performance de cette mesure du la définition d’une limite en value-at-risk,
risque. permet de retenir une stratégie claire et
bien identifiée par rapport au risque.
I. – TRANSFÉRER LES PRINCIPES Enfin, un des intérêts de cette approche est
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2. Pour une présentation en termes simples des différentes méthodes VaR, consulter Poncet (1998).
3. Beder (1995) a vérifié empiriquement que la VaR est très dépendante des paramètres, données, hypothèses, et
méthodes utilisées pour son calcul.
62 Revue française de gestion
4. Longin (1998) propose de mesurer le risque de marché directement à partir des queues de distribution. Sa
méthode s’appuie sur la théorie des valeurs extrêmes qui permet de prendre en compte explicitement les événements
rares tels que les krachs boursiers. La comparaison de la valeur VaR calculée à partir des chocs extrêmes avec celles
données par certaines méthodes existantes fondées sur la loi normale montre que celles-ci tendent à sous-estimer
l’importance des événements rares.
L’impact du risque de marché sur le résultat de l’entreprise 63
5. Il faut cependant introduire une constante de façon à refléter l’effet du cours du change sur le volume des ventes.
64 Revue française de gestion
6. La même définition s’applique dans le cas du CFaR, où la perte maximale estimée correspond alors à un mon-
tant de cash-flow.
7. De façon formelle, pour une variable aléatoire R, calculer la pire valeur possible RP (ou valeur « dans le pire des
cas ») pour un niveau de confiance α consiste à déterminer la valeur de RP à partir de la relation suivante : proba-
bilité (R > RP) = α.
L’impact du risque de marché sur le résultat de l’entreprise 65
CALCUL DE L’EARNINGS-AT-RISK
Situation de départ
FTZ est une multinationale américaine qui réalise une partie de ses ventes au Japon.
Chaque trimestre, l’entreprise comptabilise en dollars les ventes exprimées en yens sur
la base des cours de change JPY/USD de fin de trimestre. Dans le cadre de sa procédure
de planification annuelle, FTZ utilise des cours de change JPY/USD budgétés pour
chaque échéance :
La société FTZ veut calculer l’EaR dû aux variations du cours de change JPY/USD. Le
risque calculé couvre une période de 12 mois et le niveau de confiance est fixé à 95 %.
La date de l’analyse est le 30 septembre 1998.
Pour simplifier, on supposera que les prévisions de vente de FTZ seront réalisées. Par
conséquent, le seul risque encouru par l’entreprise est lié aux variations potentielles du
cours de change JPY/USD. Le revenu des ventes exprimé en milliers de dollars s’obtient
très simplement à partir de l’équation suivante :
où Xi est le taux de change JPY/USD, exprimé en JPY par USD, à la fin du i-ème tri-
mestre à partir du 30 septembre 1998.
Figure 1
PARAMÈTRES DE LA DISTRIBUTION DU JPY/USD ET TAUX FORWARD
(date de prévision : 30 septembre 1998)
Figure 2
DISTRIBUTION DES REVENUS DES VENTES-JAPON
(en dollars, 10 000 itérations)
L’impact du risque de marché sur le résultat de l’entreprise 67
8. R. Faure (1979) indique que la simulation de gestion aurait été inventée par le Suisse A. Galliker, avec sa Mai-
son de commerce fictive, dès 1926.
68 Revue française de gestion
9. Pour un exemple d’utilisation d’une procédure d’analyse du risque utilisant la simulation et le CAPM dans le
cadre de l’évaluation de projets, voir Hertz et Thomas (1990).
L’impact du risque de marché sur le résultat de l’entreprise 69
Figure 3a
DISTRIBUTION DES REVENUS
(pas de couverture du risque)
70 Revue française de gestion
Figure 3b
DISTRIBUTION DES REVENUS
(couverture du risque)
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même temps par une diminution de 5 mil- suivante : soit elle table sur un revenu de
lions de dollars des revenus attendus (le 105 millions de dollars en restant non cou-
montant cible de revenu passe de 105 à verte (et son revenu le pire possible est égal
100 millions de dollars). En d’autres à 80 millions de dollars avec un niveau de
termes, l’alternative pour l’entreprise est la confiance de 95 %, i.e., 105 mm de dollars-
L’impact du risque de marché sur le résultat de l’entreprise 71
EARa), soit sur un revenu inférieur, égal à rents types de risque (e.g., la corrélation
100 millions de dollars, mais associé à un entre certains marchés) et leur effet com-
revenu le pire possible supérieur, égal à biné potentiel sur la performance de l’entre-
90 millions de dollars au seuil de 95 % (i.e., prise.
$100 mm- EARb). Sur le plan managérial, La figure 4 représente des couples revenu
l’intérêt de ce type d’analyse est certain car cible/EaR correspondant à différentes stra-
il permet d’identifier le risque associé à des tégies de couverture envisagées par une
décisions alternatives, et aide ainsi le mana- entreprise. Trois stratégies sont possibles,
ger à atteindre ce qu’il estime être le profil représentées par les points A, B et C sur le
de risque approprié de l’entreprise qu’il graphique. Supposons que le revenu cible et
dirige. l’EaR associés à la stratégie de couverture
A (indiqués respectivement en ordonnée et
2. Earnings-at-risk et ratios cibles abscisse du point A) résultent d’une poli-
de couverture tique de gestion du risque consistant à
Un usage très fréquent en matière de ges- suivre des ratios cibles de couverture fixés
tion du risque consiste à fixer des ratios de façon arbitraire par l’entreprise (e.g.,
cibles de couverture (Beckers, 1996). Par couvrir 50 % de l’exposition au risque de
exemple, une entreprise qui réalise une part change, au risque de taux, et au risque-prix
de ses ventes à l’étranger est naturellement des matières premières sur l’année en
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Figure 4
RISQUE ET RETOUR ASSOCIÉS À DIFFÉRENTES STRATÉGIES
DE COUVERTURE
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Tableau 1
BUDGET DES DÉPENSES LIÉES À L’ACHAT D’OR
4e trim. 1er trim. 2nd trim. 3e trim.
1998 1999 1999 1999 Total
Achats d’or, once 5 000 5 004 5 004 4 979 19 988
USD par once 300 300 300 300
Montant cible de dépense, $000s $(1 500) $(1 501) $(1 501) $(1 494) $(5 996)
74 Revue française de gestion
Au lieu de retenir un prix constant sur la ser le prix moyen de l’or généré par le
période de $300 l’once d’or afin de déter- modèle VECM de prévision (voir le point 2
miner son montant cible de dépense totale de l’encadré page 65) pour chaque tri-
budgétée (tableau 1), l’entreprise peut utili- mestre, soit le tableau 2 ci-après.
Tableau 2
PRIX MOYEN DE L'OR (VECM)
Prix moyen de l’or (VECM) 30 septembre 31 décembre 31 mars 30 juin
1998 1998 1999 1999
USD par once 297,00 289,45 288,63 284,85
Avec ces prix, le montant cible de dépense unités monétaires, n’ont probablement pas la
totale budgétée serait alors de ($5,8 mm). La même signification pour l’entreprise.
dépense totale « dans le pire des cas » étant
toujours égale à ($6,38 mm), le dépassement IV. – TESTER LA PERFORMANCE
potentiel maximum par rapport au budget DE LA MESURE DE RISQUE
(niveau de confiance 95 %) s’élèverait à :
Le test de la performance de la mesure de
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utilisé pour spécifier la relation entre ce le risque mesuré surestime ou sous-estime les
résultat et les variables d’activité et de fac- « déficits » de résultats financiers, c’est-à-dire
teurs de risque de l’entreprise. Durant les les écarts défavorables observés par rapport
périodes de volatilité des facteurs de risque, au montant cible de revenu fixé par l’entre-
l’impact des modifications de taux de prise (i.e., revenu réalisé inférieur au revenu
change sur un indicateur d’activité comme cible). La figure 5 graphe les excédents/défi-
le volume des ventes fournit une informa- cits de revenu réalisés par rapport au montant
tion précieuse. Mais d’autres éléments tels cible comparativement à l’EaR prévu pour
que la politique de prix ou la stratégie chacune des périodes correspondantes.
concurrentielle de l’entreprise, par En faisant correspondre l’abscisse de temps
exemple, doivent être pris en compte afin à différentes échéances de reporting dans
d’améliorer la qualité de la mesure du l’entreprise, on obtient un résumé visuel de
risque. Il est souvent difficile d’identifier l’information nécessaire à l’évaluation ex-
les erreurs dues à une modélisation inadé- post de la performance du modèle de
quate de la relation entre le résultat et les risque. Par exemple, si les déficits de reve-
facteurs de risque. Or il est bien évident que nus réels sur un ensemble donné de
la performance de la mesure de risque cal- périodes excèdent les valeurs estimées de
culée dépend pour beaucoup de la formula- l’EaR (au seuil de confiance de 95 %) dans
tion de cette relation. significativement plus de 5 % des cas (i.e.,
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Figure 5
ÉVALUER LA PERFORMANCE DU MODÈLE DE RISQUE
L’impact du risque de marché sur le résultat de l’entreprise 77
estimé est vraisemblablement majoré. Amé- tionnel10. Les concepts maniés pour gérer
liorer un modèle de mesure du risque ces risques sont en effet les mêmes que pour
consiste donc à suivre sa performance dans les risques de marché, et passent notamment
le temps et à identifier sous quelles condi- par l’estimation de pertes potentielles.
tions spécifiques le modèle surestime ou Comme le soulignent Bernard et al. (1996),
sous-estime le risque. on peut raisonnablement prévoir qu’un jour
des modèles d’estimation des risques cou-
CONCLUSION vriront aussi des positions prises sur les
marchés immobiliers, des participations
En offrant un cadre de calcul standardisé
industrielles et divers autres postes de bilan.
pour quantifier l’impact du risque de mar-
Les cellules de contrôle des risques fourni-
ché sur le résultat de l’entreprise, la
ront dans la durée la base d’une étude de la
méthode de l’earnings-at-risk permet au
rémunération des risques pris, qui débou-
manager de mieux intégrer la dimension
chera naturellement sur des décisions d’al-
financière du risque dans sa vision de l’en-
location des risques par activités. Le pilo-
treprise.
tage stratégique des activités est ainsi
Les activités de contrôle des risques se sont
appelé à prendre de plus en plus en consi-
considérablement développées dans les
dération les notions de risque.
années 1990, et on peut penser à juste titre
L’amélioration des techniques de mesure
qu’elles sont vouées à une forte croissance
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duit par des dégâts financiers en cas d’erreurs humaines ou, ce qui est plus grave, de fraudes, mais aussi si les sys-
tèmes (informatiques, de communication, etc.) ne sont pas adaptés ou en panne, etc. Pour une application de la VaR
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