Désordre Dans Les Monnaies
Désordre Dans Les Monnaies
Désordre Dans Les Monnaies
Avant-propos
Jean-Louis Chambon
Introduction
Ne plus jamais oublier les taux de change
François Meunier
Chapitre 2
La valse à trois temps des systèmes monétaires…
Jean-Marc Daniel
Chapitre 3
Déséquilibres financiers : d’un Bretton Woods à l’autre
Isabelle Job-Bazille
Chapitre 4
La mal-intégration financière en zone euro et en zone dollar
Olivier Garnier
Chapitre 7
Taux de change émergents et flux de capitaux : une déstabilisation
durable
Julien Marcilly et Yves Zlotowski
Chapitre 8
Le retour du protectionnisme monétaire
Pascal Blanqué
Chapitre 9
Monnaie électronique et supervision monétaire
André Lévy-Lang et Jean-Bernard Mateu
Chapitre 10
Le système monétaire à la lumière du bimétallisme
François Meunier
Chapitre 11
Mondialisation financière : un nouveau « triangle d’incompatibilité »
Vivien Levy-Garboua et Gérard Maarek
Chapitre 12
Le DTS enfin ! Pour une refondation du système monétaire
international
Jacques Mistral
Bibliographie
Les auteurs
Index
Avant-propos
Jean-Louis Chambon
Suite aux crises et autres soubresauts qu’a connus la planète finance depuis
Bretton Woods, la première des missions assignées au système monétaire
international est celle de la stabilité financière.
C’est sur cette conviction, partagée par les économistes et les décideurs des
grandes puissances, que repose l’idée de la coopération économique et financière
internationale. Celle-ci vise naturellement, et prioritairement, à faire pros-pérer
une croissance durable permettant d’élever le niveau de vie des populations, de
prévenir et de se prémunir contre les dommages des crises systémiques.
Ainsi cet objectif d’une stabilité financière internationale, vision idéalisée pour
les uns, impérieuse nécessité pour les autres, s’est-elle affirmée au fil des années
comme l’un des plus précieux biens publics mondiaux par opposition à
l’instabilité financière, perçue comme « le grand mal », source de tous les
risques, politiques, économiques et sociaux et justifiant de facto des
interventions publiques aussi répétitives que coûteuses.
Ce grand combat « du bien contre le mal » agite le système monétaire
international depuis ses origines. Son architecture reste conçue et orientée par le
pouvoir politique (G7-G20 et autres institutions internationales formelles ou
informelles) et repose sur le couple banques centrales et FMI. Ce dernier agit
tour à tour comme conseiller des chefs d’État et/ou surveillant en chef puis
redresseur des torts lorsqu’il convient de responsabiliser ou de corriger les
dérives qui peuvent apparaître. Toutefois la grande difficulté de cette
gouvernance mondiale financière (si tant est qu’elle soit légitime et efficace)
tient à une autre réalité tout aussi prégnante.
En effet, l’instabilité est indissociable de tout système vivant. C’est vrai en
biologie moléculaire comme en économie. Aussi peut-on s’étonner avec James
Galbraith (2015) de cette obsession économique qui vise avant tout à rechercher
la stabilité alors qu’elle est la grande absente par nature du fonctionnement de
ces systèmes, comme le montrent toutes les études sur les interactions de leurs
différentes composantes.
Cette apparente incohérence nous renvoie vers la psychanalyse car si l’instabilité
nous fait peur c’est qu’elle réveille en nous la crainte de la mort, comme le notait
si merveilleusement Hermann Hess : « Nous la craignons, nous frémissons en
présence de l’instabilité des choses, nous voyons avec tristesse les fleurs se faner
et les feuilles tomber… » Convenons que les marchés financiers en sont une
cruelle illustration. Mais si notre salut passe par la stabilité financière, le grand
défi du système monétaire international devient, dans la formule lapidaire
d’Hyman Minsky (1992), « le devoir de stabiliser l’instabilité… ». La barre est
donc mise très haute pour nos régulateurs et les risques d’échec se sont
régulièrement concrétisés dans l’histoire monétaire.
Maîtriser donc, mais sans anéantir la capacité de nos économies, qui sont avant
tout des systèmes vivants, à réaliser des gains de productivité et, in fine, à
favoriser l’emploi, le tout dans les tensions liées à l’exubérance des marchés et
dans la guerre politique à laquelle se livrent les acteurs publics et privés pour
préserver leurs positions ou contester celles de leurs partenaires – aujourd’hui,
c’est le dollar et l’euro, hier le dollar et la livre sterling, demain le renminbi… ?
C’est de ces contradictions que naissent les grandes crises monétaires, comme
celles de l’implosion systémique des années 1930 ou de l’effondrement plus
bénin des années 1970, en passant par le choc de 2008 – d’intensité
intermédiaire et probablement moins mal géré –, avec à chaque fois la répétition
du même processus qui va de l’abandon des règles du jeu à la perte de confiance
généralisée qui emporte les monnaies dans une même spirale.
Les réponses apportées dans l’histoire à ces « désordres dans les monnaies » qui
sont rappelés dans cette nouvelle parution du Cercle Turgot illustrent les
tentatives laborieuses de la communauté internationale pour reprendre le
contrôle d’une planète finance mondialisée. Cette réflexion est bienvenue à deux
titres :
Par l’éclairage original de ses co-auteurs, elle présente une vision historique
et prospective sur l’un des thèmes les plus sensibles qu’affronte la
communauté internationale.
Elle rejoint une actualité monétaire particulièrement agitée : décollement du
franc suisse, quantitative easing de la BCE, avec d’autres épisodes
menaçants, du côté de la Russie et de la Grèce par exemple.
Le grand mérite des co-auteurs de cet ouvrage tient aux éléments de réponse
qu’ils proposent pour un retour à une coopération internationale aussi vitale
qu’espérée pour l’équilibre du monde.
Puisse cette « instabilité », avec les peurs qu’elle engendre parmi nous, y
compris chez les dirigeants les plus lucides, se révéler in fine l’accoucheur d’un
système monétaire international profitable pour tous « les terriens » et leurs
enfants, désormais plus conscients de ces nobles missions ?
Introduction
Sereine aussi parce qu’on en était passé à une forme de benign neglect. Ça
bouge, oui ! Parfois violemment, oui ! Et alors ? Beaucoup d’études tendaient à
montrer que cette agitation sur le marché des changes avait un impact finalement
moindre que redouté sur les économies. Par exemple, le dollar pouvait
violemment monter par rapport au yen, et les prix relatifs entre les États-Unis et
le Japon ne s’ajuster que peu et très lentement, les produits japonais devenant
alors très compétitifs aux États-Unis et les produits américains moins au Japon.
Pour autant, l’effet final était modeste sur les flux commerciaux entre les deux
pays au regard du choc initial. Les économies étaient-elles moins intégrées qu’on
le pensait ? Ou les produits négociés internationalement moins homogènes,
moins capables de se concurrencer ? Dans un papier important, Maurice Obsfeld
et Kenneth Rogoff (2000) donnaient une clé pour interpréter le paradoxe de cette
déconnexion : les coûts de transaction étaient beaucoup plus forts qu’imaginé,
surtout si on y incluait tous les frottements indirects du commerce international
que peuvent être les barrières de la langue, de réglementations, d’accès au
consommateur final, etc. Les économies avaient des protections naturelles,
même si elles s’intégraient de plus en plus par le jeu des marchés financiers
internationaux. Une devise n’étant rien d’autre qu’une monnaie négociée
internationalement, on retrouvait une sorte de « neutralité de la devise »
analogue à la neutralité monétaire chère aux économistes classiques du XIXe
siècle. La devise n’était qu’un voile, pour reprendre leur langage.
D’autant que les changes flexibles étaient d’une séduction difficile à repousser
pour la politique économique et, donc, pour les politiques tout court. Ils
permettaient à la banque centrale d’un pays de ne plus avoir en ligne de mire
obsessionnelle le taux de change de sa monnaie. La politique monétaire pouvait
se focaliser pleinement, quand elle fixait le taux d’intérêt ou le rythme
d’émission de la monnaie, sur des objectifs internes tels que l’inflation ou
l’emploi. C’était le « chacun chez soi » du point de vue monétaire, même quand
on pratiquait l’ouverture commerciale et l’ouverture des marchés de capitaux.
Dès lors, une économie ouverte ne différait en rien d’une économie fermée,
pourvu que le taux de change soit flexible. Le travail de la banque centrale en
était simplifié et pouvait se limiter au masterful inactivity, comme on le
recommandait autrefois aux diplomates du Foreign Office. On avait le meilleur
des deux mondes : la volatilité des changes donnait de la flexibilité au système,
et la politique monétaire du pays, désormais pleinement autonome, avait loisir de
ne pas s’en occuper.
Enfin, s’il y avait des entreprises ou des secteurs économiques plus sensibles aux
variations du change, on faisait confiance aux marchés financiers pour
développer des produits d’assurance permettant de reporter sur d’autres
investisseurs le risque de change dont on ne voulait pas.
Donc l’instabilité des changes n’affolait plus, presque au contraire. Au fond, elle
accompagnait ce que les macro-économistes et les banquiers centraux appelaient
à l’époque la « Grande modération », une conjoncture rêvée d’où les cycles
économiques semblaient avoir sinon disparu du moins s’être atténués, où la
volatilité financière restait sans effet sur la marche des affaires et où la politique
économique avait enfin trouvé la recette de la stabilité et de l’autonomie. La
volatilité du marché des changes était, d’une certaine façon, le prix à payer pour
la tranquillité sur le front, autrement plus important, de l’activité, de l’emploi et
du commerce extérieur. Une sorte d’exutoire à l’indispensable besoin de
respiration du système économique, protégeant la stabilité de l’ensemble.
Ceci ne valait bien sûr, dans la logique d’Obsfeld-Rogoff, que si les économies
n’étaient pas trop intégrées commercialement. Or c’était de moins en moins le
cas dans une région précise du monde, l’Europe, qui renforçait son union en
menant précisément une action de suppression de tous les obstacles au marché
intérieur. Quand quelques années après 1971, date de l’instauration des changes
flexibles, la Bundesbank décida de laisser flotter librement le deutschemark
contre le dollar, les autres pays de l’Union comprirent plus ou moins vite que la
donne avait changé. En raison de la domination de l’économie allemande dans la
zone, les autres monnaies en étaient réduites à s’accrocher au deutschemark. De
bon ou de moins bon gré, la politique monétaire de chaque pays passait à
Francfort, entre les mains de la Bundesbank, et non plus à la maison, sauf à
tolérer le pathos de dévaluations régulières, humiliantes politiquement, fortement
déstabilisantes pour l’industrie du pays et, surtout, vaines, parce que le gain de
compétitivité initial se diluait très rapidement en inflation interne en raison de
l’intégration économique des pays. On comprend la logique profonde du projet
de monnaie unique. Tant qu’à perdre l’autonomie monétaire, autant que ce soit
auprès d’une Banque centrale européenne plutôt qu’auprès d’une Bundesbank,
certes toutes les deux sises à Francfort, mais la seconde clairement moins
collégiale que la première. Voici quelque chose à toujours rappeler dans le débat,
parfois existentiel, sur l’euro. Le système était imparfait, on le sait à présent,
mais, dans la logique des petits pas chère aux pères fondateurs du projet
européen, c’était cette imperfection même qui allait, en butant sur les difficultés,
provoquer les réactions propres à les résoudre.
Par incidente ici, mais la remarque importe pour tout examen d’un bon système
monétaire international, il était quand même notoirement erroné de ne retenir,
comme garde-fou disciplinaire pour les États participant au système monétaire
européen, que les deux indicateurs « déficit public » et « encours de dette
publique » rapportés au PIB. Cela traduisait une obsession toute luthérienne de
frugalité en matière de dépenses publiques de la part d’un gouvernement
allemand qui avait su pourtant quelques années auparavant dépenser des
centaines de milliards de marks dans son OPA sur les Länder de l’Est – et avec
une aide très parcimonieuse de ses partenaires européens, chose à rappeler parce
que les Allemands, eux, se le rappellent bien. S’il fallait impérieusement que
cette leçon soit écoutée dans une France droguée à l’endettement public, ce ne
devait pas forcément être le cas dans d’autres pays : l’Espagne et l’Irlande, deux
des pays les plus touchés par la crise financière, étaient ceux qui avaient les
finances publiques les plus saines. En vérité, il fallait, comme dans toute zone
monétaire incomplète, prioritairement rester dans une logique de flux
commerciaux. Les clignotants à surveiller auraient dû être en premier la
compétitivité relative de chaque pays (et donc les trends d’inflation et de coûts
salariaux internes) et les balances commerciales intrazone. Mais l’intégration
financière et la disparition du risque de change, dans un monde financier devenu
extrêmement liquide et aveugle sur les risques de crédit, balayaient tous les
scrupules anciens. La statistique du solde commercial français, autrefois
attendue chaque mois avec angoisse par les fonctionnaires de Bercy,
n’intéressait plus personne. D’autant que les économistes parmi les plus avisés
s’y laissaient prendre. Par exemple, Olivier Blanchard, l’actuel économiste en
chef du FMI, indiquait dans un papier écrit avec Francesco Giavazzi (2002) que
les déficits commerciaux croissants enregistrés par le Portugal et la Grèce
étaient, toute précaution prise, dans l’ordre des choses : il s’agissait de pays en
rattrapage, qui avaient donc besoin de l’épargne venue des autres pays de
l’Union et qui l’investissaient a priori dans des projets rentables… Pour être
juste, la carence était aussi institutionnelle, y compris dans sa dimension
« statistique » : il est facile d’édicter et de suivre un indicateur tel que le déficit
public rapporté au PIB – pas forcément de le faire respecter ! – ; il est plus
difficile, et il faut pour le faire une instance de décision comme pourrait l’être
une direction du Trésor au niveau de la zone euro, d’interpréter des chiffres de
compétitivité et de coûts salariaux unitaires et de les mettre en action politique.
La crise de 2008, qui a muté en crise de la dette souveraine euro en 2010 et en
crise budgétaire aux États-Unis en 2011, a été un dur rappel à l’ordre. Barry
Eichengreen, dans le chapitre 1 de ce livre, le rappelle fortement. Non tant
qu’elle ait fortement aggravé la volatilité des changes – à vrai dire, la parité
euro-dollar, si on s’en tient à elle, est restée dans un couloir de plus ou moins
8 % autour d’un chiffre central de 1,33 $ entre fin 2008 et fin 2014, soit une
volatilité moindre qu’auparavant. Mais, fondamentalement, nous avions
désormais à la fois l’instabilité financière et une grave instabilité économique.
Les marchés financiers ne pouvaient plus être présentés comme les garants, par
leurs variations mêmes, de la stabilité ; ils en étaient les éléments perturbateurs.
Y compris sur les marchés des changes.
La réaction politique a été immédiate et immense, les parlements de tous les
grands pays se dépêchant d’édicter régulation sur régulation. Mais, pour notre
sujet, il est stupéfiant que les politiques se soient focalisés à l’extrême sur le cas
des banques, qui concentraient pour le grand public tous les maux de la terre –
elles n’en étaient responsables qu’aux trois quarts, pourrait-on dire plaisamment
–, ce que a conduit à un renforcement dans tous les sens de leur supervision.
C’est un point qu’évoquent Vivien Lévy-Garboua et Gérard Maarek en
introduction de leur chapitre 11 du livre. Les régulateurs laissaient totalement de
côté la question d’une stabilisation, d’une nouvelle réglementation, voire d’une
refonte du système monétaire international. Les deux seules initiatives à signaler
en sens inverse, comme le rappellent ci-après Jacques Mistral (chapitre 12) et
Barry Eichengreen (chapitre 1), ont été d’une part la colère du gouverneur de la
banque centrale de Chine devant ce qui était le risque fort d’une dégringolade du
dollar suite à l’imbroglio budgétaire entre le Congrès et le Trésor américain ; et
la commission mise en place par l’ONU et présidée par Joseph Stiglitz pour
réfléchir à un système monétaire plus stable. Pour le reste, rien du tout.
Or que nous apprenait cette explosion de la « planète Finance », pour reprendre
un terme du titre d’un précédent ouvrage publié par le Cercle Turgot (2009) ?
D’abord, que le même processus qui avait conduit les pays européens à réfléchir
sur leur intégration monétaire était en marche dans d’autres zones du monde. Les
économies s’intégrant, la mondialisation des échanges progressant, les chaînes
d’approvisionnement (global supply chains) sautant d’un pays à l’autre, il
devenait de moins en moins pertinent de parler de « neutralité » de la devise au
sens qu’en donnaient M. Obsfeld et K. Rogoff. Les à-coups monétaires avaient
des effets massifs sur les industries, introduisaient du risque et donc nuisaient à
la croissance. D’autant qu’il s’agissait de changes faussement flexibles. Le « jeu
de miroirs », selon le mot d’Isabelle Job-Bazille dans le chapitre 3, auquel se
livraient Chine et États-Unis dans leurs échanges commerciaux – on devrait dire
dans l’échange entre des biens fabriqués en Chine/consommés aux États-Unis et
des bons du Trésor américains – n’était possible à ce point qu’en raison d’un
accord plus ou moins toléré par les autorités américaines de ne pas laisser se
fixer librement la parité renminbi/dollar. C’est ce que rappelle Patrick Artus
(chapitre 5). Isabelle Job-Bazille soutient également l’idée que le prétendu
système de changes flottants n’était qu’une réminiscence du système de changes
fixes ajustables de Bretton Woods et qu’il en gardait les imperfections.
À titre mineur pour notre propos, certains mettaient aussi en doute, à l’occasion
de la crise de défiance généralisée, la capacité même des marchés à fournir à bon
prix de l’assurance financière aux entreprises contre leurs risques de change ou
de taux d’intérêt. Cela faisait croître de façon historiquement inédite la part du
secteur financier et des banques d’investissement dans le PIB ; cela nourrissait
les bonus des banquiers ; il était moins sûr que cela neutralise les effets des
risques financiers pour ceux qui les subissaient. Si l’on commençait à soutenir
que la volatilité était au moins pour partie endogène, causée par le
fonctionnement même des marchés, on n’était plus trop loin de la parabole du
pompier pyromane s’agissant des grandes banques d’investissement. Comme ce
sujet frappe aisément les opinions publiques, on comprend pourquoi la reprise en
mains de la réglementation s’est focalisée à ce point sur le seul domaine
bancaire, laissant de côté un aspect aussi important pour la stabilité financière
qu’est le système monétaire et financier international.
Plus significatif, l’avantage premier des changes flexibles, celui de rendre toute
son autonomie à la politique monétaire, était lui-même battu en brèche. Cela
s’est passé en 2013 à Jackson Hole, le lieu béni des rassemblements annuels des
banquiers centraux de la planète. Hélène Rey (2013) y présentait un papier très
simple, qui livrait quelques faits tout aussi simples, mais qui avait jusqu’ici
largement échappé à l’attention de cet aréopage. Comme rappelé plus haut, la
vision classique était par exemple que si la Fed baissait ses taux et faisait preuve
de largesse dans la création monétaire aux États-Unis, il restait possible pour les
banques centrales de l’Union européenne ou du Japon – et même des pays
émergents aux marchés financiers très peu développés – de rester restrictives en
maintenant des taux d’intérêt élevés. La variable d’ajustement serait le taux de
change – le dollar vis-à-vis de l’euro, du yen ou d’autres monnaies. Les changes
flexibles formaient une barrière protectrice.
Hélène Rey montre qu’il n’en va pas ainsi. Il y a empiriquement une forte
corrélation entre les flux de capitaux et entre les prix des actifs ; il y a un cycle
de crédit global. De plus, ce cycle de crédit est fortement relié à la conjoncture
monétaire et financière des grands centres financiers internationaux, à
commencer par celui des États-Unis. Autrement dit, il est vain pour un pays
périphérique de penser pouvoir s’isoler des décisions prises par la Fed, même
s’il adopte un taux de change complètement flexible. Ainsi, la politique de taux
bas adopté par Alan Greenspan aux États-Unis au début des années 2000 a
inondé de crédits le reste du monde. L’ajustement par les taux de change n’a pas
joué, comme si l’on en était resté à un système de taux de change fixes, cas où
un boom du crédit dans un pays dominant se déverse dans les pays voisins. (Pour
illustrer ce dernier point, le recyclage direct et indirect des excédents allemands
de balance courante dans la zone euro – qui maintient par définition un taux de
change fixe, et donc une sécurité de change pour les épargnants allemands – a
causé en particulier le boom meurtrier de l’immobilier en Espagne, une réalité
que les responsables allemands cherchent à ne pas voir.)
Une question importante est de savoir pourquoi les variations de change ne sont
pas suffisantes pour absorber les chocs qui adviennent dans le pays
financièrement dominant, alors qu’elles s’effectuent avec des coûts de frottement
infinitésimaux. Une raison possible, selon Hélène Rey, vient des grandes
institutions financières internationales et notamment, dans la période de montée
des tensions jusqu’à la rupture de 2008, des grandes banques européennes. Ces
banques se sont massivement refinancées sur le marché monétaire en dollars aux
États-Unis pour prêter dans le monde entier, y compris aux États-Unis. Vivien
Lévy-Garboua et Gérard Maarek (chapitre 11) analysent longuement le
phénomène et montrent qu’il a des conséquences également dans le domaine
prudentiel, c’est-à-dire sur la politique visant à maintenir la stabilité du système
financier. Le nouveau cadre prudentiel en cours de discussion au niveau des
instances monétaires des grands pays, en voulant à tout prix protéger le
contribuable, rentre dans des contradictions quand les grandes banques
internationales deviennent des acteurs clé du financement international.
L’ouverture financière, insistent-ils, dégrade la qualité des instruments
prudentiels s’ils sont exercés à un niveau purement national. La réflexion, et
l’urgence de mesures politiques, se déplace du simple sujet de la politique
monétaire en situation d’ouverture des frontières, vers la politique visant à
assurer la stabilité financière du pays.
Autrement dit, la politique de crédit facile conduite par la Fed est devenue une
politique de crédit facile pour le monde entier, quels qu’aient été les désirs
politiques des autres grands pays. Plus encore, le risque d’instabilité financière
que semblaient assumer les États-Unis devenait une instabilité financière pour le
monde entier. On disait que l’Amérique latine était la vassale en matière
monétaire des États-Unis ; c’était en fait l’ensemble des pays de monde qui le
devenait. Avec un risque de nature nouvelle à cette circulation mondiale du
crédit : le boom peut advenir précisément lorsque le pays en question doit au
contraire restreindre son offre de crédit. L’effet est alors déstabilisant. Il a été à
la base de la propagation de la crise financière des subprimes des États-Unis vers
le reste du monde. Il justifiait le comportement, pourtant irrationnel à première
vue, de suraccumulation de réserves de change par les pays exportateurs,
particulièrement en Chine et dans le reste de l’Asie, échaudés par la « crise
asiatique » de 1997-98. Ces stocks de réserves, très mal rémunérés, détournent
des ressources qui pourraient être investies à meilleur usage ; ils sont une sur-
assurance absurde du point de vue de l’optimum collectif. Et pourtant, il est de
l’intérêt particulier de chaque pays d’acheter cette « assurance », si chère qu’elle
soit.
Pour un banquier central « orthodoxe », cette dépendance arrivait comme un
cafard qui tomberait dans le potage familial. À nouveau, sa doctrine reposait sur
l’idée que le taux de change faisait le travail d’ajustement et d’isolation du pays
face aux chocs monétaires extérieurs. Si ce n’est plus le cas, il faut renforcer
l’arsenal défensif, par exemple penser au contrôle des changes, un mot tabou
dans ce qu’on appelait au FMI le « consensus de Washington » en matière de
politique de stabilisation, notamment dans les pays émergents. Le banquier
central restait lucide, bien sûr, et savait que les mouvements du taux de change
pouvaient soutenir sa propre politique. Pour illustrer ceci d’un exemple très
actuel, Mario Draghi souhaite en ce début 2015 maintenir des taux bas dans la
zone euro frappée d’un long malaise conjoncturel et d’un risque déflationniste. Il
lance quelques années après la Fed son propre programme de rachats de titres de
dette (le quantitative easing). Si l’on suit l’exemple des trois autres pays ayant
recouru à cet instrument (États-Unis, Royaume-Uni, Japon), son efficacité passe
par trois canaux :
Le canal des taux d’intérêt, qui stimule la demande d’investissement ou de
consommation de biens durables ; qui fait aussi grimper le prix des actifs,
actions ou obligations, et donc entraîner ce qu’on appelle des « effets de
richesse », propre à stimuler les achats de ménages se sentant « plus
riches ».
Celui du crédit, qui permet aux banques et autres institutions de se libérer
de leurs expositions sur leurs États respectifs et, donc, fait de la place dans
leur bilan pour du crédit à l’économie. De même, la baisse des taux
occasionne des plus-values pour les banques qui cèdent leurs titres à la
BCE, et donc des profits qui viennent regonfler leurs fonds propres.
Celui enfin, mais dit à voix extrêmement basse parce qu’on frise l’action
protectionniste et qu’il n’est pas dans le mandat direct de la BCE, du taux
de change : les taux d’intérêt bas, en faisant fuir les investisseurs étrangers,
font baisser l’euro et monter le dollar, avec un effet inflationniste recherché
sur les prix, positif sur la compétitivité et donc sur l’activité.
Ludovic Subran, dans le chapitre 6, s’attache à analyser la situation de l’euro et
les trois phases de sa crise ouverte en 2008. Il commente en particulier cette
initiative de la BCE. Positif sur le quantitative easing en général, il montre
néanmoins que le canal qui a le plus de chance de quelque efficacité est celui du
taux de change. La gestion de la politique monétaire passant principalement par
la parité de change – certes dans une conjoncture exceptionnelle –, voilà ce qui
semblait inimaginable dans un régime de changes flexibles, selon l’orthodoxie
monétaire !
Pascal Blanqué, dans le chapitre 8, va plus loin et développe longuement la
thèse, un rien provocante, que les politiques monétaires ne s’effectuent jamais
dans un monde irénique à l’abri des rapports de force internationaux. Elles sont
au premier rang dans la bagarre pour les parts de marché du commerce
international. Il est plus difficile, plus voyant et cela cause de nombreuses
distorsions, de faire du protectionnisme avec l’antique panoplie des droits de
douane ou des barrières réglementaires. Le taux de change fait du
protectionnisme soft, sans distorsion des prix relatifs, sans avoir à spécifier le
secteur industriel précis qu’il faut protéger et celui qu’on peut laisser à la libre
concurrence. C’est l’ensemble du secteur exportateur qui est aidé par une
politique de dépréciation de la devise. Le quantitative easing est dès lors un outil
de gestion du change, ou plutôt, dit à l’envers, toute intervention à la baisse du
change n’est qu’un quantitative easing. Seul M. Jourdain ne s’en apercevait pas.
Quand la Banque nationale de Suisse (BNS) cherche à éviter une appréciation
trop brutale du franc suisse, elle achète des titres étrangers en usant d’un
numéraire qu’elle peut produire sans limites, à savoir le franc suisse. Les
Abenomics au Japon reposent sur le même principe. Si M. Draghi avait voulu
agir plus directement, il aurait pu – horresco referens – directement faire acheter
par la BCE des titres de dette du Trésor américain. Tout cela ne fait pas échapper
au destin habituel des politiques protectionnistes : l’autre pays peut répliquer par
sa propre politique monétaire de dépréciation du change. Comptablement, les
taux de change ne peuvent pas tous simultanément baisser.
L’affaire suisse est intéressante. Elle est une répétition, souhaitons-le moins
tragique, de l’épisode de 1931 que raconte Barry Eichengreen. Après la crise
bancaire en Autriche et en Allemagne, la confiance quitta brutalement la livre
sterling puis, quelques mois après, le dollar des États-Unis. Ces deux devises
finirent par se détacher de la référence à l’or. Les flux de capitaux se sont alors
rués vers les quelques devises « sûres » qui restaient, c’est-à-dire celles qui
gardaient la référence à l’or, dont le franc suisse. Mais cette sécurité financière
était illusoire : s’agissant du marché des changes dans une économie au final de
petite taille, l’afflux de liquidités provoqua une flambée de la devise. La chute
violente de compétitivité qui s’ensuivit était gravement déstabilisante pour le
pays, de sorte que le supposé refuge financier risquait le désordre par hémorragie
industrielle. (Ce fut le cas aussi pour le franc français, imprudemment accroché à
l’or jusqu’à l’arrivée du Front populaire, ce qui n’a pas joué un rôle anodin dans
l’affaiblissement industriel du pays à la veille du conflit mondial.) Le dilemme
est ardu et s’est reproduit récemment à Berne et à Zürich, les deux sièges de la
BNS : soit maintenir le change et donc accumuler sans fin des devises
étrangères, ce qui laisse le flanc financier à découvert sachant les énormes pertes
de change si jamais la monnaie se mettait quand même à s’apprécier ; soit laisser
filer la monnaie à la hausse, mais en dégarnissant le flanc industriel. Il n’est
guère plus rassurant, en tout cas pour un « petit pays », d’avoir une monnaie
forte plutôt qu’une monnaie faible. À nouveau, pour faire écho au chapitre 11 de
Vivien Léby-Garboua et Gérard Maarek, le sujet du taux de change est autant lié
à la stabilité monétaire qu’à la stabilité financière.
Le désordre financier touche donc pleinement la sphère monétaire et financière
internationale. Des accidents peuvent advenir. Ils sont advenus dans le passé.
Dans les deux chapitres qui ouvrent le livre, Barry Eichengreen, puis Jean-Marc
Daniel (chapitre 2) se tournent vers l’histoire. Comment les grandes crises
monétaires du passé, en particulier celle épouvantable de 1930, et celle plus
anodine au final, de la fin de la référence-or du dollar dans les années 1970 ont-
elles pu se déclencher ? Où sont les failles sismiques à surveiller aujourd’hui ?
Comment les régimes monétaires du passé ont-ils été capables – ou non –
d’absorber ou de prévenir de tels chocs ? François Meunier (chapitre 10) le fait
en remontant un peu plus loin, au régime monétaire bimétallique or-argent qui
prévalait dans de nombreux pays, dont la France et les États-Unis, dans les trois
premiers quarts du XIXe siècle. Il est riche de leçons très actuelles sur le système
monétaire en place, à la fois dans l’examen du couple euro/dollar et dans
l’examen de l’équilibre financier fragile de la zone euro. Car les accidents
touchent aujourd’hui l’euro, selon des mécanismes qu’explique de façon très
claire Ludovic Subran. Ils touchent aussi les « monnaies émergentes », où se
posent de surcroît des questions spécifiques concernant l’accès aux marchés de
capitaux. Julien Marcilly et Yves Zlotowski traitent longuement du sujet dans le
chapitre 7. L’intégration financière internationale repose de plus en plus sur des
flux de portefeuille, ce qui entraîne de fréquentes déstabilisations des taux de
change émergents. Les flux d’investissements directs restent importants pour ces
économies émergentes mais très insuffisants pour répondre aux besoins de
financement. Patrick Artus relève aussi le fait, peut-être signe d’une rupture
historique, d’une inversion des flux de capitaux touchant la Chine : à la fois
signe d’investissements directs accrus de la Chine à l’étranger et fin du
déversement de hot money étrangère, cherchant des placements rentables en
Chine en se finançant en dollars ou en yens à l’extérieur.
Olivier Garnier (chapitre 4) analyse la nature du désordre financier dans les deux
zones, à la fois très différentes et très similaires, que sont la zone dollar, qui
comprend les États-Unis et la plupart des économies émergentes, et la zone euro.
Il montre la focalisation dans ces deux zones des flux financiers et des transferts
de risque entre un « cœur » et une « périphérie », ce qu’il appelle la « mal-
intégration ». Il en développe la thèse originale, et les propositions concrètes qui
s’ensuivent, qu’il est temps de moins se confier aux autorités monétaire et
budgétaire pour stabiliser l’ensemble – elles touchent désormais à leurs limites –,
mais davantage aux marchés privés, ce qui suppose d’accroître fortement le
financement international en fonds propres par investissements directs, plutôt
que par dette. On retrouve la fonction assurantielle des fonds propres que
connaissent bien les financiers d’entreprise.
Enfin, d’une façon quelque peu latérale au livre, mais probablement décisive
dans les décennies à venir, André Lévy-Lang et Jean-Bernard Mateu (chapitre 9)
regardent l’avènement prochain à grande échelle de la monnaie électronique, une
révolution dans les systèmes de paiement. Elle réduira considérablement le coût
de traitement des flux monétaires, et ceci dans tous les pays. Ses conséquences
industrielles sont insoupçonnées. Cela se fera-t-il dans l’orbite du système et de
la régulation bancaires actuels, en quelque sorte comme une extension des cartes
de crédit en usage aujourd’hui ? Ou bien, cela va-t-il occasionner un changement
plus radical, à l’image de ce que montre aujourd’hui le projet débutant du
bitcoin, à savoir un mode de régulation très décentralisé, ignorant la fonction de
compensation et de gestion du système tenue aujourd’hui par les banques
commerciales et les banques centrales ?
Il importe de penser à l’avenir du système monétaire international et aux façons
de l’améliorer dans le sens d’une plus grande stabilité, d’une meilleure
prévisibilité et d’un soutien plus solide à la croissance. Il faut le faire de façon
réaliste et résolue, prenant en compte les réalités politiques actuelles, en
distinguant le souhaitable du possible. Toutes les contributions à cet ouvrage en
font, par examen historique ou prospectif, le diagnostic. Jacques Mistral,
développant dans le dernier chapitre certaines pistes explorées dans son récent
livre sur le système monétaire international (voir Mistral, 2014), plaide en faveur
d’une remise sur pied du DTS, qui a été à ce jour la seule tentative au niveau
mondial d’un ancrage monétaire solide et potentiellement consensuel. Les
opinions peuvent différer à ce sujet, y compris pour les auteurs du présent
ouvrage, mais une conviction commune les anime tous, celle de la nécessité
d’une reprise en mains.
Partie 1
Le système monétaire international est dans les affres d’une crise existentielle.
Pour le comprendre, il suffit de se rappeler à quel point le système repose sur le
socle – si c’est bien le mot – de deux monnaies seulement : le dollar et l’euro.
Ces deux monnaies représentent à elles seules 85 % des réserves de change des
banques centrales et des États2. Elles s’élèvent à près de 80 % de la valeur des
droits de tirage spéciaux (DTS) utilisés dans les transactions entre le FMI et ses
membres. Plus des trois quarts des titres de dette libellés dans une devise autre
que celle du pays de l’émetteur sont en dollars et en euros. À elles deux, elles
font près des deux tiers du volume négocié sur les marchés des changes à travers
le monde. Le dollar et l’euro dominent donc les transactions internationales et
sont les lubrifiants essentiels du commerce et de la finance mondiale.
Pourtant aujourd’hui, leur stabilité est mise en doute et, partant, la stabilité d’un
système international qui repose sur leur large acceptation. Malgré la hausse
récente du dollar, sa réputation a été ternie en 2011 par un imbroglio politique
sur le plafond de la dette qui a révélé les écarts entre les partis politiques aux
États-Unis et a levé plus de questions que de réponses sur la capacité des
décideurs politiques à mettre en ordre les finances du pays.
Les doutes sur l’euro ne sont pas moins graves. L’endettement en Europe est
peut-être moindre qu’aux États-Unis, mais la zone euro a divergé entre une
Europe du Nord relativement vigoureuse, avec des finances saines, et une
Europe du Sud avec des dettes écrasantes et des perspectives de croissance très
faibles. Contrairement aux États-Unis, l’Europe n’a pas de système fiscal fédéral
pour transférer des ressources entre régions prospères et régions en difficulté, et
répugne à en créer un. Elle est réticente à doter son Fonds européen de stabilité
financière (FESF) d’une puissance de feu à même d’aider les États en détresse et
réticente tout autant à pousser la BCE à de larges achats de leurs obligations de
peur que le FESF et la BCE deviennent précisément les mécanismes par lesquels
l’argent du contribuable européen (lisez « allemand ») est transféré aux pays en
crise. Dans le même temps, on hésite à effacer les dettes non soutenables.
L’Europe du Sud en reste à opérer des réductions budgétaires brutales qui
poussent ses économies dans une récession plus profonde, affaiblissant encore
leur capacité à rembourser les dettes. Soumis à ces restrictions, leurs citoyens se
rebellent contre leurs gouvernements. Ils accusent l’Europe du Nord, intéressée
seulement à sauver ses banques, de se servir d’eux comme agneaux sacrificiels.
Les Européens du Nord, pour leur part, voient leurs voisins d’Europe du Sud
comme dispendieux, paresseux et corrompus, et certains le disent ouvertement.
Un sauvetage selon eux reviendrait à verser de l’argent dans un trou à rats.
Cela peint un tableau bien sombre de l’avenir de la monnaie unique. L’euro
resterait au mieux la monnaie faible d’une Europe en trouble permanent.
Certains vont plus loin et pensent que la faible croissance et les tensions intra-
bloc peuvent conduire les membres à abandonner leur projet d’union monétaire.
Chacun de ces scénarios saperait l’un des deux piliers du système monétaire
international.
Quel genre de système monétaire international aurionsnous s’il advenait de
véritables crises de confiance à la fois dans le dollar et dans l’euro ? Pourrait-il
soutenir les niveaux de commerce extérieur et d’investissement international
auxquels le monde du XXIe siècle s’est habitué ? Ou bien y aurait-il effondrement
du système monétaire international, ce qui voudrait dire une économie mondiale
étranglée ?
Les systèmes monétaires internationaux se sont déjà effondrés, dans les années
1930 et 1970. Ces expériences nous disent-elles comment les choses peuvent
tourner ?
1. Reproduit avec l’autorisation de Foreign Affairs. Copyright 2012 Council on Foreign Relations, Inc.
www.ForeignAffairs.com.
2. Source : FMI, chiffres à 2014.T3. Le dollar fait 62,3 % des réserves de change faisant l’objet d’une
déclaration des réserves par devise, l’euro 22,6 %.
3. Voir Eichengreen et Flandreau (2009) (2014).
4. Selon les estimations de l’époque par la Ligue des nations (pour 24 pays), reprises dans Ragnar Nurkse,
International Currency Experience, Genève, League of Nations, 1945.
5. Source : FMI, chiffres à 2014.T3.
6. Voir Jesse Mora et William Powers (2009).
Chapitre 2
On peut considérer que c’est le Bank Charter Act anglais de 1844 qui est à
l’origine des mécanismes monétaires contemporains et qui marque les débuts de
l’histoire du monde financier troublé dans lequel nous vivons. En organisant la
couverture or de la livre, cette loi lui a permis de devenir la devise de la
Révolution industrielle, c’est-à-dire d’être reconnue internationalement, de servir
de référence pour la fixation des prix mondiaux et de moyen de transaction lors
des échanges.
Il y aurait évidemment beaucoup à dire sur la longue période qui précède, celle
qui remonte à cette loi édictée par Crésus, le célèbre roi d’Asie mineure qui
donna à l’or son statut de monnaie privilégiée ; mais il y a aussi peu à en retenir
qui puisse inspirer les réflexions modernes. On pourrait certes rappeler le succès
du solidus de Constantin devenu de par sa frappe dans la partie ancienne de
Constantinople, c’est-à-dire Byzance, le « besant » dont chacun sait qu’il a tous
les mérites de l’or (cf. l’expression « ça vaut son besant d’or »). On pourrait
rappeler l’étrange succès du thaler de Marie-Thérèse, une monnaie autrichienne
émise en 1780. Ce succès a tenu à la puissance de la monarchie des Habsbourg
au XVIIIe siècle mais surtout à la forme de l’effigie de l’impératrice. Grâce à cette
effigie, ces pièces ont inspiré une confiance unanimement partagée sur des bases
quasi magiques, ce qui est l’essence même de la dynamique monétaire.
D’ailleurs, son nom déformé par des bouches anglo-saxonnes est devenu le
dollar…
1. Dans l’entre-deux-guerres, le bref épisode de retour aux changes flottants a été ponctué de crises
financières. D’où l’idée de retour à un ancrage monétaire, garant de davantage de stabilité.
2. L’absence de filet social de sécurité et les perspectives de vieillissement de la population participent
également à l’accumulation d’une épargne de précaution.
3. « Stériliser des réserves » signifie retirer la liquidité qu’elle a créée lorsqu’elle a racheté des devises
aux agents économiques. Elle le fait en vendant des actifs à son bilan ou en émettant des bons de
stérilisation rachetés par les banques.
Chapitre 4
Deux types de zones monétaires ont été mises en place à la fin des années 1990 :
d’une part, de façon formelle, la zone euro avec la création d’une véritable union
monétaire ; d’autre part, de façon informelle, une zone dollar que certains ont
assimilée à un « nouveau Bretton Woods » et au sein de laquelle un certain
nombre d’économies émergentes arriment leurs monnaies au billet vert de façon
plus ou moins rigide1. Elles sont toutes deux nées à la suite de crises de taux de
change et de balances des paiements : crise du système monétaire européen au
début des années 1990 et crise asiatique en 1997-1998.
Même si ces deux zones sont de natures radicalement différentes, elles partagent
un même objectif : surmonter le fameux triangle d’incompatibilité de R. Mundell
(1963) entre taux de changes fixes, autonomie monétaire et liberté de circulation
des capitaux. En théorie, l’adoption de changes flexibles combinée avec des
politiques monétaires strictement guidées par une cible d’inflation constitue le
meilleur moyen d’échapper à cette « impossible trinité » et d’éviter tout
problème de coordination et de mutualisation. En pratique, toutefois, la volatilité
excessive des taux de change et/ou un manque de crédibilité monétaire
conduisent bon nombre de pays à privilégier une certaine stabilité de leur taux de
change. Dans le cas de la zone euro, ceci a conduit à une renonciation totale et
irrévocable à l’autonomie monétaire. Dans le cas de la zone dollar, la
renonciation à l’autonomie monétaire reste partielle et révocable, mais elle
s’accompagne d’une suraccumulation de réserves de change et de restrictions
plus ou moins ciblées aux flux de capitaux.
Les crises systémiques qui ont touché, à la fin de la décennie 2000, d’abord le
« cœur » de la zone dollar puis la « périphérie » de la zone euro, ont toutefois
montré que, quel que soit le système monétaire retenu, une question restait non
résolue : dans quelle mesure peut-on concilier mondialisation financière et
stabilité financière ? Le fait le plus marquant des dernières décennies est en effet
l’envolée des flux bruts de capitaux circulant dans les deux sens (et non pas
seulement des pays excédentaires vers les pays déficitaires) et pour des montants
qui n’ont plus rien à voir avec les seuls besoins de couverture des balances
courantes. Par exemple, les encours bruts d’avoirs et d’engagements extérieurs
des États-Unis atteignent aujourd’hui environ 150 % du PIB pour les premiers et
175 % du PIB pour les seconds, à comparer à des ratios tous deux proches de
25 % au début des années 1980. Du fait de l’impact de la monnaie unique sur les
flux intra-zone, cette envolée est encore plus spectaculaire pour les pays de la
zone euro : dans le cas de la France, les avoirs et engagements extérieurs sont
passés d’environ 20 % du PIB chacun au début des années 1980 à près de 300 %
du PIB aujourd’hui.
En théorie, il ne devrait pas y avoir d’antinomie entre intégration et stabilité
financières : dans un monde « à la
Arrow-Debreu » où les marchés sont supposés complets, l’intégration financière
devrait au contraire apporter un surcroît de stabilité via des possibilités accrues
de diversification et de mutualisation des risques au niveau international.
Pourtant, comme on l’a vu aussi bien lors de la crise asiatique de 1997-1998 que
lors des crises systémiques de ces dernières années, l’intégration financière
semble au contraire avoir joué un rôle déstabilisateur, notamment via les
mécanismes de contagion et l’amplification du cycle interne de crédit par le
boom and stop des flux de capitaux externes.
Face à ce constat, il existe aujourd’hui la tentation de revenir en arrière en
matière d’intégration financière et de réintroduire, sous une forme ou sous une
autre, des politiques nationales de segmentation et de répression financières
(souvent rebaptisées « macro-prudentielles » pour apparaître politiquement
correctes). Cette tentation nous semble non seulement erronée mais dangereuse :
selon nous, les crises dans la zone dollar ou dans la zone euro ont été alimentées
non pas par un excès d’intégration financière mais par une mauvaise et
incomplète intégration des marchés de capitaux. En effet, cette intégration s’est
faite d’abord et avant tout via les flux de dettes (obligations gouvernementales et
privées, dépôts et prêts bancaires…) plutôt que via les flux d’acquisitions de
fonds propres (investissements directs, actions). Or, investir en fonds propres,
c’est accepter sur la durée les profits et les pertes des projets ou des entreprises
dans lesquels on investit ; investir en dette, c’est exiger d’être repayé à
l’échéance du prêt sans donner de garantie qu’on reconduira le prêt. Les profils
de risque et de liquidité sont très différents. D’où, dans le cas d’une intégration
reposant sur les marchés de dettes, à la fois une exposition excessive au risque
de liquidité externe et une demande, elle aussi excessive, d’assurance
« publique » externe2, que celle-ci se fasse pour les pays de la périphérie par
accumulation de la monnaie de réserve (zone dollar) ou par des mécanismes
monétaires ou budgétaires de mutualisation (zone euro).
Nous allons tout d’abord montrer comment cette « mal-intégration » financière a
contribué aux crises récentes dans la zone dollar et dans la zone euro, en mettant
en évidence les similitudes et les différences entre les deux zones en termes
d’assurance contre ce risque de liquidité externe. Dans la zone dollar, la crise
s’est concentrée sur le pays cœur (États-Unis) en raison des conséquences
déstabilisatrices de l’excès de demande d’actifs sans risque libellés dans la
monnaie de réserve (dollar). Dans la zone euro, la crise s’est au contraire
concentrée dans les pays de la périphérie du fait que, dans une union monétaire
sans véritable union budgétaire, les mécanismes d’assurance publique contre les
risques de liquidité externe sont nécessairement très contraints. Nous montrerons
ensuite en quoi et comment un plus grand recours aux investissements
transfrontaliers en fonds propres apporterait, dans les deux cas, une assurance
« privée » complémentaire et réduirait ainsi l’excès de demande d’assurance
publique externe.
Zone euro : flux nets de capitaux des pays du cœur vers ceux de la périphérie (flux
annuels moyens 2004-2006 – en Md€)
Total 128
Périphérie : CY, EE, EL, ES, IE, IT, MT, PT, SI, SK
Tout ceci montre qu’il existe, tant dans la zone dollar que dans la zone euro, une
demande d’assurance contre le risque de liquidité externe bien supérieure à
l’offre, notamment « publique ».
Pour résoudre ce problème, une première famille de solutions consiste à essayer
d’accroître l’offre d’assurance « publique ». La plupart des initiatives prises au
cours des années récentes s’inscrivent dans cette ligne, qu’il s’agisse par
exemple des accords de swaps entre banques centrales, des lignes de précaution
et de liquidité du FMI ou encore du Mécanisme européen de stabilité. Certains
ont même ressuscité l’idée d’une monnaie supranationale mondiale, bien que
l’expérience de l’euro ait montré qu’une monnaie commune ne suffisait pas à
elle seule à éliminer le risque de crises de financement « externe ». (Voir un
plaidoyer mesuré en ce sens de Jacques Mistral dans le chapitre 12 du livre.)
Toutefois, toutes ces propositions se heurtent d’une manière ou d’une autre à des
limitations d’ordre budgétaire. Elles nécessitent en effet toutes d’être garanties,
de façon ultime, par une capacité budgétaire (dans le cas d’un actif de réserve)
ou par des mécanismes de mutualisation budgétaire supranationaux. On retrouve
là une généralisation du dilemme de Triffin : pour accommoder la demande
d’assurance contre le risque de liquidité externe, il faut une offre la plus
abondante possible, mais cette abondance lui fait perdre de sa capacité
assurantielle.
Pour sortir de ce dilemme, ou tout du moins pour l’atténuer, une autre voie
existe. Elle a été insuffisamment explorée. Il s’agirait de recourir davantage aux
marchés privés de mutualisation internationale des risques et moins à l’assurance
« publique ». Le moyen le plus simple de le faire serait de promouvoir une
intégration financière internationale qui reposerait davantage sur les flux
d’investissement direct et en actions. Il est frappant de constater que, aussi bien
dans la zone dollar que dans la zone euro, l’envolée des flux transfrontaliers
constatée au cours des années 2000 (avant la crise) s’est faite d’abord et avant
tout via l’endettement externe. Or la dette externe est par nature un facteur de
risque systémique et ne permet pas une mutualisation internationale (elle permet
seulement une gestion intertemporelle des risques). De fait, toutes les études
empiriques confirment que les flux de dettes sont plus instables, qu’ils
exacerbent le cycle interne de crédit et qu’ils sont à l’origine des phénomènes de
sudden stop.
Dans le cas des pays émergents de la zone dollar, le recours à la dette externe
était surtout traditionnellement le fait des banques, alors que les financements
externes des entreprises non financières prenaient plutôt la forme
d’investissements directs. Cette configuration a évolué au cours des années
récentes. D’un côté, du fait de l’impact de la crise et du durcissement des
contraintes réglementaires pesant sur les grandes banques internationales, les
financements interbancaires en dollars à destination des pays émergents ne sont
plus aussi dynamiques qu’ils l’étaient au milieu des années 2000. De l’autre,
l’endettement externe en dollars des corporates émergents a nettement
augmenté, même s’il faut souligner que c’est à partir de niveaux initiaux
relativement bas. En outre, une bonne partie de cet endettement externe se fait
sous la forme d’émissions obligataires plutôt que de prêts bancaires8. Cette
évolution a vraisemblablement été stimulée par la politique de quantitative
easing de la Fed, qui a poussé les fonds d’investissement obligataires américains
à aller chercher du rendement hors des États-Unis. Comme souligné par H. S.
Shin (2013), cette tendance expose les pays émergents à des problèmes de
stabilité financière, dans le cas où ces fonds réalloueraient brutalement leurs
allocations en faveur des dettes américaines. Ceci renforce la nécessité de
promouvoir dans ces pays un financement externe plus stable sous la forme
d’investissements directs.
Le cas de la Chine soulève des questions spécifiques, compte tenu de l’ampleur
de ses réserves de change principalement investies en titres du Trésor américain.
Ainsi qu’elle a déjà commencé à le faire (voir Patrick Artus dans le chapitre 5),
la Chine aurait tout intérêt à diversifier ses avoirs externes vers davantage
d’investissements directs et en actions. Du point de vue du partage des risques,
ceci serait bénéfique à la fois pour elle (en réduisant son exposition à la
malédiction des pays excédentaires) mais aussi pour le système dans son
ensemble (en réduisant la pénurie d’actifs de réserve et le « levier » de la
position extérieure américaine). Le frein à ce mouvement se situe non pas tant du
côté chinois que du côté des pays susceptibles de recevoir les investissements
chinois en fonds propres : du fait de leurs liens encore étroits avec l’État chinois,
il y a souvent une crainte à céder à des entreprises ou investisseurs chinois la
propriété d’actifs, notamment dans les secteurs dits « stratégiques ».
S’agissant de la zone euro, il conviendrait de réaliser une sorte de conversion de
dettes externes en fonds propres. Ceci aurait un double avantage, comme le
développe en détail Olivier Garnier (2014). D’une part, d’un point de vue à court
terme, cela faciliterait le désendettement des pays de la périphérie. D’autre part,
dans une perspective à plus long terme, cela permettrait une plus grande
mutualisation des risques à l’intérieur de la zone euro. Pour amorcer ce
processus, nous proposons deux pistes.
La première est de créer une agence européenne dont le rôle serait d’acquérir et
de restructurer des actifs à privatiser, permettant ainsi une réduction de la dette
des États périphériques. Cela reviendrait à réaliser une sorte de conversion de
dettes en capital, tout en donnant davantage de temps pour réaliser les
privatisations dans de meilleures conditions. En particulier, dans le cas de la
Grèce, une telle solution serait plus acceptable par les États créanciers qu’un
effacement de dettes. Et plutôt que d’introduire du partage de risques par le
mécanisme complexe d’obligations indexées sur le PIB, selon la proposition
faite fin janvier par le gouvernement Tsipras, il paraît plus simple et efficace
d’attirer des fonds propres étrangers par le biais de cessions d’actifs.
La seconde proposition consiste, afin d’assurer un meilleur recyclage du surplus
structurel de la balance courante de l’Allemagne, à mettre en place dans ce pays
des fonds d’épargne à long terme qui investiraient des capitaux propres dans la
périphérie de la zone euro et bénéficieraient d’une garantie de l’État allemand.
D’un côté, ces investissements seraient favorables à la croissance à long terme
des économies de la périphérie. De l’autre, ils offriraient aux épargnants
allemands un rendement plus attractif que celui résultant du taux d’intérêt nul
auquel sont rémunérés les dépôts que les banques allemandes suraccumulent
stérilement auprès de la BCE. La garantie de l’État, nécessaire pour surmonter
l’aversion au risque des épargnants allemands, n’augmenterait pas pour autant
l’exposition des contribuables sur la périphérie, puisque les sorties de capitaux
induites par ces fonds réduiraient la position créditrice Target 2 de la
Bundesbank sur la BCE.
Ces propositions ne manqueraient pas de soulever certaines difficultés, d’ordre
politique et autres, dans les pays de la périphérie, mais celles-ci nous paraissent
surmon-tables. Chercher à compléter l’union monétaire par une plus grande
intégration capitalistique de la zone euro nous paraît aujourd’hui une démarche
plus pragmatique que de poursuivre en vain la chimère de l’union budgétaire.
1. Pour une analyse de ce « nouveau Bretton Woods », voir la contribution d’Isabelle Job-Bazille dans le
chapitre 3 « Déséquilibres financiers : d’un Bretton Woods à l’autre ».
2. Cette notion d’assurance publique externe se rapproche de la distinction faite par Landau (2013) entre
la « liquidité privée » créée par l’intermédiation financière privée et la « liquidité publique » créée par
les autorités monétaires et les garanties apportées par les autorités budgétaires.
3. C’est ce qu’on appelle, dans la littérature économique, le « péché originel » des économies
émergentes : contrairement aux États-Unis ou à la zone euro, elles peuvent difficilement s’endetter
dans leur propre monnaie auprès des non-résidents. En conséquence, en cas de crise de balance des
paiements aboutissant à une dépréciation de leur monnaie, elles subissent un net alourdissement de leur
dette externe. Voir à ce sujet le chapitre 7 de Jules Marcilly et Yves Zlotowski.
4. Cf. Fahri, Gourinchas, Rey (2011). Dans sa version originale, le dilemme de Triffin reposait sur le fait
que les États-Unis étaient condamnés à accumuler des déficits extérieurs croissants pour satisfaire la
demande internationale de réserves. Toutefois, dans le nouveau contexte de la mondialisation des flux
de capitaux, l’offre d’actifs de réserves en dollars peut se faire indépendamment du solde de la balance
courante des États-Unis par gonflement des flux bruts de capitaux (et donc gonflement de leurs stocks
d’avoirs et d’engagements extérieurs) : les États-Unis peuvent en effet s’endetter en dollars auprès du
reste du monde tout en réinvestissant à l’étranger les montants ainsi levés (en général sous la forme
d’investissements en devises étrangères, plus longs et plus risqués que les dettes figurant au passif de sa
position extérieure).
5. P.-O Gourinchas et H. Rey (2007) ont même comparé les États-Unis, du point de vue de leur bilan
externe, à un « capital-risqueur » mondial, qui emprunte en vendant des actifs domestiques peu risqués
(bons du Trésor) et investit dans des actifs étrangers risqués (dont des investissements directs et des
actions).
6. Au milieu des années 2000, Alan Greenspan, alors président de la Fed, avait qualifié d’énigme
(conundrum) la situation face à laquelle la Fed se trouvait : les taux longs américains ne remontaient
pas en dépit des hausses du taux directeur de la Banque centrale.
7. Les pays ayant un large excédent structurel de leur balance courante se retrouvent face à la
« malédiction » suivante : soit ils laissent flotter leur taux de change et doivent alors supporter une
tendance à l’appréciation de celui-ci ; soit ils cherchent à contenir l’appréciation de leur taux de change
en accumulant des montants massifs de réserves de change, mais alors ils s’exposent à un risque
important de pertes de change si leur politique se révèle tôt ou tard intenable (cf. l’exemple récent de la
Suisse).
8. Voir McCauley, McGuire, Sushko, 2015.
Partie 2
Structure par devises dans les réserves de change des banques centrales (en %)
L’Union européenne est à la croisée des chemins entre une simple zone de libre-
échange et un État fédéral, les États-Unis d’Europe, avec un vrai budget (et donc
des transferts possibles), une gouvernance et davantage de spécialisation
efficiente des économies. Construite pas à pas par des visionnaires, entrecoupée
de crises politiques, l’histoire de l’Europe reste encore à écrire. Celle de la
monnaie unique également. Fruit d’un compromis politique entre la France, qui
voulait en faire un instrument de politique européenne, et l’Allemagne, pour qui
l’indépendance de la banque centrale est non négociable, la zone euro n’est pas
une simple construction économique. Les bénéfices économiques de sa mise en
place sont indéniables, mais la zone euro 2.0, plus résiliente et porteuse, sera
plus politique. Explorons certaines pistes pour la renforcer et lui donner un rôle
de catalyseur de croissance.
À court terme, la maison brûle, il ne sert à rien de songer aux fondations. Il faut
stopper l’incendie et seule la BCE en a le pouvoir. Les réformes structurelles que
la Commission européenne et d’autres organismes appellent de leurs vœux ont
pour but d’accroître le taux de croissance potentiel de l’économie à long terme
mais ne permettent pas de combler l’écart de croissance actuel résultant de la
crise. L’insuffisance de croissance nominale doit être résolue rapidement.
L’activité économique se fait en monnaie sonnante et trébuchante. Croissance
des chiffres d’affaires et salaires, désendettement passent tous par davantage
d’inflation.
Le QE va mettre de l’huile dans les moteurs mais la croissance de la masse
monétaire a été insuffisante à partir de 2008. En visant un rythme de croissance
de M3 à 4,5 % (cible de la BCE), il faudrait injecter près de 2 000 Md€ dans
l’union monétaire. Si l’on se base sur le rythme de croissance de la masse
monétaire des années 2000-2007, c’est près de 4 000 Md€ qui devraient être
injectés. C’est le prix à payer pour avoir confondu trop longtemps une inflation
autour de 2 % et une inflation très en dessous de 2 %. Au-delà d’un QE massif
pour sortir du risque de stagnation séculaire, une meilleure communication est
indispensable. S’engager sur la croissance nominale ou sur un niveau de prix est
difficile en pratique mais la mise en place de jalons quantitatifs (forward
guidance) semble fonctionner outre-Atlantique. Dans la théorie monétaire
moderne, l’effet signal et la crédibilité sont essentiels. Il s’agit d’ancrer les
anticipations durablement pour créer un cercle vertueux. En effet, les
comportements d’investissement et de consommation d’aujourd’hui dépendent
des perspectives de croissance future. En influant sur la croissance attendue
demain par les agents, la BCE peut avoir une influence sur la croissance
d’aujourd’hui. La politique monétaire passe par la gestion de la croissance
nominale : les taux d’intérêt nominaux sont le reflet de la réussite ou de l’échec
de cette politique. Si les taux restent durablement bas, c’est que la politique est
un échec.
À court terme aussi, résoudre durablement toute crise qui touche à l’intégrité de
la zone euro est indispensable. En 2011 et de nouveau en 2015, la menace d’une
sortie de la Grèce fait partie des batailles politiques et non économiques de
l’euro. En effet, entre 2008 et 2014, l’exposition de l’Europe à la Grèce (prêts
des banques, exportations des entreprises) a diminué en valeur entre 40 % et
70 %. Pourtant, le défaut grec, ou sa sortie de la zone euro, reviendrait à ouvrir la
boîte de Pandore.
Enfin, la crise sociale que connaît l’euro doit faire l’objet de mesures à la
hauteur. Les taux de chômage des jeunes, deux fois plus importants que ceux de
la population active (déjà élevés), cachent une réalité économique : l’effet
cicatrice. C’est la productivité des adultes qu’ils deviendront qui est en jeu.
Plusieurs années de chômage lors de la transition école-emploi peuvent coûter
plusieurs points de pourcentage en salaire réel à l’âge adulte. L’instabilité
sociale, la distance institutionnelle et la montée des extrémismes menacent elles
aussi la survie de la monnaie unique.
1. Je tiens à remercier Frédéric Andrès sans qui ce chapitre n’aurait pas vu le jour.
2. Espagne, Grèce, Italie, Irlande et Portugal.
Chapitre 7
Source : Coface
Quelles sont les causes à la source de ces épisodes à répétition ? Les taux de
change des pays émergents sont-ils condamnés à cette volatilité ?
1. Vaste opération de rachat de titres de dette par la banque centrale contre sa propre monnaie ou encore
monétisation des dettes. Les objectifs habituellement assignés sont la baisse des taux d’intérêt et la
relance de la demande par une injection de liquidités dans l’économie. La BCE vient de lancer, le 22
janvier 2015, sa propre opération de QE, après la Fed, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon.
2. Brésil : taxe de 6 % sur les achats d’obligations par des étrangers ; Inde : interdiction à un non-
ressortissant de détenir des actions ; Vietnam : détention minimale d’un an de tout titre acheté sur le
marché des actions.
3. Les efforts récents de « réindustrialisation » ne modifient pas ce constat, qui forme la tendance lourde.
Partie 3
Le développement d’Internet est entré depuis quelques années dans une nouvelle
phase, avec l’extension du très haut débit, la mobilité généralisée et la diffusion
rapide et relativement peu coûteuse de l’accès au réseau. Cette combinaison est à
juste titre qualifiée de révolutionnaire : un grand nombre de domaines d’activité
doivent être repensés. Dans le commerce, la publicité et le marketing sont
devenus le domaine du big data et de la publicité personnalisée, et la distribution
est plus ou moins conquise par les ventes à distance. Mais la banque,
contrairement aux prophéties de la fin des années 1970 (« la banque, sidérurgie
de demain ») a été relativement moins affectée que, par exemple, la distribution
des biens ou le tourisme. Les banques gèrent encore l’essentiel de la monnaie et
font l’essentiel du crédit, au moins hors des États-Unis. Pourtant, il y a eu aussi
une révolution des systèmes de paiement : les cartes bancaires remplacent les
chèques et sont devenues cartes sans contact, et demain les téléphones portables
serviront aussi à payer. Révolution aussi des vitesses de transactions, notamment
en Bourse, de leur volume et de leur globalisation. Quelles conséquences pour la
supervision monétaire ?
Celle-ci a deux dimensions : la sécurité du système financier et la politique
monétaire. Cette supervision repose sur plusieurs données : la masse de
monnaie, sous ses différentes formes (M1, M2, etc.), sa vitesse de circulation, la
situation des banques et du crédit bancaire, celle des marchés financiers.
La monnaie électronique, au sens le plus large, peut avoir deux types d’effets sur
ces données :
Accélérer les transactions de toute nature : tant que ces transactions
s’opèrent dans le système bancaire, elles peuvent affecter la vitesse de
circulation, mais cela joue moins sur cette vitesse que les facteurs
économiques et psychologiques ; en revanche, la réaction des déposants en
cas de crainte de crise peut être plus rapide et violente, bien avant la ruée
sur les guichets.
Plus important pour la supervision : la monnaie électronique au sens large
crée des « poches de valeur » nouvelles, certaines hors système financier,
inconnues ou mal connues des autorités.
Une « poche de valeur » est une réserve potentiellement liquidable, mais non
liquide. Les obligations subprime en ont été un exemple redoutable, elles ont
déclenché la dernière crise.
Une poche de valeur mal connue est dangereuse si elle est d’un volume
« significativement systémique », et qu’il y a un doute sur sa valeur. Les
obligations subprime le sont parce que significativement systémiques,
dangereuses et sous-estimées par les autorités monétaires publiques et privées.
Les obligations souveraines de certains pays de la zone euro étaient des poches
de valeur systématiquement dangereuses mais bien connues.
Les porte-monnaie électroniques ou les téléphones chargés d’une réserve de
paiement sont des poches de valeur qui, aujourd’hui, ne sont pas dans ce cas.
Mais nous verrons que l’électronique a créé de très nombreuses poches de valeur
non contrôlées, dont pour le moment aucune n’est d’importance systémique
évidente. Cela n’exclut pas peut-être, un jour, que des innovations comme
Bitcoin, qui n’auraient pas existé sans le « Web » et qui méritent donc une
analyse, le deviennent : est-ce un épiphénomène ou la première d’autres
innovations potentiellement dangereuses ?
LA CRYPTOGRAPHIE
La cryptographie regroupe les techniques de chiffrement destinées à assurer la
confidentialité, l’authenticité et l’intégrité des données. Concrètement, grâce à
une clé de codage et à un algorithme de calcul, on transforme un message en
clair en un message incompréhensible. À partir de celui-ci, on ne pourra
reconstituer le message initial en clair qu’en utilisant une clé de déchiffrement et
un autre algorithme de calcul.
Cette discipline déjà très ancienne, puisque le premier document chiffré connu
est une tablette d’argile retrouvée en Irak et datant du XVIe siècle avant J.-C.,
bénéficie des progrès récents de l’arithmétique et de la puissance de calcul des
ordinateurs. En utilisant des techniques modernes, coder un message grâce à la
clé de chiffrement et décoder le message avec la clé de déchiffrement sont des
opérations rapides pour un ordinateur. Décoder le message sans la clé de
déchiffrement nécessite tellement de calculs que même les ordinateurs les plus
puissants ne peuvent y arriver.
En ce qui concerne bitcoin, « casser » le procédé nécessiterait aujourd’hui un
temps supérieur à l’âge de l’univers. Vouloir frauder de cette façon demanderait
tellement de moyens de calcul que le coût pour le fraudeur, s’il y arrive, serait
très largement supérieur au gain qu’il en retirerait. Il vaut alors mieux coopérer
que trahir !
LA TECHNOLOGIE BITCOIN
Voyons comment cela se traduit concrètement au niveau d’une transaction
Bitcoin.
Se plonger dans l’histoire monétaire est un exercice attrayant mais futile s’il
n’aide pas à mieux comprendre et peut-être à aménager le système monétaire qui
prévaut dans les échanges commerciaux et financiers entre nations. Le
bimétallisme donne une telle leçon. Il s’agit du système monétaire qui a prévalu
pendant la majorité du XIXe siècle dans de nombreux pays, dont surtout la France
et les États-Unis, et qui repose sur un double étalon, l’or et l’argent. Il se
rapproche bien sûr du système de l’étalon-or que retenait le Royaume-Uni et qui
l’a finalement supplanté dans la décennie 1870 après quatre-vingts ans de bons
et loyaux services.
Il était d’usage dans l’enseignement universitaire de discréditer ce système
monétaire parce que bancal et fragile. L’accusation est injuste. C’est Milton
Friedman, dans deux articles décisifs (1990a, 1990b), qui a revivifié l’intérêt
pour le bimétallisme et exhumé les arguments anciens montrant sa supériorité
face au monométallisme-or, ce qui a déclenché une vague nouvelle de recherche
sur ce système monétaire.
On ne cherche pas dans ce chapitre à recommander un retour de quelque sorte
que ce soit au bimétallisme or-argent, l’argent restant une « relique barbare »
pour reprendre le mot que réservait Keynes à l’or. Il s’agit d’en regarder les
mécanismes internes avec l’objectif d’un système monétaire international plus
stable, mieux capable d’éviter des chocs financiers majeurs et qui favorise les
échanges et la prospérité.
Car le système (ou le non-système) actuel, reposant depuis 1971 sur des changes
flexibles avec arrimage ou non de certaines monnaies au dollar ou à l’euro, ne
peut se targuer d’apporter ni stabilité financière, ni protection contre des
manipulations de la devise, ni même autonomie de la politique monétaire, ce qui
était pourtant son principal « argument de vente » lors de sa mise en place. Il a
indubitablement permis, mettons cela à son crédit, le formidable développement
des échanges commerciaux depuis quatre décennies, du moins jusqu’à la grande
crise financière de 2008. Mais cet avantage est ambivalent… dès lors qu’il y a eu
la grande crise.
D’abord, la volatilité des changes, inconnue à ce degré sous les régimes
monétaires précédents. Par exemple, au cours des treize ans de son existence, la
parité dollar-euro a pu varier presque du simple au double (un plus bas de 0,88 à
un plus haut de 1,60). Cette parité gouverne pourtant les relations entre deux
énormes économies, très diversifiées, raisonnablement proches dans leur
structure industrielle et surtout avec des taux d’inflation sur la période très
similaires. Ce qui veut dire que le rapport d’un à deux vaut aussi pour les taux de
change réels et donc la compétitivité. Certains économistes, par exemple K.
Rogoff (2001), tendent à minimiser l’impact de ces chocs sur les taux de change
réels, mais l’argument perd de son poids au fur et à mesure que les marchés
s’intègrent internationalement. C’est d’ailleurs l’importance des impacts réels
sur la marche des économies et sur leurs industries, on l’oublie trop à présent,
qui a poussé les très intégrées économies de l’Union européenne dans la voie de
la monnaie unique.
Ensuite stabilité. Le système actuel est incapable de prévenir les déséquilibres
durables de balance des paiements. Témoin le déficit de la balance courante des
États-Unis vis-à-vis de la Chine, un pays qui contrôle il est vrai la parité de sa
devise vis-à-vis du dollar (ce qui est d’ailleurs un argument pour les partisans
des changes flexibles pour qui l’expérience n’est pas poussée assez loin) : il
atteint, depuis maintenant deux décennies, des montants considérables. À la suite
de Raghuram Rajan (2003), on peut juger que ce déséquilibre massif a entraîné
des taux d’intérêt anormalement bas qui ont poussé les États-Unis et le secteur
financier occidental dans une spirale délétère de financement à crédit et
finalement à la crise ouverte en 2007.
Enfin, le non-système actuel rend l’autonomie aux politiques nationales, qui en
usent souvent pour manipuler leurs devises, soit à des fins de compétitivité soit,
comme le fait le Japon aujourd’hui, pour contrôler le niveau de l’inflation. Mais
cette autonomie est largement fictive, comme on le sait depuis les travaux de
Michael D. Bordo (1993) ou plus récemment d’Hélène Rey (2013), qui mettent
en relief la corrélation croissante des taux d’intérêt et du cycle de crédit à partir
des États-Unis vers les autres grands pays.
En clair, le système ou le non-système de changes flexibles reste profondément
insatisfaisant. C’est à cette aune que le bimétallisme est davantage qu’une simple
curiosité historique.
1800-1814 16 Étalon-argent
Sur le plan théorique, des avancées significatives sont en cours2. Car les
économistes s’efforcent d’analyser les événements récents et de compléter les
résultats de Mundell pour tenir compte du souci nouveau de la stabilité
financière.
C’est dans ce contexte que l’idée d’un second trilemme, cette fois financier, a été
introduite dans un court article3 par Dirck Schoenmaker (2003). Il met en avant
l’impossibilité de réaliser simultanément le triple objectif de (i) stabilité
financière, définie comme la capacité pour un pays d’assumer la résolution en
bon ordre des difficultés financières éventuelles de son système bancaire, (ii) de
plus grande intégration financière, qui résulte alors du caractère de plus en plus
transnational des établissements bancaires et (iii) d’autonomie financière d’un
pays, c’est-à-dire la capacité pour ce pays de conduire seul une politique de
stabilité financière.
La stabilité financière est ainsi traitée comme un sujet en soi, distinct à la fois de
la politique monétaire et de l’intégration financière comme de l’intégration
monétaire ou de la mobilité des capitaux. La combinatoire des deux trilemmes
complique singulièrement les choix ouverts aux responsables politiques ou
économiques.
Un second courant de travaux a été initié par Hyun Song Shin (2012) et
développé dans des études récentes de la BRI et d’Hélène Rey (2013). Ces
travaux insistent sur l’importance des encours bruts – et non seulement des
encours nets – dans les périodes de crise. Shin constate en outre que, dans les
années 1990 et 2000, les encours de crédits cross border des banques de la zone
euro ont pris une grande ampleur et que, à partir de dépôts volatils ou
d’emprunts à court terme, ils ont servi essentiellement à financer l’économie
américaine. Les banques de la zone euro jouaient exactement le rôle qu’avait le
shadow banking américain aux côtés du système bancaire des États-Unis.
Beaucoup plus qu’à un excès d’épargne (saving glut), c’est à un excès de crédit
bancaire (banking glut) qu’on assistait.
Ce sont ces deux thèmes, celui de D. Schoenmaker et celui de Shin, que ce
chapitre aborde. Il faut au préalable les replacer dans le contexte de la nouvelle
réglementation prudentielle. On examinera ensuite successivement la question
posée par Schoenmaker du degré de coopération nécessaire entre les pays
affectés par une faillite bancaire (c’est la question du bail-in ou du bail-out) ;
puis celle posée par Shin de l’asymétrie entre les systèmes bancaires américain
et européen.
On suppose que la banque fait de mauvais crédits et que leur valeur passe de 1 000 à 850.
Que se passe-t-il en situation de bail-in ?
Plaçons-nous en un instant de raison où l’on solde les pertes, sans nous préoccuper du fait
qu’il n’y a pas à ce stade de nouvel actionnaire. Selon les règles énoncées plus haut, on fait
payer aux actionnaires en place (pour 60) et aux prêteurs non garantis (pour 20), soit au total
8 % du bilan initial. Le fonds de garantie apporte 5 % (soit 50) pour éponger 50 des mauvais
crédits. On a supposé que cette garantie permet à la banque de détenir pour 50 de cash,
déposés à la Banque centrale, par exemple. Ces 50 limitent par conséquent les efforts
demandés, dans notre exemple, aux créanciers. Restent 20 à partager entre les prêteurs non
garantis (ici x pour les uns, 20 – x pour les autres) en fonction d’un ordre de séniorité à
déterminer. Le bilan se déforme de la manière suivante :
Actif Passif
Dette 120 – x
Apport du fonds de
50
résolution
Maintenant, voyons ce que le TLAC change. Pour cela, décomposons l’opération en deux
temps : le premier où la banque satisfait le TLAC mais n’est pas en situation de résolution, le
second où la même banque, avec le TLAC, connaît des difficultés et entre en résolution.
Actif Passif
Autre dette 40
On a supposé que le TLAC imposait un coussin de 16 % (pour la somme des fonds propres et
de la dette incluse dans le TLAC) sans changer le besoin de fonds propres de la banque. Il y a
donc 100 de dette qui peut être convertie en fonds propres en cas de faillite. Sur les 140 de
dette initiale, il reste par conséquent 40 de dette senior.
Supposons que cette banque, ainsi protégée, fasse de mauvais crédits et que la valeur de son
portefeuille ne vaille plus que 850. Comment se matérialise le bail-in dans ce contexte ?
Actif Passif
Apport du fonds de
50
résolution
Dette TLAC 49
Sur les 150 de dépréciation des crédits, 50 sont pris en charge par le fonds de résolution
systémique, les 60 de fonds propres disparaissent et les 40 restants vont devoir être absorbés
par la dette TLAC ou non-TLAC ou par les dépôts non garantis selon leur ordre de séniorité. En
outre, 6 % des crédits (représentant 10 % des actifs moyens pondérés par le risque, en
supposant que ceux-ci représentent 60 % de l’encours du crédit) doivent être constitués en
fonds propres – les prêts TLAC sont là pour cela –, soit 6 % × 850 = 51. On devra donc
convertir en fonds propres 51 de prêts TLAC, et il ne subsistera plus que 49 de prêts TLAC.
Compte tenu de l’exigence de 16 %, c’est 16 % × 850 qui doivent être constitués dans la
nouvelle banque. Il faut donc, à côté des 51 de fonds propres, 85 de prêts TLAC, et l’on ne
dispose que de 49, et peut-être moins puisqu’une partie des 49 restants sera peut-être
sacrifiée, dans les 40 qui restent à trouver (150 – 60 – 50 = 40) entre les TLAC et les dépôts
non garantis ou les prêts non-TLAC. Il faut donc trouver 36 de prêts TLAC nouveaux et 40
d’abandon de créances, pour boucler l’opération. Il y a deux moyens d’obtenir ces prêts : aller
sur le marché ou forcer, dans la négociation de restructuration, les déposants non garantis à
faire l’effort correspondant. Supposant que c’est cette dernière solution qui prévaut, à la fin du
processus, le bilan de la banque sera :
Actif Passif
Apport du fonds de
50 Dette du TLAC 85
résolution
Du point de vue qui nous intéresse, il faut enfin noter que le bilan final ci-dessus serait le même
dans le cas d’un bail-out. Simplement, l’actionnaire ne serait pas le même : l’État dans le cas
du bail-out, les investisseurs privés dans celui du bail-in + TLAC.
Actif Passif
Fonds propres 20
Actif Passif
Fonds propres – 15
Total 65 65
La banque est donc virtuellement en faillite. Deux issues sont possibles pour les
autorités du pays H.
1. Soit appliquer le « plan de résolution » (bail-in), mis en place ex-ante. Il
consiste :
à céder le portefeuille de créances décoté, soit une recette de 65 ;
à rembourser intégralement les dépôts garantis, soit 20 ;
à rembourser partiellement les autres dettes, en fonction de leur séniorité,
pour un montant de 45. Les créanciers résidents du pays H reçoivent une
somme de a × 45. Ceux de la zone dollar : (1 – a) × 45, où a est une
fraction exogène.
2. Soit recapitaliser la banque (bail-out) et donc reconstituer les fonds propres à
la hauteur nécessitée par la réglementation. Dans notre exemple, le ratio de fonds
propres est de 20 %. Appliqué au montant de l’actif contracté, c’est-à-dire 65, les
fonds propres doivent s’élever à 13. Il faut donc une recapitalisation, et donc une
sortie de fonds pour l’État, de 13 + 15 = 28. Mais comme l’État devient
propriétaire de la banque et la fait rentrer dans son patrimoine, l’impact
comptable sur son propre bilan n’est que de 15, correspondant à la perte subie
par les déposants (les actionnaires ont perdu définitivement leurs fonds propres).
Une fraction des dépôts et autres dettes en euros ne sont pas renouvelés à
l’échéance (ou sont remboursés par anticipation). Maintenant le bilan s’établit
comme suit5 (en supposant l’activité cross border maintenue à l’identique) :
Actif Passif
Fonds propres 13
Total 65 65
Le tableau ci-dessous décrit la matrice des pertes enregistrées par les différents
acteurs, sous les deux hypothèses de bail-in et de bail-out, la décision restant du
ressort des autorités de la zone euro.
Pays H Étranger F
Bail-in 0 a × 15 (1 – a) × 15
Bail-out 15 0 0
Les Européens ont vu leurs encours reculer d’un tiers. Les Américains ont
presque doublé les leurs, mais globalement la chute est spectaculaire. On
voit aussi l’illustration de ce que les banques européennes ne financent pas
seulement les États-Unis mais aussi les pays émergents. La focalisation de
plusieurs études sur les seuls États-Unis est de ce point de vue trompeuse.
La Fed a pratiqué des swaps de devises au profit de la BCE, surtout pendant
la crise de l’euro, ce qui a facilité le refinancement dollar des banques
européennes.
Actif Passif
Fonds propres 20
Pour tenir compte du constat fait à partir des statistiques de la BRI et des faits
stylisés qui en ressortent, on retient un bilan qui diffère de celui d’une banque
européenne sur trois points essentiels :
Il est entièrement constitué de dollars. C’est la traduction du fait que le
dollar est la monnaie mondiale et que la majorité des transactions
internationales (notamment celles qui correspondent aux matières premières
et aux grands projets internationaux) sont libellés dans cette devise ;
Le système financier américain finance les banques européennes en dollars,
essentiellement sous forme de repos6 à court terme, et par conséquent une
partie des crédits à l’actif (les 100 initiaux) est destinée aux banques de
l’Europe, le reste (70) l’étant aux agents non financiers domestiques
américains.
En revanche, le système financier américain a, comme dépôts, uniquement
des dépôts domestiques. Ils prêtent donc aux banques européennes mais
celles-ci reprêtent à des agents non financiers. En fait, on se trouve
exactement dans la situation décrite par Shin : les banques européennes sont
des sortes de shadow banks vis-à-vis des banques américaines. Elles
transforment des ressources à court terme et instables en crédits à moyen ou
long terme illiquides.
Qu’advient-il alors à la banque américaine si elle perd la moitié de la valeur des
crédits en dollars qu’elle a consentis aux clients domestiques ?
Son bilan se présente ainsi :
Actif Passif
Autres dépôts 60
Fonds propres – 15
Total 65 Total 65
Total 65 Total 65
État H État F
Bail-out P (1 + k) 0
Le bail-in n’est plus désormais la solution unique. Le bail-out lui est préféré par
l’État H si et seulement si :
P (1 + k) < C (aP)
Solutions coopératives
Dans ce schéma, le pays F est totalement passif et dépendant de la décision du
pays H. Il est pénalisé par une décision unilatérale de bail-in. Au contraire il sort
indemne d’un bail-out pratiqué par le pays H. D’où l’idée qu’il pourrait infléchir
la décision de H dans un sens favorable en participant au bail-out.
Soit T le transfert qu’ils consentent à ce titre. La matrice des pertes devient :
État H États F
Encore faut-il que le pays F trouve intérêt à verser cette participation T. Pour
cela, il faut que son montant soit inférieur au coût subi en situation de bail-in.
Cet intervalle est non vide, si le coût « public » du sauvetage de la banque est
inférieur à la somme des coûts « publics » du non-sauvetage :
La solution européenne
On va enrichir le modèle précédent pour introduire le choix retenu par les
Européens de privilégier des solutions de bail-in en toutes circonstances.
On appelle P la perte subie par les créanciers de la banque en faillite, a0 est la
fraction du coût supportée par le secteur privé du pays de la banque concernée
(indice 0) et a1 celle représentée par le secteur privé des autres pays de l’Europe
(indice 1) :
C (P) est le coût « social » (i. e. pour le Trésor public) induit par une perte P
subie par la banque défaillante. (1 + k) est un coefficient multiplicateur de la
perte en cas de bail-out.
Le coût du bail-in pour les seuls pays européens est inférieur au coût du bail-out
pour l’État concerné (P × (1 + k)). Cette relation doit être satisfaite quel que soit
P.
Si a = a0 + a1, le reste du monde prend sa part dans la punition, soit C (1 – a)P.
Mais pour que le pays étranger à l’Europe ait intérêt à payer, il faut que (3) et (4)
soient simultanément satisfaites, c’est-à-dire :
1. Par système monétaire international on entend l’ensemble de normes, de règles, d’acteurs et
l’organisation relative aux monnaies et aux devises. Le système financier étend ceci à l’ensemble des
actifs financiers et aux institutions publiques et privées qui s’en occupent.
2. Voir en particulier, Aizenman, Chinn et Ito (2010), Obstfeld (2014).
3. Mentionnons Rodrik (2000) pour la mise en exergue d’un autre trilemme, reliant système monétaire et
organisation politique.
4. Systemically Important Financial Institutions.
5. On peut imaginer que l’État investisse une somme supérieure, en conservant les dépôts et la dette à son
niveau initial, de telle sorte qu’elle puisse distribuer de nouveaux crédits ou racheter de nouveaux titres.
Mais l’impact net pour le Trésor du pays H reste de 15.
6. De repurchase agreements ou rémérés, c’est-à-dire un achat de titres mais associé à une promesse de
revente.
7. C’est ce qui justifie que, dans la présentation des comptes faite plus haut, nous ayons retenu
l’hypothèse simplificatrice que ces dépôts étaient nuls.
8. Formellement, les équations (1) et (2) doivent être compatibles avec le bail-in systématique, c’est-à-
dire : C (a0P) + C (a1P) < P × (1 + k)
Chapitre 12
N’allons pas trop vite : la paix monétaire ne sera assurée au XXIe siècle que si les
conditions en sont réunies. Il faut d’abord que chacune des grandes zones relève
pour ce qui la concerne les défis auxquels elle est confrontée en propre, les
États-Unis et leur gigantesque dette externe, la zone euro et ses
dysfonctionnements internes, la Chine et sa politique mercantiliste
d’accroissement des réserves. On voit ces dernières années des efforts
convergents allant dans cette direction : le déficit budgétaire américain a été
fortement réduit (mais le retour de la politique monétaire à une pratique plus
conventionnelle soulève de redoutables interrogations) ; la zone euro a surmonté
la phase aiguë de sa crise financière (mais la mise en œuvre des « quatre
Unions » reste en chantier)1 ; la Chine a décidé une réorientation de son régime
de croissance (mais sa mise en œuvre est un processus politique très complexe).
En tout cas, sans discipline commune, inutile d’imaginer des réformes
grandioses. Il ne faut pas pour autant s’arrêter à un scepticisme stérile. La
répétition de phases d’instabilité financière aussi bien que la permanence de
sérieuses préoccupations sur les politiques monétaires, les taux de change ou la
sécurité des actifs internationaux constituent une puissante incitation à prendre
les devants.
Ce qu’il est utile d’explorer, c’est donc un scénario suffisamment ambitieux pour
s’attaquer aux dysfonctionnements actuels mais suffisamment réaliste pour
prendre en compte les intérêts nationaux et les rapports de force internationaux
en ce début de XXIe siècle ; un scénario qui se situe dans le prolongement de ce
qui a été fait avec le lancement du G20, la création du Conseil de stabilité
financière et l’amorce d’une réforme du FMI, mais qui en dépasse les limites
manifestes ; un scénario enfin qui soit inspiré par les idées économiques tirées de
l’expérience des deux dernières décennies, une confiance suffisante dans les
forces de marché pour créer les conditions de la croissance globale, la certitude
qu’il est du devoir des États de créer le cadre politique et institutionnel qui mette
le marché au service d’un développement équilibré, et non de la seule finance.
Ce bon dosage d’ambition et de réalisme, disons qu’il ouvre la voie à une
« refondation » du système monétaire international dont on attend qu’il réponde
aux principaux dysfonctionnements du non-système actuel :
La liquidité : elle a jusqu’ici été soumise aux aléas des découvertes d’or (au
XIXe siècle) puis de la création de dollars par la Fed (après la Seconde
Guerre mondiale). Définir les règles et mécanismes de coopération
internationale qui permettraient, pour la première fois, d’alimenter
l’économie mondiale en liquidités, ce serait mettre fin au dilemme de
Triffin, déjà rencontré aux chapitres 2 et 11 ; ce serait probablement, dans
le monde actuel, évoluer vers un système multimonétaire donnant une ancre
à toute grande monnaie internationale, y compris celle du ou des pays
émettant la ou les monnaies de réserve.
Les taux de change : expérience faite, les changes flottants ne répondent pas
– contrairement aux espoirs de certains thuriféraires – à l’objectif central
consistant à garantir une évolution soutenable des balances de base,
l’ampleur et la persistance de graves déséquilibres internationaux (global
imbalances) l’attestent. D’un autre côté, l’adhésion de la Chine aux
principes de l’économie (communiste) de marché n’ira pas, parce que
l’exigence de stabilité domestique l’emporte chez elle sur toute autre
considération, jusqu’à accepter, même à moyen terme, une flexibilité
absolue de sa monnaie. Pour restaurer le rôle des changes dans l’ajustement
intertemporel des balances des paiements, il faudra donc mettre fin à la
volatilité excessive qu’ils connaissent spontanément dans une économie
financiarisée, et cela ne peut provenir que d’une discipline collective en
matière de mouvements de capitaux.
L’actif de réserve : il n’est pas surprenant, face à ces énoncés, que l’idée
d’un nouvel actif de réserve international (en l’occurrence le DTS) soit
revenue à l’ordre du jour. Elle est parfois écartée trop vite, sans examen. Ce
serait un réflexe comparable à celui qui, par attachement à l’étalon-or,
refusait de voir le nouveau monde monétaire en train de germer dans
l’entre-deux-guerres. Mieux vaut partir de l’idée que le système approche
d’une bifurcation. Le DTS fait partie du sentier suivi jusqu’ici. On peut en
dire que c’est une innovation radicale mais qui est déjà, d’une certaine
manière, familière. Il faut jauger la faisabilité technique et politique de sa
pleine accession au statut de monnaie internationale. C’est ce vers quoi
nous nous tournons maintenant.
MAIS D’ABORD, QU’EST-CE QUE LE DTS ?
Les droits de tirage spéciaux, créés en 1969, sont une construction des années
1960 et 1970. On craignait durant les années 1960 une pénurie de dollars qui
aurait fait obstacle au développement des échanges internationaux. Réapparut
alors l’idée révolutionnaire, déjà introduite par Keynes avec l’idée de bancor
proposée sans succès à Bretton Woods, de créer de toutes pièces une source
nouvelle de liquidités gérées sur les livres du FMI. Au moment où aboutissait la
négociation sur cette liquidité nouvelle, l’accroissement rapide du déficit externe
américain avait fait disparaître les craintes d’une insuffisance de dollars (c’est
bien au contraire l’afflux incontrôlé de dollars et l’accélération de l’inflation qui
étaient devenus les préoccupations monétaires principales !) : les DTS ont donc
bien été créés… mais pour tomber immédiatement en désuétude. Ils ont refait
surface au printemps 2009 pour deux raisons. Face à la crise, le sommet du G20
a d’abord mobilisé toutes les ressources disponibles pour lutter contre la
« grande récession » ; les principaux pays ont été invités à creuser massivement
leurs déficits en faisant appel aux marchés de capitaux pour les financer. C’est
pour étendre cette politique de relance généralisée aux pays n’ayant pas cette
latitude d’action budgétaire et financière qu’a été adoptée l’idée d’une nouvelle
dotation de DTS (environ 4 % des réserves mondiales) ; c’était utiliser les DTS
comme instrument de financement. Sur un tout autre plan, c’est la proposition du
gouverneur de la Banque populaire de Chine, Zhou Xiaochuan, d’en faire le
pivot d’un nouveau système monétaire qui a retenu l’attention du monde entier :
il s’agit cette fois du DTS (au singulier), de la naissance d’une véritable monnaie
internationale. Peut-on, faut-il s’engager dans cette voie ?
Depuis les années 1960, les nations créditrices redoutent à intervalles réguliers
que les États-Unis soient tentés de repousser le poids de leurs obligations en
cédant à la tentation inflationniste. Il y a là un parallèle évident avec les
inquiétudes sur le sort de la livre sterling dans l’entre-deux-guerres : son
décrochage par rapport à l’or en 1931 marque la fin définitive de l’ordre
monétaire ancien. Nous sommes aujourd’hui dans des circonstances à certains
égards comparables puisque la dynamique de l’endettement externe des États-
Unis s’est encore accélérée avec la nécessité de lutter contre la crise ; ce à quoi il
faut ajouter la crainte d’un retour à un niveau d’inflation plus élevé puisque cette
hypothèse est ouvertement débattue, y compris au FMI, comme un moyen
d’atténuer dans l’avenir le fardeau des dettes publiques, une hypothèse
explicitement avancée par le chef-économiste du FMI, Olivier Blanchard, avant
d’être alimentée par les programmes successifs de quantitative easings. Tout
s’est donc passé comme si le gouverneur Zhou avait précocement exprimé tout
haut une crainte largement répandue, le fait que les États-Unis approchent à
nouveau (c’est-à-dire comme en 1971) du point où l’excès d’offre de dollars
ébranle la foi universelle dans les actifs libellés dans cette monnaie.
Malgré ce contexte, beaucoup excluent l’idée de faire appel aux DTS parce
qu’ils considèrent qu’il ne s’agit pas d’une véritable « monnaie internationale ».
L’argument, solide à première vue, repose fondamentalement sur le lien jugé
« incontournable » entre une « vraie » monnaie et une économie nationale qui la
porte, argument à la fois économique (derrière le dollar, il y a le PNB américain)
et politique (le dollar comme expression de souveraineté monétaire). Formulée
dès les années 1960, cette critique avait alors été écartée : ce qui fait du dollar
une monnaie internationale, ce n’est pas la possibilité d’acquérir 1 $ de PNB
américain (n’importe quelle monnaie convertible le permet), c’est le fait d’être
accepté universellement et sans hésitation. La question se pose dans les mêmes
termes aujourd’hui. Que le DTS ne soit pas devenu « le principal actif de réserve
du système monétaire international », comme il était prévu et comme il est écrit
dans les statuts amendés du FMI (article VIII.7), prouve seulement que cette
avancée extraordinaire ne s’est pas (pas encore ?) concrétisée. Les sceptiques ont
un point, mais il ne faut pas en surestimer la portée. Il fut après tout une époque
où l’on ne concevait pas que la monnaie internationale puisse exister sans lien
avec l’or. Les sceptiques mésestiment en tout cas l’absence d’ambiguïté sur le
fait que le DTS étant universellement accepté par les banques centrales en
règlement de devises convertibles il constitue d’ores et déjà clairement un
instrument monétaire. Voilà qui suffit pour aborder sérieusement l’idée qu’une
monnaie composite puisse, pour la première fois dans l’histoire, jouer le rôle
d’instrument monétaire international : au niveau conceptuel, la rupture est
certainement moindre que celle effectuée par nos prédécesseurs qui ont renoncé
aux certitudes dogmatiques de l’étalon-or. Keynes et son projet de bancor – en
avance sur son temps – pourraient-ils finalement l’emporter ?
Les causes fondamentales qui expliquent que les DTS une fois créés aient été
maintenus pendant des décennies dans un statut mineur tiennent aux
circonstances plus qu’à leur nature. Dans les années 1960, l’introduction d’un
nouvel actif de réserve international répondait comme on l’a relevé aux craintes
de pénurie de liquidité internationale. D’où l’idée proprement révolutionnaire
suivant laquelle le FMI serait le gardien de la base monétaire mondiale laquelle
consisterait en un montant plus ou moins donné d’or et une quantité élastique de
DTS. Cette crainte a disparu aussi vite que se creusait le déficit américain. Sur le
plan politique, les États-Unis n’étaient pas prêts à renoncer aux avantages que
procure le privilège d’émettre la monnaie de réserve. Subsidiairement, le monde
en développement ne trouvait d’intérêt au DTS que dans l’hypothèse où serait
établi un lien avec l’aide publique, une fraction élevée des nouvelles émissions
leur étant directement attribuée. Ce thème important, lui aussi remis à l’ordre du
jour par le Rapport Stiglitz, ne relève pas de la logique du SMI et on peut
craindre qu’il suffise à ensabler le dossier. Que cette idée – l’alimentation
rationnelle de l’économie mondiale en liquidité – n’ait pas connu les
développements que ses concepteurs en attendaient signifie simplement que son
heure n’était pas venue. D’ailleurs, les années 1970 ont connu un pas significatif
rapprochant le DTS d’un statut de monnaie internationale : la reconnaissance de
ce qu’il n’y aurait pas de retour au système antérieur et que les changes étant
devenus durablement flottants, la convention initiale alignant le DTS sur le seul
dollar n’avait plus de sens et celui-ci serait désormais défini comme un panier de
monnaies (seize au début puis quatorze avec la création de l’euro). Rien
n’interdit de réfléchir à son adaptation, par extension, à d’autres devises, par
exemple, le moment venu, au renminbi. La convertibilité des monnaies
constitutives étant une des règles de composition du DTS, la question devrait au
préalable être explicitement réglée pour ce qui concerne le renminbi
(actuellement non convertible). Une solution à cette question sensible est moins
improbable depuis que le secrétaire américain au Trésor l’a (en ajoutant des
conditions qui ouvrent la porte à la négociation) lui-même mentionnée au
séminaire tenu à Nankin à l’initiative de la présidence française du G20 en mars
2011.
1. Le Conseil européen a permis de mettre fin à la phase aiguë de la crise de la dette en Europe en
décidant en juin 2012 de rendre l’Union monétaire plus solide par la réalisation de quatre unions
renforcées en matière budgétaire, bancaire, politique et de compétitivité ; la décision de poursuivre
dans la voie de l’Union monétaire ayant ainsi été prise au plus haut niveau politique, Mario Draghi
pouvait quelques semaines plus tard adresser aux marchés le message attendu : « La BCE fera tout ce
qui est nécessaire pour assurer la survie de l’euro, et croyez-moi, ce sera suffisant. »
2. Au moment de la création des DTS, après la rupture du lien entre le dollar et l’or, avait été posée la
question de la sécurité des avoirs internationaux en dollars. Une solution avait été avancée sous la
forme d’un « compte de substitution » ouvert au FMI où les pays détenteurs de réserves en dollars
pourraient leur substituer des réserves en DTS. En cas de baisse du dollar, cette réforme ferait peser –
c’est ce que cherchent les pays créditeurs des États-Unis – sur le Trésor américain une partie des pertes
résultant de la dépréciation. Le Congrès n’avait pas mis longtemps à écarter cette idée, et ce sans la
moindre ambiguïté. Il n’y a aucune raison de penser qu’il change jamais d’avis.
3. Solution déjà préconisée par Keynes dans ses propositions sur le bancor, évidemment écartée à
l’époque par les négociateurs américains qui ont imposé leurs vues à Bretton Woods.
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Les auteurs
Patrick Artus
Prix Turgot 2008.
Professeur à la Sorbonne, économiste, directeur des études économiques de
Natixis.
Membre du Cercle des économistes et du Conseil d’analyse économique.
Pascal Blanqué
Ancien élève de L’École normale supérieure (ENS), diplômé de l’IEP Paris,
docteur en sciences de gestion de l’université Paris-Dauphine.
Est actuellement Chief Investment Officer et directeur général délégué d’un
des principaux gestionnaires d’actifs mondiaux. Il a été précédemment chef
économiste d’un grand groupe bancaire international.
Économiste et historien, il est l’auteur de plusieurs publications dont (Ed.
Economica) : Money, Memory and Asset Prices (2010) ; The Social
Economy of Freedom (2011) ; Grammatica Economica (2012) ; Philosophy
in Economics (2012) ; Essays in Positive Investment Management (2014).
Il a été désigné European CIO of the year (2013) par le magazine Funds
Europe.
Jean-Louis Chambon
Ancien élève de l’Institut de haute finance (IHFI), de l’Institut supérieur de
la banque et de l’IHEPS.
Président du prix Turgot – président d’honneur et fondateur du Cercle
Turgot.
Président de la Fédération nationale des cadres dirigeants (FNCD).
Past-directeur (Groupe Crédit Agricole).
Chroniqueur dans différentes revues financières, à Canal Académie (à
l’Institut de France) et à RCF.
Jean-Marc Daniel
Professeur à l’ESCP Europe.
Barry Eichengreen
Économiste américain, formé à Yale.
Professeur à l’université de Berkeley.
Conseiller spécial au FMI en 1997-98.
Auteur reconnu dans le domaine du système monétaire international.
Olivier Garnier
Diplômé de l’École polytechnique, de l’Ensae et de l’Université Paris-
Dauphine.
A effectué la première partie de sa carrière au Ministère de l’économie et
des finances et à la Réserve fédérale américaine.
Chef-économiste du Groupe Société Générale.
Isabelle Job-Bazille
Doctorat de sciences économiques de l’université de Paris-X Nanterre.
Directeur des études économiques du groupe Crédit Agricole SA depuis le
1er février 2013.
Depuis septembre 2012, membre du conseil d’administration de Predica.
A débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme analyste risque-pays en
charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. A rejoint Crédit Agricole SA en
septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie
avant de prendre la responsabilité du pôle macro-économie en mai 2005.
Dans le cadre de la ligne métier économistes groupe, a été détachée à temps
partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de recherche marchés chez
Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres.
Vivien Levy-Garboua
Diplômé de l’École polytechnique, de l’École des mines, et titulaire d’un
PhD. en économie d’Harvard.
A fait toute sa carrière bancaire chez BNP Paribas où il a été membre du
comité exécutif depuis 1989.
Économiste et auteur de plusieurs ouvrages, dont Macroéconomie
contemporaine (Economica, avec Bruno Weymuller), La Dette, le Boom, la
Crise (1986, Économica avec Gérard Maarek), et plus récemment
Macropsychanalyse, l’économie de l’inconscient (PUF 2007 avec Gérard
Maarek), Les 100 mots de la crise financière (PUF, 2009 avec Bertrand
Jacquillat) et Capitalisme, finance, démocratie, le nouveau malaise
(Economica, 2014, avec Gérard Maarek).
André Lévy-Lang
Prix Turgot.
Diplômé de l’École polytechnique (1956) et docteur (PhD. in Business
Administration, 1966) de l’université de Stanford.
D’abord physicien au Commissariat à l’énergie atomique en 1960, a été de
1962 à 1974 dans le groupe Schlumberger, avec différentes fonctions
techniques et de direction, en France et aux États-Unis. Entré dans le
groupe Paribas en 1974, a été nommé en 1982 président du directoire de la
Compagnie bancaire, banque de financements spécialisés filiale de Paribas,
puis président du directoire du groupe Paribas de 1990 jusqu’à la fusion
avec BNP en 1999.
Professeur associé émérite à Dauphine, président du conseil de surveillance
des Échos, président de la Fondation du risque et de l’Institut Louis
Bachelier, vice-président du conseil de surveillance de Paris-Orléans,
président de l’Institut français des relations internationales, membre du
conseil de l’Institut des hautes études scientifiques, de l’American Hospital
of Paris.
Gérard Maarek
Diplômé de l’École polytechnique et de l’Ensae.
A été secrétaire général de l’Insee et, de 1992 à 2000, responsable des
études économiques au Crédit Agricole.
Aujourd’hui consultant indépendant, est depuis 2005 senior adviser à
l’Edhec.
Auteur : parmi ses livres récents, Économie de l’enlisement (1997,
Economica), Macroéconomie et gestion d’actifs (2003, Economica) et
Macropsychanalyse, l’économie de l’inconscient (2007, PUF, avec Vivien
Levy-Garboua).
Julien Marcilly
Responsable du risque pays du groupe Coface depuis 2012.
Titulaire d’un doctorat de l’Université Paris-Dauphine.
Diplômé d’ESCP Europe (master en management grande école).
Jean-Bernard Mateu
Diplômé de l’École polytechnique et de Télécom ParisTech.
Aujourd’hui :
Président fondateur d’Optiverse Consulting
Senior Advisor chez Financière de Courcelles
Précédemment :
Caisse d’épargne Rhône-Alpes : président du directoire
Natixis Financement : directeur général
Caisse nationale des Caisses d’Épargne : directeur de l’animation
commerciale puis directeur du logement social et de l’économie sociale
Caisse d’Épargne de Picardie : membre du directoire en charge du
développement commercial et du réseau d’agences
Banque Directe : secrétaire général puis directeur des opérations
Crédit du Nord : directeur du développement commercial puis directeur des
études informatiques
Compagnie Bancaire : responsables des systèmes d’aide à la décision
Et aussi :
Administrateur du Cercle Turgot.
Maître de conférences à l’École polytechnique pendant dix ans.
François Meunier
Président d’Alsis Conseil.
Ancien directeur général de Coface France.
ENSAE, professeur associé.
Ancien président de la DFCG.
Chroniqueur et auteur.
Jacques Mistral
Diplômé de l’École polytechnique, docteur et agrégé de sciences
économiques, a été Professeur à l’ENSAE, à l’Institut d’études Politiques
de Paris et à l’École polytechnique (1977-1990).
Ancien conseiller économique du Premier ministre Michel Rocard (1988-
1991), conseiller spécial du ministre des Finances Laurent Fabius (2000-
2001) puis conseiller financier à l’ambassade de France à Washington
(2001-2006).
Professeur à la Harvard Kennedy School (2012), à l’Université du
Michigan et à l’Université de Nankin (2013).
Senior Fellow, Brookings Institution et Conseiller spécial à l’IFRI (depuis
2006).
Chroniqueur et auteur. La Troisième Révolution américaine (Perrin, 2008) a
obtenu le prix du meilleur livre d’Économie et le prix Édouard-Bonnefous
de l’Académie des sciences morales et politiques en 2008. Son dernier
ouvrage : Guerre et paix entre les monnaies est paru chez Fayard en 2014.
Ludovic Subran
Chef économiste d’Euler Hermes.
Membre du conseil d’administration de Solunion et du conseil d’orientation
de BPI France Le Lab.
Ancien économiste à l’Insee, aux Nations Unies et à la Banque Mondiale.
Enseignant à HEC.
Diplômé de l’Ensai et de l’IEP Paris.
Yves Zlotowski
Économiste en chef de Coface depuis novembre 2007.
Auparavant économiste pays émergents chez Coface (2001-2007) et
économiste marché émergents chez Crédit Agricole Indosuez (2000-2001).
Titulaire d’une thèse de doctorat en économie de l’Université de Paris X-
Nanterre et d’un DEA d’économie monétaire (université de Paris I) et de
relations internationales (université de Paris I).
A publié de nombreux articles sur les économies émergentes.
Index
A
Abenomics 23
ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) 174
Afrique du Sud 42, 134, 139
Aizenman J. 194
Allemagne 24, 35, 36, 42, 43, 47, 77, 90, 92, 96, 112, 115, 120, 123, 126, 187,
234, 235
Amérique latine 21, 45, 131, 135
Argentine 78, 117, 139
Autorité bancaire européenne 123
Autorité de surveillance bancaire 111
B
bail-in 195, 197-200, 202-204, 206, 215
bail-out 113, 195, 197, 201-206, 215
balance des paiements 81, 112
balance sheet recession 113
bancor 227, 230, 236
Bank Charter Act 57
Banque asiatique de développement 137
Banque centrale européenne (BCE) 22, 24, 32, 79, 92, 97, 109-111, 117-120,
122, 124, 126, 145, 152, 154, 189, 210, 214, 225
Banque d’Angleterre 37
Banque mondiale 110
Banque nationale de Belgique 37
Banque nationale de Suisse 23, 47
base monétaire 75
bimétallisme 49, 177, 180, 185, 186, 188-190, 192
bitcoin 161, 162, 164, 166, 169, 170, 172-174
Blanchard O. 16, 229
boom and stop 83, 89
Bordo M. D. 179
brady bonds 117
Brésil 55, 117, 134, 137, 139-142, 146
Bretton Woods 18, 40, 44, 52, 55, 64, 69, 81, 147, 149, 184, 187, 191, 223, 224,
227
BRI 138, 195, 207, 211
Bundesbank 14, 45, 92, 97
C
Calvo G. 133
Cassel G. 64
change fixe 18, 20, 36, 58, 59, 64, 66, 76, 131, 132, 148, 192, 193
changes flexibles 13, 178, 179, 193
Chaum D. 162
Chili 117
Chine 17, 18, 26, 50, 59, 68, 71-76, 79, 95, 101-104, 106, 107, 135, 138, 144,
145, 150, 179, 193, 223, 224, 226, 228, 233, 235, 236, 238
Chypre 119, 172, 197
Colombie 117
Conseil de stabilité financière 175, 196, 225
consensus de Washington 22, 117, 131
conundrum 73, 87
Corée 48, 49, 133, 137, 140
crawling peg 131
Credit Anstalt 35, 36
credit crunch 114
Crésus 57
crise asiatique 81, 83, 85
currency board 131, 132
D
Danatbank 36
déflation 4, 60, 61, 63, 65, 67, 149, 154, 183-185
dette 83, 85, 86, 91, 92, 94, 96
deutschemark 14, 150, 192
dévaluation interne 79
dollar debt standard 147, 153, 155, 156
Dooley M. P. 69, 75
Draghi M. 22, 23, 111, 119, 225
droits de tirage spéciaux (DTS) 27, 31, 43, 45, 50-53, 188, 227, 231, 237
E
Edgeworth F. 188
Eichengreen B. 130, 140
emergency liquidity assistance (ELA) 119
Équateur 117
Espagne 15, 110, 113, 115, 116, 120
étalon-argent 182
étalon-dollar 60, 68
étalon-or 37-39, 43, 49, 50, 60, 62, 63, 65, 68, 70, 149, 177, 180, 182-184, 186-
188, 190, 191, 223, 227, 230
Europe de l’Est 131
F
Fed 19, 21, 22, 35, 38, 41, 43, 44, 87, 95, 134, 139, 146, 189, 214, 216, 226
Fisher S. 216
Flandreau M. 187
florin 38
flottement 133, 134
flux de capitaux 82, 83, 86, 87, 89
Folkerts-Landau D. 69
Fonds européen de stabilité financière (FESF) 32, 92, 110
Fonds monétaire international (FMI) 31, 40, 51, 52, 65, 110, 118, 131, 136, 138,
225, 229, 230
forint 141
forward guidance 111, 124
franc 23, 24, 38, 46, 47, 180, 187, 192
France 4, 15, 34, 42, 43, 47, 59, 82, 89, 144, 172, 174, 177, 180-183, 185-187
Friedman M. 11, 177, 180, 185-187
G
G7 7, 145, 236
G20 7, 194, 197, 225, 228, 231, 236
Garber P. 69
Giavazzi F. 16
gold exchange standard 147
Gourinchas P.-O. 126
Grande Dépression 44
Grèce 16, 96, 110-112, 117, 122, 125, 237
Greenspan A. 19, 73, 87, 138
Gresham loi de 182, 186, 190
guerre des monnaies 145
Gupta P. 140
H
Hamilton A. 180, 181
Hausmann R. 130
Herstatt 44
Hongrie 140
Hume D. 62, 184, 190
I
Inde 76, 104, 134, 139-142, 146
Indonésie 133, 134, 137, 139-141
inflation 4, 13-15, 55, 60-63, 66, 67, 77, 78, 121, 124, 131, 153, 178-180, 183-
185, 191, 192, 228, 229
Internet 159
investissements directs étrangers (IDE) 71, 136
Irlande 15, 110, 115, 117
Italie 110, 118
Ito 194
J
Japon 12, 19, 22, 23, 45, 60, 70, 103, 138, 145, 152, 153, 156, 179, 208
Juglar J. C. 62
K
Keynes J. M. 52, 69, 178, 190, 227, 230, 236
Koo R. 113
Krugman P. 115
L
Lehman Brothers 54, 129, 134, 208
Levy-Garboua V. 196
livre sterling 33, 35, 37-40, 46, 223, 228
lois Hartz 115
M
Malaisie 137, 139, 140
Martin Ph. 117
McKinnon R. I. 73
Mécanisme de surveillance unique (SSM) 111
Mécanisme européen de stabilité financière (MESF) 92, 93, 110, 111
Mexique 117
Modi N. 142
monnaie de réserve 84, 85, 91
monnaies virtuelles 161, 162
monométallisme 177, 183, 184, 186
Mundell R. 58, 68, 81, 115, 193, 194
N
Nakamoto S. 162
Norman M. 34, 37
O
obligations 22, 32, 34, 53, 83, 90, 96, 105, 106, 136-138, 146, 160, 228
Obsfeld M. 12, 14, 18, 194
opérations monétaires sur titres (OMT) 110
Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) 45
Organisation mondiale du commerce (OMC) 146, 224
P
Panizza U. 130
parité de pouvoir d’achat 60, 103
pays émergents 19, 22, 52, 94, 104, 129, 134, 139
péché originel 130, 136, 138
peso 134, 140
Philippon T. 117
plan de résolution 203
plan Juncker 123
Pologne 137, 139, 140
Pool de l’or 42
Portugal 16, 110, 112
Poutine V. 142
private sector involvement (PSI) 117
protectionnisme 23, 67, 143-147
Q
quantitative easing (QE) 22, 23, 92, 95, 111, 119-122, 124, 139, 145, 151, 152,
229
R
Rajan R. 179
récession 4, 32, 35, 38, 44, 133, 202, 228
Reinhart C.M. 114, 133
renminbi 18, 51, 101-104, 106, 107, 127, 149-151, 188, 190, 231, 236
Réserve fédérale 66, 139
Rey H. 19, 20, 126, 179, 195
Ricardo D. 180, 190
Rogoff K. 12, 14, 18, 114, 178
rouble 131, 134, 140
Rousseff D. 142
Royaume-Uni 22, 34, 40-43, 138, 152, 177, 180
Rueff J. 62
Russie 48, 61, 68, 133, 134, 139-142
S
Saint-Marc M. 182
Schoenmaker D. 194, 195
shadow banking 195, 216
shadow banks 211
Shin H. S. 195, 209, 211
Shin H.S. 95
six-pack 123
Skidelsky R. 191
stérilisation des réserves 75
Stiglitz J. 17, 50, 231
Strong B. 34
sudden stop 85, 94, 113
Suisse 23, 24
supervision monétaire 159, 175
syndrome de la vertu conflictuelle 73
système monétaire européen 81
système monétaire international 15, 17, 27, 31, 33, 35, 38, 39, 44, 48, 52, 62, 64,
69, 101, 103, 104, 147, 154, 178, 187, 190, 193, 194, 224, 226, 229
T
tapering 139, 150
Target 2 91, 92, 115
taux de change 13, 19, 21-23, 25, 26, 35, 37, 39, 40, 47, 52, 55, 60, 69, 71, 73,
92, 101, 103, 115, 122, 129, 130, 132-135, 139-142, 144, 145, 148, 151, 155,
178, 189, 191, 225, 226, 236
taux d’emprunt 111, 112, 118
taux d’intérêt 118, 121, 122, 125
Thaïlande 48, 49, 133, 139, 140
théorie des réseaux 232
TLAC 197-200, 206
too big to fail 47, 196, 198, 217
triangle d’incompatibilité 58, 193
Trichet J.-C. 111
Triffin R. 64, 68, 86, 93, 184, 226
trilemme 193, 194, 215
Turquie 61, 133, 134, 137, 139-141
V
Volcker P. 44, 146, 152
W
W
Walras L. 186
White H. D. 69
Y
yen 127
Z
Zhou Xiaochuan 50, 228, 229
zloty 141
zone dollar 81-84, 88, 90, 91, 93, 94
zone euro 16, 20, 22, 25, 32, 46, 52, 76, 79, 81-85, 88-94, 96, 97, 103, 109, 112,
113, 116, 118, 119, 121, 124, 126, 134, 138, 142, 151-155, 160, 190-192,
195, 204, 207, 212, 222, 224
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