Cris 1991 0006
Cris 1991 0006
Cris 1991 0006
Inès Trépant
Dans Courrier hebdomadaire du CRISP 2008/6 (n° 1991-1992), pages 6 à 54
Éditions CRISP
ISSN 0008-9664
DOI 10.3917/cris.1991.0006
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spécialistes extérieurs à l’équipe de recherche, et qui sont choisis en fonction des sujets
traités.
Éditeur responsable : Vincent de Coorebyter – Place Quetelet, 1A – 1210 Bruxelles
INTRODUCTION 5
CONCLUSION 53
BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE 55
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1. LES CARACTÉRISTIQUES DES PAYS
ÉMERGENTS
L’intégration des pays émergents dans l’économie mondiale est rapide et se caractérise
par des taux de croissance élevés. À titre indicatif, sur la période 1995-2005, la
croissance des exportations de marchandises a été de 18 % pour la Chine, de 13 %
1
pour l’Inde et de 10 % pour le Brésil, contre 4 % pour les États-Unis . De même,
tandis que le taux de croissance annuel pour les pays de l’Union européenne tourne
généralement autour de 2 % cette dernière décennie, la Chine affiche pour sa part un
taux de croissance qui oscille autour de 10 %. Pour l’Inde, ce taux avoisine les 8 % en
2
2007, contre 4 % pour le Brésil .
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1 e
2
« Les chiffres de l’économie 2008 », Alternatives économiques, hors série n° 74, 4 trimestre, 2007.
Cf. les études économiques effectuées par l’Organisation pour la coopération et le développement
économique (OCDE) sur ces pays : <www.ocde.org>.
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 7
3
Les investissements directs étrangers , effectués entre autres dans le secteur
manufacturier et dans les services des pays émergents, ont contribué à leur croissance
rapide, notamment par le biais des transferts de technologies. Ce phénomène a plus
particulièrement touché la Chine, où l’essor des investissements étrangers est
considérable : ils représentent en effet 30 % du produit de l’économie privée
4
chinoise . Selon le rapport 2007 sur l’investissement dans le monde, réalisé par la
Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), le
secteur manufacturier reçoit 63 % du capital étranger, tandis que les investissements
directs étrangers des services sont fortement concentrés dans l’immobilier. Les plus
grands fabricants d’ordinateurs, de produits électroniques, d’équipements de
télécommunication et de produits pharmaceutiques, ou encore, les constructeurs
d’automobiles ont massivement investi en Chine. On soulignera la présence des
compagnies telles que Nokia, Ericsson, Siemens, Sony, Audi, Renault, Mercedes, etc.
5
sur le vaste marché chinois .
Le phénomène des pays émergents est étroitement lié à la libéralisation progressive des
marchés de capitaux à l’échelle mondiale, par laquelle les pays industrialisés ont
progressivement démantelé les barrières qui empêchaient les flux de capitaux privés
de traverser les frontières. Dans le courant des années 1990, des pays comme la Chine,
la Thaïlande, l’Indonésie, le Mexique ou le Brésil, ont ainsi pu enregistrer
d’importantes entrées de capital privé en provenance des pays industrialisés.
Sur le plan financier, on considère toutefois que les institutions financières des pays
émergents ont montré une fragilité plus grande que celle des pays industrialisés
(notamment en raison de réglementations bancaires déficientes), qui n’en est pas
moins déstabilisatrice pour l’ensemble des économies du globe, dans la mesure où les
flux financiers sont mondialisés. Ainsi, la crise des marchés émergents de 1997 a
débouché, sous l’impulsion du Comité Bâle qui rassemble les autorités bancaires des
principaux pays industriels, sur le renforcement de la coopération financière
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8 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
Actuellement, sont considérés comme pays émergents des pays tels que l’Afrique du
Sud, l’Arabie Saoudite, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, la Chine, la Corée, l’Inde,
l’Indonésie, le Mexique, la Russie et la Turquie. En raison de leur taille, on distingue
généralement le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine des autres marchés émergents. Plus
connus sous l’appellation BRICs (première lettre de chacun des quatre pays), ces
« États-continents » sont amenés à jouer un rôle pivot sur l’échiquier mondial tant sur
le plan économique que géopolitique.
Sur le plan économique, ces pays ont réussi à s’imposer comme leader dans certains
secteurs clés du commerce international, dont nous retiendrons, à titre principal le
Brésil dans l’agriculture 7, l’Inde dans les services et la Chine dans les produits
manufacturiers et le textile. Chacun de ces pays a joué au mieux de ses « avantages
comparatifs » (cf. infra) : le Brésil, qualifié de « ferme du monde », dispose
d’immenses espaces cultivables, et par la variété de ses climats, d’une grande variété de
produits ; la Chine possède généralement une main-d’œuvre abondante (dont les
campagnes constituent un réservoir colossal), peu qualifiée, dont les bas salaires
assurent la compétitivité de l’industrie chinoise ; l’Inde détient une main-d’œuvre
anglophone qualifiée, à bas salaire, qui lui permet de s’imposer dans les secteurs des
8
services, notamment des services aux entreprises .
Sur le plan géopolitique, la Chine et la Russie, qui sont membres permanents du
Conseil de sécurité des Nations unies depuis 1945, sont des acteurs incontournables
dans les enceintes internationales. Et à l’exception du Brésil, seul à ne pas détenir
l’arme atomique, les BRICs sont d’ores et déjà des puissances politiques et
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économiques de taille, amenés à jouer un rôle croissant dans les affaires politiques, © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
économiques et militaires de ce monde qui change.
6
P. R. KRUGMAN, M. OBSTFELD, Économie internationale, Traduction de la sixième édition américaine,
e
7
A. HANNEQUART et F. LELOUP, 4 édition, De Boeck, 2003, p. 735.
Notons que l’aéronautique est aussi un secteur très important, avec Embrear, quatrième constructeur
8
mondial d’avions.
e
« Les chiffres de l’économie 2008 », Alternatives économiques, hors série n° 74, 4 trimestre, 2007.
p. 67.
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 9
Le commerce est sans conteste l’une des plus anciennes activités humaines. Le
processus d’internationalisation de l’économie, largement antérieur à la révolution
industrielle, est jalonné de nombreuses étapes. Parmi celles-ci, nous retiendrons
notamment la grande poussée exploratrice, impulsée par les monarchies ibériques au
XVe siècle, en ce qu’elle a joué un rôle déterminant dans le processus de
désenclavement planétaire et de l’essor des échanges internationaux. De même, une
autre étape décisive est franchie lors de la propagation du libéralisme, systématisée par
les pères fondateurs de l’économie politique classique, Adam Smith et David Ricardo,
e
dans la seconde moitié du XIX siècle, et pour lesquels la spécialisation internationale
du travail, dans un contexte de libre-échange, permet en théorie une allocation
optimale des ressources.
Le commerce international a fondé son essor sur le principe qu’il est potentiellement
profitable pour l’ensemble des pays qui s’y adonnent. C’est David Ricardo, un
e
économiste anglais, qui offre, au début du XIX siècle, une explication simple des gains
potentiels de l’échange, au moyen du concept d’avantage comparatif, selon lequel
chaque pays a intérêt à se spécialiser dans le domaine où il est le plus compétent. La
prédiction de base du modèle ricardien – à savoir que les pays tendent à exporter les
biens dans lesquels leur productivité est relativement élevée –, continue à marquer la
réflexion contemporaine. Il en va de même pour l’optique des penseurs libéraux du
XIXe siècle, selon laquelle le commerce est facteur de paix, de progrès et de prospérité.
Le concept de division internationale du travail, inhérent au principe de spécialisation
du modèle ricardien, a pris différentes formes au cours du temps. Ainsi, depuis
l’expansion du colonialisme européen du XIXe siècle jusqu’aux années 1970, qui
marquèrent en partie l’achèvement d’un large mouvement de la décolonisation
entrepris après la Seconde Guerre mondiale, le commerce entre pays industrialisés et
les pays libérés de l’emprise coloniale (rebaptisés pays en voie de développement)
consistait principalement en échange de biens manufacturés contre des matières
premières et des produits agricoles. Ce commerce a généralement été qualifié de
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« commerce Nord-Sud », car la plupart des pays industrialisés provenaient de © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
l’hémisphère Nord.
Devenus politiquement indépendants, les pays issus de la vague de la décolonisation
aspiraient cette fois à rendre leur pays économiquement souverain. C’est ainsi que la
structure des échanges commerciaux a progressivement changé pour faire place à une
nouvelle configuration des rapports Nord-Sud. Entre le début des années 1970 et
9
Notons toutefois que la Russie n’est actuellement toujours pas membre de l’OMC.
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10 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
1990, les pays en voie de développement ont commencé à vendre de plus en plus de
produits manufacturés vers les pays industrialisés, refusant de se laisser enfermer dans
une division internationale du travail qui leur était préjudiciable, notamment en
raison de l’instabilité des cours des matières premières et de la tendance lourde à
l’effondrement des prix. Pour sortir du piège d’une spécialisation héritée pour la
plupart de l’époque coloniale, ces pays ont eu à cœur de diversifier leurs productions.
Cette tendance lourde ne doit pas occulter des différences nationales incontestables
dans le rythme de mutation des échanges commerciaux. De fait, cette montée en
puissance du monde en développement a, dans un premier temps, surtout concerné
l’Asie, et plus particulièrement l’Extrême-Orient, où un véritable décollage industriel
s’est amorcé à partir des années 1960. Le concept de « nouveaux pays industrialisés »
s’est ensuite généralisé dans les années 1980 pour désigner les pays en développement
d’Asie qui ont connu une phase d’industrialisation et de croissance économique
rapide.
Globalement, les exportations des nouveaux pays industrialisés consistaient en
vêtements, chaussures, et autres produits relativement peu sophistiqués, alors que les
exportations issues des pays avancés consistaient en biens intensifs en capital et en
main-d’œuvre qualifiée, tels que les produits chimiques ou l’aéronautique.
Toutefois, ces pays ne se sont pas limités à se spécialiser dans les industries intensives
en main-d’œuvre, nécessitant une faible qualification. En trente ans, ces pays sont
passés de structures d’exportation centrées sur des produits simples comme les
vêtements, les produits du cuir ou les jouets, à des structures dominées par l’industrie
lourde (construction navale, sidérurgie, pétrochimie), pour ensuite développer des
filières technologiques de plus en plus élaborées (mécanique, chimie, informatique,
automobile, électronique, etc.).
Actuellement, la montée en puissance du Brésil, de l’Inde et de la Chine s’inscrit dans
cette lignée. Ainsi, la Chine, centre manufacturier de la planète (50 % de la production
mondiale de chaussures, de lecture DVD et d’appareils photos numériques, 70 % de la
production des jouets…) remonte les filières et met sur le marché des produits
toujours plus sophistiqués 10. Et tandis que le Brésil est une puissance agricole de plus
en plus agressive, en particulier vis-à-vis des États-Unis et de l’Union européenne,
dont il dénonce les restrictions au libre-échange agricole, l’Inde cherche entre autres à
dominer le secteur des services informatiques.
De façon générale, leur décollage économique s’explique par la maîtrise des activités
liées à la « révolution numérique » de la fin du XXe siècle et à la généralisation des
nouvelles technologies de l’information et de la communication. De fait, s’ils ont
conservé leur spécialisation traditionnelle dans le textile, comme en témoigne le poids
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de ces produits dans leurs exportations, ils se sont surtout spécialisés dans les © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
technologies de l’information et de la communication au point de devenir des leaders
mondiaux en la matière. La Chine réalise ainsi quelque 17 % des exportations
10
V. PAES, « Chine, Inde, Brésil : les nouveaux géants », Alternatives économiques, hors série n° 74,
e
4 trimestre, 2007.
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Tant l’Inde que le Brésil se sont historiquement inscrits dans ce courant. L’argument
de l’industrie naissante est au cœur de cette stratégie. Pour permettre aux nouvelles
industries d’être florissantes, les gouvernements doivent pouvoir temporairement les
soutenir jusqu’à ce qu’elles soient suffisamment fortes pour se mesurer à la
concurrence internationale. L’industrialisation par substitution des importations
consiste ainsi à limiter les importations de produits manufacturés au moyen de droits
de douane ou d’imposition de quotas, afin de stimuler un secteur industriel destiné au
marché national.
Cette stratégie de développement protectionniste s’est imposée en Amérique latine
pendant la Seconde Guerre mondiale : coupés de leurs fournisseurs traditionnels de
biens manufacturés, ces pays se sont attelés à développer leur propre production. Mais
elle n’était pas neuve en soi. Historiquement, les États-Unis et l’Allemagne ont
commencé leur industrialisation à l’abri des barrières douanières, par le biais de
l’imposition de droits de douane élevés sur les produits manufacturés au XIXe siècle.
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11
F. LEMOINE et D. ÜNAL-KESENCI, « Chine et Inde dans le commerce international, les nouveaux
meneurs du jeu », La Lettre du CEPII, n° 272, novembre 2007.
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12 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
le rôle attribué à l’État a été maintenu, les entreprises d’État continuant à fonctionner
12
comme les instruments privilégiés des politiques publiques .
À partir des années 1970, la stratégie de développement protectionniste a toutefois
suscité des critiques de plus en plus vives en Amérique latine, en raison de l’absence de
résultats probants en termes de rattrapage économique 13 et d’amélioration du niveau
de vie des populations. Elle a ainsi progressivement été abandonnée au profit du credo
libre-échangiste 14. Et c’est au cours de la dernière présidence militaire, celle du général
João Figueiredo (1979-1984), que débuta également le processus de modification du
rôle de l’État.
L’année 1982 marque, à cet égard, un tournant dans l’histoire économique de
l’Amérique. Le Mexique se déclare en cessation de paiement des intérêts de sa dette.
La crise économique et financière qui s’ensuivit s’est propagée dans toute la région de
l’Amérique latine. Pour éviter l’effondrement du système financier international, le
Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont imposé aux États latino-
américains un changement radical dans leurs orientations économiques, conforme à
ce qu’on qualifie de Consensus de Washington 15. À la stratégie de développement
autocentré, adoptée dans les années 1930, a donc succédé une politique de
désengagement de l’État dans l’économie et d’ouverture des économies latino-
américaines à la concurrence internationale. Ensuite, les années 1990 ont été
marquées par l’afflux d’investissements directs étrangers qui ont contribué à
l’insertion de l’Amérique latine dans le commerce international. L’essor économique
est toutefois inégal : ce sont les pays participant aux processus d’intégration régionale
– Mercosur (marché commun entre le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et le
Venezuela) et ALENA (zone de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le
Mexique) – qui ont le plus bénéficié de ces flux d’investissements. Du reste, la
poursuite de ce modèle économique ne se fait pas sans mal. Le processus de
libéralisation mondialisé a accentué la fracture entre le monde urbain et rural. À titre
illustratif, les grandes sociétés étrangères (Monsato, John Deere, Bunge y Born, etc.)
développent une agriculture productiviste intégrée aux filières agroalimentaires, face à
16
laquelle l’agriculture traditionnelle des zones rurales peine à se maintenir . De même,
le Brésil reste un des plus inégalitaires, les populations indigènes et noires souffrant
12
Cf. E. J. SARAVIA, « La réforme de l’État au Brésil : l’influence du new public management », Revue
13
française d’administration publique, 2003/1-2, n° 105-106, pp. 55-65.
L’exemple de la construction du hardware informatique par les sociétés brésiliennes illustre, à cet
égard, les limites de la politique d’industrialisation protectionniste. Dans les faits, celle-ci a conduit à
la production de hardware informatique de mauvaise qualité à un prix élevé. Ce qui a, en retour,
pénalisé une série d’activités économiques faisant appel à l’informatique. Cette politique fut dès lors
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davantage de la pauvreté : 25,3 % des indigènes ne savent ni lire ni écrire ; 18,3 % des
17
afro-descendants et 8,1 % des Blancs sont dans ce cas .
Pour sa part, l’Inde s’est également progressivement détournée de la stratégie de
développement autocentrée pour s’ouvrir davantage vers l’extérieur, dès le début des
années 1990. Concrètement, si de 1947 à 1965, les gouvernements successifs ont
donné la priorité à l’industrialisation, avec une orientation nettement inspirée du
modèle soviétique, l’Inde a mis en œuvre, à partir de 1993, une politique de
privatisation de grandes entreprises, qui a touché successivement les secteurs des
télécommunications, des banques, de l’automobile, des compagnies maritimes, etc.
Dès cette période, la stratégie de développement indienne s’est axée sur une ouverture
des frontières et un appel accru à des investisseurs étrangers, ainsi qu’aux membres de
18
la diaspora . Ce tournant idéologique s’est également accompagné de nombreux
effets pervers, dont notamment l’exacerbation de la dualisation de la société indienne.
Tandis que la classe moyenne s’enrichit, l’écart entre la population la plus riche et la
plus pauvre ne cesse de s’accroître. Dans un autre registre, alors que 60 % de la
population indienne dépendent de l’agriculture, le désengagement public dans la
politique agricole, et le passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture
libéralisée, tournée vers l’exportation, a provoqué une vague de suicides dans la
paysannerie qui n’arrive plus à survivre.
Xiaoping, qui a succédé à Mao. La nouvelle stratégie de développement qu’il a © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
insufflée à partir de 1979 repose principalement sur l’ouverture sur l’extérieur, la
17
18
Ibidem.
P. MARCHAT, « Coup d’œil sur l’Inde d’aujourd’hui et de demain, Revue du marché commun et de
l’Union européenne, n° 515, février 2008.
19
Si le décollage économique du Japon s’est effectué au moyen d’une stratégie commerciale tournée
vers l’extérieur, ce pays n’a nullement suivi une politique de libre-échange complet : le Japon a
effectivement utilisé des contrôles généralisés sur les importations jusque dans les années 1970.
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14 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
Alors que les pays à bas revenu génèrent habituellement une épargne trop faible pour
pouvoir financer leurs investissements (ils doivent dès lors emprunter à l’étranger), les
économies asiatiques ont financé l’essentiel de leurs investissements sur l’épargne
nationale.
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Enfin, la conjonction de ces facteurs explique pourquoi les pays asiatiques, et en © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
premier lieu la Chine, sont progressivement devenus les principales destinations des
investissements directs étrangers, dans les catégories « pays en développement » et
20
Cf. l’analyse de J. ADDA, La mondialisation de l’économie. Problèmes (tome 2), Paris, Éditions La
21
Découverte, 1997, p. 23.
Ibidem.
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 15
22
« pays en transition ». Tandis que les conditions favorables à l’investissement
étranger étaient créées, les investissements directs étrangers ont ensuite contribué à
leur essor économique 23.
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22
Pour plus d’informations, cf. le rapport sur l’investissement dans le monde, publié par la CNUCED
en 2007.
23
Pour attirer les investissements directs étrangers, la Chine a par exemple taxé moins cher les sociétés
er
étrangères (25 %) que les sociétés chinoises. Ce n’est que depuis le 1 janvier 2008 que le taux est le
même pour tous : 25 %.
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2. LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE
L’ÉMERGENCE SUR LES PAYS INDUSTRIALISÉS
etc.) sont à l’origine de cette hausse spectaculaire des prix des matières premières. © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
Toutefois, l’envolée des prix du pétrole et des matières premières s’annonce durable
dans le plus long terme pour au moins deux raisons majeures.
Du côté de la demande, la croissance accélérée des économies émergentes explique
l’essentiel de la progression de la consommation mondiale de brut depuis 2003. Cette
demande soutenue en énergie et en matière première est amenée à faire pression
durablement sur les prix, à plus forte raison que les alternatives aux énergies fossiles
restent largement insuffisantes. Ainsi, la dépendance de nos économies vis-à-vis des
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 17
progressivement dans toute la chaîne industrielle. Dès lors, si la montée en puissance © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
des pays émergents a poussé dans un premier temps le prix des produits industriels à
la baisse, cette tendance initiale est susceptible de s’arrêter à moyen et long terme. En
24
Selon le Fonds monétaire international, les deux tiers des nouvelles capacités de production requises
pour équilibrer le marché mondial au cours des années à venir ne feront que compenser le déclin
25
rapide de la production des puits existants, aux États-Unis et en mer du Nord notamment.
e
B. PARMENTIER, Nourrir l’humanité. Les grands problèmes de l’agriculture mondiale au XXI siècle, Paris,
Éditions La Découverte, 2007, p. 44.
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18 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
La politique des taux de change influe sur la croissance. En règle générale, un euro qui
s’apprécie pénalise les biens et les services européens, aussi bien à l’exportation (ils
deviennent plus chers) que sur le marché intérieur (les importations deviennent
moins chères).
Ces dernières années, l’euro (qui constitue la deuxième monnaie au monde après le
26
dollar américain ) s’est apprécié par rapport au dollar, mais aussi par rapport aux
monnaies asiatiques, qui sont le plus souvent arrimées au dollar à un niveau très bas
(c’est le cas de la Chine). En conséquence, les produits européens deviennent plus
chers que leurs concurrents, ce qui contraint les entreprises européennes à réduire
leurs marges bénéficiaires ou à perdre des parts de marché. Par exemple, Airbus a
délocalisé une partie de sa production aux États-Unis pour parer aux effets négatifs
d’un euro fort. A contrario, l’économie des pays de la zone euro est moins grevée par
la hausse des prix pétroliers, puisque ceux-ci sont exprimés en dollars. L’économie
européenne tire avantage, dans ce cas, de la baisse du dollar et du renchérissement de
l’euro.
Au vu des effets qu’il occasionne sur l’essor économique, la question des taux de
change a toujours fait l’objet de nombreux débats, entre les partisans du taux de
change fixe ou flottant. Concrètement, on entend par taux de change fixe un taux
déterminé par rapport à une monnaie de référence (en général le dollar US ou l’euro)
par l’État qui émet une monnaie. Le taux ne peut alors être modifié que par une
décision de dévaluation (ou de réévaluation) de cet État. Un taux de change flottant
est, pour sa part, déterminé par les marchés.
Sur le plan de l’Union européenne, la création de l’Union économique et monétaire,
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dont on fête actuellement le dixième anniversaire, a consacré le choix européen de la © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
fixation du taux de change entre les monnaies participant à la zone euro. Sur le plan
extérieur, alors que le Traité de l’Union européenne confie la responsabilité de la
politique des taux de change au Conseil pour combattre les déséquilibres globaux, le
Conseil des ministres de l’Économie et des Finances (ECOFIN) n’a jamais utilisé cette
26
Cf. UME@10 : Bilan de l’Union économique et monétaire dix ans après sa création, Communication
de la Commission européenne, 7 mai 2008.
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27
À présent, comme la croissance chinoise s’appuie un peu moins sur les exportations, mais un peu
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20 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
progressivement implantées dans pratiquement tous les pays européens, avec toutefois
une concentration marquée en Europe occidentale. Les cinq pays les plus investis sont
le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, l’Italie et les Pays-Bas, qui totalisent les trois
31
quarts des opérations .
Du reste, l’internationalisation des entreprises, par le biais de grandes opérations de
fusion-acquisition, n’est plus l’apanage des multinationales du Nord : le rachat
d’entreprises étrangères par des groupes du Sud est de plus en plus fréquent. Il ne
s’agit pas seulement d’entreprises intervenant dans le secteur de l’énergie et des
matières premières (par exemple, le groupe russe Gazprom, le groupe chinois
PetroChina, etc.). Ces groupes investissent également l’industrie (par exemple, le
rachat d’Arcelor par l’homme d’affaires indien Lakshmi Mittal dans le domaine de la
sidérurgie), la filière automobile (par exemple, le groupe indien Tata Motors a racheté
les marques automobiles Jaguar et Land Rover et s’apprête à lancer la voiture la moins
chère du monde, la Nano), le secteur pharmaceutique (par exemple, le rachat du
département générique de Bayer en 2000 et de celui d’Adventis en 2004 par la firme
indienne Ranbaxy), les services (le groupe chinois Lenovo a racheté la division PC
d’IBM en 2005), ou dans la finance (par exemple, la prise de participation chinoise
dans la banque d’affaires Morgan Stanley, etc.).
32
Mais encore, selon une étude effectuée en 2007 par le Boston Consulting Group , un
cabinet de consultants en stratégie qui identifie 100 « étoiles montantes » en
provenance des pays émergents en passe de devenir de sérieux concurrents pour les
multinationales du Nord, les « nouveaux challengers » sont chinois pour 41 d’entre
eux, indiens pour 20 et brésiliens pour 13 33. Parmi ces multinationales, l’étude cite, à
titre illustratif, les groupes suivants : Changhong Electric (appareils électriques),
COFCO (alimentation), Chery Automobile (véhicules), CSIC (secteur maritime) pour
la Chine ; JBS-Friboi (boissons et alimentation), Marcopolo (équipements
d’automobile) pour le Brésil, Suzlon Energy (secteur éolien) pour l’Inde 34.
L’inquiétude générée par l’affirmation de ces géants mondiaux grandit, à mesure que
les centres de décision de l’entreprise se regroupent dans le pays de l’entreprise
acquéreuse, le plus souvent aux dépens de l’entreprise achetée. En outre, les
multinationales du Sud ayant généralement un lien étroit avec leur pays d’origine –
c’est particulièrement le cas de la Chine qui souhaite bâtir des « champions
nationaux 35 » –, elles sont des concurrents redoutables pour les pays développés. C’est
particulièrement vrai dans l’Union européenne, où une politique industrielle
coordonnée fait largement défaut, et où elle se résume le plus souvent à plaider pour
un désengagement accru de l’État dans la sphère économique, au bénéfice des forces
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31
F. HAY, C. MILELLI et Y. SHI, Présence et stratégies des firmes chinoises et indiennes en Europe. Une © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
perspective dynamique et comparative, Ministère français de l’Économie, des Finances et de l’Emploi,
32
Direction générale des Entreprises, janvier 2008.
33
Boston Consulting Group, The 2008 BCG 100 New Global Challengers, décembre 2007.
Cf. M. CHEVALIER, « Les multinationales du Sud à l’assaut du monde », hors série, « L’État de
e
34
l’économie », Alternatives économiques, n° 76, 2 trimestre 2008, p. 72.
Cf. également le rapport rédigé par F. HAY, C. MILELLI et Y. SHI, Présence et stratégies des firmes
chinoises et indiennes en Europe. Une perspective dynamique et comparative, op. cit.
35
La notion de « champions nationaux » renvoie à l’idée de « patriotisme économique » : la
« nationalité » du capital détenu par les dirigeants d’entreprise ainsi que le lieu d’implantation du
siège social représentant dans ce cas un enjeu politique de premier ordre.
CH 1991-1992
PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 21
du marché (comme l’attestent par exemple la politique de réduction des aides d’État
et la vague de libéralisation en Europe, qui a touché l’ensemble des services publics). A
contrario, dans le cas de la Chine par exemple, en dépit des réformes conduites depuis
les années 1990 et qui ont abouti à la création de nombreuses entreprises privées,
l’État chinois continue à se servir, en les ayant assouplis et allégés, de certains outils
précédemment utilisés sous l’ère de Mao : les plans quinquennaux (dont le 11e couvre
la période 2006-2010). Ainsi, l’État reste le grand décideur des stratégies d’entreprises
à l’échelle internationale 36, fussent-elles officiellement indépendantes. Par exemple, la
firme Huawei (spécialisée dans le secteur des télécommunications), qui a été fondée
par un officier supérieur de l’Armée populaire de la libération, a gardé de nombreux
liens avec les responsables politiques chinois, en dépit de son statut de firme privée.
Les responsables, présidents et membres du conseil d’administration des firmes
privées sont souvent nommés par le gouvernement ou par le Parti communiste. L’État
chinois contrôle les grandes banques et donc, l’essentiel des prêts aux entreprises
privées de taille importante (cf. infra) 37, etc. En clair, aucune stratégie significative
d’entreprise, surtout au niveau international, n’est menée sans l’aval du Parti 38.
De façon générale, ce « patriotisme économique » s’inscrit dans le désir des autorités
chinoises de rattraper un retard consécutif à la longue période de repli. Leur
aspiration étant de donner à la Chine, sur le plan international, la place de grande
puissance qui lui revient, d’être traitée sur un pied d’égalité et non plus en pays sous-
développé dans les instances internationales, et de ravir dès que possible aux USA leur
position de leader économique. D’où la volonté de l’État chinois de lancer les
multinationales à l’assaut de certaines firmes occidentales et de leur octroyer les
largesses financières nécessaires pour être à la hauteur des ambitions de Pékin, sous
forme d’aides d’État variées. Cette stratégie porte ses fruits, puisque les entreprises
chinoises ont déjà commencé à changer l’équilibre général au niveau de la
39
concurrence mondiale .
A contrario, l’Union européenne, par le primat qu’elle accorde à la politique de
concurrence, s’oppose à la constitution de champions nationaux, voire européens, et
rejette toute forme de patriotisme économique. L’ossature de la Stratégie de Lisbonne,
dont l’objectif est de faire de l’Union européenne l’économie la plus compétitive du
monde, repose d’ailleurs essentiellement sur l’approfondissement du marché
intérieur, avec l’élimination des entraves aux échanges, en vue d’optimaliser le
fonctionnement du marché. De même, le programme « Mieux légiférer », – qui
consiste à privilégier les outils de « législation douce » (à savoir l’autorégulation des
entreprises, codes de bonne conduite, etc.) sur les outils de régulation classique
(impliquant de plein droit les institutions législatives que sont le Conseil et Parlement
européen) –, témoigne de la volonté de désengager davantage le rôle de l’État dans la
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36
La Chine joue un rôle actif dans leur développement en tant qu’investisseur, en tant que financier
avec des prêts à faible taux d’intérêt ou encore par le transfert de technologies et d’innovations
37
développées dans le giron public.
F. HAY, C. MILELLI et Y. SHI, Présence et stratégies des firmes chinoises et indiennes en Europe. Une
perspective dynamique et comparative, op. cit.
38
CCE et HEC Eurasia Institute, « Un phénomène récent : les investissements chinois dans le monde »,
39
Rapport de la commission Asie-Pacifique et HEC, Problèmes économiques, 20 juin 2007.
Ibidem.
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22 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
40
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prise de contrôle des entreprises européennes du secteur énergétique par des fonds
49
souverains .
Quoi qu’il en soi, force est de constater que l’apparition des fonds souverains est
révélateur de la mutation des relations économiques internationales. D’une part, ils
témoignent de l’accession de certains pays émergents au statut de puissance financière.
D’autre part, après des années de dérégulation des marchés financiers, ils augurent
potentiellement d’un retour à un certain capitalisme d’État, les fonds souverains
n’engageant pas un investisseur privé, mais bien l’État, qui dispose de pouvoirs et de
potentiel d’influence nettement plus importants 50.
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49
Notons toutefois que l’Union européenne n’est pas à une contradiction près. Car cela ne l’empêche
pas, à l’instar des organisations internationales telles que le FMI, la Banque mondiale ou l’OMC, de
plaider en faveur de l’ouverture des économies des pays émergents aux investisseurs étrangers dans
50
des secteurs aussi stratégiques que la distribution d’électricité, d’eau, les transports, etc.
Les Fonds souverains, La Documentation française, Problèmes économiques, Dossier n°2951, 2 juillet
2008.
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3. LES CONSÉQUENCES SOCIALES
51 er
Eurostat, 1 juillet 2008.
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26 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
entreprises des pays développés vers le Sud est devenu l’une des grandes peurs
économiques de notre temps.
52
P. AUBERT et P. SILLARD, Délocalisations et réductions d’effectifs dans l’industrie française, Institut
national de la statistique et des études économiques (INSEE, France) Direction des études et
synthèses économiques, 2005.
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 27
Il convient de nuancer les risques de délocalisation des entreprises vers les pays
émergents pour diverses raisons. Premièrement, en dépit du fait que la Chine se soit
hissée au rang de second exportateur et de troisième importateur mondial, son impact
sur l’économie mondiale ne doit pas être surestimé. Car tant pour les États-Unis que
pour l’Europe, la Chine reste encore un marché d’importance marginale. Il en est de
même pour l’Inde, dont la part dans les échanges avec l’Union européenne est
53
modeste (1,8 %) . Au sein de l’Union européenne, l’essentiel du commerce est ainsi
54
intra-européen, et amené à le rester durablement .
Deuxièmement, la forte croissance économique que connaissent des pays comme
l’Inde ou la Chine par exemple, a pour effet d’augmenter les salaires dans certains
secteurs tournés vers l’exportation, qui sont soumis à une forte concurrence
internationale (c’est le cas du secteur des services informatiques en Inde où les salaires
du personnel se rapprochent des niveaux occidentaux). Ce relèvement progressif des
salaires dans certains secteurs est donc à même de diminuer l’incitation des
entreprises occidentales à avoir recours à la sous-traitance pour des raisons
exclusivement salariales.
Troisièmement, l’implantation des groupes européens et américains dans les pays
émergents relève principalement d’une logique de conquête de marché, et pas
seulement de diminution des coûts de production. Et l’avantage conféré par les bas
salaires peut être limité si la mécanisation est poussée (besoin de peu de main-
d’œuvre), si les institutions sont médiocres (manque de stabilité politique ou
économique, corruption, etc.), ou si les infrastructures sont défectueuses (routes,
télécommunications, électricité, etc.). Ces faiblesses entraînent des surcoûts qui
peuvent, dans la plupart des cas, annihiler l’avantage des bas salaires. Ainsi, malgré le
fait que l’Inde dispose d’une main-d’œuvre compétente (200 000 ingénieurs
anglophones sortent chaque année des universités), et que les coûts salariaux sont bas,
55 56
l’Inde accueille peu d’entreprises étrangères , en raison de ses routes encombrées,
de ses pannes d’électricité récurrentes, de la corruption, etc.
En outre, dans un contexte de concurrence internationale exacerbée, la compétitivité
des entreprises dépend notamment de sa faculté d’innover et de diversifier la
production. Ce qui implique que la main-d’œuvre soit polyvalente et capable de
s’adapter constamment aux innovations technologiques. Ce qui suppose donc un
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53
D. LECUYER et C. VADCAR, « Inde : de l’intérêt pour l’Union européenne de négocier un accord © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
ambitieux », Revue du marché commun et de l’Union européenne, n° 506, mars 2007.
54
Par exemple, en 2005, 70,4 % des importations de l’Union proviennent de l’Europe. L’Asie ne pesant
que quelque 12 %. D. LECUYER et C. VADCAR, « Inde : de l’intérêt pour l’Union européenne de
négocier un accord ambitieux », op. cit.
55
A contrario, la domination chinoise de certains marchés mondiaux (l’industrie mondiale de la
chaussette, par exemple localisée dans la région de Datang) s’explique par la présence de milliers de
PME, d’un vaste marché accueillant les acheteurs internationaux, d’un complexe portuaire et de la
56
non-application généralisée du droit du travail, ce qui permet de valoriser les bas salaires.
Exemple : 55 % des routes ne disposent pas de revêtement et 40 % des villages de moins de 1 500
habitants ne sont pas reliés au réseau routier.
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28 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
niveau de formation élevé, qui fait toujours défaut dans beaucoup de pays en
développement ou émergents.
En résumé, parce que la qualité de la main-d’œuvre, des institutions et des
infrastructures, autant que les coûts de travail, sont des facteurs déterminants pour la
localisation des activités d’entreprises, les risques de délocalisation encourus par la
montée en puissance des pays émergents doivent être nuancés. De façon générale, la
compétitivité de certains pays du Sud est limitée par l’absence de conditions propices
à l’implantation des entreprises, dont l’accès à une main-d’œuvre qualifiée. Toutefois,
l’avenir reste très préoccupant pour les systèmes socio-économiques occidentaux,
pour deux raisons majeures, que nous allons à présent aborder.
57
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 29
60
non pas à celui de secteurs . Autrement dit, le commerce international sélectionne,
au sein des firmes, les plus productives et parmi les produits qu’elle offre, les plus
performants.
Au vu de la modification de la pression concurrentielle en provenance du Sud, les
pays industrialisés n’ont d’autre alternative que de miser sur les produits haut de
gamme. Cette stratégie de différenciation s’avère toutefois très coûteuse, car la qualité
se paie. Elle se produit avec du travail qualifié, une nouvelle organisation des tâches,
61
de lourds investissements en marques et en image, etc. C’est donc au prix d’une
recherche permanente de la qualité, qui implique des efforts constants dans la
recherche et l’innovation, et l’adaptation continue de la main-d’œuvre à ces nouvelles
exigences, que les pays d’ancienne industrialisation pourront conserver des parts de
marché face à la concurrence des émergents.
Or, l’Union européenne a beau clamer que les États membres doivent augmenter leur
investissement dans la recherche et développement à hauteur de 3 % du PIB, force est
de constater que les montants alloués à la recherche stagnent, pour l’ensemble des
pays de l’Union européenne, à une moyenne de 1,85 %. À titre comparatif, la Chine
dispose, depuis 2000, du plus grand nombre de chercheurs, derrière les États-Unis,
mais devant le Japon. Malgré de maigres résultats en termes d’innovation, les dépenses
en recherche et développement ont progressé, sur la période 1995-2005, au rythme de
19 % en moyenne annuelle pour atteindre le 6e rang mondial 62. Quant à l’Inde, elle
émerge progressivement comme une économie de la connaissance, pour laquelle
l’innovation, les services, la propriété intellectuelle occupent une place centrale. Elle
est ainsi en voie de détenir les clés de la compétitivité et constitue, de la sorte, un
concurrent majeur pour l’Europe.
Globalement, au vu de l’importance stratégique que revêt l’innovation pour rester
compétitif, la lutte contre la contrefaçon et la protection des droits de propriété
intellectuelle deviennent des enjeux majeurs lors de la conclusion d’accords
commerciaux entre l’Union européenne et les pays émergents, que ce soit dans le
cadre de leur partenariat stratégique ou au sein de l’instance de l’OMC. À titre
indicatif, la Chine était en 2006 à l’origine de 80 % des produits contrefaits écoulés en
Europe. Quant à l’Inde, une grande partie des doléances des entreprises et de ses
partenaires occidentaux porte également sur le respect des droits de propriété
intellectuelle.
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60
Ibidem.
61
A. BENASSY-QUÉRÉ et L. FONTAGNÉ, « Comment faire face à la concurrence chinoise », La Tribune,
62
23 mai 2007.
Alternatives économiques, n° 262, octobre 2007, p. 68.
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30 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
e
Jusqu’à la fin du XX siècle, l’Europe, assurée de sa supériorité matérielle, technique et
scientifique, a pris l’habitude d’imposer sa vision du monde comme le modèle d’une
société avancée qui devait être adopté par les autres (démocratie, droits de l’homme,
économie de marché, etc.). Dans cette optique, l’insertion des pays émergents dans le
processus de mondialisation, et en particulier l’Inde et la Chine, est saluée par les pays
industrialisés, en ce qu’il atteste de la convergence de leur économie sur notre mode
capitaliste d’économie de marché. Au-delà des similitudes, l’émergence économique
des pays d’Asie ne cesse toutefois de surprendre, des pays comme l’Inde ou la Chine
fonctionnant selon des paramètres culturels et civilisationnels différents des valeurs
occidentales. De fait, « à l’instar de la Grèce, l’Inde ou la Chine font partie des grands
berceaux de l’humanité qui ont permis à l’homme d’appréhender son destin, de
proposer une vision de la vie, de la nature, de l’univers tout à fait originale 63 ». Ainsi,
l’identité de ces pays-continents dépasse largement le cadre de l’État-nation, mais
revêt celle de civilisation 64. Parmi les pays émergents, l’Inde, qui sera bientôt le pays le
plus peuplé du monde 65, est un cas d’école pour les puissances occidentales, dans le
contexte d’une économie mondialisée : les différences culturelles les confrontant à des
modes de développement économique qui ne cadrent pas avec leur modèle occidental.
Tout en étant un des pays les plus pauvres de la planète, le dynamisme de la croissance
indienne repose sur une main-d’œuvre abondante, qualifiée et peu coûteuse, son
faible coût s’expliquant par son abondance, les écarts de coûts de la vie par rapport
aux pays développés, mais aussi, par l’absence quasi généralisée de charges sociales.
Seuls 10 % des salariés disposent d’une protection sociale 66.
En dépit des inégalités profondes qui la traversent, l’Inde, dont la superficie est
comparable à celle de l’Europe, s’illustre néanmoins comme étant la plus grande
démocratie du monde. Elle jouit d’une stabilité politique et sociale d’autant plus
remarquable que les inégalités, forgées dans un système de castes 67, se maintiennent
durablement. Ce système où le décollage économique s’accommode de profondes
disparités sociales, acceptées par la population, contraste avec nos sociétés
occidentales, marquées depuis plus d’un demi-siècle, par le déploiement de l’État-
Providence. En clair, dans un contexte mondialisé de libre-échange, la concurrence
avec les pays développés sera d’autant plus ardue et déstabilisante pour les pays
63
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 31
en cause les principes de base du modèle néolibéral – ouverture des frontières, rôle © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
68
C. COULOMB, Chine. Le nouveau centre du monde ?, op. cit., p. 117.
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32 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
délitent, pour lutter efficacement contre certains maux endémiques qui sévissent en
Amérique latine (mafias, narcotrafiquants, guérillas, etc.) et pour rétablir la confiance
des investisseurs. De même, en étant l’hôte à plusieurs reprises des forums
altermondialistes (Porto Alegre), le Brésil entend jouer un rôle pionnier dans la
formulation d’un nouvel ordre économique, où les revendications des pays en voie de
développement qui s’estiment lésés du processus de mondialisation, sont notamment
mieux prises en compte.
En résumé, pour répondre aux enjeux socio-économiques que présente l’émergence
de ces nouveaux géants économiques, l’Union européenne est confrontée à
l’intégration de la dimension sociétale dans laquelle elle s’inscrit. En mésestimant les
69
fondements culturels qui sous-tendent la diversité des formes de capitalisme,
l’Union européenne risque de se méprendre sur la réalité de ces pays émergents, et de
développer, en l’occurrence, une stratégie inadaptée.
69
70
Par exemple, les valeurs morales confucéennes en Chine font office de régulateur social.
L’ensemble de ces réformes, qualifiées de « réformes structurelles », forment l’ossature du
programme économique européen.
71
Toutefois, pour les « perdants » de la mondialisation, l’Union européenne a instauré un Fonds
européen d’ajustement à la mondialisation (FEM). Le FEM vise à apporter une aide aux travailleurs
qui perdent leur emploi suite à des modifications de la structure du commerce mondial afin qu’ils
puissent trouver un autre travail aussi rapidement que possible. Le fonds a été lancé par l’Union
européenne en 2007 et apportera une aide pouvant aller jusqu’à 500 millions d’euros par an.
CH 1991-1992
PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 33
travail. C’est cette stratégie, qui constitue le cœur de la Stratégie de Lisbonne pour la
croissance et l’emploi, qui est censée compenser les dégâts causés par le déclin
industriel, l’augmentation des délocalisations et l’importation de biens à très bon
marché, etc.
À ce stade, force est de constater que cette stratégie est peu probante, au vu de
l’importance croissante du déficit commercial de l’Union européenne envers la
Chine 72 et de l’intensification de cette tendance pour l’Europe.
Plutôt que d’analyser les conséquences sociales de la globalisation, et de recadrer le
cadre macro-économique et commercial en conséquence, l’Union européenne en
appelle à davantage de libéralisation du commerce international, notamment dans le
73
secteur des services . In fine, il en revient ainsi aux systèmes sociaux des États
membres de l’Union de s’ajuster aux exigences d’une compétition globale plus
acharnée. Car dans un contexte de concurrence mondialisée, ce sont principalement
les travailleurs qui doivent supporter le choc du processus global d’ajustement. Du
même coup, cela laisse présager que le modèle de flexisécurité, inspiré du modèle
scandinave, et entendu comme la promotion d’une protection des travailleurs et de
leurs opportunités de réemploi plutôt que comme le maintien des emplois existants,
n’est qu’un alibi, inhérent à la Stratégie de Lisbonne, pour mieux faire accepter de
facto l’ensemble des réformes du marché du travail pour toujours plus de flexibilité…
Par ailleurs, s’il existe un modèle social européen, il est d’autant plus en danger que la
préoccupation de l’Union européenne de s’adapter aux pays émergents à bas salaires
et aux normes environnementales minimales a supplanté la préoccupation initiale de
l’Union européenne de combler un déficit de productivité en comparaison avec le
marché des États-Unis.
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72
Selon les statistiques de l’OMC (2007), les exportations chinoises vers l’Union européenne sont au
73
moins deux fois plus importantes que celles de l’Union européenne vers la Chine.
Pour l’Union européenne, l’amélioration de l’accès au marché chinois est a priori l’un des dossiers
clés pour résoudre le déficit de la balance des échanges sino-européens. Les limites imposées par la
Chine aux investissements étrangers concernent différents secteurs, tels que l’automobile, les
télécoms, la pétrochimie, l’énergie, les services financiers, etc.
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4. LES CONSÉQUENCES ENVIRONNEMENTALES
activités minières, les pesticides agricoles, les feux de forêt, etc. © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
74
75
C. COULOMB, Chine. Le nouveau centre du monde ?, op. cit., p. 161.
Ibidem, p. 160.
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 35
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36 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
vendus aux enchères. Ce qui revient à taxer le CO2 émis, et non plus simplement à
plafonner les émissions comme c’est le cas pour l’instant. Par ce mécanisme, l’Union
européenne entend inciter les industriels européens à réduire leur consommation
d’énergie. Dans le contexte d’une concurrence mondialisée, les marges de manœuvre
des États membres de l’Union européenne se trouvent toutefois fortement érodées. De
fait, étant donné que les concurrents de l’Union – Chinois et Indiens en tête –, ne
prennent pas les mesures qui s’imposent pour limiter leurs propres émissions, les
États membres de l’Union subissent la pression des industriels européens, qui agitent
la menace de la délocalisation (la « fuite du carbone ») pour assouplir la
réglementation.
Au sein des institutions communautaires, diverses pistes de réflexion sont débattues
pour empêcher qu’un durcissement de la législation sur les émissions de CO2 ne
pousse l’industrie à s’expatrier vers des pays non signataires du Protocole de Kyoto
(par exemple, les États-Unis), ou de pays faisant appliquer de faibles contraintes
environnementales (par exemple, les pays émergents). Par exemple, il y a l’idée
défendue par l’eurodéputé vert Claude Turmes, que le produit des enchères soit alloué
aux industriels pour qu’ils améliorent l’efficacité énergétique de leurs installations. De
façon significative, si l’ensemble des États membres de l’Union européenne est d’avis
que celle-ci doit user de son poids commercial pour inclure la dimension climatique
dans les accords bilatéraux, aucun consensus ne se dégage en faveur de l’instauration
d’une taxe CO2 aux frontières.
Une taxe sur les produits importés provenant d’États ne respectant pas certaines
normes environnementales ou le Protocole de Kyoto aurait pourtant un double
mérite. Tout d’abord, elle permettrait d’apporter une réponse crédible à la menace du
réchauffement climatique, une taxe d’ajustement aux frontières étant un instrument
clé pour internaliser le coût en effet de serre du commerce de l’Union européenne
avec le reste du monde. Ensuite, elle rétablirait les conditions d’une concurrence non
faussée – qui constitue la pierre angulaire du marché intérieur –, avec les pays qui
continueraient à ne pas respecter la convention contre le changement climatique. De
fait, dans le contexte de la mondialisation, ces pays concourent non seulement à
l’accélération du réchauffement climatique planétaire, mais ils procurent en outre un
avantage concurrentiel à leurs entreprises par rapport aux entreprises européennes
contraintes de supporter le coût de normes environnementales plus rigoureuses.
Malgré ses avantages, ce projet n’a, jusqu’à ce jour, pas été retenu au sein de l’Union
76
européenne , sous prétexte qu’une telle taxe serait contraire aux accords de
l’Organisation mondiale du commerce. Pour lutter contre le dumping
environnemental, il conviendrait donc de réformer ses règles en profondeur. Mais les
résistances aux changements sont légion, tant au sein des pays développés, qui s’en
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tiennent généralement au dogme du libre-échange, qu’au niveau des pays émergents © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
et en voie de développement, qui voient d’un mauvais œil toute mesure qu’ils
qualifient de protectionniste.
76
Au niveau de la Commission, les avis sont mitigés (par exemple, le commissaire au Commerce, Peter
Mandelson, s’y oppose). Au Conseil, ce projet, défendu âprement par la France, est contré par la
Grande-Bretagne, par exemple, pour qui cette taxe signifierait un retour au protectionnisme. Enfin,
au sein du Parlement européen, il est combattu par les partis de droite (dont le PPE et le groupe
libéral).
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 37
Dès lors que le cours du baril du dollar bat tous les records, les agrocarburants
connaissent un véritable essor, dans un secteur de transport qui repose actuellement à
95 % sur le pétrole. La ruée vers « l’or vert » soulève toutefois de nombreuses
questions, dont la principale est sans conteste liée à la flambée des prix agricoles
qu’elle alimente. De fait, alors que la production ne représente que 2 % environ de la
demande mondiale de carburants et mobilise 1 % seulement des terres arables, on
estime que la ruée vers l’or vert contribue déjà notablement à la flambée des prix
agricoles. C’est le cas du maïs, par exemple, qui constitue la matière privilégiée aux
États-Unis pour la production d’éthanol (alors que son rendement énergétique est
médiocre, à l’inverse de la canne à sucre utilisée au Brésil), mais qui constitue aussi
l’aliment de base dans le Mexique voisin. De par le jeu de l’offre et de la demande, la
croissance des agrocarburants produits à base de maïs alimente, par ce biais, la
flambée des prix.
De façon plus fondamentale, les agrocarburants posent un conflit d’intérêt entre
rouler et manger, vu que la surface agricole consacrée à leur production se fait aux
dépens de celle nécessaire à l’alimentation. En effet, tout développement, même
limité, des agrocarburants risque immanquablement de se faire au détriment de la
sécurité alimentaire, dans un monde où 800 millions d’hommes et de femmes ne
mangent pas à leur faim et qui comptera 2,5 milliards de bouches supplémentaires à
nourrir d’ici 2050.
Cependant, les chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’Union
européenne ont convenu, au sommet européen de printemps des 13 et 14 mars 2007,
d’atteindre d’ici 2020 l’objectif de 10 % d’agrocarburants dans les transports. Ces
agrocarburants sont produits principalement à partir de la canne à sucre (au Brésil),
du maïs (aux États-Unis), du colza (en Europe), et de l’huile de palme (en Asie du
Sud-Est). Cette décision européenne affecte les relations entre l’Union européenne et
le Brésil. Ayant lancé, dès 1975, son plan de fabrication d’éthanol à partir de la canne à
sucre, en réponse au premier choc pétrolier, le Brésil est effectivement de très loin le
plus gros producteur mondial d’agrocarburants. De même, la décision européenne
influe sur la stratégie globale de l’Union européenne de lutte contre le changement
climatique.
Tout d’abord, au vu des surfaces agricoles disponibles en Europe, l’Union européenne
ne peut raisonnablement atteindre cet objectif de 10 % sans importer directement
l’éthanol du Brésil, pays où les rendements sont nettement plus élevés que dans les
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pays développés. Ou encore, l’Union européenne pourrait envisager de recourir © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
massivement à l’importation des produits agricoles brésiliens (au soja, par exemple,
qui intervient dans la fabrication de biodiesel), pour les transformer en Europe en
agrocarburants. En effet, à défaut de choisir une de ces options, la production
européenne d’agrocarburants provoquerait immanquablement une hausse accrue des
prix des produits agricoles européens. Car si l’Europe voulait atteindre cet objectif
sans l’importation, elle devrait mobiliser une surface considérable de sa surface
agricole aujourd’hui consacrée aux cultures arables.
CH 1991-1992
38 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
77
Comparativement aux forêts primaires qui constituent de véritables puits de carbone, l’écosystème
simplifié et appauvri d’une plantation offre un faible potentiel en matière de stockage de carbone. Cf.
78
Final Draft IPCC Fourth Assessment Report, Working Group III ; Chapter 9, Forestry, p. 3.
Premier exportateur mondial de café, de sucre ou de jus d’orange depuis assez longtemps, le Brésil a
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 39
CH 1991-1992
5. POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET GÉOSTRATÉGIE
Au fil des années et des traités, l’Union européenne a accru la place accordée aux
droits de l’homme dans ses relations extérieures, que ce soit dans son action
diplomatique, son aide au développement, ses accords commerciaux et sa politique de
sécurité 80. Concrètement, la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC)
prévoit parmi ses objectifs le « développement et la consolidation de la démocratie et
de l’État de droit, le respect des droits humains et des libertés fondamentales ». La
politique d’aide au développement intègre ces mêmes principes et les érige en élément
81
transversal (mainstreaming) de son action . Enfin, la « clause des droits de l’homme »
illustre par excellence cette prétention européenne à mener une politique extérieure
fondée sur des principes éthiques. Soumettant les accords de coopération avec les pays
tiers au respect des principes fondamentaux des droits de l’homme, elle offre ainsi à
l’Union européenne la possibilité de suspendre pareils accords en cas de violation
grave dans le pays partenaire.
Dans les faits, les limites de la diplomatie européenne des droits de l’homme sont
dictées par la realpolitik. L’Union européenne se montrant d’autant plus résolue dans
sa condamnation de la violation des droits de l’homme qu’elle a d’autant moins
d’intérêts économiques et géopolitiques en jeu 82.
Par ailleurs, l’implantation offensive des pays émergents sur le continent africain – en
premier lieu la Chine, mais aussi l’Inde –, bouscule l’ « ordre ancien » en offrant une
alternative à des gouvernements dictatoriaux agacés par les conditionnalités
européennes, qu’elles soient de l’ordre éthique, économique, social ou liées au
principe de bonne gouvernance. Face à la concurrence de ces nouvelles puissances, les
tenants européens du réalisme marquent des points.
80
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CH 1991-1992
PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 41
En soi, la politique chinoise dans le continent africain n’est pas neuve, et remonte à
l’époque des premières indépendances africaines. Plus précisément, le lien sino-
africain est initié avec la conférence de Bandung (1955), prolongée par celle de
Belgrade (1961), qui lança le « mouvement des non-alignés ». Réunissant des pays
ayant subi le joug colonial ou une longue période d’occupation étrangère, il se fondait
sur l’idée de rejet de la logique d’affrontement Est-Ouest de la guerre froide. Ainsi, la
Chine s’est historiquement distinguée par la lutte contre le colonialisme et
l’hégémonisme.
Depuis, l’installation chinoise en Afrique s’explique principalement par son taux de
croissance effréné, et par son corollaire, la nécessité de sécuriser son
approvisionnement en matières premières. En effet, étant donné que les ressources
83
naturelles de la Chine ne suffisent plus à alimenter son marché intérieur , l’économie
chinoise a un besoin gigantesque de matières premières (au point de surpasser en dix
ans l’Union européenne en tant qu’importateur des ressources naturelles), mais aussi,
de débouchés pour ses produits.
Concrètement, l’essentiel des importations chinoises est composé par le pétrole, les
minerais, le coton et le bois. La Chine réalise parallèlement des investissements
stratégiques sur le continent africain, en vue de sécuriser son approvisionnement en
ressources naturelles. Ainsi, les investissements chinois dans le secteur des
infrastructures de transports (routes, aéroports et surtout les voies ferrées) sont
directement liés à l’exploitation des ressources naturelles. Par exemple, au Soudan
(pays au ban de la communauté internationale), les investissements chinois visent à
construire pipelines, infrastructures de transports et raffineries pour relier les zones
pétrolières de l’hinterland à la mer Rouge. « Ces investissements sont stratégiques
dans la mesure où les autorités chinoises créent une voie d’approvisionnement dont
ils contrôlent toutes les étapes : le site minier, la concession ferroviaire, les
installations de stockage, le port et parfois le transport maritime. Cette politique a
porté ses fruits, puisque l’Afrique fournit d’ores et déjà 28 % des importations
chinoises d’hydrocarbures 84… » Du reste, la Chine est devenue le principal
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fournisseur de plusieurs pays africains en produits manufacturés bon marché. Ce qui © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
83
En 1993, la Chine a cessé d’être autosuffisante sur le plan pétrolier. Selon les estimations du
gouvernement chinois, à l’horizon 2010, 55 % du pétrole, 57 % du minerai de fer, 70 % du cuivre et
80 % de l’aluminium devront être importés. La Chine est désormais le second consommateur
mondial de pétrole, qui représente 70 % de ses importations d’Afrique : le Soudan, l’Angola et le
Nigéria assurent un tiers de ses besoins. Elle est aussi le premier acheteur de bois tropicaux, souvent
importés en contrebande du Gabon, du Congo et de Guinée équatoriale, etc. T. VIRCOULON, « La
84
nouvelle question sino-africaine » , Études, novembre 2007.
Ibidem, p. 456.
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42 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
L’ouverture des marchés africains s’est effectuée par le biais du démantèlement des
barrières tarifaires, sous la houlette des institutions financières internationales qui se
sont fait le chantre de la libéralisation internationale. Pour mener à bien sa stratégie
économique en Afrique, la Chine s’est dotée, pour sa part, d’une série d’instruments,
parmi lesquels des organismes financiers (l’Export and Import Bank of China – Exim
Bank, et la China Construction Bank), qui mènent une politique agressive de prêts à
taux préférentiels, des champions nationaux (dont trois entreprises nationales
dominent le secteur pétrolier : SINOPEC, CNOOC et CNPC), une assistance
technique importante 85, etc.
L’emprise économique de la Chine en Afrique inquiète les pays de l’Union
européenne. Car à l’instar des échanges entre les pays industrialisés et le continent
noir, la structure du commerce sino-africain s’apparente à un commerce Nord-Sud.
La Chine importe ainsi des ressources naturelles (pétrole et minerais) et exporte vers
l’Afrique des produits manufacturés, sous la forme de biens de consommation
(habillement, tissus, électronique) et de biens d’équipements (télécommunications,
etc.).
L’ouverture des marchés africains sous l’impulsion des puissances industrialisées
occidentales bénéficie principalement à l’industrie chinoise. À titre indicatif, les
industries chinoises se sont implantées en Algérie (pétrole Adrar, hôpital d’Oran,
hôtel Hilton d’Alger), au Sénégal (l’autoroute de Dakar), au Nigeria (un satellite de
télécommunication), en Angola (25 % de l’industrie du pétrole) 86. Plus globalement,
la Chine – qui s’est hissée au rang de troisième partenaire commercial de l’Afrique,
après les États-Unis et l’Union européenne –, est ainsi à même de supplanter la
présence commerciale européenne en Afrique (c’est notamment le cas de la France) 87.
Dans la plupart des cas, les produits industriels chinois se substituent à des biens
importés d’Europe ou du Japon pour offrir des produits moins chers qui les mettent à
la portée du plus grand nombre.
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85
86
Ibidem, p. 454.
V. PAONE, « L’influence de la Chine en Afrique : une alternative au post-colonalisme ? », Annuaire
français des relations internationales par le Centre Thucydide de Panthéon-Assas et le Quai D’Orsay,
87
2007.
Ibidem.
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 43
la Banque mondiale), l’aide chinoise ne s’embarrasse pas de conditionnalité © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
économique, ou encore, de codes de bonne conduite qui visent à la moralisation des
88
89
J.-R. CHAPONNIÈRE, « La Chine s’installe en Afrique », Alternatives économiques, n° 268, avril 2008.
Les principes de non-ingérence et de respect de la souveraineté étatique par exemple s’inscrivent dans
la lignée de l’esprit de la conférence de Bandoung de 1955. « Le discours diplomatique chinois en
Afrique reste dans la continuité de l’histoire des décolonisés, dont l’idéal actualisé est de sortir du
joug (économique cette fois) d’un Occident fondamentalement dominateur. » T. VIRCOULON, « La
nouvelle question sino-africaine » , op. cit., p. 453.
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44 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
relations économiques avec les pays du Sud (par exemple, la lutte contre la
corruption).
Si des institutions telles que le Fonds monétaire international et de la Banque
mondiale se sont vues discréditées principalement dans les pays du Sud – au vu de
leurs exigences draconiennes jugées inadaptées, voire totalement contreproductives –
une aide économique inconditionnelle n’est pas sans poser de réels problèmes. Ainsi,
la politique de crédits développée par la Chine, dictée par sa vision de ses intérêts
stratégiques en Afrique, inquiète entre autres les institutions financières
90
internationales, en ce qu’elle crée une nouvelle vague d’endettement en Afrique .
Tandis que certains pays africains ont pu bénéficier de remises de dette dans le cadre
de l’Initiative des pays pauvres très endettés (PPTE), la Chine s’emploie à présent à
octroyer ses propres prêts, qui auront à présent plus de chance d’être remboursés.
Autrement dit, la Chine viendrait à tirer parti de la baisse des niveaux d’endettement
des pays africains après les annulations de dettes consenties par les pays de l’OCDE,
dans le cadre de leur politique de développement, pour défendre ses propres intérêts
économiques et commerciaux.
De la même façon, l’aide chinoise n’est pas assortie de clause des droits de l’homme.
Avec pour résultat que la Chine est apparue depuis quelques années comme le
meilleur soutien des régimes dictatoriaux zimbabwéen et soudanais, par exemple,
pourtant mis au ban de la communauté internationale. Autrement dit, l’aide chinoise
fournit un appui inespéré à ceux qui veulent échapper au diktat de la bonne
gouvernance et de la transparence 91. En outre, elle devient également un important
fournisseur d’armes pour le continent africain. Ce qui ne contribue aucunement à
instaurer la stabilité sur le continent africain.
Parce que la Chine met l’accent, dans ses relations avec l’Afrique, sur la non-ingérence
(respect de la souveraineté étatique) et sur refus des conditionnalités (en matière des
droits de l’homme, de gouvernance, etc.), l’aide chinoise devient une alternative
tentante pour les pays africains, fatigués des exigences de l’aide occidentales au
développement et soucieux de non-ingérence, au point que la Chine s’impose de plus
en plus comme bailleur alternatif 92.
D’ailleurs, la stratégie chinoise porte ses fruits en Afrique. Sur le plan diplomatique, le
gouvernement chinois a gagné sa bataille contre Taïwan. Seuls cinq pays africains
reconnaissent encore Taipeh (le Burkina-Faso, la Gambie, le Malawi, le Swaziland,
Sao-Tomé et Principe). Du reste, en modifiant la donne économique sur le plan
90
À cet égard, notons qu’après le terme d’ « État voyous » (rogue state) créé par les néo-conservateurs de
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 45
décennies montre que la spécialisation dans les industries extractives ou autres © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
matières premières leur a été largement préjudiciable. Elle n’a pas conduit à une
stratégie d’industrialisation où la manne financière générée par l’exploitation des
ressources naturelles a favorisé l’émergence de l’économie locale, et au développement
de secteurs à forte intensité de main-d’œuvre.
Au vu de ce contexte, et en dépit d’une idéologie tiers-mondiste qu’elle s’efforce de
préserver, le sentiment anti-chinois a commencé à s’exprimer dans certains pays
CH 1991-1992
46 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
93
Alors que l’influence indienne se cantonnait principalement dans les pays anglophones de l’Afrique
de l’Est, New Delhi a surtout élargi son influence en Afrique francophone ces dernières années.
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 47
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6. LA NOUVELLE CONFIGURATION
INTERNATIONALE
Dans ce chapitre, nous nous attacherons essentiellement à esquisser les alliances que la
Chine, l’Inde et le Brésil tendent à nouer entre eux, en ce qu’elles augurent de la
définition de nouveaux équilibres géopolitiques à l’échelle mondiale. Ces pays font
effectivement face à plusieurs défis politiques et économiques similaires qui les
poussent à coopérer dans des domaines variés. En jouant tantôt la carte des pays du
Nord, tantôt celle des pays du Sud, les BRICs œuvrent à la redistribution des cartes au
sein de forums multilatéraux.
Pour l’Inde et la Chine, nous avons vu que la défense des intérêts des pays en
développement est ancrée dans leur histoire. La Chine s’est traditionnellement
distinguée, dans les années 1960, par la lutte contre le colonialisme et contre
l’hégémonisme. Elle œuvre, depuis la fin de la guerre froide, à l’édification d’un
monde multipolaire, où elle pourrait jouer un rôle important. Le positionnement de
l’Inde en leader des pays du Sud remonte, pour sa part, à la conférence de Bandung en
1955, qui a lancé, en pleine guerre froide, le Mouvement des non-alignés. À l’époque,
il s’agissait surtout de préserver la souveraineté des États nouvellement indépendants
face aux deux superpuissances (URSS et États-Unis). Très vite cependant, l’écart
grandissant entre le niveau de vie des pays développés et celui des anciennes colonies a
amené le combat sur le front économique. Dans cette logique, la stratégie
commerciale de l’Inde consiste le plus souvent à consolider ses alliances avec les pays
du Sud, notamment avec le Brésil, dans les divers forums internationaux. Toutefois,
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 49
l’influence des États-Unis sur le continent américain, le Brésil s’est attelé, au moyen
d’accords de coopération régionale, à favoriser l’avènement d’un monde multipolaire.
Par ce biais, le Brésil entend renforcer son autonomie économique, qui contribue, en
retour, à amplifier son poids politique sur la scène mondiale. De façon plus générale,
en privilégiant les alliances avec l’Inde et la Chine, le Brésil entend obtenir leur soutien
dans ses prétentions à accéder au statut de membre permanent du Conseil de sécurité
de l’ONU, qui confirmerait son nouveau statut d’acteur global.
l’OMC. À la conférence ministérielle de l’OMC à Hong Kong en 2005, les pays © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
industrialisés ont tenu compte de l’émergence du G20, en programmant la
suppression des subventions à l’exportation des produits agricoles dès 2013. Plus tard,
le G4 a vu le jour (il rassemble l’Union européenne, les États-Unis, le Brésil et l’Inde),
pour sortir de l’ornière le processus de Doha. L’idée étant qu’un compromis au sein
du G4 ouvrirait la voie à une convergence multilatérale. Enfin, les ultimes
94
Les leaders de ce groupe sont l’Afrique du Sud, le Brésil et l’Inde.
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50 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
À l’avenir, leur influence sur la scène internationale est susceptible de s’accroître pour
autant qu’ils intensifient leur coopération mutuelle et qu’ils continuent à rallier
derrière leur position l’appui d’une majorité de pays en développement. La partie n’est
pas gagnée d’avance.
Pour asseoir sa position sur l’échiquier international, le Brésil, par exemple, s’est
inscrit dans une logique d’intégration économique : l’indépendance économique et
politique se renforçant mutuellement. Concrètement, l’accession de Lula au pouvoir
en 2003 s’est accompagnée d’une offensive diplomatique, en vue de faire contrepoids
à l’influence américaine, tout en consolidant sa position dans les négociations
internationales. Le Mercosur – le marché commun du cône Sud –, créé en 1991, joue,
à ce titre, incontestablement un rôle pivot dans la stratégie brésilienne, non seulement
pour faire émerger les intérêts de l’Amérique latine dans les instances internationales,
mais aussi, pour affirmer son propre leadership, dans un monde de plus en plus
multipolaire. Le Mercosur est d’ailleurs devenu l’épicentre du processus de
régionalisation en Amérique du Sud.
La dynamique d’intégration régionale dépasse toutefois les objectifs purement
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95
Elle rassemble les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), de la Communauté
andine des nations (Venezuela, Colombie, Pérou, Équateur et Bolivie) ainsi que du Chili, de la
Guyane et du Surinam.
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PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES 51
domine le marché en raison de sa main-d’œuvre bon marché, nous avons vu que la © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
96
Les accords multifibres (1974), négociés par les pays industrialisés dans le contexte du GATT, visaient
à limiter les exportations du textile sur les marchés de l’Union européenne et des États-Unis par un
système de quotas. La libéralisation du secteur textile, négociée dans le cadre de l’OMC, a pris cours le
er
1 janvier 2005.
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52 PAYS ÉMERGENTS ET NOUVEL ÉQUILIBRE DES FORCES
97
Par exemple, au sein du Mercosur, l’Argentine s’est transformée en pays exportateur de matières
premières et de produits à faible valeur ajoutée alors que le Brésil est demeuré un exportateur de
biens davantage industrialisés. Pour plus d’informations, cf. l’étude de F.-P. DUBE, L. TASSE, F. Sylvan,
F. TURCOTTE, Les relations Inde-Brésil-Chine : Nouveaux axes de coopération et d’affrontement, Chaire
Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, note de recherche, mai 2002, p. 31.
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CONCLUSION
La montée en puissance des pays émergents atteste de la situation très hétéroclite des
pays du Sud. Bénéficiant de taux de croissance très forts ces dernières années, ils ont
comblé une partie de leur retard économique par rapport aux pays développés. Pour
des pays comme l’Inde et la Chine, mais aussi pour la Russie, on peut difficilement
dire qu’ils émergent sur la scène internationale, mais qu’ils retrouvent le rang qu’ils
occupaient dans les siècles passés.
Les pays émergents, et en premier lieu les BRICs, augurent d’un monde de plus en
plus multipolaire. Leur intégration dans la mondialisation en fait des acteurs de plus
en plus incontournables, qui marqueront sans conteste ce nouveau siècle, et
insuffleront un nouvel ordre mondial.
Pour les pays industrialisés, qui ont toujours cherché à imposer leur conception de la
démocratie, des valeurs universelles des droits de l’homme, ou encore, leurs règles du
jeu économique, en ce qu’ils les perçoivent comme préalable au développement
économique, l’enjeu est de taille. En effet, en modifiant l’équilibre de la planète, les
pays émergents ébranlent la vision occidentale du modèle de développement
économique, selon laquelle toute réforme économique d’envergure doit au préalable
adopter les institutions politiques et juridiques occidentales.
Jusqu’à présent, la prise en considération de la montée en puissance des pays
émergents s’est principalement marquée, au sein de l’Union européenne, par la
conclusion d’accord de partenariat stratégique avec les nouveaux géants. Ces
partenariats revêtent la forme d’un accord-cadre qui englobe tous les domaines des
relations bilatérales que l’Union européenne noue avec ces pays (économie,
commerce, énergie, environnement, droits de l’homme, etc.) 98. Dans le contexte de la
mondialisation, l’Europe n’a d’autre choix que de développer davantage la
coopération avec ces puissances émergentes sur des questions aussi cruciales que les
droits sociaux, l’environnement, la sécurité énergétique, ainsi que certains grands
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dossiers politiques (Corée du Nord, Iran, réforme de l’ONU, Cour pénale © CRISP | Téléchargé le 02/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.45.79.86)
internationale, etc.), de façon à les ancrer dans les instances multilatérales, afin que le
droit l’emporte sur les rapports de forces. De façon plus générale, l’émergence de ces
pays doit amener les pays de l’Union européenne à une réflexion sur le
98
Le partenariat Chine-Union européenne a été établi en 1998, au premier Sommet Chine-Union
européenne, et s’est développé par la suite. Un partenariat stratégique lie également l’Union
européenne et l’Inde depuis 2004, l’Union européenne et le Brésil depuis 2007.
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BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
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Derniers numéros parus
1989-1990 Le financement et la comptabilité des partis politiques francophones
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1987-1988 La formation professionnelle continue
Marie Monville et Dimitri Léonard
1986 La Communauté germanophone : histoire, institutions, économie
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1985 Index 2007
1983-1984 Le financement de la Communauté germanophone
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1981-1982 Le profil des élus et des candidats francophones aux élections fédérales
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1978-1979 Attac France et le mouvement altermondialiste
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1976-1977 Le traité de Lisbonne
Pascal Gilliaux
1975 Le statut des directeurs d’école
Bernard De Commer
1974 Bruxelles-Hal-Vilvorde : du quasi-accord de 2005 à la procédure en
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Serge Govaert