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Cris 2210 0005
Dominique Grootaers
Dans Courrier hebdomadaire du CRISP 2014/5 (n° 2210), pages 5 à 47
Éditions CRISP
ISSN 0008-9664
DOI 10.3917/cris.2210.0005
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Le tronc commun
dans l’enseignement secondaire
Dominique Grootaers
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Précisons que la Communauté française a décidé, en mai 2011, d’adopter la dénomination de
« Fédération Wallonie-Bruxelles » dans sa communication interne et externe. Ce nouveau nom
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6 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
filières qui en dépendent, nombreux sont ceux qui préconisent de réformer ce tronc
er
commun, certains en le maintenant dans ses limites actuelles du 1 degré, d’autres en le
e e
prolongeant jusqu’à la 3 , voire à la 4 année secondaire.
Le présent Courrier hebdomadaire a pour objectif de dresser un état des lieux des positions
des principaux acteurs intervenant dans le champ scolaire en Communauté française,
relativement à la question d’une éventuelle réforme du tronc commun.
Deux groupes d’acteurs ont pu être identifiés. D’une part, ceux qui appellent à des
aménagements s’inscrivant dans le cadre des structures actuelles. D’autre part, ceux qui
sont partisans d’une refonte en profondeur. Dans chacun de ces deux groupes, nous
distinguerons les acteurs de première, de deuxième et de troisième ligne, selon leur
proximité avec les centres de décision politique en matière d’enseignement.
En l’occurrence, nous entendrons par acteurs de première ligne ceux qui décident et
agissent directement sur les politiques de l’enseignement : le Ministère de l’Enseignement,
les partis politiques et les fédérations de pouvoirs organisateurs. Par acteurs de deuxième
ligne, nous désignerons ceux qui exercent une influence sur les décideurs, en jouant
le rôle de groupes de pression, en étant consultés par les décideurs ou en étant invités
à participer aux négociations : les syndicats d’enseignants et les fédérations d’associations
de parents. Par acteurs de troisième ligne, enfin, nous entendrons ceux qui forment
une constellation à géométrie variable, jouant le rôle de laboratoire d’idées, alimentant
un mouvement d’opinion dans la société civile (notamment via la presse) et exerçant
une influence plus lointaine sur les décideurs : les organisations appartenant au monde
associatif (dont certaines se sont regroupées afin de défendre des prises de position
communes), les chercheurs universitaires, les groupes de réflexion à visée prospective
et les organisations patronales.
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1. LES STRUCTURES DE L’ENSEIGNEMENT :
FILIÈRES ET TRONC COMMUN
À l’approche des élections du 25 mai 2014, la question d’une réforme du tronc commun
au début du secondaire revient à l’avant de la scène politique et de la scène médiatique.
Avant d’analyser les positions des différents acteurs à ce sujet, il convient de présenter
les structures actuelles de l’enseignement secondaire, d’en rappeler brièvement les origines
et les évolutions récentes, autour des enjeux du tronc commun.
Si le premier chapitre fait ainsi un rapide retour sur le passé, les deux suivants regarderont
vers le futur et se pencheront sur des prises de position programmatiques.
5
Plus exactement, il faudrait parler de filière de transition technique et artistique et de filière de qualification
technique et artistique.
6
Cf. D. GROOTAERS, « Cent cinquante ans d’instruction publique, à la poursuite de l’intégration sociale
et de la promotion individuelle », in D. GROOTAERS (dir.), Histoire de l’enseignement en Belgique, Bruxelles,
CRISP, 1998, p. 95-98.
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8 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
mettre à égalité les filières générale et technique passait en outre par une valorisation
symbolique des savoirs technologiques, non seulement par le biais d’une formation
théorique reconnue comme fondement d’un humanisme technique (surtout pour les
élèves poursuivant leur scolarité jusqu’au terme de la filière technique), mais aussi à
er
travers des activités d’essai introduites dans le programme du 1 degré et pratiquées
obligatoirement par tous les élèves de 1re secondaire. Ces activités comprenaient de
la technologie au même titre que de l’initiation au latin.
Depuis l’instauration de l’enseignement rénové, les deux premières années de
l’enseignement secondaire constituent le degré d’observation et sont en principe
communes à l’ensemble des élèves. Le choix de l’orientation vers l’une ou l’autre filière
e e
ne se pose que lorsque l’élève entre en 3 année, au seuil du 2 degré, dit degré d’orientation
e e 7 er
(3 et 4 secondaire) . Au moment de l’instauration du Rénové, le 1 degré commun
ne relevait ni de l’enseignement général, ni de l’enseignement technique et professionnel.
Les statistiques ministérielles classaient les effectifs de ce degré en dehors de ceux de
ces deux grandes catégories d’enseignement qui, à cette époque, dépendaient chacune
d’une administration différente. Depuis 1988 cependant, les effectifs du 1er degré ont
8
été intégrés à ceux de l’enseignement général . La suite de l’historique nous éclairera
sur ce changement.
Nous avons dit que le 1er degré d’observation créé par le Rénové est en principe conçu
comme un degré commun. En effet, certains élèves – à savoir ceux qui n’ont pas réussi
e
leur 6 primaire dans les délais prescrits – ne fréquentent pas les deux années communes
du degré d’observation (dites 1re A et 2e A). Le Rénové a prévu pour eux la classe d’accueil
(dite 1re B), conçue en principe comme une classe de rattrapage permettant de rejoindre
la 1re A ou la 2e A, mais conduisant en réalité la majorité de ses élèves en 2e professionnelle
(2e P). Ce faisant, la réforme de l971 maintient la filière professionnelle en dehors des
nouvelles structures qu’elle a créées. Plusieurs mesures ministérielles récentes viseront
ensuite à supprimer cette voie parallèle et à intégrer les élèves de 1re B – 2e P au 1er degré
d’observation (cf. infra).
Même si l’expression de « degré d’observation » ou de « 1er degré commun » a toujours
cours aujourd’hui, plus de 40 ans se sont écoulés depuis l’instauration du Rénové. Il nous
faut pointer quelques-unes des évolutions de ce 1er degré, concernant, d’une part, son
statut d’enseignement général et, d’autre part, le mode de traitement des élèves faibles
qui y est appliqué.
Concernant son statut d’enseignement général, nous allons brièvement rappeler quelques-
unes des mesures politiques qui apportent des inflexions au 1er degré de l’origine et qui
sont intervenues autour du décret « missions » du 24 juillet 1997. Ainsi nous pourrons
éclairer le transfert statistique des élèves du 1er degré dans la catégorie de l’enseignement
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7
8
Cf. Ibidem, p. 98-101.
re e re e
Pour l’année 1988-1989, les élèves de 1 et 2 observation sont comptés comme « 1 et 2 générale »,
re e re
les élèves des classes d’accueil sont comptés comme « 1 et 2 professionnelle » et les rubriques « 1 et
e re e
2 technique de transition » et « 1 et 2 technique de qualification » sont vides (cf. Communauté
française de Belgique, Ministère de l’Éducation, de la Recherche et de la Formation, Service des statistiques,
Compléments aux annuaires statistiques de 1988-89 et 1989-90. Ventilation des effectifs par année de
naissance et par section, Bruxelles, 1995, p. 174, 180 et 190). À partir de 1990, on retrouvera les élèves
re e
de 1 et 2 observation dans la rubrique « enseignement de transition » et les élèves des classes d’accueil
dans la rubrique « enseignement de qualification ».
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LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 9
général, un transfert qui semble loin d’être anodin. Concernant le traitement des élèves
en difficulté scolaire, nous aborderons les mesures plus récentes, adoptées durant les deux
dernières législatures (2004-2009 et 2009-2014).
er
Ainsi nous pourrons envisager l’état actuel du 1 degré et présenter le diagnostic des
acteurs concernant cet état. C’est là le point d’appui des diverses propositions qui seront
analysées dans les deux autres chapitres.
9
D. GROOTAERS, « Les mutations de l’égalité des chances à l’école », Courrier hebdomadaire, CRISP,
10
n° 1893, 2005.
J. BECKERS, Comprendre l’enseignement secondaire. Évolution, organisation, analyse, Bruxelles, De Boeck,
1998, p. 193.
11
Décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et
de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre, Moniteur belge,
23 septembre 1997.
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10 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
Les premières inflexions données dans les années 1990 conduisent à modifier la position
du 1er degré en tant que charnière entre le primaire et le secondaire, et à redéfinir son
objectif principal en termes d’égalité des acquis. Elles marquent ainsi une véritable rupture
par rapport à la réforme du Rénové de 1971.
Des évaluations externes sont progressivement instituées à différentes étapes du continuum
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12
Décret du 26 avril 1999 portant confirmation des socles de compétences et modifiant la terminologie
relative à la compétence exercée par le Parlement en application des articles 16, 25, 26, 35 et 43 du
décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de
l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre, Moniteur belge, 27 août
1999. Un document reprenant tous les référentiels des compétences-socles actualisés est consultable
sur le site Internet www.enseignement.be (dans la rubrique « Référentiels de compétences. Les socles
de compétences »).
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LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 11
13
minimales définies pour chacune de ces étapes. Un décret de 2006 (sous le ministère
de Marie Arena, PS) instaure une épreuve externe associée à la délivrance du certificat
d’études de base (CEB), en fin de 6e primaire. Mais c’est l’épreuve de fin du 1er degré
secondaire qui marque le terme de ce continuum : elle est certificative et conduit à
er
l’obtention du certificat d’études du 1 degré (CE1D). Depuis l’année scolaire 2012-2013,
une épreuve externe commune est obligatoire au terme du 1er degré de l’enseignement
14
secondaire ; elle porte sur les mathématiques et le français. À partir de 2014, elle
concernera également les langues modernes (testées déjà dans certaines écoles en 2013)
et, à partir de 2015, viendront s’y ajouter les sciences. Les consignes de passation, les
questions et les critères de correction sont communs pour tous les élèves qui présentent
l’épreuve. L’organisation de celle-ci dans les écoles est réglée par voie de circulaire.
er
À travers ces évolutions, le 1 degré est devenu un tronc commun centré avant tout
sur des cours de formation générale, complétés par 4 heures hebdomadaires d’activités
complémentaires laissées au choix de l’élève (cours optionnels).
Deux décrets complémentaires de 2006 et 2007 (également sous le ministère de M. Arena)
se sont attachés à renforcer le caractère commun de ce degré, tout en modifiant le
traitement des élèves en difficulté qui, jusqu’alors, étaient maintenus dans une sorte
de voie parallèle composée de la classe d’accueil et de la 2e professionnelle.
D’une part, le décret du 30 juin 2006 15 réaffirme le caractère de tronc commun du
1er degré et précise, de manière plus contraignante, les règles concernant les activités
complémentaires (à option). Selon ce décret, bien que les activités complémentaires
puissent être concentrées sur des cours de latin (jusqu’à 4 heures par semaine) ou sur
des cours techniques (mais dans ce cas, à raison de 2 x 2 heures hebdomadaires maximum
dans deux types d’activités différentes), elles ne peuvent en aucun cas correspondre à
er
des options qui détermineraient l’orientation à l’issue du 1 degré.
D’autre part, le décret du 7 décembre 2007 16 règle l’organisation structurelle des parcours
différenciés pour les élèves en difficulté scolaire au sein du 1er degré, en instaurant le
« 1er degré différencié » (comprenant la 1re D et la 2e D), auxquelles s’ajoutent l’« année
complémentaire » (appelée S) et l’« année spécifique de différenciation et d’orientation »
(appelée SDO) 17. Le décret renforce également les modalités d’un accompagnement
13
Décret du 2 juin 2006 relatif à l’évaluation externe des acquis des élèves de l’enseignement obligatoire
14
et au certificat d’études de base au terme de l’enseignement primaire, Moniteur belge, 23 août 2006.
Le décret du 28 mars 2013 modifiant diverses modalités d’épreuves externes prévues par le décret du
2 juin 2006 relatif à l’évaluation externe des acquis des élèves de l’enseignement obligatoire et au
certificat d’études de base au terme de l’enseignement primaire (Moniteur belge, 24 avril 2013) contient
un titre III intitulé « De l’organisation des épreuves externes certificatives communes au terme de
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individualisé des élèves (en année S et en année SDO). Cet accompagnement se réalise
grâce à l’élaboration d’un « plan individuel d’apprentissage » et au suivi assuré par
un « conseil de guidance ». Le décret prévoit des itinéraires multiples à l’intérieur d’un
er er er
1 degré se dédoublant désormais en un « 1 degré commun » et en un « 1 degré
différencié ». La nouvelle structure, d’un côté, s’est délestée de sa voie séparée comprenant
la 1re accueil – 2e P et, de l’autre côté, s’est complexifiée en un véritable dédale de voies
plus ou moins communicantes. Selon le décret, l’accompagnement et la différenciation
des parcours sont individualisés en vue de poursuivre non seulement l’objectif de
la maîtrise des socles de compétences, mais aussi l’objectif de la formulation et de
er
la maturation d’un projet personnel en prévision de l’orientation à la sortie du 1 degré.
er
Celle-ci intervient obligatoirement après trois années passées dans le 1 degré, avec
ou sans réussite dans la maîtrise des socles. L’année SDO (rattachée au 2e degré) offre
la possibilité d’un sursis d’une 4e année supplémentaire précédant l’orientation et
permettant de se centrer sur le projet personnel de l’élève.
Ces mesures visent à concilier un objectif d’égalité des acquis au terme du 1er degré (que
celui-ci soit « commun », pour ceux qui n’ont pas de difficultés scolaires insurmontables,
ou qu’il soit « différencié », pour les autres) et un accompagnement individualisé instauré
au sein du 1er degré différencié. Les dispositifs d’accompagnement individualisé servent
à soutenir et à pousser les élèves faibles vers la maîtrise des acquis de base exigée de
tous ou, tout au moins, vers la formulation d’un projet personnel rendant possible
une « orientation positive », même lorsque l’impasse de l’échec ferme aux élèves les portes
de leur premier choix.
Pour compléter le tableau du système actuel, il nous faut encore évoquer deux mesures
politiques récentes visant à favoriser la réussite au 1er degré.
Au soutien individualisé apporté aux élèves s’ajoutent, dès les années 1990, des politiques
de discrimination positive et d’encadrement différencié visant cette fois à donner des
moyens supplémentaires aux écoles en fonction d’un indice socio-économique moyen
qui leur est attribué à partir des indices des quartiers d’habitation de leurs élèves 18.
Ces moyens supplémentaires doivent à leur tour contribuer à améliorer la maîtrise
des acquis de base pour des élèves fréquentant des établissements scolaires dont le
recrutement social est considéré comme un frein à la réussite. Les décrets les plus récents
sur cette question datent de 2009, 2010 et 2011 (sous les ministères de Christian Dupont,
PS, et de Marie-Dominique Simonet, CDH) 19.
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LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 13
Enfin, une dernière mesure récente concerne la création de nouvelles écoles. Profitant
de la pression démographique, M.-D. Simonet a voulu assouplir les conditions permettant
de créer des établissements d’un nouveau type, appelé degré d’observation autonome
(DOA). L’idée n’est pas neuve ; elle date des origines du Rénové mais s’était très peu
concrétisée jusqu’alors. Un décret de 2011 vise à encourager la création d’écoles
n’organisant que le 1er degré, de manière totalement indépendante des écoles qui offrent
e e
les 2 et 3 degrés et qui sont, quant à elles, spécialisées dans une ou plusieurs filières et
20 er
reconnues comme telles par les parents . Ce détachement du 1 degré et son institution
en entité autonome doit empêcher que le choix de l’école secondaire à l’issue de
la 6e primaire ne prédétermine le choix d’orientation ultérieur des élèves. Deux
interpellations au Parlement de la Communauté française, l’une en 2012 de Caroline
Persoons (députée FDF), l’autre en 2013 de Caroline Désir (députée PS), concernant
l’application de ce décret conduisent à constater que, jusqu’en février 2013 en tout cas,
aucun projet de création d’école de type DOA n’a encore été déposé par un pouvoir
organisateur 21.
À l’heure actuelle, les différents acteurs, ministre inclus, s’accordent sur un diagnostic
commun des problèmes de l’enseignement secondaire en Communauté française. Nous
avons eu l’occasion de pointer la plupart de ces maux lorsque nous avons passé en revue
les diverses mesures prises depuis le décret « missions » en vue de les enrayer. Sans doute
ces mesures n’ont-elles pas encore réussi à apporter de réponse vraiment convaincante.
Car aujourd’hui encore, l’ensemble des acteurs du champ scolaire reconnaissent la
faiblesse des acquis de base et les mauvais résultats des élèves de 15 ans, en termes tant
de niveau moyen que d’écart entre les niveaux selon l’origine sociale (cf. les résultats
des enquêtes PISA). Ils continuent de déplorer le fait que l’orientation vers les filières
technique et professionnelle se fasse majoritairement par l’échec. Ils dénoncent plus
que jamais une série de conséquences néfastes de cette orientation par l’échec, elle-même
associée à une hiérarchisation des filières. Du côté des élèves concernés par la relégation,
ils observent une dévalorisation des filières de qualification, une détérioration de l’image
de soi, un désinvestissement, voire un décrochage scolaire. Les retombées négatives
touchent aussi les professeurs. Les acteurs constatent que la tâche d’enseignement
dans ces filières est rendue particulièrement difficile, ce qui décourage nombre de jeunes
enseignants affectés à ces classes et tentés de fuir définitivement le métier, déjà menacé
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20
Décret du 19 juillet 2011 modifiant diverses dispositions relatives à l’enseignement secondaire, Moniteur
belge, 22 août 2011.
21
Parlement de la Communauté française, Bulletin des questions et réponses, n° 9, 29 juin 2012, p. 70 ;
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 65-Educ 11, 5 février 2013, p. 16 et 19.
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14 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
dans lequel le départ de certains parents entraîne une détérioration du climat et/ou du
niveau de l’école, provoquant à son tour la fuite d’autres parents. Inversement, le fait que
les places sont rares dans certaines écoles augmente la réputation de ces écoles, ce qui
accentue à son tour la pression de la demande d’inscription des parents.
À ce diagnostic partagé, répondent une variété de propositions et de projets de la part
des divers acteurs intervenant dans le champ scolaire en Communauté française. Certains
font de nouvelles propositions sur l’enjeu des inscriptions à l’entrée du secondaire, selon
des formules multiples et subtiles qui tentent de concilier l’objectif de favoriser plus de
mixité sociale à celui du respect des principes de la liberté de choix de l’école par les
parents et de la liberté pédagogique des pouvoirs organisateurs. Gageons que la question
de la régulation des inscriptions n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre (et de volonté
22
politique) en Communauté française . Pour notre part, nous nous intéressons à l’étape
qui suit immédiatement cette inscription : l’enjeu des premières années du secondaire.
Le terme de « tronc commun » utilisé dans les débats parlementaires de la dernière
législature (2009-2014) laisse la porte ouverte à de multiples interprétations. Comme
tel, ce terme ne figure pas dans le décret « missions » du 24 juillet 1997 qui institue,
nous l’avons vu, le continuum pédagogique en tant que parcours commun débutant
à l’école maternelle et devant aboutir à la maîtrise des socles de compétences à la fin
du 1er degré secondaire. Pour sa part, la déclaration de politique communautaire de
l’exécutif actuel, le gouvernement Demotte II (PS/Écolo/CDH), dit vouloir « consolider
le tronc commun ». Mais que faut-il entendre par là ? La déclaration assimile le « tronc
commun » au continuum pédagogique prévu par le décret « missions » et définit sa
« consolidation » en lui donnant une perspective qui nous apparaît particulièrement
ambiguë : « assurer à tous les élèves, y compris les élèves à besoins spécifiques, la maîtrise
des savoirs de base et permettre une orientation positive ; consolider tout particulièrement
les volets scientifique, artistique et technologique afin de contribuer, dès l’amont, à
une valorisation des filières qualifiantes » 23. Une première contradiction (ou tout au
moins une tension) apparaît entre, d’une part, le souci de mener « tous les élèves » sans
distinction aux acquis de base et, d’autre part, l’attention particulière à consacrer à
certains élèves « à besoins spécifiques » (on peut entendre : en difficulté, voire en échec
scolaire) et à l’« orientation positive » qui semble importante plus particulièrement pour
ces derniers. Une autre contradiction ou tension qui se combine à la première sous-tend,
d’une part, l’objectif de consolider les volets scientifique, artistique et technologique
de la formation donnée au 1er degré et, d’autre part, l’association explicite de ceux-ci
à la valorisation des filières qualifiantes. Cette double ambiguïté dans les finalités de
la consolidation du tronc commun rejaillit sur les débats parlementaires en séance
plénière et sur ceux de la Commission de l’Éducation qui, depuis 2009, se sont penchés
à maintes reprises sur la portée et les retombées de la réforme du 1er degré commun et
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différencié, découlant des décrets de 2006 et 2007 dont nous avons parlé ci-dessus. © CRISP | Téléchargé le 07/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.217.45.188)
22
Concernant les tenants et aboutissants des dispositions relatives à l’enjeu de la régulation des inscriptions
depuis le décret « missions » du 24 juillet 1997, cf. N. RYELANDT, « Les décrets “inscriptions” et “mixité
23
sociale” de la Communauté française », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2188-2189, 2013.
Parlement de la Communauté française, Déclaration de politique communautaire 2009-2014, 16 juillet 2009,
p. 25.
CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 15
er
Bien qu’inscrivant explicitement sa politique concernant le 1 degré dans la ligne des
24
recommandations de l’OCDE, qui préconisent un cursus commun jusqu’à 15 ou 16 ans ,
la ministre M.-D. Simonet a déclaré ne pas être favorable à un allongement du
tronc commun au 2e degré secondaire 25. Se référant à la déclaration de politique
communautaire, qui ne prévoit pas pareil allongement mais bien une « consolidation »,
comment la politique de la dernière législature concernant le 1er degré a-t-elle traduit
cette consolidation ? Afin d’illustrer le flou qui entoure la notion dans la déclaration
de politique communautaire, nous avons repéré comment, en réponse à diverses
interpellations au Parlement de la Communauté française et en Commission de
l’Éducation, la ministre M.-D. Simonet a défendu la consolidation du tronc commun
au 1er degré, en envisageant celle-ci de cinq manières différentes selon les circonstances.
La consolidation du tronc commun au début du secondaire concerne d’abord le caractère
de curriculum commun du 1er degré associé à l’acquisition des socles de compétences,
à leur évaluation externe ainsi qu’à la mise en place de mesures de remédiation pour
les élèves en difficulté 26. Elle passe ensuite par l’organisation d’un 1er degré différencié
offrant un parcours adapté aux élèves fragilisés (en particulier à ceux qui n’ont pas
le certificat d’études de base, correspondant à la fin de l’école primaire), en vue de
favoriser pour eux une approche plus individualisée de l’apprentissage, les conduisant
vers une acquisition au moins partielle des socles, et en vue également de les accompagner
dans l’élaboration d’un projet personnel, ouvrant sur une orientation positive, le plus
souvent vers une filière de qualification 27. La consolidation signifie encore approfondir
le tronc commun en diversifiant les contenus enseignés et en y ajoutant des activités
techniques, artistiques, sportives, créatives qui offrent d’autres approches que la démarche
logico-verbale largement dominante au 1er degré et associée à l’enseignement général 28.
24
Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRI 7, 15 décembre 2010, p. 22 ;
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
25
CRIC 32-Educ 5, 27 novembre 2012, p. 10.
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 3-Educ 2, 28 septembre 2010, p. 6 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté
26
française, Compte rendu intégral, CRIC 13-Educ 3, 18 octobre 2011, p. 9.
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 60-Educ 12, 9 février 2010, p. 4 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté
française, Compte rendu intégral, CRIC 61-Educ 12, 31 janvier 2012, p. 23 ; Commission de l’Éducation
du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 135-Educ 26, 10 juillet 2012,
p. 4-5 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
27
CRIC 24-Educ 4, 13 novembre 2012, p. 16.
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 59-Educ 11, 25 janvier 2011, p. 7 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté
française, Compte rendu intégral, CRIC 106-Educ 20, 10 mai 2011, p. 24-25 ; Commission de l’Éducation
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16 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
29
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 112-Educ 21, 29 mai 2012, p. 7 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté
française, Compte rendu intégral, CRIC 114-Educ 22, 29 mai 2012, p. 5 ; Commission de l’Éducation
du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 135-Educ 26, 10 juillet 2012, p. 6.
30
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
31
CRIC 32-Educ 5, 27 novembre 2012, p. 11.
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
32
CRIC 19-Educ 3, 23 octobre 2012, p.4.
er
La ministre souligne elle-même le demi-échec de la mise en place des nouvelles structures du 1 degré
commun et différencié (découlant des décrets de ses prédécesseurs et des mesures qu’elle a prises
pour leur mise en application) : « Curieusement, les pouvoirs publics de la Fédération Wallonie-Bruxelles
tentant de mettre en œuvre ces mesures structurelles découlant des études PISA sont confrontés à des
résistances importantes de la part de parents, d’acteurs, de responsables d’école, voire de la classe politique.
(…) Tous les pays occidentaux sont confrontés à un épuisement des pistes pour piloter un système éducatif
par des macrostructures. (…) Rien ne sert de modifier les décrets du passé quand ils sont bons. Il importe
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CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 17
e er
la 6 primaire et le 1 degré secondaire et qui se reflète dans les grands écarts entre
les résultats obtenus aux deux épreuves externes successives, rendues obligatoires aux
deux étapes (fin de 6e primaire, fin de 1er degré secondaire) d’un parcours pourtant censé
35
constituer un « continuum » .
Ce bref survol rétrospectif a permis d’éclairer le fait que les solutions politiques apportées
au fil du temps à l’organisation des premières années secondaires apparaissent encore,
à bien des égards, largement insuffisantes aux yeux de la plupart des acteurs. Que
la question de la réforme du tronc commun se pose une fois de plus, en fin de législature,
est donc loin d’être surprenant. Quels sont alors les projets en présence au début de
l’année 2014 ?
Dans les deux chapitres suivants, nous envisagerons les positions des acteurs partisans
er
d’un aménagement du tronc commun actuel (limité au 1 degré), puis celles des acteurs
qui préconisent une refonte en profondeur des structures et des programmes à cette
étape du cursus (incluant les années suivantes du secondaire). Dans la conclusion, nous
proposerons une modélisation (et donc une simplification) des positions de chacun
des deux groupes d’acteurs, aboutissant à une conclusion formulée sous forme
d’hypothèse : selon notre analyse, derrière certaines similitudes de vocabulaire se cachent
deux projets nettement contrastés et deux conceptions divergentes du traitement de
la réussite des élèves et de la question de leur orientation. Ce faisant, nous espérons
contribuer à clarifier les enjeux concernant les premières années du secondaire.
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35
Parlement de la Communauté française, Bulletin des questions et réponses, n° 12, 30 septembre 2013,
p. 60-61 ; Parlement de la Communauté française, Bulletin des questions et réponses, n° 2, 29 novembre
2013, p. 89-90.
CH 2210
2. L’OPTION D’UN AMÉNAGEMENT
DU SYSTÈME ACTUEL
Le premier groupe d’acteurs est constitué de ceux qui proposent d’apporter, dans le cadre
des structures actuelles, des aménagements au tronc commun du début de l’enseignement
secondaire.
Plusieurs d’entre eux sont proches du réseau libre catholique, ou du moins du sommet
de celui-ci (réseau qui, rappelons-le, représente plus de 60 % de la population scolaire
dans l’enseignement secondaire). Certains acteurs se situent toutefois en dehors du clivage
entre réseaux.
Les acteurs de première ligne qui préconisent de maintenir les structures actuelles tout
en leur apportant des amendements sont les ministres en charge de l’Enseignement
obligatoire, ainsi que, parmi les partis politiques, le CDH, Écolo, le MR et les FDF,
et, parmi les fédérations de pouvoirs organisateurs, le SEGEC et l’un de ses membres,
la FESEC.
CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 19
36
Décret du 12 juillet 2012 organisant la certification par unités d’acquis d’apprentissage (CPU) dans © CRISP | Téléchargé le 07/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.217.45.188)
l’enseignement secondaire qualifiant et modifiant diverses dispositions relatives à l’enseignement
37
secondaire, Moniteur belge, 20 août 2012.
er
« [M.-D. Simonet] signale qu’un texte sur l’ajustement du 1 degré et du tronc commun sera déposé pour
apporter des éléments permettant de le rendre plus commun et peut-être moins général » (Parlement
de la Communauté française, Projet de décret modifiant diverses modalités d’épreuves externes prévues
par le décret du 2 juin 2006 relatif à l’évaluation externe des acquis des élèves de l’enseignement obligatoire et
au certificat d’études de base au terme de l’enseignement primaire. Rapport de commission présenté au nom
38
de la Commission de l’Éducation par L. Gahouchi, DOC 460 n° 2, 12 mars 2013, p. 9).
« Marie-Martine Schyns évoque davantage de cours techniques et manuels jusqu’à 14 ans », Dépêche Belga,
25 septembre 2013.
CH 2210
20 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
er
Le décret relatif à l’organisation pédagogique du 1 degré de l’enseignement secondaire
39
voté le 10 avril 2014 confirme les pistes annoncées . Il définit ainsi sept domaines
d’activités complémentaires (à raison de 4 périodes par semaine, à choisir par l’élève) :
« le français, la langue moderne, les sciences et les mathématiques, les sciences humaines,
les activités artistiques, les activités techniques, les activités physiques ». Les écoles sont
incitées à favoriser « le maintien d’une réelle diversité » mais elles sont libres de définir
quelles catégories d’activités elles organiseront. Sur le plan structurel, la possibilité
d’ajouter une année complémentaire entre la 1re et la 2e secondaire est supprimée au profit
de stratégies de remédiation et d’accompagnement individualisées. Le décret privilégie
une approche personnalisée et un accompagnement psycho-social des parcours scolaires
à travers l’« approche orientante » prévue pour tous les élèves et le « plan individualisé
des apprentissages » (PIA) concernant les élèves en difficulté 40. Il y ajoute la piste du
« plan d’actions collectives » (PAC) « définissant les actions éducatives et pédagogiques,
ainsi que les dynamiques portant sur la motivation, l’orientation, la remédiation, le bien-
être », à mettre en œuvre collégialement au niveau de la classe ou de l’établissement 41.
Le CDH
En février 2011, le Centre démocrate humaniste (CDH) a adopté une note intitulée
Un plan pour doper l’emploi des jeunes : une nouvelle trajectoire coordonnée de la première
primaire au premier emploi 42. Le CDH y défend un continuum d’éducation et
d’accompagnement des jeunes de la première année de l’enseignement maternel jusqu’à
la première insertion dans le marché du travail. Dans cette perspective, une de ses
propositions consiste à « renforcer un tronc commun d’apprentissage jusqu’à 14 ans ».
Selon le CDH, ce tronc commun approfondi devrait concilier deux préoccupations.
D’une part, faire progresser tous les enfants vers un seuil minimal de compétences.
D’autre part, « mettre en place un parcours d’apprentissage accompagné et différencié »
pour chaque élève en difficulté scolaire, combinant un soutien pédagogique, la
construction d’un projet personnel et un processus d’orientation positive selon
la « dynamique motivationnelle » de l’élève.
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39
Parlement de la Communauté française, Projet de décret modifiant notamment le décret du 30 juin 2006
er
relatif à l’organisation pédagogique du 1 degré de l’enseignement secondaire, DOC 640 n° 1, 25 mars 2014.
Cf. aussi Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRI 18, 10 avril 2014, p. 50-54.
40
Parlement de la Communauté française, Projet de décret modifiant notamment le décret du 30 juin 2006
er
relatif à l’organisation pédagogique du 1 degré de l’enseignement secondaire, DOC 640 n° 1, 25 mars 2014,
p. 6-8.
41
42
Ibidem, p. 2.
Un plan pour doper l’emploi des jeunes : une nouvelle trajectoire coordonnée de la première primaire au
er
premier emploi, 1 février 2011, www.lecdh.be.
CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 21
La note du CDH pointe une sorte de tension entre ces deux préoccupations,
er
puisqu’elle affirme vouloir simultanément « rendre le 1 degré davantage commun,
par le renforcement de la formation commune, et davantage ouvert aux différentes formes
d’intelligences et d’expressions ». Le CDH est favorable aux trajectoires, activités et
dispositifs différenciés pour les élèves faibles. Le parti montre une sensibilité particulière
à la question de la lutte contre le mal-être et le décrochage. Cette question est envisagée
comme une facette des difficultés scolaires, vécues notamment au 1er degré et impliquant
un accompagnement individualisé de type psycho-social. Le CDH met l’accent sur
les dimensions affective et relationnelle dans la prise en compte de la personne de l’élève.
La note préconise de développer un partenariat avec des acteurs locaux tels les centres
psycho-médico-sociaux (PMS), les services de médiation, les conseillers d’aide à la
jeunesse, etc., et d’instaurer une approche systémique associant les différents secteurs
institutionnels de l’enseignement, de la santé et de la justice.
Par ailleurs, dans sa note, le CDH se dit favorable à la création d’établissements du type
« 1er degré d’observation autonome » (DOA), c’est-à-dire d’écoles qui se consacrent
spécifiquement et exclusivement aux deux premières années du secondaire en tronc
commun. Le CDH souligne aussi la nécessité d’un appui financier supplémentaire
à apporter aux écoles accueillant des publics en difficulté sociale et scolaire.
Dans le document Nos 400 propositions constituant le programme du CDH pour
les élections du 25 mai 2014, la 39e proposition est intitulée « Construire une trajectoire
d’apprentissage d’excellence pour chaque élève jusqu’à la fin du 1er degré du secondaire
et mettre en place un tronc commun renforçant l’apprentissage des savoirs de base » 43.
Le CDH y affirme son opposition à une prolongation du tronc commun qui consisterait
à « imposer à tous les élèves jusqu’à 15 ou 16 ans une formation identique ».
Mettant l’accent sur le concept de continuum pédagogique pour définir un « vrai » tronc
commun, le CDH propose que soit définie « une trajectoire d’apprentissage dès l’entrée
dans le système scolaire jusqu’à la fin du 1er degré du secondaire (au-delà duquel l’élève
fait le choix de son orientation) afin de s’assurer de la maîtrise des compétences
essentielles ». Préconisant une approche souple et personnalisée du continuum, le CDH
propose la prise en compte des « intelligences multiples » et des « besoins spécifiques
de chaque élève » dans la définition de cette trajectoire. Cette approche individualisante
irait de pair avec un « soutien aux difficultés et une remédiation immédiate », « la
valorisation des différents rythmes, modes et canaux d’apprentissage », un suivi « qui
permette à chaque élève de s’observer et d’être observé dans des compétences techniques,
artistiques, intellectuelles, physiques, citoyennes, psycho-sociales », et un accompagnement
aidant « chaque élève à se mettre en projet par rapport aux apprentissages et à l’école ».
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43
Nos 400 propositions, 2014, www.les-100-propositions-du-cdh.be.
CH 2210
22 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
44
scolaire, préparatoire à son programme en vue des élections du 25 mai 2014 . Écolo
entend rencontrer le problème de l’acquisition des compétences de base par tous les
enfants. Dans cette perspective, il préconise des politiques différenciées accordant plus
d’autonomie aux bassins scolaires et un subventionnement différent selon les
caractéristiques sociales des écoles. Pour contrecarrer la relégation scolaire et favoriser
l’orientation positive, Écolo prône une « approche orientante » dans le cadre du tronc
commun existant, associée à une formation pluridisciplinaire et à la valorisation des
45
filières qualifiantes et des métiers auxquels elles mènent . Au sein du Parlement de
la Communauté française, ses députés ont défendu sans relâche l’« approche orientante »
comme processus continu concernant tous les enfants et ce, dès leur plus jeune âge.
Le parti s’oppose explicitement à l’idée d’une nouvelle réforme impliquant de prolonger
le tronc commun : « Plutôt qu’une énième réforme de structures, la priorité d’Écolo est
de faire fonctionner l’actuel tronc commun jusqu’à 14 ans. »
Un contact avec le groupe Écolo au Parlement de la Communauté française nous a
permis de préciser ces déclarations d’intentions et de connaître les mesures qu’envisage
Écolo pour les concrétiser. Tout d’abord, Écolo préconise un « véritable » continuum
entre l’enseignement primaire et le début de l’enseignement secondaire (notamment
grâce à la transmission des résultats obtenus aux épreuves du CEB aux enseignants de
1re secondaire, sous la forme d’un bilan de compétences) et défend un renforcement
er
de l’épreuve externe correspondant au CE1D obtenu en fin de 1 degré. Ensuite, Écolo
prône l’organisation d’activités pluridisciplinaires au cours du 1er degré commun de
l’enseignement secondaire « donnant l’opportunité à chaque élève d’explorer ses potentiels
intellectuels mais aussi techniques, scientifiques artistiques et corporels » avant de poser
son choix d’orientation et plaide pour l’introduction d’un cours de « découverte des
métiers ».
Le parti estime que l’élève doit être acteur de son orientation et non se faire orienter.
Afin qu’il soit aidé dans cette démarche, un guichet unique d’information serait créé
par bassin scolaire. Écolo entend trouver des alternatives aux attestations d’orientation
restrictives basées sur la logique des filières hiérarchisées ; dans cette perspective, il
préconise d’« accompagner les élèves dans leur choix d’orientation de manière
e
transversale et progressive ». Enfin, Écolo considère que le 2 degré de qualification
pourrait devenir « un degré de transition, de découverte et d’orientation ». Concernant
44
Les priorités d’Écolo face à l’échec scolaire, 4 juillet 2013, www.ecolo.be. Parallèlement, Écolo a ouvert
un site Internet (www.kdecole.be) en vue de susciter la participation citoyenne et de récolter des propositions
45
pour « réinventer l’école », en vue du congrès organisé par le parti au début de l’année 2014.
Cf. par exemple les interventions d’Yves Reinkin (Parlement de la Communauté française, Compte
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CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 23
e
notre problématique, cette dernière piste touchant le 2 degré ne conduit pas à prolonger
la durée du tronc commun, mais vise plutôt une ouverture et une déspécialisation des
filières technique et professionnelle de qualification dans la perspective de l’« approche
orientante ».
Dans son Programme « École » pour les élections du 25 mai 2014, Écolo rappelle la priorité
qu’il convient selon lui de donner à un « véritable tronc commun » jusqu’à 14 ans et à
l’approche orientante 46. Le parti explique : « Par “véritable tronc” commun, Écolo désigne
un continuum pédagogique qui, à l’image du modèle finlandais, diversifie les contenus
d’apprentissage, tout en donnant à chaque élève l’opportunité d’explorer ses potentiels
intellectuels, mais aussi techniques, scientifiques, artistiques et corporels, avant de poser
ses choix d’orientation à la fin du tronc commun. Ce n’est qu’après ce renforcement
du tronc commun théoriquement existant qu’Écolo pourra envisager l’allongement de
ce tronc commun dans une seconde étape. »
Le MR
CH 2210
24 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
er
1 degré d’observation autonomes (DOA) « dans une perspective de revalorisation des
filières technique et professionnelle ».
Les mêmes axes prioritaires sont repris dans le programme du MR pour les élections
50
du 25 mai 2014 .
Les FDF
Selon les informations que nous avons pu obtenir de ce parti, les positions des Fédéralistes
démocrates francophones (FDF) tiennent en deux pistes. Premièrement, mettre sur pied
er
un 1 degré d’observation autonome (DOA) qui favoriserait un tronc commun renforcé
jusqu’à 14 ans et comporterait des classes de remise à niveau. Deuxièmement, instaurer
dès le primaire « l’éducation au choix chez l’élève lui-même » par la mise en place d’une
guidance individualisée. Cette dernière prendrait la forme de conseils donnés par des
professionnels issus des centres PMS, en étroite collaboration avec les enseignants. Elle
devrait permettre d’améliorer la connaissance de soi et de diminuer le redoublement
et le décrochage scolaire. Le résultat attendu de la guidance est d’« aboutir, à la fin du
1er degré, à un certificat d’orientation pour chaque élève et recommander ainsi une filière
générale, technique ou qualifiante (…) dans le respect des atouts de chacun à 14 ans ».
Dans le programme des FDF pour les élections du 25 mai 2014, la proposition n° 34
s’intitule « Instaurer un véritable tronc commun jusqu’à 14 ans » 51. Par rapport aux pistes
précédentes, les FDF y ajoutent la proposition de « remanier le 1er degré de l’enseignement
secondaire de manière plus souple et plus flexible avec un véritable continuum
pédagogique en vue d’assurer une orientation pertinente à 14 ans ». Ils y préconisent
également « la mise en place d’un processus efficace d’accompagnement des élèves
avec une pédagogie différenciée garante d’une meilleure prise en charge des élèves
les plus faibles ».
Le SEGEC
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50
51
Programme wallon - 2014, 2014, www.mr.be.
Programme : Région wallonne et Fédération Wallonie-Bruxelles. Élections du 25 mai 2014, 2014, http://fdf.be.
CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 25
52
du 25 mai 2014 . Dix priorités y sont développées, dont trois intéressent notre objet
d’étude : « promouvoir les stratégies de réussite et le développement de pratiques de
remédiation dans les établissements », « améliorer l’orientation en vue d’une meilleure
continuité des parcours » et « améliorer l’attractivité de l’enseignement qualifiant ».
er
Le SEGEC estime que l’obtention du CE1D à la fin du 1 degré de l’enseignement
secondaire commun doit être valorisée, en qualité de borne d’arrivée du continuum
pédagogique correspondant aux socles de compétences à 14 ans, et qu’elle doit être associée
aux épreuves externes certificatives de l’acquisition de ces socles. Le SEGEC considère que,
er
au 1 degré, les parcours peuvent être adaptés provisoirement aux besoins et projets
personnels des élèves, que les « plans individualisés d’apprentissage » sont à appliquer
plus largement, et qu’il convient qu’une souplesse organisationnelle soit laissée aux
établissements pour mettre sur pied des mesures de soutien et de remédiation (parmi
lesquelles les années complémentaires). Le parcours en deux ans reste malgré tout celui
que le SEGEC souhaite voir privilégier.
Dans la vision du SEGEC, les activités complémentaires du 1er degré seraient assouplies
pour laisser plus de place aux « gestes techniques » et à l’« utilisation des technologies »
dans l’optique d’une « valorisation des métiers techniques ». La « compétence à s’orienter »
serait travaillée tout au long de la scolarité. Au 1er degré, du temps serait dégagé pour
« la maturation des choix scolaires », s’appuyant sur des stages ainsi que sur une
information et sur une réflexion concernant l’ensemble des parcours possibles aux 2e et
3e degrés (en partenariat avec les centres PMS). Les incitants matériels pour la mise sur
pied d’établissements correspondant au 1er degré d’observation autonome (DOA) seraient
augmentés, le DOA étant considéré par le SEGEC comme une structure plus favorable
à la fois au continuum pédagogique (visant l’acquisition des socles de compétences) et à
l’orientation positive (supposant la reconnaissance de la valeur des métiers techniques).
En prolongement du 1er degré ainsi conçu, le SEGEC préconise aussi de redessiner
les structures des 2e et 3e degrés de l’enseignement secondaire pour les simplifier et
les clarifier. Ces nouvelles structures seraient basées sur trois filières ayant chacune
une finalité spécifique. Premièrement, la filière générale, à finalité de transition vers
l’enseignement supérieur. Elle comprendrait l’enseignement général actuel ainsi
que certaines options groupées de l’enseignement technique de transition actuel.
Deuxièmement, la filière technologique, organisée par secteur, préparant à l’enseignement
supérieur court de type « baccalauréat professionnalisant » du même secteur. Elle
intégrerait la majorité des options de l’enseignement technique de transition ainsi que
les options de l’enseignement technique de qualification. Troisièmement, la filière
qualifiante, préparant à des profils de métiers et s’appuyant sur l’enseignement modulaire
et la certification par unité (CPU). Elle correspondrait à l’enseignement professionnel
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52
Mémorandum 2014-2019 de l’enseignement catholique, 2013, http://enseignement.catholique.be.
CH 2210
26 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
aujourd’hui. Rappelons qu’une des clés de voûte de la réforme de 1971 était de rapprocher
er
les filières générale et technique, jusqu’à les intégrer totalement au 1 degré (cf. supra).
La finalité était de pallier ainsi leur inégale valeur aux yeux de la société. C’est dans
cet esprit que se comprend aussi l’attribution d’un seul et même diplôme à leur issue.
Le SEGEC propose donc d’emprunter le chemin inverse et préconise une démarcation
plus tranchée entre chacune des filières, par son contenu, son débouché et donc,
logiquement, sans doute aussi par son diplôme.
La FESEC
53 er
Livre blanc du 1 degré. Constats et propositions, 2011, http://enseignement.catholique.be. Cf. également
er
cette autre publication de la FESEC : Structure du nouveau 1 degré de l’enseignement secondaire (y compris
54
les conditions d’admission et la sanction des études), nouvelle édition, juin 2011.
Cf. Entrées Libres, n° 59, mai 2011, p. 4.
CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 27
Un seul acteur de deuxième ligne est à signaler ici, à savoir une organisation regroupant
des fédérations d’associations de parents : l’UFAPEC.
L’UFAPEC
Les acteurs de troisième ligne à mentionner ici sont les organisations patronales. Celles-
ci expriment régulièrement, via les medias, leurs préoccupations au sujet du degré
d’efficacité de l’enseignement secondaire francophone. En particulier, elles considèrent
qu’il existe un problème de manque d’adéquation entre l’enseignement technique et
professionnel, d’une part, et les besoins du marché de l’emploi, d’autre part.
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55 er
56
Pour la réussite au 1 degré du secondaire, 7 février 2013, www.ufapec.be.
M. LONTIE, Nouveau regard sur l’enseignement qualifiant, Étude UFAPEC, n° 1, décembre 2013.
CH 2210
28 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
En novembre 2011, quatre organisations patronales ont cosigné une note intitulée
57
Améliorer l’enseignement à Bruxelles : la Chambre de commerce et union des entreprises
de Bruxelles (BECI), la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), l’Union wallonne
des entreprises (UWE) et le Vlaams Netwerk van Ondernemingen (VOKA). Dans le
chapitre « Propositions », le tronc commun jusqu’à 14 ans est cité comme constituant
un facteur positif : « la conception du tronc commun, un curriculum commun, jusqu’à
l’âge de 14 ans peut aider [à] une revalorisation de l’enseignement technique et de
qualification ».
Hormis cet élément, nous ne disposons pas d’autres informations quant à la position
des organisations patronales. Il convient toutefois de relever que la note Améliorer
l’enseignement à Bruxelles use, à l’instar des propositions du SEGEC (cf. supra), d’un
vocable inhabituel pour désigner les deux filières spécialisées de l’enseignement secondaire :
celles-ci n’y sont pas identifiées par leur appellation officielle de « filière technique de
qualification » et de « filière professionnelle de qualification », mais par les expressions
« filière technologique » et « filière qualifiante » (SEGEC) ou « enseignement technique »
et « enseignement de qualification » (organisations patronales). Ajoutons que, de leur
côté, les FDF distinguent « filière technique » et « filière qualifiante ». Cette analogie
dans le choix des termes (non orthodoxes) est-elle pure coïncidence ? Ou alors faut-il
y voir l’indice d’une certaine convergence entre les propositions du SEGEC, celles des
organisations patronales et celles des FDF concernant une refonte en profondeur de
e
la structure des filières à partir de la 3 secondaire ?
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57
Améliorer l’enseignement à Bruxelles. White paper sur l’enseignement des organisations patronales BECI,
VOKA et UWE, 10 novembre 2011, www.brusselsmetropolitan.eu.
CH 2210
3. L’OPTION D’UNE REFONTE EN PROFONDEUR
Le second groupe d’acteurs est composé de ceux qui préconisent une refonte en
profondeur du tronc commun, à savoir un élargissement de la structure unique jusqu’à
e e
la 3 voire jusqu’à la 4 année de l’enseignement secondaire. Cet allongement de la durée
du tronc commun se doublerait de modifications apportées tant à l’organisation des
structures du 1er degré commun actuel qu’au contenu de l’enseignement qui y est dispensé.
La majorité des acteurs de ce groupe appartiennent et s’identifient au réseau organisé
par la Communauté française ou au réseau public subventionné (provinces et
communes) ; certains acteurs se situent toutefois en dehors du clivage entre réseaux.
Les acteurs de première ligne qui sont partisans d’une refonte en profondeur sont, parmi
les partis politiques, le PS, et, parmi les fédérations de pouvoirs organisateurs, le CPEONS.
Le PS
CH 2210
30 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
ce tronc commun allongé devrait être précédé d’une série de mesures préventives contre
l’échec dans les apprentissages de base : scolarisation précoce des enfants, détection rapide
des difficultés scolaires et remédiation immédiate, et octroi de moyens suffisants aux
écoles confrontées aux difficultés scolaires. Il devrait en outre encore être complété par
des passerelles à double sens entre la filière générale et la filière professionnelle, des stages
en entreprise à tous les niveaux d’études et une filière d’enseignement par alternance
conçue comme une véritable filière d’excellence.
Ces propositions sont précisées dans le programme du PS pour les élections du 25 mai
2014 : « Allonger le tronc commun au moins jusqu’à une troisième secondaire ; donner
à ce tronc commun une dimension polytechnique (…) en y introduisant des cours de
60
techniques et de technologie pour tous les élèves. »
La position du PS est influencée par une recherche récente qui a été menée à la demande
de son centre d’études, l’Institut Émile Vandervelde (IEV), par cinq chercheurs de
l’Université de Liège : Marcel Crahay, Ariane Baye, Annick Fagnant, Dominique Lafontaine
et Christian Monseur. Ce dossier, publié en septembre 2013 sous le titre État de la
question. Quelle école pour tous ? 61, a servi de base à l’une des rencontres « Citoyens
engagés » organisées par le PS à l’automne 2013, en préparation de la rédaction du
programme électoral socialiste en vue des élections du 25 mai 2014.
Le document de l’IEV fixe deux objectifs prioritaires, qui apparaissent comme des
conditions pour pouvoir renouer avec la mission d’émancipation de l’école : l’« élévation
du niveau de performances des élèves » et la « réduction des inégalités sociales de réussite
scolaire et, par ce biais, de la dualisation de l’école qui conduit à la fracture sociale ».
Pour atteindre ces deux objectifs, cinq mesures sont préconisées, dont deux sont en lien
direct avec notre objet d’étude : « promouvoir un véritable tronc commun » et « en finir
avec le redoublement ». Ces deux mesures sont assorties d’une série de précisions relatives
à leur opérationnalisation, qui rejoignent les positions déjà évoquées. Tout d’abord,
les auteurs du dossier de l’IEV conçoivent un tronc commun prolongé jusqu’à 16 ans.
Ce tronc commun allongé ne serait en aucun cas une extension de l’enseignement général.
Son programme serait conçu de manière à être un « curriculum polytechnique » et à
laisser une place aux disciplines techniques et artistiques. Ensuite, les auteurs insistent
sur la nécessité de définir des objectifs d’apprentissage à atteindre et à évaluer, selon des
étapes et un échéancier précis. Cela supposerait de repenser les épreuves d’évaluation
en phase avec ces étapes. Enfin, les auteurs du document de l’IEV ajoutent une
recommandation également défendue par les syndicats enseignants socialistes (cf. infra) :
la mise sur pied d’établissements scolaires spécifiques et autonomes, correspondant
aux quatre années du tronc commun (l’équivalent des collèges en France). Il s’agirait
de dissocier ces établissements d’un nouveau type de ceux qui assurent, après le tronc
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blanche de Paul Magnette parue dans Le Soir du 27 septembre 2013, sous le titre « L’école, force motrice
de l’ascenseur social ».
60
61
PS. Programme 2014. Élections européennes, fédérales et régionales. Wallonie, 2014, www.ps.be.
M. CRAHAY, A. BAYE, A. FAGNANT, D. LAFONTAINE, C. MONSEUR, État de la question. Quelle école pour
tous ?, septembre 2013, www.iev.be.
CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 31
Le CPEONS
Les acteurs de deuxième ligne qui sont partisans d’une refonte en profondeur sont les
trois principaux syndicats (la CSC, la FGTB et la CGSLB) 62, et, parmi les fédérations
d’associations de parents, la FAPEO.
La CSC
62
Sur les organisations syndicales officiant dans le domaine de l’enseignement, cf. S. KWASCHIN, « La
63
négociation sectorielle dans l’enseignement », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2168-2169, 2013, p. 15-16.
L’école du fondement. Un véritable tronc commun, 14 juin 2013 (note reproduite dans CSC-Educ, n° 71,
septembre 2013, p. 12-15). Cf. aussi Mémorandum CSC-Enseignement. Élections 25 mai 2014. L’École,
institution démocratique productrice d’égalité sociale et d’émancipation individuelle et collective, février 2014,
p. 9-10.
CH 2210
32 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
64
existants . Les programmes, les compétences visées ainsi que les horaires devraient être
revus pour ouvrir sur tous les types d’enseignement et permettre ainsi une orientation
positive, basée sur la réussite. Les activités complémentaires en vigueur actuellement
er
dans le 1 degré de l’enseignement secondaire (cours à option) devraient être supprimées,
et leur contenu devrait être intégré dans la nouvelle formation obligatoire élargie. En
outre, dans le cadre du tronc commun, le programme devrait comprendre des temps
scolaires réservés aux activités centrées sur l’orientation et prévoir l’organisation de
contacts avec les secteurs professionnels.
Le projet de la CSC-Enseignement est de créer, là où la croissance démographique le
demande, de nouvelles écoles du fondement (qui intègrent l’école primaire et le 1er degré
e e
de l’enseignement secondaire et sont totalement indépendantes des 2 et 3 degrés).
Dans ces écoles du fondement, le certificat d’études de base (CEB), délivré à la fin de
l’école primaire, disparaîtrait comme épreuve certificative. Quant au certificat d’études
er
du 1 degré (CE1D), obtenu à la fin de l’école du fondement, il ouvrirait sans réserve
à tous les types de filières. Les seuils de réussite des épreuves d’évaluation associées à
l’obtention du CE1D seraient définis de manière plus précise par l’autorité publique.
Ces épreuves seraient identiques pour tous les élèves et concerneraient toutes les matières
afin de mettre les diverses disciplines sur un pied d’égalité. Selon la CSC-Enseignement,
la mise en place de ces écoles du fondement impliquerait aussi d’appliquer, dès le début
de la scolarité, des dispositifs de pédagogie différenciée, comprenant des activités de
remédiation et des activités de dépassement en fonction des besoins différents des enfants.
Par ailleurs, la CSC-Enseignement est l’une des associations qui ont signé le mémorandum
intitulé Une plateforme contre l’échec scolaire (cf. infra).
La FGTB
64
Ce programme peut être rapproché du projet de « curriculum polytechnique » (cf. CSC-Educ, n° 67,
mars 2013, p. 7). Nous observons cependant que les cours « technico-scientifiques » de la note de
juin 2013 se voient requalifiés en cours « technico-manuels » dans le mémorandum de février 2014.
Ce changement d’appellation, qui ne nous paraît pas anodin, semble peu compatible avec le projet
65
polytechnique.
Projet de contrat stratégique pour l’éducation. Contribution de la FGTB Bruxelles, de la FGTB wallonne,
de la CGSP-Enseignement et du SETCA-SEL, 15 février 2005, www.skolo.org.
CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 33
e e
prolongé jusqu’à la 3 ou la 4 année de l’enseignement secondaire. Ce tronc commun
allongé serait basé sur un programme pluridisciplinaire et ouvert, combinant « de manière
équilibrée branches intellectuelles, “manuelles” (intelligence de la main), artistiques et
er
physiques ». Un tel cursus supposerait de rompre avec la formule actuelle du 1 degré
commun, calquée sur le modèle de l’enseignement général, et de rejeter toutes les formes
existantes de différenciation (activités complémentaires, degré différencié). Le Projet de
contrat stratégique évoque aussi une remédiation immédiate et une évaluation externe
vérifiant les niveaux des compétences des élèves comme autant de pistes susceptibles
d’améliorer les acquis des élèves dans les savoirs de base. Selon la CGSP-Enseignement
et le SEL, ces savoirs de base devraient être définis à un niveau d’exigence élevé.
En 2013, dans un article intitulé Réussite pour tous, le président du bureau exécutif
66
du SEL, Joan Lismont, a réaffirmé les positions de son organisation dans le débat . Il a
également apporté des nuances aux idées développées dans le Projet de contrat stratégique.
Il estime qu’il est nécessaire d’instaurer un tronc commun pluridisciplinaire qui,
contrairement à la conception dominante actuelle, ne se confondrait pas avec un 1er degré
d’enseignement général. Il correspondrait à une formation commune, au cours de laquelle
les élèves pourraient, en tenant compte de leur profil, vivre une expérience positive de
progression dans toutes sortes d’apprentissages. « L’idée est que chaque jeune puisse avoir
l’occasion d’aimer des cours, d’y exceller et de trouver un ancrage pour s’accrocher
aux cours qui développent les autres aptitudes. » Selon J. Lismont, il ne s’agirait plus
de se focaliser seulement sur les savoirs de base de type cognitif, privilégiés dans le Projet
de contrat stratégique de 2005, mais d’intégrer au programme commun des apprentissages
variés, permettant de développer « à égalité les aptitudes cognitives, les aptitudes à
comprendre le monde, les aptitudes artistiques, les aptitudes manuelles et les aptitudes
67
physiques » . Il ajoute que le tronc commun pluridisciplinaire devrait être organisé
sur un seul site (soit rattaché à l’école primaire, soit organisé dans un établissement
autonome). Ainsi, à son issue, pourrait avoir lieu une orientation positive vers l’une
ou l’autre filière, en prenant appui sur les différentes intelligences des jeunes qui
auront pu être révélées et développées grâce au nouveau tronc commun constituant
l’« école unique » jusqu’à 16 ans.
Par ailleurs, la CGSP-Enseignement et le SEL sont deux des associations qui ont signé
le mémorandum intitulé Une plateforme contre l’échec scolaire (cf. infra), et la CGSP-
Enseignement est membre du Centre d’étude et de défense de l’école publique (CEDEP,
cf. infra).
La CGSLB
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66
J. LISMONT, « Réussite pour tous », Le Sel, Le bulletin d’information du Secteur enseignement libre du SETCA,
e
3 trimestre 2013, p. 11-14, www.sel-setca.org.
67
Ibidem, p. 12. J. Lismont précise que « “à égalité” ne signifie pas qu’il faut strictement le même nombre
d’heures de cours mais qu’il faut que ces formations aient de l’importance (et même une importance
égale) ».
CH 2210
34 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
Nous ne disposons pas d’éléments sur les positions du SLFP dans le débat relatif au tronc
commun. Toutefois, il est membre du Centre d’étude et de défense de l’école publique
(CEDEP, cf. infra), ce qui invite à le classer dans les acteurs partisans d’une refonte.
La FAPEO
Les acteurs de troisième ligne partisans d’une refonte en profondeur sont d’abord,
d’une part, des organisations appartenant au monde associatif, tels les signataires de
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68
69
Pour un « Plan Charlemagne », février 2009, www.fapeo.be.
V. DE THIER, J. MATHY, Objectif 2014 : l’excellence pour tous. Le gouvernement a-t-il tenu ses engagements ?,
22 novembre 2013, www.fapeo.be.
CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 35
Le mémorandum Une Plateforme contre l’échec scolaire peut être mis en relation avec
le programme que l’Appel pour une école démocratique (APED) a publié en avril 2007,
sous le titre Vers l’école commune 71. L’APED se présente comme « un mouvement (…)
de réflexion et d’action qui milite en faveur du droit de tous les jeunes d’accéder à des
70
71
Une plateforme contre l’échec scolaire, janvier 2007, www.ligue-enfants.be.
Vers l’école commune. Programme de l’APED pour un enseignement démocratique en Belgique, avril 2007,
www.skolo.org.
CH 2210
36 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
72
73
Site Internet de l’APED : www.aped.org.
« Plan Langevin-Wallon » est le nom donné au projet global de réforme de l’enseignement et du système
éducatif français élaboré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, conformément au programme
74
de gouvernement du Conseil national de la Résistance de 1944.
Cf. P. ROSSANO, « Plan Langevin-Wallon (1947) et système éducatif du secondaire en 1991 », Communication
et langages, volume 90, 1991, p. 34-46.
CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 37
Le CEDEP
CH 2210
38 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
En mai 2010, le CEDEP a publié un manifeste intitulé Réflexions en vue d’un système
75
éducatif plus performant pour tous les enfants , qui se termine par une série de propositions.
Relativement à notre problématique, le CEDEP veut créer un « véritable tronc commun »
jusqu’à la fin du 1er degré, prolongé progressivement jusqu’à la fin du 2e degré. Ce tronc
commun serait pluridisciplinaire et comprendrait pour tous les élèves « la musique,
les arts plastiques, l’éducation à la santé, à la citoyenneté, la gestion de la quotidienneté,
le travail technique et manuel ». Le tronc commun permettrait à chacun d’acquérir
e
les connaissances et les compétences nécessaires pour pouvoir suivre, au 3 degré, un
enseignement qualifiant ou un enseignement de transition. Le tronc commun viserait
aussi l’acquisition des connaissances et des compétences préparant à prendre des décisions
sur sa vie et à être citoyen. En outre, en parallèle avec l’acquisition de l’éventail
des compétences exigées pour tous, chaque élève pourrait découvrir et développer ses
aptitudes particulières (modules, ateliers).
La mise en place du tronc commun prôné par le CEDEP irait de pair avec la suppression
du redoublement, le dépistage précoce et la remédiation personnalisée (soit grâce à
l’intervention d’un enseignant dans la classe lorsqu’il s’agit d’un léger retard, soit grâce
à une prise en charge en dehors de la classe par un professionnel spécialisé dans le cas
d’un problème d’apprentissage plus important). Un soutien spécifique aux élèves
maîtrisant insuffisamment le français serait organisé. Le caractère compétitif et sélectif
de l’évaluation interne (réalisée par les professeurs) serait transformé en lui donnant
une portée positive et formative, poursuivant l’objectif d’évaluer ce qui est acquis et ce
qui reste à acquérir sous la forme d’un tableau de bord. L’évaluation certificative, quant
à elle, serait une évaluation externe.
Selon le CEDEP, le tronc commun ainsi repensé (formation pluridisciplinaire, activités
choisies en fonction des aptitudes propres des élèves, remédiation précoce et nouvelles
pratiques d’évaluation) permettrait d’éviter la relégation vers les filières ou les écoles
« plus faciles ». Dès lors, la formation qualifiante accueillerait des élèves maîtrisant les
compétences de base (lecture, écriture, mathématiques, langage scientifique et technique,
langues étrangères) et motivés par un choix positif pour l’apprentissage d’un métier.
L’accès à une filière qualifiante deviendrait ainsi l’objet d’une sélection positive. Les
orientations forcées, choisies par défaut, seraient éradiquées. L’enseignement technique
et professionnel retrouverait son crédit non seulement parce qu’il attirerait des jeunes
qui en ont fait le choix, mais aussi parce qu’il donnerait une formation de qualité ouvrant
sur de réels débouchés.
Certains chercheurs d’université s’instituent comme diffuseurs d’idée, entendant ainsi © CRISP | Téléchargé le 07/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.217.45.188)
influencer les politiques scolaires et, au-delà, l’opinion des acteurs. Tel est le cas
de certains académiques de l’Université de Liège (notamment Marcel Crahay et
Dominique Lafontaine), de l’Université catholique de Louvain (les membres du Groupe
interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l’éducation et la formation (GIRSEF),
75
Réflexions en vue d’un système éducatif plus performant pour tous les enfants, mai 2010, www.cedep.be.
CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 39
76
Cf. par exemple V. DUPRIEZ, « Tronc commun ou filières, comment organiser l’école secondaire ? »,
in D. MEURET, G. CHAPELLE (dir.), Améliorer l’école, Paris, Presses universitaires de France, 2006,
p. 231-242 ; M. CRAHAY (dir.), L’école peut-elle être juste et efficace ? De l’égalité des chances à l’égalité
e
77
des acquis, 2 éd., Bruxelles, De Boeck, 2013.
M. CRAHAY, D. LAFONTAINE, « En conclusion : pistes pour une école juste et efficace », in M. CRAHAY (dir.),
78
L’école peut-elle être juste et efficace ?, op. cit., p. 358.
79
Ibidem, p. 358.
Ibidem, p. 358.
CH 2210
40 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
L’ADEPT
L’Association pour le développement d’une école pour tous (ADEPT) est due à l’initiative
conjointe de Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant de la Communauté
française (depuis 2008) et de Jean-Pierre Coenen, président de la Ligue des droits de
l’enfant. L’ADEPT comprend une série d’experts et de praticiens, dont certains sont
également actifs dans des organisations socio-pédagogiques appartenant au monde
associatif. Si nous nous reportons aux cinq derniers rapports d’activités du délégué général
au droits de l’enfant, rapports qui sont présentés chaque année en janvier au Parlement
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80
81
Ibidem, p. 359.
Parlement de la Communauté française, Rapport d’activités du délégué général de la Communauté française
aux Droits de l’enfant pour l’année 2008-2009. Rapport de commission présenté au nom de la Commission
de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse et de la Commission de l’Enfance, de la Recherche, de la Fonction
publique et des Bâtiments scolaires par H. Bayet et D. Yzerbyt, DOC 62 n° 2, 11 janvier 2010, p. 27.
CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 41
Méta-Éduc
82
Parlement de la Communauté française, Rapport d’activités du délégué général de la Communauté française
aux Droits de l’enfant pour l’année 2009-2010. Rapport de commission présenté par les commissions
réunies de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse, la Commission de l’Enfance, de la Recherche, de la Fonction
publique et des Bâtiments scolaires et la Commission de l’Éducation par L. Tiberghien, DOC 143 n° 2,
83
12 janvier 2011, p. 12.
Parlement de la Communauté française, Rapport d’activités du délégué général de la Communauté française
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CH 2210
42 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
de refondation d’une école secondaire pour des élèves de 12 ans à 15 ou 16 ans, commune
pour tous. Cette école d’un nouveau type offrirait un programme intégral couvrant
sept dimensions éducatives (apprentissages pour vivre dans une société technologique,
pour vivre dans une société démocratique et pluriculturelle, en vue du développement
cognitif, du développement artistique, du développement corporel, du développement
socio-affectif et enfin, de celui des valeurs). Un tel programme est qualifié d’« intégral »
parce qu’il associe l’ensemble des registres du développement personnel et social. Il vise
des compétences aussi variées que celles qui ont trait aux outils intellectuels de base, à
la culture générale, à l’intelligence technologique, à la gestion des émotions, à l’expression
artistique, aux aptitudes corporelles, aux relations sociales. Ce prototype d’école
s’appuierait sur une réorganisation du temps et mobiliserait différents modes de
regroupement des élèves, laissant de larges plages à la réalisation de projets collectifs,
à l’auto-apprentissage, à la recherche documentaire et à la gestion de la vie de groupe.
Les deux dernières années du secondaire seraient, beaucoup plus nettement
qu’aujourd’hui, consacrées à une orientation « spécialisée » qui, soit poserait les bases
de la formation professionnelle, soit préparerait aux études supérieures. Quelle que soit
l’orientation choisie à cette dernière étape du secondaire, la formation « spécialisée »
e
s’y déroulerait selon un rythme intensif. Une 7 année secondaire charnière pourrait
venir parachever le degré supérieur du secondaire dans une optique de maturation
du projet personnel et/ou de propédeutique, s’adressant à des élèves âgés de 17 ou 18 ans
(plus jeunes qu’aujourd’hui, en moyenne, puisqu’ils n’auraient pas redoublé) 89.
L’apport original de ce projet est de concevoir les quatre premières années du secondaire
de manière séparée des deux ou trois dernières. La fin du tronc commun serait marquée
par une rupture et correspondrait au terme d’un parcours partagé par l’ensemble d’une
classe d’âge. Si ce parcours est conçu comme obligatoirement pluridisciplinaire pour tous,
l’étape suivante se déroulerait selon différentes modalités, en fonction de l’orientation
spécialisée choisie par le jeune. Un tel changement de parcours à 16 ans est d’application
dans les pays scandinaves qui pratiquent le tronc commun pluridisciplinaire long.
La dernière étape du secondaire y est tournée nettement et sélectivement vers les futurs
différents des jeunes 90.
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89
Cette réflexion a abouti à un ouvrage dont l’intention est de susciter un large débat avec les acteurs de
terrain, autour du projet de refondation de l’enseignement secondaire (cf. F. TILMAN et alii, La mutation
90
de l’école secondaire. Questions de sens. Propositions d’action, Bruxelles, Couleur livres, 2011).
Cf. par exemple la présentation de la structure du système éducatif finlandais dans P. ROBERT,
e
La Finlande : un modèle éducatif pour la France ? Les secrets de la réussite, 3 éd., Paris, ESF, 2010, p. 29-43.
CH 2210
CONCLUSION
En guise de conclusion, nous souhaitons, d’une part, proposer une modélisation des
divers projets en présence et, d’autre part, montrer que chacun des deux groupes d’acteurs
que nous avons identifiés est inspiré par un principe qui a été au cœur de la réforme
du Rénové (à savoir, respectivement, le principe de l’égalité des chances généralisée et
le principe d’une culture plurielle et valorisant plusieurs formes d’humanisme).
Bien que tous les acteurs défendent le tronc commun et une orientation « positive »,
basée sur la réussite, vers l’une des filières spécialisées de l’enseignement secondaire
(actuellement, rappelons-le, au nombre de quatre : transition générale, transition
technique et artistique, qualification technique et artistique, qualification professionnelle),
l’analyse de leurs propositions nous conduit à modéliser deux projets différents : l’un
identifiable comme étant celui de l’« école du fondement », ralliant les partisans de
l’apport d’aménagements au système actuel, l’autre comme étant celui de la « structure
unique », défendu par les partisans d’une refonte en profondeur.
Le projet de l’« école du fondement » présente sept caractéristiques. Primo, il concerne
les six années primaires (voire l’école maternelle, que d’aucuns souhaitent rendre
obligatoire) et les deux premières années du secondaire. Secundo, il vise la réussite du
certificat du 1er degré (CE1D) qui résulte de l’évaluation de la maîtrise des compétences-
socles, c’est-à-dire des acquis de base identifiés comme le minimum requis pour la
poursuite du curriculum dans n’importe quelle filière du secondaire et justifiés aussi
parfois comme la condition de la participation aux divers rouages de la société (emploi,
consommation, vote, loisirs, etc.). Tertio, il poursuit l’égalité des acquis, entendue ici
comme le minimum d’acquis de base indispensable, et vise à accompagner chaque élève
en difficulté dans des parcours adaptés par des dispositifs d’aide et de soutien individualisé
(guidance, plan individuel d’apprentissage) mais aussi par des mesures structurelles
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CH 2210
44 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
dans la maîtrise des acquis de base) et bénéfique sur le plan vocationnel (formulation
d’un choix d’orientation, à concrétiser le plus souvent dans l’enseignement technique et
professionnel). Sexto, il intègre au sein même du parcours commun, dans une seule et
même logique d’accompagnement et de soutien destinée aux élèves en difficulté scolaire,
l’objectif d’apprentissage des compétences-socles et l’objectif d’orientation/sélection vers
des formations qualifiantes, en faisant correspondre cette orientation à une expérience
de réussite scolaire et à la formulation par l’élève d’un choix positif. Septimo, il conçoit
l’école comme un continuum, non seulement jusqu’à 14 ans, mais également dans
les années supérieures du secondaire, en ce qui concerne la place accordée à
l’accompagnement individualisé des apprentissages et des choix d’orientation, pour ne
laisser aucun élève faible avec un sentiment d’échec ou d’abandon.
Quant à lui, le projet de la « structure unique » se caractérise par sept éléments. Primo,
il inclut les trois, voire les quatre premières années du secondaire. Secundo, il vise un
niveau élevé des acquis de base pour tous les élèves. Tertio, il donne une place à un
programme pluridisciplinaire qui ajoute et combine à des activités d’enseignement général
classique, des activités techniques, artistiques, sportives et sociales, considérées comme
non hiérarchisées, comme instruments du développement de compétences variées,
comme riches intellectuellement et utiles socialement et donc, évaluées au même titre
que les premières pour certifier la réussite à l’issue du tronc commun. Quarto, il donne
la priorité à une égalité des acquis qui suppose des niveaux élevés de maîtrise, non
seulement dans les acquis de base, mais aussi dans l’un ou l’autre domaine privilégié en
fonction du choix individuel des élèves. Quinto, il remet en question la préoccupation
méritocratique et son principe d’égalité des chances, en basant sa critique sur le fait que
cette préoccupation et ce principe, formellement vertueux, justifient et nourrissent en
réalité les processus de la relégation et de l’orientation « négative » se déroulant en cascade
à travers les structures actuelles de l’école secondaire. Sexto, il postpose le choix vers
une filière spécialisée et le situe après le tronc commun, à l’entrée dans le secondaire
supérieur. Septimo, il admet que, après le tronc commun allongé, prenne place une rupture
nette et que joue alors (et alors seulement) un processus de sélection explicite lorsque
les élèves de 16 ans doivent prendre une orientation déterminant leur avenir, en termes
d’études supérieures ou de formation professionnelle, en empruntant des voies qui sont
nettement spécialisées sans être rigides pour autant (grâce à un système de passerelles).
Dans cette modélisation des deux projets, nous avons mis l’accent sur les éléments de
contraste qui les séparent nettement. Les positions des différents acteurs relevant d’un
même projet ainsi modélisé se démarquent aussi entre elles par des nuances, voire par
de franches différences. L’analyse détaillée des diverses positions en a largement rendu
compte. Inversement, certains traits sont communs aux deux projets et font donc l’objet
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CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 45
commun, en vue de rendre celui-ci plus mixte et plus ouvert, à la fois scolairement et
socialement. Sexto, le bien-fondé des moyens supplémentaires accordés aux établissements
scolaires selon le profil socio-économique de leur public (pour autant que les moyens
des établissements non concernés ne diminuent pas). Septimo, l’intérêt d’une marge
laissée aux choix personnels des élèves durant le tronc commun, permettant à ceux-ci
de privilégier certaines activités où ils pourront pousser plus loin, avec succès, le
développement d’une facette d’eux-mêmes.
Chacun des deux projets que nous venons de modéliser présente une filiation avec un des
principes qui a été à la base de la grande réforme du Rénové au début des années 1970.
Ainsi, les partisans de l’« école du fondement » nous semblent se situer dans le sillage
du principe de l’égalité des chances généralisée. Selon ce principe, le Rénové voulait mettre
tous les élèves sur la ligne de départ de l’enseignement secondaire avec les mêmes chances
d’accès et de participation à la compétition scolaire. Le principe de justice est le principe
méritocratique : les aptitudes et les motivations individuelles seules peuvent départager
les élèves entre eux et justifier leur orientation dans telle ou telle voie spécialisée. En aucun
cas, l’origine sociale ne peut constituer un facteur influençant les parcours individuels
à travers le système hiérarchisé des options et des filières du secondaire.
Dans la réalité, la séparation des facteurs sociaux et des facteurs individuels s’est toutefois
avérée constituer une mission impossible. En outre, un effet pervers s’est développé en
sens contraire, à savoir la relégation scolaire et la sélection sociale interne : les enfants des
milieux modestes ont statistiquement été plus souvent touchés par le redoublement et
l’orientation par l’échec. Ces mécanismes de sélection sociale interne, dus au fait que
les structures hiérarchisées du secondaire fonctionnent comme un tamis, ont été dénoncés
dès les années 1970. Depuis lors, de nombreux acteurs n’ont eu de cesse de tenter
de réparer, de colmater et de corriger les brèches du système. Leurs actions ont visé
à supprimer ou au moins à diminuer la fuite d’élèves hors des « bonnes » filières
selon une logique non conforme au principe méritocratique. La préoccupation
d’accompagnement des élèves fragiles et en difficulté rejoint l’objectif de lutter contre
cette injustice scolaire par la remédiation. Aujourd’hui, le contexte a cependant changé.
Les élèves dits « en difficulté » sont captifs du système puisque l’obligation scolaire les
contraint à fréquenter l’école jusqu’à leur majorité légale. Démotivation, absentéisme,
décrochage sont monnaie courante dans les options de l’enseignement technique et
professionnel recueillant les accidentés du parcours scolaire. L’accompagnement préconisé
par les tenants de l’« école du fondement » va donc plus loin que la seule correction de
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46 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
CH 2210
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