EL Les Fausses Confidences de Dubois
EL Les Fausses Confidences de Dubois
EL Les Fausses Confidences de Dubois
Problématique possible : Comment les fausses confidences de Dubois prennent-elles place au sein du
stratagème du valet machiniste ?
1
Édition Hatier, coll. « Classiques & Cie », 2020.
2
Dilatoire = qui tend à retarder par des délais, qui diffère, suspend, cherche à gagner du temps.
1
THÉÂTRE ET STRATAGÈME
après la description par Dubois d’un Dorante en dissimulateur inquiet (l. 488), elle traduit aussi les
craintes de la veuve fortunée d’avoir embauché comme intendant un escroc, ainsi qu’en attestent les
groupes nominaux antithétiques « quelque mauvaise action » / « un honnête homme ». On notera la
polysémie de l’épithète liée antéposée « honnête » qui renvoie certes au domaine pécuniaire3 mais
aussi à des valeurs morales et sociales (pour une large part, l’ « honnête homme » garde au XVIIIe
siècle son sens classique, et désigne donc entre autres un homme galant : on voit bien ainsi que la
question d’Araminte introduit en fait la thématique amoureuse qui sera développée à partir de la l.
505).
La deuxième intervention de Dubois vient contredire ce que sa première prise de parole
laissait entendre et est ainsi révélatrice de la manière d’opérer d’un valet qui cherche à tout prix à
faire douter ses interlocuteurs, à leur faire perdre toute certitude pour mieux pouvoir les abuser et
imposer son point de vue. On relèvera bien sûr les marques de la tonalité épidictique (lexique
mélioratif, exclamations, hyperboles) décrivant Dorante comme un être d’exception (comme le
démontrent les superlatifs et les comparaisons démesurées).
Ce portrait extrêmement flatteur vise à piquer davantage encore la curiosité d’Araminte, qui
s’exprime à travers une brève exclamation et l’énumération de deux interrogations partielles (l. 496-
97). L’adjectif attribut du sujet de la l. 497 (« émue ») accompagné d’un adverbe à valeur
hyperbolique (« tout ») traduit le trouble de la jeune femme et suggère ainsi au spectateur qu’elle
tombe dans le piège de son valet, le choix du verbe émouvoir inscrivant une nouvelle fois le discours
dans un sens implicite amoureux.
La suite des interventions de Dubois vient, comme précédemment, contredire ce qui a été
tout juste expliqué : Dorante avait une attitude louche (l. 488), il est en fait le plus honnête des
hommes (l. 492-495) ; il est le « plus brave homme dans toute la terre » (l. 492) mais il a un
« défaut » en fait « à la tête » (l. 498-99) : chaque certitude est donc mise à mal immédiatement,
empêchant Araminte (et le spectateur !) de connaître la vérité de manière autonome. Une nouvelle
fois, la révélation de la vérité est différée et Araminte va de surprise en surprise (ce que traduit la
reprise d’une parole de Dubois : « À la tête ! »).
De ces rebondissements permanents se nourrit le comique de la scène, qui est donc :
- verbal : on le constate avec cette reprise « À la tête ! » qui traduit tout le désarroi
d’Araminte qui ne comprend plus qui est réellement son nouvel intendant ; on le remarque aussi
avec la comparaison hyperbolique de la l. 501, totalement antithétique de celles des l. 492-495, et le
recourt au burlesque avec le terme trivial « timbré » ;
- visuel (comme en atteste la didascalie de la l. 498, Dubois renouant alors avec la tradition
des valets de la commedia dell’arte et leurs lazzi4) ;
- et de situation, puisque le spectateur, mis précédemment dans la confidence du stratagème
entre Dorante et son ancien valet, rit des surprises successives d’Araminte, exprimées par exemple
par son exclamation de la l. 502.
3
Attention avec l’adjectif « pécuniaire » qui s’écrit et se prononce en fait de la même façon au masculin et au
féminin. C’est par erreur que l’on entend par exemple « des soucis pécuniers » (adjectif qui n’existe pas mais
qui est le fruit probablement d’un rapprochement avec l’adjectif « financier »), alors qu’il faut dire et écrire
« des soucis pécuniaires ».
4
Le terme lazzi est en fait déjà un pluriel (celui de lazzo), il est donc inutile d’ajouter un s final.
2
THÉÂTRE ET STRATAGÈME
3
THÉÂTRE ET STRATAGÈME
Marivaux, fondé pour une large part sur la violence psychologique (il faut évidemment nuancer le
terme mais Dubois prend plaisir à torturer sa maîtresse, et le spectateur, parce qu’il en s’en amuse et
donc ne s’en offusque pas, en devient complice). De même, l’extrait est emblématique de ce que l’on
a appelé, parfois péjorativement, le marivaudage, cette complication excessive des échanges
langagiers qui en vient à différer les révélations, à jouer sur les mots et les sentiments, à parler pour
finalement tarder à dire.
La révélation des l. 519-520 est évidemment drôle parce qu’elle est très solennelle (« j’ai
l’honneur », « Madame »), qu’elle est faite au moment où l’exaspération d’Araminte est à son point
culminant, et car elle continue de différer au maximum la vérité : significativement, elle se fait par le
biais d’une tournure présentative déplaçant en fin de phrase le moment de la révélation (« C’est
vous, Madame. »), après une première phrase entretenant encore un peu plus le suspens en
recourant à un pronom personnel qui permet de ne pas nommer la personne aimée (« J’ai l’honneur
de la voir tous les jours »). Comme à l’accoutumée, le théâtre marivaudien s’amuse avec les surprises
de l’amour.
La brièveté et la modalité exclamative de la dernière réplique traduisent la surprise
d’Araminte, persuadée d’entendre là une vraie confidence. Or, même s’il s’agit de révéler à la jeune
femme des sentiments sincères (Dorante « aime avec passion »5 et sincérité Araminte), on ne peut
parler pour autant de vraie confidence puisqu’elle le fruit d’un stratagème. Cet extrait de la scène 14
constitue donc une « fausse confidence », qui n’est pas à proprement parler la première de la pièce
puisque lors de la scène 4 monsieur Remy avait confié à Marton le soi-disant amour de Dorante à
l’égard de la suivante. Mais elle est d’une autre nature, car mêlant le vrai (les sentiments de Dorante
pour Araminte) et la manipulation. Ainsi, à ce stade de la pièce, le spectateur a d’ores et déjà assisté
à une vraie confidence (scène 2), à une confidence fausse (scène 4) et à une fausse confidence (scène
14), avec toutes les nuances et complications caractéristiques de Marivaux et du marivaudage.
5
Voir acte I, scène 2.