Anthropologie Juridique Semestre I

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ANTHROPOLOGIE JURIDIQUE

Introduction générale:
Cette introduction générale vise à préciser l’objet et le champ d’investigation de
l’anthropologique juridique. Ce faisant, nous verrons d’abord la définition et l’historique de
la matière, ensuite nous la situerons par rapport à d’autres disciplines proches.

I/ Définition et histoire de l’anthropologie juridique


Définition : Le terme, anthropologie vient de deux mots grecs, anthropos qui signifie
homme et logos qui signifie l'étude. C’est pourquoi les Anglos saxons parlent d’étude de
science de l’homme.
Son appellation peut varier en fonction des pays et des auteurs. Si en Angleterre on l’appelle
anthropologie sociale, aux USA : anthropologie sociale et culturelle, en France, la
terminologie se substitut carrément à l’ethnologie qui est définit par POIRER comme l’étude
des sociétés traditionnelles par opposition aux collectivités urbaines dont s’occupe la
sociologie.
L’anthropologie est tout d’abord une science de description de l’homme. C’est l’étude des
caractères anatomiques et biologiques de l’Homme, notamment l’Homme dans la vie animale.
Ensuite, l’étude de la société sauvage retourne au mythe du barbare, du bon sauvage.
Historique : La science anthropologique remonte de l’antiquité et a intéressé toutes
les époques et toutes les sociétés même si dans un premier temps on l’avait attribuée aux
sociétés traditionnelles africaines. Ainsi, des auteurs de l’antiquité, du moyen âge, de la
renaissance, des 17 ème -18ème siècles et la première moitié du 19ème siècle se sont intéressés à
l’étude de l’homme. Dans les lignes suivantes, nous porterons une attention sur l’évolution de
la science anthropologique à travers les périodes susmentionnées.
1- L’antiquité: Elle est située à la fin de la préhistoire, environ 2000 ans avant Jésus-Christ à
la chute de l’empire romain (476 après J.C). Déjà à cette époque, la bible donne une certaine
idée de l’antiquité Juive à travers l’ancien testament : les institutions, les normes, les
coutumes et les croyances Juives étaient relatées. L’antiquité la plus connue est la Gréco-
romaine. Les textes des juristes sont les plus anciens. Ils donnent une certaine idée de
l’organisation sociale et économique du monde grec et romain : héritage, succession, régime
des terres. Par la suite d’autres érudits se sont intéressés à d’autres peuples qu’ils traitent de
Barbares. Le barbare est un regain au 19ème siècle qui est une distinction entre civilisation et
barbarie.
Les plus connus de ces érudits sont :
- STRABON : il fut le premier à parler de la « couvade », une pratique qui consiste
pour un homme d’imiter sa femme en couche.
- HERODOTE : il a beaucoup voyagé en Egypte et en Perse et rapporte plusieurs
objets qu’il a découverts. Il a aussi présenté un panorama du monde humain connu de
l’époque (Vème siècle avant J.C).
- PLATON (428 ou 348 avant J.C) et ARISTOTE (384-322 avant J.C) ont décrit
l’influence du milieu sur les faits humains. Le premier a aussi à travers ses ouvrages
décrit la crise sociale de l’époque et a proposé des solutions en conséquence.
Mais ces travaux ne constituent qu’une pré-ou para-anthropologie car, ce qui leur est
commun est l’intérêt porté à l’inhabituel, à l’exception, à ce qui étonne laissant ainsi de
côté l’ordinaire et le quotidien qui sont en fait les domaines privilégiés de l’anthropologie.
2- Le moyen âge: (de la chute de l’empire romain en 476 à la prise de Constantinople par les
Turcs en 1453). 
Le moyen âge occidental :
Caractérisé par l’intolérance religieuse (la scolastique et le dogme), le moyen âge n’était pas
disposé à réfléchir sur sa propre société et encore moins sur les sociétés non Chrétiennes. Ce
qui a entrainé la régression de l’expérience, le développement des mythes, des fables et
empêché l’éveil de l’esprit scientifique. En cette période, l’homme et la société étaient
considérés comme des créations divines et devront rester comme telle jusqu’à la fin des
temps. L’étude de l’homme était considérée comme un sacrilège et une profanation. Ainsi,
tous les problèmes de cette époque avaient sa solution dans la bible et chez les autorités
ecclésiastiques. On peut ainsi dire que le moyen âge a circonscrit l’humanité à la chrétienté.
Les mondes musulman et Juif étaient tolérés mais au-delà commençait une sorte de faune
humaine assimilable à la zoologie (homme chien, homme à queue etc.). La seule œuvre para-
anthropologique de cette époque a été le livre des merveilles de Marko Polo relatant ses 25
ans de séjours en Extrême Orient et fut le premier européen à visiter la Chine. Il faut donc
aller au-delà du monde chrétien pour trouver des œuvres para-anthropologiques et même
anthropologiques.
Le moyen âge musulman :
Dans le moyen âge musulman deux positions se sont dégagées face à la perception et au
problème d’étude de l’homme :
- la première (IKORAN) épouse les positions moyenâgeuses occidentales.
- la seconde a opté pour la possibilité d’étude de l’homme et de la société dans sa
matérialité.
Pour cette tendance, l’homme est perçu sous l’angle de la dualité : l’homme se compose de la
matière et de l’âme ; et son étude n’est possible que dans sa matérialité. Quant à l’âme, elle
relève du domaine divin. Les auteurs les plus importants du moyen âge sont :
- Jabir Ibn Haggen : son travail a porté sur la nature cachée de l’homme dans son
milieu et dans ses rapports avec les autres.
- Ibn Batuto : (1304 – 1377) né à Tanger, il est géographe, il voyagea en Afrique et en
Asie.
- Ibn Kaldoum : (1332 – 1406) célèbre pour ses deux ouvrages « Mouquaddima » et
« l’histoire des Berbères ». Il est considéré comme un sociologue et un anthropologue
de style moderne : il dégage la spécificité du social, il met en valeur la notion
d’adaptation des groupes humains au milieu et à l’histoire, il souligne la multiplication
des facteurs dont il faut prendre en compte dans l’étude d’une culture et l’interaction
entre ces facteurs.
L’Université de Tombouctou : elle était la plus grande et la plus célèbre de l’époque et
dispensait des cours de mathématique, logique, astrologie, géographie, histoire et
philosophie. Cette institution de l’empire Songhaï apportera sa contribution à l’étude de
l’homme et de la société à travers des œuvres de :
- Ahmed Baba : (1556 – 1627) professeur à l’Université et conseiller à la cours, il est
connu en matière d’étude de l’homme par ses réponses aux questions que posent ses
étudiants. Il a traité de l’esclavage et décrié les peuples non musulmans de l’empire.
3- La renaissance : (1453 – 1599)
La renaissance est considérée comme une découverte ou un retour à l’antiquité sur le plan de
la science, de l’art et de la lettre. Opposée au moyen âge, elle sera caractérisée par une crise
sociale et théologique dont les causes sont :
- La réforme : aidée par la traduction de la bible et la vulgarisation de l’imprimerie
favorise la multiplication des hérésies. Chaque fidèle alphabétisé pouvait interpréter le
texte sacré et le retour aux autorités ecclésiastiques n’était plus nécessaire.
- Les découvertes scientifiques : avec les nouveaux appareils optiques Copernic (1473-
1543) explore l’univers et démontre le double mouvement de planètes sur elles-mêmes
et autour du soleil, une théorie à la quelle Galilé se rallia par la suite (1564 – 1602).
Désormais, c’est le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme. La boussole,
l’astrolabe et le gouvernail sont découverts permettant ainsi la navigation sur la mer.
- Les grands voyages : ils ont été facilités par les grandes découvertes scientifiques,
l’expérimentation de certaines théories scientifiques (héliocentrisme) et déterminé par
des circonstances historiques. Désormais l’occident préfère le raisonnement critique,
le recours à l’expérience et revendique le droit à la libre critique.
Ainsi, de cette rupture avec le dogme s’ajoute la multiplication des contacts avec d’autres
mondes. C’est dans ce contexte que Christophe Colombe va découvrir l’Amérique et
l’expédition Magellan pour faire le tour de la terre. De retour au Canada, Jacques Carter décrit
les meurs de ces habitants et Fonteneau fait autant pour le Brésil.
Ces contacts ont eu comme conséquences le retour de la tératologie et un début de remise en
cause de la supériorité des sociétés chrétiennes. Désormais, les occidentaux commencent à se
poser des questions sur leur propre société. C’est dans ce contexte que naissent les idées
exotisme, les notions de bon sauvage, de naturel, d’Adam et Eve.
Malgré son ouverture, la renaissance n’a été qu’un début de gestation pour l’anthropologie et
les autres sciences de l’homme et de la société. Elle a eu le mérite d’initié les réflexions sur
les sociétés occidentales et réorienté la perception occidentale du monde non Chrétien.
- Le XVII ème siècle : ce siècle a été un repli sur soi. Cependant quelques
missionnaires ont apporté des témoignages importants. Parmi ceux-ci, on compte le
père d’Evreux, pelleprat et d’abeville etc.
4- Les philosophes des lumières
Ce siècle a été plus audacieux dans la remise en cause des sociétés occidentales. Deux types
d’érudits vont faire des bonds aux sciences : les philosophes des lumières et les naturalistes.
4.1- Les philosophes des lumières :
- Montesquieu : En reprenant la théorie du climat d’Ibn Kaldum, il fait des propositions
de gestion des cités (esprit des lois). Dans les lettres Persanes il met en relief la
dimension relativiste des cultures.
- Rousseau : Il proclame l’universalité de la conscience morale et critique l’occident
dans sa mauvaise compréhension des fondements de la société. Il mène des réflexions
sur l’origine et le fondement de la société et des pouvoirs politiques. Sa notion de
passage de l’état de nature à l’état de culture est toujours d’actualité dans le débat
anthropologique
- Voltaire : Il s’oppose à la notion de sauvagerie. En condamnant les abus, il est pour la
civilisation des sociétés arriérées. L’apparition au 18 ème
siècle des concepts
d’évolution et de progrès sont dus en grande partie à lui.
On peut ainsi retenir que les philosophes des lumières ont contribué à la désacralisation
de la société. Ils l’ont soustrait du domaine divin pour en faire un objet d’étude.
4.2- Les naturalistes
A l’instar des philosophes, les naturalistes ont contribué à la rupture avec le type de pensée
moyenâgeuse. Ainsi, l’homme devient un objet d’étude au même titre que les autres
composantes de la nature. On passe ainsi du concept de genre humain à celui d’espèce
humaine. Ainsi, Linné a replacé l’homme dans la série animale. Blumenbach a fait une
classification raciale. Dans la même logique, Buffon a été l’un des précurseurs de
l’anthropologie physique. C’est aussi à cette époque que le problème de l’origine et du début
de l’homme a été posé. Si les philosophes des lumières ont contribué à désacraliser la société,
les naturalistes, eux ont contribué à la désacralisation de la nature. Ce qui va préparer pour le
19 ème siècle la naissance de la préhistoire, de l’archéologie, de l’anthropologie physique, de
la sociologie et de l’anthropologie sociale.
5- Le XIX ème siècle
En désacralisant la société et la nature, les philosophes des lumières et les naturalistes ont
préparé pour le 19ème siècle la naissance de la préhistoire, de l’archéologie, de
l’anthropologie physique, de la sociologie et de l’anthropologie sociale. Ainsi la première
moitié du 19 ème siècle a été la continuité du travail mené par les voyageurs et comparatistes
du 18ème siècle. A ce niveau, l’innovation a été qu’en plus des travaux individuels des érudits,
des associations de savants se sont formées pour conjuguer leur effort dans l’étude de
l’homme et de la société.
6- Les érudits :
Parmi les érudits de cette époque, nous avons :
- Volney : (1757-1820) selon lui, le rôle du milieu dans l’histoire de la société exige le
couplage de la géographie et de l’histoire.
- Gerando : (1772-1842) il a conçu un guide d’enquête anthropologique lors de son
voyage (qu’il intitule « considération sur les divers méthodes d’observation des
sauvages ».
- Gustave Klemm (1769-1802) il fut un grand théoricien de la science de l’homme,
notamment de la culture matérielle de l’humanité. Selon lui, la société humaine se
divise en deux types : un premier type constitué de population active (porteur
d’innovation et un second type, formé de races passives, soumise à la culture. Quant à
l’évolution culturelle, elle se fait en trois étapes : sauvagerie, auto-domestication et
état de liberté.
7- Les sociétés de savants :
Parallèlement à ces travaux individuels, des chercheurs se sont organisés et ont eu une
contribution inestimable dans la naissance de l’anthropologie et des autres sciences sociales.
C’est ainsi que furent créer en :
- France: en  1799, la société des observateurs de l’homme (le groupe la Thémis fondé
en 1832 ; la société ethnologique de Paris, fondée par Edward Williams.
- Angleterre: en 1822, British Association for advancement of science; en 1843,
Ethnological Society of London.
C’est dans cette tentative de regroupement des chercheurs qu’on assiste à la naissance de
plusieurs disciplines de sciences sociales et humaines notamment l’anthropologie physique.
L’anthropologie physique en tant qu’étude biologique de l’homme et de son adaptation au
milieu, procède surtout à la classification des races actuelles à partir des critères physiques.
Les précurseurs de cette école ont été Linné et Bluenbach depuis le 18ème siècle.
A partir du 19ème siècle, elle s’est intéressée à la recherche de l’origine de l’homme et des
critères de différenciation des races humaines.
Au sujet de l’origine de l’homme, les débats ont surtout porté sur la question de l’unicité
(monogénisme) et la pluralité (polygénisme). Autrement dit, si l’homme descend d’un seul
type primitif ou de plusieurs. Mais le monogénisme finit par l’emporter.
Quant aux critères de différenciation des races, les débats ont d’abord porté sur l’angle faciale
(avec Virey sur les notions de l’angle ouvert et l’angle fermé), puis sur les critères de cranes
qui ont plus attiré les anthropologues de l’époque. A cette époque, des chercheurs ont voulu
déterminé le psychisme de l’individu à partir de la craniologie : c’était la phrénologie.
Cependant, les critères de crane aussi bien que du psychisme se sont avérés incapables de
déterminer la classification des races humaines à travers le monde. C’est ainsi que l’intérêt fut
porter à d’autres éléments du corps tels que les squelettes (os long et cours) et le sang (groupe
sanguin).
Finalement la notion de race s’est avérée plus subjective que scientifique et tous les hommes
appartiennent à une même espèce.
Mais comment est-on parti de l’étude des espèces biologiques au droit ?
Le but de l’anthropologie n’était pas initialement cela, il y a une sorte de déviation. Pour
comprendre les sociétés et leur appliquer l’autorité, il faut connaitre la loi, connaitre leur
rapport avec l’autorité.
A partir des travaux de l’ethnologie, on ne pouvait ignorer le droit.
D’où la naissance de l’anthropologie juridique, qui est définit comme la science qui
explique l’ensemble des phénomènes juridiques à travers une approche socio-culturelle,
historique, philosophique, économique et technique.
Ainsi, il a été découvert que le droit n’est pas seulement issu de règles édictées par les
pouvoirs publics, mais il est pluriel et découle de sources souvent indispensables du pouvoir.
Parce que certaines sociétés croient en un Dieu transcendant, créateur du monde et qui le
gouverne par ses lois (monde chrétien, monde islamique) et facilement se représentent l’Etat
comme tel, donc croient au mythe de la loi et du droit unitaire. D’autres sociétés n’ont pas
cette conception de la divinité et ne considèrent ni les lois, ni le pouvoir comme extérieurs.
L’anthropologie juridique est partie du 18ème siècle, et dérive fondamentalement de
l’Ethnologie et de l’Histoire du droit. On peut dater sa naissance de la publication, en 1861, de
deux ouvrages : Ancient Law, de Sr H. Sumner-Maine ; et Das Mutterrecht, de J.-J. Bachofen.
Leurs auteurs sont historiens du Droit et romanistes. À l'époque, l'Orient est à la mode : les
Droits non occidentaux auxquels ils prêtent attention sont surtout ceux de l'Inde et de l'Asie.
L'Afrique noire n'entre en scène que plus tardivement, notamment dans la Zeitschrift für
vergleichende Rechtswissenschaft, dirigée par F. Bernhoeff, G. Colin et J. Kohler, dont le
premier numéro paraît en 1878. L'optique en est nettement historique – il s'agit de faire
l'histoire de tous les systèmes juridiques, à la lumière des principes évolutionnistes, mais la
place consacrée aux Droits de populations différentes du monde indo-européen augmente
considérablement par rapport aux études antérieures.
Les œuvres fondatrices de l'anthropologie juridique se situent donc dans les dernières
décennies du XIXe siècle.
L’anthropologie juridique en tant que science sociale, a tout de même un domaine d’action
qui lui permet de se démarquer de la sociologie et de l’ethnologie auxquelles elle s’apparente.

II/ Champ de l’anthropologie juridique:


L'anthropologie juridique a comme objectif principal l’étude de l’homme dans toute sa
diversité et dans les différentes sociétés. Certes elle a été nourrie par les expériences des
sociétés traditionnelles, mais leurs valeurs ne sont nullement infantiles ou inférieures par
rapport aux nôtres, au point que nous semblons, plus ou moins inconsciemment, les
redécouvrir. C'est dire que l'anthropologie juridique ne borne point son champ à l'étude des
sociétés lointaines ou « exotiques ». Elle se veut aussi une réflexion sur notre propre Droit.
Elle part du principe qu'une connaissance conjointe des systèmes juridiques traditionnels et
modernes est indispensable à la constitution d'une authentique science du Droit.
L’anthropologie juridique permet de se rendre compte qu’au-delà de la loi, il est possible de
comprendre le droit autrement.
Toutes les sociétés connaissent des modes de contrôle social que nous qualifions de
juridiques. Mais elles ne leur accordent pas la même importance. Certaines demandent
d'emblée au droit de garantir les valeurs qui leur paraissent essentielles. D'autres n'y recourent
qu'avec plus de prudence, ou en dernière extrémité. Compte tenu de ces variations,
l'anthropologie juridique peut s’expliquer comme la discipline qui, par l'analyse des
discours (oraux ou écrits), pratiques et représentations, étudie les processus de juridicisation
propre à chaque société, et s'attache à découvrir les logiques qui les commandent. Les sociétés
ne partagent pas forcément la même vision du monde. Les valeurs qu'elles privilégient
diffèrent souvent. Il en va de même du contenu de leurs Droits 1 (la virginité de l'épouse sera
une des conditions, de la validité du mariage dans certaines cultures et non dans d'autres).
L'anthropologue du Droit ne peut donc se satisfaire de la seule étude du contenu des
prescriptions juridiques et de la forme de leurs sanctions. Il doit mettre en lumière les
processus de juridicisation. En fonction de l'importance qu'elle accorde au Droit dans la
régulation sociale, chaque société choisit en effet de qualifier (ou disqualifier) de juridiques
des règles et comportements déjà inclus dans d'autres systèmes de contrôle social (par
exemple la morale ou la religion). Pour la plupart, les juristes ont jusqu'ici ignoré ces
distinctions et confondu le Droit avec leur Droit.
Il convient de faire la distinction entre l’anthropologie juridique et certaines notions voisines
telles :
- La sociologie qui est la science qui s’intéresse à l’étude des sociétés, singulièrement elle
sera l’étude des maux et des faits de la société.
A la fin du moyen âge, la monté de la bourgeoisie a durci les contradictions au sein des forces
productives en occident. Les nouveaux types de formations économiques et sociales nées de
ces révolutions vont connaitre à leur tour des crises.
Pour certains idéologues bourgeois, ces crises étaient des phénomènes de destruction auxquels
il fallait trouver des solutions par la création d’une science de société qui étudierait et
soignerait les maux de la société.
1
Cf. N. Rouland, Penser le Droit, Droits, 10 (1989), 77-79.
Le mot sociologie a été créé par Auguste Comte pour désigner la science de la société. Il est
issu du radical latin « socio » et d’une terminaison grec « logos ». Au stade initiatif, la
sociologie s’occupe de définir, d’expliquer les institutions sociales, le rôle, la fonction, le
statut social, la classe sociale, la mobilité, la bureaucratie, la parenté, le groupe primaire,
l’idéologie, l’association et la communauté.
Au départ, la sociologie s’est donnée comme objet la découverte des lois sociologiques. C’est
pourquoi Mauss dit que : « Expliquer en sociologie, c’est découvrir des lois »
Mais à son début (vers les années 30), la sociologie avait un champ d’investigation très
restreint à caractère presque ethnocentrique. C’est à partir des années 1960, que la sociologie
commença à traiter les grands problèmes mondiaux (sous-développement, industrialisation
etc.).
Ainsi, elle se rapproche de l’anthropologie sociale en faisant une incursion sur le champ de
celle-ci qui jusqu’à là, s’occupait des sociétés non occidentales.
-Quant à l’ethnologie, elle se définit comme la science qui s’intéresse à l’étude comparative
et explicative des sociétés traditionnelles par opposition aux collectivités urbaines dont
s’occupe la sociologie. Cependant, la pratique a démontré que l’ethnologie et l’anthropologie
ont un même domaine d’intervention : l’étude des sociétés non occidentales et
occasionnellement de l’Europe pré-ou non industrielle. Ainsi, les ethnologues Français ont
étudiés les populations des colonies françaises (Bambara, Dogon etc.) et les anthropologues
Anglais, celles de l’empire britannique (Nuer, Tallensi, Naori). Le mot ethnologie est utilisé
pour la première fois par Chavannes en 1787 pour parler « d’une branche de l’histoire ou de
la philosophie de l’histoire, consacrée à l’étude des étapes de l’homme en marche vers la
civilisation ». Elle désigna par la suite l’étude différentielle des caractéristiques physiques
humaines. C’est à la fin du 19ème et le début du 20ème siècle qu’elle a eu sa signification
actuelle : étude des sociétés traditionnelles.
-Le mot ethnographie est utilisé pour la première fois en 1810 à l’Université de Berlin par
l’historien Niebhur pour désigner une classification du groupe humain à partir de leur
caractéristique linguistique, ensuite à partir des divers éléments de la culture matérielle. De
nos jours, l’ethnographie désigne la première étape de la recherche ethnologique : la collecte
des documents de base, le compte rendu descriptif des sociétés humaines, les matériaux bruts
de l’anthropologie. Elle est complétée par l’analyse ethnologique ou anthropologique. Ainsi,
Claude Levy STRAUSS qualifie l’ethnographie de recueil de données sur le terrain,
l’ethnologie de l’analyse de ces données et l’anthropologie est considérée comme leurs études
comparatives. Cependant, il faut souligner que c’est seulement un nombre infime
d’anthropologues qui partage cet avis. D’où l’intérêt de l’étude des courants anthropologiques
qui se sont succédés sans pour autant avoir les mêmes conceptions de l’évolution des hommes
et des sociétés.

Ainsi il faudra étudier d’abord la dimension théorique de l’anthropologie juridique


(première partie). Elle se subdivisera en deux grands chapitres : le premier sera consacré à
l’étude des courants traditionnels et modernes qui ont dégagé les concepts et les méthodes de
la discipline, le second chapitre analysera ses principales méthodes. La partie suivante
portera un regard sur l’anthropologie adaptée au contexte malien (deuxième partie). Ce qui
nous permettra d’aborder le système foncier au Mali, les conflits et leurs modes de gestion et
les règles juridiques régissant la famille au Mali.

PREMIERE PARTIE : FONDEMENTS THEORIQUES DE L’ANTHROPOLOGIE

L’anthropologie juridique est née certes des voyages et découvertes réalisés dans les
siècles qui ont précédé, mais c’est à travers les études menées par de nombreuses écoles
qu’elle s’est développée. Ainsi, nous verrons d’abord les grands courants, ensuite les
principales méthodes d’investigation et enfin quelques concepts majeurs de la discipline
.
CHAPITRE I : LES ECOLES ET LES COURANTS EN ANTHROPOLOGIE
Il y a les premières écoles qui ont posé les jalons de la discipline qu’on qualifie aujourd’hui
de courant traditionnel et les écoles plus récentes appelées courant moderne.

SECTION I : LES COURANTS TRADITIONNELS


Ils se subdivisent principalement en deux courants d’idées : l’évolutionnisme et le
diffusionnisme.

Paragraphe 1 : L’évolutionnisme


Les conditions nécessaires à l’apparition d’une anthropologie scientifique sont nées un peu
avant le 19ème siècle grâce à un principe directeur posé pour l’interprétation des faits socio-
culturels : le concept d’évolution de Darwin. La théorie de Darwin a démontré que toute
espèce naturelle se développe dans un processus continu (théorie de progrès). Toute la nature
évolue sans cesse de former simple vers de plus en plus complexes. On va donc l’appliquer à
l’homme comme être social.
Cette évolution biologique a été acceptée par les chercheurs qui ont considéré que les
institutions sociales comme le mariage, l’économie, la religion, la politique, évoluaient à la
manière des espèces naturelles. Toute la vie sociale est perçue comme un passage du simple
au complexe.
Ainsi de 1830 à 1840, ce concept est présent partout et anime les recherches et les réflexions
dans plusieurs domaines : biologie, sociologie, philosophie etc. Il va donner à l’anthropologie
sa première impulsion. Il importe d’indiquer qu’à cette époque, il est rare que l’anthropologue
soit lui-même le collecteur des données qu’il analyse « anthropologie de cabinet »
L’évolutionnisme est le premier courant de l’anthropologie. Son objectif était la suite logique
de la lutte menée contre les conceptions dogmatiques et métaphysiques du moyen âge. Elle
s’inscrit dans l’optique des nouvelles sciences humaines nées au 19ème siècle.
Les grands auteurs de l’évolutionnisme sont : Johann Jakob Bachoffen : (1815-1888) « Das
Mutterrecht » publié en 1861, Lewis Henri Morgan : (1818-1881) « Ancient Society » paru
en 1877, Edward Burnett Tylor, 1832 – 1917 : « Primitive Culture » publié en 1871, son
œuvre est basé sur le (fétichisme et la religion), Emile Durkheim : (1858-1917), James
George Frazer, (1854-1941) : « Rame d’or », il a travaillé sur la magie et la religion.
Selon cette école, les sociétés de par leur nature connaissent un phénomène d’évolution, de
croissance qui aboutit à une transformation, au passage d’une forme de société à une autre.
Autrement dit, elle cherche à « retracer les origines des formes socio-culturelles des
sociétés modernes, envisagées comme le point d’aboutissement du progrès humain, et
simultanément de proposer une typologie intelligible des sociétés et des cultures diverses
existantes dans le présent ; ceci, en définissant des phases ou des conditions, ou des états
par les quels passent tous les groupes humains, les uns plus vites et les autres plus
lentement ».
Ce développement de l’humanité s’est effectué dans une direction unique. Tous les groupes
humains se sont engagés dans un chemin parallèle, dont ils ont parcouru une partie plus ou
moins grande, mais toujours de la même manière. Morgan : « Toutes les races humaines ont
eu, en gros un développement de même caractère général à partir de la sauvagerie. C’est une
marche du simple au complexe, de l’homogène à l’hétérogène, de l’irrationnel au rationnel ».
Ce qui est objet d’étude pour ces premiers anthropologues ce n’est pas telle société ou telle
culture mais plutôt la totalité des cultures humaines dans le temps et dans l’espace. Le
postulat fondamental est celui de l’unité de l’espèce humaine, unité psychique en tout cas.

Paragraphe 2 : Le Diffusionnisme


Les auteurs du diffusionnisme sont : Adolf BASTIAN (1826-1905) : Anti-
évolutionniste, il a publié en 1859 « Der Mensh in der Geschist » (l’homme à travers
l’histoire) ; Friedrich Ratzel (1844-1904) : il a publié « Volkerkunde » et
« l’Anthropogéographie » Il a accordé une grande attention à l’influence du milieu sur les
sociétés humaines et à la distribution géographique des cultures ; Fritz R. Graebner (1877-
1934) : Il a travaillé à l’Océanie et s’attache à la définition des « cercles culturels » concrets à
partir des quels s’est opéré le développement culturel de l’humanité ; Franz Boas (1858-
1942) : il est considéré par beaucoup de chercheurs comme le père de l'anthropologie
culturelle.  Selon lui, chaque culture est le produit d'une histoire contingente: il n'y a pas de
lois du développement, seulement des processus singuliers. Il s’oppose à l’évolutionnisme en
affirmant qu'aucune culture n'est plus développée qu'une autre ; Alfred Louis Kroeber (1876
- 1960) : il fut l'une des personnalités les plus influentes de l'anthropologie pendant la
première moitié du XXe siècle aux États-Unis.
Si les évolutionnistes ont dominé la scène anthropologique pendant la seconde moitié du 19 ème
siècle, ils n’ont pas été les seuls à l’occuper. D’autres chercheurs vont contester leur postulat
sur des bases différentes. Première critique de l'évolutionnisme, le diffusionnisme est
considéré comme la deuxième grande théorie anthropologique. Dans le domaine
anthropologique, le diffusionnisme est une appréhension des cultures humaines par leur
distribution dans l'espace, leur historicité et les dynamiques géographiques associées. Il va
s'institutionnaliser en tant que courant de pensée à la fin du XIXe siècle et au début du
XXe siècle notamment en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis. Le postulat de base du
diffusionnisme est d'affirmer que l'Homme n'est pas créatif. Autrement dit, ce courant conçoit
la rareté des processus d'invention. La culture se développe et se transforme par le biais
d'emprunts culturels auprès des groupes humains avoisinants, de migrations de populations,
de processus d'imitation ou d'acculturation. On peut ainsi reconstituer des cercles culturels
autour de foyers de diffusion. Les diffusionnistes étudient donc les transmissions de traits
culturels qui s'effectuent entre groupes humains, ce qui rompt avec les problématiques
évolutionnistes.

Cependant, le diffusionnisme n'exclut pas forcément une conception évolutionniste de


l'histoire. Il ne fait que remplacer le parallélisme et la loi des évolutions convergentes par une
théorie des diffusions des traits culturels. Le diffusionnisme insiste sur la théorisation des
contacts interculturels. Ce qui a donné lieu à un grand nombre d'études comparatives et
cartographiques, ayant le plus souvent pour but d'établir la séquence de filiation d'un fait
culturel et de circonscrire le « foyer culturel » dans lequel aurait émergé l'élément en question.
La constitution de cartes géographiques porteuses d'un savoir anthropologique va tenir une
place importante dans les méthodes du diffusionnisme.

L'hyper-diffusionnisme : Ces auteurs sont : G. Elliott Smith et W. J.Perry : Ces deux


auteurs vont donner une forme extrême aux considérations qu’on a déjà rencontrées sur la
faible capacité inventive de l’homme. Pour eux, tout ce qui constitue la base de
développement de la civilisation fut inventé une seule fois, il y a quelque sept mille ans, en un
seul lieu qui est l’Egypte. Ainsi, toutes les cultures observables, et même une partie des
cultures préhistoriques, constituent soit des imitations, soit des enrichissements, soit des
dégénérescences de la culture Egyptienne. A la suite de ces auteurs, le Sénégalais Check Anta
Diop se situe dans la même optique selon laquelle, la civilisation est non seulement d’origine
Egyptienne mais aussi négro-africaine.

A l’instar de ces théories, d’autres courants ont fait leur apparition au XXème siècle.

SECTION II : LES COURANTS MODERNES


Les courants modernes intéressent d’une part le fonctionnalisme (1) dont le père fondateur
est Malinowski et le structuralisme initié par Claude Lewis Straus (2). Cependant à l’image
des premiers courants anthropologiques s’est développée l’école dynamite, marxiste et celle
anglaise (3).
Paragraphe 1 : Le fonctionnalisme
Le terme « fonctionnalisme » est attaché au nom de B. Malinowski (1884-1942) qui a
tenté de définir toute la réalité socio-culturelle à partir de la théorie développée sous ce nom.
Ce courant s'oppose à l'évolutionnisme et au diffusionnisme. La culture doit être vue dans une
perspective synchronique. La recherche sur le terrain s’épanouit à travers « d’observation
participante ». La carrière de B. Malinowski s’étend de la publication de « Argnauts of the
Western Pacific », en 1932, à celle de « A Scientific Theory of Culture and Other Essays »,
œuvre posthume, en 1944. B. Malinowski est le premier anthropologue à effectuer de longs
séjours sur le terrain (en Mélanésie). Cette pratique du terrain fait depuis figure d'étape
obligatoire dans la formation de tout anthropologue. Les grandes synthèses évolutionnistes du
passé devinrent peu à peu obsolètes, au fur et à mesure que s'accumulèrent les données
ethnographiques contenues dans les monographies réalisées par les chercheurs sur les terrains
coloniaux. Mais B. Malinowski est aussi l'auteur d'une théorie, le fonctionnalisme, qui marque
une forte réaction contre les explications de type historique. Il reproche aux évolutionnistes de
se tromper sur la notion de cause : la cause de l'état présent d'une société ne réside pas dans
son stade de développement antérieur, mais dans l'agencement interne des différents éléments
qui constituent son système social, et qui accomplissent différentes sortes de fonctions,
répondant à la satisfaction de besoins qui sont fondamentalement les mêmes dans toute
société. Deux aspects de son œuvre sont particulièrement importants pour la réflexion
juridique2. D'une part, son insistance sur la nécessité du terrain rapproche le Droit de la
réalité : celui-ci ne consiste pas seulement dans des normes abstraites, mais aussi dans des
phénomènes concrets, saisissables par l'observation directe. D'autre part, sa conception de la
société comme celle d'un système culturel dont toutes les parties sont reliées entre elles le
pousse à affirmer la dépendance du Droit vis-à-vis d'autres données, biologiques ou
culturelles (mais il risque ainsi de confondre le Droit avec ce qui l'engendre). Son influence
sur l'anthropologie juridique moderne demeure capitale : l'analyse processuelle, longtemps
opposée à la normative, découle directement de ses conceptions juridiques.
L’analyse normative correspond à la conception dominante du droit telle qu’elle est
enseignée dans les pays de tradition civiliste : le droit consiste essentiellement en un certain
nombre de normes explicites et écrites, contenues dans des textes rassemblés le plus souvent
en code.
Dans l’analyse normative, le droit est un type de contrôle social qui s’exerce par l’emploi
systématique de la force dont dispose une société politiquement organisée. Une norme sociale
est juridique, si le fait de la négliger ou de l’enfreindre est régulièrement contrecarré,
sanctionné par la menace ou l’application de la force physique par un individu ou un groupe
jouissant du privilège socialement reconnu de pouvoir se comporter ainsi.
Mais l’analyse normative comporte des inconvénients parce qu’elle aboutit à rejeter de très
nombreuses sociétés (centralisées ou non) hors du champ du droit, parce que dans ce cas, le
droit s’identifie à un corpus de règles abstraits et explicites associé à un appareil de sanction
basé sur la force répressive. Ce qui réduit considérablement son champ. Car la plupart des
sociétés traditionnelles ne font pas référence à de tels corpus (on a donc localisé ce
phénomène en occident ou par l’occident, une société comme la chine sous la dynastie
Chinoise 221-206-av.j-c ou les aztèques qui possèdent une conception normative du droit).
L’analyse normative ne peut donc viser qu’une partie des phénomènes juridiques et seulement
dans certaines sociétés.

2
Sur les théories juridiques de Malinowski, cf. I. Schapera, Malinowski's Theories of Law, in Man and
Culture, R. Firth ed., Londres, Roudedge & Kegan Paul, 1968, 139-155.
L’analyse processuelle : Elle prend le contre-pied de l’analyse normative : elle refuse de lier
le droit à l’existence d’une sanction émanant d’un pouvoir central. Le droit doit être défini par
sa fonction et non par les modalités de ses manifestations. Le droit assume avant tout une
fonction de réciprocité : la force qui lie les individus et les groupes et permet la vie en société
résulte de rapports réciproques d’obligations. C’est la réciprocité de ces obligations qui assure
la cohérence de la société, et non une contrainte exercée par une autorité centrale ou l’Etat.
Autrement dit, le comportement d’un individu est plus modèle par les relations sociales que
par des normes et institutions.
Qu’est-ce qu’un comportement juridique ? Pour la plupart des acteurs, c’est à l’occasion de sa
contestation que l’on peut le mieux saisir ce qu’est le droit effectivement vécu et observe par
les individus. Le droit est donc plus explicite par des processus (les modalités de règlement
des conflits) que par ces normes.
L’analyse processuelle est fondée sur l’analyse de cas.
L’analyse processuelle offre beaucoup d’avantages, d’une part, d’un point de vue
anthropologique : elle se prête infiniment mieux que la normative à la comparaison
interculturelle et ramène nombre de société dans l’orbite du droit. Sur le plan juridique, elle
conforte les tenants de la thèse de l’universalité du droit. D’autre part, elle est plus adaptée
que la normative à l’étude du changement. Etude si importante aujourd’hui ou l’on assiste à la
multiplication des phénomènes d’acculturation. Enfin, elle permet d’intégrer au vécu les
représentations idéales, car la décision rendue dans un litige à tendance à devenir un modèle
pour la solution des cas semblables dans l’avenir (c’est la base de l’idée actuelle de
jurisprudence).
Cependant, si l’analyse processuelle permet une connaissance plus large des
phénomènes juridiques que l’approche normative, la méthode du cas sur laquelle elle s’appuie
ne peut prétendre en restituer la totalité, car le droit n’est pas réductible aux seuls processus
conflictuels. Parce que l’obéissance au droit constitue la forme la plus courante d’observation
du droit.
Comme l’a affirmé Nobert Rouland, l’homme peut aussi vivre le droit en dehors du conflit.
C’est pour cela que certains auteurs (J.-L. Comaroff et S. Robert : Rules and Processes, 1981)
ont estimé qu’il est nécessaire de substituer au dualisme normatif/processuel une approche
synthétique. L’étude des normes n’est pas inutile, non seulement dans leur contenu, mais
surtout la façon suivant laquelle, les parties au litige les conçoivent et les négocient au cours
des conflits. Les règles ne sont pas seulement un cadre, mais aussi un enjeu. On doit
également étudier les raisons pour lesquelles elles sont appliquées, négligées ou violées, et la
séquence du conflit peut effectivement être un bon terrain d’observation.

Les axes fondamentaux du fonctionnalisme

1. La culture est avant tout un appareil instrumental qui permet à l'homme de mieux
résoudre les problèmes concrets et spécifiques qu'il doit affronter dans son milieu.
2. C'est un système d'objets, d'activités et d'attitudes dont chaque élément constitue un
moyen adapté à une fin.
3. C'est un tout indivis dont les divers éléments sont interdépendants.
4. Ces activités, ces attitudes et ces objets sont organisés autour d'une besogne
importante et vitale et forment des institutions comme le clan, la tribu, la famille, la
communauté locale ainsi que des équipes organisées de coopération économique,
d'activité politique, juridique et pédagogique.

Du point de vue dynamique, c'est-à-dire du point de vue du type d'activité, on peut


décomposer la culture en un certain nombre d'aspects : éducation, contrôle social,
économie, systèmes de connaissance, de croyances et de moralité; modes d'expression et
de création artistiques.

La théorie des besoins

Malinowski considère la théorie des « besoins » comme le fondement de son édifice Ainsi, il
part du constat que les hommes ont des besoins universels. La culture est un moyen qui
permet de les satisfaire. A chaque besoin, il y a une réponse culturelle. On peut ainsi dresser
un tableau à deux colonnes, où les rubriques de l’un à l’autre se répondent.

A. B.
Besoins élémentaires Réponses culturelles

1- Métabolisme. 1- Subsistances.

2- Reproduction. 2- Parenté.

3- Bien-être corporel. 3- Abri.

4- Sécurité. 4- Protection.
5- Mouvement. 5- Activités.

6- Croissance. 6- Éducation.

7- Santé. 7- Hygiène.

Cependant, les besoins humains sont de plusieurs sortes. D’abord, les besoins primaires, que
l’homme partage avec les animaux et qui manifestent sa constitution biologique : besoin de
nourriture, de reproduction, de conservation, de protection contre les intempéries et les
espèces hostiles, etc. Certains sont cependant propres à l’espèce humaine : ainsi, ceux qui sont
liés à la longue durée de l’enfance, exigeant protection particulière. L’homme, moins armé
physiquement que les animaux, plus armé intellectuellement résout ses problèmes
fondamentaux de façon plus complexe : culturelle.

Il doit en outre satisfaire des besoins « dérivés », ce qui conduit à des élaborations culturelles
plus complexe encore. Ces besoins dérivés n’apparaissent que chez l’homme. Ils résultent de
sa vie en groupe : besoin de transmettre la culture auquel répondra un système d’éducation,
besoin de communiquer auquel répondra le langage.

Une troisième catégorie des besoins complètera le tableau de Malinowski. Ainsi, au besoin
d’exprimer des sentiments collectifs et au besoin d’exprimer un sentiment de confiance
correspond à un sentiment religieux. Il s’agit là des besoins « intégratifs » ou « synthétiques ».

B. Malinowski définit la fonction « comme la satisfaction d'un besoin, depuis la


simple action de manger jusqu'à l'exécution sacramentelle, où le fait de recevoir la
communion s'inscrit dans tout un système de croyances, déterminées par la nécessité
culturelle de ne faire qu'un avec le Dieu vivant ».
Dans une telle perspective, ce ne sont pas des traits culturels ou des organisations sociales qui
naissent pour répondre aux besoins des hommes mais plutôt des ensembles plus complexes
que B. Malinowski appelle « institutions » qui constituent pour l’anthropologie les unités
élémentaires et concrètes d’étude. Une institution ne prend un sens que par rapport à la
« fonction » qu’elle remplit dans la vie totale de la société.

Ainsi, B. Malinowski envisage la culture comme « une totalité cohérente, et tous les aspects
qu’elle présente, parenté, religion, économie, politique etc. ne peuvent à aucun cas être
interprété séparément ».
Paragraphe 2 : Le structuralisme
Claude Levis Strauss (1908) est le fondateur de l’école structuraliste. Il interprète toute
la réalité sociale par la théorie des échanges, de la réciprocité et de la « communication ».
C’est par ce biais, à son sens que l’analyse « des règles de jeu social » est plus efficace.
La communication des femmes « parenté et mariage », la communication des messages
« linguistique » et celle qui porte sur les biens et services « économie » fournissent des points
d’attaque privilégier de la réalité sociale. En fondant ainsi son système social sur la
communication, l’homme passe de l’état de nature à l’état de culture.
C. Lévi-Strauss note que : « l’anthropologie vise à une connaissance globale de l’homme
embarrassant son sujet dans toute son extension historique et géographique, aspirant à
une connaissance applicable à l’ensemble du développement humain ; et tendant à des
conclusions positives ou négatives, mais valable pour toutes les sociétés humaines depuis
la grande ville moderne jusqu’à la petite tribu mélanésienne. »
Autrement dit, Levis Strauss s’intéresse aux sociétés moyennement avancé car selon lui, ce
sont ces sociétés qui révèlent très nettement le système de parenté et la relation entre celle-ci
et le système linguistique. Ainsi déclare-t-il, « l’anthropologie est l’exploration de la
relation authentique et de la communication non pervertie, la recherche de ce que
l’homme a de plus profond, ces structures inconscientes »
Pour appréhender la réalité sociale, Levis Strauss distingue trois niveaux de la recherche :
1- l’ethnographie : qui correspond à la collecte des informations préliminaires sur la
société
2- l’ethnologie : qui correspond à la première phase d’analyse et de synthèse assortie
d’observation
3- l’anthropologie : qui s’attache à faire une connaissance globale de l’homme.
Ainsi, sa notion de structure se rapporte au modèle construit sur la réalité sociale. Les
instruments de la science structurale sont donc la construction de modèle. Et le modèle est une
hypothèse de travail construite à partir de la réalité sociale. Il devient structure quand il passe
au plan de la théorie. Pour cela, le modèle doit remplir quatre conditions pour qu’il soit une
structure :
1- Avoir un caractère de système (la cohérence)
2- appartenir à un groupe de transformation dont chacun correspond à un modèle
3- permettre la prévision et l’anticipation (comment le modèle réagira en cas de
modification de l’un de ces éléments)
4- rendre compte des faits observés

Paragraphe 3 : Les écoles issues des différents courants


1 - L’école anglaise
Elle vient du courant culturaliste (connaissances, croyances, techniques, arts, lois, langues,
mythes, coutumes, institutions politiques …).
Aspect moderne = problèmes d’acculturation (aujourd’hui on parle de mondialisation)
L’étude des transformations des groupes au contact les uns des autres.
Cette théorie a été perçue comme dangereuse en ce sens qu’elle confère une conception très
raciste de la culture (développement anthropométrie : races différentes).
2- L’école dynamiste
Elle étudie le changement social (propre aux ethnologues et sociologues français) qui a
travaillé à la fin de la décolonisation. Donc pour les sociétés colonisées.
Balandier G. (1920), ethnologue français s’est inspiré du fonctionnalisme et de
l’évolutionniste : évolution fonctionnelle des sociétés étudie les nouveaux mythes.
Elle est arrivée au moment de la décolonisation et a su utiliser ce qui est intéressant dans les
différents courants (l’économie, la religion ou l’histoire contemporaine).
3-L’école marxiste
Appelée aussi Ecole matérialiste, née dans les années 60-70 de la décolonisation. Elle a tenté
d’expliquer la complexité des faits à partir d’une cause première, l’économie (explique tous
les comportements d’un groupe), c’est un principe emprunté à Marx.
L’anthropologie économique : Elle analyse les écosystèmes, les modes de production, les
relations entre rapport technique et rapport de production, naissance des classes sociales.
L’Ecole est fondée sur l’évolutionnisme et sur le fonctionnalisme. On a reproché à celle-ci sa
vision évolutionniste et aussi sa non-vision de la réalité humaine des groupes or un groupe a
une histoire. Ces écoles ont été très utiles en faisant évoluer l’ethnologie (ce n’est pas une
science qui va disparaître).
L’étude des sociétés et leur système juridique se déroule obligatoirement sur la base de
techniques scientifiques appropriées. Ce qui a contribué à la reconnaissance de tous ces
courants et écoles. Ainsi, il s’avère nécessaire d’aborder dans un second chapitre les méthodes
de recherches en anthropologie qui, il faut le souligner s’apparente en général de celles de
toutes les autres sciences sociales.

CHAPITRE II : LES METHODES DE RECHERCHE ANTHROPOLOGIQUE


A l’instar de la sociologie et des autres sciences sociales, la recherche en anthropologie se
caractérise par des investigations visant à la collecte des données et de l’information. Le
déroulement d’une recherche d’articule autour de certains aspects tels que: la délimitation
de l’objet, le recensement des moyens matériels; les recherches préliminaires ; les définitions
de subjectifs et des hypothèses de travail ; la détermination de la population de l’enquête ;
l’évaluation de la taille et détermination de l’échantillon ; la rédaction du projet de
questionnaire et sa mise à l’épreuve ; puis la rédaction du questionnaire définitif ; la formation
des enquêteurs ; la réalisation matérielle; la codification des questionnaires ; le dépouillement
des résultats; la validation de l’échantillon et l’analyse des résultats ; la rédaction du rapport
de la recherche.
Il existe deux grandes méthodologies : les méthodes qualitatives et les méthodes quantitatives.

SECTION I : LES METHODES QUALITATIVE


Ces méthodes procèdent de l’anthropologie compréhensive, qui consiste à ne pas considérer
les faits sociaux, politiques comme des choses, mais aussi à chercher à comprendre les
systèmes de valeurs et les motivations qui font agir les agents. Elles consistent en :
- L’enquête de terrain ;
- Les techniques d’entretien ;
- L’observation ;
- L’expérimentation.

Paragraphe 1: L’enquête et l’analyse du contenu


-L’enquête : “Enquêter”, au sens policier du terme, c’est poser des questions à des gens
choisis afin d’être éclairé sur l’un ou l’autre problème relevant de la recherche sociale.
Il s’agit d’interroger des individus afin qu’ils produisent eux-mêmes les informations
nécessaires à l’étude d’une question donnée.
Cette technique suppose l’intervention du chercheur. Celle-ci consiste à recueillir une
information verbale. Notons qu’elle accorde une importance particulière au langage. Bien
souvent, la principale activité des sciences sociales se réduit à réaliser des enquêtes au moyen
de questionnaires sur les opinions publiques. De ce point de vue, l’enquête se range parmi les
méthodes de recherche sociologique quantitatives. Il s’agit alors d’étayer un raisonnement par
des chiffres ou des nombres. L’enquête nécessite l’examen de la question du type interrogatif
qui sert à obtenir des informations sur des faits ou des opinions : distinction des questions
ouvertes et des questions fermées, semi-fermées, semi-ouvertes.
Paragraphe 2: L’analyse de contenu ou du discours: Elle vise à « une description
objective, systématique et quantitative du contenu manifeste des communications visant à les
interpréter ».
La technique s’applique à des textes hétérogènes, mais représentatifs d’un corps.
Chaque texte est découpé en unités (mots, phrases, paragraphes, thèmes ...). L’analyse
consistera dans le décompte des fréquences d’usage des unités concernées. Le calcul
statistique de la fréquence de certaines relations entre des unités données, permet les
décryptages, les lectures des significations et des énoncés.
L’analyse du discours cherche à repérer par l’analyse linguistique les conditions de la
production d’un texte. La perspective “statistique” est abandonnée au profit d’une lecture qui
vise à dégager le sens.
L’analyse du discours prend en considération le contexte de l’énoncé.
En dehors de ces méthodes existent d’autres techniques qui permettent de recueillir des
informations sur un ensemble d’éléments, souvent des individus, des informations qu’il est
loisible de comparer entre éléments 3. Il s’agit de la méthode quantitative qui comporte aussi
les procédures mathématiques.

Paragraphe 3: L’observation et l’expérimentation


-L’observation: C’est à dire la collecte d’information. Le chercheur note, enregistre,
constate, décrit, s’abstient de toute intervention, encore qu’il faille distinguer entre
l’observation des participants et celle des non-participants.
Il existe aussi des formes d’observation reportée. Il s’agit de méthodes regroupant des
moyens d’investigation de nature diverse ayant en commun de ne pas porter directement sur
le phénomène étudié, mais sur ses conséquences.
Cette forme d’observation différée n’altère pas les situations analysées.
Aussi appartiennent à cette catégorie les statistiques d’origine administrative, les documents
d’origine publique ou privée, les produits culturels (textes, documents, produits de la vie
quotidienne, objets matériels, constrictions, ...).
Exemples : - Les fichiers d’organisations politiques,
- Les fichiers d’organisations syndicales,
- Les statistiques électorales,
3
Raymond BOUDOND : les méthodes en sociologie, p.31.
- L’analyse d’un matériel verbal quelconque (notamment issu d’un
matériel verbal).
La théorie du fonctionnalisme est à la base de la méthode d’observation participante. Elle
systématise comme méthode d’étude des sociétés, le travail de terrain et prône la rupture avec
« l’anthropologie de cabinet ». Pour les fonctionnalistes, « Pour comprendre un primitif, il
faut se transformer en primitif, participé à son quotidien ».
-L’expérimentation : Il s’agit de la création de situations artificielles par le chercheur,
afin de contrôler l’effet de variables (en faisant varier certaines en contrôlant d’autres), dans le
but de vérifier les hypothèses émises.
C’est ainsi que “La simulation” apparaît comme une méthode essentielle en sciences
sociales.

SECTION II: LES METHODES QUANTITATIVES 


Ces méthodes demandent pour l’analyse des faits sociaux, certaines analyses comme celle
des faits naturels, à introduire certaines variables, puis certaines relations entre ces variables.»
Les méthodes quantitatives sont : Le sondage, la modélisation mathématique.

Paragraphe 1: Le sondage
Il s’agit d’interroger un nombre représentatif de personnes appartenant à des groupes bien
définis, qu’elles représentent du point de vue statistique.
Tous les membres d’un groupe ne peuvent pas toujours être interrogés. Il faut disposer d’un
échantillon représentatif.
L’enquête reposant sur un tel principe s’appelle un sondage.
On peut constater qu’il soit possible de savoir ce que pensait l’ensemble d’une population en
n’interrogeant qu’un échantillon aussi restreint qu’un millier ou deux de personnes. On peut
critiquer le fait que certaines questions orientent à la base les réponses. On peut discuter de la
fiabilité d’un sondage, de ses objectifs avoués ou non.
Mais à son avantage, la technique paraît simple, banale, sûre. Elle a fait ses preuves en
matière d’enquêtes sur les intentions de vote. On peut corriger certaines déviations, par
exemple apporter une attention spéciale à la formulation des questions.
Quoiqu’il en soit, il existe une grande diversité entre les enquêtes réalisées par les instituts de
sondage points communs entre les opérations estimations après la clôture d’un scrutin, les
enquêtes sur les intentions de vote, les enquêtes périodiques sur les cotes de popularité des
leaders, des enquêtes d’opinion sur de grands sujets ...
Paragraphe 2: La modélisation mathématique
C’est une méthode d’analyse quantitative qui consiste à produire “une analyse globale de
l’interaction réciproque des facteurs par simulation”. En anthropologie, la modélisation
mathématique n’utilise pas un seul langage comme la norme dans le domaine juridique, mais
recherche également d’autres facteurs et leurs interactions pour parvenir à des conclusions
anticipant des résultats futures.

CHAPITRE III : QUELQUES CONCEPTS D’ANTHROPOLOGIE JURIDIQUE


Nous verrons successivement le pluralisme juridique, la dichotomie tradition/modernité
juridique, l’acculturation juridique et enfin le changement social et droit du développement.

SECTION I: LE PLURALISME JURIDIQUE


Le pluralisme juridique: systèmes normatifs variés en compétition aux racines conceptuelles
parfois différentes. Le droit est un réseau structurel de systèmes normatifs qui s’interpose
entre le législateur et le sujet de droit.
Le pluralisme juridique attire les tendances actuelles de l'anthropologie juridique. Pluralisme
juridique critique: vision centrée sur le sujet de droit et sur son apport aux systèmes normatifs.

La plupart des anthropologues du Droit sont aujourd'hui très sensibles aux divers thèmes
envisagés par les théories du pluralisme juridique. Ces anthropologues forment depuis une
dizaine d'années une communauté internationale, qui demeure marquée par de grandes
disparités du développement de la discipline dans chaque nation.

Le pluralisme juridique 4

Il y a de certaines idées d'uniformité qui saisissent quelquefois les grands esprits [...] mais
qui frappent infailliblement les petits [...] la grandeur du génie ne consisterait-elle pas à
savoir dans quel cas il faut l'uniformité, et dans quels cas il faut des différences ? [...]
Lorsque les citoyens suivent les lois, qu'importe qu'ils suivent la même ?
Montesquieu, L’Esprit des lois,

XXXIX, 18.

4
Cf. J. Vanderlinden, Le pluralisme juridique. Essai de synthèse, dans Le pluralisme juridique, J. Gilissen, éd.
Univ. Bruxelles, 1972, 19-56 ; J. Griffiths, What is Legal Pluralism ? Journal of Legal Pluralism 24, 1986, 1-
55 ; N. Rouland, Pluralisme juridique, dans Dictionnaire de théorie et de sociologie juridique, dir. A. J.
Arnaud, Paris, LGDJ, 1988, 303-304.
Le pluralisme juridique est l'une des thématiques importantes des recherches en anthropologie
juridique. Pour Jacques Vanderlinden, doyen de l'Université de Moncton, « le pluralisme
juridique (peut) être considéré comme la soumission simultanée d'un individu à une
multiplicité d'ordonnancements juridiques. Dès lors l'expérience nous apprend que le
pluralisme est de l'essence même du droit. »5 Concrètement, on peut observer cette situation,
dans beaucoup d’Etats ; en revanche, l'histoire juridique et politique française est un long
processus qui a tout mis en œuvre pour freiner le pluralisme juridique. Précisons que le
pluralisme juridique n'est pas un but en soi. A la fois processus et fruit de ce processus
juridique, il est un phénomène qui reflète et tente de répondre aux aspirations sociales des
populations qui expriment le besoin de ce pluralisme juridique.

Le pluralisme juridique conduit à prendre de la distance avec la connaissance de sa propre


culture

Le pluralisme juridique est un courant doctrinal. Il insiste sur le fait que toute société, à
des degrés d'intensité variable, possède une multiplicité hiérarchisée d'ordonnancements
juridiques, que le Droit officiel reconnaît, tolère ou nie. Selon la définition de J. Griffiths
(1986), il y a pluralisme juridique lorsqu’ on peut discerner des comportements relatifs à
plus d'un seul ordre juridique dans un champ social déterminé.

Sur le plan méthodologique, les diverses théories du pluralisme juridique insistent sur la
nécessité de rechercher les manifestations du Droit ailleurs que dans les domaines où la
théorie classique du Droit les situe.

Sur le plan politique, les mêmes théories relativisent la tendance de l'État à se présenter, par
le relais de la prééminence de la loi dans la hiérarchie des sources du Droit, comme la source
principale ou exclusive du Droit.

Si, d'après leurs partisans, le pluralisme juridique est un phénomène universel (toute
société pratique plusieurs systèmes de Droits), certaines le valorisent plus que d'autres.
Dans les sociétés traditionnelles, la cohérence de la société est assurée par des
représentations (légitimées par des mythes) insistant sur la complémentarité entre les groupes
sociaux. La forme minimale de pluralisme juridique réside alors dans la différence
existant entre les règles régissant les rapports externes ou internes aux groupes (comme
pour le contrat, la propriété et la vengeance). Dans les sociétés occidentales modernes, la
tendance de l'État à monopoliser le Droit l'incite à la diffusion d'une idéologie présentant
5
VANDERLINDEN Jacques, "Vers une nouvelle conception du pluralisme juridique." Revue de la recherche
juridique. Droit prospectif, 1993-2, pp. 573-583, p. 582.
l'uniformité du Droit comme le souverain Bien (l'apogée du système légaliste, sous la
Révolution, en est un bon exemple).

Les réflexions sur le pluralisme juridique dominent la situation actuelle de


l'anthropologie juridique. Les auteurs de tendance marxiste (M. Gluckman, F. G. Snyder, P.
Fitzpatrick) sont peu nombreux6. Le structuralisme est de même peu représenté, si ce n'est
dans certains aspects des travaux d'E. Le Roy et dans notre propre production scientifique.
Une des raisons de cette partition tient sans doute au fait que l'anthropologie juridique est
surtout développée au Canada et aux États-Unis (ces deux États regroupent à eux seuls
près de la moitié des anthropologues du Droit – au nombre d'environ 275, en 1989 –
disséminés dans le monde), pays peu réceptifs au marxisme et au structuralisme.

À l'heure actuelle, on doit constater que l'anthropologie juridique, qui s'est formée grâce aux
données collectées dans les anciens territoires coloniaux, reste un luxe de pays occidentaux
industrialisés.

Par ailleurs, l'anthropologie juridique tout en considérant la diversité des Droits


traditionnels, les distingue des Droits modernes, qui se multiplient avec le développement des
Etats.

6
Cf. P. Fitzpatrick, Is it simple to be a Marxist in Legal Anthropology ?, Modem Law Review, 48, 1985, 472-
485.

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