Après Vous
Après Vous
Après Vous
APRES VOUS
Un film de
Pierre Salvadori
GENERIQUE
Il est 21 heures à Paris. La nuit est tombée. Des immeubles et leurs minuscules
rectangles de lumière. Des rues, peu de passants... Les stores des boutiques sont
baissés depuis longtemps. Une épicerie ouverte.
Au coin d’une rue un peu plus animée, la devanture de la brasserie « Chez Jean »
flanquée de son écailler éclaire le trottoir et se remarque de loin.
« Chez Jean », belle brasserie parisienne, la soirée est déjà avancée. Une douce
agitation règne dans le restaurant. Dans le fond, une tablée un peu bruyante
monopolise l’attention des serveurs.
Vers l’entrée, derrière le comptoir, Martine, la patronne, surveille son monde en
souriant. Près d’elle un homme d’une quarantaine d’années vérifie un carnet de
commandes tout en téléphonant à voix basse.
ANTOINE
Je suis désolé. Tu m’en veux pas ? T’es sûre ? Sûre ? Bon, on
se retrouve directement là-bas… Excuse-moi, vraiment, je t’ai
fait attendre, je suis désolé… Christine ? Excuse-moi encore…
Oui, j’arrête de m’excuser, je pars maintenant. A tout de suite.
MARTINE
Mon Dieu Antoine, je vous retarde. Allez filez. Vous devriez
être parti depuis une heure et demi. Elle doit m’en vouloir.
ANTOINE
Non, non c’est moi. Je préférais rester un peu plus tard pour
son premier soir. Et puis je voulais finir les commandes.
J’en ai repassé une chez Lambert mais Mercier veut changer
de boucher. Moi je m’en occupe pas…
MARTINE
C’est plutôt le négociant de pinard qu’il faudrait changer, on a
plein de retours. Qu’est ce que vous en pensez ?
Antoine regarde sa montre. Karine, une jeune serveuse lui fait signe de filer.
2
ANTOINE
On en parle demain.
MARTINE
Bien sûr… Oui… Mais en deux secondes là, vous en pensez
quoi ? C’est bizarre non…
ANTOINE
Je sais pas. J’en parlerai demain avec Serge.
ANTOINE
Ça va, tu t’en sors ?
LE JEUNE SERVEUR
Oui monsieur.
ANTOINE
Je peux te laisser là hein ? C’est presque fini…Ca va aller ?
Il regarde le jeune homme désemparé et préfère fuir sans attendre sa réponse. Il est
aussitôt happé par un client qui le prend par le bras.
LE CLIENT
Police !
ANTOINE
Tout va bien commissaire ?
LE CLIENT
Ça fait une heure que j’essaie d’alpaguer le petit nouveau.
ANTOINE
Je vous amène ça…
ANTOINE
On va voir ça…
ANTOINE
Quel con, mais quel con… Mais qu’est-ce que je suis con !
Il arrive devant le parc des Buttes Chaumont dont les portes viennent de fermer et
regarde sa montre.
ANTOINE
Merde ! Ah merde !
Il hésite un instant. Son téléphone sonne. Il escalade la grille pour couper à travers
le parc.
Antoine dévale une grande pelouse et coupe à travers des buissons sombres.
Il débouche sur une petite clairière et se fige soudainement.
À quelques mètres, face à lui, sous un immense marronnier, un homme s’apprête à
se pendre.
La corde au cou, juché sur la tranche d’une valise, l’homme n’a pas vu Antoine.
Débraillé, sale, il boit une gorgée d’alcool pour se donner du courage.
Antoine n’ose plus bouger, de peur qu’un bruit ou un mouvement ne précipite sa
décision. Il le voit soudain prendre sa respiration. D’un coup sec, l’homme fait
tomber la valise.
ANTOINE
NON !
C’est raté. La valise a basculé sous ses pieds. La pointe de ses chaussures patine
sur le plat du bagage empêchant le nœud de se resserrer suffisamment sous son
poids.
4
Tétanisé Antoine voit l’homme pédaler dans le vide, à demi étouffé, tentant
désespérément de repousser la valise. Il y parvient finalement.
Antoine s’élance et l’attrape in extremis au niveau des cuisses et le soulève pour
soulager la corde du poids du corps. L’homme proteste. On n’entend qu’un mince
filet de voix filtrer à travers à travers sa gorge serrée.
L’HOMME
NOOO…. No…oon. Lai…s..sez… Lai…ssez…
Noooo…oon…
Il se tortille comme une anguille et lance de violents coups de talons à Antoine qui
a du mal à le soutenir.
ANTOINE
Bougez plus… Arrêtez, arrêtez de bougez s’il vous plaît !
Monsieur arrêtez…
L’HOMME
Pii…tié…NNOOOOOONNN…NOOON !
ANTOINE
Attentio… Atten..tion, mes che…veux ! Mon nez, putain, mon
nez !
La lutte est âpre et l’homme semble y jeter tout ce qu’il lui reste d’énergie mais
Antoine tient bon. Après de violentes gesticulations l’homme à bout de force
semble renoncer.Il ne bouge plus du tout.
ANTOINE
Ça va ? … Eh… Eh, là haut ça va ? Monsieur… ?
L’HOMME
T…é..lépho…ne…
La sonnerie résonne dans le parc immense où l’on distingue, sous l’arbre, les
silhouettes des deux hommes se soutenant l’un l’autre.
Antoine n’en peut plus, il transpire, ses bras lui font mal et ses jambes ne peuvent
plus le porter.
5
ANTOINE
Je vais lâcher…
L’HOMME
Oui…S’…Il v..ous pl…aît.
ANTOINE
Il faut que j’y aille… J’ai rendez-vous avec mon amie. Je suis
déjà très en retard.
ANTOINE
Elle m’attend au restaurant depuis une heure … Et après je
crois qu’ils vont plus servir… Ou alors juste des…. Plats
froids… Ou des…
ANTOINE
Ça va aller ?…Bon…Ben au revoir Monsieur…
ANTOINE
6
Qu’est ce que vous allez faire ? Hein ?
ANTOINE
Vous avez un endroit pour dormir ?
L’inconnu lui fait signe que non. Antoine s’approche et place un billet de 50 euros
dans la main molle de l’homme.
ANTOINE
Il y a un hôtel bien, pas cher, rue Préhault, juste là…
Il repart fait quelques pas et se retourne, derrière lui l’homme n’a pas bougé.
Antoine le regarde, inquiet.
Antoine est au téléphone. Il pose une couverture sur un petit lit, installé dans une
pièce minuscule, genre débarras. Il paraît inquiet et chuchote.
ANTOINE
Bien sûr que je suis désolé mais là je peux vraiment pas
sortir… Mais je me suis fourré dans rien du tout. Pourquoi tu
me dis toujours des trucs comme ça ? Je veux juste lui tenir
compagnie, c’est normal, c’est la famille.
ANTOINE
Je sais pas, il m’attendait en bas de chez moi. Il vient de
débarquer à Paris pour trouver du travail et il va pas très bien,
voilà c’est tout ! Hein ? …Au second degré …Du côté de la
femme de… Mon père… Oui de ma mère, si tu veux …
Attends, excuse-moi une seconde…
ANTOINE
Ça va ? ça va…? Ça va ? …
ANTOINE
Ça vous dirait de grignoter un petit truc… léger ?
Christine a rejoint les deux hommes à l’appartement. Tous les trois sont attablés
autour d’un poulet qu’Antoine découpe.
Un silence de plomb règne dans la pièce interrompue de temps à autre par un
profond soupir que laisse échapper l’inconnu.
Perplexe, Christine fait ce qu’elle peut pour alléger l’atmosphère.
CHRISTINE
Ça s’est bien passé ta journée ?
ANTOINE
Oui, oui. On a eu du monde. Ça repart… A midi, on a fait…
75…76
ANTOINE
…76 couverts même. Il y a un couple de petits vieux qui est
arrivé… assez tard… mais ils ont pris qu’une entrée…
CHRISTINE
Ha…
ANTOINE
Oui…
L’INCONNU
… Mort.
Christine s’arrête aussitôt de mâcher. Antoine toujours aussi perturbé, et qui n’a
rien entendu, lui sourit bêtement.
L’appartement est silencieux, calme. Tout le monde dort. On entend à peine les
rumeurs de la ville qui passent par la fenêtre du balcon entrouverte…
De l’autre côté, perché sur la rambarde, au bord du vide, l’inconnu fixe le trottoir,
six étages plus bas.
L’INCONNU
Vous savez… Ça avait été tellement dur… Tellement
difficile… De monter… Là- haut… Sur cette valise !
Tête de Christine.
L’INCONNU
Et encore plus dur d’en sauter. Vous pourrez jamais
imaginer… La force qu’il m’a fallu pour sauter de cette
valise…
CHRISTINE
…
L’INCONNU
Et après y manquait quoi ? Un ? Deux cm ? HEIN ?
ANTOINE
Oui… Maximum...
9
L’INCONNU
J’aurais eu une plus petite valise, une petite valise de week-end
c’était bon… Hein ?
ANTOINE
Ben oui…
L’INCONNU
Vous aviez pas le droit. Non. Pas le droit de faire ça…
L’INCONNU
C’est marrant, j’étais content que ce soit un marronnier…
J’avais mis du temps à choisir. Y’avait un chêne mais je
m’étais dis ça va faire prétentieux…
Il sort.
CHRISTINE
J’ai l’impression qu’il va pas bien du tout ton cousin…
ANTOINE
Non…
CHRISTINE
Qu’est-ce qu’il a ?
ANTOINE
Je sais pas… On dirait qu’il a un problème de valise.
CHRISTINE
Tu devrais lui parler…
L’INCONNU
… C’est affreux, il va falloir être là demain.
ANTOINE
C’est si difficile ?
L’INCONNU
Fallait me laisser là-bas, vous savez, parce que maintenant j’y
arrive plus et c’est terrible…
ANTOINE
Vous savez n’importe qui d’autre aurait fait comme moi.
…C’était comme un réflexe.
L’INCONNU
Je sais, je comprends.
ANTOINE
Je suis désolé.
L’INCONNU
Vous bilez pas. Vous pouviez pas savoir.
ANTOINE
Merci.
L’INCONNU
Si je pouvais, je paierais quelqu’un pour le faire.
ANTOINE
Si je pouvais, je vous le ferais pour rien.
LOUIS.
Merci.
11
ANTOINE
Ben de rien…
ANTOINE
Vous êtes seul, vous n’avez pas d’amis à Paris ?
LOUIS
Non.
ANTOINE
Et de la famille, des parents qui pourraient vous aider le temps
que… Ça aille mieux…
L’INCONNU
Merde… Oh merde…
ANTOINE
Qu’est ce qu’il y a ? Quoi ?
L’INCONNU
Oh merde… Merde…
ANTOINE
Dites-moi, je peux peut-être vous aider.
L’INCONNU
Non, c’est trop tard.
ANTOINE
Mais quoi ? Expliquez-moi…
L’INCONNU
Hier j’ai posté une lettre à mes grand-parents.
ANTOINE
Oui… ?
12
ANTOINE
Oh Non…
L’INCONNU
Si…Je voulais pas qu’ils l’apprennent n’importe comment…
C’est eux qui m’ont élevé. Je voulais leur expliquer…
ANTOINE
Merde… Ils sont âgés ?
L’INCONNU
87 et 89 ans…
ANTOINE
Oh putain… Oh putain…
L’INCONNU
Oh putain…
ANTOINE
On y va !
LOUIS
Hein…
ANTOINE
On est dimanche. Si vous l’avez postée hier, ils la recevront
pas avant demain… On y va !
LOUIS
Mais…
ANTOINE
Ils habitent où ?
L’INCONNU
Près de St Malo…
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Antoine entre dans sa chambre et essaye de s’habiller dans le noir, sans réveiller
Christine. La lumière s’allume.
CHRISTINE
Mais qu’est-ce tu fais ? Qu’est-ce qui te prend ?
ANTOINE
Finalement il se plait pas à Paris. Je vais le déposer chez lui.
CHRISTINE
Maintenant ?!
ANTOINE
Ben oui, il est vraiment pas bien et puis comme ça se sera fait.
CHRISTINE
Mais il habite où ?
ANTOINE
…Hein ?
CHRISTINE
Il habite où ?
ANTOINE
…Près de St Malo…
CHRISTINE (inquiète)
Mais ça va pas ! Antoine ! Antoine, arrête maintenant. Qu’est
ce qui se passe ? Tu me fais peur.
ANTOINE
Ecoute, c’est important… Vraiment, crois-moi. Il faut
absolument que je ramène ce type chez lui sinon…
CHRISTINE
Quoi « ce type » ?
ANTOINE
Hein ?
CHRISTINE
T’as dit ce type… Antoine, c’est pas ton cousin ?
14
ANTOINE (désarmé)
… Je sais même pas comment il s’appelle.
L’INCONNU
Vous avez l’air fatigué.
ANTOINE
Oui… J’ai eu une journée un peu dure hier au restau.
L’INCONNU
Vous voulez que je conduise un peu.
ANTOINE
Je veux bien oui…
ANTOINE
Remarquez ça va mieux là. Ça m’a fait du bien de discuter un
peu.
L’INCONNU
Bon.
ANTOINE
Qu’est ce qui vous est arrivé ?
Il ne répond pas.
ANTOINE
15
C’est votre travail ?
ANTOINE
Vous êtes malade… Vous avez perdu quelqu’un ? C’est ça…
ANTOINE
Elle est décédée ?
L’INCONNU
Elle est partie, comme ça, d’un coup. J’ai jamais su
pourquoi… Et moi je m’en suis jamais remis. Je préfère pas en
parler…
ANTOINE
Au contraire, il faut parler.
L’INCONNU
Non…Je préfère pas décrire à quelqu’un d’autre ce que je
ressens parfois. J’ai l’impression que je pourrais des portes
qu’il aurait du mal à fermer, vous voyez… Je me dis que ce
serait comme semer une graine empoisonnée ou malade dans
son cerveau… Vous comprenez ?
L’INCONNU
Une graine qui pousserait et qui lui rongerait l’âme, l’esprit.
Vous voyez qui…
ANTOINE
Oui, oui… Je vois bien…
L’INCONNU
En fait, j’ai peur d’être contagieux. Vous croyez que l’angoisse
est contagieuse ?
ANTOINE
16
Je sais pas…
Antoine se redresse d’un coup dans son siège, comme pour se ressaisir. Il regarde
sa montre.
ANTOINE
Enfin bon, on bavarde, on bavarde… Faut qu’on accélère un
peu quand même
La matinée est bien avancée. Ils arrivent dans le village et débouchent dans une
rue, devant un lotissement.
ANTOINE
C’est laquelle leur maison ?
L’INCONNU
Celle où il y a le vélo du facteur…
Le facteur qui vient d’enfourcher son vélo passe devant eux et s’éloigne.
ANTOINE
Ils sont peut-être pas là…
L’INCONNU
Où vous voulez qu’ils soient, à une expo ?
ANTOINE
Mais ils l’ont peut-être pas encore lue. Vite, faut y aller…
L’INCONNU
Ils ont dû se jeter dessus.
ANTOINE
Mais peut-être pas. Ils étaient peut-être occupés…
L’INCONNU
17
La dernière fois que je leur ai écrit une lettre c’est quand
j’étais en classe de neige.
ANTOINE
Il faut pas perdre de temps. Allez… Allez-y
L’INCONNU
Je peux pas. Je peux pas !
ANTOINE
Mais quel con, quel con !
ANTOINE
Euh… Comment vous vous appelez ?
L’INCONNU
Louis.
GRAND-MERE DE LOUIS
Oui ?
ANTOINE
Bonjour madame… Euh… Bonjour madame, je…Je suis
désolé de vous déranger. Je suis un ami de Louis, et comme je
passais dans la région, il m’a demandé de passer vous voir
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parce que…Je… Parce qu’il avait besoin… D’un certificat de
naissance…
GRAND-MERE DE LOUIS
Vous êtes un ami de Louis ?
ANTOINE
Oui…
GRAND-MERE DE LOUIS
Ça alors… Entrez, entrez.
Tandis que la vieille dame le conduit dans le salon Antoine regarde fébrilement
autour de lui.
GRAND-MERE DE LOUIS
Vous tombez du ciel… Mon mari est au marché et...
Le courrier est posé sur une tablette. Antoine le fouille rapidement sans succès.
GRAND-MERE DE LOUIS
… C’est incroyable regardez.
GRAND-MERE DE LOUIS
Le facteur m’a dit que ça venait de lui et je ne peux pas la lire.
On m’a opérée de la cataracte y’a trois jours et j’y vois rien du
tout.
ANTOINE
Ha ?
GRAND-MERE DE LOUIS
Oui… Vous vous rendez compte, la dernière fois qu’il nous a
écrit, il était en classe de neige !
19
Elle lui tend l’enveloppe.
ANTOINE
Mais…
Inquiet, Antoine ouvre l’enveloppe, en sort la lettre puis tout en lisant commence à
improviser péniblement…
ANTOINE
« Chère mamie Rose, cher pépé Jacques…
« J’espère que vous allez bien...
« Moi je vais très bien…
Antoine lit quelques mots qui, visiblement, le mettent très mal à l’aise.
ANTOINE
« Quoi vous dire ?… Quoi vous dire ? Pas grand-chose, pas
grand-chose… »
Tête de la grand-mère.
ANTOINE
« Si remarque quelque chose quand même... Tout va bien ! Au
travail tout va bien… Et… Je suis en pleine forme… A part un
tout petit problème… Intestinal… J’ai plein d’amis très
sympathiques, un moral excellent, un travail passionnant : je
suis assistant… Personnel de… Quelqu’un… »
ANTOINE
(A la grand-mère) J’ai du mal à le lire, il écrit tout petit.
« Sentimentalement, ça va beaucoup mieux… »
GRAND-MERE DE LOUIS
Oh !
ANTOINE
« J’ai fini par me remettre de ma rupture avec Blanche. »
GRAND-MERE DE LOUIS
20
C’est pas possible. Oh c’est pas croyable.
ANTOINE
Si. Si si… « Je l’ai complètement oubliée. J’ai même rencontré
quelqu’un d’autre… Elle s’appelle… Carmen. Elle est
sublime, très intelligente, très drôle… Et avec un corps de
rêve. Elle est mannequin mais poursuit aussi des études
d’économie et d’Internet. Je vous embrasse fort… Louis. »
GRAND-MERE DE LOUIS
Il a pas fait beaucoup de progrès depuis la classe de neige.
ANTOINE
Holala, je m’aperçois que je suis très très en retard.
GRAND-MERE DE LOUIS
Vous devez déjà partir.
ANTOINE
Oui, j’ai du travail.
GRAND-MERE DE LOUIS
Vous trouverez les livrets de famille dans le tiroir du
secrétaire… C’est incroyable… Incroyable…
GRAND-MERE DE LOUIS
Je vous remercie pour la lettre. Vous pouvez la poser sur le
secrétaire, pour mon mari ?
Il glisse la lettre dans sa poche et dépose l’enveloppe vide pendant que la dame
prend son imper et un grand sac à main.
GRAND-MERE DE LOUIS
Dites, je vais en profiter pour rendre visite à ma sœur, si vous
pouviez me déposer ce serait adorable. La première maison
après la sortie du village…
Tête d’Antoine.
21
17 EXT. JOUR / PAVILLON
Antoine conduit, légèrement inquiet. La vieille dame est assise à côté de lui.
GRAND-MERE DE LOUIS
Je peux vous le dire à vous, je suis très soulagée, très soulagée.
J’ai cru qu’il ne s’en remettrait jamais de cette histoire mon
Louis…
ANTOINE
On a beau temps non ?
GRAND-MERE DE LOUIS
… Vous la connaissiez la Blanche ?
ANTOINE
Non. On se connaît depuis peu de temps avec Louis.
GRAND-MERE DE LOUIS
Vous savez, moi cette histoire, elle me plaisait pas… Avec
elle, il travaillait plus, il était toujours très émotif…. Quand il
venait nous voir, je le trouvais nerveux, amaigri, exalté… Et il
buvait comme un trou…
ANTOINE
Il est très joli votre village, vous vous y plaisez ?
GRAND-MERE DE LOUIS
Je vais vous faire une terrible confession…
ANTOINE
Non, non…
GRAND-MERE DE LOUIS
22
Je lui ai jamais dit à Louis, mais un jour elle m’a appelée,
Blanche… Elle croyait que je l’aimais bien alors elle voulait
me demander conseil…
ANTOINE (à lui-même)
Ho non…
GRAND-MERE DE LOUIS
Elle avait l’impression de faire du mal à Louis, qu’ils vivaient
n’importe comment, qu’il était trop inquiet, trop nerveux, trop
fragile. Elle pensait qu’elle avait besoin de quelqu’un de plus
stable, de projets d’avenir... Moi je lui ai dit que c’est elle qui
le rendait malheureux, elle qui le rendait nerveux…
GRAND-MERE DE LOUIS
…Que leur histoire c’était pas de l’amour et que le meilleur
service qu’elle pouvait lui rendre c’était de le quitter.
GRAND-MERE DE LOUIS
Vous allez pas me croire, elle a pris toutes ses affaires et elle a
disparu du jour au lendemain. Il l’a cherchée partout, il
appelait sa famille, ses amis. Il comprenait pas. Moi j’osais
rien lui dire.
On entend un bruit mat. Louis vient de se taper violemment la tête contre la vitre
arrière.
GRAND-MERE DE LOUIS
Vous avez entendu…
ANTOINE
C’est rien… C’est un sac.
Louis qui saigne du nez se tient immobile à l’arrière, le regard étrangement vide. Il
regarde l’imper de sa grand-mère et sort un bâton de rouge à lèvres du sac à main.
GRAND-MERE DE LOUIS
23
Mon Dieu, après j’étais inquiète. Je me suis dit que j’avais
peut-être exagéré. Faut dire que ce jour-là, j’avais des colites
et ça me donne mauvaise humeur…
ANTOINE
C’est loin après la sortie…
GRAND-MERE DE LOUIS
4… 5 kilomètres…
GRAND-MERE DE LOUIS
Enfin tout est bien qui finit bien. Elle, elle doit s’être mariée
maintenant, et mon Louis le voilà avec un top model… Je vais
vous dire, j’ai un poids en moins.
ANTOINE
Tant mieux…
GRAND-MERE DE LOUIS
Mais je compte sur vous. Tout ça reste entre nous.
ANTOINE (découragé)
…Vous inquiétez pas. Ça sortira pas de cette voiture.
La voiture file sur la route puis se gare bientôt devant un pavillon isolé.
Antoine sort de la voiture et la contourne pour lui ouvrir l’autre porte.
GRAND-MERE DE LOUIS
Mon imperméable s’il vous plaît…
GRAND-MERE DE LOUIS
Ça vous paraît cruel ce que j’ai fait ?
24
ANTOINE (le regard fixé sur l’imper)
… Je sais pas madame… Euh…
GRAND-MERE DE LOUIS
Oui…
Elle sonne.
ANTOINE
Non rien…Je vais vous laisser. Alors au revoir.
GRAND-MERE DE LOUIS
Vous savez, moi, je crois qu’aujourd’hui s’il savait il me
remercierait.
ANTOINE
Sûrement…
LOUIS
C’est pas vrai, c’est pas possible… Il fallait que je vive pour
entendre ça. Vous avez entendu ce qu’elle a dit ?
ANTOINE
Oui…
LOUIS
Elle lui a dit de me quitter…Je peux pas le croire. C’était la
femme de ma vie. Elle était tout pour moi... Mon air, mon
sang… Et elle… Elle lui a dit de me quitter… Parce qu’…Elle
trouvait que j’avais maigri…
ANTOINE
Je suis vraiment désolé.
25
21 INT. JOUR / VOITURE RUE BRASSERIE
ANTOINE
Ça va ?
LOUIS
Non.
ANTOINE (embarrassé)
Il faut que j’y aille.
LOUIS
Où ça ?
ANTOINE
Au travail. Je suis déjà très très en retard.
LOUIS
Je vais rester là un moment si ça vous embête pas.
ANTOINE
Dans la voiture ?
LOUIS
Oui. Ça m’a mis un coup tout ça. Je me sens moyen…
ANTOINE
Vous voulez pas venir avec moi ? Normalement, j’ai pas le
droit d’emmener des gens, mais vous pourriez entrer un peu
après moi et vous faire passer pour un client normal. Pour un
client.
LOUIS
Je préfère rester là pour l’instant.
ANTOINE
Ça vous ferait du bien de voir un peu de monde, de prendre un
bon déjeuner.
LOUIS
26
J’ai pas faim.
ANTOINE
Faut prendre des forces, Louis.
LOUIS
Je suis pas sûr vraiment.
ANTOINE
Et puis je serais là, dans la salle, comme un allié secret. Allez,
venez…
LOUIS
C’est loin ?
ANTOINE
Vingt mètres…
LOUIS
On peut pas y aller en voiture ?
Dans la partie restaurant, Antoine, en tenue finit de prendre une commande. Tout
en donnant des conseils au jeune serveur, il jette un œil sur Louis qui entre
timidement dans la brasserie.
ANTOINE
Fais deux tables de deux avec la 7. À midi, il y a toujours plus
de gens seuls et change la nappe, elle a un petit trou.
KARINE
T’as fait la fête ? T’as une de ces têtes.
ANTOINE
J’ai mal dormi.
Louis s’est assis dans un recoin, à une table de la partie café de l’établissement. Il
fixe le lustre. Antoine le rejoint avant que Karine ne prenne sa commande.
ANTOINE
Monsieur ?
27
LOUIS (à voix basse)
J’ai pas d’argent…
ANTOINE
Une côte de bœuf et ses pommes de terre à la provençale, un
supplément haricots verts,et une Badoit…
Antoine revient quelques instants plus tard lui servir son déjeuner. Louis est gâté :
supplément salade, haricots verts et une petite poêlée de champignons…
ANTOINE
Ça va vous faire du bien.
LOUIS (anxieux)
J’ai l’impression que tout le monde voit que je vais pas bien.
ANTOINE
Pas du tout. Vous avez très bonne mine.
LOUIS
Soyez pas gentil comme ça, je vais me mettre à pleurer.
LOUIS
Je sais même pas si j’aurais la force de mâcher.
ANTOINE
Vous voulez un yaourt ?
LOUIS
Non merci.
ANTOINE
28
Y’a un problème ?
LOUIS
Non… C’est rien. C’est quand je suis un peu oppressé comme
ça, j’ai peur que les objets tombent sur moi. C’est comme un
vertige mais à l’envers, vous comprenez…
ANTOINE
Vous voulez que je vous change de table ?
LOUIS
Non, je vais aller me mettre de l’eau sur le visage. … Et puis
après je retournerai un peu dans la voiture si ça vous embête
pas.
ANTOINE
Non, non…
LOUIS
BLAAAANNNNCHE.
Tête d’Antoine.
Antoine est prostré dans la cuisine. Christine fait le va et vient devant lui.
29
CHRISTINE
C’est pas de ta faute, enfin ! C’est pas parce que tu l’as sauvé
que tu es responsable de lui. Ou de son malheur… Tu as fait ce
qu’il fallait faire! Qu’est ce que tu veux faire de plus ? Hein ?
Tu vas pas l’adopter ! Répond-moi merde.
ANTOINE
Je suis d’accord. T’as raison…
CHRISTINE
Alors arrête de faire cette tête !
Il la regarde et sourit.
Assis sur le lit de Louis, à la lueur d’une veilleuse, Antoine fouille dans la valise de
Louis. Il en sort des lettres adressées à Blanche Grimaldi et retournées à
l’envoyeur. Il en garde une.
Dans le fatras il trouve une petite enveloppe kraft. A l’intérieur, un profil de
femme, découpé dans du bristol noir, comme en proposent aux touristes, les
artistes de Montmartre. Il regarde le petit portait fasciné et l’empoche.
Louis, brûlé à l’épaule et au bras, est allongé dans une chambre d’hôpital. À côté
de lui, un autre malade dort.
Assis sur le bord de son lit, Antoine nettoie ses plaies et change ses pansements
sous l’œil attentif d’une infirmière.
ANTOINE
Ça commence à aller mieux quand même…
L’INFIRMIERE
Mais oui.
ANTOINE
Je vais nettoyer un peu là sous le coude…
LOUIS
30
Je préfère si vous me prévenez pas à chaque fois
…AAAAAHHH
ANTOINE
Je suis désolé…(à l’infirmière ) Voulez pas le faire ?
L’INFIRMIERE
Faut apprendre. Si vous voulez l’aider va falloir vous habituer
à lui faire un peu mal.
Tête d’Antoine.
L’INFIRMIERE
Allez…Si vous appuyez pas un peu vous nettoyez rien.
ANTOINE
Je vais appuyer un peu…
LOUIS
Si vous voulez…
L’INFIRMIERE
Posez les tulles gras et les bandages, je repasse dans un quart
d’heure.
LOUIS
Vous pourriez me rendre un service ?
ANTOINE
Oui. Bien sûr. Tout ce que vous voulez.
LOUIS
Ils veulent plus me donner de morphine, si vous pouviez me
brancher un peu sur le type d’à côté…
ANTOINE
Hein !
LOUIS
Il dort, on peut lui en piquer un peu. Il se rendra compte de
31
rien, elle est coupée là.
ANTOINE
Vous êtes dingue !.
LOUIS
S’il vous plaît…
ANTOINE
NON !
LOUIS
Antoine… Apaisez-moi un peu.
ANTOINE
C’est pas vrai ! C’est pas possible… Vous voyez où ça vous
mène tout ça !
ANTOINE
Il va falloir vous ressaisir, voir du monde, travailler ! Se se…
Comment ça marche ce truc merde ! S’insérer ! Bon… Dix
minutes pas plus…
LOUIS
Merci.
ANTOINE
Me remerciez pas ou j’arrête !
LOUIS
Antoine… je vous aime beaucoup…
Antoine marmonne, entre gêne et satisfaction. Louis lui est de plus en plus
défoncé.
LOUIS
32
Dites, vous croyez qu’elle m’a oublié ?
ANTOINE
On oublie jamais les gens qu’on a aimé.
LOUIS
Moi je l’oublierai jamais… Vous croyez qu’elle s’est mariée ?
Elle disait toujours qu’elle aimerait se marier.
ANTOINE
Je sais pas… Peut-être pas…
LOUIS
Antoine… Vous êtes vraiment un type formidable…
ANTOINE
Merci.
LOUIS
Et j’adore votre veste, vous êtes très beau dedans…
Dans la cave du restau, la patronne furieuse tient le sommelier par la manche. Elle
a une bouteille dans l’autre main.
MARTINE
Tu te fous de moi ! Je t’ai vu. T’allais embarquer deux Pétrus
et deux Margaux… Y’en a au moins pour 300 euros!
SERGE
Je voulais les transférer dans ma cave. Il y a plein de retour, je
me disais que c’était peut-être le cellier.
MARTINE
Qu’est ce que tu me chantes ? J’ai l’air si stupide ! Tu ramènes
des bouteilles vide chez toi, tu les remplis de vinasse infecte et
après tu les remplaces contre des bonnes que tu piques.
SERGE
Mais, non. Antoine dis-lui… Je lui en avais parlé.
33
ANTOINE
Euh… Il…
MARTINE
Ça va St Antoine. Je suis pas d’humeur ! Ça fait des mois que
ça dure ! Avec tout ce qu’il a piqué on pourrait ouvrir un
« Nicolas » ! Tu dégages ! Je te jure, si Jean était encore là il te
flanquerait une sacrée dérouillée…
MARTINE
Et réjouis-toi que je porte pas plainte, j’ai la police juste au-
dessus ! Avec ce que tu viens de lui faire boire, je suis sûr qu’il
te soignerait.
KARINE
Alors ?
ANTOINE
Terminé. J’ai rien pu faire.
LE COMMISSAIRE
Ah, ben voilà… Parfait… C’est autre chose quand même.
LE COMMISSAIRE
Ah ! Antoine ?
ANTOINE
Oui ?
ANTOINE
C’est pas vrai ! Merci commissaire. Merci beaucoup.
Antoine entre dans le magasin. Derrière le comptoir, une jeune femme est occupée
à composer des corbeilles de mariage. Antoine jette un coup d’œil furtif sur le petit
portait chinois puis, indécis, s’approche, un grand sourire aux lèvres.
ANTOINE
Madame… Mademoiselle ?
LA FLEURISTE
Madame.
ANTOINE
Madame.
LA FLEURISTE (perplexe)
Oui.
ANTOINE
Madame ?
LA FLEURISTE
Monsieur ?
ANTOINE
35
Oui.
LA FLEURISTE
Oui ?
ANTOINE
Je voulais savoir… Jusqu’à quelle heure vous étiez ouvert…
Madame…
LA FLEURISTE
21 heures, c’est écrit sur la porte… Monsieur.
ANTOINE
Je vous remercie.
LA FLEURISTE
BLANCHE ! C’est pour vous.
BLANCHE
Vous pouvez vous arrêter Sandrine, la commande est annulée.
SANDRINE
Comment ça ?
BLANCHE
Ils font un mariage très simple. Plus de fête, plus de fleurs,
plus de corbeilles, plus rien !
SANDRINE
Merde. C’est pas vrai !
36
BLANCHE (désolée)
J’avais même pas demandé d’arrhes. La tuile ! Mais vous
inquiétez pas, je vous règlerai celles déjà faites.
SANDRINE
Mais c’est pas possible pourquoi ils font ça ?
BLANCHE
La mère de la mariée est morte ! J’aurais dû essayer de leur
fourguer des couronnes à la place ! Je vous assure, je suis
vraiment pas commerçante…
ANTOINE
Mademoiselle, Madame ?
BLANCHE
Mademoiselle.
ANTOINE
Mademoiselle ! Mademoiselle…
Tête de Sandrine.
BLANCHE
Oui ?
ANTOINE
Vous allez rire… Je venais passer une commande de corbeilles
de mariage.
BLANCHE
Effectivement, ça tombe bien.
ANTOINE (euphorique)
Mais oui. Très bien. C’est mon frère qui se marie. Comme
c’est un peu urgent, on peut sûrement s’arranger…
37
Blanche montre des photos de composition de corbeilles.
BLANCHE
Il y a aussi celles-ci…
ANTOINE
Ah oui… Oui…Elles sont rouges celles-là.
BLANCHE
Oui… Celles-là sont plus fragiles, mais elles sont très belles.
ANTOINE
Oui…Vous êtes installée depuis longtemps ?
BLANCHE (surprise)
Non… Trois mois.
ANTOINE
Ah, c’est pour ça, je n’avais jamais vu la boutique !
BLANCHE
Oui c’est récent. Vous aimez les couleurs pâles ?
ANTOINE
Non. Non pas tellement. Et c’est pas trop dur tout ce travail.
Vous n’êtes que deux !
BLANCHE
J’avais juste engagé Sandrine pour cette commande.
D’habitude je suis seule.
ANTOINE (ravi)
C’est formidable. Je veux dire, vous avez du courage, c’est
bien . Vous savez, je vais juste prendre ce qui est déjà prêt. J’ai
pas besoin de plus…C’est un mariage dans l’intimité.
BLANCHE
Je vous fais un prix.. 120 euros au lieu de 150, parce que vous
me rendez vraiment service.
38
ANTOINE
Parfait, très bien…. Et puis un petit bouquet de tulipes avec…
Un jeune homme vient d’entrer dans la boutique pour livrer des sacs de terreau.
LE JEUNE HOMME
Et où est-ce que je mets ça Mademoiselle ?
BLANCHE
Dans l’arrière-boutique… Donc fois 5…
ANTOINE
Fois 5 ?
BLANCHE
J’en ai cinq de prêtes. Il vous en faut plus ?
ANTOINE
Non fois 5, c’est parfait. Fois 5…
BLANCHE
Ça fait 600 tout rond.
ANTOINE
Tout rond.
BLANCHE
Le bouquet est offert…André, tu peux nous aider à charger des
corbeilles dans la voiture de Monsieur.
ANDRE
Bien sûr. Vous êtes garé où ?
ANTOINE
Devant la petite rue, à gauche.
39
André a fini de charger la dernière corbeille. La petite voiture d’Antoine déborde
de fleurs.
ANDRE
Voilà, ça rentre.
Antoine monte dans sa voiture et donne deux euros à André qui le regarde, un peu
surpris.
ANTOINE
Hé ben merci.
BLANCHE
Merci à vous. Vraiment. Vous m’avez sauvée.
ANTOINE
Oh, c’est un bien grand mot.
ANDRE
Et puis au pire on les aurait gardées pour le nôtre.
BLANCHE
Tu plaisantes, elles auraient jamais tenu jusque-là !
ANTOINE
… Jusque-là ?
BLANCHE
Jusqu’au 22. C’est dans trois semaines, vous imaginez. Mais
pour vous ce sera parfait. Vous inquiétez pas.
ANTOINE
Et, qu’est ce qui se passe le 22 ?
ANDRE
Et ben nous aussi. La corde au cou…
Antoine blêmit.
40
BLANCHE
C’est agréable, je vous jure ! Je peux encore dire non, méfie-
toi.
ANDRE
Pardon, pardon. Si on peut plus rigoler.
LOUIS
Merci pour le bouquet… J’adore les fleurs… C’est drôle tu
sais avec Blanche on voulait s’acheter une petite boutique
ensemble… Elle voulait vendre des fleurs, c’était son rêve, je
t’avais pas dit ?
ANTOINE (gêné)
Je t’ai ramené des vêtements. Je t’ai pris la veste que t’aimais
bien…
LOUIS
Fais chier de partir… Je serais bien resté ici encore un peu
moi… Pas tout à fait malade pas tout à fait guéri…Et puis les
gens sont gentils… Surtout… Y’a une très belle lumière.
Antoine entend le voisin gémir et réalise alors que Louis lui a encore piqué sa
morphine.
ANTOINE
Mais ça va pas ! Mais, c’est pas possible, tu dérailles ! Louis !
LOUIS !
41
LOUIS
Quoi ?
ANTOINE
T’as encore piqué la morphine de Monsieur Pistachaud !
Putain ! On pique pas la morphine des gens comme ça, merde !
LOUIS`
Moi j’aurais bien aimé travailler avec elle au milieu des roses
et des pivoines…
ANTOINE
Ça suffit ! Il faut que tu te reprennes. Il faut oublier tout ça.
Passer à autre chose. Blanche c’est terminé, terminé tu
comprends !
LOUIS (souriant)
T’es rudement bien coiffé aujourd’hui…
Antoine attend à la caisse de l’hôpital, tandis que Louis, assis sur sa valise et
toujours aussi défoncé, caresse la chienne d’une vieille dame.
LOUIS
Elle a un très beau poil… et elle a l’air très douce… et très
intelligente.
LOUIS
Et vous aussi, Madame…
ANTOINE
Excusez le, il est sous traitement. Tiens-toi bien, s’il te plaît…
Il me faut ta carte de Sécu…
LOUIS
Je l’ai pas…
42
ANTOINE
C’est quoi ton numéro ?
LOUIS
Le 9…
LOUIS
J’aime bien le 7 aussi…
LOUIS
J’en ai pas… La sécu, je l’ai plus depuis des années.
ANTOINE
T’as pas de Sécu ?
LOUIS (fier)
Je suis jamais malade.
CHRISTINE
3000 euros ! 18 000 BALLES !
ANTOINE
Chhuuut…
Antoine gêné ne sait trop quoi répondre à Christine, couchée près de lui.
43
CHRISTINE
Mais t’es dingue ! Qu’est ce que t’as avec ce type ? Tu lui as
rien fait de mal! Tu lui dois rien. C’est toi qui lui a sauvé la
vie !
ANTOINE
Chuut… Parle doucement… J’essaie de l’aider un peu c’est
tout…
CHRISTINE
On peut pas aider quelqu’un comme ça. C’est un puit sans
fond.
ANTOINE
Mais non c’est juste un moment difficile. Un chagrin d’amour,
ça arrive à tout le monde.
CHRISTINE
Ça n’a rien à voir avec l’amour. Rien ! Il est juste vexé d’avoir
été quitté.
ANTOINE
T’en connais beaucoup des mecs qui vont se pendre chaque
fois qu’ils sont vexés !
CHRISTINE
Mais c’est pas vexé… Vexé. C’est profond, violent…C’est un
choc terrible, une humiliation. Ça s’appelle une blessure
narcissique si tu veux savoir !
ANTOINE
Une quoi ?
CHRISTINE
Une blessure narcissique…
ANTOINE
Et alors, une blessure, ça se soigne.
CHRISTINE
Tu vois rien mon Antoine. Il ne peut pas être heureux, il en a
pas envie !
44
ANTOINE
Tout le monde a envie d’être heureux.
CHRISTINE
Sauf lui. Tu vas pas le forcer quand même !
ANTOINE
Mais s’il travaille, s’il rencontre des gens, ça reviendra…
CHRISTINE
Fous-lui la paix! Je pense qu’il aucune envie de rencontrer des
gens et encore moins de bosser !
ANTOINE
Ah oui ? Et bien tu veux que je te dise, il a accepté de
travailler, il a un entretien vendredi! Ça t’étonne hein ? Hein ?
CHRISTINE
Oui…
ANTOINE
Et il fait ça juste pour me rembourser…Tu vois que c’est
quelqu’un de bien..
CHRISTINE
J’ai jamais dit le contraire…
ANTOINE
D’ailleurs si tu pouvais emprunter un costume pour lui à la
boutique… Juste pour un temps. Hein ?
ANTOINE
Mais qu’est ce que t’as, pourquoi t’es comme ça ? Qu’est ce
qu’il y a ?
CHRISTINE
Rien !
45
ANTOINE
Dis-moi…
CHRISTINE
Ça fait trois ans aujourd’hui. Ça m’aurait fait plaisir que tu
t’en souviennes ! Voilà…
ANTOINE
Ah quand même ! J’ai cru que tu t’en souviendrais jamais…
CHRISTINE
Oh ça va !
ANTOINE
Attends-moi là… Reste là.
Revenu dans la chambre Antoine essoufflé invite Christine à aller dans le salon.
Elle pousse la porte et se retrouve nez à nez avec les 5 paniers de fleurs.
ANTOINE
Je voulais que tu les trouves demain matin, mais bon…
CHRISTINE
Antoine, Antoine. Excuse-moi… Excuse-moi ! Elles sont
magnifiques !
ANTOINE
Merci…
Son regard s’arrête soudain sur un des bouquets. Elle semble bouleversée : sous ses
yeux, nichés au milieu des fleurs, deux petites figurines de mariés.
ANTOINE
Quoi ?
46
CHRISTINE
Antoine… Ho ! Mon Antoine…
ANTOINE
Oui ?
CHRISTINE
Bien sûr oui. Oui. Oui, je dis « Oui » !
Antoine, le cuisinier et Martine ont installé deux tables dans un coin de la salle. Ils
reçoivent un dernier candidat au poste de sommelier. Sur la table des verres,
quelques bouteilles. Un jeune homme se tient face à eux, très sûr de lui.
MARTINE
Votre CV est très intéressant, les lettres de vos directeurs de
stages aussi, vos tests remarquables. On vous donnera une
réponse très vite.
ANTOINE
Faut re-bosser un peu les Sancerre, quand même.
MARTINE
Il est bien, lui. Il me plaît.
ANTOINE
Mmmm… Il en reste un que j’aimerais voir, M. LETOUX.
MARTINE
Il est en retard.
ANTOINE
Il arrive de province. Il était sommelier aux Roches Noires,
vers Biarritz. Une très bonne maison.
MARTINE
Connais pas…
47
ANTOINE
Il a de très bonnes références.
MARTINE
Très bien… Il a plus qu’à s’acheter une montre…
Dans la rue, Louis est terrifié. Un genoux au sol, Christine lui rectifie un ourlet
rapidement.
LOUIS
J’y vais pas.
CHRISTINE
Vous pouvez pas lui faire ça. Vous vous rendez compte du
risque qu’il prend pour vous.
LOUIS
Dites pas ça c’est encore pire.
CHRISTINE
Allez, vous êtes déjà en retard.
LOUIS
J’ai pas travaillé depuis cinq ans, vous comprenez… J’ai plus
l’habitude… La dernière fois je tenais un stand de tir, dans une
foire…
CHRISTINE
Ça va aller, il sera là…
48
LOUIS
J’ai envie de pisser…
CHRISTINE
Non ça fait quatre fois y’a plus le temps là. Allez… Ça va les
chaussures ?
LOUIS
Un peu juste…
Elle l’embrasse sur la joue pour lui donner du courage et le pousse vers le
restaurant. Louis traverse la rue, en marchant douloureusement, légèrement
tremblant.
Livide, il pousse la porte, le jeune serveur lui indique le chemin. Derrière sa table,
Antoine n’en mène pas large en le voyant s’avancer péniblement vers ses juges,
engoncé dans son costume, le regard effrayé.
MARTINE
Bonjour.
LOUIS
Bonjour.
MARTINE
Asseyez vous…Nous avons pris un peu de retard, donc nous
allons aller au plus vite.
LOUIS
D’accord.
Louis se rend compte que sa chaise est placée pile sous un lustre. Il se relève et la
décale d’un mètre sur le coté sous l’œil surpris de la patronne.
49
MARTINE
Nous allons commencer par deux trois petits tests de
reconnaissance un peu ridicules et inhabituels, mais qui me
tiennent à cœur…
LOUIS
…Merci.
LOUIS
C’est commencé ? Ha pardon.
Antoine le ressert. Il boit encore, mais garde cette fois le vin en bouche.
Sous l’œil attentif et inquiet d’Antoine, Louis commence à faire « chanter » le vin
dans son palais pendant un long moment.
Martine finit par s’impatienter.
Louis, s’arrête et ne pouvant parler, fait d’un geste de la main comprendre qu’il
n’est pas tout à fait sûr. Il continue sous l’œil ahuri des trois autres.
LOUIS
Un Bordeaux.
ANTOINE
Oui…
LOUIS
Je dirais 95, Côtes de Blayes… Peut-être un Château… Un
Château Haut Sociondo.
ANTOINE
Bravo, c’était pas facile…
LOUIS
… Du cerf.
ANTOINE
Très bonne idée, très originale. Je suis très surpris.
Tête de Martine.
ANTOINE
Si, si du gibier c’est bien…
LOUIS
UNE LANGOUSTE !
Antoine acquiesce.
LOUIS
…Sinon…C’est aussi intéressant avec le cerf. Ça fait ressortir
le goût… Du cerf.
ANTOINE
Vous pourriez un peu nous parler de votre approche du
métier ?
LOUIS (récitant)
Oui…Le vin est plus qu’un accompagnement, c’est un
révélateur. Un vin bien choisi transcende un plat. Il fait d’un
repas une petite célébration…Mais je pense aussi que le vin
représente la partie festive du dîner, qu’il enchante le repas et
réchauffe les gens…
51
Louis reprend son souffle. Antoine le couve du regard et articule presque en même
temps que lui.
MARTINE
Bien…
LOUIS
… Et réchauffe les gens. Je me vois comme un guide…
MARTINE
Bon…
LOUIS
…Comme un guide au sens noble du terme. J’aime mettre
aussi en avant cet aspect des choses quand je recommande un
vin…
MARTINE (perplexe)
… D’accord…
LOUIS
Bien évidemment.
Un silence.
ANTOINE
Je suis pas d’accord. Le jeune, il est antipathique, il va mettre
les gens mal à l’aise.
MARTINE
L’autre il va les angoisser. On avait toujours l’impression qu’il
allait se mettre à pleurer.
ANTOINE
52
Faut savoir si vous voulez un robot ou un artiste.
Antoine et Louis sont dans la cave. Antoine lui montre le classement des vins.
ANTOINE
C’est par région et ensuite par année, du haut vers le bas…
LOUIS
C’est bas de plafond quand même.
ANTOINE
C’est une cave…
LOUIS
C’est solide ?
ANTOINE
Oui. Bon, là t’as les vins de garde…
LOUIS
C’est très compliqué…
ANTOINE
Je t’ai encore rien dit… Alors euh… Bon t’as… Des régions
où…
LOUIS
T’as vu tout ce qu’il y a ?
ANTOINE
Bon écoute de toute façon les trois quarts des gens y
connaissent rien. Ils font semblant… Quand tu sais pas, tu dis
53
«J’ai un petit Bourgogne fameux et pas trop cher », ça marche
à tous les coups… Ils sont là. Là t’as les Bordeaux…
KARINE
Antoine, téléphone.
LOUIS
Attends moi !
Martine les regarde traverser la salle, côte à côte. Elle se tourne vers le serveur.
MARTINE
Quand même, il est bizarre ce Louis. T’as vu, il le suit partout.
ANTOINE
Allô ?
BLANCHE
C’est mademoiselle Grimaldi… La fleuriste. Blanche
Grimaldi…
ANTOINE (gêné)
Oui… Ha… ! Oui… Oui… Non surtout pas, ne vous
déplacez pas. Y’a pas de raison. A tout de suite.
LOUIS
Tu pars pas ?
ANTOINE
Je reviens tout de suite.
LOUIS
54
Hein ! ? Antoine, tu peux pas me faire ça. On commence dans
une heure !
MARTINE
Mais enfin regarde-moi ça, regarde, on dirait des siamois.
LOUIS
Je te préviens, si tu me laisses maintenant, je suis désolé mais
je vais être obligé d’arrêter ce travail.
LOUIS
Tu reviens hein ?
BLANCHE
Ha bonjour, vous avez fait vite… Je m’excuse d’avoir insisté,
mais je suis en train de tout régler avant mon voyage.
BLANCHE
Vous voyez, c’est pas signé.
ANTOINE
Vous partez ?
55
BLANCHE
Quinze jours, en Irlande…
ANTOINE
Ha… C’est pluvieux en cette saison, non ?
Antoine sort du magasin, remonte la rue pour se diriger vers sa voiture, garée dans
une petite impasse sombre et étroite. Il s’apprête à démarrer, mais aperçoit soudain,
dans son rétro, André le fiancé de Blanche qui gesticule.
Antoine se retourne et le voit en pleine dispute avec une jeune femme. André finit
par la rejoindre dans la voiture de la boutique…
Antoine s’approche discrètement. Alors l’intérieur, le couple s’étreint avec passion
sur les sacs de terreau.
ANTOINE
J’ai complètement oublié. J’aurais besoin… de plantes. De
plantes vertes. C’est un peu urgent.
BLANCHE
Qu’est-ce…
ANTOINE
Celle-là…
BLANCHE
Allez-y.
ANTOINE
Vous pourriez me rendre un service ?
BLANCHE
Bien sûr.
ANTOINE
Si vous pouviez demander à votre fiancé de la charger dans ma
56
voiture. Je suis très en retard et je dois donner un coup de fil ?
BLANCHE
Je vais le faire.
ANTOINE
Merci… Je suis garé juste à côté, devant l’impasse, il faudrait
me la mettre sur le siège arrière. Une 106 blanche… Allô ?
Oui, c’est Antoine…
ANTOINE
Ha bon, il a changé de fournisseur…(Il pose sa main sur le
téléphone) Je vais prendre celle-là aussi…
BLANCHE
Je l’ai fait tomber.
Blanche fond brutalement en larmes. Antoine, autant ému que coupable, semble
aussitôt regretter son geste.
ANTOINE
C’est rien mademoiselle, c’est qu’un pot…
BLANCHE (chancelante)
Excusez-moi monsieur… Excusez-moi, il faut que je m’assoie.
ANDRE
57
Blanche, ma chérie, excuse-moi, je…
BLANCHE
Je suis avec un client, j’ai pas le temps… Je vais vous le
rempoter. Vous avez deux minutes ?
ANTOINE
Bien sûr, oui.
ANDRE
Blanche c’est pas ce que tu crois.
BLANCHE
Qu’est-ce que c’est alors ?
ANDRE
C’est rien… t’as mal interprété..
BLANCHE
Oui, je vous ai vus, couchés dans la voiture c’est ça qui m’a
trompé.
ANDRE
Couchés dans la voiture. Mais pas du tout. On… Discutait.
BLANCHE
Vous discutiez ?
ANDRE
Oui.
BLANCHE
Tu veux me laisser s’il te plaît. Je suis avec un client…
BLANCHE
J’ai des jolis pots chinois.
58
ANTOINE
Chinois… Oui…
ANDRE
Blanche, écoute-moi… En fait, je la quittais. Je lui ai dit qu’on
se mariait, que je ne voulais plus qu’on se voit et… Elle m’a
forcé à l’embrasser.
BLANCHE
Tais-toi. S’il te plaît, va-t-en.
ANDRE
Mais c’est vrai. On se séparait, en douceur, c’est très fréquent.
Très, je t’assure. Hein Monsieur ?
ANTOINE
Ah, je sais pas… Peut-être hein ?
ANDRE
Allez Blanche ! On oublie tout. On se marie ! On va pas se
quitter. Pas comme ça.
BLANCHE
Chacun sa façon. Toi c’est dans ta voiture moi c’est dans ma
boutique !
ANDRE
Mais je l’aime pas cette fille.
BLANCHE (vivement)
Ça me regarde pas, tes histoires. Ne m’en parle pas. Va-t-en je
te dis ! Va-t-en !
ANDRE
Blanche… Je t’aime.
Elle a de plus en plus de mal à garder son contrôle. Sa respiration est courte et elle
retient difficilement ses larmes.
ANTOINE
Vous devriez partir Monsieur.
Il s’en va. Elle s’effondre sur une chaise. Antoine s’approche doucement d’elle.
59
46 INT. JOUR / BRASSERIE RESTAURANT
LOUIS
Merde, qu’est ce qu’y fout ! C’est pas vrai !
SERVEUR
Je vous envoie notre sommelier.
LOUIS
Qu’est ce qui vous ferait plaisir ?
HOMME 1
J’ai pris du confit.
LOUIS (atonal)
J’ai un petit Bourgogne fameux et pas trop cher…
HOMME 1
Parfait.
HOMME 2
Et avec la brandade ?
LOUIS
J’ai un petit Bourgogne fameux et pas trop cher.
Antoine et Blanche sont assis sur un banc, dans l’arrière-boutique. Blanche est
bouleversée.
60
ANTOINE
Blanche, c’est vrai que c’est tentant d’y croire, de pardonner…
Mais demain, vous le regarderez comment ? Et chaque fois
qu’il vous dira « je vais acheter des cigarettes » ou qu’il partira
travailler, vous vous direz : « est-ce qu’il n’est pas en train de
faire l’amour sous un porche… ou dans un hôtel… ou dans
une voiture ou…
BLANCHE
Bon ça va !
ANTOINE
Excusez-moi…
BLANCHE
Mais peut-être que c’était vrai, peut être qu’il était en train de
la quitter. Peut-être qu’elle était triste et qu’elle lui a demandé
de la consoler. Vous savez, on est capable de tout.
ANTOINE
Peut-être…
ANTOINE
En colère. Soyez en colère.
BLANCHE
Il me faisait tellement de bien. Lui, au moins il savait être
heureux.
ANTOINE
Mais est-ce qu’il vous aurait rendue heureuse, vous ?
Franchement ?
BLANCHE
Je sais pas. J’ai tellement peur d’être seule. Je déteste ça.
ANTOINE
Comme tout le monde. Mais, il vaut mieux être seule que mal
accompagnée.
61
BLANCHE
C’est pas vrai ! Moi je préfère être mal accompagnée qu’être
seule. Je trouve ça con ces dictons.
Tête d’Antoine.
BLANCHE
Excusez-moi Monsieur. Vous êtes tellement gentil.
ANTOINE
Vous retrouverez quelqu’un, j’en suis sûr.
BLANCHE
Moi aussi j’en suis sûre… Mais lui, je l’aimais. J’étais
amoureuse, vous comprenez. Si vous m’aviez pas acheté ce
ficus, je serai en train d’essayer ma robe. Une petite robe
bleue, j’avais fait refaire l’ourlet...
ANTOINE
Je suis désolé.
BLANCHE
Vous n’y êtes pour rien…
ANTOINE
Mademoiselle. Vous méritez mieux que ça.
BLANCHE
Merci.
ANTOINE
Ça va aller. Vous allez tenir ?
BLANCHE
Oui.
ANTOINE
Il faut que je vous laisse. Je suis vraiment très en retard…
62
BLANCHE
Bien sûr, allez-y…Vous m’avez beaucoup aidée, beaucoup fait
de bien. Vous étiez pas obligé de le faire, en plus. Moi, je suis
pas sûre que je l’aurais fait. Merci. Merci beaucoup.
Louis, abandonné à son sort de sommelier, est en pleine tempête. Il fait face à un
type assez impressionnant et sa femme. Karine salue l’homme.
KARINE
Bonsoir, Commissaire.
Louis regarde le type, tétanisé. Il appuie trop fort sur le bouchon qu’il fait riper à
l’intérieur de la bouteille, faisant gicler le vin sur la table. Karine réagit très vite.
Elle débarrasse la table en souriant et regarde l’étiquette.
KARINE
On a ça avec tous les 95. Je vais vous changer la nappe
pendant que Louis vous en ouvre une autre…
LOUIS
Oui… En 95 ils les ont mal fermés.
Antoine entre, un grand sourire aux lèvres, il réajuste son nœud papillon. Martine
lui montre l’horloge.
ANTOINE
Je suis désolé.
MARTINE
T’en as pas l’air. Dépêche-toi d’y aller, j’ai l’impression qu’il
est perdu sans toi.
KARINE
Il est là-bas. Tu suis les tâches…
63
Antoine s’approche de lui et le prend par le bras.
ANTOINE
Ça va mon Louis ?
ANTOINE (euphorique)
Mais non, tu t’en sors très bien.
LOUIS
Qu’est ce que t’en sais. T’étais pas là. Tu m’as lâché dès le
premier jour. C’est minable.
LOUIS (inquiet)
Ho merde, qu’est ce qu’il me veut celui-là. Putain qu’est ce
que les gens boivent !
ANTOINE
Écoute, j’ai une excellente nouvelle pour toi. Tu vas m’aimer,
tu vas m’adorer….
LOUIS
C’est quoi…?
ANTOINE
Tu verras…Ce soir je t’invite à dîner avec Karine. Choisis un
restaurant. N’importe lequel.
LOUIS
Ben… Je connais un petit Thaï, enfin si vous aimez…
ANTOINE
Parfait. Dîner… Au champagne !
Antoine s éloigne un grand sourire aux lèvres et passe devant un jeune couple.
64
ANTOINE
On vous offre une petite coupe ?
MARTINE
L’artiste il part à la fin de sa semaine d’essai. Et tu me
rappelles l’autre.
ANTOINE
Quoi ! ...Mais non.
MARTINE (définitive)
Mais si.
ANTOINE
Mais non y faut pas ! .
MARTINE
Si. Y’a plus de vin sur les nappes que dans les verres.
KARINE
Va falloir que tu lui dises.
ANTOINE
Après.
KARINE
Après quoi ? Il faut que tu le préviennes. Il est persuadé que ça
s’est bien passé.
ANTOINE (souriant)
J’ai une bonne nouvelle à lui annoncer. Ça fera passer la
mauvaise en douceur.
Louis traverse la rue, l’air heureux, une cigarette au bec. Ils se dirigent vers le
restau.
65
LOUIS
Il fait bon ce soir…
LOUIS
C’est possible d’avoir la petite table du fond, près de
l’aquarium ?
LE SERVEUR
C’est réservé déjà Monsieur. J’ai celle-là…
LOUIS
Alors cette nouvelle ?
ANTOINE
On attend le champagne.
Le serveur leur présente une bouteille. Antoine insiste pour l’ouvrir. Il commence à
la dépiauter et fait durer le plaisir.
LOUIS
Allez….
ANTOINE
Une seconde.
LOUIS
Alors ?
ANTOINE
Hein ?
66
LOUIS
ALORS ?
ANTOINE
… T’es engagé !
LOUIS
C’est pas vrai !
ANTOINE
Si. C’est gagné, dès le premier soir. La Mougins, elle t’adore !
Elle t’a trouvé très… créatif.
LOUIS
Je m’attendais pas à ça…
KARINE
Moi non plus…
ANTOINE
Tu vois ! Ça te fait plaisir ?
LOUIS
Oui… je crois.
ANTOINE
Tu l’as bien mérité, Louis.
LOUIS (fier)
C’est vrai que j’ai tenté des petites choses… Et puis j’ai
l’impression que j’étais près des gens, tu vois. Qu’il y avait un
truc qui passait. Elle a dû le sentir.
67
LOUIS
Elle est bien cette femme. Elle montre rien, mais elle a l’œil.
Dis, puisqu’elle tient autant à moi, je pourrais peut-être
renégocier mon salaire non ?
ANTOINE
On va attendre un peu.
KARINE
Oui, ça serait plus prudent.
LOUIS
Tu vois Antoine, c’est absurde, mais je recommence à y croire,
un peu… C’est ce que tu me disais. On a tous besoin de petites
victoires.
ANTOINE
Oui...
LOUIS
Ah, si Blanche pouvait me voir…
KARINE
Je reviens.
ANTOINE
Tu sais Louis… J’en suis pas sûr hein, mais j’ai l’impression
que Karine… A un petit faible pour toi…
ANTOINE
Ha bon ?
68
LOUIS
Oui, je suis embêté, d’ailleurs…
ANTOINE
Mais pourquoi, au contraire ?
LOUIS
Parce que je ne suis pas disponible. Tu sais, il faut que je
t’avoue quelque chose… Ce restaurant, c’était le nôtre. Avec
Blanche, à une époque, on y venait tout le temps…
ANTOINE
Sans blague.
LOUIS
… Et c’est le premier soir où j’ai le courage d’y revenir.
Au fond de la salle, Blanche ponctue cet aveu déchirant d’un long baiser à André.
ANTOINE
Ben y’a du progrès…
Martine a l’air des mauvais jours. Louis la regarde du coin de l’œil tout en parlant
avec Antoine qui prépare les tables.
LOUIS
Je t’assure, elle me regarde sévèrement. Moi ce matin, en
arrivant, je lui fais un grand sourire, je te dis pas la tronche
qu’elle m’a tirée.
ANTOINE
C’est rien. C’est stratégique, elle veut pas te montrer qu’elle a
besoin de toi.
69
53 INT. JOUR / RESTAURANT BRASSERIE
MARTINE
Dis donc c’est le troisième Yquem qui passe depuis tout à
l’heure.
ANTOINE
Ah oui ?
MARTINE
Ben oui. Et il m’a passé aussi deux ou trois Margaux… Tu te
rends compte, y’ en a pour 260 euros.
ANTOINE
Je sais, je sais… Il commence à se chauffer…
MARTINE
Tu lui as dis déjà que…?
ANTOINE
J’ai pas eu le temps encore, je comptais le faire à la fermeture.
MARTINE
Bon ben pour l’instant tu lui dis rien… Et pas de commentaires
hein !
Un peu plus loin Louis sert une jeune femme élégante. Son regard s’arrête sur son
propre reflet dans le miroir. Son visage s’affaisse. Il semble soudain seul et
désemparé.
LA JEUNE FEMME
Il est un peu bouchonné non ?
ANTOINE
Je te retrouve en bas. (A la cliente, regardant son plat ) On va
vous amener un petit Chambolle. Une merveille. C’est pour
nous…
ANTOINE
Je vois qu’y a le métier qui rentre…
LOUIS
… Je me sens tellement seul. Encore plus seul que quand
j’avais rien, encore plus seul que quand je travaillais pas.
LOUIS
Encore plus seul que quand j’étais seul…
ANTOINE
Tu travailles, la patronne est contente, tout se passe bien…
LOUIS
Mais pourquoi… Pour qui ?
ANTOINE
Mais pour toi !
LOUIS
Je voudrais tellement qu’elle me voit. Sans elle ça sert à rien.
C’est pire. J’y pense tout le temps. Je l’ai dans le sang. Elle
m’inonde.
71
LOUIS
Je me souviens de son corps, de sa peau tellement pâle,
tellement lumineuse…La nuit, quand on éteignait, elle restait
comme phosphorescente.
ANTOINE
Faut pas exagérer quand même.
LOUIS
Si, si. Tu sais quand elle était troublée, qu’elle avait du désir…
elle avait des petites plaques rouges qui lui venait sur la gorge.
ANTOINE
Comment ça ?
LOUIS
Des petites tâches rouges, là, quand elle était émue..
Elle trouvait ça impudique, moi je trouvais ça rassurant.
ANTOINE
Allez, il y a du monde Louis. Faut qu’on remonte.
LOUIS
Je peux pas Antoine. Je me sens pas bien… Je crois que je vais
aller un peu dans ta voiture.
ANTOINE
Hein ! Mais tu peux pas. On est en plein service !
LOUIS
Je m’en fous.
ANTOINE
Me fais pas ça.
LOUIS
Je te dis que je vais pas bien. Arrête de penser qu’à toi.
ANTOINE
Hein ? ! Quoi ? Qu’est ce que tu dis ? Je pense qu’à moi ! je
pense qu’à moi ? Putain, mais je m’occupe de toi du matin au
soir ! Je fais tout, tout… N’importe quoi pour… Pour que tu
t’en sortes…
72
LOUIS
Et alors, ça t’empêche pas de penser qu’à toi !
ANTOINE
C’est pas possible je vais le tuer !
LOUIS
Faudrait savoir ce que tu veux…
ANTOINE
Louis, s’il te plaît on peut remonter ?
LOUIS
…Tu me portes ?
Seule dans sa boutique, Blanche prépare un bouquet. Elle pâlit en voyant entrer
Antoine.
BLANCHE (surprise)
Bonjour…
ANTOINE
Bonjour.
ANTOINE
J’étais pas loin. Je voulais savoir comment ça allait ?
BLANCHE
C’est gentil… Ça va, merci.
ANTOINE
Parce que je me sens un peu responsable quand même.
BLANCHE
Il faut pas.
73
ANTOINE
Si, si. Vous me l’avez reproché vous-même... En tous cas je
me disais que ça devait être dur et je voulais vous souhaiter
bon courage...
BLANCHE
Merci.
ANTOINE
D’autant que c’est maintenant qu’il va falloir être forte.
BLANCHE
Comment ça ?
ANTOINE
Ben, c’est maintenant qu’il va vous inviter à dîner, vous offrir
des fleurs, sortir le grand jeu pour vous reconquérir… Vous
savez, on est tous les mêmes.
ANTOINE
Mais au fond c’est pour des mauvaises raisons qu’on fait tout
ça. C’est pas parce qu’on aime l’autre, mais parce qu’on est
furieux, vexé… Profondément… Ça s’appelle une blessure
narcissique si vous voulez tout savoir.
BLANCHE.
Ah…
ANTOINE
Oui…
BLANCHE
Et sinon ça va ?
ANTOINE
Oui.
ANTOINE
Ça va ?
BLANCHE
Très bien…
BLANCHE
Qu’est ce que je vais faire maintenant ?
ANTOINE
Vous allez vous en sortir.
BLANCHE
Non, je vais être seule. Je vais être seule et je vais souffrir.
ANTOINE
Mais non, non. Je vous assure, ça va aller. Il faut voir des gens.
BLANCHE
Qui ?
ANTOINE
Des gens dont vous êtes sûrs. Des gens qui vous aiment
vraiment, profondément.
BLANCHE
Mais qui ?
75
ANTOINE
Mais je ne sais pas, des personnes… Réfléchissez. Il y a
sûrement autour de vous des gens qui ont envie de vous aider
de vous aimer… Non ?
Elle regarde autour d’elle, son regard revient sur lui. Le téléphone du magasin
sonne à nouveau. Blanche le regarde. On entend juste la sonnerie du téléphone.
BLANCHE
Dites, vous voulez pas dîner avec moi ce soir ?
ANTOINE (surpris)
Moi ? Mais non pas moi…
BLANCHE
Vous êtes pris ?
ANTOINE
Euh je sais pas, il faut que je…
BLANCHE
J’ai juste un peu peur d’être seule ce soir… De lui céder. Vous
savez, je suis pas une fille facile, mais je suis très conciliante
quand même.
ANTOINE
Ce serait avec plaisir. Je finis tard par contre…
BLANCHE
Je dîne tard.
ANTOINE
Vers 11 heures alors…
76
56 INT. SOIR / APPARTEMENT ANTOINE
ANTOINE
T’es là…
CHRISTINE
Je voulais te faire une petite surprise.
Elle ouvre le four et surveille un superbe rôti puis voit les bouteilles et laisse
échapper un sourire en découvrant les étiquettes…
CHRISTINE
Tu les as volées !
ANTOINE
Je les ai payées.
CHRISTINE
…T’en ouvres une.
ANTOINE
Christine, je peux pas rester. J’ai un dîner.
CHRISTINE
Tu plaisantes ?
ANTOINE
Non… C’est un fournisseur qui monte à Paris et Martine est
pas libre.
CHRISTINE
On se voit tout le temps le dimanche soir. !
77
ANTOINE
On le mangera froid demain.
ANTOINE
Par contre, ça tombe bien que tu sois là. Je suis un peu inquiet
et j’osais pas le laisser tout seul… Il est très déprimé et il a
picolé toute la journée…
CHRISTINE
Tu te fous de moi ?
ANTOINE
Chhhuut, parle doucement… Quoi ?
CHRISTINE
Tu me demandes en mariage et puis plus rien, plus de nouvelles, on en
parle plus.
ANTOINE
J’étais débordé, avec le boulot, avec Louis… je suis désolé…
CHRISTINE
Tu débarques, tu repars deux minutes après et tu me laisses ton copain
bourré. Tu crois qu’il suffit d’un bouquet…
ANTOINE
Je savais pas qu’on se voyait.
CHRISTINE
Tu sais quoi ? Je voulais te quitter l’autre soir, quand tu m’as demandée
en mariage ! Et puis tout à coup, je me suis dit que je me trompais. Que
tu n’étais pas indifférent mais réservé, que tu m’aimais. Que tu pouvais
me surprendre encore ! Mais en fait, je me suis trompée. Tu sais quoi,
tout le monde peut compter sur toi ! Tout le monde sauf MOI !
ANTOINE
Et moi bordel, sur qui je peux compter… Sur qui ! ? Tu crois que ça
m’amuse, moi, d’aller bosser à cette heure-ci ! On avait rendez-vous ?
Non ! Alors qu’est ce que tu me reproches merde !
CHRISTINE (calme)
Je te reproche de même pas être désolé !
78
ANTOINE
Je suis pas désolé, je suis épuisé!
Il sort de la cuisine. On entend la porte claquer. Elle prend le rôti et le fout par la
fenêtre. Louis apparaît alors dans l’embrasure de la porte.
LOUIS
Ça sent rudement bon… Ça donne faim…
CHRISTINE
J’ai fait un rôti.
LOUIS
Hé ben c’est bien ça…
CHRISTINE
Oui mais je l’ai jeté par la fenêtre…
LOUIS
Ben c’est pas grave… On va aller le chercher…
BLANCHE
Vous savez au début je vous en voulais… Je pouvais pas
m’empêcher de penser que tout ça, c’était de votre faute. Je
sais c’est idiot.
ANTOINE
Non, non. Je comprends…
BLANCHE
Et maintenant, je vous suis reconnaissante. D’une certaine
façon vous m’avez sauvée.
ANTOINE
Je vous ai acheté des plantes vertes.
79
Antoine est très troublé. Il se défend de regarder sa jolie peau blanche, mais elle
voit bien qu’Antoine la dévisage. Elle pose sa main sur sa gorge… Et sort un petit
poudrier. Elle a des plaques rouges sur le cou. Gênée, elle se repoudre un peu.
BLANCHE
C’est la coriandre, je fais de l’allergie.
ANTOINE
Oui, bien sûr, ça arrive. Ma sœur ça lui fait des petits…
boutons sur le… Partout…
BLANCHE
Vous savez, j’ai pas arrêté de penser à ce que vous m’avez dit,
tout à l’heure. De regarder autour de moi, de chercher
quelqu’un qui voulait m’aider et… Et…
ANTOINE
Pourquoi vous n’essayez pas de revoir Louis ?
BLANCHE (stupéfaite)
Qui ?
ANTOINE
Hein ?
BLANCHE
Qui ?
ANTOINE
Lui, Louis… Ce Louis dont vous parliez… l’autre jour !
BLANCHE
J’ai parlé de Louis ?
80
ANTOINE
Oui… Vous vous souvenez pas. Le premier jour. Sur le banc ?
BLANCHE
Mais non.
ANTOINE
Si. Vous étiez assez bouleversée. Vous avez dit euh… Vous
aviez l’air émue et … Vous avez dit « Louis me manque… ».
Comme ça, dans un souffle… Et qui c’est ce Louis ?
BLANCHE
Je m’en souviens pas du tout. C’est incroyable.
ANTOINE
Ça veut peut-être dire quelque chose.
BLANCHE
Ah, je crois pas non. Louis, c’était une émotion ambulante,
une tempête. Si vous le connaissiez, vous comprendriez.
ANTOINE
Il a peut-être changé… Vous avez jamais essayé de le revoir ?
BLANCHE
J’ai assez de soucis comme ça… Et puis il faut que j’apprenne
à rester seule…
BLANCHE
J’ai des plaques, des petites plaques rouges ?
ANTOINE
Non. Oui… Un peu. Très peu. Vraiment très petites. Pas de
quoi s’affoler.
BLANCHE (embarrassée)
Excusez-moi…C’est la coriandre… Je reviens tout de suite.
81
ANTOINE
Bon, bon, bon…
Blanche se remaquille devant la glace. Une jeune femme vient se laver les mains à
côté d’elle, c’est Christine. Blanche s’apprête à refermer le bouton de son
décolleté.
CHRISTINE
Laissez-le ouvert…
BLANCHE
Faut garder le mystère.
Antoine s’est levé pour prendre un pot d’épices posé sur une console. Il guette au
passage le retour de Blanche. Stupéfait il voit Christine qui sort des toilettes. Elle
découvre Antoine en même temps qu’il la voit.. Il s’approche d’elle d’aussitôt.
ANTOINE
Mais qu’est ce que tu fais là ?
CHRISTINE (souriante)
Il avait faim et le rôti était passé par la fenêtre… Il a voulu
venir ici. Paraît que c’est son restau préféré… Et toi qu’est ce
que tu fais là ?
ANTOINE
Ben, c’est lui… C’est lui qui me l’a conseillé… T’es où ?
Elle lui montre une table de l’autre côté de la salle qui est en angle.
CHRISTINE
Là-bas derrière l’aquarium…Et toi, il est où ton fournisseur ?
ANTOINE
Euh… Là… Le type un peu dégarni.
82
Antoine lui montre un homme assis seul à une table.
ANTOINE
Ecoute, dis pas à Louis que je suis là. Je suis en pleine
négociation et j’aimerais pas qu’il gaffe…
CHRISTINE
Je suis désolée pour tout à l’heure.
ANTOINE
Non c’est de ma faute… Faut que j’y retourne.
LE TYPE
Oui ?!
ANTOINE
Tu te rappelles pas ?
LE TYPE
Hein ?
ANTOINE
Ben, j’ai pas changé tant que ça… Bon les cheveux, mais ça…
toi-même, t’as un peu pris…
LE TYPE
On se connaît ?
Antoine jette un coup d’œil derrière lui. Christine lui sourit en achetant une rose à
un Pakistanais. Antoine pâlit.
ANTOINE
Bien sûr, on se connaît, on était jeunes, mais je me souviens
très bien de toi… Réfléchis…
83
LE TYPE
Vlachet… Le Guyader ?
Blanche émerge à son tour et voit Antoine en conversation avec un inconnu. Il lui
fait un signe discret. Elle s’assoit dos à eux.
LE TYPE
Ecoutez, je me rappelle pas et j’attends quelqu’un. C’est quoi
votre nom ?
ANTOINE
Ah ça me tue, à chaque fois c’est pareil. Il y a que moi qui me
souviens ! Les autres se rappellent jamais de moi, c’est comme
si j’étais invisible… C’est un peu vexant.
ANTOINE
Ma mère, l’autre jour, dans le bus, en face de moi … Elle a
mis au moins dix minutes à me remarquer…
LE TYPE
Je suis désolé… Monnet ?
ANTOINE
Ah quand même…
LE TYPE
Monnet !
CHRISTINE
Bonsoir…
ANTOINE
Christine, mon amie…
LE TYPE
Bonsoir…
84
CHRISTINE
Je voulais juste embrasser mon fiancé… Je dîne là-bas et je
n’avais pas vu qu’il était là.
ANTOINE
Tu vois, qu’est ce que je te disais ? Comme si j’étais invisible.
CHRISTINE
Bon ben je vous laisse, ne le fatiguez pas trop.
Tête du type complètement éberlué. Christine embrasse Antoine, lui offre la rose et
s’éloigne.
LE TYPE
On m’avait dit que t’étais mort…
ANTOINE
Ah bon ? Ben je vais pas t’embêter plus longtemps… Salut.
ANTOINE
Je suis désolé, c’était un vieux copain de classe…
ANTOINE (embarrassé)
…Oui.
BLANCHE
Merci.
ANTOINE
Dites, je me sens pas très bien, je prendrais bien l’air. On
pourrait boire le café ailleurs…
ANTOINE
L’addition s’il vous plaît ! Vous voulez un dessert ?
85
60 EXT. NUIT / RUE RESTAURANT THAI
Antoine et Blanche marchent côte à côte, sous les arbres, profitant de la douceur de
la nuit.
ANTOINE
On pourrait passer à votre magasin ? J’aurais besoin d’un
bouquet…
BLANCHE
Ah ?
ANTOINE
Oui, vraiment.
BLANCHE
Quelque chose de particulier ?
ANTOINE
Comment ça ?
BLANCHE
Les fleurs parlent, vous savez. Les roses c’est « Je t’aime ».
Les pivoines c’est « Retrouvons-nous ce soir », les anémones,
c’est « Je suis désolé ».
ANTOINE
Il me faudrait des anémones…
BLANCHE
Bon…
ANTOINE
Et des roses aussi. 50/50.
BLANCHE
Je suis désolé : Je t’aime…. C’est très masculin. Vous voulez
pas rajouter des pavots ?
86
ANTOINE
Ça dit quoi les pavots ?
BLANCHE
Ça dit ce qu’on veut… ça dit « On sait jamais », ça dit « La vie
est pleine de surprise », ça dit « On est jamais à l’abri d’une
rencontre »…
ANTOINE
… Non ça suffira... On va faire simple.
ANTOINE
Merci pour le bouquet.
Elle aperçoit soudain André qui les guette à travers la porte vitrée.
BLANCHE
Embrassez-moi.
ANTOINE
Pardon ?
BLANCHE
Embrassez-moi, vite.
ANTOINE
Je préfèrerais pas.
BLANCHE
André est là, derrière, il nous regarde. Embrassez-moi, vite.
BLANCHE
Merci…
87
ANTOINE
De rien… Bon ben... Bonsoir.
BLANCHE
Bonsoir.
Antoine entre chez lui avec son bouquet. Louis debout sur une chaise essaie de
récupérer quelque chose dans un placard.
ANTOINE
Qu’est ce que tu fabriques là-haut ?
LOUIS
Je cherche un sac de voyage.
ANTOINE
Tu t’en vas ?
LOUIS
Non… Tu peux me tenir la chaise ?
ANTOINE
Qu’est ce que tu fais ?
CHRISTINE
Je ramène les quelques affaires que j’ai pu laisser chez toi en
deux ans. T’inquiètes pas, ça va prendre très peu de temps.
88
ANTOINE
Mais c’est quoi cette histoire ?
LOUIS
Elle t’a vu avec une autre femme, au restau…
ANTOINE
Ah, mais non, mais c’est rien ça, c’est une amie.
LOUIS
Elle m’a dit qu’elle voulait vraiment partir, qu’elle était
épuisée, que tu l’aimais plus, que …
ANTOINE
Mais toi tu lui as dit quoi?
LOUIS
Que je la comprenais.
ANTOINE
Quoi ?!
LOUIS
Mets-toi à sa place quand même ! En plus il paraît que tu lui
avait donné sa rose…
ANTOINE
Mais t’es vraiment un salaud !
LOUIS
Mais enfin c’est pas de ma faute.
ANTOINE
Dès que je tourne le dos tu me trahis .C’est pas possible mais
t’es une vraie saloperie ! ! Avec tout ce que je fais pour toi.
LOUIS
Arrête de dire ça !
89
La porte claque, Louis reste allongé par terre, les yeux grands ouverts. Son arcade
commence à saigner.
ANTOINE
Qu’est ce qui te prend ? Christine !
ANTOINE
Je vais t’expliquer. Christine Regarde-moi quand je te parle !
CHRISTINE
J’ai pas envie de te regarder. Je te trouve moche.
ANTOINE
Bon écoute-moi alors. (Il se met à chuchoter) La fille du
restaurant, c’est Blanche.
CHRISTINE
C’est pas en me donnant son nom que tu vas me calmer !
ANTOINE
Blanche, la Blanche de Louis. J’essaie de les réconcilier ! Je te
jure que c’est vrai.
CHRISTINE
…Pourquoi tu me l’as pas dit avant d’y aller ?
ANTOINE
Mais je sais pas. Parce que c’était plus simple…Ca paraît idiot,
mais j’ai eu peur, j’ai cru que tu le prendrais mal… Je te jure
que c’est vrai…
90
ANTOINE
Louis, excuse-moi. Louis, comprends-moi, c’est une situation
de merde !
CHRISTINE
T’inquiètes pas, ça s’arrange !
ANTOINE
C’est pas vrai…
ANTOINE
Mais enfin qu’est ce que tu fais ? Je t’ai dit la vérité, merde !
(à voix basse) C’est Blanche !
CHRISTINE
Je te crois.
ANTOINE
Ben alors ?
CHRISTINE
Alors tu m’aimes pas. Si tu m’aimais, tu me dirais les choses.
Tu me mentirais pas, parce que c’est plus simple.
ANTOINE
J’avais peur que tu m’en veuilles.
CHRISTINE
C’est ce que je dis. T’as peur ! Peur de me dire la vérité ! Peur
de mes réactions. T’as peur de moi. La preuve, t’as jamais
voulu qu’on vive ensemble. On a pas peur des gens qu’on
aime.
Antoine aperçoit, dans le dos de Christine, à travers les pavés de verre de la cage
d’ascenseur, la silhouette de Louis, affalé dans la cabine.
Inquiet il prend aussitôt Christine par les bras.
91
ANTOINE
Reste. Reste vraiment. Emménage chez moi !
CHRISTINE
Hein ?
ANTOINE
Je te laisse réfléchir, je reviens…
ANTOINE (à lui-même)
Mais quel con, quel con !
ANTOINE
Je suis désolé Louis. J’étais en colère. Pardonne-moi. J’ai dit
des choses que je ne pensais pas, pas du tout… Vraiment.
C’est pas une raison pour…
LOUIS
J’allais juste prendre l’air. J’en ai besoin, si tu permets.
ANTOINE
T’allais prendre l’air ?
LOUIS
Quoi ? Tu croyais que j’allais me pendre à cause de toi ?
ANTOINE
Non… Je… Tu saignes là, faudrait peut-être…
LOUIS
Fous-moi la paix Antoine, j’ai envie d’être seul !
Il s’éloigne. Resté seul Antoine regarde son appartement d’en bas et soupire.
92
66 INT. NUIT / CHAMBRE ANTOINE
CHRISTINE
C’est pas bien tout ça. Qu’est ce que tu cherches à faire ?
ANTOINE
Je sais pas. J’essaie de les aider à se retrouver…
CHRISTINE
Et à elle tu lui a demandé son avis ! Laisse les gens vivre leur
vie. Tu vas faire du mal à tout le monde. Et à nous aussi…
ANTOINE
T’as peut être raison.
CHRISTINE
Bien sûr que j’ai raison…Et… Je voudrais que tu dises la
vérité à Blanche… S’il te plaît … Pour moi.
ANTOINE
D’accord.
CHRISTINE
Tu me le promets ?
ANTOINE
Oui.
ANTOINE
Il est mal placé ce lustre…Tu trouves pas ?
BLANCHE
J’osais pas vous appeler…
93
ANTOINE
Je voulais vous parler.
BLANCHE
Non, ne dites rien. Je voudrais m’excuser.
ANTOINE
Ne vous excusez pas. Vous avez eu raison. C’était la meilleure
façon de lui montrer que c’était fini.
BLANCHE
Oui. Et si je vous ai embrassé si longtemps c’est parce qu’il
restait là, derrière nous.
ANTOINE
Bien sûr. J’ai senti qu’il était tout près…. C’est pour ça que je
vous ai serrée comme ça.
BLANCHE
Vous avez bien fait. Fallait que ça fasse vrai… C’est pour ça
que je vous caressais la nuque…
ANTOINE
Et moi le cou…
BLANCHE
…Et moi le dos…
ANTOINE
Et moi les hanches…
BLANCHE
…Et moi les épaules… Et le visage… Et c’est pour ça que moi
aussi je vous ai serré si fort…
ANTOINE
Bon ben au moins, comme ça, c’est plus clair… Alors au
revoir.
BLANCHE
Au revoir.
94
68 INT. JOUR / CAVE
ANTOINE
Je suis désolé pour hier soir… Ça va mieux ton arcade ?
LOUIS
Ben non. Et toi ça va ?
ANTOINE
Louis, est-ce que je t’aide ? Franchement ? Parce que parfois,
j’ai l’impression que je te fais plus de mal que de bien.
LOUIS
Tu m’aides. Tu n’es pas elle mais tu m’aides. Et t’es bien le
seul.
LOUIS
Qu’est ce que c’est ?
ANTOINE
C’est un cadeau pour toi.
LOUIS
Ha bon…?
ANTOINE
Ben oui, je suis passé devant la vitrine je me suis dit tiens, elle
irait bien à Louis…
LOUIS
Merci…
ANTOINE
Elle te plaît, sinon elle y est en bleue.
LOUIS
Non elle est bien. Vraiment. Faut que je remonte. Merci.
95
Louis remonte. Antoine, déprimé, s’enfile une lampée de cognac.
Antoine émerge dans la salle. Il se fige. Christine est là, attablée, une carte à la
main, en pleine conversation avec Louis.
CHRISTINE
Et le Château Lapierre il est comment ?
LOUIS
Il est assez ventru, il tient bien en bouche, il est assez coloré…
CHRISTINE
Je suis impressionnée.
LOUIS
J’ai des anti-sèches.
CHRISTINE
Ça va ?
ANTOINE
Hmmm. Et toi ?
CHRISTINE
Ça va… Il paraît que t’offres des chemises à Louis.
ANTOINE
Et alors ?
CHRISTINE
Tu as parlé à Blanche ? Tu lui as dit pour Louis ?
ANTOINE
J’ai pas pu. C’est pour me demander ça que tu es venue ?
96
CHRISTINE
Non… J’avais mon après-midi, ça me faisait plaisir de
déjeuner à côté de toi.
ANTOINE
J’aime pas que tu viennes à mon travail. C’est gênant. Quand
je travaille, je suis pas pareil.
CHRISTINE
Je vois ça.
ANTOINE
Quoi ! T’aimerais que je vienne m’asseoir dans ta boutique
pendant que tu fais les ourlets de tes clients.
Le client le hèle.
ANTOINE
Ça va, j’arrive !
CHRISTINE (calmement)
Tu ne m’aimes plus, Antoine. Je me demande d’ailleurs si tu
ne m’as jamais aimée ou si t’étais pas juste poli avec moi !
LOUIS
Alors « Château Lapierre 1997 ». Une excellente année, sous
estimée, pas par moi. Ça va être parfait avec votre cassoulet…
Ça va le soulever un peu…
ANTOINE
Le soulever…
CHRISTINE
Et en plus tu vas trahir ton ami.
97
ANTOINE
Qu’est ce que tu racontes ?
Elle le regarde.
CHRISTINE
…C’est déjà fait.
LOUIS
Quoi ? ….Il est bouchonné ?
CHRISTINE
Laisse Antoine. Tu sais, je suis déjà plus heureuse. Je vais
rentrer, je vais prendre un bon bain, je vais me servir une
coupe de champagne, et ça sera fini. Je t’en veux pas de plus
m’aimer, c’est pas de ta faute. Je t’en veux juste de pas oser
me le dire. On aurait pu vivre encore 10 ans comme ça, moi ta
femme et toi mon voisin.
ANTOINE
Je suis désolé.
CHRISTINE
Oui. T’es toujours désolé Antoine. Pas moi. Regarde, il fait
beau, je me sens plus légère… et quand j’aurai disparu, là-bas,
au coin de la rue des Haies, toi aussi t’auras un poids en moins.
La porte s’ouvre et Louis entre. Il trouve Antoine assis par terre. Louis voit le
placard ouvert.
98
LOUIS
Elle est partie ?
ANTOINE
Oui.
LOUIS
Le fauteuil, il était à elle ?
ANTOINE
Oui… Le divan aussi.
LOUIS
Ça va ?
ANTOINE
Il faut bien.
LOUIS
Je vais partir, Antoine.
ANTOINE
Décidément…
LOUIS
Tu as fait beaucoup pour moi, plus que personne n’a jamais
fait, mais je vois bien que ça commence à t’atteindre. Je sais
pas, peut-être que je suis contagieux finalement.
Louis va dans sa chambre. Antoine reste immobile dans le salon, la tête dans les
mains. Louis revient, sa valise à la main. Il tend à Antoine un beau briquet.
LOUIS
C’est pour toi. J’y tiens beaucoup. Tu vois, j’ai fait graver ton
nom dessus.
LOUIS
Allez, à demain au boulot.
99
Il sort. Assis par terre Antoine est comme sonné. Il regarde le bouquet posé sur la
table, décroche le téléphone et commence à numéroter. On entend la voix de
Blanche dans le combiné.
BLANCHE (off)
Allô ?… Allô ?
Antoine court dans la rue. A travers les grilles du parc il aperçoit la silhouette de
Louis.
LOUIS
T’inquiètes pas, je vais prendre le bus, je prenais juste le
raccourci…
ANTOINE
Je sais. C’est pas ça… C’est… Je sais pas comment te dire
ça…C’est la première fois que je te vois te soucier de
quelqu’un d’autre que toi…
LOUIS
C’est gentil d’avoir couru jusqu’ici pour me dire ça.
ANTOINE
Le prends pas mal. Je veux dire que, tu vas mieux… En tous
cas un peu mieux… Non?
LOUIS
Je sais pas… De toutes les façons, Antoine, je vais pas habiter
chez toi toute ma vie…
ANTOINE
Ecoute, je crois que je peux te le dire maintenant… Louis…
100
LOUIS (un peu inquiet)
Quoi ?
ANTOINE
Louis ?
LOUIS
Oui.
ANTOINE
J’ai retrouvé Blanche…
LOUIS
… Elle est… Mariée ?
ANTOINE
Non… Euh je sais pas… Elle a toujours son nom de jeune fille
en tous cas.
Louis est bouleversé. Il retient difficilement des larmes et le prend dans ses bras.
LOUIS
Mais t’es un ange, c’est pas possible… Tu es un ange. Antoine
je sais pas quoi dire…
ANTOINE (gêné)
Je te l’ai pas dit plus tôt parce que, j’étais pas sûr, j’avais
l’impression que ça aurait pu te faire plus de mal que de
bien…
LOUIS
Oui, c’est bien, t’as bien fait. Oh putain, j’arrive plus à
respirer.
ANTOINE
Assieds-toi.
LOUIS
Tu l’as vue ?
101
ANTOINE
Hein…
LOUIS
Tu as vu Blanche ?
ANTOINE
De loin…
LOUIS
Alors tu me comprends maintenant. Tu comprends pourquoi je
peux pas l’oublier ?
ANTOINE
Tu sais j’ai vaguement aperçu une silhouette.
LOUIS
Antoine ! Viens… On y va !
ANTOINE
Quoi ?
LOUIS
Emmène-moi là-bas.
ANTOINE
Mais non…
LOUIS
S’il te plaît Antoine.
ANTOINE
Il faut attendre Louis. Faut qu’on réfléchisse. Il faut que tu
prépares ton retour. Tu vas pas y aller comme ça, débouler
chez elle n’importe quand…
LOUIS
Pourquoi ?
ANTOINE
Mais faut y aller doucement… Il faut un plan…Faut une
stratégie… Il faut lui montrer que tu as changé, que t’es un
autre homme… Plus mûr, plus…
102
LOUIS
Emmène-moi ! Je t’en supplie, je veux juste voir où elle
habite. Je voudrais voir sa fenêtre, son ombre à la fenêtre. Je
voudrais voir son nom sur sa boîte aux lettres. S’il te plaît…
Louis caresse du bout des doigts le nom de Blanche sur la boîte. Antoine le regarde
pensif. Louis se retourne brusquement.
LOUIS
Je monte, 4e gauche. Je monte.
ANTOINE
Arrête Louis.
LOUIS
Laisse-moi. Je veux juste la prendre dans mes bras, après on se
casse, promis ! 4e gauche !
ANTOINE
Mais t’es con ou quoi. Tu vas débouler comme ça, en pleine
nuit, la prendre dans tes bras et repartir. T’as oublié qu’elle
t’as quitté ou quoi ?
LOUIS
J’ai changé bordel !
ANTOINE
On dirait pas.
LOUIS
C’est toi qui me l’as dit. J’y vais !
ANTOINE
Et tu vas lui dire quoi ? « Salut, j’ai changé, ça va beaucoup
mieux, je suis sommelier. Je peux rester dormir ? »
LOUIS
Mais oui c’est très bien ça… C’était quoi au début ?
103
ANTOINE
Tu vas lui foutre la trouille oui ! Dès le premier soir !
LOUIS
Je la prendrai juste dans mes bras, sans rien dire… Les corps
parlent… Tu peux pas comprendre toi.
ANTOINE
Y’a ma main qui va parler, tu vas comprendre.
ANTOINE
Tu vas tout foutre en l’air merde. Tout gâcher ! Après tout ce
que j’ai fait, tu peux pas me faire ça… Réfléchis un peu
merde ! Il faut revenir lentement, se faire désirer, rester
mystérieux, lointain. Il faut se rendre exotique…
LOUIS
T’as raison… Excuse-moi. T’as raison. (il respire
profondément) bien sûr. Exotique, exotique… Faut pas que je
gâche tout cette fois…
Antoine et Louis entrent dans la voiture, garée devant l’immeuble, de l’autre côté
de la rue.
Alors qu’ils s’apprêtent à démarrer, ils voient un taxi approcher et se garer devant
l’entrée de l’immeuble. Blanche en sort. Louis se tend comme un ressort.
LOUIS
Ho putain ! Regarde, Antoine… C’est elle. C’est elle. Ah c’est
pas possible….Regarde. Tu la vois là ? LÀ !
Antoine regarde.
ANTOINE
Oui, je la vois.
104
LOUIS.
C’est une torture, c’est pas vrai… J’y vais ! Je lui dirai que je
passais par là… Que je me suis trompé de bus… Que…
ANTOINE
C’est pas possible, faut que je t’attache ou quoi !
LOUIS
Excuse-moi, excuse-moi…
Alors qu’il parvient à le rasseoir, un homme sort d’une autre voiture garée un peu
plus loin et la rejoint. C’est André.
Tête de Louis et Antoine qui se figent aussi sec.
LOUIS
Mais qui c’est celui-là ?
ANTOINE
Je sais pas.
LOUIS
Mon Dieu, je vous en supplie, empêchez ce fils de pute de
monter chez ma femme. Pitié, pitié…
ANTOINE
T’inquiètes pas. Il montera pas.
LOUIS
Qu’est ce que t’en sais ?
ANTOINE
Elle l’aime pas. Ça se voit !
LOUIS
D’ici ?
105
ANTOINE
C’est la position du corps face à lui, ça trompe pas.
LOUIS
Hein…
ANTOINE
Quand une femme veut coucher avec un homme, elle lui fait
face. Là, tu vois, elle est de profil. Elle lui refuse son corps. Tu
vois…
LOUIS
Tu me jures.
ANTOINE
Je te jure.
LOUIS
Pitié, seigneur, vire cet enculé d’ici… Blanche ! Profil, profil !
LOUIS
OUI ! OUI ! Merci, merci… Merci.
ANTOINE (soulagé)
Tu vois je t’avais dit…
LOUIS
Putain tu me portes bonheur Antoine ! A partir de maintenant
je t’écoute tout le temps. Antoine je te fais confiance : avec toi
on la regagnera. Avec toi on la…
ANTOINE
Qu’est ce que c’est que ce bordel ? Elle sait pas ce qu’elle
veut, merde !
LOUIS
Il l’a forcée le salaud. T’as vu !
La voiture s’éloigne.
LOUIS
Putain ! Un sapin par pitié… Un sapin…
ANTOINE
Arrête merde !
LOUIS
C’est de ta faute. T’aurais jamais dû m’y emmener.
ANTOINE
C’est toi qui me l’a demandé.
LOUIS
Tu m’avais dit qu’elle était seule.
ANTOINE
Je t’ai dit qu’elle était pas mariée. Y’a plein de gens qui
s’envoient en l’air sans être mariés, merde !
LOUIS
Dis pas ça. Ah putain, ça y est j’ai l’image merde ! MERDE !
LOUIS
Merde, pourquoi tu m’as dit ça, je vois plus que ça,
maintenant…
ANTOINE
Excuse-moi.
LOUIS
T’aurais du me laisser y aller avant qu’elle l’embrasse.
ANTOINE
C’est pas comme ça qu’il faut faire Louis. Tu peux pas forcer
les choses.
LOUIS
Ah oui, en attendant l’autre là, il a insisté un peu et hop, profil
ou pas, ce soir il est dans son lit.
LOUIS
Non ?…Non ?
ANTOINE
Si.
Antoine est allongé dans son lit, les yeux grands ouverts. Il se tourne dans tous les
sens pour essayer de dormir, rien à faire.
Louis est allongé dans son lit, les yeux grands ouverts. Il se tourne dans tous les
sens pour essayer de dormir, rien à faire.
108
80 EXT. NUIT / IMMEUBLE BLANCHE
ANDRE
Je suis sûr que c’est le type qui était au magasin.
BLANCHE
Quel type ?
ANDRE
Le type qui était là quand on s’est séparés.
ANDRE
C’est pas vrai ! Mais il a rien, il a pas de charme, pas de chien.
Pas d’allure. Pas de regard…
ANDRE
Pas de sex appeal…
BLANCHE
Qu’est ce que t’en as faire de son sex appeal, je te demande
pas de coucher avec lui.
Il se fige et la regarde.
ANDRE
T’as couché avec lui.
109
BLANCHE
…Oui.
ANDRE
C’est pas vrai.
BLANCHE
Si, et c’était très bien. Très bien et beaucoup. Tu vois, ce dont
rêvent toutes les filles. Un mélange de tendresse et de
violence, de féminité et de virilité, de douceur et de sexe cru…
ANDRE
Arrête, ça va ! Pourquoi tu m’as embrassé alors ?
BLANCHE
Parce que ça m’allait de le faire… Et parce que j’avais peur
d’être seule. Je crois qu’il vit avec une autre femme et qu’il
l’aime. Faut que tu t’en ailles maintenant.
ANDRE
Blanche… J’ai envie… De tendresse.
BLANCHE
Va voir ta serveuse…
Coup de feu au restaurant. La salle est bondée et tout le monde s’agite dans tous les
sens. Louis sert deux personnes assez âgées. Il semble radieux.
LOUIS
…Veau aux groseilles. Et vous fêtez quoi, les noces d’argent,
d’or ?
LA DAME
Noces d’or.
LOUIS
Veau aux groseilles. Noces d’or… Moi je dis un Château
Margaux 86. Voilà…
LOUIS
Y’a un moment où les économies il faut les dépenser… Non ?
Après hein… ? Bon ben, j’y vais…
En chemin vers la cave, Louis croise Antoine qui va porter une addition en caisse.
LOUIS
Tu sais j’y suis retourné hier soir…Mais t’inquiète pas je suis
pas rentré, j’ai rien fait…Je l’ai juste regardée…
ANTOINE
Ah ?
LOUIS
Oui…Eh ben tu sais je voulais te dire, le type, il était parti.
Elle était toute seule…T’avais raison…
ANTOINE
Oui, peut-être oui…
LOUIS
Je sais pas, hein ! Je réfléchis.
Louis virevolte entre les tables. Martine le regarde faire en lisant l’addition que lui
apporte Antoine.
MARTINE
Hé ben. Il est spécial, mais il est précieux. Regarde-moi ça…
Encore un Margaux… Il les force ou quoi ?
ANTOINE
Il s’est bien adapté.
MARTINE
Parfois, j’ai l’impression qu’il pourrait même leur vendre une
bagnole.
MARTINE
Ça va Antoine ?
ANTOINE
Oui. Pourquoi ?
LOUIS
Une coupe un peu plus moderne, non ?
ANTOINE
Si.
UN CLIENT
On peut avoir un peu de pain s’il vous plaît.
112
ANTOINE
Tout de suite.
Antoine descend une demi-bouteille de cognac au goulot. Louis qui l’a suivi le voit
boire un coup.
LOUIS
Ben alors ?
ANTOINE
J’ai un petit coup de mou.
LOUIS
Ça va pas aujourd’hui ?
ANTOINE
Non, pas du tout… J’ai honte.
LOUIS
Ecoute, il faut pas que tu t’en veuilles comme ça. Vous ne
vous aimiez plus.
ANTOINE
Hein ?
LOUIS
Tu l’aimais plus Christine.
ANTOINE
Non, c’est pas ça.
LOUIS
Bien sûr que c’est ça.
ANTOINE
Louis…
LOUIS
Tu veux que j’aille voir comment elle va, lui parler ?
113
ANTOINE
T’es vraiment quelqu’un de bien.
LOUIS
C’est toi qui es quelqu’un de bien.
ANTOINE
Ho non… Non.
Il replonge sur la bouteille et se renvoie une rasade. Louis le tire par le bras.
LOUIS
Il faut qu’on remonte Antoine.
ANTOINE
J’arrive…
Antoine vient de passer une commande qu’il punaise mollement sur un panneau.
Le cuisinier l’interpelle.
LE CUISINIER
Antoine, tu me pêches un homard.
ANTOINE
Viens par ici Popeye…
Il repart vers la cuisine, le bras ballant, l’œil morne, son homard à la main. Le
même client l’interpelle.
UN CLIENT
Monsieur, on attend le pain.
ANTOINE
Oh pardon.
114
Il repart en pilote automatique vers la panière. Louis s’approche.
LOUIS
T’es tout pâle. T’as pas l’air bien, je t’assure. T’as trop bu.
ANTOINE
Mais non… C’est rien, j’ai mal au crâne. Juste là tu vois.
Sans s’en rendre compte, il indique l’arrière de son crâne de la main qui tient le
homard.
ANTOINE
Ça va passer.
ANTOINE
On t’appelle… La 12… Là-bas.
Il tend le homard en direction de la table. Les clients d’à côté ne sont pas très
rassurés.
ANTOINE
Tu t’en sors bien aujourd’hui… C’est bien.
LOUIS
Merci…
ANTOINE
C’est bien.
LOUIS
Tu veux pas te faire remplacer.
ANTOINE
Mais non… T’inquiètes pas vieux…
ANTOINE
Bon je vais au pain.
115
Antoine pose le homard sur le plan de travail et commence à couper le pain. Le
homard s’éloigne.
Antoine a fini de remplir la corbeille et va la déposer à une table lorsque Karine
lâche soudain un hurlement strident. Antoine se tourne mollement vers le plan de
travail.
ANTOINE
Ah merde… (à Karine ) Il t’a mordue ?
KARINE
Il m’a pincée !
Louis s’approche et regarde Karine, elle lui renvoie un regard navré. Antoine à
quatre pattes sous la banquette cherche toujours son homard.
LOUIS
Je vais le prendre Antoine… Tu devrais…
Antoine tire un coup sec… Et tend une patte à Louis sous l’œil éberlué d’une
cliente.
ANTOINE (pâteux)
Tiens… Attends… Attends.
MARTINE
Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’il a ?
LOUIS
C’est Christine… Elle l’a quitté…
Antoine se relève, ce qu’il reste du homard à la main et constate les dégâts sous
l’œil ahuri de Martine et des clients.
ANTOINE
Ah merde, Popeye. Putain t’as cassé Popeye…
MARTINE
Louis, une bouteille de champagne pour ces messieurs dames.
116
Martine le prend par l’épaule pour le raccompagner tandis qu’il regarde tristement
son homard.
ANTOINE
Est-ce qu’il y a un vétérinaire dans la salle ?
Antoine se réveille avec une terrible gueule de bois. Il regarde l’heure et sort
précipitamment de son lit.
ANTOINE
On est à la bourre. Je pensais que t’étais déjà parti.
LOUIS
On est lundi. Relâche.
ANTOINE
Oh… Merci, merci… Bonne nouvelle.
ANTOINE
J’ai tellement bu que je me suis pas rendu compte que je
buvais…
LOUIS
Faut que tu te reposes aujourd’hui… Que tu décompresses un
peu…Que tu réfléchisses.. Et peut-être que t’ailles parler avec
Christine.
ANTOINE
Tu veux pas qu’on fasse un truc ensemble ?
LOUIS
J’ai rendez-vous chez le coiffeur.
Antoine hésite une seconde en fixant la plante verte achetée chez Blanche.
117
ANTOINE
Je t’accompagne. S’il te plaît. Il faut pas que je reste seul.
LOUIS
Je sais pas trop, je voudrais quelque chose qui me change…
LA COIFFEUSE
Qui vous change beaucoup ?
LOUIS
Oui. Je vais retrouver quelqu’un que j’ai pas vu depuis
longtemps, je voudrais que ça frappe…
LA COIFFEUSE
C’est quelqu’un de jeune, de moderne ? Elle est coiffée
comment par exemple ?
LOUIS
Je sais pas. Elle a souvent un foulard dans les cheveux…Ou
des chignons…
LOUIS
…Avec des petites mèches qui retombent et lui effleurent la
joue… Ou qui viennent des fois se coller sur ses lèvres…
LA COIFFEUSE
Et elle est coquette ?
LOUIS
C’est toujours joli ce qu’elle porte, mais ça se voit pas tout de
suite… Et toujours nouveau. Et féminin… On voit souvent la
peau en transparence, ou en décolleté…
118
ANTOINE
Je vais y aller finalement… Je suis désolé.
LOUIS
Mais non, t’as raison, c’est bien va la retrouver.
LA COIFFEUSE
On va faire quelque chose d’un peu moderne…
LOUIS
Très bien…
ANTOINE
Bon ben j’y vais, à tout à l’heure.
Louis le gratifie d’un sourire et d’un clin d’œil encourageant. Antoine sort
rapidement..
Antoine a garé sa voiture. Il marche de plus en plus vite, vers la boutique puis se
met à courir.
Antoine pousse la porte de la boutique. Blanche est là qui le regarde comme si elle
l’attendait. Antoine s’avance, fébrile. Elle lui sourit. Une petite tache rouge
apparaît sur sa gorge.
ANTOINE
Je voulais vous dire qu’il ne faut plus qu’on se voit..
BLANCHE (souriante)
Oui…Bien sûr…
Antoine la regarde, elle pose sa main sur son cou. Ils s’embrassent.
BLANCHE
Bon… Alors si on ne doit plus se voir, je dois vous rendre
ça… Vous l’avez oublié sur mon balcon…
119
Elle lui tend le briquet offert par Louis. En le prenant, il lui effleure la main... Ils
s’embrassent à nouveau, le briquet tombe par terre.
Louis examine sa nouvelle coupe de cheveux et son nouveau costume dans la glace
du salon puis regarde sa montre..
LOUIS
Ben qu’est ce qu’il fout ?
Juste en bas de l’immeuble, assis sur un banc, Antoine fixe le petit rectangle
lumineux de sa fenêtre. Il n’ose pas monter. La lumière s’éteint enfin.
Antoine dort profondément. Une main se pose soudain sur son épaule et le secoue
délicatement.
LOUIS
Antoine… Antoine… ?
ANTOINE
HEIN ! Je suis désolé, je suis désolé…
LOUIS
Excuse-moi, excuse-moi, je voulais te demander un truc.
ANTOINE (ensuqué)
Hein… Louis ?
120
LOUIS (anxieux)
Je voulais te demander, excuse-moi hein, je voulais te
demander… Comment tu me trouves, physiquement ?
ANTOINE
Euh… Bien, bien ça va.
LOUIS
Je suis un peu inquiet. J’ai peur de plus lui plaire. Tu vois. J’ai
peur qu’elle n’ait pas envie de me toucher, qu’elle me trouve
laid, plus attirant… La vérité, c’est que l’autre soir, c’est à
cause de ça que j’ai pas osé entrer chez elle. J’avais peur de
son regard…
LOUIS
Tu vois j’ai des cernes…et j’ai pris un peu quand même. Et
j’ai les yeux rouges non ? Pourtant j’ai pas bu une goutte
depuis quatre jours….
ANTOINE
Ha bon ?
LOUIS
Ben oui. Mais comme c’est toi qui es bourré maintenant, tu
remarques rien.
ANTOINE
C’est bien.
LOUIS
Tu me trouves beau toi ?
ANTOINE
Ben…T’as du charme. C’est le charme qui compte.
LOUIS
T’es poli toi…Il faut peut-être que j’attende un peu avant de la
revoir. Qu’est ce que t’en penses ? Hein ?
ANTOINE
Peut-être… Oui…
121
LOUIS
Combien tu crois…
ANTOINE (timidement)
Je sais pas. Une semaine… Quinze jours… Un mois
maximum.
LOUIS
Ah quand même…
ANTOINE
Tu touches quand ta paie ?
LOUIS
Demain.
ANTOINE
Déjà.
LOUIS
Oui.
ANTOINE
Bon. Alors demain matin tu mettras ton costume, tu iras à sa
boutique après le service de midi et tu l’inviteras dans un bon
restaurant.
LOUIS
Demain ?
ANTOINE
Oui. Après le service de midi… A 16 heures.
LOUIS
Tu crois que j’ai le temps de perdre un peu d’ici demain ?
ANTOINE
Fais-lui juste comprendre à quel point tu l’aimes. Dis lui
122
qu’elle t’a sauvé la vie. Montre-lui comme ton amour pour elle
a fait de toi un autre homme. Un homme heureux.
Louis le regarde. Ces paroles le touchent sans qu’il comprenne vraiment pourquoi.
LOUIS
Et avec Christine, ça s’est bien passé.
ANTOINE
Elle avait raison, c’est fini.
LOUIS
C’est marrant, moi j’accepte jamais que ce soit fini.
ANTOINE
C’est pour ça que des fois, on a un peu envie de te tuer…
Louis, dans son costume, marche dans la rue, un bouquet à la main. Il s’arrête un
moment pour reprendre sa respiration et reprend sa route.
123
Derrière elle, Louis la regarde pleurer, impuissant. Il est à son tour gagné par les
larmes.
Blanche finit par distinguer d’autres reniflements qui se mêlent aux siens. Elle se
lève, se retourne et le découvre en larmes, au milieu des plantes.
BLANCHE
Louis ?
BLANCHE
Oh des fleurs… C’est gentil…
LOUIS
C’est à cause de moi que tu pleures ?
BLANCHE
Non…
LOUIS
C’est pas grave.
Elle sourit.
BLANCHE
Mon Louis, je suis désolée… Je vais tellement mal, je suis
tellement triste.
BLANCHE
J’espère que l’angoisse est pas contagieuse….
LOUIS (doucement)
T’ inquiètes pas, je l’ai déjà attrapée.
124
101 INT. JOUR / RESTAURANT
ANTOINE
On se reprend maintenant. On se concentre. Sans toi ça tourne
mal…
ANTOINE
…Table 7 et 8 c’est ta responsabilité.
Antoine est sur tous les coups. On retrouve le personnage du début de l’histoire,
concentré, poli et aux aguets. Il conseille deux cadres indécis.
ANTOINE
Le bar au sel. Ils arrivent du Croisic, ils sont parfaits. Cuisson
idéale. Pas de chair sèche… Moelleux, tendre, …
LE CLIENT
Parfait.
LOUIS
Avec ça j’ai un Chablis, légèrement boisé, mais avec un bon
caractère, sec et nerveux, il va bien vous souligner le poisson.
LOUIS
En plus, il assomme pas. Après ça vous repartez au travail en
dansant… On se le tente ? Allez…
LOUIS
T’as pas deux minutes, faut que je te raconte quand même !
ANTOINE
Y’a du monde là.
125
LOUIS
Je te cours après depuis hier soir…
ANTOINE
Plus tard…
LOUIS
Non, mais parce que ça se présente vachement bien, je
t’assure. Je pouvais pas mieux tomber, elle vient de se séparer.
Le mec la quitte -au téléphone tu vois l’ordure un peu- enfin
bon, elle raccroche : j’ouvre la porte !
ANTOINE
Elle était pas triste ?
LOUIS
Elle était effondrée. Mais effondrée dans mes bras…Ça faisait
tellement longtemps que j’avais pas entendu mon cœur battre,
comme ça.
ANTOINE
Je comprends.
LOUIS
Et puis j’ai fait le test, en douce… Mine de rien…
ANTOINE
Quoi ?
LOUIS
Ben le test, je me suis mis de face elle s’est pas mise de
profil… Tu vois !
ANTOINE`
C’est bien c’est bien…
LOUIS
Je suis content que tu aies pu venir. Je voulais vraiment que tu
le rencontres.
126
Antoine sort des cuisines, la voit et fait demi-tour aussi sec. On entend à travers la
porte un bruit de vaisselle cassée.
LE CUISINIER
T’es encore bourré ou quoi ?
Antoine se relève.
ANTOINE
Fais pas chier toi ou je te pète la gueule.
Stupeur en cuisine.
Louis pousse la porte battante. Antoine est dissimulé derrière.
LOUIS
Il est pas là Antoine ?
Antoine fixe le cuistot et pose son doigt sur sa bouche pour lui faire signe de se
taire. Le cuisinier se retourne comme pour repartir aux fourneaux.
LE CUISINIER
Il est derrière la porte.
LOUIS
Antoine ? Viens, viens avec moi, je vais te présenter
quelqu’un.
ANTOINE
Faut que je…
127
103 INT. JOUR / BRASSERIE RESTAURANT
Antoine et Louis débouchent dans la salle. Blanche est assise là, l’air triste.
Elle lève les yeux et le voit. Ils se regardent, bouleversés. Louis traîne Antoine
jusqu’à elle.
LOUIS
Blanche je te présente l’homme qui m’a sauvé la vie. Antoine
je te présente la femme dont je t’ai parlé du matin au soir
depuis qu’on s’est rencontré.
ANTOINE
Bonjour.
BLANCHE
Bonjour.
LOUIS
C’est Antoine qui m’a logé, qui m’a soigné, qui m’a trouvé du
travail.
BLANCHE
Je parie que c’est même lui qui t’a retrouvé mon adresse.
LOUIS
Mais oui, parfaitement. Tu crois pas si bien dire. Bon
champagne ! Je reviens… Allez-y faites un peu
connaissance…
Louis s’éloigne. Les deux amants se retrouvent seuls dans un silence de plomb.
Antoine finit par lui tendre la carte.
ANTOINE
J’ai du bar au sel. Léger, moelleux. La cuisson est idéale. La
chair reste tendre.
Blanche pose sa main sur son visage comme pour retenir un cri ou des larmes. Elle
se lève et sort. Antoine la regarde s’éloigner, livide.
Louis revient, le seau à champagne et la bouteille à la main.
LOUIS
Elle est où ?
128
ANTOINE
Je sais pas. Elle vient de sortir…
Louis dépose le tout et file dehors. Antoine reste un moment interdit, jusqu’à ce
qu’un client l’interpelle.
Louis revient en trombe dans le restaurant et fonce vers Antoine qui prend une
commande.
LOUIS
Je pars plus tôt. Tu me couvres ?
ANTOINE
Donc une St Jacques, une brandade, un pavé morilles…
Au volant Blanche semble plus calme. Elle semble indifférente, presque froide.
LOUIS
Tu veux qu’on passe à une pharmacie ?
BLANCHE
Non ça va mieux, merci… Tu sais tout à l’heure sur le banc,
quand je t’ai dit que je voulais être seule quelque temps.
LOUIS
Oui.
BLANCHE
Je me suis trompée.
Tête de Louis.
BLANCHE
Je suis d’accord pour réessayer. D’ailleurs, je voudrais qu’on
descende habiter dans le Sud. Assez vite.
LOUIS
Mais… J’ai mon boulot…
129
BLANCHE
Oui…Tu vois, toi au moins je sais que tu ne me trahiras
jamais. Que tu ne me feras jamais souffrir comme on m’a fait
souffrir.
BLANCHE
Tu veux monter ?
LOUIS
Ben… Non…
BLANCHE
Bon…
ANTOINE
Ben qu’est ce qu’il fout ?
Quelques mètres plus bas Louis ivre mort est en train de démolir la voiture
d’Antoine à coups de barre de fer.Une fenêtre s’ouvre au premier étage d’un
immeuble.
130
LE PROPRIETAIRE
Enculé, ma bagnole !
LOUIS
Merde ! Excusez-moi Monsieur… Je me suis trompé…
Juste en bas de l’immeuble, assis sur le banc, Louis fixe le petit rectangle lumineux
de la fenêtre. La lumière s’éteint. Il remonte le col de sa veste et s’allonge sur le
banc.
LOUIS
Antoine ? Antoine…
ANTOINE
Oui ?
LOUIS
C’est moi… Ça y est. Ça y est Antoine ! On a passé la nuit
ensemble. Antoine c’était merveilleux. Merveilleux. Elle avait
une fougue, une passion, c’était extraordinaire… Mieux
qu’avant… Si tu savais…
131
Antoine se redresse et l’écoute sans rien dire.
LOUIS
Retrouver son corps sa peau, ses jambes… ses caresses. Ses
seins… Elle m’a embrassé mille fois… Le plus beau ? C’était
l’entendre m’appeler à nouveau. Dire mon prénom. J’ai
ressuscité Antoine. J’ai ressuscité dans ses bras. J’ai ressuscité
dans son corps… Tu comprends. Tu comprends ?
ANTOINE
Très bien… Oui.
LOUIS
Et c’est grâce à toi tout ça, alors je voulais te remercier. Merci
Antoine.
LOUIS
T’as dormi habillé ?
ANTOINE
Oui. C’est… C’est pour aller plus vite le matin.
Antoine boit difficilement son café. Louis est appuyé dans l’encadrement de la
porte.
ANTOINE
J’ai réfléchi, je crois que je vais prendre un congé. Je suis
fatigué.
LOUIS
Oh et je t’ai pas dit le plus beau.
ANTOINE
Ah non ?
132
LOUIS
Non. Tu sais quoi ?
ANTOINE
Quoi ?
LOUIS
Elle veut qu’on se marie et qu’on vive dans le Sud. Des
enfants et tout et tout…
ANTOINE
Ça me fait plaisir que tu ailles aussi bien Louis. Félicitations.
LOUIS
Antoine, Antoine…
LOUIS
ANTOINE ! ANTOINE !
133
ANTOINE
Quoi ? Qu’est-ce que tu crois ?… Et ben non ! Moi, non !
Louis s’approche doucement d’Antoine et lui flanque une gifle magistrale. Une
autre. Puis il se jette sur Antoine qui glisse sous l’eau et se débat péniblement.
Louis est furieux et la bagarre intense…
Louis finit par se calmer et se relève tandis qu’Antoine reprend son souffle.
Louis le regarde, lui jette le briquet et s’en va.
MARTINE
Mais enfin on disparaît pas comme ça pendant une semaine…
On donne un coup de fil, au moins. Y’a de quoi s’inquiéter
quand même !Tu l’as pas eu toi ?
ANTOINE
Non, je te dis…
MARTINE
Tu t’es engueulé avec lui ? Tu lui as dit un truc vexant ?
ANTOINE
Non…
MARTINE
Peut-être c’est moi… Je lui ai dit un truc vexant tu crois ?
ANTOINE
Je sais pas…
Martine regarde soudain la porte d’entrée stupéfaite. Antoine se tourne. Louis est
là, propre et rasé. Il s’approche de Martine.
LOUIS
Excusez-moi, j’étais malade.
134
MARTINE (ahurie)
Bien sûr…
LOUIS
Je suis vraiment désolé. Vous m’avez manqué.
Tête de Martine. Il s’éloigne sans un regard pour Antoine… Puis se tourne vers lui.
LOUIS
Je t’invite à dîner ce soir… Un petit Thaï ça te dit ?
Louis et Blanche sont assis au restaurant thaïlandais, à leur table préférée. Ils
consultent la carte dans un silence pesant.
BLANCHE
Ça va.
LOUIS
Oui et toi ?
BLANCHE
Oui.
LOUIS
Super…
ANTOINE
Vous devez avoir une réservation au nom de Louis Letoux.
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LE SERVEUR (vérifiant)
Un moment…
LOUIS
Tu sais j’ai réfléchi à ta proposition.
BLANCHE
Laquelle ?
LOUIS
Le mariage, tout ça. Finalement, je suis d’accord. C’est une
très bonne idée…J’ai même un cadeau pour toi.
LE SERVEUR (récitant)
Krug millésimé. Excellente année. Surprenant. Un peu sec au
départ, mais du miel dès la deuxième gorgée, quand il a ouvert
le palais… Et il offre une très belle ivresse. Recommandé par
le sommelier de « Chez JEAN »
Dans le dos d’Antoine, à travers la vitrine du restau, Blanche aperçoit Louis qui lui
fait un léger signe d’au revoir en s’éloignant. Elle lève la main pour dire au revoir.
Antoine la regarde. Elle le regarde à son tour puis… Pose doucement la main sur
son cou pour dissimuler les petites taches rouges qui naissent sur sa peau.
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Un peu plus loin la voiture d’Antoine, garée près du restaurant, est bien amochée...
Dans l’air frais d’une belle soirée, Louis traverse le parc enfin heureux et s’éloigne
du marronnier en sifflotant.
FIN
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