Histoire Et Actualité Du Concept de Psychose de L'enfant

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HISTOIRE ET ACTUALITÉ DU CONCEPT DE PSYCHOSE

DE L'ENFANT
Jacques Hochmann

John Libbey Eurotext | « L'information psychiatrique »

2010/3 Volume 86 | pages 227 à 235


ISSN 0020-0204
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Jacques Hochmann, « Histoire et actualité du concept de psychose de l'enfant »,
L'information psychiatrique 2010/3 (Volume 86), p. 227-235.
DOI 10.3917/inpsy.8603.0227
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L’Information psychiatrique 2010 ; 86 : 227-35

PSYCHOSES : ÉVOLUTION DES CONCEPTS ET DES PRATIQUES (2)

Histoire et actualité du concept


de psychose de l’enfant

Jacques Hochmann

RÉSUMÉ
La notion de psychose de l’enfant est aujourd’hui très attaquée. Le terme a disparu des classifications internationales et fait
l’objet de la vindicte de certaines associations de parents. Replacée dans son histoire, cette notion conserve tout son intérêt
au moment où le DSM est en plein remaniement.
Mots clés : autisme, psychose infantile, schizophrénie infantile, histoire de la psychiatrie, nosographie psychiatrique,
nosologie, DSM

ABSTRACT
History and current concept of child psychosis. The diagnosis of child psychosis has previously been strongly

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attacked by some autistic children’s families. This diagnosis has disappeared from American and WHO
classifications. This paper relates the history of the concept of child psychosis and shows its pertinence at the time of
DSM classification reassessment.
Key words: autism, child psychosis, infantile schizophrenia, history of psychiatry, psychiatric nosography
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RESUMEN
Historia y actualidad del concepto de psicosis del niño. La noción de psicosis del niño está hoy muy impugnada. El
término ha desaparecido de las clasificaciones internacionales y es objeto de la inquina de ciertas asociaciones de
padres. Contextualizada en su historia, esta noción no ha perdido interés alguno a la hora de una completa
remodelación del DSM.
Palabras claves : autismo, psicosis del niño, esquizofrenia infantil, historia de la psiquiatría, nosografía psiquiátrica

« Le grand art en médecine est d’oublier toute la Oser aujourd’hui parler de psychose de l’enfant peut
nosographie une fois qu’on est en présence d’un individu, paraître incongru sinon quasi obscène. Le mot est honni
et de considérer ce malade comme un cas nouveau qu’on par certaines associations de parents, qui ont engagé contre
ne reverra plus jamais, différent même aujourd’hui de ce la pédopsychiatrie un combat acharné. Dans le contexte
qu’il sera dans huit jours. » d’une démocratie d’opinion, où l’usager a, fort heureuse-
(Charles Clavel, chirurgien lyonnais, 1963.) ment, conquis des pouvoirs nouveaux, ces associations
doi: 10.1684/ipe.2010.0605

Professeur émérite à l’Université Claude-Bernard, médecin honoraire des hôpitaux de Lyon, Centre hospitalier Le Vinatier, 95, boulevard Pinel, 69500
Bron
<hochmann.jacques@orange.fr>

Tirés à part : J. Hochman

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J. Hochmann

entendent non seulement influer sur les moyens donnés à la était mise hors la loi comme science juive ou science bour-
politique d’assistance et de soins aux enfants souffrant de geoise et où l’hérédité de l’acquis faisait force de loi. Pour
troubles graves du développement (ce que très légitime- essayer de comprendre les origines et les enjeux de cette
ment faisaient et continuent de faire les associations d’usa- bataille nous commencerons par un détour historique avant
gers), mais exigent d’exercer leur choix direct sur les de plaider pour le maintien d’une conception qu’aucune
modalités de prise en charge et font pression pour orienter découverte récente n’est venue falsifier.
la recherche, l’enseignement et la formation continue des
professionnels selon un « socle théorique commun »
qu’elles prétendent dicter. Le gouvernement, soumis à La folie chez l’enfant
leur lobbying, a reconnu le besoin de ce socle et a promul-
gué, en 2008, un Plan autisme qui laisse, certes, à un col- Qu’un enfant puisse être fou est longtemps apparu
lège d’experts le soin de le définir officiellement. Cepen- comme une insanité. N’ayant pas atteint l’âge de raison
dant, préjugeant de l’avis de ce collège, il présente déjà, comment aurait-il pu déraisonner ? Plongé dans l’inno-
dans ses grandes lignes, « l’ensemble des connaissances cence première, comment aurait-il pu être affecté par un
validées scientifiquement… qui permet ensuite de fonder tourbillon de passions dont la dimension sexuelle était
sur des bases solides la formation des professionnels et la pressentie, dès l’origine de la psychiatrie ? Haslam, à
conception des prises en charge… et de sortir définitive- Londres, Pinel, Esquirol puis J.-J. Moreau de Tours, en
ment… de phantasmes qui conduisent à culpabiliser les France, avaient certes décrit des formes infantojuvéniles
mères les rendant responsables d’un handicap qu’elles d’aliénation, mais ils les considéraient comme des excep-
subissent et à multiplier les mauvais diagnostics ». Le dos- tions, des quasi-monstruosités, et les attribuaient souvent à
sier de presse (secrétariat aux Personnes handicapées une puberté précoce. Il fallut attendre 1888 pour voir
2009), dont nous extrayons ces lignes, précise un peu publier par P. Moreau de Tours, le fils, un livre intitulé
plus loin : « Cela signifie que l’autisme sort du répertoire La Folie chez les enfants (Moreau de Tours P., 1888).
des maladies psychotiques et des psychoses infantiles et L’auteur y rapportait des cas de manie, de mélancolie,
entre dans le registre des troubles du développement d’hystérie infantiles, mais qui n’avaient aucune spécificité

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ayant une origine neurobiologique. » Le terme d’autisme sinon celle d’apparaître chez des enfants ou des adoles-
s’étant, comme on le verra, étendu à l’ensemble des trou- cents. Pour l’essentiel, la psychiatrie de l’enfant restait cen-
bles graves du développement, cela signifie, en fait, pour le trée sur une mensuration du déficit intellectuel. Presque
lecteur informé, que le gouvernement de la République seuls étaient pris en compte les retards de développement
classés de manière linéaire, de l’idiotie la plus profonde à la
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enjoint aux psychiatres de renoncer aux termes désuets de


« maladie psychotique » ou de « psychose infantile ». débilité mentale légère en passant par une imbécillité plus
Les associations les plus extrémistes l’ont bien compris. ou moins marquée. Quand on s’occupait des enfants retar-
L’une d’elles a réclamé, au nom de la loi, la suppression dés, c’était uniquement de leur éducation. Assurée d’abord
d’un séminaire universitaire de formation continue intitulé principalement sous la direction des aliénistes, cette éduca-
« autisme et psychose infantile », qui proposait, dans une tion devait en partie être reprise en main, au début du
perspective historique et critique, une étude comparative XXe siècle par des psychologues et des éducateurs.
des différentes théories psychopathologiques des psycho- En effet, dans un esprit de rapport coût/efficacité,
ses infantiles et leurs liens possibles avec les données neu- l’échelle métrique de l’intelligence de Binet et Simon et
roscientifiques actuelles. Une autre, dans une adresse aux son rejeton nord-américain, le quotient intellectuel, vont,
professionnels publiée sur Internet, les met en demeure, à cette époque, légitimer une ségrégation des anormaux
sous peine de poursuites, d’adopter les seules classifica- d’hospice inéducables, abandonnés sans espoir thérapeu-
tions internationales et de se conformer à une pensée tique au gardiennage, à l’observation et aux autopsies des
unique strictement neurobiologique et comportementaliste. psychiatres, et opposés aux anormaux d’école, considérés
Cette évolution, inscrite dans nos mœurs, pose une série de seuls comme intégrables et placés sous l’unique juridiction
problèmes notamment sur le plan épistémologique. Que des enseignants. Dans la suite de la théorie de la dégéné-
serait ou que sera une science qui ne devra pas s’écarter rescence, l’explication par l’hérédité morbide reste domi-
d’une « vérité » inscrite dans des textes législatifs ou régle- nante et, surtout aux États-Unis et en Europe du Nord, une
mentaires, reflets de l’opinion dominante ? La loi scienti- politique eugéniste se développe, fondée sur le dépistage,
fique devrait-elle ou devra-t-elle se confondre avec la loi de l’isolement, la stérilisation voire la castration des anor-
la cité, expression de la majorité ? Gaston Bachelard nous maux même légers (les « morons ») vécus comme un dan-
enseignait jadis que la découverte scientifique disait non à ger pour la race.
l’opinion courante induite en erreur par les obstacles épis- Les années 1900 marquent une véritable révolution
témologiques que l’évidence trompeuse place sur son che- conceptuelle, grâce surtout à la découverte freudienne de
min. Sans remonter jusqu’à Galilée, il y eut, dans des la sexualité infantile. L’enfant, désormais, n’est plus conçu
temps pas très anciens, des régimes où la psychanalyse seulement comme un sauvage à civiliser ou comme une

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Histoire et actualité du concept de psychose de l’enfant

cire vierge sur laquelle il faut imprimer les comportements Spitz, et par l’individualisation, par Bowlby, des troubles
requis par la société. Il devient un être complexe, déchiré de l’attachement longtemps confondus avec les psychoses
par des conflits entre ses désirs polymorphes et ses identi- infantiles. Dans le fouillis conceptuel engendré par le
fications structurantes. Ses symptômes, s’il en présente, ne laxisme diagnostique et par la vulgarisation sans nuances
sont plus seulement l’expression d’une lésion ou d’un défi- et souvent caricaturale des idées freudiennes, deux auteurs
cit fonctionnel, ils sont aussi la tentative de communication surtout tentent de mettre un certain ordre1.
d’une angoisse ou d’une douleur psychique ainsi qu’un
mode d’adaptation ou un mécanisme de défense. C’est
dans ce contexte qu’un neuropsychiatre italien, Sancte de Psychoses autistiques et psychoses
Sanctis, encore inspiré par la nosographie kraepelinienne, symbiotiques : naissance des concepts
propose la notion de « démence précocissime », qu’il dis-
tingue de l’arriération mentale et dont il fait une maladie Le premier est Leo Kanner, un des fondateurs de la
mentale spécifique à l’enfance. Rebaptisée « schizophrénie pédopsychiatrie américaine comme spécialité autonome.
infantile », à la lumière des travaux de Bleuler, cette forme En individualisant, en 1943, un syndrome particulier,
pathologique connaît un vif succès, notamment aux États- l’autisme infantile précoce, caractérisé par des troubles du
Unis où elle permet aux psychiatres, de plus en plus langage, un isolement affectif et un besoin contraignant
convertis à une approche psychodynamique, dont la psy- d’immuabilité, Kanner pense distinguer une catégorie
chanalyse n’est qu’un élément, de reprendre pied, avec une d’enfants qui, pour lui, ne sont ni des arriérés mentaux, ni
ambition thérapeutique nouvelle, c’est-à-dire un souci de des schizophrènes (Kanner L., 1943). L’autisme, selon lui,
libérer des forces de croissance entravées par un processus est une maladie aussi identifiable que la phénylcétonurie,
morbide, dans un champ dont ils avaient été exclus par les un « trouble inné du contact affectif » analogue à un
psychométriciens et les psychopédagogues et où on se trouble sensoriel ou moteur congénital. Pour lui, le syn-
contentait de diriger le développement dans une direction drome auquel il donne son nom est rare : un cas pour dix
socialement convenable. Le passage de la mesure des capa- mille. Leo Kanner, s’il a travaillé avec des psychanalystes,
cités intellectuelles à l’exploration de la vie affective et de n’était pas psychanalyste. Bien qu’espérant qu’un jour sa

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ses aléas, l’introduction du concept de maladie mentale en maladie recevrait un traitement, il restait réservé sur l’effi-
lieu et place d’un simple handicap, bref la dimension psy- cacité des psychothérapies.
chopathologique représente donc un tournant majeur. C’est une pédiatre psychanalyste d’origine hongroise,
L’enfant malade mental n’est plus considéré comme un Margaret Mahler, qui va compléter son œuvre. À Vienne,
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dégénéré incurable qu’il fallait empêcher de se reproduire elle s’est déjà intéressée à des enfants « irréguliers » dont le
mais bien comme un individu en souffrance susceptible comportement atypique n’était pas celui d’arriérés men-
d’être soigné sinon guéri. taux. Afin de préciser les indications et les modalités de
La schizophrénie infantile subit malheureusement deux leur traitement, elle tente de replacer leur évolution dans
dérives : d’une part une extension démesurée des critères une optique développementale et, à partir d’observations
diagnostiques, qui finiront par inclure un très grand nom- directes en crèche, entreprend de comparer le développe-
bre de formes déviantes des conduites de l’enfant, d’autre ment pathologique au développement normal. Elle repère
part une conception psychogénétique exclusive attribuant ainsi un certain nombre de stades ouvrant (ou n’ouvrant
cette pathologie aux troubles de la personnalité et du com- pas) la voie vers l’individuation. Dans la ligne des concepts
portement des parents, en priorité de la mère, ainsi qu’aux freudiens d’autoérotisme et de narcissisme primaire, elle
formes viciées de communication intrafamiliale. Cette décrit un premier stade qu’elle qualifie d’« autisme nor-
conception psychogénétique s’inscrit sous le signe de la mal » et une deuxième phase dite « symbiotique nor-
notion de réaction qui, à la suite des travaux d’Adolf male ». Dans le développement anormal, Margaret Mahler
Meyer, domine alors la psychiatrie américaine. Une nou- rejette le terme de « schizophrénie infantile » qui lui paraît
velle ligne de clivage, fondée sur la curabilité et non plus impropre car il ne permet pas de différencier la dissociation
sur l’éducabilité, traverse la masse des enfants anormaux, d’un être développé du défaut d’intégration d’un être en
d’une part ceux qui sont supposés atteints de troubles développement. Elle propose de le remplacer par le terme
« fonctionnels » tenus pour curables (et qui comprennent de « psychose infantile » et distingue, dans cet ensemble,
nombre de sujets tenus auparavant pour inéducables), des « psychoses autistiques » – où elle reprend la descrip-
d’autre part ceux qui sont affligés de troubles lésionnels tion de Kanner, et qui correspondent, pour elle, à une fixa-
considérés comme incurables, même s’ils sont partielle- tion ou à une régression au stade autistique du développe-
ment éducables. Cette séparation entre l’organique et le ment – des « psychoses symbiotiques », qui représentent,
psychologique, qui est donc au départ fondé sur le souci de même, une fixation ou une régression au stade symbio-
pragmatique de déterminer des indications thérapeutiques, tique, enfin des « psychoses bénignes », un terme qu’elle
semblera temporairement confirmée par l’étude des gran- abandonnera ensuite (Mahler M. 1949). Redécrites, en
des carences affectives, décrites notamment par René France, sous le nom de « prépsychoses », par René

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J. Hochmann

Diatkine (Diatkine R., 1969) ou de « parapsychoses » par de l’enfant et les problématiques inconscientes de sa mère.
Jean-Louis Lang (Lang J.-L., 1978), les psychoses béni- On a même reproché à Mélanie Klein de ne pas assez tenir
gnes se retrouveront, plus tard, regroupées par Roger compte du rôle de l’environnement maternant réel dans le
Misès dans les « pathologies limites de l’enfance » (Misès développement de l’enfant, un solipsisme excessif qu’ont
R., 1990). Les travaux modernes sur l’observation directe essayé de dépasser ses héritiers comme Wilfred Bion et
du nourrisson ont remis en question certaines des hypothè- Donald Winnicott. Parmi les auteurs post-kleiniens qui
ses de Margaret Mahler sur le développement de l’enfant et ont fait le plus avancer notre connaissance et nos traite-
démontré l’absence d’un stade autistique normal. On sait ments des psychoses de l’enfant il faut évidemment citer
aujourd’hui, que, dès sa naissance, le bébé normal est un Frances Tustin et Donald Meltzer, dont les travaux ont été
être de relation, doté d’une intense curiosité pour son envi- poursuivis en France notamment par Geneviève Haag,
ronnement. Il faut toutefois faire remarquer, à la décharge Didier Houzel et leurs élèves. On sait que Frances Tustin
d’un auteur qu’on a beaucoup critiqué, que l’enfant nor- distinguait un autisme « à carapace » des formes dites
mal, en début de vie, passe de longs moments à dormir « enchevêtrées » qu’elle continuait de qualifier de schizo-
et, d’autre part, que Margaret Mahler a très clairement phrènes. Donald Meltzer, lui, opposait les enfants autistes
insisté sur les différences entre le développement ordinaire par défaut d’identification projective, aux enfants psycho-
et le développement pathologique, reconnaissant dans tiques par excès, les premiers restant fixés adhésivement à
l’autisme et dans la symbiose pathologiques des qualités un objet bidimensionnel sans profondeur, les seconds peu-
de rigidité et d’exclusivité qu’on ne rencontre jamais chez plant l’intériorité de cet objet d’« objets partiels » persécu-
l’enfant normal (Mahler M., 1952 ; 1969). Contrairement à teurs. Tous deux sont également restés prudents sur l’étio-
Kanner qui, au moins au début, avait décrit une typologie logie, ont tenu compte des facteurs constitutionnels et n’ont
des parents d’autistes (des pères intellectuels et peu sensi- en aucun cas attribué à la mère l’origine directe de la psy-
bles préoccupés par leur carrière et les spéculations abstrai- chose de l’enfant (Tustin F., 1972) (Meltzer D. et al.,
tes, des mères superficielles et froides), contrairement à 1975).
nombre d’auteurs qui lui sont contemporains, Margaret L’entrée en France des idées psychanalytiques, qui com-
Mahler s’est toujours tenue à distance d’un psychogéné- mençaient à dominer la pédopsychiatrie américaine et son

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tisme simpliste. Affirmant avoir rencontré des mères de mouvement de guidance infantile, a été retardée par la
toutes sortes, elle postulait, chez l’enfant malade, l’exis- guerre. On doit surtout leur redécouverte à Serge Lebovici
tence d’une constitution native qui le rendait incapable et à René Diatkine qui essaient, à leur manière, dans leur
d’utiliser et de s’approprier l’apport des soins maternels. rapport de 1954, d’établir un compromis entre les concep-
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Pour corriger cette incapacité, elle proposait des thérapies tions kleiniennes et les conceptions freudiennes du fan-
mère-enfant adaptées au niveau d’évolution relationnelle tasme (Lebovici S., Diatkine R., 1954). Ces auteurs se gar-
de l’enfant. dent bien, eux aussi, d’incriminer les seuls facteurs
d’environnement et sont loin d’éliminer les éléments de
vulnérabilité biologique qu’étudient Julian de Ajurria-
Le devenir de la notion guerra et ses collaborateurs (Ajurriaguera de J et al.,
de psychose infantile 1969). Cependant, s’engage un vaste mouvement de réno-
vation institutionnelle marqué, en particulier, par le travail
Le concept de psychose de l’enfant qui s’élabore ainsi révolutionnaire de Roger Misès à la Fondation Vallée, par
dans les années 1940-1950 fait l’objet de vifs débats. Cer- la création des hôpitaux de jour pour enfants et par la géné-
tains, comme, à New-York, Lauretta Bender continuent à ralisation d’un système d’assistance sanitaire sous la forme
privilégier la notion de schizophrénie infantile, conçue de la sectorisation en psychiatrie infanto-juvénile, officielle
comme un trouble de l’intégration cérébropsychique déce- à partir de 1972, qui vient compléter le dispositif médico-
lable par une séméiologie fine de la psychomotricité et de social et médico-éducatif mis en place dès la fin de la
la relation (Bender L., 1947). D’autres adoptent la notion guerre, en grande partie à l’initiative conjointe d’associa-
mahlerienne de psychose de l’enfant mais se divisent entre tions de familles et de professionnels, comme Georges
partisans d’Anna Freud et élèves de Mélanie Klein. On sait Heuyer à Paris, Claude Kohler à Lyon et Robert Lafon, à
que, pour cette dernière, les positions psychotiques font Montpellier.
partie du développement normal et qu’il n’y a pas conti- La nosologie qui s’est élaborée peu à peu à partir de ces
nuité entre le fonctionnement hallucinatoire du nourrisson expériences doit beaucoup, au départ, aux conceptions de
et l’activité fantasmatique. Pour Anna Freud, au contraire, Margret Mahler. Affinée peu à peu et débarrassée d’un
fidèle à la conception diphasique du développement énon- recours trop schématique à une conception linéaire du
cée par son père, il y a rupture entre les processus primaires développement, elle a abouti, en 1987, à la classification
et les processus secondaires. Ni l’une ni l’autre, contraire- française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adoles-
ment à ce que croient des détracteurs mal informés de la cent due à un groupe piloté par Roger Misès et Nicole
psychanalyse, n’établissent de filiation entre la pathologie Quemada et validée par de nombreuses études de terrain

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Histoire et actualité du concept de psychose de l’enfant

(Misès R., Quemada N., 2002). Les psychoses de l’enfant encore, susceptibles d’être modifiés positivement par une
constituent une des catégories prioritaires de l’axe I de cette approche thérapeutique cohérente. À l’inverse d’autres
classification bi-axiale. Contrairement à ce qui s’est passé approches, qui se réclament également de la psychanalyse,
aux États-Unis, la classification française ne fait qu’une la classification française n’a aucune prétention étiologique
place limitée au diagnostic de schizophrénie infantile et, dans son axe II, se contente de répertorier les facteurs
réservé à des cas évoluant secondairement vers une schizo- associés ou antérieurs, organiques ou environnementaux,
phrénie de l’adolescent puis de l’adulte. Elle réserve le qui ont pu avoir un rôle favorisant mais sans que celui-ci
terme de psychoses dysthymiques aux cas où dominent puisse être affirmé de manière univoque. Elle est essentiel-
les troubles de l’humeur, tout en reconnaissant, tant dans lement fondée sur une perspective psychopathologique qui
les schizophrénies de l’enfant que dans ces troubles dys- vise à mettre en évidence la manière dont un sujet humain
thymiques, la spécificité de la pathologie d’un être encore essaie d’organiser son fonctionnement mental pour com-
en développement. Elle reprend la description de Kanner penser l’intrication des difficultés environnementales ou/
pour le diagnostic d’autisme auquel elle adjoint les formes et organiques auxquelles il doit faire face.
atypiques. Les psychoses symbiotiques de Margaret Face à ce point de vue équilibré, qui a inspiré, pendant le
Mahler, qui envisageait, on l’a vu, la pathologie dans une dernier demi-siècle, une large partie de la pédopsychiatrie
optique trop exclusive de psychanalyse génétique, y sont française, un autre point de vue, plus radical et plus spec-
reprises dans une catégorie plus large correspondant taculaire, s’est propagé, notamment à la faveur du mouve-
davantage au souci d’individualiser un mode d’organisa- ment de Mai 68. « Inclus dans la jouissance de sa mère »
tion spécifique : les « dysharmonies psychotiques » (Mannoni M., 1964), soumis à ses « désirs mortifères »,
(Misès R. 1969 ; 2000). Ce diagnostic n’implique aucune l’enfant psychotique est devenu la victime de l’inconscient
prise de position étiologique univoque. Il envisage de maternel ou familial. Les institutions soignantes ont été
manière épigénétique une interaction entre les facteurs invitées à se défaire de tout projet éducatif, à accueillir
d’environnement et les facteurs neurobiologiques dans un l’enfant en lui offrant la possibilité de régresser aux stades
processus évolutif. La symptomatologie est polymorphe, archaïques où son désir n’était pas encore laminé par les
associant ou alternant des éléments de retrait et d’inhibition contraintes familiales et à attendre l’émergence de ce désir.

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avec des éléments d’excitation et d’instabilité. L’enfant est Il en est résulté une exclusion de la famille des lieux de
surtout étrange et ses capacités cognitives et adaptatives en soins, un refus de collaborer avec elle de peur de se laisser
damier peuvent être de bon niveau dans certains secteurs contaminer par ses projets et ses attitudes profondes, éven-
particulièrement investis et médiocres dans d’autres sec- tuellement une proposition de soins aux parents pour leur
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teurs. Elles contrastent avec le maintien de certaines fixa- permettre à leur tour d’affronter et d’assumer leur désir au
tions archaïques sur l’usage de la bouche, du tact ou de lieu de continuer à utiliser, comme cache et comme justifi-
l’odorat. Surtout, à travers des symptômes polymorphes, cation, la souffrance de leur enfant. Ces positions mission-
l’enfant manifeste des angoisses massives qui peuvent naires rappelaient les attitudes des militants de la laïcité au
prendre l’aspect de phobies localisées ou généralisées vis- début du XXe siècle, opposant la lumière du savoir univer-
à-vis du monde extérieur ou d’inquiétudes portant sur sitaire à l’obscurantisme des traditions familiales auxquel-
l’intégrité corporelle, parfois contrôlées par des mécanis- les l’école prétendait arracher l’enfant. Se sentant mis en
mes de type obsessionnel. Ces angoisses sont favorisées cause dans les racines de leur être par une attitude inquisi-
par une infiltration de la réalité par un imaginaire souvent trice, assaillis d’interprétations sauvages formulées sou-
cru qui, projeté sur les objets environnants, maintient vent dans un langage obscur, rejetés de la prise en charge
l’immersion dans un univers peu rassurant sinon terrifiant. de leur enfant, les parents désemparés préparaient leur
Des recherches psychopathologiques et des évaluations au riposte. Celle-ci, une fois de plus, devait venir des États-
long cours ont permis de distinguer nettement les dys- Unis, « scène de notre vie future » où naissent nos modèles
harmonies des psychoses autistiques. Comme l’entendait culturels.
Meltzer, elles sont davantage liées à une identification pro-
jective massive qu’à l’autosensualité qui domine dans
l’autisme. Plus tardives d’apparition, elles sont souvent de Le « grand renversement » américain
meilleur pronostic, si l’enfant bénéficie de soins adaptés.
La classification française a enfin le mérite de reconnaî- Devant les dérives nord-américaines des années 1930-
tre, parmi les arriérations mentales reliées à un processus 1950, l’extension inconsidérée du diagnostic de schizo-
neurologique identifiable cliniquement, des psychoses phrénie infantile et le psychogénétisme sommaire qui
déficitaires, avec des mécanismes psychotiques du type culminait dans les expressions détestables de « mère frigi-
du clivage, de la projection ou du déni, qui sont différents daire » ou de « mère schizophrénogène », une réaction
des positions autistiques de rupture avec le monde humain bien compréhensible des associations de parents a surgi
environnant, et compliquent l’homogénéité d’un simple dès les années 1960. Les familles se sont élevées contre
retard mental (Misès R., 1975). Ces mécanismes sont, là des hypothèses étiologiques qui les culpabilisaient et ont

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J. Hochmann

milité pour l’abolition du terme de psychose infantile, syndromique, associé à un syndrome connu, comme la
chargé, à leurs yeux, de présupposés psychogénétiques et sclérose tubéreuse de Bourneville avec généralement un
qui, peut-être, plus profondément, renvoyaient au spectre retard mental important, autisme associé au contraire à un
angoissant et difficilement acceptable de la folie. Elles ont niveau d’intelligence élevé, une acquisition normale voire
pris pour bouc émissaire la personnalité controversée de précoce du langage et parfois des compétences paradoxa-
Bruno Bettelheim, un éducateur de talent inspiré par la psy- les, dit aujourd’hui syndrome d’Asperger du nom du pédia-
chanalyse, qui, à partir de son expérience personnelle des tre autrichien co-inventeur de l’autisme (Asperger H.,
camps de concentration, avait eu la maladresse de comparer 1944). Face à ce concept d’autisme au sens large, poly-
le comportement autistique à l’enfermement sur soi de cer- morphe et lui-même invasif, la classification laisse mainte-
tains déportés. Bettelheim qui dirigeait, à Chicago, une école nant une large place (la plus grande) à la catégorie des
expérimentale modèle, plaidait pour un régime d’internat et « troubles envahissants du développement non spécifiés
pour la séparation de longue durée d’avec la famille, ce qui autrement », diagnostic d’exclusion qu’il est impossible
accroissait le sentiment des parents d’être tenus pour respon- de définir positivement. Les différents outils de diagnostic
sables de la pathologie de leur enfant (Bettelheim B., 1967). existants ne concernent, en effet, que l’autisme, et les
Les associations américaines ont obtenu, en 1975, l’inscrip- autres diagnostics sont posés, à partir de ces outils, seule-
tion légale de l’autisme parmi les Development Disabilities, ment sur l’absence d’un ou de plusieurs des critères requis.
au même titre que le retard mental, l’épilepsie et les infirmi- Après les psychoses devenues obsolètes, les TED eux-
tés motrices cérébrales. Elles ont contribué à la disparition mêmes sont en voie de disparition. Les publications font
des références psychodynamiques de la plupart des grandes de plus en plus mention des TSA, les troubles du spectre
revues psychiatriques, dont les comités de lecture ont exclu autistique. Ces TSA seraient en voie de représenter, selon
les psychanalystes. les dernières enquêtes épidémiologiques, 1 % de la popula-
Parallèlement, la psychiatrie américaine, fortement tion. Une enquête anglaise récente, sur questionnaire en
secouée par le mouvement des droits civiques et par des population générale, va jusqu’à relever parmi les enfants
livres anti-psychiatriques à succès, comme le Mythe de la d’âge scolaire 3 % d’enfants ayant des traits autistiques.
maladie mentale de Thomas Sszasz, qui déniait toute De nombreux travaux semblent montrer que cette brusque

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valeur scientifique à la nosologie en cours et assimilait multiplication par dix ou vingt de la prévalence ne corres-
les traitements psychiatriques à des entreprises sociales de pond pas à une épidémie mais, pour l’essentiel, à un chan-
mise au pas des déviants, ou comme Asiles de E. Goffman, gement dans les pratiques diagnostiques (Fombonne E.,
qui dénonçait « l’institution totalitaire », a subi de plein 2005). L’autisme devient donc, comme jadis le déficit intel-
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fouet, une restriction drastique de crédits publics et une lectuel, une simple ligne de développement permettant à
véritable menace pour sa survie. Afin de se protéger chaque individu d’être situé, à un niveau plus ou moins
d’une disparition programmée, les psychiatres américains élevé, sur une échelle de communication et de compétences
ont cherché à prouver la validité et la fiabilité de leurs diag- sociales. Toute la réflexion psychopathologique, qui donnait
nostics et élaboré, au terme de nombreuses négociations, sens aux symptômes dans une structure complexe en les
auxquelles ont participé les usagers, le DSM-III, qui rom- articulant entre eux, est désormais perdue. Avec elle s’effa-
pait avec plus d’un demi-siècle de recherches pychopatho- cent les fines distinctions qu’elle permettait de faire entre des
logiques. On sait qu’à travers ses révisions successives formes pathologiques de signification et d’évolution diffé-
(DSM-III-R, DSM-IV, DSM-IV-TR), la classification rentes, correspondant à des mécanismes différents. Dans ces
américaine a définitivement orienté la dixième classifica- conditions, qui rappellent aussi le confusionnisme d’avant-
tion internationale des maladies de l’OMS. Les psychoses guerre aux États-Unis, où la schizophrénie désignait tout et
infantiles y ont disparu au profit des troubles globaux du n’importe quoi, on doit recevoir avec prudence toutes les
développement, appelés ainsi parce qu’ils juxtaposaient études portant sur l’imagerie fonctionnelle ou structurale
l’atteinte de plusieurs fonctions, contrairement aux trou- ainsi que sur la neurobiologie ou la génétique de groupes
bles spécifiques localisés à l’atteinte de la lecture, de la de sujets réputés autistes et dont il est difficile de dire s’ils
parole ou de la psychomotricité. Ces troubles globaux appartiennent à une même entité.
sont ensuite devenus les troubles envahissants du dévelop- C’est donc cette nouvelle idéologie, étroitement organi-
pement, les TED, caractérisés par des atteintes de secteurs ciste, et ces nouveaux cadres diagnostiques que des asso-
du développement : « les capacités d’interaction sociale ciations de parents militants essaient aujourd’hui d’impo-
réciproque, les capacités de communication, le développe- ser en France, avec le recours exclusif à des méthodes
ment d’intérêts et d’activités stéréotypées » (DSM-IV-TR, éducatives d’inspiration comportementaliste qui vien-
2000), dont le regroupement complet définit l’autisme de draient se substituer à un équipement sanitaire estimé ina-
Kanner. L’autisme, d’abord l’un d’eux, a ainsi été érigé en dapté et dominé par une référence psychanalytique stérile,
noyau de ces troubles, les autres ne se déterminant plus que non scientifique et culpabilisante pour eux.
par rapport à lui : autisme atypique par sa date d’apparition Or, au moment où cette nouvelle idéologie est réclamée
ou le caractère incomplet de sa symptomatologie, autisme comme la seule admise, car la seule acceptable selon les

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Histoire et actualité du concept de psychose de l’enfant

critères de l’evidence based medicine, le DSM devient un proximité avec nos dysharmonies psychotiques. (Torjmann
objet de débat, dans le pays même qui lui a donné nais- S. et al., 1997).
sance. L’approche dimensionnelle transnosographique est, en
outre, de plus en plus privilégiée aux États-Unis. Elle per-
mettra peut-être de nouvelles convergences avec la classi-
Vers une révision du DSM ? fication française. Elle a l’avantage de remettre en perspec-
tive l’axe II du DSM, qui a été complètement négligé ces
Le problème de l’autisme, en effet, ne fait que caricatu-
dernières années, car les compagnies d’assurances améri-
rer, au fort grossissement, les grandes difficultés dans les-
caines ne prenaient en compte que les troubles identifiés
quelles se trouve le système de classification psychiatrique
sur l’axe I. On sait que cet axe II fait intervenir, dans le
américain, actuellement en pleine révision.
diagnostic, la personnalité sous-jacente à ces troubles.
L’approche catégorielle est nécessairement à la base de Envisagé d’abord sur un mode lui-même catégoriel,
tout système taxinomique lorsqu’il essaie, dans la synchro- comme une caractérologie des types de personnalité,
nie, de distinguer des espèces. Celle qui a été choisie a l’axe II tend à être remplacé par un système multidimen-
toutefois plusieurs défauts majeurs. Fondée sur un parti sionnel recensant des facteurs en continuité avec la norma-
pris athéorique et sur des listes de critères qui n’ont plus lité, comme le degré d’ouverture, la stabilité émotionnelle
entre eux aucun lien de compréhension, elle aboutit à mul- etc. Certains prônent même d’abandonner totalement l’axe
tiplier les comorbidités. On peut ainsi souffrir à la fois d’un I. (Demazeux S., 2007-2008). On voit ici que le débat en
trouble envahissant du développement, d’un trouble cours dépasse de beaucoup la seule question de l’autisme et
anxieux, d’un trouble dépressif, sans qu’aucun autre rap- des psychoses infantiles, et met en cause la médicalisation
port que de proximité ne se tisse entre ces différents troubles des troubles mentaux. Dans ce débat très actuel et dont la
et sans que l’angoisse ou la dépression ne soient mises en grande presse, aux États-Unis, se fait l’écho, la pédopsy-
lien avec les troubles des interactions sociales et de la com- chiatrie française, forte de son développement institution-
munication. Au long cours, le DSM maintient le sujet dans nel, de sa tradition clinique et de ses élaborations théori-
son diagnostic initial de handicap définitif et ne permet pas ques peut apporter une importante contribution. Nous

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de prendre en compte les aspects évolutifs. Soumis, par la voudrions, pour conclure, dessiner, de manière encore
méthodologie des conférences de consensus, à des lobbies, il très schématique, trois directions possibles reposant sur
aboutit à multiplier des catégories diagnostiques qui n’ont trois mots-clés : empathie, narrativité et processus inter-
qu’une valeur de circonstance, comme le syndrome subjectif.
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d’Asperger, dont la définition, selon deux des spécialistes


internationalement reconnues de l’autisme, Catherine Lord
et S.L. Bishop « varie largement d’un clinicien et d’un cher- Trois directions
cheur à l’autre » (Lord C., Bishop S.L., 2009). La fidélité
aux critères tant du DSM-IV que de la CIM-10 limite en La première direction touche la démarche diagnostique
effet ce diagnostic à un très petit nombre de cas, alors que elle-même. La plupart, sinon la totalité des troubles men-
se développe une forte demande de conditions scolaires et taux n’ont, pour le moment, aucune signature biologique
sociales particulières pour une grande masse de sujets, univoque. Aucun examen de laboratoire, aucun signe
d’intelligence normale, mais mal adaptés à l’école ordinaire d’imagerie, aucun tracé électrique ne permettent d’affirmer
et à la société, d’où une pression des usagers pour obtenir ce ou d’infirmer leur diagnostic. Celui-ci ne repose, dans les
diagnostic, à laquelle les experts doivent céder quand ils ne nomenclatures du type DSM ou CIM, que sur un assem-
la précèdent pas (Attwood T., 2006). Surtout, la classifica- blage de données cliniques issues de la seule observation
tion américaine laisse prospérer la classe des troubles non audio-visuelle (ce qui se voit, ce qui s’entend) et qui font
spécifiés autrement, pour lesquels il faudra bien un jour, consensus. Afin de consolider ce consensus, des échelles
d’après les mêmes auteurs, « établir des lignes diagnosti- ont été construites et validées permettant de coder les cri-
ques » et où on ne pourra pas toujours se contenter de tères, essentiellement comportementaux, à la base du diag-
« dire que ce ne sont pas tout à fait de l’autisme ». Ils ont nostic. L’auteure d’une de ces échelles, C. Lord, a rappelé,
un pronostic différent, sont probablement justiciables de elle-même, dans l’article déjà cité, que, selon un groupe de
prises en charge spécifiques et correspondent « à une col- chercheurs de l’université de Yale, « l’utilisation littérale
lection de troubles » n’ayant vraisemblablement pas une des critères du DSM-IV dans les troubles du spectre autis-
seule étiologie mais relevant d’« une hétogénéité neurobio- tique entraînait davantage de désaccord entre cliniciens
logique » masquée par l’étiquette commune de spectre expérimentés que le fait de leur demander leur diagnostic
autistique (Lord C., Bishop S.L., 2009). Peu avant sa global » (Lord C., Bishop S.L., 2009) Le terme important
mort, le Professeur Donald Cohen de Yale avait proposé est « expérimenté ». Qu’est-ce qu’apporte donc en plus
une nouvelle catégorie, celle des Multiplex developmental l’expérience clinique qui se surajoute au simple fait de
disorders dont des travaux français ont ensuite montré la remplir une échelle conçue pour pouvoir être mise dans le

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J. Hochmann

maximum de mains ? On voudrait insister sur un sixième sionnelle figée, il cherche à mettre en évidence une évolu-
sens qu’on peut appeler l’intuition clinique et qui, au-delà tion qui peut conduire progressivement tantôt à la constitu-
des circuits auditifs et visuels, fait peut-être intervenir ceux tion des signes classiques d’autisme, tantôt à un rapport de
d’une fonction actuellement au centre des recherches en persécution avec le monde extérieur, très différent de l’iso-
neuropsychologie cognitive, l’empathie (Decety J., 2004). lement autistique. Dans le premier cas, on parlera de « pro-
À la base de ce processus complexe qu’est l’identification, cessus autistisant », dans le second cas de « processus psy-
seule l’empathie, développée par l’expérience, permet de chotisant » (Delion P., 2009). Les signes classiques de
se représenter le vécu intime d’un autre sujet et de donner l’autisme complet (isolement, immuabilité, stéréotypies,
du sens à ce vécu en le reliant à des vécus similaires ou intérêts restreints) comme les signes de dysharmonie psy-
analogues de l’observateur. Seule l’empathie permet ainsi, chotique (instabilité affective et comportementale, inva-
au-delà de ce qui se voit ou s’entend, au delà donc d’une sion de la pensée par une vie imaginaire terrifiante) ne
simple perception du comportement moteur et verbal et des sont pas donnés d’emblée. Ils apparaissent peu à peu et
attitudes dérivées de ce comportement, de supposer des peuvent être considérés comme une manière qu’a le sujet
mécanismes sous-jacents et de distinguer l’évitement de se défendre contre des angoisses massives liées, en par-
d’autrui, le refus de l’imprévu, du clivage ou du déni de tie, à des défauts cognitifs structurels, notamment à un
la réalité. Seule l’empathie permet de différencier les défaut de théorie de l’esprit. Quelles qu’en soient les causes
angoisses de chute, d’écoulement, de néantisation, des premières, ce processus implique nécessairement l’envi-
angoisses de morcellement, de pénétration ou de persécu- ronnement aussi bien familial que scolaire, éducatif ou thé-
tion. À l’état d’esquisse, ces mécanismes ou ces angoisses rapeutique dont les réactions peuvent soit le favoriser, dans
sont susceptibles d’affecter n’importe quel individu, s’il est de véritables cercles vicieux interactifs, soit, au contraire,
formé à en prendre, au moins partiellement, conscience, le mettre en échec. Cette conception intersubjective et pro-
des esquisses qui permettent à l’observateur de résonner à cessuelle du diagnostic a le mérite d’ouvrir sur une démar-
la souffrance de l’observé et de construire des hypothèses che de soins qui, combinée à la démarche éducative et à
psychopathologiques. L’empathie clinique n’est pas, en une pédagogie tenant compte des désordres cognitifs fon-
effet, une donnée naturelle. C’est une construction déve- damentaux, ainsi qu’à une guidance familiale, permet de

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loppée par une formation approfondie et, dans chaque cas modifier les processus pathologiques. On comprend que
particulier, entretenue par des dispositifs divers : travail sur cette description, forcément présentée ici de manière rac-
des cas cliniques, supervision individuelle ou collective, courcie et élémentaire, autorise toutes les combinaisons
élaboration en équipe, travail sur soi. C’est dans ce travail possibles. Il est des sujets chez qui le processus autistisant
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de formation, d’élaboration et de supervision des équipes dominant reste fixé sur des modes de pensée caractéristi-
de soin que l’écoute psychanalytique a toute son impor- ques, même si ces sujets sont susceptibles de parvenir, au
tance. La psychanalyse de surcroît offre à ces équipes une fil du temps, à un certain assouplissement de leur fonction-
théorie générale du fonctionnement mental particulière- nement mental et à une intégration sociale relativement
ment utile à l’observateur-participant pour construire une heureuse. D’autres évoluent secondairement vers une psy-
« théorie de l’esprit » du sujet observé (Frith U., 1989). chotisation et développent des idées de persécution qui
Sans aucune prétention étiologique, elle représente alors peuvent alterner avec des moments de repli autistique.
ce que le psychanalyste américain Roy Schafer appelle un D’autres encore, affectés plus tardivement et de manière
ensemble de « méta-narratifs » (Schafer R.,1983). moins prononcée, parviennent à développer un « processus
La notion de narrativité est la deuxième direction suggé- de névrotisation » et obtiennent une réintégration, au
rée ici. Elle implique, comme le préconisait déjà un des moins partielle, d’un fonctionnement plus proche de la nor-
pionniers de la psychiatrie américaine de la première moitié male. Tant pour la recherche des étiologies que pour poser
du XXe siècle, Harry Stack Sullivan, que toute procédure les indications thérapeutiques, il paraît important de préci-
d’évaluation d’une situation pathologique soit envisagée, ser la part prise par chacun de ces processus dans le déve-
dès le départ, comme une rencontre à visée thérapeutique. loppement d’un individu donné.
Faire un diagnostic en psychiatrie, c’est déjà tisser avec le
sujet évalué une relation de soin, c’est-à-dire une relation qui
cherche non pas à expliquer le pourquoi de sa souffrance Conclusion
mais à lui donner sens, à la mettre en lien avec son histoire
personnelle et à dynamiser, à l’intérieur du sujet, une mise Nous espérons avoir montré qu’en dépit des attaques
en récit qui lui permette de configurer cette souffrance, de la dont il fait l’objet, attaques dont certaines s’expliquent his-
raconter à un tiers ou à soi-même. toriquement, le concept de psychose de l’enfant et l’indivi-
C’est dire, ce sera la troisième direction, que le diagnos- dualisation de formes cliniques des psychoses infantiles
tic doit être intersubjectif et processuel et non le diagnostic gardaient un intérêt tant pour constituer des populations
d’état d’un corps objectivé. Plus qu’une distinction rigide pour la recherche que pour poser des indications de prise
entre catégories ou entre niveaux sur une échelle dimen- en charge et faire un pronostic. Autisme et dysharmonie

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Histoire et actualité du concept de psychose de l’enfant

psychotique mettent en cause des mécanismes psycho- Hochmann J. Histoire de l’autisme. Paris : Odile Jacob, 2009.
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logiques distinctes. Pour favoriser au mieux une évolution Berquez G (trad. fr.). L’Autisme infantile, introduction à une cli-
positive, il faut probablement différencier les programmes nique relationnelle selon Kanner. Paris : PUF, 1983.
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rapeutiques. Au-delà de la violence de ceux qui remettent 1978.
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fait sa spécialité, au-delà de la complicité des pouvoirs française de psychanalyse 1954 ; 18 : 108-54.
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électoral et le moyen de faire des économies, ce qui est Lord C, Bishop SL. The autistic spectrum definitions, assessment
and diagnostic. British Journal of Hospital Medicine 2009 ; 70 :
attaqué c’est la présence de l’irrationnel profondément
132-5.
inscrit au cœur de la condition humaine. Refuser, au nom
d’un comportementalisme normatif et étroit de prendre en Mahler M. Clinical studies in benign and malignant cases of child-
compte cet irrationnel, d’en pressentir la dimension créa- hood psychosis (schizophrenia-like). American Journal of ortho-
psychiatry 1949 ; 19 : 295-305.
tive mais aussi d’en soigner les effets ravageurs, ce pourrait
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