Inpsy 8608 0677

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Psychose et amour

Georges Jovelet
Dans L'information psychiatrique 2010/8 (Volume 86), pages 677 à 684
Éditions John Libbey Eurotext
ISSN 0020-0204
DOI 10.1684/ipe.2010.0672
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 29/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 2.9.75.119)

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L’Information psychiatrique 2010 ; 86 : 677-84

L’AMOUR, UNE QUESTION CLINIQUE ?

Psychose et amour

Georges Jovelet

RÉSUMÉ
Dans les écrits psychiatriques la mise en perspective du lien amoureux et de la psychose, sa nature, ses effets sur l’évolution
sont souvent négligés. Sont abordées les manifestations critiques les plus bruyantes lorsque ce lien est mis à mal et que l’objet
amoureux est intégré dans un délire érotomaniaque, de jalousie ou de persécution. Différentes modalités de passages à l’acte,
auto ou hétéro-agressifs sont alors décrites. Le lien amoureux lorsqu’il est constitué, préservé peut être facteur de stabilisation
au plan du processus pathologique lui-même mais aussi du fait du respect du cadre thérapeutique. C’est au travers de cas de la
littérature qui abordent le sujet psychotique et son entourage que nous illustrerons cette étude à la frontière de l’intime et de
l’extime, à la jonction du soin et du domaine privé qui touche à la qualité de vie et à l’éthique du soin.
Mots clés : amour, désir, pulsion, psychose, passion, érotomanie, équipe soignante, lien social, harcèlement sexuel,
conjoint, transfert, rapport sexuel, revue de la littérature

ABSTRACT
Psychosis and love. In psychiatric writing when putting into perspective the link between love and psychosis, as well
as its nature, the effects on its evolution are frequently neglected. The major critical display occurs when the link is
being undermined and the love object becomes embedded in an erotomania of jealousy or persecution. Different
methods of transition to the act itself, whether they are self or hetero-aggressive are then described. The loving bond
as soon as it is formed, if preserved stabilizing factor in terms of the pathological process itself but also due to a
compliance within the therapeutic framework. It is through cases in the literature that address the subject of psychosis
and close relations that this study will illustrate the boundaries of the intimate and the extimate, at the junction of care
and the private sphere that is related to the quality of life and the ethics of care.
Key words: love, desire, drive, psychosis, passion, erotomania, team of caregivers, social relations, sexual harassment,
spouse, transfer, sexual relationship, literature review
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RESUMEN
Psicosis y amor. En la literatura psiquiátrica quedan a menudo descuidados la puesta en perspectiva del vínculo
amoroso y de la psicosis, su índole, sus efectos en la evolución. Se abordan las manifestaciones críticas más ruidosas
cuando este vínculo está dañado y el objeto del amor está integrado en un delirio erotomaníaco, de celos o
persecución. Se describen a partir de ahí diferentes modalidades de paso al acto, auto o hetero-agresivo. El vínculo
amoroso, cuando está constituido, preservado puede ser factor de estabilización a nivel del mismo proceso patológico
pero también a causa del respeto al cuadro terapeútico. Mediante casos de la literatura que abordan el sujeto psicótico
y su entorno es como ilustraremos este estudio en el que lo íntimo linda con lo éxtimo, lindando la atención médica
con el dominio privado que tiene que ver con la calidad de vida y la ética del cuidado.
Palabras claves : amor, deseo, pulsión, psicosis, pasión, erotomanía, equipo de cuidados, vínculo social, acoso sexual,
cónyuge, transferencia, relación sexual, repaso de la literatura
doi: 10.1684/ipe.2010.0672

Psychiatre des hôpitaux, chef de pôle à l’EPSMD de l’Aisne, 02320 Prémontré


<georges.jovel@wanadoo.fr>

Tirés à part : G. Jovelet

L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, N° 8 - OCTOBRE 2010 677


G. Jovelet

L’amour dans la psychose, définitions univoques ; le transfert à l’équipe soignante dessine une
géométrie au cas par cas.
L’amour, cet élan vers l’autre, ce ravissement, cette
illumination de l’être spécifie la condition humaine et le
processus de socialisation ; il est à la croisée du penser Le lien amoureux
(rêveries amoureuses, imagination, représentations de chez le sujet psychotique
l’objet idéalisé) du parler, dire, séduire dans l’amour cour-
tois ou donjuanesque déclarer ou se déclarer, agir dans Chez le psychotique amoureux peut-on véritablement
l’acte d’amour, de la relation sexuelle, mais aussi dans parler d’amour, quand faute de l’opération de la castration,
ses formes dérivées ou déviées de brutalisation de l’autre manque la catégorie du désir et de la demande ? Pour
quand le désir est surplombé par une pure jouissance. Si la autant le transfert psychotique est reconnu et qualifié en
psychanalyse, avec S. Freud et J. Lacan, a maintenu particulier par son absolu et sa potentialité persécutrice
ouverte cette question de la spécificité de l’amour et du ou érotomaniaque. Il convient cependant de parler de
transfert chez le sujet psychotique, la richesse des débats façon extensive d’amour même si la réalité des liens diffère
sur ce thème est historiquement datée dans le champ psy- selon la structure clinique, soit du désir à la volonté de
chiatrique des années 1930, avec les contributions de jouissance, ou d’emprise. Les conditions d’une relation
M. Dide, G.G de Clérambault, H. Ey et J. Lacan sur la amoureuse sont tributaires des catégories du manque, du
passion, la folie érotique, l’érotomanie, l’amour fou. désir consubstantiel au manque, d’une relation intersubjec-
tive d’échange. La demande formulée à l’autre est parée
L’amour chez le sujet psychotique ouvre à de nom- des attributs de la séduction, du semblant, de l’idéalisation
breuses occurrences cliniques, médico-légales, expertales qui ouvrent au jeu érotisé, à l’éclat phallique supporté par
et thérapeutiques. Pour les psychiatres, psychologues ou l’autre. Ce sont des traits particuliers qui suscitent l’atti-
psychanalystes, l’amour dans la psychose se résume rance comme un détail physique, la voix, le regard, des
le plus souvent à l’érotomanie cette illusion délirante effets du discours. Les sujets psychotiques, faute de la
d’être aimé ; une telle assimilation procède d’une dimension d’illusion, achoppent dans ces situations.
réduction. Ces difficultés éprouvées par les sujets schizophrènes
Quant à la notion de psychose, de sujet psychotique, la dans les rencontres amoureuses peuvent provoquer une
formule recouvre des réalités cliniques différentes. La caté- déstabilisation, une décompensation, lors d’une rencontre
gorie psychose éclaire au plan de l’organisation structurale amoureuse ou d’une première relation sexuelle vécue
de la personnalité, mais regroupe des entités cliniques dispa- comme intrusive ou persécutrice. « Que me veut-il ? »
rates : troubles de la personnalité, et avec le DSM, person- vient à la place d’un « Qu’en est-il de mon désir pour lui
nalités paranoïaques, schizoïdes, pathologies limites ou (ou elle) ? » et d’un « Suis-je amoureux(se) ? ». La psy-
structures décompensées sur un mode dissociatif, délirant, chiatrie classique a inventorié différentes conjonctures
hallucinatoire. cliniques, plus sous un angle de perturbations des relations
La dénomination « psychose » rassemble l’autisme, la sexuelles que du lien amoureux proprement dit.
schizophrénie, la maniaco-dépression, les délires chroni-
ques. Les contextes en sont dissemblables et il est préférable
de parler de psychoses au pluriel. Dans le registre de l’amour
Psychose, affectivité et sexualité
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il y a lieu de considérer l’âge d’apparition des premières H. Ey, dans l’article « Schizophrénies » de l’EMC datée
manifestations ; déclencher une psychose schizophrénique de 1955 [5], décrit les troubles de l’affectivité chez ces
à 18 ans ou de façon plus tardive à 30 lorsque le sujet patients ou à côté de l’inaffectivité globale, l’athymhormie,
est marié, a des enfants, occupe une situation sociale ne les symptômes de début sont fréquemment constitués dans
s’équivaut pas. Il en est de même pour les décompensations la sphère affective « par des manières bizarres, et ambi-
paranoïaques, les délires tardifs qui surviennent au milieu de valentes, ou se combinent des “éléments” de cynisme et
la vie… de timidité, d’impudeur et de honte, de défi et d’angoisse ».
Qu’est ce qui singularise un sujet psychotique ? C’est Cet auteur note qu’« il arrive que les pratiques mastur-
son rapport à la réalité commune marquée par la certitude batoires, l’inversion sexuelle, les fixations incestueuses
de détenir la vérité. Ce rapport altéré à soi-même et au soient parfois étonnamment exhibées dans leur comporte-
monde a des implications sur le corps, les pensées, le dis- ment ». L’apragmatisme sexuel est également une compo-
cours et les actes. Le concept d’aliénation devenu obsolète sante d’une sexualité marquée « par les fixations auto-
résume ce rapport autre à soi-même et à autrui (perte de la érotiques et narcissiques ». Faute d’être barré par l’interdit
liberté, de la contingence, soumission à un autre en place œdipien de l’inceste, la relation amoureuse peut être trans-
de toute puissance). La conscience de la maladie qui déter- gressive : fixation amoureuse à un parent (la mère en parti-
mine la compliance aux soins, les expressions symptoma- culier), à un frère ou à une sœur avec harcèlement. Cette
tiques, la nature du lien conjugal, familial ne sont pas conjoncture déstabilisante pour l’autre pouvant aboutir à

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Psychose et amour

des situations incestueuses que la psychose ne résume pas. portable est écartée défensivement par le moi. Ils aiment
L’autre de la relation amoureuse peut être réduit à une par- donc le délire comme ils s’aiment eux-mêmes. Voilà le
tie de son corps dans une fétichisation qui conduit à des secret (S. Freud) [8]. » Cette activité compensatoire qui per-
pratiques perverses chez certains sujets psychotiques. met de « s’habituer d’être exclu du bonheur de l’amour »
La déliaison Éros-Thanatos, les phénomènes de clivage [8] se développe au détriment d’intérêts autres ;
peuvent libérer des forces meurtrières que l’on rencontre
– les conséquences inhibitrices des neuroleptiques et à
chez des patients criminels. Le contexte de froideur affec-
moindre degré des antipsychotiques, des antidépresseurs
tive, cette irruption pulsionnelle chez des sujets étiquetés
sur la libido. Ces incidences dont souffrent les patients et
« pervers narcissiques » peuvent amener à débattre de la
psychose. Le scénario pervers, s’offrir à la jouissance de leur conjoint/conjointes peuvent être à l’origine de la
l’autre, ou l’instrumentaliser à son service, manque dans demande de diminution voir d’interruption du traitement
ces cas. Des faits divers attestent de la nature potentielle- ou de son changement. Cette exigence peut amener a
ment criminogène de l’absolu d’un « amour fou » et de ses des négociations voire des ruptures en cas de position
forces négatives : drames de la jalousie, de la passion intransigeante des uns ou des autres. La quête d’alliance
amoureuse, de la séparation, du dépit amoureux qui mobi- thérapeutique doit prendre en compte cette dimension,
lisent désarroi, sentiment de haine et de désir de vengeance. sans négliger d’autres critères qui peuvent être considérés
Si pulsion de vie (la libido) et pulsion de mort (la destruc- comme prioritaires.
tivité) sont intriqués, selon le modèle du dualisme des
instincts éclairés par Freud dans son texte de 1920 [7],
l’automatisation, la prévalence de la pulsion de mort peut Psychose, lien amoureux
être à l’œuvre quant le sujet est « hors de lui » lors d’un et lien thérapeutique
raptus pulsionnel ou au long cours, dans certaines formes
de psychose mettant à nu la pulsion de mort. L’amour laisse La clinique nous amène dans la quotidienneté des suivis
alors place à une jouissance sadique. Celle-ci, retournée thérapeutiques à saisir les effets de la psychose sur
contre soi dans l’hallucination ou une construction l’ensemble des liens familiaux, sociaux, l’insertion profes-
délirante peut entraîner un acte d’automutilation dans la sionnelle. L’existence d’un lien amoureux, de la relation à
sphère sexuelle. « Il y a toujours une logique de l’acte, un partenaire, conjoint(e), comme élément de stabilisation,
même si celui-ci paraît insensé, immotivé, irrationnel, fou comme « suppléance » (J. Lacan) n’est pas suffisamment
ou passionnel [11]. » Comme l’indique H. Ey dans l’article pris en considération comme point d’ancrage de la relation
précité [5], faute de réussir une véritable rencontre, c’est thérapeutique. Le lien au partenaire est de nature hétéro-
l’inhibition, l’échec qui amène a des pratiques masturbatoires gène et peut être décomposé en trois éléments : le lien
par défaut d’une relation à l’autre sexe ou comme finalité amoureux, mouvement affectif de nature libidinale, tendu
auto-érotique de nature narcissique et quasi autistique. Un vers l’autre, le lien de nature sexuelle, le partenaire sexuel,
vécu dépressif, dépréciatif, de désolation (au sens propre le lien conjugal ou marital à caractère symbolique qui
de solitude) accompagne ces actes souvent ritualisés. s’appuie sur la notion de couple, de famille et un statut
Les patients ne parlent pas spontanément de ces pratiques réglementaire la loi, le Code civil. Le couple est en effet
hormis pour se plaindre des effets du traitement neurolep- après la relation aux parents, la famille originelle, l’expé-
rience d’une première communauté et le premier lien social
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tique sur cette sexualité onaniste.
Plusieurs éléments concourent à l’embarras voire à choisi. Pour un sujet adulte, ce cadre structurant, ce
l’échec de la relation amoureuse chez le sujet psychotique : contenant de construction durable a un pouvoir stabilisant
– de structure : nous avons rappelé les difficultés des sujets sur son organisation psychique. La famille consacre les
psychotiques dans les domaines de l’amour, de la sexualité coordonnées symboliques d’un sujet ; elle s’appuie sur
ou d’une déclaration qui évite la maladresse d’une vérité les unités de lieu, c’est l’habitation et le vivre ensemble,
nue non parée de la séduction. Dans la biographie « un de temps, l’inscription dans une rencontre et une histoire
cerveau d’exception » [15] S. Nasar relate la situation du commune, des activités partagées, une généalogie. La
mathématicien John Nash qui ayant déclenché sa psychose filiation, être fils, fille de, père, mère de… l’attribution
s’adresse à sa future femme pour lui dire crûment qu’il a d’une place produisent des effets de discours et structurent
envie de coucher avec elle ; les échanges.
– liés aux effets du contact d’un sujet psychotique sur Ce rappel permet d’envisager les enjeux institutionnels
l’autre : l’hermétisme, la bizarrerie l’étrangeté, la certitude mobilisés par les soins délivrés à un sujet psychotique.
ou les propos délirants sont perçus et amènent à un ressenti Il n’est pas équivalent de s’adresser à un tel sujet isolé ou
de malaise et à la fuite ; à un sujet inscrit dans un lien durable à un partenaire avec
– la charge libidinale mise dans les productions délirantes : lequel l’équipe soignante va être amenée à collaborer par-
« L’idée délirante est maintenue avec la même énergie que fois au long cours comme avec un thérapeute auxiliaire.
celle avec laquelle une autre idée pénible difficilement sup- L’alliance thérapeutique se noue avec le patient mais peut

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G. Jovelet

aussi se construire avec le conjoint qui occupe une place cutive. La reconnaissance et la ferveur de l’épouse pour le
d’instance tierce, de médiateur. professeur qui avait guéri son mari d’un premier accès
Le principe de précaution quant au diagnostic, aux d’hypocondrie dépressive sont à souligner. D’autres
données évolutives, justifie la confidentialité. Une crise indications émaillent le texte comme « les huit années de
psychotique accompagnée de manifestations psychopatho- bonheur à tous égards » passées avec sa femme entre les
logiques avec manifestations délirantes ou hallucinatoires, deux premiers accès [18] ; plus loin les idées de suicide
réactions auto ou hétéro-agressives, peut mettre à mal les qui « s’opposaient aux projets d’avenir par lesquels [sa]
points d’insertion. La place au sein de la famille peut être femme sans cesse s’efforçait de le consoler » [19].
fragilisée ou détruite, de même que l’activité profession- Le départ de cette dernière pour quelques jours autour du
nelle ; les liens environnementaux sont menacés par la 15 février 1984 entraînera un « effondrement nerveux »,
discrimination, le rejet qu’instaure l’étiquette psychiatrique un laissé en plan tel qu’il sollicitera la suspension des visi-
chargée de représentations de peur et de violence. L’hospi- tes ; D.P. Schreber précise que son épouse l’a incité à
talisation peut s’imposer du fait des troubles, du refus de reprendre à la clinique le piano, plus loin le magistrat
soins en ambulatoire, d’une dangerosité liée à l’activité convient que le processus de féminisation qu’il subit est
délirante. Elle peut induire des effets délétères pour le à même de troubler son épouse « à qui [il] conserve tout
patient dans une conjoncture particulière que nous qualifie- son “ancien amour”, tout en se gardant “de toute sentimen-
rons de « double peine ». Cette situation correspond à l’uti- talité fausse” » [20]. Dans un poème écrit en 1907 peu
lisation de ce temps de rupture ou de répit du séjour hospi- avant sa dernière hospitalisation, à l’occasion du 50e anni-
talier pour mettre en acte une séparation, un divorce, pour versaire de Sabrina, son épouse, Schreber écrit : « Ce que
entamer une mesure de protection des biens… Ces déci- nous réserve l’avenir, nous l’ignorons au soir de notre vie,
sions sont plus à craindre quand le recours aux soins a été s’il fallait que rien ne demeure de ce que nous avons désiré
tardif confrontant l’entourage à des situations difficiles, qu’une chose au moins résiste au temps garde moi ton
vécues dans une grande angoisse et parfois une grande soli- “amour ancien” comme je t’ai fidèlement dédié le
tude. Dans l’intérêt du patient il est utile de préserver, pro- mien. » Pour Schreber, l’intensité des phénomènes qu’il
téger sa famille. Trois éléments vont dans la durée comple- décrit avec une minutie scientifique, l’érotomanie divine,
xifier la prise en charge d’un sujet psychotique, la perte de l’éviration, les hallucinations, les effets sur le corps pren-
son travail, la mise à l’écart de ses proches, leur rejet et nent le devant du lien amoureux et y font écran. Ce magis-
le recours à l’alcool, aux toxiques qui ont un effet circulaire trat se défend d’avoir envisagé sereinement le divorce,
d’aggravation. La crise psychotique met à mal le lien amou- mais comprend « combien elle [sa femme] est devenue
reux et le statut social. Le chômage ou l’invalidité entraî- profondément malheureuse de par [sa] maladie, de par la
nent une baisse des ressources et l’infléchissement de l’éco- dissolution de fait, de leur union » [21]… L’épouse est
nomie familiale et des rôles. Les relations sexuelles au sein placée comme figure surmoïque à propos du meurtre
du couple peuvent se trouver perturbées par la modification d’âmes : « N’avez-vous pas honte ? Entendez : devant
du lien amoureux, les effets secondaires (au sens de consé- madame votre épouse [22]. »
cutifs ou de négligeables ?) des traitements psychotropes et Ce cas illustre les effets ravageant de la décompensation
le changement de statut de l’objet. psychotique chez ce haut magistrat qui décédera à l’asile
L’amour chez le sujet psychotique inclut le versant du après une troisième hospitalisation (1907-1911), la perple-
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transfert au thérapeute ou multiréférencé (J. Oury) à une xité de son épouse qui songe à divorcer, les enjeux finan-
équipe soignante à une structure de soins. Cette dimension ciers, et l’alliance, la confiance accordée au Pr Fleschig, le
s’inscrit dans le champ de la psychothérapie des psychoses premier psychiatre consulté.
qui sera le thème d’un prochain numéro de l’Information
psychiatrique. Virginia Woolf
Le récit de sa vie permet avec la lecture de ses ouvrages
Amour, psychose et littérature et d’extraits de son journal de saisir combien le lien à son
mari Léonard Wolf, qui l’a rencontrée alors qu’elle avait
La première étude s’appuie sur la monographie cano- déjà présenté des épisodes dépressifs a permis une relative
nique issue des cinq psychanalyses, le cas Schreber. stabilisation et de maintenir vivant le processus de création
littéraire, une nécessité absolue, toujours produit dans la
Daniel Paul Schreber souffrance de la lutte entre raison et folie. V. Woolf
Dans ses écrits Mémoires d’un névropathe [17], le haut acceptera de son mari qu’il soit un soignant, un tuteur, un
magistrat évoque succinctement la relation à sa femme, thérapeute auxiliaire rigide dans les consignes hygiéno-
Sabine Behr, de quinze ans sa cadette, épousée en 1878, diététiques qu’il édicte, ce qui contraste avec la complai-
plus longuement à ses médecins, en particulier le sance quant aux liaisons homosexuelles de celle qu’il
Pr Fleschig, support d’un transfert massif de nature persé- protège et contrôle. Une de ses biographes, A. Lemasson

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Psychose et amour

[13], pose avec justesse la question de la cause de cet Le transfert à Nora est marqué par la massivité des affects
homme « dont on peut se demander si le rêve secret n’était et la dépendance à l’objet. Joyce, son être, son œuvre sont
pas de se consacrer entièrement à son épouse, au service de indissociables du lien à Nora Bernache, sa condition
quelle jouissance » ? V. Forrester [6], dans un travail récent d’existence [14].
sur l’écrivain, apporte des précisions sur le creuset intellec- On constate à l’identique d’autres affections évoluant au
tuel et artistique qu’a constitué le groupe de Bloombury, long cours, neurologiques, rhumatologiques, l’absence de
dont V. Wolf était une personnalité marquante. V. Forrester symétrie hommes-femmes. Le repli d’une épouse sur une
s’attache à décrire avec finesse la nature ambivalentielle, position maternelle n’est pas calqué sur la place qu’occupe
complémentaire, des liens entre Virginia et son mari, une femme pour un homme, d’abord objet de désir.
Léonard, en insistant sur les rapports à sa judaïté dans Dans cette évocation trouve sa place le couple formé par
cette période de montée du fascisme. Le premier tiers du Clara et Robert Schumann [16] ; ce dernier compositeur
livre consiste en une critique sévère des figures paternelles, était maniaco-dépressif. Les périodes de marasme dépressif
L. Stephen, le père de Virginia, et Léonard, le mari, avec contemporaines d’un appauvrissement de sa production
son caractère opportuniste, rigide et répressif. L’auteur musicale justifieront plusieurs hospitalisations en clinique.
insiste sur les interdits que le mari a posés, en particulier Clara soutiendra avec dévouement et passion son mari, sa
de la maternité et sur les exigences, ces principes hygiénis- vie durant, au prix de sacrifier sa propre création musicale
tes édictés dans la vie quotidienne qui anticipent le cadre de et sa pratique de pianiste virtuose. Elle consacrera après le
l’éducation thérapeutique telle qu’elle est formalisée suicide de R. Schumann, son temps et son énergie à le faire
aujourd’hui chez les patients bipolaires. Cette double dis- connaître et reconnaître.
qualification sert la thèse principale du livre : la maladie de
Dans chacun de cas précités, on note le travail de créa-
Virginia est une construction de ses proches en particulier
tion, la fonction de l’écrit, la fonction protectrice du parte-
de son mari ; elle lui sert à justifier son emprise. V. Forres-
naire comme ancrage dans la réalité. Le lien stabilisant qui
ter résume l’affection mentale à quelques crises dépressi-
en découle est à souligner.
ves qui surviennent en réaction à des traumatismes
affectifs ! Cet a-priori, qui recèle une idéologie féministe
Zelda et Scott Fitzgerald
et antipsychiatrique dénie le témoignage et l’apport
clinique de V. Wolf. L’écrivain, dans son journal, ses lettres Les tensions rencontrées au sein du couple entrent en
ne doutait pas du caractère mélancolique de ses accès, de résonance avec des situations rencontrées dans notre pra-
l’utilité de l’appui apporté par son mari, de l’écriture et de tique et s’inscrivent en contradiction avec les témoignages
la nécessaire reconnaissance de ses proches pour ne pas de sollicitude pour le meilleur ou le pire. Deux livres
sombrer dans la folie et le suicide. La logique de l’acte et récents [3, 24] ont relaté la nature d’une union marquée
son modus operandi étaient inscrits en filigrane depuis par le scandale, le tapage, les excès. Dans l’ouvrage La
longtemps dans l’œuvre. On rencontre de tels renonce- Dernière Femme, de J.-P. Enthoven [3], Zelda est la
ments, effacement de soi au service d’un conjoint malade sixième des neuf femmes dont l’auteur trace le portrait.
dans nos suivis. À côté des partenaires qui fuient dès la « Pourquoi as-tu voulu que je naisse » est le titre de cet
déclaration de la maladie, il y a ceux qui assument une essai qui décrit la marche vers la destruction et l’abîme
posture de « saints laïques », thérapeutes auxiliaires, trou- de Zelda, dont est extrait ce paragraphe : « En quelques
mois, Zelda va utiliser tout ce qui est à sa portée pour per-
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vant là un rôle, une utilité, un sens à leur vie ? Cette posi-
tion de compassion peut receler une emprise sur l’autre au turber le traître (son mari), elle provoque des voyous dans
nom de la bienveillance. Se rapproche de ce cas de figure la la rue, oblige Scott à se battre avec eux, se moque de lui dès
partenaire de John Nash, Alicia, qui a rencontré et épousé qu’ils l’assomment, elle se jette dans l’escalier de pierre qui
ce scientifique alors qu’il était déjà malade : la schizophré- longe la terrasse de la Colombe d’or ; elle détruit le sapin
nie paranoïde du futur Prix Nobel d’économie la mettra de Noël de sa fille et accuse son mari de la tromper avec
sévèrement à l’épreuve de son désir [14]. Hemingway. Elle lui donnera le coup de grâce en couchant
avec un officier français dont les vêtements de coutil blanc
lui rappellent ses flirts d’Alabama. » Ce comportement
James Joyce provocateur « pseudo-hystérique », sa pratique forcenée,
Nora, son épouse, accompagnera le travail d’écriture, la folle, de la danse révèlent une structure psychotique qui
folie et les exigences de l’écrivain, en particulier dans le l’amène à une hospitalisation prolongée à l’asile de
domaine sexuel (les traits pervers ont été identifiés par Higland Hospital d’Asheville, où elle justifiera une alter-
J. Lacan à une père-version) [12], la récurrence des condui- nance d’électrochocs et de cures d’insuline ; Zelda périra
tes d’alcoolisation massives. À travers cette relation, Joyce en mars 1948 dans l’incendie de cet hôpital [24].
a tenté de faire une union absolue du « un » : les rares La mise en perspective de l’amour et de la psychose
moments de séparation provoqueront une poussée de para- constitue un domaine qui est à l’origine de nombreuses
noïa aiguë avec des idées de jalousie ou un vécu persécutif. contributions dans le champ de la littérature dont surréaliste

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G. Jovelet

avec l’ouvrage L’Amour fou d’André Breton, la tragédie, Cette systématisation se rencontre [2] dans :
la poésie, de l’art en général dont le cinéma. L’amour, – les amours imaginaires des schizophrènes, constructions
la passion à la folie sont des universaux qui ont été mis conformes à leur désir, à leur délire de possession, mais ou
au travail et ont contribué à faire œuvre au sens culturel l’autre, l’objet support de la projection, n’est pas convoqué
du terme. ou interpellé en tant que sujet d’où la source de malenten-
dus et de déconvenues (dépit, vengeance) ;
– les fictions, constructions érotomaniaques qui sont
L’Amour à la folie,
l’objet d’un développement clinique à partir de la filiation :
un au-delà de l’amour ? Esquirol, Dide, de Clérambault, Lacan, Perrier, Dalle ;
Dans un ouvrage daté de 1913 et intitulé Les Idéalistes – les délires de jalousie ou de préjudice inclus dans les
passionnés [2], M. Dide s’intéresse à l’idéalisme de psychoses passionnelles.
l’amour, de la bonté, de la justice et de la réforme sociale. Nous retiendrons comme critère de transfert psycho-
L’auteur rapporte les différentes théories philosophiques tique plus que la fixité, l’exclusivité ou l’intensité de la
sur l’amour profane et introduit la question du normal et systématisation liée à l’organisation rigide de la pensée
du pathologique. (le postulat), son renversement logique. Passer d’aimer à
être aimé suppose la mise en œuvre d’un mécanisme de
« La distinction de Krafft-Ebbing entre les mouvements
défense projectif. Le diagnostic différentiel avec Une
passionnels physiologiques et les états psychopathiques
passion simple, titre de l’ouvrage d’A. Ernaux [4], porte
nous paraît très légitime à partir d’une de démarcation
sur la question de la croyance, de la division qui s’oppose
tout au moins théorique entre le normal et l’anormal :
à la certitude. Le névrosé passionné peut se sent agi, n’être
cette ligne est formée par la fixité et le caractère envahis-
plus maître de lui-même, il garde, dans ce mouvement
sant de l’élément passionnel. C’est à notre sens autant
d’élation des sens, des sentiments, de son narcissisme,
l’absence d’élément affectif que son hypertrophie qui est
conscience de la dimension douloureuse et impuissante
pathologique, c’est certainement à des cas que tout clini-
de cette dérive amoureuse. Ne pouvoir vivre ensemble,
cien aura reconnus sous le nom de l’amour effréné : on ne
ne pouvoir être séparés, tel est le dilemme et l’impasse
devient fou d’amour que quand on avait un amour de fou. »
relationnelle passionnelle. Cette question de la passion,
C’est cette idée de démarcation, de franchissement d’une
de l’amour fou amène à interroger les états mystiques de
limite qui légitime l’intitulé un « au-delà de l’amour » qui
contemplation, d’extase dans la vie des saints et saintes
trouve également sa référence dans la structure telle que
martyrs. L’amour est dans ce registre édifiant quant aux
S. Freud l’a pensée en la tirant du cristal.
capacités d’assujettissement, de mortification pour l’amour
Amour de fou : cette formulation est ambiguë par de Dieu, à savoir aimer Dieu et être aimé de lui ! Le Gelas-
l’usage du complément d’objet indirect qui signifie aussi senheit, « l’abandon de soi », marque à la fois l’idée de la
bien aimer à la folie, aimer un fou ou être l’expression contrainte extrême, de la « servitude volontaire » mais
amoureuse d’un fou. L’étude des rapports de la folie avec aussi un accès à une liberté infinie.
l’amour peut s’écrire sous une forme interrogative : amour
par folie ou folie par amour ?
L’objet de l’amour fou
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Amour, passion et aliénation Quelles sont la spécificité de l’objet d’une énamoration
passionnée, ses traits, ses qualificatifs ? Dans le champ de
Pour recentrer notre propos, nous reprendrons les critè- la névrose notre boussole pour interpréter le choix amou-
res de la relation passionnelle monomaniaque tels que Dide reux comporte le repérage d’une identification à l’objet
[2] les a répertoriés. œdipien ou à son contraire (le désir naît de la transgres-
« L’idéalisme amoureux est un phénomène distinct, sion, de l’interdit) ; qu’en est-il pour un sujet psycho-
opposé même souvent à l’instinct génital et, en consé- tique ? Le défaut du signifiant de la fonction paternelle,
quence, il y a lieu d’éviter d’y mêler toutes les manifesta- qui permet l’accès au symbolique, peut amener à des
tions normales ou anormales de cet instinct. Elles ne peuvent choix d’objets non barrés par cet interdit œdipien. C’est
être constatées qu’à l’état de phénomènes surajoutés, et le ainsi que peuvent être interprétées certaines transgres-
caractère le plus constant de l’idéalisme amoureux est la sions sexuelles intrafamiliales. Une observation de
chasteté. La systématisation se fait d’emblée et se produit M. Georget, tirée du procès Feldtman [10] en témoigne.
dans l’activité affective sous forme d’une inclination qui Y. est jugé comme un père qui a poursuivi des années
prend brusquement un caractère de fixité anormale (c’est le durant d’une folle assiduité et d’une passion violente
caractère exclusif de la passion qui lui donne surtout son l’une de ses filles, au mépris des discours de bon sens
cachet pathologique). Un certain degré d’hypertrophie de de son entourage, d’un pasteur, puis des mises en garde
la personnalité semble nécessaire pour permettre cette systé- de la justice : ce harcèlement incestueux se conclura par le
matisation affective ». meurtre de la jeune fille.

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Psychose et amour

L’objet peut être paré de toutes les vertus, non barré par concert, comprend brusquement que la pianiste inconnue
la division, la castration, ce qui éclaire la massivité et la joue pour lui et lui dit son amour : révélation assez explo-
durabilité de tels transferts. C’est l’idéalisation, la projec- sive pour provoquer bientôt un internement. Il supporte
tion et la mégalomanie du moi idéal qui sont aux comman- vaillamment l’épreuve, joue même d’un violon qui grince
des de ces états. En résulte le choix d’objet d’« homme de pour se faire entendre de son objet “grâce à certaines
bien » (F. Perrier), auréolé de prestige, d’une prestance inflexions qu’il sait donner à ses phrases en bordant
autant que d’une position sociale élevée, prêtre, médecin, parfois des ‘croix’, parfois des ‘couronnes musicales.’
« patron », artiste pour les érotomanes. La position imagi- Observation qui met en relief la fonction des ondes
naire d’absolu entraîne des réactions de jalousie, de persé- (radio, télévision, téléphone) comme moyen de transmis-
cution, de destruction. Ailleurs, l’objet peut être, faute du sion du message affectif.” » Cette mauvaise rencontre au
brillant phallique, ravalé à une pure fonction, à un objet sens ou elle provoque l’irruption délirante est-elle aléatoire
partiel interchangeable dans le « pousse à la perversion » ou prédéterminée ?
rencontré dans certaines psychoses.
Nous retrouvons une conjonction de l’amour fou dans le
phénomène sectaire ou le sujet paranoïaque le plus souvent, Amour, psychose et lien social
parfois pervers induit une relation de dépendance passion- Cette contribution sur la nature de la rencontre amou-
nelle et d’assujettissement, tentative folle de faire du lien reuse chez le sujet psychotique comporte un rappel de la
social ou du moins communauté. Des paraphrènes ont place éminente des partenaires et de la nature des liens
pu occuper cette place d’exception, de leader, de gourou tissés dans les conditions même de l’existence et le deve-
tel Rael… nir de l’être psychotique, de la maladie et de son destin :
La position de soumission du sujet psychotique au stabilisation, déclenchement, trajectoire de la vie, trajec-
regard de l’autre éclaire la posture de victime de violences, toire de soin. Pour un sujet psychotique le lien amoureux
elle peut les amener à se faire objet de jouissance de l’autre est le premier, au sens de prééminent, lien social et ce
homo ou hétérosexuel voit être en position de prostitution. sujet peut y achopper dans sa réalisation (rencontre,
Cette place peut relever d’une logique délirante, d’être la nomination, fonction de père) ou dans sa destitution
femme de tous les hommes ou de se donner pour quasiment (abandon, laisser en plan) qui est tout autant source
rien en échange. de ravage. Ailleurs une rencontre est à même d’avoir
Le choix d’objet peut être cerné par la question du des effets de pacification, servir de « suppléance »
genre… Nous faisons ici référence aux travaux de Freud (J. Lacan). Les effets peuvent être surprenants coïncidant
sur le choix d’objet de nature homosexuelle dans la para- avec l’abrasion du délire, des troubles du comportement.
noïa [9]. Pour J. Lacan, il ne s’agit pas d’une homosexua- Quelles incidences ont les liens amoureux sur les mani-
lité latente mais d’un mécanisme d’éviration de « pousse à festations psychotiques ? Pour les sujets suivis en psychia-
la femme » [12], qui opère de façon exemplaire chez trie, population qui ne recouvre pas les sujets psychotiques,
Schreber. une majorité d’entre eux, restés célibataires, divorcés sont
domiciliés chez leurs parents ou séjournent seuls dans des
Les conditions de déclenchement conditions précaires. Ces patients vivent plus rarement en
couple, avec un partenaire névrosé ou psychotique, confi-
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de l’amour fou
guration assez fréquente liée à une rencontre dans nos
La « cristallisation », pour reprendre la métaphore de structures de soins et amplifiée par la stigmatisation
Stendhal [23], comporte un arrêt sur image qui ne corres- ambiante.
pond pas comme chez le névrosé à une rencontre, le coup Être en position de conjoint d’un sujet psychotique
de foudre, qui actionne le fantasme, le désir inconscient… décompensé et accompagner, voire partager l’aventure de
Les éléments opérateurs chez le sujet psychotique sont les la maladie amène à s’inscrire dans un lien d’intimité parfois
objets partiels délimités par Freud, dont la voix et le préservé, le plus souvent envahi, mis à mal par le délire, les
regard : le regard, c’est littéralement l’intuition, l’intelli- projections hostiles, les interprétations, la massivité du
gence au sens premier de relier des données ensemble transfert et des attentes souvent démesurées. La volonté
pour aboutir à une compréhension immédiate et durable. de faire du « tout » suppose un effacement de l’autre.
C’est dans ce moment de bascule que surgit l’excès de La clinique oscille entre les manifestations bruyantes,
sens, la « perte de la catégorie de la contingence » spectaculaires, inquiétantes et l’indifférence, le repli hypo-
(G. Lantéri-Laura) qui sont constitutifs de la paranoïa. condriaque et narcissique ou l’autre n’a plus sa place.
B. Dalle [1] reprend un cas d’érotomanie qui éclaire les Le lien au corps, aux objets, aux autres en place d’idéal
conditions d’émergence de cette réalité délirante : « La ou de persécuteur, au corps social est affecté chez ces
révélation est auditive comme le décrit Guy Rosolato à sujets. La maladie mentale se manifeste dans les liens affec-
propos d’un homme de quarante ans qui, écoutant un tifs avec les proches et les passages à l’acte se développent

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G. Jovelet

d’abord dans la sphère intrafamiliale. Les crises survenues Références


au domicile, l’insécurité affective, la crainte du passage à
l’acte mettent à l’épreuve les proches. 1. Dalle B. Quelques notes sur la dynamique transférentielle
Autant d’histoires individuelles et familiales marquées dans le champ érotomaniaque. Nervure 1988 ; 5 : 42.
par des ruptures, de la souffrance, de la jouissance, et de la 2. Dide M. Les Idéalistes passionnés. Paris : Alcan, 1913, p. 16,
dépendance à l’objet. La séparation est une menace qui 58.
peut entraîner le déclenchement de la maladie et des réac- 3. Enthoven JP. La Dernière Femme. Paris : Grasset, 2006,
tions médico-légales chez un sujet psychotique perçu p. 220.
jusque-là comme normal voire « hyper normal » dans ses 4. Ernaux A. Passion simple. Paris : Gallimard, 1992.
relations conjugales et parentales.
5. Ey H. « Groupe des schizophrénies – Description clinique de
On observe une modification des relations entre
la forme typique ». In : Encyclopédie médico-chirurgicale
conjoints, famille et soignants favorisée par les groupes de psychiatrie. Paris, 37282 A10, 1955, p. 10.
rencontres et d’échange mis en place à l’initiative de
l’Unafam et par la prise de conscience de cette fonction 6. Forrester V. Virginia Woolf. Paris : Albin Michel, 2009,
p. 347
d’étayage qu’assument les proches, élément déterminant
dans le projet de réinsertion ou son maintien. 7. Freud S. Dualisme des instincts de vie et des instincts de
En termes de paternité, de maternité, nous ne ferons que mort. Essais de psychanalyse. Paris : Payot, 1972, p. 55-77.
rappeler les réponses possibles depuis des attitudes répres- 8. Freud S. Lettres à Wilhelm Fliess. Manuscrit (H) paranoïa.
sives de contraception ou d’IVG imposées à titre thérapeu- Paris : PUF, 2006, p. 145.
tique qu’il nous a été donné d’observer, à une tolérance, un 9. Freud S. « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie
accompagnement possibles. Pour les patients psychotiques d’un cas de paranoïa ». In : Cinq psychanalyses. Paris : PUF,
les plus jeunes, en particulier schizophrènes, le lien amou- 1980, p. 31.
reux, la sexualité amènent à des questions délicates pour la 10. Georget E. Examen médical des procès criminels des nom-
famille, les équipes principalement en terme d’accès à la més Léger, Feldtman, Lecouffe. Paris : Migneret, 1825,
paternité, à la maternité. Le projet d’avoir un partenaire, p. 17-22.
de fonder une famille émerge de façon prioritaire dans les 11. Jovelet G. L’acte en psychiatrie aujourd’hui. L’Information
groupes de parole de patients comme une volonté d’affir- psychiatrique 2006 ; 82 : 105-19.
mation de soi, un désir d’accéder à la norme sociale, posée
12. Lacan J. « Joyce était-il fou ? ». In : Le Séminaire, Livre
comme un équivalent de rémission, de guérison. La prise XXIII, « Le Sintome ». Paris : Seuil, 2005, p. 77-89
en compte de leur parole et celle de leurs proches dans un
projet participatif sont inscrites dans la démocratie sanitaire 13. Lemasson A. Virginia Woolf. Paris : Gallimard, 2005, p. 143.
appuyée sur la loi du 4 mars 2002. On est passé du patient 14. Maddox B. Nora, la vérité sur les rapports de Nora et James
objet de soins au sujet du soin, ce qui n’équivaut pas à un Joyce. Paris : Albin Michel, 1988, p. 560.
sujet demandeur de soins ! 15. Nasar S. Un cerveau d’exception. De la schizophrénie au
prix Nobel. Paris : Calmann-Levy, 2000, p. 538.
Conclusion 16. Samuel C. Clara S. La force d’une passion. Paris : Flamma-
rion, 2006, p. 417.
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Ce parcours de l’amour dans les psychoses démontre que
17. Schreber DP. Mémoires d’un névropathe. Paris : Seuil, 1975,
le sujet psychotique est sujet à l’amour. Il lui permet dans p. 45.
des situations ordinaires une stabilisation. Dans d’autres
occurrences l’amour dans sa version passionnelle, d’inter- 18. Ibid., p. 45.
prétation délirante comporte des risques. L’amour, c’est 19. Ibid., p. 51.
aussi le support du transfert dans lequel le thérapeute se 20. Ibid., p. 152 (note 76).
fait partenaire du sujet. L’insertion des patients dans la
21. Ibid., p. 336-337.
cité, grâce à la politique de secteur, amène à prendre en
considération à côté de données psychiatriques, sociales, 22. Ibid., p. 249 (note 114).
le versant affectif, amoureux, de leur existence. 23. Stendhal. De l’amour. Paris : Gallimard, 1980, p. 31.
24. Taylor K. Zelda et Scott Fitzgerald : les années vingt jusqu’à
Conflits d’intérêts : aucuns. la folie. Paris : Littérature Autrement, 2003, p. 485.

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