Progres Technique, Commerce International Et Travail Peu Qualifie

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DIRECTION DE LA PRÉVISION

PROGRES TECHNIQUE,
COMMERCE INTERNATIONAL
ET TRAVAIL PEU QUALIFIE

Jean-Philippe COTIS, Jean-Marc GERMAIN, Alain QUINET

Document de travail
N° 96-2
PROGRES TECHNIQUE, COMMERCE INTERNATIONAL
ET TRAVAIL PEU QUALIFIE

Jean-Philippe COTIS
Jean-Marc GERMAIN
Alain QUINET

DOCUMENT DE TRAVAIL

N° 96-2

Ce document de travail n’engage que ses auteurs. L’objet de cette diffusion


est de stimuler le débat et d’appeler commentaires et critiques.

MINISTERE
DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES
DIRECTION DE LA PREVISION
139, rue de Bercy - Bâtiment VAUBAN
75572 PARIS CEDEX 12
SOMMAIRE

INTRODUCTION

I - LES FAITS STYLISES : RALENTISSEMENT DES GAINS DE


PRODUCTIVITE GLOBALE ET DETERIORATION DE LA SITUATION
RELATIVE DES TRAVAILLEURS LES MOINS QUALIFIES

I.1 - L'élargissement de l'éventail des salaires aux Etats-Unis

I.2 - Une tendance à la détérioration des conditions d’emploi des travailleurs les
moins qualifiés commune à la plupart des pays de l'OCDE

II - POURQUOI LA SITUATION RELATIVE DES TRAVAILLEURS LES


MOINS QUALIFIES TEND-ELLE A SE DETERIORER ? UNE
TENTATIVE DE CLARIFICATION CONCEPTUELLE

II.1 - Trois types d’approches

II.2 - L’analyse des effets de l’ouverture du commerce international sur


l’économie

II.3 - Les effets attendus des différentes catégories de chocs

II.4 - Un modèle d'équilibre général permet de préciser les effets attendus des
différentes catégories de chocs et de les mettre en regard des "faits stylisés"

III - L’EVOLUTION DE L’OFFRE RELATIVE DE TRAVAIL QUALIFIE

III.1 - Une analyse fondée sur les fluctuations de l’offre relative d’offre de travail
qualifié

III.2 - La diversité des situations nationales

IV - LA BAISSE DE LA DEMANDE RELATIVE DE TRAVAIL NON


QUALIFIE : COMMERCE INTERNATIONAL OU PROGRES
TECHNIQUE BIAISE ?

IV.1 - Les études empiriques nord-américaines sur le rôle du commerce


international

IV.2 - Une tendance générale à la sous-estimation du rôle du commerce


international

IV.3 - Les nouvelles technologies sont-elles intrinsèquement biaisées en défaveur


du travail non qualifié ?
V - D’AUTRES PISTES A EXPLORER DU COTE DE LA DEMANDE : LE
ROLE DES CHOCS MACROECONOMIQUES ET DES INSTITUTIONS

V.1 - Le rôle des chocs macroéconomiques

V.2 - La dissipation des rentes et la perte d’influence des syndicats

CONCLUSION

ANNEXES

BIBLIOGRAPHIE

2
INTRODUCTION lesquelles s’exercent les activités économiques.
L’importance des phénomènes d’apprentissage
Les économies de l’OCDE connaissent depuis le pour en tirer le meilleur parti place peut-être les
début des années soixante-dix un ralentissement travailleurs les moins qualifiés dans une situation
durable des gains de productivité globale. Pour plus défavorable ;
l’ensemble de la zone, ceux-ci sont passés de 3 %
par an entre 1960 et 1973 à 0,7 % entre 1973 et - un mouvement général de libéralisation des
1992. Ce ralentissement, que l’on peut qualifier de marchés de produits et des marchés du travail,
paradoxal dans la mesure où l’on n’a pas le accompagné d’un certain affaiblissement des
sentiment que le progrès technique se soit ralenti institutions (négociations centralisées, syndicats)
au niveau des entreprises, a pesé sur l’évolution qui tirent traditionnellement dans le sens d'une
générale des salaires. Aux Etats-Unis, où les gains compression de l’éventail des salaires.
de productivité sont particulièrement faibles Il existe un assez large consensus pour estimer que
depuis le début des années soixante-dix, le salaire ces trois phénomènes tendent à peser sur la
horaire réel moyen ne s'est accru que de 5 % entre rémunération relative des travailleurs les moins
1973 et 1991 (Lawrence et Slaughter, 1994). qualifiés. En revanche, leur impact respectif fait
Ce ralentissement général s’est accompagné, avec l’objet de vives controverses. Aux Etats-Unis, pays
un certain décalage, d’une dispersion accrue de où le mouvement de dispersion des salaires est à la
l’éventail des salaires, notamment aux Etats-Unis fois le plus prononcé et le mieux documenté,
et au Royaume-Uni. En dépit de l’accroissement certains économistes (Lawrence, Krugman,
remarquable de la qualification de la population Bhagwati, entre autres) tendent en règle générale à
active, le travail non qualifié s’est dévalorisé. Dans disqualifier le rôle du commerce international et à
les pays d’Europe continentale, où les salaires mettre l’accent sur la nature du progrès technique
relatifs ont fait preuve d’une plus grande stabilité, contemporain : celui-ci serait intrinsèquement
le chômage affecte massivement les segments les “biaisé” en défaveur du travail non qualifié.
moins qualifiés de la population active. L’enjeu de ce débat n’est pas purement
Cette double évolution - ralentissement de la académique. Si le jeu du commerce international
croissance générale des salaires depuis le début est effectivement prédominant, l’insertion dans le
des années soixante-dix et détérioration de la commerce mondial de très grands pays à faibles
situation relative des travailleurs les moins coûts de main d’oeuvre, tels la Chine et l’Inde,
qualifiés depuis le début des années quatre-vingts - pourraient laisser présager une accélération des
a coïncidé avec trois changements majeurs : tendances observées depuis le début des années
quatre-vingts. Dans un tel contexte, les débats
- l'insertion accélérée dans le commerce relatifs aux relations commerciales, aux tarifs
international de produits manufacturés de pays à douaniers et aux questions des taux de change
faibles coûts de main d'oeuvre. La part des pays en revêtiront une importance croissante dans les
développement dans les exportations mondiales de années à venir.
produits manufacturiers est en effet passée de
9,7 % en 1980 à 15,8 % en 1990. Or, la théorie du Or, si la majorité des études disponibles aux Etats-
commerce international nous enseigne que si Unis semble privilégier la thèse d'un progrès
l’échange international permet de réallouer les technique biaisé, ces conclusions restent débattues.
ressources de chaque pays vers les emplois les plus On ne dispose que de mesures très imparfaites du
efficaces et de faire jouer les économies d’échelle, progrès technique (dépenses de recherche-
il déforme, dans le même temps, la structure de développement, brevets,...) si bien que les preuves
rémunération des facteurs de production au sein de directes de l'existence d'un tel biais sont peu
chaque pays. Il peut en particulier engendrer une nombreuses. Le biais technologique ne constitue
baisse du niveau de la rémunération du facteur qui généralement qu’une hypothèse par défaut,
s’est raréfié du fait de la spécialisation des avancée après que la prise en compte des autres
économies, à savoir le travail non qualifié dans les facteurs susceptibles d’affecter l’éventail des
pays de l’OCDE ; salaires ou l’emploi peu qualifié a laissé un large
résidu inexpliqué. Plus fondamentalement, cette
- la diffusion à grande échelle des technologies de thèse du progrès technique suscite un certain
l’information. La miniaturisation - avec les nombre d'interrogations :
microprocesseurs - et l’envoi d’information à
distance - avec les réseaux de télécommunications - comment un progrès technique peut-il être si
- ont profondément modifié les conditions dans violemment biaisé en défaveur du travail non

3
qualifié et n'avoir qu'une incidence somme toute décennies de croissance exceptionnellement forte
modeste sur la productivité globale des facteurs ? et marque le retour vers les tendances de
productivité de longue période. Aux Etats-Unis en
- le progrès technique peut-il être biaisé au point
revanche, les gains de productivité globale, qui
de faire baisser la rémunération des travailleurs les
n'avaient pas accéléré durant les Trente glorieuses,
moins qualifiés ? Cette baisse, qui n’affecte pour
sont depuis le début des années soixante-dix bien
l’heure que les seuls travailleurs non qualifiés des
inférieurs à leur tendance de long terme (0,5 % par
Etats-Unis, préfigure-t-elle une évolution appelée à
an en moyenne contre 1,9 % en moyenne entre
se généraliser à l’ensemble des autres pays de
1913 et 1973). Ce ralentissement apparaît quelque
l'OCDE, ou est-elle le fruit d'idiosyncrasies
peu paradoxal, dans la mesure où l’on n'a pas le
américaines (faiblesse des gains de productivité,
sentiment que le changement technique se soit
désyndicalisation, immigration toujours
ralenti au niveau des entreprises. Comme le fait
vigoureuse, plus grande exposition à la
remarquer Solow sous forme de boutade, “les
concurrence des pays émergents,...).
ordinateurs sont partout sauf dans les statistiques
- ce biais, s'il existe, est-il déterminé, de manière de productivité”.
exogène, par l'évolution de la technologie, ou
Quoi qu'il en soit, ce ralentissement, en réduisant
reflète-t-il le souci des entreprises de renforcer leur
le "surplus distribuable" aux salariés, a sans doute
flexibilité et la polyvalence des tâches pour
pesé sur l'évolution des salaires, qui ont fortement
s'adapter à un marché des biens devenu à la fois
décéléré depuis le début des années soixante-dix.
plus instable et plus concurrentiel ?
Cette décélération générale rend d’autant plus
Ce “survol” a pour objet d'examiner dans quelle sensible la question de l’élargissement de l'éventail
mesure la littérature théorique et empirique permet des salaires et d'une détérioration de la situation
d'apporter des éléments de réponse à ces relative des travailleurs les moins qualifiés.
différentes questions. On présentera
successivement : I.1 - Aux Etats-Unis, où la flexibilité des
- les principaux faits stylisés relatifs à la situation salaires relatifs est très forte, l'éventail
des travailleurs les moins qualifiés, avec une des salaires s'est considérablement élargi
attention plus particulière accordée au cas depuis le début des années quatre-vingt
américain, qui est sans conteste le mieux
documenté ; L'indicateur le plus couramment utilisé pour
mesurer cette dispersion, le logarithme des écarts
- un cadre d’analyse mettant en évidence le rôle de salaires, est passé pour les travailleurs de sexe
des différents facteurs susceptibles d’affecter la masculin entre les 90ème et 10ème centiles de 1,23 à
situation relative des travailleurs peu qualifiés ; 1,40 entre 1979 et 1990, soit une augmentation de
- une confrontation des différentes thèses en 17 % (Katz, Loveman et Blanchflower, 1992). Cet
présence. Après avoir mis en exergue élargissement de l'éventail des salaires reflète une
l’accroissement de l’offre relative de travail érosion du centre de la distribution : en 1990, 35 %
qualifié dans les grands pays de l’OCDE, on des hommes jeunes (25-34 ans) avaient des
examinera les facteurs de demande. Le débat tend revenus compris dans une bande de 30 % autour de
à se focaliser sur l’impact respectif du commerce la moyenne des revenus de leur classe d'âge, contre
international et du progrès technique. D’autres 41 % en 1980 (Freeman et Katz, 1994).
pistes de réflexion méritent cependant d’être Si l'on affine l'analyse, on s'aperçoit que ce
explorées, notamment le rôle des chocs mouvement de dispersion affecte l'ensemble des
macroéconomiques, la dissipation des rentes groupes sociaux et démographiques. Seul l'écart de
d’entreprises et l’affaiblissement des institutions salaire entre hommes et femmes s’est réduit, de
sur le marché du travail. 10 % en moyenne, au cours de la décennie quatre-
I - Les faits stylisés : ralen-tissement des gains de vingts (Blau et Kahn, 1994a).
productivité globale et détérioration de la situa- a) La prime d'éducation dont bénéficient les
tion relative des travail-leurs les moins qualifies "college graduates" relativement aux "high school
On observe un ralentissement des gains de graduates", après avoir diminué dans les années
productivité globale des facteurs dans l'ensemble soixante-dix (de 48 % en 1971 à 38 % en 1979) a
de l'OCDE depuis le début des années soixante- augmenté dans les années quatre-vingts, pour
dix. Ce ralentissement, documenté notamment par atteindre 58 % en 1989 (Murphy et Welch, 1992).
Maddison (1987), a mis fin en Europe à trois Alors que dans les années soixante-dix l'afflux sur

4
le marché du travail des diplômés de qualifiés, un “tournoi” (Krugman) dans lequel les
l'enseignement supérieur issus des cohortes du vainqueurs bénéficient de gains très importants.
"baby-boom" avait eu pour effet de resserrer
l'éventail des salaires par niveau de qualification I.2 - Cette tendance à la détérioration
(Levy et Murnane, 1992), les années quatre-vingts des conditions d’emploi des travailleurs
ont été marquées par une hausse du rendement de
les moins qualifiés, sans être universelle,
l'éducation. Selon Bound et Johnson (1992), le
salaire moyen des "college graduates" a crû de se retrouve dans les plupart des autres
15 % relativement au salaire moyen des "high pays de l'OCDE
school graduates" entre 1979 et 1988. Sur la même Aucun des autres pays de l’OCDE ne semble avoir
période, le salaire des travailleurs en cols blancs enregistré de baisse du niveau du salaire réel parmi
du secteur manufacturier a cru de 10 % les segments les moins qualifiés de sa population
relativement au salaire des travailleurs manuels active. En revanche, la prime liée à l'expérience et
(Lawrence et Slaughter, 1993). Ce phénomène se à l'éducation a eu tendance à croître très
poursuit, mais à un rythme ralenti au début des généralement au cours des années quatre-vingts
années quatre-vingt-dix : le taux de croissance dans les pays pour lesquels on dispose de données
annuel moyen du salaire relatif des "college (Etats-Unis, France, Allemagne, Australie, Pays-
graduates" mâles est passé de 1,8 % entre 1979 et Bas, Royaume-Uni etc... sauf la Suède) (Davis,
1988 à 0,7 % entre 1988 et 1993 (Bound et 1992).
Johnson, 1994).
a) Parmi les pays couverts par des études publiées,
b) L’élargissement de l'éventail des salaires par seuls la France, les Pays-Bas (Davis, 1992) et
niveau de qualification s'est accompagné d'une l'Allemagne (Abraham et Houseman, 1994) ne
baisse du pouvoir d'achat des travailleurs les moins semblent pas avoir enregistré de hausse de la
qualifiés. Sur la période 1979-1989, le salaire prime liée à la qualification.
horaire réel du dernier décile a diminué, dans une
proportion qui varie de 11 à 20 % selon la source Au Royaume-Uni, pays où le marché du travail est
statistique utilisée (Freeman et Katz, 1994). devenu plus flexible, l'éventail des salaires s'est
considérablement élargi. Cependant, le pouvoir
c) Cette amélioration du salaire relatif des d’achat des travailleurs les moins qualifiés stagne
travailleurs qualifiés va de pair avec une mais ne baisse pas comme aux Etats-Unis. Entre
amélioration du salaire relatif des travailleurs les 1978 et 1992, le salaire réel horaire médian des
plus expérimentés. Entre 1979 et 1987, le salaire hommes a cru de 27 %, tandis que celui du dernier
hebdomadaire des hommes de 40-50 ans a crû plus décile croissait de 44 % et celui du premier décile
vite que celui des hommes de 20-30 ans (+ 25 % était stable (Gosling Machin et Meghir, 1994).
en moyenne), cette amélioration étant davantage L'éventail des salaires par niveau de qualification
sensible au sein des catégories professionnelles les s'est également élargi durant les années quatre-
moins éduquées (Davis, 1992). vingts en Italie (Erikson et Ichino, 1994), au
d) Le processus de dispersion des salaires est Canada, en Suède et en Australie (Davis, 1992).
qualifié par Krugman de "fractal", dans la mesure En Europe continentale, l'éventail des salaires est
où il s'observe quelle que soit la finesse du resté relativement stable (cf tableaux 1 et 2),
découpage. L’élargissement de l’éventail des notamment en Allemagne (Abraham et Houseman,
salaires entre qualifications s’accompagne en effet 1994), en France (Katz, Loveman et Blanchflower,
d’une dispersion croissante des salaires au sein de 1994), et dans les pays scandinaves (OCDE,
chaque qualification. Ce processus, à l'oeuvre 1993). L’éventail des salaires s'est également peu
depuis le début des années soixante-dix (Juhn, élargi au Japon (Katz et Revenga, 1989, Katz,
Murphy et Pierce, 1993) est plus prononcé pour les Loveman et Blanchflower, 1994).
qualifications élevées. Dans un certain nombre de
professions (professions libérales, métiers du b) L’éventail des salaires en fonction de l’âge s’est
spectacle), un petit nombre de “vedettes” accru dans l’ensemble des pays étudiés, y compris
s'approprie la majeure partie des gains (“winner- ceux qui n’ont pas connu de tendance à la
takes-all”), parce que leur réputation se diffuse dispersion générale des salaires. C’est le cas
très rapidement grâce aux technologies de notamment de l’Allemagne (Abraham et
l'information (Rosen, 1981). Le marché du travail Houseman, 1994) et de la France (Katz, Loveman
tend ainsi à devenir, dans ses segments les plus et Blanchflower, 1994). Seul le Japon fait
exception (Katz et Revenga, 1989).

5
c) On pourrait s'attendre à ce que les pays qui n'ont changements de l’environnement économique à la
pas enregistré de variation significative des déformation de la structure des salaires et du
salaires relatifs subissent en contrepartie un fort chômage sont complexes. La concurrence des pays
chômage parmi les segments les moins qualifiés de à bas salaires, par exemple, diminue directement la
la population active. La réalité est plus complexe. demande de travail peu qualifié et le prix de vente
A priori, le taux de chômage des travailleurs peu des produits correspondants ; ces mouvements
qualifiés est d’autant plus faible que le marché du déplacent en retour l’équilibre de l’ensemble de
travail est flexible. Ce principe souffre toutefois l’économie : les mouvements de prix relatifs
des exceptions. Au Royaume-Uni, le chômage des modifient la structure de la demande ; l’excès
travailleurs peu qualifiés est élevé malgré une d’offre de main d’oeuvre entraîne une baisse des
dispersion forte et croissante des salaires. Le salaires de cette catégorie de travailleurs.
Japon, à l’inverse, n’a connu ni modification
significative de l'éventail des salaires, ni II.2 - La plupart des analyses qui tentent
détérioration du chômage relatif des travailleurs d’évaluer l’impact respectif de ces
les moins qualifiés. Aux Etats-Unis, où le marché
différents chocs reposent en fait sur un
du travail est réputé particulièrement flexible, le
ratio du chômage non qualifié au chômage qualifié schéma d’équilibre général qu’il est
est plus élevé que dans un pays comme la France important de bien préciser. L’utilisation
où le marché du travail est plus rigide (cf tableau d’un tel cadre d’analyse permettrait en
3). En outre, le taux d’emploi des hommes outre de formaliser avec rigueur ce qui
américains adultes non qualifiés est plus faible que est entendu par progrès technique biaisé
dans les autres grands pays de l’OCDE (cf tableau
4). Il devrait amener à distinguer deux sources de
biais : un biais général, affectant l’ensemble des
II - POURQUOI LA SITUATION branches, et un progrès technique différencié selon
les branches.
RELATIVE DES TRAVAILLEURS
LES MOINS QUALIFIES TEND-ELLE a) Si le biais est identique dans tous les secteurs, le
A SE DETERIORER ? UNE TENTA- progrès technique a pour effet d’économiser du
travail non qualifié d’une part et d’accroître la
TIVE DE CLARIFICATION CONCEP- complémentarité entre travail qualifié et capital
TUELLE physique d’autre part. Cette plus grande
complémentarité s’expliquerait par le fait que les
II.1 - Trois types d’approche - qui se nouvelles technologies, et en particulier les
s’excluent pas mutuellement - technologies de l’information, sont allouées en
permettent de rendre compte de la priorité aux travailleurs qualifiés tandis que les
détérioration de la situation relative des travailleurs les moins qualifiés y auraient plus
difficilement accès. Dans un tel contexte, le capital
travailleurs les moins qualifiés. par tête augmente pour les travailleurs qualifiés,
Une première approche met l’accent sur le rôle des tandis qu’il tend à diminuer pour les travailleurs
chocs macroéconomiques de grande ampleur qui les moins qualifiés. A progrès technique donné, la
ont affecté les économies de l’OCDE et, plus baisse de l’intensité capitalistique pour les
généralement, sur le caractère plus instable de travailleurs non qualifiés affecte leur productivité
l’environnement économique. Une deuxième marginale et la demande de travail qui leur est
approche insiste sur l’importance relative des adressé.
facteurs d’offre de main d’oeuvre (rythme
Lorsque le progrès technique générateur
d’amélioration du niveau de qualification de la
d’économies de main d’oeuvre non qualifiée
population active, immigration,...) et de demande
affecte de manière identique les deux secteurs, la
de travail (progrès technique “biaisé”, concurrence
part de la main d’oeuvre qualifiée augmente dans
internationale,...). Une troisième approche met en
chaque secteur. Le plein-emploi de la main
évidence le rôle des institutions sur le marché du
d’oeuvre non qualifiée ne peut être maintenu qu’au
travail, et, notamment, la capacité des
prix d’une baisse du salaire relatif des moins
organisations syndicales à s’approprier une partie
qualifiés qui permet une augmentation de la
des rentes et à comprimer l’éventail des salaires.
production relative du bien intense en main
Quelle que soit l’approche retenue, les d’oeuvre non qualifiée.
mécanismes qui permettent de lier les

6
b) Le biais peut également trouver sa source dans II.3 - Formellement, l’analyse des effets
une différenciation du progrès technique selon les de l’ouverture du commerce
secteurs (Leamer, 1994, Baldwin, 1994). A priori,
le progrès technique exerce deux types d’effets :
international sur l’économie s’analyse
d’un côté il économise, à production donnée, du strictement comme un choc de progrès
travail ; de l’autre il stimule, via la baisse du prix technique localisé dans le secteur intense
relatif, la production et l’emploi. Or, si le progrès en travail non qualifié, sous l’hypothèse
technique affecte plus particulièrement les de faible substituabilité des biens
industries manufacturières matures, riches en main
d’oeuvre peu qualifiée, l’effet de substitution va La concurrence des pays à bas salaires est
tendre à primer sur l’effet de revenu susceptible d’affecter le travail peu qualifié des
(l’élargissement des débouchés). L’élasticité-prix pays de l’OCDE via trois canaux distincts :
de la demande ne sera pas suffisante pour - une éviction directe des secteurs exposés riches
compenser les économies de main d’oeuvre en main d'oeuvre non qualifiée par les
induites par le progrès technique. Dans un tel importations en provenance des pays à bas salaires
contexte, le surplus de main d’oeuvre peu qualifiée où les délocalisations ;
va se réallouer dans les services. Dans la mesure
où les services sont en règle générale moins - un effet de "marché contestable".
capitalistiques, la productivité marginale de ces L’intensification de la concurrence peut induire
travailleurs s’en trouve affectée. une baisse relative du prix des produits intenses en
main d'oeuvre non qualifiée. Cette baisse a pour
Comme on le voit, les effets sur l’emploi d’un effet, à salaire inchangé, d'élever le coût réel du
progrès technique biaisé ne dépendent pas travail et de détériorer la profitabilité des
seulement de caractéristiques strictement entreprises. En outre, la menace d'entrée de
technologiques, mais aussi de la substituabilité des nouveaux concurrents peut inciter les entreprises
différentes sortes de biens et de travail. Dans intenses en main d'oeuvre non qualifiée à "monter
l’annexe méthodologique qui est jointe à cette en gamme" et à adopter des techniques de
note, on montre plus formellement que la liaison production plus capitalistiques ;
entre progrès technique “incorporé au travail
qualifié” et hausse du salaire relatif des plus - une baisse des rentes sur les marchés de produits.
qualifiés (à structure de l’offre de travail donnée) Dans les secteurs monopolisitiques, les entreprises
n’est pas univoque. Ainsi, lorsque la substituabilité sont amenées, sous l’effet de la concurrence, à
des biens produits ou des catégories de travail est améliorer leur “efficacité -X”.
faible, un progrès technique incorporé au travail Ces mécanismes peuvent être analysés dans le
qualifié peut déprimer, par exemple, sa cadre du modèle d’équilibre général précédent
rémunération relative. (dont la résolution figure en annexe). L'ouverture
Il est donc clair que la situation relative des non d'une économie développée (OCDE) au commerce
qualifiés peut se dégrader suite à un choc de avec les pays émergents entraîne, compte tenu des
progrès technique biaisé, avec une augmentation dotations respectives en facteurs de production,
du chômage et une diminution des salaires relatifs. des exportations de produits intensifs en main
Qu’en est-il du niveau des salaires réels des non d'oeuvre qualifiée et des importations de produits à
qualifiés ? L'effet total est ambigu. On peut fort contenu en main d'oeuvre non qualifiée. Dans
cependant montrer, sous certaines hypothèses ce cadre, l’ouverture au commerce avec les pays
fortes, que le salaire des moins qualifiés peut en développement exerce un double effet : la
également baisser en termes réels. Il apparaît qu’en production de biens à fort contenu en main
termes de progression des revenus réels, la d’oeuvre non qualifiée diminue, ainsi que les
situation des non qualifiés est d'autant plus salaires des non qualifiés. En revanche, au sein de
dégradée que l'écart de productivité avec les chaque secteur, la baisse du coût relatif des non
qualifiés est fort, que les biens sont faiblement qualifiés entraîne une certaine substitution à de la
substituables, que les salaires sont flexibles et que main d’oeuvre qualifiée, qui amortit en partie
la part du secteur intensif en main d'oeuvre l’effet intersectoriel.
qualifiée est grande.

7
II.4 - Un modèle d’équilibre général déprime le salaire relatif des moins qualifiés, a un
permet de préciser les effets attendus des effet a priori indéterminé sur leur salaire réel.
différentes catégories de chocs et de les L’ouverture au commerce international d’un côté,
mettre en regard des “faits stylisés” l’augmentation de l’offre relative de main
Le commerce international conduit à une baisse du d’oeuvre qualifiée, de l’autre, exercent des effets
salaire relatif et du salaire réel des moins qualifiés. diamétralement opposés. Cette dernière, en effet,
Le progrès technique biaisé, en revanche, s’il tend à stimuler le salaire relatif et réel des moins
qualifiés.

Impact des principaux chocs sur le marché du travail

Emploi Salaire Prix relatif Salaire Salaire Chômag


relatif des relatif des du bien réel des réel des e des
non non intense en non qualifiés non
qualifiés qualifiés travail non qualifiés qualifiés
qualifié
Progrès technique biaisé - - - ? + +
Ouverture au commerce - - - - + +
Hausse du salaire minimum - - - + + +
Hausse offre m.o. qualifiée + + + + - -
Augment. flexibilité des salaires + - - - + -
Faits stylisés (Europe) - ? - + + ++
Faits stylisés (Etats-Unis) - -- - - + 0

8
III - L’EVOLUTION DE L’OFFRE ainsi qu'à l'afflux d'immigrés. Le volume
RELATIVE DE TRAVAIL QUALIFIE d'immigration s'est en effet sensiblement accru
depuis deux décennies (la part de la population
Au sein des pays de l'OCDE, l'offre relative de
active employée née à l’étranger est passée de
travail qualifié a eu tendance à augmenter au cours
6,9 % en 1980 à 9,3 % en 1988), alors même que
des années soixante-dix (tableau 5), sous l'effet
le niveau de qualification des immigrés a eu
d'une élévation des taux de scolarisation et de
tendance à diminuer. Borjas Freeman et Katz
l'arrivée sur le marché du travail des générations
(1991) expliquent ainsi le tiers de l'accroissement
nombreuses issues du "baby boom". Dans le même
de l'écart de rémunération entre niveaux
temps l'éventail des salaires a eu tendance à se
d'éducation entre 1980 et 1988. Topel (1994)
resserrer. Dans les années quatre-vingts, en
estime également que l’immigration a contribué à
revanche, la croissance de l'offre de travail qualifié
l’élargissement de l'éventail des salaires. Ce
s'est ralentie, comme le montrent notamment
résultat est contesté par de nombreux auteurs, dont
Blackburn Bloom et Freeman (1990) ou
Card (1990), qui n'observent aucun écart de salaire
Blanchflower, Katz et Loveman (1993). Katz et
entre les régions à fort densité d'immigrés et les
Murphy (1992) estiment que la croissance de
autres. Sur cette base, la contestation paraît
l'offre de "college equivalent" relativement à
cependant peu pertinente : dans la mesure où la
l'offre de "high school equivalent" a été divisée par
mobilité du travail est forte, les salaires doivent
deux, passant de 5 % par an en moyenne entre
tendre à s'égaliser entre les régions ; en outre, les
1971 et 1979 à 2,5 % par an en moyenne entre
immigrés viennent tout naturellement s’établir
1979 et 1987.
dans les régions les plus prospères.
III.1 - Une analyse fondée sur les
fluctuations de l’offre relative d’offre de III.2 - Les travaux de Katz et Murphy,
travail qualifié permet de rendre compte s’ils constituent une explication
de manière simple et cohérente des plausible, ne prouvent pas que la
variations de la prime d’éducation au demande relative a cru de manière
cours des deux décennies passées stable tout au long des deux dernières
Dans le modèle de Katz et Murphy (1992), le décennies. En outre, ce schéma général
salaire relatif des deux catégories dépend de doit pouvoir rendre compte de l'extrême
l’offre relative de travailleurs par niveau de diversité des situations nationales, et
qualification et d’un “ trend ” temporel qui notamment du contraste observé entre
représente la déformation structurelle de la l'Allemagne et le Japon d'une part, les
demande relative de travail qualifié. Ce trend pays anglo-saxons d'autre part
indique, qu’à offre relative de travail inchangée, le
Pour expliquer ce contraste, deux hypothèses
salaire relatif du travail qualifié augmente de
peuvent être envisagées :
3,3 % par an, soit plus d’un tiers en une décennie.
Le tableau suivant permet de reconstituer - le déclin de la demande de travail peu qualifié a
l’évolution de la hiérarchie des salaires aux Etats- été plus faible dans des pays tels que l'Allemagne
Unis depuis 1963, en décomposant la contribution ou le Japon ;
des facteurs d’offre et de demande. - le déclin de la demande de travail peu qualifié est
La contribution des variations de l’offre de travail général, mais les performances des systèmes
qualifié apparaît décisive dans l’explication de d'éducation et de formation sont très diverses.
l’augmentation extrêmement forte de la dispersion A priori, on pourrait s'attendre à ce que les facteurs
salariale dans les années quatre-vingts : l’évolution de demande diffèrent peu d'un pays à l'autre, dans
des flux d’offre de travail qualifié contribue à la mesure où les Etats de l'OCDE opèrent sur les
expliquer les 2/3 (8,4/12,8) de l’accroissement des mêmes marchés et utilisent des technologies
inégalités de salaires. voisines. Les facteurs d'offre et les institutions sur
Ce ralentissement de l’offre relative de travail le marché du travail en revanche peuvent différer
qualifié au cours des années quatre-vingts est sensiblement. L'efficacité supérieure des systèmes
imputable à la réduction de la taille des cohortes, éducatifs allemand (Abraham et Houseman, 1994)

9
et japonais aurait ainsi permis de réduire l'offre de IV - LA BAISSE DE LA DEMANDE
travail peu qualifié parallèlement à la baisse de la RELATIVE DE TRAVAIL NON
demande. A l'inverse, la faible efficacité du QUALIFIE : COMMERCE INTERNA-
système de formation britannique n'aurait pas TIONAL, OU PROGRES TECHNIQUE
permis d'élever suffisamment rapidement le niveau
BIAISE ?
de qualification de la population active.
En théorie, les caractéristiques institutionnelles IV.1 - Les études empiriques nord-
des systèmes de formation des différents pays ne américaines estiment généralement que
devraient pas jouer un rôle majeur dans le commerce international ne peut
l'ajustement de l'offre et de la demande de travail expliquer qu’une partie de la
peu qualifié, qui devrait résulter spontanément des détérioration de la situation des
mécanismes du marché. Un élargissement de travailleurs les moins qualifiés
l'éventail des salaires devrait ainsi renforcer les
incitations à acquérir davantage de qualifications La plupart des études considèrent que le commerce
et permettre en retour de résorber l'excès d'offre de international ne joue qu'un rôle secondaire :
notamment Bound et Johnson (1992), Borjas
travail non qualifié. En pratique cependant, ce type
Freeman et Katz (1991), Krugman et Lawrence
d'ajustement, suggéré par la théorie du capital
(1993), Katz et Murphy (1992), Lawrence et
humain, est sans doute très long, voire même Slaughter (1993). Berman Bound et Griliches
incertain. (1994). La contribution du commerce international
- En premier lieu, la capacité des systèmes à la baisse relative de la demande de travail non
d'enseignement et de formation à réagir à un qualifié varie, selon ces études, de 15 % à 50 %.
élargissement de l'éventail des salaires est sans Ce scepticisme relatif quant à l'impact de la
concurrence des pays à bas salaires s'appuie sur
doute relativement faible à court terme. D’un côté,
quatre types d’arguments.
en effet, le marché de la formation connaît un
certain nombre de défaillances : les imperfections a) Le déclin de la part de la production
du marché du crédit peuvent empêcher les manufacturière américaine en valeur peut
travailleurs peu rémunérés d’emprunter sur la base s’expliquer par la vigueur des gains de
productivité dans ce secteur.
de revenus futurs plus élevés (contraintes de
liquidité) ; les petites entreprises supportent des Comme le rappellent Krugman et Lawrence
coûts de formation par employé supérieurs à ceux (1993), la production manufacturière est égale à la
supportés par les grandes entreprises (économies somme de la demande intérieure et des exports
d’échelle) ; les entreprises tendent à sélectionner nets. Or, tandis que le ratio production industrielle
par les programmes de formation les travailleurs en valeur/PIB nominal a diminué de 6,6 points
entre 1970 et 1990, le ratio solde industriel
jugés les plus aptes (biais de sélection). D’un autre
courant/PIB nominal ne s'est détérioré que de 1,6
côté, les interventions de l’Etat s’avèrent très point de PIB. Les auteurs en concluent que le
coûteuses dans la mesure où les systèmes publics déclin du secteur manufacturier est du, pour
prennent mal en compte l’hétérogénéité des l'essentiel, à une baisse de la demande intérieure
individus. en produits manufacturés. Examinant ensuite
- En deuxième lieu, une forte rotation de la main l'évolution de la part de la consommation de
produits manufacturés dans la consommation
d'oeuvre peu qualifiée, et des taux d'intérêt élevés
totale, les auteurs constatent que celle-ci est restée
dissuadent les entreprises d'investir dans la
stable en volume au cours des trente dernières
formation. années. Le déclin observé en valeur (40 % en 1991
- Enfin, des phénomènes d'externalités peuvent contre 46 % en 1973) est donc du à une baisse du
induire une "trappe à emplois de mauvaise qualité" prix relatif des produits manufacturés, qui reflète
(Snower, 1994) : une pénurie relative de des gains de productivité plus élevés dans
travailleurs qualifiés dissuade les entreprises l'industrie que dans le reste de l'économie.
d'élever le niveau des qualifications demandées ; b) La baisse de la demande relative de travail non
parallèlement, une pénurie relative de demande de qualifié a affecté l'ensemble des secteurs de
travail qualifié dissuade les actifs d'acquérir des l'économie. Les modifications de la demande de
qualifications. travail non qualifié peuvent se produire :

10
- au sein de chaque branche ("within"), en réponse relatifs des travailleurs non qualifiés par secteur.
à un choc général, tel qu'une modification du prix Cependant, comme le souligne Revenga (1992),
relatif des facteurs ou un progrès technique les salaires relatifs des différents secteurs doivent
"biaisé" ; tendre à s'égaliser si la mobilité géographique et
sectorielle de la main d'oeuvre est suffisamment
- entre branches ("between"), en réponse à un choc
forte.
spécifique, tel qu'une modification des goûts des
consommateurs, un progrès technique neutre (au c) Le contenu en emplois qualifiés et non qualifiés
sens de Hicks, c'est à dire non biaisé) mais des échanges extérieurs ne permet pas de conclure
différencié selon les secteurs, ou la concurrence à un impact significatif du commerce international.
des pays à bas salaires.
Les échanges d’un pays avec l’extérieur ont
Or, selon Katz et Murphy (1992) et Berman Bound implicitement pour effet de modifier le volume
et Griliches1 (1994), les changements dans le d’offre de travail disponible pour satisfaire la
contenu en emploi (qualifié/non qualifié) de la demande intérieure : les exports réduisent l’offre
production sont peu différenciés selon les de travail, tandis que les imports l’augmentent. Si
branches, ce qui disqualifie le rôle du commerce l’on suppose qu’un franc d’imports dans le secteur
international et plaide en faveur d'une influence "i" a le même contenu en emplois qu’un franc de
prédominante du progrès technique. Selon production domestique, on peut aisément calculer
Berman, Bound et Griliches (1994), un contenu en emplois des échanges extérieurs.
l’accroissement annuel de 0,552 point de Formellement, si l’on note Ti le flux extérieur de
pourcentage de la part des travailleurs non l’industrie i, Li/Qi l’input de travail par unité de
manuels dans l’emploi manufacturier aurait été production de l’industrie et L la quantité de travail
imputable à hauteur de 70 % à des changements nécessaire pour produire la production échangée,
intra-branches et à hauteur de 30 % à des on a :
changements inter-branches. Ces travaux ont fait L = Σ (Li/Qi) Ti = Σ Li (Ti/Qi)
l’objet de réserves de la part de plusieurs auteurs.
En particulier, la flexibilité des salaires a pu Li est positif lorsque l’on considère les seuls
contribuer à limiter les pertes d'emplois peu imports, négatif lorsque l’on considère les seuls
qualifiés dans les secteurs exposés à la exports. Lorsque Ti correspond aux exports nets, Li
concurrence internationale. Il paraît donc utile peut être positif ou négatif.
d'examiner également l'évolution des salaires Pour allouer l’offre de travail implicite résultant
des échanges entre les différentes catégories de
1 Berman Bound et Griliches classent les travailleurs en deux travail, l’équation précédente est modifiée comme
catégories : « cols blancs » (“ non production workers ”) et « cols suit :
bleus » (“ production workers ”). Leur décomposition se fonde sur la
formule suivante : Lj = Σ aijLi(Ti /Qi)
∆Pn = ∑ ∆S i Pni + ∑ ∆Pi Si où Lj représente l’offre de travail implicite de la
i i
En notant : catégorie de travail j, et aij la proportion moyenne
- Pni = Eni/Ei, la part de l’emploi qualifié En dans le secteur i ; de travailleurs de l’industrie i dans la catégorie j.
-Si = Ei/E, la part de l’emploi du secteur i dans l’emploi total.
Une barre dénotant une moyenne temporelle. Sur la base de ces calculs, les études concluent à
Le premier terme de droite de l’équation reflète la variation de
un impact très modeste du commerce international
l’emploi qualifié imputable à une réallocation de l’emploi entre
jusqu’au début des années quatre-vingts, plus
secteurs. Le deuxième terme reflète la variation de la part de l’emploi
qualifié au sein de chaque secteur. Les auteurs utilisent une
important depuis, du fait du creusement du déficit
méthodologie similaire en raisonnant à partir des masses salariales
extérieur et des réallocations sectorielles, mais
relatives. Les deux indicateurs d’emploi et de masse salariale les n’expliquant qu’un tiers environ de l’élargissement
amènent à conclure que les changements intra-sectoriels prédominent de l’éventail des salaires.
sur les changements inter-sectoriels.
d) Une autre approche consiste à examiner
Le premier terme de droite de l’équation reflète la variation de
l'évolution des prix relatifs.
l’emploi qualifié imputable à une réallocation de l’emploi entre
secteurs. Le deuxième terme reflète la variation de la part de l’emploi Le théorème de Stolper-Samuelson prédit en effet,
qualifié au sein de chaque secteur. Les auteurs utilisent une que lorsque les échanges Nord-Sud s'intensifient,
méthodologie similaire en raisonnant à partir des masses salariales les pays développés doivent enregistrer :
relatives. Les deux indicateurs d’emploi et de masse salariale les
amènent à conclure que les changements intra-sectoriels prédominent - une hausse relative de la production de biens
sur les changements inter-sectoriels. intenses en travail qualifié ;

11
- une baisse relative du prix des biens intenses en La pertinence de ces constats ne doit pas être
travail non qualifié ; surestimée. Ils ne signifient pas nécessairement
que le commerce international n'ait joué aucun
- une baisse relative du salaire des travailleurs les
rôle. On ne peut exclure, par exemple, que le
moins qualifiés ;
commerce international ait eu pour effet de
- au sein de chaque secteur, une hausse de la part comprimer le prix des biens intenses en travail peu
relative des travailleurs non qualifié en réponse à qualifiés, tandis que le progrès technique faisait
la baisse relative de leur salaire (ceci allant de pair baisser le prix des bien intenses en travail qualifié.
avec le déclin des secteurs intenses en travail non En outre, les conclusions relatives à la stabilité des
qualifié au profit des secteurs intenses en travail prix relatifs s'appuient sur les seuls prix
qualifié). manufacturés. S'il est vrai que le prix relatif des
Ces effets seront plus ou moins marqués selon le produits manufacturés intenses en travail qualifié
degré de différenciation des produits échangés n'a pas crû relativement au prix des produits
(Helpman et Krugman, 1985). Dans les secteurs où manufacturés intenses en travail non qualifié, il
la concurrence se manifeste essentiellement à n'en reste pas moins que le prix relatif ces produits
travers la différenciation des produits, un manufacturés pris dans leur ensemble a décru par
accroissement de l’ouverture aux échanges aura rapport au reste de l'économie.
peu d’effet sur les salaires relatifs.
Réciproquement, la pénétration des importations IV.2 - Les études actuelles tendent
s’accompagnera d’une forte variation du salaire généralement à sous-estimer le rôle du
relatif si les entreprises n’ont pas de position commerce international, comme le
dominante et/ou si les produits sont homogènes. Si reconnaissent eux-mêmes plusieurs
les produits sont homogènes, les pressions sur auteurs (Sachs et Schatz, 1994, par
l’éventail des salaires seront d’autant plus faibles
que les dotations en facteurs des différents exemple)
partenaires à l’échange sont similaires. Oliveira- La critique essentielle que l’on peut adresser aux
Martins (1994) trouve ainsi que la pénétration des études relatives à l’impact du commerce
importations dans plusieurs pays de l’OCDE international est qu’elles raisonnent de manière
s’accompagne d’une réduction du salaire relatif du sans doute trop mécanique sur des flux d’échange
secteur dans les secteurs à faibles coûts d’entrée et et ne tiennent pas compte du caractère
fabriquant des biens peu différenciés (textile,.. ). "contestable" des marchés. Même si les flux
En revanche, dans les secteurs où les pays de d'échange Nord-Sud restent modestes, la menace
l’OCDE disposent d’un pouvoir de marché, les que représentent les nouveaux compétiteurs peut
salaires relatifs sont sensiblement plus élevés. être suffisamment forte pour inciter les
Selon Lawrence et Slaughter (1993) et Sachs et producteurs du Nord à monter en gamme et
Schatz (1994), les prédictions du théorème de adopter des techniques de production plus
Stolper-Samuelson ne sont pas vérifiées sur deux capitalistiques.
points : Outre ce problème de fond, les études souffrent
- en premier lieu, la part relative du travail qualifié d’un certain nombre de défauts de méthode. En
a crû dans les industries manufacturières au cours particulier, les analyses sur données sectorielles,
des années 1980, alors même que le salaire relatif qui concluent à la prédominance des changements
des travailleurs qualifiés augmentait. Dans le "within", c'est-à-dire affectant l'ensemble des
secteur manufacturier des Etats-Unis, le salaire des secteurs, restent peu pertinentes dans la mesure où
"non production workers" a cru de 10 % elles n'ont pas été conduites à un niveau
relativement aux "production workers" entre 1979 suffisamment désagrégé. Lorsque l'on examine
et 1989 (Lawrence et Slaughter, 1993), alors que le l'évolution de la production à un niveau plus fin,
ratio des “non production workers” aux on s'aperçoit que coexistent au sein de chaque
“production workers” a crû de 25 % sur la même secteur des activités bas de gamme fortement
période (Katz et Murphy, 1992) ; concurrencées par les pays à faibles coûts de main
d'oeuvre et des activités haut de gamme, fondées
- en second lieu, le prix relatif des biens intenses sur la haute technologie et des stratégies de
en travail non qualifié n'a pas significativement différenciation des produits. Ainsi, les pays du
baissé.

12
Nord continuent d'être des exportateurs importants intrinsèquement biaisé en faveur du travail qualifié
de produits textiles, tandis que les pays à bas coûts est relativement neuve. L’image traditionnelle du
de main d'oeuvre sont exportateurs de produits progrès technique était plutôt celle d'un progrès
informatiques. technique déqualifiant (la chaîne de Taylor
évinçant l'artisanat). Aujourd'hui encore, le progrès
Pour ces mêmes raisons, l’analyse du contenu en
technique et les changements d'organisation
emploi des échanges est également biaisée. En
affectent sans aucun doute encore des postes semi-
effet les calculs sont effectués à partir du contenu
qualifiés (secrétariats) ou des échelons
moyen des secteurs, alors que c’est la production
hiérarchiques intermédiaires. Cependant, de
“bas de gamme”, plus intense en travail non
nombreux spécialistes considèrent que les
qualifié, qui est touchée par la concurrence des
nouvelles technologies de l’information changent
pays émergents.
la nature du progrès technique. Celles-ci seraient,
Wood (1994) adresse une autre critique aux pour simplifier, davantage complémentaires au
calculs de contenu en emplois. Il fait remarquer en travail qualifié et substituables au travail non
effet que les industries du Nord ne fabriquent plus qualifié. Plusieurs arguments sont invoqués à
une bonne partie des biens importés des pays en l'appui de cette thèse :
développement, auxquels ils ont abandonné - les travailleurs qualifiés sont les plus aptes à
nombre de productions intensives en main- mettre en place les nouvelles technologies au sein
d'oeuvre non-qualifiée. Les biens comparés ne sont de l’entreprise ;
donc pas vraiment substituables, et donc pas
- les technologies de l'information peuvent
vraiment comparables. La bonne méthode consiste engendrer de fortes variations dans les
plutôt à estimer les fonctions de production pour le performances individuelles, les coûts
Sud, puis à calculer ce qu'aurait été le contenu en d'apprentissage étant plus ou moins élevés selon
main d'oeuvre si le Sud avait payé les salaires du les individus ;
Nord. L'industrie manufacturière des pays de - elles permettent également une évaluation plus
l’OCDE aurait ainsi perdu 9 millions d'emplois aisée de la performance individuelle. Leur
(soit 12 % des effectifs) en trente ans, sans introduction a donc pour effet de disperser
compter l'effet des gains de productivité l'éventail des salaires et de faire "éclater" le réseau
recherchés à titre préventif pour se prémunir de la de subventions implicites dont pouvait profiter le
travail non qualifié ;
concurrence à venir.
- les nouvelles technologies suppriment des postes
non qualifiés, via la robotisation et l'automatisation
IV.3 - Selon l'approche dominante outre- des chaînes de montage ;
Atlantique, les nouvelles technologies - elles élèvent le niveau de responsabilité,
sont intrinsèquement biaisées en d’abstraction et d’interdépendance ;
défaveur du travail non qualifié - en outre, dans un contexte de sous-emploi, les
a) Quel est le sens du biais de progrès technique ? employeurs peuvent également utiliser les
nouvelles technologies pour gérer la file d'attente
L’hypothèse d’un progrès technique des demandeurs d'emplois (effet de "screening").

13
Progrès technique et productivité
Il convient de bien préciser ce que l'on entend par progrès technique. Il faut sans doute distinguer plus rigoureusement :

- le progrès technique stricto sensu, qui vise à stimuler la productivité globale des facteurs ;

- le progrès technique qui vise à accroître la variété des produits offerts. Or, la plus grande diversité des produits peut empêcher les
entreprises d’exploiter pleinement les économies d’échelle sur les produits existants ;

- les modifications dans l'intensité capitalistique de la production, en réponse à une modification du coût relatif des facteurs ou à la
concurrence des pays à bas salaires ;

- les changements d'organisation, qui visent à améliorer la flexibilité de l'entreprise ; dans un tel contexte, les nouvelles technologies sont
introduites parce qu'elles améliorent la capacité de réaction de l'entreprise à son environnement, devenu peut-être plus instable, sans
affecter a priori la productivité globale des facteurs.

Si le progrès technique vise spécifiquement à stimuler la productivité globale des facteurs, le bilan relativement décevant que l'on observe
au niveau agrégé peut provenir d'un problème de mesure - le progrès technique stimule la productivité "notionnelle" mais n'améliore pas la
productivité mesurée. Il se peut, en effet, que les statistiques aient du mal à rendre compte de l'amélioration de la qualité de certains
produits (informatiques notamment) et sous-estiment donc la production de certains services. Cependant, pour expliquer le ralentissement
des gains de productivité par un problème de mesure, il faut supposer non seulement que la productivité est difficile à mesurer dans les
services, mais aussi que cette mesure est de plus en plus difficile à réaliser et que la part du progrès informatique s’accroît
tendanciellement.

Abstraction faite d’éventuels problèmes statistiques, la coexistence de faibles gains de productivité globale et d’un progrès technique
vigoureux peut résulter :

- d'un problème d'adaptation et d'organisation de l'entreprise et de sa main d'oeuvre aux nouvelles technologies (schéma directeur mal
préparé, changements d'organisation plus lents que le changement technique...) ;

- d'un transfert vers les fournisseurs et les sous-traitants des coûts d'organisation (production à flux tendus) ;

- d’une préférence plus affirmée des consommateurs pour la diversité. Dans un tel contexte, les entreprises chercheront à faire jouer les
économies d'envergure. Le progrès technique peut alors se traduire par une augmentation de la variété des produits offerts plutôt que par
une réduction des coûts unitaires de production.

D’une manière plus générale, il est peu contestable que l'environnement international est devenu beaucoup plus instable et volatile depuis
le début des années soixante-dix : mouvements des prix relatifs (prix du pétrole, taux d'intérêt, taux de change,...), changements rapide des
goûts des consommateurs, etc... Dans un tel contexte, les entreprises sont incitées, pour suivre au plus près les fluctuations de la demande
et réagir au plus vite aux modifications de leur environnement, à renforcer leur flexibilité. Le progrès technique a dès lors pour objet
d'améliorer la capacité de réaction des entreprises, sans se traduire nécessairement par une amélioration de la productivité.

Cette instabilité structurelle remet en cause l'organisation des entreprises. Celles-ci tendent à adopter un modèle plus souple, plus
décentralisé. L'écrasement des échelons hiérarchiques va de pair avec une plus grande responsabilité accordée aux opérateurs individuels.
Ces évolutions s'étendent au contenu de postes de travail par l'enrichissement des tâches et l'intégration de certaines fonctions (contrôle,
gestion, maintenance). Les ouvriers qualifiés et polyvalents sont donc davantage demandés, au détriment peut-être des travailleurs les
moins qualifiés.

14
b) Si plusieurs études mettent en évidence la forte sont ceux qui ont connu les plus forts gains
possibilité théorique d’un progrès technique biaisé de productivité globale, ce qui peut indiquer que le
(Cohen et Saint-Paul, 1994, Betts, 1994, Agenor et progrès technique affecte de manière sélective les
Aizenman 1994,...), les preuves empiriques de secteurs d'activité où la part du travail qualifié est
l'existence d'un tel biais restent relativement la plus forte ;
limitées et indirectes.
- Machin (1994) trouve, pour le Royaume-Uni, que
La plupart des études empiriques nord-
américaines, on l’a vu, testent l'impact du la croissance de la part de l’emploi qualifié
commerce international et de l’immigration sur la (approximé par le travail non manuel) est plus
demande relative de travail non qualifié. Dans la marquée dans les secteurs intenses en recherche-
mesure où cet impact est jugé modeste, le progrès développement et dans les établissements ayant
technique constitue l’explication résiduelle jugée introduit la micro-informatique au cours de la
la plus plausible (par exemple Davis et
Haltiwanger, 1991, Bound et Johnson, 1992, période 1984-1990.
Berman, Bound et Griliches, 1994).
V - D’AUTRE PISTES A EXPLORER
Aux Etats-Unis, un certain nombre d'études
récentes tentent d'évaluer directement l'effet du DU COTE DE LA DEMANDE : LE
progrès technique sur la situation relative du ROLE DES CHOCS MACROECO-
travail non qualifié : NOMIQUE ET DES INSTITUTIONS
- Bartel et Lichtenberg (1987) montrent que
lorsqu'une nouvelle technologie est adoptée, la V.1 - Le rôle des chocs macro-
demande relative de travail qualifié augmente dans économiques.
la mesure où cette nouvelle technologie requiert Les économies de l'OCDE ont été affectées par des
une certaine capacité à résoudre des problèmes et chocs de grande ampleur depuis une vingtaine
une culture générale plutôt qu'une compétence très d'années, tels les chocs pétroliers dans les années
spécialisée ; soixante-dix ou l'ascension des taux d'intérêts réels
- Mincer (1991) montre que l'évolution de la depuis le début des années quatre-vingts. Ces
distribution des salaires des jeunes "college chocs macroéconomiques ont affecté plus
graduates" relativement aux "high school sévèrement les segments les plus fragiles de la
graduates" entre 1963 et 1987 peut largement être population active, via deux effets :
expliquée par les mouvements de la dépense en - un "effet d'escalier". En période de chômage, les
recherche-développement ; la croissance relative travailleurs diplômés postulent des postes pour
de l'emploi qualifié est positivement corrélée avec lesquels ils sont surqualifiés. Les employeurs,
l'investissement en équipements informatiques et ayant le choix, gèrent la file d’attente en
l'intensité des activités de recherche- embauchant en priorité les demandeurs d’emploi
développement (Berman Bound et Griliches, qualifiés, leurs diplômes étant un "signal" de
1994) ; l'efficacité de la main d'oeuvre ;
- Krueger (1993) constate une prime salariale - un phénomène de rétention de la main d'oeuvre
(17 % en 1984 et 19 % en 1989) liée à l'utilisation qualifiée ; en phase de récession, les entreprises
d'ordinateurs. Cette étude n'est pas non plus préfèrent conserver en excédent le personnel
totalement concluante. L’amélioration relative qualifié, en raison des coûts engagés pour son
peut résulter en effet d'une meilleure productivité recrutement et sa formation, et licencier en priorité
intrinsèque ou d'un biais de sélection initial le personnel peu qualifié ou jeune ("last in, first
(l'entreprise a sélectionné les travailleurs les plus out").
productifs pour servir les nouveaux matériels).
Une étude française sur données individuelles Or, les chocs défavorables ont sur la situation des
(Entorf et Kramartz, 1994) semble plutôt valider demandeurs d’emploi peu qualifiés un impact plus
cette seconde hypothèse ; marqué que les chocs favorables (contre-choc
pétrolier, reprise économique des années quatre-
- Berndt, Morrisson et Rosenblum (1992) trouvent
une corrélation positive entre les équipements de vingts,...). Cette asymétrie trouve son origine dans
haute technologie et la demande de cols blancs deux phénomènes conjoints : un chômage
dans le secteur manufacturier ; prolongé détériore le capital humain des
demandeurs d'emploi, qui sont de ce fait moins à
- Lawrence et Slaughter (1993), montrent que les
même de tirer parti de la reprise. Parallèlement, les
secteurs où la part relative du travail qualifié est
salariés en place ("insiders") font un arbitrage

15
emploi-salaires qui se modifie au cours du cycle. V.2 - La dissipation des rentes et la perte
Cherchant à maximiser leur propre bien-être, ils d’influence des syndicats
privilégient la protection de l'emploi existant en
Lorsque les marchés de produits sont imparfaits ou
phase basse du cycle et la progression des salaires
réglementés, l'entreprise est en mesure de prélever
en phase haute.
une rente sur les consommateurs. Celle-ci peut
D’une manière plus générale, le caractère plus ensuite être partiellement partagée avec les
volatil et plus instable de l’environnement salariés : on parle alors de quasi-rentes salariales,
économique peut affecter la demande relative de pour désigner le fait que les rentes captées par les
travail qualifié. Bhagwati et Dehejia (1994) salariés ont un caractère en principe provisoire. A
mettent ainsi l'accent sur l'internationalisation des long terme en effet, l’augmentation de l’offre de
marchés de produits, qui a réduit ou rendu plus travail adressée au secteur pèse sur la formation
volatils les avantages comparatifs des pays de des salaires jusqu’à faire disparaître le supplément
l'OCDE. Il en résulte une plus grande rotation de la de rémunération.
main d'oeuvre entre industries, qui améliore la
La capacité des salariés à capter cette rente dépend
situation relative des travailleurs qualifiés, dont la
notamment de la puissance des syndicats et du
capacité d'adaptation est supérieure à celle des non
degré de substituabilité entre les facteurs de
qualifiés.
production (Lindbeck et Snower, 1988). Dans la
Par ailleurs, le progrès technique n'a pas besoin mesure où les syndicats cherchent à comprimer
d'être biaisé pour affecter - temporairement - le l'éventail des salaires, les salariés les moins
travail non qualifié. Helpman et Trajtenterg (1994) qualifiés bénéficient d'une rémunération
développent un modèle pour représenter supérieure à la rémunération de marché (Blau et
l'introduction de technologies majeures, comme Kahn, 1994b). Le partage de rentes peut également
l'électricité au début du siècle et les technologies résulter d’une politique délibérée de l’employeur,
de l’information au cours des deux dernières soucieux de favoriser l’efficience et de motiver ses
décennies. Deux résultats émergent, permettant de salariés. Ce sera en particulier le cas lorsqu’il est
rendre compte de la coexistence d'un difficile de contrôler l’ardeur au travail des
ralentissement des gains de productivité et d'un salariés. Cependant les modèles de salaire
progrès technique qui peut être, lors de son d’efficience valent surtout pour des travaux
introduction, défavorable au travail non qualifié : intellectuels, où le niveau de la production est
- les bénéfices liés à la diffusion d'une nouvelle difficilement observable ; ils sont relativement peu
technologie ne se manifestent qu'avec retard, le pertinents pour caractériser la politique salariale
temps de développer et mettre en place les inputs des entreprises vis-à-vis des salariés les moins
complémentaires. Durant cette période, des qualifiés.
ressources en main d'oeuvre qualifiée doivent être Les années quatre-vingts ont été marquées par une
prélevées du processus de production pour être dérèglementation des marchés de produits et une
consacrées au développement de ces nouveaux ouverture de ces marchés à la concurrence
inputs, si bien que l'économie connaît initialement internationale (c'est-à-dire par une diminution des
un ralentissement de la productivité des activités rentes) ainsi que par un déclin des grands secteurs
de production ; manufacturiers et le développement de secteurs de
- durant cette phase de développement, des services moins syndicalisés (c'est-à-dire un déclin
travailleurs qualifiés sont donc prélevés du de la capacité des salariés à capter la rente). Le
processus de production pour être affectés aux taux de syndicalisation a fortement chuté aux
activités de recherche-développement. Dans la Etats-Unis (cf tableau 7). Ce sont les travailleurs
mesure où travail qualifié et travail non qualifié manuels jeunes (25-34 ans) qui connaissent la
sont complémentaires dans le processus de baisse la plus prononcée, leur taux de
production, les travailleurs les moins qualifiés syndicalisation passant de 43 % à 25 %. Or, pour
peuvent voir leur productivité marginale et leur cette catégorie, la prime liée à la syndicalisation
rémunération diminuer. (c'est-à-dire l'écart entre la rémunération des

16
syndiqués et celle des non syndiqués) était de des rentes significatives. Dans un tel contexte,
l'ordre de 25 % en 1978 (Freeman 1991). L'effet de l'entrée des firmes étrangères sur le marché des
la désyndicalisation sur la rémunération des jeunes biens durables a pour effet de diminuer les rentes
travailleurs est donc de l'ordre de 5 % (18 % des des firmes domestiques, et donc les quasi-rentes
jeunes travailleurs manuels ayant perdu une prime salariales. Cette diminution des rentes
de 25 %). Borjas et Ramey (1993) constatent une d’entreprises et des quasi-rentes salariales devrait
forte corrélation entre le déficit extérieur a priori stimuler les embauches. Cependant, la
américain en biens durables et le différentiel de pénétration étrangère tend à réduire l'emploi dans
salaires (spécifié en logs) entre travailleurs ces industries, et en particulier l'emploi non
qualifiés et non qualifiés. Leur explication est la qualifié. Celui-ci doit alors se réallouer dans
suivante : les industries de biens durables, d'autres secteurs de l'économie, au prix d'une
fortement concentrées, captent traditionnellement diminution de la rémunération.

17
LE MODELE DE BORJAS ET RAMEY

1. Dans le modèle de Borjas et Ramey les travailleurs non qualifiés d’un secteur oligopolistique bénéficient d’une rente.

On s’intéresse à un secteur oligopolistique produisant un bien intense en travail non qualifié. Plus précisément, on suppose qu’un
ensemble de n firmes domestiques produisant un bien x forment un oligopole de Cournot. Les firmes étrangères produisent
également le bien x, qu’elles exportent à hauteur de xf vers l’économie domestique. La demande totale de bien x s’écrit :

p = a − bx (1)

La demande perçue par chaque firme domestique i s’écrit :

p = a − b( xi + (n − 1) x j + x f ) (2)

où xi désigne le montant produit par la firme i, xj le montant produit par chaque autre firme domestique et xf le montant produit
par les firmes étrangères.

La fonction de production de la firme i s’écrit simplement :

xi = li

où li désigne le travail peu qualifié.

Chaque firme négocie les salaires avec un syndicat. Firme et syndicat maximisent conjointement les rentes, notées R, données
par :

Ri = pxi − wli (3)

où w désigne le salaire concurrentiel. Les salariés reçoivent le salaire concurrentiel plus une fraction des rentes.

2. Après résolution du programme de maximisation des rentes par chaque firme et ses salariés, la production et la rente
d’équilibre s’écrivent :

a − w − bx f
xi = (4)
b(1 + n)

et

(a − w − bx f ) 2
Ri = (5)
b(1 + n) 2

A l’équilibre symétrique, la production du secteur s’écrit simplement nxi.. L’emploi de l’ensemble du secteur est donc représenté
par :

n a − w − bx f
l= . (6)
1+ n b
3. Comme l’illustre l’équation (4), une hausse des importations induit une diminution de la rente d’entreprise et du salaire.
Plus l’industrie est compétitive (c’est à dire plus n est grand) plus faible est la rente et plus petite donc est la baisse du
salaire.

De même l’emploi est affecté négativement par une hausse du volume d’imports. Un certain nombre de travailleurs non qualifiés
sont donc amenés à quitter le secteur pour être embauchés dans le reste de l’économie. L’accroissement de l’offre de travail non
qualifié dans le reste de l’économie va tendre à déprimer le salaire concurrentiel.

18
CONCLUSION Dans le même temps, l’opinion dominante aux
Etats-Unis, selon laquelle la détérioration de la
Quels sont, au total, les principaux enseignements situation des travailleurs les moins qualifiés résulte
de cette revue de la littérature ? d’un progrès technique biaisé, semble un peu
Il est sans doute très difficile de quantifier hâtive, dans la mesure où l’on ne dispose que de
précisément l’influence respective du progrès peu de preuves convaincantes de l’existence d’un
technique, du commerce international, de tel biais. Inversement, le rôle du commerce
l’immigration ou de la perte d’influence des international est vraisemblablement sous-estimé,
syndicats. Ces phénomènes ne sont en effet pas dans les mesure où les études ne tiennent pas
indépendants les uns des autres. La compte du caractère plus contestable des marchés.
désyndicalisation est liée au déclin des grands Pour l’avenir, trois pistes de recherche mériteraient
secteurs manufacturiers, qui trouve son origine d’être explorées :
dans le jeu du commerce international et du
progrès technique ; la spécialisation internationale - peu d’études semblent s’être véritablement
d’un pays dépend de sa technologie ; à l’inverse le penchées sur les raisons pour lesquelles les
commerce international peut pousser les travailleurs américains les moins qualifiés ont subi
entreprises à choisir, parmi les techniques une perte importante de pouvoir d’achat au cours
disponibles, celles qui sont les plus économes en des vingt dernières années ; aussi est-il difficile de
main d’oeuvre non qualifiée. prédire si cette tendance est appelée à se
poursuivre aux Etats-Unis et à s’étendre à d’autres
L’explication par le progrès technique est pays de l’OCDE ;
séduisante en ce qu’elle permet, contrairement au
commerce international, de rendre compte de - il serait intéressant d’étudier dans quelle mesure
l’ensemble des aspects de la dispersion des les différences observées entre les éventails de
salaires, notamment l’accroissement des inégalités salaires des différents pays reflètent des chocs
au sein de chaque catégorie (Davis et Haltiwanger, différents sur la demande relative de travail non
1991). Il est en effet plausible de considérer que qualifié ou des différences dans les systèmes
l’ouverture des salaires au sein de chaque d’éducation ou le fonctionnement du marché du
qualification résulte d’une plus grande capacité à travail ;
utiliser les nouvelles technologies ou d’une plus - l’hypothèse selon laquelle le progrès technique,
grande flexibilité des processus de production. et notamment la diffusion à grande échelle des
Alors que les processus tayloriens tendaient à technologies et de l’information, est un
égaliser les productivités individuelles, celles-ci phénomène endogène au marché des biens
évoluent plus en ligne avec les capacités de chaque mériterait sans doute d’être davantage
individu. approfondie.

19
ANNEXE I

UN MODELE D’EQUILIBRE correspondant ne se modifie pas au même rythme,


GENERAL A DEUX SECTEURS ET l’emploi dans le secteur 2 diminue.
DEUX QUALIFICATIONS Lorsque les marchés de biens sont concurrentiels,
la demande de travail de l’entreprise représentative
1 - Présentation du modèle du secteur i dépend de la demande de biens, du
salaire réel et du progrès technique :
L’économie est divisée en deux secteurs, un
secteur produisant des biens à fort contenu en lSi = y i − σ i (wS − pi ) + (σ i − 1)aSi
(3) i
main d’oeuvre qualifiée (secteur 1) et un secteur lu = y − σ (wu − p ) + (σ − 1)au
i i i i i

spécialisé dans les biens à fort contenu en main


d’oeuvre non qualifiée (secteur 2). Le marché du où les lettres minuscules représentent les
travail est segmenté en deux catégories, qualifiée logarithmes des grandeurs définies précédemment,
(S) et non qualifiée (U). Le capital est supposé wS (resp. wU) le logarithme de la rémunération des
complémentaire aux deux formes de travail et sera qualifiés (resp. non qualifiés) et pi le logarithme du
ignoré par la suite pour simplifier la présentation. prix de vente du bien agrégé du secteur i. On a fait
l’hypothèse d’une technologie de type CES ; σ
i

Le progrès technique, incorporé au travail, dépend


représente l’élasticité de substitution entre les
à la fois de la qualification et du secteur. Le
deux formes de travail dans le secteur i ; les
processus productif du secteur i est décrit par :
constantes ont été oubliées pour simplifier la
(1) Y i = F( Asi Lis , Aui Liu ) présentation.
i i
où Asi (resp. Aui ) est le facteur d’efficience de la A demande (y ) et salaire réel (wu,s-p ) fixés, le
progrès technique agit sur la demande du facteur
main d’oeuvre qualifiée (non qualifiée) dans le correspondant via deux canaux opposés : un “effet
secteur i et Lis (resp. Liu ) la main d’oeuvre qualifiée d’échelle” et un “effet de substitution”. Prenons le
(resp. non qualifiée) employée dans le secteur i. Le cas d’un choc de progrès technique dans le secteur
progrès technique incorporé à la main d’oeuvre i sur la main d’oeuvre qualifiée. Le progrès
qualifiée dans le secteur i correspond au taux de technique économise de la main d’oeuvre
croissance de Asi . qualifiée. Mais, dans le même temps, la main
d’oeuvre qualifiée devient plus productive : sans
Sous l’hypothèse de rendements d’échelle ajustement des salaires, il devient avantageux de
constants, on peut réécrire (1) sous la forme remplacer de la main d’oeuvre non qualifiée par de
suivante : la main d’oeuvre qualifiée. De ce point de vue, une
(2) Y i = Asi F i ( Lis ,( Aui / Asi ) Liu ) i = 1 hausse de 1 % de l’efficacité des qualifiés a les
mêmes effets qu’une baisse de 1 % du salaire
à2
relatif des qualifiés : elle entraîne une
augmentation de σ % de la demande de travail
i
- Le biais lié à la qualification est Aui / Asi . Si le
qualifié. L’effet total,de σ -1 %, dépend donc des
i
progrès technique incorporé à la main d’oeuvre
qualifiée est plus rapide que le progrès technique possibilités de substitution des différentes formes
incorporé à la main d’oeuvre non qualifiée ( Aui / Asi de main d’oeuvre dans le processus productif.
diminue), la quantité de main d’oeuvre qualifiée On suppose par ailleurs que la demande de produit
nécessaire par unité de production diminue plus i est déterminée par
rapidement que la quantité de main d’oeuvre non
(4) yi = y − σ ( pi − p)
qualifiée (“économie de main d’oeuvre
qualifiée”). où y représente le logarithme de la production
- Le biais sectoriel est AS1 / As2 . Lorsque As2 croît agrégée, p le logarithme d’un indice de prix. Cette
expression s’obtient lorsque le consommateur
plus rapidement que AS1 , le progrès technique représentatif maximise une utilité (de type CES),
économise plus rapidement de la main d’oeuvre avec une élasticité de substitution entre les biens 1
(qualifié et non qualifiée) dans le secteur 2 que et 2 de σ. En substituant dans (3), on obtient :
dans le secteur 1. Si la demande pour les produits
lSi = y − σ ( pi − p) − σ i (wS − pi ) + (σ i − 1)aSi Le biais de progrès technique au niveau de
(5) i l’ensemble de l’économie est a S − aU . C’est une
lu = y − σ ( p − p) − σ ( wu − p ) + (σ − 1)au
i i i i i

combinaison du biais sectoriel (“biais inter”) et du


A production agrégée constante, la demande d’un biais entre qualifications (“biais intra”)2 :
facteur dépend du rythme du progrès technique, du
salaire réel de la catégorie de travailleur exprimé (7)
en termes de prix de vente et du prix relatif du bien
produit par le secteur. a S − aU = (π S − π u )(a 1S − a S2 ) + a 1S − aU1
On suppose par la suite pour simplifier que
l’élasticité de substitution des facteurs de Le biais total dépend positivement du biais
production et des biens sont identiques (σ1 = σ2 = intersectoriel ( a1S − aS2 ) car le bien S utilise la
σ). Dans ce cas particulier, (5) devient (5’) : main d’oeuvre de façon relativement intensive (πs
élevé) et la main d’oeuvre non qualifiée de façon
l Si = y − σ (w S − p) + (σ − 1)a Si relativement peu intensive (πu est faible).
(5’)  i
lu = y − σ ( w u − p) + (σ − 1)au
i

2 - L’effet du progrès technique.


L’emploi total de main d’oeuvre de chaque
catégorie s’obtient, au premier ordre, par a) En l’absence d’obstacles à l’ajustement des
combinaison linéaire des équations (5’) : salaires réels, le plein emploi de la main d’oeuvre
est assuré. En notant l S (resp. lU ) l’offre de travail
 lS = y − σ ( wS − p) + (σ − 1)aS qualifié (resp. non qualifié) au plein emploi, on
(6) 
lU = y − σ ( wu − p) + (σ − 1)aU peut tirer du système (6) le salaire relatif
d’équilibre :
où aS = π S a1S + (1 − π S )a1S et aU = π U aU1 + (1 − π U )aU1 ,
le coefficient π S (resp. π U ) représentant la part de (8)
la main d’oeuvre qualifiée (resp. non qualifiée) {
w S − wU = −1 / σ (l S − lU ) + (1 − σ )( a S − aU ) }
embauchée dans le secteur 1. On peut noter qu’on
aboutirait également au système (6) soit en
Il apparaît clairement que l’effet d’un choc de
supposant que les deux secteurs n’utilisent qu’une
productivité asymétrique sur le salaire relatif
forme de main d’oeuvre ( Y 1 = As1 L1s et d’équilibre dépend de l’élasticité de substitution
Y 2 = Au2 L2u , “modèle à deux biens spécialisés”), entre les biens et entre les formes de travail et du
soit en supposant qu’il n’y a qu’un seul bien sens du biais du progrès technique. Les différentes
agrégé utilisant les deux formes de main d’oeuvre situations envisageables sont résumées dans le
(“modèle à un bien et deux catégories de tableau A ci-dessous.
travailleurs”).

2 On a supposé que le biais intra ne dépend pas du secteur, ce qui


1 2 1 2
implique a − a = a − a
S S U U

21
Tableau A : Evolutions relatives des salaires des non qualifiés lors d'un choc de progrès technique

Fort progrès technique incorporé à :


Substituabilité la main d’oeuvre qualifiée la main d’oeuvre non qualifiée
des biens ou des
formes de travail

Forte baisse du salaire relatif hausse du salaire relatif


des non qualifiés des non qualifiés
Faible hausse du salaire relatif baisse du salaire relatif
des non qualifiés des non qualifiés

On le voit, l’existence d’un biais de progrès Des baisses de prix s’en suivraient, mais la
technique, dans le sens d’un plus fort progrès réaction de la demande serait insuffisante pour
technique incorporé à la main d’oeuvre qualifiée, compenser l’effet direct de la hausse de la
n’implique pas automatiquement une augmentation productivité.
du salaire relatif des travailleurs qualifiés. Le
b) A partir de (5) et (7) on peut réécrire :
résultat dépend des possiblités de substitution
entre les différentes catégories de main d’oeuvre (9)
d’une part et, d’autre part, de la substituabilité des
biens. En l’absence de telles possibilités, le salaire
des très qualifiés peut baisser en dépit des gains de l Si − lUi = (l S − lU ) + (σ − 1)( a Si − aUi − ( a S − aU ))
productivité réalisés, car ceux-ci rendent
également la main d’oeuvre qualifié relativement C’est l’écart entre le biais intra-sectoriel et le biais
abondante. Le rétablissement du plein emploi de la total qui détermine la variation de la demande
main d’oeuvre qualifiée exerce dans ce cas une relative pour chaque catégorie de travail dans
pression à la baisse sur les salaires des très chaque secteur. Lors d’un choc technologique
qualifiés qui l’emporte sur l’effet direct de la affectant le secteur intensif en main d’oeuvre
hausse de la productivité.
qualifiée ( a S − aU >0), mais sans biais intra-
La tendance à l’élargissement de l’éventail des sectoriel ( a Si − aUi =0), le deuxième terme du
salaires peut donc découler de deux situations :
membre de droite est négatif si les biens et les
- soit d’un progrès technique plus fortement catégories de travailleurs sont suffisamment
incorporé à la main d’oeuvre qualifiée avec une substituables (σ>1). L’augmentation des salaires
forte substituabilité des biens et/ou des catégories relatifs des qualifiés se traduit, au niveau de
de travailleurs ; chaque secteur, par une diminution de la demande
- soit d’un progrès technique plus fortement de main d’oeuvre qualifiée.
incorporé à la main d’oeuvre non qualifiée, mais Les salaires des travailleurs qualifiés ne baissent
avec une faible subsituabilité des biens et des pas parce que la demande de bien du secteur 1 (et
formes de travail. donc de travail) augmente : il y a réallocation
En fait, il est possible que les deux situations globale de la main d’oeuvre du secteur 2, devenu
précédentes se superposent. Ainsi, au niveau de moins productif, vers le secteur 1. Ceci peut se
chaque entreprise, comme on l’a suggéré plus haut, voir si l’on explicite l’écart de prix sectoriels (sous
le progrès technique serait plus fortement l’hypothèse que les entreprises maintiennent un
incorporé à la main d’oeuvre qualifiée. Des taux de marge constant) :
possibilités relativement larges de substitution de (10)
main d’oeuvre non qualifiée par du capital et de la
main d’oeuvre qualifiée conduiraient à une
utilisation plus intense de la main d’oeuvre [
p1 − p2 = (θ 1 − θ 2 )( wS − wU ) − (θ 1 − θ 2 )(a S1 − a S2 ) + a 1S − aU1
qualifiée. Cet effet serait renforcé par un biais
où θ (resp. θ ) représente la part de la
1 2
sectoriel, les secteurs utilisant abondamment du
rémunération des qualifiés dans les coûts totaux du
travail non qualifiée connaissant globalement des
secteur 1 (resp.2).
gains de productivité élevés.

22
Deux effets jouent en sens contraire : d’une part le remplaçant (7) dans (9) on trouve :
renchérissement de la main d’oeuvre qualifiée
(11)
augmente le prix des biens du secteur 1 qui
l’utilise plus abondamment ; mais ceci est plus que
compensé par les baisses de prix permises par les l Si − lUi = (l S − lU ) − (σ − 1)(π S − π u )( a 1S − a S2 )
gains de productivité. Le secteur 1 utilisant plus
abondamment la main d’oeuvre qualifiée, ce
mouvement compense la baisse intra-sectorielle de Lorsque le biais est intra-sectoriel, le mouvement
la demande de main d’oeuvre qualifiée. de salaire relatif compense exactement l’effet
direct du choc de progrès technique biaisé et il n’y
Les réallocations sectorielles ne dépendent que de a pas de réallocations sectorielles.
la présence d’un biais sectoriel. En effet, en

Tableau B : Effets sectoriels

Biais de progrès technique


Substituabilité Intra-sectoriel Inter-sectoriel
des biens ou des (plus fort sur la main d’oeuvre (plus fort sur les biens à
formes de travail qualifiée) fort contenu en m.o.
qualifiée)

Forte - baisse des qual. dans chaque secteur pas de réallocations


- réallocation vers le bien à fort sectorielles
contenu en m.o. qualifiée
Faible - hausse des qual. dans chaque secteur pas de réallocations
- réallocation vers le bien à faible sectorielles
contenu en m.o. qualifiée

c) La spécification précédente permet de rendre


relative de travail (AD) et l'offre de travail (AS).
compte de la situation des pays anglo-saxons où
Dans le cas où les salaires relatifs sont flexibles, la
des mouvements de grande amplitude, ont été
courbe d'offre (AS*) est verticale. Les salaires
observés sur les salaires. On peut, en modifiant de
s'ajustent complètement (wu*-ws*) pour assurer le
façon simple le modèle précédent, intégrer les
plein emploi de la main d'oeuvre non qualifiée
rigidités qui, en freinant l’ajustement des salaires,
ont pu, en Europe continentale, rendre l’accès à lu = lu . La contrepartie de la moindre dégradation
l’emploi des non qualifiés plus difficile (On des salaires des non qualifiés est une augmentation
considère par ailleurs que les qualifiés sont au du chômage. Hormis ce déplacement, l’analyse
plein emploi). Le graphique ci-dessous représente conduite avec ajustement complet des salaires
l'équilibre sur le marché du travail. Le salaire reste pertinente et les conclusions sont maintenues.
relatif ws-wu assure l'équilibre entre la demande

23
Graphique 1 : Equilibre du modèle

AS*
AD AS
wU- wS

wU- wS

w*U- w*S

lU lU lU
Chômage

Le graphique 2 illustre la réaction de l’économie réaction d’une économie flexible (courbe AS*) et
lors d’un choc de progrès technique. On a d’une économie plus rigide illustre ce qui a été dit
représenté le cas où le biais de progrès technique plus haut : les rigidités salariales limitent les effets
se traduit par une baisse de la demande relative de sur les salaires (∆(wu-ws) est inférieur à ∆(w*u-
travail non qualifié. La comparaison entre la w*s)), mais le chômage augmente.

Graphique 2 : Effet d'un choc de progrès technique asymétrique

AS*
AD AS
wU- wS

∆(wU- wS)

∆(w*U- w*S)

lU lU
∆Chômage

Lorsque l’on prend en compte les rigidités l’équivalent du tableau 1 dans le cas d’une
salariales, le progrès technique affecte à la fois les économie non flexible.
salaires relatifs et le chômage. Le tableau C est

24
Tableau C : Evolutions relatives de la situation des non qualifiés

lors d'un choc de progrès technique

Fort progrès technique dans le secteur :


Substituabilité à fort contenu m.o. qualifiée à fort contenu m.o. non
des biens ou des qualifiée
formes de travail

Forte
w↓L↓p↑ w↑L↑p↓

Faible w↑L↑p↑ w↓L↓p↓

Légende : w=wu/ws, p= p1/p2 L=lu/ls

d) Comment sont modifiés ces résultats lorsque en main d’oeuvre non qualifiée produits à
l'on considère une économie ouverte ? Le libre l’étranger est plus forte que ne serait la baisse des
échange des biens entraîne l’égalité des prix des prix domestiques en autarcie. L’ouverture au
biens exprimés dans une monnaie commune, ce commerce international entraîne l’égalisation du
qui ce traduit dans le cadre du modèle précédent prix relatif au prix international (hypothèse du
par l’égalisation des prix relatifs domestiques p1- petit pays) ; les rigidités salariales interdisant un
p2. et étrangers. Si l’on considère le cas d’un petit ajustement similaire des salaires, une
pays, celui-ci ne peut pas influencer ses termes de augmentation du chômage plus forte qu’en
l’échange. Ceci correspond au cas où σ est infini autarcie se produit. Ces mécanismes ont pu jouer
dans le modèle précédent : une hausse des prix entre les Etats-Unis, où les salaires sont très
entraînerait une telle baisse de la demande qu’elle flexibles et l’Europe : l’analyse des échanges
dissuade les entreprises de les modifer. Ainsi, un extérieurs des Etats-Unis avec l’Union européenne
changement de progrès technique intervenant de fait d’ailleurs ressortir une certaine spécialisation
manière isolée sur les produits à fort contenu en dans les biens à fort contenu en main d’oeuvre non
main d’oeuvre non qualifiée dans un petit pays qualifiée qui pourrait s’expliquer par ce
ouvert se traduirait par une amélioration de la mécanisme.
situation des non qualifiés (case en haut à droite Il est donc clair que la situation relative des non
du tableau précédent), alors qu’en économie qualifiés peut se dégrader suite à un choc de
fermée il aurait entraîné une dégradation (case en progrès technique biaisé, avec une augmentation
bas à droite). Une telle situation peut correspondre du chômage et une diminution des salaires relatifs.
à une économie en situation de rattrapage qui Qu’en est-il du niveau des salaires réels des non
adopte les techniques productives des pays qualifiés ? L'effet total est ambigu. On peut
développés (économie en transition par exemple). cependant montrer, sous certaines hypothèses
La situation précédente est cependant fortes, que le salaire des moins qualifiés peut
vraisemblablement mal adaptée aux pays de également baisser en termes réels. Il apparaît qu’en
l’OCDE, car la diffusion internationale du progrès termes de progression des revenus réels la
technique y est sans doute rapide. Une hypothèse situation des non qualifiés est d'autant plus
raisonnable consiste à supposer que le choc de dégradée que l'écart de productivité avec les
progrès technique a été le même dans tous les pays qualifiés est fort, que les biens sont faiblement
de l’OCDE. Les prix relatifs sont donc modifiés à substituables, que les salaires sont flexibles et que
la fois sur le marché intérieur et sur le marché la part du secteur intensif en main d'oeuvre
extérieur. Au niveau de l’ensemble de l’OCDE, les qualifiée est grande.
résultats sont sans doute pertinents. En revanche, Enfin, notons qu'en présence d’un progrès
en raison des différences internationales de rigidité technique dissymétrique, la rigidité des salaires
des salaires, les conséquences ne sont pas les relatifs se traduit non seulement par une richesse
mêmes dans les différents pays de l’OCDE. absolue moins grande, mais aussi par une
réduction de la croissance de l'économie, due à la
Si les salaires étrangers sont plus flexibles, la dégradation de l'emploi des non-qualifiés.
baisse des prix relatifs des produits à fort contenu

25
Tableau D : Evolutions absolues lors d'un choc de progrès technique (Au>As)

Progrès Progrès Progrès


technique technique technique
assez symétrique dissymétrique très
dissymétrique

Salaires relatifs rigides wu ↑ ChôU ↑ wu ↑ ChôU ↑ wu ↓ ChôU ↑

Salaires relatifs wu ↑ ChôU→ wu ↓ ChôU→ wu ↓ ChôU→


flexibles

En notant ChoU le taux du chômage des non qualifiés

3 - Les effets de l’ouverture au respectives en facteurs de production, des


commerce international exportations de produits intensifs en main d'oeuvre
qualifiée (secteur 1) et des importations de
Le modèle traditionnel des échanges de Heckser- produits à fort contenu en main d'oeuvre non
Ohlin-Samuelson (HOS) énonce, dans sa version qualifiée (secteur 2). Il se produit donc une baisse
la plus stricte, que, si les prix des biens échangés de la demande pour les produits nationaux 2 et une
sur le marché international s'égalisent, les salaires augmentation de la demande pour les produits
des travailleurs qui produisent ces biens doivent nationaux 1.
également tendre à s'égaliser. Le théorème de
Stolper-Samuelson énonce que les détenteurs de On peut prendre l’ouverture du commerce
facteurs de production qui sont plus rares dans une extérieur en modifiant l’équation de demande (4) :
zone que dans le reste du monde verront le niveau (4’) y i = y − σ ( p i − p) + d i
de leur rémunération réelle diminuer. Ainsi, la
concurrence de pays à faibles coûts de main où di représente un choc sur la demande du secteur
d’oeuvre peut induire une baisse du prix du travail i. L’ouverture au commerce international
non qualifié à l’intérieur de l’OCDE. correspond à un choc conduisant à une hausse de
d1 et une baisse de d2, soit globalement à un choc
Même si l'on tient compte de l'existence de coûts
de transport, de différences de technologie et de d1 -d2 positif (biais de demande).
barrières aux échanges, l'on doit malgré tout En substituant dans (3), on obtient :
observer une tendance à l'égalisation des prix des
biens et des facteurs au fur et à mesure que les lSi = y − σ ( wS − p) + (σ − 1)aSi + d i
échanges se développent (Helpman et Krugman, (5’’) i
lu = y − σ ( wu − p) + (σ − 1)au + d
i i
1986). La mobilité des facteurs de production, et
notamment du capital, en favorisant la diffusion
des techniques de production, renforce cette Le système (5’’) illustre bien la difficulté de
tendance à l'égalisation. Plus spécifiquement, la discerner les effets du biais sectoriel de progrès
concurrence des pays à bas salaires peut affecter technique et du commerce international puisque
comme on l'a vu le travail peu qualifié des pays de
l’OCDE via trois canaux distincts : seule la somme (σ − 1)aSi + d i intervient dans la
- une éviction directe des secteurs exposés riches détermination de la demande de facteurs. Sans
en main d'oeuvre non qualifiée par les observation directe des chocs, cette grandeur est
importations en provenance des pays à bas salaires traitée globalement comme un résidu et il n’est pas
ou par les délocalisations ; possible d’en extraire les composantes à partir de
l’information contenue dans les mouvements des
- un effet de "marché contestable" ; quantités.
- une baisse des rentes sur les marchés de produits. Formellement, l’analyse des effets de l’ouverture
du commerce international sur l’économie
Comment s’analysent ces mécanismes dans le s’analyse strictement comme un choc de progrès
cadre du modèle présenté plus haut ? D'après le technique localisé dans le secteur 2, sous
théorème HOS, l'ouverture d'une économie hypothèse de faible substituabilité des biens.
développée (OCDE) au commerce avec les pays en Ainsi, dans ce cadre, l’ouverture au commerce
développement entraîne, compte tenu des dotations avec les pays en développement a un double effet :

26
la diminution de la production de biens à fort l’éventail des salaires.
contenu en main d’oeuvre qualifiée et la baisse
corollaire des salaires des non qualifiés décrites Néanmoins, le fait marquant des années 1970-1980
précédemment se produit toujours ; en revanche, est plutôt la formidable progression de l’offre
au sein de chaque secteur, la baisse du coût relatif relative de main d’oeuvre qualifiée dans tous les
des non qualifiés entraîne une certaine substitution pays de l’OCDE, qui a considérablement limité les
à de la main d’oeuvre qualifiée, qui amortit en effets de la dégradation de la demande relative de
partie l’effet intersectoriel. main d’oeuvre non qualifiée. En revanche, il n’est
pas exclu qu’un certain ralentissement de l’offre
Il existe néanmoins une différence profonde au de main d’oeuvre qualifiée dans les années 1980,
niveau des mouvements de prix relatifs. En effet, aux Etats-Unis notamment, ait conduit a un
l’équation (10) n’est pas modifiée : l’effet de essoufflement de ce processus.
l’ouverture au commerce international passe
entièrement par les mouvements de salaires. Néanmoins, contrairement aux deux chocs
précédents qui ne sont pas observables
Un progrès technique incorporé à la main d’oeuvre directement, on peut mesurer l’offre de travail par
non qualifiée plus fort aurait des effets différents : qualification à partir des statistiques d’emploi et
on assisterait à une diminution de la demande de chômage, ce qui permet d’isoler la contribution
globale de travail dans le secteur à fort contenu en de ce facteur.
main d’oeuvre non qualifiée pour les raisons
évoquées précédemment, doublée d’une 5 - Synthèse des résultats
diminution de l’utilisation de la main d’oeuvre non
qualifiée dans chaque secteur Les résultats précédents sont rassemblés dans le
tableau E ci-dessous qui fait également ressortir
4 - L’impact d’une modification de les effets d’une hausse du salaire minimum et
l’offre de travail d’une augmentation de la flexibilité des salaires.
L’augmentation du salaire minimum comprime
L'analyse d'un choc sur l'offre de travail est effectivement la hiérarchie des salaires ; en
immédiate, et, encore une fois, la lecture des revanche, la hausse du coût du travail non qualifié
relations de long terme fait apparaître des déprime la demande ; les rigidités relatives ne
similitudes avec les effets du progrès technique et permettent pas l’ajustement par les salaires, d’où
du commerce international. On retrouve une augmentation du chômage. La diminution des
notamment le résultat de neutralité lorsque le choc rigidités salariales et des rentes, dans un contexte
est symétrique ( lS − lU = 0 ). d’excès d’offre de main d’oeuvre non qualifiée,
entraîne une baisse relative de leurs salaires fixés
Une augmentation de la proportion de main auparavant au dessus du niveau d’équilibre
d'oeuvre non qualifiée produit exactement les concurrentiel ; la baisse corollaire du coût du
mêmes effets que ceux d'une ouverture progressive travail permet une augmentation de la demande de
au commerce international. Ainsi, la forte travail non qualifié et une baisse du chômage des
augmentation de l’immigration de main d’oeuvre non qualifiés.
peu qualifiée aux Etats-Unis au cours des dernières
décennies a pu contribuer à l’élargissement de

Tableau E : Synthèse des résultats

lu − ls wu − ws p2 − p1 wu − p ws − p Chômage*

Progrès technique biaisé - - - ? + +


Ouverture au commerce - - - - + +
Hausse du salaire minimum - - - + + +
Hausse offre m.o. qualifiée + + + + - -
Augment. flexibilité des salaires + - - - + -
Faits stylisés (Europe) - ? - + + ++
Faits stylisés (Etats-Unis) - -- - - + 0
* Semi élasticité, non qualifiés

27
ANNEXE 2

Tableau 1

Evolution de la distribution des gains, 1980-1991


Rapport de la limite inférieure des 10 % des gains les plus élevés (9° décile) reçus par les travailleurs masculins
(tous sexes confondus pour certains pays) sur la limite supérieure des 10 % des gains les moins élevés (1er décile)

1980 1981 1983 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991

Australie 2,02 2,09 2,13 2,21 2,16 2,22 2,23 2,24 2,29
Autriche 2,64 2,7O 2,74 2,76
Belgique (total) 2,48 2,51 2,54 2,36 2,30
Canada 3,47 4,04 3,80 3,98
Danemark (total) 2,13 2,16 2,17 2,20 2,20 2,18 2,17 2,16
France 3,27 3,32 3,16 3,17 3,19 3,22 3,23 3,20
Allemagne 2,39 2,36 2,38 2,29 2,33 2,29 2,31
Italie 2,10 2,14 2,06 2,08
Japon 2,75 2,86
Pays-Bas 2,17 2,29
Norvège (total) 2,06 2,16 1,97
Portugal (total) 2,58 2,64
Suède 2,14 1,97 1,97 2,06 2,14
Royaume-Uni 2,51 2,64 2,90 2,97 3,06 3,15 3,21 3,24 3,35
Etats-Unis 4,81 4,86 5,58 5,55 5,69 5,59 5,63

Source : Pour les sources et définitions, OCDE, Perspectives de l'emploi, 1993, chapitre 5.

28
Tableau 2

Evolution des disparités de gains des hommes adultes


en fonction de leur niveau d'instruction dans les années 70 et 80

Niveaux d'instruction comparés Année d'origine Rapport Deuxième année Rapport Evolution sur cinq
ans
Années 70

Australie Université/arrêt des études à 17- 1968/69 1,89 1978/79 1,54 -0,17
Canada 18ans 1970 1,65 1980 1,39 -0,13
Japon Université/Secondaire 1970 1,33 1979 1,26 -0,04
Suède Université/Secondaire supérieur 1968 1,40 1981 1,16 -0,09
Royame-Uni Université/Post-secondaire 1974 1,64 1980 1,53 -0,06
Etats-Unis Université/Sans qualification 1969 1,49 1978 1,36 -0,07
Université/Secondaire
Années 80

Australie 1982 1990 0,03


Canada Université/Secondaire 1980 1,40 1985 1,42 0,03
Japon Université/Secondaire 1979 1,26 1987 1,26 0,00
Suède Université/Secondaire supérieur 1981 1,16 1986 1,19 0,03
Pays-Bas Université/Post-secondaire 1983 1,43 1987 1,22 -0,35
Royame-Uni Université/Secondaire 1980 1,53 1988 1,65 0,08
Etats-Unis Université/Sans qualification 1979 1,37 1987 1,51 0,09
Université/Secondaire

Sources : Davis (1992, et addendum) ; Gottschalk et Joyce (1992)

29
Tableau 3

Taux de chômage par niveau d'instruction en pourcentage de la population active

Pays et tranches d'âge Secondaire du 1er Secondaire du Ratio


cycle ou moins 2ème cycle ou
plus
Australie (25-24)
Hommes 19825,8 2,3 2,50
19907,1 3,2 2,26
Femmes 19826,7 5,8 1,16
19906,9 5,5 1,26
Canada (25et plus)
Hommes 19796,8 3,8 1,80
1990 11,0 6,3 1,74
Femmes 19798,7 6,6 1,32
1990 12,0 6,9 1,74
France (25-64)
Hommes 19793,7 2,6 1,40
19908,3 4,1 2,02
Femmes 19795,9 4,6 1,39
1990 13,6 7,6 1,79
Allemagne (25-54)
Hommes 19784,1 1,8 2,25
1987 14,6 5,0 2,91
Femmes 19784,4 3,7 1,20
1987 12,5 8,2 1,53
Italie (25-64)
Hommes 19801,6 3,4 0,47
19894,7 4,6 1,04
Femmes 19807,0 8,2 0,86
1989 13,0 12,2 1,07
Japon (25-64)
Hommes 19792,7 1,5 1,87
19923,6 1,6 1,90
Femmes 1979 11,6 15,4 0,75
19927,2 8,8 0,82
Royaume-Uni (25-55)
Hommes 19795,4 2,2 2,49
19908,7 3,3 2,68
Femmes 19795,8 4,1 1,43
19906,8 4,2 1,64
Etats-Unis (25-64)
Hommes 19704,0 2,1 1,88
19796,6 3,2 2,06
19899,7 3,9 2,51
Femmes 19705,7 3,2 1,76
19798,3 4,1 2,03
19898,4 3,5 2,42
Source : OCDE - Rapport sur l'emploi (1994)

30
Tableau 4

Taux d'emploi (emploi/population des hommes) selon le niveau d'instruction, 1991.

25-34 35-64 25-64


Canada
En-dessous du secondaire - 2e cycle 65,5 64,6 64,8
Secondaire - 2e cycle et au-dessus dont 84,5 84,2 84,3
enseignement supérieur 87,2 86,3 86,7
France
En-dessous du secondaire - 2e cycle 83,2 67,9 71,1
Secondaire - 2e cycle et au-dessus dont 90,7 86,3 87,9
enseignement supérieur 89,6 90,9 90,4
Allemagne
En-dessous du secondaire - 2e cycle 83,5 69,3 72,5
Secondaire - 2e cycle et au-dessus dont 88,6 82,9 84,6
enseignement supérieur 93,2 88,4 89,5
Italie
En-dessous du secondaire - 2e cycle 88,6 75,9 78,9
Secondaire - 2e cycle et au-dessus dont 79,4 92,6 87,3
enseignement supérieur 79,4 95,6 91,1
Royaume-Uni
En-dessous du secondaire - 2e cycle 73,5 69,1 70,1
Secondaire - 2e cycle et au-dessus dont 90,2 85,9 87,3
enseignement supérieur 94,0 90,3 91,6
Etats-Unis
En-dessous du secondaire - 2e cycle 70,0 63,0 65,0
Secondaire - 2e cycle et au-dessus dont 85,8 84,8 85,2
enseignement supérieur 89,0 89,0 89,2
Source OCDE.

31
Tableau 5

Offre relative de main d'oeuvre qualifiée dans quelques pays de l'OCDE.

Niveau Taux de croissance annuel moyen


Population ou population active
France 1989 1970-80 1980-89
Population, hommes âgés de 15 ans et plus Diplômés/Total 11,8 4,6 4,0

Allemagne 1989 1976-82 1982-89


Population d'âge actif (Fachhochschule + Hochschule) Total 9,4 3,6 3,5

Suède 1990 1971-80 1980-90


Population active totale, hommes et femmes 23,1 8,3 3,4
Universitaires/Total

Royaume-Uni 1989 1973-79 1979-89


Population, hommes et femmes âgés de 16 à 60 ans 18,3 7,0 4,3
Universitaire/Total

Etats-Unis 1989 1969-79 1979-89


Population, hommes et femmes âgés de 18 à 64 ans 21,5 4,4 2,6

Population active occupée


Australie 1989/90 1973/74-81/82 1981/82-89/90
Hommes actifs occupés à plein temps toute l'année 13,4 9,2 5,0
Diplômés/Total

Japon 1990 1970-79 1979-90


Salariés, hommes et femmes 22,5 5,1 2,1
Universitaires/Total

32
Tableau 6
Contribution de l’offre relative de travail qualifié à l’élargissement des disparités salariales

Variation du rapport 11963-71 11971-79 11979-87


(salaire qualifié/salaire non
qualifié)
Effet net observé 7,7 -10,4 12,8
Effet net estimé 4,2 -2,5 8,4
Contribution de l’augmentation de
la demande relative de travail 26,4 26,4 26,4
qualifié
Contribution de l’augmentation de -22,2 -28,9 -18,0
l’offre relative de travail qualifié

Tableau 7

Evolution des taux de syndicalisation dans les pays du G7


Effectifs syndiqués en pourcentage du nombre de salariés

1970 1990
Canada 31,0 35,8
France 22,3 9,8
Allemagne 30,0 32,9
Italie 36,3 38,8
Japon 35,1 25,4
Royaume-Uni 44,8 39,1
Etats-Unis 23,2 15,6
Source OCDE.

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