Annexe Article 2
Annexe Article 2
Annexe Article 2
écrits intermédiaires
Jean-Charles Chabanne, Dominique Bucheton
de l’écriture dans les écrits activité cognitive), par exemple au cours d’une séquence de science
ou de grammaire, quand on demande aux élèves de faire des listes
ou de noter ce qu’évoque une notion ; ou encore quand on
intermédiaires cherche, par quelque lanceur d’écriture, à collecter les premiers
éléments d’une fiction à venir ;
– intermédiaires2, au sens où ils jouent un rôle de médiateurs cognitifs
Notre modèle didactique que nous appelons le modèle du sujet écrivant et et affectifs, en permettant en particulier à des scripteurs débutants ou
des textes intermédiaires se doit lui aussi d’élaborer des outils d’évaluation mal à l’aise de faire leurs premiers pas dans le travail, de modifier
pour repérer les mouvements de la pensée et de l’écriture, les leur image d’eux-mêmes, de faire la preuve que quelque chose est
déplacements des sujets. C'est ce que nous présentons dans ce possible. Donc, pas seulement intermédiaires entre différents états
chapitre. du projet d’écriture, mais intermédiaires entre le scripteur et les
lecteurs-négociateurs, entre ce qui est lu, vu, entendu, et ce qui est
écrit, etc.
Ces écrits que nous appelons On voit bien alors pourquoi les pratiques d’évaluation habituelles ne
‘intermédiaires’ peuvent s’appliquer sur ces écrits. En effet, les démarches d’évaluation
critériée que nous avons évoquées au chapitre NN sont destinées à
Les élèves en difficulté avec l’écriture, on l’a vu dans le chapitre donner à l’élève des outils pour mesurer le degré de conformité ou de
précédent, ont souvent construit avec l’écriture de l’école des déviance de ses écrits par rapport à diverses normes graphiques,
conduites de refus, des postures très rigides et peu diversifiées, des phrastiques, textuelles, discursives... construites à partir de divers
rapports parfois trop scolaires qui les empêchent de véritablement se genres de textes prototypiques relevant des pratiques sociales ou
mettre à l’écriture, jouer, essayer, imaginer, penser le stylo à la main. Nous
avons essayé d’identifier des démarches qui cherchent les moyens de
lancer les élèves dans l’activité, et d’accompagner leurs premiers pas. 1 Chabanne J.C. & Bucheton D., Parler et écrire pour penser, apprendre, et se construire :
L'écrit et l'oral réflexifs, Paris : PUF, 2002.
Les chapitres suivants présenteront quelques exemples détaillés de 2 J.-C. Chabanne & D. Bucheton, « Les écrits ‘intermédiaires’ », La Lettre de
séquences. Les principes en sont simples : il s’agit de favoriser le plus l’Association DFLM 26, 2000-1, p. 23-27.
Jean-Charles CHABANNE & Dominique BUCHETON – chapitre extrait de l’ouvrage : Écrire en ZEP, un autre regard sur les écrits des élèves, 1
paru en 2002 aux éditions Delagrave/CRDP Versailles. Tous droits réservés.
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scolaires. Ce sont des outils précis et efficaces de révision et de indicateurs, leur regroupement, est discutable ; comme tout modèle,
normalisation des textes destinés à être mis en circulation. celui-ci se présente non pour être repris tel quel, mais pour être utilisé
et discuté. Il nous fallait aussi dégager un modèle articulé, qui soit
Le problème, c’est que les écrits intermédiaires ne peuvent être
capable de rendre compte de processus complexes et labiles, tout en
reportées à un modèle de référence. Ce sont avant tout des écrits de
restant maniable et concrètement utilisable dans les situations
travail, hétérogènes, inachevés, brouillonnants, destinés à lancer,
ordinaires d’évaluation pour gérer une classe au jour le jour. Notre
accompagner et stimuler l’activité réflexive au cours de tâches de
proposition est discutable : nous rendons compte ici de nos choix.
collecte ou de rappel d’information, de (re)formulation immédiate
d’une leçon, d’ébauche d’un projet narratif ou explicatif, etc. Quand ils Nous retenons trois questions :
existent dans une séquence, ils sont habituellement assimilés à des
– Comment se positionne l’élève dans son écrit ? Question
brouillons et de ce fait n'ont pas vraiment d’existence ni de statut officiel
qu’on pourrait décomposer, ouvrant ainsi plusieurs sous-entrées :
dans les classes. Mais si les scripteurs professionnels, écrivains,
Où se situe-t-il dans l’écrit : sous forme d’un Je, d’un nous, d’un il ?
chercheurs… conservent leurs carnets de notes, encombrent la
Est-il plus ou moins distingué d’autres voix, celle des personnages,
mémoire de leurs ordinateurs par des fichiers, c’est qu’ils gardent ainsi
de contradicteurs plus ou moins explicites, etc. ? Comment est
les traces de transitions indispensables, d’ébauches nécessaires pour la
inscrit le lecteur potentiel, quels actes de langage sont orientés vers
réflexion, de pistes à reprendre plus tard ou ailleurs. Nous pensons
lui ? Quelles postures d’écriture (en particulier quelle position par
qu’il y a là une forme d’activité écrite essentielle pour la mise en place
rapport à la consigne) ?
d’un rapport à l’écrit qui s’accorde avec l’esprit de l’école et qu’elle doit
s’enseigner et donc s’évaluer. – De quoi parle le texte et quels sont ses enjeux et ses valeurs ?
Le but de l’évaluation dans notre modèle n’est donc pas encore de Tout simplement (mais est-ce en réalité si simple ?), de quoi parle
corriger le texte, mais bien de juger de ce qui est en germination dans ces le texte ? Quels contenus conceptuels ou symboliques sont en
écrits de transition, de mesurer avec quelques indicateurs les traces de germe en lui, se développent d’une version à l’autre, se retrouvent
l’activité : non pas pour s’arrêter là, mais pour savoir comment faire d’un écrit à l’autre ? Comment ces contenus se structurent-ils,
pour relancer le développement de l’écrit par des consignes trouvent des continuités, reprennent des schémas disponibles
appropriées, pour voir ce que fait l’élève pour l’aider à évoluer. Il comme les schémas narratifs ou les formes de raisonnement, etc. ?
s’agit donc moins d’aide à la correction que ce qu’on appelle un étayage, – Comment apparaît et évolue la prise en compte des
une aide « en ligne », une sorte de dialogue avec l’élève et son texte pour normes ? Même dans les textes les plus déviants, des éléments de
les remettre en travail. la norme se mettent en place, d’une écriture à l’autre. Qu’est-ce qui
bouge sur ce plan ? Quels sont les signes de l’invention et de la
régression des normes ? Ce qui évolue : graphie, syntaxe, lexique,
Trois ensembles d’indicateurs dans les textes
connecteurs, anaphores, organisation textuelle, etc.
intermédiaires
Nous proposons d’identifier trois ensembles d’indicateurs qui Ce que nous nous proposons de faire :
permettent d’isoler trois dimensions importantes, à nos yeux, de Observer quelques indicateurs sémantiques et linguistiques
l’activité mentale que l’écriture met en marche. Le choix de ces dans les textes produits, moins pour comparer le degré de
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maîtrise des codes et procédures d’écriture qu’elles traduisent par rapport au contenus et au contexte disciplinaire de
que pour repérer quels sont les obstacles qui bloquent le la tâche : faire un conte à partir de quelques éléments
développement de l’écriture. Sont-ils du côté du rapport du donnés, y incorporer des éléments de récits lus ;
sujet à l’écriture : son identité de sujet écrivant, ses savoirs sur présenter par écrit ce qu’on vient de vivre,
les fonctionnements de l’écriture et de la langue écrite ? Ou du d’expérimenter en SVT…
côté de son rapport à l’école : son désir d’apprendre, sa
compréhension de ce qu’on y fait, de ce qu’on lui demande ? par rapport à un lecteur potentiel et aux effets qu’il
veut produire, au degré de coopération qu’il veut
Mesurer si les usages que l’élève fait de l’écriture sont installer dans le texte pour faire admettre et partager
pertinents, efficaces, diversifiés, pas trop répétitifs et s’ils lui son point de vue. Ce dernier aspect, on le sait, vient
permettent une activité cognitivo-langagière de bon niveau par tardivement dans la gestion de l’écriture.
rapport à la tâche qui lui est proposée. Le but est de l’amener à
assouplir les routines de son activité cognitivo-langagière (ses
postures), à les diversifier, à les ajuster à la diversité des tâches
écrites qui lui sont proposées à l’école : faire des récits, noter
ses observations, discuter un document, le résumer, inventer
une consigne, répondre à des questions, rédiger une solution,
etc. Ces tâches correspondent à des usages très différents de la
langue écrite.
Considérer l’écriture comme la résolution de problèmes
successifs ou enchâssés. L'élève qui écrit en français ou dans
d’autres disciplines est en train d’élaborer des significations
singulières : il pense par et avec de l’écrit et ceci quelle que soit
la tâche prescrite par la consigne (écrire un récit ou un texte
informatif par exemple, faire un exercice de grammaire ou de
mathématiques). Plus il avance dans la tâche, plus il rencontre
des problèmes de nature diverse qui modifient et font évoluer
ses choix langagiers et cognitifs. Il lui faut en effet construire
des significations à trois niveaux difficiles à gérer
conjointement sur le plan d’une écriture « normée », y compris
par un scripteur très expert. Son implication et les postures
convoquées se jouent différemment à chacun de ces niveaux :
par rapport à lui même : ce qu’il sait déjà, sa propre
expérience, son imaginaire, sa culture, ses affects ;
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Nous présentons ici un tableau succint, résumant nos propositions d’évaluation. Nous les commenterons
ensuite plus longuement au travers d’exemples pris dans les classes observées.
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La tête du lynx resemble à un chat les oreilles sont pointue et poilu il 1.2. La gestion écrite des voix des autres : de l’énonciation
était confortablement couchet, sa fourrure est tout à fait remarcable et orale à l’énonciation écrite
son camoufla extraordinaire. quant on passe devant, il faut bien
regarder pour le voir il a des pates de tigre la fourrure a une couleur La polyphonie énonciative est constitutive du discours : l’oral
blanche et marron il a des taches marron et noirs n’en est pas exempt. Entrer dans une énonciation écrite c’est
apprendre à différencier ou au contraire à mêler habilement les voix
Texte de Jamy qui le tissent, à orchestrer cette polyphonie : marquage des discours
Fenouil direct, indirect ; utilisation des citations et des discours repris, etc. À
Cette plante sans bon, je l’ai senti, le fenouil était sec, de couleurs l’oral, on a appris à le faire à l’aide de formules simples : il me dit, il me
jaune. Elle a une grande tige. fait, je lui dis… et de variations dans le ton de la voix. A l’écrit il faut
Le fenouil à des feuilles divisées en fines lanières. Cet plante mesure
apprendre d’autres règles et les formes correspondantes. Dans le cas
au moins un mètre
[dessin] du récit il faut non seulement faire discuter les personnages mais aussi
On mange le bulbe en salade. les faire penser (règles morpho-syntaxiques du discours rapporté, direct,
Les graines servent pour la cuisine. Le fenouil n’est pas un indirect…, formules telles que il se dit que… une idée lui passa à l’esprit…il
arbuste. C’est la plus haute plantes de la plaine. pensait à…). Dans le cas de textes argumentatifs ou documentaires il
faut pouvoir citer pour faire discuter des points de vue et faire part des
Frédéric comme Jamy hésitent, mélangent les positions sources.
énonciatives, conçoivent la tâche différemment. Lise se tient à la
position impersonnelle attendue par le maître et qu’elle a lue sur
les panneaux du parc. Exemple n° 3 : classe de CE 16
Pour situer le contexte : le témoignage de l’enseignant :
Texte de Lise « Je lance une série d’écritures sur le thème de la différence, en
Le cyprès chauve donnant chaque fois des lanceurs différents. Ce travail s’inscrit
Les branches portent des fruits ronds et verts : ce sont des cônes. dans une durée, permettant des apports culturels et des
Le tronc est de grande taille. Les racines sortent du sol en forme de apprentissages de français : nous avons lu ou écouté plusieurs
bosse. histoires, en particulier Petit Zèbre7 et Tibili8, nous avons ouvert un
Il s’appelle cyprès mais il est de la famille des séquoïas. Il exige chantier sur la phrase, nous avons observé dans différents albums
beaucoup d’humidité et de lumière. Il perd ses feuilles en hiver. Il fut les dialogues et leurs signes typographiques.
introduit vers 1640 en Europe.
À chaque réécriture, j’ai donné un lanceur différent pour ne pas
[ici une photo + légende : ]
racines qui sortent pour aller chercher de l’air. Elles mesurent entre lasser les élèves, mais aussi pour les amener à penser mieux une
15 et 20 cms partie de leur écriture longue :
1. Vous allez écrire l’histoire de Petit Zèbre comme s’il était
un enfant.
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2. Ecrivez, inventez la rencontre avec un personnage que vous On peut opposer à cet exemple le récit de Sofia qui gère de bout en
choisissez. bout un point de vue narratif (distinguant dialogue et narration) :
3. Photo de Doisneau [deux enfants en larmes] : que s’est-il
passé, que va-t-il arriver ? Extraits du cahier de travail de Sofia, consigne n° 6
4. Un jour tu as aidé quelqu’un : raconte.
il y avait un petit garçon qui était malheureux il avait 6 ans il
5. Distribution de trois images : écrire sur le même synopsis
s’appelait Sébastien les autres enfants se moquent de lui parce qu’il
que Petit Zèbre.
porte des habits déchirés et puis une petite fille s’appelait nora elle
6. Ecrivez l’histoire entière du petit enfant. Vous devez finir
l’aida et puis nora elle leur disait de sortir et puis ils sont partis.
l’histoire. »
elle l’a trouvé malheureux et puis elle a vu ceux qui se moquaient de
lui. elle leur dit pourquoi vous vous moquez
Le texte n° 6 de Khamel montre un début de récit organisé par une sébastien va chez sa maman lui dit les autres enfants se moquent de
instance narrative, puis il revient à un « récit de paroles » difficile à moi.
suivre sauf s’il est lu oralement : sa maman va chez eux. et leur dit pourquoi vous vous moquez de
sébastien.
Extraits du cahier de travail de Khamel, consigne n° 6 9
Le petit enfant est malheureux parce qu’il n’est pas comme les autres La maitrise des discours rapportés est un indicateur de la progressive
et cet enfant s’appelle paul il a six ans et il n’aime pas qu’on se distance de soi à soi que permet l’écrit, ainsi que le signe d’une
moque de lui. le lendemain il y a des enfants et ils lui disent : progressive prise en compte que mon discours peut exister « en dehors
eh toi là-bas tu ne sais pas lire
non je ne sais pas lire et les gars il ne sait pas lire ils disent tous qu’ils
de moi », au même titre que celui de mes pairs, de l’enseignant, des
ne sait pas lire venez on va le dire à tout le monde mais comment on livres, etc. (cf. l’étonnement des élèves quand ils réalisent que ce qu’ils
prend beaucoup de feuilles et on écrit mais qu’est-ce qu’on écrit on disent peut devenir écrit, et un écrit « qui ressemble à un livre »…). Et
écrit que paul ne sait pas lire bonne idée quoi j’ai dit bonne idée allez c’est aussi à ce titre que s’opère l’intégration des normes : j’apprends à
ne perdons pas de temps sinon il appelle sa mère merci de me l’avoir écrire comme on écrit.
dit eh vous là-bas vous n’avez pas honte. c’était son copain. il vient et
il dit : tirez-vous de là sinon je le dis à votre mère. mais en rentrant à De la même manière qu’émerge pour l’élève une représentation de la
la maison il voyait beaucoup de jouets et il dit merci. différence oral brut / écrit mis à distance, les différents discours qui se
Le narrateur est totalement effacé. En réalité on est encore dans de tissent dans l’énonciation spontanée se séparent, se hiérarchisent et
l’oral transcrit, une posture où l’écriture se réduit à du brut de prennent les formes linguistiques conventionnelles qui les marquent à
parole. Dans de nombreux textes, les élèves en difficulté jusqu’en l’écrit : ainsi se différencient à l’écrit les voix des personnages, celle du
6ème se contentent de transcrire de l’oral entendu. Ils posent côte à narrateur, lui-même éventuellement dédoublé en commentateur,
côte des fragments de discours, de citations. Entrainer ces élèves à évaluateur, etc. C’est ainsi que dans le discours argumentatif, se
écrire des dialogues en discours direct (pratique courante) sans les sédimentent le niveau du questionnement et celui de l’assertion en
insérer dans un texte narratif n'est pas forcément la solution. réponse, les différentes voix des contradicteurs, etc.
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1.3. Le développement d’un point de vue singulier le développement de la modalisation : adverbes, adjectifs
Ecrire, c’est aussi inscrire sa propre voix dans une communauté, évaluatifs, comparaisons, exemples…
penser de manière singulière, s’approprier les textes ou les écrits des l’apparition de verbes de point de vue (je pense que… je suis sûr
autres, les habiller avec son propre style pour les transformer. C'est de… je dis que…) qui installent les actes de commentaire,
développer à l’intérieur de cette communauté une action propre. d’explication, d’évaluation « en ligne » de l’auteur.
Cette mise en place est lente à installer. Le texte purement factuel du
début (les personnages agissent, éventuellement disent) s’épaissit de [Remarque: cette présence forte de l’auteur au plan énonciatif dans les
commentaires, d’évaluations. Il se charge peu à peu de valeurs, textes intermédiaires disparaît ensuite progressivement au fur et à
explicitement ou implicitement signifiées. mesure que la force du propos s’affirme. On assiste ainsi souvent à la
disparition des je pense que, je crois que dans les versions finales de textes
Cette position énonciative plus élaborée du point de vue des à visée argumentative ou justificative forte, chez les élèves comme
significations qu’elle véhicule, se construit en même temps dans un chez les adultes.]
dialogue silencieux avec des lecteurs potentiels, qu’il faut gagner,
convaincre, séduire… La dimension pragmatique (la prise en compte de
l’autre, du contexte, les actes de langage divers, les calculs et le développement et la diversification des actes de langage qui
négociations communicationnels qu’elle nécessite) s’élabore en permettent la coopération avec le lecteur en anticipant ses
parallèle. Il y a visée pragmatique au sens où l’écriture engage le désir, réactions (d’ou le développement de l’argumentation, des
le souci de convaincre l’autre, de le séduire, de l’aider à comprendre et justifications).
nécessite de ce fait des stratégies d’écriture plus élaborées. La diversification et la pertinence des actes de langage montre l’entrée
Enfin, à ce troisième niveau énonciatif plus complexe, apparaît une dans la dimension pragmatique écrite du langage, ils indiquent : a) Les
prise de distance par rapport à la tâche prescrite : l’élève décide ou non visées de l’auteur sur l’objet du discours : l’explorer, le raconter, le
de s’y impliquer et de profiter du texte pour se construire ; prise de résumer, le commenter, l’évaluer, l’ expliquer, le mémoriser,
distance par rapport aux propos des autres qui vont être repris et l’illustrer… b) Ses visées sur le destinataire : questionner, informer,
reformulés ; prise de distance par rapport à sa propre expérience, à son chercher à émouvoir, impliquer, provoquer, enjoindre, atténuer, etc.
propre imaginaire. L’élève devient actif face à la tâche, pour s’en
emparer. Exemple n° 4 : classe de CP
Linda (fin de CP) est la seule de la classe à pouvoir énoncer et
commenter à l’écrit son expérience y compris en la comparant à
On observe alors un fort développement de toute une série de
celle de son père :
stratégies d’écriture qui montrent l’implication de l’élève dans son Le 22 mai on m'a opérer des amydale et des végétation, on m'a couper
texte : les amydale et couper des chose dans le nez [explications de mots !].
mais quand on opère on ne sent rien du tout et on ne pe même pas
la diversification des postures (voir plus haut chapitre NN)
faire pipi même si on n'a vraiment pipi et ses pareil pour le caca
d’écriture : l’élève s’essaie à diverses stratégies ; [commentaire]. et mon papa aussi on la opérer mais pas des amydale
on la opérér du genou et quand s’était la fin de l’opération de mon
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papa mon papa a dit j'ai pipi et il voulu se levé mais le docter a dit – à structurer en mettant de l’ordre dans les connaissances
"non vous ne pouvai pas" [un exemple ici renforce l’argumentation]. présentée (forme, mode de vie, histoire).
Sa posture énonciative est homogène, son texte neutre, proche de la
Exemple n° 5 : retour sur les textes de Frédéric, Jamy, Lisa, classe notice de jardin botanique, de manuel ou d’herbier.
de 6ème Ces trois élèves n'adoptent pas le même point de vue sur l’objet, ils
Les textes de Frédéric et Jamy pour rendre compte de la plante ou n'ont pas interprété la tâche de la même façon. Lise s’est située
de l’animal qu’ils ont choisi de présenter abondent en dans une posture en extériorité, Frédéric et Jamy ne savent pas bien
modalisations : les adverbes, adjectifs, comparaisons, verbes de quelle distance prendre avec leur expérience, leurs savoirs, l’objet
perception marquent un point de vue issu d’une perception : le décrit, avec le contexte scolaire, sont-ils en français ? en Biologie ?
fenouil sent bon: je l’ai sent, écrit Jamy, c’est la plus grande plante Ils n'arrivent pas non plus à se conformer aux modèles des fiches
de la plaine. Le camouflage du lynx est tout à fait remarquable, il signalétiques rencontrés partout dans le parc, que peut-être ils n'ont
est confortablement installé, souligne Frédéric : les observations pas voulu lire, plus intéressés à sentir, voir (Il faut effectivement
sont précises, très pertinentes, mais très dépendantes du contexte être très attentif pour repérer le lynx dans le parc !).
de l’expérience vécue.
L'énonciation semble ici difficile pour ces deux élèves qui
n'arrivent pas à situer leur voix : doivent-ils exister comme sujet
singulier ayant fait des observations à partir d’une expérience 2. La dimension sémantique et symbolique : contenus et
sensorielle (après tout, ils sont en visite) ou jouer à être auteur d’un enjeux
savoir général sur l’animal ou la plante ? L'un comme l’autre
s’impliquent pourtant fortement dans la tâche d’écriture et rendent 2.1. Une question simple : de quoi parle le texte ?
compte de leur rencontre avec la nature. Ils ne situent pas leur voix
Certaines pratiques scolaires de l’écriture contribuent à sédimenter
sur la même visée. Ils suivent finalement à la lettre ce que le maître
leur a dit de faire (posture scolaire).
chez l’élève la conviction qu’à l’école écrire se réduit à « faire des
phrases sans faire de fautes » et à « construire un texte selon les
Lise au contraire met en avant non son expérience et sa perception règles ». Or, cela ne vient qu’en dernier lieu. Ecrire, c’est d’abord
singulière, mais les savoirs qu’elle a pu construire au travers non mettre au travail un contenu symbolique inséparable d’une
seulement de ce qu’elle a observé mais aussi de ce qu’elle a lu. Elle forme langagière pour agir dans une situation. Ce contenu
s’efface comme auteur et choisi la voix neutre du savoir qui symbolique, c’est tout simplement l’histoire qu’on raconte, les idées
s’énonce de lui même ! La composante pragmatique est forte : elle qu’on liste et qu’on articule en raisonnement, les concepts qu’on
joue le jeu énonciatif du savoir qu’on présente pour un public développe, assemble, illustre, les affects qu’on nomme et qu’on figure,
potentiel par des actes de langage multiples visant les percepts qu’on organise en compte rendu ou en description, etc.
– à nommer (famille des séquoias) Enfin, c’est, au cœur du projet d’écriture, les valeurs qui le justifie aux
– à expliquer (ce sont des cônes), yeux du scripteur lui-même : une réponse à la question des fins et des
– à décrire (le cyprès chauve, des racines de 20 cm qui font des motifs : pourquoi, pour quoi écrire ?
bosses),
Considérer la dimension symbolique de l’activité d’écriture, c’est
prendre à la lettre une conception du langage qui refuse de séparer
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forme et contenu, qui refuse de séparer pensée-langage-sujet10. Dans désir de s’emparer de la langue écrite pour s’y inscrire, corps et
le co-développement de l’interaction, de la pensée et du langage, les voix. » (François Quet12).
contenus et les enjeux ne sont pas au second plan. Ce qui est dit et ce
qui est en jeu est le moteur de l’engagement dans son propre écrit, et la Tout élève a donc le droit d’être écouté pour ce qui, dans ses écrits, fait
condition du développement des compétences langagières. L’élève de lui, toutes proportions et mesure gardées, un auteur (on dit aussi,
apprend à écrire parce qu’il a quelque chose à écrire, quelque chose qui formule qui se veut plus neutre, un sujet écrivant). Dès lors que l’on
ne peut prendre forme que dans l’écrit. Ce quelque chose n’est pas oriente son attention sur cette dimension, le moindre texte, le plus
nécessairement clairement accessible au scripteur, à qui il suffirait de le sommaire, le plus brouillon, est éclairé différemment. On peut ainsi
dire. C’est l’écrire qui peut-être le révèle, encore que ce foyer central faire la différence entre des écrits où les élèves tentent tant bien que
du sens échappe sans doute à tous indéfiniment : c’est précisément mal de « produire un écrit », en se situant uniquement du côté de la
cela qu’on appelle le symbolique. forme linguistique –– ce que sont nombre de « rédactions », « contes »
ou « portraits » scolaires — et celui où on observe un travail de la
Mais l’implication de l’élève dépend aussi de la réception qu’il imagine pensée en émergence, la gestation d’un espace symbolique ou
pour ses écrits. D’où l’importance décisive, pour lui, d’être assuré conceptuel.
d’une lecture exigeante mais bienveillante, d’une lecture attachée à
l’esprit tout autant qu’à la lettre, d’une lecture de lecteur et non de
correcteur d’imprimerie. Comme l’ont proposé les auteurs réunis par C.
Fabre-Cols récemment, il faut « apprendre à les lire autrement, comme 2.2. A la recherche des germes symboliques du texte à venir
des textes à part entière »11. On commencera par une étude lexicale13, pour observer comment le
« Il ne s’agit pas de restaurer les mirages du spontanéisme en texte ébauche des ensembles progressivement organisés d’unités
écriture, ni d’exalter la créativité du texte d’enfant, et en particulier sémantiques, dont la nature varie en fonction du cadre discursif :
celle de l’enfant en grande difficulté familiale et scolaire. Il s’agit concepts et relations dans un texte explicatif, actants, actions, objets et
d’une part de constater qu’il y a effectivement dans les productions espace-temps dans la fiction, arguments et relations dans
les plus modestes des traces de savoirs [...]. L'inventaire, dans la l’argumentatif, etc.
classe, de ce que l’on sait faire ne permet pas seulement de
‘changer le regard’ sur les productions (de les ‘réhabiliter’), il
permet aussi de parler des productions écrites en terme de savoirs, Exemple n° 6 : retour dans la classe de CE 1
ce qui ne va pas de soi. D'autre part, il s’agit de lire dans ces La première tâche demandée (Vous allez écrire l’histoire de Petit
productions hasardeuses mais volontaires l’expression forte d’un Zèbre comme s’il était un enfant) impose de trouver un équivalent
du noyau symbolique de l’histoire de référence : le héros Petit
Zèbre est exclu de son troupeau « parce qu’il a les rayures à
l’envers » : tout le récit repose sur une différence honteuse.
10 H. Meschonnic : le texte « en tant que produit de l’homogénéité du dire et du 12 F. Quet, « Vouloir dire et savoir écrire dans les textes qui paraissent rompre avec le
vivre », Pour la poétique I, Paris : Gallimard, 1970, p. 176. ‘contrat didactique’ », ibidem, p. 255.
11 C. Fabre-Cols (éd.), Apprendre à lire les textes d’enfants, Bruxelles : De Boeck-Duculot, 13 Voir P. Cappeau, « S'appuyer sur le lexique pour lire les textes d’enfants », ibidem,
2000. p. 97-112.
Jean-Charles CHABANNE & Dominique BUCHETON – chapitre extrait de l’ouvrage : Écrire en ZEP, un autre regard sur les écrits des élèves, 10
paru en 2002 aux éditions Delagrave/CRDP Versailles. Tous droits réservés.
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Pas si facile, car c’est inviter d’emblée à en dégager le cœur et la maitresse le lui avait dit : « tu es très élégant comme ça » et
sémantique et toutes ses implications ! La consigne a dérouté l’enfant était fâché.
Zineb qui n’a pu écrire que ceci :
les cheveux un pied parce qu’il n’a pas les cheveux Texte n° 6 (19 novembre, consigne : Ecrivez l’histoire entière du petit
enfant. Vous devez finir l’histoire)
C’est une liste : même pas un texte ! Et pourtant, elle joue le rôle C’est une enfant qui s’appelle calia c’était une fille malheureuse
modeste d’un outil mental pour poser les premières idées, libérer la parce qu’elle avait les bras à l’envers elle a 7 ans c’était la récréation
et les autres enfants disent :
mémoire à court terme pour d’autres items, permettre ensuite
Elle a les bras à l’envers !
sélection, addition, mise en ordre. personne ne jouait avec elle. elle était triste et une fille dit :
Dans la même classe, au cours de ses réécritures successives, pourquoi es-tu triste ? calia dit :
Imane essaie ainsi, successivement, plusieurs Obstacles possibles : parce que mes bras sont à l’envers
et la fille dit : je sais ce que tu vas faire tu vas te fâcher ! parce que je
Extraits du cahier de travail d’Imane : texte n° 1 (12 septembre) te trouve très élégante !
cali ses bras sont ridicules parce qu’elle veut être comme les autres. calia dit :
mais comment ?
Texte n° 2 (15 septembre, consigne : Ecrivez, inventez la rencontre avec un et la fille répond : « tu n’as qu’à crier !
personnage que vous choisissez) et c’était la récréation et on court les enfants se moquent d’elle et
Cali rencontre une femme de ménage et la femme de ménage lui dit : calia dit
« pourquoi es-tu si triste » je ne suis pas ridicule !
et cali dit « mes bras sont ridicules » elle était originaire de France et tous les enfants jouent avec calia et la
– « mais je te trouve très élégante comme ça » fille était magicienne.
et calia dit :
Texte n° 3 (24 septembre, consigne : Photo de Doisneau [deux enfants en merci !
larmes] : que s’est-il passé, que va-t-il arriver ?) et les enfants disent
qui a fabriqué tes bras ?
parce qu’il n’est pas comme les autres et il est malheureux et
et calia dit :
personne ne joue avec lui. et il n’est pas habillé comme les autres et il
c’est une longue histoire !
s’appelle cali. et la femme de ménage a dit : mais pourquoi es-tu si
je vous la raconte l’histoire
triste « parce qu’ils m’ont tapé » dit cali.
je me suis coupé les bras et un monsieur m’avait aidé. Il m’avait
construit les bras. Il m’avait mis les bras à l’envers. qui a des
Texte n° 4 (5 octobre, consigne : Un jour tu as aidé quelqu’un : raconte)
questions ?
quand j’avais aidé zineb j’étais en forme. mais comment il s’appelle le monsieur ? et calia dit :
je lui avais expliqué qu’on fait comme ça il s’appelle tom !
j’étais comme une fille maintenant on va jouer.
oui. dit le garçon.
Texte n° 5 (6 octobre, consigne : Distribution de trois images : écrire sur le
même synopsis que Petit Zèbre) Dans la dernière version, l’héroïne explique comment un
Il avait des habits déchirés et les autres se moquent. Il savait pas que « monsieur » lui a mis les bras à l’envers par erreur, et elle
les autres se moquent de lui. imposera par cette explication son étrangeté au groupe : son
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assurance suffit à clore le récit : « qui a des questions ? alors on va Texte n° 2 (15 septembre, consigne : Ecrivez, inventez la rencontre avec un
jouer ». Tout se passe comme si l’élève devait, au cours des personnage que vous choisissez)
écritures successives, essayer de développer ces germes l’enfant rencontre un copain pour l’aider à faire un robot qui
sémantiques et à en déplier le dynamisme symbolique par des il est habillé de toute les couleurs et il sortait jamais dehors il
essais successifs, en lire lui-même les effets dans le miroir du texte s’appelle bob et il parle trop avec son ami et à l’école il parlait trop à
écrit. l’école et
Associer ces noyaux sémantiques premiers avec les formes On remarque qu’on n’est toujours pas dans la consigne, mais
génériques empruntées, nécessite chez le scripteur un important et observons que Khamel poursuit l’élaboration du même monde
lent travail d’ajustement, bien visible, mais que tous les élèves ne narratif commencé dans le texte 1 et toujours à l’état d’ébauche.
développent pas de la même façon ou au même moment. Les textes Le premier énoncé inachevé reprend l’isotopie
intermédiaires nous donnent à voir cette lente dynamique de la /JEU-AMITIÉ/.Texte-liste ici, où Khamel cherche clairement des
construction du sens. Par exemple la caractérisation du héros Obstacles, c’est-à-dire le moteur même du narratif :
comme fille et comme enfant s’est lentement construite : successivement l’habit dépareillé, la solitude (un comble dans le
– Texte 1 : Cali monde de Khamel où la vie, c’est visiblement les potes !), le
– Texte 2 : Cali bavardage et donc le conflit scolaire...
– Texte 3 : Et il s’appelle Cali
– Texte 4 : C’est un enfant qui s’appelle Cali Texte n° 3 (24 septembre, consigne : Photo de Doisneau [deux enfants en
– Texte 5 : Il, l’enfant larmes] : que s’est-il passé, que va-t-il arriver ?)
– Texte 6 : C’est une enfant qui s’appelle Calia, elle a 7 ans. l’enfant pleure parce qu’il n’a pas d’ami il est triste à la cour de
récréation
Dans la même classe, on observera de près les écrits d’un élève très il y en avait un autre qui pleurait mais les deux enfants au couloir
différent, Khamel : pleuraient encore mais quand ils sont entrés en classe la maitresse a
dit : pourquoi vous pleurez vous deux parce qu’on n’a pas d’amis
Extraits du cahier de travail de Khamel : Texte n° 1 (12 septembre, mais à la récré avec qui vous avez joué on n’est pas sorti dehors on
consigne : Vous allez écrire l’histoire de Petit Zèbre comme s’il était un est resté dans le couloir en train de pleurer bien vous sortirez jamais
enfant) mais ils pleurent encore
il a trouvé un bon ami gentil stanley a dit : bonjour est-ce que tu peux Retour des mêmes valeurs symboliques par leur négation : pleure,
jouer avec toi oh oui si on jouait à touche-touche d’accord et ils triste (MALHEUR) car pas d’ami. Récit entièrement dominé par
s’amusent bien et après ils ont joué à cache-cache les larmes ; on retrouve l’absence de JEU et de récréation qui
Le relevé lexical fournit un réseau double autour des sèmes explique tout : vous sortirez jamais. L’Enfer c’est l’absence des
/AMITIÉ/: bon ami – gentil – d’accord – ils s’amusent bien et autres, et définitivement…
/JEU/ : je peux jouer – si on jouait – s’amusent – ils ont joué.
Aucune péripétie dans ce qui est le déroulement d’un script idéal. Texte n° 4 (5 octobre, consigne : Un jour tu as aidé quelqu’un : raconte)
On est dans un « monde parfait »... mais ce n’est pas ce qu’on il y avait un enfant qui n’avait pas d’ami mais hier il y avait quelqu’un
demande (Vous allez écrire l’histoire de Petit Zèbre comme...) ! qui s’appelait Ibrahim il frappait tout le monde et il voulait plus partir
à l’école il voulait rester à la maison et ce qu’il aimait le plus c’est les
jeux vidéo de « street fighter » mais le mardi il voulait aller à l’école
parce qu’il y avait un anniversaire de thomas.
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pas encore de le faire travailler explicitement sur des critères du récit, mais sait qu’il faut qu’elle l’imite sans le copier. Que lui demander de
tout simplement de lui donner l’occasion de retravailler les mêmes plus ?
germes symboliques dans des situations d’écritures
coordonnées (au fond, ces consignes sont convergentes) mais Le compte rendu de Frédéric
renouvelées par une consigne toujours nouvelle. Le lynx
La tête du lynx resemble à un chat les oreilles sont pointue et poilu il
était confortablement couchet, sa fourrure est tout à fait remarcable et
Exemple n° 7 : retour dans la classe de 6ème son camoufla extraordinaire. quant on passe devant, il faut bien
regarder pour le voir il a des pates de tigre la fourrure a une couleur
Le compte rendu de Lise blanche et marron il a des taches marron et noirs
Le cyprès chauve
Les branches portent des fruits ronds et verts : ce sont des cônes. Frédéric a bataillé pour arriver à ce résultat, qui est pour lui une
Le tronc est de grande taille. Les racines sortent du sol en forme de réussite. La description « naturaliste » est remplacée par une vision
bosse. très personnelle, presque un récit d’expérience. Si on retrouve les
Il s’appelle cyprès mais il est de la famille des séquoïas. Il exige composantes sémantiques de la notice zoologique (tête, oreilles,
beaucoup d’humidité et de lumière. Il perd ses feuilles en hiver. Il fut fourrure, camouflage, pattes), ils sont fortement marqués de
introduit vers 1640 en Europe. subjectivité : tout à fait remarquable, confortablement,
[ici une photo + légende : ] extraordinaire méritent commentaire : s’agit-il d’une indication
racines qui sortent pour aller chercher de l’air. Elles mesurent entre donnée dans la documentation ? Ou bien de l’inscription d’un
15 et 20 cms
regard personnel, de cet étonnement vécu qui donne au mot
camouflage un sens vécu ? Comme si toute la description se
Le plan de texte est apparent et marqué par des alinéas
ramassait dans le compte rendu de cette impression qui prend le
(cohésion/cohérence). Le thème est posé en titre, puis Lise
dessus sur toutes les autres : il l’exprime par une description
énumère des caractérisations selon un parcours structuré de haut en
détaillée des ocelles.
bas : branches-fruits, tronc, racines. Puis elle rattache l’individu à
Mis à part les erreurs de langue et de ponctuation, on se demande
une famille (séquoias). Lise situe ensuite l’espèce dans un milieu
que reprocher au travail fait. Apparemment il s’écarte d’un genre
géographique et une histoire botanique.
repérable que retrouve très bien Lise, à savoir la « notice
Elle termine par une photo légendée sur une propriété remarquable
naturaliste ». Mais cela interroge la consigne elle-même et le
des racines. Elle a repéré (et su copier) la forme textuelle et le
modèle discursif implicite défini par la consigne et attendu par
mode de description du genre « notice botanique ». Elle s’est
l’enseignante : ce modèle existe-t-il ?
appuyée pour cela sur les documents fournis pour le travail mais a
Remarque de l’enseignante : « Il n’y a pas eu de modèle donné, ou en
réussi à la reformuler et la réorganiser. tout cas, pas un seul modèle; c’est peut-être cela le plus difficile pour
Les unités sémantiques sont ici des notions de botanique, eux ? Ils ont eu des textes de type botanique, fournis par l’animateur
dénotées par une terminologie propre (cyprès chauve, cônes, de la réserve, mais qu’ils n’ont pas lus parce que trop difficiles, des
séquoïas, humidité, lumière…). La configuration est à la fois codé fiches émanant des plaquettes du zoo, de type plutôt descriptif et
par un parcours naturel (de loin, de près ; les détails caractérisants / informatif, des pages tirées de La Hulotte, qui font parler la plante,
l’environnement...) et par un genre social de référence, dont Lise sur le mode ironique avec plusieurs narrateurs annexes. »
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sous-genres n'ont cessé de se différencier, dont les critères formels ne fréquemment, à bon ou à mauvais escient. La règle consultée
cessent de bouger) ? Et partant, il est difficile de pouvoir répondre à n’aide pas forcément à résoudre le problème. Ce qui importe ici
l’injonction de la remédiation différenciée, qui souhaiterait qu’on fasse c’est le geste commun de contrôle orthographique et en même
travailler aux élèves tel ou tel compartiment de la compétence. temps l’outil individuel, que ne saurait remplacer un manuel de
règles tout fait.
Le respect des normes manifeste autant une intériorisation de
3.1. Evaluer plutôt la construction d’une attitude par celles-ci qu’un rapport à l’écrit positif, qui en est la condition. Écrire en
rapport à sa propre écriture : un rapport positif et s’efforçant de se conformer à un certain nombre de normes formelles,
volontaire à la norme de bas ou de haut niveau nécessite certes des savoirs, certes des
Pour notre part, nous souhaitons proposer une manière un peu capacités de contrôle et de vigilance plus ou moins grandes selon la
différente de prendre en compte la contrainte linguistique dans les difficulté de la tâche et son avancée, mais beaucoup plus l’acceptation
écrits intermédiaires. Au-delà de la seule mesure quantitative des en profondeur d’un système de valeurs (que l’écriture rapide par mail
écarts, nous proposons de lire dans les écrits le rapport de l’élève à la norme est en train d’ailleurs de déstabiliser). Plus encore, ce rapport à l’écrit
et sa dynamique. Bien sûr, nous attendons de l’élève qu’il respecte la évolue grâce à la pratique de l’écriture, qui implique par elle-même que
norme du mieux possible en fonction de son âge et de ce qu’on entend les savoirs sur la norme soient convoqués avec plus ou moins
par norme. Bien évidemment, il est plus simple d’objectiver ce qu’est d’exigence en fonction de l’implication du sujet dans l’écriture.
la norme orthographique que de savoir ce qu’est la norme générique
.
du récit, par exemple... Une mise aux normes est de ce point de vue
indispensable pour les textes destinés à diffusion. Ce que nous cherchons, ce sont les traces de cette évolution
dans la construction d’un rapport positif aux normes. Nous observons
Toutefois, il nous semble que le respect des normes relève tout
si l’acquisition et le contrôle des normes évolue ou non, dans quelles
autant d’une attitude que d’une compétence, et plus exactement que
conditions ou circonstances il régresse. Prendre en compte le
celle-ci ne se développe que si celle-là le permet. Ce que l’on cherche à
processus et non seulement le produit revient à s’intéresser aux traces
voir c’est finalement si l’élève construit un rapport positif, volontaire,
de correction, par exemple les ratures19, mais aussi aux conduites de
conscient à la norme ou s’il la subit, la dénie. Accepter des normes
correction : comment se comporte l’élève dans les séances centrées
c’est accepter d’appartenir à une communauté. C'est en cela que nous
sur cet objectif ? Comment collabore-t-il avec d’autres pour réviser le
postulons que la construction d’un rapport au savoir est toujours
texte ? Quel usage fait-il des outils qui sont à sa disposition ?
socialement construite.
S'intéresser aux attitudes du sujet écrivant, c’est du point de vue
Dans les classes du cycle 3 d’une école ZEP de Perpignan18, les
élèves constituent progressivement leur cahier de règles
du geste d’évaluation repérer toutes les conduites de retour sur le texte,
d’orthographe. La pratique est banale pourtant elle est créatrice les rendre visibles, (bannir l’effaceur!) et en même temps les socialiser
d’un rapport positif à la norme. Les règles sont numérotées, datées. (banaliser, organiser le dialogue écrit ou oral avec le maître ou les pairs
Ce sont les leurs, celles construites et négociées par la classe. Le pour travailler et reprendre un texte). Construire un rapport de travail
cahier est dans le cartable, ils le sortent et le consultent dynamique avec un texte, loin de la passivité des élèves en difficulté qui
18 Ecole Blaise Pascal, Perpignan. 19 C. Fabre-Cols, Apprendre à lire des textes d’enfants, Bruxelles : De Boeck, 2000.
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entre les personnages. Trois problèmes d’écriture semblent ainsi nécessitent pas les mêmes usage des normes, ne posent pas les
particulièrement importants : mêmes problèmes langagiers ! L’émergence des « objets » telle
qu’on l’observe dans les textes n° 1 ne nécessite ni ponctuation ni
– Les reprises anaphoriques ; syntaxe vraiment élaborées. Il est clair, par contre, que dans les
– Les manières de figurer le temps ; derniers textes, la nécessité de la norme se fait davantage sentir.
Imane non seulement récupère des usages du dialogue observés
– L'hétérogénéité discursive (faire que le personnage pense, voit, dans les albums étudiés et les leçons faites en classe mais, pour
entend, agit, parle, tandis que le narrateur commente). adopter une position énonciative d’auteur et faire un récit « après
coup », transforme les temps de son texte : le présent devient alors
un imparfait — position qu’elle a encore un peu de mal à tenir
Les textes non fictionnels travaillent eux plus directement des notions longtemps :
et des prédications (des « idées »), et leur articulation en raisonnement, c’est une enfant qui s’appelle calia c’était une fille très malheureuse
en description, en explication, etc. La segmentation du texte, sa mise parce qu’elle avait les bras à l’envers [...] elle a sept ans et les
en page, sa composition donc sont des lieux de difficulté majeure. autres enfants disent [...].personne ne jouait avec elle.
Comment en effet sans tout bousculer, intégrer des données Cette arrivée progressive de l’imparfait est à lire comme la trace de
nouvelles, des digressions, des commentaires lorsque la pensée bouge la mise en adéquation du travail de la pensée avec les contenus, le
à la suite d’un débat ou d’une lecture ou d’une nouvelle question genre, le contexte scolaire écrit. La norme ici est bien autre chose
posée ? qu’une règle (« Utilisez les temps du passé »), elle est la résolution
d’un problème langagier très complexe. Résolution en émergence
plus faible (c’était son ami) chez Khamel qui n’en est pas encore à
Mais il est difficile de dégager par ailleurs des traits communs pour la gérér la temporalité de l’énonciation écrite.
prise de notes, le compte rendu d’expérience, le résumé, etc. Il s’agit
alors principalement de se demander si les élèves progressent dans Exemple n° 9 : le texte de Jamy
l’adéquation linguistique au contexte et aux formes du travail L’absence de plan de texte signale qu’on attend qu’il ordonne les
intellectuel et communicatif qu’ils sont censés développer. Les choix éléments de sa description-évocation, mais selon quel ordre ? Car
lexicaux sont alors un indicateur fort des déplacements cognitifs que pourrait-on indiquer comme plan attendu ? Plusieurs solutions
effectués ainsi que la capacité à modifier ses formes d’argumentation, à sont possibles, mais rien ne lui est indiqué : cela fait partie de
expliciter par des exemples, des schémas, des légendes, à entrer l’implicite de la consigne mais aussi de notre propre évaluation.
progressivement dans les formes normées attendues.
3.3. Reprises et transformations d’éléments empruntés :
citations, calques...
Exemple n°8 des textes de Khamel et d’Imane La reformulation est sans doute l’indicateur le plus significatif du
On peut l’observer de manière très directe dans les écrits successifs travail du texte sur lui-même. La reprise et la modulation d’éléments
de Khamel et plus nettement encore dans les écrits d’Imane : selon des degrés divers de transformation qui vont de la copie pure et
Khamel dans son dernier texte commence à utiliser l’alinéa et la simple à l’assemblage original est en effet la forme concrète que prend
ponctuation du dialogue. Toutes les phases de l’écriture ne l’apprentissage de la langue et de ses ressources par
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l’assimilation-incorporation des solutions existantes dans les discours situations problématiques, de sorte que le scripteur s’aventure hors de
disponibles. Observer comment les élèves reformulent est donc un ce qu’il sait, pour aller plus loin »22.
indicateur fort de la construction d’un rapport positif non seulement à Les performances orthographiques, et d’une manière générale toutes
la langue, mais au langage dans toutes ses dimensions, à commencer les opérations de normalisation on line sont fortement dépendantes de
par la dimension sociale. la charge cognitive sollicitée par le geste graphique23. C’est ainsi que
On observe en effet, dans les écrits repris, que les élèves cherchent à l’effondrement soudain du respect des normes, dans un texte donné,
répondre à leur besoin de moyens langagiers en réutilisant ceux qui peut-être moins le signe d’un relâchement de l’attention et du soin,
sont mis à leur disposition dans les textes qu’ils lisent ou dans les qu’une brusque flambée d’intérêt pour le dire ou d’intensité créatrice.
leçons qui leur sont données. Un autre indicateur important est donc Il faudrait pouvoir faire cette distinction pour caractériser plus
l’intégration dans les écrits d’éléments empruntés, et le degré finement ce que signalent les erreurs et leur localisation.
d’assimilation de ces éléments : stéréotypes, éléments repris des textes
lus ou entendus antérieurement, reprise-transformation d’unités Exemple n° 11 : les textes de Jamy et de Frédéric
culturelles : personnages, stéréotypes, scénarios, fragments discursifs
et narratifs, éléments mythiques, etc. On voit nettement que l’un est plus respectueux de la ponctuation.
Mais celui de Frédéric, nous l’avons dit, est plus personnel, sans
doute plus proche d’une évocation de l’expérience visuelle du
Exemple n° 10 : les écrits de Lise et de Frédéric camouflage ; tandis que celui de Jamy est composé de blocs
Texte de Lise : Alinéas, ponctuation, orthographe, respect de la sémantiques et sans doute formé de copier-coller à partir des
norme. Elle connaît les règles caractéristiques du genre discursif documents disponibles. On a donc un texte plus intéressant parce
correspondant à la demande de l’enseignante — ou bien elle a su qu’il est plus impliqué, mais moins normé.
aller chercher ce modèle dans les documents fournis. L’élève qui s’implique dans un récit qui l’intéresse doit naturellement
Texte de Frédéric : Texte compact, pas d’alinéas ; utilisation de gérer un univers fictionnel trop complexe ou des problèmes
la ponctuation pour ponctuer les phases successives de la mise en énonciatifs difficiles... Il se trouve donc amené à produire des fautes
texte de blocs sémantiques21. Sur le plan orthographique, là aussi qui ne sont pas toutes à classer avec les indices de la négligence ou du
se mêlent des indices de compétences (orthographe lexicale en manque de maitrise, mais parfois, en relation avec nos autres
particulier) et des zones de flottement (accords uniquement indicateurs, comme les marques locales de l’inventivité discursive et
déterminants pluriel et noms en contact). linguistique : un exemple le plus frappant sont ces innovations
morphologiques d’élèves qui inventent des formes de passé simple, ou
qui inventent des dérivés. Or, cette inventivité peut-être un indicateur
3.4. L’inventivité linguistique et la prise de risque de l’autonomie de l’élève, de sa capacité à interpréter les attentes du
Une autre hypothèse forte est que c’est le mouvement de l’écriture qui maîtres quand celles-ci ne sont pas explicites, et une attitude
amène l’élève à aller au-delà de ses compétences, et donc à prendre des
risques : « on apprend à écrire en écrivant, si possible dans des
22 M. Rispail, « Ecrire pour se rassurer : entre pratiques de l'oralité et appropriation
21J.P. Jaffré, « Vers une linguistique génétique de la ponctuation », dans À qui du scriptural scolaire », dans Apprendre à lire des textes d'enfants, op. cit, p. 224-242.
appartient la ponctuation, Bruxelles : De Boeck & Larcier, 1998. 23 J.P. Jaffré, « Vers une linguistique génétique de la ponctuation », op. cit.
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