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Québec français

Les « écrits intermédiaires » pour penser, apprendre et se

construire
Jean-Charles Chabanne et Dominique Bucheton

Numéro 149, printemps 2008

Des écrits et des oraux pour apprendre

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1737ac

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Éditeur(s)
Les Publications Québec français

ISSN
0316-2052 (imprimé)
1923-5119 (numérique)

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Citer cet article

Chabanne, J.-C. & Bucheton, D. (2008). Les « écrits intermédiaires » pour penser,
apprendre et se construire. Québec français, (149), 60–62.

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 DIDACTIQUE Des écrits et des oraux pour apprendre

Les « écrits intermédiaires »

pour penser, apprendre et se construire1
JEAN-CHARLES CHABANNE ET DOMINIQUE BUCHETON*

L
y expression « texte intermé- Exemples d'écrits intermédiaires tes, des listes, des schémas, des croquis, des
diaire » était au départ une Pour se donner une idée précise du citations, etc. Parler d'écrits intermédiai-
formule provisoire, qui s'est travail réel des élèves dans une classe, il res, c'est accorder un statut scolaire ori-
peu à peu diffusée dans le paysage didac- est très simple de recenser les supports ginal à ces écrits de travail, c'est donner
tique en français parce qu'elle permettait qui permettent de collecter leurs divers plus de place et donc plus de temps à des
de désigner une forme particulière d'écrit, écrits. Certains sont des classeurs ou des moments où, au lieu de lire ou de parler,
qui n'était pas inconnue dans les pratiques cahiers de classe où s'inscrivent le texte du on écrit :
scolaires, mais qui méritait d'être mise en savoir, des leçons recopiées ou dictées, ou • un carnet d'écrivain pour noter des
lumière. Il s'agit des formes d'écrit dont des productions soigneusement corrigées. esquisses de récit, des jeux d'écriture à
le but n'est pas seulement de transcrire Il y a aussi les cahiers d'exercice ou d'éva- contraintes, des lanceurs de fiction, ou
et de transmettre une information, mais luation, etc. des écrits libres...
d'aider à penser, à apprendre... et même, Mais il y a d'autres écrits « invisibles » : • un cahier de pensées où l'on note des
disions-nous avec quelque audace, à « se des cahiers de brouillon, des carnets de arguments pour un débat civique ou
construire ». notes, des premiers jets sur feuilles volan- philosophique...

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• un cahier de narration de recherche en L'écriture comme « outil Représentations si puissantes qu'elles ne
mathématique... cognitif» déterminent pas seulement les attitudes
• un cahier d'expérimentation dans le Ces écrits intermédiaires nous rappel- des parents, mais celles des élèves et celles
cadre d'un projet scientifique, où l'on lent que l'écrit n'est pas seulement un outil des enseignants. Le rapport à l'écrit ainsi
note des observations, des hypothèses, d'enregistrement et de communication constitué peut-il être transformé ? Il ren-
des conclusions provisoires... des messages : c'est, depuis l'invention de voie à un entrelacs de pratiques et de repré-
• un cahier d'essai, où l'on consigne les l'écriture, un outil psychique puissant qui sentations pour la plupart inconscientes,
différentes versions des écrits en cours, permet un travail intellectuel spécifique. profondément incorporées.
écrits de fiction, descriptions, comptes Écrire oblige en effet à un travail d'élabora- Cependant, si le rapport au langage s'est
rendus... tion qui ne se réduit pas à la mise en mots construit dans des pratiques d'écriture,
• un journal de lecture pour rassembler normée d'un discours préexistant. Écrire, on peut estimer que ce sont des pratiques
des notes de lecture, des citations, des c'est s'orienter vers un destinataire absent qui peuvent le mettre en mouvement. On
commentaires personnels... et mieux expliciter, ce qui impose de hié- observe que les performances et les attitu-
• un carnet de bord, journal de travail avec rarchiser, de condenser ou de développer des des élèves varient significativement en
lequel on fait régulièrement le bilan du sa pensée. fonction du temps passé à écrire. De même
travail fait, des difficultés surmontées, C'est dans ses multiples sens qu'il faut qu'on apprend à lire en lisant vraiment,
des notions apprises. Le même rôle peut comprendre la notion de texte intermé- pas en faisant des exercices de lecture,
être joué par des dossiers personnels où diaire : intermédiaire entre deux états d'un on apprend à écrire en écrivant souvent,
l'on collecte les écrits intermédiaires, les écrit qui ne peut progresser qu'étape par sous des formes variées, à des moments
portfolios. étape, entre une intuition et une pensée différents de la journée, de la semaine,
• etc. qui cherche sa formulation, entre les mem- dans toutes les disciplines. Cela ne relève
bres d'un groupe de travail, entre l'écrit et pas d'un laisser faire, mais de gestes pro-
Des pratiques bien connues l'oral, etc. L'écrit est intermédiaire quand il fessionnels précis pour accompagner ce
hors de l'école est médiation entre deux sujets, entre deux déploiement des écrits.
Ces formes d'écrits ne sont pas incon- discours, entre le sujet et lui-même ; quand
nues hors de l'école : les pratiques ordi- il est transitoire. Pilotage et étayage
naires d'écriture montrent que des écrits Dans la classe, les écrits intermédiai- Écrire plus souvent, mais comment ? On
intermédiaires sont présents partout : c'est res permettent aux élèves de prendre a déjà tant de mal à placer tout ce que l'on
le carnet d'esquisse et de croquis du pein- conscience du volume de travail fait, d'une a à faire dans une journée ! Et combien de
tre ; le carnet d'expérimentation du biolo- part, et, d'autre part, de mesurer de visu temps va-t-on passer à corriger tous ces
giste ; le carnet de voyage de l'explorateur ; leurs propres progrès. Cependant, ces pra- écrits ? Avant d'ajouter à la multiplica-
le carnet de citations du philosophe ; le car- tiques de l'écriture comme instrument pri- tion des tâches, commençons par recen-
net de notes d'un écrivain... vilégié du développement intellectuel ne ser les moments où l'on écrit en oubliant
On observe que ces écrits sont très com- sont pas des pratiques spontanées. L'école h fonction heuristique de l'écriture de tra-
posites, mêlant le dessin, les listes, les orga- doit les enseigner. vail : établir une liste, rédiger une défini-
nigrammes, les schémas, les fragments de tion, donner un titre, etc. ; où l'on pourrait
documents ou d'images collés, la copie. Ils Des pratiques scolaires qui écrire, mais qu'on consacre à d'autres
sont quelquefois écrits à plusieurs mains, heurtent les habitudes manières de travailler : ainsi passe-t-on
et le plus souvent en plusieurs fois, avec des Ces usages de l'écrit se heurtent, dans souvent à l'écriture après l'oral. Il est plus
ajouts ou des ratures. La norme y est inéga- l'école, à des obstacles puissants, les repré- rare qu'on pense à passer à l'écrit avant.
lement respectée, même chez les experts : sentations de ce que doit être l'enseigne- Les modèles didactiques de la produc-
le griffonnage, le brouillonnement y sont ment de l'écrit : il faut enseigner d'abord tion d'écrits les plus récents privilégient
non seulement naturels, mais en quelque des normes. On fait de l'orthographe, de la le temps long du projet. Il faut en effet du
sorte nécessaires. grammaire, de la conjugaison ; on travaille temps pour rédiger, échanger, réviser, cor-
Mais surtout, on observe que ces écrits sur les types de textes, sur le lexique... On riger des écrits dont les modèles sociaux
servent de point d'appui à un travail co- fait beaucoup d'exercices : mais on ne fait sont plutôt longs (le conte, la nouvelle, le
opératif, qui tisse la relecture, la refor- pas écrire ; ce qu'on rédige doit être, le plus compte rendu...). Or, de multiples pos-
mulation, la correction, la réécriture, les vite possible, corrigé pour apprendre aux sibilités de travailler sur des formes cour-
discussions, les mises au point... Tout un élèves à mettre les écrits aux normes ; pour tes existent, pour des temps de travail très
travail intellectuel qui ne pourrait se faire pouvoir écrire, il faut passer beaucoup de brefs et aisément multipliables.
sans ces écrits-martyrs qui circulent entre temps à préparer l'écriture en réfléchissant Les moments importants sont les mises
les interlocuteurs, servent à recueillir des ou en discutant avant ; on croit que savoir en commun des écrits produits lus par leurs
idées, permettent des comparaisons... La écrire est un « don » qu'on a ou qu'on n'a auteurs. On peut aussi prévoir une place
pensée est partagée et portée par des ins- pas sans qu'on y puisse rien faire, et les dans le cahier de travail (page libre en vis-
truments. experts sont supposés écrire d'un premier à-vis) pour des annotations par les pairs :
jet. questions, reformulations, appréciations

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 négatives et aussi positives. L'enseignant
peut aussi avoir à annoter ces écrits, ce qui
ne signifie pas les corriger, mais les lire.
Certains d'entre eux - pas tous - seront
repris, améliorés, corrigés intégrale-
ment dans d'autres séances, pour être
« publiés2 ».
En effet, les formes des écrits intermé-
diaires sont nécessairement celles d'un
discours en gestation, formes embryon-
naires et lacunaires. Il faut apprendre à lire
ces écrits pour ce qu'ils sont. Il y a donc
à inventer pour les écrits intermédiaires
d'autres gestes d'évaluation. Il faut pou-
voir lire dans de tels écrits ce qu'ils nous
apprennent de l'activité de l'élève, des con-
tenus évoqués, des attitudes manifestées.
Retenons simplement ici le souci de ren-
voyer à chacun la mesure de ses avancées
à lui : ce qui serait insuffisant pour celui-
ci est une réussite pour tel autre. C'est
appliquer un principe qui peut apparaître
comme paradoxal : plus l'élève commet de
fautes, moins il y a de rouge sur sa copie
et plus les remarques désignent ce qui est
réussi, ce qui est intéressant, ce qui devrait
être développé, etc.
On voit bien que tirer parti des écrits
intermédiaires sollicite deux qualités
de l'enseignant : la capacité à observer
les élèves au travail et la patience dans
l'exigence.

Institut universitaire de formation des Du faire à l'apprendre. Conduire les élèves à expliciter l'enjeu
maîtres (IUFM) de l'Académie de d'apprentissage des situations vécues à l'école, tel est l'effet de
Montpellier-Université de Montpellier 2, l'écriture régulière d'un j o u r n a l des apprentissages.
équipe LIRDEF-ALFA

P
our apprendre, il est nécessaire analysé le malentendu entre les enseignants
Notes
de faire, d'agir ; il ne suffit pas et certains de leurs élèves sur l'enjeu des
1 Ce texte respecte les recommandations de
l'Académie française, Journal officiel du 6-12-
d'entendre ou de lire l'énoncé tâches scolaires comme un élément majeur
1990, Documents administratifs n° 100. d'un savoir déjà constitué. Ce postulat dans la genèse de l'échec. Alors que certains
2 II est souhaitable qu'on habitue les élèves conduit beaucoup d'enseignants à met- élèves interprètent les tâches assignées par
à relire pour corriger toute production, par tre l'accent sur l'activité de leurs élèves, le l'enseignant dans leur dimension d'activité
exemple en changeant la couleur du stylo. tâtonnement, la recherche - qu'il s'agisse cognitive et d'apprentissage, d'autres se can-
C'est en soi un geste à enseigner. Mais
l'objectif du texte intermédiaire est ailleurs.
par exemple de démarche expérimentale tonnent à l'exécution du travail demandé
en sciences, d'observation des régularités et croient ainsi répondre à la demande de
Références de la langue en français, de résolution de l'enseignant. Ainsi tel élève du début du
Chabanne J.-C, et D. Bucheton [dir.], L'écrit
problèmes... - ou encore sur la répétition primaire, invité à découper des images et à
et l'oral réflexif s. Parler et écrire pour penser, d'exercices visant à automatiser des savoir- les coller pour reconstituer le déroulement
apprendre et se construire, Paris, PUF, 2002. faire. logique d'une histoire, concentrera toute
Chabanne J.-C, et D. Bucheton, Écrire en Zep, Pourtant, faire ne suffit pas. À de nom- son énergie sur les aspects matériels de la
Paris/Versailles, Delagrave/CRDP, 2002. breux élèves, ceux justement qui ne sont tâche aux dépens de l'objectif véritable qui
pas en situation de réussite, le sens et le but lui échappe. Tel autre, à la fin du primaire,
des tâches qui sont proposées en classe res- tentera de répondre à des questions de lec-
tent obscurs. É. Bautier et J.-Y. Rochex' ont ture sur un texte en évitant de lire le texte.

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