Thèse EZZINE

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Université Abdelhamid Ibn Badis.

Mostaganem
Faculté des langues étrangères
Département de langue française

LITTÉRATURE ET INTERMÉDIALITÉ :
LA TRANSÉCRITURE DU ROMAN DE YASMINA KHADRA
L'ATTENTAT

Thèse de doctorat en langue et littérature françaises


Spécialité : La transécriture en langue française. Du narratif vers les médias

Présentée et soutenue publiquement par


Mme EZZINE Kheira Yasmine

Sous la direction du :
Pr. ROUBAI-CHORFI Amine

Membres du Jury

- M. ROUBAI-CHORFI Amine. (Pr.) Université Abdelhamid Ibn Badis - Mostaganem


- M. MILIANI Hadj. (Pr.) Université Abdelhamid Ibn Badis - Mostaganem
- M. TIRENIF Mohamed El Badr. (MCA) Université Abdelhamid Ibn Badis - Mostaganem
- M. LAIB Ahcene. (MCA) Université Abdelhamid Ibn Badis - Mostaganem
- M. FATMI Saadedine (MCA) ENS Oran
- M. BENSLIM Abdel Karim (MCA) Université Belhadj BOUCHAIB - Ain Témouchent

Année universitaire 2019/2020


SOMMAIRE

INTRODUCTION GÉNÉRALE .................................................................................................................... 8

PARTIE PREMIÈRE : DU TEXTE LITTÉRAIRE VERS LES SUPPORTS MÉDIATIQUES ........ 18

CHAPITRE PREMIER : CONFLUENCE DE LA TRANSÉCRITURE AVEC LA TRANSMODALISATION


ET L'INTERMÉDIALITÉ ................................................................................................................................ 21

I - LA RÉ/ÉCRITURE D'UNE ŒUVRE LITTÉRAIRE .......................................................................... 22

II - LA TRANSMODALISATION ................................................................................................................. 31

III - LITTÉRATURE ET RELATIONS INTERMÉDIALES ..................................................................... 40

CHAPITRE DEUXIÈME : L'ADAPTATION COMME PRATIQUE PREMIÈRE ....................................... 52

I - LA PRATIQUE DE L'ADAPTATION EN QUESTION : ..................................................................... 53

II - LE PARCOURS DU TEXTE LITTÉRAIRE PAR LES MÉDIAS .................................................... 60

III - LE STATUT DE LA LITTÉRATURE À L'ÈRE DU NUMÉRIQUE : ............................................ 70

CHAPITRE TROISIÈME : LES DIFFÉRENTES RÉÉCRITURES DE L'ATTENTAT ................................. 79

I - DU TEXTE LITTÉRAIRE AU FILMIQUE .......................................................................................... 80

II - DU TEXTE LITTÉRAIRE AU SCÉNIQUE ........................................................................................ 88

III - DU TEXTE LITTÉRAIRE AU GRAPHIQUE................................................................................. 100

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE ........................................................................................ 114

PARTIE DEUXIÈME : L’EFFET DE LA TRANSÉCRITURE SUR LE ROMAN L'ATTENTAT .... 116

CHAPITRE PREMIER : ÉTUDE NARRATOLOGIQUE (PERSONNAGE, PERSPECTIVE NARRATIVE


ET DESCRIPTION) ...................................................................................................................................... 119

I - LES DIFFÉRENTES REPRÉSENTATIONS DU PERSONNAGE AMINE JAAFARI ................. 120

II - LA PERSPECTIVE NARRATIVE ..................................................................................................... 129

III - LA OU LES DESCRIPTIONS ? ........................................................................................................ 142

CHAPITRE DEUXIÈME : QUEL SYSTÈME DE VALEURS ADOPTER ? .............................................. 158

I - UNE AXIOLOGIE VARIÉE À TRAVERS L'ATTENTAT ................................................................ 160

II - PENSER LA RESPONSABILITÉ MORALE ET LA SOLIDARITÉ AVEC DOUEIRI .............. 166

III - LES DILEMMES DE L'ATTENTAT DE FRANCK BERTHIER .................................................. 173

CHAPITRE TROISIÈME : LA SYMBOLIQUE DE LA CHUTE DANS L'ATTENTAT ET SA


TRANSÉCRITURE ........................................................................................................................................ 182

I - LE MYTHE ESCHATOLOGIQUE ..................................................................................................... 183

II - LA CHUTE PSYCHOLOGIQUE DANS L'ATTENTAT DE DOUEIRI .......................................... 191


III - LA CHUTE DRAMATIQUE DANS LA PIÈCE DE BERTHIER .................................................. 197

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE ........................................................................................ 206

CONCLUSION GÉNÉRALE..................................................................................................................... 208

BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................... 214

ANNEXES .................................................................................................................................................... 224

INDEX .......................................................................................................................................................... 227


Résumé :
Cette thèse traite de la transmutation du narratif vers les médias. Elle porte sur
l'œuvre de Yasmina Khadra L'Attentat et sur les ouvrages bédéesque, cinématographique
et scénique qui s’en inspirent. Ce travail analyse de façon comparatiste l'écriture
romancée ainsi que la possibilité de traduire celle-ci en passages graphiques,
scénaristiques et théâtraux, afin de distinguer quels éléments de littérarité sont restés
immuables, nous permettant de continuer à appeler littérature ces nouvelles formes
d'adaptations. Les supports médiatiques et les processus techniques intervenant dans leur
production sont aussi étudiés ; en mettant en évidence les similitudes et les divergences
entre les œuvres de notre corpus. Le système de valeur véhiculé dans l'œuvre source et
son altération est notamment analysé sous l'angle spécifique de chaque médium.
Termes clés : littérature – intermédialité – transécriture – axiologie
Abstract:
This thesis deals with the transmutation of the narrative towards the media. It
focuses on the novel of Yasmina Khadra The Attack and on the comic, cinematographic
and scenic works inspired by it. This work comparatively analyzes the fictionalized
writing as well as the possibility of translating it into graphic, script and theatrical
passages, in order to distinguish which literary elements have remained immutable,
allowing us to continue to call literature these new forms of adaptations. The media and
the technical processes involved in their production are also studied; highlighting the
similarities and divergences between the works in our corpus. The value system
conveyed in the source work and its alteration is particularly analyzed from the specific
angle of each medium.
Keywords: literature - intermediality - transcribing – axiology
:
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DÉDICACE

À
ma famille
REMERCIEMENTS
J'exprime premièrement ma gratitude envers M. ROUBAI-CHORFI Amine, mon
directeur de thèse, pour ses conseils, son soutien, sa patiente et sa grande
compréhension.
Que soit également remercié ici mon cher ami M. BEN BRAHIM Hamida pour
les corrections et les relectures minutieuses de mes travaux. Je lui témoigne toute ma
reconnaissance.
Je témoigne également ma profonde gratitude à mes chers parents et ma tante
Faty qui m'ont encouragée sans cesse pendant ces années, en m'apportant leur soutien
moral, physique et financier.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Littérature et médias semblent être deux domaines pris entre deux dynamiques
contradictoires. Emprunt à l'anglo-américain, le mot média est employé par les
sociologues et les publicitaires afin de désigner l'ensemble des techniques et des
supports de diffusion massive de l'information et de la culture, entre différents
acteurs (producteurs, diffuseurs et usagers). Permettant ainsi d'établir une
communication écrite, orale ou audiovisuelle, les médias sont des dispositifs
complexes à la fois sémiotique, technique, économique, politique et social.
À partir de la deuxième moitié du XXe siècle, cet ensemble de supports de
diffusion assiste à l'expansion de la culture de masse à travers les feuilletons, séries
télévisées, photo-roman, bande dessinée, jeux, etc. En effet, à travers ces
intermédiaires de transmission ou de distribution, les médias apparaissent comme un
lieu de passage et d'échange privilégié entre les grandes aires culturelles.
La littérature quant à elle, s'étend à tout usage esthétique du langage. Désignant
ainsi tout ce qui a rapport à la culture de l'esprit, sans être information, science ou
technique. En ayant un caractère protéiforme à travers l'exploitation de toutes les
potentialités du langage, la création de différents mondes et en abordant l'homme et
la société, la littérature porte constamment ses interrogations sur le monde. Ainsi que
la dimension esthétique de la littérature moderne voire contemporaine est fondée sur
le développement de formes culturelles planétaires à prétention universaliste.
Comme, la production poétique, après la découverte des camps de la mort lors de
la seconde guerre mondiale, a exprimé son doute à l'égard de toute littérature à visée
morale ou humaniste, en créant de la sorte des tensions dans le monde intellectuel qui
cherchait de nouvelles valeurs. À une littérature héroïque succède donc une
littérature dénonçant la stupidité et les atrocités du conflit. Ces deux domaines sont-
ils alors appelés à s'affronter ou à se mêler ?
Les deux domaines, littérature et médias qui semblent inconciliables, peuvent du
moins être rapprochés, dans la mesure où la littérature se présente comme un guide
pour comprendre le monde et tend à le rendre visible et lisible. Parallèlement, les
médias, partout présents, ont parfois un rapport avec le récit qui semble porteur de
liberté et d'égalité en se présentant comme un instrument d'ouverture au monde. La
relation entre la littérature et les moyens modernes d'informations et d'expression ne
se mesure plus en termes d'influence, mais de complémentarité. Désormais, vers les
médias que la littérature se tournerait pour proliférer sa pensée.

9
À l'orée de ce XXIe siècle, la littérature, en son sein se jouent des tensions, des
formes de négociations avec d'autres formes artistiques tels que le cinéma, la
musique, la peinture ou encore la danse. Comme on voit proliférer des types de
publications qui recouvrent des phénomènes très disparates : utilisés aussi bien dans
le domaine des logiciels ludo-éducatifs que celui du cinéma interactif, ou encore les
pratiques d'écritures liées aux blogs, aux forums à travers lesquels les internautes
réagissent directement. La conception de certains jeux vidéo qui font l'objet d'une
adaptation d'une œuvre littéraire offre aux utilisateurs libre cours d'incarner un
personnage, modifier l'enchaînement des événements du récit, un récit dans lequel le
lecteur est incité à devenir interactif, voire partie intégrante.
Or, actuellement nous n'assistons pas uniquement à la fusion des genres
littéraires avec les autres arts, mais plutôt à cette hybridation esthétique dans laquelle
le substrat médiatique tient une place centrale. Le récit s'est transformé en scénario,
comédie musicale, jeu vidéo etc. et on lui reconnaît désormais la possibilité de
migrer, de muter de ses lieux et supports d'origine vers d'autres médias et
l'appellation de cette pratique varie selon les théoriciens, les techniques et les
supports adoptés : adaptation, transmutation, transmigration, transécriture, etc.
Ainsi le croisement entre une œuvre littéraire et les médias engendre-t-il
actuellement la création de concepts nouveaux : recyclage, interartialité et
intermédialité et se met au service d'un nouvel objet d'étude : la narrativité
médiatique.
De ce fait, la création littéraire semble ne pas subir la concurrence des médias, en
revanche ces derniers constitueraient en l'occurrence un lieu de brassage surtout dans
des domaines où la combinaison entre le texte, l'image, le son et la fluidité de la
diffusion est rapide.
En perpétuel mouvement, la littérature cherche ainsi à se renouveler à une ère
médiatique où la société de la consommation triomphe, elle trouve alors en les
médias de nouveaux supports pour de nouvelles formes d'écritures, en allant jusqu'à
développer la concurrence entre les différentes formes d'arts narratifs. C'est une
tendance qui se développe à l'heure actuelle et la rencontre entre littérature et médias
ne se situe pas uniquement dans la prestation scénique ; c'est aussi sur les nouvelles
plateformes informatiques dotées de diverses fonctions logicielles qu'elle se

10
manifeste, considérons par exemple les romans interactifs1 ainsi que la poésie
numérique2 où l'enchaînement se déroule en parallèle à l'énonciation d'un texte.
Cette fusion entre texte, image et audio-visuel constitue une alliance des plus
fertiles, voire l'une des révolutions majeures de la création artistique contemporaine.
Toutefois, la production d'une œuvre littéraire et sa mutation vers une œuvre
dramatique ou musicale remet d'une part en question l'appréhension et l'utilisation de
l'écriture. Par ailleurs, l'intermédialité entre les différentes créations poétiques et
artistiques convoque parfois un personnage emblématique de la littérature qui
devient la figure centrale du spectacle telle « Esméralda » dans la comédie musical «
Notre-Dame de Paris »3, souvent convoquée sur la scène contemporaine. Ou c'est
encore une thématique qui est transposée de la littérature au champ scénique.
L'œuvre de Yasmina KHADRA est illustrative d'un point de vue intermédial.
Car, il existe une relation entre l'écriture de cet auteur et les arts visuels. Tel est le cas
des romans : Morituri (1997), Les hirondelles de Kaboul (2002), Cousine K. (2003),
L'attentat (2005), Ce que le jour doit à la nuit (2008), qui ont tous fait l'objet d'une
adaptation cinématographique, ou théâtrale, ou graphique ou encore chorégraphique.
Ainsi les médias imprègnent-ils fortement les œuvres de Yasmina KHADRA, et
nous avons centré notre réflexion sur son roman L'Attentat qui semble être au
carrefour de ces domaines. Publié en 2005, L'attentat relate l'histoire d'Amine
Jaafari, un chirurgien palestinien naturalisé israélien installé à Tel-Aviv avec sa
femme, Sihem, également palestinienne. Un matin, une explosion surgit et il apprend
que sa femme était la kamikaze. Pour cela, Amine n'aura de cesse de remettre en
cause les raisons qui ont incité sa femme à se faire exploser.
Mis à part le thème de la guerre et l'arrière-plan historique du conflit israélo-
palestinien, le roman semble avoir un caractère humaniste, dans la mesure où il offre
un exemple d'intégration d'une part, et de la quête identitaire d'autre part. Derrière
l’énigme d’une intrigue en apparence policière le débat d’idées entre personnages

1
Appelés aussi les livres-jeu, ces nouveaux dispositifs consistent à raconter une histoire tout
en enrôlant le lecteur dans la trame narrative via le web.
2
Dans son article « Une poésie pour tous les langages artistiques : poéticité et lecture
numérique » Bagano Regueiro Salgado examine les concepts de poéticité et de littéralité
appliqués aux poètes numériques.
3
Notre dame de Paris est une comédie musicale inspirée du roman éponyme de Victor
HUGO. Elle a fait l'objet de nombreuses représentations : anglaise, américaine, canadienne,
italienne, espagnole et russe.

11
résonne d’enjeux métaphysiques et moraux. Ils constituent les vraies questions du
roman : la volonté relative à la résolution de l'acte terroriste ne fera en effet que
renvoyer le problème de la responsabilité de L'attentat du côté d'une enquête morale
et spirituelle sur l'auteur du crime.
Tout en constatant que cette œuvre a été adaptée à de nombreux genres : film,
roman graphique et pièce de théâtre, la diversité des supports nous a conduits à nous
interroger sur le processus de l'adaptation. Ce système sémiotique peut-il dire moins
ou plus qu'un autre système sémiotique ou tous deux peuvent-ils exprimer les mêmes
choses ? Est-ce qu'il rectifie l'œuvre afin de la rendre accessible à un public plus
large ?
Nous faisons le choix de considérer le roman de Yasmina KHADRA L'attentat et
ses trois adaptations. Notre corpus présente ainsi quatre médias différents car le
processus de leur mutation s'inscrit dans le cadre de la transécriture et témoigne
d'une appréhension de la question de notre formation doctorale.
De ce fait, la thèse se veut être une étude de la littérature francophone, plus
précisément, basée sur la notion de transécriture de l'œuvre de Yasmina KHADRA
L'Attentat. Ainsi que nous centrerons notre réflexion sur les adaptations de ce roman
: en roman graphique produit par le scénariste Loïc DAUVILLIER, publié en 2012
par les éditions Glénat. L'adaptation de ce roman en film, qui est co-écrit et réalisé
par Ziad DOUEIRI est sorti en 2013. Et finalement la mise en scène de ce texte en
pièce de théâtre par Amandine KLEP et Franck BERTHIER en 2015.
Nous remarquons que ces médias bousculent la narratologie classique, dont le
principal objet était, jusqu'à présent, l'analyse des modalités de présentation de
l'histoire et la prise de conscience de la distinction entre les événements racontés et la
manière dont ils sont racontés. Dès lors, nous apporterons ici une précision
concernant cet objet de recherche : une étude sur les propositions les plus actuelles
relatives à la lecture et à la compréhension des œuvres littéraires et des manières
inédites d'aborder les récits graphique, scénaristique et scénique.
Au début de ce XXIe siècle nous assistons à la remise en cause de certains cadres
ou conventions littéraires épistémologiquement comme techniquement. Car,
aujourd'hui, le récit s'adapte au support numérique et multimédia et passe d'un
médium à un autre. Or, chaque changement matériel de support entraîne
d'importantes modifications dans l'art narratif même. Et si désormais la littérature ne
réside pas obligatoirement dans le livre imprimé, et si des arts nouveaux émergents,

12
faisant partie du processus littéraire, où réside donc la littérature ? S'agit-il d'une
nouvelle forme de la littérature ? Assistons-nous à une rupture épistémologique ? De
ce fait quel avenir pour la littérature en bifurcation constante ? Ne change-t-elle pas
les fonctions de l'art narratif ?
Notre projet de recherche, dans cette littérature francophone, se focalise sur cette
pratique qu'est la transécriture. Au stade de sa formation, elle apporte en effet de
nouvelles variations dans ce que nous considérons traditionnellement comme
littérature. Par quels dispositifs multimédias cette mutation du narratif vers les
médias est-elle prise en charge ? Dans quelle(s) mesure(s) le support multimédia
conditionne-t-il la narrativité ?
Nous pouvons toutefois nous demander si la transécriture est une question
entièrement nouvelle pour la science du récit ? Et comment cette dernière peut-elle
être étendue à des récits scénaristique, scénique et graphique ? Que sont le
personnage, la focalisation et la description ? Le passage du narratif vers les médias
ouvre-t-il véritablement de nouveaux territoires pour l'enquête narratologique ?
De par la profondeur narrative de l'univers que le texte source engendre, les
narrations dans le cadre de l'intermédialité de cette œuvre sont singulières par
rapport aux modes de la narration classique. Nous sommes amenés ainsi à nous
interroger sur cette transposition médiatique : quels stratagèmes numériques sont-ils
développés dans L'attentat entre le genre romanesque et ses multiples adaptations ?
Nous pouvons aussi nous demander comment ces multiples adaptations arrivent-
elles à attirer l'attention du lecteur/spectateur puisque les stratégies littéraires ne sont
pas identiques, comparables à celle du roman imprimé ?
Le bilan de ce que l'on sait déjà sur la question de recherche, c'est que la
séparation des genres y est de moins en moins marquée, à une ère où les défis
techniques occupent le premier plan. Cependant, nous n'assistons plus à la
concentration de chaque genre sur lui-même et la réduction de chaque médium à son
essence mais plutôt à une modernité au sein de la littérature.
Ce qui pourrait traduire de près cette modernité c'est l'émergence d'une
constellation de pratiques qui échappent pour une large part aux catégories
habituelles de l'élaboration littéraire. Nous prendrons comme exemple cette pratique
qui est l'adaptation d'un récit narratif vers un médium quelconque. Toutefois, les
appellations de cette pratique varient et changent selon chaque support et chaque
technique adoptés.

13
La publication de l'ouvrage La transécriture, pour une théorie de l'adaptation
sous la direction d'André GAUDREAULT et Thierry GROENSTEEN révèle les
insuffisances du terme vague, adaptation, mais largement admis, pour déceler celui
de la transécriture. Quant à Umberto ECO, il propose une terminologie proche de la
transécriture ; la transmigration. Ou la transmutation, « le passage de matière à
matière » par exemple l'adaptation d'une œuvre musicale en ballet. Ces pratiques se
présentent comme des procédés semblables à celui que nous venons de considérer,
mais avec une définition plus fournie et poussée. Or, Jean PEYTARD et Sophie
MOIRAND présentent une distinction entre reformulation et transcodage, où l'on
transforme un texte en un texte « équivalent », en passant d'un support médiatique à
un autre, soit au sein d'un même médium.
En matière de théorie, Régis DEBRAY a proposé de constituer une nouvelle
discipline, la médiologie, qui étudierait les relations entre les conditions médiatiques
et la diffusion des idées. La prise en compte de cette dimension médiologique
apparaît aujourd'hui essentielle à toute recherche en analyse du discours.
Concernant la transécriture, le nombre de thèses consultées étant relativement
peu importantes, hormis celle de Ludovic TRAUTMANN sur les récurrences
problématiques dans la série James Band ; une étude portant plus sur la dimension
technique et le support que le texte. Sinon celle d'Alain JETTÉ, une étude qui se
décline autour de deux axes ; sur le processus de transécriture du roman vers le
scénario d'abord, ensuite du scénario au film d'animation 3D en image de synthèse,
en se penchant sur deux éléments en particulier, le passage de la description littéraire,
scénaristique et filmique, en même temps sur l'élaboration des personnages et de ce
qui les définit. Elles sont consultables sur le web, voire la publication de certains
articles en lignes traitant de la même thématique.
Actuellement, l'intermédialité constitue l'un des axes de recherches les plus
dynamiques puisqu'elle exige la conjonction entre différents supports médiatiques
avec l'abolition de la notion du médium phare. En ouvrant de la sorte de nouvelles
perspectives d'analyser des œuvres littéraires.
Pour une analyse intermédiale, les ouvrages des théoriciens tels que John
Thomas MITCHELL, Claus CLÜVER et Werner WOLF, principaux représentants
aux États-Unis de la réflexion sur « littérature et médias » et également ceux d'Alain-
Philippe DURAND en France mettent en évidence la multiplicité des aspects
intermédiaux que le texte littéraire peut avoir. Mais les études sur l'iconographie de

14
Lars ELLESTRÖM s'avèrent efficace dans la mesure où ils viennent compléter les
travaux des innovateurs.
Les discours que tiennent les théoriciens de la matière sur la littérature
numérique sont donc assez variables, en fonction des thématiques et en fonction des
techniques et des supports adoptés car d'autres représentations rivalisent avec la
littérature dans tous ses usages.
Pour ce qui est du cadre théorique, l'axe principal de recherche retenu est de
repérer les éléments nécessaires à la production et à l'analyse d'œuvres littéraire,
graphique et scénaristique et scénique, et de baliser le champ du point de vue de la
littérarité et l'intermédialité. Notre sujet touche ainsi plusieurs domaines de la
connaissance, mais comme il en convient, nous resterons du côté de la littérature et
des médias.
L’enjeu de cette recherche est donc d’articuler de manière dynamique les notions
et les concepts qui sont au fondement de la théorie du récit aux sens de Roland
BARTHES, Tzvetan TODOROV, Gérard GENETTE et Antoine COMPAGNON et
ce que la question du devenir du récit littéraire imprimé à travers la transécriture
permet d'apporter à la théorie du récit. Quant à la fonction de l'intermédialité, nous
nous pencherons d'une part sur les concepts centraux de cette pratique telle qu'elle
apparaît chez son représentant, Jürgen MÜLLER et davantage sur la production de
sens des convergences médiatiques à l'intérieur de l'œuvre de Yasmina KHADRA.
Notre cadre théorique croisera intermédialité, narratologie, sémiotique, et
philosophie. La dimension technique, et notamment la prise en compte de l'analyse
multimodale4, sera transversale à toutes ces approches.
Notre corpus est étudié dans sa dimension intermédiale. C'est-à-dire dans les
liens qu’il entretient avec d'autres médias entre autres le cinéma, le théâtre et la
bande dessinée. Les récits tels qu'ils se présentent actuellement sur un support
numérique constituent une étape transitoire de la forme matérielle de la présentation
des récits. Cela donnera, pour de nouvelles expérimentations littéraires, une place à
la littérature en dehors du livre. De ce fait, nous faisons l'hypothèse que la

4
Selon Dominique Maingueneau, on parle aujourd'hui d'analyse multimodale ou d'analyse
de la multimodalité « dès qu'il y a étude de l'interaction entre le verbal, le visuel, le sonore.
Avec l'essor des nouvelles technologies de la communication, ce type d'approche connaît un
développement considérable. » In Les termes clés de l'analyse du discours, Paris, Seuil,
2009, p. 132.

15
transécriture ; du tissu narratif vers les médias, serait également inhérente à un genre
en constitution, ou même inhérente à la modernité littéraire.
Comme nous n'assistons pas à une opposition entre le mode narratif et le mode
dramatique tels que nous les connaissons chez Platon et Aristote (diégésis / mimésis),
mais plutôt à cette transmutation d'un récit, à l'origine narratif, vers un récit
dramatique qui stipule la présence du mode narratif et dramatique dans un même
support. Nous faisons l'hypothèse que la tension entre récit textuel et récit
scénographique, scénique et graphique permettrait de réinterroger certaines notions
narratologiques dans leur rapport au support transcripturaire.
Notre corpus est complexe étant abordable de points de vue différents mais aussi
parce qu'il semble être en émergence. À cette complexité de l'objet doit donc
répondre une diversité méthodologique. Afin de montrer l’intention de modernité
dans la littérature contemporaine, ce travail examinera les concepts de littérarité et
d'intermédialité appliqués à cette œuvre : il analysera de façon comparatiste l'œuvre
de Yasmina KHADRA L'attentat et sa transposition en plusieurs médias, afin de
distinguer les traits qui définissent l'intermédialité.
Ce projet se sert, en effet, d'une démarche qui met en œuvre des instruments
d'analyse appartenant à des domaines disjoints : la littérature comparée,
l'iconographie, le théâtre et le cinéma. Ce choix est motivé par ma formation initiale
en littérature contemporaine et imposé par la nature pluridisciplinaire du sujet en soi.
Ce travail se propose de réfléchir sur un genre littéraire en construction et qui
suscite encore des interrogations. À partir du corpus L'attentat de Yasmina
KHADRA et sa transmutation vers un scénario, un texte théâtral et un roman
graphique, nous tenterons, dans une première partie, de vérifier la pertinence de
l'appellation adaptation et de définir les conditions ou les caractéristiques de la
transposition du narratif vers les médias : transécriture. Les supports médiatiques et
les processus techniques intervenant dans la production de ces adaptations seront
aussi analysés, sous l'angle spécifique à chaque médium, tout en mettant en évidence
les similitudes et les divergences qui apparaissent dans la manière de la
transmutation. Cette première partie ne vise pas cependant à résumer les théories que
ces mouvements ont élaborées pour penser leur champ d'étude et d'intervention, mais
à offrir un aperçu sur la pertinence de l'intermédialité pour décrypter les enjeux de la
littérarité.

16
Dans la deuxième partie de notre thèse, nous soumettrons notre corpus à diverses
lectures : narratologique, sémiologique et philosophique afin de montrer que ces
adaptations sont des textes qui empruntent à un genre romanesque et à de
nombreuses techniques et caractéristiques médiatiques. Pour être lisible, nous
développerons cette partie selon une exposition qui passe d'abord par la maîtrise et la
connaissance des notions liés à la théorie du récit, littéraire dans un premier temps,
cinématographique, scénique et graphique dans un second. D'abord, selon les
premières études de la tragédie et de l'épopée chez Aristote et Platon et c'est à peu
près tout ce dont on dispose comme théorie du récit jusqu'à la fin du XIXe siècle,
ensuite selon les auteurs Roland BARTHES, Gérard GENETTE, Tzvetan
TODOROV et Antoine COMPAGNON entre autres. Puis, nous centrerons la
question sur le système de valeur véhiculé dans le roman et ses déroutements à
travers les diverses adaptations, et nous mesurerons à quel point les installations
scénaristique, scénique et graphique, qui de nos jours utilisent le potentiel
numérique, sont porteuses d'une nouvelle forme narrative qui défie aussi bien l'auteur
que le lecteur.
Ces installations sont plurielles du fait de leurs nouveaux supports qui
nécessitent, pour être créées et pour être mises en scène, des univers sémantiques,
verbaux, visuels et sonores.

17
PARTIE PREMIÈRE :

DU TEXTE LITTÉRAIRE

VERS LES SUPPORTS MÉDIATIQUES


La littérature contemporaine multiplie ses rapports aux médias car elle n'est plus
considérée comme un monde autonome, autarcique. Son investissement, à l'heure
actuelle, se déploie dans un espace hybride, et ce à travers cette pratique qu'est
l'adaptation. Quand on parle d'adaptation, terme très large, de textes littéraires à
l'écran ou aux autres médias, cela nous renvoie vers des notions telles que la
transformation, le changement, l'hybridation ou encore la trahison qui sont ainsi
évoquées pour parler des pratiques intermédiales. Cette pratique, si fort présente au
début de ce XXIe siècle avec les progrès techniques, ne cesse de gagner en
importance, comme ces derniers sont venus confirmer ou même systématiser la
tendance.
Pour penser la poétique littéraire, l'adaptation propose une alternative au
paradigme transécriture qui offre une structure de pensée très révélatrice et permet à
une seule ouvre littéraire de substituer une logique cumulative et multiple. Le roman
de Yasmina KHADRA L'attentat et ses multiples mutations sont considérés, dans ce
qui pourrait constituer leur particularité scripturale tout en explorant les rapports de
réciprocités/éloignements entre le texte initial et sa version filmique, scénique et
graphique, produisant un type d'écrits à la lisière de plusieurs genres. S'il est question
de métamorphose, est-ce alors un engendrement d'un nouveau genre littéraire ? Ou
tentent-ils de s'éloigner de tout enferment générique ? Cette multiplicité fait-elle de
L'attentat une œuvre intermédiale ?
Cette partie, essentiellement théorique, engage donc le débat sur les possibilités
d'un rapport entre l'écriture romancée et ses différentes réécritures en scénario
filmique, en pièce de théâtre et en roman graphique. Nous tenterons dans un premier
chapitre de déterminer les bases de la conception de l'adaptation du texte littéraire
comme nous soulèverons certaines ambiguïtés concernant le maniement du récit, de
la trame narrative et, d'avantage, du système sémiotique notamment dérivé du roman
qui nous mènent à poser des questions au sujet de la transécriture et ses différents
équivalents ; la transmigration, la transmutation, le transcodage ou encore la
reformulation. De ce fait, quel concept est-il le mieux compatible avec notre étude ?
Chaque support médiatique adopté véhicule par les moyens qui lui sont
spécifiques (texte, image, son, scène, etc.) ses propres ressources sémiotiques. À cet
égard, avec l'émergence d'une large catégorie de textes, de nouveaux genres
esthétiques ont vu le jour. Nous passerons donc aux spécificités des médias abordés,
en allant du livre vers le cinéma, le théâtre et finalement la bande dessinée. Il se

19
manifeste via le changement de matière une transformation du récit diégétique vers
le mimétique. Nous les étudierons de manière plus précise dans ce chapitre, selon
trois aspects différents (écrit, scénique, imagé).
La première partie de ce travail s'efforcera, d'une part, d'introduire les notions
importantes telles l'intermédialité, la transécriture et la transmodalité, d'autre part,
nous étudierons le passage du texte romanesque vers le cinéma, le théâtre et la bande
dessinée, en revenant sur les relations entre ces dernières qualifiées de rapport
d'influence, de mutation ou de complémentarité. Cette forme nouvelle offre
l'occasion de réinvestir une réflexion très ancienne de la littérature et qui touche au
statut ontologique de la littérature elle-même et en particulier de la distinction entre
la diégésis et la mimésis.

20
CHAPITRE PREMIER :

CONFLUENCE DE LA TRANSÉCRITURE

AVEC LA TRANSMODALISATION

ET L'INTERMÉDIALITÉ
En passant d'un support à l'autre, d'un médium à l'autre, la réécriture d'un texte
littérature ne dit pas forcément la même chose que le texte original, et subit
manifestement un nombre de contraintes de création et de déformation en rapport
avec ce qui pourrait être nommé la configuration spécifique au médium d'accueil.
Néanmoins, plus d'un siècle de pratique réduit, voire surpasse toute incommodité, et
démontre que l'adaptation est non seulement possible, mais aussi sujette à être
largement répandue au fil du temps, vu le nombre remarquable des adaptations qui
se prolifère.
Cependant, l'inscription d'une œuvre dans un autre genre passe par de multiples
revirements d'ordre : scriptural, modal et médiatique, d'où la variation des
appellations concurrentes, plus ou moins synonymiques, de cette configuration qui
change d'un théoricien à un autre, d'une école à une autre : transécriture,
transmutation, transmodalisation, intermédialité, etc.
Il convient de remarquer que la variation des nominations de cette pratique ne
constitue pas la question à laquelle nous sommes confrontés. Or, l'interrogation
récurrente concerne la fabula et les fins d'une rencontre entre deux types d'auteurs, de
textes, de supports, pour un texte tuteur : cependant, est-il possible que l'histoire du
support d'origine existe sur un autre support ? Peut-elle avoir une meilleure
incarnation sémiotique en dehors de son support d'origine ?
La relation du roman avec les autres médias est examinée au fur et à mesure de
nos réflexions dans ce chapitre ; en examinant d'emblée la question de la ré/écriture
et tous les concepts qui en découlent lorsqu'un récit mute d'un support à un autre.
Ainsi que la question de brassage de modes diégétique et mimétique. Pour conclure,
on peut noter également la question d'interdépendance entre les médias actuellement.

I - La ré/écriture d'une œuvre littéraire


L'adaptation d'une œuvre romanesque en texte cinématographique, théâtral,
bédéesque ou autre construit des textes, des scènes, des mondes possibles différents
où l'interprétant dit moins ou plus que le texte initial. Dans le cas du théâtre, voire du
cinéma, une matière scénique et sonore, sans omettre le décore et les costumes,
interprète la majeure partie du roman, dans le cas du roman graphique, le roman est
interprété par une matière iconique, via des images, des couleurs, mais ces
différentes reformulations délaissent bien d'autre éléments, notamment la consistance

22
de la matière verbale. Nous reviendrons, dans le chapitre qui suit, sur la question de
ce que nous entendons par ces différentes mutations.
Dans ce chapitre, il sera surtout question de présenter la terminologie utilisée par
les théoriciens et praticiens dans le domaine de l'adaptation artistique, notamment
littéraire, à savoir la réécriture ou encore la transécriture. Ces deux pratiques ne sont
pas sans conséquences, elles posent aussi la question de la fidélité/trahison et de la
modification ; qu'elle soit interne ou externe.5 Du point de vue thématique, la
duplication d'une œuvre originale doit permettre d'identifier la même œuvre, ne
serait-ce que d'un trait. Ce qui implique aussi la manière dont les supports déforment
toute fabula donnée. Cependant, quelles différences pourrions-nous établir entre ces
deux pratiques, et de l'ensemble terminologique qui en découle ?

I.1 Transécriture ou réécriture


En passant du littéraire aux autres médias, le texte va d'une écriture à une autre, il
subit un changement, instaurant un écart entre l'écriture première et l'écriture
secondaire. La réécriture est donc l'opération, le processus par lequel on modifie une
œuvre, en la faisant passer d'un genre à un autre, d'une même sémiotique à une autre.
Elle désigne également au sens de Louis HÉBERT :

La réécriture d'un avant-texte en texte ou d'un avant-texte plus ancien en un avant-


texte plus proche du texte final peut être vue comme une réécriture justement ou
encore, s'il y a dissimilation systémique et si l'on veut en tenir compte (par exemple, si
l'auteur a changé le genre d'un avant-texte à l'autre), comme une transposition. 6

Il s'agit donc d'une opération de transformation qui génère un enjeu paradoxal de


la déconstruction de l'un et de la construction de l'autre :

Le paradoxe du rapport s'offre ici avec vigueur : à la fois écriture et lecture, répétition
du même et invention de l'autre […] identique à soi mais différent […] Soumettre tant
l'œuvre à l'exigence d'un autre langage, qui l'affecte à son tour. La réécriture détient ce

5
Louis HÉBERT, dans ces travaux, élargit cette distinction de François RASTER entre les
transpositions internes et externes. « Une transposition interne intervient au sein d'un même
produit sémiotique (complet) : de la partie à son tout, du tout à sa partie ou d'une partie à
une autre du même tout. Une transposition externe intervient d'un produit sémiotique à un
autre : de tout à tout, de partie d'un tout à partie d'un autre tout, de partie d'un tout à un
autre tout, d'un tout à une partie d'un tout. » In HÉBERT Louis, Introduction à l'analyse des
textes littéraires : 41 approches, Québec, 2017, p. 188.
6
HÉBERT Louis, Introduction à l'analyse des textes littéraires : 41 approches, Québec,
2017, p. 187.

23
pouvoir contraire de lire en écrivant, commenter en modifiant, dévoiler en masquant –
et détruire sa propre originalité en réfutant l'unicité de l'origine. 7

À cet égard, notre corpus, le roman de Yasmina KHADRA, L'attentat, et ses


différentes adaptations, dans un premier temps, nous propose un modèle de textes
réécrits, en revanche seraient-ils trans/écrits ?
Quant à la transécriture, comme son nom l'indique, est composée du préfixe
trans, emprunté au latin « préverbe et préposition signifiant "au-delà, par-delà de".
En composition, à côté du sens de "au-delà", il a aussi la valeur de "de part en part"
et marque le changement total dans transformare (→ transformer, et aussi
transfigurer).»8 Trans a notamment en français les sens « au-delà de »9, « à
travers »10 et marque le passage, ainsi que le changement.
Cependant, ce préfixe entre dans la composition de certains termes, pour ajouter
à leur signification soit l'idée de l'au-delà, au travers, soit du changement et de la
mutation. Tel est le cas de la transécriture qui indique la transformation d'un premier
écrit, à une doublure, une gémellité pour ainsi dire. L'émergence de cette pratique est
souvent perçue comme une forme d'adaptation, ainsi que ses premières
expérimentations ont eu lieu au Canada. La publication de l'ouvrage La
transécriture, pour une théorie de l'adaptation11 sous la direction d'André
GAUDREAULT et Thierry GROENSTEEN révèle les insuffisances du terme vague,
adaptation, mais largement admis, pour soumettre celui de la transécriture. Thierry
GROENSTEEN souligne, à juste titre, que :

7
ROPARS-WUILLEMIER Marie Claire, Écraniques. Le film du texte, Presses
Universitaires de Lille, Lille, 1990, p. 170.
8
In Dictionnaire Historique De La Langue Française. Ed. 2010.
9
Ibid.
10
Ibid.
11
En collaboration avec Thierry GROENSTEEN, André GAUDREAULT organise un
colloque « La Transécriture. Pour une théorie de l'adaptation. Littérature, cinéma, bande
dessinée, théâtre, clip », qui s'est tenu du 14 au 21 août 1993.

24
La transécriture, en dépit de l'énorme quantité de déchets artistiques qu'elle suscite,
est néanmoins porteuse d'une démarche progressiste, c'est parce qu'elle relève d'un
semblable acte de foi, assimilant la création à une conquête de l'esprit : ce que telle
forme d'art ne paraît pas capable d'exprimer, c'est précisément cela qu'il faut tenter de
lui faire dire.12

La transécriture, pour avoir sa pleine valeur, doit, en effet, être étendu à toute
situation de transposition, comme elle vient en aide à l'adaptation et comble
essentiellement les manques inhérents à cette dernière. Faisant partie des procédés de
production sémiotique, elle est en effet capable d'engendrer un nombre indéfini de
mondes possibles. La question qui sera notamment soulevée concerne
l'aboutissement de sa production esthétique. Cette résultante, nous offre-t-elle alors
une œuvre identique, supérieure ou inférieure ?

[…] La transécriture est, dans son principe, de l'ordre du transport, transporter un


texte d'un médium vers un autre, elle n'est esthétiquement intéressante que dans la
mesure où elle suscite, à partir de la mutation sémiotique qui la fonde, un déplacement
au sein de l'ensemble des œuvres dans lequel prend place le texte qui résulte du travail
de transposition.13

Concept, qui bénéficie d'un avantage ; d'aller au-delà des genres, la transécriture
se sert d'une poétique de la réécriture afin de renforcer « l'intertextualité et en même
temps la dépasse grâce à une sémiologie de l'audiovision. De plus, cette mise en
spectacle relève d'une transécriture qui va au-delà de l'aspect narratif pour accéder
à l'intermédialité […] »14 De ce fait, cette pratique met, d'une part, le texte second en
relation transtextuelle, développée par Gérard GENETTE, qui est l'intertextualité.
Par ailleurs, cette position stipule que la pertinence de la transécriture se limite à un
genre voire à un médium, à savoir le cinéma et l'art du spectacle.

I.2 Transécriture et relation transtextuelle


La transécriture, comme nous l'avons vu, consiste en une opération de
réécriture, de transformation d'un texte tuteur en un autre, particulièrement le
passage du roman vers le scénario. Le texte littéraire peut également subir d'autres
transformations qui vont « d'une version finale d'un texte à une autre version finale

12
GAUDREAULT André & GROENSTEEN Thierry (dir.), La transécriture, pour une
théorie de l'adaptation. Littérature, cinéma bande dessinée, théâtre, clip, Nota Bene,
Québec, 1998, p. 29.
13
Ibid., p. 80.
14
VASY Gilles, De la plume à l'écran : textes et films "en analyse", Éditions Publibook,
Paris, 2010, p. 52.

25
produite ultérieurement ou parallèlement. »15. Gérard GENETTE propose
différentes formes de manipulations textuelles, se présentant comme des procédés
semblables à celui que nous venons de considérer ; la transécriture. À la différence
de cette dernière, elles sont considérées non pas comme des pratiques médiatiques
mais comme « des aspects de la textualité. »16
Pour sa part, GENETTE introduit d'autres éléments dans la poétique de la
réécriture. Il élabore de la sorte une typologie des relations intertextuelles, qui
comprend essentiellement cinq principes étroitement liés qu'il ne faut considérer
comme « des classes étanches, sans communication ni recoupements réciproques.
Leurs relations sont au contraire nombreuses, et souvent décisives. »17 Je rappellerai
à ce sujet la définition qu'en donne GENETTE de chacune de ces relations :
1- L'intertextualité, explorée auparavant par Julia KRISTEVA, est définie par
GENETTE comme une « relation de coprésence entre deux ou plusieurs
textes, c'est-à-dire eidétiquement et le plus souvent, par la présence
effective d'un texte dans un autre. »18 C'est le cas de tous les textes qui
communique avec d'autres textes ; et elle se présente principalement sous
deux formes : La forme la plus explicite (citation), la forme implicite
(plagiat, allusion).
2- La paratextualité « la relation que le texte entretient, dans l'ensemble formé
par une œuvre littéraire, avec son paratexte : titre, sous-titre, intertitres ;
préfaces, postface, avertissement, avant-propos, etc. notes marginales,
infrapaginales ; […] »19
3- La métatextualité « est la relation […] qui unit un texte à un autre texte dont
il parle, sans nécessairement le citer (le convoquer), voire, à la limite,
sans le nommer »20
4- L'architextualité représente « une relation tout à fait muette, que n'articule,
au plus, qu'une mention paratextuelle (titulaire, comme dans Poésies,

15
HÉBERT Louis, Introduction à l'analyse des textes littéraires : 41 approches, Québec,
2017, p. 189.
16
GENETTE Gérard, Palimpsestes : la littérature au second degré, Éditions Seuil, Paris,
1992, p. 18.
17
Ibid., p. 16.
18
Ibid., p. 16.
19
Ibid., p. 10.
20
Ibid., p. 11.

26
Essais, le Roman de la Rose, etc., ou, le plus souvent, infratitulaire :
l'indication Roman, Récit, Poèmes, etc., qui accompagne le titre sur la
couverture) de pure appartenance taxinomique. »21
5- L'hypertextualité qualifie « toute relation unissant un texte B (hypertexte) à
un texte antérieur A (hypotexte) sur lequel il se greffe d'une manière qui
n'est pas celle du commentaire. »22 C'est le cas de tous textes laissant
transparaître leur rapport à un texte antérieur qu'il transforme à travers le
travestissement ou encore la transposition.
De toute cette typologie, nous retenons cependant les deux formes de «
transcendance textuelle » qui sont proches de la transécriture : l'intertextualité et
l'hypertextualité, du fait que l'intertexte nous renvoie forcement à un texte source
(Palimpseste) ou « Texte 1 »23 dans un sens proche, selon la terminologie employée
par Antoine COMPAGNON. En ce qui concerne l'hypertexte, le texte original laisse
transparaître un autre texte au terme d'une transformation, d'un « travestissement ».
Un texte littéraire transécrit correspond donc à une relation et intertextuelle et
hypertextuelle. Le cas de L'attentat qui, à travers ces différentes adaptations, connaît
moult réécritures, et nous renvoie ainsi à ces deux concepts, eu égard à la « présence
effective d'un texte dans un autre. »24 La relation transtextuelle tente alors de les
communiquer entre eux, en démontrant l'existence d'un référentiel tiré d'un texte
source. Cependant, le produit, la résultante de ces opérations transtextuelles se
rapproche sans doute de la transécriture, ou encore de l'adaptation d'un genre à un
autre, le passage d'un média à un autre. Vu que « tout procédé créateur, une fois
inventé, est potentiellement transtextuel (Genette), c’est-à-dire susceptible d’être
repris, fût-ce sous une forme transformée, dans d’autres œuvres. »25
Ces pratiques ne constituent pas pour autant les seules approches du texte adapté.
Celui-ci peut être aussi envisagé comme l'aboutissement d'un long travail et la
critique a entrepris de rendre compte de la spécificité du médium d'accueil. Encore
convient-il de préciser qu'en France on parle en termes de transmutation, de

21
GENETTE Gérard, op. cit., p. 12.
22
Ibid., p. 13.
23
COMPAGNON Antoine, La seconde main ou le travail de la citation, Éditions Seuil,
Paris, 1979, P.p.56-57.
24
GENETTE Gérard, op. cit., p. 8.
25
DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean Marie, Nouveau dictionnaire encyclopédique des
sciences du langage, Éditions Seuil, Paris, 1995, p. 193.

27
reformulation, de manipulation. Ces conceptions - conformément au principe de la
transécriture ; création canadienne qui valorise déjà le cinéma - mettent en place des
dispositifs en sus même des autres concepts proches.

I.3 Éclatement terminologique


Umberto ECO propose une terminologie proche de la transécriture ; la
transmutation. Dans son essai théorique, certes sur les problèmes que pose la
traduction, intitulé Dire presque la même chose. Expériences de traduction, il précise
de prime abord que cet ouvrage « ne se présente pas comme un livre de théorie de la
traduction […] pour la simple raison qu'il laisse ouverts d'infinis problèmes
traductologiques.»26 Il nous propose notamment dans ce livre un chapitre intitulé «
quand change la matière »27, dans lequel il parcourt le processus d'adaptation et les
écarts qu'elle génère. Quoiqu'elle cherche souvent à faire voir le non-dit et à trouver
le sens profond du texte source, en la qualifiant de transmutation ou encore de
transmigration, en un certain sens elle reprend presque la même fabula du texte de
départ « mais avec une autre vision éthique, une autre morale, un autre conflit.»28
Bien qu'elle ne soit traitée que dans un seul chapitre, la question de la
transmutation soulevée par Umberto ECO est qualifiée comme étant une « utilisation
créatrice », marquant « le passage de matière à matière »29 par exemple l'adaptation
d'un roman en film, d'un tableau ou d'une sculpture à une description verbale, d'une
œuvre musicale en ballet, etc. ECO souligne que la transmutation se présente comme
un procédé semblable à celui de la traduction, et la désigne telle une « traduction
intersémiotique ».
D'un côté, la transmutation est « traduction », car elle est interprétative dans la
mesure où elle incite l'interprète/adaptateur à décider des écarts, des « variations de
signifié », du « non-dit », des « réticences » et propose de la sorte une reconstruction
ou une relecture de l'œuvre littéraire qui deviendra « source de nombreuses
extrapolations. »30. De l'autre, elle est « intersémiotique » puisqu'elle implique un
changement de matière d'expression, « de système sémiotique totalement "autre" par

26
ECO Umberto, Dire presque la même chose. Expérience de traduction, traduit de l'italien
par Myriem BOUZAHER, Éditions Grasset, Paris, p. 15.
27
Ibid. p. 401.
28
Ibid. p. 435.
29
Ibid. p. 414.
30
Ibid. p. 419.

28
rapport à ceux des langues naturelles »31. Or, la mutation d'une matière à l'autre ne
peut reproduire le même effet présent dans le texte source, étant donné qu'elle isole
incontestablement des niveaux de texte.
L'équivalence supposée par Gérard GENETTE distingue, à son tour, deux types
de transformations : « simple » et « indirecte »32. Par exemple la parodie et le
pastiche sont sans doute elles aussi des transformations, de travestissement, mais
d'un procédé plus complexe, car :

Le parodiste ou travestisseur se saisit d'un texte et le transforme selon telle contrainte


formelle ou telle intention sémantique, ou le transpose uniformément et comme
mécaniquement dans un autre style. Le pasticheur se saisit d'un style […], et ce style
lui dicte son texte. Autrement dit, le parodiste ou travestisseur a essentiellement affaire
à un texte, et accessoirement à un style ; inversement l'imitateur à essentiellement
affaire à un style, et accessoirement à un texte : sa cible est un style, et les motifs
thématiques qu'il comporte ( le concept de style doit être pris ici dans son sens le plus
large : c'est une manière, sur le plan thématique comme sur le plan formel ) le texte
qu'il élabore ou improvise sur ce patron n'est pour lui qu'un moyen d'actualisation – et
éventuellement de dérision. »33

Dans un sens plus restreint, mais comparable, le linguiste Dominique


MAINGUENEAU, dont les travaux ont une portée surtout sur l'analyse du discours,
fait appel à un autre concept clé ; la reformulation interdiscursive. Analogue au
principe de la transécriture, elle qualifie tout ce qui implique la transformation d'un
texte en un autre, avec cette appellation « on rejoint la problématique de
l'hypertextualité (parodie…) mais aussi celle de la vulgarisation, où l'on transforme
un texte en un texte "équivalent" destiné à un public moins spécialisé.»34 Une
critique qui résume un roman, « la traduction d'une langue ou d'un registre de

31
ECO Umberto, op. cit., p. 417.
32
Afin d'établir une distinction entre la transformation simple « transformation tout court »
et transformation indirecte « imitation », Gérard GENETTE, dans Palimpsestes. La
littérature au second degré, éclaircie à travers des exemples suivants : « La transformation
qui conduit de l’Odyssée à Ulysse peut être décrite […] comme une transformation simple,
ou directe : celle qui consiste à transposer l’action de l’Odyssée dans le Dublin du XXe
siècle. La transformation qui conduit de la même Odyssée à l’Énéide est plus complexe et
plus indirecte, malgré les apparences, car Virgile ne transpose pas, d’Ogygie à Carthage et
d’Ithaque au Latium, l’action de l’Odyssée : il raconte une toute autre histoire, mais en
s’inspirant pour le faire du type établi par Homère dans l’Odyssée, ou, comme on l’a bien
dit pendant des siècles, en imitant Homère. » In Gérard GENETTE, Palimpseste. La
littérature au second degré, Éditions Seuil, Paris, 1982, p. 14.
33
GENETTE Gérard, op. cit., p. 107.
34
MAINGUENEAU Dominique, Les termes clés de l'analyse du discours, Éditions Seuil,
Paris, p.108.

29
langue à un autre … »35 en sont des exemples insignes. Comme cette opération
prend des tours très variés selon le niveau auquel elle intervient, la nature et le type
du support d'accueil sur lequel elle porte.
Dans le cadre de la didactique du FLE, par exemple, on reformule un texte à des
fins pédagogiques. Dans leur ouvrage Discours et enseignement du français : les
lieux d'une rencontre, Jean PEYTARD et Sophie MOIRAND proposent une
distinction entre « reformulation » et « transcodage », où l'on transforme un texte en
un texte « équivalent » : « la reformulation opère à l'intérieur d'un même médium,
(de l'oral à l'oral, le l'écrit à l'écrit …), tandis que le transcodage passerait d'un
médium à un autre (de l'oral à l'écrit, ou l'inverse, du récit verbal au film, etc.) »36.
Quoique l'usage de ce terme par PEYTARD et MOIRAND soit foncièrement
pédagogique, il est vrai qu'on se situe toujours dans cette voie de la ré/écriture et de
la transécriture.
La thèse de Ludovic TRAUTMANN sur les récurrences problématiques dans la
série James Band est une étude qui porte plus sur la dimension technique et le
support que le texte. Sinon celle d'Alain JETTÉ, une étude qui se décline autour de
deux axes ; sur le processus de transécriture du roman vers le scénario d'abord,
ensuite du scénario au film d'animation 3D en image de synthèse, en se penchant sur
deux éléments en particulier, le passage de la description littéraire, scénaristique et
filmique, en même temps sur l'élaboration des personnages et de ce qui les définit.
Sans qu'il soit toujours facile de tracer la frontière entre ces pratiques, elles
débouchent sur l'adoption des mêmes principes de réduction, de condensation et de
reformulation. Les discours que tiennent les théoriciens de la matière sur ces
différentes manipulations textuelles sont donc assez variables, en fonction des
thématiques, des supports adoptés, des modes de production, et enfin des genres
littéraires et des modes narratifs. À cet égard, il est intéressant de noter que ces
manipulations nécessitent incontestablement un transfert, une mutation qui consiste,
par conséquent, à développer le récit initial dans un support médiatique autre et à
travers des modes narratifs moins univoque. Gérard GENETTE décrit donc une
approche particulière de la transposition, qui renvoie en l'occurrence à l'inversion des

35
MAINGUENEAU Dominique, op. cit., p.108.
36
PEYTARD Jean & MOIRAND Sophie, Discours et enseignement du français : les lieux
d'une rencontre, Éditions Hachette, Paris, 1992, p. 147.

30
modes d'énonciation ou encore l'existence de l'un dans l'autre, grâce aux enjeux de la
transmodalisation.

II - La transmodalisation
La littérature se pose, de Platon à nos jours, un nombre remarquable de
problèmes, quant à l'identité et la classification des genres littéraire. La théorie
littéraire répertorie alors les créations poétiques sous différentes catégories plus ou
moins nettement délimitées. Le système générique le plus saillant présenté à ce jour,
observe Oswald DUCROT, est proposé par Hegel dans son ouvrage Esthétique ou
philosophie de l'art « d'après lui les trois genres (Gattungen) fondamentaux, c'est-à-
dire l'épopée, la poésie lyrique et la poésie dramatique, circonscrivent le
développement de la littérature dans sa totalité.»37 L'idée de cette triade générique
est défendue également par Goethe, Hölderlin, plus récemment par Emil STAIGER.
Mais, des théoriciens comme Gérard GENETTE, Jean-Marie SCHAEFFER et
Tzvetan TODOROV ont réinterprété les propriétés génériques à canons, et ce dernier
estime que le genre se chevauche avec plusieurs autres, et « communique avec la
société où il est en cours. »38
« Chaque époque, estime Tzvetan TODOROV, a son propre système de genres,
qui est en rapport avec l'idéologie dominante. Une société choisit et codifie les actes
qui correspondent au plus près à son idéologie ; c'est pourquoi l'existence de
certains genres dans une société, leur absence dans une autre, sont révélatrices de
cette idéologie. »39 Le système générique est également remis en cause, dont une
réinterprétation thématique, proposée par GENETTE, met en place ce qu'il nomme
des modes narratifs, qui reposent sur une distinction, particulièrement opposées,
entre mode narratif et mode dramatique, raconter et monter, héritée de la tradition
platonicienne et aristotélicienne : mimésis et diégèsis.
Cependant, la classification des productions littéraires, en termes de genres
littéraires, à la différence des modes, ne constitue nullement l'unique norme
catégorielle, elle est encore en corrélation directe avec le mode narratif, le récit peut

37
DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean Marie, op. cit., p. 630.
38
TODOROV Tzvetan, La notion de littérature, Éditions Seuil, Paris, 1987, p. 35.
39
Ibid.

31
en effet être « identifié par sa modalité d'énonciation »40 ; narrative, dramatique ou
selon un autre mode d'énonciation hétérogène spécifique correspondant en même
temps aux deux autres. C'est en effet ce troisième mode qui suscite particulièrement
une interrogation sur le dessein de l'œuvre trans/écrite, à l'origine diégétique mutant
vers le mimétique, voire l'iconique. Néanmoins, à la croisée de ces modes
d'énonciation peut-on admettre l'existence de l'un dans l'autre ?
Avant d'arrive à cet entrecroisement modal, il faut rappeler de prime abord les
travaux de Platon et Aristote qui sont à l'origine de la question des modes narratifs :
diégèsis et mimésis.

II.1 Le mode diégétique


Au sens de Platon, équivalente à la narration, la diégèsis41, terme grec employé à
des fins narratologiques dans sa République, désigne le récit qui communique une
information propre à un cadre temporel. Elle est subdivisée en trois pôles : 1)
diégèsis pure, c'est-à-dire narrative dans la voix du poète « authorial, muthologos
392 », 2) diégèsis au moyen de la mimésis « diegesis dia mimseos 394 » c'est-à-dire
le discours direct interprété par des voix de personnages individuels dans l'histoire,
3) mode mixte, « diegesis di'amphoteron » c'est-à-dire une forme composée qui
combine ou brasse les deux modes précédents, comme dans l'épopée homérique.
« Dans l'usage courant, la diégèse est, au sens de GENETTE, l'univers spatio-
temporel désigné par le récit. »42 De même, dans son acception théâtrale ou
cinématographique, la diégèsis, propre à la narration, constitue tout cet univers
cohérent fondé sur trois aspects fondamentaux : l'espace, le temps et le personnage. Il
existe en effet une unanimité de consensus quant à cet usage terminologique des
théoriciens du récit cinématographique, comme le démontre André Gaudreault dans
Du littéraire au filmique. Or, avant d'arriver à pareille valeur, il faut évoquer la
provenance de la notion en français. Terme tombé en désuétude puis emprunté à la
tradition platonicienne par Étienne SOURIAU en 1951, pour lui attribuer un sens
différent, propre au récit filmique.

40
DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean Marie, op. cit., p. 631.
41
Diégèsis est un emprunt didactique (1955) au grec diêgêsis « récit », d'abord à propos du
cinéma. Le mot désigne l'univers spatio-temporel d'un récit, d'une fonction, notamment au
cinéma. In Dictionnaire Historique De La Langue Française, Édition 2010.
42
GENETTE Gérard, Figures III, Éditions Seuil, Paris, 1972, p. 71.

32
La démarche théorique du filmologue est donc, principalement, relatif à l'histoire
représentée à l'écran, et à la fiction que présente le film. Toutefois, le niveau
diégétique est assimilé, dans son ouvrage L'univers filmique, à « tout ce qui
appartient "dans l'intelligibilité" (comme le dit M. Cohen-Séat) à l'histoire racontée,
au monde supposé ou proposé par la fiction du film. »43 Cette composante qui, au
départ faisait partie d'un « univers filmique » constitué de huit notions, se trouve
désormais en position incluant le « tout » : le temps, l'espace et le personnage.
Repris ensuite par Christian METZ, le théoricien français de la sémiologie et du
cinéma, qui a développé la thèse fondamentale du cinéma « langage sans langue »,44
selon lequel, le mode diégétique se caractérise non seulement par tout ce qui est
représenté par le film et ne recouvre pas uniquement l'histoire raconté, mais plutôt
tout l'univers fictionnel, filmologique principalement, où le spectateur construit « un
pseudo-monde auquel il participe et s'identifie. »45 Le sémiologue entend ce terme au
sens de SOURIAU tout en associant à la définition de ce dernier l'idée de
l'immersion du spectateur dans le mode diégétique. Je rappellerai à ce sujet la
définition qu'il en donne :

L'instance représentée du film, c'est-à-dire l'ensemble de la dénotation filmique : le


récit lui-même, mais aussi le temps et l'espace fictionnels impliqués dans et à travers
ce récit, et par là les personnages, les paysages, les événements et autres éléments
narratifs, pour autant qu'ils sont considérés en leur état dénoté.46

Il s'agit à cet égard d'une certaine rencontre entre le cadre conceptuel de


SOURIAU, qui rejoint ce que GENETTE envisage par la suite pour la narratologie,
mais ce dernier fait un retour au pur récit diégétique platonicien. Or, la mise en
œuvre d'un film, pièce de théâtre, bande dessinée ou encore jeux vidéo sollicitent
aussi bien une élaboration diégétique qu'une diversité de matières d'expression, « ce
dont il est souvent question au cinéma à propos de la musique ou de la voix over. »47,
à propos du jeu du comédien à travers son interprétation et incarnation, types

43
SOURIAU Étienne (Dir.), L'univers filmique, Éditions Flammarion, Paris, 1953, p. 7.
44
AUMONT Jacques, MARIE Michel, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, Paris,
Éditions Nathan, 2004, p. 126.
45
Ibid., p. 52.
46
METZ Christian, Essais sur la signification au cinéma, Éditions Klincksieck, Paris, 1968,
p. 78.
47
BOILLAT Alain, « la "diégèse" dans son acception filmologique. Origine, postérité et
productivité d'un concept », In Cinémas, vol. 19, N° 2-3 printemps, Paris, 2009, p. 217-245.
[En ligne], consulté le 11 juin 2017, http://id.erudit.org/iderudit/037554ar

33
d'éclairage dans un espace scénique, notamment le scénario d'une bande dessinée au
contenu diégétique et graphique (Nous y reviendrons ci-dessous). Pour offrir une
certaine « impression de réalité »48, relevant cependant de la mimésis.

II.2 Le mode mimétique


Contrairement à son maître Platon, Aristote privilégie la mimésis49 ; le mode qui
représente traditionnellement l'art d'imitation. Autrement, il désigne « la
manifestation sensible des caractères cachés de l'homme : êthos « caractère »
(→ éthique), rhuthmos (→ rythme), harmonia (→ harmonie) et logos (→ logique),
c'est-à-dire une expression ou une représentation, non une imitation.»50 Ainsi, «
conserve-[t-elle] un lien fort et privilégié avec l'art dramatique par opposition au
modèle pictural »51 ; comme au théâtre, où le terme trouve d'ailleurs son origine «
mimeisthai » et il n'admet à cet effet que l'épopée et la tragédie.
Plus récemment, le traité de la Poétique, qui est consacré essentiellement à la
mimésis, cesse d'être imitation pour devenir « représentation » par Roselyne
DUPONT-ROC et Jean LALLOT. Le terme « représentation » ne demeure pas
l'unique usage en rapport avec la question de la création poétique, par contre, il y a
eu un engendrement de toute une série d'appellations assurément du terme
aristotélicien : mimésis traduit en français par : « "imitation" ou par "représentation"
(le choix de l'une ou de l'autre traduction est en soi une option théorique),
"vraisemblable", "fiction", "illusion", ou même "mensonge", et bien sûr "réalisme",
"référent" ou "référence", "description".»52 Il s'agit en effet d'un mode qui fournit
une image aussi éloignée de la perception de l'artiste.

48
Ibid.
49
Mimésis est emprunté (1765) au grec mimêsis, du verbe mimeisthai, dérivé de mimos ; les
équivalents latins, imitatio et imitari (« imitation », « imiter »), […] Aussi bien, l'emploi en
français d'imitation pour rendre mimêsis (courant du XVIIe au XIXe s.) engendre-t-il maints
contresens, […] Ainsi les sons de la musique sont des mimêmata et non pas les images
ressemblantes et imitées que sont des « signes » (sêmeia). Mimesis a été repris en français au
XXe s. pour éviter les contresens dus à imitation, et Marcel Jousse a créé MIMISME n. m.
pour désigner la gestuelle corporelle du mime. In Dictionnaire Historique De La Langue
Française, Édition 2010.
50
REY Alain, Dictionnaire Historique De La Langue Française, Éditions Le Robert, Paris,
2010, p. 7790.
51
COMPAGNON Antoine, Démon de la théorie, Éditions Seuil, Paris, 1998, p. 119.
52
Ibid., p. 112.

34
Une mauvaise lecture d'Aristote, observe Philippe DUFOUR, oppose puristes et
détracteurs du débat sur le réalisme et « n'oubliant pas qu'Aristote a dit : "L'art est la
représentation de la nature" ; et non comme ses disciples : "L'art est l'imitation de la
nature". De l'interprétation à l'imitation il y a tout un monde. »53
La remise en cause de la mimésis par la théorie littéraire pose alors le problème
de la relation du texte et du monde réel. Elle a insisté en effet sur la dissociation, «
l'autonomie de la littérature par rapport à la réalité, au référent, au monde et
soutenu la thèse du primat de la forme sur le fond, de l'expression sur le contenu, du
signifiant sur le signifié, de la signification sur la représentation, ou encore de la
sèmiosis sur la mimésis.»54
Dans un contexte narratologique, le mode mimétique sert à désigner, par
imitation, la forme du récit oral où les personnages et leurs tournures de pensée sont
incarnés par les mimes, le langage et les gestes des récitants. Cette forme de récit se
trouve condamnée par Platon parce qu'elle s'éloigne du récit idéal dans la mesure où
il « donne l'illusion que le récit est pris en charge par un autre que l'auteur, […] fait
passer la copie pour l'original et l'éloigne de la vérité : c'est pourquoi Platon veut
faire bannir de la cité les poètes qui ne pratique pas la diégèsis simple.»55
Aristote, quant à lui, le poète a plus de vertus à raconter ou plutôt montrer la
réalité, étant perçu comme un compositeur d'histoires : « le poète […] raconte […]
des événements qui pourraient arriver. Aussi la poésie est-elle plus philosophique et
d'un caractère plus élevé que l'histoire ; car la poésie raconte plutôt le général,
l'histoire le particulier. Le général, c'est-à-dire que telle ou telle sorte d'homme dira
ou fera telles ou telles choses vraisemblablement ou nécessairement. »56 L'antinomie
des modes diégétique et mimétique, le premier étant plus narratif que le second,
oppose Platon et Aristote sur les valeurs respectives des termes :

Platon condamne les poètes dramatiques comme imitateurs, et Homère dans ce qu'il a
de trop mimétique. Aristote place en revanche la tragédie au-dessus de tout, et,
reconnaissant le caractère mixte de l'œuvre d'Homère, valorise le drame dans l'épopée.

53
DUFOUR Philippe, Le réalisme de Balzac à Proust, Éditions PUF, Paris, 1998, p. 77.
54
COMPAGNON Antoine, op.cit., p. 111.
55
Ibid. p. 118.
56
Aristote, Poétique, 1451b 5.

35
Ce renversement des valeurs (prescriptif) est au principe de leurs choix différents du
principe unifiant (diégèsis ou mimésis).57

En vue de cela, tout récit possède un mode narratif bien précis qui fournit la «
régulation de l'information narrative »58 nécessaire au lecteur/spectateur. En
revanche, chez GENETTE, le récit est nécessairement diégétique, étant donné que
l'histoire qu'il représente n'est imitée qu'illusoirement ; « le récit ne "représente" pas
une histoire (réelle ou fictive), il raconte, c'est-à-dire qu'il la signifie par le moyen
du langage […]. Il n'y a pas de place pour l'imitation dans le récit […]. »59 Loin
d'être comme une imitation parfaite de la réalité, le récit est à cet effet considéré
comme un acte fictif du langage. Dans ce cas précis, entre ces deux modes narratifs
traditionnels, GENETTE préconise différents degrés de diégèsis, seulement si une
création littéraire, notamment sa transposition, se situe entre les deux modes.

II.3 L'entre deux modes ; la transmodalisation


L'écriture ou la réécriture, quelles qu'elles soient, romanesque, théâtrale,
cinématographique ou encore bédéesque, surtout dans les époques récentes, ne
correspondent pas nécessairement et respectivement à cet idéal de romanisation, de
théâtralité ou de cinématographicité. Malgré le classement de chaque création
poétique, par son auteur, sous des catégories génériques, le texte échappe au
cantonnement de toute forme de catégorisation, tout genre littéraire canonique, tout
mode d'énonciation, voire toute convention. Gérard GENETTE va jusqu'à parler
d'une forme de transposition purement formelle appelée transmodalisation et la
définie comme :

Une transformation portant sur ce que l'on appelle, depuis Platon et Aristote, le mode
de représentation d'une œuvre de fiction : narratif ou dramatique. Les transformations
modales peuvent être a priori de deux sortes : intermodales (passage d'un mode à
l'autre) ou intramodales (changement affectant le fonctionnement interne du mode).
Cette double distinction nous fournit évidemment quatre variétés, dont deux sont
intermodales : passage du narratif au dramatique ou dramatisation, passage inverse du

57
Antoine COMPAGNON explore quelques textes fondamentaux et qui sont à l'origine de la
question des genres, lors d'un cours intitulé « Poétique des genres : Aristote » en matière de
théorie de la littérature, exposé à l'université Sorbonne Paris IV le 09 mars 2001, repris par la
suite dans Fabula la recherche en littérature la revue littéraire électronique.
58
GENETTE Gérard, Figures III, Paris, Éditions Seuil, 1972, p. 184.
59
GENETTE Gérard, Nouveau discours du récit, Éditions Seuil, Paris, 1983, p. 29.

36
dramatique au narratif ou narrativisation, et deux intramodales : les variations du
mode narratif et celle du mode dramatique.60

La transmodalisation facilite le passage d'un mode à l'autre, et procure de la


sorte l'existence de l'épique dans une tragédie, du dramatique dans un poème, du
lyrique dans un roman. Autrement dit, elle favorise une forme de cohabitation entre
différents modes à l'intérieur d'une même œuvre ; étant donné que le texte d'origine a
un effet de rémanence sur le texte d'arrivé ; lorsqu'on parle par exemple en terme de
théâtre épique avec une histoire qui revêt un caractère épique. De plus le roman
dramatique qui, du point de vue modale ou encore générique, est diégétique, mais
également mimétique, en raison des « moyens dramatiques qui y sont employés,
apparemment dans un but plus théâtral que ne l'exigent la marche et le but d'un
roman. »61
Ainsi, afin de développer comment un texte narratif peut légitimement être
représenté et vice versa, Jean-Marie SCHAEFFER pense-t-il notamment en terme de
transmodalisation :

Tout récit peut se transformer en représentation. Je ne peux pas dire par là que les
événements du récit peuvent être représentés, mais que le récit lui-même comme acte
discursif peut être représenté, peut cesser d'être une narration, cela par simple
incarnation scénique du narrateur : on aura alors un poème dramatique consistant
uniquement en une imitation de paroles.62

À partir des années 1960, une ambiguïté s'installe alors quant au classement de
certaines œuvres selon un genre littéraire particulier, et subvertit tout d'abord avec la
mention architextuelle et paratextuelle qui accompagnent les publications.
Considérons par exemple l'écriture durassienne ; le cas de la publication du Square
sous deux versions : baptisé d'emblée « roman », puis « pièce de théâtre ». Ce roman
de Marguerite DURAS est mis en scène 1957, deux ans après sa parution aux
éditions Gallimard. Les informations transmises dans sa version romanesque se
déploient sous forme de didascalies et d'une conversation entre deux personnages, ce
qui a favorisé sa mise en scène et son rapprochement de la théâtralité, ce qui

60
GENETTE Gérard, Palimpsestes : la littérature au second degré, Éditions Seuil, Paris,
1992, p. 396.
61
PLANA Muriel, Roman, théâtre, cinéma : Adaptation, hybridation et dialogue des arts,
Éditions Bréal, Paris, p. 242.
62
SCHAEFFER Jean-Marie, Qu'est-ce qu'un genre littéraire ? Éditions Seuil, Paris, 1989,
p. 94.

37
souligne le point fondamental que la mimésis n'est pas opposée à, mais est un type
de, diégèsis.
Autrement dit, la publication d'une œuvre quelconque sous une architextualité
spécifique, le cas de L'attentat ; certes manifestement diégétique classé sous la
catégorie générique traditionnelle « roman », relève d'une pure volonté de l'auteur.
Or, ce qui est de la nature modale transcende l'œuvre elle-même, ayant trait aux deux
modes d'énonciation, narratif et dramatique ; et appelle aussi curieusement à la
représentation. À l'inverse, la mise à l'écrit d'un texte théâtral destiné à lire « dans un
fauteuil » plutôt qu'à être représenté sur scène (notion développée dans la chapitre
suivant) ne pousse plus la réalisation jusqu'aux incarnations physiques les plus
complètes.
En soutenant toujours l'idée de cette bipartition modales, André
GAUDREAULT, dans Du littéraire au filmique. Système du récit, a repris ces deux
modes, diégétique et mimétique, pour analyser la relation entre eux, en cherchant à
en soustraire les principes d'une théorie de narratologie filmique : au caractère double
à ses yeux, à la fois scriptural et scénique, narratif et à imitatif. La fusion des deux
dispositifs platonicien et aristotélicien de diégèsis et mimésis, définit, selon
GAUDREAULT, la narrativité filmique. De ce point de vue, afin de garantir le
fonctionnement du récit filmique, le travail sur sa production doit harmoniser des
modalités de narration et de monstration63, néologisme proposé par ce même
théoricien, qui désigne « l'acte fondateur sans lequel la narration filmique n'aurait
pas d'existence. »64 Ainsi, oppose-t-il le « mode d'attraction monstrative » au « mode
d'intégration narrative »65
Dans son film inspiré de L'Éducation sentimentale d'après Gustave FLAUBERT,
Alexandre ASTRUC, cinéaste français met le cinéma au même rang que le roman.
Sans être « figuratif », le cinéma est, selon ASTRUC, « un art narratif », dans la

63
Ce terme est repris par la suite dans les travaux d'André GARDIES désignant «
littéralement le fait de montrer […] en opposition à "narration". Cette opposition est
inspirée de l'opposition platonicienne entre mimésis et diégésis ; la monstration est le
premier degré de l'instance narrative, celui qui consiste à représenter une action en actes,
par le biais de personnages incarnés par des acteurs. ». In AUMONT Jacques, MARIE
Michel, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, Paris, Éditions Nathan, 2004, p.
64
AUMONT Jacques, MARIE Michel, op.cit., p.
65
Ibid.

38
mesure où « Il construit un monde mais ne représente pas le monde.»66 C'est alors
principalement la théorie de l'indissociation du fond et de la forme, promue par ce
cinéaste, qui permettra à l'avant-garde de renouer avec l'idée de narration, d'où la
diégétique. Longtemps condamné par son caractère mimétique, le théâtre, ou encore
le cinéma, s'est rapproché donc du mode diégétique, du moment où on reconnaît que
le récit comme « un recours possible, aussi consubstantiel au cinéma qu'au
roman.»67
Outre la reconnaissance du cinéma comme étant indéniablement un art narratif,
le théâtre, réputé pour son caractère mimétique et/ ou spectaculaire, est un art
autonome et à part entière. En revanche, il n'exclut pas l'existence en son sein la
diégèse. Comment est-ce possible ? À travers le « théâtre récit », il s'agit donc d'une
représentation scénique qui narre tout en demeurant théâtre. Cette démarche
paradoxale a été avancée, en 1975, par Antoine VITEZ, en créant Catherine68. La
narration dans le spectacle est prise en charge par les comédiens, de ce fait, il se crée
une sorte de synergie entre les modes dramatique et narratif, les planches et le livre,
la représentation et le discours.
De cette façon, la pratique d'écriture ou de réécriture scénaristiques,
d'adaptation de romans ou de pièces de théâtres seraient des transmodalisations :
mutations d'un texte de mode narratif au mode dramatique. La notion de
transmodalisation, héritée de GENETTE, est-elle donc suffisante quant au
classement de textes le plus souvent inclassables, non spécifiés, voire équivoques ?
FOUCAULT, DERRIDA et BLANCHOT, avant GENETTE, ont soutenu l'idée
de la suppression de toutes formes intermédiaire entre les créations poétiques, d'où la
commodité du passage d'un mode et un autre. Comme l'écrivait Maurice
BLANCHOT d'un écrivain moderne, Hermann BROCH : « Il a subi, comme bien
d'autres écrivains de notre temps, cette pression impétueuse de la littérature qui ne
souffre plus la distinction des genres et veut briser les limites. »69 En somme, à la

66
PLANA Muriel, op. Cit., p. 102.
67
Ibid.
68
Le poète et metteur en scène français Antoine VITEZ, réputé à l'échelle internationale et
pour la qualité et la diversité de ses créations théâtrales, participe à la fusion des deux modes,
narratif et dramatique, dans la mesure où sa mise en scène de Catherine, d'après le roman de
Louis ARAGON Les cloches de Bâle (1934), semble n'être qu'une immense suite de passage
narratifs.
69
TODOROV Tzvetan, La notion de littérature, Éditions Seuil, Paris, 1987, p. 27.

39
question précédente, la transmodalisation, cette extension modale à l'ensemble de
l'art poétique, se présente comme une recherche de forme de modernité, « ce serait
même un signe de modernité authentique chez un écrivain, qu'il n'obéisse plus à la
séparation des genres. »70
La réécriture d'un texte suscite en effet de nombreuses transformations et
implique également des choix techniques quant à la représentation médiatique. Un tel
changement est significatif d'une transformation épistémique. Toutefois, à travers
l'admission et la mise en œuvre d'une telle pratique multimodale et intermédiale,
assistons-nous à un éclatement ou un effacement générique ?

III - Littérature et relations intermédiales


Littérature et médias semblent être deux domaines pris entre deux dynamiques
contradictoires. À partir de la deuxième moitié du XXe siècle, un ensemble de
supports de diffusion - hormis le média simple qui est le livre - la presse, la radio, la
télévision et internet, assiste à l'expansion de la culture de masse à travers les
feuilletons, séries télévisées, photo-roman, bande dessinée, jeux, etc. En effet, à
travers ces intermédiaires de transmission ou de distribution, les médias apparaissent
d'une part comme un lieu de passage et d'échanges privilégiés entre les grandes aires
culturelles. D'un autre côté, ils favorisent une approche adéquate entre les créations
artistiques et les différents supports médiatiques, par exemple un récit se transforme
bel est bien en scénario, comédie musicale, jeu vidéo etc., et on lui reconnaît
désormais la possibilité de migrer, de muter de ses lieux et supports d'origine vers
d'autres médias.
À l'orée de ce XXIe siècle, la littérature, quant à elle, en son sein se jouent autant
de tensions, de formes de négociation avec d’autres formes artistiques tels que le
cinéma, la musique, la peinture ou encore la danse71. Comme on voit proliférer des
types de publications qui recouvrent des phénomènes très disparates : utilisés aussi
bien dans le domaine des logiciels ludo-éducatifs que celui du cinéma interactif, ou
encore les pratiques d'écriture liées aux blogs, aux forums à travers lesquels les
internautes réagissent directement. La mise en marché des jeux vidéo qui font l'objet

70
Ibid.
71
La transposition de la littérature en danse, sujet presque inexploré par les chercheurs
jusqu’à présent mais qui a fait l'objet d'une thèse qui porte sur des textes (livrets et œuvres
son conçus pour la danse) servant de base à une intrigue de ballet.

40
d'une adaptation d'une œuvre littéraire où l'utilisateur a libre cours d'incarner un
personnage, modifier l'enchaînement des événements du récit, un récit dans lequel le
lecteur est incité à devenir interactif.
De ce fait, la création poétique subit-elle nécessairement la concurrence des
médias ? Est-ce que ces derniers constituent en l'occurrence un vrai lieu de brassage,
un milieu hybride, principalement dans des domaines où la combinaison entre le
texte, l'image, le son et la fluidité de la diffusion est rapide ? Avant de réponde aux
questions, il convient d'emblée de cerner clairement la question : qu'est-ce qu'un
média ? Puis, d'aborder la relation entre la littérature et les différents médias et de ce
qu'il en émerge comme cadre conceptuel du lien entre eux et sa corrélation avec
notre corpus.

III.1 Qu'est-ce qu'un média ?


D'origine latine, le terme média est le pluriel de médium, dérivé directement du
grec ancien Mêdía, qui a deux sens le premier signifie « milieux, centre […], le
milieu du jour.»72 Le second au sens figuré, a, à son tour, deux désignations : « a)
milieu, lieu accessible à tous, à la disposition de tous, […] prendre des mesures dans
l'intérêt commun, vouloir le bien commun.», ou encore « b) lieu exposé aux regards
de tous, […] mettre un fait sous les yeux, exposer une affaire, ou […] laisser une
chose en suspens, au jugement de la foule, […] soumettre quelque chose au jugement
public. »73 Se référant également au deuxième terme latin « medius », média
constitue un « intermédiaire entre deux extrême, […] deux parties, entre deux
opinions. »74
Le sens évolue au cours des siècles et en découle l'expression anglo-américaine «
mass media », employée pour la première fois en 1923 par les sociologues et
publicitaires américains pour définir l'ensemble des procédés techniques et des
dispositifs de diffusion massive de l'information et de la culture, entre différents
acteurs (producteurs, diffuseurs et usagers). Permettant ainsi d'établir une
communication écrite, orale ou audiovisuelle, les médias sont des dispositifs
complexes à la fois sémiotique, technique, économique, politique et social.

72
GAFFIOT Félix, Dictionnaire abrégé français latin, Édition Armand, Paris, 1936.
73
Ibid.
74
Ibid.

41
Des décennies de recherche sociologique en Amérique sur ce qu'on appelle, à la suite
de MCLUHAN, « la civilisation de l'image », ont contribué à répandre cet emprunt.
L'abréviation en media (en anglais, 1923) tend à devenir plus fréquente que la forme
initiale mass media, […]. L'emploi régulier de medium au singulier (qui apparaît en
anglais en 1967 chez le Canadien McLuhan) est rare ; l'emploi au singulier d'un media
a entraîné une francisation du pluriel en médias et l'usage fréquent de ces mots avec
l'accent aigu (média[s]). La forme media / medium de masse, si elle reste rare en
français, est normalisée au Canada.75

Curieusement, le mot français médias, entré en usage dès 1969, n'est attesté
qu'en 1983, selon un arrêté du 24 janvier de la même année par le ministère de la
communication. Et ce nouveau paradigme entraînera une certaine confusion entre
média, le moyen de transmission de l'information, et le support et la matière. Avant
l'exploration de ces problèmes, une énumération des différents médias s'impose
toutefois. Les principaux médias sont organisés autour des axes suivants :
- Visuels (livre, le journal, l'affichage, en somme tout ce qui est imprimé)
- Auditifs (mis à part les postes radiophoniques, les médias auditifs désignent
l'ensemble des équipements de lecture de produits enregistrés, comme le disque, le
magnétoscope, le magnétophone, etc.)
- Audiovisuels (cinéma procédé permettant la projection, à travers un écran et
des projecteurs dans une salle, d'un film. La télévision, le théâtre, comme tous les
autres dispositifs pour le spectacle vivant (concert, ballet, danse, etc.) à travers la
scène, coulisses, éclairage et salle, etc.).
Outre cette disposition, il faut noter que la communication non verbale, à travers
la voix humaine et les postures du corps, constitue sans doute le média le plus ancien.
Les travaux théoriques et expérimentaux de Gregory BATESON, Erving
GOFFMAN, Edward HALL et Paul WATZLAWICK, de l'école Palo Alto, sur le
langage non verbal, relèvent que toute activité de communication est définie comme
« un processus social permanent intégrant de multiples modes de comportement : la
parole, le geste, le regard, la mimique, l'espace interindividuel, etc. »76 Depuis, en
accord avec les sciences humaines, ses recherches constituent le cadre de nombreux
travaux en psychologie, sociologie et anthropologie.
Le problème pointé par nombre de spécialistes comme récurent est lié aux
médias avec le support médiatique dans lequel s'incère et se préserve l'information à

75
REY Alain, Dictionnaire Historique De La Langue Française, Éditions Le Robert, Paris,
2010.
76
WINKIN Yves (Dir.), La nouvelle communication, Édition Seuil, Paris, 2014, p 24.

42
communiquer, parce qu'ils peuvent être identiques « la presse est un media, qui
commande une certaine forme d'expression : l'annonce – et qui laisse ensuite la
possibilité de choisir entre de nombreux supports : Figaro, Monde, Paris-Match,
Télégramme de Brest, etc. […] de même la radio est un média, tel émetteur
périphérique est un support. »77 Le tableau ci-dessous permet une comparaison entre
chaque média et son support :

77
Le terme média est notamment défini par Centre national de ressources textuelles et
lexicales ; un ensemble de ressources linguistiques et d'outils de traitement de la langue
informatisés, soutenu par le CNRS, [En ligne], consulté le 9 septembre 2017,
http://www.cnrtl.fr/definition/m%C3%A9dia

43
Nature formelle de
Média Support Langage Matière Sens
l'information

• Voix • Cerveau humain • Parole • Conte • Glaise, marbre, • Vue


• Corps • Corps humain • Langage corporel • Danse bronze • Ouïe
• Signaux • Vêtement • Langage sonore (non- • Roman • Béton, acier, •Toucher
verbal) verre
• Théâtre (dispositif) • Paysage • Poésie • Odorat
• Langage écrit • Mots
• Livre • Livre • Peinture • Goût
• Langage visuel • Peinture
• Journal • Journal • Photographie
acrylique, toile
• Cinéma (dispositif) • Film (pellicule) • La lumière • Image animée
• Film, pellicule
• Radio • Bande vidéo • Informatique • Symphonie • Lumière
• Télévision • CD, disque, cassette, etc. • Bio (techno)logie • Hypermédia • Sons, bruits
• Magnétoscope, • CD-ROM, DVD, disquette, • Générateur • Corps
magnétophone. etc. • Transgénique • Numérique
• Télécommunications : • Disque dur des ordinateurs
télégraphe,
téléphone,
fax,
Internet
• Ordinateur

Tableau 1 : Média et leurs supports

44
Avec l'avènement d'internet, le web a détrôné tous les autres supports
médiatiques en instituant une rivalité entre eux, il associe des technologies de la
communication (réseaux, bandes de données images, son, vidéo) jusqu'à devenir le
mode privilégié d'information, de communication et de connaissance. Dans la mesure
où presque tous les autres médias passent à travers lui ; « Les enjeux de
l'informatique, de la bureautique, de la télématique et de la vidéomatique, en un mot
: les enjeux de la "médiatique", sont considérables et aussi bien, industriels ou
économiques, que sociaux et culturels. »78 Cette informatisation de l'ensemble des
médias, grâce à ces enjeux, est avant tout l'occasion d'ouvrir de nouveau champs de
recherche, une nouvelle image de la création poétique.
Par la faveur croissante et fondamentale des technologies de numérisation, le
début de ce siècle voit donc apparaître, dans le discours des créations artistiques, une
foule de dérivés, pour la plupart générés de l'anglais, aux usages variés tels :
médiagraphie désignant « les sources explicites d'un écrit, documents imprimés,
audiovisuels et sites Internet. Le mot demeure didactique. »79 Multimédia, qui est,
pareillement, emprunté dès les années 1990 à l'anglo-américain, renvoie à cet
environnement dans lequel s'étend un ensemble de techniques informatiques,
admettant la nécessité d'une convergence entre textes, sons, images liant les
différents médias.
On rencontre aussi par exemple les formes d'intermédialité, multimédialité,
relations inter-médiatiques, mais là encore, il ne s'agit que de médias et non
généralement de littérature. Or, notre travail entend avant tout montrer quelle place
occupe la création poétique au sein de ces relations intermédiales. Pendant ce temps,
comment baliser le champ du point de vue de la littérarité et de l'intermédialité ?

III.2 La pratique intermédiale


Le pionnier du débat sur l'intermédialité, et à avoir introduit le concept, Jürgen
Ernst MÜLLER, insistait sur l'établissement d'une relation entre les différents
médias. Il écrivait : « Si nous entendons par "intermédialité" qu'il y a des relations
médiatiques variables entre les médias et que leur fonction naît entre autres de
l'évolution historique de ces relations, cela implique que la conception de "monades"

78
Médiathèque publique, 1979, p. 59.
79
In Dictionnaire Historique De La Langue Française. Ed. 2010.

45
ou de sortes de médias "isolés" est irrecevable […].»80 Elle constitue alors l'un des
axes de recherche les plus dynamiques, puisque elle exige la conjonction entre
différents supports médiatiques avec l'abolition de la notion du médium phare. On ne
peut donc parler de l'existence singulière, voire de l'autonomie de chaque média par
rapport aux autres :

Avant que le cinéma ne finisse par devenir un média relativement autonome, le


cinématographe a non seulement subi les « les influences » des autres médias ou
espaces culturels qui étaient en vogue au tournant du XXe siècle, mais il fut à la fois
numéro de vaudeville, spectacle de lanterne magie, spectacle de féerie ou numéro de
café-concert.81

En ouvrant de la sorte de nouveaux angles de recherches, de nouvelles


perspectives en matière d'analyse d'œuvres littéraires. De plus, les études
intermédiales s'intéressent à juste titre à la formation de nouveaux médias, comme le
souligne Johanne VILLENEUVE :

L'intermédialité est un concept qui déborde l'idée selon laquelle il puisse y avoir
interaction entre des médias donnés. Le concept peut désigner des époques dont la
caractéristique première est l'émergence ou l'apparition. Il vise tantôt la pluralité des
médias institutionnels reconnus, tantôt le mouvement même de la reconnaissance au
cœur de laquelle vient à paraître l'hétérogénéité d'un nouveau médium.82

Nonobstant ce qui précède, Rick ALTMAN explique, en sa qualité de professeur


en cinéma et littérature comparée de l'université américaine de Lowa, «
L'intermédialité proprement dite ne constituerait pas en un simple mélange de
médias, mais désignerait plutôt une période pendant laquelle une forme destinée à
devenir un média à part entière se trouve encore à tel point tiraillée entre plusieurs
médias que son identité reste en suspens. »83 Parce que le passage d'un média à un
autre, comme la transécriture et la transmodalisation, induit des transformations, des
bifurcations, des pertes, mais qui sont propres, inhérents même à ce type de
processus.

80
MÜLLER Jürgen Ernst, « Top Hat et L'intermédialité de la comédie musicale », in
Cinémas, N° 1-2, Québec, automne 1994, p. 211-220.
81
GAUDREAULT André, Cinéma et attractions-Pour une nouvelle histoire du
cinématographe, Éditions CNRS, Paris, 2008, p. 113.
82
VILLENEUVE Johanne, « La symphonie-histoire d'Alfred Schnittke. Intermédialité,
cinéma, musique », In Intermédialités, N° 02, Montréal, Automne 2003, p.13.
83
JOST François, GAUDREAULT André (dir.), La Croisée des médias, Coll. « Sociétés et
Représentations », N° 09, Paris, 2000, p. 11.

46
Comme le concept d'intermédialité, qui se déploie dans une perspective à
caractère matériel, au-delà de la modalité qui établit les fondements des modes
d'énonciation, ainsi que la textualité qui institue les relations transtextuelles,
constitue un déplacement du texte à la matérialité. Une telle approche insiste, comme
le note Silvestra MARINIELLO, sur « la visibilité de la technique, sur son opacité et
attire l'attention sur la médiation, la matière, la différence. »84 Ce qui débouche vers
de nouvelles pratiques artistiques, voire intermédiales, déterminées comme étant
hybrides : le cinéma interactif, le cinéma concert. De même, le roman-exposition, le
roman graphique, poésie numérique résultent d'un tel rapprochement.
Il convient d'ors et déjà de préciser qu'il existe un rapport entre intermédialité et
interartialité. Toutefois, après son introduction, le second est utilisé d'une manière
très restrictive pour la désignation des processus de production purement artistique.
Plus précisément, sont étudiées ici, uniquement ce qui communique directement avec
les arts, comme le précise Walter MOSER lors du cinquième colloque du Centre de
recherche sur l'intermédialité de l'université de Montréal tenu en octobre 2003 sur les
relations intermédiales, intertextuelles et arts. L'intermédialité « [se] réfère à
l'ensemble des interactions possibles entre les arts que la tradition occidentales a
distingués et différenciés et dont les principaux sont la peinture, la musique, la
danse, la sculpture, la littérature et l'architecture.»85 Autrement dit, cette dernière
est, pour ainsi dire, une approche pour l'interartialité si l'on se réfère au propos de
François GUIYOBA, « l'interartialité est une déclinaison spécifique de
l'intermédialité »86
De cet assortiment, la littérature a si massivement inspiré les autres médias,
particulièrement le cinéma jusque-là. Hormis, les problèmes auxquels est affrontée
cette influence comme : « la crise de la représentation, de la fable, du sujet, et du
personnage et, ces dernières années, soubresauts postmodernes tendent à les
restaurer ou à mettre en relation, pour les faire évoluer formellement, les arts entre

84
MARINIELLO Silvestra, « L'intermédialité : un concept polymorphe », In Isabel Rio
NOVO, Célia VIEIRA, Inter Média : Littérature, cinéma et intermédialité, Éditions
L'Harmattan, Paris, 2011, p. 18.
85
MOSER Walter, « L'interartialité : pour une archéologie de l'intermédialité », In Marion
FROGER & Jürgen Ernst MÜLLER (dir.), Intermédialité et société. Histoire et géographie
d'un concept, Éditions Münster : Nodus, 2007, p. 70.
86
GUIYOBA François (dir.), Entrelaces des arts et effet de vie, Éditions L'Harmattan, Paris,
2012, p. 22.

47
eux. »87 Donc, de cette relation entre les différents médias et arts, favorisée
particulièrement entre le cinéma et le roman, il s'agit moins ici « d'influence mutuelle
mais d'échanges et d'interdépendance […] d'évolution parallèle, d'égal à égal, ou de
dialogue entre les deux arts : comme on peut parler de désir de théâtre dans le
roman, on peut parler de désir de cinéma dans le roman. »88 Et ce durant une
période importante.
Dès l'implémentation du média internet, puis l'innovation technologique au début
de ce XXIe siècle qui a permis son envolée, parallèlement, une hausse de la
production artistique ne cesse de se répandre, et OCTOBRE Sylvie a la conviction
que nous en verrons de plus en plus, par suite de l'entrecroisement de ces multiples
procédés technologiques où se prolifèrent le narratif sous le numérique, le scénique
et le graphique. Le numérique instaure un nouveau rapport à l'écriture, et cependant
on assiste à la collaboration entre différents auteurs provenant d'horizons culturels
multiples. Ainsi, les œuvres littéraires tendent-elles à se manifester à l'extérieur de
leurs lieux conventionnels.
En outre, les relations intermédiales deviennent à la fois plus prolifiques et plus
accessibles. À la question de l'intermédialité dans les pratiques artistiques s'ajoute la
méthode transmédiale ou la transmédialité, multimédialité, qui, partant d'un texte
écrit, conçoivent des avatars en tout genre. Ce terme a donné donc d'autres composés
grâce à leur affranchissement des contraintes en matière de réécriture, et notamment
eu égard à une importante harmonisation artistique à la cyberculture.

III.3 Médias et déflagration conceptuelle


En parcourant, en matière de théorie, les écrits critiques qui traitent de l'univers
narratif et sa convergence avec les médias, John Thomas MITCHELL, Claus
CLÜVER et Werner WOLF, principaux représentants aux États-Unis de la réflexion
sur « littérature et médias » et également ceux d'Alain-Philippe DURAND en France
mettent en évidence la multiplicité des aspects intermédiaux que le texte littéraire
peut avoir.

87
PLANA Muriel, op.cit., p. 103.
88
Ibid. p. 104.

48
À l'instar de la intermédialité, qui est selon Louis HEBERT « une forme de
polymédialité, c'est-à-dire de coprésence de plusieurs médias »89, il existe
notamment la notion de transmédialité, qui nécessite la prise en compte d'une
position sur différents médias ; et interroge les modalités généralement destinées à
être considérées comme Henri JENKINS explique : « une histoire transmédia se
développe sur plusieurs supports média, chaque scénario apportant une contribution
distincte et précieuse à l'ensemble du récit. » Tel est le cas de chaque best-seller qui
fait, plus au moins, l'objet d'une transposition cinématographique, théâtrale,
musicale, graphique ou encore interactive. Par exemple, la saga Star Wars, Twilight,
Harry Potter ou les productions de l'univers Marvel Comics, sont en même temps
sous formes de bande dessinée, pièce de théâtre, sans oublier de mentionner les
adaptations cinématographiques et les produits dérivés.
D'une part, la démarche transmédiale entend en effet surmonter l'opposition
entre texte et soubresauts techniques. D'autre part, elle croise en maints endroits celle
de Régis DEBRAY qui a proposé de constituer une nouvelle discipline, la
médiologie. Elle étudierait les relations entre les conditions médiatiques et la
diffusion des idées. Il y eu effectivement, à partir des années 1990, la prise de
compte de cette dimension médiologique qui apparaît aujourd'hui essentielle à toute
recherche en analyse du discours.
Afin de lever l'ambiguïté, les notions de polysémiotique, polysensoriel,
multimodal sont notamment utilisées, car elles permettent de dépasser celles ayant un
lien avec les médias. Aussi HEBERT questionne-t-il l'identité de ce genre de
production littéraire dans cette sphère médiatique, en proposant une distinction entre
quelques concepts. En s'appuyant sur les considérations sémiotique, linguistique et
cybernétique de François RASTER et Marc CAVAZZA, cet auteur instaure un cadre
conceptuel et théorique, à propos de la combinaison entre plusieurs produits
médiatiques, qu'il qualifie de produit polysémiotique, polysensoriel, multimodal et
multimédial (ou multimédiatique).
Chacune de ces notions admet une coexistence d'unité de même nature générale,
Autrement dit, « une sémiotique peut-être mono ou multimodale ([…]
respectivement, les sémiotiques visuelle et théâtrale, une interaction médiatique être

89
HÉBERT Louis, Introduction à l'analyse des textes littéraires : 41 approches, Québec,
2017, p. 234.

49
mono ou polysémiotique (par exemple, dans un produit multimédia, respectivement,
l'interaction phonèmes-graphèmes et interaction image-texte) etc. »90 Un même
phénomène peut en effet tolérer l'existence en son sein « au moins deux sémiotiques,
au moins deux modalités, au moins deux sensorialités, au moins deux médias. »91
Ces notions sont a fortiori corrélatives de transmodalité, ou encore d'intertextualité ;
c'est-à-dire de coprésence de plusieurs modes ou de plusieurs textes.
Comme c'est éminemment le cas de notre corpus, étant polysémiotique,
multimodal et multimédial. Le sensoriel, quant à lui, est décliné ici dans chacun des
cinq sens que sont la vue, l'odorat, l'ouïe le goût et le toucher. En 2015, la pièce
L'Encens et le Goudron de Violaine DE CARNÉ incarne parfaitement la conception
du polysensoriel via un théâtre olfactif. La comédienne et metteuse en scène combine
dans son spectacle parfumé, la musique, la vidéo, les chorégraphies et senteurs. Pour
ce qui est du tactile, il renvoie au roman graphique et ses dessins, les voix des acteurs
et comédiens dans le film et la pièce de théâtre.
Dans Sémantique et recherches cognitives, publié en 1991, François RASTER
propose une synthèse de ses recherches et hypothèses sur les représentations
multimodales à partir de ses travaux, dont il questionne une représentation mettant en
jeu plusieurs modes « visuel, auditif, mais aussi – pourquoi pas – moteur) […] En
outre ces percepts ne doivent pas être rapportés seulement à leur modalité
sensorielle : à ces modalités physiologiques se surimposent, inséparablement, des
modalités culturelles. »92
Si la transécriture ne convient que partiellement à notre propos, il sera
indispensable d'entreprendre, non seulement le littéraire mais également le
médiatique. C'est parce que un objet d'étude tel que la réécriture et l'adaptation d'une
œuvre littéraire ne relève pas du texte uniquement. Nous pouvons d'ors et déjà
constater que la pensée intermédiale et tout le champ conceptuel qui en découle
conviennent et s'adaptent correctement à notre objet d'étude principal, la
transécriture de L'attentat, roman de Yasmina KHADRA via les enjeux des relations
transtextuelles, la multimodalité et la transmédialité.

90
HÉBERT Louis, op.cit., p. 234.
91
Ibid.
92
RASTIER François, Sémantique et recherche cognitives, Éditions PUF, Paris, 1991, p.
207.

50
Pour conclure, ce premier chapitre fournit un cadre conceptuel autour des
notions reliées à la thèse. Nous avons abordé dans un premier temps la similitude qui
existe entre la réécriture d'une œuvre source et le champ transtextuel, d'où
l'intertextualité et l'hypertextualité. Nous avons ensuite décrit le processus modal,
énonciatif dans lequel se déploie la création poétique : narratif ou dramatique,
diégétique ou mimétique, voire la communication des deux. Nous avons dans un
troisième temps présenté la terminologie reliée aux médias accueillant l'œuvre but, le
concept média en tant que tel, plus précisément, le concept média en relation avec la
création poétique.
Il est évident que l'adaptation, ou principalement la transécriture, est en
corrélation directe avec une partie de la théorie narratologique, notamment les
relations transtextuelles, et les médias. Or, les relations intermédiales tendent vers
une libération, une extrapolation du genre, du médium et en même temps de
l'intertextualité utilisés jusqu'alors d'une manière très restrictive. Afin de cerner cela,
il est impératif de ne pas inscrire notre corpus dans une seule optique, textuelle,
modale ou médiatique. En revanche, il s'agit de les considérer simultanément, étant
donné que notre objet d'étude se situe dans une re/configuration continuelle. Eu
égard à une telle manipulation textuelle usitée pour un objectif de renouvellement,
une œuvre littéraire est susceptible de perdre sa légitimité, sa spécificité et stabilité,
elle conduirait même à sa disparition. De ce fait, c'est le sort de la littérature qui est
mis en question.

51
CHAPITRE DEUXIÈME :

L'ADAPTATION

COMME PRATIQUE PREMIÈRE


I - La pratique de l'adaptation en question :
Rappelons rapidement la définition de ce processus artistique qui sert en quelque
sorte d'intermédiaire ou d'instrument de l'intermédialité, André GAUDREAULT le
définit en ces termes « L'adaptation est, au sens strict, la réincarnation d'une œuvre
[…] dans un média différent de celui qui lui servait originellement de support.»93 Le
principe de l'adaptation littéraire établit donc le passage entre les différents médias et
propulse les textes de natures très différentes vers d'autres espaces qui les affectent et
les modifient. Ces changements sont alors à la fois d'ordre qualitatif, quantitatif, de
forme et/ ou de contenu. D'emblée, une sorte d'interrogation s'impose sur les raisons
de l'émergence de cette pratique : alors, pour quelles raisons adapte-t-on ? Pourquoi
représenter sur scène ce qui est déjà suggéré verbalement ? Et comment devient le
texte littéraire en dehors de son support ?

I.1 Les raisons de l'adaptation :


Les raisons pour lesquelles les adaptateurs ont eu recours à cette pratique en
particulier théâtrale varient selon les époques. Au XVIIIe siècle, le dramaturge
français René-Charles GUILBERT DE PIXERÉCOURT justifie sa pratique
essentiellement « pour ceux qui ne savent pas lire »94 en parlant du public des
théâtres du boulevard, un spectateur parisien analphabète qu'on ne pouvait atteindre
par le livre, permettant de la sorte sa réconciliation avec la littérature qui depuis la
Révolution française avait nécessairement besoin d'une libération cathartique. Mais à
travers ses compositions, le père du mélodrame n'a pas attiré exclusivement un
public populaire, en parallèle, il s'adressait également à un public plus fortuné, vu la
fréquentation de la bourgeoisie de son théâtre à cette époque.
Or, pour Johann Wolfgang Von GOETHE, cela est plus une volonté des lecteurs,
exprimant le désir de voir réellement une œuvre littéraire au théâtre ou plus
récemment une production cinématographique. De ce fait, ce poète allemand, dans sa
correspondance avec SCHILLER, ajoute :

C'est ainsi que les hommes veulent voir toute situation intéressante rendue par la
gravure. Pour qu'il ne reste plus rien à faire à leur imaginaire, ils veulent que tout soit

93
GAUDREAULT André, GROENSTEEN Thierry, La transécriture, pour une théorie de
l'adaptation, Éditions Nota Bene, Québec, 1998, p. 275.
94
ROCHEFORT Edmond, Mémoires d'un vaudevilliste, Éditions Charlieu et Huillery, Paris,
1863, p. 191.

53
matériellement vrai, parfaitement présent, en un mot, dramatique. Cela ne suffit pas
encore ; il faut que le dramatique se confonde avec le réel. 95

Toutefois, lorsqu'on pense aux excès de l'adaptation, notamment à partir de la


deuxième moitié du XXe siècle, il se trouve qu'ils sont liés d'une part à une crise de
l'écriture et au nombre croissant des metteurs en scène. Ces derniers, amenés à puiser
leur matière de la production littéraire, développent par la suite « de nouvelles formes
scéniques à travers une confrontation amoureuse avec la " chair romanesque", la
poésie des textes d'auteurs qui ne les ont pas écrits pour le théâtre ».96
Par ailleurs, ce besoin, cette expansion considérable de l'adaptation témoigne
d'une exigence culturelle découlant de l'impact de l'industrialisation et d'une rivalité
économique désignant la concurrence mercantile exacerbée entre les différentes
industries médiatiques, et « cette évolution est commandée par les relations avec un
contexte historique parfois, et surtout avec un public qui, en tant que consommateur
potentiel, figure à l'horizon de la production cinématographique comme la cible à
atteindre pour rentabiliser le film. » 97
Les réalisateurs s'inspirent de plus en plus d'œuvres littéraires afin de nourrir
principalement le 7ème art. Cette tendance qui se confirme par une étude menée par
Nathalie PIAKOWSKI, directrice générale chez Société Civile des Éditeurs de
Langue Française (SCELF), estime que le nombre a grimpé à 25% au cours de ces
dernières années. Quant à la question de ce phénomène en hausse, cette étude se
démarque des précédentes des points de vue méthodologique et théorique, et elle fait
notamment remarquer qu' « il y a de plus en plus de demandes car une adaptation
offre une certaine garantie de succès et le projet est donc facile à monter
financièrement.»98 Il s'agit indéniablement moins d'un choix que d'une nécessité, tant
artistique qu'économique.

95
GOETHE Johann Wolfgang Von, Correspondence Tome I, Éditions Gallimard, Paris,
1994, p. 388.
96
PLANA Muriel, Roman, théâtre, cinéma : Adaptation, hybridation et dialogue des arts,
Éditions Bréal, Paris, 2004, p. 188.
97
CLERC Jeanne-Marie & CARCAUD-MACAIRE Monique, L'adaptation
cinématographique et littéraire, Éditions Klincksieck, Paris, 2004, p. 12.
98
Nathalie PIAKOWSKI répond aux questions de CultureBox, un magazine numérique, qui
regroupe des contenus culturels du groupe France Télévision, sur la tendance du cinéma
français lors du festival de Cannes 2017.

54
I.2 Critique et réhabilitation de l'adaptation :
La production d'une œuvre littéraire et sa mutation vers une œuvre filmique,
scénique, graphique, voire musicale s'altère selon la critique contemptrice de
l'adaptation et procède donc à la déformation du récit d'origine. Cependant, dans un
tel contexte GOETHE au XVIIIe siècle déplore la mode des adaptations théâtrales et
établit ainsi l'opposition du roman contre toute représentation scénique, picturale «
matériellement vraie ». On peut considérer que le problème de la richesse du langage
découle justement « pour GOETHE, de son incapacité ontologique à saisir la réalité
même, à la crée ».99
Le poète allemand, loin d'élaborer une véritable critique esthétique des
adaptations, condamne donc cette pratique qui est incompatible idéologiquement
entre l'imagination, la vision strictement propre au lecteur et la projection de « la
réalité », « la matérialité » d'un texte romanesque quelconque. De plus, Claude
LÉVI-STRAUSS déclare, lors d'un entretien sur l'art, « Je ne supporte pas qu'un
metteur en scène ou des acteurs traitent l'œuvre d'autrui comme la matière première
de la leur. »100
C'est dans cette situation que l'on trouve les positions négatives des auteurs
adaptés, tels Milan KUNDERA et Julien GRACQ qui soutiennent l'incapacité de
cette mutation entre le romanesque et les autres formes artistiques, la plupart du
temps le scénique. De la sorte, ce procédé est accusé d'une part de trahison, de
violation, d'une annexion de textes, ou encore d'imitation car, selon Muriel PLANA «
La copie n'a pas de valeur même si l'objet copié est un chef-d'œuvre »101. Puis,
comme le souligne Julien GRACQ cela suffit à « tuer le chef-d'œuvre »102
Or, quelques écrivains ont échappé à ce processus en assistant, et en réalisant
eux-mêmes l'adaptation de leur propre livre, tel fut le cas de Marguerite DURAS
avec La Musica crée en 1967, et d'Oscar et la dame rose sorti en 2009 d'Éric-
Emmanuel SCHMITT, approchant la réalisation cinématographique parce qu'ils sont
insatisfaits des adaptations de leurs romans.

99
PLANA Muriel, op. cit., p. 202.
100
BÉNAC Henri, Guide des idées littéraires, Éditions Hachette, Paris, 1988, p. 505.
101
Ibid. p. 185.
102
Ibid. p. 184.

55
Dans le même registre théorique, dans l'école des Cahiers du cinéma103 André
BAZIN soulève principalement le même problème fidélité/trahison et selon lequel le
texte source demeure le texte de référence et condamne « toute intervention
excessive, toute manipulation, toute "tricherie", qui attenterait à l'intégrité du réel
représenté ».104 D'un tel souci de fidélité105, l'adaptation doit tout de même éviter les
« équivalents » filmiques des œuvres littéraires, tout en restant le plus près possible
de l'œuvre de départ. Car les modes choisis ne peuvent prendre en charge certaines
scènes ou idées du roman adapté.

En réalité, chaque texte, littéraire ou cinématographique, original ou adapté, constitue


en lui-même un système spécifique. Certains éléments seulement des textes originaux
se révèlent capables de subir des transpositions. Ces dernières impliquent toujours des
interactions complexes avec le nouveau médium iconique mais aussi avec
l'environnement culturel et social dans lequel le système de diffusion industrielle de
l'image va les projeter.106

Outre les arguments éthiques avancés contre le principe de l'adaptation entre


fidélité et trahison, de l'avis des adeptes de la suprématie de l'œuvre littéraire, cette
pratique est cependant condamnée artistiquement, dans la mesure où elle entraîne
une rivalité hégémonique entre les différents arts :

Ces postions […] se fondent sur une hiérarchie des arts : les arts de l'image (la
peinture et la scène du temps de Goethe, l'illustration des romans pour Pirandello,
[…]) seraient inférieurs à la littérature ou à la musique, arts de la suggestion plutôt que
de la mimésis, arts qui incitent leurs amateurs à la création de leurs propres images sur
leur scène intérieure.107

Critiquer l'adaptation comme beaucoup de théoriciens l'ont fait, dans le cas


spécifique de GOETHE par exemple correspond à une période déterminée de
l'histoire et paraît limitée pour les successeurs. Son enjeu réside dans l'alliance de
l'effort du spectateur, l'adaptateur Jean Pierre ESQUENAZI souligne à ce sujet :

Celui qui adapte est d'abord un lecteur : dans le processus qui conduira à une œuvre
nouvelle, le premier temps est, en effet, celui de l'accueil d'une œuvre initiatrice. Tout

103
Les cahiers du cinéma sont une revue de cinéma française créée en avril 1951 par André
BAZIN, Jacques DONIOL-VELCROZE, Joseph-Marie LO DUCA et Léonide KEIGEL.
104
AUMONT Jacques & MARIE Michel, Dictionnaire théorique et critique du cinéma,
Éditions Nathan, Paris, 2004, p. 19.
105
La référence à la fidélité est prise en compte par Alain GARCIA dans son ouvrage
L'adaptation du roman au film.
106
CLERC Jeanne-Marie & CARCAUD-MACAIRE Monique, op.cit., P. 12.
107
PLANA Muriel, op. cit., p. 186, 187.

56
travail d'adaptation commence par une activité de réception. Le point de départ de
l'adaptation est donc un dialogue, dialogue entre une œuvre première et un lecteur. 108

À des degrés divers, d'autres théoriciens considèrent le passage d'un mode à un


autre non pas comme une transgression de l'œuvre adaptée mais plutôt une forme de
d'expansion où l'œuvre est à la fois la même et autre et le problème de la fidélité n'est
guère évoqué. Bien au contraire, selon les tenants de cette pratique, « le texte est
d'abord un matériau pour le metteur en scène, une matière à travailler plutôt qu'une
œuvre à respecter dans sa totalité de forme et de sens »109

Un travail consistant à rendre une œuvre adéquate à un espace de présentation


différent de celui dans et pour lequel elle a été apparemment conçue. […] afin qu'un
jeu (harmonieux ou pas) soit créé entre l'œuvre et les contraintes également variables
de son nouveau lieu d'existence. […] qui n'implique pas seulement les transformations
qu'elle peut connaître elle-même, mais aussi celles qu'elle peut faire subir à son lieu
d'accueil.110

L'adaptation est de ce fait considérée « Comme une excellente occasion de mieux


saisir la spécificité et la richesse du cinématographe dans sa capacité à créer par
des modes d'expression qui lui sont propres, une gamme inépuisable de
significations et d'émotions »111 Finalement, ce qui importe le plus à ce niveau, ce
n'est pas seulement le fait d'avoir les adaptations les plus fidèles, mais plutôt de
mettre en œuvre des enjeux qui déploient les deux textes, le romanesque et le
scénique.

I.3 Typologie de l'adaptation :


Cette tentative de classification des adaptations varie et change selon les époques
et les théoriciens. Si l'on traite l'adaptation sous l'angle fidélité/trahison, nous
distinguerons chez Alain GARCIA, dans son ouvrage L'adaptation du roman au film,
trois types d'adaptations : l'adaptation qui « trahit le cinéma en étant trop près de la
littérature »112, dans la terminologie d'Étienne FUZELLIER la qualifie en

108
ESQUENAZI Jean Pierre, « De l'adaptation à l'ingestion », Cinémaction N° 76, 1996, p.
38.
109
PLANA Muriel, op. cit., p. 36.
110
Ibid. p. 32.
111
SABOURAUD Frédéric, L'adaptation : le cinéma a tant besoin d'histoire, Éditions
Cahier du Cinéma, Paris, 2006, p. 3.
112
GARCIA Alain, L'adaptation du roman au film, Éditions Dujarric, Paris, 2000, p.
202,203.

57
l'occurrence « d'adaptation passive »113, effectuant de la sorte le passage d'un
langage à un autre tout en respectant le plus fidèlement possible le récit d'origine.
C'est le cas par exemple de Madame Bovary de Claude CHABROL, de Germinal
de Claude BERRI. Eu égard au travail monumental effectué par ses derniers afin de
retranscrire le verbal vers l'audiovisuel, leurs adaptations ne semblent pas pour autant
fidèles, et ce pour des raisons de subjectivités. D'ailleurs, l'adaptation fidèle où le
cinéaste tente de respecter l'œuvre demeure donc une tâche impossible.
Contrairement à l'adaptation fidèle, l'adaptation libre « Où le rapport de
dépendance se renverse mais où, de ce fait, c'est le roman qui se trouve trahi »114, ce
type d'adaptation pratiqué par le metteur en scène Jean-Louis BARRAULT écarte le
spectacle de l'œuvre adaptée, comme il invente avec ses propres techniques les
actions scéniques ou cinématographiques distinctes de l'œuvre initiale. L'adaptateur
s'inspire d'une œuvre, et se procure cette liberté de lui offrir un nouveau souffle.
C'est ce que fait à titre d'exemple René CLÉMENT, souvent inspiré par la
littérature, transposant très librement Patricia HIGHSMITH avec Plein Soleil en
1960 d'après le roman Le talentueux Monsieur Ripley, en 1956, pensant aussi à
Gervaise inspiré de L'Assommoir d'Émile ZOLA.
Quant à la transposition qui « ne trahit ni l'un ni l'autre en se situant aux confins
de ces deux formes d'expressions artistiques »115 Une définition qui rejoint encore
une fois l'idée de FUZELLIER, dans Cinéma et littérature, un ouvrage dans lequel
l'adaptation est considérée comme transposition du moment que l'œuvre d'origine
sert de manne où l'on puise un élément essentiel qui se trouve modifié. André
BAZIN la définit aussi comme l'« être esthétique nouveau », produit ni d'une
traduction fidèle ni d'une inspiration libre, mais d'une « dialectique de la fidélité et de
la création » qui « se ramène en dernière analyse à une dialectique entre le cinéma
et la littérature »116
La transposition, évoquée également dans les travaux les plus récents menés par
Muriel PLANA, s'adonne « à une œuvre tirée d'une autre œuvre du même genre mais

113
SERCEAU Michel, L'adaptation cinématographique des textes littéraires : théories et
lectures, Éditions du CEFAL, Liège, 1999, p. 17.
114
GARCIA Alain, op.cit., p. 202,203.
115
Ibid., p. 202,203.
116
SERCEAU Michel, op.cit., p. 17.

58
où il y a modernisation ou modification d'un élément essentiel de l'œuvre ».117 Au
même titre que l'adaptation libre, la transposition selon Muriel PLANA convoque
parfois un personnage emblématique de l'œuvre source qui devient la figure centrale
du film ou encore d'un spectacle telle Esméralda dans la comédie musical « Notre-
Dame de Paris »118, souvent convoquée sur la scène contemporaine. Ou c'est encore
un argument, une thématique, ou un espace qui sont transposés de la littérature au
champ scénique.
Pour le cinéaste ou le metteur en scène adaptateur, la transposition ne consiste
pas uniquement en une modification ou modernisation du texte adapté, mais plutôt en
une revendication nécessaire d'une différence structurelle qui s'impose entre univers
verbal et univers audiovisuel par rapport au texte littéraire dont il est issu. Dans ce
cas précis, la transposition s'éloigne du texte d'origine, réinvente et suggère d'autres
éléments, en tenant compte d'une logique propre à la mimésis.
Pour ce qui est du montage-adaptation, cette dernière typologie, pour des raisons
pragmatiques, elle exclut les questions relatives à la trahison/fidélité, et surpasse les
contraintes du montage classique par les techniques de photographie numérique où
l'adaptateur :

Dégage du texte d'origine des fragments autonomes qu'il combine parfois avec des
extraits d'autres œuvres, romanesques ou théâtrales, essais, poèmes, documents […]
Le montage choisit la discontinuité, l'agencement et la suture apparentes. On conçoit
alors le spectacle comme […] de "morceaux" de textes entre eux.119

Cependant, quel sens une œuvre avec des traits non organiques peut-elle avoir ?
Le montage-adaptation se mue visiblement vers le brassage de textes et de
techniques différents qui se fait avec plus de subtilité. Contrairement au
conservatisme littéraire de la majorité des fictions de genre, le montage-adaptation
offre en effet des opportunités pour ouvrir des débats et stimule la discussion, et ce
qui en résulte : l'émergence d'idées et de valeurs culturelles nouvelles voire
universelles. En 1993, le metteur en scène et dramaturge Eugenio BARBA mêle,
dans l'un de ses spectacles, des fragments de textes de Franz KAFKA à ceux d'autres
auteurs.

117
PLANA Muriel, op.cit., p. 33, 34.
118
Notre dame de Paris est une comédie musicale inspirée du roman éponyme de Victor
HUGO. Elle a fait l'objet de nombreuses représentations : anglaise, américaine, canadienne,
italienne, espagnole et russe.
119
PLANA Muriel, op.cit., p. 36.

59
Eu égard à ce que cette dernière pratique offre comme assortiment de films, de
pièces de théâtre, de comédies musicales, elle se rapproche de ce fait d'une
dimension dite de cross-genre120 avec des textes qui se classent toujours entre deux
ou plusieurs genres. De telles créations hybrides ne sont pas nouvelles, l'exemple le
plus célèbre est Le Mariage du Ciel et de l'Enfer de l'artiste peintre, graveur et poète
britannique William BLAKE121, avec son mélange de poésie, de prose et de gravure.
Dans la littérature contemporaine la trilogie de Dimitris LYACOS Poena Damni,
dans laquelle ce romancier et dramaturge grec combine la prose fictive avec le
théâtre et la poésie dans un récit multicouche se développant à travers les différents
personnages.

II - Le parcours du texte littéraire par les médias


Comme tout autre champ disciplinaire, la littérature en générale connaît des
bouleversements, des ruptures et des évolutions à divers niveaux impliquant des
mutations au fil des décennies jusqu'à aujourd'hui. Et ce, à partir du moment où
l'évolution technologique a contribué au détrônement du livre pour faire d'Internet le
média phare du début de ce XXIe siècle. Nous tenterons de dresser une rapide
chronologie des rapportes entre littérature et médias classique et numérique, qu’elle
soit mondiale, francophone ou encore locale.
Cependant, avant d'établir un état des lieux des relations intermédiales au sein de
la littérature francophone, puis maghrébine, nous voudrions au préalable retracer les
lignes de forces les plus pertinentes dans le traitement de la création poétique par les
médias, voire toute sphère artistique et culturelle.

II.1 Culture de masse vs littérature :


L'apparition d'une pratique artistique, voire son expansion à travers les médias,
suscite manifestement aux yeux des intellectuels et puristes littéraires de nombreuses
réticences et préventions, principalement face aux diverses réécritures ou
manipulations textuelles d'une œuvre littéraire. Nombreux sont les historiens et les

120
Le genre croisé calqué de l'anglais cross-genre, appelé notamment genre hybride. C'est
un genre de fiction qui combine des thèmes et des éléments de deux ou plusieurs genres
différents.
121
The Marriage of Heaven and Hell est recueil de poésie en prose écrit entre 1790 et 1793
par le poète britannique

60
critiques d'art et les critiques littéraires de la première moitié du XXe siècle qui se
sont justement appliqués contre cette nouvelle expansion monumentale. Au premier
rang, le philosophe allemand, Walter Bendix Schönflies BENJAMIN dans son essai
critique L'œuvre d'art à l'ère de la reproductibilité technique, sur la situation
artistique qui se voit transformer par la technique, explique qu'à la transposition ou à
la reproduction d'une œuvre d'art, même en reflétant le plus fidèlement possible sa
genèse, il existe toujours un élément qui fait défaut :

Son hic et nunc, son existence unique au lieu où elle se trouve. Sur cette existence
unique, exclusivement, s'exerçait son histoire. Nous entendons par là autant les
altérations qu'elle put subir dans sa structure physique, que les conditions toujours
changeantes de propriété par lesquelles elle a pu passer. La trace des premières ne
saurait être relevée que par des analyses chimiques qu'il est impossible d'opérer sur la
reproduction ; les secondes sont l'objet d'une traduction dont la reconstitution doit
prendre son point de départ au lieu même où se trouve l'original.122

De même, le promoteur de la notion interdisciplinaire de « l'industrie culturelle »


à laquelle appartient le cinéma, Theodor Ludwig Wiesengrund ADORNO rejoint
dans une certaine mesure une partie des critiques de BENJAMIN. Il voyait dans ces
re/productions comme « la musique de masse et la nouvelle écoute contribuent avec
le sport et le cinéma à rendre impossible tout arrachement à l'infantilisation
générale des mentalités. »123 Ce philosophe et sociologue de la culture désigne les
médias, particulièrement musical et filmique, comme étant une idéologie pernicieuse.
Edgar MORIN rappelait notamment au sujet de cette culture pléthorique qu'il
s'agit d'une extension croissante « des sous-produits culturels de l'industrie moderne,
des sous-produits industriels de la culture moderne. »124 Et ce à travers la presse, la
photographie, la radiodiffusion, le cinéma, la bande dessinée, ou encore la chanson. «
Les intellectuels rejettent la culture de masse dans les enfers intra-culturels. […]
L'intelligentsia littéraire est dépossédée par l'avènement d'un monde culturel où la
création est désacralisée, disloquée. »125 On peut néanmoins penser que le
sociologue déplore cette invasion, et valorise explicitement la littérature. Mais un
écrivain d'aujourd'hui « pratique volontiers l'art de la variation, au risque d'être

122
BENJAMIN Walter, L'œuvre d'art à l'ère de la reproductibilité technique, traduit de
l'allemand par Maurice de Gandillac, Édition Allia, Paris, 2011, p. 41.
123
ADORNO W. Theodor, Le caractère fétiche de la musique, traduit de l'allemand par
Christophe David, Édition Allia, Paris, 2001, p. 52.
124
MORIN Edgar, L'esprit du temps, Édition Grasset, Paris, 1962, p 14.
125
Ibid.

61
victime, mais heureusement victime, non de ce que Mallarmé appelait le "démon de
l'analogie", mais du "démon de l'altération".»126
Il est vrai qu'en dépit des maintes réticences, cette culture de masse, dans les
premières années du XXe siècle, a toujours suscité, sous une forme ou une autre,
méfiance et hostilité dans les milieux institutionnalisés ou non. Quelques années plus
tard, à la recherche de nouvelles structures, formes destinées à inciter la création, et
essentiellement afin de se détacher de tout carcan canonique, les avant-gardes
littéraires présentent une nouvelle perspective, et accueillent vivement les mutations
techniques permettant d'une part d'exploiter toutes les potentialités intrinsèques au
texte littéraire, d'autre part, briser les frontières entre l'œuvre d'art et l'objet dans
lequel elle se situe. Une pratique très courante dans les créations surréalistes et les
pratiques oulipiennes qui ont constitué réellement partie prenante du langage
poétique en manifestant un attachement profond à ce dernier aspect ; de transformer
la littérature et les arts.
Cependant, afin de refonder la littérature et la création artistique et numérique,
l'œuvre ne doit pas se restreindre au niveau de son support, ainsi que son cadre
architextuel. Dès qu'une œuvre littéraire ou autre transcende son objet, son mode
d'existence, elle est de ce fait susceptible de toutes sortes de formes. Selon la
philosophie husserlienne, « l'objet matériel » ou « objet idéal »127 ne suffisent pas à
rendre compte du statut ontologique des œuvres, « car les œuvres, de bien des
façons, transcendent l'objet, matériel ou idéal, en lequel elles semblent consister :
[…] si bien que l'œuvre trouve son vrai lieu […] quelque part entre, ou au-delà de
ses multiples versions, […] »128. Ce geste de décloisonnement, qui se trouve
indubitablement dans tous les arts, renvoie notamment aux « Cultural studies » (les
études culturelles), d'ailleurs largement admis dans le monde anglo-saxon, ouvrant en
effet une multiplicité d'espaces culturels. Autrement dit, cette approche d'histoire

126
WOLTON Dominique (dir.), Mondes francophones, Éditions adpf, Paris, 2006, p. 460.
127
Les termes d'objet matériel et idéal constituent un rapprochement avec la théorie de
Goodman, selon lequel l'existence d'une œuvre d'art est en rapport avec ce qu'il nomme «
l'autographique, qui est pour [Gérard GENETTE] celui des œuvres "consistant" en des
objets matériels, comme celles de la peinture, de la sculpture ou de l'architecture artisanale,
et l'allographique, qui est celui des œuvres consistant en des objets idéaux, comme celles de
la littérature, de la musique, ou de l'architecture sur plans.» GENETTE Gérard, Des genres
et des œuvres, Éditions Seuil, Paris, 2012, p. 40-41.
128
GENETTE Gérard, Des genres et des œuvres, Éditions Seuil, Paris, 2012, p. 41.

62
épistémologique est née d'un refus des hiérarchies culturelles, longtemps soumises
aux contraintes institutionnelles.

II.2 Des exemples d'adaptations littéraires aux supports médiatiques


À la transécriture d'une œuvre littéraire, l'adaptateur, selon la typologie choisie,
met en avant manifestement un aspect du texte source, soit uniquement le thème, soit
un seul aspect de la personnalité du personnage, soit purement la matière textuelle.
Ce qui entraîne inévitablement une déclinaison au sein de l'œuvre. Pour reprendre les
propos de GENETTE, certaines œuvres, en s'articulant sur l'esthétique de la
réception, « ou plutôt sans doute faut-il dire toutes les œuvres, sans même subir la
moindre modification dans l'objet qui les manifeste, changent constamment de
signification, et donc de fonction esthétique, à mesure que l'histoire modifie leur
public […]. »129 Travaillant sur les relations esthétiques entre art et littérature, il
poursuit ainsi sa définition « Le même texte ne produit pas le même effet sur ses
lecteurs contemporains et sur leurs lointains descendants à trois siècles de distance,
ce fait valant lui aussi, bien sûr, pour tous les arts. »130
En outre, la diversité de la littérature contemporaine, ainsi que l'aisance de son
brassage avec les arts et les médias viennent d'une part de sa libération de tout
enferment générique ou matériel, d'autre part de cette capacité à puiser, à revisiter et
à se ressourcer de ces textes fondateurs de l'Occident et de l'Orient. En d'autres
termes, avant même qu'une quelconque œuvre soit une source d'inspiration, il
convient de restituer ce statut d'instigateur à la mythologie, qu'elle soit grecque,
romaine, nordique, celtique, germanique, égyptienne, etc. Le mythe est utilisé
comme thème artistique et littéraire, parce qu'il apporte des éléments, tels que le
merveilleux, l'errance et l'évasion, à l'œuvre but. En ce sens, le mythe a longtemps
constitué pour la littérature, comme pour les autres arts, une source d'inspiration, en
matière de personnages et de récits, étant considérablement exploités par les
écrivains, metteurs en scène, peintres et musiciens entre autre. Le mythe constituerait
même selon Claude LÉVI-STRAUSS, figure incontournable en analyse des mythes,
une partie fondamentale de la création artistique dans la mesure où :

L’art s’insère à mi-chemin entre la connaissance scientifique et la pensée mythique ou


magique ; car tout le monde sait que l’artiste tient tout à la fois du savant et du

129
GENETTE Gérard, op.cit., p. 42.
130
Ibid.

63
bricoleur : avec des moyens artisanaux il confectionne un objet matériel qui est en
même temps objet de connaissance.131

Il doit en effet faire la part du sens originel et de l’aspect éternel, puisque les
nouvelles créations lui offrent nécessairement un nouveau sens, une nouvelle
interprétation selon les époques. Par exemple, le héros de l'Odyssée et l'un des
personnages de l'Iliade n'a cessé d'inspirer au cours des siècles poètes, romanciers et
dramaturges. Le poète et romancier irlandais James JOYCE, dans Ulysse, son œuvre
romanesque publiée en 1922, met en avant les pérégrinations des personnages
Leopold Bloom (Ulysse) et Stephan Debalus (Télémaque) à travers la ville de
Dublin. Cette savante parodie de l'Odyssée mène les personnages, en une seule
journée, sur plusieurs univers dans une seule ville : « avec sa mer, son soleil sur la
mer, ses écoles, ses maisons (Calypsos), ses églises (les Lotophages), ses cimetières
(Hadès), ses journaux (Éole), ses bibliothèques (Charybde et Scylla), ses bars (les
sirènes), ses tavernes (les Cyclopes), ses plages (Nausicaa), ses hôpitaux (le
troupeau d'Hélios, […]. »132 La transcription du mythe d'Ulysse, incluant autant de
symboles, d'allusions à la pensée occidentale, de techniques, désigne par la reprise
même de ce titre comme un voyage initiatique, et qui exigerait au lecteur, afin d'être
convenablement décrypté, autant d'art et de savoir qu'on a déployé JOYCE.
Contrairement à Ulysse que l'on présente habituellement dans la mythologie, le
romancier Jean GIONO présente, dans son roman Naissance de l'Odyssée paru en
1930, une version particulière qui prête à Ulysse les traits de lâcheté et de la
fourberie ; « Cette parodie de l'épopée homérique raconte le retour à Ithaque d'un
Ulysse peureux, coureur, et surtout menteur : les aventures héroïques du personnage
naissent de ses affabulations. »133 Inspiré par la mythologie grecque, le dramaturge
Jean GIRAUDOUX, dans sa pièce de théâtre La guerre de Troie n'aura pas lieu, fait
aussi un rapprochement entre l'inévitable Seconde Guerre mondiale et la position
antinomique dans le texte mythique de la guerre de Troie - entre ceux qui veulent la
guerre et ceux qui veulent la paix – en dépit de la bonne volonté d'Ulysse, la guerre
aura lieu. Éric-Emmanuel SCHMITT en donne, dans son roman Ulysse from Bagdad
publié en 2008, encore une fois une version moderne et parodique. Le personnage

131
LEVI-STRAUSS Claude, La Pensée Sauvage, Paris, Ed. Seuil, 1962, P. 33.
132
« Ulysse » in Le Petit Robert des noms propres. Éditions 2003.
133
« Naissance de l'Odyssée » in Le Petit Robert des noms propres. Éditions 2003.

64
légendaire s'incarnant dans celui de Saad Saad, un clandestin irakien fuyant la guerre
et l'oppression, tenterait par tous les moyens de gagner Londres, en mettant de la
sorte, inversement à l'Odyssée, un voyage de départ et non celui d'un retour au pays
natal.
De plus de ces dernières s'ajoute les transmutations les plus inattendues : les
manifestations textuelles à travers le multimédia. Prenons comme modèle une
seconde fois, de toute une panoplie d'exemple, Ulysses : le film britannico-américain
sorti en 1967, de Joseph STRICK et de Fred HAINES d'après le roman de JOYCE,
lui-même inspiré du récit homérique. De ces transpositions, essentiellement vocales,
nous repérons de même la composition de l'œuvre dramatique Le Retour d'Ulysse
dans sa patrie du librettiste italien Claudio MONTEVERDI, Ulysse en chanson
sortie en 2007 interprétée par Ridan constitue également une reprise du célèbre
poème Heureux qui comme Ulysse de Joachim du Bellay, voire le développement,
par le studio français In Utero, du jeu vidéo d'aventure Odyssée : Sur les traces
d'Ulysse, sorti en 2000. De ce point de vue, nous constatons que ces divers passages
représentent à la fois une sorte de mise en abyme, de déconstruction, de
fragmentation et de multiplication. La réécriture de ce mythe et la réinterprétation du
personnage, d'Homère aux auteurs modernes, voire les plus contemporains, ont
impliqué manifestement sa modernisation.
Toutes ces reproductions, aussi bien littéraires comme le roman, la poésie ou le
théâtre, qu'artistiques, entretiennent un rapport direct avec les mythes qui façonnent
les significations dont ils sont porteurs. Considéré toujours comme une source
d'inspiration, on interprète à la lumière de la pensée moderne, le mythe que raconte
une œuvre du passé. C'est ce qui donne toute sa portée à l'histoire d'Ulysse - comme
celle de Sisyphe, d'Icare, d'Orphée, de Prométhée ou de Phèdre - un même mythe
qui varie et se renouvelle selon les époques et les points de vue. Le mythe qui est
universel, son rapport à la littérature apparaît alors sous une forme spécifique, et la
particularité de ce rapport se définit par rapport à la spécificité de l’écriture de
l'auteur, ainsi que l'aire géographique.
Le nombre des créations contemporaines inscrites dans la sphère transmédia
évoluent et la reprise du mythe d'Ulysse ne représente en soi qu'une pièce de puzzles
parmi tant d'autres. La concentration sur les rapports de contingence entre l'univers
de l'écriture littéraire et sa transécriture dans une perspective multimédia sont très
nombreux. Or, en dépit des fondements théoriques et réflexifs permettant de

65
construire la notion de transmédia de la création médiatique, les travaux portant sur
la possibilité d'une résonance des arts de la scène tels, la dance, les arts de la
marionnette, l'opéra, voire le peinture ou la sculpture dans les textes littéraires
maghrébins sont encore rares, semblant d'ailleurs attirer plus d'accusations et
d'indétermination.

II.3 L’actualité de la littérature algérienne contemporaine :


Depuis le début du XXIe siècle, la littérature maghrébine, principalement
algérienne, s'est étendue à de nouvelles dimensions, à une nouvelle manière
d'envisager les rapports avec la création, qu'elle soit romanesque, théâtrale, poétique
ou bédéesque. Pour reprendre le titre de son essai Le nouveau souffle du roman
algérien134, le romancier et l'essayiste Rachid MOKHTARI s'interroge d'emblée sur
une éventuelle rupture des nouveaux romanciers avec cette littérature de l'urgence
qui s'est déployée à partir de la fin des années 1980, en dévoilant l'impasse politique
et la décadence économique, à savoir la situation d'instabilité, de terrorisme, dans
laquelle se noyait le pays. Ainsi marque-t-il une dislocation avec les fondateurs
même du roman maghrébin moderne, mettant en lumière des thèmes
remarquablement ancrés dans un contexte historique et idéologique la société
maghrébine.
Au second plan, il exprime ses préoccupations à l'égard des nouvelles formes
esthétiques qui apparaissent chez la nouvelle génération d'écrivains des années 2000,
ayant chacun une singularité esthétique, à savoir une transformation et une diversité
qui s'opèrent au sein de leurs textes. Afin de marquer ces procédés scripturaux
novateurs, ces nouveaux romanciers, venant d'horizons plus au moins distincts, ayant
tous un engagement commun en faveur d'une approche basée sur un personnage qui
n'est pas soumis aux étalons classiques, et ne se préoccupant nullement de la
thématique, ni d'un cadre spatio-temporel bien précis.
De ce regard neuf, épris de perspective, Rachid MOKHTARI estime nécessaire
cet élargissement du point de vue où actuellement « on ne parle plus de roman mais
de roman et de récit et de nouvelles à la fois. […] Il s'agit à présent d'une écriture où
les trois genres s'imbriquent et donnent naissance à un autre genre d'écriture. » La
création poétique dans ce champs de bataille renvoie donc à ce que Charles BONN

134
MOKHTARI Rachid, Le nouveau souffle du roman algérien, Éditions Chihab, Alger,
2006.

66
définit comme une « dissémination post-moderne […], tant spatiale que sémantique
encore, car le sens n'est plus donné par l'affirmation d'un espace, géographique ou
littéraire»135 Alors qu'elle était une écriture d'affirmation, ou d'antinomie binaire
entre le Moi et l'Autre, elle suit actuellement à tâtons le protocole universel et « aura
pour résultat que les écrivains seront de moins en moins rattachés à un groupe
"littérature maghrébine".»136
Lorsque cette affirmation spatiale du Maghreb ne constitue plus un élément
d'écriture et ne s'impose pas nécessairement comme une référence obligatoire, elle
franchit un pas supplémentaire vers une ambition universaliste, dans laquelle nous
pouvons reconnaître des caractéristiques interculturelles, métisses, voire
intermédiales, parce qu'elle échappe d'une part à cette tension binaire et à cette
restriction spatiale pour être partout. En remontant parfois assez loin dans le passé,
nous ne pouvons décemment passer à côté de la trilogie nordique de Mohammed
DIB, naissant de son séjour en Finlande : Les Terrasses D'Orsol (1985), Le Sommeil
d'Ève (1989), Neiges de marbre (1990). De façon comparable, quoique de génération
différentes, les œuvres de Mehdi CHAREF, Azouz BEGAG et Farida BELGHOUL
désignées respectivement Le Thé au harem d'Archi Ahmed (1983), Le Gône de la
Chaâba (1986) et Georgette ! (1986) : tous affichent une hybridité spatiale, dite en «
ubiquité » selon la terminologie de BONN, afin de déconcerter les repères
identitaires figés. C'est encore le cas des textes de Leila SEBBAR et Nina
BOURAOUI, certes ayant « une dimension autobiographique aux localisations
multiples, mais où, […], la revendication identitaire collective par l'affirmation du
lieu n'a à proprement parler plus de sens. »137 On remarquera aussi l'entrée de la
trilogie de Yasmina KHADRA, Les Hirondelles de Kaboul (2002), L'attentat (2005),
Les sirènes de Bagdad (2006), consacrée au dialogue autiste qui oppose l'Orient et
l'Occident.
Une l'hybridité qui développe en l'occurrence cet espace « in-between »138
(l'entre-deux) ; une démarche artistique qui « est structurellement proche de l'idée du

135
WOLTON Dominique (dir.), Mondes francophones, Paris, Éditions adpf, 2006, p. 557.
136
Ibid.
137
Ibid., p. 558-559.
138
Notion développée par le professeur américain de littérature anglaise dans ses travaux,
principalement dans son article, sur les identités culturelles et nationales. BHABHA Homi

67
Troisième espace de Homi BHABHA. […] Quand deux entités se rencontrent, ils
entrent dans un "third space" et créent un produit hybride qui n'est ni l'un ni l'autre.
»139 Cette dernière précision nous conduira par ailleurs à « une subversion des genres
», pour reprendre la terminologie de Pierre BRUNEL. Parce que la fabrique littéraire
contemporaine, maghrébine également, hors du champ identitaire et spatial, ne se
conforme plus désormais à la grille traditionnelle des genres, ainsi l'ouvrage même
de Jensen MERETE STISTRUP et Marie-Odile THIROUIN, Frontières des genres :
migrations, transferts, transgressions, préfacé par Antoine COMPAGNON, explore
comment la création littéraire a renversé l'assignation générique tout en continuant à
produire sans penser aux lisières du genre :

Il est pourtant difficile, voire impossible, de rendre compte des œuvres


contemporaines à partir de la grille des genres. Ces questions traditionnelles ne
semblent plus pertinentes : telle œuvre est-elle épique ou lyrique ? Est-ce une tragédie
ou une comédie […] ? Est-ce un roman ou un essai […] ? Toutes les œuvres modernes
sont impures.140

Quelques noms émergent cependant dans ce rapport de l'écriture subversive. Au


premier rang, KATEB Yacine, l'un des fondateurs de la littérature algérienne
moderne, avec son roman Le Polygone étoilé (1966) est « un texte mosaïque où les
genres comme les récits s'entremêlent, dessinant une parole en perpétuelle
mouvance. »141 Il convient également de citer DIB, parmi ses écrits un roman en
vers, ou road-movie en vers (une écriture-itinéraire), L.A. Trip (2003) est une œuvre
dans laquelle le déplacement fait sens. On trouve par exemple les textes de Habib
AYYOUB, Le Gardien (2001) et Le désert et après (2007), qui peuvent être
considérée comme de la poésie narrative, en dépit de la mention « récit » sur leur
couverture. Cet entre-deux est une envergure essentielle de l'écriture moderne.
Il convient de préciser que les écrivains tels Habib AYYOUB, Yasmina
KHADRA, Mahdi CHAREF, Rachid BOUDJEDRA, Assia DJEBAR, Amine

Jehangir, « Culture's In-between », in Questions of Cultural Identity, Editions Stuart Hall,


London, 1998, 53-60.
139
GEHRMANN Susanne, YIGBE Dotsé (dir.), Créativité intermédiatique au Togo et dans
la diaspora Togolaise, Éditions Lit, Coll. Littérature et culture francophone hors d'Europe,
Berlin, 2015, p. 130-131.
140
COMPAGNON Antoine, « Avant-propos », in MERETE STISTRUP Jensen &
THIROUIN Marie-Odile (dir.), Frontières des genres : migrations, transferts,
transgressions, Presses Universitaires de Lyon, 2005, p.33.
141
WOLTON Dominique (dir.), op.cit., p. 567.

68
ZAOUI et Wassini LAREDJ, dans un tout autre registre, SLIM142, le plus célèbre
illustrateur et auteur de bande dessinée en Algérie, excellent aussi dans l'écriture
scénaristique et seront d'ailleurs par la suite davantage cinéastes qu'écrivains, et leurs
écrits attirent notamment plusieurs re/productions cinématographiques, théâtrales et
bédéesques. À cet effet, comment positionner la création poétique algérienne,
particulièrement contemporaine, dans la sphère intermédiale ?
Dans le cadre des activités de la deuxième édition du Festival International du
théâtre d'Alger, Le Théâtre régional de Sidi Bel Abbes reprend les textes phares de
KATEB Yacine, à savoir Le Cadavre encerclé (1959), Nedjma (1956) et Les
Ancêtres redoublent de férocité (1959) et en fait une composition scénique de la
manière la plus harmonieuse, intitulée Fragments ( ). Le maniement de ces
différents récits est un montage-adaptation (cf. typologie adaptation) de Youssef
Mila et une mise en scène de Hassan ASSOUS. Quant à la scénographie, d'ailleurs
très efficace, est conçue par Abd Errahmane ZAABOUBI. Elle convoque les
personnages féminins de chacun de ces textes cités ci-dessus, l'injustice, la mère qui
a perdu ses enfants et la bien aimé Nedjma, et le corps du poète martyre rejetant
l'injustice. En arrière-plan, un autre personnage incarne l'ancêtre qui personnifie
l'Histoire et le temps qui témoignent de cette injustice.
La transécriture d'œuvres littéraires dans le cinéma algérien, voire leur insertion
dans la sphère intermédiale, demeure très restreinte. Eu égard à l'ouverture des
travaux du colloque « Cinéma et roman », organisé au théâtre régional d'Oran, dans
le cadre de la huitième édition du festival international d'Oran du film arabe
(FIOFA), le ministre de Culture, Azzedine MIHOUBI, avait invité cinéastes et
scénaristes à s'orienter davantage vers l'expansion du champ romanesque pour le
transposer à l'écran. Hormis les quelques textes adaptés à l'écran, comme au théâtre,
et ce, soit à l'étranger, soit par des adaptateur/réalisateur étrangers, le professeur
Rachid KOUADR, intervenant dans ce colloque, a avancé, tout en déplorant les
retards dans la mise en œuvre d'une industrie cinématographique, « même si les
relations entre roman et cinéma sont très étroites, l'adaptation d'œuvres littéraires
dans le cinéma algérien reste toutefois très limitée en comparaison avec le nombre

142
SLIM de son vrai nom Menouar MERABÈTE, dont l'œuvre déjà imposante, met en
scène à travers ses scénarios les deux personnages récurrents : Bouzid et Zina.

69
extraordinaire de romans algériens édités depuis l'indépendance du pays. […] »143
Cette disproportion est « en relation avec la langue et des considérations
idéologiques, culturelles, économiques, voire politiques.»144
La transécriture et la transposition du texte littéraire algérien à l'écran devient
donc un objet de réflexion critique, au-delà des « des tabous, selon le critique
cinématographique Mohammed CHERKI, n'ont pu être brisés encore dans notre
pays, surtout en ce qui concerne des œuvres littéraires trop osées ou trop libres. »
Après avoir abordé le processus de transformation de textes en d'autres formes
d'expression artistiques : films, pièces théâtrales et bande dessinée, dans ce chapitre,
il est question de décrire l'environnement dans lequel se développent le champ
d'investigation poétique et la culture de masse : films, pièces de théâtres, ballets,
musique, opéra, peinture, sculpture, défiant la pureté du texte pour la vieille garde
culturelle de la première moitié du XXe siècle. La multiplication des échanges entre
le texte littéraire et les différents médias, arts et cultures ne fait qu'installer une
réconciliation.
Puis, avoir cité quelques exemples historiques et contemporains de transposition,
cela nous conduit à reconnaître que l'écrivain contemporain, qu'il soit Maghrébin ou
autre, est très susceptible de bifurquer sur des perspectives multiples ; écriture
(romanesque, théâtrale, scénaristique, poétique), peinture, arts de la scène, voire
numérique. Après avoir atteint cette nouvelle sphère culturelle, qui semble être
encore en voie de développement en Algérie, assistons-nous alors à la fin du récit
littéraire comme l'ont déjà signalé les détracteurs de la culture de masse et des
médias ? Ou est-ce plutôt considéré comme une heureuse diversité au sein de la
littérature ?

III - Le statut de la littérature à l'ère du numérique :


La littérature, tel qu'il lui a été institutionnellement assigné, réside dans le texte
et le livre. Or, à l'ère du numérique, le développement et la convergence du support
Internet, plus largement, le Word Wide Web a entraîné des oscillations entre le texte

143
Voir Colloque International "Roman et Cinéma" « adaptation d'œuvres littéraires dans le
cinéma algérien reste très limitée », organisé en 2015 à Oran.
144
Voir Colloque International "Roman et Cinéma" « adaptation d'œuvres littéraires dans le
cinéma algérien reste très limitée », organisé en 2015 à Oran.

70
littéraire et les différents arts et médias, qui ont considérablement contribué à sa
marginalisation. Dès lors, la création littéraire se trouve confronté à une rupture.
Cependant, hors du texte, la littérature est-elle en crise ou réellement en expansion ?
Comment l'idée du médium adopté affecte-t-elle la littérature ?

III.1 « La fin de la littérature »145


Difficile, à propos des fins de la littérature et leur relation avec l'intermédialité
évoquées dans ce travail, de ne pas citer l'essai de Dominique MAINGUENEAU,
Contre Saint Proust : Ou La fin de la Littérature. Il reconnaît que ce qui le préoccupe
ce n'est pas le rôle de la littérature et l'appréhension de l'œuvre littéraire par rapport à
son public, à son caractère intrinsèque, telle qu'elle est abordée par les théories
esthétiques, mais les transformations « médiologique » qui agissent sur le fait
littéraire. L'un des traits remarquables à signaler dans ces manifestations renvoie au
rendement des droits dérivés nettement plus élevés que les droits de librairies, en
littérature comme dans les autres arts. L'impact des médias, dit du quatrième pouvoir,
tend incontestablement à promouvoir les best-sellers, qui sont promptement répandus
au milieu intermédial. Les reproductions des œuvres les plus emblématiques de cet
univers telles que Star Wars, Harry Potter, Le Seigneur des anneaux, The Matrix,
etc. illustrent parfaitement ces cas de figure. La littérature, coupée du monde, est en
voie de désœuvrement, en dépit des quelques présupposés d'ordre littéraire, cela tient
surtout à un renversement des valeurs au sein de l'espace des productions culturelles.

La revendication d'autonomie de la littérature est consubstantielle à l'esthétique


romantique […], on peut d'ailleurs observer que la littérature n'a jamais eu autant de
pouvoir lorsqu'elle se vouait à cultiver sa propre forme. […] Le reflux de la loyauté de
la littérature s'inscrit dans une évolution d'ensemble de la société, et ce n'est pas un
retour aux « valeurs » et le rejet du formalisme qui vont changer quoi que ce soit à une
telle évolution. 146

En 2006, dans sa leçon inaugurale au collège de France, intitulé La littérature


pour quoi faire ?, publié par la suite aux éditions Fayard, Antoine COMPAGNON
pose un constat similaire sur l'état actuel du champ littéraire. Selon lequel « il est

145
Nous pastichons volontairement le titre de l'essai de Dominique MAINGUENEAU, La
fin de la littérature, Éditions BELIN, Paris, 2006.
146
Lors d'un entretien autour de la sortie de son ouvrage, Contre Saint Proust : Ou La fin de
la Littérature, Dominique MAINGUENEAU, interrogé sur une fin possible de l'institution
littéraire actuelle, répond au professeur Raphael BARONI, spécialisé en narratologie et
l'application de cette dernière à différents médias.

71
plus commode d'anéantir la littérature que de reconstruire sur elle.»147 Du moment
où elle se trouve en concurrence avec d'autres représentations, aux vertus édifiantes
comparables aux différents médias, naguère jugés moins efficaces, à savoir le cinéma
et la bande dessinée désignée comme étant de la paralittérature. Toutefois, « La
littérature n'est plus le mode d'acquisition privilégié d'une conscience historique,
esthétique et morale, et la pensée du monde et de l'homme par la littérature n'est pas
la plus courante.»148. Autrement dit, à l'instar de MAINGUENEAU, il se demande
quel pouvoir peut-elle encore avoir, puisqu'elle se trouve présentement au milieu
d'une constellation créatrice, qui risque de l'étouffer à cause de l'isolement du texte et
son retrait du monde. Comme l'a d'ailleurs bien montré auparavant dans son essai
Théories du symbole publié en 1977.
L'essai de Tzvetan TODOROV La littérature en péril, paru une année après les
ouvrages de ces deux derniers, porte sur les mêmes questions. Mais, le constat que
fait TODOROV défend la littérature contre le formalisme russe, et demeure
vivement préoccupé par l'enseignement des études littéraires. Le livre-manifeste de
l'historien et essayiste bulgare propose une conception différente de l'image de la
littérature, mêlant toutefois la problématique spécifique de la littérature
contemporaine, à vrai dire aujourd'hui parfaitement étriquée et les périls qui la
guettent. Ces écueils ne résident pas dans la production même, mais se situent dans «
la critique évaluatrice des œuvres, généralement intégrée dans une mission de
transmission scolaire de l'héritage (ou de quelque contre-héritage) littéraire […].
»149 Parce que l'enseignement de la littérature au siècle précédent, tellement enclin à
se plier aux exigences de l'analyse formelle, était concentré principalement sur les
disciplines suivantes : narratologie issue du structuralisme classique, thématique,
stylistique, sémiotique, rhétorique, critique génétique, étude métrique, faits de
textualité, étude des genres, etc. Alors que, de toutes les expressions artistiques :

La littérature était […] investie d'une sorte de puissance sacrée, en tant que lieu central
où se fondait la réflexion de l'homme sur lui-même et sur son rapport au monde.
Marqué à la fois par la fin de la dernière avant-garde littéraire du XXe siècle, fédérée

147
COMPAGNON Antoine, La littérature pour quoi faire ?, Éditions Fayard, Paris, 2013, p.
16.
148
COMPAGNON Antoine, op.cit., p. 16.
149
DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean-Marie, Nouveau dictionnaire encyclopédique
des sciences du langage, Éditions Seuil, Paris, 1995, p. 93.

72
autour de la revue Tel quel, et par l'avènement des lois du marché dans le secteur du
livre, le début des années 80 a vu s'achever le règne symbolique de la littérature.150

En effet, la recherche du sens, longtemps méprisée, ressurgit à la surface dans les


études littéraires. Or, TODOROV n'est pas le seul qui signale le retour de la quête du
sens, les travaux de François RASTER en sont la preuve. L'ancien élève de
GREIMAS transpose la sémantique structurale au texte littéraire, et développe ainsi
la sémantique interprétative afin d'éclairer le sens du texte.
En dépit de quelques similitudes d'ordre thématique, André GAUDREAULT ne
se situe pas sur le même plan que ces derniers, parce qu'ils tirent des conséquences
différentes. Dans son dernier ouvrage La fin du cinéma ? Un média en crise à l'ère
du numérique, paru en 2013 en collaboration avec Philippe MARION151, évoque le
phénomène de l'intermédialité et son impact sur la production cinématographique. Il
remet en cause l'évolution des technologies et l'invention de nouveaux procédés :

Nous entendons par intermédia le système complexe résultant des relations et


échanges intermédiatiques dans un écosystème médiatique donné. L'intermédia est
donc lié à la porosité des médias et à l'abolition relative des frontières qui les séparent.
Résultat des échanges fusionnels provoqués par la fameuse convergence (des médias
et des plateformes), l'intermédia est en quelque sorte la condition de nos
hypermédias.152

Ce constat d'une extermination du texte littéraire contemporain partagé entre ces


théoriciens évoque en effet à différents égards les conditions actuelles dans lesquelles
il se déploie : les progrès techniques de l'impression afin d'éviter les contraintes
formelles, de la photographie et de tout type de production artistique dans le substrat
médiatique. Car, la littérature contemporaine est loin de penser le texte dans sa
clôture, étant donné qu'elle s'adapte aux différents médias. L'auteur/adaptateur doit
donc mieux comprendre et maîtriser ces nouvelles capacités médiatiques, afin de
mieux préserver l'existence de la littérature. Or, les théories littéraires et artistiques
ne peuvent être placées sur le même plan d'Aristote à nos jours, de PROUST à
COMPAGNON, d’une époque à l’autre ou d’un auteur à un autre.

150
CROM Nathalie, journaliste au magazine culturel français Télérama, réagit dans le N°
2976 de l'année 2007 à l'essai de Tzvetan TODOROV La littérature en péril.
151
MARION Philippe, docteur en communication sociale, est responsable de l’orientation «
analyse et média » du Département de Communication de l’Université catholique de
Louvain et est un membre de l'Observatoire du Récit Médiatique.
152
GAUDREAULT André, La fin du cinéma ? Un média en crise à l'ère du numérique,
Éditions Armand Colin, Paris, 2013, p. 64.

73
III.2 Les finalités de la littérature :
Actuellement la production littéraire est en expansion permanente et ses
mutations sont de plus en plus étendues, alors qu'un nombre de critiques et
théoriciens s'appuient sur le postulat selon lequel une délimitation de l'intention de
l'auteur nous renvoient éventuellement à l'effacement de la littérature, et ce, à partir
des travaux menés par Marcel PROUST153, excluant de l'esthétique les
considérations d'ordre biographique, historique, sociologique ou psychologique. Il
convient cependant de développer de façon apodictique une approche allant à l'au-
delà de ce qui peut faire obstacle à l'appréhension du texte littéraire. Car, il ne peut
être exclut de son contexte historico-social.
En ce qui concerne les finalités de l'œuvre d'art considérée en dehors de son
contexte, débat faisant partie intégrante du discours actuel de la théorie des arts, c'est
aux critiques du XXe siècle que nous le devons. Nous pouvons d'ailleurs à ce propos
songer aux travaux de Maurice BLANCHOT - regroupés dans L'espace littéraire
(1955) puis Le livre à venir (1959) - considéré comme étant un acteur de premier
plan face à l'autonomie et l'immanence du texte littéraire. Jürgen Ernst MULLER,
qui semble de prime abord faire unanimité avec BLANCHOT, explique : « dans
l’histoire de la culture occidentale, il est convenu depuis des siècles de regarder les
œuvres d’art et les textes médiatiques comme des phénomènes isolés, qui doivent être
analysés séparément.»154 En effet, cette approche revient à penser le texte dans sa
clôture. À cet égard, ce que BLANCHOT avance dans Le livre à venir ne peut être
qu'en faveur de notre corpus et sa transécriture :

Seul importe le livre, tel qu'il est, loin des genres, en dehors des rubriques, prose,
poésie, roman, témoignage, sous lesquelles il refuse de se ranger et auxquelles il dénie
le pouvoir de lui fixer sa place et de déterminer sa forme. Un livre n'appartient plus à
un genre, tout livre relève de la seule littérature, comme si celle-ci détenait par avance,
dans leur généralité, les secrets et les formules qui permettent seuls de donner à ce qui
s'écrit réalité de livre. Tout se passerait donc comme si, les genres s'étant dissipés, la
littérature s'affirmait seule, brillait seule dans la clarté mystérieuse qu'elle propage et

153
Dans son projet à la fois romanesque et critique, Contre Sainte-Beuve, Marcel PROUST
oppose la critique des textes à la critique biographique de Sainte-Beuve, et décrit ainsi son
recueil en 1908 « Une étude sur la noblesse, un roman parisien, un essai sur Sainte-Beuve et
Flaubert, un essai sur les Femmes, […] une étude sur les vitraux, une étude sur les pierres,
une étude sur le roman. » In MITTERAND Henri (dir.), Dictionnaire des œuvres du XXe
siècle. Littérature française et francophone, Éditions Le Robert, Paris, 1995, p. 106.
154
MULLER Jürgen Ernst, « L’intermédialité, une nouvelle approche interdisciplinaire :
perspectives théoriques et pratiques à l’exemple de la vision de la télévision », in Cinémas,
N° 2-3, 2000, p. 109.

74
que chaque création littéraire lui renvoie en la multipliant, - comme s'il y avait donc
une "essence" de la littérature.155

Si cette approche correspond à notre corpus et à sa transécriture, elle sera en


contradiction avec son interprétation intermédiale. Car, outre cette tendance de la
première moitié du XXe siècle, la littérature contemporaine est loin de solliciter la
clôture du texte ; elle élabore des narrations aptes à sillonner d'un mode à un autre,
s'adaptant aux différents médias grâce aux progrès techniques assurant
ostensiblement l'ouverture du texte littéraire vers les autres arts. L'œuvre littéraire
dissémine de la sorte en son sein moult références artistiques verbales et non
verbales, Jean-Bernard VRAY la présente comme « […] accueillante et
polyphonique, omnivore (qui se nourrit volontiers de cinéma, de chanson, de
photographie), qui nargue certaines frontières (roman/ roman policier/ littérature/
paralittérature), qui pense même que c'est en faisant un pied de nez aux frontières
qu'elle s'est renouvelée […]. »156

Le fait que les formes, les genres, n'ont plus de signification véritable, qu'il serait par
exemple absurde de se demander si Finnegans' Wake appartient ou non à la prose et à
un art qui s'appellerait romanesque, indique ce travail profond de la littérature qui
cherche à s'affirmer dans son essence, en ruinant les distinctions et les limites.157

155
BLANCHOT Maurice, Le livre à venir, Éditions Gallimard, Paris, 1986, p. 128.
156
VRAY Jean-Bernard, « Le roman connaît la chanson », in MAJORANO Matteo (dir.), Le
jeu des arts. L'écriture et les arts, Éditions Edizioni B.A. Graphis, Milan, 2005, p. 166.
157
BLANCHOT Maurice, L'Espace littéraire, Éditions Gallimard, Paris, 1988, p. 169.

75
III.3 Une post-poétique déstabilisatrice :
Actuellement, la position de la littérature vient de cette aptitude à accueillir aussi
largement en elle les autres productions artistiques et culturelles, elle est, comme la
qualifie Bruno BLANCKEMAN, spécialiste de la littérature française des XXe et
XXIe siècles à l'Université de la Sorbonne Nouvelle, « indistinctement créatrice et
syncrétique »158 Ce qui lui offre également un aspect protéiforme qui, loin d'être une
entrave à son dynamisme, fonctionne comme une opportunité créatrice. « Tout
œuvre, écrit D. DURAND, est démiurgique : elle crée, par des mots et des phrases,
une "terre nouvelle un ciel nouveau. »159 Elle mêle de la sorte, en son sein, plusieurs
systèmes sémiotiques, rhétoriques et philosophiques.
L'état de la littérature actuelle, mené par une démarche pluridisciplinaire qui
combine divers rouages, semble empirer la crise dans laquelle elle se trouvait sous
l'avant-gardisme. Et la question est en effet compliquée par le fait qu'il se dessine des
enjeux de plus en plus serrés entre cette pluralité disciplinaire. Nous assistons ainsi à
un paradoxe, celui de la post-poétique qui sous-tend à la fois la déconstruction du
pouvoir de la littérature telle qu'elle était sous la modernité et de l'imposer d'une
manière nouvelle. Elle vise à cet effet à favoriser une coexistence entre des
approches relevant de l'histoire littéraire et des sciences humaines et sociales.
Il convient bien entendu de développer par la suite une approche liant cet
ensemble, afin d'intégrer l'activité poétique à ces disciplines et constituer un véritable
apport pluridisciplinaire. Parce qu'on a désormais affaire à des auteurs tels : Marc
LEVY, Guillaume MUSSO, Éric-Emmanuel SCHMITT, entre autre, Yasmina
KHADRA, Ahlam MOSTEGHANEMI, etc., dont les romans inscrits dans la
logosphère, et plus particulièrement romanesque, possèdent une dimension
transmédiale, qui met l'accent sur la profonde et irréversible collusion du fait
littéraire avec les autres productions artistiques et médiatiques. En conséquence, ces
écrivains contemporains inscrivent leur travail dans « une double mémoire », comme
l’écrit Bruno BLANCKEMAN :

[…] celles des modèles de fictions classiques dont se maintiennent les traditions, à
défaut des conventions (roman de formation ou d’exploration, récit picaresque ou

158
BLANCKEMAN Bruno, Les Fictions singulières ; étude sur le roman français
contemporain, Éditions Prétexte, Paris, 2002, p. 7.
159
DURAND Gilbert, Les fondements de la création littéraire, in Encyclopœdia
Universalis, Enjeux, Tome1, 1990, p.392.

76
philosophique) ; celle de la distanciation spéculaire, généralisée par une littérature
moderne dont sont dénoncées les apories mais assumés les acquis.160

Par exemple, lorsqu'on examine en effet de plus près les rapports entre
littérature et cinéma. De même, il convient de noter qu'on reconnaît le caractère
cinématographique et théâtral dans le roman, et inversement, avec un retour au récit,
au monde et au sujet, comme l'a précisé Dominique VIART,

En fait le sujet, le réel et le récit ne "reviennent" pas : ils sont approchés de la nouvelle
manière, dans un effort pour tenir compte des critiques reçues en s'affranchissant des
"impossibilités" que ces critiques prises trop au pied de la lettre et érigées en lois
semblaient avoir posées161

Pour connaître précisément la raison de cette remise en cause du statut de la


littérature dans la société, il convient de prendre conscience de la bifurcation
interdisciplinaire, dans laquelle nous y lisons d'emblée une relégation axiologique,
fondée sur une sorte de mépris intellectuel. À la fin du XXe siècle, l'œuvre d'un
écrivain se définissait généralement par le choix d'un genre, d'une période, d'un style
et d'une aire géographique. De ce fait, en extirpant toute donnée biographique, l'étude
littéraire peut défavoriser ou manquer d'une certaine manière à l'affirmation de la
littérature. Certes, une démarche héritée du formalisme, qui apparaît actuellement
circonscrite.

160
BLANCKEMAN Bruno, « Retours critiques et interrogations postmodernes », in
TOURET Michèle (dir.), Histoire de la littérature française du XXe siècle. Tome II – après
1940, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 432.
161

77
Pour conclure ce chapitre, il est vrai que la littérature est en perpétuel
mouvement, pourtant dans une perspective historique, nous trouvons la rémanence
d'un trait ou d'une notion qui ressurgit au moins jusqu'au XVIIe siècle. En revanche,
les significations attachées à la littérature ont subi d'importants remaniements à
travers les siècles et les aires géographiques, phénomène qui renvoie à l'émergence
de dispositifs accueillant tout type de textes. Toutefois, la littérature n'est pas morte,
mais elle survit à tous les soubresauts des dispositifs qui l'accueillent à travers les
siècles permettant de la modifier, voire la renouveler. C'est pourquoi l'inquiétude des
critiques et théoriciens cités supra à propos d'une fin possible de la littérature, nous a
conduits à faire l'hypothèse d'une résurrection, numérique, de la littérature, dite post-
poétique qui tend vers une œuvre d'art éclatée.
Quant à cet état des lieux des adaptations, dans le monde francophone, puis
maghrébin n'est pas absolument exhaustif. L'actualité de la littérature algérienne
contemporaine, étant encore en voie de construction, est très susceptible de diverger
substantiellement vers des perspectives multiples, principalement numériques, avec
une tendance de converger vers une nouvelle sphère culturelle.

78
CHAPITRE TROISIÈME :

LES DIFFÉRENTES RÉÉCRITURES

DE L'ATTENTAT
Le propos de ce chapitre traite de l'adaptation162 dans ses rapports avec la
littérature ; tout d'abord, cinématographique, théâtral puis graphique d'un texte
littéraire. Dans les faits, cela semble comme une sorte de paradoxe, car il n'y a rien
de plus éloigné de la littérature que la diffusion des images, des sons, de la
représentation verbales et gestuelle, c'est-à-dire un ensemble d'informations très
distinctes.
Hormis la bande dessinée, les deux autres cas semblent d'emblée représenter les
formats littéraires les plus éloignés de l'écriture romancée, si l'exploitation du
potentiel du roman de Yasmina KHADRA, L'attentat, à travers le cinéma subissait
un remaniement et sa réécriture incarne un nouveau système sémiotique ; cela
affecterait le système des valeurs véhiculées dans l'œuvre source ce qui nous mène à
poser des questions au sujet de cette mutation d'un mode d'écriture à un autre.
La première question à se poser : est-ce qu'un roman a les dispositions
nécessaires pour devenir un scénario ou une pièce de théâtre ? Comment les
scénaristes réalisateur/adaptateur parviennent-ils à faire de l'intrigue de L'attentat un
film assez dramaturgique ?

I - Du texte littéraire au filmique


De prime abord, roman et film semblent être complètement antinomiques dans la
mesure où chacun représente un système sémiotique singulier, et le passage entre ces
deux derniers implique des reformulations, des suppressions, et l'acte de réécriture et
de réception entraînent cependant une transformation, voire une hybridation, selon la
typologie de l'adaptation choisie. Mais, nous notons aussi qu'adapter, c'est faire
preuve d'un parti pris, c'est prendre position, c'est plutôt une question de choix et le
cinéma, de par sa pluralité de codes verbal, visuel et auditif, privilégie le roman parce
qu'il lui offre le réalisme de l'espace et lui procure une échappatoire vers des lieux et
des décors qui, contrairement au théâtre, varient continuellement.

162
Dériver du verbe adapter est un emprunt du XIIIe s. (1270) au latin adaptare « ajuster à »,
mot rare avant le latin chrétien, où il prend son acception figurée. Adaptare est formé de ad-
(→ à), aptus (→ apte), participe passé de apere « lier, attacher », et terminaison verbale.
Le verbe apparaît au sens concret d'« appliquer, ajuster », puis au figuré pour « mettre en
accord avec qqch. » (1300). […] Adapter, verbe actif, s'applique spécialement (1690) à la
création littéraire (adapter une phrase, un passage à qqn ou qqch.), puis aux œuvres dont on
change la forme (1890), sens lié à adaptation. In Dictionnaire Historique De La Langue
Française, Édition 2010.

80
En revenant vers le roman, le cinéma devient donc après le XIXe siècle « le
miroir de la société ou le nouvel opium du peuple. »163 De plus, l'établissement d'un
lien entre roman et cinéma s'est instauré davantage durant la seconde moitié du XXe
siècle, où le nombre des adaptations cinématographiques n'a cessé de s'accroître par
suite des progrès techniques d'appareillages cinématographiques, industriels et
commerciaux. Il s'avère tout de même nécessaire d'évoquer les contraintes
d'applications auxquelles l'adaptation fait face, avant de passer à la transposition.

I.1 Les contraintes de la création du scénario


Le passage de l'écriture romanesque vers le filmique impose des contraintes de
création et le scénario s'efforce de coller à l'intrigue du roman, ce qu'André BAZIN
appelle des condensations, pour des questions de durée car dans l'ensemble la durée
des longs métrages varie entre une heure trente et deux heures. D'un roman de deux
cent quarante-six pages (246), DOUEIRI en a fait un long métrage d'une heure
quarante-deux minutes (1h 42min). À ce niveau la condensation joue un rôle
fondamental, afin de ne pas tout couper, l'adaptateur utilise en l'occurrence le
montage164 qui a une fonction narrative permettant de traduire, via le visuel
descriptif, la narration, en une succession de plans, lesquels tentent donc de résumer
des fragments de l'histoire, présentés sans aucun dialogue. Éventuellement, la voix
off remplace les monologues intérieurs ou encore les dialogues sont remplacés par de
courtes répliques.
De plus, le roman est chargé de véhiculer un certain nombre de valeurs sociales,
politiques, éthiques et psychologiques, comme il « semble pourtant conserver sur le
film un avantage : la possibilité de passer à l'intérieur des personnages.»165, précise
André MALRAUX. Et c'est ce dernier point qui pourrait rendre difficile l'adaptation
du roman. Quand la psychologie constitue un élément majeur dans une œuvre, le
cinéaste fait face aux défis de la représentation mentale.

163
PLANA Muriel, Roman, théâtre, cinéma : adaptation, hybridation et dialogue des arts,
Éditions Bréal, Paris, 2004, p. 99.
164
Le montage est une pratique technique effectuée par un spécialiste, le monteur, sous la
responsabilité du réalisateur. Cette pratique consiste à coller les plans les uns à la suite des
autres.
165
MALRAUX André, Esquisse d'une psychologie du cinéma, Éditions Nouveau Monde,
Paris, 2003, p. 17.

81
À ce sujet FUZELLIER ajoute : « le seul domaine qui lui demeure étranger, c'est
l'analyse psychologique directe et abstraite – encore que le sous-titre, au temps du
muet, et le dialogue "introspectif" aujourd'hui tentent de s'approprier ce moyen
d'expression.»166 De cette manière, l'adaptateur utilise habilement sa créativité propre
afin de pénétrer dans la conscience du personnage, ses sentiments, émotions,
pensées, et souvenirs. Sans omettre évidement son recours aux divers dispositifs
techniques qui sont mis en œuvre pour élucider cette question, lesquels, avant 1926,
n'avaient d'autres modèles disponibles que : intertitre, texte explicatif enchâssé entre
deux scènes et sous-titre qui deviennent dès lors les procédés les plus créatifs du
cinéma muet et, à partir de la mise au point de sons enregistrés, les images sont
reproduites en synchronisme avec la bande sonore et la voix hors champ (voix-off).
Parmi ces dispositifs techniques doit également figurer l'éclairage qui permet de
souligner les expressions du visage qui regagne en partie les valeurs intérieures des
personnages, et par ce fait « constant ou varié qu'ils reçoivent de leur milieu au
cinéma et que le théâtre ne peut pas leur donner »167
Pour entrer dans l'esprit d'un personnage, il y a encore, comme l'a bien noté
André MALRAUX, les échanges verbaux, qui font notamment progresser l'action,
apportent en effet moult informations sur la personnalité des personnages. De plus,
du moment que le film matérialise les descriptions, il balise le champ de vision du
spectateur, de même qu'il remet en question la personnalité du personnage qui se
déploie à travers le jeu de l'acteur en lui donnant un physique. En tout cas, ces
procédés permettent de restituer ce côté intérieur au travers des actions, des gestes, et
du jeu physionomique de l'acteur autant sur le plan physique que mental.
Hormis la figuration de l'intérieur, le film est confronté à un autre défi, celui du
rythme. Des expressions codifiées se sont dès lors imposées aux réalisateurs, celles
d'une conjugaison, d'une oscillation harmonieuse entre le temps fort tels les
événements forts, violents ou la promptitude et le temps faible qui peut être
représenté par la description d'espaces, les voyages, ou l'usage fréquent d'analepse.
Le film, à l'opposé du roman où le lecteur jouit d'une grande liberté, ne peut fonder
son discours uniquement sur l'un des deux temps, mais doit équilibrer la charge.

166
FUZELLIER Étienne, Cinéma et littérature, Éditions du Cerf, Paris, 1964, p. 42.
167
Ibid. p. 89.

82
Du moment qu'un seul récit s'inscrit dans deux supports bien distincts, le livre
pour le roman et l'écran pour le cinéma, les différences entre ces deux derniers ne
sont plus perçues comme étant une nécessité168, en mettant à l'écart les formes
narratives des deux arts et leurs finalités. Autrement dit « on pourrait attendre d'un
film les mêmes qualités que d'un roman, user des mêmes critères "traditionnels" pour
les juger : efficacité, originalité, pertinence de la fable, crédibilité des personnages,
cohérence de la construction, économie et beauté du "style".»169 L'unique différence
demeure cependant d'ordre purement technique.

I.2 Les points de convergences et de divergences


Si l'on vise à repérer les traces de liens disposés à exister dans l'un et l'autre ; ces
deux arts ayant pour objectif premier de raconter, tel que le désigne FUZELLIER, la
narration est commune aussi bien au roman qu'au cinéma. Bien souvent, certains
romans trouvent difficilement des équivalences dans la version filmée de l'œuvre,
mais du point de vue théorique, en examinant les mécanismes qui sous-tendent cette
pratique, un rapprochement est en effet envisageable entre le roman et le film. Le
premier rapport relève de l'écriture, qui se rapproche du travail littéraire. Héritée du
genre romanesque, la technique de l'écriture aux effets réaliste et, ou dramatique, les
unis en effet, et ce n'est qu'en second lieu qu'on évoque la construction iconique.
On leur reconnaît également des points de rencontres, malgré les contraintes
imposées par l'adaptation, le film s'efforce de donner «vie [au roman] en utilisant
non seulement des procédés de transformation scripturaux propres au cinéma (le
scénario, les dialogues) mais aussi et surtout en mettant à profit tous ceux qui
relèvent de la mise en scène cinématographique.»170 Il est vrai qu'Étienne
FUZELLIER reconnaît aussi au roman et au film des points communs évidents :

168
Comme l'a montré BAKHTINE, le roman traditionnel a si massivement inspiré les autres
formes d'écritures, le cinéma particulièrement jusque-là.
169
PLANA Muriel, op. cit., p. 101.
170
SABOURAUD Frédéric, L'adaptation : le cinéma a tant besoin d'histoire, Éditions
Cahier du Cinéma, Paris, 2006, p. 3.

83
Centrer sa narration sur une époque, un personnage, ou une situation, ce sont là trois
procédés que le cinéma connaît très bien. Et il possède, comme le roman, une
expression directe et une expression suggestive. Il est partagé comme lui entre le
réalisme et la fantaisie fabulatrice […].171

Les rapports qu'entretiennent roman et film sont plutôt ceux d'une viabilité, car le
roman, comme le précise BARTHES, « enseigne à regarder le monde […] avec les
yeux d'un homme qui marche dans la ville sans d'autre horizon que le spectacle, sans
d'autre pouvoir que celui-là même de ses yeux »172 Il existe à ce niveau une analogie
avec le cinéma, étant pareillement susceptible de considérations infinies. Et ce par le
biais des compétences encyclopédiques du lecteur/spectateur, qui orientent et
conditionnent plus ou moins la réception de l'œuvre.
Nonobstant de ces liens communs, roman et film ont chacun leurs spécificités, et
ils se diffèrent aussi par les matériaux de base qui les constituent ; le livre pour le
romans et le cinéma pour le film. D'autant plus que le premier, une forme littéraire
parmi tant d'autres, donne libre cours au lecteur afin qu'il forge une idée, une
figuration mentale des personnages et des lieux. Tandis que le film n'a d'autre issue
que de façonner une version singulière, qui impose au spectateur une image
cinématographique fixe, « raturés », « profanée », reprenant l'idée de Marguerite
DURAS :

Le cinéma arrête le texte, frappe de mort sa descendance : l'imaginaire. C'est là sa


vertu : de fermer. D'arrêter l'imaginaire. Cet arrêt, cette fermeture s'appelle : film. Bon
ou mauvais, sublime ou exécrable, le film représente cet arrêt définitif. La fixation de
la représentation une fois pour toutes et pour toujours.173

Le cinéma désigne encore un moyen d'expression qui combine des fonctions


présentes aussi bien dans le domaine littéraire que dans celui des dimensions
technique ou économique. En revanche, il ne peut atteindre les vertus du texte
littéraire, malgré le potentiel illimité d'images dont il dispose, sa représentation
iconique implique des facteurs restrictifs abolissant ainsi une vaste panoplie d'idées
suggérées dans le texte initial.
Le film, contrairement au roman par le biais de l'expérience que recouvre la
catharsis, doit amener le lecteur à s'identifier au personnage pour atteindre la

171
FUZELLIER Étienne, op.cit., p. 42.
172
BARTHES Roland, Essais critiques, Éditions du Seuil, Paris, 1991, p 14.
173
Ce passage figure dans le texte d'accompagnement du Camion, scénario du film français
écrit et réalisé par Marguerite DURAS en 1977.

84
purgation psychique cathartique et renforce également le processus d'identification à
ce dernier. Autrement dit, il est impératif que le protagoniste soit dynamique et
charismatique à travers les émotions qu'il véhicule et la façon dont ces émotions
touchent le lecteur/spectateur.
En somme, l'existence de similitude, voire d'interdépendance entre roman et film
ne peut être envisagée en dehors des inspirations mutuelles, et ce, depuis l'invention
du montage en audiovisuel et jusqu'à son évolution au cours des dernières décennies,
constituant un élément moteur d'innovation et d'efficience au sein de l'œuvre.
Facilitant de la sorte son adaptation et à cet effet que l'on trouve l'équivalent du
roman historique, psychologique, et policier dans le cinéma et aussi dans les autres
médias.

I.3 La transposition de L'attentat


En 2013, Ziad DOUEIRI adapte avec Joëlle TOUMA L'attentat, le roman
éponyme de Yasmina KHADRA, et en tire un drame qui est, de prime face,
difficilement classable entre le genre politico-historique, le psychologique ou encore
le film à thèse.
Afin de positionner notre corpus, il faut d'emblée déterminer laquelle des
différentes typologies d'adaptations est la plus compatible avec ce dernier. La
recomposition de la trame narrative de ce roman pour le cinéma est néanmoins
étroitement associée à l'idéation et à la subjectivité de l'adaptateur et le concerne
personnellement. À ce propos, Yasmina KHADRA précise également : « Il y aussi la
sensibilité même du réalisateur qui est mise en exergue, il y aussi la façon de voir.
Un livre est une œuvre qui est muable, c'est pour cela que la réaction est différente
[…]»174
Au lieu d'évoquer la « fidélité »175 à l'œuvre initiale comme le fait BAZIN, nous
disons plutôt que le film de DOUEIRI nous procure une lecture assez éloignée du
roman, une représentation qui s'attache à ses grandes lignes, mais qui, comme toute
interprétation, sacrifie un certain nombre d'éléments qui figurent dans le livre. Même
si l'œuvre a un excellent potentiel filmique et en même temps elle présente un

174
Interrogé lors d'une rencontre autour de son dernier roman Dieu n'habite pas la Havane,
organisée le 12 décembre 2016 à l'Hôtel Liberté (Oran), Yasmina KHADRA, répond aux
questions concernant les différentes adaptations de ses romans ; particulièrement L'attentat.
175
Selon les travaux d'André BAZIN, il existe trois types d'adaptations classables quant à
leur degré de fidélité à l'œuvre initiale. (Cf. titre précédent sur les typologies de l'adaptation).

85
univers complexe, l'adaptateur est ainsi dans l'obligation de s'éloigner du texte de
départs et d'inventer les éléments manquants.
L'adaptateur procède tout d'abord par la sélection de tous les épisodes jugés
essentiels au texte dit d'arrivée. C'est ainsi que sont écartés tous les éléments qui
encombrent l'œuvre de base, tels les digressions, les personnages secondaires et les
événements superflus, de telle manière que le volume textuel apparaît de plus en plus
réduit. Dans chacune des séquences, il reprend plus au moins quelques phrases de
chaque chapitre. Comme il existe la possibilité de changer un personnage par un
autre, sinon les caractéristiques de celui-ci. Prenant l'exemple du personnage féminin
de Kim, une amie d'Amine avec qui les relations sont plutôt ambiguës, dont l'attitude
positive et porche du soutient a permis d'assister Amine tout au long de l'intrigue, en
revanche à travers la structure scénaristique, elle n'adopte plus les mêmes
caractéristiques.
Pour être interprété, le scénario possède une structure proche d'une pièce de
théâtre, et qui s'articule autour de 3 actes nommés respectivement :
1. L'exposition : désigne aussi la séquence amorce, introduit le genre et le sujet
du film, tout en installant le protagoniste dans son environnement avec une
présentation des circonstances dans lesquelles l'action se déroule. Puis, elle
met en place l'événement déclencheur qui modifiera la vie du protagoniste.
Le roman comme le film se concentre davantage sur le personnage d'Amine
JAAFARI, interprété par l'acteur palestinien Ali SULIMAN. À travers deux
séquences d'actions, nommées aussi séquence amorce et séquence
d'exposition, nous apprenons en 15 minutes tout ce qu'il y a à savoir sur lui :
un médecin d'origine arabe naturalisé israélien qui vit à Tel-Aviv avec sa
femme, Sihem, depuis une quinzaine d'années.
C'est la partie où l'histoire évolue avec un scénario qui préconise la mort de
Sihem, déchue ainsi aux yeux de son mari mais pas des autres personnages
qui voient en son acte un geste de bravoure manifeste à travers leur discours
panégyriste.
2. La confrontation : inclus premièrement la séquence de développement qui
augmente la part des moments dramatiques après l'incident de l'attentat-
suicide commis par Sihem, qui vient bouleverser la linéarité du récit. Le
protagoniste s'applique particulièrement à surmonter les difficultés qui
l'empêchent à atteindre son objectif ; celui d'inculper sa femme, malgré les

86
nombreuses entraves, de plus en plus saillantes, qui marquent son périple. La
dimension dramatique gagne cependant en intensité au fur et à mesure des
obstacles jusqu'à atteindre le point culminant du film ; le climax. Cette
deuxième séquence, l'une des plus pertinentes, représente le moment clé où
l'intrigue est au sommet, représentant le point culminant du film. Cette quête
le mène jusqu'au conflit avec toute la société du récit. Et ce avant qu'il se
résigne au sort que lui a réservé sans raison sa femme.
3. Le dénouement : c'est la partie où tout peut rentrer (ou non) dans l'ordre et qui
peut se terminer par une fin ouverte176. La quête menée par le protagoniste
pour obtenir la vérité sur les causes et circonstances qui ont poussé sa femme
au suicide. Par conséquent, le protagoniste n'atteint pas son but et cette œuvre
ne se conclu pas avec une résolution ou encore ne donne pas la réponse
dramatique177 posée au début du récit.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le non-respect de la dimension
visuelle du roman n'est que d'ordre axiologique, or, techniquement, l'intrigue de ce
récit correspond parfaitement au schéma du scénario. Tel était l'avis de Yasmina
KHADRA lors d'un entretien, exprimant son insatisfaction devant la transposition à
l'écran de son roman L'attentat : « sur le plan technique, il est très bien réussi, mais
sur le plan du message, il est aux antipodes même du livre »178 Dans un sens un peu
autre, loin l'idée d'être une adaptation fidèle ou une adaptation libre ; il s'agit donc
d'une transposition qui ne tente pas de jouer le film contre le roman, mais de donner
à tous deux une forme et un sens.
On notera toutefois, reprenant l'idée du critique Roland BARTHES, que le texte
littéraire est comme un dépositaire d'une signification objective. Il importe dès lors,
lorsqu'on ne considère pas un texte comme un espace clos, mais plutôt « un espace
polysémique », où seule la lecture le délivre et le pluralise. La transmutation du
roman en film est en effet soumise aux compétences et codes socioculturels de

176
L'appellation de fin ouverte varie selon les écoles, on peut également la nommée
Cliffhanger, coup de théâtre, ou rebondissement.
177
La réponse dramatique est la réponse à la question que pose le lecteur ou le spectateur
une fois que le personnage d'un récit quelconque commence à tout mettre en œuvre afin
d'atteindre son objectif. Pour être satisfaisante, l'intrigue doit apporter une résolution à cette
question.
178
Interrogé lors d'une rencontre autour de son dernier roman Dieu n'habite pas la Havane,
organisée le 12 décembre 2016 à l'Hôtel Liberté (Oran), Yasmina KHADRA, répond aux
questions concernant les différentes adaptations de ses romans ; particulièrement L'attentat.

87
l'adaptateur, et même les lecteurs ne le recevront pas avec la même optique dans des
situations et des époques différentes de leur existence.
Le passage entre le langage écrit et le langage visuel obéit donc à une logique
impérieuse. L'adaptateur instaure le scénario, rédige les échanges de répliques, et
structure l'histoire avec une valeur communicative bien déterminée. Cette dernière
peut s'écarter de l'œuvre initiale, non par manque d'ambition artistique, mais par des
exigences spécifiques relatives à la technique cinématographique. Or, la valeur d'une
seul ouvre littéraire soumises à différentes formes de transformations essentiellement
théâtrale et cinématographique, varie d'une version à l'autre. Adaptant L'attentat,
Ziad DOUEIRI produit en 2013 une première version personnelle, nous recensons
depuis entre adaptation théâtrale et graphique cinq179 autres constructions
dramatiques rigoureuses. Aucune d'entre elles n'est prémunie contre la question de la
fidélité et de la trahison, de bonne ou mauvaise adaptation. En dépit de l'introduction
de telles contraintes, qui ne sont pas forcément négatives, la matière littéraire est
encore exploitée.

II - Du texte littéraire au scénique


La mise en scène de l'œuvre de Yasmina KHADRA évoque une longue série de
projections, dans des pays et des contextes historiques et politiques différents, qu'ils
s'agissent de L'attentat, Les Hirondelles de Kaboul, Cousine K, Les Sirènes de
Bagdad, Ce que le jour doit à la nuit, ou encore L'Olympe des Infortunes, elle se
déploie en dehors de son support sous différentes formes : cinématographique,
scénique, graphique et musicale. Cependant, une telle prédilection des metteurs en
scènes pour l'œuvre de KHADRA invite à se demander ce qui, en elle, appelle
l'adaptation, et si la variation de sa transposition donne automatiquement naissance à
des formes multiples.
Le roman L'attentat à lui seul fait l'objet de plusieurs adaptations théâtrales sous
le même titre, dans différents pays (en Algérie, en Italie, au Benin, au Rwanda, au
Burundi, au Congo, et en France), à l'exception d'une première réécriture en arabe en
2009 au Théâtre régional d'Oran, où l'auteur Mourad SENOUCI l'intitule autrement :
« Es-Sadma », ce texte inspire aussi, en 2015, les metteurs en scène français

179
Il a fait l'objet de plusieurs adaptations théâtrales en Italie, en Algérie, au Congo, et deux
autres adaptations en France.

88
Amandine KLEP et Franck BERTHIER. Tous ces exemples montrent que le roman
de KHADRA est un modèle qui influence la scène théâtrale contemporaine.
Notre choix porte alors sur cette dernière adaptation en raison de la disponibilité
de son texte, et pour ce qui est de cette partie, elle se propose d'étudier ce que devient
le roman de Yasmina KHADRA sur scène au-delà des bouleversements apportés à
son contenu. De plus, il s'agit de se demander, d'une part, quels sont les défis que la
scène doit affronter afin de représenter un texte ? Par ailleurs, est-ce que la
représentation théâtrale renferme les mêmes vertus que la représentation romanesque
?

II.1 Les contraintes de la mise en scène :


La pièce de théâtre, au même titre que le film, est confrontée à des défis
courants, parmi lesquels se trouvent principalement le décodage des traits
psychologiques d'un personnage sur scène. Il est vrai que sa figuration est assumée
en partie par le costume, la démarche, et le langage du comédien. Or, la transition
d'un personnage de roman vers les planches passe en amont par la compréhension de
ses motivations. Autrement, il serait quasi impossible de les traduire littéralement
sans l'intervention d'une entité externe à l'œuvre et son auteur.
À la différence du roman, le jeu scénique fait face également à un autre défi,
celui des restrictions temporelles et spatiales où évoluent les personnages. Elles sont
liées aux contraintes techniques qui ne permettent au spectateur de les discerner
qu'approximativement, parfois l'empêchent de les évaluer exactement. Michel
PRUNER remarque à juste titre que l'espace existe :

Seulement à travers l'évolution qui en est faite, par la parole ou par le geste des
personnages. Il est parfois signifié métonymiquement par un élément aperçu à travers
une fenêtre ou par l'entrebâillement d'une porte, qui laisse supposer l'ailleurs entourant
l'espace actuel.180

Le texte romanesque peut les prendre en charge en usant de la compétence


descriptive, dont le but est de fournir les éléments nécessaires à la compréhension de
l'histoire. Comme elle doit, dans une certaine mesure, combler l'imaginaire du lecteur
en recevant assez de renseignement : procédant par des descriptions de personnages
et de lieux bien précis telles les villes de Bethléem, Nazareth et Jérusalem, dans

180
PRUNER Michel, L'analyse du texte de théâtre 2ème édition, Éditions Armand Colin,
Paris, 2010, p. 61.

89
L'attentat, par ce fait le lecteur se les figure même en ayant des figurations assez
différentes et purement individuelles. Toutefois, le théâtre ne dispose que de moyens
restreints pour assurer pleinement leur représentation.
D'autres traits contraignant la composition dramatique, réside dans le fait que le
texte source, qu'il soit romanesque ou autre, présente, selon la terminologie
d'Umberto ECO, « des blancs », étant comme « une machine paresseuse qui exige du
lecteur un travail coopératif acharné pour remplir les espaces de non-dit ou de déjà-
dit restés en blanc ».181 Conséquemment, il entraînera incontestablement des
manques informatifs. Ceux-ci sont en effet doublement susceptibles de toucher le
spectacle théâtral, car sa concrétisation, tout en étant accompagnée par les indications
de l'auteur (les didascalies), ne se réduit pas au seul texte. Ce qui requiert la
collaboration du metteur en scène, ainsi que la représentation théâtrale afin d'offrir
tout de même une marge de liberté et mettre plutôt sa créativité en jeu.
L'une des contraintes rencontrée lors de la mise en scène de certains textes
littéraire réside aussi dans l'incapacité d'assurer la transmission exacte de certains
signes textuels, de « tout ce qui n'obéit pas à l'expression par la parole, par les mots
» qui s'avèrent par moment inexécutables. De ce fait, vis-à-vis d'une telle exigence, la
représentation découle des choix du praticien : le scénographe, l'éclairagiste ou le
concepteur lumière, le costumier, l'ingénieur opérateur du son, ou comme dernière
complémentarité fondée sur les outils du comédien.
Au roman, le théâtre a emprunté le principe du texte écrit. Or, pour se réaliser,
une pièce de théâtre ne dépend pas exclusivement d'enjeux purement littéraires
envisagés par l'auteur, mais est assujettie à des conditions, et repose notamment sur
la combinaison d'un texte, de comédiens, et se trouvent parfois obligés de les
reléguer à l'arrière-plan (décors, costumes, éclairage et son). Ceux-ci doivent donner
l'illusion d'une parfaite union entre le réel et l'imaginaire ; « c'est d'être réel dans
l'irréel »182 dans le spectacle, résultant ainsi d'une rigoureuse collaboration entre
metteur en scène, scénographe et le plus souvent également avec le chorégraphe.
Néanmoins, ce spectacle prend souvent selon Patrice PAVIS « une signification
toujours péjorative, face à la profondeur et à la permanence du texte ».183

181
ECO Umberto, Lector in fabula, Éditions Grasset, Paris, 1985, p. 29.
182
BÉNAC Henri, Guide des idées littéraires, Éditions Hachette, Paris, 1988, p. 502.
183
PAVIS Patrice, Dictionnaire du théâtre, Éditions Dunod, Paris, 1997, p. 304.

90
Cet assujettissement du texte théâtral à des conditions, ne donne-t-il pas lieu à
son rejet, voire à son éviction ? Cependant, la réflexion sur le statut de l'œuvre
dramatique repose sur une dualité, voire « une querelle entre textocentrisme et
scénocentrisme »184, comme n'ont cessé de le souligner les pionniers des études
théâtrales tels : Otakar ZICH et Jiri VELTRUSKY. Son statut est de ce fait à la
lisière entre réalité scénique et objet littéraire. Alors que VELTRUSKY soutient que
le texte définit l'exécution scénique et constitue une œuvre littéraire qui existe
indépendamment de toute représentation théâtrale « toutes les pièces, et pas
seulement le théâtre dans un fauteuil, sont lues par le public de la même manière que
les poèmes et les romans. Le lecteur n'a en face de lui ni les acteurs, ni la scène,
mais uniquement le langage […]. »185
À cela PROCHAZKA Miroslav, qui insiste sur la finalité théâtrale, rétorque que
l'œuvre dramatique n'existe « réellement qu'à partir de sa réalisation scénique. »186
Ce dilemme concernant le texte dramatique fait donc partie d'un débat de longue date
qui oppose deux œuvres partageant, selon le contexte, un élément commun. Quant à
l'analyse de l'œuvre dramatique, l'état scénique s'avère indubitablement inséparable
de l'état écrit, un aspect qui relève autant du théâtral que du romanesque, et ce dernier
appelle des connaissances théoriques :

En ce sens l'analyse doit prendre en compte le matériau poétique qu'il offre au même
titre que n'importe quelle œuvre littéraire : isotopies, métaphores, métonymies ou
images symbolique contribuent à donner au texte théâtral une dimension qui lui
permet d'agir sur le lecteur non seulement au niveau des significations mais également
dans l'ordre du sensible.187

Ce qui entraîne notamment des réticences envers la réalisation scénique, c'est


l'antagonisme irrémédiable du respect du texte d'origine. Se pose alors les questions
de fidélité/trahison, de déformation et de réduction, qui se heurtent, se détournent du
sens initial. Principalement quand la fable du roman est alambiquée, l'accès et la
compréhension du spectacle, une fois transposé sur la scène, s'avèrent plus difficile.
Ce qui n'a pas empêché les metteurs en scène d'inventer et d'exploiter de nouvelles

184
DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean-Marie, Nouveau dictionnaire encyclopédique
des sciences du langage, Éditions Seuil, Paris, 1995, p. 741.
185
VELTRUSKY Jiri, Drama as literature, Lisse: The Peter de Ridder Press, 1977, p. 8-9.
186
PROCHAZKA Miroslav, « On the Nature of the Dramatic Text », in Semiotics of Drama
and Theatre. New perspectives in the Theory of Drama and Theatre, Philadelphie,
Amsterdam, 1984, p. 102, 126.
187
PRUNER Michel, op. cit., p. 120.

91
potentialités scéniques ; en mettant à l'œuvre de nouveaux dispositifs, telle est
l'attitude de l'avant-garde du théâtre avec Jean-Louis BARRAULT qui a rompu «
avec la tradition française textocentrique ».188 La mise ne scène serait alors, chez lui
comme chez ses contemporains allemands Bertolt BRECHT et Erwin PISCATOR
une expérimentation scénique avec un refus radical du texte.
Or, face à toutes ces contraintes, cette manipulation n'apparaît d'ailleurs pas
impossible vu le nombre relativement croissant des romans adaptés au théâtre ; ce
qui suggère la présence d'un certain nombre de liens communs. Cette révolution
romanesque semble à l'œuvre sur la scène contemporaine.

II.2 Les points de convergences et de divergences


Si un roman consiste à raconter des événements et est régi par le principe de la
diégèsis, l'expression dramatique se veut par sa mimésis, son aspect verbal, gestuel et
décoratif ; elle fusionne donc de façon subtile le scriptural et le scénique. Comme
elle requiert des compétences spécifiques où le personnage est obligé de se
manifester par ses actes et des paroles afin de produire un message parlant. À cet
effet, interrogé sur le théâtre et son statut sémantique, Roland BARTHES répond à la
revue Tel Quel, dans un texte qui est recueilli par la suite dans Les Essais critiques,
et compare le théâtre à :

Une espèce de machine cybernétique. Au repos, cette machine est cachée derrière un
rideau. Mais dès qu’on la découvre, […] vous recevez en même temps six ou sept
informations (venues du décor, du costume, de l’éclairage, de la place des acteurs, de
leurs gestes, de leurs mimiques, de leur parole), mais certaines de ces informations
tiennent (c’est le cas du décor), pendant que d’autres tournent (la parole, les gestes) ;
on a donc affaire à une véritable polyphonie informationnelle, et c’est cela, la
théâtralité : une épaisseur de signes.189

En effet, étant considéré comme un lieu où se produit la transmission de


messages multiples, simultanés, de nature variée et à des fins diverses, la
représentation théâtrale contraint alors le spectateur à faire face à cette « polyphonie
informationnelle », et suscite dans le public des diversités réactionnelles. Ce qui
semble, à première vue, en divergence avec le code de la langue écrite, dite monodie
littéraire. De ce fait, le principe dramatique rapproche d'avantage théâtre et cinéma,
et il paraît peu probable qu'un texte romanesque soit disposé à remplir les critères de

188
PLANA Muriel, op. cit., p. 51.
189
BARTHES Roland, Essais critiques, Éditions Seuil, Paris, 1964, p. 358.

92
l'art de la scène. Dans la mesure où il s'articule particulièrement autour de discours et
de narration qui expriment presque tout, alors que le théâtre alterne assez bien entre
dialogues (tirades et stichomythie), monologues, apartés et toute cette polyphonie
informationnelle.
À ce niveau, ne disposant pas de modes d'expressions similaires, le texte théâtral
se caractérise par un spectateur ou encore un récepteur qui « n'est jamais isolé
comme le lecteur, […] : il forme un corps où les regards de chacun réagissent sur les
regards de tous.»190 Alors que le roman nécessite une lecture individuelle, le texte
dramatique, par la manifestation théâtrale, suscite alors des réactions collectives, et
se met en contact avec le public plus directement que le roman.
D'une autre nature que le texte littéraire, le texte théâtral se distancie aussi du
roman avec le phénomène de double énonciation qui fait que le langage théâtral
fonctionnant selon une « progression dynamique d'actes de langage en interaction
».191 Autrement dit, la communication dans une pièce de théâtre fonctionne à deux
niveaux complémentaires : le premier est le discours d'un quelconque personnage
destiné à un autre personnage, le second est celui de l'œuvre destiné au public.
Dans son ouvrage Lire le théâtre, Anne UBERSFELD consacre tout un chapitre
à l'analyse de ce phénomène, et stipule quant à elle l'existence de « quatre voix ».
Tout d'abord celle du scripteur correspondant aux didascalies192 qui « fournissent les
informations au metteur en scène et aux comédiens qui les transmettent ensuite au
public sous la forme de signifiants non verbaux : jeux de scène, expressions, tous,
élément de décor »193 , celle des personnages qui s'adressent, via les dialogues ou un
monologue, à « un double énonciateur, les autres personnages et le public »194
subdivisée ainsi en deux autres voix qui les engagent implicitement.
Ce à quoi Oswald DUCROT, dans ses travaux, s'oppose à ce principe. Selon
lequel le phénomène de double énonciation n'est nécessairement pas spécifique du
théâtre, parce qu'on le trouve aussi dans un récit dont le narrateur est «

190
UBERSFELD Anne, « Le texte dramatique », in COUTY Daniel & REY Alain (dir.), Le
Théâtre, Éditions Bordas, Paris, 1980, p. 94.
191
INGARDEN Roman, « Les fonctions du langage au théâtre », in Poétique, N°08, Paris,
1971, p. 531, 538.
192
Dans le texte de théâtre, les didascalies renvoient aux indications scéniques, noms de
lieux, et noms de personnages destinées par l'auteur aux praticiens et au public.
193
UBERSFELD Anne, Lire le théâtre, Éditions Scolaires, Paris, 1977, p. 249.
194
Ibid.

93
homodiégétique à destinataire fictif »,195 comme le narrateur des Démons de Fiodor
DOSTOÏEVSKI, de Molloy de Samuel BECKETT, ou encore de L'attentat. À ce
niveau, cette caractéristique ne distingue pas le texte dramatique du texte
romanesque, par contre elle « est référable à un mode d'énonciation spécifique (le
mode mimétique) plutôt qu'à un trait qui serait spécifique du théâtre comme
incarnation scénique ».196
Cela dit, qu'il ne faut pas penser qu'il n'existe pas de points communs entre le
roman et la pièce de théâtre. Plusieurs traits saillants ressortent, d'une part, par la
présence de passages narratifs dans le texte dramatique. Même si le théâtre repose
sur les représentations mimétiques, il raconte pourtant une histoire. Comment est-ce
possible ? C'est ainsi qu'Aristote dans sa Poétique précise : « Le principe, l'âme, pour
ainsi dire, de la tragédie ; c'est donc l'histoire ; en second lieu viennent les
caractères ».197 À cet égard, tout en conservant sa singularité en tant que spectacle,
le théâtre, voire l'écriture théâtrale commence à se muer, à se rapprocher de celle du
roman.
Compte tenu du lien qui a commencé à se tisser vers la fin du XVIIIe siècle, du
moins jusqu'à la fin du XIXe siècle, où il adhère et incarne dans une très large mesure
aux ambitions similaires à celles du roman, d'où l'invention de la romanisation du
théâtre. Prenant comme exemple les textes de théâtre de Pierre-Auguste Caron de
BEAUMARCHAIS dans sa Trilogie de Figaro, nommée également Le Roman de la
famille Almaviva.
Une attitude est clairement confirmée au cours des siècles qui ont suivi,
notamment chez les auteurs tels : Alfred de MUSSET qui se contenta de publier ses
pièces regroupées par la suite, en 1832, en volume sous le titre Un Spectacle dans un
fauteuil, c'est-à-dire un théâtre « conçu pour être lu et qui n'a donc pas à tenir
compte des conventions de la scène ».198 Sans omettre le recueil de pièces de Victor
HUGO Théâtre en liberté, publiées en 1886 à titre posthume. Cette rencontre entre

195
DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean-Marie, op. cit., p. 747.
196
Ibid.
197
ARISTOTE, Poétique, trad., Éditions Seuil, Paris, 1980, p. 52.
198
THOMAS Jean, « MUSSET ALFRED DE - (1810-1857) », in Encyclopædia Universalis
[en ligne], consulté le 17 août 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/alfred-de-
musset/

94
écriture théâtrale et écriture romanesque s'est davantage manifestée chez Samuel
BECKETT, Nathalie SARRAUTE et Margueritte DURAS.
Dans cette situation, Mikhaïl BAKHTINE invente au milieu du XXe siècle le
terme de romanisation qui désigne la tendance, la prééminence du roman199 et son
influence sur les autres genres littéraires « figés dans des normes, ce qui leur permet
de s'en libérer et de se "moderniser"».200 Dans une telle perspective, loin de susciter
une quelconque marginalisation des genres théâtraux ou poétiques, le roman tend
plutôt à privilégier la liberté des autres genres de leurs propres règles vers une
créativité qui échappe à tout enferment générique, BAKHTINE poursuit :

La « romanisation » de la littérature ne signifie pas l'application aux autres genres de


canons d'un genre qui n'est pas le leur. Car le roman ne possède pas le moindre canon
! Par sa nature même il est a-canonique. […] Aussi, la « romanisation » des autres
genres n'est pas leur soumission à des canons qui ne sont pas les leurs. Au contraire, il
s'agit de la libération de tout ce qui est conventionnel, nécrosé, ampoulé, amorphe,
dans les autres genres, de tout ce qui freine leur propre évolution, […].201

En d'autre termes, le roman a cette faculté de romaniser les autres genres,


particulièrement le genre théâtral, comme il permet d'assimiler relativement toutes
les formes d'expression artistique. L'application au drame les normes romanesques
serait pour BAKHTINE une échappatoire à un certain nombre de déterminismes et
tend à le faire sortir par conséquent des limites strictes qui lui sont usuellement
assignées.
Inversement, le roman ne s'est pas cantonné dans ses propres techniques
narratives, et l'écriture romanesque a commencé de plus en plus à tendre vers le
théâtre à partir de la fin du XIXe siècle, pour finir avec l'adoption de plusieurs aspects
considérés comme appartenant au théâtre. Parmi ces aspects qui rapprochent
davantage une œuvre romanesque du théâtre figurent principalement le caractère
polyphonique ou parfois dialogique/ monologique. Ainsi, on s'aperçoit de la
théâtralité romanesque qui désigne selon Anne LARUE, l'historienne de l'art
français, « tout ce qui est réputé être théâtral, mais elle n'est justement pas théâtre

199
Après une période conservatrice de l'esthétique romanesque, la fin du XVIIIe siècle a vu
émerger une telle séparation des formes littéraires établissant ainsi des ponts, un mélange des
genres. En cette période le roman commence à dominer la scène littéraire, jusque-là
marginalisé.
200
PLANA Muriel, op. cit., p. 242.
201
BAKHTINE Mikhaïl, Esthétique et théorie du roman, traduit du russe par Olivier
DARIA, Éditions Gallimard, Paris, 1987, p. 442.

95
[…] elle n'interroge qu'incidemment la réalité propre du théâtre, son existence
concrète ».202 Particularité de ce qui se prête à la représentation scénique. À titre
d'exemple, un texte est désigné avec des traits de théâtralité quand il se présente sous
forme dialogué mais qui n'est pas forcement enfermé dans des conventions et codes
théâtraux.
Un texte romanesque se prête donc à la transposition quand sa narration est
submergée de polyphonie qui réduit de son opacité diégétique et fini par impliquer un
geste de réduction de la matière romanesque. Cependant, les situations par lesquelles
passe le protagoniste Amine JAAFARI, interprété par Bruno PUTZULU, provoquent
les interactions, ce qui invite à penser ce texte comme une suite de scènes de crise,
chargées de confronter les opinions et les idéologies contraires, qui se manifestent
par les vives altercations, voire les confessions entre personnages, plutôt que dans un
parcours purement narratif.

II.3 La réécriture scénique de L'attentat


La pièce, en trois parties, est adaptée en 2015 par Amandine KLEP et Franck
BERTHIER, sur la scène du Théâtre des Halles d'Avignon, dans la mise en scène et
scénographie de Franck BERTHIER également, le décor et les costumes étant de
Gérard BOURGEY et Elvire LE GARREC. Le spectacle nous présente, comme dans
l'intrigue du récit initial, un personnage abattu et plein de doute, pris en otage par les
événements liés au attentat suicide, perpétré par sa femme. Cependant, comment
trouve-t-on les équivalences scéniques d'une œuvre conçue pour être lue ?
Avant de déterminer la nature de l'adaptation dans ce cas de figure, et dans quel
esprit cette pièce de théâtre s'installe, nous aborderons d'abord le processus de
passage entre le texte écrit et le scénique, en repérant d'abord l'intrigue qui fait
progresser les événements et sa compatibilité avec la structure de l'action dramatique.
L'intrigue d'une pièce de théâtre, identique à celle du schéma narratif d'un roman,
s'organise autour de quatre axes :
1. L'exposition contient les indications spatio-temporelles et les informations
sur les personnages. Informative, elle ne doit pas « s'étendre au-delà des
premières scènes de la pièce »203 ; ayant pour rôle de définir le cadre de
l'intrigue et de renseigner le spectateur. Comme elle se présente sous deux

202
LARUE Anne, Théâtralité et genres littéraires, La licorne UFR, Poitiers, 1996, p. 3.
203
PRUNER Michel, op. cit., p. 33.

96
formes : statique et dynamique. La première se restreint nécessairement « à
une conversation durant laquelle s'échangent les informations à propos
d'événements antérieurs que l'un des interlocuteurs ne connaît pas »204.
Parfois la narration entreprend en partie l'exposition « sous forme de récits
qui multiplient les références à des événements passés, au risque de retarder
le commencement de l'action véritable. »205 Quant à l'exposition dynamique,
les informations sont transmises en action, en introduisant promptement le
public dans le spectacle. L'attentat en pièce de théâtre alterne plutôt entre
exposition statique et dynamique, parce qu'il s'ouvre, pareillement que dans
le roman, sur des passages narratifs annonçant le conflit :
1ère PARTIE : TEL-AVIV
AMINE
Une multitude de picotements se déclarent dans ma hanche. Ma jambe repose
contre mon flanc, grotesque et horrible. Un mince cordon de chair la retient
encore à ma cuisse. D’un coup toutes mes forces me désertent. […] dans le
chaos de l'explosion. […] Les sirènes d’une ambulance m’atteignent de plein
fouet. Un bourdonnement peut-être les rumeurs de la rue, des cris, ça court de
partout, ça sent la peur... Il y a des morts autour de moi. Il y a des morts sous
moi. Je suis allongé sur des morts. Des bras m'agrippent, me jettent sur un tas de
chairs […] (P.2)
Et se succèdent d'actions :
KIM
On en est à onze morts, peut-être plus...
Les sirènes ululent, des cris.
UNE INFIRMIÈRE
Une femme crie sur son brancard… J’ai besoin de vous, Docteur ! (P.2)
De ce fait, les données du conflit se précisent, accompagnées de détails sur
les protagonistes qui, troublés par les faits, se mettent en action.
2. Le nœud dramatique, correspondant à l'événement perturbateur du récit,
répond au centre de l'intrigue, qui annonce la présence d'un obstacle qu'il
faudrait résoudre. Cet obstacle peut être extérieur « si la volonté du héros se
heurte à celle d'autres personnages. »206 Comme il peut être intérieur «
lorsque les malheurs du personnages sont causés par un sentiments qu'il
porte en lui. »207 Le nœud dramatique peut également, dans le cas de

204
PRUNER Michel, op. cit., p. 33.
205
Ibid., p. 34.
206
Ibid., p. 35.
207
Ibid.

97
L'attentat, unir les deux : les autorités qui accusent Amine JAAFARI de
connivence avec sa femme, constitue ainsi un obstacle extérieur dans le
spectacle parce qu'ils mènent le protagoniste à l'opposition. Il se révèle
particulièrement intérieur : quand il remet en cause le personnage, où le
spectateur oublie la tragédie qui est remplacée par le dilemme de l'éthique ;
ce qui soulève un cas de conscience et donne plus de profondeur au texte de
théâtre.
3. Les péripéties, en alternance avec les événements qui font avancer l'action
pour résoudre le nœud dramatique, constituent l'amorce du dénouement,
comme dans le roman, et peuvent en l'occurrence accentuer la tension
dramatique avec de nouveaux problèmes inattendus qui surviennent après un
coup de théâtre et permettent de la sorte à l'action de rebondir. Il est vrai que
l'attentat suicide constitue en lui-même un procédé dramatique pertinent dans
le spectacle, par contre le surgissement de péripéties après coup engendre des
situations plus complexes : reconnaître l'identité du kamikaze ; Sihem, la
femme du médecin Amine JAAFARI, qui s'est fait exploser au milieu d'un
restaurant rempli d'enfants innocents. Puis, il reçoit une lettre d'elle, postée
avant sa mort, de la sorte un doute s'installe dans l'esprit du protagoniste en
ce qui a trait à sa propre vie, identité et vis-à-vis de l'Autre.
4. Le dénouement qui constitue « le dernier moment de la pièce »,208 clôt
l'intrigue avec la disparition des obstacles et la résolution du conflit. Or,
Eugène IONESCO a protesté contre cette nécessité de la fin théâtrale, il est
plutôt pour la dramaturgie ouverte, en offrant le champ libre à l'imaginaire du
spectateur. Il estime que le théâtre classique, favorisant une dramaturgie de la
clôture, est telle « la mort qui clôture une vie, une pièce de théâtre, une
œuvre. Autrement, il n'y pas de fin. C'est simplifier l'art théâtral que de
trouver une fin et je comprends pourquoi Molière ne savait pas toujours
comment finir […].»209 Cependant, une ambiguïté demeure à propos du
dénouement de L'attentat, où une fin d'apparence ouverte conclut la pièce
avec le même aparté d'Amine JAAFARI prononcé au début du spectacle :
1ère PARTIE : TEL-AVIV

208
PRUNER Michel, op. cit., p. 36.
209
IONESCO Eugène, Entre la vie et le rêve. Entretien avec Claude Bonnefoy, Éditions
Gallimard, Paris, 1996, p. 86.

98
AMINE
Une multitude de picotements se déclarent dans ma hanche. Ma jambe repose
contre mon flanc, grotesque et horrible. Un mince cordon de chair la retient
encore à ma cuisse. D’un coup toutes mes forces me désertent. Je cherche ma
mère dans le chaos de l'explosion. […] (P.2)
Le dernier tableau :
AMINE
Une multitude de picotements se déclarent dans ma hanche. Ma jambe repose
contre mon flanc, grotesque et horrible. Un mince cordon de chair la retient
encore à ma cuisse, d’un coup, toutes mes forces me désertent. J’ouvre les yeux.
Un enfant me regarde […] (P. 36)
L'adaptateur et metteur en scène BERTHIER opte donc pour une fin ouverte
comme dans le récit initial qui annonce le début d'un autre conflit, un autre
attentat. L'exposition et le dénouement constituent, dans le texte romanesque
comme dans le texte théâtral, une épanadiplose dite narrative210 ; une figure
de style dont l'usage stylistique varie selon les genres littéraires. Elle donne «
une sorte de cohérence à l'ensemble de l'œuvre et de créer surtout une
impression de cyclicité, d'éternel retour […]. L'effet de boucle que procure la
figure crée une impression de paradoxe et de maxime fermée […]. » Il s'agit
en effet de la reprise de la scène initiale à la fin de l'œuvre et du spectacle et
suggère ainsi une fermeture du récit sur lui-même. Représentant le deuxième
attentat après celui commis par Sihem.
Le spectacle conçu à partir de L'attentat donne de la sorte à voir une oscillation
entre le théâtre et le roman. L'ambition est donc particulièrement similaire à celle du
roman même si la pièce de théâtre par moment n'assume pas le contenu et apparaît à
l'encontre des propos de l'auteur qu'elle adapte. Le spectacle ne fait pas abstraction
du problème politique israélo-palestinien, qui constitue une toile de fond dans le
roman, il le garde également en arrière-plan, et en parallèle de cela, il fait surgir de
nouvelles questions. Celles de la quête de la vérité, de soi qui prendront, au fur et à
mesure que l'intrigue progresse, une tournure de plus en plus réactionnaire ; en
tentant de trouver un moyen afin de rétablir l'état antérieur, de revigorer
particulièrement la relation antérieure entre Amine avec son amie et collègue, Kim.
Pour ce qui est du cadre technique, la réécriture scénique de L'attentat remplit
tous les critères du théâtre-récit, une typologie qui ne figure pas dans la liste évoquée

210
SAHIRI Léandre, Le bon usage de la répétition dans l'expression écrite et orale, Éditions
Mon petit éditeur, Paris, 2013, p.189.

99
supra. Répandue depuis la fin du XXe siècle, les comédiens dans ce type
d'adaptation prennent en charge une partie de la narration en parallèle avec le jeu
dramatique. Antoine VITEZ est considéré comme le fondateur de ce type
d'adaptation qui s'est déteint sur la mise en scène contemporaine.
En somme, ce qui a favorisé le passage de L'attentat sur scène c'est la
confrontation des voix multiples des personnages et des idées plurielles. Un texte qui
a donné lieu à de telles interprétations distinctes d'un monde où les personnages sont
divisés et morcelés, et où le sens est traversé de constantes antinomies. Des
problèmes qui relèvent de la métaphysique, portés notamment par les personnages du
roman qui sont condamnés à vivre ensemble. Il nous renvoie dans un contexte de
crises des valeurs morales, cherchant toujours les causes qui ont poussées Sihem à se
faire exploser.

III - Du texte littéraire au graphique


Avant d'aborder le roman graphique et sa transposition, il est nécessaire et utile
de cerner ce qui lui a servi de matrice ; la bande dessinée211. Au début du XXe siècle,
particulièrement en Europe, elle n'existait pas vraiment en tant que telle. Sous forme
d'un texte dense surmonté d'illustration imagée, elle s'est étendue dans des
publications destinées exclusivement aux enfants. Ce n'est qu'en 1925 qu'Alain
SAINT-OGAN réalise Zig et Puce, ouvrage important et considéré comme la
première bande dessinée au sens strict. Longtemps perçue comme un genre mineur,
elle a eu des difficultés à obtenir une reconnaissance officielle. Malgré son alliance
savante de deux modes d'expressions distincts : art graphique et littérature ; à son
sujet Jacques DÜRRENMATT ajoute :

211
Le syntagme lexicalisé bande dessinée est attesté avec certitude en 1940, dans des
contrats de l'agence internationale Opera Mundi, et aurait été employé peu après 1930 par P.
Winkler. L'expression, répandue en 1949-1950, traduit l'anglais comic strip (1910), de comic
« comique » (→ comique) et strip « bande », mot d'origine germanique. Il est familièrement
abrégé en B. D. ou BÉDÉ n. f. (1966) […] in Dictionnaire Historique De La Langue
Française, Édition 2010.

100
L'évolution des formes qui a caractérisé les dernières années manque encore de relais
suffisamment puissants pour imposer l'idée d'un changement profond et les aprioris
perdurent, qui empêchent de penser qu'une certaine bande dessinée puisse rivaliser en
termes de puissance esthétique avec la littérature.212

Après sa mise en place, elle n'a cessé de prendre de l'ampleur et la confirmation


de son succès est reflétée à travers l'école belge de bande dessinée à partir des années
cinquante. Un éventail de publications est cependant offert par les hebdomadaires :
Vaillant, Pilote, ou encore les mensuels : Circus, Hara-kiri Hebdo, qui ont fini par
abandonner le monde de l'enfance pour « s'ériger en contre-culture ou en critique de
la société ».213 Ce n'est que vers la fin du XXe siècle que les effets de son
renforcement en tant que genre littéraire à part entière ont commencé à se faire sentir.
Du fait qu'elle répond actuellement à des codes et possède aussi un vocabulaire
spécifique. Plus littéraire, la bande dessinée commence dès lors à s'installer en bonne
place dans la hiérarchie de la création artistique.
La prolifération de la culture bédéesque dans les années soixante-dix marque
alors un retour à l'histoire, avec une bande dessinée submergée de narration,
introduisant de nouvelles thématiques capables de réflexion, d'où le lancement de la
formule du roman graphique.214 Il est rapidement « perçu comme un nouveau format
» selon Thierry GROENSTEEN. Bien plus :
La catégorie du "roman graphique" recompose le champ éditorial en introduisant une
distinction entre le tout-venant de la production et des œuvres plus ambitieuses. Elle
cherche à séduire un public (et des médias) qui n'avaient pas nécessairement l'habitude
de considérer la bande dessinée comme une littérature à part entière. Elle se veut
révélatrice du clivage qui existerait entre une bande dessinée de divertissement –
parfois de grande qualité, parfois moins – et une authentique "bande dessinée
d'auteurs", laquelle, s'étant affranchie du carcan des genres, exprime d'abord la
sensibilité de l'artiste et le regard qu'il porte sur le monde.215

À l'orée de ce nouveau siècle, certaines œuvres littéraires authentiques ont pu


faire l'objet d'adaptation en bande dessinée ou en roman graphique, tel est bien le

212
DÜRRENMATT Jacques, Bande dessinée et littérature, Éditions Classiques Garnier,
Paris, 2013, p. 47.
213
MITTERAND Henri (dir.), Dictionnaire des œuvres du XXe siècle. Littérature française
et francophone, Éditions Le Robert, Paris, 1995, p. 51.
214
L'appellation roman graphique est la traduction littérale de graphic novel, proposée pour
la première fois en 1964 par le critique américain Richard KYLE dans un article concernant
le «futur des comics». Et l'usage de cette expression apparaît pour la première fois en 1978,
sur un ouvrage de 192 pages du dessinateur américain Will EISNER ; Un pacte avec Dieu.
215
GROENSTEEN Thierry, « Roman graphique », in Neuvième Art 2.0, Cité internationale
de la bande dessinée et de l’image, [en ligne], mis en ligne en septembre 2102, consulté le
20 août 2017. URL <http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article448>

101
cas, encore une fois, de L'attentat. Publié aux éditions Glénat en 2012, scénario de
Loïc DAUVILLIER, dessin et couleur de Glen CHAPRON. À ce niveau nous nous
posons encore des questions en ce qui concerne l'existence de lien, de différences,
voire des exigences entre ces deux supports différents : le roman et le roman
graphique, comment transposer un passage narratif en une séquence iconique ?

III.1 Les contraintes de la création graphique :


L'adaptation d'un roman en bande dessinée, à savoir en roman graphique,
rencontre un certain nombre de contraintes qui ne sont pas forcément négatives que
Jacques DÜRRENMATT réduit au nombre de quatre. D'emblée, en termes de
restriction textuelle, la narration hypertrophique dans le roman, représente un
obstacle pour le neuvième art. Étant donné que l'écriture romanesque s'épanouit dans
l'étalage de récits d'événements, alors que le récit en roman graphique doit exceller
dans la concision et l'efficacité, et sa plus grande part de diégèse est prise en charge
par des séquences iconiques.
Le critère secondaire, la longueur du récit d'origine, notamment lorsqu'il s'attarde
sur de nombreuses descriptions, engendre ainsi un autre obstacle, à telles enseignes
que Fréderic LAVABRE écrit à ce sujet : « La difficulté, c'est la taille du roman
d'origine par rapport au volume livré. Cela implique nécessairement des coupures,
c'est un choix fort. Certains romans seraient formidables à adapter mais cela aurait
un rendu de 1000 pages. »216 Par conséquent, la transcription de la description, assez
importante dans le texte d'origine, est assurée moins par le texte que par les images.
Puis une supposée absence d'ingéniosité dans le langage, comme en témoignerait la
constance de graphisme onomatopéique, relevant de l'écrit et non du dessin, dont ils
jouent un rôle majeur dans le décryptage du sens.
DÜRRENMATT garde au final, l'incapacité à faire voir le non-dit. La
retranscription du monde intérieur des personnages, prise en charge par le narrateur
dans la narration romanesque, représente en effet un obstacle supplémentaire. Car, la
notion de narrateur, basée sur des critères purement textuels, principalement quand le
narrateur du récit initial fait, à l'instar de L'attentat, partie intégrante de l'histoire qu'il
raconte. Bien que le roman graphique dispose d'une faculté de représentation

216
Fréderic LAVABRE, directeur des éditions Sarbacane, est intervenant lors d'une
conférence organisée le 4 mai 2016 à paris par Babélio, ayant pour intitulé : « Du texte à la
bulle : Les adaptations de romans en bandes dessinées ».

102
multimodale, qui combine entre différentes sources sémiotiques, il demeure en effet
incapable, essentiellement face à la transposition du narrateur dit autodiégétique.217
Indubitablement, ce que le monologue intérieur, notamment le discours indirect libre,
du narrateur nous dit semble, de prime abord, inconvertible en images.
Nonobstant des cas extrêmes de transmutation, qu'en est-il alors de L'attentat ;
un texte verbal traduit en icones ? Et les images pourraient-elle donc nous dire
quelque chose de l'idéologie du narrateur et la quête de soi tant invoquée dans
L'attentat ?
Le statut du narrateur dans L'attentat en roman graphique n'apparaît nulle part. À
l'exception de la présence d'une planche d'images, représentant des cases sans aucune
figuration, avec des fonds obscurs accompagnés de passages textuels, marque ainsi la
seule et l'unique fois la présence du narrateur. Ayant à montrer cette partie intérieure
par l'image, Loïc DAUVILLIER a été induit à la présenter sous une forme textuelle.
Les figures exposées infra illustrent bien la distinction entre un narrateur
autodiégétique et extradiégétique :

Figure 1 : Cases extraites de la planche p. 16. L'attentat.

217
Gérard GENETTE a fait remarquer dans ses travaux que la véritable distinction
pertinente entre les différents niveaux narratifs est celle entre un récit à la troisième personne
(niveau extradiégétique) et un récit à la première personne (niveau homodiégétique). Ce
dernier peut se manifester sous deux formes, notamment à travers un narrateur-témoin, voire
un narrateur autodiégétique quand il est en même temps protagoniste du monde fictif qu'il
décrit.

103
Figure 2 : Extrait d'une séquence ordinaire. L'attentat, p. 14
De plus, la complexité de la fable constitue aussi un obstacle important pour le
scénariste ou le dessinateur de bande dessinée classique. En effet, notre corpus paraît
difficilement abordable, à cause de la longueur du récit mais également la multitude
de péripéties qu'il contient. Or, un adaptateur dispose d'une plus grande liberté
créatrice dans le cas où il opte pour un roman graphique. Comme l'évoque Jean-
Pierre MERCIER, cette autre idée de la bande dessinée qu'est le roman graphique :

Qui est a priori quelque chose qui se distingue du reste de la production, par la non-
conformité à une norme, qui serait 48 pages, enfin un album classique, couleur, […]
qui est encore autre chose, donc pas de contrainte de pagination, pas de contrainte de
format, sans doute une plus grande liberté aussi d'inspiration, on est dans un souffle de
roman, quelque chose qui est un peu plus littéraire.218

Le roman graphique est donc plus libre puisqu'il laisse exprimer la créativité de
l'adaptateur et s'écarte du moins des structures classiques de la pagination (planche,
cases, strip et phylactère). Néanmoins, de nouvelles approches graphiques sont
explorées avec les progrès techniques de la photographie ainsi que des nouvelles
technologies d'impression afin d'éviter les contraintes formelles.
La transposition de L'attentat en roman graphique est également soumise à une
exigence d'oscillation entre deux modes d'expressions incontestés ; liées au texte et à
l'image, voire une prédominance du graphisme sur le texte. Le reproche fait
également à la bande dessinée est que la représentation narrative y soit réduite à un
mode d'expression graphique. En l'occurrence, ces deux systèmes sémiotiques ne

218
Jean-Pierre MERCIER, conseiller scientifique à la Cité internationale de la bande
dessinée et de l'image d'Angoulême, interrogé lors d'un entretien en 2011, a évoqué sa
réflexion sur le roman graphique.

104
peuvent pas exprimer la même chose. Comme nous l'explique Umberto ECO, dans
son ouvrage Dire presque la même chose, « La diversité de matière est un problème
fondamental pour toute théorie sémiotique.»219 Dans la mesure où « un système
sémiotique donné peut dire moins ou plus qu'un autre système sémiotique, mais on
ne peut affirmer que tous deux peuvent exprimer les même choses »220
À un tel travail de concrétisation, nous remarquons, d'ores et déjà, qu'en passant
d'un système sémiotique totalement autre par rapport à celui d'une langue naturelle
induit une mutation de matières sur deux plans : écrits et le dessin. Malgré les
contraintes, il y a eu passage de matière à matière ce qui n'exclue pas la présence de
point communes entre ces deux supports. L'adaptation de L'attentat en roman
graphique met en effet en présence simultanée le texte source (explicatif ou dialogue
réécrits et reproduits par le scénariste) et dessin dramatique de façon telle qu'ils se
soutiennent mutuellement. Et c'est leur juxtaposition qui génère un sens.

III.2 Les points de convergences et de divergences :


Il est vrai que le roman graphique est un genre plus facile à adapter pour le
cinéma dans la mesure où sa forme et sa structure se rapprochent de celle d'un
scénario de film. Essentiellement dans des productions où le substrat iconique prend
le pas sur le texte, lequel est plutôt une invitation à scruter manifestement la mise au
point des cases et à apprécier la dimension imagée. Étant donné que le lecteur se
préoccupe principalement, comme le souligne Jan BAETENS, « [du] vagabondage
et les métamorphoses d'une tache, les places variables d'un trait, les tremblés ou les
dilutions d'une égratignure ».221 Il est tout de même possible de tenter une
convergence entre lui et le roman. Car il existe certainement des points de rencontres
entre ces deux derniers. Or, comment extraire des fonds communs entre deux
supports distincts racontant la même histoire ?
Premièrement, la reconnaissance d'une jonction entre le roman et le roman
graphique est manifeste par la dimension et le format, l'impression en noir et blanc et
le point le plus pertinent réside dans la profondeur du thème abordé. Lorsque l'on
envisage la question sous un angle formel, le livre que nous propose DAUVILLIER

219
ECO Umberto, Dire presque la même chose. Expérience de traduction, traduit de l'italien
par Myriem BOUZAHER, Éditions Grasset, Paris, 2007, p. 409.
220
Ibid.
221
BAETENS Jan, Formes et politique de la bande dessinée, Éditions Peeters, Louvain,
1998, p. 132.

105
ne correspond pas tout à fait à ce critère de forme : les figures suivantes permettent
de comparer visuellement sa taille par rapport au format classique, idéal pour le
roman, les livres professionnels universitaires, ou encore le petit format ou format de
poche :

Figure 4 : L'attentat
en roman graphique,
d'un Format 215 x
293 mm n'est pas
conforme aux Figure 3 : le roman
exigences relatives ni de L'attentat d'un
à la bande dessinée format : 11 x 177
classique, ni à celle mm, identique aux
d'un roman. normes.

Cet ouvrage que l'on peine à définir avec exactitude nous ramène, en effet, ici à
repenser sa création et ce qui le caractérise le mieux est-ce le format, le romanesque
ou la thématique ? Ce qui semble l'éloigner a priori de toute ambition romanesque.
Dans le dictionnaire de la bande dessinée sur le site Neuvième art 2.0, Thierry
GROENSTEEN écrit à ce sujet : « Il est plus difficile que jamais de dire ce qui
relève proprement du roman graphique. Dans une acception large, tout ce qui se
situe entre l'album grand format traditionnel et le format poche peut sembler en
relever.»222
Nous constatons que L'attentat en graphic novel à couverture en carton rigide,
plus épais, haut en couleurs, avec une dimension non conventionnelle, se démarque
par son grand format des standards albums classiques et du roman. Cette pratique est
conforme à celles de la plupart des productions graphiques éditées par Glénat ; une

222
GROENSTEEN Thierry, « Roman graphique », in Neuvième Art 2.0, Cité internationale
de la bande dessinée et de l’image, [en ligne], mis en ligne en septembre 2012, consulté le
20 août 2017. URL <http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article448>

106
maison d'édition française crée en 1969 par Jacques GLÉNAT, spécialisée dans le
domaine de la bande dessinée, du manga et du livre de jeunesse.
Même si L'attentat n'obéit pas à une quelconque dimension stable, il est tout de
même classé sous la catégorie "roman graphique" du fait de sa longue pagination
(152 pages) et le thème profond qu'il aborde, contrairement à la bande dessinée à la
pagination standardisée entre 46 et 48 pages. Cependant, ces critères de formes
relèvent d'un choix de la maison d'édition, qui a ajouté à son compte ces formes
nouvelles, et non pas d'une norme prédéfinie.
Pareille divergence est loin d'être la seule possible, la lecture d'un roman
graphique se fait sur deux plans : l'écrit et le dessin. Or, le langage véhicule une
représentation de la réalité qui lui est spécifique et qui diffèrent sensiblement de celle
qui est construite par l'image ; « Deux "visions du monde", pour reprendre le
vocabulaire de humboldtien, s'affrontent dans l'adaptation […], au sein de laquelle
l'image fonctionne comme un prisme à la fois réfléchissant et plus encore divergent.
»223 En revanche, le support iconographique, même s'il témoigne d'une influence
structurante, n'est aucunement décisif pour définir ce neuvième art.
Eu égard à ces deux aspects majeurs de narration, ils ne peuvent exister
indépendamment au sien d'une œuvre graphique. Pour le premier théoricien du
genre, Rodolphe TÖPFFER voit plutôt une complémentarité entre eux « les dessins,
sans texte, n'auraient qu'une signification obscure ; le texte sans les dessins, ne
signifierait rien. Le tout ensemble forme une sorte de roman d'autant plus original
qu'il ne ressemble pas mieux à un roman qu'à autre chose. »224 L'émergence d'un
sens de lecture doit donc venir de la juxtaposition de ces deux matières.

III.3 La « graphiation » de L'attentat


Afin de rendre sens à l'œuvre originale, la collaboration du scénariste et du
dessinateur a-t-elle bien réussi à traduire en image L'attentat ; une œuvre surmontée
de complexités mettant en jeu des valeurs idéologiques, des phénomènes historiques
et des problèmes philosophiques ? Présente-t-elle comme dans les cas précédents une
version condensée de L'attentat ? a-t-elle considéré les réflexions du narrateur sur

223
CLERC Jeanne-Marie & CARCAUD-MACAIRE Monique, L'adaptation
cinématographique et littéraire, Éditions Klincksieck, Paris, 2004, p. 13.
224
MOUCHARD Benoît, La bande dessinée, Éditions Cavalier bleu, Paris, 2004, p. 16.

107
son sort et celui de sa femme, de sa famille et de son pays ? Porte-t-elle la marque de
la graphiation ?
Dans son étude pionnière et au titre révélateur, Philippe MARION a soutenu une
thèse à l'université de Louvain, intitulée Traces en cases. Travail graphique,
figuration narrative et participation du lecteur, présentée en mars 1991. Une
recherche qui semble suffisamment penchée sur la question de l'énonciation visuelle
dans laquelle il propose la notion de graphiation ; un concept qui renvoie à : «
l'identité graphique du dessinateur, indépendante des propriétés figuratives de
l'image et à travers laquelle l'artiste s'auto-désigne comme être dessinant. Il s'agit, ni
plus ni moins, de l'affirmation d'un style, d'une patte.»225
Philippe MARION dépasse donc la valeur intrinsèque du graphisme en le reliant
à une certaine faculté empathique générée par la familiarisation avec le style d'un
certain dessinateur. La priorité n'est donc pas liée fondamentalement, selon lui, à
l'expression graphique autonome, mais à la construction d'un compte via la
combinaison de signes visuels et phonétiques. Comme il précise :

Le dessin n'est jamais un simple moyen de figuration […] Le lecteur-spectateur de BD


est appelé à mettre son regard en coïncidence avec le geste du graphiateur ; c'est en
épousant l'empreinte graphique de celui-ci qu'il peut participer au message. […] [Le
graphiateur] incarne et impose davantage son identité graphique […] en même temps
qu'elle assure la spatio-temporalité de l'intrigue narrative, la bande dessinée développe
donc un processus d'imprégnation graphique, le lecteur s'imbibe de trace et l'effet de
familiarité s'accroît.226

Jacques DÜRRENMATT revient avec une nouvelle perspective, dans son


ouvrage Bande dessinée et littérature, sans renoncer totalement à cette portée initiale,
et propose une relecture de la notion de la graphiation et lui attribue une fonction
poétique. Il est donc essentiel, selon DÜRRENMATT, de distinguer trois modes de
combinaison entre texte et image : la prééminence du texte sur l'image, soit des
publications dénuées de texte et bien munies d'éléments figuratifs ; en 1975 Jean
GIRAUD publie Arzach qui, le premier album avec une absence totale de dialogue,
illustre parfaitement cette approche plasticienne de la bande dessinée muette par

225
PAOLUCCI Philippe, « Jacques DÜRRENMATT, Bande dessinée et littérature »,
Questions de communication [En ligne], 25 | 2014, mis en ligne le 01 juillet 2014, consulté le
25 juillet 2017. URL : http://questionsdecommunication.revues.org/9106
226
MARION Philippe, « Traces graphiques, lecture et vraisemblance », in L'image B.D.,
Éditions Open, Louvain, 1991, p. 61-62.

108
analogie au cinéma muet. Le dernier mode constitue une jonction, voire une
interdépendance entre ces deux composantes.
Les compétences mises en jeu dans une telle perspective sont surtout de l'ordre
des compétences communes du scénariste et du dessinateur. En adaptant L'attentat,
le scénariste Loïc DAUVILLIER est resté au plus près de l'œuvre source, tout en
tentant de respecter surtout ce qui concerne les dialogues et les péripéties du récit.
Par ailleurs, la part dessinée produite par le dessinateur Glen CHAPRON, qui doit
servir essentiellement l'écrit et ne peut le perdre de vue, a représenté particulièrement
l'action dramatique, eu égard à son incapacité à parvenir à des figurations intérieures
: les réflexions des personnages ou leur état d'esprit.
En ce qui concerne la construction d'une séquence, le texte se développe sous la
forme d'un scénario dans un style clair et concis en matière de dialogue, comme nous
pouvons le constater dans l'extrait suivant :

Texte source Réécriture & graphiation


Naveed descend de la marche pour venir à Strip 1 :
ma rencontre. Lui aussi a les mains dans Amine — Je monte tout de suite me changer…
les poches. Son regard évite le mien.
Naveed — Ce n'est pas la peine.
À son attitude, je devine que l'aube n'est
pas prête de se lever.
— Bon, dis-je dans la foulée pour semer le
pressentiment qui vient de me coller au
train, je monte tout de suite me changer.
— Ce n'est pas la peine, me fait Naveed
d'une voix détimbrée.
J'ai souvent eu affaire à sa mine déconfite
lorsqu' il m'amenait des collègues sur une
civière, mais celle qu'il affiche ce soir les
supplante toutes.

109
Texte source Réécriture & graphiation
Un frisson me griffe le dos avant d'étendre Strip 2 :
sa reptation furtive jusque dans ma Amine — Le patient a succombé ?
poitrine.
Naveed — Il n'y pas de patient.
— Le patient a succombé ? m'enquiers-je.
Amine — Naveed…
Naveed lève enfin les yeux sur moi.
Rarement j'en ai vu de plus malheureux. — Qu'est-ce qui se passe ?
— Il n'y a pas de patient, Amine.
— Dans ce cas, pourquoi m'as-tu tiré de
mon lit à une heure pareille s'il n'y a
personne à opérer ?
Naveed semble ne pas savoir par où
commencer. Son embarras stimule celui du
docteur Ros qui se met à se trémousser de
façon déplaisante. Je les dévisage tous les
deux, de plus en plus agacé par le mystère
qu'ils entretiennent avec une gêne
grandissante.
— Va-t-on m'expliquer ce qui se passe, à Strip 3 :
la fin ? dis-je. Amine — Bon … Vous vous décidez à parler ?
Le docteur Ros se donne un coup de reins Naveed — Est-ce que Sihem est à la maison ?
pour se détacher de la paroi contre laquelle
Amine — Quoi ?
il était adossé et regagne la réception où
deux infirmières visiblement aux abois Naveed — Est-elle chez vous Amine ?
feignent de consulter l'écran de leur — Répond, s'il te plaît.
ordinateur.
Naveed prend son courage à deux mains et
me demande :
— Est-ce que Sihem est à la maison ?
Je sens mes mollets fléchir, mais je me
ressaisis vite.
— Pourquoi ?
— Est-ce qu'elle est à la maison, Amine ?
Son ton se veut insistant, mais son regard
s'affole déjà.
Une serre glaciale me froisse les tripes.
Coincée dans mon gosier, ma pomme
d'Adam m'empêche de déglutir.

110
Texte source Réécriture & graphiation
— Elle n'est pas encore rentrée de chez sa Strip 4 :
grand-mère, fais-je. Elle est partie, il y a Amine — Bien sûr que non. Elle est chez sa
trois jours, à Kafr Kanna, près de grand-mère.
Nazareth, rendre visite à sa famille... Où
— Où veux-tu en venir ?
veux-tu en venir ? Qu'est-ce que tu es en
train de me dire, là ? — Parle !
Naveed avance d'un pas. L'odeur de ses Naveed — Nous avons un corps sous les bras.
transpirations m'embrouille, exaspère le Nous devons l'identifier.
trouble en train de m'envahir. Mon ami ne — Je crois qu'il s'agit de ta femme, mais nous
sait plus s'il doit me prendre par les
avons besoin de toi pour en être sûrs. Page 15.
épaules ou garder ses mains sur lui.
— Qu'est-ce qu'il y a, bon sang ? Tu es en
train de me préparer au pire ou quoi ?
L'autocar, qui transportait Sihem, a eu un
problème en route ? Il s'est renversé, n'est-
ce pas ? C'est ce que tu es en train de me
dire.
— Il ne s'agit pas d'autocar, Amine.
— Alors quoi ?
— Nous avons un cadavre sur les bras et il
nous faut mettre un nom dessus, dit un
homme trapu aux allures de brute en
surgissant derrière moi.
Je me retourne vivement vers Naveed.
— Je crois qu'il s'agit de ta femme,
Amine, cède-t-il, mais nous avons besoin
de toi pour en être sûrs. Pages 31-33.

L'adaptateur est pourvu d'une liberté qui lui permet d'isoler le niveau de la trame
proprement dite, mettant à l'écart le reste jugé inessentiel ou difficilement adaptable.
Pour se faire, raconter une histoire en image, le scénariste suit les mêmes principes
généraux de la narration qu'en littérature, en retenant l'intérêt du lecteur avec les
différentes intrigues, rebondissements, une chute à la fin comme dans L'attentat. Ce
doit se faire à travers l'assortiment du texte avec des icônes qui répondent
généralement au message du récit original. L'article de Philippe PAOLUCCI rejoint
cette hypothèse, principalement en ce qui concerne la liberté du créateur :

Le bédéiste est évidemment libre de ne pas partitionner son album, ou, s’il consent à le
faire, de reprendre à son compte l’organisation livresque classique. Mais il peut
également opter pour des stratégies plus complexes, difficiles à mettre en place dans

111
des productions écrites. En atteste la possibilité d’insérer entre les chapitres des
"espaces de pensivité "227

En matière de volume, si le texte source est constitué de 16 parties d'inégales


étendues, Loïc DAUVILLIER et Glen CHAPRON ont procédé par synthèse et
condensation228 ; et ils en ont fait une œuvre de 4 parties. Cette pratique de
diminution de volume impose au texte deux transformations à la fois : « dont l'une
229
fait oublier l'autre : une réduction, bien sûr, mais aussi une adaptation. » De ce
fait, réputé de concision, le récit graphique réduit la moelle du texte, d'une part, et
l'augmente par ailleurs par des séquences détaillées via différents procédés venant du
cinéma (plans, cadres et angles de vue et procédés d'enchaînement).
L'adaptation d'œuvres littéraires sous formes graphique s'approche alors de
l'univers romanesque, mais aussi de la bande dessinée, telle que L'attentat. Ce faisant
elle représente une création multimodale, en passant par un brassage harmonieux
entre texte et image. L'œuvre de Loïc DAUVILLIER et Glen CHAPRON emprunte
le format d'un album classique et le fond d'une dimension particulièrement délicate.
Cette adaptation, contrairement aux deux autres premières, suit la linéarité du récit
initial avec beaucoup de respect, chaque passage descriptif est parfaitement transposé
avec clarté.

227
PAOLUCCI Philippe, « Jacques DÜRRENMATT, Bande dessinée et littérature »,
Questions de communication [En ligne], 25 | 2014, mis en ligne le 01 juillet 2014, consulté le
25 juillet 2017. URL : http://questionsdecommunication.revues.org/9106
228
Ce terme est employé par Gérard GENETTE, in Palimpsestes. La littérature au second
degré, dans un sens proche du procédé de réduction utilisé par les scénaristes adaptateurs
dans le domaine cinématographique « pour n'en conserver à l'esprit que la signification ou
le mouvement d'ensemble, qui reste le seul objet du texte réduit : réduction, cette fois, par
condensation. » P. 341.
229
GENETTE Gérard, Palimpsestes. La littérature au second degré, Éditions Seuil, Paris,
1982, p. 343.

112
Ce chapitre, consacré à cette relation entre l'écriture romancée et ses différentes
mutations filmique, théâtrale et bédéesque, a ainsi tenté se situer la réécriture de
L'attentat dans les divers registres médiatiques existants. Nous sommes parvenus à
relever que les différents moyens scéniques et graphiques offrent, libèrent une lecture
à chaque fois originale, avec une capacité de répandre de nouveaux sens. De ce fait,
l'autonomie et le déploiement de chacune de ces créations dans leurs matières
propres, malgré leur renvoie constant au soubassement de l'œuvre source, éloigne
l'idée de l'œuvre entre deux genres, notamment d'une hybridation ; il s'agit en effet
moins « d'influence mutuelle mais d'échange et d'interdépendance […] d'évolution
parallèle, d'égal à égal, ou de dialogue entre les deux arts : comme on peut parler de
désir de théâtre dans le roman, on peut parler de désir de cinéma dans le roman.
»230
Chaque transposition est en effet à l'origine de l'émergence d'une nouvelle
création littéraire, même en les transfigurant, elle engendre des œuvres à part entière
avec une ampleur et un rayonnement nouveaux. Comme la transposition de
L'attentat, ou encore d'une autre œuvre, dans une autre forme ne cherche pas à les
reconquérir le plus fidèlement possible afin d'avoir les meilleures adaptations. Par
contre l'adaptateur doit rester à bon escient fidèle à son envie d’adapter, pas
forcément au récit lui-même (détail sur lequel nous allons revenir au cours de la
deuxième partie de notre travail).
De plus, la décortication du schéma narratif du roman graphique, de la pièce de
théâtre et davantage d'un scénario de film est constituée d'étapes identiques à celle du
roman : une situation initiale, un élément perturbateur, des péripéties, un élément
équilibrant ou résolution et une situation finale. Eu égard aux impératifs très
contraignants, aux points divergents, L'attentat, de par son écriture et l'intensité de
son intrigue qui revêt une portée universelle, a enrichit et favorisé davantage les
possibilités d'une confluence entre des genres littéraires qui paraissaient au départ
difficilement convertibles.

230
PLANA Muriel, op. cit., p. 104.

113
Conclusion de la première partie
À ce niveau, cette tentative de réconciliation de la littérature avec la sphère
médiatique, est soumise à une esthétique de la reprise, impliquant des métissages
autant possibles qu'innombrables. Une partie qui ne vise pas uniquement à résumer
les théories que ces mouvements ont élaborées pour penser leur champ d'étude et
d'interventions littéraire et médiatique, mais à offrir un aperçu sur la pertinence de
l'intermédialité pour décrypter les enjeux de la littérarité. Il serait vain de réitérer in
extenso ce que tous les philosophes et théoriciens en matière littéraire ont pu
prononcer.
Or, ce travail se propose de réfléchir sur une forme littéraire en construction et
qui suscite encore des interrogations. Pour élucider cette partie, à partir du corpus
L'Attentat de Yasmina KHADRA et sa transmutation vers le cinéma, le théâtre et le
roman graphique, nous avons formulé trois principaux chapitres. Dans un premier
chapitre nous avons vérifié la pertinence des appellations : transécriture,
transmodalisation et transmédialité. Ceci nous a amené à examiner également le
cadre conceptuel de la réécriture, puis l'origine des modes d'énonciation, faisant ainsi
recours à la mimésis et la diégèsis. Enfin, les médias et l'évolution numérique
appliqués au texte littéraire.
Dans le deuxième chapitre, pour être lisible, nous avons fait le rapprochement
entre l'adaptation, concept qui est à l'origine de toutes les pratiques évoquées dans le
premier chapitre, ainsi que ses différentes typologies, et la transécriture. Puis, une
synthèse sur le discours que tiennent Dominique MAINGUENEAU, comme chez
Antoine COMPAGNON, Tzvetan TODOROV sur l'activité littéraire et l'incertitude
de son avenir numérique, qui établit une corrélation entre la création et les diverses
re/productions artistique et médiatique, et ce, grâce au progrès techniques en la
matière. Maurice BLANCHOT fait d'ailleurs, soixante ans avant eux, le constat de la
fin de la littérature, dont il est de plus en plus confus.
Dans le troisième chapitre, nous avons tenté de définir les conditions ou les
caractéristiques de la transposition du narratif vers les médias. Les supports
médiatiques et les processus techniques intervenant dans la re/production du roman à
travers le cinéma, le théâtre et enfin le roman graphique. Ces transmutations étaient
aussi analysées, sous l’angle spécifique de chaque médium. Comme nous avons
examiné l'aspect de la cinématographicité, de la théâtralité ainsi que la graphiation

114
appliquées sur une seule œuvre, tout en mettant en évidence les similitudes et les
divergences qui apparaissent dans la manière de la transmutation.
Il convient également de préciser à quel point les installations
cinématographique, scénique et graphique, qui de nos jours utilisent le potentiel
numérique, sont porteuses d'une nouvelle forme narrative qui défie aussi bien l'auteur
que le lecteur. Lire un livre imprimé, n'est pas tout à fait la même chose que de
lire/regarder un roman graphique, une pièce de théâtre ou un film ; dans la mesure où
ces derniers sont pluriels en raison de leurs nouveaux supports qui nécessitent, pour
être créés et pour être mis en scène, des univers sémantiques, verbaux, visuels et
sonores. Les philosophes et critiques de l'art et de la littérature déplorent à cet effet
l'affaiblissement de son aura culturelle, du moins sa réorientation vers des dispositifs
autres que le livre, en renouant avec le postulat hégélien d'une fin de l'art.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la manipulation textuelle à l'ère du
numérique offrent des textes qui empruntent à un genre romanesque et à de
nombreuses techniques et caractéristiques médiatiques. De ce fait, le champ de la
création poétique, des cultures, des médias apparaît pris entre des dynamiques
complémentaires à prétention universaliste, ou encore répandant des formes
culturelles planétaires. Or, cette forme d'universalisation de la littérature post-
poétique, tout en accompagnant l'affirmation de l'esprit médiatique, semble être en
expansion dans ce que DEBRAY nomme la médiasphère. Médias, cultures, autant de
productions artistiques et littéraires par lesquelles se construisent de nouveaux genres
hybrides, là où le substrat médiatique tient une place prépondérante, sont donc ici
appelés, via la transécriture, afin de se mêler et de s'affirmer les unes à travers et
avec les autres.
Ainsi, afin de montrer l’intention de modernité dans la littérature contemporaine,
serons-nous amenés à examiner de près quelques traits narratologiques de l'œuvre de
Yasmina KHADRA L'attentat, à savoir le personnage, la description et la
focalisation, de façon comparatiste à travers ses transpositions en plusieurs médias,
afin de distinguer les traits qui définissent la port-poétique. Bien des choses restent à
analyser tels que le système de valeurs véhiculé ; la faute morale, entre responsabilité
et solidarité et dilemme de l'engagement dans le conflit israélo-palestinien entre les
deux hémisphères Orient et Occident. Sans omettre l'étude de la chute, du
basculement et de la fin tragique du protagoniste.

115
PARTIE DEUXIÈME :

L’EFFET DE LA TRANSÉCRITURE SUR

LE ROMAN L'ATTENTAT
Afin de contextualiser les parutions des œuvres de notre corpus, nous dirons que
le roman de Yasmina KHADRA et ses différentes transécritures se situent dans une
logique d'enchevêtrement permanent, entre les phénomènes de mondialisation, de
guerres économiques désignant la concurrence mercantile exacerbée entre nations,
d'affrontement de civilisations, dans lequel le substrat religieux tient une place
centrale. À l'exception des écarts d'ordre interne, identifiés et expliqués dans la partie
précédente, les différentes transmutations de notre corpus représentent au même titre
que le texte source une structure narrative linéaire. Néanmoins, afin de déceler ces
écarts, dans cette partie, nous prendrons appui sur trois axes essentiels.
De prime abord, la narratologie qui se montrera associée à l'esthétique de la mise
en scène et de l'image, de la représentation de la narration en actes, à travers des
personnages incarnés par des acteurs, ou encore des profils figurés par le biais de la
graphiation. Nous partirons d'une narratologie qui tient compte des aspects textuels,
et s'interroger sur les possibilités de l'adapter sur les autres supports, à savoir le
scénario filmique, le texte théâtral et le roman graphique. Cette approche
narratologique, proposerait-elle une nouvelle façon d'aborder ces supports ?
Soulignerait-elle une certaine interdépendance entre le roman de Yasmina KHADRA
et ses différentes transécritures ?
Le deuxième axe, l'éthique, est une autre notion clé de notre travail ; du grec
signifiant moral et provenant d'un mot se traduisant par : mœurs, habitude. C'est bien
dans cette optique que notre corpus se déploie pour explorer la réalité controversée et
opaque de l'existence. Cette problématique de la répercussion de la transécriture sur
l'ensemble des œuvres traitées dans ce travail, quant à chacune des éthiques
particulières présentes dans les différentes transmutations de L'attentat, est mise en
évidence notamment. La philosophie de la morale et des valeurs se verra mettre alors
en conjonction avec le texte littéraire et se montrera sous plusieurs notions
complexes tels que l'engagement, la conscience, la victimisation, etc.
Le dernier axe se permettra de fournir des regards propres à chaque
auteur/adaptateur au sujet de la chute. Il mettra en évidence la structuration de la
chute dans L'attentat de Yasmina KHADRA, Ziad DOUEIRI, Loïc DAUVILLIER et
enfin Franck BERTHIER. Ce corpus ne fait pas uniquement écho au scénario
mythique de la chute mais aussi à celui d'une chute psychologique étant déterminée
par une sorte de fatalité abyssale due au choc émotionnel, à celui de l'apocalypse à
travers laquelle est représenté le mal dans le monde.

117
C'est de ces trois chapitres que nous rendrons compte de cette insertion de la
transécriture dans, ou à travers, la littérature. Il sera toutefois question de montrer à
travers une étude comparative comment L'attentat se déploie via les autres supports
médiatiques. La réécriture de L'attentat nous mènera à comprendre comment cette
œuvre initiale enveloppe en son sein une multitude de codes éthiques et interpelle les
interprétations de divers horizons pertinents. Or, l'entrelacement d'un grand nombre
d'éléments distincts et de genres qui se superposent et se transforment deviendrait-il
un espace d'hybridité, voire une essence post-poétique ?

118
CHAPITRE PREMIER :

ÉTUDE NARRATOLOGIQUE

(PERSONNAGE, PERSPECTIVE NARRATIVE

ET DESCRIPTION)
L'ouvrage romanesque de Yasmina KHADRA L'attentat tient à la catégorie des
romans consacrés au dialogue opposant l'Orient et l'Occident, une représentation de
la société actuelle. Et les œuvres ; filmique, théâtrale et bédéique, fondées sur ce
dernier ouvrent des catégories artistiques et médiatiques spécifiques. Malgré les
écarts significatifs cités supra, les trois adaptations représentent, au même titre que
le texte d'origine, une brillante description de la chute, comme les
auteurs/adaptateurs de cette compilation se sont brillamment assigné la tâche de
sensibiliser le lecteur/spectateur sur les sujets universels de l'identité, de la guerre
juste, du rôle de la femme dans la société actuelle, du point de vue éthique et
axiologique.
Le présent chapitre sera principalement axé sur les notions de narration de
l'œuvre source, à savoir le personnage, le cadre de la description ainsi que la
focalisation, et leur transposition dans des formats cinématographique, scénique et
graphique, tout en expliquant les conversions qui sont survenues lors de leur
adaptation, en s'appuyant sur les ouvrages théoriques de Gérard GENETTE, Jean-
Marie CLERC, Jacques AUMONT et Michel MARIE en matière de cinéma,
également Michel PRUNER pour ce qui est des études théâtrales.
La transécriture d'un texte littérature implique des choix techniques qui
engendrent un résultat particulier quant à la représentation scénique de l'histoire.
C'est ainsi que l'adaptation de l'œuvre de Yasmina KHADRA L'attentat en texte
cinématographique construit des scènes interprétées par une matière scénique et
sonore, sans omettre le décore et les costumes, via des images, des couleurs, mais ces
différentes reformulations délaissent bien d'autre éléments, notamment la consistance
de la matière verbale traitée préalablement dans la première partie. Quant à la
question soulevée dans le présent chapitre, ayant trait à la science du récit, est la
suivante : la narratologie, serait-elle commodément applicable sur l'ensemble de
notre corpus ?

I - Les différentes représentations du personnage Amine Jaafari


I.1 Le personnage romanesque
Le roman de Yasmina KHADRA L'attentat est bâti sur un dispositif narratif
extrêmement complexe, et afin de connaître le degré de précision de la diégèse et
l'exactitude des informations véhiculées dans le récit sollicitent fortement la fonction

120
du narrateur, et, ou des personnages. Le narrateur est incarné dans ce roman par
Amine JAAFARI, un narrateur homodiégétique - un narrateur personnage et acteur
dans l'histoire qu'il raconte – dont la femme est une kamikaze, « Il s'agit d'une femme
au-dessus de tout soupçon, qui cachait tellement bien son jeu » (P.93). Et de tout
l'ensemble des personnages du roman, nous choisissons ces deux derniers autour
desquels gravite la narration.
Tous deux ayant une identité mise en évidence par un nom, une situation sociale,
un passé, une origine et éventuellement des convictions religieuses, et en les situant
dans un cadre spatio-temporel bien déterminé. Sans omettre l'aspect psychologique,
intellectuel et idéologique perpétué à travers les aspirations d'Amine JAAFARI, ses
aversions, attitudes, pulsions, connaissances, valeurs et moralité.
Le narrateur Amine JAAFARI, un médecin d'origine arabe naturalisé israélien qui
quitte son pays d'origine pour s'installer à Tel-Aviv avec sa femme, Sihem JAAFARI,
qu'il aime sincèrement. Aux convictions humanistes, il exerce son métier avec
passion, jusqu'au jour où son destin bascule et tout s'anéantit, principalement quand
on dévoile à Amine que Sihem est la kamikaze, qui a dissimulé la bombe sous des
habits de grossesse. À cet effet, le protagoniste se trouve confronté au racisme, à des
incertitudes, à un conflit qui le dépasse. Toutes ces circonstances l'entraînent à
chercher les raisons qui ont poussé sa femme à commettre ce geste aussi désespéré.
À travers une quête, à laquelle il ne survit pas et le mène vers son destin tragique, le
récit est savamment construit sur l'art du rebondissement, de la surprise et de la
chute.
L'auteur laisse subsister le mystère quant au personnage féminin Sihem
JAAFARI, qui a secrètement intégré les rangs d'un mouvement de résistance
Djihadiste et a agi sans que l'on dévoile aux lecteurs ses raisons. Il ne l'éclaire pas de
l'intérieur et la présente sans procédés physiques ou moraux. L'unique portrait nous
est véhiculé par le narrateur qu'elle est « Orpheline de mère à dix-huit ans, morte
d'un cancer, et de père, disparu dans un accident de la route quelques années plus
tard. » (P. 27) Ce qui provoque tout au long de la trame narrative l'intérêt de
l'inattendu. Autrement, ce personnage qui n'a pas un caractère, une essence, mais se

121
fait, ou a un devenir231 ; en choisissant la mort, en se sacrifiant à une cause
particulière.
Après avoir identifié la personne à l'origine de cet attentat, le récit bifurque sur
cet intérêt qu'on hésite à qualifier, dont le narrateur Amine JAAFARI ne sait s'il doit
s'en méfier ou y consentir, s'en féliciter ou en avoir honte. Ainsi, ne cesse-t-il de
remettre en cause ce fait :

Comment, […] un être ordinaire, sain de corps et d'esprit, décide-t-il, au détour d'un
fantasme ou d'une hallucination, de se croire investi d'une mission divine, de renoncer
à ses rêves et à ses ambitions pour s'infliger une mort atroce au beau milieu de ce que
la barbarie a de pire ? (P. 95)

Et ce questionnement est largement partagé entre les personnages des deux


communautés, arabe et juive, quand ils se croisent, s'ils n'ont que cette histoire à
ressasser et réévaluer la conduite de Sihem afin de voir si l'on a quelque chose à lui
reprocher ou non, tout en essayant de s'abstenir devant la mine attristée de leur ami.
D'un point de vue terminologique, cette catégorie de personnage est notamment
plus susceptible d'être rapproché, selon la poétique sémiologique établie par Philippe
HAMON, au personnage-anaphore ; qui a pour fonction d'assurer la cohérence et
l'organisation du récit grâce à son jeu d'appels ou de rappels et qui interprète les
événements narratifs et les indices. Dans la théorie de RASTER, ce type de
personnage, nommé un agoniste, « est un acteur de niveau hiérarchiquement
supérieur qui subsume, englobe au moins deux acteurs ayant des rôles identiques ou
similaires.»232
De ce fait, ce couple incarne deux façons radicalement opposées d'appréhender
le conflit qui oppose palestiniens et israéliens, il n'est pas dévoué à une cause
commune, ni porteur d'une ambition collective partagée. Le suicide de Sihem incarne
l'aboutissement d'un plan stratégique élaboré qui est aux antipodes même des
conceptions et des valeurs que son mari entend promouvoir. Les rapports qu'ils ont
entre eux témoignent néanmoins d'un système contraste et incompréhensible qui

231
Les romanciers américains de l'entre-deux-guerres tels Hemingway et Steinbeck et les
partisans du Nouveau Roman poussent cette attitude à l'extrême, et réduisent même parfois
le personnage à un regard (cf. La Jalousie), Une voix (Ex Beckett). In BÉNAC Henri, Guide
des idées littéraires, 1988.
232
HÉBERT Louis, Introduction à l'analyse des textes littéraires : 41 approches, Québec,
2017, p. 166.

122
brouille le lecteur ainsi que la plupart des personnages à lever cette incompréhension
à cause d'un manque de connaissances.
Le récit qu'il nous livre est en fait le récit de son vécu après la mort
intentionnelle de sa femme, tout en ignorant s'il le tient à l'oral, ou à l'écrit. Un récit
des impressions que l'attentat lui a laissé, des sentiments que cette affaire lui laisse
encore. Par moments, il raconte sur plusieurs pages d'affilée sa propre vision des
faits. En alternance avec ses propres propos s'ajoute une multiplicité de voix prenant
en charge la narration, qui ajoute un élément de complexité lié à la variété des
repères temporels (avant et durant la mort du narrateur : le récit s'ouvre sur le
moment de la fin – et il est clôturé par ce même fait). Il s'agit en effet d'une
épanadiplose narrative, où l'auteur reprend la scène initiale à la fin de l'œuvre et
suggère ainsi une fermeture du récit sur lui-même. Yasmina KHADRA opte donc
pour une fin ouverte qui annonce le début d'un autre conflit, un autre attentat.

I.2 Le personnage filmique


De prime abord, l'adaptation de L'attentat au cinéma par Ziad DOUEIRI fait
face à un nombre de défis d'ordre pratique, parce que le texte source ne décrit pas le
physique des personnages, de plus leur caractère est présenté comme complexe, voire
ambigu au cours de l'histoire. Cependant, la distribution des rôles dans ce film n'est
pas du tout une tâche aisée. Il s'agit à cet effet d'attribuer les rôles respectivement aux
personnes qui ont le profil adéquat pour les interpréter, et qui répondent
principalement aux critères de sélection du réalisateur. Ce film évite donc des acteurs
au physique fortement connoté, et leur préfère des acteurs d'apparence plus neutre ou
plus polyvalente.
Avant de passer à l'étude du personnage principal, il convient d'établir d'emblée
les données concernant la distribution des rôles dans ce film, qui se répartit comme
suit (avec la modification des prénoms de quelques personnages) :
Tableau 2 : Comparaison entre les personnages du roman et du film
Personnages du roman Personnages du film Acteurs

Sihem JAAFARI Sihem JAAFARI Reymonde AMSELLEM

Amine JAAFARI Amine JAAFARI Ali SULIMAN

Kim YEHUDA (la collègue Kim YEHUDA (la collègue Evgenia DODINA
de d'Amine) de d'Amine)

123
Naveed RÖNNEN (l'ami Raveed Dvir BENEDEK
d'Amine)

Le capitaine Moshé Le capitaine Moshé Uri GAVRIEL

Docteur Ilan ROSS Docteur Ilan ROSS Vladimir FRIEDMAN

Ezra BENHAÏM (directeur Ezra BENHAÏM (directeur Ezra DAGAN


de l'hôpital) de l'hôpital)

Leila (la sœur de lait Leila (la sœur de lait Nisrin SIKSIK
d'Amine) d'Amine)

Adel (le neveu d'Amine) Adel (le neveu d'Amine) Karim SALEH

Yasser Yasser Basem LULU

Cheikh Marwan Cheikh Marwan Hussein Yassin MAHAJNE

Contrairement au roman, le film ne se concentre pas uniquement sur le


personnage principal Amine JAAFARI, même si DOUEIRI transpose l'évolution
morale de ce dernier, incarné par l'acteur palestinien de nationalité israélienne Ali
SULIMAN. Il le met en parallèle avec celui du personnage féminin Sihem.
Cependant, Comment se manifeste le narrateur dans le récit filmique, et quelle
relation l'unit avec les divers personnages évidents ?
À ce niveau, nous ne disposons pas d'une méthode générale pour l'analyse des
films en termes de voix narratives. Nous nous référons aux études proposées par la
narratologie littéraire, en se concentrant délibérément sur le mécanisme de narration
homodiégétique, identique au niveau diégétique de l'œuvre source. Autrement dit, le
personnage Amine JAAFARI dans le film a les fonctions du narrateur
homodiégétique (un simple témoin de l'histoire qu'il raconte), mais très loin d'être
autodiégétique (quand le narrateur est en même temps protagoniste de l'histoire qu'il
raconte), parce qu'il fait partie intégrante du monde fictif qu'il décrit, mais ne
constitue pas pour autant le rôle du personnage principal.
Il est vrai que la fiction dans le récit filmique n'est pas assurée uniquement par le
personnage Amine, mais également par et sa femme Sihem qui hante son cœur et son
esprit. Parce qu'elle ne disparaît pas définitivement même après l'événement
suicidaire, un héros (une héroïne) ne meurt pas au cinéma à la dixième minute,

124
l'assurance de sa présence tisse ainsi le fil ininterrompu de la diégèse. Les deux
représentent présentement l'effigie d'une même pièce. C'est en effet eux qui, de façon
implicite mais efficace, mettent en rapport, pendant toute la durée du film, des
fragments, des causes de l'attentat et donnent de la signification à la fiction.
Figure 5
Sur la face primaire de la jaquette se tient la
kamikaze seule, aux yeux cachés par un ruban rouge
sur lequel est porté le titre du film, et le cadrage est
assez serré, mettant parfaitement au centre du visuel
la bombe dissimulée sous ses habits de grossesse,
dans un décor aussi glaçant qu'exacerbé.

Figure 6
La face secondaire assemble les deux
personnages, Amine JAAFARI et Sihem, pris dans un
plan américain. Pris probablement le matin à
l'extérieur, à droite Amine JAAFARI et à gauche nous
devinons l'allure de l'actrice Reymonde
AMSELLEM incarnant Sihem.

Toutefois, dans l'étude de l'enchaînement séquentiel, c'est par le personnage


féminin Sihem la kamikaze que commence la lecture du film avec la mise en place du
dispositif technique de la « voix intérieure », énoncée par la voix de Sihem alternée
par celle de son mari. L'usage de ce dispositif par le réalisateur n'est néanmoins pas
sans aucun intérêt, car sa signification est en relation directe avec la diégèse. De plus,
ce qui compte ce n'est pas la manifestation de ses actes et déplacements sur la scène,
mais plutôt ses pensées qui sont presque inaccessible dans le texte. À vrai dire, ce
monologue intérieur facilite à l'adaptateur/réalisateur l'expression des pensées des
personnages, et Ziad DOUEIRI l'utilise au moment de la première séquence lorsque
Sihem fait ses adieux à Amine le jour de son départ.

125
I.3 Le personnage théâtral
Le processus de mutation de L'attentat en pièce de théâtre se trouve confronté
également à de nombreux défis. Le premier réside dans le fait que la logique interne
du champ théâtral se caractérise par l'absence du narrateur, notamment ses
commentaires, de la trame narrative et des descriptions. Ainsi, la difficulté du texte
théâtral sur le texte narratif pose-elle le problème de savoir qui prend en charge la
narration, du moins implicitement au problème de focalisation.
À la différence des deux premières œuvres, le scénariste Franck BERTHIER au
lieu de concentrer l'intrigue de la pièce sur l'enquête menée par Amine et sa quête
absolue de la vérité afin de comprendre ce qui est arrivé à sa femme, la mise en scène
met réellement l'accent sur son intérêt et sa relation avec son amie Kim YEHUDA,
incarnée par la comédienne Magalie GENOUD, un personnage au rôle secondaire
qui, au fil de la trame narrative, prend le dessus. Il lui procure en l'occurrence une
place aussi importante que celle du personnage principal Amine JAAFARI. L'attentat-
suicide et son auteure, Sihem JAAFARI ne constitue présentement qu'une toile de
fond. Car, il existe dans le texte théâtral cent vingt-cinq occurrences qui témoigne de
la prédominance de Kim tant au niveau de la discursivité que celui du jeu scénique,
en comparaison avec Sihem qui ne présente que cinquante-cinq occurrences.
La caractérisation d'un personnage d'une pièce de théâtre, comme celle d'un
roman, se constitue sur pareil système organisé de concordances et d'oppositions. Tel
est le cas de chaque constellation de personnages théâtraux qui « s'inscrivent à
l'intérieur d'un microcosme structuré dont ils sont interdépendants. […] Les
ressemblances et les oppositions existant entre eux mettent en évidence
l'organisation de constellations, pour reprendre le terme de R. Monod, qui suggère
la place de chacun à l'intérieur de la pièce. »233
Nous constatons notamment ces défis lorsque nous comparons le texte de
BERTHIER avec celui de KHADRA ; prenant un dialogue dans L'attentat la pièce
de théâtre où Bruno PUTZULU incarnant Amine JAAFARI joue nombre de fois en
aparté. Une forme pareille est relativement simple comme toute autre situation
narrative, reposant sur un dispositif élémentaire lui permettant de se réapproprier la
notoriété du narrateur. Ces répliques prononcées par ce personnage représentent l'un

233
PRUNER Michel, L'analyse du texte de théâtre 2ème édition, Éditions Armand Colin,
Paris, 2010, p. 78.

126
des caractères essentiels de l'art de la scène, telles que nous les observons dans le
texte théâtral :

AMINE, aparté, se tourne vers elle qui ne l’entend pas.


Tu penses vraiment que Sihem aurait pu se faire exploser au milieu d'un restaurant
rempli de gamins ?...
Impossible de lui demander cela. Je voudrais qu’elle se taise… Je ne supporte plus sa
pitié.
KIM
Je sors faire des courses. (Elle sort.)
AMINE, à Kim.
Prends des cigarettes ! Et éteins la lumière ! (Aparté.) Un mur de silence entre nous.
Quand elle vient voir si je dors, je ferme les yeux. J’ai fait enterrer Sihem à Tel-Aviv.
Je n’ai rien dit à Kim. Il n’y avait que moi, le fossoyeur et l’imam. Ils ont empoché
mes billets sans un mot, puis ils ont disparu. Lorsque le fossoyeur a jeté la dernière
pelletée de terre, je me suis senti soulagé. (P.12)

Au-delà de la tragédie d'Amine, la pièce de théâtre dresse un état des lieux qui
devra éclairai davantage la question politique israélo-palestinienne. Et ce à travers le
discours des personnages féminins Kim et Leila. Kim, ce personnage féminin, c'est au
niveau de la pièce qui est le plus manifeste. Elle partage avec le protagoniste une
réelle complicité, voire une certaine tendresse, et veille sur lui lors de ses
déplacements pour mener son enquête. Elle joue un rôle de protectrice et le sauve
plus d'une fois. De conviction juive, elle témoigne d'une amitié et d'un dialogue
possible entre les deux communautés, et ne sombre jamais dans le racisme,
contrairement à d'autres personnages. Or, le discours de Leila, la sœur de lait
d'Amine, entend promouvoir et soutenir la voix de la Palestine.
De plus les deux captures ci-dessus font ressortir ces deux figures féminines Kim
et Leila sous deux décors manifestement distincts, représentant de la sorte les deux
univers d'Amine, où le spectateur est alternativement balancé entre des thèmes
récurrents sous forme de dyades : modernité et tradition, civilisation et nomadisme,
vie et mort, exil et retour, identité et bâtardise, opposition et harmonie, conflit et
réconciliation, Orient et Occident. Des thèmes universels qui dépassent de loin le
seul problème de la quête de la vérité mais qui tendent plutôt vers la difficulté à
reconnaître l'Autre.

127
Figure 1 : Amine en présence de Kim Figure 2 : Amine en présence de Leila
Cette analyse des images de L'attentat dont nous n'avons résumé que la première
partie est pleinement une analyse des paramètres constitutifs de l'image de ce
spectacle, et qui ne s'inscrit pas dans le cadre du texte théâtral écrit, mais ajoute,
voire offre une extension significative au texte d'origine.

I.4 Le personnage du roman graphique


En comparaison avec les adaptations antérieures, nous considérons que la
transposition de L'attentat en roman graphique s'est tout de même bien imprégné du
roman d'origine, et son scénariste Loïc DAUVILLIER en partenariat avec
l'illustrateur Glen CHAPRON s'en sont approchés le plus possible, comme l'assure
DAUVILLIER, lors d'une interview :

Il y avait dans le roman L'attentat, tous les éléments pour me séduire. C'est un livre où
l'humain est au cœur du récit. J'ai énormément apprécié la manière dont Yasmina
KHADRA aborde le conflit palestino-israélien. Il dresse un constat et invite le lecteur
à s'interroger sur la situation. Il n'apporte pas de réponses, il provoque des questions.
Je me reconnais dans cette démarche. 234

Le personnage principal de cet album est sans doute Amine JAAFARI, car son
portrait occupe la majeure partie des planches. Or, pour ce qui est de sa mise en
œuvre, CHAPRON a fait appel à une variété de type de caractères : Amine JAAFARI
d'une stature similaire à celle du personnage filmique, d'expressions sérieuses. En
transposant ce récit dans des répliques courtes sur l'attraction qu'exerce
l'incompréhension de l'attentat-suicide, leur dialogue manifestement concis est limité
au nécessaire. Quant aux personnages secondaires, ils sont en même temps
psychologiquement et physiquement crédibles grâce à l'harmonie créée entre leur

234
À la question « Qu'est-ce qui vous a motivé à adopter l'œuvre de Yasmina Khadra ? »,
Loïc DAUVILLIER répond au chroniqueur Didier Pasamonik de la revue ActuaBD,
disponible en ligne sur le site : https://www.actuabd.com/Loic-Dauvillier-L-Attentat-Il-y

128
attitude expressive et leur façon d'agir via un graphisme immergé de couleurs
chaudes afin d'accentuer davantage l'intensité dramatique du récit.
Dès lors, pour se faire, c'est en effet l'image qui est au service de la narration. La
mise en place de cette œuvre littéraire à travers ce médium requière en effet des
techniques faisant appel au graphisme comme moyen de narration. L'imbrication du
décor environnant et des couleurs chaudes, comme l'illustre le plan suivant,
représentent le protagoniste vu de près, de loin, ou encore en mouvement, ayant
essentiellement une valeur psychologique et expressive attrayante. Ainsi, les deux
collaborateurs, avec une synthèse d'image à dominance rapprochées, ont-ils réussi à
condenser la masse textuelle et à mettre en relief les sentiments d'Amine JAAFARI en
faisant moduler l'intensité tragique de chaque scène.

Figure 7 : Ces plans rapprochés nous montrent le protagoniste en pleine action.

À partir de ce roman graphique nous apercevons que Loïc DAUVILLIER et


Glen CHAPRON ont déjà pris parti pour un graphisme réduit correspondant
particulièrement à l'esprit du personnage principal Amine JAAFARI, sa propre
personnalité, son attitude physique effacée, insouciante même, lors de sa quête étant
sans cesse en mouvement, permettant de la sorte son évolution dans la narration par
l'enchaînement successif des images. De ce qui précède, il ressort que les plans dans
L'attentat cadrent les personnages, notamment Amine JAAFARI, dans des plans
principalement rapprochés, si ce n'est pour renforcer le décor. Cet album ne contient
pas forcement une grande variété de plans, aussi leur disposition est invariable
quelques fois, correspondant à l'esprit et le contenu du récit.

II - La perspective narrative
Dans l'étude du texte narratif, outre les questions de voix, il convient de
considérer également les questions de mode qui concernent les procédés de
régulations de l'information narrative, ce que GENETTE appelle la focalisation.

129
Autrement dit, la notion de mode fonctionne selon Oswald DUCROT sous deux
aspects :

Le premier concerne la qualité d'information transmise et est lié à la distinction


traditionnelle entre diégésis (récit pur) et mimésis (représentation scénique, et
notamment représentation de paroles) ; le deuxième concerne ce qu'on appelle
couramment le point de vue, c'est-à-dire la perspective à partir de laquelle les
événements narrés sont perçues.235

Une distinction s'impose entre l'organisateur du récit et le point de vue adopté


par le narrateur, parce qu'il n'est pas nécessairement celui qui perçoit. C'est en effet à
travers cette perspective narrative (qui perçoit dans le récit) que nous abordons notre
corpus. L'usage de la focalisation, ou du point de vue adopté par le narrateur dans un
récit varie selon les théoriciens, et parmi les multiples modèles proposés236, nous
nous référons à celui de Gérard GENETTE. Le tableau suivant présente les
distinctions proposées quant à la perspective narrative dans un récit, étudié par de
nombreux critiques :
Tableau 3 : Différentes distinctions de champs de vision dans un récit237

G. GENETTE T. TODOROV Critique anglo- J. POUILLON


saxonne

Récit non focalisé Narrateur > Le récit à narrateur Vision « par


ou à focalisation Personnage omniscient derrière »
zéro

Focalisation Narrateur = Le récit à « point Vision « avec »


interne (fixe, Personnage de vue » (récit « à champ
variable ou restreint » Blin)
multiple)

Focalisation Narrateur < Le récit objectif Vision « du dehors

235
DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean Marie, Nouveau dictionnaire encyclopédique
des sciences du langage, Éditions Seuil, Paris, 1995, p. 716.
236
Parmi les modèles d'analyse les plus influents concernant la science du récit, il existe les
travaux de N. Friedman « Point of view in fiction. The development of a critical concept »
(1955), Stanzel Théorie des Erzahlens (1978), Gérard Genette Figures III (1972), Nouveau
discours du récit (1983), Fiction et dicton (1991), M. Bal Narratologie (1977), Dirrt Cohn «
Signposts of fictionality : a narratological perspective » (1990).
237
ACHOUR Christiane et REZZOUG Simone, Convergences critiques. Introduction à la
lecture du littéraire, Éditions OPU, Alger, 2005, p. 198.

130
externe Personnage »

En réponse à la question soulevée dans cette partie de notre travail : comment


peut-on déterminer « qui perçoit » dans le récit de L'attentat et à travers ses multiples
adaptations ? Nous reprenons pour plus de clarté la perspective narratologique la
plus récente proposée par Gérard GENETTE.

II.1 La restriction de la voix narrative


Un récit à la première personne, L'attentat transmet manifestement l'information
au lecteur via le narrateur Amine JAAFARI, qui se positionne cependant, quant à
l'acte narratif, à un palier appelé niveau intradiégétique. Or, celui qui raconte n'est
pas nécessairement celui qui perçoit, et afin de le déceler il convient de distinguer
d'une part le regard porté sur l'objet du récit, ou encore nommé le focalisé ; l'attentat-
suicide et son auteure Sihem JAAFARI, par ailleurs, le(s) personnage(s) focalisant(s).
Le récit nous semble à première vue en focalisation interne ; une technique
narrative qui détermine un récit dans lequel le narrateur adopte le point de vue des
personnages. De fait, le protagoniste ne constitue nullement l'unique personnage
détenteur de champ de vision dans le récit. En essayant de comprendre le geste de
Sihem, Amine JAAFARI entreprend une enquête à travers laquelle il se réfère d'une
grande part aux points de vue des autres personnages, à de multiple focalisateurs.
Incontestablement, tout ce qui lui est parvenu comme information sur les
événements, voire sur la vie de sa femme, est dévoilé à travers leur discours rapporté,
sous forme dialoguée. Ce précepte de la logique narrative mérite bien d'être illustré :

131
[…] — Le capitaine Moshé : le chauffeur de l'autocar a formellement identifié votre
épouse, docteur. Il l'a tout de suite reconnue sur la photo. Il a dit qu'effectivement elle
était montée à bord de son bus en partance pour Nazareth, le mercredi à 8 h 15. Mais
qu'au sortir de Tel-Aviv, à moins de vingt kilomètres de la gare routière, elle avait
demandé à descendre, prétextant une urgence. […] (P.50)
—Leila […] J'ai appris la nouvelle de l'attentat dans la voiture qui me ramenait à la
maison. (P.115)
— Yasser […] Ce n'est qu'après avoir trouvé sa photo sur le journal qu'on a compris.
— Cheick Marwan personnellement, je n'ai pas connu ta femme. Elle n'agissait pas
sous notre bannière, mais nous avons apprécié son geste. […] Ce qu'elle nous a offert,
par son sacrifice, nous réconforte et nous instruit. (P.156-157)
— Adel […] Je ne voulais pas qu'elle aille se faire exploser, mais elle était déterminée.
Elle a dit qu'elle était palestinienne à part entière et qu'elle ne voyait pas pourquoi elle
laisserait d'autres faire ce qu'elle devait faire. Je te jure qu'elle ne voulait rien entendre.
Nous lui avions dit qu'elle nous était plus utile vivante que morte. Elle nous aidait
beau coup à Tel-Aviv. Nos principales réunions, nous les tenions dans ta maison. […]
Sihem mettait son compte bancaire à notre disposition ; nous y versions l'argent de la
Cause. Elle était la cheville ouvrière de notre section à Tel-Aviv … (P.214-215)

D'autre part, dans le récit, à travers un autre procédé narratif, Amine dans un
discours indirect libre, qui fonctionne de pair avec la perception interne dans ce cas
de figure, dévoile comment la nouvelle est parvenue à Jamil, son cousin habitant
Ramallah, « Il sait pour Sihem. Yasser lui a raconté […] » (P.200) C'est précisément
par recours à cette double orientation qui en fait une technique narrative favorisée par
le récit intradiégétique à focalisation interne, tout en étant à la fois variable où l'on
passe d'Amine au capitaine Moshé, de Yasser à Jamil, de Kim à Naveed, pour revenir
à Amine, et multiple parce que le même événement est raconté moult fois selon les
champs de vision de personnages différents.
Nonobstant cette constatation, la perception adoptée dans L'attentat admet
notamment des vacillations dans la narration. Une focalisation d'abord interne,
puisqu'elle ne dépend plus d'un seul personnage mais de tous les autres en vertu
desquels les événements sont perçus diversement. En revanche, d'autres passages du
récit, quoique moindre, montrent que le narrateur en sait plus que tous les autres
personnages focalisants, concentré sur son propre discours, il use quelques fois de
son privilège de narrateur omniscient, il perçoit leurs sentiments, comme il est
capable de percevoir leurs gestes.
Kim avait sûrement une idée derrière la tête […]. Maintenant, elle semble l'avoir
perdu de vue. (P.107) Je sais qu'il a dit ça pour me ménager […]. (P.121)
Naveed semble ne pas savoir par où commencer. Son embarras stimule celui du
docteur Ros qui se met à se trémousser de façon déplaisante. (P.32)

Dans cette œuvre morcelée, KHADRA multiplie les personnages dont il raconte
une expérience ou un épisode de la vie entre deux camps. Pour témoigner, il a eu

132
recourt aussi aux ressources de la fiction. La construction du récit est centrée sur
l'instant, sur l'événement raconté, tout se passe comme si l'attentat-suicide avait
contaminé toute la communauté du récit.
L'intégration du protagoniste Amine JAAFARI dans le récit comme étant un
narrateur homodiégétique, usant d'une narration simultanée et d'une perspective
narrative majoritairement à focalisation interne, et dont les propos sont
principalement rapportés, rarement transposés, tend justement vers l'incrédibilité de
l'histoire. Car, les passages ci-dessus, où les opinions sont fortement diffuses,
enferment les personnages dans une sorte d'huis-clos, à travers le jeu de la perception
interne. Le choix de ce type de focalisation permet au narrateur de rapporter tout ce
que les personnages perçoivent, mais ce sont des points de vue qui s'accompagnent
de ce que GENETTE nomme « la dissimulation délibérée d'informations pertinentes
»238, fondamentale au lecteur afin de pouvoir interpréter le récit, ou de manière à
verser totalement son jugement moral. L'utilisation de ces procédés narratologiques
contribue en effet à y mêler le lecteur, ainsi faire de lui une partie intégrante dans
l'histoire, voire à en témoigner.

II.2 L'ocularisation dans L'attentat de DOUEIRI


Pour rendre compte de la complexité des relations relevant du savoir perceptif du
narrateur et des personnages dans un récit filmique, les narratologues du cinéma239
ont adopté la terminologie genettienne en ajoutant à la notion de focalisation celle
d'ocularisation240. Un précepte qui « met en jeu ce que voit la caméra en rapportant
à ce que peut voire (ou non) un personnage (c'est une façon de décrire plus
abstraitement la "subjectivation" des cadrages, le fait qu'ils répondent au point de
vue occupé par un personnage, […]. »241 Car, au cinéma, le point de vue est
nettement plus complexe dans la mesure où il mobilise à la fois plusieurs niveaux
narratifs : l'image, la parole, le montage. Ils ont, la plupart du temps, une fonction

238
VAN MONTFRANS Manet, George Perec. La contrainte du réel, Éditions Rodopi,
Amsterdam, 1999, p. 93.
239
Christian METZ, André GAUDREAULT, André GARDIE, Garcia Alain, Jacques
AUMONT, Michel MARIE, et François JOST entre autres.
240
Ce néologisme a été proposé par François JOST en 1987, qui se complète de la notion
parallèle d'auricularisation ; combinant l'écoute et l'audition des personnages.
241
AUMONT Jacques, MARIE Michel, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, Paris,
Éditions Nathan, 2004, p. 145.

133
narrative, et leur changement correspond à un changement d'angle de vue pour guider
de spectateur.
Analyser L'attentat en termes d'ocularisation, ou, ce qui revient de même, de
regards, consiste en un relevé systématique de points de vue de l'instante narrative et
ceux des divers personnages. Or, l'un comme l'autre présente, bien entendu, des
obstacles : la voix intérieure d'un personnage est nettement moins définie dans un
film que dans un roman, dans la mesure où il montre plus aisément des actions
qu'une intériorité. Dans cette perspective, la transécriture de L'attentat en film
affecte-t-elle réellement l'angle de vue et le savoir des personnages du texte source ?
Premier écart auquel nous faisons face, est celui de l'absence du narrateur dans le
film, et ce à travers le monologue autonome242 qui recouvre une majeure partie de la
narration du roman, se trouve en l'occurrence complètement absent dans le film. Or,
le cinéma dispose de différents moyens qui assurent la narration et peuvent par
conséquent remplacer le narrateur, à savoir la disposition de la caméra et son
mouvement, du cadrage, des plans, et des divers axes de prise de vue. À cette fin, en
guise d'exemple, nous examinons les fragments les plus pertinents, à travers la
caméra qui participe dans l'instauration de la vision et du savoir des personnages,
exécutés par les angles de prises de vues énumérés comme suit : angle normal,
nommé neutre également, plongée, contre plongée, plan oblique, et finalement
champ et contre-champ. Et les illustrations ci-dessous les représentent
respectivement dans un cadrage qui varie entre plan taille, plan rapproché (ou
poitrine) ou encore gros plan, associant notamment les axes champ et contre-
champ243 :

242
DELCROIX Maurice & HALLYN Fernand (dir.), Introduction aux textes littéraires,
Éditions Boeck, Paris, 1995, p. 181.
243
La technique la plus utilisée pour filmer les dialogues, définie comme une « Alternance
de deux champs diamétralement opposés. […] généralement utilisée dans un dialogue
lorsque la caméra prend la place de l'interprète qui ne parle pas.» In Dictionnaire général
du cinéma : du cinématographe à Internet : art, technique, industrie Éditions Fides, Québec,
2007.

134
Angle neutre I : est un angle de prise de vue utilisant la règle 180°244, rendant
approximativement à l'écran la vision de l'œil humain.

Angle neutre II : la pris de vue de cet angle privilégiée en montage pour les
dialogues, suppose une alternance entre champ et contre-champs, mettant en amorce
dans un premier plan Amine en présence de sa sœur de lait Leila. Le choix de cet
angle, dit de 90°, n'est pas considéré uniquement comme un choix esthétique, mais
également sémiotique parce qu'il rapproche les personnages et crée une certaine
intimité entre eux.

Plongée : une prise de vue effectuée avec l'axe de la caméra incliné vers le bas, aux
effets amoindrissant et écrasant, tend indubitablement vers le sentiment d'infériorité
et de domination. Pour une plongé, la caméra surplombe Amine JAAFARI, lui
donnant ainsi une impression de vulnérabilité, lors de l'enterrement de sa femme.

244
Une loi établie dans les années 1920 dont la conception classique n'est pas toujours
respectée formellement. « Règle qui commande de filmer deux personnes qui se font face en
contrechamp en ne dépassant pas la ligne imaginaire qui les réunit […]. On filmera donc
chacun des personnages du même côté de la ligne, pour que leur regard donne l'impression
de se croiser. […] » In Dictionnaire général du cinéma : du cinématographe à Internet : art,
technique, industrie Éditions Fides, Québec, 2007.

135
Contre plongée : une prise de vue effectuée avec l'axe de la caméra dirigé vers le
haut. Par le contre plongée, on obtient des personnages grands et plus imposants. Elle
donne un air de supériorité, Amine JAAFARI est grandi par l'image aussi bien
physiquement que psychologiquement. Employée dans les plans ci-dessus, cette
technique accentue le côté imposant d'Amine lors d'une première confrontation avec
un patient juif, la seconde devant la mosquée.

Angle ou plan oblique : angle de prise de vue qui n'est pas droit, qui est à la
verticale. Il correspond à une image en diagonale, à un plan asymétrique dans lequel
le sujet n'est pas filmé de face. Par son utilisation, le réalisateur donne une image
d'Amine, lors de son arrestation, de déséquilibre et crée un sentiment de malaise, de
fragilité, voire d'instabilité.
Le voir dans L'attentat est éminemment variable au sein même de chaque
séquence. Le choix de chaque angle de vue et les mouvements de caméras sont aussi
chargés de signification comme nous venons de le souligner. Ils contribuent dans une
large mesure à assurer non seulement l'ocularisation, mais aussi la construction
narrative. Outre les dialogues, les vives altercations entre le protagoniste et
l'ensemble des personnages, la question de l'angle de prise de vue utilisée par le
réalisateur de L'attentat opte pour des données visuelles neutres sans aucune
subjectivité, doublées d'un discours chargées d'échos qui oscillent entre eux à propos
de l'événement suicide.
En faire le critère de l'ocularisation du récit amènerait à conclure à un régime de
focalisation remarquablement interne, car l'angle qui est mis en évidence est l'angle
neutre. Amine JAAFARI en sait autant que ses personnages, et découvre les
événements en même temps qu'eux. Le spectateur ne voit que ce que les personnages
voient. Car il est bien rare que dans une séquence de ne pas trouver des dialogues,
pris en charge par ces constituants spécifiquement filmiques champ et contre-champ,
révélateurs de focalisation. Contrairement à ce que l'on pourrait croire – hormis
l'absence du narrateur les changements de quelques traits de la trame narrative – le

136
film se trouve donc en compatibilités avec le texte source, en reléguant ainsi le
conflit israélo-palestinien au second plan, et laisse une relation polémique ouverte.

II.3 Les voix didascaliques


L'analyse de L'attentat comme une œuvre mimétique est essentiellement
envisagée sous l'aspect dramatologie, en analogie avec la narratologie. Le texte de
Franck BERTHIER se présente, comme tout autre texte dramatique, sous deux
aspects distincts et indissociables : dialogue et didascalie, même s'ils constituent
qu'un trait de la réalité scénique, ils permettent néanmoins l'interprétation du texte.
Les études théâtrales ne se sont guère intéressées aux interactions entre « qui perçoit
? » et « qui parle ? » et l'adaptation de la focalisation au discours dramatique a
demeuré peu développée dans la recherche théâtrale, jusqu'à ce que Alain
RABATEL propose de nouveaux développements sur l'évolution de la dramaturgie,
en effectuant des travaux parmi les plus poussés à ce jour sur la structure dramatique,
qui n'exclut en rien le recours à la théorie genettienne, et applique ce procédé au
théâtre.
Si l'on se réfère au Dictionnaire de Patrice PAVIS, nous constatons qu'il définit
la focalisation ainsi : « Sur scène, la focalisation est souvent réalisée concrètement
en utilisant un projecteur braqué sur un personnage ou un lieu pour attirer
l'attention par effet de gros plan. »245 Cependant, penser la transécriture de
L'attentat à l'état scénique reconnaît l'existence d'un système composite, surgissant
de l'interaction de plusieurs systèmes de signes : verbal, sonore, visuel (costumes,
décor, gestes, lumières, etc.). Or, l'œuvre dramatique est irréductible à une analyse
sémiotique de la représentation scénique, parce que la structure verbale est aussi
importante que l'ensemble des facteurs scéniques, et ne peut être restreinte à un
phénomène narratif. En l'occurrence, la question qui se pose, et demeure encore
irrésolue, est celle de l'organisation de la narration « qui perçoit ? » et « qui parle ?
». Nous la trouvons dans le contrat tacitement établi entre une partie du texte, assurée
par les dialogues et les didascalies – formes essentielles de la littérature dramatique -
et facteurs techniques qui instituent une relation de représentation entre deux.
À vrai dire, toutes questions de point de vue dans cette pièce fonctionnent sur la
tension entre les actes représentatifs dialogiques étant révélateurs du savoir des

245
PAVIS Patrice, Dictionnaire du théâtre, Éditions Dunod, Paris, 1996, p. 142.

137
personnages et les didascalies représentant ainsi une instance qui parle dans la
fiction, ayant un statut hétérodiégétique, puisqu'elle ne renvoie pas aux personnages
de l'histoire. C'est ainsi que dans les exemples suivants nous pouvons lire d'emblée le
savoir des personnages à propos de l'événement catastrophique, soit à partir des
didascalies ou encore à travers leurs imbrications dans les discours :
AMINE, même jeu (en aparté)
Cela fait quatre jours qu'elle est là [Kim]. En arrivant dans le salon ce matin, la
première chose que j’ai vue c'est le visage de Sihem en première page des plus gros
quotidiens de Tel-Aviv... Les journalistes se sont jetés sur son cas comme des chiens.
(Kim se précipite sur les journaux. Il s’adresse à elle.) Ce n’est pas grave. (Elle jette
les journaux, confuse.) Cent fois j’ai voulu demander à Kim ce qu’elle pensait de
cette histoire… Si elle la croit coupable. P.12

De la même façon les didascalies, qui ont pour mission d'informer le lecteur sur
les événements hors scène, annoncent avant quelques-uns des discours :
Tableau 6 : HALL PRISON
Amine est sorti d'un interrogatoire de plus de vingt-quatre heures. Il répète en boucle
« Où est la vidéo ? La vidéo... Les kamikazes, ils vont envoyer la vidéo... Ce n'est pas
elle. Attendez la vidéo. » Le sommeil, la faim, la soif, les coups et la nausée l'ont
assommé. Naveed est à côté de lui. P.11

En même temps, dans la pièce de BERTHIER, comme dans toutes pièces, tend à
joindre deux instances ; celle de l'écriture et celle de la mise en scène. Cependant, si
la perception est prise en charge dans le texte théâtral par les indications scéniques à
l'intérieur même du texte, le corps du texte didascalique peu abondant et
majoritairement au mode indicatif, emmène en effet un univers de perception
nettement externe. L'intérêt de l'analyse du dialogue réside ainsi dans le fait que les
personnages expriment leurs points de vue, mais également se positionnent par
rapport à l'ensemble des opinions et des représentations personnelles.
La focalisation dans le texte dramatique est assurée par ce double pouvoir absolu
alliant ces représentatifs dialogiques et didascaliques. Selon lequel, considérer
l'existence de point de vue au théâtre est admissible dans le cas où ce dernier est pris
dans le sens d'opinion, où les personnages sont placés dans des situations de
confrontation, de conflit. Le tout forme un énoncé aux perceptions multiples qui
surgissent conjointement, dénotant ainsi des jugements d'ordre axiologique et
culturel afin de mieux interpréter le texte théâtral et en apportant un éclairage
nouveau à la transécriture de L'attentat.

138
II.4 Le point de vue dans l’album de DAUVILLIER
L'orientation des études littéraires vers le concept de point de vue en matière de
bande dessinée, se trouve manifestement peu répandue, contrairement au nombre
considérable de discours sur le récit romanesque et cinématographique notamment.
Toutefois, il convient dans cette partie de notre travail, d'approcher plusieurs théories
quant à « la régulation de l'information narrative »246 afin de baliser un lexique qui
permettrait un discours plus poussée dans la bande dessinée. Il s'agit principalement
d'une interaction, menée avec rigueur, entre les stratégies narratives du texte littéraire
et cinématographique, voire imagé, c'est-à-dire entre la focalisation et l'ocularisation
puisque la bande dessinée se veut un médium binaire, ayant recours à de différentes
stratégies narratives, aux usages et aux effets distincts.
Dans le but de calculer la précision du champ de vision dans cet album - dessiné
par Glen CHAPRON - nous examinons différents épisodes en relation avec chaque
angle proposé. De ce fait, notre étude s'approprie des traits propres aux théories à la
fois littéraire et cinématographiques, qui sont congruents, plus utiles et opératoires, à
savoir la question des angles de prise de vue, sous lesquelles se manifestent la
lisibilité et l'interprétation des scènes qui passe par la substitution des variations de
placement de la caméra par l'œil du lecteur ; ostensiblement identique à celui du
champ lexical cinématographique :

Angle de vue normal : Une vue dite normale, plate notamment, correspond à un
champ de vision dans lequel l'observateur et un autre (ou plusieurs) personnages
figurent sur la même ligne horizontale. En revanche, l'angle de vue dans ces mises en

246
PERRON Bernard, « La focalisation un détour pour la scénaristique », In Études
littéraires, Vol. 26, N° 2, Québec, Automne 1993, p. 27.

139
scène n'illustre aucun impact psychologique des positions dominantes ou dominées,
ce qui ne signifie pas pour autant la banalité de l'action en soi. Or, la composition des
cadres en fonction de la disposition des personnages (vus de face, de profil ou de
dos) implique en effet de manière respective ou bien un éventuel effet susceptible
d'impression, d'empathie, ou bien de l'inconnu.

Une vue en plongée : quand l'observateur est placé au-dessus, supposé être élevé
que les personnages et objets représentés dans une case qu'il observe de haut, cette
technique donne l'impression que le sujet dessiné est infériorité et écrasé, d'où l'effet
psychologique d'accablement, la solitude, la fatalité. Amine JAAFARI apparaît en
effet vulnérable, ce qui renforce la situation inconfortable de celui-ci entre les
autorités israéliennes.

Une vue en contre plongée : elle qui donne au sujet dessiné un air dominant,
supérieur, remarquable et puissant plus impressionnant que nature, est une scène vue
d'un champ d'observation plus bas que le sujet, ayant également une valeur
psychologique contraire à celle qui la précède. Le tracteur semble dans ces cases
dans une position de force voire de dominance. Le dessinateur représente également

140
cet angle de prise dans des gros plans, ce qui renforce davantage la puissance de
l'armée israélienne.

Une visée oblique : comme son nom le laisse entendre, il s'agit quant à cette
technique de pivoter l'observateur autour de son axe de prise de vue afin de parvenir
à un champ de vision en diagonal de la case, notamment pour engendrer un
déséquilibre, un espace dissymétrique aux effets de stress, tension et panique. Cette
scène dramatique, comprenant non seulement des visées obliques, mais aussi des
vues en plongée, incarne parfaitement l'hostilité et l'animosité auxquelles le
protagoniste est en butte.

Une visée subjective : comme au cinéma, nommé aussi plan subjectif ou caméra
subjective, cet angle remplace le regard d'un personnage et montre envers qui ou
quoi oriente son champ de vision, ce qui fait d'elle une visée subjective. Et seules les
visées sur Sihem ou en rapport avec cette dernière qui sont pris en charge par ce
procédé subjectif forçant ainsi l'observateur/lecteur à ne plus voir Sihem qu'à partir
de l'œil d'Amine. Aux valeurs psychologiques, cette visée constitue donc une partie
prenante de l'action du médecin pour partager ses sentiments, et traduit non
seulement son état physique, mais aussi mental et émotionnel.
En somme, ce qui recouvre la représentation de l'ocularisation dans L'attentat,
dans lequel le personnage est vu globalement de l'extérieur, est un champ de vision
externe. Ces multiples pratiques sont donc utilisées afin de mettre en exergue les jeux

141
de pouvoirs entre les personnages, une alternance entre dominants et dominés, un
type de champ de vision qui implique manifestement un effet psychologique,
particulièrement lors la chute du protagoniste. Mais, elles couvrent une large partie
de l'intérêt narratif pris en charge par des plans d'ensembles, et générales, étant
principalement des descriptions objectives, car aucune case ne représente des
récitatifs247 et à aucun moment le narrateur est identifiable dans l'histoire, ainsi
DAUVILLIER n'a nullement eu recours aux idéogrammes248 et des impressions des
personnages, hormis l'unique planche de la page 16 :

Cet album ne montre pratiquement aucune variation dans l'angle de prise de vue,
celui qui prédomine correspond à un angle de vue normal, relativement neutre. Ainsi,
pouvons-nous affirmer que l'étude des variations de la focalisation dans L'attentat
relève dans sa majorité d'une ocularisation externe, mais inclut une ocularisation
interne autour des personnages. De ce fait, L'information narrative est abordée dans
L'attentat de DAUVILLER par un angle de prise de vue externe, parce que les
personnages sont vus complètement de l'extérieur.

III - La ou les descriptions ?


Avant d'aborder la description dans L'attentat et ses multiples transpositions, il
convient de rappeler que ce procédé ne peut être réduit à la fonction de « pause

247
Dans la bande dessinée, contrairement au phylactère, un récitatif est un texte transposant
la voix intérieure du narrateur dans une case afin de fournir des informations au lecteur, que
le dessinateur ne peut rapporter par le dessin.
248
Genre de phylactères exprimant une pensée ou un sentiment sans référence au son.

142
descriptive »249, alors qu'il se manifeste dans le diégèse afin de servir la narration.
D'une part, cette forme de mise en texte renvoie « à l'activité perspective d'un sujet,
donc focalisée, elle est en fait narrativisée et donc ne fonctionne plus comme pause
[…]. »250 Par ailleurs, tout en étant considérée comme une pause pour le lecteur, ses
fonctions sont de plus en plus diverses : « décorative (la description du bouclier
d'Achille) ou alors explicative et symbolique (les portraits chez Balzac) ; s'y ajoutent
des fonctions de crédibilisation mimétique et d'indexation idéologique. »251 note
Oswald DUCROT. C'est en effet sur ce dernier point que notre analyse devrait
montrer comment la description est constitution de la diégèse, elle participera de la
constitution et de la conscience idéologique et philosophique du récit, qu'il soit
romanesque, cinématographique, théâtral ou bédéique.
Afin de pouvoir analyser une séquence descriptive, il faut d'abord recourir aux
travaux de Jean-Michel ADAM et RAVEZ. Dans leur ouvrage L'analyse des récits,
ils mettent en évidence « un répertoire des opérations communes à toute procédure
descriptive »252 (précisé ci-dessous)
Tableau 4 : Classement rhétorique des descriptions

Description de personnes Description des choses


1. Portrait moral ou Ethopée 1. Description de lieux (Topographe)
2. Portrait physique ou Prosopographie 2. Description de temps (Chronographie)
3. Portrait d'un type ou Caractère 3. Description d'animaux (Zoographie)
4. Double portrait ou parallèle 4. Description de plantes (Phytographie)

Et ces dernières fonctionnent en alternance avec des opérations de base exposées


avec précision dans le tableau suivant, où « les descripteurs sont libres d'appliquer

249
Contrairement à Gérard GENETTE, selon lequel la pause descriptive qui constitue l'une
des quatre formes canoniques du tempo romanesque, « où à une longueur textuelle
quelconque correspond à une durée diégétique nulle » (GENETTE, Figure III), Philippe
HAMON a montré, que le domaine du descriptif ne pouvait être réduit à la fonction de
pause. Décidément, on arrête de parler de la description en les mêmes termes vagues, sans
aucune systématique dont particulièrement le cliché ; la description c'est pour reposer le
lecteur.
250
DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean Marie, Nouveau dictionnaire encyclopédique
des sciences du langage, Éditions Seuil, Paris, 1995, p. 714.
251
DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean Marie, op. cit., p. 714.
252
ADAM Jean-Michel & REVAZ Françoise, L’analyse des récits, Éditions Aubin, Poitiers,
1996, p. 32.

143
ou non telle ou telle de ces opérations et ils peuvent procéder selon un ordre de leur
choix. »253
Tableau 5 : Les opérations descriptives de base (P. 32)

Type d'opération Code Définition


1. Opération d'ancrage ou [a] Dénomination de l'objet de la description (tout).
d'affectation
2. Opérations d'aspectualisation [b] Fragmentation du tout [a] en parties [b].
[c] Mise en évidence de qualités ou propriétés du tout [a]
ou des parties envisagées en [b].
3. Opérations de mise en [d] Mise en situation temporelle (situation de [a] dans un
relation temps historique ou individuel).
[e] Mise ne situation spatiale (relations de contiguïté
entre [a] et d'autres individus susceptibles de devenir
à leur tour l'objet d'une procédure descriptive, ou
entre les différentes parties [b]).
[f] Assimilation comparative ou métaphorique qui
permet de décrire le tout [a] ou ses parties [b] en les
mettant en relation analogique avec d'autre objets-
individus.
4. Opération de reformulation [g] Le tout [a] ou ses parties [b] peuvent être re-nommés
en cours en fin de description.

III.1 La description dans le roman


À titre d'illustration, même si le décrit ne constitue pas un large étendu dans la
narration, nous affectons successivement le portait des personnages, des objets ou
lieux dans L'attentat d'une lettre correspondant à l'opération descriptive sous-jacente.
Et ce à travers une alternance entre ces deux dernières grilles :

1. Description de personnages :

253
Ibid., p. 33.

144
[Kim]. [a] On dirait une fée [f] surgissant d'une fontaine [e] de jouvence [c], avec ses
cheveux [b] noirs [c] cascadant [c] dans son dos [b] et ses grands [c] yeux [b]
soulignés [c] au crayon noir [c]. Elle [a] porte un pantalon [b] blanc [c] d'une coupe
[b] impeccable [c] et une chemise [b] si légère [c] […]. Son visage [b] est reposé [c],
et son sourire [b] radieux [c]. (P. 86)

Naveed descend de sa voiture [e]. Il porte un survêtement [b] frappé aux couleurs [c]
de l'équipe nationale de football [c], des chaussures [b] de sport [c] neuves [c] et un
béret [b] noir [c] tourné vers l'arrière. Son ventre [b] se déverse [f] sur ses genoux [e],
énorme [c] et flasque [c], quasiment grotesque [c] […]. Naveed n'est pas fier de sa
carrure [b] d'ours [f] mal [c] léché [c] […] ce qui confère à sa démarche [b] quelque
chose de déglingué [c], compromettant ainsi le sérieux [c] et l'autorité [c] qu'il veut
incarner. (P. 89)

[…] Yasser [a]. Désemparé [c], le cou [b] enfoui [c] sous son col [b] pourri [c] comme
s'il s'attendait à recevoir le ciel sur la tête [d + e + f], il feint de se concentrer sur la
chaussée [e] pour ne pas avoir à affronter mon regard [b] […]. La soixantaine [b]
révolue [c], il n'est qu'une loque [c + f] aux yeux [b] rongés [c] et à la bouche [b]
affaissée [c], capable de me claquer entre les doigts [b + c] au détour d'un froncement
de sourcils [b + c + f]. P. 125

Un grand [c] gaillard [a1] aux allures [b] d'hercule [f] forain [c + f] m'invite à entrer
dans un salon [e] recouvert de tapis [b] de laine [c] où un jeune [c] homme [a2] en
kamis [b] noir [c] brodé [c] sur les manches [b] et sur le col [b] m'ouvre grand-ses
bras. […] Son visage [b] ne me dit rien. Je ne pense pas l'avoir rencontré ou aperçu
auparavant. Il est beau [c], les yeux [b] clairs [c] et les traits [b] fins [c] que fausse une
moustache [b] trop fournie [c] pour être vraie ; il ne doit pas avoir plus de trente ans
[g]. (P. 135)

2. Description de lieux (Topographie) / de temps (Chronographie)

145
En l'espace d'un quart d'heure [d], le hall [b + e] des urgences [e] se transforme en
champ [e + f] de bataille [e + f]. Pas moins d'une centaine [b] de blessés [a] s'y
entassent, la majorité [b] étalée à ras le sol [c]. Tous les chariots [b] sont encombrés
[c] de corps [c] disloqués [c], horriblement [c] criblés [c] d'éclats [c], certains [b]
brûlés [c] en plusieurs endroits [c + e]. Les pleurs [b] et les hurlements [b] se
déversent à travers tout l'hôpital [c + e]. De temps en temps [d] un cri [b] domine le
vacarme [c], soulignant le décès [c + d] d'une victime. (P. 20)

Dans le parking [e], des policiers [a1] vont et viennent dans une sorte de frénésie [c +
f] feutrée [c]. Le silence [a2] est rempli [b] des grésillements [c] de leurs postes [b]
radio [c]. Un officier [a3] donne des instructions [b] à partir d'un 4x4 [e], le fusil [b]
mitrailleur [c] sur le tableau [e] de bord [e]. (P. 24)

Bethléem [a] a beaucoup changé [c] depuis mon dernier passage [d], il y a plus d'une
décennie [d]. Engrossée [c + f] par les cohortes [c] de réfugiés [b] désertant leurs
contrées [e] devenues des stands de tir [e], elle [a] propose de nouveaux [c] fatras [b +
f] de taudis [b] en parpaings [c] nus [c + f], dressés [c] les uns contre les autres [e]
comme des barricades [c] - la plupart [b] encore au stade de finition [c], recouverts [c]
de tôle [c] ou hérissés [c] de ferraille [c], avec des fenêtres [b] hagardes [c + f] et des
portails [b] grotesques [c]. (P. 113)

Six jours et six nuits [d] en fermé [c] dans un trou [e + f] à rat [c + f] pestilentiel [c],
livré [d + e] aux puces [b] et aux cancrelats[b], à me nourrir de soupe [b] froide [c] et à
me limer les vertèbres [b] sur un grabat [b] dur [c] comme une pierre [c +f] tombale [c
+ f]! […] Le septième jour [d], un commandeur [a] sous bonne [c] escorte [b] me rend
visite dans la cave [e]. (P. 210)

Janin [a] n'est plus qu'une ville [g] sinistrée [c], un immense [c] gâchis [f] ; elle [g] ne
dit [f] rien qui vaille et a l'air [b] aussi insondable [c] que le sourire [b] de ses martyrs
[b] dont les portraits [b] sont placardés [c] à chaque coin de rue [e]. Défigurée [g] par
les multiples [c] incursions [b] de l'armée [b] israélienne [c], tour à tour clouée [c] au
pilori [b] et ressuscitée [c] pour faire durer le plaisir, elle [g] gît dans ses malédictions
[b], à bout de souffle [b] et à court d'incantations... (P. 203)

Le recours à l'une ou l'autre de ces opérations n'est jamais fortuit, le nombre de


fois où le narrateur détourne son attention sur le physique des personnages, les objets
ou les lieux, malgré la brièveté des passages parfois alternées par de portraits
doubles, ce n'est pas uniquement pour déterminer une description aux valeurs
explicative. En revanche, il accorde plus d'importance à l'aspect extérieur du décrit,
particulièrement le côté vestimentaires, comme c'est le cas des passages ci-dessus,
parce que quand il évoque de façon métaphorique la corpulence imposante de
Naveed, l'ami juif, et son survêtement aux couleurs du drapeau israélien qui prennent
effet sur le narrateur, le col répugnant de Yasser, le kamis noir - pourquoi pas blanc -
du Cheikh, la description établit ainsi une correspondance entre l'intérieur et
l'extérieur des personnages. Ce qui renvoie à une métonymie de la Palestine occupée
et son peuple, et la description constitue moins dans ce cas de figure, une rupture du
temps de la fiction, un ornement, qu'une vision.

146
Ainsi, dans le texte topographie, chronographique notamment, les lieux évoqués
introduisent une tension entre le choix de la mise en évidence des propriétés [c] et
leur assimilation comparative et métaphorique [f] qui n'est pas sans conséquence. Le
narrateur tend par métonymie toujours et un champ lexical exploité à caractériser «
Le hall des urgences qui se transforme en champs de bataille », alors que le vrai lieu
de lutte et où se déploie l'action est celui de Janin et Bethléem, se trouve « changée et
engrossée », aux yeux du narrateur à cause des réfugiés qui s'y déversent. Nous
pouvons dire que la fonction diégétique de la description dans L'attentat de Yasmina
KHADRA se double d'une fonction expressive.

III.2 La description dans le film


L'arbitraire de la description dans le récit filmique a souvent été souligné, étant
toujours vue comme un moyen d'expression propre au texte littéraire. Or,
techniquement, dans le cinéma, elle est prise en charge par ce que l'on appelle
l'échelle des plans qui, regroupés en trois catégories (illustrations ci-dessous), est très
variables d'une langue à l'autre. Cette typologie contient : les plans larges/descriptifs,
les plans moyens/dramatique montrant l'action et finalement plans rapprochés à
valeur psychologique. Traiter de la question de description dans le film, le réalisateur
DOUEIRI a eu recours principalement aux plans larges. Dans la terminologie
française, ces derniers renvoient au plan général et au plan d'ensemble, illustrés dans
les cadres suivants :

III.2.1 Plans larges ou descriptifs


a. Plan général :

Le premier ayant pour vocation principale une domination sur le décor, décrit
respectivement la ville de Tel-Aviv prise sous un angle de vue en plongée, ensuite
celle de Naplouse en contre-plongée. Ces plans se situent au début de chaque
séquence afin de créer un contexte, fournir diverses informations aux spectateurs et

147
le préparer ainsi à l'intrigue, où le personnage, censé être noyé dans le décor, se
trouve totalement absent.

b. Plan d'ensemble :

Proche du plan général, le plan d'ensemble - succédant généralement ce dernier en


début ou en fin de séquence - se focalise sur l'objet décrit ou le personnage dans le
film, de manière à ce qu'ils soient suffisamment visibles. Toutefois, l'arrêt sur le
cadre suivant avec une visée ordinaire décrit aussi bien le décor et le lieu qui est la
frontière entre Cisjordanie que les personnages en action ; l'armée israélienne en
conflit avec les passagers palestiniens.

III.2.2 Plans moyens ou au pied : dits dramatique


c. Plan taille :

Le plan taille, plus rapproché, cadre le sujet décrit au niveau de la ceinture. Alors que
certains éléments du décor sont encore mis en évidence afin de situer le contexte.
Dans la seconde figure, les personnages en mouvement se mettent en exergue par
leur action dans le décor, ce qui lie description et action dramatique à la fois.

d. Plan poitrine

148
Le plan poitrine encore plus rapproché que les précédents met en avant beaucoup
plus ce que dit que ce que fait le sujet et crée une certaine intimité avec le personnage
où il apparaît plus accessible. Dans cette figure, Kim est cadré un peu en dessous des
épaules sous un angle de vue ordinaire, souvent utilisé dans les scènes de dialogues.

III.2.3 Plans rapprochés


e. Gros plan

Le gros plan cadre le sujet filmé ou les objets de près, et permet de dévoiler la
moindre expression du visage ou les émotions, quand il s'agit d'un personnage. Il est
donc employé pour mettre en évidence le regarde de ce dernier, en l'isolant de tout
champ et l'attention du spectateur est portée cependant sur les expressions du visage,
les sentiments, voire la psychologie du docteur, lors de sa première visite à Naplouse,
après tant d'années d'absence. L'objectif de ce plan, comme c'est le cas dans cette
image, est de décrire une scène plus intense en raison des détails serrés. Ali
SULIMAN livre une prestation exceptionnelle, à travers laquelle nous ressentons la
tristesse du personnage.

f. Très gros plan (Insert)

Quant à ce dernier plan, permet de montrer communément un détail précis d'un


personnage, qui prendra toute la surface du cadre. En revanche, dans L'attentat il
n'existe aucune capture qui correspond le mieux à cet insert, hormis les objets qui, en
rapport avec la kamikaze Sihem, apparaissent sous cet angle disproportionné. De
cette manière, l'intrigue offre à ces détailles une valeur symbolique significative qui
réduit ce personnage féminin à de simples objets, dans un espace restrictif.

149
Dans cette dernière séquence située à la fin du film qui combine entre le plan
d'ensemble et le plan taille - même si le personnage est vu de dos -, le réalisateur ne
l'a pas utilisé pour décrire, mais pour montre une dernière fois où se situe le
protagoniste perdu dans l'immensité du décor, exprimant sa solitude. Ainsi, le
recours à l'un ou l'autre de ces plans relève-t-il d'un choix du réalisateur, et n'est
jamais utilisé sans raison. De ce fait, l'association codifiée dans un même cadre
d'Amine JAAFARI seul au milieu d'un décor en ruine offre une analogie frappante.
D'un point de vue idéologique, Garcia ALAIN note, à propos de l'œuvre
cinématographique que le fait de décrire :

C'est prendre position et afficher des intentions, ceci tant en littérature qu'au cinéma.
[…] Si tout ce qui est décrit est important et susceptible d'avoir de la valeur, ce qui
n'est pas décrit est généralement aussi du point de vue idéologique et peut parfois se
révéler supérieur dans la diégèse.254

Pour rendre compte de la valeur et de la symbolique de ce lien variable entre la


distance du sujet filmé à la caméra ; l'usage de cette typologie empirique rapporte «
implicitement mais univoquement à la taille d'un personnage filmé débout de
manière que sa tête soit dans le cadre » entraîne souvent l'idée de la trace d'une
idéologie anthropocentrique. Contrairement à l'échelle de plans dans la tradition des
opérateurs américains est rapportée non pas à la grosseur des sujets filmés mais à la
distance de la caméra aux figures : clos op, medium shot, long shot, etc.
Dans le film Tel-Aviv apparaît comme une ville moderne, engagé dans une
relance économique sans précédent, qui répond mieux à ses infrastructures de
qualité, en se caractérisant par des gratte-ciel, autoroutes, avenues tous biens
entretenus. Alors que Naplouse est décrite comme étant totalement démuni, et qui se
trouve à l'opposé de la première, représentée par un décor dégradé, des habitations
délabrées, ruelles obstruées, ce qui témoigne d'une déstructuration économique et
sociale.

254
GARCIA Alain, L'Adaptation du roman au film, Éditions Dujarric, Paris, 2000, p. 68.

150
C'est également via cette évolution que nous lisons les effets de sens de la
transécriture cinématographique de L'attentat, dont l'objectif capital consiste à
représenter la question politique du conflit israélo-palestinien, filmée sur les lieux
mêmes des territoires occupés, avec des acteurs issus des deux communautés, et de
sensibiliser le spectateur à cette profondeur du conflit notamment, même s'il semble
être, dans les autres œuvres, si souvent relégué au second plan.
La description des événements évoque tout ce que le docteur a subi comme
contrainte physique et psychologique à caractère universel. Sachant que cette
typologie n'est pas exhaustive, nous avons illustré nos propos en nous intéressant
plus particulièrement aux plans dominants, à savoir les descriptifs et psychologique,
accompagné d'une analyse de la valeur en question. Quant aux plans à valeur
dramatique, ils s'avèrent rares parce que les personnages se déploient rarement dans
l'action, ce qui traduit l'appartenance de la transécriture de ce roman aux œuvres
filmique thriller psychologique.

III.3 La description dans la pièce de théâtre


L'analyse de la description dans la pièce théâtrale semble toujours mal cernée par
la démarche critique à cause de son caractère incomplet et d'un nombre d'éléments
sur lesquels le texte reste délibérément muet. Si nous extrayons la part dialoguée du
texte théâtral, il restera le titre, la liste des personnages, les indications temporelles et
spatiales, la description du décor, les didascalies, et enfin les entractes ou le texte
éludé, certaines œuvres précisent même le nom des comédiens. Cette liste
appartenant au paratexte, démontrera résolument la fonction descriptive d'un objet,
d'un cadre spatio-temporel, ou d'un acteur, pour établir alors une combinaison
adéquate entre le verbal et le scénique. Pour se faire, nous nous proposons ici de
démontrer l'utilité d'une telle analyse en étudiant quelques éléments constitutifs du
paratexte à partir de la pièce de Franck BERTHIER.
Étant donné que le discours théâtral est constitué de deux niveaux textuels : les
dialogues et les didascalies, l'œuvre dramatique de BERTHIER ne prend sens que
pour qui connaît son contexte énonciatif, parce qu'elle n'est constitué d'aucun
élément cité supra, hormis les brèves indications temporelles et spatiales, qui
indiquent le moment et le lieu global où se déroule l'action, précédant chaque acte,
entracte ou tableau, parfois à l'intérieur même des dialogues. Voyons par exemple le
troisième acte de L'attentat qui fournit des informations plus succinctes, où le

151
changement de décor, également peu développées, n'est accompagné d'aucune
indication :
PARTIE III : Janin
Tableau 16 : CAVE
Tableau 17 : JANIN / VERGERS

Voyons maintenant la description de cette ville au sein même d'un monologue,


celui d'Amine JAAFARI,
AMINE
Toi aussi, tu as changé Janin. Je me souviens de tes rues qu'on dévalait, princes aux
pieds nus criant de peur et d'excitation... La plupart d'entre nous sont morts, d'autres
ont déserté. Comme moi. Ton odeur de pain d’épice, je l'aurais reconnue entre mille...
Aujourd’hui il n'y a plus qu’une odeur de soufre au milieu des maisons défigurées.
(On frappe à la porte Un homme en faction se présente à Amine le visage tavelé les
yeux chauffés à blanc.) (P. 32)

Nous constatons via ce passage que la description, qui aurait dû figurer dans le
paratexte en est absente, a pris place, en revanche, dans le texte dialogué, et ce
phénomène d'insuffisance descriptive dans l'œuvre dramatique se rencontre assez
fréquemment au XIXe siècle, surtout chez Alexandre DUMAS.
Le second élément apparaissant dans le texte de BERTHIER, est la didascalie ; «
émises pas le scripteur, ne fournissent au metteur en scène et eux comédiens qui les
transmettent au public sous la forme de signifiants non verbaux : jeux de scène,
255
expressions, tons, éléments du décor. » Ces indications de mise en scène
proposées par le dramaturge s'alternent dans le texte entre l’externe et l'interne (dans
un autre type de caractère, différent visuellement de l'autre partie du texte, en italique
par exemple) reprennent aussi des éléments de description de la disposition
géométrique du décor, de l'éclairage, du bruitage et des costumes.
Prenons l'extrait suivant de la deuxième partie de la pièce, où se manifestent les
didascalies externes, puis internes dites par les personnages dans des répliques :

255
UBERSFLED Anne, Lire le théâtre, Éditions Belin, Paris, 1996, p. 248.

152
DEUXIÈME PARTIE : BETHLEEM
Tableau 12 : CHEZ LEILA

Une radio crachote un prêche du cheikh Marwan, ponctué par des cris extatiques et
des ovations de la foule : « Y a-t-il splendeur aussi grande que le visage du Seigneur,
mes frères ? (Clameurs de la foule.) Qu’allons-nous laisser derrière nous ? Tous les
jours, nous sommes traînés dans la boue et devant les tribunaux ; des tanks roulent
sur nos pieds, défoncent nos maisons, tirent sur nos gamins. Le monde entier assiste à
notre malheur… »
Amine interrompt la fin du prêche en frappant à la porte. Leila éteint la radio, ouvre.
Elle le dévisage.
AMINE
Bonjour Leila... (Un temps.) Tu ne me reconnais pas.
LEILA
(Bouleversée.) Amine… Entre. (P. 21)

Les indications descriptives données par le dramaturge dans cet extrait,


résolument laconiques, offrent au metteur en scène le soin d'harmoniser le jeu entre
les diverses indications sur l'environnement scénique, l'identité de celui qui parle et
les répliques. Ainsi inclut-il des attitudes psychologiques qui se traduisent par la
détérioration significative de la situation entre acteurs - le docteur et sa sœur Leila.
Le manque informatif dans une œuvre dramatique, évoqué ci-dessus, ne constitue
nullement une défaillance ni au niveau textuel, ni niveau de sa mise en scène.
Autrement, comment Franck BERTHIER, ou encore le comédien Bruno PUTZULU
peut-il faire sortir une indication telle, extraite du roman même : « […] elle [Sihem]
portait en elle une blessure si vilaine et atroce qu'elle avait honte de me la révéler. »
(P. 221) ?
De ce fait, la transécriture de L'attentat en pièce de théâtre offre à
l'adaptateur/réalisateur, lors de sa mise en représentation, une certaine liberté
d'interprétation, comme le souligne Anne UBERSFELD « ce travail de
détermination irait contre les possibilités de la scène : il faut que la représentation
puisse avoir lieu n'importe où et que n'importe qui puisse jouer le personnage. »256
Cette marge de liberté laisse le champ libre à toutes les interprétations possibles,
selon les codes éthique et socioculturel en usage, et assure une certaine indépendance
quant à l'expression des différents courants de pensée psychologique, philosophiques
et politiques. La place de la description dans ce texte dramatique, très minimaliste et
moins précise que le roman, ne manque pas donc d'ouvrir de nouvelles perspectives

256
UBERSFELD Anne, « Le texte dramatique », in COUTY Daniel & REY Alain, Le
Théâtre, Éditions Bordas, 1980, P. 93.

153
sur les structures du périmètre scénique et sur les autres adaptations théâtrales qui
s'en suivent (en Algérie, Italie, Benin, Rwanda, Congo, etc.)

III.4 La description dans le roman graphique


Afin d'analyser la description dans l'album de DAUVILLER présenté ci-dessus,
nous nous appuierons sur une approche sémiotique, axée sur la corrélation de tous
ces éléments qui tendent à remplir la fonction descriptive, à travers le raccord texte-
image établis en fonction de l'échelle des plans convenus, comme dans une séquence
filmique (plans larges, moyens, ou rapprochés). En se livrant à la problématique
centrale, celle de la description dans cette œuvre, l'extrait suivant illustre de façon
détaillée en une seule séquence, qui présente un ordre à effet d'entonnoir de la
description du lieu, des personnages, et des objets, en allant de l'amont et du général,
vers l'aval et le plus rapproché. Il projette cependant la gradation mécanique des
plans en parallèle avec celles des couleurs, sur un axe strictement horizontal :

La gradation mécanique
des plans

Plan large

Plan moyen

Plan moyen

Plan rapproché

La planche ci-dessus représente une exception dans cet album, parce qu'elle
réduit le récit pour accélérer le rythme des scènes descriptives, en ayant recours au
plan d'ensemble par lequel il peint le décor des différents lieux d'action.
Ainsi, la description panoramique des paysages se présente-t-elle à travers tout
l'album dans des cases horizontales. Et c'est à partir de cette dernière planche, point
nodale de l'intrigue, que l'accroissement successif des couleurs, particulièrement
chaudes et sombres, passe d'un ton à un autre avec un affaiblissement graduel de la

154
lumière, également avec des cases horizontales qui s'étirent
à volonté en largeur ayant un effet de lourdeur, froideur.
Toutefois, ce type de cases a une fonction signifiante
puisqu'elle renforce l'impression que le protagoniste est
encerclé par ses ennemis et les événements fâcheux.

Quant au très gros plan à forte connotation dramatique, comme dans le film, ce
principe est consacré aux choses corrélatives à une série d'objets qui renvoient à
Sihem. Nous avons ici des exemples de ce principe :

Alors que la dimension de la dernière planche incarnant la chute d'Amine


JAAFARI, est plutôt retranscrite dans une case verticale en reliant le supérieur et
l'inférieur, le lien entre le ciel et la terre, c'est là encore tout le poids du fatum, de
l'écrasante fatalité. Puisque, comme dans une séquence filmique, l'exégèse de cette
œuvre ouvre un univers imaginaire, et par conséquent nous renvoie à notre finitude
humaine au double impératif de la quête et de la fin.

155
Afin d'offrir au lecteur un accès aux événements à travers une partie du décor, ce
lien entre référence iconique et référence langagière montre en effet que la séquence
du roman graphique L'attentat prend appui sur la représentation des paramètres
iconiques, qui consiste en une forme d'incarnation, de figuration aux fonctions
symbolique.

156
En somme, ces constituants spécifiquement narratologiques ne recouvrent pas
uniquement le texte littéraire, ils se trouvent également dans les autres formes
artistiques, hormis l'une ou l'autre indication comme le cadre spatio-temporel de
l'histoire qui n'a pas été aborné dans cette étude ; il s'étend entre Tel-Aviv, Naplouse,
et Janin, et dans un ordre chronologique, pour éviter ainsi tout rôle contestataire,
dans la mesure où l'auteur ne souhaite pas bouleverser la représentation linéaire du
roman. Chaque principe narratologique développé supra est présent dans chacune
des œuvres à des degrés différents : l'aspect descriptif dense dans la bande dessinée
contrairement au texte théâtral, le narrateur homodiégétique dans le texte source se
trouve absent dans le reste, la focalisation fortement variables. De même, il convient
de noter qu'on reconnaît le caractère cinématographique et théâtral dans le roman, et
inversement, avec un retour au récit, au monde et au sujet.
À travers notre étude nous ne cherchons pas à extraire les traits d'une
transécriture soumise le plus fidèlement possible aux souhaits et préoccupations
exprimés par l'auteur, ou sa réussite esthétique, parce que c'est ce qui annihile le
message véhiculé dans notre corpus et le dénude de toute pertinence. Tandis que les
transmutations, légèrement écartées du texte source, apportent une résonance
nouvelle, que ce soit sur le plan des significations, sur celui de la trame narrative,
surtout en matière de consistance verbale. Cette richesse propre à l'écriture
romanesque déploie en effet des aspects inédits de l'œuvre, à travers ses multiples
réécritures. Ceci traduit ce que la transécriture peut engendrer comme distances
interprétatives, malgré des écarts de méthodes.

157
CHAPITRE DEUXIÈME :

QUEL SYSTÈME DE VALEURS ADOPTER ?


Le débat moral et idéologique sur la justice sociale et le droit international
s'invite sur tous les terrains, sans compter le débat sur les nouveaux enjeux de
l'éthique. Mais, si la théorie de la justice ne peut pas tout, la littérature nous aide à
explorer cas de conscience et dilemmes sur ce qu’il est juste de décider, ou de juger,
comme le souligne Frédérique LEICHTER FLACK, « refuge de la complexité du
monde, la littérature est le lieu des questions ouvertes qui résistent à toutes les
réponses provisoires que chaque époque, chaque société formule pour elle-même.
»257 De ce fait, ce que le travail de la justice ne peut explorer, est-ce que la littérature
arrive-t-elle à déchiffrer ?
À ce titre, ce chapitre se propose avant tout d’explorer comment L'attentat et ses
différentes transécritures soulèvent leurs propres enjeux d’éthique, et initier à une
lecture de textes orientés, avec des écarts de méthodes, vers le déchiffrage de nos
questionnements politiques et moraux contemporains. L’idée est à la fois de
construire un parcours de réflexion progressif pour baliser le champ « éthique et
littérature » en lui adressant aussi les questions de notre temps, en analogie avec
notre corpus. A-t ‘on le droit de sacrifier une vie pour en sauver une nation ? Qui
répondra à la place d'un peuple assujetti à un mal totalitaire ? Y a-t-il des limites à la
violence au service du Bien ? La transmutation de L'attentat vers les autres médias
affecterait-t-elle véritablement le système de valeurs véhiculé dans le texte initial ?
Nous pourrions entendre dans notre sujet l'institution de nouvelles normes au
sein de la création poétique, le rôle de cette dernière dans la transmission des valeurs
morales et sociales. Dans un ouvrage intitulé Valeurs dans/ de la littérature¸
réunissant un ensemble de textes de conférences sur le statut de la littérature
contemporaine et les mécanismes par lesquels elle valide certains jugements, et peut
même aller jusqu'à l'instauration d'un système de valeurs ; le cours d'Antoine
COMPAGNON qui y figure, précise à juste titre : « La littérature transmet des
valeurs et elle est elle-même d'autant plus valorisée que les valeurs qu'elle transmet
sont plus valorisées par la société où elle transmet. »258

257
LEICHTER FLACK Frédérique, Le laboratoire des cas de conscience, Éditions Alma,
Paris, 2012, p.7.
258
CANVAT Karl & LEGROS Georges, Les valeurs dans/ de la littérature, Éditions PUN,
Namur, 2004, p.76.

159
I - Une axiologie variée à travers L'attentat
I.1 Amine JAAFARI, « l'homme du ressentiment »
La morale du ressentiment que Friedrich NIETZSCHE théorise est une
expression philosophique et morale de la vie qui indique une perte de puissance, une
perte de vitalité, d'où d'ailleurs le désir de vengeance. Cette forme d'hostilité ou de
rancune, ayant pour cause première une frustration générée d'une souffrance morale
préalable, à l'égard de quelqu'un ou de quelque chose. Traitant notamment de ces
questions dans un chapitre intitulé « Faute », « mauvaise conscience » de son
ouvrage Généalogie de la morale, publié en 1887, NIETZSCHE s'interroge : « Dans
quelles conditions l'homme s'est-il inventé à son usage ces deux évaluations : le bien
et le mal. Et quelles valeurs ont-elles par elles-mêmes ? »259 Car, tout ce qui s'est
annoncé comme morale, jusqu'à présent, n'est que déclin vers le néant, la décadence,
qui est due en partie à une multiplicité de signes (historiques, religieux, culturels,
etc.)
De tous les personnages du roman, pareillement celui du roman graphique Amine
JAAFARI est celui qui illustre de manière saisissante cette théorie nietzschéenne du
ressentiment. Après le suicide de Sihem, le médecin sait qu'il est engagé dans un
combat vers une fin des plus subtiles. À partir de ce concept, L'attentat associe au
personnage Amine JAAFARI ce sentiment de révolte provoqué par le ressentiment à
l'égard de l'injustice. Ce roman pose alors à nouveau la question fondamentale du
rapport entre le « Bon et méchant », « bon et mauvais »260 , une vision
anthropologique, développée également par ce même philosophe cité supra, dans son
livre Généalogie de la morale (1887), qui sous-tend une pensée sur l'origine et le
sens de la morale. Selon lequel, les concepts philosophiques majeurs que sont la
vérité, le bien et le mal, ne leur accorde en fait aucune valeur, parce que le problème
n'est pas dans le concept mais plutôt dans la force qui investit le concept.
Hormis le début de l'histoire qui représente Amine JAAFARI comme un homme
éclairé, plein d'ambition, « un éminent humaniste et [qui] n'a aucune raison de
vouloir du mal aux gens » (P.218), et qui manifestait auparavant une sorte de
répugnance envers :

259
NIETZSCHE Friedrich, Généalogie de la morale, Éditions Gallimard, traduction de
l'allemand WOTLING Patrick, Paris, 2000, p.12.
260
Ibid.

160
Les guerres et les révolutions, et ces histoires de violence rédemptrices qui tournent
sur elles-mêmes telles des vis sans fin, charriant des générations entières à travers les
mêmes absurdités meurtrières sans que ça fasse tilt ! Dans leur tête. Je suis chirurgien ;
je trouve qu'il y a suffisamment de douleur dans nos chairs pour que des gens sains de
corps et d'esprit en réclament d'autres à tout bout de champ. (P.169)

Toutefois, sa révolte impuissante après la disparition de sa femme, la haine


obstinée qu'il voua à son neveu, la rancœur envers les autorités israéliennes nous
permet de voir en lui, selon le qualificatif nietzschéen, l'homme du ressentiment. Ce
fourvoiement se traduit chez Amine JAAFARI, au cours de sa quête, par heurts et
malheurs. Cette logique du ressentiment si bien détaillée et perpétuée à travers
l'étalage de sentiments d'angoisse, de haine, de colère. Autrement, une narration qui
se concentre davantage sur le ressenti du protagoniste ; « […] je suis totalement
aveuglé par la haine et que rien ne me fera renoncer à mon idée fixe. » (P.155)
Il reste que, malgré son vif sentiment d'effroi mêlé de répulsion qu'inspirent ses
préjugés, le roman graphique illustre notamment à travers un texte écrit
subséquemment en caractère gras sur la façade de la maison du médecin « la bête
immonde est de retour ». Cette locution, « la bête immonde », souvent utilisée afin de
désigner les idéologies au discours contestataire, à savoir le nazisme, le fascisme,
l'antisémitisme, etc. illustrant de la sorte encore une fois ce sentiment du
ressentiment en faveur d'une violence extrême et inouïe.
Le ressentiment que ce médecin conserve de cette double trahison le conduit à en
vouloir à tous les personnages. Sa quête de la vérité s'avère être un chemin périlleux,
mais qu'il doit se hisser. Ce sentiment est donc « engendré par une force qui est
séparée de ses pouvoirs d'agir. Il est "esprit de vengeance", incapacité d'oublier,
désir de conserver ou de retourner au passé censé se tenir plus près des véritables
valeurs que le présent.»261 La forme sous laquelle il exprime son ressentiment se
manifeste alors via son acharnement. Mais ce protagoniste périt victime de son
ressentiment, qui l'aigrit à mesure que son sentiment d'impuissance à atteindre ses
buts.
La fin tragique du protagoniste dans le roman comme dans le roman graphique
est due à cet « autoempoisonnement psychologique,»262, écrit Max MILNER.

261
WYBRANDS Francis, « Généalogie de la morale, Friedrich Nietzsche » Encyclopædia
Universalis [en ligne], consulté le 18 février 2018.
URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/genealogie-de-la-morale/
262
SCHELER Max, L'Homme du ressentiment, Éditions Gallimard, Paris, 1958, p. 14.

161
Comme il faut noter, face à pareille injustice, absence d'intérêts communs et la
volonté de dialoguer sont les principaux moteurs de son ressentiment, et ont aussi
augmenté le sentiment de haine né de longues années de guerre, qui nourrissent une
méfiance infuse chez la famille d'Amine JAAFARI comme celle de tous les
palestiniens.

I.2 Victime sans coupable


De toutes les œuvres de Yasmina KHADRA, une partie est consacrée au Proche-
Orient, à savoir les romans : Les Hirondelles de Kaboul (2002), L'attentat (2005) et
Les Sirènes de Bagdad (2006), qui laissent entrevoir des figures doubles de femmes
courageuses à la condition tragique. Ces œuvres, principalement L'attentat, relues à
la lumière des grandes calamités par lesquelles ces dix dernières années se sont
effroyablement illustrées, incarnent les plus modernes terreurs du siècle. Comme
c'est le cas de la nature du préjudice commis par Sihem, laissant son époux sans
recours face à un dommage personnel si manifeste, puisqu'il perd son travail, déchut
de sa nationalité, dans une société où l'erreur n'ayant aucune chance d'être établie,
dans un système qui ne reconnaît aucun statut de l'erreur, le protagoniste se trouve
définitivement floué sans espoir que le système ne reconnaisse ses torts et ne
s'efforce de les réparer ou de les dédommager.
Avoir écrit un roman entier sur la quête d'un homme victime, à la recherche de la
vérité sur un fait qui ne l'a même pas commis, qui finit abattu sous le même fait
qu'est un attentat. Toutefois, ce fait n'établit-il pas une ambiguïté autour de la
victimisation ? Toutes les formes d'ambiguïtés autour du fait d'être victime sans
coupable nous les trouvons dans les nouvelles que Franz KAFKA raconte pour
répondre à cette problématique de la victimisation sans coupable, qu'on pourra se
proposer de relire comme intertexte du roman et du roman graphique. Chez
KAFKA, les hommes seraient toujours « coupables d'avance », quoi qu'ils fassent,
leurs fautes les précéderaient quasi-métaphysiquement, malédiction ontologique de la
condition humaine dont nul ne saurait s'absoudre. Mais la connotation philosophique
d'une pareille interprétation doit nous alerter. Quand nous scrutons de plus près les
textes de Yasmina KHADRA et de DAUVILLIER, et surtout, quand nous nous
appliquons plus consciencieusement à mesurer les effets de lecture qu'ils engendrent
; une sorte d'injustice émerge et devient visible. Tiré de l'univers fictionnel, c'est ce

162
que nous proposons de voir à l'œuvre, à partir de L'attentat : roman et roman
graphique.
Le sujet du roman c'est cette présence constante d'éthique, de morale
personnelle, qui est juste effleurée, voire amorcée mais pas suffisamment développé
dans le film de DOUEIRI. La scénarisation de L'attentat propulse une image d'Amine
JAAFARI comme l'homme oublié et son incarnation est un autre moyen de servir sa
cause, qui n'est pas forcément de l'innocenter en disant qu'il n'a rien fait de mal, c'est
plutôt de l'innocenter humainement. Cette histoire de culpabilité et d'innocence ne
peut avoir de sens, dans la mesure où ni il n'a rien fait de mal et il n'a rien fait de
bien, il n'est ni coupable, ni victime de quoi que ce soit.
Relisons donc la scène pour en interroger la portée. Amine JAAFARI cherche à
mener sa propre enquête quant à l'événement-suicide de sa femme Sihem. Face à une
affaire que l'on ne peut porter en justice, il part alors à la recherche de son « gourou
», le Cheikh Marwan. La force d'indignation qui anime Amine JAAFARI n'est pas
neutralisable par un simple réconfort de son entourage d'amis juifs, ou même sa
famille, bien au contraire : plus on expliquera à l'issue de quel enchevêtrement de
processus collectifs on en est arrivé à cet état de fait, plus on insistera sur la
complexité des mécanismes ayant interagi pour produire incidemment de pareille
conséquence. Et puis la révolte, l'indignation, et la montée de l'irritation d'Amine à la
réitération des appels à la raison et au calme proférés par le Cheikh Marwan en
témoignent, auxquels il riposte :

J'avoue que je suis beaucoup plus en colère de n'avoir rien vu venir que pour le reste.
Ma femme islamiste ? Et depuis quand, tiens ? Ça ne me rentre toujours pas là-dedans.
[…] Que lui avez-vous raconté pour faire d'elle un monstre, une terroriste, une
intégriste suicidaire, elle qui ne supportait pas d'entendre gémir un chiot ? (P.154-155)

Ceci augmente la dangerosité de l'individu pour le collectif : tout individu


insatisfait de son sort au sein d'une collectivité est un dangereux révolutionnaire en
puissance « Moi-même je ne comprends pas d'où me vient cette insolence agressive
qui fait trembler mes mains sans lézarder ma voix, battre mon cœur sans que
fléchissent mes genoux. » (P.155) Amine, conscient de la précarité de sa situation, «
opte pour la témérité. » (P. 155) Telle est bien la conclusion pratique qu'Amine tire
de son entrevue avec le Cheikh, scandale moral que l'image de la victime représente
et qu'il transcrit immédiatement, à travers lequel il ne prête d'emblée guère attention
à la teneur de son hôte, où il rajoute « J'ai besoin de montrer clairement à ce

163
chefaillon d'opérette que je ne le crains pas, de lui renvoyer à la figure la
répugnance et le fiel que les énergumènes de son espèce sécrètent en moi. » (P.155)
Inutile d'accuser quiconque, lui explique le Cheikh Marwan, ni de se croire
victime d'une injustice qui le heurte frontalement. Et il n'y a pas de coupable à cet
état de fait, puisqu'il n'y a personne à accuser « Je n'apprécie pas la brutalité de tes
reproches, frère Amine, […]. Mais je mets ça sur le compte de ton chagrin. […]
Autre chose : personnellement, je n'ai pas connu ta femme. Elle n'agissait pas sous
notre bannière, mais nous avons apprécié son geste. » (P.) Même quand Adel, son
neveu, prend la parole pour exposer les faits, les choses se gâtent. La narration en
style direct reproduit pour le lecteur l'effet des paroles d'Adel, en lui expliquant aussi
qu'il n'y est pour rien, d'ailleurs « personne n'y est pour quelque chose. » (P.)
Cette rencontre accentue donc encore, à dessein, l'effroi et le malaise d'Amine
JAAFARI causé par le Cheikh Marwan, Adel notamment, car s'il y a une victime
collatérale dans cet épisode décidément illisible et inassimilable, il s'agit bien
d'Amine. Sur le plan moral, ces énoncés pris dans leur contexte énonciatif, renvoient
à un principe de justice proportionnelle, qui met un coup d'arrêt au droit de
vengeance et son engrenage fatal. La très fine perception de L'attentat rend-elle alors
service à la littérature pour voir clair dans nos propres enjeux de justice sociale ?

I.3 Subir l'injustice


Quelle expérience de la justice, L'attentat de Yasmina KHADRA et
DAUVILLER nous donnent-ils à faire ? Notre hypothèse consistera à soutenir
qu'Amine JAAFARI reçoit ici, à travers sa quête, sa première confrontation. Il y en
aura d'autres aussi rudes, dans la suite du roman. L'expérience de lecture de
L'attentat et de son adaptation en roman graphique est ainsi extrêmement troublante.
Une telle problématique évoque indubitablement le débat sur des situations
absurdes et impossibles à définir en termes strictement politiques ou sociologiques,
de part et d'autre, idéologique et éthique. Car, ce que le « le chef de guerre » essaie
de démontrer à Amine JAAFARI, c'est que sa position, ses intérêts individuels, voire
son affaire personnelle – vue la posture de sa femme, ne voulant rien lui confier –
sont immanquablement inextricables des intérêts collectifs défendus par la
communauté arabe. Il soutient que c'est à sa femme et les personnes dans son genre
dont il faut être fier. Elles ont pris position et essayé de rendre justice à leur pays, en
lui accordant cette planche de salut. C'est alors sur le fond de cette paradoxale

164
convergence d'intérêts que se détache le singulier débat qui oppose Amine et
l'ensemble des personnages pour savoir qui – de la communauté juive, de sa famille
ou d'Amine – témoigne plus d'indulgence à l'Autre. Amine JAAFARI soutient que
c'est lui qui rend service non pas à une seule communauté, mais plutôt à l'humanité
en sa qualité de médecin. En choisissant son camp, il n'a pas tort de lui signifier
néanmoins qu'il a choisi de sauver des vies, au lieu de tuer.

Je veux seulement vivre ma part d'existence sans être obligé de puiser dans celle des
autres. Je ne crois pas aux prophéties qui privilégient le supplice au détriment du bon
sens. […] ce que je possède ne m'appartient pas. Pas plus que la vie des autres. Tout le
malheur des hommes vient de ce malentendu : ce que Dieu te prête, tu dois savoir le
rendre. Aucune chose, sur terre, ne t'appartient vraiment. Ni la patrie dont tu parles ni
la tombe qui te fera poussière parmi la poussière. (P. 159)

Il est évident, aux yeux d'Amine JAAFARI, que le Cheikh Marwan cherche à tirer
argument d'une valeur patriotarde ayant embrassé étroitement des individus hostiles,
des nationalistes farouches, qui rappellent des disqualifications sociales comme point
de départ initial du basculement de la politique à la question axiologique et marque
précisément le seuil d'entrée dans une idéologie de l'exclusion, radicale et militante,
continue à prendre part au terrorisme et à rejeter les principes même de processus de
paix. Ce débat serré entre eux se conclut donc, et Amine a vite compris qu'il était vain
de communiquer, puisqu'il ne trouve pas de réponse raisonnable et suffisamment
satisfaisante à cette question essentielle, et sa souffrance le disqualifie socialement, et
le fait apparaître comme irrécupérable.
Reste encore à en persuader Amine JAAFARI, qui ne veut pas abandonner sa
quête, « pourquoi t'obstiner à foncer dans le tas ? Ce n'est pas la bonne direction.
Admettons que ces gens-là daignent te rencontrer, que comptes-tu leur soutirer ? »
(P.143) demande Kim à son ami, « Ils te diraient que ta femme est morte pour la
bonne cause et t'inviteraient à en faire autant. […] Je t'assure que tu fais fausse
route. Retournons chez nous et laissons faire la police. » (P. 144) lui enjoint Kim
encore. Cette instance à enjoindre Amine JAAFARI de cesser de faire preuve
d'irresponsabilité, signifierait-elle aussi de cesser de voir l'injustice. Quel massage,
Kim, peut-elle véhiculer au lecteur ?
Subir l'injustice et la violence physique impliquent un risque d'effondrement
psychique et moral. Son incapacité à supporter l'injustice écrasante le détruit, et le
rend en quelque sorte, indigne d'être respecté, parce qu'il manifestait une sorte de
révolte et d'un immense désir de vengeance. Communément, celui qui s'y laisse

165
prendre y perd ses moyens, tout simplement, et jusqu'à la capacité de prouver aux
autres qu'il mérite de faire valoir ses droits au respect.
Chez Yasmina KHADRA, la scène où son personnage découvre que sa femme
est la kamikaze est certes d’une très grande dureté. Il faut être solide pour y résister.
Sinon, on s’écroule, on y est englouti. La réflexion sur le mérite remplace et annule
celle sur la réparation du préjudice. Vivre en Palestine ou faire sa vie de l'autre côté
de la rive à Tel-Aviv, chez KHADRA, serait-ce donc comprendre qu’il n’y a nulle
justice à attendre de la vie et qu’on ne sera pas armé pour la vivre si la moindre
injustice nous arrête ? C’est en ce sens que le roman de KHADRA, ou encore le
roman graphique de DAUVILLIER, pourraient être lu comme des textes de
formation paradoxal.

II - Penser la responsabilité morale et la solidarité avec DOUEIRI

II.1 L'ontologie de la responsabilité


Être responsable de nos actions, nos omissions ou leurs conséquences concerne
en partie la responsabilité morale, qui a préoccupé la philosophie du XIX et XXe
siècles et demeure encore d'actualité et est particulièrement matière à controverse,
puisque le questionnement sur cette dernière contient un lot de problèmes
philosophiques. Or, dans le film de DOUEIRI, nous distinguerons deux principes de
la responsabilité morale ; celui qui met l'accent sur les actions selon lesquelles nous
blâmons des individus ayant certains attributs ou certaines attitudes, comme celui qui
soutient que l'existence de certains facteurs empêche l'individu d'être responsable
d'une action. Nous porterons d'abord notre attention sur la responsabilité et les
obligations des personnages ; des plus enclins à blâmer, jusqu'à louer cet acte qu'est
L'attentat.
Contrairement au roman et au roman graphique, le film vire plutôt vers
l'établissement d'une réflexion éthique à la fois subsidiaire et saillante. Le film est, en
lui-même, à la fois simple à suivre et mystérieux : l'énigme tient sans doute à la
simplicité même du factuel en jeu, au caractère dépouillé d'actions. Le protagoniste
se présente au début du récit, comme un médecin installé à Tel-Aviv, jouissant d'une
solide réputation de sérieux, d'honnêteté et de fiabilité. Le scénario décrit assez
précisément cette scène – inexistante dans le roman – lorsqu'il est nommé lauréat
pour ses recherches et sa réussite médicales. Puis se penche vers son cadre de travail,

166
ainsi que ses trois collègues, Kim, Ilan Ross, et Raveed, au moment où explose la
bombe humaine ; L'attentat éponyme du film. Après la manifestation de la vérité,
quant à l'identité du suicidé, tout échange d'informations devient impossible entre les
personnages, eu égard à la perplexité de la situation, mettant en cause la
responsabilité incombée aux deux communautés.
Le film semble de prime abord adhérer à ce principe kantien, où le « devoir »
implique « pouvoir », selon lequel nul n'est obligé d'instituer ce que l'on ne peut
faire, car « l'action à laquelle le "devrait" s'applique doit en effet être possible dans
les conditions naturelles. »263 En effet, selon cette formule éthique, il faut que la
personne ait un déterminisme dans ses actions, ayant la capacité de prendre une
décision en toute conscience, ayant notamment pour principale condition : la liberté.
Cette indissociabilité de la responsabilité philosophique et la liberté d'action
constitue un débat philosophique chez Jean-Paul SARTRE, selon lequel :

Si, en effet, l'existence précède l'essence, on ne pourra jamais expliquer par une
référence à une nature humaine donnée et figée ; autrement dit, il n'y a pas de
déterminisme, l'homme est libre, l'homme est liberté, l'homme est condamné à être
libre. Condamné, parce qu'il ne s'est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre,
parce qu'une fois jeté dans le monde, il est responsable de ce qu'il fait.264

Or, la précision apportée dans la transécriture de L'attentat, quant à la notion de


responsabilité morale, maintient toujours un statut dilemmatique. Car au final, Sihem
devant le restaurant, rempli d'enfants, décide par elle-même de se faire exploser, et
en fait une dizaine de morts et de blessés. Certains personnages jugent que Sihem et
son principal gourou sont responsables de leurs actions. Autrement dit, ils sont
blâmables puisqu'il d'agit d'un meurtre terroriste prémédité. Quoiqu'elle ne soit pas la
source de cet homicide, mais sa décision vient d'elle.
Rajoutant également qu'une responsabilité morale est nécessairement manifeste
sous formes de remords ou de contentements. Cependant, en l'absence de l'auteur de
l'attentat, quelle responsabilité morale répondra des intentions et de cet acte
délictueux devant la conscience ? Comment assumer des responsabilités qui ne sont
pas siennes ? Recouvrer sa responsabilité, quand on n'a pas su répondre présent à
l'appel de l'épreuve vis-à-vis de son pays d'origine ?

263
KANT Emmanuel, Critique de la raison pure, Éditions Flammarion, traduction de
l'allemand RENAUT Alain, Paris, 2006, p. 473.
264
SARTRE Jean-Paul, L'existentialisme est un humanisme, Éditions Gallimard, Paris,
1996, p. 38.

167
Certains ont avancé que son acte demeure plutôt louable, qu'ils en étaient fiers,
elle est même « devenue une icône locale » (Film) Voulant rencontrer, comme dans
le roman, le mentor de Sihem, Amine JAAFARI se voit conduire vers une église et se
trouve alors confronté à un prêtre, étant donné qu'elle était, contrairement au roman,
de confession chrétienne. L'opinion de ce dernier est que « Nous ne sommes pas des
islamistes, ni des chrétiens fanatiques, nous sommes un peuple complètement ravagé,
qui se bat par tous les moyens pour retrouver sa dignité » (Film) C'est pour ainsi
dire, s'il existait une quelconque responsabilité morale dans ce cas de figure, elle
serait attribuable à celui qui agit « selon sa conscience » (Film).
Cela dit, qu'il n'existe pas de consensus nécessaire autour de cette question. Nous
avons donc une œuvre mixte à la fois pour et contre toute responsabilité. Cela
n'empêche pas que le protagoniste ait des responsabilités, même s'il n'est pas
responsable de la situation telle qu'elle se présente pour la société du récit. Sa
position sur ce conflit, du moins dans le roman, se manifeste à travers ces propos : «
Il n'y a pas que le geste de Sihem. Il y a moi aussi. Si ma femme s'est donné la mort,
c'est la preuve que je n'ai pas sue lui faire préférer la vie. Je dois certainement avoir
une part de responsabilité. » (P.107)
Vis-à-vis de cette posture, il faut prendre des mesures. Si aucune conscience
morale ne persiste à veiller sur l'angle de vision du réalisateur, il en élargira la portée,
en laissant place au doute sur le but à obtenir. Donc, le réalisateur/adaptateur ne
répond pas, et c'est cette fin ouverte qu'il procure au film qui, précisément, produit
tout l'intérêt de l'œuvre, octroie tout son mystère à Amine JAAFARI ; est-ce à dire que
L'attentat adapté en film est un autre cas de littérature ? Toutes ces questions sur la
responsabilité et la solidarité, bien qu'elles soient différentes, sont liées et se
rejoignent, voire pour certains sont indissociables. En revanche, elles n'ont pas à
avoir de réponses communes. Des réponses qui varient en fonction du contexte et de
l'époque, et vaut tout de même la peine de les distinguer.

II.2 Jusqu'où va la solidarité ?


Le débat sur la solidarité du protagoniste est l'une des questions d'interprétation
philosophique les plus intéressantes que pose le film de DOUEIRI. Et ce n'est pour
trancher promptement ce débat, mais essayer de le garder ouvert encore une fois pour
voir ce qui, dans l'enceinte artistique cinématographique, justifie pareil cas
d’ambiguïté d'exemplarité morale. Qu'est-ce que la solidarité ? Quel rapport faut-il

168
penser entre le mécanisme politique d'une solidarité institutionnelle, et une approche
humaniste ?
Nous nous intéressons alors au dernier épisode du film afin d'étudier les
dialogues échangés entre les personnages. Après avoir rentré de Naplouse, Amine va
rencontrer son amie Kim, une scène qui n'est pas commune aux trois œuvres.
Film de Ziad DOUEIRI : L'attentat (2012) (retranscription personnelle des
dialogues)
À Tel-Aviv, Amine JAAFARI de retour de Naplouse, attend son amie Kim devant
sa voiture, dans un parking qui se trouve au bord de la mer.
Kim. – Je ne me suis pas fait du mauvais sang pendant trois semaines pour que tu me
dises qu'elle l'a fait. Ta famille, elle est au courant ?
Amine. – Pas plus que moi.
Kim. – Et pour les membres du groupe, tu as pu les rencontrer ?
Amine. – C'est derrière moi, Kim.
Kim. – Tu as dû apprendre des choses sur eux. Est-ce que ta famille est impliquée
dans tout ça ?
Silence (pendant qu'ils se promenaient sur une corniche)
Kim. – Je ne te comprends vraiment pas, tu sais ? Il y a eu dix-sept morts et en plus
huit seront handicapés à vie. Et parmi eux il y en a même que tu as opérés.
Amine. – Qu'est-ce que tu me veux ?
Kim. – Amine si tu sais quoi que ce soit tu dois parler à la police. Il y a un devoir
moral envers les victimes, tu leur dois la vérité.
Amine. – Arrête ! Ce n'est pas mon rôle. Ok ?
Kim. – Ils sont réussis à te convaincre.
Amine. – Je n'ai aucune intention de dénoncer quelqu'un, ni à la police ni à qui que ce
soit.
Kim. – Pourquoi ?
Amine. – Je refuse de collaborer à des mesures de répression, tu as entendu ? Ok ? Ce
conflit nous dépasse tous.
Kim. – Et tu protèges ces gens-là maintenant ?
Amine. – Non
Kim. – C'est à bras ouverts qu'on t'a accueilli, tu le sais, ici, tu avais une bonne vie.
Amine. – Je n'ai rien reçu, tout ce que j'ai je l'ai mérité.
Kim. – Parce qu'on t'a offert la possibilité, j'ai des doutes Amine, j'ai l'impression que
tout ce que tu disais avant …
Amine. – C'était des histoires ?
Kim. – Non, ça t'arrangeais. Je ne crois vraiment pas que l'on puisse vivre dans un
pays, et aussi profiter de ce qu'il a à offrir tout en refusant de le défendre.
Amine. – Mais de quoi tu parles ?
Kim. – La prochaine fois quand tu seras au bloc opératoire soignant les victimes d'un
attentat-suicide pose toi la question de savoir qui est-ce que tu tentes vraiment de
sauver ?

Pourquoi Amine JAAFARI préfère-t-il rester en dehors de cet engagement ?


Pourquoi préfère-t-il ne pas donner ses raisons ? Faire bonne contenance, son
honnêteté proclamée, son sérieux, excluent-ils toute duplicité ? En effet, le dialogue
échangé entre ces deux derniers dépasse en valeur éthique et en qualité

169
psychologique, celui du roman. Car, la dramatisation et l'objectivité de l'angle des
prises de vue de la caméra permettent le conflit entre eux avec les questions de la
solidarité, du sacrifice, et de la confiance mutuelle. L'ambiguïté autour de la
solidarité, voire la non-solidarité présente ici referme le récit filmique. Et c'est sur
cette dernière que le film de DOUEIRI est construit.

Le dilemme éthique n'est pas résolu dans le film et se conclut sans aucune
exemplarité morale, parce qu'il n'existe aucune loi qui dicte si nous devons quelque
chose à tout homme en détresse même si nous ne sommes pas responsables de son
malheur ni lié à lui par des liens familiaux ou sociaux. Kim précise seulement que
même s'il ne lui doit rien, même s'il n'a contracté envers elle et envers son peuple ni
dette ni engagement, c'est bien de leur venir en aide, stipulant de la sorte non pas une
obligation juridique, mais plutôt morale. Les raisons strictement immanentes par
lesquelles DOUEIRI explique ici l'interruption de la quête du médecin tiennent d'une
prise de conscience accrue. Nous pouvons le lire notamment dans l'extrait suivant,
car le conflit qui a bouleversé sa vie n'était pas :

Une querelle régionale comme les autres, et ce n’est pas seulement un affrontement
entre deux ‘tribus cousines’ malmenées par l’Histoire. C’est infiniment plus que cela.
C’est ce conflit, plus que tout autre, qui empêche le monde arabe de s’améliorer, c’est
lui qui empêche l’Occident et l’Islam de se réconcilier, c’est lui qui tire l’humanité
contemporaine vers l’arrière, vers les crispations identitaires, vers le fanatisme
religieux, vers ce qu’on appelle de nos jours ‘l’affrontement des civilisations’.265

En installant l'épreuve de l'assistance à un pays d'accueil, comme l'est Tel-Aviv


pour Amine JAAFARI, le film de DOUEIRI pousse la problématique un cran plus
loin : jusqu'où doit-on assister ? Et jusqu'où devrait aller la solidarité ? Quelles
bonnes raisons seraient recevables pour valider un tel abandon comme moralement
acceptable ? En l'incarnant dans la durée réelle d'une vie sociale, le film se charge, de
tous les problèmes que le roman dissimule. Car la transécriture de L'attentat a
imbriqué dans le film ce dialogue, raconté en un paragraphe dans le scénario, sous la
plume de DOUEIRI, et s'est confronté alors aux difficultés que le texte de Yasmina
KHADRA n’avait pas eu à rencontrer. Que se passe-t-il en effet quand Kim repart en
laissant seul Amine sur place ?
De fait, L'attentat en film met en scène des voix narrative donnant la mesure de
leur protestation face à la brutalité de la guerre qui a forcé ces amis à la dislocation.

265
MAALOUF Amin, Les désorientés, Éditions Grasset, Paris, 2012, p. 291.

170
Après tant de conflit et de combat, les choses ont mal tourné, et que Sihem l'a
abandonné, Amine décide de tout laisser derrière lui, et il trouve que ce n'est
aucunement son rôle, il s'agit plutôt d'un conflit qui, en vain, les dépasse tous. Cette
fin imprègne donc tout le récit de cette non-assistance, implicite avec laquelle le
réalisateur/adaptateur se débat. Du moment qu'on demande au protagoniste de sauver
un semblable, certes, mais qui ne lui est rien, qui ne lui est pas vraiment proche ; a-t-
il fait tout ce qu'il fallait faire ? Ce dont il pouvait ? Dans le cas contraire, est-ce
considéré telle une forme d'insoumission, de résistance, voire de subversion ? Ce
sont en réalités des questions différentes, mais néanmoins liées et interdépendantes.

II.3 La désobéissance civile et la résistance non-violente


Nous passons ainsi à l'idéologie de la désobéissance civile, définie par le modèle
de l'américain Henry-David THOREAU, en analogie avec celle de John RAWLS
développée dans son ouvrage Théorie de la justice, publié en 1971. L'analyse de
cette notion par le secrétaire national de Justice et Paix-France, Christian MELLON
entend par là non pas « une rupture de citoyenneté », ni « un acte insurrectionnel »,

Il s'agit d'une manifestation de « civisme » au sens fort : volonté d'œuvrer pour


l'intérêt général, même au prix de risques personnels. Le fait que la désobéissance
civile soit nécessairement publique, et recherche même la médiatisation la plus forte
(ce qui la distingue nettement de l'infraction criminelle), s'inscrit dans ce même
registre du civisme : l'acte vise à éveiller la conscience des autres citoyens, à susciter
un débat.266

Cette forme de résistance passive ne va pas sans risques personnels prévisibles,


dans la mesure où ceux qui la pratiquent peuvent recourir des peines (arrestation,
amende, réprobation de l'entourage) afin d'aboutir à des résolutions relevant, à tort ou
à raison, des intérêts, des valeurs et des objectifs partagés par les individus d'une
société. « C'est en tout cas une position éthique marquée que d'affirmer la possibilité
– voire l'obligation – de désobéir à la loi positive au nom d'une loi d'un autre ordre.
»267 Le principal objectif de cette désobéissance civile est l'abrogation ou
l'amendement d'une loi au caractère injuste ou la politique contestée, en exerçant une
certaine force de pression sur un régime autoritaire. Cette désobéissance exige
notamment un certain nombre de participants qui « jouissent d'un réel prestige moral

266
MELLON Christian, « Désobéissance civile », in Encyclopædia Universalis [en ligne],
consulté le 28 octobre 2018. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/desobeissance-
civile/
267
Ibid.

171
dans l'opinion. »268 Ce que semble traduire la position d'Amine JAAFARI, or, il
procédait dans le film lui-même directement aux opérations, à des exécutions, ce qui
est antinomique aux valeurs, même en ayant une motivation éthiquement forte.
L'action d'Amine JAAFARI fait appel également à l'idéologie de la résistance
non-violente, développée par l'indien Mohandas GANDHI au cours de son combat
contre la discrimination, les violences contre autrui au nom de la religion, ou d'une
conviction donnée et contre l'occupation britannique notamment. Ce mode de pensée,
qui dépend de multiples circonstances, puise ses sources philosophiques dans
l'éthique. Paul RICŒUR relève d'ailleurs avec justesse dans un article consacré à
L'homme non-violent et sa présence dans l'histoire, dans son ouvrage Histoire et
Vérité, les traites de cette technique « de la résistance et de la désobéissance »,
relatifs au modèle gandhien, à propos de ses compagnes exécutées en Afrique du Sud
et aux Indes :

On y remarquera un sens aigu des effets de masse, dans la discipline, la résolution et


surtout l'absence totale de peur à l'égard de la prison et de la mort ; ici le caractère
actif de la non-violence éclate : le véritable laisser-faire, aux yeux de GANDHI, c'est
la violence ; par elle je me livre au meneur, au chef ; la non-violence, c'est pour lui la
force.269

Le malheureux Amine JAAFARI est, en outre, loin de toute ambition politique,


or, la principale difficulté d'interprétation de L'attentat consiste sans doute, en fait, à
affronter l'énigme en tant que telle, sans la réduire d'emblée à un symbole
d'engagement politique. Le recours à cette issue - celle de l'éloignement - est
transposé dans le film comme étant la solution trouvée, la neutralité de sa position
vis-à-vis des scrupules moraux.
Or, dans une prise de vue autre, le réalisateur, comme à travers le personnage de
Kim toujours, bifurque vers une optique antinomique qui semble la marque d'une
mauvaise conscience persistante, qu'il tente constamment de recouvrir, de diluer, par
ces multiples mises en scène dilemmatique, pour se débarrasser du cas de conscience
que l'œuvre de KHADRA n'a pas soulevé. L'activité de la transécriture fait-elle donc
de l'œuvre cinématographique de DOUEIRI une sorte de reconstitution du texte
source au caractère casuistique ?

268
Ibid.
269
RICŒUR Paul, Histoire et Vérité, Éditions Seuil, Paris, 1967, p. 274.

172
La décision de la non-solidarité d'Amine insuffle en l'occurrence du dilemme et
de la perplexité, parce qu'il refuse de remettre à la police la lettre - envoyée par
Sihem avant sa mort, d'une part et d'autre, après avoir connu la vérité et rencontré ces
personnes avec qui elle coopérait, il décline toute responsabilité ou obligation à
l'égard de ceux qui l'ont accueilli. En un sens, c'est pour cela même que DOUEIRI
rajoute ce dernier discours entre Amine JAAFARI et son amie Kim Yehuda qui clôt le
scénario : car ce dilemme tenace qui soulève un autre questionnement éthique
difficile à résoudre, consiste à trouver un juste équilibre entre la lutte contre les
terroristes et la préservation des principes des droits de l'homme, en levant un voile
sur la question israélo-palestinienne.

III - Un dilemme dans le texte dramatique de BERTHIER

III.1 Le principe de la guerre juste


La réflexion se prolonge sur la problématique d'une littérature inscrite dans un
nouveau modèle d'éthique. Dans la pièce de Franck BERTHIER, écrivain et metteur
en scène français, adaptée en 2015, l'émotion remplit le même rôle que dans le roman
de Yasmina KHADRA, qui ouvre un espace de débat en obligeant à voir un
problème rémanent dans un éternel renouvellement, celui de la guerre juste. Un
thème considérablement illustré par tous les arts, et si fréquent dans toutes les
littératures depuis les chansons de geste, les romans de chevalerie projetant une
image exaltante de la guerre propice. Elle est notamment pour certains écrivains sens
du devoir, de la patrie, du sacrifice.
Or, avec l'évolution des mœurs, elle a eu ses détracteurs, en particulier chez les
moralistes, qui consistent à dénoncer son absurdité. De ce fait, rien ne montre mieux
comment la guerre n'est plus synonyme de gloire que la littérature moderne270 avec
des textes dont le discours est plus simple que celui des panégyristes, montrant de la
sorte la raison de l'hostilité ou les causes d'un conflit qui sont souvent d'une futilité
absurde. Comme la description de son cadre se fait de plus en plus critique, voire

270
Les plus importantes productions de la littéraire moderne ont eu pour vocation première
cette démystification de la guerre que met en œuvre Louis Ferdinand Céline dans la première
partie de son œuvre Voyage au bout de la nuit (1932) pour témoigner de son expérience du
fond et dénoncer le patriotisme mensonger et sur la monstruosité de la réalité guerrière.
(Jules Romain, Verdun, 1938 ; Blaise Cendrars, La Main coupée, 1946 ; Louis Ferdinand
Céline, Casse-pipe, 1948).

173
hostile et l'image des soldats les montre comme des hommes ordinaires, ni héroïques,
ni poltrons, victimes qui arrivent parfois à réchapper du péril.
Tel est le cas de la pièce de BERTHIER, sur le fond d'une paradoxale
convergence d'intérêts que se détache le débat qui oppose Amine JAAFARI et les
autres protagonistes pour savoir la légitimité du combat politique et l'exemplarité
morale. Le problème se pose dans les mêmes termes aujourd'hui à propos de la lutte
antiterroriste et ses dilemmes en démocratie qui use de moyens sans limite morale.
C'est justement dans les Lettres à un ami allemand, que CAMUS résumait tout le
dilemme de la guerre juste dans un contexte, pourtant difficilement contestable, de la
guerre contre le nazisme, en avouant à son ami allemand imaginaire « il est des
moyens qui ne s'excusent pas. Et je voudrais pouvoir aimer mon pays tout en aimant
la justice. [...] C'est en faisant vivre la justice que je veux le faire vivre.»271.
Évoquant ainsi toute la question d'usage de moyens condamnables au service d'une
fin juste, celle de la justice, or est-ce qu'ils peuvent être légitimés du point de vue
éthique ?
De la même manière, La transécriture de L'attentat en pièce de théâtre se situe
dans cette optique et soulève le problème, et expose des propositions contraires et
conditionnelles où elle laisse les protagonistes face à une alternative embarrassante,
et cela nous est révélé à travers leurs discours traversés par tant de questionnements
téléologiques et éthiques. Hormis le combat aveugle auquel ils font face, s'ajoute à
leur condition la condamnation à un autre instrument de contrôle et de domination
qui leur attache les esprits ; une guerre qui se manifeste sous forme d'une sujétion
morale, alors qu'aucune « guerre n'est justifiable car rien n'est au-dessus de notre
propre vie », se prononce Amine JAAFARI (P. 19).
De ce fait, comment tirer les différents critères de la moralité de la guerre à
travers L'attentat de BERTHIER ?
La vie de l'éminent chirurgien Amine JAAFARI bascule le jour où il découvre
que sa femme s'est fait exploser au milieu d'un restaurant rempli d'enfants à Tel-
Aviv. L'attentat ouvre en effet un débat, mais ne tranche pas la question qui évoque
le dilemme de la mort au caractère binaire ; celle du suicide de Sihem pour sauver
son peuple, commis au préjudice d'innocents enfants présents ce jour-là dans le
restaurant. L'émotion entraîne en effet une polémique hostile entre les personnages

271
CAMUS Albert, Lettres à un ami allemand, Éditions Gallimard, Paris, p.17.

174
de la pièce, dans laquelle la pitié est mise à l'écart du problème. La véritable question
déclenchée par l'émotion et prise en charge par le Kim, est plutôt :

Tu t'imaginais quoi ? Dix gosses sont morts en plus de sept autres victimes et de
dizaines de blessés ! Ces hommes [les extrémistes] cherchent à se venger c'est tout.
C’est primaire et stupide mais tu peux difficilement leur reprocher de défendre les
leurs… C’est quelque part aussi légitime que ta colère à toi, non ? (P.12)

Le texte théâtral déclenche alors une bipolarité axiologique qui adhère aux
valeurs et patriotique et antipatriotique. Dans la mesure où, une première partie des
protagonistes reproche à Sihem - et par insinuation son époux avec - son engagement
dans le conflit. Car, la cause défendue par cette dernière et les autres résistants n'est
pas perçue par les autres personnages comme une guerre juste puisqu'ils ont pris pour
devise : « La justice n'a pas de prix … » (P.26) Ainsi, leur engagement n'est pas reçu
au niveau éthique et politique où il mérite de l'être. Parallèlement, Leila, à son tour
reproche à son frère Amine son exil, son manque d'attachement au sol, sa trahison
envers son pays, puisqu'ils ne se sont pas revus depuis que l'un et l'autre ont choisi
leur camp. Selon elle :
Leila

La haine ça vient avec la conscience de son impuissance et il n’y a pas pire cataclysme
que l’humiliation. Ça ôte le goût de vivre. Ici, personne ne tue pour le plaisir. Nos
enfants que tu vois avec des frondes, des lances roquettes, ils détestent tous la guerre.
Eux aussi ils voudraient être honorables, être chirurgiens, stars de la chanson, acteurs
de cinéma, rouler dans de belles voitures et croquer la lune tous les soirs mais on leur
refuse ce rêve. On cherche à les cantonner dans des ghettos. C’est pour ça qu’ils
préfèrent mourir. Sihem l'avait compris. (P.33)

La question des priorités morales se traduit chez ces résistants par une éthique de
type téléologique ; c'est la finalité qui est déterminante pour leur choix. Leurs
engagements les aveuglaient au point de leur faire perdre toute capacité de
discernement. Comme Sihem qui a commis l'incommensurable ; L'attentat. Cette
attitude l'oppose à Amine JAAFARI qui s'insurge contre son choix, en considérant ses
actes inéluctablement répréhensibles, selon lui, une fin juste ne justifie jamais un
moyen moralement indigne. Pour ce qui est de la position de ce dernier ; c'est de la
saugrenuité à vouloir entrer dans un jugement de proportionnalité entre ce qui est
moralement indéniable ou irrecevable dans une action qui est illégitime usant de
moyens sans limites morales. Cette dernière proposition est considérée comme
exemplaire des raisonnements modernes sur la guerre juste. Ou pour le dire

175
autrement, à travers ce choix confirmé par L'attentat de Franck BERTHIER de
conserver à l'écoute le droit à intervenir sur le terrain de la rationalité politique.

III.2 Une relecture de la Loi morale du talion


Le texte théâtral de BERTHIER remet en cause cette pensée sur la loi morale du
talion au nom de la liberté, qui consiste à traiter le coupable de la même manière qu'il
a traité les autres. Autrement, de dédommager la victime proportionnellement au
préjudice subi : le prix d'un œil pour un œil. Or, dans cette œuvre qu'est-ce qui
pourrait fixer le prix d'une patrie, d'une part et d'autre, celui d'innocents enfants ? Qui
paiera le crime commis et luttera contre les forces du mal de manières exemplaires ?
Afin de répondre à ces questionnements, il convient d'emblée de rappeler le sens
courant sur l'interprétation de la loi morale du talion dans l'imaginaire occidental, qui
vient en fait de la volonté judaïque. Ainsi, dans Les Dix Commandements, qui
constituent la Loi de Moïse, une sorte de code de morale, de droit pénal et civil, que
nous trouvons au chapitre 21 (verset 24), « la loi du talion », prononcée lors d'un
préjudice opéré par accident, où on rendra « œil pour œil, dent pour dent, pied pour
pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour plaie. » Cette
loi constitue l'un des principes, faisant l'objet de commentaires innombrable dans
l'exégèse juive traditionnelle, afin d'évaluer la pertinence morale et les conditions
d'application particulières.
Le christianisme a notamment hérité cette légitimation de la peine de mort de la
tradition juive. En outre, dans l'Évangile de Mathieu, la volonté chrétienne, marque
sa différence avec la loi morale du judaïsme, où Jésus cite la parole de l'Exode, afin
de la récuser, mais au prix d'une contestation volontaire sur la façon dont il faut la
comprendre :

Vous avez entendu qu’il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. Eh bien ! Moi je vous
dis de ne pas tenir tête au méchant : au contraire, quelqu’un te donne-t-il un soufflet
sur la joue droite, tends-lui encore l’autre ; veut-il te faire un procès et prendre ta
tunique, laisse-lui même ton manteau ; te requiert-il pour une course d’un mille, fais-
en deux avec lui. A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le
dos. 272

Quant au discours philosophique, il ne parlera pas toujours en faveur de la loi du


talion. À titre d'exemple, dans son ouvrage Réflexion sur la guillotine Albert
CAMUS énonce que le talion est, en son essence, telle :

272
Bible l’Évangile de Matthieu (V, 38-42)

176
Une réponse quasi arithmétique que fait la société à celui qui enfreint sa loi
primordiale. […] Il s'agit d'un sentiment, et particulièrement violent, non d'un
principe. Le talion est de l'ordre de la nature et de l'instinct, il n'est pas de l'ordre de la
loi. La loi, par définition, ne peut obéir aux règlent que la nature.273

Similairement, les personnages de la pièce de BERTHIER rappellent la loi du


talion dans un contexte de réflexion sur la façon de réagir au mal que subit
volontairement le peuple arabe et juif, contraints de vivre dans une obligation de
proportionnalité malencontreuse. Et pourtant cette loi du talion est dénoncée par Kim,
selon laquelle c'est une loi qui ne peut mener qu'au cataclysme, notamment en ce qui
concerne le conflit israélo-palestinien. Elle, qui a toujours affirmé son idéologie
pacifiste, exprime à travers son discours sa position négative vis-à-vis de tout ce qui
constitue le conflit. À ce sujet elle précise : « un attentat n’arrive jamais par
hasard...C’est toujours une réponse. On envoie un drone, ils répondent par une
bombe. Et si c'était nous qui refusions d’écouter ? » (P. 13) S'il n'y a pas d'entente,
comme l'énonce Kim, les limites ne sont pas aisées à définir dans l'usage de la
violence.
Le discours d'Amine JAAFARI rejoint ainsi celui de Kim en extirpant le principe
de cette loi qui lui paraît en dislocation avec la justice, puisqu'il s'agit de la privation
de la vie, en répondant à Leila « Cela ne me convient pas... Votre logique ne me
convient pas. Vous faites une gloire de la mort, pas moi. » (P.33) Il défend de la sorte
un certains nombres de principes, selon lesquels se faire justice soi-même semble
lointain et utopique ou relève plutôt de l'impossible, dépassant de loin sa mission.
C'est ce que Yasmina KHADRA précise, lors d'un entretien à propos de son roman
L'attentat : « La barbarie est faite pour être vaincue. Toute l’histoire de l’humanité
nous le prouve à travers les âges. L’Humanité saura toujours survivre aux
cataclysmes qu’elle provoque, qu’ils soient politiques, idéologiques ou religieux. »274
L'adaptateur tente alors de redéfinir cette loi du talion, cette réciprocité de la
peine, en ôtant à la victime le droit de se venger en suivant sa seule colère, pour
confier à la collectivité, au pouvoir judiciaire la tâche de rendre la justice. La charge
de la loi morale du talion, dans la perspective théâtrale, sert en effet à témoigner

273
CAMUS Albert, Réflexion sur la guillotine, Éditions Folio, Paris, 2008, p. 28.
274
Yasmina KHADRA invité en 2016 à Mulhouse pour une conférence organisée par la
librairie 47° Nord afin de l'interroger sur sa trilogie : Les hirondelles de Kaboul (2002),
L'attentat (2005), Les Sirènes de Bagdad (2006), principalement L'attentat en relation avec
les attentats survenus en France en 2015.

177
d'une relecture qui abolit indubitablement l'Ancienne Loi, puisque son contre-sens
dure jusqu'à aujourd'hui, considérée habituellement – à tort – comme une règle de
vengeance que le texte théâtral renvoie à l'infra-moralité.

III.3 « Une mort contre cent vies. Mais c'est de l'arithmétique ! »275
La problématique de l'existence des limites à la violence au service du bien est
fortement présente dans l'héritage de la littérature universelle, mais qui se renouvelle
à chaque fois avec le changement des époques, voire l'évolution des mœurs. Or, et
c'est l'élément le plus fascinant dans la transécriture de L'attentat en pièce de théâtre,
ce retournement axiologique du sens de l'œuvre source, est perceptible d'abord dans
la littérature occidentale : Fiodor DOSTOÏEVSKI, Victor HUGO, James JOYCE,
Stefan ZWEIG, Albert CAMUS, pour ne citer que quelques noms, voire dans
l'expérience historique à travers les témoignages de déportés et la réflexion sur le
phénomène totalitaire, avant de se trouver justifié par un renouveau des lois et textes
du droit. Tel est le cas de la pièce de théâtre de BERTHIER, initiatrice d'une
nouvelle traduction du roman, autrement dit, le dilemme est ici pertinemment
accentué, au-delà de ce que le texte d'origine donnait à voir.
Cette formule, « Une mort contre cent vies. Mais c'est de l'arithmétique ! », tirée
de Crime et Châtiment (1866), le roman de l'écrivain russe Fiodor DOSTOÏEVSKI,
est prononcée lors d'un débat entre un étudiant et un jeune officier, sur l'éventualité
d'un meurtre d'une vieille usurière, dont la vie n'est utile à personne, au contraire, elle
est malfaisante :

Si on la tuait et qu’on prenne son argent avec l’intention de le faire servir au bien de
l’humanité, crois-tu que le crime, ce tout petit crime insignifiant, ne serait pas
compensé par des milliers de bonnes actions ? Pour une seule vie, des milliers
d’existences sauvées de la pourriture. Une mort contre cent vies. Mais c’est de
l’arithmétique ! D’ailleurs, que pèse dans les balances sociales la vie d’une petite
vieille […] ? 276

Alors que Raskolnikov, le protagoniste du roman un pauvre étudiant, assis près


de ces deux dernier dans cette taverne entend tous leurs propos, lancés au départ dans
une diatribe contre l'injustice du sort et de l'inégalité de la répartition des ressources
entre misérables méritants et riches indignes, un discours qui va aller jusqu'à

275
DOSTOÏEVSKI Fiodor, Crime et Châtiment, Tome I, Éditions Bibliothèque de la
pléiade, traduction du russe par ERGAZ Doussia, Paris, 1950, p. 163.
276
DOSTOÏEVSKI Fiodor, op.cit., p. 163.

178
défendre un droit de tuer ceux qui ne méritent pas de vivre et nuisent à ceux qui eux,
le méritent. Ce discours le suscite à passer à l'acte et devient de la sorte le meurtrier
de la vieille, prétextant un droit de tuer ceux qui ne méritent pas de vivre et nuisent à
ceux qui eux, le méritent. C'est ce qui fait le rapprochement entre L'attentat de
BERTHIER et le texte de DOSTOÏEVSKI, parce qu'il met la morale au premier
plan, reléguant la justice au second. Ce dilemme, qui est celui de la justice-même, est
relevé par le juge d'instruction Porphiri Petrovitch de Crime et Châtiment :

De cas général, c’est-à dire qui réponde à toutes les formes et formules juridiques, ce
cas type pour lequel les règles sont faites et écrites, il n’y en a point, pour la bonne
raison que chaque cause, chaque crime, si vous voulez, à peine accompli, se
transforme en un cas particulier, et combien spécial parfois : un cas qui ne ressemble à
rien de ce qui a été et paraît n’avoir aucun précédent.277

Quant au texte théâtral de BERTHIER, une identique péripétie morale est


interposée sur laquelle nous nous interrogeons : n'existerait-il pas d'autres moyens
afin de libérer la Palestine, hormis celui de l'assaut ?
Sihem réussie à se faire exploser au milieu d'un restaurant rempli d'enfants,
laissant sur place une dizaine de victimes, sans un mot, et sans que l'adaptateur du
roman ne nous donne le moindre accès à sa pensée. Ce droit de tuer, et se faire tuer
également dans L'attentat de BERTHIER prétendu inspiré par une profonde
conviction, est parfaitement hostile et souvent même stérile.
Examinons un autre exemple qui soulève encore les questionnements tant
politiques que moraux par ses propres enjeux d'éthiques en alliance avec L'attentat
de BERTHIER. Il s'agit bien de la pièce théâtrale d'Albert CAMUS ; Les Justes
(1949) qui situe son action pendant la guerre civile à laquelle la révolution russe de
1905 fait face. Tout le débat de la pièce est sur est-ce qu'il faut lancer la bombe sur la
carrosse du grand-duc - ou non - dès que l'occasion se présente, et qui se jour-là était
accompagné de deux enfants. Autrement, Existe-t-il des limites à ce qui peut servir
cette cause ? 278
La transécriture de L'attentat en pièce de théâtre, comme celle des Justes, ouvre
un espace de débat sur la question de savoir si le droit de tuer n'épargne ni enfants ni
femmes. Leila est tout prête à le faire, si on lui donne l'ordre de le faire, en énonçant :
« je pourrais donner ma vie pour la Palestine. » (P.33) Sa prise de décision comme

277
DOSTOÏEVSKI Fiodor, op.cit., p. 143.
278
CAMUS Albert, Les Justes, Paris, Éditions Gallimard, Paris, 1977, p. 75.

179
celle des autres révolutionnaires écarte la pitié qui n'est pas ici un facteur légitime
d'engagement. Les sentiments ne sont plus également une contestation assez
suffisante à la tyrannie. Parce que, quand l'émotion se mêle, il serait plus compliqué
de justifier une mort quel que soit le nombre ou la nature du crime. Les personnages
de ces grands auteurs, comme celui de L'attentat, ont tous un point commun : de
profond ressentiment, dans les Justes, voire celui de Crime et Châtiment, le dilemme
éthique « d'une mort contre cent vies » et de la légitimité se donne à percevoir. C'est
pour ainsi dire que l'existence de ces dilemmes moraux insolubles se perpétue encore
aujourd'hui.

180
Cette analyse comparée, entre L'attentat roman et sa transécriture, nous a permis
de comprendre les aménagements et, ou, les bouleversements que la transécriture
peut faire subir à l'œuvre source, quand un cinéaste productif ou un metteur en scène
inventif s'en emparent. Yasmina KHADRA a séduit Ziad DOUEIRI, Franck
BERTHIER, mais aussi Loïc DAUVILLIER, notamment par la qualité de l'intrigue
de L'attentat, l'efficacité du récit, relativement bien construit, qui la prédestine à être
adaptée sur scène. Malgré les modifications apportées à l'œuvre initiale par ces
adaptateurs, la résultante de ce processus n'est en effet qu'enrichissement, aux
perceptions parfois obtuses.
C'est ainsi que L'attentat, un autre cas de la littérature, pose à nouveau la
question fondamentale entre la littérature et la philosophie. La transécriture de
L'attentat retisse cependant un lien entre création poétique et système des idées
générales, principalement artistiques (cinéma, théâtre et bande dessinée). De ce fait,
cette expérience éthique se reflète dans L'attentat, ainsi que dans ses différentes
réécritures, certes de diverses façons, ayant pour finalité de renvoyer à un ordre
nouveau de la littérarité.
En termes sémiotiques, cette transmutation approfondit justement le problème de
l'insurrection entre approbateurs et détracteurs, qualifiée selon CAMUS comme étant
« le plus sacré des devoirs » ; étant le cas de la transécriture de L'attentat en pièce de
théâtre dénonçant la terreur du sionisme, qui transforme le juste instinct de révolte
que porte tout homme bien né en une sanglante révolution. Favorable à la libération,
le film de DOUEIRI prend cependant une position en retrait sur celle des autres
adaptations.
L'auteur, comme l'adaptateur, sont présentement contraint à renoncer à toute
originalité créatrice absolue, une particularité inhérente de l'écriture actuelle qui
favorise le brassage de l'écriture avec l'art de la scène comme celui de l'image, etc.
D'ailleurs, ceci constitue l'objectifs de toute adaptation de puiser d'une pensée aussi
riche que celle de la création poétique, voire d'utiliser une pensée dans le sens de ses
intérêts, en prélevant les passages qui vont dans le sens de l'interprétation de
l'adaptateur, cédant en effet la voie qui offre à la littérature, essentiellement
contemporaine, de s'affirmer.

181
CHAPITRE TROISIÈME :

LA SYMBOLIQUE DE LA CHUTE

DANS L'ATTENTAT ET SA

TRANSÉCRITURE
L'attentat est sans doute le roman le plus exploité en matière d'adaptation de
toutes les œuvres de Yasmina KHADRA. Le roman est constitué de deux blocs ; le
premier représente la vie d'Amine JAAFARI avant l'attentat menant une vie sereine à
Tel-Aviv, le second évoque toute la vie ultérieure du narrateur inspirée par la quête
d'une seconde chance symbolique, d'une nouvelle occasion de se prouver qu'il est
quelqu'un de bien, de se sacrifier et de mourir en héros courageux et altruiste. Et cette
occasion, Amine croit la trouver quand, après des années d'exil, où nul ne le reconnaît
plus et où il a recommencé une vie réconciliée, il assume en offrant sa vie, son erreur
de jugement fatal au peuple auquel il s'est lié.
Tout cela installe la lecture de L'attentat dans une sorte d'instabilité. La diégèse
n'est pas compliquée à suivre, il y a en effet très peu de faits à démêler, mais ce qui
est beaucoup plus étonnant, c'est la réalité morale sur laquelle ce vaste dispositif de
voix et de points de vue cherche à mener l'enquête. Car, le principal événement de
l'intrigue du roman est bien l'attentat, l'événement à l'origine du traumatisme d'Amine
JAAFARI, qui réside dans le sillage d'un fait commis par sa femme, et il passe tout le
reste de la trame narrative à essayer de survivre psychiquement et moralement à ce
moment où elle a fait défaut.
C'est un autre débat d'interrogation que soulève le roman. La chute d'Amine
JAAFARI, et, a fortiori, de sa transécriture, ce ne sont pas donc les faits, ni la
manière dont il les a vécus ou ressentis, mais la trace qu'une telle expérience morale
laisse sur nous qui en sommes les témoins, les observateurs à distance. En d'autre
termes, non seulement qu'est-ce que cela fait au narrateur qui a vécu ce drame moral
mais qu'est-ce que cela nous fait à nous qui en entendons parler ?
Le roman de Yasmina KHADRA est le récit d'une défaillance morale, et peut
être lu dans une autre perspective philosophique, celle de la chute. Et ce faisant,
toutes les adaptations qui en suivent, (film, pièce de théâtre et roman graphique)
appréhendent, chacune avec son propre angle de vision, les causes et les étapes, ainsi
que les effets produits pas la chute.

I - Le Mythe eschatologique
I.1 L'exégèse du mythe de la Chute
Théologiquement le terme de la chute désigne une faute entraînant la perte des
mérites devant Dieu et qui attire toujours sous les pas du personnage de nouveaux

183
abîmes, voire d'autres chutes. Cet épisode de la Chute est raconté dans le chapitre
trois de la Genèse ; racontant la Chute d'Adam et Ève, désobéissant à la seule
restriction posée par Dieu à leur liberté au Jardin d'Éden. La conséquence de leur
acte, c'est la condition humaine telle que nous la connaissant, soumise à la mort. Ce
mythe est cependant un récit étiologique, puisqu'il dit pourquoi et à la suite de quoi la
condition humaine est ce qu'elle est, et définit la malédiction ontologique qui lui est
attachée. Ce mythe aux enjeux multiples porte une réflexion polysémique sur le plan
moral, qui est repris à maintes reprises dans la littérature.
L'attentat, encore un autre cas de littérature, convoque le mythe sous une
nouvelle forme où c'est le mythe de la Chute lui-même qui fait figure d'intertexte.
Car, la lecture de L'attentat insiste sur la dimension du châtiment de la démesure de
Sihem, et ce roman serait ainsi une nouvelle perte d'une zone de confort faussement
agréable, où le sort d'Amine est assimilé à celui d'Adam, et l'acte de Sihem à celui de
Satan. Car, selon la tradition judéo-chrétienne, elle a succombé à son premier assaut,
ce qui a conduit leur chute. Cette opinion, quoiqu'elle soit détractrice, ne constitue,
tout de même, pas l'unanimité de l'ensemble des personnages, ou encore des autres
adaptations.
Remarquons également que, dans le texte, le
narrateur condamne moralement l'action de sa femme, et
prouve qu'il a un jugement moral, une intention de
vengeance, de punir une faute. Et la transposition de
L'attentat par Loïc DAUVILLIER reste fidèle au code du
roman, elle induit en revanche une transformation
radicale de l'esthétique d'écriture, d'où la réduction
considérable du texte et l'élimination du surplus descriptif
remplacé certainement par les illustrations iconiques.
Notre corpus fait écho non seulement au scénario chrétien de la Chute mais aussi
à celui de l'apocalypse, et à travers lequel est représenté le mal dans le monde. Le
narrateur, à travers son discours vers la fin du récit, offre une image apocalyptique de
Janin foudroyée par un drone : « En une fraction de seconde, le ciel s'effondre, et la
rue, un marnent engrossée de ferveur, se retrouve sens dessus dessous. » (P. 253)
Désireux de montrer ce que la société actuelle a fait l'individu, Yasmina KHADRA
prend alors pour thème, non seulement le mythe antique de la chute, mais aussi la fin

184
du monde, en substituant à ce modèle une version moderne qui culmine dans le détail
du renversement, de l'effondrement dû à cette faute.
À lire en parallèle avec le mythe de la Chute, et au-delà de la portée théologique,
l'acte kamikaze est interprété dans la philosophie comme une expérience
prométhéenne, une marque d'hybris de la part de Sihem cherchant à s'élever, par ses
propres moyens, malgré sa finitude, afin de rendre justice et dignité à l'histoire
complexe de sa nation ; un acte porteur d'enjeux moraux et métaphysiques :

Sihem ne voulait pas de ce bonheur-là. Elle le vivait comme un cas de conscience. La


seule manière de s'en disculper était de rejoindre les rangs de la Cause. C'est un
cheminement naturel quand on est issue d'un peuple en souffrance. Il n'y a pas de
bonheur sans dignité, et aucun rêve n'est possible sans liberté... (P.229)

Pour illustrer nos propos nous reprenons le passage d'Albert CAMUS qu'il
prononça en 1955 dans son discours à Athènes lors d'une conférence sur le devenir
de la tragédie : « celui qui, par aveuglement ou par passion, ignore cette limite, court
à la catastrophe pour faire triompher un droit qu'il croit avoir seul. »279 L'attentat
engendre donc une forme de doxa paradoxale entre ceux qui, comme le précise
Aristote dans Rhétorique II, « croient se donner un avantage de plus sur ceux
auxquels ils font du tort. »280, en mettant en scène deux personnages : l'un usant de
représailles, fait acte de vengeance, et l'autre puni, voire maudit pour son hybris
envers son pays. D'une certaine manière, sa faute morale réside dans le fait de
tourner « le dos à ces terres chahutées et muselées […] » (P. 243) et ce cas précis
nous permet d'établir un lien avec le concept aristotélicien de l'hamartia :

C'est le cas d'un homme qui, sans atteindre à l'excellence dans l'ordre de la vertu et de
la justice ni sans devoir non plus son sort au vice et à la méchanceté, mais à cause
d'une hamartia (d'un faute), tombe dans le malheur, un de ces hommes qui jouissent
d'un grand renom et d'un grand bonheur.281

Les deux ouvrages, de KHADRA comme celui de DAUVILLIER, sont bien dans
l'hamartia, étant donné que le personnage bascule du bonheur dans le malheur ;
enclenché par la chute, doublement intense, de Sihem, puis par Amine JAAFARI qui
n'aurait pas dû affronter son destin, nous conduisent à faire face à deux volontés

279
CAMUS Albert, « Conférence d'Athènes sur l'avenir de la tragédie », in Essais, Édition
Gallimard, Paris, 1981, p. 1705.
280
Aristote, Rhétorique II, trad. Émile RUELLE, 1922, [en ligne] consulté le 22 mars 2019
http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/rheto2.htm#II
281
FRAZIER Françoise, Poétique et création littéraire en Grèce ancienne : la découverte
d'un nouveau monde, Édition PUF, Paris, 2009, p. 205.

185
génératrices de chocs qui se percutent, et finissent par déclencher un dilemme. Ainsi
est-il question de représenter le conflit tragique de deux vérités également légitimes
et les antinomies fondamentales de l'existence.
Cette chute se joue cependant sur des enjeux réduits qui renversent tout
enchantement héroïque, où il n'est plus question de l'antagonisme de la conscience et
de la raison. « Antigone a raison, Créon n'a pas tort. »282 disait CAMUS, une idée
qui est fortement présente dans ses écrits, à savoir Les justes, ou encore L'État de
siège, que nous retrouvons notamment ici. Il est à noter que cette œuvre est bâtie sur
le partage des valeurs, étant donné que « chacun des deux adversaires est justifiable,
aucun n'est juste »283

I.2 La figure de la condition humaine dans L’attentat


Le sujet traité, dans le roman comme dans les planches, touche cet aspect de la
condition humaine ; qui est en l'occurrence celui de la guerre et de la solitude, et tout
ce qu'elles peuvent engendrer comme effets négatifs. Un déplacement des
interrogations liées à la vision traditionnelle de la réflexion sur la condition humaine,
où le personnage est condamné et Yasmina KHADRA ne lui laisse aucune chance de
réussite. De la sorte, comment ce récit construit-il, objectivement, une représentation
de la condition humaine ? Le médecin se trouve accablé de chagrins, de déboires et
de solitude, après la mort de sa femme et lui avoir annoncé la nouvelle, il se livre «
Je me sens patraque, halluciné, dévitalisé. Ne suis qu'un énorme chagrin
recroquevillé sous une chape de plomb, incapable de dire si j'ai conscience du
malheur qui me frappe ou bien s'il m'a déjà anéanti. » (P.33)
Confirmer l'identité du kamikaze, par la suite, ne fera que perdurer toutes ses
amertumes. Ce roman, le roman graphique notamment, mettent en œuvre un
personnage qui, désespéré par la trahison de sa femme, se sent frustré de son propre
sort, racontent, par les moyens qui leurs sont propres – narration et usage de
l'iconographie – comment ce personnage basculait dans le néant : « De nouveau, le
noir, sauf que cette fois je suis seul au monde, sans ombre gardienne et sans
souvenirs, hormis cette frayeur nauséabonde dans les tripes […] » (P.217). Ce texte
met cependant l'émotion au service d'une réflexion sur la condition de l'homme et de

282
CAMUS Albert, op. cit., p. 1705.
283
PARIZET Sylvie (dir.), Lectures politiques des mythes littéraires au XXe siècle, Édition
PUP, Paris, 2009, p. 286.

186
ce qui le dépasse : métaphysiquement vis-à-vis de la mort ou du mal, ou encore face
au collectif, au mal totalitariste, à l'injustice sociale d'une part. Par ailleurs, face à son
intérieur, le protagoniste, accablé par les coups du sort, s'immerge dans des
désillusions opaques et amères. Ce récit se dresse comme une vérité morale, et cette
fatalité se manifeste, à juste titre :

À travers une déception, […], devant le spectacle d'une injustice, que l'homme
s'aperçoit de ce qu'il est et s'interroge sur son existence. Souffrir par les autres apparaît
souvent comme l'essence même du mal, et le désarroi de l'homme, désarmé devant sa
destinée, peut se dissimuler derrière une simple description des servitudes et des
trahisons qui défigurent ou constituent toute vie sociale.284

Il convient également d'apporter une précision quant à une ambiguïté qui se


présente dans le texte, dans la mesure où le personnage Adel porte un tout autre
regard sur la tragédie de la condition humaine. Il certifie que le jugement porté sur
cette dernière ne découle pas d'une position ontologique, en revanche de convictions
personnels et subjectifs : « On ne choisit pas son destin, mais c'est bien de choisir sa
fin. C'est une façon démocratique de dire merde à la fatalité. » (P.252) Cette réponse
n'éprouve pas l'absurdité de la condition humaine, ni de ce qui vient de la mort, mais
du monde dans lequel il vit. En ce sens, la posture d'Adel se démarque de celle
d'Amine JAAFARI qui ne parvient pas à dépasser la crise, voire la providence. Le
regard du neveu renvoie à cette conjoncture de la conscience de l'absurdité du monde
avec la conviction de pouvoir changer son destin, une particularité qui s'inscrit
parfaitement bien dans l'optique du dynamisme malrucien.285
Dans un autre format d'angle d'approche, ou encore dans un style de narration
autre – l'utilisation de l'iconographie par exemple – l'album de DAUVILLIER invite
également le lecteur à prendre connaissance de la condition de l'homme sur un plan
philosophique quant à ce que la guerre lui expose comme images de persécution et
de cruauté. L'esthétique de dessiner L'attentat pallie l'insuffisance et les limites de

284
MAUZI Robert, L'idée du bonheur dans la littérature et la pensée française au XVIIIe
siècle, Éditions Armand Colin, Paris, 1976, p. 51-52.
285
Sur la quatrième de couverture de l'œuvre d'André MALRAUX, La condition humaine,
André GIDE, avant de décrire cette dernière, pose d'emblée une question : « Outre
l'irréductible échéance liée à la mort, outre les multiples et indicibles souffrances, n'est-il
pas donné à tous de choisir son destin ? », et la décrit par la suite comme : « une intelligence
admirable et, malgré cela, profondément enfoncé dans la vie, engagé, et pantelant d'une
angoisse parfois insoutenable. ». Se rapprochant de MALRAUX, ou encore
d'HEMINGWAY, Yasmina KHADRA nous fait également réfléchir sur la notion du combat
et le risquer sa vie pour l'honneur et la survie de sa nation.

187
l'esthétique d'écriture et propulse une image assez monstrueuse de la chute d'Amine
JAAFARI à la fin du roman graphique. Ainsi DAUVILLIER aborde-t-il la question
du deuil dans des cases hautes en couleurs, avec des planches qui témoignent par
ailleurs de la force profonde et expressive.
Alors que la dimension de la dernière planche de
l'album de Loïc DAUVILLIER incarnant la chute
d'Amine JAAFARI, est plutôt retranscrite dans une case
verticale en reliant le supérieur et l'inférieur, le lien entre
le ciel et la terre, c'est là encore tout le poids du fatum,
de l'écrasante fatalité. Cette dernière a notamment un
effet de lourdeur, froideur, et a une fonction sémiotique
puisqu'elle renforce l'impression que le protagoniste,
étant encerclés par ses ennemis et les événements
importuns. Justement cette dernière planche, telle une fresque d'une bataille antique,
en une seule case, retient l'essentiel de la condition de l'homme en abordant ainsi des
aspects de la chute dans ce qu'elle a de symbolique.
La transécriture de L'attentat se présente comme une autre histoire en roman
graphique, et affirme en effet la nécessité d'explorer une seconde fois les
questionnements existentiels qui relèvent de l'essence même de la condition
humaine, à travers un personnage en quête de vérité, quitte à frôler l'enfer, sans
apporter de réelles réponses. L'attentat expose avec une égale rigueur les crimes des
deux camps, en laissant place cependant à un épisode de drame. Car ce roman est en
soi un drame qui finit par en susciter un autre ; la lutte des deux peuples meurtris est
aussi bien décrite dans le roman que dans l'album.

I.3 Le scénario mythique de la femme destructrice


Tous les siècles n'ont pas eu la même idée de la femme. Occupant une place
prépondérante au sein de la création poétique et artistique, la construction du sujet
féminin entre tradition platonicienne et tradition chrétienne a procuré des images
paradoxales. Le symbole de la figure féminine s'infléchit cependant d'une
représentation de la fécondité, la fragilité et la création voire une image angélique,
vers le démon. Les premières polémiques sur la création de la femme, en principe
condamné pour sa misogynie, prétendaient se référer au discours religieux, judéo-
chrétien notamment. Eu égard au récit mythique eschatologique, dans lequel la

188
responsabilité d'Ève, qui désobéit en premier puis induit inévitablement Adam sur la
même voie, est fortement accentuée dans la tradition judéo-chrétienne, et a eu une
influence considérable sur la vision de la femme au cours des siècles. Il est en partie,
à l'origine du mythe littéraire de la femme fatale, dangereuse et tentatrice pour
l'homme, qui risque toujours de le conduire à sa perte.
De ce fait, outre la concentration de notre travail sur les questions morales et
éthiques, ce titre se propose de réfléchir, à partir de L'attentat, roman et roman
graphique, sur le statut de la femme ou son devenir qui suscite encore des
interrogations dans la société arabo-musulmane, ou encore occidentale. Car, dans la
transécriture de L'attentat, les metteurs en scène et adaptateurs se sont beaucoup plus
attardés sur le sort du protagoniste d'Amine JAAFARI que celui du personnage
féminin Sihem. Alors que le geste héroïque, d'une part et d'autre, destructrice de cette
dernière se trouve davantage accentué à travers le texte de Yasmina KHADRA.
Il convient d'admettre que l'écriture de Yasmina KHADRA s'inscrit dans une
optique qui tend vers la construction d'un statut mélioratif de la femme, et porte
également une réflexion sur la pertinence de penser le féminin. Hormis L'attentat, ce
sont ses autres romans Les Hirondelles de Kaboul (2002), Cousine K (2003), Les
Sirènes de Bagdad (2006), Ce que le jour doit à la nuit (2008), etc. qui privilégient
une transmutation du sujet féminin vers un personnage aux identités culturelle et
sociale diverses, qui s'émancipent et acquièrent des hardiesses qui ne leur
appartenaient pas. Or, via ce récit, le sujet féminin à l'origine de cet attentat, réuni en
un même personnage création et destruction, crée une dichotomie du
sauveur/coupable, se manifestant sous une forme de complémentarité, dans la mesure
où elle expose d'une part une image bouleversante où elle exprime son mal à être au
sein de cette division, celle de la difficulté de la réduction d'une luxation entre cette
identité double palestinienne et israélienne qu'elle « vivait comme un cas de
conscience. » (P. 229), et finie par se faire exploser.
Par ailleurs, nous pouvons tout de même dire que ce texte marque un transfert
vers une autre finalité ; celle de la résolution de la crise identitaire qui passe
inéluctablement par le symbole du sacrifice, Adel à son oncle Amine JAAFARI
précise :

Pourquoi pas elle ? Pourquoi veux-tu que Sihem reste en dehors de l'histoire de son
peuple ? Qu'avait-elle de plus ou de moins par rapport aux femmes qui s'étaient
sacrifiées avant ? C'est le prix à payer pour être libre... Elle l'était. Sihem était libre.
Elle disposait de tout. Je ne la privais de rien. La liberté n'est pas un passeport que

189
l'on délivre à la préfecture, ammou. Partir où l'on veut n'est pas la liberté. Manger à
sa fin n'est pas la réussite. La liberté est une conviction profonde ; elle est mère de
toutes les certitudes. […] (P. 228)

Non seulement, dans L'attentat, plusieurs passages concernent cette image de la


femme héroïne à laquelle tout sujet littéraire est convié, mais en outre, ce type de
personnages dans les textes de Yasmina KHADRA cherchant la victoire désigne, le
renversement, ou encore la destruction. Toutefois, L'attentat propose une image de
l'entre-deux de la femme coupable/héroïne, en cherchant à éclairer et, d'une certaine
manière, toute la complexité des enjeux socio-culturels que l'on a souvent tendance à
considérer à travers des clichés et des stéréotypes, forcément réducteurs de la femme.
Avec L'attentat, Yasmina KHADRA en l'occurrence, transpose ainsi le problème
du féminin à travers l'histoire d'une séparation disséquée dans toutes ses phases
minutieuses, en passant par un récit à la première personne d'un homme dont la seule
conviction est de savoir pourquoi sa femme l'a trahi. À la lecture de L'attentat de
DAUVILLIER, s'ajoute un élément de complexité lié à l'absence totale d'une
représentation iconique de Sihem. Sous prétexte que Le roman graphique construit
autour d'un personnage masculin accablé et qui manque tout de même de
psychologie. Il importe aussi de noter que la présence de la femme destructrice dans
cet album n'est pas perçue explicitement, et n'est discernée qu'après coup à travers un
usage d'objets qui renvoie à cette dernière.
En somme, l'œuvre de Yasmina KHADRA, comme celle de DAUVILLIER,
prend, en comparaison avec ses autres romans, de moins en moins en charge la
dimension féminine. Sa tentative de qualification du féminin à travers L'attentat et à
discuter des problèmes inhérents à la création poétique laisse entendre qu'il noue une
étroite relation avec le mythe de la Chute qui condamne la condition féminine ; au
travers d'une écriture subversive qui se présente comme une contiguïté avec les
œuvres littéraires majeures286, peignant une figure de la femme traversée par cette
image destructrice. À moins, bien sûr, qu'on ne choisisse de réévaluer positivement
l'impact de l'acte de Sihem – une heureuse faute et une promotion pour Amine, qui

286
Le débat sur le statut du personnage féminin et sa condition dans la littérature nous offre
à chaque fois une nouvelle perspective, par exemple Antigone, de Sophocle ou de Jean
COCTEAU à François OST proposent chacun une image particulière de la femme mythique,
révolutionnaire ou encore libertine à la condition tragique.

190
quitte sa zone de confort pour réévaluer sa position vis-à-vis de son pays – et le
devoir de Sihem s'en trouvera assurément repensé de même.

II - La Chute psychologique dans L'attentat de DOUEIRI

II.1 La représentation psychologique d'Amine JAAFARI


Au commencement du film Amine JAAFARI apparaît comme un homme éclairé,
plein d'ambition et qui jouit d'un grand renom. Alors qu'après la chute, il est décrit
comme étant totalement démuni, une sorte d'Orphée, qui se trouve à l'opposé de la
première image, représenté dans un décor dégradé, obstrué, ce qui témoigne d'une
destruction physique et mentale où nous remarquons une évolution sensible à travers
l'œuvre, qui ne semble ici s'accompagner d'aucune connotation d'hybris, de
démesure, de défi. C'est également via cette transition que nous lisons les effets de
sens de la transécriture cinématographique de L'attentat, dont l'objectif consiste à
représenter la pertinence de la question psychologique.
Afin de représenter le sujet filmé dans une chute psychologique, et revêtir par le
même fait l'incarnation du sujet qui est à l'origine de tout cela ; Sihem la femme
fatale, il convient de préciser que le roman « semble […] conserver sur le film un
avantage : la possibilité de passer à l'intérieur des personnages.»287, précise André
MALRAUX. Quand la psychologie constitue un élément majeur dans une œuvre, le
cinéaste fait face aux défis de la représentation mentale. En revanche, ce dernier
point n'a pourtant pas rendu difficile l'adaptation du roman. Car, Ziad DOUEIRI a
utilisé habilement sa créativité propre afin de pénétrer dans la conscience du
personnage, ses sentiments, émotions, pensées, et souvenirs. Sans omettre évidement
son recours aux divers dispositifs techniques qui sont mis en œuvre pour élucider
cette question, à partir de la mise au point d'images émouvantes en synchronisme
avec des sons et effets graves. Parmi ces dispositifs techniques doit également figurer
l'éclairage qui, translucide dans les figures ci-dessus, souligne les expressions du
visage qui regagne en partie les valeurs intérieures des personnages, et par ce fait.

287
MALRAUX André, Esquisse d'une psychologie du cinéma, Éditions Nouveau Monde,
Paris, 2003, p. 17.

191
Figure 8 Figure 9
Concernant le choix des échelles de plans, le réalisateur Ziad DOUEIRI adopte
principalement les plans rapprochés (gros plan et très gros plan "insert" ; traités dans
chapitre I de cette deuxième partie). Ce type de plans, une pièce à conviction
révélatrice de l'état psychologique de l'acteur Ali SULIMAN, voire son basculement,
contribue pleinement à l'élaboration de cette vérité intrinsèque, en dévoilant de près
la moindre émotion ou expression du visage, et met en évidence un regard vide et
désespéré, atrocement marqué par cet environnement maussade. Ainsi l'attention des
plans rapprochés isole-t-elle le protagoniste de tout champ, permettant de la sorte une
connexion avec le spectateur, ce qui crée une intensité scénique en raison des détails
serrés. Le sujet filmé livre cependant une prestation exceptionnelle, à travers laquelle
nous ressentons sa souffrance morale mais manifestement visible dans l'extérieur.
Quant aux inserts, ils n'ont pris en considération que les objets en rapport avec
Sihem, en prenant toute la surface du cadre, le plus souvent bien ancrés dans le passé,
quand la caméra défile sous les yeux du spectateur les photos de Sihem, ou quand
elle s'attarde sur sa lettre envoyée à son époux avant l'acte, en passant par la une d'un
journal décrivant le chaos dramatique, ou encore les différentes affiches collées sur
différents endroits à Nazareth glorifiant son geste. Toutefois faire ressortir ces détails
précis sous un angle disproportionné offre une valeur symbolique et créent tout de
même « du sens et atteignent une certaine vérité qu'il serait illusoire d'aller chercher
sur les visages. »288 Le recours à cette technique cinématographique, véritablement
travaillée par la caméra, permet spécialement d'amplifier, d'intensifier la sensation.

288
FIANT Antony, Et le cinéma d'Otar Iosseliani fut, Édition L'Âge d'Homme, Lausanne,
2002, p. 139.

192
Outre les plans rapprochés, dits
psychologiques, le réalisateur a combiné
notamment entre le plan d'ensemble et le
plan taille, qui ne sont pas uniquement
usités afin de décrire, mais, capables de
profondeur psychologique, montrent où
Figure 10
se situe le protagoniste perdu dans
l'immensité du décor, exprimant sa solitude ; ce qui est parfaitement le cas des
derniers plans du film. De ce fait, afin d'explorer les émotions les plus variées et
l'âme du protagoniste, l'association codifiée dans un même cadre derrière l'apparence
d'Amine JAAFARI, seul au milieu d'un décor en ruine, se dissimule un monde
intérieur extrêmement captivant.
Pour entrer dans l'esprit d'un personnage, il y a encore, comme l'a bien noté
André MALRAUX, les échanges verbaux, qui font notamment progresser l'action et
apportent en effet moult informations sur la personnalité des personnages. Pour ce
qui est de la mort de Sihem, quand le capitaine Moshé demande à Amine, lors de
l'interrogatoire, « Vous n'allez pas me faire croire que vous n'étiez au courant de
rien. » Accablé et vulnérable, il répondait constamment : « Ce n'est pas elle. Ça ne
peut pas être elle. […] Ma femme n'a rien avoir avec ces gens. Il s'agit d'un horrible
malentendu. ». En revanche, ses convictions changent quand le verdict tombe, c'est
alors qu'intervient un élément jusque-là inaperçu ; le jour où il reçoit la lettre. Il se
rétracte donc et son cas devient une affaire personnelle, qu'il tente de résoudre. Car à
la question « Et les dix-sept victimes ? Les blessés, les familles qui pleurent leurs
morts, ils n'ont pas leur mot à dire dans ton « affaire personnelle » ? » Amine,
n'ayant nullement l'intention de se venger, veut uniquement « comprendre ».
Se focaliser sur cet événement, c'est passer à côté de l'intérêt de l'intrigue, qui
n'est pas dans le mystère des intentions de Sihem, que dans les réactions de son
époux, qui, prudent et sage, droit et raisonnable, refuse toute aide, il ne se plie à
aucun effort de communication. Tel est sans doute l'un des principaux enjeux du film
représentant de la sorte la position dans laquelle il se trouve. Il réapparaît, sans rien
dire, présence muette et solitaire, mais insupportable. Sommé de quitter Tel-Aviv,
puisqu'il ne veut plus reprendre son travail, ni donner la moindre explication sur son
étrange comportement, ni coopérer avec les autorités. Le film matérialise donc les
descriptions, balise le champ de vision du spectateur, de même qu'il remet en

193
question la personnalité du personnage qui se déploie à travers le jeu d'un acteur qui
restitue ce côté intérieur au travers des actions, des gestes, et du jeu physionomique
autant sur le plan physique que mental.
L'appartenance de ce film aux œuvres thriller psychologique, renvoie, d'une part,
à cette association de plans descriptifs et psychologiques, considérés comme des
procédés cinématographiques afin de lire sur les visages l'évolution de l'état d'esprit
du sujet filmé et par conséquent, atteindre sa vérité psychologique. Et la caméra s'en
empare pleinement et c'est une des rares fois où le cinéma ne peut pas être aussi bien
rendu en littérature. D'autre part, le scénario est rarement accompagné de plans à
valeur dramatique, dès lors que les acteurs ne se déploient nullement dans l'action.
En l'occurrence, le combat d'Amine JAAFARI, qui cherchait à innocenter sa
femme vis-à-vis de la pression constante d'autrui et de l'opinion sociale, s'impose à
lui jusqu'à ce que la lettre le fait sortir de cette position de déni et finit par causer en
lui un grand changement, une sorte de sommation morale. Le récit, via les discours
avec le capitaine, le policier Naveed et Kim, rempile un personnage qui ne tire son
éclat que du vide intersidéral auquel se heurte toute tentative d'investigation.
DOUEIRI scénarise parfaitement la chute psychologique de ce personnage. Et cette
chute se mue alors tout doucement en un silence profond valant refus de
communication injustifié ; cette chute appelle alors une autre.

II.2 La présence de l'aposiopèse après la chute


Le film de DOUEIRI met en scène un personnage désappointé, étant déterminé
par une sorte de fatalité abyssale qui régit habilement ses comportements manquant
d'attrait et de sens. Nonobstant le choc émotionnel et la solitude manifestement
encrés en lui après la chute, la psychologie du personnage est assez creusée
moyennant les talents de l'acteur, provoquant chez lui un sentiment de perte et
d'hostilité est traduit par une présence silencieuse, qui se pose avec une acuité toute
particulière.
Ce personnage ne dispose d'aucun pouvoir d'appréhension de sa nouvelle
situation. Outre son déni constant, son errance entre Tel-Aviv, Nazareth, Bethlehem
en quête de vérité met en scène un personnage sans aucune emprise, sans rien dire. Il
a par ailleurs perdu la faculté de parler ; présence muette et solitaire. En train de
scruter son propre abîme intérieur, il perd également la faculté de situer ses
sentiments qui rongent son intérieur. Le silence s'instaure d'abord devant le corps

194
inanimé de sa femme. Cette aphasie rend ses interlocuteurs perplexes, principalement
son amie Kim. Parce que le docteur a avant tout des questionnements quant à l'acte
de sa femme, et s'obstine à nier l'évidence, à défendre à la moindre occasion la
femme qui l'a trahi : « Sihem n'a rien fait. […] ma femme n'a rien à voir avec tout ça.
», « Ma femme est victime d’un attentat, elle ne l’a pas commis. »
À la stupéfaction de Kim, qui s'étonne elle-même de se résigner en silence à un
comportement aussi insolite, chaque fois qu'on le sollicite pour se raisonner, Amine
JAAFARI ne prononce jamais qu'une seule formule « ma femme n'est pas l'auteure de
cet attentat. […] Sihem n'est pas une kamikaze tueuse d'innocents, elle n'est pas la
meurtrière que vous croyez, tâchez de vous en souvenir. C'est la chose qui compte le
plus pour moi. » La simple évocation de Sihem, plutôt ses agissements, par Amine
met Kim dans un état d'exaspération maximale, elle s'impose alors l'impératif de
solidarité - malgré des défis de taille - comme moyen psychologique de contenir ses
pulsions, une sorte de résistance mentale, et dont l'efficacité est remarquable,
puisqu’après quelques jours, cette disposition d'esprit s'est si bien ancrée en elle
qu'elle s'en trouve résignée à accepter cette raison.
Jusqu'au jour où il réalise et accepte finalement dans le film le fait que sa femme
est-elle la kamikaze, une sorte de résistance passive rompt le code de communication
avec le reste des personnages. Le travail sur le montage des cadrages et de la matière
sonore joue également un rôle prépondérant dans l'éloignement du protagoniste
silencieux, qui n'échange aucune parole. Dans un contexte aux contours
indéterminés, le film retrace le destin tragique d'un sujet silencieux et obscur, dans
une radicale économie de versants d'échange. L'économie de lumière, de décor et de
costumes ternes et sans éclat sont à l'image de la psychologie du médecin. Amine
JAAFARI porte, pour ainsi dire le scénario du film, mais à travers un regard qui
manifeste un silence expressif.
L'attentat de prime abord semble être comme un film policier. Or, il ne raconte
pas une histoire exemplaire ou symbolique sur le rebondissement d'un personnage
après une chute. Néanmoins, ce récit constitue une affaire unique, même les autres
scandales de la guerre représentés à travers le cinéma n'ont rien à voir avec l'affaire
d'Amine JAAFARI. Car, il s'agit d'une histoire très particulière qui licencie ce dernier,
non pour faute lourde ou incompétence, c'est plutôt une étude psychologique sur le
basculement d'un homme victime d'une injustice où il ne peut pas avoir le droit de

195
dire qu'il a été victime. Et le jeu de l'acteur Ali SULIMAN met l'accent sur cet aspect
et incarne le plus naturellement possible le rôle d'Amine JAAFARI.
L'issue de cette contestation pour la décision à prendre est donc une résignation
absolue : Amine JAAFARI s'isole, nous le voyons bien vers la fin du film, et rompt
tout contact avec la société. La pitié n'est pas un facteur légitime de prise de décision.
Autrement, elle est loin d'être une objection suffisante à la tyrannie. Car si elle brise
la disjonction entre la cible et le visage de la victime, elle n'a qu'une capacité limitée
à interrompre le geste, mais pas d'aptitude à le disqualifier. Ainsi se sentirait-il quitte
de toute responsabilité envers les deux sociétés arabe et juive ?

II.3 Une chute sous le signe de perte et d’errance


Cette perte est accompagnée d'un sentiment d'abattement, qui installe un profond
hiatus au cœur du protagoniste, et marque sur ce dernier comme une impression
d'impuissance et d'incomplétude, voire de dissémination, qui le conduit à l'errance ;
une expérience qui est intimement liée au fait de se sentir étranger, même parmi les
siens. De fait, le sentiment de perte l'accompagne toujours, plus ou moins
explicitement, sans parvenir à s'en défaire. Proche de l'errance, étant donné qu'il a
commencé à dormir dans les rues, les cellules, erré de ville en ville. Cette figure
légendaire du personnage errant est présente dans les textes fondateurs de la
littérature occidentale, tels que L'Odyssée et L'Énéide, et fortement pendant des
siècles.
Ce qui conduit Amine JAAFARI à
l'errance, c'est parce qu'il sombrait et
s'engloutissait peu à peu dans l'abîme
d'une perdition épouvantable en perdant sa
femme, son travail et ses biens. Cet état de

prostration se voit surtout physiquement à Figure 11


travers ses élans qui manquent d'attrait,
Pierre LAFORGUE écrit à ce sujet : « La "chute" et la "descente" n'ont pas de fin.
Tout est en proie à une sorte d'entropie irréversible, qui affecte indifféremment les
êtres et les choses. »289

289
LAFORGUE Pierre, Gavroche (études sur Les Misérables), Éditions SEDES, Paris,
1994, p. 137.

196
Il apparaît que le motif de l'errance constitue un invariant scénaristique, qui
expose une autre figure du protagoniste, et tout cela ouvre, pour ainsi dire, sur un
renouveau singulier du roman de Yasmina KHADRA. Si dans cette œuvre, le
personnage d'Amine JAAFARI désireux de mener une quête afin de découvrir les
raisons qui ont poussé sa femme au suicide, est condamné à l'échec, à la chute, le
film de DOUEIRI proposera néanmoins une autre vision, et insistera sur la
dimension de l'errance perpétuelle du protagoniste. Du point de vue du processus
narratif, et tout en gardant devant les yeux le sujet de l'échec, le scénario filmique
part d'une stabilité pour aboutir à une sorte de dispersion tant mentale que physique.
C'est aussi le problème universel que l'humanité tente de résoudre dans sa quête
de l'inconnu : « L'errant qui n'est plus le voyage, ni le conquérant cherche, à
connaître la totalité du monde et sait déjà qu'il ne l'accomplira jamais. »290 Amine
JAAFARI dans sa quête c'est la fatalité qui en d'écoule, le laissant dans une
perpétuelle solitude, errait pour trouver, le juste, en plongeant dans un abîme éternel.
Car pour le narrateur, il n'a pas fui son pays mais seulement gâché l'occasion
d'héroïsme dont il rêvait pourtant depuis si longtemps. Dès lors, il devient un
personnage tout entier construit autour du sentiment de l'honneur perdu, de cette
honte de soi.

III - La chute dramatique dans la pièce de BERTHIER

III.1 De quel engagement s'agit-il ?


Si la littérature, comme le souligne Antoine COMPAGNON, « est un sport de
combat, […] Le théâtre et le prototype de ce champ de bataille. »291 Or, la création
poétique à l'orée de ce XXIe siècle évolue dans le sillage de deux engagements. Parce
qu'en son sein, l'écriture théâtrale principalement, nous trouvons les traces d'un
engagement double, marqué à la fois par l'indignation et la résignation ; par la
révolte et le silence. Toutefois, est-ce le cas de la pièce de théâtre de Franck
BERTHIER ? Quel critère justifie son engagement dans ce champ de bataille ?
Comment L'attentat véhicule-t-il un contenu philosophique en dépit de sa forme

290
GLISSANT Édouard, Poétique de la relation, Édition Gallimard, Paris, 1992, p. 33.
291
Cité in COMPAGNON Antoine, Collège de France, 2013-2014, « Chaire de la
Littérature moderne et contemporaine : Histoire, critique, théorie », La guerre littéraire,
premier cours. [En ligne] consulté le 18 septembre 2018 URL < http://www.college-de-
france.fr/site/antoine-compagnon/course-2014-01-14-16h30.htm >

197
scénique ? Nous tenterons cependant d’analyser la transécriture du texte de
KHADRA en pièce de théâtre, tout en relevant la question de l’engagement.
Dans son discours à Stockholm, lorsqu'il a reçu le Prix Nobel en 1957, Albert
CAMUS exprime le sens qu’il donne à sa fonction « Quelles que soient nos
infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s'enracinera toujours dans deux
engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l'on sait et la
résistance à l'oppression. »292 C’est risquer, cependant, de faire de l’art « une
réjouissance solitaire » alors qu’il doit s’ouvrir sur les autres, obliger l’artiste à « ne
pas s’isoler », « à comprendre au lieu de juger ». La littérature doit se mettre au
service de ceux qui subissent l’histoire, et « ne pas oublier [leur] silence et le faire
retentir par les moyens de l’art ». Ainsi, l’écrivain assumera « les deux charge qui
font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté.»293 Ne
pas lutter pour la vérité et la liberté, c'est se faire le complice de ceux qui empêchent
liberté et vérité de régner sur les hommes.
Toutefois, la question de l'engagement est traitée différemment selon la
philosophie de Jean-Paul SARTRE. CAMUS démontre plutôt la nécessité d’une
action qui engage à la fois l’individu et le groupe. Il s’agit de lutter contre tout ce qui
asservit l’homme, tant au plan social que politique. Et il dénonce les armées de la
tyrannie. Nous comprenons bien qu'il s'attaque aux dictatures totalitaires. Mais cette
formule très générale ne se trouverait pas sous la plume de SARTRE qui, pour lui
refuser de prendre parti, de s’inscrire dans le temps et dans ses conflits, est aussi une
façon de prendre parti : l’écrivain « quoi qu’il fasse [es] marqué, compromis »294,
son silence même est une forme d’engagement. « L’écrivain est en situation dans son
époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi. »295
À travers la pièce de Franck BERTHIER, la parole prend corps dans toute sa
force et sa violence entre les comédiens, engageant de la sorte une bipolarité entre «
ceux qui prennent les armes, et ceux qui se détournent. » (P.33) Un différend de cette
nature, un conflit de valeur qui traversent la pièce se présentent comme des situations
de prise de conscience, voire un débat philosophique sur la notion de l'engagement.

292
Discours de Suède est le discours de réception du Prix Nobel de littérature prononcé par
Albert CAMUS à Oslo le 10 décembre 1957.
293
Ibid.
294
SARTRE Jean-Paul, Situation II, Éditions Gallimard, Paris, 1948, p. 16.
295
Ibid.

198
L'attentat approfondit justement le problème de la révolte, dénonce la terreur du
sionisme, qui transforme le juste instinct de révolte que porte tout homme bien né en
une sanglante révolution. À ce sujet Roger CAILLOIS nous précise :

La guerre représente bien le paroxysme de l'existence des sociétés modernes. Elle


constitue le phénomène total qui les soulève et les transforme entièrement, tranchant
par un terrible contraste sur l'écoulement calme du temps de paix. C'est l'extrême
tension de la vie collective, celle du grand rassemblement des multitudes de leur
effort.296

De la sorte, nous assistons, au sein d'une même œuvre, à la confrontation de deux


systèmes de valeurs. D'emblée, celui d'Amine JAAFARI qui incarne le mieux le désir
de paix, rejetant même l'idée de tout engagement et la position axiologique à laquelle
il se tient, c'est son refus définitif de ce qui broie l'homme, des conflits sans aucune
dimension morale. Le médecin disait à sa sœur Leila « Votre logique ne me convient
pas. Vous faites une gloire de la mort, pas moi. » (P. 33). Et c'est ce qui le contraint à
l'exil est le fait de voir son père rester, périr sur place « en attendant le Messie. »
(P.35) sa contestation s'exprime notamment à travers les propos suivants : « Et moi,
j'ai renoncé à cette terre pour ne pas vivre comme lui. » (P.35)
Quant au discours de Leila, vis-à-vis de la position de son frère, qui est en effet
scandaleuse, outrancière, immorale, expose notamment un effet de reproche. Pour
justifier immanquablement l'acte de Sihem et ses paires, Leila soulève aussi la
question qui suit ; si tout le monde choisit l'éloignement comme l'unique issue afin de
garder les mains propres ; qu'arriverait-il à leur pays ? Afin de servir cette Cause,
Leila stipule également qu'il s'agit du seul combat qui mérite d'y laisse sa peau, de
plus, « C'est comme cela que ça se passe, ici. Les une meurent pour le salut des
autres. […] » (P. 23) l'agissement de Leila apparaît tel un impératif catégorique297
Il s'agit en effet d'une situation qui comporte des enjeux axiologiques qui se
heurtent et rendent les décisions difficiles. Cependant, eu égard à la bipartition
idéologique entre les personnages du texte théâtral de BERTHIER, dans la mesure où
ils ne s'orientent plus vers les même conditions d'agissement, la maxime de leur

296
CAILLOIS Roger, L'homme et le sacré, Paris, Gallimard, 1950, p. 223.
297
Le principe catégorique ou moral est introduit en philosophie par d'Emmanuel KANT,
représentant le sentiment absolu du revoir. Dans sa Critique de la raison pratique, il précise :
« Une règle qui est désignée par "un devoir", exprimant la nécessité objective de l'action et
signifiant que, si la raison déterminait complètement la volonté, l'action se produirait
infailliblement d'après cette règle. » Ce commandement d'ordre moral est aussi bien employé
en philosophie comme en littérature.

199
action représente une norme universelle de la condition humaine propre évidement à
cette transécriture de L'attentat en pièce de théâtre.

III.2 Une rhétorique absurde


Monologues, dialogues, voix et échange de répliques constituent les matériaux
de base au théâtre. En dépit de ces éléments, il faut admettre aussi les principes de la
construction scénique ; les jeux du corps, l'éclairage, la sonorisation et le décor qui,
quelquefois, surpassent sensiblement les limites de la parole, et affirment que le
théâtre n'est pas bâti uniquement sur cette dernière. En effet, ce qui domine dans la
pièce de BERTHIER, L'attentat, est le silence. Afin de prendre la parole dans ce
texte théâtral, les personnages sont dans un affrontement à l'issue incertaine. Un autre
côté de la pièce s'inscrit alors dans un jeu entre parole et silence, une dialectique
entre domination et effacement. Cependant, de par le silence, la pièce de BERTHIER
tenterait-elle de communiquer une vérité de nature indicible ? Se fonderait-elle sur «
une rhétorique absurde » ?
Ce qui domine la pièce de BERTHIER, un nombre remarquable de mots ou
d’expressions évoquant « Le silence » ; où ils reviennent maintes fois tout au long du
texte. Au début de la pièce par exemple, le rideau de l'ouverture se lève dans le
silence, avec Amine seul sur scène, sous un affaiblissement de la lumière, prononce
un monologue qui, jaillissant d'un champ lexical essentiellement affligeant :
AMINE

D’un coup toutes mes forces me désertent […] dans le chaos de l'explosion. […] Je ne
sens plus mon corps. […] Les sirènes d’une ambulance m’atteignent de plein fouet.
Silence […] Un bourdonnement peut-être les rumeurs de la rue, des cris, ça court de
partout, ça sent la peur... Il y a des morts autour de moi. Il y a des morts sous moi. […]
Un lit de cadavres encore tièdes. C’est un cauchemar... (P. 2)

Que de paroles enfuies, dissimulées dans le silence, dans un « silence suspendu,


brutal. » (P. 6) ; ou généralement après chaque aparté des expressions telles « On
mange en silence. » (P. 12), « Un mur de silence entre nous. » (P. 12). De même,
plus loin, « Après un silence. » (P. 23), « Silence. Amine ne sait pas quoi dire. » (P.
30) que de paroles délibérément étouffées parce que, comme nous le précise
WITTGENSTEIN, « ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire ». Certaines
indications scéniques, « Amine pensif […] Naveed l'air absent. » (P. 3), « Amine ne
répond pas. » (P. 6) suggèrent implicitement le silence et impliquent tout de même
une suspension de la parole.

200
Ce qui se traduit par une « impossibilité de communiquer avec autrui. Le
langage est lui-même pris dans une tragédie, et la représentation, et en particulier le
théâtre, devient l’illustration de l’incommunication et de l’absurde. »298 Cette
attention fondamentale portée au langage chez les dramaturges du théâtre de
l'absurde qui a pris conscience de l'ambiguïté absolue du langage « naît de cette
confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde. »299 Cette
particularité dramaturgique qui tend vers le silence propre aux œuvres de
BECKETT300, SARTRE, CAMUS, ou encore IONESCO, tisse un lien avec celle de
L'attentat de BERTHIER. Pouvons-nous ainsi aller jusqu'à affirmer que, outre les
vives altercations entre les personnages de la pièce, leurs actions passent souvent
sous silence, où le protagoniste fait figure d'étranger que nous ne pouvons ignorer.
En effet, les indications de solitude ont été répétées avec une telle insistance, à
travers les didascalies comme au sien de la moelle du texte. Nous mentionnons pour
l'instant les différentes notations de solitude qui jalonnent le texte : « seul »,
majoritairement attribuables au médecin Amine JAAFARI :

AMINE
Je voudrais être seul c'est tout.
NAVEED
Tu préfères tout détruire ?
AMINE
J’ai besoin d’être seul, j’aime être seul ! C’est pourtant simple… Répétez-le tous les
deux lentement, « Amine aime être seul ». (P. 30)

Toutefois, le roman de par son volume est loquace, quand le texte théâtral est
pratiquement silencieux. Hormis l'exigence d'échange à travers les quelques
tentatives de conversation, les brèves prise de contact, BERTHIER s'attarde
cependant sur cette spécificité du théâtre de l'absurde qui passe par le biais de
l'incarnation d'un silence abondant qui laisse établir un disfonctionnement, voir une
rupture dialogique. Et il semble illustrer la proposition de CAMUS selon laquelle : «

298
BIET Christian, La Tragédie, Éditions Armand Colin, Paris, 2010, p. 171.
299
CAMUS Albert, Le mythe de Sisyphe : Essai sur l'absurde, Éditions Gallimard, Paris,
2001, p. 46.
300
STEINER Georges publie en 1966 un essai, Language and Silence, sur l'importance du
silence dans l'écriture dramatique, particulièrement beckettienne « Developing Chekhov's
notion of the near-impossibility of effective verbal interchange, it straints towards an Act
Without Words. Soon there will be plays in which absolutely nothing is said. », «
Développant l'idée tchékhovienne qu'un véritable échange verbal est quasiment impossible,
son théâtre tend vers le silence, vers un Acte sans paroles. Bientôt il existera des pièces où
plus un seul mot ne sera prononcé […] » p. 74

201
énigmatique, le silence ne l'est pas seulement sur le plan dramaturgique. Il constitue,
pour reprendre la formule de Beckett, un "insondable abîme" […]»301. Le texte
théâtral s'efforce donc de rendre cette substance non palpable audible, voire
éloquente. La transécriture de L'attentat en pièce de théâtre s'écarte en effet du texte
d'origine afin de s'orienter vers le fond de la mise en abîme, la fatalité, voire la
thématique de l'absurde.

III.3 La proposition d’une image d’un éternel recommencement


Si nous étudions de près la pièce de BERTHIER, qui adapte et met en scène
L'attentat, nous nous apercevrons que, dans sa majeure partie, est bâtie sur le récit de
Yasmina KHADRA, qui évoque l'attentat-suicide de Sihem, et surtout la conduite
confuse, voire étrange du mari trahi, Amine JAAFARI ; « Ma femme m'a trompé, elle
a fait de ma vie un cauchemar […]. » (P.33) ce qui le conduit à mener une quête afin
de connaître une vérité tellement accablante, dans un moment d'attente qui contribue
à l'attrait de cette pièce. La figure d'Amine JAAFARI, qui, loin d'être vulnérable
comme dans le roman ou encore dans le film, sur les planches ce médecin apparaît
tel un homme qui acquiert une étrangeté inquiétante.
Nous suivons alors dans le même ordre, les mêmes actions, dialogues plus ou
moins conflictuels entre personnages, acharnement du médecin à accomplir sa quête.
Hormis l'attention particulière apportée à cet autre personnage féminin ; Kim,
(expliqué supra, Partie I, Chapitre 3) la trame demeure identique à celle du roman,
avec quelques écarts par rapport à la conception du décor. Or, ce qui importe le plus
dans cette transposition est la dernière scène de la pièce, qui se situe à Janin,
incarnant Amine JAAFARI en position assis dans un décor représentant les vergers du
patriarche, et est suivi d'une chute qui précipite donc la pièce vers sa conclusion. Elle
consiste en une séquence dialogique, sans la moindre indexation didascalique,
hormis celles qui précisent le lieu d'énonciation et le personnage-locuteur : Amine
JAAFARI et Zeev. L'indication scénique de cette dernière séquence est la suivante :
Tableau 17 : JANIN / VERGERS
Amine est assis dans les vergers du patriarche. Zeev apparaît. (P. 34)
Dans ce cas de figure, la chute du protagoniste repose ainsi sur la brutalité du fait
de la clôture du texte, qui est un autre attentat. Et nous avons à ce niveau une sorte de

301
ALEXANDRE Didier & DEBREUILLE Jean-Yves (dir.), Lire Beckett, Éditions PUL,
Lyon, 1998, p. 54

202
clausule sinistre, conduisant principalement à une conclusion inattendue. Le théâtre
principalement a recours à cette clôture de représentation « lorsqu'il veut finir sur
une forte et brillante pensée, ou sur une situation extrême. »302
Il arrive que cette conclusion inattendue soit la technique de la chute, et l'essence
même du théâtre absurde, dans la mesure où l'écriture dramatique de BECKETT,
CAMUS, IONESCO, etc. cultive une certaine obscurité quant à leurs personnages, ce
qui est identique à celle de BERTHIER à travers sa transécriture de L'attentat en
pièce de théâtre, étirant ce qui a l'aspect d'un texte qui tend vers la théorie de
l'absurde. Cependant, BERTHIER propose une œuvre particulière qui s'affranchit du
modèle de Yasmina KHADRA, par son aspect scénique d'abord, ainsi que sa portée
philosophique. Certes, le dénouement est aussi tragique, dans le roman que dans le
texte théâtral, mais ce dernier préfère s'inscrire dans une atmosphère plus pointue.
C'est en effet, cette mort en soi que nous interprétons comme une symbolique de la
chute.
Afin d'étudier la chute au sein de cette pièce théâtrale, il convient notamment de
tenir compte de l'emplacement des points stratégiques, variant en fonction du genre,
de l'époque, ou encore du public visé. La mise en scène de L'attentat se joue toutefois
sur son ouverture qui se produit dans la lenteur et l'opacité, d'une part et d'autre, sa
clôture perçue dans la concision et la brutalité de la chute ; la fin dramatique où le
spectateur a à la fin une révélation comme le personnage, qui était lui aussi aveugle.
Cet effet de surprise ménagé à la fin du texte permet au lecteur/spectateur de
constater l'intérêt de BERTHIER pour cet artifice aiguisé de son adaptation, avec
l'évocation d'un décor a priori apaisant au début de la dernière scène du spectacle,
que le spectateur le plus attentif manque presque nécessairement les signaux qui
sous-tendent une fin tragique (succès, liberté, rêver, etc.) pour être remplacés par
(fantôme, se venger, exploser, etc.).
Il convient également d'apporter une précision quant au discours, situé à la fin de
cette scène, qui est transposé sans changement, tel qu'il se présente dans le texte
d'origine, prononcé par le personnage-narrateur Amine JAAFARI, certes dans un état
d'hallucination agonique ; une immersion dans la pensée de celui qui est en train de
mourir. En revanche Franck BERTHIER préfère les attribuer à un autre comédien

302
EGGER Carole (dir.), Rideau ou la fin au théâtre, Éditions Lansman, Paris, 2005, p. 38

203
incarnant Yehuda, et la stratégie de finalisation choisie par ce metteur en scène et
adaptateur reprend, avec concision, les propos du dernier personnage cités infra :

Amine JAAFARI
Et rêve, lui lance l'artiste, rêve que tu es beau, heureux et immortel... […] On peut tout
te prendre ; tes biens, tes plus belles années, l'ensemble de tes joies, et l'ensemble de
tes mérites, jusqu'à ta dernière chemise -il te restera toujours tes rêves pour
réinventer le monde que l'on t'a confisqué. (L'attentat roman. P. 246)

YEHUDA
« Rêve, rêve que tu es beau, heureux, immortel. On peut tout te prendre. Tes biens, tes
plus belles années, ta dernière chemise. Mais, souviens-toi de tes rêves, mon fils ; ne
les laisse pas mourir. Ils réinventeront le monde qui t’a été confisqué. »
Noir final. (L'attentat texte théâtral. P. 36)

Certes, le point de finalisation ne s'est pas étendu sur tout le long de la dernière
séquence, mais l'issue fatale s'est manifestée avec la chute du rideau - qui clôt
définitivement la mise en scène - comme celle de la clausule du roman, mettant en
scène une fin inachevée, eu égard à la quête qui n'est pas menée à terme, des
questions sans réponses ou bifurquant sans issue. La dimension de la clôture dans
cette pièce de théâtre à chute propose donc l'image d'un trou béant d'un éternel
recommencement, en faisant par ailleurs de cet effondrement final la matière
sémantique et idéologique.

204
Notre but, lors de ce chapitre était de questionner cette chute à partir de
L'attentat et ses différentes transmutations graphique, filmique et théâtrale. En effet,
si le roman de Yasmina KHADRA traite à vrai dire de la chute d'un personnage,
l'angle de vision que portent ces différentes adaptations sur le texte d'origine est
identique, même s'il semble tout autre. Ce qui expliquera la fin tragique du
protagoniste Amine JAAFARI dans l'ensemble de notre corpus, hormis le film.
De ce fait, le passage d'un mode à un autre est considéré non pas comme une
transgression de l'œuvre adaptée mais plutôt une forme d'expansion où l'œuvre est à
la fois la même et autre et le problème de la fidélité n'est guère évoqué. Bien au
contraire, selon les tenants de cette pratique, « le texte est d'abord un matériau pour
le metteur en scène, une matière à travailler plutôt qu'une œuvre à respecter dans sa
totalité de forme et de sens »303
La transécriture apparaît ici comme un autre dispositif artistique qui aide la
création poétique à adopter cette nouvelle version de l'homme déchu, du basculement
de l'humanité. Nous aboutissons en fait à cette conclusion que l'homme est voué à
cette Faute irrémissible, à cette Chute, à cette errance.

303
PLANA Muriel, op. cit., p. 36.

205
Conclusion de la deuxième partie
Ce regard croisé que nous donne cette partie sur les perspectives de lecture sur
l'œuvre romanesque de Yasmina KHADRA, L'attentat, et ses multiples
transécritures richement fournies en matière sémantique, nous ont permis de faire
cette traversée à la fois sémantique, éthique et philosophique. Outre les écarts
générés par ce processus de transécriture, elle cherche souvent à faire voir le non-dit
et à trouver le sens profond du texte source, en la qualifiant de transmutation ou
encore de transmigration, en un certain sens elle reprend presque la même fabula de
du texte de départ, mais à chaque fois avec une nouvelle vision éthique, morale ou
sémantique.
Pour élucider cette partie, nous avons formulé trois principaux chapitres. Dans
un premier, nous avons examiné la narration de l'œuvre source, à savoir le
personnage, le cadre de la description ainsi que la focalisation, et leur passage
cinématographique, scénique et graphique faisant ainsi recours à une perspective
narratologique tout en mettant en évidence les similitudes et les divergences de
chacun. La représentation de ces dispositifs a impliqué donc des choix techniques,
quant aux principes de la construction scénique ; les jeux des comédiens et acteurs,
l'éclairage, le bruitage et le décor, voire la graphiation, qui ont surpassé fort bien les
limites de l'œuvre source.
Dans le deuxième chapitre, nous avons tenté d'élucider la distinction entre les
différents systèmes de valeurs présents dans chacune des œuvres de notre corpus.
L'éthique était cependant étudiée, sous l’angle spécifique de chaque support. La
transécriture a affecté véritablement le système de valeurs de L'attentat, en soulevant
des enjeux éthiques, et ce à travers une exploration des dilemmes sur ce qu’il est
juste de décider, ou de juger. À cet effet, la lecture de notre corpus sied bien au
discernement des notions complexes de l'engagement, la conscience, la victimisation,
etc., et déchiffre en effet les questionnements politiques et moraux contemporains.
Bien qu'elle ne soit traitée que dans un seul chapitre, la question éthique se présente
comme un autre point nodal de notre étude.
Le troisième chapitre soulève un autre débat d'interrogation ; celui de la chute du
personnage principal. En faisant un rapprochement entre ce concept et son
rebondissement sur l'ensemble de notre corpus, nous avons constaté qu'il ne renvoie
pas aux faits, ni la manière dont Amine JAAFARI les a vécus ou ressentis, mais la

206
trace qu'une telle expérience morale a laissée sur lui. En d'autres termes, le texte
source est lu dans une autre perspective philosophique, celle de chute. Et ce faisant,
tous les passages de matière en matière (du roman vers le cinéma, le théâtre et le
roman graphique) appréhendent, chacun avec son propre angle de vision, les causes
et les étapes, ainsi que les effets produits par la chute ; de prime abord mythologique,
psychologique et enfin dramatique.
En somme, la facilité du passage d'un mode à un autre dans la création poétique
contemporaine procure l'existence du cinématographique ou du théâtral dans le
romanesque, le romanesque dans le graphique, ou inversement. Autrement, la
transécriture favorise une forme de cohabitation entre différents modes à l'intérieur
d'une même œuvre ; étant donné que le texte d'origine a un effet de rémanence sur le
texte d'arrivé ; lorsque nous parlons par exemple en terme d'écriture romanesque qui
revêt des caractères artistique et philosophique que nous avons trouvés dans le film
de DOUEIRI, la pièce de théâtre de BERTHIER et le roman graphique de
DAUVILLIER, malgré les écarts techniques et sémantiques observés lors de notre
analyse.
Notre sujet institue donc de nouvelles normes au sein de la création poétique à
travers la transmission de valeurs morales et sociales. Les mécanismes par lesquels la
transécriture de L'attentat évolue, vont jusqu'à l'instauration d'un système de valeurs
propre à chacune de ces reproductions, aussi bien littéraires comme le texte
romanesque, scénaristique ou encore théâtral, qu'artistiques (leur mise scène
cinématographique, scénique ou encore graphique). Comme nous avons constaté le
rapport direct qu'ils entretiennent avec le texte initial considéré toujours comme un
soubassement, une source d'inspiration. C'est ce qui donne toute sa portée à l'intrigue
du roman de KHADRA, une même histoire qui varie selon l'idéologie des
adaptateurs et la particularité de chaque support médiatique adopté.

207
CONCLUSION GÉNÉRALE
Arrivés au terme de cette étude, qui avait pour ambition d'étudier la transécriture
de L'attentat, roman de Yasmina KHADRA, dans sa dimension intermédiale, nous
espérons avoir montré que le champ de la création poétique, et des médias
apparaissent pris entre des dynamiques complémentaires, ou encore répandant des
formes culturelles planétaires ; une forme d'universalisation de la littérature post-
poétique, tout en accompagnant l'affirmation de l'esprit médiatique. Autrement dit,
dans les liens que le texte littéraire entretient avec les autres médias qui sont le
cinéma, la bande dessinée et le théâtre, en se demandant si, au stade de sa formation,
la transécriture apporte de nouvelles variations dans ce que nous considérons
traditionnellement comme littéraire.
Ce corpus nous a conduits à problématiser sur la transécriture en tant que
pratique artistique et mener une réflexion sur son impact sur l'œuvre originale. Ainsi,
étions-nous amenés à nous interroger sur l'avenir de la littérature en bifurcation
constante, particulièrement sur sa transposition médiatique : par quels dispositifs
cette transmutation du narratif vers les médias était-elle prise en charge dans
L'attentat et ses multiples adaptations ? Et dans quelle(s) mesure(s) le support
multimédia a-t-il conditionné la narrativité ?
Nous avons été soumis à dire que la transécriture éloigne sémantiquement,
structurellement et esthétiquement l'œuvre adaptée du texte source. Encore une fois
la littérature comparée nous a permis de faire cette lecture, à travers une réflexion
concentrée sur ce roman qu'est L'Attentat et ses diverses transmutations, de par la
profondeur narrative de l'univers qu'il engendre et les narrations intermédiatiques
singulières par rapport aux modes de narration classique. Pour y parvenir nous avons
construit ce travail autour de deux parties.
Dans un premier temps nous avons établi un appareil conceptuel. Une partie à
travers laquelle nous avons sélectionné les notions les plus pertinentes, inhérentes
aux textes littéraire et médiatique, en présentant la liaison qui existe entre :
ré/écriture, transécriture, transmodalisation et transmédialité. Ceci nous a amené à
comparer les conditions et les caractéristiques de la transposition du narratif
classique ; scripturaire vers les médias. Les supports médiatiques et les processus
techniques intervenant dans la re/production du roman à travers le cinéma, le théâtre
et enfin le roman graphique. Ces transmutations étaient toutefois analysées, sous
l’angle spécifique de chaque médium, en mettant en évidence leurs similitudes et
divergences, tout en tenant compte de la cinématographicité, de la théâtralité ainsi

209
que la graphiation de notre corpus. Puis, pour être lisible, nous avons exposé une
synthèse sur le discours que tiennent Maurice BLANCHOT, Dominique
MAINGUENEAU, Antoine COMPAGNON et Tzvetan TODOROV sur l'activité
littéraire et l'incertitude de son avenir numérique. En revanche, l'établissement d'une
corrélation entre la création poétique et les diverses re/productions artistique et
médiatique, nous a permis de préciser à quel point les installations
cinématographique, scénique et graphique, qui de nos jours utilisent le potentiel
numérique, sont-elles porteuses d'une nouvelle forme narrative qui défie aussi bien
l'auteur que le lecteur, et ce, grâce aux progrès techniques en la matière.
À ce niveau de notre investigation, nous avons montré que la transécriture relève
d'un processus analogue à l'adaptation. Or, la manipulation textuelle à l'ère du
numérique offre des textes qui empruntent à un genre romanesque et à de
nombreuses techniques et caractéristiques médiatiques. Médias, cultures, autant de
productions artistiques et littéraires par lesquelles se construisent de nouveaux genres
hybrides, là où le substrat médiatique tient une place prépondérante, sont donc ici
appelés, via la transécriture, afin de se mêler et de s'affirmer les unes à travers et
avec les autres.
Pour élucider la deuxième partie, nous étions amenés à examiner de près
L'attentat, et ses multiples transécritures richement fournies en matière sémantique,
qui nous ont permis de faire cette traversée à la fois narratologique, éthique et
philosophique. D'une part, nous avons eu recours à la science du récit, en examinant
la narration de l'œuvre source, et ses transcodages cinématographique, scénique et
graphique. La représentation de ces dispositifs a impliqué donc des choix techniques
et esthétiques qui ont transcendé fort bien les limites de l'œuvre source. D'autre part,
nous avons établi une distinction entre les différents systèmes de valeurs présents
dans chacune des œuvres de notre corpus. En discernant les notions complexes de
l'engagement, la conscience, la victimisation, etc., et en soulevant notamment ces
enjeux éthiques, sous l’angle spécifique de chaque support, on comprend donc que le
système de valeurs véhiculé à travers L'attentat a véritablement été affecté par la
transécriture.
Par ailleurs, la deuxième partie nous a également permis de susciter un autre
débat et de porter une réflexion sur les manifestations sémiologiques de la chute du
personnage principal. Autrement dit, le texte source est lu dans une autre perspective
philosophique, celle de la chute, en faisant une réconciliation entre ce concept et son

210
rebondissement sur l'ensemble de notre corpus. En effet, nous avons constaté que le
passage du roman vers le cinéma, le théâtre et le roman graphique appréhende,
chacun avec son propre angle de vision, les causes et les parcours, ainsi que les effets
produits pas la chute ; de prime abord mythologique, psychologique et enfin
dramatique.
Les mécanismes par lesquels la réécriture de L'attentat évolue, instituent donc de
nouvelles normes au sein de la création poétique à travers la transmission de valeurs
morales et sociales, qui vont jusqu'à l'instauration d'un système de valeurs propre à
chacune de ces reproductions. Comme nous avons constaté, le rapport direct qu'ils
entretiennent avec le texte initial, considéré toujours comme un soubassement, en
cherchant souvent à faire voir le non-dit et à trouver le sens profond du texte source,
en la qualifiant de transmutation ou encore de transmigration, en un certain sens elle
reprend presque la même moelle textuelle du départ, mais à chaque fois avec une
nouvelle vision sémantique, éthique voire morale.
En somme, la facilité du passage d'un mode à un autre dans la création poétique
contemporaine impose l'existence du cinématographique ou du théâtral dans le
romanesque, le romanesque dans le graphique, ou inversement. Autrement, la
transécriture favorise une forme de cohabitation entre différents modes à l'intérieur
d'une même œuvre ; étant donné que le texte d'origine a un effet de rémanence sur le
texte d'arrivé. C'est ce qui donne toute sa portée à l'intrigue du roman L'attentat de
KHADRA, une même histoire qui varie selon l'idéologie des adaptateurs et la
particularité de chaque support médiatique adopté.
Au sortir de notre étude, cette analyse comparée, entre L'attentat roman et ses
transécritures, nous a permis de décrire les aménagements et les bouleversements
que cette pratique peut faire subir à une œuvre, quand un cinéaste créatif ou un
metteur en scène inventif s'en emparent. Yasmina KHADRA a séduit Ziad
DOUEIRI, Franck BERTHIER, mais aussi Loïc DAUVILLIER, notamment par la
qualité de l'intrigue de L'attentat, l'efficacité du discours et la fluidité de l'écriture.
Or, sous un angle de prise de vue autre, il est bien difficile de classer L'attentat dans
un genre nettement défini, parce que l'auteur illustre un type de texte, au carrefour de
plusieurs genres et qui tend à échapper à tout enfermement générique. L'attentat
marque alors une véritable rupture par rapport aux principes de l'écriture
traditionnelle, en raison de sa composition similaire à la technique des plans utilisés
au cinéma. À l'exception de la manifestation incontestable du narrateur, et le système

211
topographique utilisé, cette œuvre n'est notamment pas loin du code théâtral, voire
graphique, dans la mesure où son écriture tend principalement vers des indications
scéniques, étant écrasée par la prolifération somptueuse des dialogues qui la
rapproche de l'écriture théâtrale (didascalies, tirades, etc.) ce qui en fait une création
post-poétique, fondée sur une stratégie axée sur la non-existence de frontières
génériques, facilitant de la sorte sa transmutation.
Classer des écrits dans des catégories génériques, relève du choix de l'auteur.
Car, l'écriture, comme nous l'avons bien expliqué, est un phénomène qui mute vers
l'inexistence de frontières entre le romanesque, le cinématographique, le théâtral, et
le graphique. À l'orée de ce XXIe siècle, cela se résume en une crise de l'invention du
genre littéraire, voire à sa destruction. La transécriture transforme, réduit, contribue
même à l'effacement de tout genre. Et l'écriture de Yasmina KHADRA, au travers de
L'attentat, cherche à s'éloigner de tout enferment catégorique ; l'écriture protéiforme,
romanesque, cinématographique, théâtrale, et graphique. Et ce en se manifestant à
travers un type d'écrits à la lisière de plusieurs genres et qui tend vers une identité
littéraire universelle.
Nonobstant, les modifications apportées à l'œuvre initiale par ces transécritures,
la résultante de ce processus n'est en effet qu'enrichissement, aux perceptions
finement élaborées. Notre réflexion sur chacune des œuvres de notre corpus, justifie
encore une fois l'indétermination de frontières dans la lecture du texte littéraire, voire
de l'œuvre artistique. De plus, il n'existe aucune influence politique et idéologique
sur le reste du corpus (L'attentat en film, pièce de théâtre et roman graphique), parce
qu'elles proposent chacune une conception particulière des compromissions de la
politique ayant été la cause d'un différend, voire d'une rivalité entre le protagoniste et
l'ensemble des personnages ; une sorte de tragédie rivale celle des Palestiniens et des
Juifs.
Le résultat auquel nous sommes donc parvenus est que la transécriture qui
franchi notre corpus transcende le texte source, ou encore la littérature
contemporaine. Eu égard à chaque changement matériel qui a entraîné d'importantes
modifications sur la plan sémantique, le récit de Yasmina KHADRA s'est bien
adapté au support multimédia et passé commodément d'un médium à un autre. Par un
recours à cette écriture particulière, et loin d'être une transgression aux lois de
l'écriture romanesque, L'attentat a emprunté à d'autres modalités intermédiales afin
de servir de modèle syncrétique, constituant de la sorte un terrain ingénieux pour son

212
déploiement médiatique et artistique, subversif certes, mais tout en engendrant une
sorte de praxis littéraire. Et si désormais la littérature ne réside pas obligatoirement
dans le livre imprimé, et si des arts nouveaux émergents, faisant partie du processus
littéraire, où réside donc la littérature ? Assistons-nous à une rupture épistémologique
?
Toutefois, nous ne saurions achever ce travail sans proposition de quelques
perspectives envisageables dans le prolongement de cette thèse. Étant donné que
L'attentat est la production qui a le plus de prix de tout l'œuvre de Yasmina
KHADRA, son essor pourrait être étudié sous l'angle des théories de la valeur
littéraire et l'approche de la sociologie de la littérature, où il serait question de
remettre en cause les effets de consécration au sein de la création littéraire. Un projet
de recherche qui viserait à mettre à l'épreuve quelques hypothèses fondées sur une
analyse des aspects liés aux mécanismes d'instance institutionnelle, tels les prix
littéraires, et aux stratégies qui favorisent le passage de l'activité littéraire, ou encore
des best-sellers, à l'intermédialité. Autrement, une étude de la consécration littéraire
et son appui dans le but la promulgation du texte purement littéraire pour son
déploiement intermédial.

213
BIBLIOGRAPHIE
I. Corpus
- KHADRA Yasmina, L'attentat, Éditions Julliard, Paris, 2005.
- DAUVILLIER Loïc & CHAPRON Glen, L'attentat, Éditions Glénat, Paris 2012.
- Adaptation de L'attentat en film par Ziad DOUER et Joëlle TOUMA, date de sortie
en France : 2013.
- Adaptation de L'attentat en Pièce de théâtre par Franck BERTHIER et Amandine
KLEP en 2015.

II. Autres œuvres de Yasmina KHADRA


a) Sous le nom de Mohammed Moulessehoul
Amen, à compte d'auteur, Paris, 1984.
Houria, Éditions ENAL, Alger, 1984.
La Fille du pont, Éditions ENAL, Alger, 1985.
El Kahira - cellule de la mort, Éditions ENAL, Alger, 1986.
De l'autre côté de la ville, Éditions L'Harmattan, Paris, 1988.
Le Privilège du phénix, Éditions ENAL, Alger, 1989.
b) Sous le nom de plume de Yasmina Khadra
Le Dingue au bistouri, Éditions Laphomic, Paris, 1990.
La Foire des enfoirés, Éditions Laphomic, Paris, 1993.
Morituri, Éditions Baleine, Paris, 1997.
L'Automne des chimères, Éditions Baleine, Paris, 1997.
Double blanc, Éditions Baleine, Paris, 1998.
À quoi rêvent les loups, Éditions Julliard, Paris, 1999.
Les Agneaux du Seigneur, Éditions Julliard, Paris, 1998.
L'Écrivain, Éditions Julliard, Paris, 2001.
L'Imposture des mots, Éditions Julliard, Paris, 2002.
Les Hirondelles de Kaboul, Éditions Julliard, Paris, 2002.
Cousine K, Éditions Julliard, Paris, 2003.
La Part du mort, Éditions Julliard, Paris, 2004.
La Rose de Blida, Éditions Après la lune, Paris, 2005.
L'Attentat, Éditions Julliard, Paris, 2005.
Les Sirènes de Bagdad, Éditions Julliard, Paris, 2006.
Ce que le jour doit à la nuit, Éditions Julliard, Paris, 2008.

215
La Longue Nuit d'un repenti, Éditions du Moteur, Paris, 2010.
L'Olympe des infortunes, Éditions Julliard, Paris, 2010.
L'Équation africaine, Éditions Julliard, Paris, 2011.
Les Chants cannibales, Éditions Casbah, Alger, 2012.
Algérie, Éditions Michel Lafon, Paris, 2012.
Les anges meurent de nos blessures, Éditions Julliard, Paris, 2013.
Qu'attendent les singes, Éditions Julliard, Paris, 2014.
La Dernière Nuit du Raïs, Éditions Julliard, Paris, 2015.
Dieu n'habite pas La Havane, Éditions Julliard, Paris, 2016.
Ce que le mirage doit à l'oasis, Éditions Flammarion, Paris, 2017.
Khalil, Éditions Casbah, Alger, 2018.
L’outrage fait à Sarah Ikker, Éditions Casbah, Alger, 2019.

III. Ouvrages théoriques et critiques


1. ACHOUR Christiane et REZZOUG Simone, Convergences critiques.
Introduction à la lecture du littéraire, Éditions OPU, Alger, 2005.
2. ADAM Jean-Michel & REVAZ Françoise, L’analyse des récits, Éditions
Aubin, Poitiers, 1996.
3. ADORNO W. Theodor, Le caractère fétiche de la musique, traduit de
l'allemand par Christophe David, Édition Allia, Paris, 2001, p. 52.
4. ALEXANDRE Didier & DEBREUILLE Jean-Yves (dir.), Lire Beckett,
Éditions PUL, Lyon, 1998.
5. Aristote, Poétique, trad., Éditions Seuil, Paris, 1980.
6. Aristote, Rhétorique II, éditions Belles lettres, Paris, 1960.
7. BAETENS Jan, Formes et politique de la bande dessinée, Éditions Peeters,
Louvain, 1998.
8. BAKHTINE Mikhaïl, Esthétique et théorie du roman, traduit du russe par
Olivier DARIA, Éditions Gallimard, Paris, 1987.
9. BAL Mieke, Narrtology: Introduction of the Theory of Narrative, Edition
University of Toronto Press, Toronto, 1997.
10. BARTHES Roland, Essais critiques, Éditions du Seuil, Paris, 1991.
11. BÉNAC Henri, Guide des idées littéraires, Éditions Hachette, Paris, 1988.
12. BENJAMIN Walter, L'œuvre d'art à l'ère de la reproductibilité technique,
traduit de l'allemand par Maurice de Gandillac, Édition Allia, Paris, 2011.

216
13. BIET Christian, La Tragédie, Éditions Armand Colin, Paris, 2010.
14. BLANCHOT Maurice, Le livre à venir, Éditions Gallimard, Paris, 1986.
15. BLANCHOT Maurice, L'Espace littéraire, Éditions Gallimard, Paris, 1988.
16. BLANCKEMAN Bruno, Les Fictions singulières ; étude sur le roman
français contemporain, Éditions Prétexte, Paris, 2002.
17. CAILLOIS Roger, L'homme et le sacré, Paris, Éditions Gallimard, 1950.
18. CANVAT Karl & LEGROS Georges, Les valeurs dans/ de la littérature,
Éditions PUN, Namur, 2004.
19. CLERC Jeanne-Marie & CARCAUD-MACAIRE Monique, L'adaptation
cinématographique et littéraire, Éditions Klincksieck, Paris, 2004.
20. COMPAGNON Antoine, Démon de la théorie, Éditions Seuil, Paris, 1998.
21. COMPAGNON Antoine, La littérature pour quoi faire ?, Éditions Fayard,
Paris, 2013.
22. COMPAGNON Antoine, La seconde main ou le travail de la citation,
Éditions Seuil, Paris, 1979.
23. DELCROIX Maurice & HALLYN Fernand (dir.), Introduction aux textes
littéraires, Éditions Boeck, Paris, 1995.
24. DUFOUR Philippe, Le réalisme de Balzac à Proust, Éditions PUF, Paris,
1998.
25. DÜRRENMATT Jacques, Bande dessinée et littérature, Éditions Classiques
Garnier, Paris, 2013.
26. ECO Umberto, Dire presque la même chose. Expérience de traduction,
traduit de l'italien par Myriem BOUZAHER, Éditions Grasset, Paris, 2006.
27. ECO Umberto, Lector in fabula, Éditions Grasset, Paris, 1985.
28. EGGER Carole (dir.), Rideau ou la fin au théâtre, Éditions Lansman, Paris,
2005.
29. FIANT Antony, Et le cinéma d'Otar Iosseliani fut, Édition L'Âge d'Homme,
Lausanne, 2002.
30. FRAZIER Françoise, Poétique et création littéraire en Grèce ancienne : la
découverte d'un nouveau monde, Édition PUF, Paris, 2009.
31. FUZELLIER Étienne, Cinéma et littérature, Éditions du Cerf, Paris, 1964.
32. GARCIA Alain, L'adaptation du roman au film, Éditions Dujarric, Paris,
2000.

217
33. GAUDREAULT André & GROENSTEEN Thierry (dir.), La transécriture,
pour une théorie de l'adaptation. Littérature, cinéma bande dessinée, théâtre,
clip, Nota Bene, Québec, 1998.
34. GAUDREAULT André, Cinéma et attractions-Pour une nouvelle histoire du
cinématographe, Éditions CNRS, Paris, 2008.
35. GAUDREAULT André, La fin du cinéma ? Un média en crise à l'ère du
numérique, Éditions Armand Colin, Paris, 2013.
36. GEHRMANN Susanne, YIGBE Dotsé (dir.), Créativité intermédiatique au
Togo et dans la diaspora Togolaise, Éditions Lit, Berlin, 2015.
37. GENETTE Gérard, Des genres et des œuvres, Éditions Seuil, Paris, 2012.
38. GENETTE Gérard, Fiction et dicton, Éditions Seuil, Paris, 1991.
39. GENETTE Gérard, Figures III, Éditions Seuil, Paris, 1972.
40. GENETTE Gérard, Nouveau discours du récit, Éditions Seuil, Paris, 1983.
41. GENETTE Gérard, Palimpsestes : la littérature au second degré, Éditions
Seuil, Paris, 1992.
42. GLISSANT Édouard, Poétique de la relation, Édition Gallimard, Paris, 1992.
43. GUIYOBA François (dir.), Entrelaces des arts et effet de vie, Éditions
L'Harmattan, Paris, 2012.
44. HÉBERT Louis, Introduction à l'analyse des textes littéraires : 41 approches,
Québec, 2017.
45. IONESCO Eugène, Entre la vie et le rêve. Entretien avec Claude Bonnefoy,
Éditions Gallimard, Paris, 1996.
46. KANT Emmanuel, Critique de la raison pure, Éditions Flammarion,
traduction de l'allemand RENAUT Alain, Paris, 2006.
47. LAFORGUE Pierre, Gavroche (études sur Les Misérables), Éditions SEDES,
Paris, 1994.
48. LARUE Anne, Théâtralité et genres littéraires, La licorne UFR, Poitiers,
1996.
49. LEICHTER FLACK Frédérique, Le laboratoire des cas de conscience,
Éditions Alma, Paris, 2012.
50. LEVI-STRAUSS Claude, La Pensée Sauvage, Paris, Ed. Seuil, 1962.
51. MAINGUENEAU Dominique, Les termes clés de l'analyse du discours,
Éditions Seuil, 2009, Paris.

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52. MALRAUX André, Esquisse d'une psychologie du cinéma, Éditions
Nouveau Monde, Paris, 2003.
53. MAUZI Robert, L'idée du bonheur dans la littérature et la pensée française
au XVIIIe siècle, Éditions Armand Colin, Paris, 1976.
54. MERETE STISTRUP Jensen & THIROUIN Marie-Odile (dir.), Frontières
des genres : migrations, transferts, transgressions, Presses Universitaires de
Lyon, 2005.
55. METZ Christian, Essais sur la signification au cinéma, Éditions Klincksieck,
Paris, 1968.
56. MOKHTARI Rachid, Le nouveau souffle du roman algérien, Éditions
Chihab, Alger, 2006.
57. MORIN Edgar, L'esprit du temps, Édition Grasset, Paris, 1962.
58. MOUCHARD Benoît, La bande dessinée, Éditions Cavalier bleu, Paris,
2004.
59. NIETZSCHE Friedrich, Généalogie de la morale, Éditions Gallimard,
traduction de l'allemand WOTLING Patrick, Paris, 2000.
60. PARIZET Sylvie (dir.), Lectures politiques des mythes littéraires au XXe
siècle, Édition PUP, Paris, 2009.
61. PEYTARD Jean & MOIRAND Sophie, Discours et enseignement du français
: les lieux d'une rencontre, Éditions Hachette, Paris, 1992.
62. PLANA Muriel, Roman, théâtre, cinéma : Adaptation, hybridation et
dialogue des arts, Éditions Bréal, Paris, 2004.
63. PRUNER Michel, L'analyse du texte de théâtre 2ème édition, Éditions
Armand Colin, Paris, 2010.
64. RASTER François, Sémantique et recherche cognitives, Éditions PUF, Paris,
1991.
65. RICŒUR Paul, Histoire et Vérité, Éditions Seuil, Paris, 1967.
66. ROCHEFORT Edmond, Mémoires d'un vaudevilliste, Éditions Charlieu et
Huillery, Paris, 1863.
67. ROPARS-WUILLEMIER Marie Claire, Écraniques. Le film du texte, Presses
Universitaires de Lille, Lille, 1990.
68. SABOURAUD Frédéric, L'adaptation : le cinéma a tant besoin d'histoire,
Éditions Cahier du Cinéma, Paris, 2006.

219
69. SAHIRI Léandre, Le bon usage de la répétition dans l'expression écrite et
orale, Éditions Mon petit éditeur, Paris, 2013.
70. SARTRE Jean-Paul, L'existentialisme est un humanisme, Éditions Gallimard,
Paris, 1996.
71. SARTRE Jean-Paul, Situation II, Éditions Gallimard, Paris, 1948.
72. SCHAEFFER Jean-Marie, Qu'est-ce qu'un genre littéraire ?, Éditions Seuil,
Paris, 1989.
73. SCHELER Max, L'Homme du ressentiment, Éditions Gallimard, Paris, 1958.
74. SERCEAU Michel, L'adaptation cinématographique des textes littéraires :
théories et lectures, Éditions du CEFAL, Liège, 1999.
75. SOURIAU Étienne (Dir.), L'univers filmique, Éditions Flammarion, Paris,
1953.
76. STEINER Georges, Language and Silence, Edition Yale Press University,
Yale, 1998.
77. TODOROV Tzvetan, La notion de littérature, Éditions Seuil, Paris, 1987.
78. UBERSFELD Anne, Lire le théâtre, Éditions Scolaires, Paris, 1977.
79. VAN MONTFRANS Manet, George Perec. La contrainte du réel, Éditions
Rodopi, Amsterdam, 1999.
80. VASY Gilles, De la plume à l'écran : textes et films "en analyse", Éditions
Publibook, Paris, 2010.
81. WINKIN Yves (Dir.), La nouvelle communication, Édition Seuil, Paris, 2014.
82. WOLTON Dominique (dir.), Mondes francophones, Éditions adpf, Paris,
2006.

IV. Ouvrages de fictions


1. CAMUS Albert, Le mythe de Sisyphe, Éditions Gallimard, Paris, 1985.
2. CAMUS Albert, Les Justes, Paris, Éditions Gallimard, Paris, 1977.
3. CAMUS Albert, Lettres à un ami allemand, Éditions Gallimard, Paris, 1948.
4. CAMUS Albert, Réflexion sur la guillotine, Éditions Folio, Paris, 2008.
5. DOSTOÏEVSKI Fiodor, Crime et Châtiment, Tome I, Éditions Bibliothèque
de la pléiade, traduction du russe par ERGAZ Doussia, Paris, 1950.
6. GOETHE Johann Wolfgang Von, Correspondence Tome I, Éditions
Gallimard, Paris, 1994.
7. MAALOUF Amin, Les désorientés, Éditions Grasset, Paris, 2012.

220
8. MALRAUX André, La condition humaine, Éditions Gallimard, Paris, 1972.

V. Articles spécialisés
a) Version papier
1. BHABHA Homi Jehangir, « Culture's In-between », in Questions of Cultural
Identity, Editions Stuart Hall, London, 1998.
2. BLANCKEMAN Bruno, « Retours critiques et interrogations postmodernes
», in TOURET Michèle (dir.), Histoire de la littérature française du XXe
siècle. Tome II – après 1940, Presses Universitaires de Rennes, 2008.
3. CAMUS Albert, « Conférence d'Athènes sur l'avenir de la tragédie », in
Essais, Édition Gallimard, Paris, 1981.
4. DIRRT Cohn « Signposts of fictionality: a narratological perspective », in
Poetics Today, N° 11, Hamburg, 1990.
5. DURAND Gilbert, Les fondements de la création littéraire, in Encyclopœdia
Universalis, Enjeux, Tome1, 1990.
6. ESQUENAZI Jean Pierre, « De l'adaptation à l'ingestion », in Cinémaction
N° 76, 1996.
7. FRIEDMAN Norman, « Point of view in fiction. The development of a
critical concept », in PLMA, Vol.70, N° 05, Amsterdam, 1955.
8. INGARDEN Roman, « Les fonctions du langage au théâtre », in Poétique,
N°08, Paris, 1971.
9. JOST François, GAUDREAULT André (dir.), La Croisée des médias, Coll. «
Sociétés et Représentations », N° 09, Paris, 2000.
10. MARINIELLO Silvestra, « L'intermédialité : un concept polymorphe », In
Isabel Rio NOVO, Célia VIEIRA, Inter Média : Littérature, cinéma et
intermédialité, Éditions L'Harmattan, Paris, 2011.
11. MARION Philippe, « Traces graphiques, lecture et vraisemblance », in
L'image B.D., Éditions Open, Louvain, 1991.
12. MOSER Walter, « L'interartialité : pour une archéologie de l'intermédialité »,
In Marion FROGER & Jürgen Ernst MÜLLER (dir.), Intermédialité et
société. Histoire et géographie d'un concept, Éditions Münster : Nodus, 2007.
13. MÜLLER Jürgen Ernst, « Top Hat et L'intermédialité de la comédie musicale
», in Cinémas, N° 1-2, Québec, automne 1994.

221
14. MÜLLER Jürgen Ernst, « L’intermédialité, une nouvelle approche
interdisciplinaire : perspectives théoriques et pratiques à l’exemple de la
vision de la télévision », in Cinémas, N° 2-3, 2000.
15. PERRON Bernard, « La focalisation un détour pour la scénaristique », In
Études littéraires, Vol. 26, N° 2, Québec, Automne 1993.
16. PROCHAZKA Miroslav, « On the Nature of the Dramatic Text », in
Semiotics of Drama and Theatre. New perspectives in the Theory of Drama
and Theatre, Amsterdam, 1984.
17. UBERSFELD Anne, « Le texte dramatique », in COUTY Daniel & REY
Alain (dir.), Le Théâtre, Éditions Bordas, Paris, 1980.
18. VILLENEUVE Johanne, « La symphonie-histoire d'Alfred Schnittke.
Intermédialité, cinéma, musique », In Intermédialités, N° 02, Montréal,
Automne 2003.
19. VRAY Jean-Bernard, « Le roman connaît la chanson », in MAJORANO
Matteo (dir.), Le jeu des arts. L'écriture et les arts, Éditions Edizioni B.A.
Graphis, Milan, 2005.
b) Version numérique
1. BOILLAT Alain, « la "diégèse" dans son acception filmologique. Origine,
postérité et productivité d'un concept », In Cinémas, vol. 19, N° 2-3
printemps, Paris, 2009, p. 217-245. [En ligne], consulté le 11 juin 2017,
http://id.erudit.org/iderudit/037554ar
2. COMPAGNON Antoine, « Chaire de la Littérature moderne et
contemporaine : Histoire, critique, théorie », in La guerre littéraire, premier
cours. [En ligne] consulté le 18 septembre 2018 URL, http://www.college-de-
france.fr/site/antoine-compagnon/course-2014-01-14-16h30.htm
3. GROENSTEEN Thierry, « Roman graphique », in Neuvième Art 2.0, Cité
internationale de la bande dessinée et de l’image, [en ligne], mis en ligne en
septembre 2102, consulté le 20 août 2017. URL,
http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article448
4. MELLON Christian, « Désobéissance civile », in Encyclopædia Universalis
[en ligne], consulté le 28 octobre 2018.
URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/desobeissance-civile/
5. PAOLUCCI Philippe, « Jacques Dürrenmatt, Bande dessinée et littérature »,
Questions de communication [En ligne], 25 | 2014, mis en ligne le 01 juillet

222
2014, consulté le 25 juillet 2017. URL :
http://questionsdecommunication.revues.org/9106
6. THOMAS Jean, « MUSSET ALFRED DE - (1810-1857) », in Encyclopædia
Universalis [en ligne], consulté le 17 août 2017. URL :
http://www.universalis.fr/encyclopedie/alfred-de-musset/
7. WYBRANDS Francis, « Généalogie de la morale, Friedrich Nietzsche »
Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 février 2018.
URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/genealogie-de-la-morale/

VI. Encyclopédies et dictionnaires


1. AUMONT Jacques & MARIE Michel, Dictionnaire théorique et critique du
cinéma, Éditions Nathan, Paris, 2004.
2. DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean Marie, Nouveau dictionnaire
encyclopédique des sciences du langage, Éditions Seuil, Paris, 1995.
3. GAFFIOT Félix, Dictionnaire abrégé français latin, Édition Armand, Paris,
1936.
4. MITTERAND Henri (dir.), Dictionnaire des œuvres du XXe siècle.
Littérature française et francophone, Éditions Le Robert, Paris, 1995.
5. PAVIS Patrice, Dictionnaire du théâtre, Éditions Dunod, Paris, 1997.
6. REY Alain, Dictionnaire Historique De La Langue Française, Éditions Le
Robert, Paris, 2010.
7. ROY André, Dictionnaire général du cinéma : du cinématographe à Internet
: art, technique, industrie, Éditions Fides, Québec, 2007.
8. Le Petit Robert des noms propres. Éditions 2003.

VII. Textes particuliers


- Bible : l’Évangile de Matthieu (V, 38-42)
- Discours de Suède est le discours de réception du Prix Nobel de littérature
prononcé par Albert CAMUS à Oslo le 10 décembre 1957.

223
ANNEXES
Reproduction de nos échanges par courriel avec la direction du théâtre des
halls d'Avignon¸ afin d'obtenir le texte théâtral de Franck Berthier L'attentat,
qui n'a pas encore fait l'objet d'une édition

Le 12 juin 2017 à 14:51, Yasmine EZZINE <ezzine.yasmine@hotmail.fr> a écrit :


Bonjour Madame, Monsieur,
Permettez-moi de me présenter, je m'appelle Yasmine EZZINE, actuellement en
première année de thèse dont l'intitulé est : L'intermédialité dans l'œuvre de Yasmina
KHADRA, L'Attentat. Mon objectif est de réaliser une étude comparative entre ce
roman et ses différentes réécritures : pièce de théâtre, scénario et roman graphique.
Or, il semble que le texte théâtral n'ait pas fait l'objet d'une édition et afin de
valider la pertinence de projet, je souhaiterais le consulter ou l'avoir, si vous en
disposez bien évidement, eu égard à son adaptation en juillet 2016 par votre équipe.
Sinon, pourriez-vous me mettre en communication avec quelqu'un qui serait en
mesure de m'aider à l'avoir ? Sachant que j'ai déjà contacté l'adaptateur et metteur en
scène de ce roman, Franck Berthier, et l'auteur Yasmine Khadra mais ils n'ont pas
donné suite à mes courriels.
Je vous en remercie d'avance.
Sincères salutations.
EZZINE Kheira Yasmine

225
Réponse de la direction du théâtre des halls d'Avignon

Le 14 juin 2017 à 09:03, Aurélie Clément <rp@theatredeshalles.com> a écrit :


Bonjour,
Pour faire suite à votre demande, vous trouverez en pièce-jointe la « dernière
version déposée de L’Attentat, il n’y a pas les coupes qu’ils ont été faites pour le
festival d’Avignon, mais sinon c’est bien la même adaptation. ». D’après le mail reçu
de la personne en charge de l’accueil professionnel du spectacle en juillet 2016.

Bien cordialement

<L'ATTENTAT-avril 2015PDF.pdf>

226
INDEX
adaptation8, 9, 10, 12, 15, 18, 21, 22, 146, 149, 150, 151, 152, 171, 185,
23, 24, 26, 27, 38, 39, 48, 49, 50, 204
51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 67, 78, diégèse31, 32, 38, 119, 123, 124, 141,
79, 81, 83, 85, 86, 87, 94, 98, 99, 148, 181, 219
100, 103, 105, 110, 113, 119, 122, dramatique9, 14, 30, 33, 35, 36, 38,
135, 162, 179, 181, 189, 201, 208, 49, 52, 63, 81, 85, 88, 89, 90, 91,
214, 216, 217, 222, 223 92, 94, 95, 96, 98, 103, 107, 127,
arts8, 9, 11, 36, 45, 52, 54, 60, 61, 64, 135, 136, 137, 139, 145, 146, 149,
68, 69, 72, 73, 79, 81, 112, 171, 150, 151, 153, 190, 191, 198, 200,
211, 215, 216, 218 201, 205, 209, 218
bande dessinée7, 14, 18, 19, 23, 24, écriture8, 9, 18, 21, 22, 29, 35, 36, 38,
32, 39, 47, 59, 66, 68, 70, 78, 98, 39, 46, 52, 63, 64, 65, 66, 68, 73,
99, 100, 102, 103, 104, 105, 106, 78, 79, 81, 92, 93, 100, 112, 137,
110, 137, 140, 152, 155, 179, 207, 155, 179, 182, 186, 187, 188, 195,
213, 214, 216, 219 198, 200, 205, 207, 209, 210, 218
chute110, 114, 116, 119, 120, 140, esthétique7, 8, 24, 53, 56, 61, 64, 69,
153, 180, 181, 182, 183, 184, 186, 70, 72, 93, 99, 113, 116, 134, 155,
189, 192, 193, 194, 195, 199, 200, 182, 185
201, 203, 204, 208 éthique27, 33, 96, 116, 119, 151, 157,
cinéma8, 14, 18, 19, 21, 23, 24, 27, 161, 162, 164, 165, 167, 168, 169,
31, 32, 36, 37, 39, 41, 44, 45, 52, 170, 171, 172, 173, 178, 179, 204,
54, 55, 56, 59, 67, 70, 71, 73, 75, 208, 209
78, 79, 80, 81, 82, 83, 90, 103, 107, femme9, 84, 85, 94, 95, 96, 106, 109,
110, 112, 113, 119, 122, 123, 132, 119, 120, 121, 123, 125, 130, 134,
133, 140, 145, 148, 173, 179, 189, 159, 161, 162, 163, 164, 166, 172,
190, 191, 193, 205, 207, 209, 214, 181, 182, 184, 186, 187, 188, 189,
215, 216,꼔217, 218, 219 191, 192, 193, 194, 199
création poétique8, 33, 35, 39, 43, 49, film10, 12, 15, 23, 27, 29, 31, 32, 37,
58, 64, 67, 114, 157, 179, 186, 188, 41, 48, 52, 54, 55, 57, 63, 67, 78,
195, 203, 205, 207, 208, 209 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 87, 103,
culture. 7, 39, 40, 59, 60, 66, 68, 72, 99 112, 114, 122, 123, 124, 132, 135,
description12, 27, 29, 33, 80, 100, 145, 146, 148, 153, 161, 164, 165,
114, 119, 141, 142, 143, 144, 145, 166, 167, 168, 169, 170, 179, 181,

228
189, 190, 191, 192, 193, 194, 200, langage7, 22, 26, 32, 34, 35, 41, 53,
203, 205, 210, 214, 216 56, 60, 70, 86, 87, 89, 91, 100, 105,
focalisation114, 119, 125, 128, 129, 129, 141, 198, 217, 219
130, 131, 132, 135, 136, 137, 141, lecteur8, 9, 11, 15, 34, 39, 53, 54, 62,
155, 204, 218 80, 82, 85, 87, 88, 89, 91, 103, 106,
genre8, 11, 12, 14, 15, 18, 21, 22, 24, 110, 114, 119, 121, 127, 130, 132,
26, 30, 35, 36, 46, 47, 49, 56, 57, 136, 138, 140, 141, 154, 162, 163,
58, 64, 66, 73, 75, 81, 83, 84, 93, 185, 201, 208
98, 99, 103, 105, 114, 162, 201, littérature7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
208, 209, 210, 216 18, 19, 21, 25, 28, 30, 34, 35, 38,
guerre7, 10, 62, 119, 160, 162, 168, 39, 43, 45, 46, 49, 51, 54, 55, 56,
171, 172, 173, 177, 184, 185, 193, 57, 58, 59, 60, 61, 63, 64, 65, 66,
195, 196, 219 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76,
histoire9, 10, 11, 21, 28, 31, 32, 34, 78, 80, 93, 98, 99, 106, 110, 113,
35, 44, 47, 54, 55, 59, 60, 61, 63, 114, 117, 119, 136, 148, 157, 162,
72, 74, 79, 81, 84, 86, 87, 92, 99, 166, 171, 176, 179, 182, 185, 188,
100, 103, 110, 119, 120, 121, 122, 191, 194, 195, 197, 207, 210, 211,
123, 131, 136, 140, 155, 158, 161, 213, 214, 215, 217, 218, 220
170, 175, 183, 186, 187, 188, 193, livre11, 14, 15, 18, 27, 38, 39, 41, 51,
195, 205, 209, 214, 216, 218 53, 58, 68, 70, 71, 72, 73, 81, 82,
humanité . 163, 168, 175, 176, 194, 203 83, 85, 103, 105, 114, 121, 127,
iconographie ............... 13, 14, 184, 185 147, 158, 170, 184, 190, 211, 213
identité30, 44, 47, 96, 106, 119, 120, média26, 39, 40, 41, 44, 46, 47, 49,
126, 151, 164, 184, 187, 210 51, 58, 71, 214
image8, 9, 12, 18, 29, 33, 39, 40, 43, médias18, 21, 22, 39, 40, 41, 43, 44,
48, 54, 70, 82, 99, 101, 102, 104, 45, 46, 47, 48, 49, 51, 58, 59, 61,
105, 106, 110, 116, 127, 132, 134, 68, 69, 70, 71, 73, 83, 99, 113, 114,
147, 152, 161, 171, 179, 182, 186, 157, 207, 217
187, 188, 189, 193, 202, 217, 219 médiologie ................................. 12, 47
interactif ................................. 8, 39, 45 médium11, 12, 13, 15, 21, 24, 26, 29,
interartialité .......................... 8, 45, 218 40, 44, 49, 54, 69, 113, 127, 137,
intermédialité8, 9, 11, 13, 14, 15, 19, 207, 210
20, 21, 24, 43, 44, 45, 46, 47, 51, métaphysique ............................. 10, 98
69, 71, 72, 113, 211, 217, 218, 222

229
mimésis14, 19, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 183, 184, 185, 186, 187, 188, 189,
37, 54, 57, 90, 113, 129 191, 192, 193,꼔194, 195, 200, 201,
mode dramatique ........................ 14, 35 203, 204, 208
mode narratif ............ 14, 30, 34, 35, 38 philosophie14, 30, 60, 116, 164, 179,
morale7, 10, 27, 70, 114, 116, 123, 183, 196, 197
158, 159, 161, 164, 165, 166, 168, pièce de théâtre10, 48, 88, 94, 96, 97,
171, 172, 174, 175, 177, 181, 183, 176, 195, 199, 200
185, 190, 192, 196, 204, 205, 209, poétique7, 18, 24, 25, 38, 49, 60, 64,
216, 219 68, 74, 76, 89, 106, 114, 117, 121,
multimédia ........... 11, 48, 63, 207, 210 207, 210
musique8, 32, 33, 39, 44, 45, 48, 54, récit7, 8, 11, 12, 13, 14, 15, 18, 19, 21,
59, 60, 68, 213, 218 29, 30, 31, 32, 34, 35, 36, 37, 38,
narrateur36, 91, 100, 101, 105, 120, 39, 47, 53, 56, 58, 63, 64, 66, 68,
121, 122, 123, 124, 125, 129, 130, 74, 75, 81, 84, 85, 91, 94, 95, 97,
131, 132, 135, 140, 144, 145, 155, 100, 101, 102, 107, 110, 112, 118,
181, 182, 195, 201, 210 119, 120, 121, 123, 127, 128, 129,
narration11, 31, 36, 37, 38, 79, 81, 82, 130, 131, 132, 135, 137, 142, 145,
91, 94, 95, 98, 99, 100, 105, 110, 152,꼔155, 164, 166, 167, 168, 179,
116, 119, 120, 122, 123, 125, 127, 181, 182, 184, 185, 186, 187, 188,
128, 131, 133, 136, 141, 143, 159, 192, 193, 199, 208, 210, 215
162, 184, 185, 204, 207, 208 responsabilité10, 79, 114, 164, 165,
narrativité ....................... 8, 11, 37, 207 166, 170, 186, 193
narratologie10, 14, 32, 37, 69, 70, 116, responsabilité morale ............. 164, 165
119, 123, 135 ressentiment ... 158, 159, 160, 178, 216
numérique9, 11, 13, 14, 15, 45, 46, 52, roman7, 9, 10, 11, 12, 15, 18, 21, 23,
57, 58, 60, 68, 71, 76, 113, 114, 24, 27, 28, 29, 35, 36, 37, 38, 39,
208, 214 45, 46, 48, 53, 54, 55, 56, 57, 62,
peinture........... 8, 39, 45, 54, 60, 64, 68 63, 64, 66, 67, 72, 73, 74, 75, 78,
personnage8, 9, 10, 31, 32, 39, 45, 57, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87,
61, 62, 63, 64, 67, 80, 82, 84, 85, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96,
87, 90, 91, 94, 96, 114, 119, 120, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104,
121, 122, 123, 124, 125, 126, 127,
105,꼔112, 113, 114, 116, 119, 122,
128, 130, 131, 132, 136, 140, 146,
123, 125, 127, 128, 132, 133, 148,
147, 148, 151, 158, 164, 170, 181,

230
149, 151, 154, 155, 158, 159, 160, 135, 136, 137, 140, 141, 145, 149,
161, 162, 164, 165, 166, 167, 168, 150, 151, 152, 155, 157, 159, 168,
171, 175, 176, 177, 179, 181, 182, 170, 173, 174, 176, 177, 182, 184,
184, 186, 187, 188, 189, 194, 199, 185, 187, 195, 197, 198, 199, 200,
200, 201, 203, 205, 207, 209, 210, 201, 203, 204, 205, 207, 208, 209,
213, 214, 216, 218, 222 210, 211, 216, 218, 222
roman graphique10, 15, 18, 21, 45, 48, théâtre10, 14, 15, 18, 19, 21, 23, 24,
98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 32, 33, 35, 36, 37, 41, 46, 47, 48,
105, 112, 113, 114, 116, 127, 128, 51, 52, 58, 62, 63, 67, 78, 79, 80,
154, 158, 159, 160, 162, 164, 181, 84, 85, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93,
184, 186, 187, 188, 205, 207, 209, 94, 95, 96, 97, 112, 113, 114, 124,
210, 222 125, 126, 136, 137, 149, 150, 151,
scénario8, 12, 15, 18, 24, 29, 32, 39, 172, 176, 177, 179, 181, 195, 197,
47, 78, 79, 81, 82, 84, 85, 86, 100, 198, 199,꼔200, 202, 205, 207, 209,
103, 107, 112, 116, 164, 168, 171, 210, 214, 216, 217, 219, 222, 223
182, 186, 191, 193, 194, 222 transécriture8, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
sémiotique7, 10, 14, 18, 21, 22, 24, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 26, 27,
27, 40, 47, 70, 78, 103, 134, 136, 28, 29, 44, 48, 49, 51, 61, 63, 67,
152, 186 68, 72, 73, 113, 114, 115, 116, 117,
spectateur11, 32, 34, 51, 54, 80, 82, 118, 119, 132, 136, 137, 149, 151,
83, 85, 87, 90, 91, 94, 96, 106, 119, 155, 165, 168, 170, 172, 176, 177,
126, 132, 135, 147, 149, 190, 191, 179, 180, 181, 186, 187, 189, 195,
201 197, 199, 200,꼔203, 204, 205, 207,
texte8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 17, 18, 208, 209, 210, 214
19, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, transmigration .. 8, 12, 18, 27, 204, 209
29, 34, 35, 36, 38, 39, 45, 46, 47, transmutation8, 12, 14, 15, 18, 21, 26,
48, 51, 53, 54, 55, 57, 58, 60, 61, 27, 85, 101, 113, 114, 157, 179,
62, 66, 68, 70, 71, 72, 73, 78, 80, 187, 204, 207, 209, 210
82, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, transposition11, 14, 15, 22, 24, 26, 29,
92, 94, 96, 97, 98, 100, 101, 102, 35, 39, 47, 56, 57, 59, 68, 79, 83,
103, 105, 106, 107, 110, 113, 116, 85, 86, 94, 98, 101, 102, 112, 113,
119, 122, 124, 125, 127, 128, 132, 119, 127, 182, 200, 207

231
Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE......................................................................................................... 8

PARTIE PREMIÈRE : DU TEXTE LITTÉRAIRE VERS LES SUPPORTS MÉDIATIQUES


.............................................................................................................................................................. 18

CHAPITRE PREMIER : CONFLUENCE DE LA TRANSÉCRITURE AVEC LA


TRANSMODALISATION ET L'INTERMÉDIALITÉ............................................................................ 21

I - LA RÉ/ÉCRITURE D'UNE ŒUVRE LITTÉRAIRE ............................................................... 22

I.1 TRANSÉCRITURE OU RÉÉCRITURE....................................................................................................... 23

I.2 TRANSÉCRITURE ET RELATION TRANSTEXTUELLE ............................................................................... 25

I.3 ÉCLATEMENT TERMINOLOGIQUE ..................................................................................................... 28

II - LA TRANSMODALISATION ...................................................................................................... 31

II.1 LE MODE DIÉGÉTIQUE ..................................................................................................................... 32

II.2 LE MODE MIMÉTIQUE ...................................................................................................................... 34

II.3 L'ENTRE DEUX MODES ; LA TRANSMODALISATION ............................................................................ 36

III - LITTÉRATURE ET RELATIONS INTERMÉDIALES .......................................................... 40

III.1 QU'EST-CE QU'UN MÉDIA ? ............................................................................................................ 41

III.2 LA PRATIQUE INTERMÉDIALE ........................................................................................................ 45

III.3 MÉDIAS ET DÉFLAGRATION CONCEPTUELLE .................................................................................. 48

CHAPITRE DEUXIÈME : L'ADAPTATION COMME PRATIQUE PREMIÈRE............................ 52

I - LA PRATIQUE DE L'ADAPTATION EN QUESTION : .......................................................... 53

I.1 LES RAISONS DE L'ADAPTATION :....................................................................................................... 53

I.2 CRITIQUE ET RÉHABILITATION DE L'ADAPTATION :............................................................................ 55

I.3 TYPOLOGIE DE L'ADAPTATION : ......................................................................................................... 57

II - LE PARCOURS DU TEXTE LITTÉRAIRE PAR LES MÉDIAS ......................................... 60

II.1 CULTURE DE MASSE VS LITTÉRATURE : .......................................................................................... 60

II.2 DES EXEMPLES D'ADAPTATIONS LITTÉRAIRES AUX SUPPORTS MÉDIATIQUES .................................. 63

II.3 L’ACTUALITÉ DE LA LITTÉRATURE ALGÉRIENNE CONTEMPORAINE : .............................................. 66

III - LE STATUT DE LA LITTÉRATURE À L'ÈRE DU NUMÉRIQUE :................................. 70

III.1 « LA FIN DE LA LITTÉRATURE » ........................................................................................................ 71

III.2 LES FINALITÉS DE LA LITTÉRATURE :............................................................................................. 74

232
III.3 UNE POST-POÉTIQUE DÉSTABILISATRICE : ..................................................................................... 76

CHAPITRE TROISIÈME : LES DIFFÉRENTES RÉÉCRITURES DE L'ATTENTAT ...................... 79

I - DU TEXTE LITTÉRAIRE AU FILMIQUE .............................................................................. 80

I.1 LES CONTRAINTES DE LA CRÉATION DU SCÉNARIO ............................................................................ 81

I.2 LES POINTS DE CONVERGENCES ET DE DIVERGENCES ....................................................................... 83

I.3 LA TRANSPOSITION DE L'ATTENTAT.................................................................................................... 85

II - DU TEXTE LITTÉRAIRE AU SCÉNIQUE ............................................................................. 88

II.1 LES CONTRAINTES DE LA MISE EN SCÈNE : ....................................................................................... 89

II.2 LES POINTS DE CONVERGENCES ET DE DIVERGENCES ..................................................................... 92

II.3 LA RÉÉCRITURE SCÉNIQUE DE L'ATTENTAT...................................................................................... 96

III - DU TEXTE LITTÉRAIRE AU GRAPHIQUE ..................................................................... 100

III.1 LES CONTRAINTES DE LA CRÉATION GRAPHIQUE : ........................................................................ 102

III.2 LES POINTS DE CONVERGENCES ET DE DIVERGENCES : ................................................................ 105

III.3 LA « GRAPHIATION » DE L'ATTENTAT ............................................................................................ 107

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE ............................................................................. 114

PARTIE DEUXIÈME : L’EFFET DE LA TRANSÉCRITURE SUR LE ROMAN L'ATTENTAT


............................................................................................................................................................ 116

CHAPITRE PREMIER : ÉTUDE NARRATOLOGIQUE (PERSONNAGE, PERSPECTIVE


NARRATIVE ET DESCRIPTION) ................................................................................................... 119

I - LES DIFFÉRENTES REPRÉSENTATIONS DU PERSONNAGE AMINE JAAFARI ...... 120

I.1 LE PERSONNAGE ROMANESQUE ..................................................................................................... 120

I.2 LE PERSONNAGE FILMIQUE ............................................................................................................ 123

I.3 LE PERSONNAGE THÉÂTRAL ........................................................................................................... 126

I.4 LE PERSONNAGE DU ROMAN GRAPHIQUE ....................................................................................... 128

II - LA PERSPECTIVE NARRATIVE .......................................................................................... 129

II.1 LA RESTRICTION DE LA VOIX NARRATIVE ..................................................................................... 131

II.2 L'OCULARISATION DANS L'ATTENTAT DE DOUEIRI .................................................................... 133

II.3 LES VOIX DIDASCALIQUES ............................................................................................................ 137

II.4 LE POINT DE VUE DANS L’ALBUM DE DAUVILLIER ................................................................... 139

III - LA OU LES DESCRIPTIONS ? ............................................................................................. 142

III.1 LA DESCRIPTION DANS LE ROMAN ............................................................................................... 144

233
III.2 LA DESCRIPTION DANS LE FILM ................................................................................................... 147

III.3 LA DESCRIPTION DANS LA PIÈCE DE THÉÂTRE ............................................................................. 151

III.4 LA DESCRIPTION DANS LE ROMAN GRAPHIQUE ............................................................................ 154

CHAPITRE DEUXIÈME : QUEL SYSTÈME DE VALEURS ADOPTER ?................................... 158

I - UNE AXIOLOGIE VARIÉE À TRAVERS L'ATTENTAT ..................................................... 160

I.1 AMINE JAAFARI, « L'HOMME DU RESSENTIMENT » ...................................................................... 160

I.2 VICTIME SANS COUPABLE .............................................................................................................. 162

I.3 SUBIR L'INJUSTICE ......................................................................................................................... 164

II - PENSER LA RESPONSABILITÉ MORALE ET LA SOLIDARITÉ AVEC DOUEIRI ... 166

II.1 L'ONTOLOGIE DE LA RESPONSABILITÉ........................................................................................... 166

II.2 JUSQU'OÙ VA LA SOLIDARITÉ ? ..................................................................................................... 168

II.3 LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE ET LA RÉSISTANCE NON-VIOLENTE .................................................... 171

III – UN DILEMME DANS LE TEXTE DRAMATIQUE DE BERTHIER .............................. 173

III.1 LE PRINCIPE DE LA GUERRE JUSTE ............................................................................................... 173

III.2 UNE RELECTURE DE LA LOI MORALE DU TALION ......................................................................... 176

III.3 « UNE MORT CONTRE CENT VIES. MAIS C'EST DE L'ARITHMÉTIQUE ! » ........................................ 178

CHAPITRE TROISIÈME : LA SYMBOLIQUE DE LA CHUTE DANS L'ATTENTAT ET SA


TRANSÉCRITURE ............................................................................................................................. 182

I - LE MYTHE ESCHATOLOGIQUE .......................................................................................... 183

I.1 L'EXÉGÈSE DU MYTHE DE LA CHUTE .............................................................................................. 183

I.2 LA FIGURE DE LA CONDITION HUMAINE DANS L’ATTENTAT ............................................................ 186

I.3 LE SCÉNARIO MYTHIQUE DE LA FEMME DESTRUCTRICE ................................................................. 188

II - LA CHUTE PSYCHOLOGIQUE DANS L'ATTENTAT DE DOUEIRI ............................... 191

II.1 LA REPRÉSENTATION PSYCHOLOGIQUE D'AMINE JAAFARI......................................................... 191

II.2 LA PRÉSENCE DE L'APOSIOPÈSE APRÈS LA CHUTE ......................................................................... 194

II.3 UNE CHUTE SOUS LE SIGNE DE PERTE ET D’ERRANCE ................................................................... 196

III - LA CHUTE DRAMATIQUE DANS LA PIÈCE DE BERTHIER....................................... 197

III.1 DE QUEL ENGAGEMENT S'AGIT-IL ? ............................................................................................. 197

III.2 UNE RHÉTORIQUE ABSURDE ........................................................................................................ 200

III.3 LA PROPOSITION D’UNE IMAGE D’UN ÉTERNEL RECOMMENCEMENT ........................................... 202

234
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE ............................................................................. 206

CONCLUSION GÉNÉRALE ......................................................................................................... 208

BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................... 214

ANNEXES......................................................................................................................................... 224

INDEX ............................................................................................................................................... 227

235

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