Virus Émergents: Chapitre
Virus Émergents: Chapitre
Virus Émergents: Chapitre
CHAPITRE 3
Virus émergents
VINCENT DEUBEL
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1 État de l’art
1.1 Introduction
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leurs hôtes réservoirs. Ces virus demeurent, à des niveaux différents, de grands
défis pour la médecine moderne, soit parce qu’il n’existe pas de vaccins ou de
traitements, soit parce que des variants échappant aux anti-viraux sont apparus.
Les maladies, longtemps considérées comme des fléaux divins assignés de fa-
çon individuelle ou collective, sont à présent considérées comme un continuum
en perpétuel changement, avec leur propre dynamique d’émergence ou de ré-
émergence qu’il nous faut considérer dans un contexte global.
Nous rappellerons ces facteurs et les citerons à la lumière des nouveaux évé-
nements en les classant en trois grandes catégories.
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Tableau 3.1
Facteurs contribuant aux maladies émergentes et réémergentes.
virus Lassa ou Ebola en Afrique, grippe ou Sras en Asie. Dans certains pays,
le manque de diagnostic ou de diagnostic fiable pour détecter les virus HIV,
HBV ou HCV dans les banques de sang sont des sources de contamination no-
toire, comme cela s’est révélé il y a quelques années dans toute une province de
Chine.
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animal exotique infecté importé illicitement. . . ?), n’est qu’un événement parmi
de nombreux qui se reproduisent annuellement, comme le virus de la dengue en
Asie, en Amérique du Sud ou dans les îles du Pacifique. Il se peut que l’agent
responsable de la maladie ne soit pas lui-même directement responsable de
l’amplitude de l’émergence, mais que le vecteur ou le réservoir soit importé
et risque d’être à l’origine des épidémies. La présence actuelle de moustiques
Aedes albopictus potentiellement vecteurs de la dengue dans le bassin médi-
terranéen, ou leur importation aux États-Unis dans des containers de pneus à
rechapper en 1985 sont des facteurs de risque épidémique. Le tourisme, et no-
tamment le tourisme vert, en direction des sites exotiques reculés des régions du
Sud sans précaution sanitaire particulière sont des sources d’infection et d’intro-
duction de virus nouveaux dans les pays d’origine des vacanciers.
Les contacts accrus des individus avec des animaux vecteurs ou réservoirs de
virus : En général, on se tourne vers les sources animales qui ont ces dernières
années prouvé leur rôle de réservoir ou d’amplificateur de virus. Les exemples
sont nombreux, comme le virus Nipah transmis des chauves-souris au porc puis
à l’homme en Malaisie, le virus du Sras en Chine pour lequel la civette, met
apprécié des chinois, a joué un rôle certain, le virus West Nile transporté par
les oiseaux migrateurs introduit aux États-Unis et qui se propage en Amérique
du Sud et dans les Caraïbes, et à présent le virus de la grippe aviaire qui menace
la population mondiale d’une pandémie, transporté par les oiseaux sauvages
migrateurs et amplifiés par les poulets ou les canards d’élevage. En Afrique, les
populations affamées se trouvent au contact d’animaux sauvages porteurs de
virus dangereux, comme le virus Ebola.
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Les conflits : Les conflits armés engendrent des masses de populations dépla-
cées vivant dans des conditions précaires et sujettes aux épidémies, comme la
fièvre hémorragique de Congo-Crimée transmissible par les tiques en Europe de
l’Est, ou la fièvre de Lassa transmise par un rat au Nigeria.
L’évolution des virus : Les virus ont des structures et des compositions géno-
miques et protéiques très différentes. Leur génome peut être à ARN, d’orientation
positive ou négative, ou à ADN, monocaténaire ou bicaténaire, segmentés ou
uniques. Les virus possèdent ou non une enveloppe composée d’une couche bili-
pidique acquise par bourgeonnement au niveau des membranes cellulaires, ou
une nucléocapside compacte nue. Des protéines virales sont exposées à la sur-
face de l’enveloppe ou de la nucléocapside, permettant au virus de reconnaître
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2.1 Faiblesses
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– les recherches sur les virus émergents font appel à de nombreuses dis-
ciplines et requièrent à la fois une formation pluridisciplinaire, souvent
médicale, et la mise en place de collaborations en réseaux. Ces réseaux
interdisciplinaires manquent de coordination. Mais la carence française
des recherches fondamentales en virologie représente un souci majeur.
La biologie cellulaire, la neurobiologie, ainsi que l’immunologie, sont des
disciplines phares en France mais peu de recherches liées à la virologie
sont développées ;
– l’équipement scientifique nécessaire aux recherches sur les virus est très
varié et coûteux et peu de laboratoires peuvent avoir accès à ces plateaux
techniques. Le recrutement de chercheurs et les moyens font, là encore, dé-
faut. La France est équipée de plateaux techniques tels que les génôpoles,
mais l’étude des virus n’y est que marginale ;
– de plus, il existe une très grande diversité de virus dont l’évolution est
généralement rapide, dont les caractéristiques génétiques, sérologiques,
phénotypiques, pathologiques même, sont extraordinairement variées et
variables. Cette grande diversité rend le diagnostic délicat, l’étude géné-
tique des virus lourde et complexe ;
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– le travail sur les virus émergents présentant un risque pour l’homme et/ou
pour l’environnement, il demande des infrastructures lourdes et onéreuses,
de type P3 et P4, et une formation sur la biosécurité en rapport avec le
risque de manipulation de ces virus. La France ne possède qu’un labora-
toire P4 (l’Allemagne va bientôt en posséder 3), géré par une institution
privée jusqu’en 2004, et l’enseignement sur la biosécurité demeure limité.
Les contraintes de sécurité biologique et administratives imposées pour la
manipulation de ces virus, notamment sur les animaux, ralentissent consi-
dérablement les recherches ;
– il y a en France une réelle coupure entre la recherche académique et les
sociétés de développement. Même si une nouvelle culture de la propriété
intellectuelle et de la création d’entreprise se dessine en France, il reste
que les entreprises privées ne sont pas incitées à investir dans des projets
touchant les maladies émergentes, car jugées non rentables pour les rai-
sons citées plus haut. Il faut reconnaître que le principe même de maladie
émergente pose le problème de sa pérennité et du risque de disparition ou
de sa récurrence à des intervalles très grands, ne pouvant justifier la mise
au point de moyens prophylactiques ou thérapeutiques, ne serait ce que
par l’impossibilité de vérifier en phase III l’efficacité de produits accep-
tables en phase II, et par le faible risque d’épidémie. C’est actuellement
le cas pour le vaccin contre la grippe aviaire qui protège les animaux de
laboratoire mais dont l’efficacité chez l’homme pourrait être compromise
par une évolution rapide du virus échappant de ce fait à la protection
induite par le vaccin ;
– enfin, il faut entrevoir une explication culturelle autant qu’économique à la
pauvreté de la recherche académique française en matière de virologie.
Dans un pays où le vaccin contre la rage a été mis au point, où le virus
du sida a été découvert, la virologie n’attire pas les jeunes générations
et ne fait pas recette. Même les grandes pathologies virales qui tuent en-
core en France car il n’y a pas de vaccin, comme le sida ou l’hépatite C,
n’ont pas suffisamment mobilisé la recherche fondamentale, qui reste très
limitée par rapport à d’autres pays européens ou américains. Les postes
de recherches sur les maladies émergentes, considérées comme exotiques,
demeurent pour le moment moins attractifs ;
– les recherches sur les pathologies virales les plus meurtrières comme l’hé-
patite B ne sont plus subventionnées car il existe un vaccin et un traitement,
alors que des variants échappant aux deux prophylaxies apparaissent et
que le mécanisme de cancérisation n’est toujours pas compris. Cela pose
le problème général de la perte du savoir lors de la résurgence ou l’ap-
parition possibles de pathologies proches des virus « délaissés » ;
– la reconnaissance et l’évaluation scientifiques des chercheurs travaillant
sur des virus zoonotiques sont soumises à des commissions scientifiques
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qui basent leur appréciation sur des critères bibliographiques. Or les fac-
teurs d’impact des journaux de virologie sont inférieurs à ceux de journaux
dans lesquels les travaux de virologie sont plus difficilement acceptés. Ces
procédés d’évaluation sont peu attractifs pour des jeunes chercheurs sou-
cieux de leur évolution de carrière. ».
2.2 Forces
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forestières. Les isolats viraux sont alors analysés dans les laboratoires spé-
cialisés du Service de santé des armées plutôt bien équipés ;
– en amont, ou plutôt en appui de ces antennes sentinelles, la France n’a
que peu de laboratoires de pointe aptes à étudier les virus isolés dans
leurs structures installés dans les pays d’émergence, à tel point que ce pa-
trimoine scientifique a été livré pendant de nombreuses années aux pays
anglo-saxons pour y être étudié. Pour pallier ces problèmes, la France
a entrepris un large programme de coopération pour la formation et le
transfert de technologie en matière de recherche, avec plusieurs pays
francophones d’Afrique et d’Asie. Les programmes FSP (Fonds de solida-
rité prioritaires) sont un exemple de coopération menée par le ministère
des Affaires étrangères, qui par ailleurs, soutient de nombreuses actions
de coopération scientifique inter-État par le biais des ambassades et des
consulats.
3.1 Introduction
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Affaires étrangères, la Défense. Cet organisme doit proposer une stratégie pré-
cise et attribuer des missions précises, aux cliniciens (hospitaliers et cabinets
de consultation et dispensaires), aux chercheurs des grands organismes de re-
cherche comme l’Inserm, le CNRS, l’IRD, l’Inra, l’Afssa, le Cnes, l’Institut Pas-
teur. . . (écologistes, climatologues, entomologistes, mammalogistes, épidémio-
logistes, vétérinaires, biologistes, virologues. . .).
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Une voie de recherche peu explorée consiste à étudier la réplication des vi-
rus dans leur réservoir naturel. Ces recherches sont souvent compliquées par la
difficulté d’élevage de ces animaux sauvages ou de l’absence d’outils molécu-
laires offrant la possibilité d’étudier les interactions protéiques ou les défenses
immunes chez ces hôtes naturels. Il est nécessaire d’établir des banques géno-
miques pour ces espèces. Ces études sont en cours pour les moustiques, mais
restent vierges par exemple pour les rongeurs ou les chauves-souris. Des résul-
tats sur les mécanismes de persistance des virus chez ces animaux pourraient
fournir des éléments de réponse importants aux questions de barrière d’espèce,
d’adaptation à l’homme et de virulence.
Construire des laboratoires de recherche capables d’offrir les normes les plus
strictes de sécurité, de type P3 et P4, dotés d’animaleries, confinées pouvant hé-
berger des animaux tels singes, furets, chauves-souris, cochons nains, rongeurs
sauvages, etc., et former le personnel scientifique à la manipulation de virus
dangereux pour la santé publique et pour l’environnement. L’émergence aujour-
d’hui d’un virus mortel transmissible par voie respiratoire ne permettrait pas aux
laboratoires de recherche français, ni européens d’ailleurs, d’étudier en détail
et de façon compétitive le virus, ses effets pathogènes en culture de cellules et
chez les animaux, et les moyens thérapeutiques et prophylactiques souhaités. Le
constat a été fait au moment de l’épidémie de Sras et se reproduit avec celle
sous-jacente de la grippe aviaire.
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l’épidémie de Sras. Edward Kass écrivait déjà en 1977, bien avant le concept de
maladie émergente mais juste après la première épidémie de virus Ebola : « La
terreur engendrée par l’inconnu est rarement mieux démontrée que par le com-
portement d’une population à l’occasion d’une épidémie, surtout lorsque qu’elle
se déclare sans cause apparente ». Il faudrait rajouter « . . . et sans agent étio-
logique identifié ». Par conséquent, il s’agit de vulgariser la recherche, informer
le grand public, pour le sensibiliser, et le responsabiliser en le faisant participer
à la veille sur la circulation ou l’apparition de nouvelles maladies. Internet et les
SMS devraient être des outils de communication très utiles. Les chercheurs de-
vraient communiquer plus avec le grand public. Les pouvoirs publics devraient
ouvrir des centres de communication et de renseignements scientifiques et mé-
dicaux qui viendraient appuyer et soulager les centres spécialisés au moment
des informations diffusées par les médias sur des épidémies avérées ou pro-
grammées. Ceci nécessite encore une fois des moyens financiers et logistiques
suffisants.
Recommandations
La progression des maladies semble actuellement aller plus vite que les ré-
ponses qui sont apportées pour les combattre. Des recherches sont nécessaires
pour augmenter la capacité de notre pays à réagir rapidement en cas de nou-
velles épidémies ou d’attaque bioterroriste et à combattre les maladies infec-
tieuses émergentes. Communication, interaction, innovation, et recherche et dé-
veloppement doivent prévaloir dans les appels d’offre pour la recherche. Les
appels d’offre sur les maladies infectieuses transmissibles, en particulier virales,
doivent être pris en compte et initiés rapidement pour relever le niveau scien-
tifique des recherches dans les domaines comprenant la structure des patho-
gènes, le mécanisme de leur pathogénie, les vaccins et la thérapeutique issue
des médecines traditionnelles ou immunitaire (vaccins thérapeutiques, thérapie
cellulaire), et le développement de moyens simples et précis de diagnostic. Ces
appels d’offre devront inciter les chercheurs de différentes disciplines à synergi-
ser leurs efforts et leurs compétences sur les maladies émergentes en proposant
des actions communes sur les pathogènes, leurs hôtes et leurs interactions, et sur
les moyens de contrôler les risques d’épidémies. Là encore des moyens finan-
ciers suffisants doivent être engagés rapidement.
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Une formation spécialisée diplômante dans ces domaines doit être instaurée ra-
pidement. Plus de vétérinaires, d’entomologistes, d’épidémiologistes doivent être
rapidement formés pour la recherche sur les zoonoses.
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