Standards, Normes, Et Processus Concurrentiels.: Leçon N°10
Standards, Normes, Et Processus Concurrentiels.: Leçon N°10
Standards, Normes, Et Processus Concurrentiels.: Leçon N°10
1 David P.A. & Greenstein S., [1990], «The economics of compatibility standard : an introduction to
recent research » in « Economics of Innovation and New Technology 1 »
par l’établissement d’un modèle ou d’un standard anticipé. D’autre part, ce problème
conduit à sélectionner les entrants dans le comité de normalisation par une politique
de filtrage (droit d’entrée, technicité des travaux). Par ailleurs, les conditions du
processus de production du consensus peuvent influer sur la durée nécessaire à
l’élaboration de la norme. Dès lors, que les divergences sont importantes, le
processus peut être extrêmement long (plusieurs années). Enfin, une forte
divergence entre les différentes parties risque de conduire à la définition d’un
standard a minima - standard incomplet - . L’efficacité d’un tel standard est très
relative, voire négative.
Une distinction plus fondamentale doit être introduite entre les différents
standards. Il faut distinguer les standards de qualité et les standards de compatibilité.
Les effets économiques diffèrent quelque peu selon cette distinction3.
2 Swankin D., [1990], « How due process in the development of voluntary standards can reduce the
risk of anti-trust liability », US Department of Commerce.
3 cf. section « Standard de compatibilité et concurrence ».
4 A cet égard, il faut noter que les mécanismes de standardisation se développent constamment. Ils
ne portent plus uniquement sur les produits, mais également sur les process de production (normes
ISO 9001, 9002,9003), et plus récemment sur les méthodes de management (norme ISO 9004). Il
faut également noter que les arguments avancés à propos des standards ne relèvent d’aucun
raisonnement théorique précis, mais relève plutôt du bon sens. Le cadre théorique micro-économique
ne peut rendre compte de façon cohérente (selon nous) de ce mouvement global de normalisation.
Sur ce mouvement général de normalisation voir Gomez P.Y., [1996], « Normalisation et gestion des
entreprises: une approche conventionnaliste », Revue d’économie industrielle, n°75. Plus
généralement, sur la normalisation, voir Foucault M., [1975], « Surveiller et punir », Paris, Gallimard.
L’utilité de la standardisation peut être précisée par une analyse des
différentes fonctions qu’elle remplit. Celles-ci sont au nombre de trois5 :
Il y aurait émergence d’un standard dès lors que les coûts d’établissement de
ce dernier sont inférieurs aux coûts de transaction qu’il permet d’économiser.
Il n’en demeure pas moins que cette explication est quelque peu tronquée, et
n’est pas totalement convaincante. En effet, si les agents raisonnaient de la sorte, on
devrait assister à la multiplicité des standards sponsorisés et des standards
volontaires. Comment comprendre alors que les normes de sécurité et d’hygiène
soient imposées par l’Autorité Publique et que les agents ne les édictent pas d’eux-
mêmes ? En outre, s’il n’est pas déraisonnable de penser qu’un standard diminue le
coût d’acquisition de l’information, encore faut-il que l’acquéreur soit en mesure de la
traiter, ce qui suppose une rationalité substantive des agents. Si l’on considère les
normes pour les produits qui s’adressent au consommateur final, force est de
constater que l’asymétrie d’information subsiste dans de très nombreux cas. Il s’agit
dans ce cas plus d’un outil de pilotage des transactions entre industriels que d’un
support d’information pour le consommateur final, qui serait bien en peine de
comprendre le langage technique de la norme. La traduction en langage profane
pose problème car elle est souvent le fait du revendeur, ce qui ne diminue pas de fait
l’asymétrie d’information; la possibilité de tromper le consommateur dans cette phase
de traduction n’est pas totalement éliminée. Le consommateur final peut être
convaincu, ou non. C’est la confiance qu’il accordera au vendeur qui le décidera
dans ses choix. La confiance est un mécanisme important de coordination des
échanges7. C’est plus la confiance dans le standard que le standard lui-même qui
permet une coordination moins coûteuse. Le standard en tant que tel ne suffit pas à
limiter les coûts de transaction liés à l’incertitude qualitative.
5 Kindelberger C., [1983], « Standards as Public, Collective and Private Goods », Kykos, Vol. 36.
6 David P.A., Steimueller W.E., [1993], « Economics of compatibility standards and competition in
telecommunication networks », ITS Conference, Göteborg.
7 cf. Bidault F., Gomez P.Y., Marion G., [1995], « Confiance, entreprise et société », Eska, 220 p.
- fonction de compatibilité. Cette fonction du standard est la plus visible et celle
dont la manifestation débouche sur des externalités positives. Ces externalités sont
semblables aux externalités de réseaux. Parmi les différentes formes d’externalités
de ce type, on distingue « l’effet-club ». Cette externalité correspond à une
augmentation de l’utilité du consommateur liée à l’augmentation du nombre
d’utilisateurs du bien. De fait, l’hypothèse d’autonomie de l’individu n’est plus
respectée dans ce type d’analyse puisque l’utilité d’un individu dépend du
comportement des autres individus.
Cette externalité bien connue8 n’est pas la seule et l’on peut mettre en
évidence d’autres externalités liées à l’offre de produits compatibles : c’est ce que
l’on dénomme les « effets de réseaux indirects ». Cette externalité se manifeste pour
le consommateur par le fait que le nombre de produits compatibles augmentant, il a
une gamme de combinaisons techniques supérieure qui induit des effets
réseaux9.L’informatique ou les réseaux téléphoniques constituent des exemples de
ce type de manifestation d’externalités. Dans le cas du réseau téléphonique, la taille
de l’infrastructure du réseau affecte l’utilité du consommateur. Par exemple, le
réseau de téléphonie mobile Bouygues est actuellement moins choisie que celui des
deux autres opérateurs car il couvre une surface du territoire bien inférieure à celle
couverte par les réseaux concurrents.
8 cf. par exemple : Farell J., Saloner G., [1992], « Converters, Compatibility and the control of
interfaces », Journal of Industrial Economics, Vol. 19, pp. 123-137. Economides N., White L., [1994],
«Networks and compatibility : implications for Antitrust », European Economic Review, Vol. 38, pp.
651-662.
9 Katz M., Shapiro C., [1994], « Systems competition and network effects », Journal of Economics
Perpectives, Vol. 8, pp. 1673-1710.
10 En thermodynamique, l’entropie est une fonction définissant l’état de désordre d’un système. cette
fonction est croissante lorsque ce système évolue vers un désordre accru. Par extension, l’entropie
désigne l’état de désordre d’un système.
des gaspillages qui diminuent le bien-être collectif d’une société. Notons à cet égard
que le marché n’agit en rien dans le mécanisme de sélection du « bon » standard. A
cet égard, il faut nuancer ce propos selon la nature du standard, public ou privé. Les
standards de fait - comme le système d’exploitation d’ordinateurs Windows 95 - s’ils
restent la propriété d’une seule firme peuvent engendrer de graves distorsions à la
concurrence, comme la Cour de Justice américaine l’a récemment souligné dans un
arrêt sur un litige opposant Microsoft et plusieurs éditeurs de logiciels
informatiques11. Ceci nous amène à discuter des processus concurrentiels en
présence de standard et d’effets réseaux.
Que se passe-t-il lorsque les produits sont fabriqués à partir d’une même
norme technique ? Les mécanismes concurrentiels sont-ils affecter par cette
homogénéité technique des produits ? Les consommateurs bénéficient-ils d’un
surplus supplémentaire ? Assiste-t-on à des phénomènes anticoncurrentiels plus
importants ? Plusieurs situations sont donc à envisager dans une telle analyse : le
caractère public ou privé du standard, la nature du standard (référence ou
compatibilité). Force est de constater que les nombreux modèles développés par les
économistes n’apportent à ce jour que peu de résultats définitifs quant aux effets de
l’existence des standards sur les mécanismes concurrentiels. Nous tentons ci-après
de synthétiser les différents résultats de plusieurs modèles quant aux question
évoquées.
11 Microsoft incorpore dans Windows 98 le navigateur Internet Explorer, alors qu’il existe d’autres
navigateurs comme Netscape, NCSA Mosaïc, iCab. Comme Windows 98 est le système d’exploitation
installé sur la plupart des machines, les autres éditeurs de navigateurs sont exclus du marché des
navigateurs.
12 cf. Chapitre de rappel sur l’oligopole. La conjecture de Cournot consiste, dans le cas du duopole,
pour une firme donnée à considérer les quantités de sa rivale comme données et ne variant pas après
une modification de sa propre production.
13 Katz M., Shapiro C., [1985], « Network externalities, competition and compatibility », American
Economic Review, Vol. 75, pp. 424-440. Creti A., Perrot A., [1997], « Les entreprises en réseaux », in
Perrot A. (Ed.), « Réglementation & concurrence », pp. 49-74, Economica, Paris
En revanche en cas d’équilibre asymétrique (Par exemple le réseau de la
firme A est bien plus important que celui de la firme B), la situation est quelque peu
différente en termes de concurrence. Si il y a compatibilité entre les réseaux, alors la
firme B est avantagé (ses clients peuvent se connecter également au réseau A et
bénéficier de son importance, il n’en va pas de même pour la firme A). La firme B
profite donc de la compatibilité au détriment de A. Par conséquent, la firme A a
intérêt à refuser la compatibilité avec le réseau de B14. La question du surplus social
est dans cette situation particulière dépend étroitement des préférences des
consommateurs vis-à-vis des standards, et il est difficile de parvenir à un résultat
définitif. Ce résultat permet d’expliquer la compatibilité en ordinateurs issus du
monde PC et Apple. Les ordinateurs Macintosh lisent les disquettes PC et la plupart
des fichiers PC, l’inverse n’est pas vrai. De fait le parc installé de PC est très
largement supérieur à celui des Macinstosh. Par conséquent, les producteurs de PC
compatibles n’ont aucun intérêt à rendre leurs machines compatibles avec un
Macintosh.
14 Encoua D, Michel M., Moreaux M., [1992], « Network competition : joint adoption versus individual
decision », Annales d’Economie et de Statistiques, Vol. 25-26, pp. 51-69. Encoua D, Michel M., Perrot
A., [1996], « Compatibility and innovation in airlines : demand side network effect », International
Journal of Industrial Organization, Vol. 16, pp. 701-726.
d’inertie (dans les choix des consommateurs), qui joue pour les entrants potentiels
comme un mécanisme de barrière à l’entrée15.
Dans le cas d’un standard obligatoire, les autorités publiques vont porter leur
choix vers des spécifications techniques issues de grandes entreprises. Dès lors, il y
a un risque de créer des situations de domination de marché dans le temps, alors
même que les spécifications techniques ne sont plus adaptées aux besoins des
consommateurs (exemple : le Minitel versus l’Internet en France). La définition des
normes techniques est souvent utilisée comme une barrière protectionniste par les
entreprises d’un pays et les instances publiques (tous les pays y recourent : mention
spéciale aux Allemands et aux Japonais).
Dans le cas où une firme réussit par la qualité de son produit à l’imposer
comme un standard, les risques de distorsion de la concurrence sont énormes.
L’exemple le plus caractéristique est l’interface Windows développée par Microsoft.
Devenu un standard de fait (par la faute d’IBM), cette interface occupe désormais
une situation de monopole sur le marché de la micro-informatique. La firme de
Seattle ne manque pas désormais d’utiliser sa position dominante, ce qui constitue
alors une entrave à la concurrence 16. Nous détaillons les pratiques répréhensibles de
Microsoft.
Le cas Microsoft.
Microsoft oblige les constructeurs à installer la version dite OEM de son interface Windows 98 sous
peine pour le constructeur de ne pas obtenir les spécifications de mise en conformité des matériels.
Cette version de Windows ne donne pas droit à une assistance téléphonique de la part de Microsoft.
15 Beggs A., Klemperer P., [1992], « Multiperiod competition with switching costs », Econometrica,
Vol. 60, pp. 651-666. En raisonnant en horizon temporel infini, on parvient à montrer que les coûts de
conversion sont moins importants. cf. Farell J., Shapiro C., [1988], « Dynamic competition with
switching costs », Rand Journal of Economics, Vol. 19, pp. 123-137.
16 Obtenir une position dominante n’est pas en soi répréhensible juridiquement. En abuser revient à
commettre un acte délictueux répréhensible.
Ce sont les constructeurs qui doivent donc assurer le service après-vente avec bien évidemment
moins de compétences que l’éditeur de l’original. D’autre part, Microsoft à imposer dans Windows le
Navigateur Internet Explorer cherchant par ce biais à éliminer ses concurrents, principalement
Netscape, alors même que Microsoft n’a pas bien perçu les enjeux d’Internet à ses débuts.
Désormais, Microsoft cherche également à transformer le langage Java en un langage spécifique
Microsoft (ActiveX, DCOM, ADO). Il faut, pour comprendre ce que cache cette tentative, savoir que le
langage Java est un langage informatique universel qui se joue des systèmes d’exploitation installés.
Si ce langage devenait le langage de programmation universel (ce qu’il tend un peu à devenir), alors
le système d’exploitation n’a plus aucune espèce d’importance. D’où les manœuvres de Microsoft.
Celles-ci consistent à intégrer des paramètres spécifiques dans Windows qui rendent le langage Java
incompatibles ! Le développement commercial d’Internet engendre des évolutions des langages de
description de pages, notamment pour décrire des contenus toujours plus complexes (sons, vidéos,
données confidentielles, requêtes dans des bases de données complexes). Le langage de demain
sera le XML a n’en pas douter au détriment du HTML. Encore une fois, Microsoft tente d’imposer une
version d’XML qui ne fonctionne que sur Windows. Microsoft fait actuellement l’objet d’un procès anti-
trust aux USA pour abuse de position dominante. Les conclusions de ce procès seront connus à la fin
de l’année 2000.