A Questao Do Poder
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A Questao Do Poder
I.
1 »Pour u n e histoire n aturelle des normes«, in Michel Foucault philosophe, Seuil, 1989, p.
203-221.
faussem ent h eu reu se2. »Nous som m es tous des gouvernés, e t à ce titre
solidaires« s’exclame Foucault dans les pages du jo u rn a l Libération? , en u n e
form ule qui vaudrait aussi pour Spinoza. Dès cette p rem ière ap p ro ch e, il
devient clair q u ’interroger le pouvoir, c ’est d ’abord s’apercevoir que nous
sommes de façon perm anente pris dans ses rêts. A pparaît alors cet étrange
sentim ent océanique du pouvoir qui s’ap parente au sentim ent avec lequel
L ’ordre du discours s’inaugure. Mais il y a une telle nécessité du pouvoir que
je n ’ai pas m êm e, c o n tra ire m e n t à ce qui se passe p o u r le discours, à
souhaiter d ’être enveloppé par lui, d ’être p récédé par lui. J e le suis avant
même d ’entrer en action. Le pouvoir n ’a pas de rapports de com m encem ent
avec moi de la même m anière que je n ’entretiens pas de rapports de décision
avec lui. Et pourtant, cette fluidité a p p artien t encore, e t on p o u rra it m êm e
dire surtout, à un ordre de l’existence qui en g en d re souvent des effets bien
réels. Reste à voir quel type de co m m u n au té il est possible d ’envisager,
engagés que nous sommes dans ce dispositif. Afin de saisir la réalité de cet
océan dans lequel je nage à chaque fois que j ’agis, penchons-nous sur les
thèses m ajeures de Foucault p rése n tée s p a r lui-m êm e sous u n e fo rm e
concentrée.
Il e st ainsi au m oins u n te x te d a n s le q u e l F o u c a u lt se m o n tr e
profondém ent spinoziste. C’est le d éb u t de son résum é des cours de 1975-
1976 au Collège de France :
» P o u r m e n e r l ’a n a ly se c o n c r è te d e s r a p p o r t s d e p o u v o ir , il f a u t
a b a n d o n n e r le m o d è le ju r id iq u e d e la so u v e ra in e té . C elui-ci e n effet
p ré su p p o se l ’in d iv id u co m m e su je t d e d ro its n a tu re ls o u d e p o u v o irs
p rim itifs; il se d o n n e p o u r o b je c tif d e r e n d r e c o m p te d e la g e n è s e
id é a le d e l’E tat; e n fin il fait d e la lo i la m a n ife s ta tio n fo n d a m e n ta le
d u pouvoir. Il f a u d ra it essayer d ’é tu d ie r le p o u v o ir, n o n p as à p a r tir
des te rm e s p rim itifs d e la r e la tio n , m a is à p a r tir d e la r e la tio n elle-
m ê m e e n ta n t q u e c ’est elle q u i d é te r m in e les é lé m e n ts s u r le sq u els
elle p o rte : p lu tô t q u e d e d e m a n d e r à des su jets id é a u x ce q u ’ils o n t
p u c é d e r d ’eux-m êm es o u de le u rs p o u v o irs p o u r se laisser assujettir,
il f a u t c h e r c h e r c o m m e n t les r e la tio n s d ’a s s u je ttis s e m e n t p e u v e n t
f a b r iq u e r des su jets. D e m ê m e , p lu tô t q u e d e r e c h e r c h e r la f o rm e
u n iq u e , le p o in t c e n tra l d ’o ù to u te s les fo rm e s d e p o u v o ir d é riv e ra ie n t
p a r v o ie de c o n s é q u e n c e o u d e d é v e lo p p e m e n t, il f a u t d ’a b o r d les
laisser valoir d an s le u r m u ltip lic ité , le u rs d iffé re n c e s, le u r sp é cific ité ,
2 »(...) le pouvoir est coextensif au corps social : il n ’y a pas, e n tre les m ailles de son
réseau, des plages de libertés interm édiaires«, »Pouvoirs et stratégies«, e n tre tie n avec
J. R ancière, in Dits et écrits, éd. sous la direction de D. D efert et F. Ewald, G allim ard,
1994, T. II, p. 425.
3 »Face aux gouvernem ents, les droits de l’hom m e«, in Libération (30 ju in - le r ju ille t
1984), suite à l’affaire des boat-people vietnam iens.
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4 »II fau t d éfe n d re la société«, in Résumé des cours 1970-1982, Conférences, essais et
leçons du Collège de France, Julliard, 1989, p. 85-86. Voir aussi Surveiller et punir, Tel-
G allim ard, 1995, p. 227, et La volonté de savoir, Gallimard, 1990, p. 119-120.
5 »Le pouvoir, co m m en t s’exerce-t-il ?«, in Michel Foucault. Un parcours philosophique, H.
Dreyfus et P. Rabinow, Folio-essais, 1992, p. 308.
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6 Ibid, p. 312.
H
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8 Q uiconque connaît le Traité politique au rait en effet d u mal à ne pas voir dans certains
passages de Foucault la figure absente-présente de Spinoza, n e serait-ce qu e dans ce
d épassem ent de M achiavel qui doit s’o p é re r dans le ch am p d ’u n e im m an en ce
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cessible, il ne faut pas en effet s’im aginer la trom per de telle façon q u ’on
arriverait un jo u r à la situation dans laquelle elle abandonnerait enfin la
to talité de ses puissances à u n e p erso n n e ju rid iq u e. Il faut bien p lutôt
com m encer d ’a p p re n d re à la gérer. Si le Traité politique tente d ’établir les
m écanism es in stitu tio n n els qui re n d e n t difficiles les abus de pouvoir, il
m obilise, p o u r ce faire, u n e catégorie que Foucault fait dép en d re de la
m utation de »l’anatom o-politique« en »bio-politique«.
La politique de Spinoza rapproche ainsi souvent la notion de m ultitude
de son objectif statistique :
»La p u issan ce d u p o u v o ir p o litiq u e et, p a r c o n séq u e n t, son d ro it d o it
ê t r e é v a lu é s e lo n le nom bre d e s c ito y e n s ( N am im perii p o ten tia et
consequenter ju s ex civium numero aestimanda est) «12
O n le vo it, la s o u v e ra in e té d é p e n d to u jo u rs d ’u n e p u issa n c e
antécéd en te à tel p o in t que son droit est lui-même lié à une autre figure de
cette puissance : le nom bre. En d ’autres termes, toute décision politique
effective ne p e u t s’accom plir q u ’une fois le rapport entre l’imperium et la
multitude n u m ériq u em en t mesuré.
Au m oyen de ce nouvel outil, on décline les configurations de chaque
gouvernem ent. La »chance« de la m onarchie est d’avoir un Conseil royal
qui contrôle le pouvoir du souverain en représentant assez largem ent toutes
les couches du peuple. En revanche, dans l ’aristocratie, le nom bre fait état
d ’u n paradoxe : il faut u n e assemblée assez nom breuse pour que les intérêts
individuels ne p re n n e n t pas le dessus et, en même tem ps, la présence de
cette assem blée p erm et de ne pas recourir à un conseil, c ’est-à-dire de ne
pas rep ré sen te r la m ultitude. Mais, de la considération du nom bre et du
rap p o rt en tre le pouvoir et la quantité des voix, on peut aussi faire dépendre
—e t c ’est m êm e le principal chez Spinoza - l’exigence d ’une égalité entre
les citoyens. Dans cette arithm étique politique, le nom bre accroît alors la
p uissance positive d ’u n g o u vernem ent dém ocratique qui souhaite, par
définition, conserver le bon équilibre entre la légalité de sa souveraineté et
sa légitim ité.
Sans surprise, le m otif de la sécurité publique apparaît sur la base de
c e tte a rith m é tiq u e . A tra v e rs l ’o p in io n de ses c o rre s p o n d a n ts (en
l ’occu rren ce, le catholique Nicolas S ténon), il est m êm e inscrit dans le
m ouvem ent de naissance d ’u n e nouvelle épistémé, une économ ie politique
e t »policière«, au sens d ’un a rt rationnel de gouverner qui soit capable de
garantir l ’o rd re in térieu r p ar le bien-être des individus :
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13 Lettre LXVII bis, cité par A. Negri dans L ’A nomalie sauvage, trad. F. M atheron, PUF,
1982, p. 283.
14 L ’analyse de ce point a déjà été m enée p a r E. Balibar qui voit, dans ce je u e n tre
Y imperium et la multitudo, »une sorte de com ptabilité à dou b le e n trée de la politique«,
in Les temps modernes, »Spinoza, l’anti-Orwell«, n° 470, 1985, p. 379. Nous ne faisons ici
que rap p ro ch er les résultats de cette analyse de la perspective d e Foucault.
15 La Volonté de savoir, éd. cit., p. 183-188.
16 Tout ce développem ent reviendrait à re n d re ju stice à C. A p p u h n - qui trad u it
»m ultitudo« tantôt par »m ultitude«, tan tô t, au risque de l’an ach ro n ism e lexicolo-
gique, p ar »population« - mais aussi à se g ard er d ’assim iler H obbes et Spinoza,
puisque ce d ern ier ne réduit pas la ratio à u n calcul.
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III.
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Il e st b ie n é v id e n t q u e F o u c a u lt ne p e u t que re fu se r la te n e u r
m étaphysique que conserve la notion de nature hum aine q u ’il se borne ainsi
à considérer com m e u n »indicateur épistémologique pour désigner certains
types de discours en relation ou en opposition à la théologie, à la biologie
ou à l’histoire« m aisjam ais com m e un concept scientifique20. Ce n ’est donc
pas dans cette direction q u ’il faut chercher.
Accordons p lutôt une im portance renouvelée à la notion d ’affect. Elle
form e, on 1’ a vu trop brièvement, le pivot du concept de gouvernementalité.
Mais ne nous autoriserait-elle pas à interpréter certains enjeux de la question
éthique dans la pensée de Foucault ?
O n p e u t d ’au tan t plus proposer cette thèse que la lecture de Foucault
par Deleuze, à travers le néo-kantism e non formel q u ’il y découvre, est en
fait une interprétation radicalem ent spinoziste de l’oeuvre. Avec ce prem ier
trait singulier, lexical, que, dans son Foucault, les termes utilisés sont souvent
les term es de Spinoza lui-mêm e. Deleuze tente ainsi un coup de force :
m algré le rejet de toute substantialité, il s’agit pour lui de faire apparaître
les élém ents essentiels d ’une sorte de problématique spinoziste qui animerait,
de l ’intérieur, toute la pensée de Foucault. Deleuze renoue ainsi, et malgré
la critique de Foucault, avec le lexique de la causalité puisqu’il identifie,
dans la m éthode de Foucault, la présence d ’une »causalité im m anente non-
unifiante«21. C ette causalité, il faut l’en te n d re sur un m ode résolum ent
spinoziste : la cause passe dans l’effet et réciproquem ent. Ce qui met Deleuze
en passe de réaliser, de façon spinoziste, le program m e de la causalité d ’un
»autre type« d o n t parlait Foucault dans sa conférence à la Société française
de philosophie22. Et com m e si Foucault ne pouvait être lu q u ’avec Spinoza,
Deleuze re p re n d la question du pouvoir (»le pouvoir, com m ent s’exerce-t-
il ?«) e t la déchiffre précisém ent au moyen du vocabulaire de l’affect alors
m êm e que, dans ce texte, Foucault ne l’utilise pas23. Du coup, puisque nous
avons vu que, chez Spinoza, la puissance est prem ière par rapport au pouvoir
de telle sorte que le pouvoir dépend toujours de l’équilibre de la puissance,
puisque nous connaissons aussi m ain ten an t la traduction q u ’en do n n e
F oucault, à savoir : l’é ta t n ’est pas une substance d o n t dériveraient les
20 »De la n atu re h u m ain e :justice contre pouvoir« (entretien avec N. Chomsky), in Dits
et écrits, éd. cit., T. II, p. 474.
21 Foucault, M inuit, 1986, p. 44.
22 »Q ue veut d ire ici cause im m an en te ? C’est u n e cause qui s’actualise dans son effet,
qui s’intégre dans son effet, qui se différencie dans son effet. O u p lu tô t la cause
im m anente est celle d o n t l’effet l’actualise, l’intègre et la différencie«, in Foucault,
éd. cit., p. 44-45.
23 Voir, p a r exem ple, les pages 78, 83 et 95 du Foucault.
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rapports de force parce que les rapports de force sont prem iers (raison p o u r
laquelle la notion de gouvernementalité est plus im portante que celle d ’é ta t),
on com prend sans peine m aintenant p ourquoi Deleuze est am ené à écrire
à propos des rapports entre le pouvoir e t le gouvernem ent :
»Ce q u e F o u cau lt ex p rim e en d isa n t q u e le g o u v e rn e m e n t est p re m ie r
p a r r a p p o r t à l ’é ta t, si l ’o n e n t e n d p a r » g o u v e r n e m e n t« le p o u vo ir
d ’affecter sous tous ses aspects ( g o u v e r n e r d e s e n f a n ts , d e s â m e s, d e s
m alades, u n e fam ille...)« (p. 83)
Ce qui s’amorce à travers cette m étam orphose des concepts, c ’est, pour
Deleuze, la possibilité d ’une déterm in atio n spinoziste de la politique de
Foucault. L’im m anence en question est bien celle de l’affect, c ’est-à-dire
d ’une puissance profondém ent variable (rappelons que YEthique déterm ine
la tristesse com m e un »passage« d ’un plus à un m oins d ’être, III, déf. 2 et
3), que l’on peut donc faire varier à plaisir en fonction des divers im pératifs
disciplinaires. L’analyse précédente de la théocratie et de la m utation de la
m ultitude en population nous laisse au m oins deviner les effets m ultiples
d ’une utilisation possible (et très »stylisée« dirait Foucault) des affects.
Mais s’il est une consistance propre au thèm e des affects chez Foucault,
c ’est aussi parce que D eleuze n ’h é site pas à lui a c c o rd e r u n e v a le u r
systématique. Très naturellem ent, ce thèm e réapparaît donc, indispensable
au »système« de Foucault, lorsqu’il s’agit de saisir le nouveau m ode de
subjectivité que les pages de L ’Histoire de la sexualité décrivent. La n o tio n
d ’affect plonge au coeur du souci de soi selon Foucault, u n souci de soi que
l’on peut désormais interpréter com m e un m ouvem ent qui replie le pouvoir
sur lui-même, c’est-à-dire, com m e »un rapport de la force avec soi, un pouvoir
de s ’affecter soi-même, un affect de soi par soi« {Foucault, p. 108). C etaffect tourné
vers soi n ’est plus un affect passif ou réactif, c’est un affect actif qui correspond
au m om ent où le rapport de force p e u t p roduire u n plus d ’être.
Sans doute est-ce à ce m om ent où le pouvoir devient fondam entalem ent
affectif q u ’il rejoint égalem ent la dim ension éthique, Deleuze le sait. D ’une
technologie des affects à une éth iq u e des affects, on a p erço it ici ce qui
rapproche le plus Spinoza et Foucault dans la form ule déjà citée mais à
laq u elle no u s pouvons m a in te n a n t re v e n ir : »nous som m es to u s des
gouvernés, et à ce titre solidaires«. Nous somm es solidaires dans les réseaux
du pouvoir (c’est-à-dire des puissances) n o n pas tan t parce que, com m e
masse dom inée, nous serions opposés à la classe dom inante. Le pouvoir
étant un ensemble de relations multiples, gouvernants e t gouvernés sont pris
ensem ble. Mais, plus profondém ent, nous somm es solidaires face à ce que
la politique peu t co n ten ir d ’éthique. Deleuze nous le dit en s’in sp iran t
beau co u p de l’éq u ation spinoziste e n tre la p o litiq u e e t l ’é th iq u e (p ar
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24 »De la n atu re h u m ain e :justice contre pouvoir« (entretien avec N. Chomsky), in Dits
et écrits, éd. cit., T. II, p. 503.
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25 Voir »Polémique, politique et problém atisations«, in Dits et écrits, éd. cit., T. IV, p. 594.
26 Sur les trois niveaux, se rep o rter à »L’éth iq u e du souci de soi com m e p ratiq u e de la
liberté«, in Dits et écrits, éd. cit., T. IV, p. 728.
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27 Ibid, p. 715-716.
28 Ibid, p. 720.
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voir rattaché à une »forme universelle«, com m e dit Foucault dans Le Souci
de soi, b ref de se com prendre com m e une partie de la n a tu re (G allim ard,
1984, p. 272) ? Comme si Foucault acceptait q u ’u n e form e d ’ontologie ne
soit pas, par définition, contradictoire avec la variabilité infinie des pratiques,
il affirme que »le souci de soi est éth iq u em en t prem ier, dans la m esure où
le rapport à soi est ontologiquem ent prem ier«29. O n reste donc sans aucun
doute dans le politique lorsqu’on tente de saisir le passage de la question
»com m ent gouverner ?« à celle »com m ent ne pas être gouverné?«, selon
une des articulations centrales de la conférence déjà citée sur la critique et
Y Aufklärung. Mais dans ce passage d ’u n e question à l’autre, il a p p araît que
c’est l’éthique qui form ule le choix véritable de Foucault. Et c ’est avec elle
que le vocabulaire (spinoziste) de la substance ressurgit alors m êm e que
l’analyse des relations de pouvoir l’avait banni. La puissance éth iq u e des
hom m es pourrait donc bien être u n e puissance de se faire dans la nature,
c’est-à-dire une pratique de soi qui p erm ette de jo u e r avec le m inim um
possible de dom ination et qui autorise à form er une com m unauté de vie,
laquelle serait sim ultaném ent connaissance de soi e t exercice de cette
connaissance. C’est finalem ent peut-être cela que Foucault en te n d par ethos
et q u ’il déterm ine ici par ce que nous p o u rrio n s a p p e le r u n e ontologie
m inimale du souci de soi.
Analysant le pouvoir, on p ourra toujours rep ro c h e r à Foucault de ne
parvenir que difficilement à im aginer les conditions d ’une sortie du pouvoir.
Mais il y a deux réponses possibles :
- nous sommes dans l’impossibilité d ’im aginer ces conditions parce
que »nous sommes tous des gouvernés«. Nous som m es tous, gouvernants
et gouvernés, toujours déjà dans le pouvoir.
- nous pouvons néanmoins imaginer les conditions non pas d ’une sortie
du pouvoir, mais d ’un am énagem ent, au sein du pouvoir, d ’u n espace de
liberté et de résistance active. Car dans ce p ro jet, de »gouvernés« nous
devenons aussi »solidaires«. Par où les chemins de la politique et de l’éthique
s’entrecroisent.
Il est donc peut-être tro p facile de v o uloir en reste r à l ’o b jectio n
accusatrice : suffit-il de rendre com pte des m écanism es du pouvoir p o u r
pouvoir se libérer de sa force d ’obligation ? Car l’analyse du souci de soi
m ontre com bien il s’agit de m aîtriser son conatus politique, p o u r em ployer
un term e spinoziste, et com bien il est question d ’un devenir ad éq u at de soi-
même. N ’avons-nous pas là les élém ents d ’une sorte de liberté au sein de la
nécessité, c ’est-à-dire une véritable pensée de l’im m anence qui, seule chez
29 Ibid., p. 715.
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La question du pouvoir : Foucault et Spinoza
Foucault, pourrait rendre com pte de l’étrange volonté de fonder une éthique
au beau m ilieu de l’om niprésence des relations de pouvoir?
D ébarassée de sa form alisation ju rid iq u e e t plus p ro fo n d e que sa
dialectisation contradictoire entre des classes, cette conception du pouvoir
n ’a p p araît donc pas si éloignée d ’une théorie spinoziste de la puissance.
C’est m êm e pro b ab lem en t p our cette raison que Foucault peut im aginer
re to u rn e r les relations de pouvoir au profit d ’un équilibre de soi à soi, de
la m êm e m anière que, chez Spinoza, on peut inverser les perfections des
puissances politiques ju s q u ’à devenir esse sui juris.
Ceci perm ettrait égalem ent de com prendre un Foucault éternellem ent
inquiété dans sa recherche par son caractère instable, son visage protéiforme,
peut-être m oins parce q u ’il se souciait réellem ent de la critique que grâce
à son activité de philosophe profondém ent affecté, pris dans la continuité
du pouvoir, dans cette sorte de substance qui oblige tout individu à passer
constam m ent d ’une perfection m oindre à une perfection plus grande, à tout
faire p o u r que de cette nécessité du pouvoir naisse une liberté de penser et
d ’agir n o n plus com m e un autre mais com m e soi-même. Inquiétude et
espoir. D ’où u n e d ern ière phrase, celle de La Volonté de savoir: »Ironie de
ce dispositif : il nous fait croire q u ’il y va de notre ‘libération’.
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