MAFROUZA Presentation
MAFROUZA Presentation
MAFROUZA Presentation
Mafrouza est un film en 5 parties tourné par Emmanuelle Demoris au fil de deux années passées à
Mafrouza, bidonville d’Alexandrie construit sur le site d’une nécropole gréco-romaine. Partant des
premières rencontres avec ses habitants, Mafrouza raconte les destins de quelques personnes qui se
répondent en une chronique polyphonique.
Si la vie est dure à Mafrouza, tous résistent avec grâce et force. Adel et Ghada, jeune couple à la
recherche du bonheur, Mohamed Khattab, épicier-cheikh humaniste, Hassan, voyou-chanteur épris
de liberté, Abu Hosny, vieux solitaire au logement inondé, la paysanne Om Bassiouni et son four à
pain, les Chenabou, famille de chiffonniers, Gihad, jeune lutteuse, tous incarnent et racontent cette
résistance qui est la leur et qui fait de leur quartier un espace de liberté et de vitalité.
Mafrouza prend le temps de rentrer dans ce monde pour en saisir les complexités, mais aussi pour
raconter à travers ces histoires la rencontre entre ces personnes de Mafrouza et celle qui vient les
filmer. Car cette expérience de rencontre pose des questions de cinéma et interroge le regard que
nous portons sur l’autre. Et si Mafrouza donne l’occasion de battre en brèche les idées reçues sur
les pauvres, l’Orient ou l’islam, il questionne ainsi aussi en miroir notre façon de regarder et de vivre
(en Europe ou ailleurs).
Léopard d’Or des Cinéastes du Présent ( Paraboles) au Festival de Locarno / FIDMarseille / Forum International
du Nouveau Cinéma, Berlin / Etats Généraux du Film Documentaire de Lussas / EntreVues, Belfort Visions du Réel,
Nyon BAFICI, Buenos Aires / Mostra de São Paolo / Viennale / Ecrans Documentaires d’Arcueil / Programmation ACID
au Festival de Cannes
LE QUARTIER DU GEBEL DE MAFROUZA
Ses habitants l’appelaient le « gebel » (rocher) car ils l’avaient construit dans les vestiges de la nécropole
gréco-romaine taillée dans la roche au IVème siècle. Dix mille personnes y habitaient, la plupart venues
de Haute-Egypte pour trouver du travail à Alexandrie. Depuis les années 70, les maisons de moellons
s’étaient amoncelées sur cette bande de terrain coincée à l’abri des regards entre des rangées de HLM
et le port industriel d’Alexandrie, non loin du centre ville. Toutes les habitations avaient l’électricité, mais
ni eau courante, ni système d’évacuation des eaux usées. Les femmes s’approvisionnaient plusieurs fois
par jour aux cinq points d’eau du quartier dont elles rapportaient de lourds barils sur leur tête. La nappe
phréatique montait chaque année inondant des maisons. Chaque hiver avant les pluies se faisait la
réfection des toits qui abritaient des poulaillers. On entendait à toute heure le chant des coqs dans le
labyrinthe dense des ruelles, où de petites places avaient été aménagées. Mais l’espace entre les
habitations était plus privé que public. Tous s’y connaissaient. La ruelle était extension de la maison. On
s’y installait pour faire la lessive ou discuter. On y restait en tenue d’intérieur, les femmes ne mettant le
voile que pour sortir du quartier. De lieux à proprement parler publics, il n’y avait qu’un billard et la
mosquée du Cheikh Arafa, ouverte seulement aux heures des prières. Quelques échoppes, au rez-de-
chaussée des maisons, vendaient des produits de première nécessité. La plupart des hommes travaillaient
comme journaliers au port ou aux usines avoisinantes. D’autres étaient menuisiers, mécaniciens, artisans,
maçons, chauffeurs à Alexandrie. Quelques femmes travaillaient à l’usine de coton toute proche.
Locataires ou propriétaires, les habitants du quartier s’acquittaient d’une taxe gouvernementale qui leur
donnait le droit d’occuper le terrain et leur garantissait un relogement en cas de destruction du quartier.
Le gouvernorat d’Alexandrie annonçait régulièrement que le gebel de Mafrouza allait être rasé, ce qui a
fini par se produire en 2007. Ses habitants ont alors été relogés à une quinzaine de kilomètres du centre
ville d’Alexandrie, dans une cité HLM qui s’appelait jusqu’à récemment la « cité Moubarak » et dont on
ignore encore quel nom elle va prendre aujourd’hui.
Ce qui est magnifique, c’est que ces gens déteste les ordres, déserte plus ou moins et se
de Mafrouza ne sont représentants de rien fait balafrer à un moment, acquiert une dimension
– groupe, communauté, pays ou nation – ils élégiaque quand il évoque sa fiancée décédée. On
sont représentants seulement d’eux-mêmes. a l’impression que tous sont les élèves, en laïc, du
Nous avons le sentiment que la cinéaste n’a cheikh Khattab, qui fait d’ailleurs un discours de
pas fait un film sur un bidonville, un habitat, une sa méthode rhétorique à la fin du film : « Il faut
communauté ou un milieu, mais qu’elle construit savoir construire un récit, captiver l’auditoire,
un monde. Le film invente un monde, à la fois susciter son attente ». Il faut savoir raconter
clos et complètement poreux, ouvert à tous parce que, sinon, ça n’a aucun intérêt, et surtout
vents et aux ramifications innombrables. Un quand il y a une caméra.
monde à la fois circonscrit et illimité. Et c’est
cinématographiquement que le film l’invente, par La nature de la relation entre la cinéaste, la
ses cadres, sa lumière, ses leitmotivs, le retour caméra et les gens qu’elle filme, évolue elle-même
et la réapparition des personnages au cours du avec la durée du film. Ce n’est pas une brusque
temps. plongée qui a lieu en une fois, la chose se passe
avec une progressivité, des stases, des reculs, des
Le personnage de l’homme à la maison inondée à-coups. L’intégration n’a rien d’idyllique, ni de
est un exemple pur de ce qui, dans ce film, est linéairement progressive. Ni distance critique
inséparable de la durée. Le processus de réparation froide de l’observateur, ni sans-gêne du familier
et de colmatage est répétitif, interminable, avec avec caméra sous le nez ou collée à la nuque...
des solutions de fortune qui chaque fois échouent, Je me souviens de la préface de Rohmer à La
et, sans que le film force les choses, il s’ouvre à Rabouilleuse de Balzac, où il revenait pour la
une dimension au-delà du réalisme, mythologique, réhabiliter sur la notion dévaluée de « naturel ».
presque héroïque. L’aspect sisyphéen n’est pas Pour lui, le naturel d’une œuvre tient à une
plaqué par le film sur la situation, mais il émane position de l’auteur qui n’est ni une présence
d’elle sourdement. Et cela n’est possible que parce exagérément affirmée, ni un recul de clinicien ou
qu’on suit cet homme longuement, avec son visage de voyeur. Ni espion ni familier, il semble vaquer
épuisé, sa tristesse non résignée, sa fatigue, son au milieu des autres personnages comme un frère
obstination. Il y a dans Mafrouza, me semble-t-il, une d’adoption. C’est exactement ce que j’ai éprouvé
affinité profonde avec ce que Pasolini appelait « la en voyant l’ensemble de Mafrouza. Emmanuelle
sacralité du réel ». Le mouvement de l’existence Demoris devient une sorte de sœur d’adoption,
a quelque chose de sacré que la cinéaste capte dans un processus lent, avec des interpellations
non seulement au plan de la vie quotidienne, mais inégalement bienveillantes, des résistances qu’on
qu’elle élève à une dimension monumentale. voit tomber, des rechutes, et finalement, dans le
dernier épisode, un sentiment de tristesse chez
Chacune des personnes, dans le film, manifeste, tous de voir l’aventure commune se terminer. Sur
à travers mille vicissitudes, un bonheur d’exister, le plan de la construction globale, ce processus
une croyance dans la sacralité de l’existence est absolument lié à la question du temps. C’est
qui me semble distincte de l’idée de destin, de pourquoi, même si chaque partie peut être vue
« mektoub », de fatalité ou d’abandon à « Dieu isolément, il est indispensable de connaître la
qui fera bien les choses ». C’est à mon sens grande arche du cycle, d’éprouver la durée du
plus proche de Nietzsche que d’un sentiment tournage et celle du film complet. Et le sentiment
religieux : une acceptation du fait d’exister en du temps qui passe n’est pas seulement donné
même temps que la lucidité sur son caractère par le rythme visible des saisons qui se succèdent,
éphémère et précaire. D’où chez chacun la mais distillé plus subtilement, avec des personnes
capacité de tout transformer en chant, en danse qui elles-mêmes se transforment entre le début
ou en récit, en fabulation au sens fort du terme. et la fin. Quelle que soit la cérémonie du thé,
Adel peu à peu se transforme en poète courtois, son occasion ou son moment, il faut que le sucre
en troubadour. A la fin de Mafrouza/Cœur, le fonde.
mauvais garçon séduisant, qui cherche la bagarre,
POETIQUE D'UN FILM-MONDE Cati Couteau, cinéaste membre de l’Acid
Oh Pigeon !
Pigeon qui vole autour de nous et de nos enfants
Pigeon gris qui est tombé sur ma tête
Pigeon du pigeonnier qui vole sans flirt
Pigeon rouge qui boit de l’alcool
Pigeon blanc qui est tombé dans ma chambre
Oh, cher oncle, ta fille est belle
Je veux l’épouser, légitimement...
Ce chant improvisé symbolise pour moi ce qui nous tombe sur la tête avec Mafrouza, le choc
filmique d’Emmanuelle Demoris. Film opératique à plusieurs voix où se concertent paroles, scènes
de la vie ordinaire et chants improvisés par lesquels Hassan, coryphée bouleversant, scande et
commente le quotidien de la dizaine des personnages qui nous ouvrent leur porte et leur cœur,
offrant en partage leur trivialité et leur spiritualité. C’est bien de partage qu’il s’agit : partager le
faire-un-film-ensemble avec fierté, distance rieuse sur soi-même et conscience de risquer son image.
« Que Dieu nous en donne du scandale ! » proclame la paysanne à son four à pain, et, défendant
Iman, le nom d’adoption de la cinéaste mais aussi marque d’égalité dans l’entreprise du film : « Elle
n’a rien à voir avec les journalistes et ces conneries ! Y'a rien de mal, c’est un film documentaire. »
L’entrée dans le bidonville dans les pas d’un archéologue qui ausculte les vestiges de la nécropole
gréco-romaine où se sont nichés, enfouis les occupants des lieux, l’introduction par ce socle
historique projette d’emblée quelque chose d’antique et de fier sur les habitants de Mafrouza,
comme ennoblis par une généalogie en ligne directe avec une Alexandrie qui demeura pendant près
d’un millénaire le centre intellectuel et spirituel d’une partie du monde méditerranéen.
Film pour qui et pour quoi ? Conscience forte de soi mais inquiète de l’image discriminante que
pourrait afficher une perception convenue du labyrinthe insalubre où s’organise leur vie. C’est
dans le dépassement de cette tension que va se déployer le film qui met en scène précisément
la rencontre entre la filmeuse et les filmés. Comme les scientifiques modernes, qui intègrent les
modifications que leur présence apporte à l’objet de leur étude, la cinéaste joue de rigueur et
affiche sa méthode. C’est suffisamment rare dans le documentaire pour souligner cette posture
qui assume sa place active dans la dynamique de la mise en scène, tout en laissant aux personnages
la maîtrise du dévoilement d’eux-mêmes. Ce sont eux, ceux de Mafrouza, qui, racontant leur
bidonville, donnent un sens à leurs pratiques.
On entre avec Mafrouza dans une expérience de cinéma total, qui embrasse un fait social total,
porteur d’un système social entier qui exprime, à la fois et d’un coup, toutes les institutions et
appréhende l’être humain dans l’enchevêtrement des composantes de sa réalité, autant matérielle
et sociale que philosophique et poétique. Nous y embarquons pour un voyage au long cours, de ces
voyages qu’on voudrait prolonger tant on y expérimente intimement le renversement du connu et
de l’inconnu en étrangeté familière. Un film-monde dont les thèmes et les espaces, loin d’être des
îlots découpés selon un regard préconçu, livre le continuum d’une expérience autant de cinéma
que d’humanité. Oui rien moins que tout ça, et plus encore, porté par la présence lumineuse des
interlocuteurs de la cinéaste et leur art magnifique de l’oralité. Impossible de conclure cette trop
brève note. Ecoutons plutôt Hassan :
L’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) a été créée en 1992 par des cinéastes afin de
promouvoir les films d’autres cinéastes, français ou étrangers et de soutenir la diffusion en salles des films indépendants.
Chaque année, les cinéastes de l’ACID accompagnent une trentaine de longs-métrages, fictions et documentaires,
dans plus de 200 salles indépendantes et dans les festivals en France et à l’étranger. Parallèlement à la promotion
des films auprès des programmateurs de salles, au tirage de copies supplémentaires et à l’édition de documents
d’accompagnement, l’ACID renforce la visibilité de ces films par l’organisation de nombreux événements. Plus de 250
débats, lectures de scénarios, concerts, dans des salles françaises, des festivals et des lieux partenaires à l’étranger offrent
ainsi la possibilité aux spectateurs de rencontrer les cinéastes et les équipes des films soutenus. Afin d’offrir une vitrine
aux jeunes talents, l’ACID est également présente depuis 17 ans au Festival de Cannes avec une programmation parallèle
de 9 films pour la plupart sans distributeur. Depuis sa création, plus de 600 films ont ainsi été promus et accompagnés
par les cinéastes de l’ACID.
L’ACID 14 Rue Alexandre Parodi 75010 Paris – 01 44 89 99 74 – www.lacid.fr
www.mafrouza-lefilm.com