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Patrick Verley, L’Échelle du Monde (Book Review)

Article in Histoire et Mesure · January 2001

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Sokratis Petmezas
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Histoire & mesure
XVI - 1/2 (2001)
Varia

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Socrates D. Petmezas
Patrick Verley, L’Échelle du Monde
Patrick Verley, L’Échelle du Monde. Essai sur
l’Industrialisation de l’Occident, Paris, Gallimard, Nrf
Essais, 1997, 713 p.
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Référence électronique
Socrates D. Petmezas, « Patrick Verley, L’Échelle du Monde », Histoire & mesure [En ligne], XVI - 1/2 | 2001, mis en
ligne le 07 décembre 2005, consulté le 08 septembre 2012. URL : http://histoiremesure.revues.org/209

Éditeur : Éditions de l’EHESS


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l'édition papier.
© Éditions de l’EHESS
Patrick Verley, L’Échelle du Monde 2

Socrates D. Petmezas

Patrick Verley, L’Échelle du Monde


Patrick Verley, L’Échelle du Monde. Essai sur l’Industrialisation de
l’Occident, Paris, Gallimard, Nrf Essais, 1997, 713 p.
Pagination de l'édition papier : p. 189-193

1 La Révolution industrielle, ou mieux le déclenchement du processus d’industrialisation,


contrepartie économique de la formation et de l’essor de la société dite « moderne » en Europe
occidentale, reste toujours le plus grand, sinon le grand thème de réflexion pour historiens
et économistes, au moins depuis la deuxième moitié du XIXe siècle. Expliquer ce phénomène
unique et imprévu est essentiel pour s’interroger, ensuite, sur la possibilité de sa répétition
dans des sociétés et des économies qui ne l’ont pas encore connu. La longue et prestigieuse
liste des auteurs qui se sont penchés sur ce problème démontre, si besoin est, son importance
capitale pour le domaine de l’histoire économique. Le dernier livre de Patrick Verley figure
comme une interprétation novatrice dans ce domaine et fait de lui un excellent candidat pour
occuper une position éminente dans cette prestigieuse liste.
2 Ce livre consacré à l’Industrialisation de l’Occident est le premier des deux volumes prévus.
Le point de vue de l’auteur, et il l’argumente preuves à l’appui, est que le déclenchement de
ce processus peut être circonscrit et étudié en Europe occidentale entre les années 1730-1750
et les années 1860-1880. En effet, la « Grande Dépression », suivie de ce que l’on appelle la
« Deuxième Révolution Industrielle », marque un point de rupture fondamental dans l’histoire
de l’Industrialisation et demande – ainsi que la célèbre question de « l’Impérialisme »,
ajouterai-je – qu’une autre entreprise analytique lui soit consacrée. Ce premier volume fait
le pari de rénover méthodologiquement le domaine en n’examinant pas les transformations
structurelles observées dans les sciences et les techniques appliquées à la production, dans
la division du travail et l’organisation du système productif, en un mot dans l’offre, mais
en privilégiant le côté de la demande des produits industriels, d’où la référence explicite
à la tradition keynésienne. La recherche d’une demande solvable est ainsi l’éternelle et
urgente question à laquelle tous les industriels, négociants et hommes d’État des puissances
industrielles doivent répondre.
3 La première partie introductive du volume est composée de quatre brefs chapitres
méthodologiques qui portent sur les conditions historiques (et historiographiques) de la
naissance du thème de la « Révolution industrielle », ainsi que sur la relative impasse des
approches interprétatives récentes qui insistent, soit sur l’analyse du (et la réflexion sur le)
cas anglais comme paradigme universel, soit sur la constitution des typologies nationales
qui devraient finir par constituer la clef d’une interprétation comparative. L’auteur, au
contraire, en bon historien, essaye, en utilisant toujours les dernières données quantitatives
fournies par la recherche récente, de situer géographiquement et de périodiser le phénomène
de l’industrialisation. Il en ressort que la constitution d’un nouveau système économique
industriel en Europe occidentale atlantique, s’est faite autour du triangle France, Royaume-
Uni et États-Unis et que, si son déclenchement s’est situé au début du XVIIIe siècle, son point
culminant intervient au cours des années 1860 et 1870, juste avant la « Grande Dépression »,
qui marque sa transmutation.
4 Dans la seconde partie du volume, son noyau essentiel, l’auteur passe en revue les structures
et les conjonctures qui ont conditionné la demande de produits industriels et la constitution
d’une économie internationale interdépendante, centrée autour du triangle formé du Royaume-
Uni, de la France et des États-Unis. Au chapitre V, l’auteur examine le long processus
de développement, à partir des premières décennies du XVIIIe siècle, des marchés des
produits industriels de consommation de masse (comme les « indiennes ») en Europe et
dans les colonies américaines, ainsi que les mécanismes de diffusion et de popularisation
de nouvelles modes de consommation. Au chapitre suivant, l’attention est portée sur

Histoire & mesure, XVI - 1/2 | 2001


Patrick Verley, L’Échelle du Monde 3

le rôle pivot de l’expansion des infrastructures de transport et de communication pour


l’intégration progressive des marchés internationaux, ainsi que sur l’adaptation fonctionnelle
des systèmes commerciaux nationaux à l’épaississement des marchés intérieurs. La précocité
du développement du marché britannique et la spécialisation du monde commercial de ce pays,
dès le XVIIIe siècle, sont signalées. Le huitième chapitre examine la question capitale du rôle des
structures sociales, c’est-à-dire des inégalités de répartition du revenu national, sur la demande
interne de produits industriels. L’Angleterre est, indiscutablement, le seul pays où la croissance
démographique et la formation d’une large « classe moyenne » offrent une demande intérieure
soutenue des nouveaux produits industriels. Elles permettent l’expansion de la capacité de
production (et donc des économies d’échelle) et l’adoption rapide des innovations techniques
dans la production mécanique, au cours du XVIIIe siècle .
5 Au dernier chapitre (le plus long des longs chapitres de la deuxième partie), P. Verley retrace
l’histoire de la naissance (au XVIIIe siècle) et de l’apogée (1820-1870) de ce monde économique
intégré, à l’occasion de l’examen de la concurrence commerciale et de la compétition armée
pour l’acquisition d’une position dominante au point de vue militaire et diplomatique dans
le système international. Au XVIIIe siècle, le monde occidental et atlantique est dominé par
les rivalités des deux concurrents coloniaux et industriels, la France et le Royaume-Uni,
fournisseurs de produits industriels similaires et substituables, qui se battent sans relâche
pour accaparer des marchés étroits, enclavés et peu homogénéisés. L’Angleterre acquiert un
avantage par la taille de son marché intérieur, sa profondeur (grâce au pouvoir d’achat des
couches moyennes) et son homogénéité obtenue par l’activité de ses industriels et négociants
et par la précocité de développement de son système des transports et communications.
6 Les âpres conflits dynastiques, commerciaux et coloniaux, dont l’apogée est la longue période
de guerre de 1792-1815, se terminent par la victoire anglaise aussi bien sur les champs de
bataille que dans le domaine du commerce des produits manufacturés. Outre la mise sur pied
d’un système de protection de ses industries de coton et de laine, encore fragiles devant la
concurrence de leurs collègues britanniques, l’aventure impériale française n’a fait, selon
l’auteur, que transformer radicalement le réseau industriel continental au profit, après 1815,
des trois grands pôles « industriels internationaux » : le pôle formé autour de la France du
nord-est, de la Belgique wallonne et de la Rhénanie-Westphalie ; le pôle comprenant l’Alsace,
la région lyonnaise, la Suisse et l’Italie lombarde et piémontaise ; et, enfin, en Europe centrale,
le pôle saxon, bohémien et silésien.
7 L’Angleterre est, dorénavant, le pays qui domine sans concurrent le commerce international,
mais, malgré cette suprématie technologique et commerciale incontestable, elle occupe
simplement une position (la plus importante, certes) dans le nouveau système de division
international de travail, où chaque pays se spécialise dans la production des produits industriels
(et agricoles) pour lesquels il a un avantage comparatif relatif. La France se cantonne dans
la fabrication de produits manufacturés nécessitant un travail soigné et s’adressant à un
public à revenu élevé. Le système économique du « Concert Européen » présente une
dépendance mutuelle et une réelle intégration économique sans égales dans l’histoire du
monde. Corollaire de cette nouvelle division du travail internationale est l’émergence d’un
système de compensations international, centré encore une fois autour du triangle franco-
anglo-américain, qui solde les balances du commerce et des paiements internationaux. Dans
ce système, c’est la France qui est l’élément pivot1.
8 L’Europe orientale, le Levant, l’Asie et les colonies américaines ne constituent que la
« périphérie », importante mais pas indispensable, pour les économies industrialisées du
« centre ». En revanche, les marchés de consommation des pays du « centre » acquièrent
une importance régulatrice croissante pour ces économies périphériques « dépendantes ».
Jusqu’à la Grande Dépression, qui coïncide avec la désagrégation et la mutation de ce système,
les pays de la « périphérie » ne sont plus que des marchés de produits industriels offrant
simplement un débouché au moment des crises commerciales. Ce sont eux qui orientent leurs
échanges commerciaux vers le « centre » du monde économique (et en tirent leurs modèles de
consommation ou de pensée) beaucoup plus que l’inverse.

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Patrick Verley, L’Échelle du Monde 4

9 L’essor de nouvelles puissances industrielles, comme les États-Unis et l’Allemagne, le


gigantisme entrepreneurial, les rigidités et les exigences techniques de l’intégration productive
des nouvelles grandes industries lourdes nées de la « Deuxième Révolution Industrielle »,
changent définitivement la position des pays de la « périphérie », autant que change le rapport
de forces économique et diplomatique des grands pays du monde euro-atlantique. Mais, pour
l’histoire de cette seconde phase de l’industrialisation de l’Occident (et du monde), on doit
attendre le deuxième livre portant sur la transformation du « monde capitaliste occidental
classique » en système d’économies impérialistes rivales.
10 Il est ingrat de parler des points faibles d’une entreprise de synthèse si riche. La taille de
l’entreprise d’abord : sept cents pages pour le premier volume, c’est long. L’accumulation
des références méticuleuses suivies d’explications pertinentes est efficace mais l’exposé
minutieux des discordes théoriques entre historiens et économistes fatigue exagérément le
lecteur non-spécialiste. La clarté d’analyse et la volonté d’exhaustivité, si propres à la tradition
historiographique, font du livre une mine2 pour les étudiants, mais parfois l’argument central
en souffre. La présentation passionnante de tous les aspects contradictoires d’une question
de détail, même brûlante, laisse le lecteur incrédule devant toutes les réponses proposées
auxquelles s’ajoute celle de l’auteur lui-même.
11 On aimerait aussi que l’auteur prenne mieux en compte le facteur démographique. Le nombre
des hommes et des femmes détermine la taille du marché, certes, mais ce sont surtout les écarts
de taille de population qui se creusent aux XVIIIe et XIXe siècles entre les pays de l’Europe
occidentale et les autres continents qui exercent une influence majeure. De plus, à l’intérieur du
monde occidental les écarts structurels sont tout aussi importants : le Nouveau Monde anglo-
saxon offre des espaces vides (et vidés) au trop-plein des campagnes britanniques tandis que les
campagnes continentales gardent leur population rurale, le plus souvent sous-employée et qui
pèse sur la productivité moyenne du travail. On espère que l’auteur examinera ces questions
dans le second volume de son livre.
12 Cet ouvrage est un travail d’histoire économique plus que d’économie historique d’inspiration
anglo-saxonne. Ses compagnons et interlocuteurs sont les historiens (on ne peut pas ne pas
penser à Fernand Braudel) et les sociologues plus que les économistes, malgré les qualités
d’économiste étalées, une fois de plus, par P. Verley. Il est en dialogue permanent avec les
récents développements de la Nouvelle Histoire économique, mais en gardant une distance
salutaire à l’égard de son réductionnisme a-historique. Ce livre est, avant tout, une synthèse
passionnante, utile aussi bien pour les étudiants et le public averti que pour les spécialistes.
La nouveauté de l’approche suscitera, sans doute, des controverses, aussi bien parmi les
économistes que parmi les historiens, et il est à espérer que le second volume viendra vite
l’accompagner.

Notes
1 Il est dommage que l’auteur n’ait pas eu l’occasion de prendre en compte le beau livre de
Marc Flandreau, L’or du monde. La France et la stabilité du système monétaire international,
Paris, L’Harmattan, 1995.
2 Cette caractéristique rappelle les qualités pédagogiques de P. Verley, déjà exposées dans son
excellent La Révolution Industrielle (1760-1870), Paris, MA éditions, 1985.

Pour citer cet article

Référence électronique

Socrates D. Petmezas, « Patrick Verley, L’Échelle du Monde », Histoire & mesure [En ligne],
XVI - 1/2 | 2001, mis en ligne le 07 décembre 2005, consulté le 08 septembre 2012. URL : http://
histoiremesure.revues.org/209

Référence papier

Histoire & mesure, XVI - 1/2 | 2001


Patrick Verley, L’Échelle du Monde 5

Socrates D. Petmezas, « Patrick Verley, L’Échelle du Monde », Histoire & mesure, XVI -
1/2 | 2001, 189-193.

Droits d'auteur
© Éditions de l’EHESS

Entrées d'index

Mots-clés : commerce, industrie


Géographie : Amérique du Nord, Europe
Chronologie : XVIIIe siècle, XIXe siècle

Histoire & mesure, XVI - 1/2 | 2001

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