La Charge de L'orignal Épormyable : Rodrigue Villeneuve
La Charge de L'orignal Épormyable : Rodrigue Villeneuve
La Charge de L'orignal Épormyable : Rodrigue Villeneuve
2023 23:24
Jeu
Revue de théâtre
URI : https://id.erudit.org/iderudit/26830ac
Éditeur(s)
Cahiers de théâtre Jeu inc.
ISSN
0382-0335 (imprimé)
1923-2578 (numérique)
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Jacques Godin (Mycrort
Mixeudeim) et Sylvie
Léonard (Laura Pa) dans
la Charge de l'orignal
épormyable au Théâtre de
Quat'Sous. Photo : Les
Paparazzi.
qu'à celui de la représentation mimétique. musique» de ces «gens-là», terriblement juste là
encore. Cette façon de parler renvoie irrésisti-
Il en va de même du jeu. Je parlais plus haut de blement au «bon parler français» des années
concrétisation. C'est l'opération à laquelle se cinquante. On ne parle plus ainsi au Québec. Le
livre n'importe quel metteur en scène lorsqu'il français, même soigné, n'y a plus ni cet accent, ni
passe de l'écriture dramatique à l'écriture scéni- cette couleur. Il s'agit encore là d'un «détail» —
que. Sauf que dans le cas du texte de Gauvreau subtil rappel historique — qui renforce l'exem-
— de la Gharge, évidemment, mais aussi de plarité de la représentation. Car cette langue
d'élite n'est évi-
demment pas celle
de Mycroft Mixeu-
deim. Langue des
bourreaux, elle
s'oppose, dans la
troublante artificia-
lité de sa tenue, à
celle de la victime,
libre jusqu'à la dé-
sorganisation.
On pourrait multi-
plier les exemples.
Ils illustreraient
tous l'idée à laquelle
cette mise en scène
ramène la portée de
la Charge de l'ori-
gnal épormyable : le
Québec d'il y a
quarante ans ne
pouvait tolérer de
Le décor de la maison de
voix discordantes, il
chambres «est inclu[s] n'importe quelle autre pièce de lui — ce passage les étouffait sauvagement. Cette idée, encore
dans l'espace de la scène, est périlleux. Ce vers quoi il entraînerait le plus une fois, est juste : la pièce de Gauvreau dit cela.
un peu comme [...] une
maquette qui serait â taille facilement, c'est vers ce que Pavis appelle la mise Dit cela d'abord. Il fallait donc qu'un jour on la
d'homme.» Photo : en scène «autotextuelle2», celle qui se construit monte comme Brassard l'a montée, en la plon-
Les Paparazzi. geant dans l'histoire, en lui donnant, par ce
comme un objet clos. Brassard a résisté à cela.
Son parti pris de mise en rapport avec l'époque traitement presque toujours précis, intelligent,
de la création du texte l'a contraint à caractériser fin, efficace, ses assises socio-historiques. Le
avec précision, visuellement et psychologique- théâtre qu'on fait doit être, pour une part en tout
ment, chaque personnage, aidé en cela par une cas, un «théâtre de la mémoire dans une civilisa-
équipe de comédiens et de comédiennes — tion du présent perpétuel», comme le rappelait
principalement Jacques Godin et le quatuor des récemment Jacques Lassalle3. Pourrait-on dire,
bourreaux — d'une grande force. Ce qui a été sans trop exagérer et compte tenu de l'impor-
dit de l'économie liée à la justesse des détails vaut tance du texte, que cette lecture première —
ici encore davantage. Je pense seulement à cette Jean-Pierre Ronfard en avait fait, lui, la première
étonnante diction qu'ont empruntée les comé-
diens, qui dérange d'abord, puis, lorsqu'on a 2. Patrice Pavis, «Du texte à la scène : un enfantement difficile», dans
Théâtre/Public, n° 79, janvier-février 1988, p. 34.
compris d'où elle venait, et lorsqu'on l'a connue
3. Alain Girault, «Résistance et prospective. Entretien avec Jacques
surtout, ravit effectivement, comme la «petite Lassalle», dans Théâtre/Public, n™ 88-89, juillet-octobre 1989, p. 15.
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Jacques Godin et «le
quatuor des bourreaux» :
Michel Paré (Becket-
Bobo), René Richard Cyr
(Lontil-Déparey), Adèle
Reinhardt (Marie-Jeanne
Commode) et Sylvie
Léonard (Laura Pa).
Photo : Les Paparazzi.
lecture — l'histoire du théâtre québécois, et plus traitée comme telle, comme une figure, si elle
largement notre histoire culturelle, l'exigeaient? n'est pas formalisée et «signifiée», elle n'est plus
que redondance maladroite et, progressivement,
Mais il arrive que cette «bonne» interprétation, source d'ennui. C'est aussi le cas du langage,
malgré ses grandes qualités, a aussi montré ses lorsqu'il cesse d'être référentiel. Sa place devient
limites. À cause de cela, elle en appelle effective- plus importante à mesure qu'on approche de la
ment d'autres, comme le dit Muller. fin. Aussi longtemps qu'il est, dans sa forme
excessive, le propre du héros, tout se passe bien.
Cette lecture, tout juste qu'elle soit, finit en effet Il y a plutôt quelque chose d'admirable dans la
par se révéler trop simple. Le texte l'excède. Plus façon dont Godin sait résister à la séduction de
le spectacle avance, plus il devient évident qu'il la folie lyrique et nous convaincre de la vérité de
aurait fallu passer à un autre niveau de lecture et ce qu'Artaud disait, que «tout vrai langage est
de théâtralité, pour rendre compte non seule- incompréhensible» (Ci-gît). Mais il n'en va pas
ment du drame de l'artiste écrasé, mais aussi de même pour les autres comédiens, dans les
d'une écriture, d'une langue et d'une forme qui, longues scènes finales, sans imagination, qui
à la fin, écrasent les comédiens — j'excepte ressemblent à de pénibles exercices de cours de
Godin — et le spectacle. L'illustration et la théâtre. La tauromachie y est non pas dérisoire
démonstration ne suffisent plus. L'essentiel se — ce pourrait être terrible — mais seulement
passe ailleurs et il n'est pas pris en charge par la ennuyeuse. Le spectateur finit par se demander
scène. Prenons par exemple les très nombreuses pourquoi on n'a pas coupé dans tout cela et
répétitions (de scènes, de gestes, de mots, d'argu- qu'on ne s'est pas arrêté à la mort de Mycroft. La
mentations). La répétition est sans doute une mise aux égouts, interminable, renvoie, dans sa
des figures principales — pour ne pas dire obses- fausse agitation, non pas à Artaud mais à une
sionnelles — du texte. Si elle n'est pas saisie et quelconque fin ratée de la Cantatrice chauve.
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Par ailleurs, aussi remarquablement historicisé Mycroft les yeux du docteur Ferron, ou se rap-
que soit ce spectacle, aussi finement daté (j'écri- procher comme naturellement du «théâtre
rais, sans retenue, «aussi délicieusement et aussi impossible» d'Artaud, ou y percevoir l'écho des
douloureusement daté», mais il ne s'agirait là rêves de Kafka.
que de ma mémoire, directement touchée par ce
spectacle, et d'abord par sa matérialité, celle des rodrigue villeneuve
corps, des voix, des choses, mouvement trop
proche de l'épanchement personnel pour res-
sembler encore à un regard critique, celui qui
doit idéalement se tenir, selon l'expression de
Georges Banu, «à mi-pente»), il n'est pas suffi- «26bB, impasse
samment distancié. Il ne permet pas suffisam-
ment de recul. L'«historicisation» de la lecture, du colonel foisy»
paradoxalement peut-être, conduit non pas à
une meilleure compréhension de cette fable et de
Texte de René-Daniel Dubois. Mise en scène : Jacinthe Harvey;
sa «vérité» possible, à l'adoption d'un point de conception scénographique : Emile Morin; costumes : Francine
vue sur elle, à un certain usage plus large (comme Desrosiers et Denis Gagnon; éclairage : François Soucy; sonorisation:
Marc Tremblay. Avec Pascale Landry et Sylvain Miousse. Spectacle
d'un mythe?) de cette image de la «charge de
produit par les Productions Recto-Verso et présenté â la Salle André-
l'orignal», mais seulement à la compassion. On Pagé de l'École nationale de théâtre du 18 au 29 octobre 1989.
nous demande, à nous spectateurs, de souffrir
avec Mycroft Mixeudeim, victime absolue. On la production de recto-verso
nous permet plus difficilement de comprendre. En octobre dernier, les Productions Recto-Verso
de Matane présentaient à la Salle André-Page de
Par exemple, les formes que prend la mécanique l'École nationale de théâtre la pièce de René-
mise en place par Lontil-Déparey et ses acolytes Daniel Dubois intitulée 26"*", impasse du Colonel
pour torturer le héros sont données comme Foisy dans une mise en scène de Jacinthe Harvey.
telles, présentées sans nuance comme allant de Conçu comme un «work in progress», ce spec-
soi. Je pense en particulier à la psychiatrie, avec tacle a d'abord été donné à la Galerie Obscure de
ses déclinaisons taxonomiques moliéresques et Québec en mai 1989, puis une version plus
ses pièges sexuels. On ne peut prendre cela mûrie a été présentée au centre d'art le Barachois
aujourd'hui que comme des représentations. La en août 1989 avant que la troupe n'entreprenne
mise en scène, face à cela, laisse le spectateur sans cette mini-tournée qui devait la mener à
recours, comme face à la «naïveté» de ce texte, Montréal, puis de nouveau à Québec en
une autre de ses figures, qui n'est jamais située décembre. Résultat d'une démarche d'explo-
mais seulement émotivement utilisée. La com- ration qui s'étale sur plusieurs mois, cette
passion ne suffit pas, même si elle fait résonner production s'est finalement fixée en un texte
juste comme ici, ou alors l'empoissement n'est achevé qui a su étonner par sa fraîcheur, par son
jamais loin. rythme et par ses effets scéniques surprenants.
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