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Oran entretient des rapports compliqués sinon ambigus avec ses urbanistes.
Tout se passe comme si la ville, une fois sortie de son site primitif, avait décidé
d'orienter son extension contre la volonté de ceux qui sont censés organiser son
Monde arabe espace. Les urbanistes proposent, mais la ville et la vie disposent. Aussi n'est-il pas
Maghreb
Machrek surprenant qu'Oran ait du mal à gérer son espace, qu'Oran multiplie à l'envi les
Numéro spécial contradictions, qu'Oran ait mal à son histoire**.
1•• trimestre 1994 « Comment s'attendrir sur une ville où rien ne sollicite l'esprit », s'interroge
Albert Camus, pas généreux du tout, « où la laideur est anonyme, où le passé est
Oran : un urbanisme
sans histoire réduit à rien » (1). De cette petite phrase assassine et de bien d'autres encore, il faut
retenir la terrible actualité.
204 Peu importe la laideur, qui n'est finalement que celle des hommes. L'esprit ?
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Mostaganem-
Arzew
Sanchidrian
(Delmonte)
(3) Oran est occupée par les Espagnols de 1509 à 1792. Les travaux d'aménagement et d'édilité réalisés entre
1550 et 1650 (qui lui valurent d'être désignée comme la << Corte Chica >>)ont-ils vraiment fait de ce préside
une ville ? Port militaire, entièrement dépendant de l'Espagne, Oran n'eut, du XVIe au XVllle siècle, aucun
rapport, sinon de guerre, avec son arrière-pays. La vie intra-muros n'était pas celle d'une ville, mais d'une
caserne, sinon d 'un bagne.
s'attaquant au plateau à défaut de rénover les quartiers anciens, durement éprouvés
par le tremblement de terre de 1791, a inauguré l'orientation de la ville vers l'Est.
C'est ainsi que Bab Souk, la place extra-muros qui servait de marché devient le
champ de manœuvres, qui se transforme à son tour en place d'Armes, plus tard en
place Foch, pour s'appeler, encore plus tard, place du 1er novembre. Mais c'est vers
le Sud que le général Lamoricière crée pour les Arabes, le village des Djalis, autre-
ment dit « le Village Nègre », ou Madina Djadida (Oran est probablement la seule
ville arabe où la médina, ou ce qui en tient lieu, est appelée « Ville nouvelle » ).
La marche vers l'Est est infléchie par la construction de nouveaux quartiers au
sud et sud-est, qui éloigne un peu plus la ville de son port et de ses sources.
Il faut dire qu'en fait, en ce XIXe siècle, les urbanistes, pour qui Oran n'a
jamais été qu'une petite cité espagnole où tout est à créer, ont dû tenter de résoudre
un problème complexe : comment organiser, développer, gérer l'extension d'une ville
qui tire sa richesse d'un port dont elle s'éloigne, qui a des besoins toujours accrus
d'eau douce mais qui enterre ses sources ; comment venir à bout d'une topographie
difficile pour maîtriser son espace à bâtir. Cette situation entraîne par ailleurs une
spéculation foncière difficilement contrôlable, mais libère l'imagination des urba- Monde arabe
Maghreb
nistes qui n'en finissent pas de proposer de grands projets d'architecture.
Machrek
L'impression générale des différentes lectures que l'on peut faire des plans Numéro Spécial
d'embellissement, de construction ou d'aménagement élaborés depuis les années 1890 1"' trimestre 1994
jusqu'au dernier Plan d'urbanisme directeur (P.U.D.) des années 1970, est que chacun
Héritages,
est considéré par son (ou ses) promoteur comme le premier jamais étudié, à défaut destructions,
d'être concrétisé sur le terrain. Aucun ne cite jamais ses références et tous paraissent reconstructions
s'inscrire dans une matière dont ils auraient oublié les origines. Partant de là, rien
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(4) L'oued Rouina (Ain Rouina) fut le premier oued à être comblé. Partant du plateau, au sud-ouest, il coulait
derrière l'ex-synagogue et la mairie. Sur son lit ont été édifiés de nombreux immeubles. La municipalité
Fouques-Duparc (1947-1962) y a installé un jardin public (le Petit Vichy), dernier témoin de la végétation
luxuriante qui bordait l'oued encore en 1890.
quement quotidiennes. Les premiers notaires en profitent. Des scandales éclateront
(5). Dans les années 1920-1930, le docteur Molle et son adjoint Menudier soutien-
nent le projet Wolff de zoning, après avoir favorisé une politique de lotissement, dont
profitent les quartiers Lamure, Maraval, Terrade, entre autres. En 1928, l'écrivain
Blanche Cazes se fait l'écho des interrogations de l'opinion publique : « Oran s'est
développée avec une rapidité merveilleuse ... Il n'est pas surprenant qu'elle s'enor-
gueillisse des résultats obtenus et ne voie plus rien au-delà. Ce qui est absolument
désespérant, c'est le sabotage systématique de la ville qu'on ne cesse d'enlaidir. ..
Dans les quartiers neufs qui deviendront le centre, on a tracé des rues trop étroites où
la circulation finira par être impossible » . B. Cazes répondait, dans la presse oranai-
se, à l'écrivain algérois Claude-Maurice Robert, qui avait dépeint Oran comme « une
ville cupide, tracassière, sans lyrisme .. . dont les fards superposés déguisent mal une
carnation de fille venue d'en bas ». C'était méchant, et ce fut mal reçu ! Vingt ans
plus tard, Albert Camus, autre Algérois, est à peine moins sévère : « pour fuir la poé-
sie et trouver la paix des pierres il faut d'autres déserts ... Oran est l'un de ceux-là .. .
les rues d'Oran sont vouées à la poussière, aux cailloux et à la chaleur. S'il y pleut,
Monde arabe c'est le déluge et une mer de boue ... » Aujourd'hui encore, quand il pleut. . . Oran, il
Maghreb
faut le dire, a toujours eu mauvaise presse à Alger, et, de son côté, estime que les
Machrek
Numéro spécial décisions prises dans la capitale l'étouffent.
1er trimestre 1994 L'occasion de s'émanciper se présente avec Fouques-Duparc, homme d'in-
fluence, gaulliste de première heure, maire et sénateur. Il dote le centre de belles
Oran : un urbanisme
sans histoire
artères, d'un peu de verdure, de quelques beaux immeubles. L'écart se creuse avec les
quartiers non résidentiels ou d'affaires . Des boulevards périphériques, un tronçon
d'autoroute, un nouvel aéroport lui donnent des airs. Oran renforce ses liens avec les
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(5) L'épopée des Cayla à Oran mériterait à elle seule une étude particulière. Elle commence plutôt mal. Emile
Ca y la père est arrêté en 1866 pour banqueroute frauduleuse . Il se reprend très vite, et fonde en 1890 la Socié-
té Immobilière d'Oran qui propose au maire un projet d'embellissement de la ville. Une convention est signée
en 1893. Paulin Saurel, adjoint au maire Laurent Fougue soutient E. Cayla, mais tous deux sont violemment
attaqués par une partie de la presse locale, en particulier La Bataille oranaise. Il est question de << pots-de-vin,
de spéculation, d'avantages suspects, de gogos ... » . En 1898, le montage financier élaboré par Ca y la s'ef-
fondre , mais les idées contenues dans son projet seront systématiquement reprises . .. jusqu'à nos jours, et en
partie réalisées.
• Oran aujourd'hui
Y a-t-il donc solution de continuité dans l'urbanisme à Oran en 1962 ? En réa-
lité, il y aurait à la fois continuité, et rupture. Continuité dans l'achèvement de cer-
taines opérations immobilières, et dans la direction où la ville se développe, rupture
dans la maîtrise de l'espace. La ville hérite des mêmes problèmes, mais n'a plus les
moyens d'y faire face.
Le plan d'occupation des sols présente des étrangetés, qui bénéficient à cer-
taines activités industrielles ou de service. Leur situation intra-muros ne se justifie
plus depuis longtemps. Ces hangars, caves, casernes, usines, fabriques, aires de stoc-
kage, minent Oran de l'intérieur, à Sananès, à Saint-Charles, à El Maqqari, à Saddi-
kia, à Choupot, exploitant ainsi à bon compte installations et équipements urbains,
mais obligeant les habitants à se loger en périphérie, dans des zones sans équipe-
ments collectifs (marchés, dispensaires, écoles, gaz de ville, transports, téléphone).
Ce phénomène est tout autant le résultat de l'absence d'une politique de la ville
que le fruit de l'histoire. Après l'Indépendance, il était possible d'occuper des espaces
Monde arabe
vacants ou des structures abandonnées et de les exploiter sans porter préjudice aux Maghreb !
habitants (6). Le parc immobilier répondait largement aux besoins, et il y eut une Machrek
pause dans la construction. Les préoccupations gouvernementales étant ailleurs, un Numéro Spécia
secteur privé, réaliste, prudent, mais puissant, a occupé de vastes zones intra-muros, 1•• trimestre 19!
(6) Après rlndépendance, la ville s'étant vidée de plus de la moitié de sa population , n'avait pas de besoins
nouveaux en terrains. Le parc immobilier suffisait, les équipements collectifs faisaient d'Oran une ville plutôt
privilégiée. C'est à partir de 1975 que la situation change du tout au tout.
1
1 dire, construis et ne cherche pas à comprendre ... ) occupent les terrains vagues, les
espaces vacants à l'intérieur des quartiers anciens. Des zones d'habitation dense nais-
1 sent sans intervention des autorités, mais à l'ouest de la ville : Pont Albin le long de la
route de Tlemcen, véritable ville en dehors de la ville, Les Planteurs sur les flancs du
Murdjadjo, grignotant un peu plus chaque jour la forêt de pins.
Conséquence d'un urbanisme au coup par coup, par juxtaposition d'opérations
1 locales, on évalue à « 300 000 les personnes vivant dans les bidonvilles qui ceintu-
rent Oran », et à près de « lOO 000 celles vivant dans des quartiers en ruine » . Un
Oranais sur deux ?
1 maximum) sont posés au hasard, à Othmania, à Point du Jour, sans qu'Oran s'en
rende compte. Ils sont déjà la ville, mais ils ne sont pas vraiment la ville. Rien ne les
rattache à Oran, ni le style, ni la toponymie, ni l'histoire, seule une ligne d'autobus,
1Monde arabe
Maghreb
Machrek
quand elle existe. Ils font pourtant aussi partie d'Oran.
Plusieurs propositions de PDAU ont été soumis à la ville. En attendant une
décision, la question se pose déjà de savoir s'il faut ou non geler toute opération fon-
,\Juméro spécial
1"' trimestre 1994 cière, la commission d'aménagement (CAU) pouvant continuer à procéder à des
1: un urbanisme
sans histoire
implantations de projets (publics et privés) dans le cadre d'un vague plan d'occupa-
tion des sols. Mais comment alors sauvegarder des espaces pour les équipements col-
lectifs face au développement inévitable et plutôt mal contrôlé du marché foncier ?
Comment alors entrer dans le détail de l'occupation des terrains à urbaniser, sans
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Regards croisés. La ville de l'Autre
Réelle ou imaginé, vécue ou fantasmée, la ville est aussi le lieu et l'ob-
jet du regard de l'Autre. A travers cet échange fait de fascination ou
de rejet, d'étrangeté ou de réappropriation d'un territoire, elle est
alors, sous l'infinie diversité de ses formes, un rassemblement sans fin
d'une commune humanité, comme le souligne Paul Siblot dans la pré-
sentation des actes de l'Atelier consacré à « La Ville des Autres » qui
s'est tenu en mai 1990, à Montpellier, lors de la V' session de l'Uni-
versité euro-arabe itinérante.
Interdisciplinaire, fondée sur l'approche comparative, cette rencontre,
qui a réuni analystes et créateurs des deux rives de la Méditerranée, a
été marquée par des conférences et une table ronde qui ont mêlé récits
de voyages, études spécialisées, écriture romanesque et témoignages
d'artistes et d'écrivains.
Ces contributions ont été rassemblées en ouvrage. Elles visent à cer- Monde arabe
ner notamment les représentations de la ville dans les imaginaires Maghreb
Machrek
arabe et européen, et s'ouvrent par une réflexion du professeur André Numéro Spécial
Raymond sur la structure de la ville arabe traditionnelle (Le Caire, t••trimestre 1994
Damas, Alep, Tunis), sur son évolution historique, ses fonctions et les
influences qu'elle a subies. Héritages,
destructions,
Paul Siblot et Aicha Maherzi se penchent respectivement sur Alger reconstructions
dans quelques constructions de l'imaginaire français et sur Fromentin,
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