Néphilim - Mélusine Vaglio
Néphilim - Mélusine Vaglio
Néphilim - Mélusine Vaglio
l ’a u t r e
HISTOIRE
DU MAL
MÉLUSINE VAGLIO
A R M A N D C O L IN
Néphilim
Mélusine Vaglio
Néphilim
Lautre histoire du M al
A R M A N D C O LIN
Couverture : Raphaël Lefeuvre.
Internet : htrp//:www.armand-colin.com
ISBN : 978-2-200-24843-7
N o t e d e l’é d it e u r
Lorigine du Mal
1
Au commencement, le chaos
L ’a p p a r i t i o n
Disons-lc tour de suite, le rôle joué par ces versets au sein des autres
histoires primitives de la Genèse n’est pas évident. Rappelons ici l’ar-
la responsabilité des créatures célestes, mais Dieu punit les humains par
le Déluge.
À en croire le récit, c’est bien à cause des Anges que le monde entre
dans un processus de dégénérescence. En effet, la santé et la vitalité
des hommes se dégradent alors qu’il y a peu encore, leurs célèbres pré
décesseurs jouissaient d ’une espérance de vie incroyablement longue.
N ’oublions pas qu’avant leur péché, Adam et Eve bénéficiaient de l’im
mortalité, et que leur bannissement hors du Jardin d ’Eden les a ren
voyés à leur condition mortelle, condamnant le reste de l’humanité à la
finitude.
Genèse 6, 1-4 servirait donc de prologue au récit du Déluge, en
montrant que la présence du mal dans le monde a pour origine une
rupture d ’équilibre entre le monde céleste et notre monde. Toutefois, à
bien y regarder, il n’existe aucune relation causale explicite dans le texte
entre la descente des fils de Dieu et le Déluge. Mais alors, pourquoi
ce rapprochement entre les deux épisodes? Tout porte à croire que le
texte biblique hésite à choisir entre désobéissance humaine et désobéis
sance céleste. La meilleure preuve est que Yahvé choisit de pénaliser les
humains alors qu’ils ne sont que partiellement fautifs. La question de
la culpabilité est ici problématique. À qui imputer la faute? Aux Anges,
aux hommes, ou ... aux femmes ? Nous verrons que les opinions vont
diverger au cours du temps, mais que les Pères de l’Église seront enclins
à condamner la Femme. Décidément, l’idée d ’une responsabilité par
tagée a bien du mal à s’imposer. Depuis le début, la Femme tient le rôle
de la coupable idéale : Ève est passée par là.
L e s « F il s de D ie u »
L ’é n i g m e
L es g éa n ts de C anaan
Le peuple qui habite dans le pays d ’où ils reviennent est puissant et
leurs villes sont fortifiées et très grandes, ce qui est un sujet de crainte
pour eux. Ils redoutent que leur Dieu ne les ait pris en haine et ne les
ait guidés hors d ’Égypte pour les livrer aux mains des Amorites :
«C ’est un peuple plus grand que nous, de plus haute stature; les villes
sont grandes et leurs remparts montent au ciel. Et même, nous avons
vu des Anaqim »
Deutéronome 1, 28.1
que le royaume de Bashan, dit pays des Répbaïm ou des géants, occu
pait sur la rive est du Jourdain une zone allant du mont Hermon, au
nord de Canaan, jusqu’à Giléad au Sud. Le roi Og est présumé avoir
régné sur Hermon, point le plus septentrional du royaume, c’est-à-dire
à l’endroit exact où, d ’après le Livre d'Hénoch, sont descendus les Anges
rebelles. Le Talmud Babylonien achevé au xvi* siècle, donne le roi Og
comme fils de Hiya, lui-même fils de l’Ange déchu Shemyaza et d ’une
femme qui aurait par la suite épousé Sem, le fils de Noé.
Le grand mythologue britannique Robert Graves* rapporte que le
roi Og aurait échappé au Déluge en s’accrochant à une échelle de corde
fixée à l’Arche et que c’est Noé lui-même qui l’aurait nourri par un
hublot, apitoyé par le géant qui lui avait juré de se repentir et de devenir
son esclave. Par la suite, O g semble avoir repris ses mauvaises façons. Si
le géant avait vécu au temps du Déluge, que les théologiens situent vers
2348 av. J.-C., il aurait été âgé de 1100 ans à l’époque de Moïse.
Certains historiens prétendent que la découverte par les Hébreux de
monuments mégalithiques à leur arrivée en Canaan aurait favorisé les
légendes relatives aux géants. Curieusement, il existe un site archéo
logique qui pourrait accréditer cette hypothèse. Le complexe mégali
thique de Rogcm Hiri, dit aussi bétyle de Gilga Refaim, est situé au
centre du Golan, à 16 km à l’est du lac de Tibériade. Découvert à la
fin des années soixante, Rogcm Hiri est constitué d ’une installation
monumentale de blocs de basalte locaux de tailles diverses. Ces cer
cles concentriques auraient été édifiés au début de l’âge du bronze, au
milieu du troisième millénaire av. J.-C. Ce mégalithe étrange, aussi
impressionnant et mystérieux que Stonchenge, a-t-il donné naissance
au mythe des Néphilim ? Nul ne peut répondre à cette question.
L es t r ib u s
« Ils étaient eux aussi considérés des Réphaïm, comme des Anakim,
mais les Moabites les appelaient Emim. »
Deutéronome 2, 11.
L’histoire cachée
Q u m r a n , p r in t e m p s 1 9 4 7
L es E ss é n ie n s
L e s c o u r a n t s r e l ig ie u x en J udée
Entre le ir siècle av. J.-C. et le Ie' siècle de notre ère, il faut bien réa
liser que le judaïsme est traversé par plusieurs courants religieux. Des
hassidéens, les ascètes fortement religieux qui ont soutenu la révolte
des Macchabées contre les Séleucides, sont issus trois partis : les Sad-
ducéens, les Pharisiens et les Esséniens que nous venons d ’évoquer.
Commençons d ’abord par les Sadducéens. Ces derniers regrou
pent les grandes familles sacerdotales et l’élite aristocratique. Opposés
aux Pharisiens, les Sadducéens défendent une certaine lecture de la
Torah : ils nient l’immortalité de l’âme, la résurrection et l’existence
des Anges.
Venons-en maintenant aux Pharisiens. Dès le premier siècle
av. J.-C., les Pharisiens sont les plus populaires. C est d ’ailleurs le seul
parti qui survivra à la chute du Temple, permettant le développement
du judaïsme rabbinique jusqu’à aujourd’hui. Les Pharisiens définis
sent les concepts religieux essentiels du judaïsme : justice de Dieu,
liberté de l’homme, immortalité personnelle, jugement après la mort.
Paradis. Comment ne pas reconnaître là les principales doctrines qui,
par l’intermédiaire de saint Paul, ont été adoptées par l’Église ?
Qu’en est-il enfin des Sicaircs et des Zélotes ? Ces courants voient
le jour au cours du premier siècle, face à l’occupant romain. Radicaux
intégristes, les Sicaircs recourent à la violence et à l’assassinat contre
les Romains. Quant aux Zélotes, ils recourent à l ’action politique et
militaire contre l’occupant.
L es m y s t è r e s d e la g r o t t e
U ne p ér io d e t r o u b l e
cinquante années qui suivent, de 586 à 536, les Hébreux vont être
retenus captifs à Babylone.
Après cet exil babylonien, commence la période dite du second
Temple, désignant la longue époque qui s’écoule de 536 av. J.-C. à 70
apr. Certes, la reconstruction du second temple est achevée en 516.
Mais l’avenir, placé sous différentes dominations, s’annonce sombre :
• Domination des Perses de 536 à 332.
• Domination des Grecs de 332 à 140.
• Domination romaine de 63 av. J.-C jusqu’à l’an 66.
L es a p o c r y p h e s
L’A po c a ly pse1
le texte a donc été connu bien au-delà, puisqu’il était encore familier
aux auteurs d ’apocalypses postérieures jusqu’à la fin du premier siècle
apr. J.-C.
L e L iv r e d’H én o ch
Nous voici enfin au cœur de notre sujet avec le livre le plus fameux,
mais aussi le plus sulfureux jamais consacré aux Néphilim. Les spé
cialistes s’accordent pour affirmer que le fragment le plus ancien du
Livre d ’Hénoch remonte à 300 ans av. J.-C. Or, il semble que le texte
était connu dès 700 ans av. J.-C., ce qui a incité certains spécialistes à
repenser les liens entre le matériau de la Genèse et le Livre d ’Hénoch.
Si la majorité des universitaires estiment en effet que les récits
hénochiques sont une expansion du texte de la Genèse, il n’en va
pas de même pour le célèbre épigraphiste érudit Jôszef Milik. Mais
attardons-nous un peu sur cette personnalité exceptionnelle. D ’une
certaine manière, on pourrait dire que M ilik est le Champollion
de Qumran. Tout comme le déchiffreur des hiéroglyphes, le prêtre
catholique polonais a le génie des langues. Outre le polonais, il maî
trise le russe, l’italien, le français, l'allemand et l’anglais. Comme cela
ne lui suffit pas, il est capable de lire l’hébreu, le grec, le latin, l’ara-
méen, le syriaque, l’arabe, le géorgien, l’ougaririque, l’akkadien, le
sumérien, l’cgypticn et le hittite. De quoi évidemment faire bien des
jaloux. Or, Milik a toujours soutenu que le Livre d ’Hénoch précédait
Genèse 6, 1-41. A ses yeux, le morceau biblique est un texte condensé,
issu d ’une source beaucoup plus ancienne encore. Mais comment
vérifier ses dires?
À sa décharge, on peut noter que le Nouveau Testament lui-même
comprend des références au Livre d ’Hénoch. Ainsi, en 61, Saint Jude
Thaddcus, apôtre et cousin de Jésus, a cité des passages de l’ouvrage
dans son Épître. Parlant de plusieurs chrétiens mal convertis, il lan
çait avec force :
«C ’est d’eux qu’Hénoch, qui a été le septième depuis Adam, a pro
phétisé en ces termes : voilà le Seigneur qui va venir avec la multi-
1. Genèse 6,1-4 : versets bibliques qui évoquent la descente des Fils de Dieu sur Terre
et leurs accouplements avec les Terriennes.
L’h is t o ir e cachée 43
rude des saints pour exercer son jugement sur tous les hommes, et
pour convaincre tous les impies. »
De même, Barnabe au deuxième siècle se réfère à Hénoch comme
s’il appartenait aux Écritures.
Retenons ici quelque chose de capital : les Juifs ont considéré le
Livre d ’Hénoch comme sacré jusqu’au ir apr. J.-C. : date à laquelle le
rabbin réformateur Siméon Bar Yochaï le condamne avec virulence,
ainsi que toute personne qui le lirait! C ’est au nom de cette condam
nation que l’ouvrage devient un livre maudit. Contrairement à ce
qui se produit chez les Juifs, l’œuvre continue d ’être en vogue chez
les Chrétiens. Vers 150, Hénoch est cité par Saint Irénée, évêque de
Lyon, ainsi que par l’apologiste Athénagoras. Au cours du troisième
siècle, Clément d ’Alexandrie, Tcrtullien, Origène, Lactance conti
nuent de citer des passages du Livre d ’Hénoch, preuve du prestige de
l’ouvrage parmi les Pères de l’Église.
Le livre m audit
« Il ne faut pas que les chrétiens quittent l’Église de Dieu
pour aller invoquer des Anges. »
35e canon du synode de Laodicée.
Or, une histoire pour le moins étrange le fait passer à son époque
pour un magicien diabolique. De 1582, date marquante où l’ange
Uriel lui serait apparu, jusqu’en 1587, John Dee secondé par le
médium Edward Kelly, invoque les Anges à l’aide de boules de cristal.
Il clame alors partout que c’est sous la dictée d ’Uriel, le quatrième
archange de la tradition hénochique, dont l’Église continue encore
aujourd’hui de réfuter l’existence, qu’il aurait écrit divers ouvrages :
Le Liber Logaeth, pour se faire obéir des anges, les 48 Clés angéliques,
la Table de Nalvage, qui décrit les mystères de la création et enfin
les Tablettes énochiennes révélant la langue parlée par Adam avant la
Chute. À partir de son commerce avec les Anges, Dee développe en
effet un «alphabet énochien» codifié. Or, chose incroyable, ce sys
tème complexe d ’invocation magique mis au point par Dee a perduré
jusqu’à nos jours, et reste en usage chez de nombreux occultistes pour
invoquer l’assistance des êtres angéliques. L’écriture énochienne a été
en effet reprise dans le système de la Golden Dawn, société secrète
anglaise au début du siècle. Toute cette histoire fabuleuse a inspiré à
l’écrivain Gustav Meyrink LAnge à la fenêtre de l ’Occident (1920), un
roman sombre et fascinant, véritable summa scientia qui relate la vie
de John Dee à travers les fragments de son journal intime. Avec John
Dee, la légende ténébreuse qui entoure le Livre d ’Hénoch renaît de ses
cendres.
Par un concours de circonstances étranges, à la même époque
en France, Joseph Juste Scaliger (1540-1609), un homme à l’érudi
tion prodigieuse, découvre un jour Chronographia, le livre inédit que
le moine savant George Syncellus a écrit dans les années 808-810.
Scaliger est un philologue et un historien de renom qui a enseigné à
l’Académie de Leyde et de Genève. En plus du grec et du latin qu’il
maîtrise parfaitement, il acquiert une profonde connaissance de l’hé
breu et de l’arabe. Comprenant l’exceptionnelle rareté des extraits du
Syncelle, Scaliger les reproduit intégralement.
Il est donc le premier à livrer partiellement au m on d e le contenu
ignoré du Livre d ’Hénoch. Il faut savoir que les sections citées par Le
Syncelle et retranscrites par Scaliger révélaient l’histoire des Veilleurs,
désignés par leurs titres grecs d ’Égrégores. Il consigne les noms des
chefs des Veilleurs rebelles, et la façon dont ccs Anges déchus ont
révélé à l’humanité les secrets interdits. Or, révéler le contenu du
46 N é p h il im
livre est dangereux pour lui : chrétien réformé, il est surveillé par les
jésuites qui craignent ses écrits ; et puis le massacre de la Saint-Barthé
lemy (1572) est encore dans tous les esprits. Le simple fait de recopier
et de divulguer le texte interdit l’exposait au risque d ’être accusé de
pratiques diaboliques. Mais l’histoire en reste là.
Jusqu’à ce jour de 1773, où l’explorateur écossais James Bruce de
Kinnaird décide de se rendre en Abyssinie (l’Ethiopie actuelle) bien
décidé à rapporter de son voyage quelque chose de rare. Grand voya
geur, il est alors connu pour avoir découvert les sources du Nil. Il
parlait couramment plusieurs langues, y compris certaines langues
mortes, et notamment l’araméen, l’hébreu et le ge’ez, la langue écrite
des Éthiopiens. Lorsque dans un vieux monastère ensommeillé de
Gondar, sur les rives d ’une vaste mer intérieure nommée le lac Tana,
l’aventurier a mis la main sur des copies intactes du Livre d ’Hénoch, il
s’est probablement félicité de cette chance extraordinaire. Mais com
ment un tel prodige a-t-il été possible? Kinnaird devait savoir que le
livre est en effet tenu dans l’Église éthiopienne pour un livre saint,
partie intégrante de leurs ouvrages canoniques. En fait, l’ouvrage
a probablement été traduit du grec en guèze entre le quatrième et
sixième siècle pour l’Église chrétienne d ’Éthiopie. Cette version
intacte de l’œuvre va devenir pour les spécialistes le Livre d ’Hénoch
Éthiopien (1 Hénoch en jargon universitaire). Bruce a rapporté en
Europe en 1773 trois exemplaires complets du livre. Le premier a été
confié à la Bibliothèque Nationale de Paris, le second, à la Bodleian
Library d ’Oxford. Pourtant, la traduction tarde. Il s’écoule quarante-
huit ans avant qu’une première traduction ne soit faite en 1794.
Curieusement, à partir de là, les découvertes se précipitent. En
1886, dans la Bibliothèque Nationale de Belgrade en Yougoslavie, un
vieux professeur découvre un Livre d'Hénoch écrit en slavonique, du
serbe archaïque. Il s’agit d ’un autre ouvrage, différent de celui décou
vert par Kinnaird un siècle plus tôt. Cette version va prendre le nom
mystérieux de Livre des secrets d ’Hénoch, encore nommé Hénoch slavo-
nique (ou 2Hénoch). Par un de ces hasards inexplicables, des preuves
de l’existence de l’ouvrage vont alors s’accumuler.
En 1887, les fouilles françaises du site égyptien d Akhmîm révèlent
des fragments d ’un Hénoch en version grecque.
L’ h i s t o i r e cachée 47
Le cycle d ’H énoch
Du Livre d ’Hénoch, dit lHénoch, on a deux versions : une version en
araméen, une version en éthiopien. Les fragments en araméen décou
verts à Qumran, qui constituent la version originelle, ont été rédigés
au troisième siècle avant J.-C. La version éthiopienne est complète :
elle-même traduite du grec comme nous l’avons vu, elle comporte
en appendice un incroyable récit intitulé «La naissance de Noé». Ce
texte très court cmet l’idée folle que Noé était peut-être un Néphil.
Nous verrons bientôt ce qu’il en est exactement.
Écrit entre -50 et 68 apr. J.-C, le Livre des Secrets d ’Hénoch, la ver
sion slavonique dite 2Hénoch, est beaucoup plus tardive. On recense
là aussi deux versions : le manuscrit de Belgrade - une version longue
de l’histoire - , et le manuscrit Uvarov, une version courte qui inclut à
la fin le récit merveilleux de « la naissance de Melchisédech ».
Il existe enfin un troisième livre à ce que nous avons appelé le cycle
d ’Hénoch. Il s’agit du Livre hébreu d ’Hénoch dénommé par les spécia
listes : Livre des Palais (Sefer Hekkhalot) ou 3Hénoch. Cet ultime opus
est une version hébraïque, beaucoup plus tardive encore, composée
entre le Ve et le vie siècle. Ce Livre hébreu d ’Hénoch, plus mystique et
abscons que les deux autres, rapporte les visions des cieux, des Anges
et du trône de Dieu. Charles Mopsick*. le grand spécialiste de la
cabale, la défini comme un «joyau de la mystique juive ancienne». Le
texte véhicule en effet des traditions anciennes liées aux spéculations
sur les Anges et constitue un traité d ’angélologie à part entière. Tout y
est axé sur la Merkava, qui désigne symboliquement le «char céleste»
divin vu par Ezéchiel. L’idée générale de cette littérature est que seul
l’initié peut accéder au trône de la splendeur divine, à la lumière de la
Vérité, à l’infini, à l’absolu, à Dieu. Le Livre hébreu d ’Hénoch raconte
48 N é p h ilim
La franc-maçonnerie
Si une sorte d «aura ténébreuse» semble toujours avoir entouré le livre,
les légendes pour expliquer sa survie ne manquent pas. Selon l’écri
vain latin Tertullien, l’ouvrage a été conservé dans l’Arche, et Hénoch
en aurait meme fait une seconde copie après le Déluge. Hénoch aurait
personnellement gravé son Livre sur deux piliers afin que son texte
soit gardé à jamais sur terre, malgré les eaux1. Après le Déluge, ces
piliers auraient été retrouvés par des sujets du roi Salomon et ce der
nier, fasciné, les aurait intégrés dans son temple, d ’où l’expression «les
colonnes du Temple».
En réalité, la tradition maçonnique écossaise considère le patriarche
Hénoch comme l’un des fondateurs légendaires de l’A rtisanat. Il
aurait donné à l’humanité les livres et l’écriture et aussi, plus impor
tant que tout pour les francs-maçons, l’art de la construction.
D ’après la tradition maçonnique, Hénoch, averti du Déluge à
venir, aurait construit avec l’aide de son fils Métoushèlah neuf caves
secrètes empilées les unes sur les autres. Dans la plus basse, il aurait
déposé une tablette triangulaire en or portant le Nom Ineffable, le
nom imprononçable de Dieu en hébreu. Ensuite, il aurait confié à
son fils une seconde tablette gravée de mots étranges qu’il tenait des
Anges mêmes. Puis les caves ont été scellées et Hénoch a fait édifier
dessus deux colon n es in destru ctib les : l’une en marbre, afin quelle ne
puisse jamais brûler, l’autre en Laterus-briquc, afin quelle ne puisse
s’enfoncer dans l’eau. Sur la colonne de brique ont été inscrites les
sept sciences de l’humanité, appelées les «archives de la maçonnerie».
Le héros mythique
«H énoch marcha avec l’Elohim, puis il disparut, car
l’Elohim l’enleva. »
Genèse 5 ,2 4
des jours d’Hénoch fut de trois cent soixante-cinq ans. Puis Hénoch
marcha en compagnie de l’Elohim et il ne fut plus, car Elohim l’avait
pris ».
Ainsi que le souligne l’universitaire Marc Philonenko dans son
érudite introduction aux Écrits Intertestamentaires de la Pléiade : ou
bien cette notice a etc le point de départ du cycle légendaire relatif
à Hénoch, ou bien elle représente l’abrégé d ’une tradition ancienne
dont le Livre d ’Hénoch serait dérivé. La plupart des spécialistes consi
dèrent le texte biblique comme l’hypertexte, c’est-à-dire le texte source
des deux pseudépigraphes12de la tradition hénochique, qui apparais
sent comme des réécritures amplifiées de la Genèse. Mais il faut savoir
qu’un spécialiste aussi reconnu que Jôszef Milik n’a pas hésité à dire
que l’emprunt s’est effectué dans le sens inverse : le texte de Gen 6,
1-4, par sa formulation récapitulative et allusive renverrait à l’écrit
hénochique très détaillé. Si cette suggestion est recevable, cela signi
fierait alors que l’original d ’Hénoch serait antérieur à la rédaction
définitive des premiers chapitres de la Genèse1. Et cela ne ferait que
conforter l’ancienneté du mythe des Anges.
Septième patriarche antédiluvien depuis Adam, Hénoch est donc
avant tout le témoin d ’une époque où l’humanité aurait commencé
à sombrer dans le chaos sous l’impulsion des Anges Rebelles et des
Néphilim, ces hybrides d ’une force et d ’une férocité rares. Dans son
épître, Saint-Jude atteste que Yahvé s’est servi d ’Hénoch comme pro
phète, pour annoncer un jugement contre les impies.
Comme on peut le constater, son patronyme est signifiant, puisque
Hénoch signifie «celui qui est consacré, initié». À ce titre, Hénoch a
été rapproché du Thot égyptien, le scribe des dieux, présent au tri
bunal divin, mais aussi d ’Hermès, le messager des dieux olympiens.
Arrière-grand-père du célèbre Noc, et fils du patriarche Jared, la
tradition lui attribue la rédaction de deux célèbres ouvrages : le Livre
d'Hénoch et le Livre des secrets d ’Hénoch, où il aurait consigné l’his
toire de la transgression des Veilleurs et des Néphilim, mais aussi ses
voyages cosmiques à travers les sphères célestes. Inutile de préciser
que ces ouvrages sont désormais considérés par les spécialistes comme
des pseudépigraphes, c’est-à-dire des écrits faussement attribués à
Hénoch : leur rédaction étant nettement postérieure aux événements
racontés.
Prototype du Juste et scribe avant tout, Hénoch est aussi consi
déré comme un avatar d ’Enmeduranlti, le septième roi antédiluvien
de la tradition babylonienne, fondateur de la guilde des devins à qui
Shamash et Adad avaient révélé les secrets divins. Hénoch est appelé
«scribe» parce qu’il a consigné par écrit les secrets divins dont il a
eu la révélation et dont le Livre d'Hénoch prétend communiquer une
partie. Mais la légende babylonienne seule n’explique pas l’extraordi
naire prestige du patriarche.
Dans ses ouvrages autobiographiques, Hénoch vit deux ascensions
célestes : lors de sa première ascension lui sont révélés les secrets du
monde divin ainsi que l’avenir de l’humanité. De retour sur terre, il
prévient sa famille et ses proches qu’un cataclysme est sur le point de
détruire l’humanité et il les enjoint à vivre dans le respect de Dieu.
Après ces recommandations, il rassemble tous ses proches et, sous
leurs yeux ébahis, il s’élève dans le ciel pour disparaître de la Terre à
jamais, après y avoir séjourné 365 ans - soit dit en passant, le record
de longévité le plus bas des dix patriarches antédiluviens.
Bref, Hénoch apparaît comme un personnage mystagogue, un
guide des âmes à travers les différents seuils de réalité. En effet,
Hénoch a eu accès à un savoir céleste de nature ésotérique, ainsi qu’à
une révélation sur le secret du fonctionnement cosmique. Nous pou
vons le tenir également comme l’un des précurseurs des ascensions
célestes, avant Élie et Jésus. Enlevé au ciel, Hénoch est initié à la
connaissance des secrets cosmologiques et eschatologiques par l’Ange
Uricl (« Lumière de Dieu »). De retour sur terre, il les enseigne à son
fils Mathusalem, pour qu’il transmette à son tour à la génération des
derniers jours ses enseignements scientifiques et religieux, ses révéla
tions relatives à l'avenir et ses exhortations morales.
Hénoch n’est pas non plus inconnu des musulmans qui lui don
nent le nom d ’Edris ou d ’Idris. Ils racontent qu’il a reçu du ciel, avec
le don de science et de sagesse, trente volumes remplis de connais
sances les plus abstraites, et que lui-même en a composé beaucoup
d ’autres aussi peu connus que les premiers. La littérature mystique
L’h is t o ir e cachée 53
Les Veilleurs
Comme nous l’avons dit précédemment, le Livre éthiopien d ’Hénoch
est un récit étiologique qui répond à cette question essentielle depuis
la nuit des temps : d'où vient le M al? Or, la solution donnée y est
pour le moins singulière, puisque l’origine du M al provient de la
transgression des «Anges de Dieu» : les BeneEbhim de la Bible.
Arrêtons-nous un instant sur ces Anges maléfiques. Jusqu’à pré
sent, nous n’avons qu’effieuré la question de leur dénomination. Il
faut savoir en effet que les écrits apocryphes hébraïques tels le Livre
54 N é p h il im
Au f il d u L iv r e d ’H é n o c h
1. Situé aux confins du Liban, de la Syrie et d’Israël, le nom du mont Hermon est
expliqué par la racine de l’hébreu hérém, «anathème». Nous savons qu’il existait des
lieux de culte sur son sommet et sur scs pentes. Le culte de Baal est attesté par le
toponyme B aal Hermon. Le caractère sacré de l’Hermon apparait en 1500 av. J.-C.
L’h i s t o i r e cachée 57
Mais l’histoire n’en est qu’à ses balbutiements. Très vite, les femmes
tombent enceintes et mettent au monde des êtres beaux et forts, mais
violents et corrompus : les fameux Néphilim. Progéniture hybride,
58 N é p h il im
Il est à noter que dans ce récit fondateur, les Anges Rebelles sont
des mâles, ne procréant eux-mêmes que des Néphilim mâles, comme
si la faute était l’apanage du sexe « fort». Les géniteurs seraient-ils plus
enclins à transgresser l’ordre établi que le sexe faible, allant à l’en
contre de ce que 2 000 ans de christianisme vont nous faire accroire :
que la femme est l’unique coupable de tous les maux? Thèse absente
du Livre d ’Hénoch, ce qui explique peut-être en partie pourquoi ce
livre est toujours tenu pour hérétique. À sa lecture, un constat s’im
pose : les Anges préfèrent partager les jeux charnels et les activités
intellectuelles avec les femmes.
L a colère divine
Un fait étonnant se produit alors : les gémissements des Terriens par
viennent aux Archanges. Ces derniers alertent l’Éternel, qui regrette
que deux cents de ses Anges se soient dénaturés en s’unissant aux filles
des hommes. Il rappelle alors que les Veilleurs sont des êtres saints,
immortels, de nature éthérée. Or, dans le contact avec le sang des
femmes, ils se sont abaissés. L’Éternel se désole surtout de constater
que leurs transgressions se sont étendues au reste de l’humanitc. Telles
des «étoiles tombées du ciel», le coeur de ses anciens Gardiens s’est
endurci.
Mais ce qui le fâche au plus haut point, c’est le fait que les Veilleurs
aient dévoilé des secrets célestes interdits aux humains. Pour toutes
ces raisons, Dieu décide de détruire la vie sur Terre puisqu’il est le
L’h ist o ir e ca ch ée 59
Comme si les Anges avaient pris la place des dieux locaux des peu
ples, en partie peut-être sous l’influence babylonienne. Vaste mouve
ment d ’assimilation où l’univers entier est placé, comme nous l’avons
vu dans Jubilés et Hénoch, sous la dépendance, ou la malveillance, des
êtres angéliques.
AMISIRAS a formé des sorciers et des guérisseurs utilisant les plantes.
ARMAROS a révélé la pratique des envoûtements et des désenvoûtements.
BARAQUIEL a transmis l’astrologie.
KOKABIEL a divulgué l’art des signes.
TAMIEL a révélé la signification des dessins que forment les constellations.
ASADAN1EL a transmis tous les secrets des phases de la lune.
YEQON a aidé Shcmyaza à détourner ses compagnons et à les faire
descendre sur Terre.
ASBEEL a donné de mauvais conseils aux Anges et les a entraînés à s’unir
aux femmes.
GADRIEL a séduit Èvc, montré aux hommes comment infliger des blessures
mortelles et leur a appris à fabriquer des armes mortelles.
PENEMUEL a enseigné aux hommes à distinguer l’amer du sucré et leur a
montré toute la science angélique. C’est lui qui leur a appris à écrire
avec de l’encre et du papyrus.
KASDEYA a montré aux humains comment infliger des blessures en utilisant
les esprits et les démons. Il a aussi enseigné comment nuire à
l’embryon dans le ventre de la mère afin que celle-ci avorte. Il leur
a appris à blesser les âmes, à connaître les morsures du serpent et les
maux causés par la chaleur du soleil à son zénith.
KASBF.EL a demandé qu’on lui révèle les noms secrets afin de les utiliser dans
son serment-
Tableau des Anges rebelles dans le L ivre d'Hénoch
Le destin d ’H énoch
Nous arrivons maintenant au rôle décisif joué par Hénoch dans cette
histoire. Le statut d ’Hénoch est particulier : il occupe la fonction de
médiateur entre Dieu et les Anges déchus. Parce que curieusement,
ces derniers font appel à lui pour intercéder en leur faveur, ce qui en
fait un héros salvateur plus important qu’aucun être humain avant
lui. En fait, ce rôle lui confère un statut supérieur aux Veilleurs eux-
mêmes, qui sont bannis éternellement de la présence de Dieu, le pire
châtiment possible pour des Anges.
Or, dans le Livre d ’H énotb , le patriarche va plusieurs fois séjourner
avec les Anges du ciel, ce qui semble être une amplification de la
curieuse allusion biblique de Genèse 5, 2 4 : « il marcha avec Dieu, puis
il disparut, car Dieu l’enleva ». Il faut comprendre cet incroyable pri
vilège comme une révolution formidable. Pour la première fois dans
la littérature juive, un prophète a des visions qui le conduisent dans
66 N É PH ILIM
Seuls les Justes seront épargnés, «la lumière divine les recouvrira».
Rappelons-le à nouveau, l’histoire des Veilleurs et des Néphilim
s’inscrit dans un contexte eschatologique de châtiments pour les
pécheurs et de récompenses pour les Justes. L’histoire des Veilleurs
doit être mise en relation avec les fins dernières : si le Déluge vient
punir les mauvais Anges, le Jugement Dernier punira les pécheurs et
récompensera les justes.
Le fait que le Déluge soit dû à une transgression d ’origine surnatu
relle légitime en quelque sorte le courroux divin. En descendant sur
Terre afin d ’apporter le Mal, les Anges font en réalité de la publicité
pour le Ciel. Leur corruption méritait une punition drastique, qui
prend la forme du Déluge. Toutefois, notons que la nature humaine
reste la même après le Déluge, puisque les récits de désobéissance
réapparaissent d ’abord avec l’ivresse de Noé, ensuite avec l’érection
de la tour de Babel, nouveau défi contre Dieu. Le M al continue
d ’exister, avant comme après le Déluge, mais l’épisode de la désobéis
sance angélique représente un dérèglement cosmique catastrophique.
Com me on pouvait s’y attendre, les dommages collatéraux sont
énormes, puisque même morts, les esprits maléfiques des Néphilim
continuent de polluer la Terre. C ’est une question qui tracassera beau
coup les cabalistes, notamment le génial Moïse de Léon, qui ne man
quera pas de rappeler, dans son œuvre magistrale, le Zohar, que les
Néphilim continuent de vivre parmi nous.
évoquées dans le Livre des Veilleurs. Hénoch raconte à son fils Mathu-
salcm les visions qu’il a eues en rêves :
« Une étoile tomba du ciel, se releva et se mit à paître au milieu de
ces animaux. Je vis ensuite des taureaux blancs échanger leurs pâtu
rages et leurs veaux car ils vivaient les uns avec les autres. Dans le
rêve, je vis d’autres étoiles tomber du ciel et se jeter sur la première
étoile. Puis elles devinrent des taureaux et se mirent à paître avant de
sortir leur sexe long comme celui des chevaux et monter les génisses.
Plus tard, elles conçurent des éléphants, des chameaux et des ânes.
Les taureaux furent saisis de panique car les éléphants, chameaux et
ânes se mirent à les mordre, à les dévorer et à les frapper. De nou
veau je les vis s’entre-tuer et la Terre se mit à hurler en raison du
sang répandu. Puis, je levai les yeux; du ciel sortirent sept Anges
semblables a des hommes blancs. Les trois derniers me prirent par
la main et m’emportèrent loin des générations terrestres, sur un lieu
élevé pour me montrer une tour très haute au-dessus de la Terre [...]
Un des quatre premiers Anges saisit la première étoile tombée du
ciel, lia ses mains et ses pieds et la jeta dans un abîme. Un autre
sortit une épée et la donna aux éléphants, aux chameaux et aux ânes
qui se mirent aussitôt à se frapper les uns les autres. La Terre entière
trembla. Et tandis que ma vision continuait, je vis un autre Ange
jeter des pierres du ciel; il captura toutes les grandes étoiles pour les
jeter dans un trou. »
L e L iv r e d es Secrets d ’H én o ch
Un jour, alors qu’il se trouve seul dans sa maison, allongé dans son lit
pour se reposer, Hénoch raconte qu’une immense terreur s’est emparée
de lui, au moment où deux Anges immenses ont surgi devant lui.
Leurs visages brillent comme le Soleil, leurs yeux sont comme des
rayons brûlants. Hénoch est terrorisé, mais les Anges le rassurent :
ils ont été chargés de lui faire visiter le royaume de l’Éternel. Hénoch
prévient ses trois enfants Mathusalem, Regim et Gaidad qu’il va s’ab
senter quelque temps.
« C ’est alors qu’appamrent devant moi ces deux silhouettes d ’hommes
immenses ; et je ne me souviens pas d ’en avoir vu de si grands sur terre.
Leurs visages brillaient com m e le Soleil, leurs yeux étaient comme des
rayons brûlants et de leurs lèvres s’échappaient des flammes. Leurs
chants ainsi que leur apparence étaient différents, mais la couleur vio
lette semblait prévaloir. Q uant à leurs ailes, elles étaient plus brillantes
que l’or et leurs mains plus blanches que la neige ».
L’h ist o ir e cachée 71
La mission terrestre
Le récit prend alors une tournure réaliste quand Hénoch raconte qu’il
se retrouve brutalement allongé dans son lit, comme s’il ne l’avait
jamais quitté. En fait, sa famille lui apprend qu’il a disparu pendant
60 jours. 11 leur narre ses aventures et tout ce qu’il a vu. L’Unique
l’a laissé revenir parmi eux pour qu’il leur fasse part de tout ce qui a
été, de tout ce qui est et ce qui sera jusqu’au Jugement Dernier. Puis,
Hénoch confie à scs fils les livres qu’il a rédigés sur les secrets célestes
et sur l’Éternel. Il en donne d ’ailleurs une belle définition : il est celui
qui a fait de l’invisible des choses visibles, mais qui reste, lui, toujours
invisible.
Le délai des 30 jours écoulé, Mathusalem rassemble famille et amis
dans un endroit nommé Achuzan. Hénoch bénit l’assemblée, pro
nonce ses dernières instructions, en rappelant que «celui qui abîme
l’âme d ’un autre abîme la sienne». Les 2 0 0 0 personnes présentes se
prosternent devant lui. C ’est alors que l’obscurité tombe. Hénoch est
brusquement élevé au ciel, après avoir passé 365 ans sur la Terre.
Le cinquième Ciel
«L es Anges m’emportèrent au Cinquième Ciel. Là, j’ai
vu d ’innombrables soldats appelés Égrégores. »
Livre des secrets d'Hénoch, 18,1.
1" ciel Les Anges les plus anciens, les Anges des Étoiles et de la Neige
2e ciel Lobscurité/lcs Anges Déchus
3e ciel Les Arbres de Vie par millicrs/300 Anges lumineux chantent.
4e ciel Les Anges du Soleil et de la Lune
5e ciel Les soldats Égrcgorcs silencieux et leur Prince Satan
6e ciel Les Archanges, 6 Phénixes, 6 Chérubins, 6 Anges à 6 ailes
T ciel Archanges, Forces, Dominations, Ordres, Gouvernements,
Chérubins, Séraphins, Trônes
8' ciel l.es saisons
« Muzaloth »
9* ciel Les 12 constellations du cercle du firmament
« Kuchavim »
10eciel DIEU
« Aravoth »
Tableau du voyage d ’Hcnoch dans l'au-delà
selon le Livre des Secrets d ’Hénoch
L es v a r ia n t e s d e l ’h i s t o i r e
L e L iv r e d es J u b il é s
• Accomplir la justice.
• Couvrir la honte de leur corps.
• Bénir le Créateur.
• Honorer père et mère.
L es autres apocryphes 79
L e L iv r e d es G éa n ts
ses fils. Ce premier rêve annonce malheur et malédiction sur eux et ils
prennent conscience qu’il est vain de lutter contre les forces du Ciel.
Le Néphil Gilgamis révèle alors à ses compagnons que leurs véri
tables adversaires, qui résident dans les cieux, sont plus forts qu’eux.
Il a un peu honte du surnom d ’« homme sauvage» dont l’affublent ses
compagnons :
«Je suis un géant, et par la force puissante de mon bras et par la
grande force qui m’est propre, toute créature mortelle, je leur ai fait
la guerre ; mes adversaires résident dans les cieux et ils habitent dans
les saints lieux. Ils sont plus forts que moi. L’homme sauvage il me
surnomme ».
Les Néphilim Ohya et Hahya, les deux fils de Shemyaza, s’expri
ment à leur tour. Ohya fait part d ’un nouveau rêve inquiétant à ses
compagnons : « J ’ai été forcé de faire un rêve, le sommeil de mes yeux
disparut, pour me laisser apercevoir une vision». Ohya raconte qu’il
a rêvé d ’un arbre déraciné dont seules trois racines restent en terre.
Pour se rassurer, Ohya tente d ’écarter les terribles implications de ses
visions : le démon Azazel est le grand coupable et la destruction ne
visera que les seuls chefs terrestres. Mais d ’autres rêves prémonitoires
viennent affliger le sommeil des autres Néphilim. Même si les détails
de l’interprétation leur restent obscurs, ils réalisent que ces séries de
rêves sont de mauvais augure pour eux.
Tous les Néphilim implorent Mahway de sc rendre chez Hénoch
pour connaître le sort qui va leur être réservé. Après son voyage cos
mique, Mahway arrive chez Hénoch et présente sa requête.
«Il s’éleva dans les airs pareil à une rafale de vent, et vola avec ses
mains pareilles à des ailes. Il laissa derrière le monde habité et passa
au-dessus de Désolation, le grand désert. Hénoch le vit et le salua, et
Mahway lui dit : les géants attendent des paroles, ainsi que tous les
monstres de la Terre. Nous voudrions connaître par toi leur significa
tion, 200 arbres qui du ciel se sont abattus. »
L ’a daptation de M an i
« M ani connaissait Le Livre d ’Hénoch et avait intégré des
passages entiers dans ses livres. »
Jôszcf T. Milik.
1. Dialecte iranien
L es autres apocryphes 83
en ouïgour1. Il faut savoir que les Manichéens ont longtemps tenu les
écrits d ’Hénoch pour canoniques. Joszef Milik rapporte que d ’autres
extraits et citations témoignent de l’existence de versions parthe2,
copte, latine et même arabe (où le Livre des Géants s’appelle Sifr al-
jababira) ce qui prouve l’énorme succès du mythe dans l’Antiquité.
Un autre texte manichéen, les Képhalaïa du Maître, compilation écrite
en copte, recueil d ’entretiens réels ou supposés de Mani avec ses dis
ciples, découverte en 1931 à Medinet Mâdi en Égypte, contient égale
ment une allusion à cette histoire :
«Avant que les Égrégorois se soient rebellés et soient descendus du ciel,
une prison avait été construite pour eux dans les profondeurs de la terre
sous les montagnes. Avant que les fils des géants soient nés, qui ne con
naissent pas la droiture et la piété en eux-mémes, trente-six villes avaient
été préparées et érigées, de sorte que les fils des géants devraient vivre en
elles, eux qui viennent pour engendrer [...] qui vivent mille an s... »
1. Vieux turc.
2. Dialecte iranien
3 . «compendium » : résumé de l’ensemble d'une science ou d’une doctrine.
4. Le pehlevi, ou moyen-perse, est une langue iranienne.
84 N é p h ilim
Noé, un N éphil
« Et quand il ouvrit les yeux, la maison brilla comme le
soleil. »
vivant, mais que son existence terrestre, qui a duré 365 ans, est finie.
Il vit retiré aux confins de la terre dans le pays de Parwaïm, nom
d ’une contrée lointaine et mystérieuse où seul son fils Mathusalem
sait le trouver. Mais il n’en demeure pas moins, malgré les dénéga
tions rassurantes d ’Hénoch, que les questions soulevées par l’appa
rence surnaturelle de Noé subsistent. A ce titre, le Livre de Lantech
laisse entendre que l’humanité serait de la lignée des Néphilim et les
trois fils de Noé, Sem, Cham et Japhet, représentant les trois sou
ches de populations principales, se retrouveraient réunies par cette
ascendance commune. Toutefois, les réponses apportées par Hénoch
restent trop incomplètes pour affirmer l’authenticité de cette interpré
tation.
Noé, un géant
Si le problème posé par l’apparence de Noé semble résolu dans le
Livre d'Hénoch et dans son amplification, le Livre secret de Lantech,
un doute sérieux sur sa conception subsiste dans d ’autres réécritures
de son histoire.
L’historiographe Alexandre Polyhistor (Ier siècle av. J.-C.) - dont
l’œuvre est citée par Eusèbe dans sa Préparation évangélique - rap
porte deux fragments attribués à l’historien ju if Eupolcmus concer
nant l’histoire des géants (datant probablement du il* siècle).
Les deux fragments mentionnent un certain Belos présenté comme
un géant qui, à la différence des autres géants détruits par les dieux en
raison de leur impiété, aurait survécu et vécu à Babylone où il aurait
construit une tour. Bien que le texte ne spécifie pas ce qui a pu provo
quer la destruction des Géants, il semble que ce soit une allusion à la
Tour de Babel, postérieure au Déluge. Or, pour Loren Stuckenbruck1,
le géant Belos ne serait autre que le personnage de Noé, ce qui expli
querait la survivance des Géants après la catastrophe sous leur forme
corporelle. Dans le Codex Panopolitanus, ces géants, issus d ’unions
illégitimes, reçoivent l’épithète péjorative de « bâtards».
1. Voir bibliographie.
L es a u t r es a p o c r y p h e s 89
L e Te s t a m en t d ’A m r a m
L'influence perse
Un petit détour par le zoroastrisme s’impose. Comme l’essénisme, le
zoroastrisme perse, créé et prophétisé par Zarathoustra1 (Zoroastre
chez les Grecs), reconnaît tout un panthéon d ’Anges. Ce sont les
1. Scion la mythologie perse, il aurait vécu entre l’an -1000 et l’an -400
90 N é p h il im
L e s Te s t a m en ts d es d o u ze P a t r ia r c h e s
Cette œuvre rapporte les paroles des douze fils du patriarche biblique
Jacob, le petit-fils d Abraham. Com posés au cours du n* siècle
avant J.-C., les Testaments ont été copiés de siècle en siècle. Le corpus
était donc connu par de nombreux codex avant que ne surviennent
les documents de Qumrân. Le mythe de la chute des Anges y est
mentionné à deux reprises : dans le Testament de Ruben et dans le
Testament de Nephtali.
Le Testament de Ruben V, 6 -7
Dans ce passage, Ruben, le fils aîné de Jacob, le frère de Joseph, invite
ses enfants à fuir la fornication. Pour cela, ils doivent «commander
à leurs femmes et à leurs filles de ne pas orner leur tête et leur visage
dans le but de tromper les cœurs, parce que toute femme qui use de
tes artifices est vouée à un châtiment éternel». Immédiatement après,
l’auteur introduit un passage relatif aux Veilleurs :
«C ’est ainsi quelles séduisirent les Veilleurs qui existaient avant le
Déluge. Ils les regardaient continuellement, un désir réciproque
naquit et les Veilleurs eurent une idée de l’acte; ils prirent une forme
humaine et apparurent aux femmes, alors qu’elles s’unissaient à leurs
époux. Quant à elles, elles désirèrent par la pensée ces apparitions et
mirent au monde des géants, car la taille des Veilleurs leur avait paru
atteindre le ciel. »
Tout ce développement témoigne de la misogynie foncière qui exis
tait chez les Esséniens. Les bene Elohim de la Genèse sont certes ici bien
identifiés aux Veilleurs. Mais nous voyons bien dans cet extrait que ce
sont les femmes qui sont fautives. Ce sont elles qui ont tenté et amené
les Anges à la luxure, minimisant ainsi la culpabilité des êtres célestes.
Mais observons la démarche de l’auteur : par pudeur, il se refuse
à imaginer une véritable scène sexuelle entre les femmes et les Anges.
C ’est par la seule et unique force du fantasme et par la seule vision
92 N é p h ilim
des Veilleurs que les Géants vont naître! La conception des Géants
n’y est pas charnelle. Les Anges sc déguisent en êtres humains, ce
qui n’est sans évoquer les métamorphoses des dieux dans la littérature
gréco-latine. Encore une fois, on ne peut que se rappeler les métamor
phoses animales de Zeus : l’épisode de ses amours avec Io, la jeune
fille d ’Argos, qui engendra un fils Épaphos, non par un acte sexuel,
mais par le biais du toucher et du souffle de Zeus. 1 Les Grecs avaient
eu le souci de montrer que les dieux peuvent agir sans s’astreindre aux
servitudes des hommes.
1 'A p o c a l y p s e de Baruch
Le D o cu m en t de D am as
1. Texte de la Bible en hébreu, compilé par les Massorètcs entre le vu4 siècle et le
X e siècle et imposé comme la norme.
94 N é p h il im
Quelles sont les leçons à tirer de l’histoire des Veilleurs? Ils sont
tombés parce qu’ils n’ont pas gardé les commandements :
« Ils tombèrent les Veilleurs du ciel, parce qu’ils n’avaient pas garde
les com m andem ents de Dieu. Et leurs fils, dont la hauteur égalait
l’élévation des cèdres et dont les corps étaient com m e les montagnes,
à cause de cela, ils tombèrent. »
L e K ebra N a g a st
1. Genizah : lieu de dépôt des manuscrits sacrés devenus inutilisables par l’usure; ces
documents ne devaient pas être détruits par l’homme ou les bêtes.
2. Langue parlée en Ethiopie jusqu'au xiv* siècle.
L es autres apocryphes 95
jours fascinés par le mythe, seize siècles après son apparition ! Ce qu’il
importe de noter ici, c’est la mention qui est faite de l’énormité des
bébés Néphilim et la façon dont ils furent conçus.
«Alors [les Anges] descendirent des hauteurs du ciel et descendirent
sur terre [...] les filles de Caïn qui avaient couché avec les Anges
devinrent enceintes et ne purent accoucher et moururent. Certains
moururent dans leur ventre d’autres sortirent et fendirent le ventre
de leur mère et sortirent par leur nombril. Et lorsqu’ils étaient adoles
cents, ils devinrent des géants dont la longueur atteignit les nuages.
C’est à cause de cela et à cause des péchés qu’Egziabeher était de plus
en plus irrité contre eux et dit : “Mon esprit ne restera que 120 ans
sur eux”. Après, il extermina par l’eau du Déluge tous les pécheurs
qui n’avaient pas la foi en la parole d’Egziabcher. Or aucun mal du
Déluge ne toucha ceux qui avaient cru dans la parole de leurs pères
et qui avaient fait leur volonté mais il les sauva du déluge. Noé a
dit : “Seigneur, je crois en ta parole, montre-moi avec quoi je dois me
sauver” et il lui dit : “Tu te sauveras de l’eau avec le bois!”. Et il dit :
“Comment Seigneur?” Il dit : “Fais une arche carrée et fais-lui une
charpente et trois chambres puis enrres-y avec toute ta famille!” Il
crut la parole d’Egziabeher et agit et il fut sauvé! »
L a Vi e d ’A dam et È vf.
L’origine du mythe
L a m a tr ic e s u m é r ie n n e
L e roi d ev in
L ’a r c h é t y p e d e s A n g e s
mortelle. Mais Enlil, le chef des dieux, devient fou de rage à l’ idée
que le sang des dieux, celui des Annunaki, soit souillé à jamais par
un mariage impur avec une fille des hommes. Enlil ne tolère pas non
plus que le jeune Annunaki Martu préfère vivre libre sur terre plutôt
que de recevoir ses ordres divins. De rage, Enlil décrète qu’il effacera
de la face de la Terre tous ceux qu’il a créés.
Une fois de plus, le parallèle s’impose : les Annunaki sont compa
rables aux « Anges de Dieu » de la Genèse. Dans les deux cas de figure,
les êtres célestes transgressent un tabou : ils se souillent en descen
dant sur terre pour avoir des relations avec les femmes humaines. Les
sphères célestes et terrestres constituent deux mondes à part, séparés
par une frontière infranchissable. Les dieux sont en quelque sorte,
inaccessibles.
Le m y t h e du D éluge
L ’a n c ê t r e d es N éph ilim
L es d ém o n s h y br id es
L ’i n f l u e n c e c a n a n é e n n e
1. Rappelons que la Bible des Septante est une traduction de la Bible hébraïque en
grec, réalisée vers 270 av. J.-C.
2. La Vulgate : traduction de la Bible en latin achevée par saint Jérôme vers 405 apr.
J.-C.
L’ o r i g i n e du mythe 107
sont des dieux et non des géants qui sont le produit de cette union.
Mais l’extraordinaire appétit des dieux gracieux est à comparer à celui
des Néphilim après leur naissance. En fait, il est fort probable que
l’allusion aux serments prêtés par les Veilleurs sur le mont Hermon
est la survivance d ’un Hieros gamos' accompli en ce lieu par quelque
dieu cananéen.
L es d e m i- d ie u x g r e c s
Un mythe transgressif
L a r é b e l l io n c é l e s t e
Il est donc désormais établi que la geste des Veilleurs recouvre des
scénarios plus archaïques, qui rendent compte du désordre suscité
par une révolte individuelle ou collective. La sécession de Shemyaza
et sa rébellion contre l’autorité divine trouvent leur origine dans de
lointains mythes fondateurs du Proche-Orient, dont le matériau a été
récupéré plus tard par les Grecs. Il est difficile d ’ignorer l’influence
directe des récits grecs sur la littérature juive de la période du second
Temple. Mais, une fois de plus, le canevas qui a servi de modèle à la
révolte des Veilleurs remonte à plus loin.
Composé probablement entre 1600 et 1250 ans avant notre ère,
un vieux récit hittite appelé Le Mythe de Kumarbi, donne un compte
rendu de la rébellion d ’un jeune dieu contre le Roi du Ciel. Tout
commence par une séparation entre le Ciel et la Terre. Les anciens
dieux les ont séparés à l’aide d ’un couperet pour les établir comme
deux réalités distinctes. Tesub règne dans le Ciel. Mais le jeune dieu
Kumarbi complote contre Tesub, le Roi du Ciel, et descend de sa
résidence, plein d ’intentions rebelles. Il féconde une roche féminine
110 N éph ilim
Le m a r ia g e sa c r é
qui descendent sur terre pour s’unir aux terriennes. Au lieu d ’apporter
la fertilité et de préserver l’ordre cosmique, les unions illicites favori
sent la débauche et le désordre cosmique. La transgression sexuelle
avec les Anges est source de chaos pour les humains, d ’où la condam
nation sans appel de ces unions, car les puissances du Mal y sont à
l’œuvre. Il est de surcroît catastrophique de franchir la frontière entre
les deux mondes que tout oppose.
Le h é r o s c iv il isa t e u r
La B ible h é b r a ïq u e
L a B ible en g r ec
Tous les problèmes que nous avons évoqués dans la première partie
concernant les traductions de certains termes délicats tels que
Néphilim ou Gibborim datent de l’époque de la Septante. Mais tout
d ’abord, qu’est-ce que la Septante? La LXX, connue traditionnel
lement sous le nom de Bible des Septante, est une traduction de la
Torah en langue grecque qui aurait été réalisée par 72 rabbins à
Alexandrie, au IIIe siècle av. J.-C . Or, une légende fameuse veut que
ccs 72 érudits aient tous traduit séparément l’intégralité du texte,
et qu’au moment de comparer leurs travaux, on se soit aperçu avec
émerveillement que les 72 traductions étaient identiques.
Les Juifs résidant en Égypte à Alexandrie au troisième siècle
avant J.-C . étaient alors relativement nombreux. Ils désiraient une
traduction de la Bible dans la langue qu’ils utilisaient tous les jours :
le grec. Un document inestimable qui nous est parvenu, la Lettre
dA ’ ristée, veut que la traduction de la Bible en grec ait été entreprise
à l’ initiative de Ptolémée II Philadelphc. Il semble qu’il aurait été
utile au roi de connaître la loi de certains de ses sujets.
Depuis l’exil, la Diaspora avait en effet provoqué l’apparition de
communautés juives autour de la Méditerranée, particulièrement à
Alexandrie autour du Palais Royal, suite à la conquête de l’Égypte
par Alexandre. Surtout, il faut savoir qu’une partie du culte syna-
gogal était public, et que les Juifs laissaient lire leurs textes aux
païens au lieu de les réserver à leurs initiés comme le faisaient
d ’autres religions.
116 N éphilim
L ’i n t e r p r é t a t i o n m é t a p h y siq u e
L ’a p p r o c h e h isto riq ue
Avec Flavius Josèphe, nous avançons un peu dans le temps. Ses prises
de position vont nous permettre de comprendre pourquoi le flotte
ment interprétatif et doctrinal va perdurer longtemps chez les chré
tiens. Nous sommes en 93 après J.-C., soit un peu plus de vingt après
la grande catastrophe historique de 70. Dans les Antiquités juives,
Flavius Josèphe, ancien prêtre de Jérusalem émigré à Rome, raconte
en une fabuleuse saga épique de vingt livres, l’histoire de son peuple
depuis Adam, en insistant tout particulièrement sur l’Exil. Comme
pour son confrère transfuge Philon d ’Alexandrie, sa culture biblique
et son attachement au peuple juif alimentent sa pensée universaliste.
L’ e x é g è s e rabbiniq ue 119
1. Rappelons que les traductions grecques officielles que nous connaissons sont posté
rieures à celles de Josèphe, quelles ont parfois meme utilisées.
120 N éph ilim
L a c o n d a m n a t io n fatale
Ce n’est que vers la fin du Ier siècle et au début du IIe siècle de notre
ère qu’est attestée la collection de vingt-quatre livres faisant autorité
dans les communautés juives. Ce recueil, appelé le TaNaKh, com
prend les cinq livres de la Torah, les huit Livres des Prophètes et les
Hagiographes.
Mais c’est beaucoup plus tardivement, entre les VI I e et X e siècles,
que les Massorètes, des rabbins érudits d ’une école de Tibériade,
reprennent ce canon pour constituer la Massorah («tradition»), qui
devient l’édition de référence des écritures saintes du judaïsme. Les
spécialistes faisaient remonter jusqu’alors les plus anciens manuscrits
de ce texte massorétique au Xe siècle apr. J.-C .1. Or, à Qumrân, aussi
surprenant que cela puisse paraître, deux cent trente manuscrits ont
révélé une variété insoupçonnée de livres sacrés juifs datant d ’avant la
constitution du canon du TaNaKh.
Que s’est-il donc passé pendant ce laps de temps ? Apparemment,
parmi les textes bibliques de Qumran, plus de la moitié n’ont pas reçu
la caution rabbinique, raison pour laquelle ils ne figurent pas dans la
Bible hébraïque. Rappelons à nouveau qu’on nomme les manuscrits
« apocryphes » quand la preuve de leur authenticité n’est pas faite, ou
«pseudépigraphes», quand ils portent la signature fictive d ’un person
nage cminent. Certains de ces textes figuraient pourtant au sommaire
de la Septante et se retrouveront dans le canon de la Bible chrétienne
sous le titre de livres deutérocanonùjues, les «livres qui appartiennent
I. Le codex d’Alep et le codex de Léningrad étaient jusqu’en 1947 les deux plus anci
ennes versions de la Bible hébraïque.
L’ e x é g è s e rabbiniq ue 123
La g u e r r e c o n t r e les A nges
L e s r é v i s e u r s d e l a SE PTA N TE
La B ib l e a r a m é e n n e
Le Targum N eofiti1
L’interprétation du Targum Neofiti demeure plus proche du texte mas-
sorétique et ne contient plus aucune mention de la chute des Anges :
L’exégèse chrétienne
L es a po lo g ist es g r ec s
Considéré comme une hérésie, qui connaît son âge d ’or aux 11e et
IIIe siècles, le gnosticisme se révèle une tentative de mêler la Révéla
tion chrétienne à la sagesse orientale, pythagoricienne et ésotérique.
Le danger est réel. Pourquoi? Parce qu’il n’est rien moins que l’intru
sion d ’une doctrine entièrement nouvelle dans la foi chrétienne. Une
des preuves les plus manifestes de cette menace, c’est précisément la
déformation des idées chrétiennes sur les Anges et les diables dans la
spéculation gnostique1.
Si cette spéculation est combattue par les chrétiens dans ce quelle
a de plus extrême, elle a aussi influencé le christianisme, notamment
l’école d ’A lexandrie et l’Apôtre Paul. Jusqu’au x x c siècle, les seuls
témoignages de ces gnoses étaient des passages retranscrits par les
Pères. Mais en 1946, tout a changé. Car, cette année-là, soit un an
seulement avant les decouvertes de Qumrân, les archéologues ont fait
une autre découverte fabuleuse : toute une bibliothèque chrétienne
gnostique très ancienne a été mise à jour à Nag Hammadi, en haute
L es pa r tisa n s de la t h e s e s u r n a t u r e l l e
L ’e m p ire d ém o n iaq u e
« D ep u is cette époque lointaine, ces dém ons m auvais
[...] ont pollué tout à la fois les fem m es et corrom pu les
hommes. »
Justin , Première Apologie.
L a c o n d a m n a tio n d u p a g a n is m e
Tous les apologistes du second siècle semblent alors s’accorder sur
un point : la constitution d ’une démonologie constitue un argument
de poids dans la défense du christianisme. Parce que curieusement,
comme nous l’avons vu, dans le discours de ces derniers, la vie et
les enseignements du fondateur de la nouvelle religion sont complète
ment passés sous silence. Si le christianisme apparaît souvent comme
une synthèse de la philosophie grecque et des traditions religieuses
de l’époque, le Christ y est défini avant tout comme la «Raison
incarnée», le Logos.
Corollaire logique de la diabolisation du monde : le paganisme
apparaît comme une de ses manifestations les plus évidentes.
Clément d ’Alexandrie (150-220), un des Pères érudits de l’Église du
second siècle, un savant nourri de toute la culture grecque, reste très
catégorique sur l’action des démons. Dans son oeuvre Les Stromates,
une réfutation des hérésies, il rappelle que ce sont l’incontinence, la
cupidité et la volupté qui ont précipité certains Anges du ciel sur la
terre. Ils ont abandonné la beauté de Dieu pour la beauté éphémère,
communiquant aux femmes des secrets que les autres Anges cachaient
ou plutôt réservaient pour les temps de l’avènement de Dieu.
Dans son Protreptique, Clément relance la polémique contre les
dieux païens. I.’érudit d ’Alexandrie y dénonce les débauches de la
mythologie, particulièrement les aventures homosexuelles de Zeus
avec Ganymède : une façon détournée de condamner les amours
d ’Hadrien avec Antinoüs, mœurs immorales qui, selon lui, renvoient
aux pratiques démoniaques. Dans une féroce diatribe, il accuse Zeus
d ’etre «injuste, violateur des lois et des droits, impie, inhumain, vio
lent, séducteur, adultère, incestueux...». Ce dieu trahit en quelque
sorte ses origines sordides d ’Ange déchu. Il agit comme les empereurs
qui le représentent et apparaît comme le pire d ’entre eux.
Pour Clément, il va de soi que de telles passions démasquent les
véritables inspirateurs de la conduite des êtres humains et des empe
reurs en particulier : les Anges déchus. Dans cette dénonciation
outrancière, Clément va jusqu’à accuser de corruption les poètes qui
propagent la mythologie païenne.
Peu après, un disciple de Clément, Origène (185-253), prend le
relais. Il succède à Clément à la tête de la Didascalée, l’école théolo
L’ e x é g è se c h r é t ie n n e 139
gique d ’Alexandrie. Mais très vite, ses excès agacent, notamment parce
qu’il s’est volontairement châtré. Au final, sa rigidité de principes et
de mœurs lui vaut de se voir excommunié par ses amis alexandrins. Il
entreprend alors une œuvre colossale : les Hexaples, fameuse Bible en
six colonnes qui comprend la version hébraïque, sa translittération en
grec, la Septante, ainsi que les révisions grecques d ’Aquila, de Theodo-
tien, de Symmaque, et de Quinta.
Mais ce n’est pas tout. Origène est le premier grand exégète chré
tien à distinguer trois niveaux de lecture : littéral, moral et spiri
tuel. Or, il va s’appuyer sur ce dernier niveau particulièrement pour
reprendre la tradition de l’allégorie de Philon. À ses yeux, seul ce
niveau spirituel permet de comprendre le sens caché, sens par lequel
Dieu parle véritablement, même si l’allégorie, ouverte à toutes les
interprétations, présente de ce fait de réels dangers.
Au début de son Péri Archôn (Les premiers principes du christia
nisme), Origène note que, quoique l’existence des Anges soit une doc
trine spécifiquement chrétienne, l’Église ne s’est pas attachée à définir
leur nature. Selon lui, si un homme est digne de la présence des bons
Anges, ceux-ci l’assistent et lui inspirent de bonnes pensées. Mais si ce
dernier atteint la perfection, les Anges ne sont plus nécessaires, car le
Christ prend leur place.
Contre Celse, sa dernière œuvre composée en 248, est une réfuta
tion d ’un discours diffamatoire de Celse, un philosophe païen féro
cement antichrérien. Origène y relit l’épisode de la chute des Anges
de manière allégorique. Il y voit des âmes, qu’il dénomme les fils de
Dieu, désireuses de s’unir à des corps humains, les filles de l ’homme.
Dans cette perspective, les fils de Dieu désignent bien des êtres spiri
tuels et non des hommes. Si, à la différence des hommes, les Anges
n’ont pas de corps de vile matière, mais des corps célestes, éthérés et
purs, l’incorporéité reste pour lui une prérogative de la seule Trinité.
Les Anges déchus sont devenus des démons à cause de leur orgueil
et leurs corps ont perdu leurs anciennes propriétés éthcrécs. Mais, au
bout du compte, son propos se veut rassurant : Satan et les siens ne
peuvent exercer leur puissance sur ceux qui les repoussent.
À vrai dire, son point de vue continue d ’être largement partagé
par ses confrères quelques années plus tard. Eusèbe de Césarée (265-
340) ne manque pas d ’assimiler les dieux païens aux démons de la
140 N é p h ilim
Les démons
* Les êtres qu’ils avaient engendrés, n’étant ni anges ni
hom m es... ».
Lactancc, Les Institutions divines.
1. Un défenseur de la foi.
L’ e x é g è s e c h r é t ie n n e 141
I. Lichen dont on extrayait une matière colorante pour teindre les étoffes en violet.
L’e x é g è s e c h r é t ie n n e 143
La chute des Anges a bien pour origine leur union avec des
femmes, mais également leur révolte et leur refus de vérité. Mais en
définitive, pour le théologien de Lyon, une seule chose reste à retenir :
le Verbe est l’être qui récapitule tout ce qui est dans le ciel, sur la terre
et dans les enfers.
Nous sommes maintenant à la moitié du quatrième siècle : le siècle
des premiers conciles oecuméniques de l’Église, de la conversion de
l’Empereur Constantin puis de celle d ’Augustin.
De plus en plus contestée, l’histoire de la chute des Anges reste
malgré tout un argument de poids dans la bouche de Saint-Ambroise
(340-397), ancien avocat consacre évêque par acclamation du peuple
de Milan. Soucieux de la rectitude de la foi et de la paix sociale, il
144 N é p h il im
U n e q u estion e m b arrassan te
Mais peu à peu, les mentalités changent et la question de la chute des
Anges, sans être encore directement contestée, devient un sujet sen
sible, sur lequel il sera désormais difficile de s’exprimer.
C ’est à la suite d ’une brouille avec sa famille fortunée que saint
Jérôme (326-420) décide d ’aller vivre en ermite dans le désert de Syrie
a v a n t de se faire o r d o n n e r p rêtre. S o n n o m re ste a tta c h é à u n e œ u v re
marquante : une traduction latine de la Bible connue sous le nom de
Vulgate achevée en 405 au terme de quinze ans de labeur intense.
1. Adeptes de l’arianisme, hérésie chrétienne. Pour Arius, Jésus est subordonné à son
créateur.
L’ e x é g è s e c h r é t ie n n e 145
L es pa r tisa n s d e la t h è se r a t io n n e l l e
L a théorie Séthite
Jules l’Africain est le premier auteur chrétien à tenter de rationaliser
l’histoire des Néphilim. Mais qui est Jules l’Africain ? Ne aux environs
de 180 et mort vers 250 après J.-C., il est considéré comme un émi
nent historien, auteur d ’une Chronographie en cinq livres, dont il ne
nous reste que quelques fragments. Il est le premier à avoir établi une
histoire chronologique du christianisme depuis la création supposée
du monde jusqu’au règne d ’Héliogabale (218-222). Mais si son fait de
gloire reste d ’avoir fixé la date de naissance de Jésus au 25 décembre,
il est aussi le père d ’uuc ilicoric fameuse dite «théorie séthite», qui
s’est avérée être capitale dans le processus de rationalisation.
Suivons sa démarche. Dans le second livre de sa Chronographie,
Jules l’Africain choisit de comprendre Bene Elohim dans le sens de
«souverains étrangers» ou de «juges», négligeant le fait que l’expres
sion est également utilisée pour désigner les êtres célestes ou les Anges.
148 N é p h il im
Pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, alors même qu’il
cherche à rationaliser l’histoire grâce à cette idée ingénieuse, Jules
l’A fricain continue de raconter la première version telle quelle est
transmise depuis des siècles, preuve de l’extrême popularité de ce
récit. En parlant des Anges, il affirme que :
« C ’est de leur union avec celles-ci que naquirent les N ép h ilim qui,
par leurs crim es d o n t ils rem plirent l ’univers, em m en èren t D ieu à
décréter la d estru ctio n p a r le D élu g e d e toute la perfide race des
vivants. »
Mais les choses n’en restent pas là. L’ultime coup de génie de Julius
Africanus consiste alors dans la rédaction du Livre de la Caverne aux
Trésors. Dans cet opus fabuleux, il va oser défaire l’interprétation
classique du passage énigmatique de Genèse 6, 1-4 en inventant une
fiction afin de légitimer sa théorie Séthite et de rationaliser définitive
ment le vieux mythe biblique.
Dans le Livre de la Caverne aux Trésors, les fils de Dieu ne sont
plus des Anges ténébreux mais les fils de Seth : une communauté
d ’hommes et de femmes vertueux résidant sur la Montagne de Dieu,
au-delà des Portes du Paradis par où avaient été expulsés Adam et
Ève. Parmi les fils de Seth, vivent des patriarches antédiluviens fami
liers, tels que Jared, Hénoch, Mathusalem et Lamech. La Caverne
aux Trésors renferme les Trois Dons de Dieu : trois cassettes d ’encens,
d ’or et de myrrhe que doivent garder Israël et Juda jusqu’au jour de la
Nativité. Dans les plaines vit un peuple plus primitif non guidé par
L’ e x é g è s e c h r é t ie n n e 149
L a c o n d am n atio n d e sa in t A u g u stin
« Les A nges, étant des esprits, peuvent-ils avoir des rap
ports charnels avec les fem m es ? »
Saint Augustin, La Cité de Dieu, XV, 22.
1. Ermites
150 N ép h il im
• C in q u iè m e te m p s : les a p o c ry p h e s n ’o n t a u c u n e au to rité.
L e p éch é o rig in e l
À l ’o r ig in e p o u r l ’É g lis e p r im it iv e , le s é v e n tu e ls r e s p o n s a b le s d e
l ’e x iste n c e d u m a l s u r T e rre so n t au n o m b re d e tro is : È v c , les A n g e s
révoltés, o u l’ h y p o th è se a u d a c ie u se d ’u n D ie u m a u v a is.
À l ’é p o q u e d ’A u g u stin , l ’É g lise ex clu t la version d e s A n g e s R e b e lle s
a fin d e r e p o u s s e r la m e n a c e g n o s t i q u e ; il n e re ste p lu s p o u r in n o
cen ter D ie u q u ’u n seu l c o u p a b le q u i a u r a it p e rd u l ’e n se m b le d e l’h u
m a n ité : Ève.
S a in t A u g u s t in e st le p r e m ie r à e m p lo y e r l ’e x p r e s s io n « p é c h é
o r ig in e l» , d o n t le c o u p le d ’A d a m e t È v e se ra it se u l r e sp o n sa b le . A u
c o n c ile d e C a r t h a g e in itié p a r A u g u s t in en 4 17, le p é c h é o rig in e l
d e v ie n t u n d o g m e . L a g r a n d e id é e d ’A u g u s t in , o b sé d é p a r la se x u a
lité, c ’e st q u e d e p u is la C h u te , la n a tu re h u m a in e e st c o r r o m p u e p a r
les p é c h é s d ’o r g u e il et d e c o n c u p isc e n c e ; l ’ h o m m e n e p e u t ê tre sau v é
d u p é c h é q u e p a r la g râc e . A d a m a été en réalité le seu l h o m m e libre
d e so n c h o ix , ce q u i im p liq u e q u e les h o m m e s é ta ie n t d o n c to u s p ré
se n ts en A d a m .
A vec A u g u s t in , la n a tu r e h u m a in e e st v iciée p a r le p é c h é o rig in e l,
d ’o ù la g r a n d e d é fia n c e à l ’é g a r d d e la n a tu r e h u m a in e c o r r o m p u e .
O r, le Catéchisme de l ’église catholique d e 1997, so u tie n t e n co re p a r la
v o ix d e Je a n - P a u l II : « la R é v é la tio n n o u s d o n n e la c e r titu d e d e foi
q u e to u te l ’ h isto ire h u m a in e est m a r q u é e p a r la fa u te o rig in e lle libre
m e n t c o m m is e p a r n o s p re m ie rs p a r e n ts. » A p r è s d e u x m illé n a ir e s,
n o u s v iv o n s e n co re d a n s l ’ère d e c u lp a b ilité in itiée p a r l ’ in te rp ré ta tio n
d e sa in t A u g u s tin .
L a ch u te des A n ges
P a t r ia r c h e d ’A le x a n d r ie , g r a n d p o u r f e n d e u r d ’ h é r é s ie s , C y r ille
d ’A le x a n d r ie ( 3 7 6 - 4 4 4 ) e st c o n sid é r é c o m m e u n d e s p lu s illu stre s
d o c te u rs d e l ’É g lise . P o u r ta n t, c e te m p é r a m e n t d ic ta to ria l a c o n trib u é
à p e rsé c u te r s a in t J e a n C h r y s o s t o m e , à fa ire fe rm e r le s é g lise s d e s
sc h ism a tiq u e s d ’A le x a n d r ie e t à c h a sse r les J u if s d e c e tte ville.
154 N é p h ilim
Le blasphème
Jean Chrysostome est le premier à s’engouffrer dans la brèche ouverte
par Augustin. Surnommé «saint Jean Bouche d ’or» en raison de
scs exceptionnels talents oratoires, il est né vers 350 à Antioche. La
légende rapporte sa retraite dans les montagnes environnantes pen
dant quatre ans avec un vieux moine syrien pour maître. Il aurait
ensuite passé deux ans seul dans une grotte avec la lecture et la mémo
risation des Écritures pour principale occupation avant de devenir
archevêque de Constantinople.
L’ e x é g è s e c h r é t ie n n e 155
L'hérésie
Mais l’histoire ne se termine pas là. Ce que Jean Chrysostomc et
Césaire ont dénommé un « blasphème », c’est-à-dire une insulte à la
divinité, Philastre de Brescia1, va l’appeler une «hérésie», c’est-à-dire
une déclaration contre la foi, ce qui est beaucoup plus grave.
Dans son célèbre Livre des hérésies composé en 325, l’année du pre
mier concile de Nicée, il consacre un chapitre aux Néphilim intitulé :
« Sur les Géants au temps de Noé». D ’une certaine manière, Philastre
se livre à une relecture de l’histoire. Le célèbre Nemrod, auteur légen
daire de la fameuse tour de Babel considéré par la tradition comme le
premier Néphil né après le Déluge, serait né non pas d ’un esprit, mais
d ’un homme. Certes, précise Philastre, les mauvais Anges, n’étant pas
de même nature que les humains, peuvent s’introduire dans l’homme
pour le pousser au Mal. Néanmoins, affirmer que les Anges ont péché
en accomplissant l’acte charnel est une violence faite à l’histoire.
Aux yeux de Philastre, admettre le péché des Anges revient
à admettre les mensonges des païens qui montrent les dieux et les
déesses se métamorphosant pour contracter des alliances coupables.
Et la censure tombe comme un couperet. Non seulement Philastre
condamne la lecture du Livre d ’Hénoch, mais il parvient de surcroît
à le faire interdire. C ’est ainsi que le Livre d ’Hénoch devient un livre
hérétique mis à l’index, ce qui le fait tomber dans l’oubli pendant
1 400 ans.
Cette décision sera bientôt entérinée lors de l’établissement défi
nitif du canon chrétien à la fin du quatrième siècle, lors des synodes
de Carthage de 397 et 419. Dès lors, le canon qui était resté «ouvert»
jusque-là, devint un canon « fermé » et les textes qui ne font pas auto
rité sont rejetés et interdits.
1. Voir p. 53-54.
L’ e x é g è s e c h r é t ie n n e 157
1. Cf. Bibliographie.
L’e x é g è s e ch rétien n e 159
L a ch u te d e S a ta n
Si les Anges n’ont pas fauté avec les filles des hommes et s’ils n’ont pas
désobéi, comment alors expliquer l’origine du Mal sur Terre ? Cette
question cruciale va déboucher sur une solution nouvelle : l’avène
ment progressif d ’un nouveau mythe. En effet, le récit de la chute
des Veilleurs va se voir supplanter par un récit concurrent : celui de
la chute de Satan. Que raconte donc ce mythe de substitution ? Sous
l’impulsion de Satan, les Anges orgueilleux ont chuté dès la création
de l’homme, en refusant d ’adorer en Adam la créature faite à l’image
de Dieu. Ce mythe où la chute des Anges cmmcncc par l’orgueilleux
Lucifer, précède celle d ’A dam et Ève, va s’imposer et évincer dans
la littérature ecclésiastique le mythe des Anges épris des filles des
160 N éphilim
hommes. Une des raisons de ce triomphe est que ce récit permet d ’ex
pliquer la présence du serpent tentateur dans le jardin d ’Éden.
Mais d ’où provient ce second mythe? Il est en fait issu de livres
apocryphes du Ier siècle avant notre ère. Ce sont les Livres d A ’ dam,
textes dont subsistent des versions syriaques, arméniennes, éthio
piennes et slavoniques. Pour la première fois, le lien est établi entre
le serpent tentateur d ’Ève et Satan. L’idée générale est au fond toute
simple : la rébellion de Satan est duc à la jalousie : créé avant Adam et
Èvc, il refuse d ’adorer ceux-ci. Ce qu’on appelle la chute du diable par
le péché d ’orgueil va être si largement diffusée, qu’il va être adopté
tant par le christianisme que par l’Islam.
Désormais, les pères de l’Église vont privilégier le second mythe.
C ’est le cas de Grégoire le Grand. Devenu pape en 590, Grégoire i",
dit le Grand, est, avec saint Ambroise, saint Augustin et saint Jérôme,
l’un des quatre Pères de l’Église d ’Occident, dont l’influence a été
considérable durant le Moyen-âge. Dans ses Morales sur Job, Grégoire
reprend l’idée que Satan est le premier et le plus grand des Anges.
Déchu à cause de son orgueil, il a conservé sa nature angélique mais
a perdu sa félicité. Il erre désormais à travers le monde pour tenter
les hommes. Conséquence immédiate : le péché d ’orgueil devient le
péché le plus réprouvé, détrônant le péché de luxure qui avait conduit
les Veilleurs à la chute.
Peu à peu, par souci de cohérence théologique, le mythe s’étoffe.
Au v iii * siècle, dans La Source de la connaissance, un classique de la
théologie de l’Église d ’Orient, Jean Damascène insiste sur l’idée que
le diable a fait un libre choix en reniant sa nature profonde. Une
multitude infinie d ’Anges qui sont sous ses ordres l’ont suivi dans
sa révolte. Cette chute a été pour les démons ce qu’est la mort pour
l’ homme : ne pouvant plus se repentir, ils se sont destinés au feu
éternel. Tout mal et toute passion dérivent d eux. Cependant, ils n’ont
de puissance sur les hommes et les choses que pour autant que Dieu
le permet et ils n’ont aucune connaissance de l’avenir. Bref, la spécula
tion théologique relative à la chute d ’Adam et Ève, dans la continuité
de celle de Satan, permer d ’évacuer définitivement l’histoire par trop
gênante de la descente d ’une multitude d ’Anges sur terre.
L’ex ég èse ch rétien n e 161
L e cu lte d es A nges
Mais l’histoire ne s’arrête pas là . Car malgré les ajustements doctri
naux, le culte des Anges poursuit sa prodigieuse expansion parmi
le peuple. En effet, à partir du V Ie siècle, les sanctuaires dédiés aux
162 N éphilim
1. Forme de magie qui permet de se mettre en rapport avec des puissances célestes
bénéfiques.
L’ e x é g è s e ch rétien n e 163
L es d érives d u m ythe
Comment croire que l’histoire des Anges déchus et des Néphilim ait
pu être à l’origine de l’abominable chasse aux sorcières qui a frappé
l ’Europe du XIVe au x v f siècle? C ’est pourtant ce qui s’est passé,
occasionnant la mort de milliers d ’innocents accusés à tort de prati
ques diaboliques. Mais comment en est-on arrivé à une pareille folie
meurtrière? L’histoire des Anges rebelles et de leur transgression avec
les filles des hommes est un des facteurs envisageables pour expliquer
le fanatisme qui s’est emparé alors de l’Église, pour laquelle le sexe
164 N éphilim
L es sec r et s de la K a bba le
extraire les noms de Dieu, des Anges et des démons, ce qui permettra
à l’adepte de contrôler l’univers. » Rappelons ici qu’un nom sacré était
censé posséder le pouvoir de construire ou de détruire un monde.
Les rabbins fidèles à la Mishna (le code officiel du judaïsme), et au
Talmud (le commentaire de la Torah) n’ont cessé d ’être hostiles à la
kabbale et de la combattre comme une hérésie. La Kabbale possédait
en effet une angélologie et une démonologie dans lesquelles puisaient
les magiciens et les philosophes occultes de différents horizons. La
Kabbale opérative, proche de la magie, devait permettre d ’effectuer
des opérations théurgiques afin de mener à bien une entreprise.
L e L iv r e h ébreu d ’H ên o ch
saires angéliques. Dieu est un Roi qui trône très au-dessus du monde
terrestre, seul derrière le Rideau qui le sépare de la sphère des Anges.
Mais Hénoch, ce personnage d ’avant le Déluge, révèle la possibilité
inouïe pour le Juste d ’atteindre dès maintenant, sans attendre la fin
des temps, une proximité totale avec la gloire divine, d ’où son «angé-
lomorphose » en Métatron —l’Hénoch transfiguré. Cette angélisation
a été considérée comme le modèle de la métamorphose des hommes
après la résurrection et apparaît d ’une certaine manière comme le
futur de l’humain.
Hénoch poursuit donc son œuvre messianique parmi les Anges.
Le Livre hébreu d ’Hénoch peur être lu comme une initiation à la
connaissance du monde angélique et comme un guide pour participer
concrètement à la vie des puissances célestes au moyen de l’invocation
des Anges dont la liste des noms est donnée ainsi que les noms secrets
de Dieu.
Ce troisième volet des aventures d’Hénoch, d ’obédience mystique,
ne mentionne plus l’épisode concernant l’égarement des Veilleurs.
Hénoch apparaît comme le prototype du Juste qui accède comme le
prophète Élie à la plus haute dignité possible pour un humain. Mais
un autre livre mythique va revenir sur l’histoire.
L e ZOH AR
L a C lé d u C ie l
Auteur du Sepher ha-Zohar, ou Livre de la Splendeur, plus couram
ment appelé le Zohar, Moïse de Léon naît autour de 1250 en Cas
tille. Il s’ intéresse à la kabbale en fréquentant les maîtres de l’Ecole
de Gérone. À Guadalajara, entre 1280 et 1286, le prolixe et génial
rabbin Moïse ben Schemtob de Léon, compose le Zohar en araméen,
mais chose étrange, il en attribue la paternité au rabbin Siméon Bar
L es A nges dans la Kabbale 171
1. Un enseignant, un répétiteur.
172 N éph ilim
L e T iqou n e H a - Z o h a r
Ce passage ne fait pas partie du Zohar proprement dit, il en est un
complément, inclus de façon erronée dans la première édition de
Mantoue en 1558, il se retrouve dans toutes les éditions postérieures.
Cet écrit est notoire pour avoir fixé les quatre niveaux de sens du
fameux Pardès (sens littéral, allégorique, explicatif et ésotérique) et
pour comporter soixante-dix exégèses différentes du mot Berechit, le
premier mot de la Genèse.
« Le grand mélange est composé de cinq espèces de peuples : les Néfilim
(ou les déchus), les Guiborim (ou les héros), les Anakim (ou les géants),
les Réfaïm (ou les ombres) et enfin les Amalékim. [...] Des Néfilim, il
est dit : “Les fils d ’Elohim virent que les filles de l’homme étaient belles”
(Gen.6,2). Ceux-là constituent le deuxième groupe du Grand Mélange,
ils émanent des déchus (néfilim) de l’En-haut. [...] Peu après, “Les fils
d ’Elohim virent les filles de l’homme”, ils les désirèrent et le Saint, Béni
soic-Il, les fit tomber dans l’En-bas, dans les chaînes. Les fils d ’Elohim se
nommaient Aza et Azaël, or les âmes du Grand Mélange procédant d eux
ce sont les Néfilim qui se firent eux-mêmes tomber en se prostituant après
les “belles” femmes. Aussi le Saint, béni soit-il, les fit-il déchoir du monde
à venir, afin qu’ils n’en aient aucune part.
Les Guiborim (ou les héros) représentent le troisième groupe constituant
le Grand-Mélange, c’est à leur propos qu’il est écrit : “Ce sont des héros,
hommes de renom” (Gen.6,4). Ils proviennent de la même souche que
les hommes de la Tour de Babel qui dirent : “Allons, construisons-nous
une ville et faisons-nous un nom !” (G en.ll, 3). Ils construisent ainsi des
synagogues et des écoles et y déposent un rouleau de la Torah avec une
couronne sur la tête; et ceci non pas au Nom de Y H V H , mais pour se
faire un nom : “Faisons-nous un nom !”
Les Refaïm (ou ombres) constituent le quatrième groupe du Grand
Mélange : s’ils voient les enfants d ’Israël en danger, ils se séparent deux,
et meme s’ils ont le pouvoir de les sauver, ils l’évitent. Ils s’écartent de la
Torah et de ceux qui l’étudient pour aller faire du bien aux idolâtres. Il
est dit à leur propos : “Les ombres (refaïm) ne se relèveront pas” (Es.26,
14).
Les Anakim (ou géants) forment le cinquième groupe du Grand-Mélange.
Ils haïssent ceux dont il est dit : “La Torah est une parure pour leur cou”
L es A n g e s d a n s la Kabbale 173
(Prov.l, 9). Il est écrit à leur sujet : “Les Refaïm sont considérés comme
des Anakim » (Deut.2, 11), ils se valent en fait.”
L e M id ra sh H a -N e e la m
C ’est un midrash occulte, qui n’apparaissait pas dans l’édition de
Mantoue, offrant un long exposé exégétique de la Genèse.
“Et les fils d ’Elohim virent les filles de l’homme” (Gen.6, 20). Qui sont
ces fils d ’Elohim? Rabbi Jérémie répondait : Il s’agit des grands de la
génération que leurs pères n’ont pas empêchés [de fauter] bien qu’ils aient
etc eux aussi les grands de leur génération. [...] À ce propos rabbi Siméon
ben Lakich déclarait : [“Les fils d ’Elohim”] sont à la fois le Satan, le pen
chant au mal et l’Ange de la mort [...]. Le texte vient nous apprendre
que : “Les déchus (nefilim) étaient sur la terre” (Gcn.6, 4). O r ceux-ci
sont Adam et sa femme qui sont tombés (nofel) sur la terre, sans pcrc
ni mère. Pourquoi ont-ils été nommés “néfilim” ? Parce qu’ils ont déchu
(nofel) du rang élevé qui était le leur; ils ont déchu par rapport à ce qu’ils
étaient auparavant. Ce sont des “ déchus” (néfilim) car ils ont été chassés
du jardin d ’Éden et n’y sont pas revenus. [...] O r qui étaient ceux qui
transgressaient? Les grands de la génération, “Les hommes de renom”
(Gen.6, 4), les notables parmi les contemporains. [...]
Rabbi Pinhas commentait le verset : “Et les fils d ’Elohim virent que les
filles de l’homme étaient parfaites” (Gcn.6,1). Qui sont les fils d ’Elohim?
Les fils des grands de leur génération. Nous apprenons que les filles de
l’homme étaient parfaites par leur beauté car le texte emploie ici le mot
“parfaites” comme dans cet autre passage “parfaites par leur grande
beauté” (IISam.11,2), Elles se promenaient nues, les hommes allaient
nus, chacun regardait le sexe de l’autre et ils forniquaient tous entre eux.
Pourquoi sont-ils appelés “fils d ’Elohim” ? Parce qu’ils étaient des géants
puissants et imposants.»
L es d ér iv es de la K a bba le c h r é t ie n n e
avatars postmodernes
du mythe
P
ar une de ces étonnantes ironies de l’histoire, on pourrait dire
que la culture de l’affirmation de soi et de l’énergie réelle, car non
canalisée, prônée par nos sociétés rationnelles en voie de déchris
tianisation manifeste en réalité le retour des Veilleurs Rebelles et des
Néphilim. En effet, leurs savoirs secrets ésotériques, tenus pour dange
reux et hérétiques au cours des siècles, ont désormais investi le secteur
du divertissement et la subculture populaire. Sorti, grâce à la diffusion
médiatique, des sphères confidentielles où il restait cantonné, l’ésoté
risme est devenu un phénomène de société exotérique qui, à travers
ses thèmes de prédilection —magie, sorcellerie, astrologie, alchimie —,
nourrit les intrigues des blockbusters à l’instar du Seigneur des Anneaux
de Peter Jackson, de la saga Harry Potter ou de Twilight, qui pulvérisent
les records du box-office.
Mieux, le rock et le black métal revendiquent ouvertement un
héritage occultiste d ’obédience sataniste, sans s’attirer les foudres de la
censure. 11 est désormais admis qu’une «part maudite» impénétrable
réside au cœur de toute création artistique. À y regarder de près, il
semblerait bien que les Néphilim ont gagné la partie : le chaos, la
crise, le non-sens et l’occulte régnent en maîtres sur la planète.
Les changements de plus en plus rapides des sociétés, les pro
grès technologiques, la disparition des grands récits d ’explication du
monde, l’angoisse de l’avenir font ressurgir le pire : la stigmatisation
arbitraire du consumérisme et de l’hédonisme des sociétés dites avan
cées, avec pour corollaire le repli identitaire et la crispation intégriste.
178 N éphilim
R o c k ’n ’r o l l e t o c c u l t i s m e
« J ’étudie la magie. »
Jimmy Page, du groupe Led Zeppelin,
in Rock & Folk, 1970.
U n g ro u p e em b lém atiq u e
Formé en 1984, Fields of the Nephilim est un groupe de rock britan
nique de tendance gothique, dont les titres d ’albums et de chansons
sont saturés de références au mythe des Néphilim, comme le prouvent
les albums lhe Nephilim en 1988, ou Fallen en 2002 et les chansons
D ead to the world, The Watchman, Back in the Gehenna, From the
fire.
Mais, au-delà de cet intertexte religieux qui relève d ’une stratégie
marketing somme toute habile, il y a plus étrange. Une section sur le
182 N éph ilim
L es je u x d e rôle
Créé en 1992, Néphilim est un jeu de rôle français occulte où les
joueurs incarnent des êtres immortels : les Kaim, les Néphilim, les
L es N éph ilim d a n s la s u b c u l t u r e po pulaire 183
L es N é p h ilim d a n s la litté ra tu re
La littérature fantastique ellc-mcmc s’est emparée du mythe des
Néphilim. La série de polars Néphilim en trois volumes (Le Syndrome
Eurydice, Anonymus, et Les Dracomaques), écrite par Fabien Clavel,
s’attache à suivre le destin d ’une poignée d ’immortels issus de l’uni
vers occulte du jeu de rôles Néphilim, sans faire référence au récit
biblique ou aux textes apocryphes.
En 2005, Kitty Lord, thriller ésotérique pour la jeunesse en quatre
volumes écrit par Mélusine Vaglio, renoue avec la trame principale de
l’histoire des Néphilim telle quelle est narrée dans les apocryphes. À
travers les aventures d ’une adolescente nommée Kitty Lord, l’intrigue
mêle l’intertexte de l'épopée des Veilleurs aux événements du monde
contemporain. Au-delà du mythe des Néphilim dont elle s’inspire, la
série Kitty Lord invite le lectorat à rêver sur les potentialités de l’être
humain, cette part invisible de nous qui, fantasmée, nous révèle nos
capacités inexploitées.
N é p h ilim et 7 a r t
Le cinéma, depuis ses origines, a souvent développé dans des oeuvres
majeures les thèmes du diable et de la sorcellerie. Mais de nouveaux
et mystérieux personnages, les Néphilim, commencent à y faire leur
186 N éphilim
Le « mega-complot » extraterrestre1
La m o u v a n c e N ew A ge
La t h é o r ie d es A n c ie n s A s t r o n a u t e s
Cette idée n’est pas neuve. Déjà à la fin du xix* siècle, la célèbre
Helena Blavatsky, fondatrice de la théosophie, choisissait de voir dans
le Livre d'Hénoch la transcription d ’un souvenir de la descente sur terre
des démiurges-civilisateurs. En fait, Erich Dàniken s’est en quelque
sorte contenté de transformer ceux-ci en cosmonautes étrangers. C ’est
à ce moment-là qu’il émet une nouvelle idée : ces cosmonautes du
passé auraient soumis des terriennes à une insémination dans le but
d ’accélérer l’évolution biologique. Ils auraient ensuite offert à leur
progéniture améliorée le don de la culture. La relation entre le mythe
des extraterrestres et celui des Néphilim est claire : sous l’appellation
d ’extraterrestres, ce sont les Néphilim qui ressurgissent.
Bref, les tenants de la théorie des anciens astronautes postulent
que des extraterrestres, en véritables démiurges des étoiles, ont créé
artificiellement l’humanité dans un lointain passé. Or, cette idée
romanesque concurrence l’hypothèse de la panspermie, une théorie
scientifique expliquant l’origine à la vie sur Terre grâce à une bac
térie extraterrestre. Aux yeux de certains, c’est pourtant le retour des
vieilles spéculations gnostiques combattues par l’Église chrétienne.
Comment rêver meilleur exemple de la survivance des croyances
occultes à travers les âges ?
Que cachent en vérité ces idées ? Dans une brillante analyse du phé
nomène de croyance aux extraterrestres, le sociologue Jean-Bruno
Renard affirme que cette croyance représente « une religion matéria
liste, dont les divinités sont des extraterrestres ». En fait, la croyance
aux extraterrestres serait la réponse matérialiste à l’angoisse athée
devant le silence et la solitude. Elle viendrait l’apaiser en peuplant de
nouvelles divinités le ciel vidé de Dieu et de ses Anges.
Dans ce dispositif, les descriptions des extraterrestres constituent
un révélateur étonnant. Ils sont supérieurs aux humains sur tous les
plans : physique, mental, spirituel, scientifique... De plus, ils présen
tent toutes les caractéristiques des divinités célestes, étant à la fois
transcendants, puisqu’ils ont créé l’espèce humaine, omniscients, leur
télépathie étant fréquemment mentionnée, bref, parfaits : ils sont sou
L e «M EG A -CO M PLO T» EXTRATERRESTRE 193
L es t h é o r ie s du c o m p l o t
Or, trente ans plus tard, la théorie des Anciens Astronautes s’est main
tenue et déplacée sur un terrain plus dangereux. En dignes succes
seurs de Dâniken, de Pauwels et de Jacques Bergicr, plusieurs auteurs
ont pris la relève du courant scientiste. Au merveilleux surnaturel des
siècles passés semble avoir succédé un merveilleux technologique. Les
extraterrestres bénéfiques - les « venusiens » - ou maléfiques - les « rep
tiliens » ou « petits Gris » - constituent une manifestation moderne
des Anges et des démons.
1. Cf. bibliographie.
194 N éphilim
L es r e l e c t u r e s d e l’ H i s t o i r e
jeunes dieux avec des femelles humaines est devenu un vrai problème
à l’époque d ’Hénoch, bien avant le Déluge. Les relations sexuelles
étaient uniquement motivées par le désir d avoir une descendance. La
Bible désigne les liaisons entre Néphilim et humaines comme l’aspect
le plus signifiant des événements qui ont amené le Déluge. Pour Sit-
chin, le héros du Déluge, Noé lui-même, était un demi-dieu.
Nombre d ’auteurs vont reprendre à leur compte les théories de
Zecharia Sitchin. Dans des exposés dépourvus d ’argumentation,
fondés sur des étymologies souvent erronées, ils vont à leur tour réé
crire l’histoire. Naturellement, une dérive majeure guette ces révi
sions : les théories conspirationnistes.
donr parle Zecharia Sitchin, des reptiles qui rappelleraient les dragons
des mythes. Ces reptiliens, descendants des Annunaki/Nephilim,
chercheraient à influencer la société humaine pour l’amener à géné
raliser des comportements liés au cerveau reptilien ; ils se nourriraient
de nos énergies négatives (la peur, l’agression, la culpabilité, ou encore
l’intolérance) à la manière des vampires.
Dès 1986, le politologue Raoul Girardet a démontré que l’explica
tion du monde comme résultant d ’une conspiration maléfique s’appuie
toujours sur les mêmes thèmes. Les comploteurs forment toujours une
organisation occulte qui agit en secret pour saper l’ordre en place et
s’assurer la domination du monde. Le processus de «démonisation»
tend à incarner ce Mal absolu sous forme d ’une bête immonde. Dans
ce bestiaire du complot, le serpent occupe la première place.
Mais afin de constater les excès de ses prises de positions, laissons
la parole à David Ickc.
«Il y a quelques années, j ’en suis arrivé au point où il me fallait
définir la structure par laquelle quelques personnes seulement contrô
lent et dirigent le monde. Il était déjà clair que ce réseau, constitué de
sociétés secrètes et de groupes clandestins qui manipulaient les insti
tutions m ondiales - politiques, affaires, banques, militaires, médias,
etc. — n’avait pas pu se constituer en quelques années, ni même en
quelques dizaines d ’années. Cela devait provenir de beaucoup plus
loin. Aussi ai-je commencé à remonter le cours de “ l ’H istoire”. »
Le gourou divinisé
Le 13 décembre 1973, le journaliste Claude Vorilhon, plus connu
sous son pseudonyme Raël, aurait été contacté par des Elohim, qui
lui auraient soufflé son nom de prophète Raël, le « messager ». L’année
suivante, dans Le Livre qui dit la vérité, il révèle que les extrater
restres l’auraient missionné pour diffuser leur message à l’huma
nité tout entière. Dcmblée, Raël fait un amalgame entre le terme
biblique Elohim, dont le pluriel peut se traduire par « les dieux», et les
extraterrestres.
Quelle est la teneur de ce message ? L’espèce humaine aurait été
créée en laboratoire et exportée sur terre voici 25 000 ans. Or, la mis
sion de Raël est de diffuser ce message afin de réunir des fonds pour
bâtir à proximité de Jérusalem une ambassade destinée à les accueillir
d ’ici à 2035.
Se proclamant issu de l’union « d ’une mère terrienne et d ’un
extraterrestre », et donc « demi-frère de Jésus », mais aussi demi-dieu,
Raël revendique aujourd’hui 55000 fidèles dans sa secte fondée au
Québec. D ’une certaine façon, Raël constituerait l’aboutissement
ultime du mythe des Néphilim, la preuve vivante de la résurgence du
mythe dans le monde postmoderne.
Or les épiphénomènes de cette résurgence ne se réduisent pas au
seul Raël. Lafayette Ron Hubbard, fondateur de l’Église de sciento
logie en 1953, postulait lui aussi que nos ancêtres avaient peut-être été
déportés depuis l’espace, échafaudant un scénario proche là encore de
la théorie des anciens astronautes.
L e «M E G A -C O M P L O T » EXTRATERRESTRE 203
La science diabolisée :
le spectre des Néphilim
H y b r id e s , c h im è r e s e t c l o n e s
Rappelons que les Néphilim sont eux-mêmes des hybrides qui ter
rifient les populations de l’époque antédiluvienne en raison de leurs
L e m y t h e d e l’h o m m e - D ie u
L es o r ig in e s h e r m é t iq u e s d e la s c ie n c e
pour évoquer les Anges. De même que Giordano Bruno, il voit lui
aussi dans la nature un réseau de forces magiques sur lesquelles les
mathématiques donnent prise.
Même Newton, cette figure majeure de la révolution scientifique
du x v iic siècle, auteur de la loi de la gravitation universelle, a subi
l’influence de l’hermétisme. Collectionneur de livres d ’alchimie,
Newton, passionné par « l ’art maudit», passe pour avoir consacré
davantage de temps et d ’énergie à ses travaux hermétiques qu’à ses
recherches mathématiques.
Comment dès lors ne pas faire le rapprochement entre ces ori
gines hermétique et magique de la science et les visions futuristes
des techno-prophètes? Il semble bien que l’irrationnel se mêle depuis
toujours à la recherche scientifique; peut-être en constitue-t-elle
le noyau obscur, le non-dit secret. La science a toujours poursuivi
le rêve d ’immortalité et celui de percer les mystères de la création
de l’univers, comme le prouvent les tentatives actuelles de résumer
en une équation ultime les lois du cosmos. En cela, la science par
ticipe à sa façon au réenchantement de l’existence tout en attestant de
l’imperfection de l’homme, exilé d an s sa condition de mortel.
La peur du n o u v el A dam
grismes dans leur sillage montre que quelque chose de beaucoup plus
inquiétant se joue de manière insidieuse.
La m o r t d f . l ’h u m a n i s m e
Po st m o d er n ism e et d ém o n ism e
La v io l e n c e in é l u c t a b l e
L es e x t r a t e r r e s t r e s e t la p sy c h a n a ly se
La c r ise d ’i d e n t i t é d u m o n d e m o d e r n e
La sc ie n c e et la r e l ig io n
L ’i l l u s i o n d es c r o y a n c es r e l ig ie u se s
L e « M ODULE » DIVIN
L ’i n t e r p r é t a t i o n p l u r ie l l e d u m o n d e
Réenchanter le monde ?
« Le m ythe est une ouverture secrète par laquelle les énergies iné
puisables du cosm os se déversent dans les entreprises créatrices de
l’homme. »
1040 av. J.- C . : les 12 tribus s’unissent sous l’autorité du roi Saul pour
combattre les Philistins.
931 av. J.-C . : le royaume se divise à la mort de Salomon.
721 av. J.-C . : occupation assyrienne. Le royaume d ’Israël subit l’assaut
des Assyriens et du roi Sargon II. Son fils Scnna Chcrib déporte les Hébreux
d ’Israël entre le Tigre et l’Euphrate.
De nouveaux venus, les Samaritains, occupent le royaume d ’Israël, ils adop
tent les préceptes de la religion hébraïque, mais sont méprisés par les Juifs du
royaume de Juda.
605 av. J.-C . s première déportation à Babylone. Le roi Nabuchodonosor
s’empare une première fois de Jérusalem. Il déporte un certain nombre d ’habi
tants dans sa capitale. Le roi de Juda, Joachim, ne supporte pas le protectorat
babylonien et complote avec les Egyptiens.
597 av. J.-C . : deuxièm e déportation. Huit ans plus tard, Nabuchodo
nosor revient en force à Jérusalem. Il procède à une deuxième déportation,
limitée à la famille du roi de Juda et à son entourage. A Babylone, le roi déchu
est logé au palais royal.
587-538 av. J.-C . : destruction du Tem ple; l ’exil. Nabuchodonosor place
sur le trône Sédécias, fils d ’un ancien roi de Juda. Mais celui-ci forme une coa
lition avec les Égyptiens et les habitants de Tyr. Nabuchodonosor prend Jéru
salem une troisième fois. Le roi Sédécias est capturé, aveuglé et jeté au cachot
en Babylonie. Lors de cette troisième occupation, le Temple de Salomon est
détruit. Toute la population juive de Jérusalem est chassée du pays.
A Babylone, les Juifs gagnent en prospérité et la religion israélite s'affermit.
Au bout de cinquante ans, Cyrus 1er, roi des Perses, conquiert la Babylonie et
une partie de la diaspora choisit de retourner en Judée tout en demeurant sous
la tutelle des Perses.
238 N é p h il im
Ou vrages généraux :
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B erti Giordano, 2000, Les M ondes de l'au-delà, Gründ.
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G a u c h et Marcel, 1985. Le Désenchantement du monde, Folio Essais, Gallimard.
240 N é p h il im
Extraits du L iv re d ’H énoch
Les Anges s’unissent aux filles des hommes (chap.6)
En ccs tcmps-là, quand l’humanitc sc fut multipliée, les femmes donnèrent
naissance à de très belles filles. Les Anges, fils des cicux, les virent et eurent
envie d ’elles. Ils se dirent : «Allons-y, choisissons-nous des femmes parmi les
humains et faisons-leur des enfants ! » Leur chef Shemyaza eut pourtant un
doute sur leur détermination : «Je ne suis pas certain que vous voulez vraiment
le faire; et je serai le seul alors à être responsable de cette formidable transgres
sion ». M ais les Anges le rassurèrent : « Shemyaza, nous allons te prêter serment
et te jurer que nous allons vraiment le faire. Nous ne changerons pas d ’avis. Et
soyons maudits si nous ne respectons pas notre promesse».
Alors, tous ensemble, ils se prêtèrent mutuellement serment et s’engagèrent
les uns envers les autres à se maudire s’ ils ne respectaient leur engagement. Ils
étaient 200 en tout. Ils descendirent sur Ardis, le sommet du mont Hermon,
baptisé ainsi à cause de leur sermon. Voici les chefs : Shemyaza, le premier; il y
avait aussi Arakib, Aramiel, Kokabiel, Tamiel, Ramiel, Daniel, Ezéqicl, Bara-
qiel, Azael, Armaros, Batariel, Ananiel, Zaqilé, Samsapccl, Sataricl, Touriel,
Yomeyal et Arazeyal, les chefs des dizaines.
corrompue par les Anges déchus, que Raphaël la guérisse et qu’il annonce cette
guérison afin que les humains soignent leurs blessures. Ainsi ils échapperont
à la perdition provoquée par tous les mystères que les Anges, dont la mission
était de veiller, ont révélés aux hommes. La Terre entière a été pervertie par la
science d ’Azazel. C ’est donc lui qui en porte la responsabilité.
À Gabriel, l’Être Suprême dit : * Rends-toi auprès de ces bâtards de géants
dépravés, de ces condamnés, de ces fils de prostituées et fais-les disparaître.
Chasse-les, renvoie-les. Ils s’entre-tueront et leur vie sera courte. N ’accorde à
leurs pères rien de ce qu’ils te demanderont car ils espèrent pour eux la vie
éternelle ou au moins cinq cents ans. »
Enfin, Dieu s’adressa à Michaël : «va enchaîner Shemyaza avec ses compa
gnons. Ils ont couché avec des femmes. Dans ce contact avec des êtres multidi
mensionnels, ils se sont dénaturés.
Lorsque tous leurs enfants se seront égorgés et qu’ils auront vu de leurs yeux
la destruction de leurs êtres chers, ligote-les pour 70 générations et mets-les
dans des grottes jusqu’à ce qu’ils soient jugés, condamnés et que ce jugement
éternel soit épuisé.
À ce moment-là, ils seront emmenés dans un abîme de feu dont ils éprouve
ront les tourments et ils y seront enfermés pour toujours. Et si quelqu’un meurt
sous le coup d ’une condamnation, il sera dès lors enchaîné avec eux jusqu’à
épuisement des générations.
Détruis donc les âmes qui se sont vouées aux plaisirs, ainsi que les enfants
de ceux dont la mission était de veiller, car ils ont fait du mal aux hommes.
Fais disparaître toute violence de la surface de la Terre ; fais cesser toute
oeuvre de destruction ; fais en sorte que la justice et la vérité se développent et
soient bénies. On agira alors conformément à ce qui doit être, conformément à
la vérité, dans la joie et pour toujours. À partir de là, tous les êtres qui obéissent
aux lois universelles échapperont au mal et resteront en vie jusqu’à ce qu’ ils
aient donné vie à mille enfants. Ils conserveront leur jeunesse et, même âgés,
ils connaitront la paix. [...]
Vous donc, des êtres saints, de nature éthérée et participant de la vie éter
nelle, vous vous êtes abaissés dans le contact avec le sang des femmes et vous
avez engendré avec le sang de la chair. Conformément aux nécessités de ce sang,
vous avez éprouvé du désir et avez reproduit de la chair et du sang, comme le
font les mortels.
C ’est pourquoi j’ai donné des femmes à ces derniers afin qu’ils les fécon
dent, en aient des enfants et qu’ainsi soit maintenu le cycle de la vie.
M ais vous, vous étiez à l’origine des êtres spirituels, participant de la vie
éternelle, immortels à tous les cycles de la création. C ’est pour cela que je ne
vous ai pas attribué de femmes car le séjour des êtres éthérés se trouve dans le
ciel.
Et maintenant les géants, nés des Anges et de la chair, seront appelés sur la
Terre des esprits mauvais et c’est sur Terre qu’ils séjourneront.
Des esprits mauvais sont sortis de la chair de ces géants parce qu’ils sont le
fruit de l’union d ’humains et de saints gardiens du ciel.
Quant aux êtres éthérés, leur demeure est dans le ciel ; mais ceux qui ont été
engendrés sur Terre doivent y rester.
Et les géants, les Néphilim, qui sévissent, détruisent, combattent et détrui
sent la Terre y semant la mort, ils ne mangent pas tout en éprouvant faim et
soif.
Ils se dresseront contre les enfants des hommes et contre les femmes car ils
proviennent d ’elles.
Ceux dont la mission était de veiller sur le ciel seront punis pour avoir com
muniqué aux hommes un secret funeste (chap. 16)
Quand les géants seront détruits, quand leurs esprits sortiront des âmes qui
animent leur corps, ils répandront le mal impunément. Et ce, jusqu’au jour où
le grand jugement s’accomplira, où les temps prendront fin. Tout cela arrivera à
cause des Anges et des impies. Et maintenant, dis à ces Anges qui t’ont envoyé
supplier en leur faveur, eux qui autrefois habitaient dans le ciel, dis-leur ceci :
« Il y a peu, vous étiez dans le ciel ; à ce moment-là, tous les secrets ne vous
avaient pas encore été révélés; vous n’avez eu connaissance que d ’une infime
partie des mystères. Dans rendurcissement de votre coeur, vous l’avez commu
niqué aux femmes et par l’entremise de ce mystère les hommes et les femmes
ont multiplié le mal sur Terre. Dis-leur donc que, pour eux, il n’y aura plus de
paix. »
pour quelle soit autant bouleversée ? Penses-tu que je vais périr moi aussi ? »
Soudain, il y eut sur la Terre un grand tremblement et une voix se fit
entendre du ciel. Noé se prosterna aussitôt.
Son grand-père arriva et lui parla : Noé, pourquoi une telle tristesse ?
Alors un ordre se fit entendre à propos des habitants de la Terre afin que
leur fin s’accomplisse car ils connaissaient les secrets des Anges, leur violence et
meme leurs sortilèges qui leur ont permis de découvrir la métallurgie. Ils ont
appris à extraire l’argent à partir du minerai de la Terre et à le fondre. Le plomb
et la Terre ne sont pas nés de la Terre comme l’argent, ils proviennent d ’une
source gardée par un Ange prééminent.
Hénoch prit Noé par la main et le releva en disant : pars car j’ai interrogé
Dieu au sujet de ces secousses et voici son message :
«C es secousses sont dues au fait que les hommes n’ont pas suivi le chemin.
Je ne changerai pas d ’avis. Ils seront tués à cause des pratiques de sorcellerie
qu’ils ont voulu apprendre. Quant aux Anges responsables, il n’y aura pas de
repentir pour eux : ils ont condamné les hommes en les contaminant. Mais en
ce qui te concerne mon fils, l’Esprit sait que tu es innocent. II a renforcé ton
nom au milieu des saints et il te préservera parmi les habitants de la Terre. Il
aidera ta lignée à respecter les lois divines afin qu’elle accède à la royauté et aux
grands honneurs. Et elle sera à l’origine d ’une multitude d ’hommes justes et de
saints de génération en génération. »
blanc que la neige et plus rose que la rose. Ses cheveux sont blancs comme de
la laine et ses yeux luisent comme les rayons du Soleil. Quand il les a ouverts,
la maison en a été toute illuminée. Il s’est levé des mains de la sage-femme, a
ouvert la bouche pour bénir le Maître du ciel. Son père Lamech en a été très
effrayé et il s’est enfui vers moi. Il croit que cet enfant n’est pas de lui mais qu’il
est l’image des Anges du ciel. Me voici, je suis venu vers toi pour que tu me
fasses connaître la vérité.
Alors je lui répondis, moi, Hénoch, en ces termes : le Maître absolu accom
plira de nouvelles choses sur la Terre. J ’ai déjà vu cela dans mes visions et t’ai
fait connaître qu’au temps de mon père Jared certains êtres célestes ont trans
gressé la parole du Maître. Transgresser la loi est une faute grave : ils se sont
unis à des femmes, avec elles ils ont commis un acte criminel, les épousant et
en ayant des enfants. C ’est pourquoi il y aura une grande destruction sur toute
la Terre; un déluge d ’eau détruira tout pendant une année. M ais cet enfant
qui est né parmi vous restera sur Terre et ses trois enfants seront sauvés avec
lui tandis que tous les autres hommes mourront. Oui, ses enfants et lui seront
sauvés. Sur Terre, les Anges déchus mettent au monde des géants, issus non de
l’esprit mais de la chair. Aussi, il y aura sur Terre un grand châtiment, elle sera
purifiée de toute corruption. Maintenant, va annoncer à ton fils, Lamech, que
son enfant est vraiment de lui et donne-lui le nom de Noé, car il survivra, et
ses enfants et lui seront sauvés de la destruction. Après cela, une transgression
plus grande que celle qui s’est d ’abord accomplie sur Terre se produira. Je sais,
en effet, les mystères des saints car le Maître me les a montrés; ils sont inscrits
dans les archives du ciel et je les y ai lus. »
Ils se Tenaient debout à la tête de mon lit et ont commencé par m ’appeler
par mon nom, «Hénoch, H énoch... »
Alors je sortis doucement de mon sommeil, ce qui me permit de mieux les
dévisager.
Je les ai salués tout en étant terrorisé. Seule la peur devait se voir sur mon
visage, car ils me dirent :
«Aie du courage Hénoch et surtout n’aic pas peur. Dieu l’Éternel nous a
envoyé chez toi. Réjouis-toi car aujourd’hui tu visiteras son Royaume. M ais
auparavant, tu vas laisser des instructions à tes enfants et à ta famille. Dis-lcur
ce qu’ils doivent faire en ton absence et explique-leur que personne ne doit
chercher à te voir en attendant que le Seigneur te renvoie à nouveau chez toi. »
Je me suis empressé de leur obéir. J ’ai quitté ma maison pour me rendre
chez mes enfants Mathusalcm, Rcgim et G aiad à qui j ’ai expliqué ce que vou
laient ces deux Anges.
In t r o d u c t io n 7
P R E M IÈ R E P A R T IE
L’ O R I G I N E D U M A L
AU C O M M E N C E M E N T , LE CH A O S 17
L’apparition 17
Les « Fils de Dieu » 20
L’énigme 22
Les géants de Canaan 23
Les tribus 26
L ’h i s t o i r e c a c h é e 30
Qumran, printemps 1947 31
Les Esséniens 32
Les courants religieux en Judée 33
Les mystères de la grotte 33
Une période trouble 35
Les apocryphes 37
L’Apocalypse 38
La croyance aux Anges 39
Le Livre d ’Hénoch 42
Le livre maudit 43
La quête du livre perdu 44
Le cycle d ’Hénoch 47
La franc-maçonnerie 49
Le héros mythique 50
Les Veilleurs 53
252 N éphilim
D E U X I È M E P A R T IE
LE S Q U E R E L L E S E X É G É T IQ U E S
1 . L ’o r i g i n e d u m y t h e 99
La matrice sumérienne 100
Le roi devin 100
L’archétype des Anges 101
Le mythe du Déluge 102
L’ancêtre des Néphilim 103
Les démons hybrides 105
L’influence cananéenne 106
Les demi-dieux grecs 107
2. U n m y t h e t r a n s g r e s s if 109
La rébellion céleste 109
Le mariage sacré 111
Le héros civilisateur 112
3. L ’e x é g è s e r a b b i n i q u e 114
La Bible hébraïque 11 4
La Bible en grec 115
L’interprétation métaphysique 11 6
L’approche historique 11 8
La condamnation fatale 120
La constitution de la Bible 122
La guerre contre les Anges 123
Les réviseurs de la Septante 124
La Bible araméenne 125
Le Targum Yerushalmi I, dit du Pseudo-Jonathan 126
Le Targum Neofiti 126
4 . L ’e x é g è s e c h r é t i e n n e 129
Les apologistes grecs 130
Combattre les hérésies 131
Les partisans de la these surnaturelle 134
L'empire démoniaque 135
La condamnation du paganisme 138
Les démons 140
La stigmatisation des femmes 141
La culpabilité des Anges 142
Une question embarrassante 144
254 N éphilim
T R O I S I È M E P A R T IE :
L E S A V A TA R S P O S T M O D E R N E S D U M Y T H E
1. L es N é p h il im dans la su b c u lt u r e p o p u l a ir e 179
Rock’n’roll et occultisme 179
Un groupe emblématique 181
Les jeux de rôle 182
Les demi-dieux dans la bande dessinée 183
Les Néphilim dans la littérature 185
Néphilim et 7 art 185
2. Le «M E G A -C O M P LO T * EXTRATERRESTRE 189
La mouvance New Age 190
Table des matières 255
Jean-Christophe Crangé
C Corinne VagliD
6905236 19,90€
ISBN : 978-2-200-24843-7
^ A R M A N D C O L IN