Tracfin Analyse 2015
Tracfin Analyse 2015
Tracfin Analyse 2015
TRACFIN Traitement
du Renseignement
et Action
contre
les Circuits
FINanciers
clandestins
SOMMAIRE
INTRODUCTION 5
LE FINANCEMENT DU TERRORISME 15
LA CARACTÉRISATION DE LA MENACE 15
LA CORRUPTION 26
LES COMPTES BANCAIRES : CIRCUITS DE COLLECTE ET D’ÉVASION DE FONDS BANCAIRES VERS L’ÉTRANGER 42
LA PHASE D’INTÉGRATION 51
LE CROWDFUNDING 64
LE CROWDFUNDING ET LA FRAUDE 65
LE PAIEMENT MOBILE 66
CONCLUSION 73
MENACE, VULNÉRABILITÉ ET CONSÉQUENCES :
LES TROIS CONCEPTS QUI SOUS-TENDENT L’ÉVALUATION DES RISQUES
La recommandation 1 des normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de
capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération édictées par le Groupe
d’action financière (GAFI) précise que « les pays devraient identifier, évaluer et comprendre
les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme auxquels ils sont
exposés et devraient prendre des mesures, parmi lesquelles la désignation d’une autorité
ou d’un mécanisme pour coordonner les actions d’évaluation des risques, et mobiliser des
ressources, afin de s’assurer que les risques sont efficacement atténués. Sur la base de
cette évaluation, les pays devraient appliquer une approche fondée sur les risques pour
s’assurer que les mesures de prévention et d’atténuation du blanchiment de capitaux et du
financement du terrorisme sont à la mesure des risques identifiés. […] »
Les lignes directrices du GAFI, publiées en février 2013, précisent les concepts et la
méthodologie d’évaluation nationale des risques de blanchiment de capitaux et de
financement du terrorisme. Il s’agit d’un processus qui vise à identifier, analyser et
comprendre les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme
afin de mieux les prévenir. Le résultat de cette évaluation n’est pas figé mais doit être
régulièrement actualisé.
Les vulnérabilités sont l’ensemble des facteurs structurels et institutionnels qui rendent
attractives la réalisation d’une infraction et l’opération de blanchiment de capitaux ou
de financement du terrorisme qui lui est liée. Les vulnérabilités sont inhérentes aux
caractéristiques structurelles d’un pays et de sa place financière. Elles sont liées aux
dispositifs juridiques, pratiques et instruments utilisés dans un secteur d‘activité donné.
Des scénarios sont élaborés afin d’associer à une menace l’utilisation d’une vulnérabilité.
Les conséquences de ces scénarios sont évaluées pour mesurer l’efficacité et la
proportionnalité des mesures de prévention et d’atténuation mises en œuvre. Si besoin,
ces dernières seront adaptées et modifiées.
La démarche d’évaluation annuelle des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme par
Tracfin procède de la déclinaison, à l’échelle du Service, de l’exigence portée par la recommandation 1 des stan-
dards du GAFI qui spécifie que « les pays devraient identifier, évaluer et comprendre les risques de blanchiment de
capitaux et de financement du terrorisme auxquels ils sont exposés […]1 ». La recommandation 1 précise égale-
ment que « les pays devraient obliger les institutions financières et les entreprises et professions non financières
désignées à identifier et évaluer leurs risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et à
prendre des mesures efficaces pour les atténuer2 ».
Tracfin fonde son évaluation des risques sur deux sources principales : les informations qu’il reçoit des personnes
spécifiquement désignées dans le cadre du code monétaire et financier d’une part, et les renseignements finan-
ciers transmis par les autres services d’autre part. Le recoupement des informations reçues et traitées par le Ser-
vice avec les produits issus de la veille sur sources externes ouvertes et fermées vient enrichir le processus.
L’exigence d’évaluation nationale des risques est reprise par l’article 7 de la directive 2015/849 (dite 4e Directive) 5
relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement
du terrorisme. L’article 8 de cette directive précise que les États membres doivent s’assurer de la mise en œuvre par
les professionnels déclarants d’une démarche d’évaluation des risques tenant compte, entre autres, de facteurs de
risques tels que la nature de la clientèle, de critères géographiques, de la nature des services, produits, transac-
tions ou des canaux de distribution.
Afin de fournir des éléments susceptibles d’aiguiller les professionnels déclarants dans cette démarche, Tracfin
diffuse des typologies sur son site Internet et dans ses publications, conduit des actions de sensibilisation et
effectue régulièrement une évaluation des risques dont les principales conclusions sont communiquées dans le
cadre du présent rapport annuel d’analyse.
1 GAFI : Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération, Les
Recommandations du GAFI, février 2012.
2 Ibid.
3 GAFI : FATF guidance : National Money Laundering and Terrorist Financing Risk Assessment, février 2013.
6
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
ANALYSE DU FLUX
DÉCLARATIF EN 2015 : 7
UN VOLUME DE
DÉCLARATIONS DE
SOUPÇON EN FORTE
HAUSSE, POUR UNE
QUALITÉ PERFECTIBLE TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
Sur le plan quantitatif, le flux déclaratif a connu une hausse sensible en 2015, reflétant les
mêmes tendances qu’en 2014. Tracfin a reçu 45 266 informations en 2015, contre 38 419
en 2014, soit une hausse de 18 %. Parmi ces informations, 43 231 sont des déclarations de
soupçon émanant des déclarants du secteur privé. Les autres proviennent des administra-
tions partenaires de Tracfin, des autorités de contrôle des professionnels soumis au dispo-
sitif et des cellules de renseignement financier étrangères.
Sur le plan qualitatif, les analyses effectuées par les déclarants restent largement perfec-
tibles. Par rapport au volume d’informations reçues par Tracfin, un trop grand nombre de
déclarations de soupçon demeurent incomplètes et témoignent d’un faible niveau d’ana-
lyse, voire d’une absence de soupçon apparent.
La qualité du processus d’analyse repose non seulement sur le volume, mais surtout sur la
diversité et la qualité des informations recueillies par le Service. Un signalement pertinent
doit inclure :
• une claire identification de la personne physique ou morale objet du soupçon et des élé-
8 ments démontrant la connaissance de la personne par le déclarant (KYC) ;
• un exposé des faits étayé caractérisant le doute exprimé par le professionnel déclarant ;
• une quantification des mouvements financiers qui distingue les opérations au débit et au
crédit ainsi que le support utilisé ;
Une analyse détaillée du flux déclaratif par profession l’attestent plusieurs dossiers médiatisés relatifs aux
assujettie est disponible dans le Rapport Annuel d’Acti- ports francs ou à l’utilisation de trusts. Le marché de
vité 2015 de Tracfin, disponible en ligne (www.econo- l’art est également exposé au risque de financement du
mie.gouv.fr/tracfin/rapports-annuels). terrorisme du fait du pillage des antiquités sur les sites
archéologiques situés en zone de guerre au Proche et
Du point de vue qualitatif, les déclarations émanant du
au Moyen-Orient. Des procédures de vigilance adaptées
secteur bancaire constituent la principale source d’in-
seraient les bienvenues.
formation de Tracfin. Elles portent en majorité sur des
dossiers de montant moyen ou faible, issus des réseaux • Malgré des efforts récents, les experts-comptables
de distribution des banques de détail, alors que les mé- et les commissaires aux comptes demeurent faiblement
tiers de la banque de financement, de la banque privée mobilisés au regard de l’enjeu central et permanent
et des activités de marché restent en retrait. De même, que constituent dans les schémas de blanchiment la
les métiers de la gestion d’actif (entreprises d’investis- fausse facturation et les faux contrats d’achat/vente
sement, conseillers en investissement financier, socié- de marchandises ou de prestations de service.
tés de gestion de portefeuille) apparaissent peu mobi-
• De même, les sociétés de domiciliation déclarent
lisés au regard des montants de capitaux gérés.
très peu alors que les sociétés domiciliées sont omni-
Certaines professions, comme les changeurs manuels présentes dans les schémas de collecte et d’évasion de 9
ou les casinos, ont fait des efforts quantitatifs, avec fonds frauduleux.
des hausses de respectivement 50 % et 56 % du nombre
• La profession des avocats reste également, par
de déclarations transmises en 2015. Mais le contenu
principe, rétive au dispositif français de lutte contre
comme la qualité de ces déclarations restent perfec-
le blanchiment de capitaux. La gestion des comptes
tibles au regard de la sensibilité de ces professions en
professionnels de certains cabinets d’avocat au sein
matière de lutte contre le blanchiment et le finance-
des Caisses des Règlements Pécuniaires des Avocats
ment du terrorisme (LCB/FT).
(CARPA)reste à l’écart du dispositif LCB/FT.
Parmi les professions non financières, les profession-
• Les agents sportifs ne transmettent aucune décla-
nels ayant fourni en 2015 un réel effort quantitatif et
ration. Le secteur, à l’échelle internationale, est
qualitatif sont les administrateurs judiciaires et man-
connu pour être perméable aux intérêts criminels. Les
dataires judiciaires.
transferts de joueurs entre clubs de football peuvent
À l’inverse, plusieurs professions non financières restent constituer un outil de détournement et de blanchi-
trop en retrait, voire absentes, alors qu’elles font face à ment de capitaux massif, à la disposition des organi-
des risques élevés en matière de fraude, de blanchiment sations criminelles.
de capitaux et de financement du terrorisme.
1 2 3 4 5 6 7
Valorisations
Escroqueries
Mode de vie
Stratégique
TD, espèces
Corruption
Terrorisme
Logistique, transport : fret routier, maritime, aérien X
Import/export : textile, articles de mode ou d’aménagement de la maison,
X X X
agroalimentaire
Commerce de gros et de détail, distribution X X X
Concessionnaires de voitures de luxe, achat/revente de véhicules
X X
d’occasion, location de voitures
CHR : Cafés-bars, Hôtels, Restaurants et établissements de nuit X X X
Secteur des jeux : casinos, jeux en ligne, paris sportifs et hippiques X X X
Promotion immobilière et marchands de biens X X X 11
BTP X X X X
Services aux collectivités : traitement des déchets, traitement de l’eau,
X
chauffage
Offices publics de gestion de l’habitat social (HLM) et leurs sous-traitants X
Services aux entreprises : sécurité privée, gardiennage, nettoyage X X
Environnement et transition énergétique : éolien, photovoltaïque,
X
pompes à chaleur, recyclage de métaux
Vente de matériels informatiques et de téléphonie mobile, de cartes
X X X X X
téléphoniques prépayées, de services sur mobiles
Pharmacie, matériel médical et services paramédicaux
X X
(en lien avec les mutuelles et les organismes de sécurité sociale)
Secteur de la formation professionnelle et de l’accès à l’emploi X X
Communication : médias, évènementiel
X X
Centrales d’achat d’espaces publicitaires
Production audiovisuelle et négociation de droits, production de
X X X
spectacle vivant
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
12
CINQ TYPES DE MENACES
IDENTIFIÉES EN MATIÈRE 13
DE DÉLINQUANCE
FINANCIÈRE
Tracfin, à partir de l’information qu’il reçoit des déclarants, identifie cinq types principaux
de menaces sur le système français : la menace terroriste et son financement, qui a marqué
l’année 2015, les menaces criminelles, la corruption, la fraude fiscale et sociale, ainsi que
les escroqueries non liées à des réseaux criminels.
14
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
LE FINANCEMENT DU TERRORISME
L’année 2015 constitue une année marquante pour Trac- Le financement des individus en
fin en raison du changement de dimension de la menace partance pour le djihad (FTF : Foreign
terroriste à la suite des attentats de janvier et de no- Terrorist Fighters)
vembre 2015 à Paris, et de la priorité absolue donnée
à la lutte contre le terrorisme et son financement. Cet Tracfin analyse et exploite toutes les opérations per-
impératif s’est traduit par le renforcement des moyens mettant de préciser un soupçon de départ vers des
mis à disposition du Service et un approfondissement de zones de conflit ou un retour sur le territoire national :
son intégration dans la communauté du renseignement. ainsi, tout élément concernant la vie des comptes ban-
caires ou de paiement, les instruments associés et les
données recueillies lors des transactions sont suscep-
LA CARACTÉRISATION tibles de présenter un intérêt dans le cadre de la détec-
DE LA MENACE tion des personnes préparant un départ ou un retour.
ainsi que des transferts d’espèces liés à la vente de à connaître du cas d’individus utilisant leurs comptes
biens contrefaits. Dans le cas du crédit à la consomma- de paiement en ligne pour acheter des articles laissant
tion, les critères d’alerte sont les suivants : envisager la possible préparation d’un acte terroriste
sur le territoire national1.
• le retrait en espèces du montant du crédit ;
• l’utilisation des fonds en inadéquation avec la raison
invoquée lors de la souscription du crédit ;
• la multiplication de crédits de faible montant auprès 1 Articles suspects tels que des masques, des vestes larges ou des
outils mobiles répartiteurs d’électricité, potentiellement utilisables
de différents établissements. pour la fabrication d’engins explosifs.
Les collecteurs de fonds • Certaines d’entre elles, ancrées dans l’humanitaire,
bénéficient de financements publics.
Tracfin est amené à enquêter sur les opérations aty- • Elles présentent un fonctionnement financier
piques de transmission de fonds en espèces initiées opaque. Arguant de l’absence de système bancaire
depuis le territoire national. Celles-ci convergent vers fiable en zone de guerre, les dirigeants de ces asso-
des individus agissant comme collecteurs, établis le ciations multiplient les retraits en espèces à hauteur
plus souvent dans des pays relais ou à proximité des de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de
zones de conflit. milliers d’euros en cumulé. Les déclarations fron-
talières de capitaux à la sortie du territoire ne sont
Le financement des associations pas systématiquement effectuées, et l’utilisation des
à visées radicales fonds en zone de conflit est difficilement vérifiable.
• Elles se soutiennent financièrement par des vire-
L’attention de Tracfin est régulièrement attirée sur des
ments croisés, parfois entre associations de sensibi-
associations non gouvernementales à but humanitaire
lité différente. Ces soutiens financiers peuvent per-
ou culturel, soupçonnées de financer des réseaux ter-
mettre à des associations fortement radicalisées de
roristes. La plupart apportent officiellement une aide
contrôler indirectement d’autres associations plus
logistique aux populations situées en zone de conflit.
modérées.
Ces associations présentent des caractéristiques Qu’il s’agisse de réseaux de collecteurs de fonds ou du
communes : détournement d’associations à visée humanitaire, les
• Elles sont de création récente, postérieure à 2011, collectes de fonds s’opèrent de plus en plus à travers les
année marquée par les premières manifestations des plateformes de financement participatif recueillant des 17
« printemps arabes » et le début de la guerre civile dons sur internet, et les sites de cagnottes en ligne (cf.
syrienne. Depuis, elles ont pu élargir leur champ partie 4 sur les risques émergents liés aux nouvelles
d’action à d’autres zones géographiques, au Proche- technologies).
Orient, au Maghreb ou en Afrique sub-saharienne.
• Elles effectuent des actions variées : fourniture de Le financement de DAECH
médicaments, de matériel humanitaire (tentes, cou-
vertures), de denrées alimentaires non périssables, Tracfin contribue aux échanges internationaux sur le
voire envoi d’animaux vivants (ovins) pour la célé- financement de DAECH en zone syro-irakienne, tel qu’il
bration de fêtes religieuses. est décrit par les études du GAFI2 et plusieurs publi-
cations spécialisées. Ce financement s’appuie sur plu-
• Elles utilisent internet et les réseaux sociaux pour
sieurs canaux :
déployer des techniques de marketing innovantes
et efficaces, et collecter des dons. Les contributeurs • le pillage des ressources bancaires locales ;
utilisent notamment des cartes pré-payées et des • l’extorsion de fonds des populations locales et le
comptes PayPal. détournement des aumônes religieuses, souvent exi-
• Si les montants unitaires des dons collectés gées en nature ;
auprès de ressortissants français ou européens • la contrebande de pétrole, essentiellement tiré des
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
restent modestes, leur cumul permet à ces asso- puits de la région de Deir Ez-Zor, et la taxation des
ciations de gérer des capitaux atteignant plu- ventes de produits pétroliers aux populations locales
sieurs millions d’euros. et aux intermédiaires ;
• La gestion de la trésorerie de ces associations paraît • l’exploitation et la revente de matières premières
peu cohérente avec les buts humanitaires affichés. agricoles telles que le coton ;
Elles conservent des soldes bancaires élevés et
• la contrebande d’antiquités ;
tardent à les affecter aux besoins réels des popula-
tions déshéritées.
2 GAFI : Financing of the Terrorist Organization Islamic State in Iraq
and the Levant, février 2015.
• les donations à titre privé, en provenance de parti- gnement financier grâce à la cellule de renseignement
culiers, le plus souvent fortunés et résidant dans des financier (CRF) et à son expertise en la matière.
pays du Golfe Persique.
Cette nouvelle dimension dans l’action constitue incon-
En 2015, le Service est intervenu dans de nombreuses testablement un élément marquant de l’année 2015.
rencontres internationales, multilatérales ou bilaté-
L’approfondissement des liens avec les CRF étrangères
rales pour présenter le travail de Tracfin en matière de
est une constante et s’est concrétisé en particulier avec
lutte contre le financement du terrorisme et échanger
la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et les États-Unis.
avec ses homologues étrangers : GAFI ; groupe Egmont ;
sommet Union Européenne – États-Unis organisé par le Après les attentats de janvier 2015, Tracfin a bénéficié
Service Européen d’Action Extérieure. d’un renfort pluri-annuel de 10 emplois dont 6 en 2015
et 4 en 2016. Ce renforcement opérationnel a donné lieu
Un rapport du GAFI sur les risques émergents en ma-
à la mise en place, à compter du 1er octobre 2015, d’une
tière de financement du terrorisme, co-rédigé par la
division entièrement dédiée à la lutte contre le finance-
France et les États-Unis avec la contribution d’une
ment du terrorisme (LFT). Il se traduit dans les données
trentaine de délégations du GAFI, a été publié au mois
chiffrées du bilan d’activité : 534 dossiers LFT (119 % de
d’octobre 20153.
plus qu’en 2014) ont été traités, sans compter les cri-
blages multiples ; 179 notes d’informations LFT (130 %
LE RENFORCEMENT de plus qu’en 2014) ont été transmises aux services spé-
DU DISPOSITIF NATIONAL cialisés partenaires ou à l’autorité judiciaire.
DE LUTTE CONTRE
18 LA MENACE TERRORISTE Mesures normatives et législatives
En termes de criminalité financière, sur la base de l’en- Les escroqueries aux faux ordres
semble des informations reçues par Tracfin et des inves- de virement (FOVI)
tigations réalisées, le Service identifie quatre menaces
principales pesant sur le système français : Les escroqueries aux ordres de virement SEPA sont
apparues en 2010. En France, elles ont atteint un pic
• les réseaux affairistes spécialisés dans les escroque-
en 2013-2014, mais perdurent depuis à des niveaux
ries financières de grande envergure ;
élevés. Les services judiciaires spécialisés ont dénom-
• les réseaux de fraude installés au sein des commu- bré en cinq ans, de 2011 à 2015, plus de 1 550 sociétés
nautés asiatiques ; victimes, certaines ayant subi plusieurs tentatives. Le
• le blanchiment du produit des trafics de stupéfiants ; préjudice global était estimé fin 2015 à environ 500
• le grand banditisme historique. millions d’euros, les tentatives représentant plus de
860 millions d’euros.
Certains de ces réseaux prospèrent depuis cinq ans sur Le hacking a permis de modifier leur mode opératoire
les escroqueries aux ordres de virement SEPA, égale- en envoyant directement aux entreprises visées des
ment appelées faux ordres de virements ou FOVI, et les courriers à en-tête de leurs fournisseurs habituels,
escroqueries aux sites non régulés de trading d’options informant d’une réorganisation du service comptable
binaires, le plus souvent sur le marché des changes et d’un changement de coordonnées bancaires dudit
(forex). fournisseur, pour demander à l’entreprise cible de
verser désormais les paiements des factures sur un
nouveau RIB. Ce dernier correspond en réalité à un
compte bancaire ouvert à l’étranger par les escrocs. ser selon les marchés internationaux, dans un délai de
Le hacking permet également, après envoi d’un lien temps très court (quelques minutes). Si le client prédit
relié à un logiciel espion, d’inviter les victimes à se correctement, il fait un bénéfice d’un certain pourcen-
connecter à leur portail bancaire pour leur subtiliser tage, et la compagnie perd de l’argent. Si le client se
leurs identifiants et codes d’accès internet, permet- trompe, il perd tout l’argent placé sur la transaction et
tant aux escrocs de libeller eux-mêmes des ordres de la compagnie le garde. Contrairement à d’autres types
virement à leur profit. de contrats d’options, les options binaires présentent
un risque très élevé car elles forment des propositions
Les fonds sont virés vers des comptes rebond ouverts
de type « tout ou rien ». Or aucun financier ne peut
au nom de sociétés taxi dans l’ensemble de l’Europe, et
prédire l’évolution du prix d’un actif dans un délai de
plus particulièrement en Europe de l’Est. Les fonds sont
temps aussi bref. Plutôt qu’un investissement, la tran-
ensuite transférés vers la Chine ou vers Hong Kong où ils
saction n’est rien d‘autre qu’un pari.
peuvent être définitivement blanchis avant d’être réin-
vestis dans plusieurs directions, telles que des investis- Les auteurs de ces escroqueries mettent en place des
sements immobiliers autour du bassin méditerranéen. call-centers dans lesquels ils forment le personnel à dé-
marcher les particuliers de manière offensive. Les pre-
En 2015, Tracfin a reçu une centaine de signalements.
miers placements se révèlent en général positifs pour
En bonne articulation opérationnelle avec les ser-
mettre le client en confiance. Puis viennent les pre-
vices de police judiciaire, le Service a souvent été en
mières pertes. Les opérateurs téléphoniques doivent
mesure de bloquer ou récupérer les fonds auprès de
alors convaincre le client de continuer à investir afin
banques étrangères grâce à la rapidité et à la qua-
d’effacer ses gains et de revenir en situation de plus-
lité de la coopération internationale entre CRF. Pour
value. Dans les faits, la valeur du portefeuille du client 21
permettre un éventuel blocage de fonds, Tracfin rap-
ne s’améliore pas.
pelle la nécessité pour les victimes de déposer plainte
immédiatement, et la possibilité pour leur banque de Les clients n’ont jamais été informés des risques parti-
transmettre aussi rapidement que possible une décla- culièrement élevés des produits financiers qui leur ont
ration de soupçon au Service. été proposés. De plus, sur de nombreux sites, le jeu est
faussé. Le paiement potentiel pour une prédiction cor-
Il convient de souligner une évolution des profils des
recte est calculé pour minimiser les pertes de la com-
victimes vers des entreprises de plus petite dimension,
pagnie. Si un actif se comporte de manière trop prévi-
voire des établissements publics, notamment du sec-
sible, la compagnie retire cet actif de la plateforme en
teur de la santé.
ligne. Dans certaines compagnies d’options binaires, la
plateforme est manipulée pour fournir de faux résul-
Les escroqueries aux sites non régulés tats qui assurent à coup sûr la perte des clients.
de trading d’options binaires
La possibilité pour les clients de retirer leur argent est
Selon les services judiciaires spécialisés, les escroque- rendue extrêmement difficile, et en pratique impos-
ries aux sites non régulés de trading d’options binaires, sible. Les compagnies réclament à plusieurs reprises
principalement sur le marché des changes (forex), au- des documents ou des pièces justificatives complémen-
raient généré, à fin 2015 en France, plus de 200 mil- taires pour ne pas payer, jusqu’à ce que les appels des
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
lions d’euros de préjudice au détriment de plusieurs clients ne soient même plus pris et leur compte fermé,
milliers de victimes françaises. À l’échelle mondiale, les sans que ceux-ci n’aient récupéré leurs fonds.
revenus annuels dépasseraient le milliard de dollars. Il existerait plusieurs centaine de compagnies de ce type.
Les escrocs achètent ou créent des sites de trading Beaucoup ne sont pas régulées par des autorités de mar-
par internet, qui proposent des placements sur des ché. Certaines sont immatriculées dans des juridictions
produits de marché. Les clients se connectent sur une de l’Union Européenne où la régulation est particulière-
plateforme de transactions en ligne. Ils placent de ment faible, mais qui leur donne le droit de vendre leurs
l’argent sur une prédiction selon laquelle le prix d’un produits dans tous les pays de l’Union Européenne, selon
actif, le plus souvent une devise, va augmenter ou bais- le régime de la libre prestation de service. Depuis 2013,
les États-Unis ont interdit la vente d’options binaires à dite loi Sapin II, inclut une mesure visant à interdire la
leurs citoyens, sauf pour quelques échanges régulés. publicité sur les produits les plus risqués.
• le nombre de sites non autorisés répertoriés sur les Les réseaux de fraude implantés au sein des commu-
listes noires publiées par l’ACPR et l’AMF est passé de nautés asiatiques conjuguent des activités légales
4 sites en 2010 à 380 sites à fin mars 2016 ; (import-export, textile, agro-alimentaire), des fraudes
fiscales et sociales (fraude douanière, dissimulation de
• le nombre de réclamations effectuées auprès de
chiffre d’affaires, fraudes à la TVA, travail clandestin,
l’AMF est passé de 64 en 2010 à 1 656 en 2015 ;
fraude aux organismes sociaux), et des activités illé-
• le sujet des sites de trading frauduleux représen- gales (contrefaçon, immigration clandestine, prosti-
tait 41 % des 14 500 appels reçus en 2015 par la tution, blanchiment et exercice illégal de la profession
22
plateforme Assurance Banque Epargne Info Service d’intermédiaire en opérations de banque et en services
(plate-forme conjointe mise en place par l’ACPR, la de paiement).
Banque de France et l’AMF)
Ils sont particulièrement implantés au sein des
• 75 plaintes ont été traitées par la DGCCRF en 2015 ; plateformes de fret et des zones marchandes qui
• 44 % des nouvelles publicités sur internet sur les pla- concentrent grossistes et sociétés d’import/export de
cements financiers en 2015 sont des publicités pour produits asiatiques. Une partie notable des volumes
le trading très spéculatif. de marchandises importées, contrefaites ou non, n’est
Selon l’AMF, les clients ont enregistré 175 millions pas déclarée en douane. Cette part est estimée entre
d’euros de pertes contre 13 millions d’euros de gains 20 % et 40 % des volumes totaux. Ces marchandises
sur 4 ans. Sur les plateformes autorisées, 90 % d’entre sont revendues hors comptabilité, sans TVA ni charges
eux sont perdants. Sur les plateformes non autorisées, sociales, générant de grandes quantités de liquidités.
100 % des clients sont perdants. Dans plusieurs de ces zones marchandes européennes,
Tracfin traite régulièrement de tels cas de sites frau- les flux issus de ces fraudes douanières et fiscales ont
duleux, pour des montants détournés variant en 2015 été estimés par différents services judiciaires à plus
entre deux cent mille et plus de trois millions d’euros. d’un million d’euros par jour dans chacune de ces
places, soit des flux annuels de plusieurs milliards
Cette infraction, qui était initialement considérée d’euros de l’Europe vers l’Asie.
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
Les moyens sont parfois conjugués : des porteurs phy- • S’agissant de personnes morales, Tracfin relève des
siques peuvent collecter des fonds en espèces dans des versements d’espèces répétés qui interviennent sur
pays d’Europe de l’Ouest, correspondants aux recettes les comptes de sociétés de grossistes, des virements
non déclarées et hors TVA des commerçants, et les de montants ronds émis en faveur de fournisseurs 23
convoyer par route vers des pays d’Europe de l’Est, où asiatiques, des factures présentées comme justi-
ils seront déposés dans les filiales locales de banques ficatifs qui ne correspondent pas aux opérations
asiatiques, qui ensuite vireront les fonds vers l’Asie. intervenues sur les comptes, l’absence de charges
de fonctionnement, l’absence de charges sociales et
L’argent non déclaré, généré en Europe, est donc cen- fiscales, notamment les paiements de TVA.
tralisé par des intermédiaires faisant office de ban-
Le travail d’investigation effectué par Tracfin sur ces
quiers occultes, chargés de transférer ces fonds vers
circuits nécessite le recoupement et l’agrégation d’in-
l’Asie. Le rôle de banquier occulte peut être tenu par
formations qui parviennent souvent au Service de ma-
des agences de transmission internationale de fonds,
nière parcellaire. Ce n’est qu’à l’issue d’un important
par des ententes informelles entre commerçants qui
travail d’analyse des déclarations de soupçon issues de
mutualisent leurs transferts pour leur propre compte,
différents professionnels déclarants, et des investiga-
avec leurs propres moyens, ou par des individus qui se
tions menées par le Service, qu’il est possible de ratta-
sont spécialisés dans l’exercice illégal de la profession
cher ces mécanismes à des réseaux organisés.
d’intermédiaire en opérations de banque. L’activité des
banquiers occultes peut reposer sur des pratiques fami-
liales, ou être de grande envergure et très structurée. LES RÉSEAUX DE TRAFICS
Elle a toujours une dimension transnationale.
DE STUPÉFIANTS
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
Tracfin est amené, depuis plusieurs années, à traiter une • La corruption d’acteurs publics étrangers par des
cinquantaine de dossiers de corruption par an, répartis acteurs économiques français actifs sur les grands mar-
entre transmissions judiciaires et transmissions à d’autres chés internationaux (énergie, armement, infrastruc-
administrations partenaires. À la lecture des éléments tures et équipements, pharmacie, agroalimentaire…).
financiers connus du Service, ces dossiers se caractérisent Ces dossiers peuvent parfois concerner des pays sen-
par les délits de corruption publique ou privée, prise illé- sibles en termes de risque terroriste.
gale d’intérêt et trafic d’influence. Les cas individuels trai- • La corruption de Personnalités Politiquement Expo-
tés en 2015 concernent des montants allant de quelques sées (PPE) étrangères, qui viennent en France blanchir
dizaines de milliers d’euros à plus de dix millions d’euros. le produit de la corruption. Ces transactions concernent
Ils se répartissent en trois catégories : soit des acquisitions immobilières sur le territoire, soit
• La corruption de responsables politiques français l’alimentation de comptes bancaires ouverts en France à
dans le cadre de leur mandat d’élu ou de leurs activités leur nom, au nom de membres de leur famille, ou par le
annexes, comme l’intermédiation dans la négociation biais de prête-noms. Ces comptes sont alimentés (i) soit
de contrats commerciaux à l’étranger. directement en espèces, (ii) soit par des virements ban-
caires issus de comptes étrangers eux-mêmes alimentés
en espèces, (iii) soit par des virements de sociétés écran,
26 parfois off-shore dans le cas de schémas de blanchiment
sophistiqués, parfois insérées dans l’économie légale.
Cas n° 6
Corruption d’un intermédiaire français
Tracfin a eu à connaître en 2015 du cas d’un intermédiaire
français, chargé de la gestion d’un bien immobilier de
prestige détenu en région parisienne par un ressortissant
étranger fortuné. L’intermédiaire français a lancé d’impor-
tants travaux de rénovation, confiés à deux entreprises :
une entreprise d’architecte et une entreprise du bâtiment.
Les deux entreprises mandatées n’ont pu obtenir le marché
qu’en rétribuant l’intermédiaire, en achetant de fausses
prestations à une troisième société, active dans la déco-
ration extérieure et intérieure, et qui se trouve appartenir
au conjoint de l’intermédiaire français décisionnaire sur les
travaux. Les entreprises d’architecture et de BTP ont émis
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
En 2015, Tracfin a signé avec l’ACOSS9 une convention, considérer les cas de fraude fiscale chez les per-
entrée en vigueur le 4 janvier 2016, qui renforce la sonnes morales qui constituent des enjeux financiers
coopération entre les deux services dans le domaine conséquents et doivent faire l’objet d’une attention
de la lutte contre le travail illégal. Elle a permis la particulière de la part de tous les professionnels.
mise à disposition d’un inspecteur du recouvrement
issu de l’URSSAF Île-de-France au sein de Tracfin.
10 Jusqu’ici, lorsqu’ils importaient en France, les importateurs
devaient s’acquitter de la TVA, avant d’être remboursés ultérieure-
9 L’ACOSS (Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale) ment, y compris lorsqu’ils réexportent leur marchandise. Doréna-
assure la gestion commune et centralisée des ressources et de la tré- vant, la nouvelle loi simplifie le processus en permettant aux impor-
sorerie du régime général de la Sécurité Sociale. tateurs de ne pas régler la TVA.
• La fraude fiscale des particuliers, le plus souvent à
haut patrimoine, détenant des comptes à l’étranger
non déclarés, cherchant à contourner l’ISF, les droits
de succession ou l’impôt sur les plus-values, ou orga-
nisant frauduleusement leur insolvabilité.
La thématique des avoirs financiers détenus à l’étran-
ger par des résidents fiscaux français est très présente
dans l’ensemble des informations dont Tracfin est
destinataire. Un certain nombre de ces informations
sont liées aux procédures de régularisation mises en
place par la DGFiP en application de la circulaire du
21 juin 2013. Ainsi, en 2015, Tracfin a formulé 106
demandes d’information (droits de communication)
vers le service de traitement des déclarations rec-
tificatives (STDR) de la DGFiP. Ces demandes visent
à confirmer ou infirmer une éventuelle demande de
régularisation réalisée par une personne physique.
Les enjeux financiers s’élèvent à près de 107 millions
d’euros. Après analyse, les dossiers n’ayant pas fait
l’objet d’une demande de régularisation auprès du
STDR donnent lieu à la transmission d’une note de
28
renseignement vers la DGFiP après identification pré-
cise des avoirs concernés. Force est de constater que
Tracfin contribue également à détecter des régulari-
sations qui paraissent incomplètes.
La mobilisation des déclarants sur le volet fiscal doit
demeurer constante à toutes les étapes de la fraude qu’il
s’agisse de tentatives d’évasion fiscale, de rapatriement
d’avoirs non déclarés détenus à l’étranger, ou du réinvestis-
sement de fonds issus de la fraude et blanchis à l’étranger.
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
LES ESCROQUERIES NON LIÉES
À DES RÉSEAUX CRIMINELS ORGANISÉS
Cas n° 7 Cas n° 8
Détournements de subventions publiques à
Détournements de la part d’une société
la formation professionnelle
d’investissement
Une SARL établie dans un DROM est spécialisée dans la
Une société d’investissement propose, sur internet, des pro-
formation professionnelle et la préparation à différents
duits de placement défiscalisés, investis dans la construc-
examens et concours. Elle a mis en place des programmes
tion de centrales photovoltaïques, notamment dans les
de formation diplômante et d’insertion des demandeurs
DROM-COM. La société annonce des perspectives de rende-
d’emploi, pour lesquels elle a obtenu en 12 mois plusieurs
ment élevé jusqu’à 7 % par an, le produit étant éligible au
centaines de milliers d’euros de subventions publiques dans
dispositif Girardin industriel. La société d’investissement
le cadre du Fonds Social Européen. Ces subventions consti-
est ainsi parvenue à collecter 18 M€ auprès de nombreux
tuent les seules ressources de la société.
investisseurs particuliers et professionnels.
Il s’avère que la société ne présente aucune dépense rela-
Une partie des sommes encaissées aurait été détournée au
tive à l’activité annoncée. En revanche, 40 % des sommes
travers d’une ingénierie patrimoniale sophistiquée, à des-
perçues ont été dépensées à titre de salaires (dont la moi-
tination de structures économiques disposant de comptes
tié pour le gérant-actionnaire de la SARL), 30 % à titre de
bancaires dans des pays européens avantageux en termes de
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
L’association crée cinq antennes régionales autonomes Ainsi, une officine a effectué sur ses comptes bancaires des
dans les principales villes françaises. Elle procède à diverses versements en espèces pour plus de 1 M€ sur un an, alors
embauches « emplois d’avenir » et débute les formations. que son chiffre d’affaires annuel avant le lancement de cette
Ces mesures lui ont permis de percevoir des aides publiques activité s’établissait à environ 1,3 M€. Parallèlement, dans
allouées par les DIRECCTE (Direction Régionales des Entre- ses charges, le volume des effets de commerce destiné à ses
prises, de la Concurrence, de la Consommation, de Travail, achats fournisseurs a nettement augmenté. Elle a justifié
et de l’Emploi) locales. ses dépôts d’espèces par le développement d’une activité
d’exportation vers l’Asie de produits parapharmaceutiques.
Il s’avère que les deux sociétés en partenariat avec l’asso-
Pourtant, l’article L. 5125-1 du Code de la santé publique
ciation étaient en réalité détenues indirectement par le
définit les officines par une activité de vente au détail, et ex-
président de l’association. La création de l’association avait
clut statutairement les opérations d’exportations en gros.
pour but de collecter des subventions auxquelles les deux
sociétés commerciales ne pouvaient pas prétendre, sub- Pour appuyer ses dires, l’officine a présenté des factures à
30
ventions en partie détournées à des fins personnelles par l’endroit d’une société asiatique. Chaque facture est d’un
le président de l’association. De plus, l’association mettait montant unitaire inférieur à 3 000 euros, pour justifier les
à disposition des deux sociétés du personnel bon marché, règlements en espèces. À l’examen, ces factures se sont ré-
dans le cadre des deux conventions de mise à disposition à vélées fausses, et la société asiatique acheteuse impossible
but non lucratif de salariés en emploi d’avenir, en infraction à identifier. De plus, l’officine n’a effectué aucune déclara-
avec la législation du travail. tion d’exportation auprès de l’administration des Douanes.
31
32
L’ANALYSE
DES VULNÉRABILITÉS 33
DU SYSTÈME
FRANÇAIS AU TRAVERS
DES TROIS ÉTAPES
DU BLANCHIMENT
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
Les vulnérabilités sont l’ensemble des facteurs structurels et institutionnels qui rendent
« attractives » la réalisation d’une infraction et l’opération de blanchiment de capitaux ou de
financement du terrorisme qui lui est liée. Les vulnérabilités sont liées au cadre juridique et
réglementaire, aux instruments et produits financiers, et aux pratiques commerciales utilisés
dans un secteur d‘activité donné. Elles sont inhérentes aux caractéristiques structurelles d’un
pays et de sa place financière.
L’article 324-1 du Code pénal définit le délit de blanchiment comme « le fait de faciliter, par
tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un
crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. Constitue également un
blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation
ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit. »
Comme le souligne le juriste Gilles Duteil1, le deuxième alinéa de cet article distingue les trois
étapes classiques du processus de blanchiment :
• Le blanchiment d’espèces (cf. page 35) provenant, par exemple, du trafic de stupéfiants,
du trafic d’armes, du trafic d’êtres humains et du proxénétisme, de la contrebande et de
la contrefaçon, du trafic d’animaux, de certaines formes simples de fraude fiscale, etc. Les
paiements en espèces sont ainsi toujours très présents. Ces flux d’argent liquide, d’origine
criminelle, sont souvent blanchis par des circuits de collecte et de transferts d’espèces, qu’il
s’agisse de transport physique ou de compensation informelle de type hawala.
• Le blanchiment de la monnaie scripturale (cf. page 42), se trouvant déjà sur des comptes
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
bancaires ou financiers, procédant, par exemple, des carrousels de TVA, des fraudes aux
virements SEPA, d’abus de biens sociaux, de corruption et de fraude sur les marchés publics,
etc. L’évolution des processus de la fraude fiscale, de l’escroquerie, et l’avènement de la
cybercriminalité font que des flux croissants d’argent détourné sont aujourd’hui déjà sous
forme scripturale, dans le système bancaire et financier licite.
1 Gilles Duteil, « Modes opératoires et évolutions », in AJ Pénal, avril 2016, p. 171 (dossier « Blanchiment :
nouvelles questions, nouveaux défis »). Gilles Duteil est Directeur du Groupe de Recherche Européen sur la Délin-
quance Financière et la Criminalité Financière et Organisée (DELFICO), Directeur du Centre d’Étude des Techniques
Financières et d’Ingénierie (CETFI) à la faculté de droit et de science politique de l’Université d’Aix-Marseille, et
membre de la CNS (Commission Nationale des Sanctions).
LE BLANCHIMENT D’ARGENT LIQUIDE :
LA PHASE DE PLACEMENT
Tracfin constate que l’usage des espèces dans la sphère ancienne mais toujours pratiquée. Le blanchisseur
de l’économie souterraine ne faiblit pas. Les espèces propose aux détenteurs de tickets gagnants de leur
sont toujours largement utilisées par l’économie crimi- racheter leurs tickets contre un montant en espèces
nelle et demeurent le matériau de base de la plupart supérieur au montant du gain inscrit sur le ticket. Le
des activités criminelles. Selon le GAFI, même dans le blanchisseur obtient ainsi, contre rémunération du
cas de fraudes commises en monnaie scripturale via détenteur initial du ticket, un justificatif à la prove-
des comptes bancaires, de nombreux réseaux criminels nance de ses fonds.
retirent tout ou partie des sommes en espèces, pour les Ces types d’opérations nécessitent souvent la compli-
transférer dans un autre pays et les réinsérer dans un cité des détaillants gérant les points de vente, surtout
circuit bancaire, afin de couper la traçabilité des flux. lorsque ceux-ci acceptent une hausse soudaine de leur
Les espèces, et notamment les petites coupures, restent chiffre d’affaires sur certains types de jeux, concen-
la principale forme sous laquelle les fonds d’origine il- tré sur quelques joueurs et essentiellement misé en
légale sont générés. La conversion en grosses coupures espèces.
est utilisée pour transporter ou stocker plus aisément Les casinos demeurent un secteur sensible en matière
ces fonds. Le blanchiment consistera à produire une de LCB/FT. Ils constituent un indicateur pertinent de la
justification pour la détention de ces espèces, où à les détention et de la manipulation d’espèces frauduleuses 35
convertir en monnaie scripturale introduite dans le par des personnes physiques. Les casinos implantés dans
système bancaire. des zones urbaines à forte activité criminelle attirent
dans leur clientèle des représentants de cette crimina-
lité, désireux de venir y jouer une partie de leurs profits
LE BLANCHIMENT D’ESPÈCES
illégaux. Certains joueurs misent des quantités impor-
PAR LE JEU tantes d’espèces frauduleuses, soit en les insérant dans
les machines à sous qui acceptent directement les billets
Comme Tracfin l’a signalé à plusieurs reprises dans ses
de banque (bill acceptors), soit en multipliant les achats
publications antérieures, le secteur des jeux est per-
et restitutions de jetons, souvent pour des montants
méable au risque de blanchiment de capitaux détenus
inférieurs aux seuils de prise d’identité. Les espèces et
en espèces.
les jetons peuvent également appartenir à différentes
• Les paris sportifs dans les points de vente phy- personnes physiques qui s’entendent entre elles pour se
siques permettent à des individus, sans profession transférer des fonds via le casino.
connue et/ou déclarant de faibles revenus, de miser
Ce type de comportements suspicieux devrait faire l’ob-
d’importantes sommes en espèces, via des paris
jet d’une meilleure communication entre les chefs de
répétés, sur des rencontres sportives dont les cotes
table et les caissiers, notamment dans les grands éta-
sont faibles. Celles-ci impliquent des gains mesu-
blissements aux heures d’affluence. La connaissance
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
carte.
Ces sites sont créés par des organisations criminelles 2 En France : l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL)
pour les sites de jeu en ligne et l’Autorité des Marchés Financiers
dans des territoires faiblement réglementés de manière
(AMF) pour les sites de trading. Un opérateur d’un de ces deux sec-
à fonctionner clandestinement en-dehors du cadre fixé teurs, pour pouvoir légalement exercer son activité sur le territoire,
doit être agréé par le régulateur concerné.
Cas n° 12
Le travail dissimulé comme vecteur La société taxi encaisse les chèques et transfère les fonds
d’écoulement d’espèces illicites bancarisés sur les comptes du réseau criminel, selon diffé-
rents canaux possibles. Elle pourra transférer les fonds via un
Un réseau criminel disposant de grandes quantités d’es- réseau de collecte et d’évasion de fonds bancaires frauduleux,
pèces à intégrer dans le système bancaire crée une société qui virera les capitaux vers des comptes bancaires à l’étranger
taxi à laquelle les espèces sont confiées. La société taxi livre (cf. page 42). Elle pourra aussi acheter et exporter des mar-
ces espèces illicites à un ensemble de sociétés intensives en chandises – si besoin de manière fictive – vers les pays où les
main d’œuvre, le plus souvent dans les secteurs du BTP, de la trafiquants disposent de bases arrières (cf. page 45).
sécurité et du gardiennage, ou de l’hôtellerie-restauration.
Ces entreprises utilisent les espèces pour rémunérer des tra- Les sociétés taxi présentent en général des profils aux caracté-
vailleurs clandestins. En échange, les entreprises paient la ristiques similaires, permettant de dégager des critères d’alerte :
société taxi par chèques, justifiés par des fausses factures de • gérant jeune ;
prestations fictives.
• utilisation d’une adresse de domiciliation ;
• objet social vague et/ou changeant ;
• hausse rapide du chiffre d’affaires et des flux financiers,
sans cohérence ni avec l’objet économique ni avec le
personnel déclaré ;
• déclarations fiscales et sociales défaillantes ;
• durée de vie brève.
37
réseau mobile virtuel Enfin, il s’avère que la filiale française du MVNO est constamment
déficitaire, mais vire plus de 60 % de ses recettes vers une hol-
Tracfin a constaté que le schéma de collecte et d’évasion de
ding établie dans une zone franche européenne.
fonds décrit supra pouvait être sophistiqué en se dissimulant
au sein d’un secteur d’activité licite, dans le cas présent les Dans le cas d’espèce, l’opérateur MVNO se fait le complice, voire
cartes téléphoniques prépayées et les recharges vendues par l’instigateur d’un vaste système de blanchiment incluant plu-
les opérateurs de réseau mobile virtuel (ou MVNO : Mobile Vir- sieurs types de fraude :
tual Network Operator).
• Dissimulation de chiffre d’affaires et évasion de fonds non
Un MVNO vend des cartes téléphoniques prépayées et des re- déclarés : les cartes et recharges peuvent être fictives, c’est-
charges à des grossistes et des distributeurs. Il peut également à-dire non livrées, ou livrées mais non activées. Dans ce cas,
en vendre en direct à des particuliers sur internet. Pour opérer en les cartes fictives peuvent être payées de deux façons : soit
France, un MVNO doit être agréé par l’Autorité de Régulation des en espèces, par des fonds issus d’activités criminelles, que
Communications Électroniques et des Postes (ARCEP). Il dispose l’opérateur se chargera de centraliser et de transporter à
de ses propres infrastructures de cœur de réseau, mais loue les l’étranger pour les bancariser ; soit par virements bancaires.
parties radio GSM et 3G à de grands opérateurs installés. Les flux bancaires collectés sont alors virés à la holding située
en zone franche européenne puis reversés aux infracteurs sur
Tracfin a travaillé sur un dossier impliquant un acteur du secteur,
des comptes à l’étranger, après déduction d’une commission.
dont toute une partie de la clientèle concernait des sociétés sans
lien avec le secteur de la téléphonie : BTP, optique, distribution • Fraudes à la TVA : le régime de l’auto-liquidation propre à la TVA
de prospectus, construction de maisons individuelles, location intracommunautaire ne vaut que pour les opérateurs télécoms
44
de logements, travaux d’isolation ou d’installation électrique… agréés par l’ARCEP. Les minutes de téléphonie acquises par des
sociétés qui ne sont pas des opérateurs agréés ARCEP sont
Ces sociétés, souvent de création récente, ne disposent que normalement soumises à la TVA. Or le MVNO facture le plus
d’un seul établissement en France et ne possèdent pas de souvent hors taxe ses produits aux sociétés sans lien avec la
réseaux de distribution, à l’inverse des clients classiques du téléphonie, ce qui constitue un défaut de perception de TVA.
MVNO. Elles achètent des quantités élevées de cartes télé- De plus, l’achat et la revente des minutes de téléphonie sur
phoniques prépayées et de recharges, à peine inférieures aux des plateformes dérégulées permettent la mise en place de
quantités achetées par les clients classiques, sans logique éco- fraudes carouselistes.
nomique apparente puisqu’elles n’ont pas la capacité d’écouler
ni de consommer ces produits dans des conditions normales. Les montants ainsi blanchis s’élèvent à plusieurs dizaines de mil-
Certaines revendent une partie des cartes et recharges à des lions d’euros par an, pour le seul marché français.
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
LES CRÉDITS DOCUMENTAIRES
Cas n° 17
Un crédit documentaire est une ligne de crédit ouverte
Usage frauduleux du crédit documentaire
entre la banque d’un importateur et celle d’un exporta-
teur de deux pays différents, afin de sécuriser la transac- Soit une organisation criminelle qui dispose de fonds accu-
mulés à l’étranger, qu’elle souhaite rapatrier en zone euro
tion commerciale en soumettant le paiement des mar-
sous une apparence licite. Elle crée deux sociétés :
chandises à leur arrivée dans le pays de destination et à la
vérification des documents contractuels (connaissement • une société A, située en zone euro, et exportatrice ;
maritime, documents de dédouanement, procès-verbal • une société Z, située hors zone euro, et importatrice.
de réception de la marchandise…)4. Les crédits docu- La société A rédige un faux contrat de vente de marchan-
mentaires constituent un outil central du financement dises au profit de la société Z.
du commerce international. À ce titre, ils sont détournés Au moyen de ce contrat, la société Z sollicite son banquier
et falsifiés à des fins de fraude et de blanchiment. Les pour mettre en place un crédit documentaire au profit de la
opérations frauduleuses sont difficiles à détecter dans le banque de la société A.
volume des opérations licites courantes. Les documents à communiquer au banquier de la société Z
seront fictifs et fabriqués par l’organisation criminelle.
Cas n° 18 Cas n° 19
Transactions dans l’immobilier de prestige Transactions dans l’immobilier résidentiel
Une holding financière immatriculée en France tient le rôle standard
de marchand de biens et travaille pour des family offices. Deux frères, dont l’un est marchand de biens, et l’autre
48
Cette holding mène des opérations d’achat et de revente de artisan, ouvrent au total une quarantaine de comptes en
biens immobiliers haut de gamme. Ces transactions immobi- banque dans douze établissements. Le but est d’obtenir des
lières donnent lieu à d’importantes rémunérations versées prêts immobiliers, afin d’amorcer l’achat d’une quinzaine de
à plusieurs intermédiaires, dont certains défavorablement logements.
connus pour trafic de stupéfiants et blanchiment.
Le volume des investissements est fortement dispropor-
Ces rémunérations sont justifiées par des prestations de tionné par rapport aux revenus officiels des intéressés. Les
conseil en investissements immobiliers, portant sur la crédits immobiliers sont accordés sur la foi de faux docu-
recherche d’acheteurs ou sur la structuration des finan- ments, obtenus grâce à la complicité de sociétés de BTP et
cements. En réalité, Tracfin soupçonne les intermédiaires d’installation d’équipements thermiques, qui fournissent
d’être associés en amont aux investisseurs du family office faux bulletins de salaires, certificats d’employeur, devis de
et de la holding. Les achats immobiliers leur permettent de travaux, etc.
placer des fonds d’origine délictueuse, dont ils récupèrent
une partie blanchie sous forme de commissions. Le paie- Il s’avère que les biens sont pour une partie revendus rapi-
ment de ces intermédiaires relève de l’abus de bien social au dement après achat et rénovation, permettant la réalisation
détriment des sociétés immobilières concernées. de plus-values.
LE SECTEUR IMMOBILIER :
UNE DES VULNÉRABILITÉS
DU SYSTÈME FRANÇAIS
Les capitaux blanchis réinvestis dans l’immobilier se
portent autant vers l’immobilier commercial que vers
l’immobilier résidentiel haut de gamme ou standard. 51
Cas n° 22
Promotion immobilière sur un programme
résidentiel dans le sud de la France
Une société de promotion immobilière développe un pro-
gramme de 200 logements sur une commune littorale du
sud de la France. Elle opère en étroite concertation avec un
agent immobilier, une société de maçonnerie et une société
gérant un restaurant.
53
judiciaire7.
56
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
L’intégration de capitaux d’origine
criminelle dans les placements
financiers
Les cas pratiques présentés ont pour but d’inciter les professionnels assujettis à préciser leur
propre cartographie des risques LCB/FT en fonction de la nature des produits et services qu’ils
commercialisent, à l’aide des critères d’alerte exposés. Tracfin attire l’attention des profes-
sionnels concernés par la manipulation d’espèces (établissements de crédit, changeurs ma-
nuels, sociétés de transmission de fonds, détaillants du secteur des jeux, casinos), et celle des
professionnels concernés par la création de sociétés commerciales à vocation de sociétés taxi
(experts-comptables, avocats, sociétés de domiciliation, établissements de crédit, greffiers
de tribunaux de commerce).
Concernant les flux d’argent bancarisés, la détection et la traçabilité de ces flux est rendue
délicate par les révolutions technologiques en cours dans les services financiers.
58
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
59
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
60
4
LES RISQUES
ÉMERGENTS LIÉS 61
À LA RÉVOLUTION
TECHNOLOGIQUE
DANS LES SERVICES
FINANCIERS
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
La révolution numérique accélère depuis deux ans son développement dans l’industrie des
services financiers. Le nombre de sociétés technologiques créées dans le secteur (FinTech)
augmente, en priorité dans les services de paiement et de transferts de fonds. Les levées de
fonds effectuées en 2014 et en 2015 ont marqué une nette hausse par rapport aux années
antérieures, même si elles semblent marquer le pas sur les premiers mois de 2016.
L’éclosion des FinTech ouvre de vastes horizons et pose dans le même temps des défis impor-
tants en matière de réglementation et de lutte contre la cyber-fraude.
• En matière de règlementation, l’une des raisons d’être des Fintech est la facilitation de la
relation client et la levée des lourdeurs réglementaires. Cette volonté assumée portée par
les sociétés technologiques peut être source de risques nouveaux en termes de blanchi-
ment de capitaux et de financement du terrorisme. Certains risques, anticipés par Tracfin
dès 2011, se voient confirmés, alors que d’autres apparaissent.
64
LE CROWDFUNDING
Le crowdfunding s’est rapidement imposé comme une teté des opérations ou l’absence de relation physique
nouvelle source de financement au bénéfice des par- entre les utilisateurs, en font un domaine exposé aux
ticuliers, des associations, comme des entreprises. risques de détournement à des fins frauduleuses,
Initialement créé pour les dons, le financement par- comme Tracfin l’avait souligné dans son rapport d’acti-
ticipatif s’est progressivement développé au prêt et à vité 2013. Plusieurs exemples dans l’actualité interna-
l’investissement en capital. La montée en puissance tionale ont permis de confirmer ce risque.
du secteur de la finance participative s’est traduite
En France, un cadre juridique dédié a été mis en place
par une forte augmentation des montants collectés
en 2014. Dorénavant, les activités des plateformes
depuis deux ans.
de crowdfunding sont encadrées par l’ordonnance
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
En France, les fonds collectés ont été multipliés par n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement
deux entre 2014 et 2015. Le prêt occupe de loin la pre- participatif et son décret d’application n° 2014-1053
mière place, avec 196,3 millions d’euros collectés en du 16 septembre 2014, entré en vigueur le 1er octobre
2015, contre 50,3 millions d’euros pour l’investisse- 2014. Elle impose, pour les plateformes de prêt et
ment et 50,2 millions d’euros pour les dons2. d’investissement, le choix d’un statut de Conseiller
en Investissement Participatif (CIP), régulé par l’AMF,
Certaines caractéristiques du financement participatif,
ou d’Intermédiaire en Financement Participatif (IFP),
comme la dématérialisation des échanges, l’immédia-
régulé par l’ACPR. Ces deux statuts sont assujettis au
2 Baromètre du crowdfunding en France 2015 réalisé par CompinnoV
dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et
pour Financement Participatif France. le financement du terrorisme. Pour les plateformes de
dons, le choix d’un statut d’IFP et l’assujettissement ne contrôle américaines font preuve d’une vigilance parti-
sont pas obligatoires. culière à l’égard des plateformes de prêt afin de renfor-
cer la protection des investisseurs. En France, la règle-
La mise en place d’un cadre règlementaire européen se
mentation exige que l’investisseur soit en permanence
fait attendre. La France a été l’un des premiers États
informé de la destination des fonds qu’il a investis.
membres à adopter un cadre réglementaire dédié au
financement participatif. Pour autant, la réglementa- Par ailleurs, des cas de fraude documentaire ou d’usur-
tion ne peut s’appliquer qu’aux plateformes françaises pation d’identité ont été relevés, démontrant une
et ne couvre pas le grand nombre de plateformes qui volonté de contourner les mesures de vigilance. Une
proposent des dons, des prêts ou des investissements majeure partie des déclarations de soupçon reçues par
depuis l’étranger. L’harmonisation des réglementa- Tracfin en 2015 en lien avec des plateformes de finan-
tions au niveau européen, par exemple par la délivrance cement participatif concernait l’usage de faux docu-
de labels communs certifiant au consommateur qu’une ments, le refus de fournir son identité, ou de justifier
plateforme a été contrôlée et validée par une autorité l’origine des fonds. Ce procédé semble le plus souvent
référente, permettrait de prévenir certaines tentatives indiquer des tentatives d’empilement de flux financiers
de fraude, de blanchiment de capitaux ou de finance- d’origine illicite en vue de blanchir des capitaux.
ment du terrorisme. La mise en cohérence des cadres
réglementaires européens permettrait également
d’éviter que des acteurs mal intentionnés choisissent le LE DÉTOURNEMENT DES
régime local le moins contraignant afin de contourner COLLECTES À DES FINS
les mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux DE FINANCEMENT DU
mises en place par certaines juridictions. TERRORISME 65
LE PAIEMENT MOBILE
Dans un rapport publié en juin 2013 et consacré aux • le paiement mobile adossé à une carte bancaire, c’est-
risques présentés par les nouveaux modes de paiement3, à-dire le paiement sans contact dans les commerces5,
le GAFI mentionne le paiement mobile comme faisant ainsi que les paiements sur Internet auprès d’e-com-
partie des nouveaux produits ou services de paiement merçants, débités sur un compte bancaire ;
devant faire l’objet d’une attention particulière dans le • les achats sur Internet directement imputés sur la
cadre de l’approche par les risques en termes de blanchi- facture télécom du client ;
ment de capitaux et de financement du terrorisme. En
• le cash transfer de mobile à mobile, national ou inter-
2015, le paiement mobile était disponible dans 93 pays
national, qui implique un point de vente physique où
du monde et les opérateurs de télécommunications gé-
le client dépose une somme en espèces contre remise
raient en moyenne 33 millions de transactions par jour
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
3 « Guidance for a risk-based approach: prepaid cards, mobile pay- 5 La technologie principale pour ce type d’utilisation en France est
ments and internet-based payment services », GAFI, juin 2013. la technologie NFC (Near Field Communication), qui est comparable
4 « 2015 State of the Industry Report, Mobile Money », GSM Associa- à une liaison Bluetooth entre le terminal mobile du client et le termi-
tion (GSMA). nal de paiement du commerçant.
• Lorsque le paiement mobile est adossé à une carte LE MICRO-PAIEMENT
et un compte bancaire d’un pays de l’Union euro-
SUR FACTURE OPÉRATEUR
péenne, le risque est identique à celui présenté par
un simple paiement par carte bancaire. Il apparaît Initialement, le mode de paiement sur facture était ré-
maîtrisé, la banque teneur du compte restant le prin- servé à l’achat de services numériques, c’est-à-dire des
cipal assujetti au dispositif LCB/FT et ayant toutes les services utilisables uniquement sur téléphone mobile
informations nécessaires à l’analyse des flux. (sonneries, jeux, applications). Il s’étend aujourd’hui à
• Les paiements imputés sur la facture télécom du l’achat de biens de consommation physique via des pla-
client présentent un degré d’opacité supplémentaire. teformes de marché sur Internet, pour lesquels l’opéra-
Seul l’opérateur télécom dispose d’une visibilité sur teur télécom n’est plus que simple intermédiaire entre
l’origine et la destination du paiement. La banque du le client et le fournisseur. Les montants de transactions
client n’a plus accès au détail des flux. augmentent en conséquence.
• Le cash transfer, développé par de nombreux opéra- Ces « micro-paiements » ne proposent qu’une traçabili-
teurs mobile à travers le monde, présente les risques té limitée des flux financiers qui ne sont visibles que par
les plus importants en matière de blanchiment de l’opérateur et n’apparaissent pas en détail sur le relevé
capitaux et de financement du terrorisme. Ces opéra- bancaire. La banque du client ne verra qu’une facture
tions, par définition non bancarisées, et dont le suivi télécom mensuelle globale prélevée par l’opérateur,
est limité, peuvent être source d’opacité en permet- sans pouvoir distinguer ce qui relève du forfait et ce qui
tant de transférer des espèces de façon anonyme et relève de flux de paiements ponctuels.
peu détectable au niveau national et international.
D’un point de vue réglementaire, les opérateurs de
Les opérateurs de télécommunications représentent 67
télécommunications ne sont pas assujettis au dispositif
aujourd’hui une part de marché non négligeable en LCB/FT et les paiements imputés sur facture sont expli-
termes de gestion des paiements, administrée selon citement exclus de la directive européenne sur les ser-
des protocoles différents des architectures bancaires vices de paiement, dite DSP16, alors que les volumes de
traditionnelles. Ils doivent, à ce titre, faire l’objet paiement qu’ils gèrent directement vont en augmen-
d’une attention particulière. tant. La révision de cette directive, dite DSP27, adoptée
En France, le développement des solutions de paiement par le Parlement européen le 8 octobre 2015, prévoit
par téléphone mobile n’a pas de cadre juridique unifié. que les paiements imputés sur facture télécom soient
Comme l’offre de services financiers des opérateurs soumis au dispositif LCB/FT dès que les montants dé-
de téléphonie mobile comporte à la fois des ordres passent 50 € à l’unité, ou 300 € en cumulé par mois. La
de paiement et des opérations téléphoniques, elle ne transposition de la DSP2 en droit français devra inter-
permet pas d’identifier un cadre réglementaire LCB/FT venir avant la fin de l’année 2017.
unique ou global :
elles relèvent du champ réglementaire LCB/FT, mais veloppement rapide en Afrique au cours des cinq der-
par le biais du prestataire de services de paiement nières années. Ses modalités sont particulièrement
utilisé, non par le biais de l’opérateur télécom. adaptées aux pays où le taux de bancarisation est
• Si les opérations relèvent d’opérations téléphoniques faible. Les opérateurs télécom proposent des services
(paiements imputés sur la facture téléphonique), financiers élémentaires et à faible coût qui corres-
elles ne relèvent pas du champ réglementaire LCB/FT.
6 Directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13
novembre 2007. Cf. Titre I, article 3 l).
7 Directive (UE) 2015/2366 du 25 novembre 2015. Cf. Titre I,
article 3 l) .
pondent aux besoins des consommateurs. Il peut s’agir eux-mêmes responsables de l’actualisation de leurs
de transmission de fonds mais aussi de paiement de données d’identité auprès du PSP.
biens et de services. • L’identification du client destinataire des fonds :
Les services de cash transfer par téléphone mobile ap- elle constitue la principale vulnérabilité de ce type
paraissent aujourd’hui en France, ciblant en priorité les de services. De plus, le PSP peut être un Établisse-
populations issues de la diaspora africaine qui désirent ment de Monnaie Électronique (EME), qui propose au
envoyer des fonds vers leur pays d’origine. Si les ser- client un compte de monnaie électronique utilisable
vices proposés se limitent à ce jour aux flux de la France à partir de son téléphone. Dans ce cas, les fonds re-
vers certains pays d’Afrique, il n’y a aucun obstacle, ni çus ne seront pas seulement retirables en espèces,
juridique ni technique, à ce que les flux puissent être mais pourront être directement utilisés au règlement
ouverts à l’avenir de l’étranger vers la France, d’autant d’autres types de biens et services.
plus avec l’arrivée probable de nouveaux opérateurs. • Le contrôle des agents : si le PSP est immatriculé en
Ces services de transfert d’espèces par téléphone mo- France, les agents seront déclarés à l’ACPR, et enre-
bile reposent sur une infrastructure, dans le pays expé- gistrés au REGAFI (Registre des Agents Financiers).
diteur comme dans le pays destinataire, composée de : L’ACPR contrôlera les procédures du PSP concernant la
gestion de ses agents. Si le PSP est immatriculé dans
• un Prestataire de Services de Paiement (PSP), parte- un autre pays de l’Union Européenne et intervient en
naire, voire filiale, d’un opérateur télécom ; France sous le régime de la Libre Prestation de Ser-
• un réseau d’agents distributeurs gérant des points vices ou du Libre Établissement, ses agents français
de vente physiques, chargés de collecter ou remettre seront enregistrés auprès du superviseur de son pays
68 les espèces. Les agents peuvent être des vendeurs d’immatriculation, lequel les notifiera à l’ACPR.
de produits télécoms, des chaînes de distribution La qualité et le respect de ces procédures peut varier en
et commerçants divers, voire des kiosques dédiés à fonction des opérateurs.
l’activité de transactions en espèces.
Un encadrement important des risques de blanchiment
Au regard du code monétaire et financier, ce service
ou de financement du terrorisme consiste pour le PSP
s’analyse juridiquement comme un virement en monnaie
à imposer des plafonds restrictifs aux opérations, qu’il
scripturale, initié par le Prestataire de Service de Paie-
s’agisse de transfert de fonds, de réception de fonds,
ment (PSP) du pays de l’expéditeur, vers le PSP du pays
de retrait, de solde, ou de rechargement dans le cas de
du bénéficiaire. Dans ce cas, les risques LCB/FT s’appa-
comptes de monnaie électronique.
rentent à ceux des services de transmission de fonds.
Tracfin souhaite que la réglementation soit adaptée à
Le dispositif LCB/FT s’impose aux PSP proposant ce type
ce nouveau niveau de risque, afin que les opérateurs té-
de services sur le territoire français. Les obligations
lécoms qui mettent en place ce type de services soient
portent en premier lieu sur les mesures d’identification
pleinement associés au dispositif LCB/FT, et ne fassent
des clients (articles L. 561-5 à L. 561-12 du code mo-
pas reposer l’ensemble des obligations de vigilance sur
nétaire et financier), dont les premiers contributeurs
le seul PSP. En termes de connaissance clients, il est
sont les agents, et en second lieu sur la sélection et
important que les opérateurs télécoms et les PSP par-
le contrôle par le PSP de ses agents (art. L. 523-2 et
tenaires puissent échanger en temps réel des informa-
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
Une monnaie est dite virtuelle quand elle ne dépend En France, de nouvelles sociétés se créent autour de la
d’aucun institut d’émission. Elle n’a aucun cours légal, monnaie virtuelle, tendant à banaliser son utilisation.
n’est pas régulée et ne dépend que de ses émetteurs. Il peut s’agir de plateformes de change entre monnaie
Elle n’offre aucune garantie de remboursement des réelle et monnaie virtuelle, de comparateurs de prix
fonds. La monnaie virtuelle présente des risques éle- entre plateformes de changes, ou de fournisseurs de ser-
vés en matière de LCB/FT puisqu’elle sert de passerelle vices de portefeuille de stockage (wallet providers10). Cer-
entre l’économie légale et l’économie souterraine et tains wallet providers proposent des supports amovibles
assure l’anonymisation des transactions. Elle favorise de type cartes à puces permettant de conserver ses clés
le contournement des règles relatives à la lutte contre sécurisées en-dehors du réseau (hardware wallets).
le blanchiment des capitaux et le financement du ter-
rorisme, le contournement des dispositifs de sanctions
financières internationales, et présente des risques L’UTILISATION DE MONNAIE
avérés d’escroqueries et de vols de données (hacking). VIRTUELLE À DES FINS DE
Tracfin anticipe ces risques depuis cinq ans8. Ils tendent
BLANCHIMENT DE CAPITAUX
à se concrétiser. Si les volumes de transactions réalisés
Plusieurs cas d’utilisation détournée de monnaie vir-
en monnaie virtuelle restent marginaux par rapport à
tuelle à des fins de blanchiment de capitaux ont fait l’ob- 69
l’ensemble des volumes de paiement, l’utilisation de ce
jet d’investigations par le Service en 2015, dont un cas
type de monnaie monte en puissance. L’année 2015 a
de blanchiment de fonds issus d’un trafic de stupéfiants.
vu le nombre moyen de transactions quotidiennes en
bitcoins passer de 100 000 à 200 000. En valeur, le cu- Le cas typologique suivant démontre la capacité
mul des transactions quotidiennes était estimé à envi- d’adaptation des criminels aux nouvelles technologies
ron 50 millions de dollars en janvier 2015, et atteignait et l’exploitation du potentiel d’anonymat de la mon-
125 millions de dollars en décembre 2015, avec des pics naie virtuelle. L’absence de régulation et la traçabilité
supérieurs à 200 millions de dollars9. limitée des individus sur les plateformes d’échange de
monnaies virtuelles entravent le travail de l’investiga-
De nouveaux types de monnaie virtuelle, comme l’Ether
tion et favorisent l’utilisation de la technologie à des
(ETH) ont fait leur apparition à l’été 2015 et connu
fins frauduleuses.
une émergence rapide au début de l’année 2016. En
quelques mois, l’Ether s’est placé en deuxième position
après le bitcoin en termes de valeur du volume d’unités
émises, et est ainsi devenue début 2016 la deuxième
monnaie virtuelle la plus échangée après le bitcoin.
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
70
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
PLUSIEURS INCERTITUDES LIÉES DAO (Decentralized Autonomous Organization). Le DAO
s’apparente à un fonds d’investissement décentralisé,
À LA MONNAIE VIRTUELLE
fonctionnant par consensus, destiné à financer des
DEMEURENT projets liés à la blockchain et aux objets connectés. Les
Ethers pouvaient être échangés contre des jetons (« to-
L’encadrement réglementaire kens ») conférant des droits de vote au sein du DAO.
L’équivalent de 150 millions de dollars avaient ainsi été
L’encadrement réglementaire des nouvelles pratiques échangés. Une faille informatique a permis aux assail-
d’achat et de revente de monnaie virtuelle reste incom- lants de dupliquer le DAO et d’y détourner 3,6 millions
plet. L’absence de qualification juridique de la monnaie d’Ethers, valorisés environ 40 millions de dollars.
virtuelle ne permet pas, à ce jour, de disposer d’une
réglementation exhaustive sur l’ensemble des tran- Les incertitudes technologiques
sactions. Le rôle des personnes intervenant en qualité
d’intermédiaires doit être précisé. Des incertitudes technologiques menacent le dévelop-
pement de la monnaie virtuelle. Concernant le bitcoin,
Il est nécessaire de clarifier au niveau européen la na-
la hausse continue de la masse monétaire virtuelle
ture juridique de la monnaie virtuelle, afin de l’assimi-
créée et l’augmentation du nombre de transactions
ler à une monnaie ou un instrument de paiement. Les
conduisent à une saturation du réseau et à un risque de
intermédiaires en achat/revente de bitcoins, jusqu’ici
dégradation du service.
considérés comme des commerçants, pourraient alors
devenir des Intermédiaires en Opérations de Banque ou Plusieurs types de solutions techniques sont à l’étude,
de Services de Paiement (IOBSP), et seraient de ce fait qui font l’objet de dissensions sérieuses au sein de la 71
assujettis au dispositif LCB/FT. communauté des utilisateurs de bitcoins. Le camp qui
arrivera à imposer sa solution à la majorité des utilisa-
En ce sens, le 5 juillet 2016, la Commission européenne
teurs imposera son propre standard. Il y a cependant
a publié une version amendée de la directive 2015/849,
un risque qu’aucun système ne parvienne à l’emporter
dite 4e directive révisée. Parmi d’autres mesures, cette
nettement, débouchant sur une cassure du réseau en
version amendée vise à restreindre les utilisations abu-
plusieurs sous-ensembles.
sives de monnaie virtuelle à des fins de blanchiment
de capitaux ou de financement du terrorisme en pro-
posant d’inclure les plateformes de change de monnaie LE DÉVELOPPEMENT
virtuelle et les wallet providers dans le champ d’appli-
DES APPLICATIONS DE
cation de la directive. Ces entités seront tenues d’ef-
fectuer des contrôles liés à la vigilance à l’égard de la
LA BLOCKCHAIN
clientèle lors d’échanges de monnaie virtuelle contre
La blockchain, également appelée DLT (Distributed
de la monnaie réelle ou lors de transactions en mon-
Ledger Technology), est une technologie algorith-
naie virtuelle, afin de limiter l’anonymat associé à ce
mique, un protocole open source, qui permet d’établir
type d’opérations.
de vastes bases de données de type « grand livre comp-
table » (ledger en anglais). Elle sert à gérer en grand
Les risques de fraude
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
Cette nouvelle technologie fait aujourd’hui l’objet de Tracfin suit attentivement les travaux de recherche en
nombreux investissements et expérimentations, en cours. La blockchain présente des caractéristiques qui
France comme à l’étranger, de la part d’acteurs pri- pourraient aider à lutter contre la fraude, en proposant
vés et publics. En France, le ministère de l’Économie, des registres publics ou de vastes bases de données. À
de l’Industrie et du Numérique a annoncé au mois de contrario, l’absence d’acteur central référent pose un
mars 2016, lors des Assises du financement participatif, problème de responsabilité dans le cas où le système
un test de blockchain dédiée au marché des mini-bons serait malgré tout victime de fraude ou de piratage
(bons de caisse). Si l’expérience est concluante, elle informatique. De plus, des « blockchains privées » pour-
pourra être étendue aux titres non cotés, afin de favori- raient se développer et n’être ouvertes qu’à un nombre
ser l’émergence d’une bourse des PME. Plusieurs grands défini d’individus, proposant ainsi des canaux de
acteurs privés ont annoncé le lancement de blockchains transactions privilégiés et difficilement identifiables,
expérimentales à destination des PME, qu’il s’agisse de portant un risque élevé en matière de LCB/FT. L’intro-
levées de fonds dans le non-coté ou du traitement de duction de cette nouvelle technologie nécessitera une
72 valeurs moyennes cotées. adaptation de la législation.
AUTRES DÉVELOPPEMENTS
TECHNOLOGIQUES
Le développement des FinTech gagne d’autres services L’ensemble du secteur FinTech lié directement ou indirec-
financiers, dont le correspondent banking. Certaines tement aux services financiers doit intégrer l’importance
start up cherchent à émerger dans le secteur des du risque LCB/FT et la nécessité de se rapprocher des au-
échanges d’informations interbancaires : messageries torités publiques, afin de partager l’analyse des risques
(international wiring) ; suivi en temps réel d’un paie- nouveaux, et d’agir pour la prévention du blanchiment
ment (tracking) ; facturations interbancaires (interbank et du financement du terrorisme. À défaut, le secteur
billing). Développées par des dirigeants expérimentés, s’expose à un risque de réputation, pouvant devenir un
disposant de références de haut niveau dans ces mé- risque systémique en cas de détournement d’usage par
tiers au sein de banques centrales ou d’établissements les organisations criminelles ou terroristes.
bancaires privés, ces sociétés en création peuvent
TRACFIN - TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES 2015
La hausse du flux déclaratif reçu chaque année par Tracfin s’est confirmé en 2015. Cette hausse devrait cependant
être mieux répartie entre l’ensemble des professions assujetties. Les déclarants doivent à présent se concentrer sur
une amélioration qualitative des déclarations de soupçon. Il importe que chaque professionnel exerce ses obliga-
tions de vigilance LCB/FT à travers une connaissance adaptée de sa clientèle, et mène sa propre analyse de risques,
en fonction de son activité, afin de cibler et argumenter au mieux les déclarations de soupçons transmises à Tracfin.
La montée de la menace terroriste en 2015 a conduit la plupart des acteurs à se mobiliser sur la détection des
circuits de financement. Cette vigilance est à maintenir. L’implication des professionnels doit aussi s’étendre aux
autres menaces pesant sur le système économique français, qui fragilisent les particuliers comme les entreprises,
et favorisent la fuite de capitaux pour des montants notables en termes macroéconomiques.
La circulation des espèces et la fausse facturation jouent un rôle central dans nombre de processus de blanchiment
de capitaux. L’interconnexion entre plusieurs réseaux aux intérêts complémentaires et la conjugaison de diffé-
rents instruments juridiques et financiers, légaux ou illégaux, créent des circuits complexes dont la détection et la
répression mobilisent d’importants moyens administratifs et judiciaires. La bonne coopération entre Tracfin, les
autres administrations concernées, les autorités de contrôle et l’autorité judiciaire est un facteur clé de succès. 73
La rapidité et la réactivité du circuit des échanges entre les CRF sont également des conditions indispensables à
l’amélioration de l’efficacité collective en matière de LCB/FT. La transposition accélérée de la 4e directive et les tra-
vaux de la 4e directive bis doivent y contribuer de manière substantielle en réduisant les entraves opérationnelles
à la coopération.
L’évolution technologique rapide qui affecte les services financiers va encore s’accélérer dans les années à venir
et pose des enjeux de réglementation et d’adaptation du dispositif LCB/FT. La lutte contre l’anonymat et le renfor-
cement de la transparence des circuits financiers restent les objectifs centraux destinés à préserver l’intégrité du
système économique. La prise en compte de nouveaux risques suppose une accélération de la mise en œuvre de
nouvelles réponses.
www.economie.gouv.fr/tracfin
crf.france@finances.gouv.fr