Cours de Gastronomie Moleculaire 2014-2
Cours de Gastronomie Moleculaire 2014-2
Cours de Gastronomie Moleculaire 2014-2
Introduction
Pendant deux jours différents intervenants sont venus partager leurs connaissances pour tenter
de répondre à cette question : comment maîtriser les modifications moléculaires se déroulant
durant la cuisson des aliments ?
On parlera de modifications moléculaires et non de réactions chimiques car ces dernières sont
provoquées en laboratoire par un chimiste dans un cadre expérimental.
Les aliments, substances issues des animaux et des végétaux, sont pour la plupart complexes
car faits de molécules de divers types, que l’on nomme composés.
Un composé chimique est une substance chimique pure composée d’atomes de 2 ou plus
éléments chimiques différents. Les atomes formant ces composés sont liés entre eux par des
liaisons chimiques (ioniques, covalentes).
Les composés sont amenés à être modifiés durant la cuisson des aliments.
Cuire un aliment, c’est en effet l’exposer à la chaleur pour modifier son aspect, son goût, sa
texture, sa composition chimique et le rendre plus appétissant, plus savoureux plus digeste, et
plus sain par la destruction partielle des micro-organismes (selon la durée de la cuisson et la
T° atteinte).
Les principales réactions observées durant la cuisson des aliments sont :
- La réaction de Maillard (glucides, protides)
- L’oxydation des lipides (lipides)
- La caramélisation (glucides)
- La pyrolyse (lipides, protides).
Ces réactions sont influencées par le mode et les conditions de cuisson (T°C, durée…), la
nature des composés contenus dans les aliments.
Voici une synthèse de ce que j’ai vu et entendu au cours de ces deux jours.
1. Les transformations des lipides au cours des traitements
culinaires ; le cas de la friture.
Il existe différents types de fritures :
- La friture plate : sauter un aliment à la poêle,
- La friture profonde : frire un aliment en le plongeant entièrement dans un bain d’huile,
- La friture industrielle donnant lieu à la production de produits végétaux frits (ex :
chips, frites). http://www.axio.ma/Activites/Transformation-agroalimentaire/Lignes-
de-friture-industrielle-content-35.php
Au cours de la friture des échanges se produisent entre le milieu de cuisson (l’huile) et
l’aliment.
Une donnée importante : le point de fumée de l’huile.
Le point de fumée est la température à partir de laquelle les huiles ou graisses alimentaires se
décomposent et se dénaturent : la substance fume ou brûle donnant ainsi un mauvais goût.
C’est pourquoi le point de fumée d’une huile ou d’une graisse est un élément-clé pour la
friture. En effet, la valeur du point de fumée dicte la température et par conséquent
l’utilisation possible d’une matière grasse (par exemple, la friture à très haute température
nécessitera une matière grasse avec un très haut point de fumée).
Le chauffage d'une huile ou d'une graisse au-delà de son point de fumée entraîne la
décomposition des acides gras qu'elle contient et l'apparition de composés indésirables, dont
certains cancérogènes, comme les hydrocarbures polycycliques aromatiques ou HAP.
Pendant la friture, la température de l’huile augmente. 180°C est une température clé car c’est
autour de celle-ci que démarre la formation des isomères trans des acides gras (AG).
En effet, à l’état naturel, les AG existent majoritairement sous forme cis (cf. image ci-
dessous).
Les AG trans sont en effet considérés comme nocifs pour la santé bien qu’ils soient
recherchés et produits (par hydrogénation industrielle partielle) car en raison de leur
disposition ils résistent mieux à l’oxydation et donc au rancissement. On les utilise d’ailleurs
comme conservateurs alimentaires.
En outre, cette isomérisation aboutit à l’augmentation de leur température de fusion donc à
une plus grande solidité à température ambiante. C’est une propriété recherchée dans
l’agroalimentaire car ils deviennent agents de texture pour rendre les aliments plus fermes.
Image extraite de l’article « acide gras cis/trans » de Wikipédia
En raison de leur dangerosité, la présence des AG trans même si elle est souhaitée, est
néanmoins extrêmement règlementée. Ils seraient en effet responsables de maladies
cardiovasculaires, reprotoxiques et favoriseraient certains cancers.
En résumé, surveiller la température de friture est essentiel pour contrôler la formation de ces
AG trans. Elle devra rester inférieure à 180°C, ne pas fumer.
Un arôme est un composé volatil, présent en très faible concentration (g/T !) au seuil de
perception très bas.
Il existe une grande diversité d’arômes. En effet, le café compte plus de 800 composés
volatils, une génoise 8000 !!
Trois principales réactions ayant lieu lors de la cuisson thermique sont à l’origine des arômes :
la réaction de Maillard, la caramélisation et l’oxydation lipidique.
Exemple : les réactions de Maillard sont l’origine de l’arôme des noisettes grillées, l’arôme du
jambon est dû à des dégradations enzymatiques pendant l’oxydation naturelle des lipides.
Problématique : Les arômes étant des composés très volatils et présents en très petites
quantités, il faut parvenir à les retenir dans la matrice alimentaire afin de conserver les
qualités organoleptiques du produit, en particulier la flaveur.
La qualité organoleptique dépend à la fois de la diversité et des proportions de composés
d’arôme retenues et libérées par le produit. La rétention et la libération dépendent eux à la fois
de la nature de la matrice et de celle du composé volatil, ce qui peut conduire à une rétention
et une libération plus ou moins importantes d’une partie des composés volatils causant ainsi
la perception d’une flaveur déséquilibrée.
La moitié des produits alimentaires subissent une aromatisation effectuée par addition de
composés d’arôme dilués dans un solvant ou encapsulés dans des supports, les polyosides
étant les plus courants.
Grâce à l’étude des caractéristiques physicochimiques (masse molaire, fonctions chimiques,
conformation…) des composés volatils (arômes) et non volatils (structurels), on sait améliorer
la rétention des arômes et donc la qualité organoleptique du produit.
Les HAP
Certains d’entre eux sont reconnus extrêmement cancérigènes.
Exemple : le Benzo[a]pyrène B(a)P.
Il est absorbé essentiellement dans l’alimentation et le tabac, mais pollue aussi l’atmosphère
et la mer. Par exemple, le café est riche en HAP, formés lors du raffinage et de la torréfaction
des graines.
Dans la viande, ils sont formés à très haute T°, donc principalement lors des réactions de
pyrolyse des lipides.
De ce point de vue, les BBQ sont en fait extrêmement toxiques. En effet, durant la cuisson, les
graissent fondent et se déposent sur le charbon. C’est là que se déroule la pyrolyse et la
formation des HAP. Très volatils, ceux-ci remontent et se fixent sur la viande en cours de
cuisson ! Une solution serait de préférer les BBQ verticaux…
Dans les fumées d’huile (colza, palme) se déroulent également des réactions de pyrolyse donc
formation d’HAP.
On peut lutter contre la formation de ces composés grâce à l’ajout d’antioxydants
naturellement contenus dans l’ail et l’oignon par exemple.
Les Amines Aromatiques Hétérocycliques (HAA)
Elles se forment par réaction au sein des produits carnés à haute T° pendant les cuissons à la
poêle, au grill ou au BBQ.
Elles sont reconnues mutagènes, génotoxiques et cancérigènes (colon, prostate notamment).
On distingue deux catégories d’HAA :
Les HAA thermiques (150-250°C) produits de la réaction de Maillard
(sucres + acides aminés)
Les HAA pyrolytiques (>250°C) obtenues par pyrolyse des protéines.
Prévention : diminution des T° et des durées de cuisson, utilisation d’antioxydants (vit E,
romarin).
L’acrylamide
Nous sommes exposés à cette substance qui est présente dans l’eau potable, le tabac et bien
sûr notre alimentation. On en trouve notamment dans les chips et les frites, le thé, le café, les
biscuits, le pain... Il est mutagène, reprotoxique.
Il est formé au cours de réactions de Maillard impliquant un acide aminé en particulier,
l’asparagine, ou durant l’oxydation des lipides.
Prévention : sélection rigoureuse des matières premières (produits pauvres en asparagine
notamment, utilisation d’enzymes (asparaginase qui hydrolyse l’asparagine) ou élimination
des précurseurs de l’acrylamide au cours des procédés de transformation.
De nos jours, des recommandations sur la teneur maximale en acrylamide autorisée dans les
aliments sont également formulées à titre préventif.
La science essaie ainsi de modéliser la cuisson des viandes pour prédire les pertes en eau ou
en poids des viandes.
En effet, l’eau constitue l’essentiel des pertes à la cuisson car elle représente 75% en moyenne
de la partie muscle de viande.
Elle existe sous trois formes :
- eau libre (cytoplasme, intervalles cellulaires)
- eau liée aux protéines par des forces faibles (au niveau du filament épais de myosine)
- eau liée aux molécules.
En chauffant, la structure quaternaire des protéines se dénature, libère l’eau (libre). Il en
résulte une expulsion des jus.
La myosine se dénature vers 45/55°C, suivie par le collagène (55-65°C) et enfin par l’actine
(75°C).
C’est l’hème de la myoglobine qui est responsable de la couleur de la viande : au cours de la
cuisson le Fe++ (rouge vif) est progressivement oxydé en Fe+++ (brun), d’où le changement
de couleur.
La modélisation de la cuisson des viandes s’effectue en trois temps :
- balayer un large spectre de T° x Tps dans des conditions parfaitement maîtrisées
- établir un modèle de prédiction des pertes en jus à la cuisson
- valider par des cuissons de type ménager
On prendra en compte deux paramètres pour définir le couple T° x Tps :
- la diffusion de T° de l’extérieur vers l’intérieur, liée à la géométrie des morceaux mais
peu liée au mode de cuisson
- le choix du Tps de cuisson, lié au degré de cuisson recherché, à la solubilisation du
collagène pour les cuissons longues, mais peu lié à l’espèce animale.
Les modèles ainsi crées semblent plutôt bien fonctionner.