Coston Henry - Les 200 Familles Au Pouvoir
Coston Henry - Les 200 Familles Au Pouvoir
Coston Henry - Les 200 Familles Au Pouvoir
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OUVRAGES DE HENRY COSTON
Voici classées par ordre alphabétique, les notices des grandes dynasties bourgeoises aux origines
fort diverses - françaises ou étrangères - qui occupent, certaines depuis la fin du siècle, une xvme
position dominante aussi bien dans l'industrie, le commerce ou la banque que dans la politique, l'admi·
nistration ou la diplomatie. Nomb. ill .. hors texte, relié toile rouge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 F
Waher Rathenau. ancien conseiller de Guillaume Il, puis ministre de la République allemande: signataire
du fameux pacte germano-sociétique de Rapallo, déclarait un jour : « Trois cents hommes, dont chacun connait
tous les autres, gouvernent les destinées du continent européen, et choisissent leurs successeurs dans
leur entourage ». Vous trouverez la clé des événeme·nts dans ce livre d'une documentation
étonnante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 F
L'Europe qu'on nous fabrique sera·t·elle celle des peuples, unis pour la défense de l'Occident 7 Ou celle
des banques et des trusts associés pour l'exploitation de nos dépouilles 1 Les trafics, les combinaisons, les
complicités des journaux et des politiciens (France, Angleterre, Italie, Allemagne, Bénélux) placés sous un
impitoyable projecteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 F
Partant du fameux slogan lancé par le Front Populaire, l'auteur nous décrit avec une minutie d'horloger
le mécanisme de l'opération qui consiste à faire payer' aux classes moyennes des villes et des campagnes,
ce que les puissances d'argent ont dO céder à la marée de 1936 et à celle de 1944. Nombreux tableaux
en couleur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 F
Le règne du général de Gaulle, année par année . ... .' .. .. •. . . .. . . ••• •. . .....•• , . .... . , , .... . .• .... 24F
• LA FRANCE A L'ENCAN.
Notre pays vendu en moceaux comme dans une brad8rie : C'est ce que vous montre le document
exceptionnel .sur les agiSsements de la finance cosmopolite. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 F
Les révolutions ne sont pas spontanées. Elles ne naissent pas comme des champignons, en une nuit,
sous un arbre. L'auteur nous le prouve et nous dit qui a fourni les fonds indispensables aux entreprises
révolutionnaires de France 11789) et de Russie (1917). d'Italie · !marche sur Rome de Mussolini) et
d'Allemagne (Hitler) ... ......... . .. . . . .. .... . .. .......................... .. . .. . ... . ................ 15 F
point sur sa liste noire. C'est, le plus souvent, une simple 23 octobre suivant, l'organe officiel du P.C.F. vantait, sur
erreur, imputable au trop grand zèle de rédacteurs inexpé· un bon quart de page - au tarif habituel de la publicité -
rimentés ; un numéro suivant rectifie le tir. Pendant de les « qualités» exceptionnelles de «Planta». Au-dessous
longues années, M. Marcel Dassault, aujourd'hui tabou pour d'un grand cliché occupant toute la largeur de la 7° page, on
la presse de droite, fut honteusement ménagé par les jour- pouvait lire :
naux communistes - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il
« En un an 56 millions de paquets de Planta vendus en
faut probablement en rechercher la raison dans le geste que
le père du Mirage avait fait, en mai 1946, en faveur de France.
L'Humanité: un gros chèque peut avoir l'effet apaisant d'un Planta est sur la table de millions de Français.
soporifique. L'explication d'un tel succès est simple : les millions de
femmes qui achètent régulièrement leur paquet de Planta
Il est un autre exemple, plus significatif encore : celui ont chacune leurs raisons : finesse de goîU, fraîcheur,
du trust multinational Unilever. Dans son numéro du 11 sep- légèreté... mais toutes, absolument toutes, sont d'accord sur
tembre 1960, L'Humanité-Dimanche publia un grand article un point : la qualité de "Planta". »
sur l'intoxication par la margarine qui venait de faire de
nombreuses victimes en Hollande. Bien entendu, la branche française d'Unilever, c'est-
à-dire Astra-Calvé, ne figure pas sur la liste des trusts à
« Tout le monde connaît l'histoire de cette margarine
nationaliser...
hollandaise, écrivait M. Robert Lechêne, dans le quotidien
communiste. Par contre, peu de monde a su le nom exact Ces accommodements avec le ciel expliquent le mutisme
de cette margarine. Elle s'appelle "Planta", mais un étrange à peu près total de la Gauche sur les "200 Familles". Les
silence s'est fait sur "Planta", car elle est fabriquée par un nationalisations prévues, je l'explique plus loin, n'auront
trust hollando-britannique singulièrement puissant, Uni- aucun effet sur la puissance réelle des oligarchies finan-
lever. cières. On attend le nouveau Daladier qui répéterait aujour-
( ... ) C'est un colorant nouveau, intégré au Planta, qui d'hui, dans un congrès de la Gauche que :
serait responsable des intoxications constatées. Le mythe de « Deux cents familles sont maîtresses de l'économie
la "richesse des tropiques sur votre table" y a perdu quel- française et, en fait, de la politique française»,
ques plumes (ou quelques palmes). Alors, il n'y a donc pas
dans la margarine que "de belles huiles ensoleillées tirées de ou qui confirmerait que :
beaux fruits gorgés de soleil" ? Il y a donc aussi des pro- « L'influence des deux cents familles pèse sur le système
duits chimiques. Bien sûr, et pas seulement de ça, et pas fiscal, sur les transports, sur le crédit »,
seulement là. »
et qui ajouterait que :
L'article, qui occupait la moitié de la 6° page du journal,
avec un titre sur huit colonnes, se terminait par ces mots : « Les deux cents familles placenr au pouvoir leurs délé-
gués "et" interviennent sur l'opinion publique, car elles
« •.. "Les trusts de la mangeaille, comme les autres, n'ont contrôlent la presse » (3).
pas toujours le plus grand respect des lois qui ne leur
conviennent pas. » Il arrivait parfois aux professeurs et aux médecins qui
animaient alors les partis républicains et socialistes d'avoir
Vous vous doutez des remous que l'article provoqua des sursauts d'indépendance et d'honnêteté qui sont com-
dans le monde ouvrier, parmi les lecteurs du journal com-
muniste, grands consommateurs de margarine. La direction (3) Sténographie officielle du Congrès radical-socialiste de
du trust ne fut pas longue à réagir. Dans son numéro du Nantes, journée du 28 octobre 1934.
10 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR INTRODUCTION 11
piètement ignorés des technocrates et des « fils à papa », général Sébastiani, aux demoiselles d'Arberg, le général
leurs dirigeants d'aujourd'hui. Les chaînes dorées de la Klein et le général Mouton, futur comte de Lobau, à Mlle de
finance ne paralysent pas seulement les politiciens cen- La Rochefoucauld, le comte Aldobrandini, beau-frère de
tristes et libéraux ,· depuis que la Gauche s'est donnée pour Pauline Bonaparte.
chefs d'anciens factotums de financier ou d'affairiste, voire Avec la Monarchie de Juillet, les alliances matrimoniales,
des gendres de banquier, le combat contre !'Argent s'est qui étaient aussi des mariages d'intérêts, se sont multi-
changé en collaboration avec !'Argent. pliées entre la bourgeoisie d'argent et les deux noblesses,
- C'est l'évolution naturelle des choses, me disait l'an l'ancienne et la nouvelle. Au cours de la seconde moitié du
dernier un ancien parlementaire socialiste désabusé. Les X/X• siècle, ces unions sont pratique courante. C'est
Jacobins et les Régicides, après avoir réclamé une démo- l'époque où deux Rothschild, les deux sœurs, filles de ban-
cratie dure et pure, n'ont-ils pas sombré dans le plus abject quier, deviennent, l'une duchesse de Gramont, l'autre prin-
des opportunismes lorsque Bonaparte eut étranglé la cesse de Wagram.
r" République ? Et, plus près de nous, les résistants de 1944 Très tôt, ces dynasties bourgeoises se sont intéressées à
ne se sont-ils pas associés aux pires exactions qu'ils la politique. Détenteurs du pouvoir économique, elles ne
· condamnaient au temps de Vichy? pouvaient négliger les élections : pour mieux défendre leurs
Cela nous conduit à examiner ensemble l'évolution de intérêts, il fallait bien qu'elles pénètrent dans les assem-
cette bourgeoisie révolutionnaire, dont les membres les blées. Au début, la bourgeoisie d'affaires se heurta aux
plus favorisés par la fortune ont formé les 200 Familles. tenants de l'économie traditionnelle, dont l'agriculture est
la base. Ceux-ci restaient tout naturellement fidèles aux
C'est avec la Révolution et l'Empire qu'apparurent les principes chrétiens d'ordre et de charité,· celle-là était, au
dynasties bourgeoises dont les richesses provenaient de la contraire, la championne du libéralisme et du progrès.
spéculation sur les assignats, les biens nationaux, les four- Pour créer des conditions économiques favorables à son
nitures aux armées. enrichissement, la bourgeoisie d'affaires souhaitait une
« Véritables aventuriers de la société nouvelle, a dit politique libérale, donc un changement de régime. La chute
l'historien Albert Soboul, ces hommes, par leur esprit des Bourbons, encouragée par elle, permit au fils de
d'entreprise et leur goût du risque, revivifièrent la classe Philippe-Egalité, qui symbolisait les aspirations du capita-
dirigeante ; ils firent souche de bourgeois. » lisme naissant, de monter sur le trône.
Sous l'impulsion de Napoléon, parfois même sur son Sous Louis-Philippe, les grands travaux, la transforma-
ordre, la classe bourgeoise, anoblie ou pas par lui, se rap- tion des moyens de transport, les premiers chemins de fer
procha de la noblesse traditionnelle. L'Empereur cherchait augmentèrent considérablement les richesses des indus-
à réaliser une fusion réelle entre l'ancienne classe dirigeante triels, des négociants et des financiers, tandis que la fortuné
et la nouvelle. C'est à cette fin qu'il fit procéder par Savary, des terriens avait tendance à diminuer.
son ministre de la Police, à la fameuse « Conscription des Avec le régime censitaire qui ne donnait le droit de vote
filles » qui conduisit les préfets à faire l'inventaire des qu'aux Français jouissant d'une certaine aisance, se trou-
demoiselles à marier avec « signalement physique, intellec- vaient en présence, dans les assemblées parlementaires, les
tuel et moral», et naturellement aussi de «leur dot présu- représentants des deux camps, celui de l'économie terrienne
mée» et des «espérances d'héritage», de «la nature» et de et celui de l'économie capitaliste. Les uns entendaient
«la situation des biens». Que d'unions furent ainsi conclues conserver les traditions de la France : c'étaient les légiti-
sans .que l'on tînt compte des intentions des futurs époux mistes ; les autres souhaitaient une évolution rapide de
et de leurs familles ! On fit épouser à Mlle de Coigny, le l'économie leur permettant, avec le développement du
12 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR INTRODUCTION 13
machin_isme et des échanges internationaux, d'accroitre lisme intégral de Maurras seront incapables de bousculer
leurs richesses et leur puissance : ils étaient favorables aux l'adversaire solidement campé dans la République : grdce
Orléans. Le point d'appui des premiers était l'Eglise catho- à la franc-maçonnerie, celui-ci a noyauté · les administra-
lique, a~ec ses principes d'ordre et d'autorité empreints tions, les partis de gauche, le socialisme même, et Girardin
de chanté. Les seconds, souvent voltairiens, parfois juifs vient de lui livrer la presse en la rendant tributaire de la
ou francs-maçons, s'opposaient à l'Eglise et acceptaient la publicité.
République ,· on les retrouva derrière le mouvement de L'affaire Dreyfus, qui divise la France en deux camps,
laïcité que les loges maçonniques venaient de lancer. est l'occasion pour le Grand Capital de renforcer son em-
. Voici S~dan et la chute .de l'Empire : l'arrivée au pou- prise sur les républicains et les socialistes. En dotant ces
voir de Thiers marque la victoire des seconds sur les pre- derniers de journaux comme L'Humanité, que Jean Jaurès
"!iers. La lamentable affaire du drapeau blanc permet put créer grâce aux subsides de quelques banquiers (4 ), les
d écarter le comte de Chambord et de réduire à l'impuis- oligarchies financières devaient s'assurer très longtemps la
sance les tenants de l'économie traditionnelle. Désormais neutralité des chefs bourgeois du prolétariat. Des alliances
les capitalistes industriels et financiers sont républica.ins : matrimoniales consolideront cette entente de la plouto-
tous veulent que se maintienne la forme politique la plus cratie et du socialisme au point de rendre inopérantes, en
favorable à leurs affaires. N'est-ce pas sous la République maintes circonstances, les mesures qui seront prises, sous
qu'ils ont le plus d'avantages? N'y détiennent-ils pas à la la pression des masses, contre la féodalité de l'Argent : la
fois le pouvoir politique .et le pouvoir économique ? Le petite-fille du leader socialiste Jules Guesde, devenue
Ralliement, prôné par le cardinal Lavigerie et le pape Mme Charles Schneider, a longtemps géré le trust de la
Léon XIII, en 1892, donne le coup de grâce aux tenants de famille de son mari et en est toujours la présidente d'hon-
l'économie traditionnelle. Ces derniers résistent naturelle- neur (Le Creusot des «marchands de canons» comme
ment au mot d'ordre de l'Eglise et refusent tout d'abord disaient les socialistes de la Belle Epoque). M. Jean Forgeot,
d' « accepter la constitution pour changer la législation "· lui aussi socialiste, quitta le service du président socialiste
Ils créent l'Union pour la France chrétienne où se retrou- de la République, Vincent Auriol, pour devenir le bras droit
vent les légitimistes les plus affirmés et quelques orléanistes de Mme Schneider à la direction du trust (voir chapitre
inquiets. Mais, sous la pression du Vatican, ce mouvement XVI).
doit bientôt disparaître et le ralliement du légitimiste A la tête de Publicis, la plus importante agence de publi-
Albert de Mun dom:ie le signal de la retraite. La Droite, cité française après Havas (nationalisé), se trouve le mil-
c'est désormais Jacques Piou, son véritable chef au parle- liardaire Marcel Bleustein-Blanchet dont l'épouse est, elle
ment. Dès lors, le parti du progrès l'emporte sur le parti de aussi, petite-fille d'un leader socialiste, membre de la
la tradition, et les conservateurs comme les progressistes Commune, Edouard Vaillant. L'une des filles de M. et
sont liés aux mêmes intérêts. Les unions matrimoniales Mme Bleustein-Blanchet est devenue la femme de l'avocat
précipi.t~ront la fusion des terriens, ruinés par 1'évolution Robert Badinter, supporter du Parti socialiste de M. Mit-
économique, et des gens d'affaires, enrichis par le progrès. terrand.
Geor~es Ohnet, dans son fameux Maître de forges, décrit L'un des adjoints du premier secrétaire du P.S., M. Alain
parfaitement le processus de l'opération qui livre le château Savary, député socialiste de Saint-Pierre-et-Miquelon, puis
à l'usine et le notable de province à l'homme d'affaires. de la Haute-Garonne, ancien secrétaire général adjoint du
P.S. U. et secrétaire national du Parti socialiste, président
!-'équilibre est rompu entre les deux groupes qui se sont
funeusement opposés pendant plus d'un siècle. Les assauts (4) J'ai donné dans La Haute Finance et les Révolutions toutes
les précisions sur l'aide financière des Louis-Dreyfus et des Roth-
du nationalisme populaire de Drumont, puis du nationa- schild au leader socialiste.
14 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR INTRODUCTION 15
du Conseil de la Région Midi-Pyrénées, est le gendre d'un treau, des Diebolt-Weber, des Dion, des Carnot, des Casimir
banquier : sa femme, Hélène, est la fille de M. Paulin Bor- Périer, des Dupuy, des Fould, des Hachette, des Hennes~y,
geaud, fils de l'un des fondateurs du Crédit Commercial de des Japy, des Jourdain, des Laroche-Joubert, des Lastey-t;te,
France, le patron de la Banque Borgeaud et des Raffineries des Lederlin des Yves Le Trocquer, des Levy-Alphandery,
François. des Lillaz, des Lebaudy, des Gaston Menier, des Messimy,
Le fils d'un autre chef socialiste de la Belle Epoque, qui des Moustier, des Nicolle, des Henry-Paté, des Patenôtre,
fut président de la République, il y a un demi-siècle, Alexan- des Peyronnet, des Plichon, des Stern, des Reille, des
dre Millerand, a épousé l'héritière d'un riche banquier : Schneider, des Stuhl, des Taittinger, des Thoumyre, des
l'avocat Jacques Millerand s'est, en effet, marié avec la fille Ulrich, des Viellard, des Wallach., des Weiller, des Wendel,
de M. Christian Lazard, l'un des associés de Lazard frères et même des Rothschild ont siégé dans les assemblées par-
et Cie, branche française de la célèbre banque internatio- lementaires · ils étaient aussi bien sur les travées de droite
nale. que sur ceÛes de gauche ou du centre et se réclan;(lie.nt,
parfois successivement, du Bloc des Gauches ou de l Union
Enfin, dernier exemple de la collusion matrimoniale des nationale.
gens de finances et des chefs du socialisme, le ménage
Pierre Brossolette. Héros de la Résistance, socialiste et Mais la montée du socialisme et, malgré une évolution
franc-maçon, le journaliste Pierre Brossolette avait épousé, marquéè du clergé, la méfiance d'une fraction importante
alors qu'il collaborait au Quotidien, la fille d'un directeur du monde catholique, surtout après l'encyclique Quadra-
de banque, Mlle Gilberte Bruel, futur sénateur socialiste de gesimo Anno de Pie XI, obligèrent la bourgeoisie d'affaires
la Seine. De cette union naquirent deux enfants, dont un à agir dans la coulisse. La lumière crue des tr~t~aux et de~
fils, Claude. Ancien élève de l'E.N.A., celui-ci devint inspec- tribunes la contraignit à quitter la scène politique. Peu a
teur des Finances et collaborateur de ministres socialistes. peu, il ne resta qu'un très petit nombre de grand; ?ourgeois
Il était membre de la S.F.I.O. et s'apprêtait à entrer au dans les assemblées parlementaires, adoptant d ailleurs les
cabinet du ministre socialiste des Affaires économiques et étiquettes les plus variées, allant du républicain, de ga~che
financières, Paul Ramadier, lorsqu'il épousa Mlle Sabine à la gauche radicale, le terme « gauche » étant desormais la
Goldet. Bien qu'elle portât le même patronyme qu'une can- sauce qui fait passer le poisson.
didate marxiste dans le 6e arrondissement de Paris, l'épouse La puissance que confère l'argent assura longt~mps
de Pierre-Brossolette n'appartient pas au prolétariat, ni encore aux 200 Familles la neutralité des chefs bourgeois du
même à la petite bourgeoisie : elle est la fille de l'un des prolétariat. Elle leur permit aussi, en redorant quelques
«patrons» de l'industrie pétrolière, feu André Goldet, fils blasons de se concilier les bonnes grâces des derniers
de Henri Goldet, né Goldschmidt, tous deux gros actionnai- grands « terriens» guettés par la ru~ne. Hormis la m~n~rité
1
res des Pétroles Jupiter (anciens Ets Les Fils de Deutsch de brouillonne et agitée que représentaient alors les socialistes
la Meurthe) aujourd'hui La Shell Française. Le beau-père révolutionnaires, orgueilleuse et surannée de la frange réac-
de M. Claude Pierre-Brossolette fut en outre vice-président tionnaire nul ne s'insurgea plus désormais contre la féoda-
des Aciéries électriques d'Ugine, puis administrateur de lité nouv~lle. Avec des hauts et des bas, les événements qui
Péchiney-Ugine-Kuhlmann, de Shell-Berre et du trust ont secoué la France depuis plus de quarante ans n'ont pas
rothschildien Le Nickel.
beaucoup modifié cette situation. Le retour au pouvoir ~u
Pendant de longues années, la bourgeoisie d'argent général De Gaulle, puis l'entrée à l'E~ysée ~e son an~ien
occupa dans les assemblées, le devant de la scène politique : ministre des Finances après un court mtermede pompido-
des Louis Aubert, des Audiffret-Pasquier, des' Bardoux, des lien ont même singulièrement renforcé l'hégémonie du gros
Paul Bénazet, des Bischoffsheim, des Brincard, des Coin- arg~nt. Les liaisons d'intérêts autant que les liaisons de
16 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
CHAPITRE PREMIER
banque Lazard frères et Cie ; M. François Dalle, président Moins tapageur, moins voyant que lui, M. Claude Per-
de L'Oréal, membre de l'association Entreprise et Progrès, driel fut - est toujours - l'un des supporters efficaces du
à la fois synarchique et «socialiste», ainsi que des person- candidat de la Gauche en 1974. Comme M. Mitterrand, il
nages beaucoup moins fortunés mais qui occupent néan- fut touché par la grâce socialiste à l'âge mûr (9). Jusque-là,
moins une position dominante, chacun dans sa profession, il avait évolué dans les eaux capitalistes de Worms, puis du
en tout cent vingt membres environ versant une cotisation baron Edmond de Rothschild, dont il était le bras droit
annuelle égale à 10 % du montant de leur impôt sur le pour les affaires immobilières. Il fut président de la Sté
revenu. française d'assainissement et de la Cie valoisienne de cons-
tructions industrielles et directeur général adjoint de Cogi-
M. José Bidegain appartient à ce club. Egalement in- Alu. En 1964, il fut introduit à France-Observateur par Jean
téressé, pendant plusieurs années, à la propagande de Daniel, époux de son ex-femme, et devint le P.D.G. du
L'Express, au point d'accepter de présider (en second) Nouvel Observateur - nouveau titre de l'hebdomadaire
le conseil de surveillance de ce groupe de presse dès fondé par M. Claude Bourdet.
1971, M. José Bidegain appuya la candidature de M. Mit- Ayant l'ambition de doter la Gauche d'un quotidien de
terrand. Depuis une quinzaine d'années au moins, M. Bide- doctrine et de combat, M. Perdriel a lancé Le Matin de
gain est acquis à la Gauche. A la tête du Centre des Paris, dont le premier numéro a paru le 1•r mars 1977.
jeunes patrons, il est souvent apparu comme un «ré- Les premiers fonds ont été fournis par Le Nouvel Obser-
volutionnaire», ce qui ne l'empêcha pas d'entrer au vateur et ses amis. Les statuts de la société éditrice du jour-
Comité directeur du C.N.P.F. en 1961 et de devenir membre nal, la s.a. Le Nouveau Quotidien, déposés le 21 décembre
du bureau de l'organisme du patronat sept ans plus tard, 1976 à l'étude de M• Le Pavec, notaire à Paris, précisent que
à trente-trois ans (8). En 1964, M. Bidegain fit partie du «les huit millions de francs correspondant à la libération
brain-trust du socialiste Gaston Defferre au sein d'Hori- de la totalité des 40 000 actions de numéraires de la société
zon 80 et d'Objectif 65, les groupes créés par le maire de Le Nouveau Quotidien avaient été versés par huit personnes
Marseille pour promouvoir sa candidature à l'Elysée. Délé- futurs actionnaires et souscripteurs <lesdites actions et que
gué général du Centre national des dirigeants d'entreprises, cette somme avait été déposée à la Société continentale des
puis de l'association Entreprise et Progrès, tout en prési- banques».
dant la commission d'information économique du vie plan, En fait, ce n'est pas 8 millions de francs, mais seulement
il fut l'un des animateurs du Centre national d'information 2 millions, soit 200 millions d'anciens francs qui ont été
pour la productivité des entreprises. Il appartint, de 1953 versés.
à 1971, au conseil municipal de Pau. Résumant ses idées
dans une interview accordée à Notre République, hebdoma· (9) Né au Havre le 25 octobre 1926, M. Claude, Jean, Marcel
claire des gaullistes de gauche (5 avril 1963), il déclarait Perdriel avait trente-huit ans lorsqu'il devint le «patron» du
notamment : « Le syndicalisme ouvrier doit être associé à Nouvel Observateur.
l'échelon de la définition des objectifs et de la politique
des entreprises. » La mise en pratique de ces conceptions Vous trouverez dans
dans l'entreprise ex-Lip, dite Sté européenne d'horlogerie et
d'équipement, devait aboutir à un échec. LA HAUTE FINANCE ET LES R~VOLUTIONS
publié par Henry COSTON
des précisions sur le financement des révolutions en France,
(8) M. José, Jean Bidegain, fils de l'industriel Georges Bidegain, en Russie, en Italie et en Allemagne.
et de Mme, née Denise Jaureguiberry, est né à Buenos Aires le
16 mai 1925. Demandez-nous ce livre.
24 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LE GOUVERNEMENT AUX MAINS DES 200 FAMILLES 25
Voici d'ailleurs l'état des versements : Gauche française son vaste réseau de correspondants éco-
nomiques et financiers, c'est-à-dire pratiquement ses rela-
Nombre Montant Versements tions avec les milieux bancaires et industriels qui règnent
d'actions de la effectués
souscription (libération sur la City. Et l'on sait que la City est la plaque tournante
du 1/4) du capitalisme favorable au progressisme ainsi qu'à la co-
Le Nouvel Observateur du
Monde S.A. dont le siège est à existence pacifique avec le communisme international. Je
Paris 2•, 11, rue d'Aboukir, l'ai expliqué longuement dans .« Les Financiers qui mènent
représenté par son P.D.G., le monde».
M. Claude Perdriel 39 980 7996 000 1999 000
M. Claude Perdriel, 35 rue Le Financial Times existe depuis 1888. Son « editor »,
Vaneau, Paris 7• ' 5 1000 250 Max Henry Fisher, né à Berlin en 1922, réfugié en Angle-
M. Philippe Vianney, 10 terre au début du nazisme, est chargé des liaisons avec
rue Saint-Senoch, Paris 17• ' 5 1000 250
M. Roger Colombani, 68,
l'étranger. Il est, en outre, ce qui montre son importance,
avenue de Saxe, Paris 15' 5 1000 250 membre de la Tricontinentale, cette fameuse synarchie
M. Jacques Deshayes, 24, internationale dont je parle plus loin (chapitre III).
avenue Pierre-Grenier, à Bou-
logne. 2 400
Dans son livre« The New Anatomy of Britain »(édition
100
M. Gilles Martinet, 82, bou- 1976), !'écrivain Anthony Sampson donne ces indications
levard Flandrin, Paris 16' 1 200 50 sur le propriétaire du Financial Times, Lord Cowdray :
M. Bernard Villeneuve, 11,
rue de la Tour, Paris 16' « Lazard (celui de Londres) fait partie de l'énorme em-
1 200 50
M. Jean Cohen, 3, rue de pire financier de Lord Cowdray, l'un des hommes les plus
Marignan, Paris 7• 1 200 50 riches de Grande-Bretagne. Cowdray est l'héritier de la
fortune pétrolière de son arrière-grand-père, Weetman
40000 8 000 000 2000000
Pearson, qui a fondé la Mexican Eagle Oil company, englo-
bée plus tard dans Shell-Mex. Sa principale compagnie,
M. Perdriel qui est, naturellement, fort bien introduit S. Pearson and Sons, est devenue société anonyme en 1969,
dans les milieux d'affaires - on n'a pas été le proche colla- estimée à 70 millions de livres. Mais Cowdray en demeure
borateur d'un Rothschild sans avoir appris à tirer parti le président, son cousin par alliance Pat Gibson est vice-
d'excel1entes et puissantes relations - compte-t-il sur le président, et sa sœur jumelle Mme Campbell Preston
patronat pour assurer la relève des premiers souscripteurs demeure présidente de Westminster Press. Les intérêts de
et fournir les millions qui remplaceront les gros sous des Cowdray (outre d'importants «holdings» à l'étranger)
militants socialistes et progressistes du début ? Au moment comprennent un monopole virtuel de la presse financière
où certaines grandes firmes s'inquiètent du succès de britannique (avede Financial Times et la moitié des actions
l'Union de la Gauche aux élections prochaines, il peut de I'Investor's Chronicle et The Economist), la chaîne de
paraître opportun de convaincre les plus effrayés qu'un journaux provinciaux de Westminster Press, les éditions
versement substantiel au seul quotidien de la Gauche non Longman et, par leur biais, les Livres Penguin. »
communiste pourrait être une assurance contre certains Suit cette note :
risques ...
«Il (Cowdray) n'apparaît pas souvent chez Lazard (dont
En tout cas, Le Matin de Paris a conclu, dès mars 1977, il possède les deux tiers) ; il laisse la direction de la banque
un accord avec le journal le plus représentatif de la City : à son président, Lord Poole. Poole est par lui-même une
The Financial Times. En vertu de ce contrat le journal du figure bien connue de la City. Il est devenu un maître de
grand capitalisme britannique met à la disposition de la la politique et de la finance; durant douze ans, il fut une
26 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LE GOUVERNEMENT AUX MAINS DES 200 FAMILLES 27
figure dominante dans l'organisation du parti conservateur, société qui porte son nom, M. Trigano est fort lié avec
et fut sans doute l'un de ses plus efficaces organisateurs ... » M. Georges Dayan, l'homme de confiance du premier secré-
Lazard de Londres est l'ancienne branche anglaise de la taire du Parti socialiste : M. Jean-François Dayan, son fils,
banque internationale Lazard, qui conserve ses branches a épousé la dernière fille de M. Trigano. P.D.G. du Club
française et américaine, la banque britannique étant tou- Méditerranée et des Villages de vacances, administrateur de
jours liée avec les deux autres grâce au banquier Michel Trigano Vacances et membre du conseil de surveillance de
David-Weill, à la fois associé de Lazard frères et Cie, de la Compagnie financière, le groupe bancaire du baron
Paris et de New York, et administrateur de Lazard Brothers
and Co, de Londres. ! Edmond de Rothschild, il est l'un des membres du conseil
d'administration de la Chambre de commerce France-
La société The Financial Times Ltd, au capital de Israël. Il est considéré à juste titre, depuis de longues
1800000 livres, est dirigée par : Lord Gibson af Penns années, comme le plus renommé des « marchands de
Rocks (Richard Patrick Tallentyre), administrateur de vacances». En raison de l'énorme budget de publicité de
diverses sociétés du groupe, dont Pearson and Son et West- son groupe, il exerce une influence considérable sur les
minster Press Ltd; M. Brooke (Christopher Roger Ettrick), mass media.
administrateur de 17 sociétés industrielles, financières et Un confrère de M. Aaron apporta aussi son appui à
commerciales; Fisher (Max Henry), déjà cité; Johnson M. Mitterrand en 1974 : M. Claude Alphandéry. Petit-fils de
(Christopher Louis Mcintosh), administrateur de The Oil l'ancien député de la Haute-Marne, Georges Lévy-Alphan-
Daily Ltd et de quatre autres sociétés; Cox (A1Ian George), déry, qui dirigea longtemps le Petit Haut-Marnais, quotidien
directeur de St Clements Press ; Gorman (Michael Christo- radical de l'Est, M. Claude Alphandéry ne cachait pas non
pher); et Franck Taylor, administrateur de Pearson Long- plus ses tendances de gauche. A la Libération, il présidait le
man, d'Evening Mail, de Southern Publishing Co et de six Comité de Libération de la Drôme qui se distingua dans
autres sociétés. l'épuration des partisans du maréchal Pétain. Quelque
L'énorme consortium Pearson, au conseil duquel se temps expert à l'O.N.U., il entra dans les affaires à quarante
trouve le banquier parisien David-Weill, déjà cité, publie ans ( 11) et fut nommé administrateur-directeur général de
une centaine de journaux, magazines et revues, dont The l'Jmmobilière-Construction · de Paris, puis P.D.G. de cette
Banker, The Birmingham Post, The Oxford Mail, The colossale entreprise contrôlée par la famille de sa mère. Il
Catholic Herald - mais oui! -, et contrôle la Yorkshire est également administrateur de plusieurs sociétés immo-
Television Ltd, The National Press A,Rency. bilières, notamment de la SAC/, et P.D.G. de la Banque de
Le groupe Longman, qui dépend de lui, édite des livres la Construction et des Travaux Publics. Il préside depuis
gauchistes. 1969 la Commission de l'habitation créée en vue de l'éta-
Cette association Capital-Révolution ne pouvait que blissement du VI" plan.
séduire le directeur d'un quotidien parisien «socialiste», M. André Rousselet (12), qui rêvait lui aussi de doter la
ancien bras droit (dans l'immobilier) d'un richissime ban- Gauche d'un grand journal, était au nombre des supporters
quier et, d'autre part, «patron» du journal financier La de la candidature Mitterrand. Ancien député de la Fédé-
Presse économique. ration de la Gauche démocrate et socialiste (Haute-Garonne,
Un autre familier du baron Edmond de Rothschild
était au nombre des protecteurs de M. Mitterrand : M. Gil-
(11) Né à Paris le 29 novembre 1922, fils du trésorier-payeur
bert Trigano (10). Patron du Club Méditerranée et de la général Pierre Lévy-Alphandéry, et de Mme, née Sophie, Alice Weil,
l'actuelle président de la Société privée financière et immobilière
(SOFIM).
(10) Né à Saint·Maurice (Seine), le 28 juillet 1920, M. Gilbert (12) M. André, Claude, Lucien Rousselet est le fils d'un magis-
Trigano est issu d'une famille israélite algérienne. trat; il est né à Nancy le 1er octobre 1922.
28 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
LE GOUVERNEMENT AUX MAINS DES 200 FAMILLES 29
2° circonscription) en 1967-1968, ce haut fonctionnaire de
l'administration préfectorale pantoufla en 1960 pour deve- général de société, administrateur des Ets Vautheret, Gros
nir président de la Cie parisienne de gestion automobile, et Lafarge; Michel Gouilloud, P.D.G. d'une filiale de compa-
puis P.D.G. de la Sté nouvelle des autoplaces G7 et de la gnie pétrolière ; et Louis Kaluszyner, directeur général
Cie parisienne de gestion automobile de la gare de l'Est, et d'une société de distribution de produits de loisirs et
enfin de la Copagau (depuis 1968) et de la Sté parisienne culture.
des locations de véhicules (depuis 1970). C'est lui qui avait Originaire de Pologne ( 14 ), entré à vingt-trois ans au
la haute main sur les fonds de la propagande présidentielle Commissariat à l'énergie atomique, cet ingénieur fonda sa
de M. Mitterrand. propre entreprise en 1955 après un stage assez long chez
Personnalité dirigeante de l'ancienne Union de la Gau- Sadir Carpentier et à la Sté R.B.V.-Radio industrie. P.D.G.
che démocrate et socialiste, membre du contre-gouverne- de la Société d'applications industrielles de la Physique
ment Mitterrand en 1966, M. Pierre Uri, 66 ans, fut, lui pendant dix ans, il devint directeur génér~l de la division
aussi, un ferme soutien de la candidature Mitterrand. Cet nucléaire de la firme Schlumberger instruments et sys-
ancien haut fonctionnaire international, directeur de la tèmes jusqu'en 1973, puis, l'année suivante, il entra à la
division économique de la C.E.C.A., devint, à cinquante ans, F.N.A.C., la fameuse entreprise de discount animée par un
le directeur pour l'Europe de la puissante banque Lehmann ancien militant socialiste, M. André Esse!, séduit par les
Brothers, de New York. Il est l'un des participants du beautés du Système capitaliste.
Bilderberg, l'organisation synarchique internationale dont Le «roi de la publicité», M. Bleustein-Blanchet, trop
les agissements ont été révélés par MM. Pierre de Ville- habile pour se compromettre, avait cependant un pied
marest et Jacques Bordiot et qui compte parmi ses anima- - ou un œil - dans le camp Mitterrand : son propre gen-
teurs le baron Edmond de Rothschild, dont M. Pierre Uri est dre, M0 Robert Badinter, avocat de grandes affaires, qui
l'un des principaux collaborateurs, mais aussi M. Uri lui- représentait le comité électoral du candidat socialiste au-
même, ainsi que le député-maire socialiste de Marseille, près de la commission de contrôle du scrutin.
M. Gaston Defferre, l'ancien ministre radical Maurice Faure
et beaucoup d'autres personnages importants comme: Du côté de M. Valéry Giscard d'Estaing, les supporters
assure Jacques Bordiot dans Une main cachée dirige, qui furent plus discrets. Ils ne firent aucune déclaration publi-
est mine de renseignements précieux, M. Valéry Giscard que, ne donnèrent aucune interview à la presse, mais leur
d'Estaing lui-même (13). aide financière fut au moins aussi importante que celle qui
Il y avait aussi, parmi les personnalités du monde des fut apportée aux autres deux grands candidats. C'est que
affaires qui apportèrent publiquement leur appui au candi- les 200 Familles ont reconnu en lui le représentant idéal de
dat Mitte?"and : MM. Henri Mulsant, P.D.G. d'entreprise leurs intérêts. Toute sa famille n'est-elle pas dans les
de maténel de manutention; Jacques Robin, directeur affaires?
Par sa grand-mère maternelle, il est apparenté aux
(13) Le Canard enchaîné, toujours bien informé affirmait dans
Georges-Picot, qui occupent dans les grandes compagnies
son ~mméro du 13 avril -;-- ce livre ~tant ?éjà sous presse - que le et les banques une position exceptionnelle depuis plus
président de la Répubhque devait assister « à la très discrète d'un siècle (Suez, Pont-à-Mousson, Saint-Gobain, Banque
"Conférence de Bilderberg" qui réunira l'élite du monde occiden- de l'Indochine, Providence, etc). Son grand-père Bardoux,
tal à la fin d~ mois el?- Angleterre, à Torquay, dans le Devon ,, (Lec-
!ures françaises avait annoncé cette réunion secrète quelques sénateur libéral du Puy-de-Dôme, administrait deux clou-
J9urs plus tôt, da~s. son ?uméro d'avril 1977). Le Canard enchaîné
!1J0!-1ta1t gue parttc1pera1ent à cette assemblée «,quatre-vingt-dix
mv~t~s tnés su! le vo~et, le gratin de la finance, de la gamberge (14) M. Louis, Lazare Kaluszyner est né à Wlodzimierz (Polo-
pohtlque, de l'mdustne ». gne) le 31 octobre 1927, de M. Abram Kaluszyner, commerçant, et
Mme, née Golda Weinzyb.
30 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LE GOUVERNEMENT AUX MAINS DES 200 FAMILLES 31
zaines de sociétés financières, industrielles ou commer- prises Schneider, étroitement associées avec le trust du
ciales. baron belge Empain, contrôlent tout un secteur de la métal-
Son père, Edmond Giscard d'Estaing, est à la tête de lurgie française ainsi que, pour une bonne part, le domaine
grandes firmes depuis un demi-siècle. Avant la guerre, il nucléaire français. ·
administrait des sociétés coloniales et portuaires (voir le A peine intronisé, le nouveau président constitua un
«Dictionnaire des Dynasties bourgeoises »); pendant l'oc- gouvernement. M. Jacques Chirac, un protégé-commandité
cupation, arborant fièrement la Francisque du maréchal de M. Marcel Dassault, qui avait permis, par son ralliement,
Pétain, il présidait notamment la compagnie d'assurances l'élection de M. Giscard d'Estaing, devint Premier ministre.
Le Phénix; de nos jours, il siège au conseil du Crédit Fon- Presque tous les autres ministres appartenaient au même
cier de France, de Bergougnan, de Kléber-Colombes, de milieu, sinon au même parti.
Carbone-Lorraine, d'Air France, après avoir présidé la L'homme fort du cabinet, l'ami intime et le soutien
société créée pour percer le tunnel routier sous le Mont- fidèle du président, M. Michel Poniatowski, était adminis-
Blanc. Il est, en outre, président de la Société financière trateur de la firme de champagne Veuve Clicquot-Ponsardin,
pour la France et les pays d'Outre-mer. dont sa femme, née Gilberte de Chavagnac, est une très
Le frère du président de la République, M. Olivier importante actionnaire. Il appartenait également au conseil
Giscard d'Estaing, qui fut de 1968 à 1973, député des d'administration de la Sté Debresse Dulac. Issu d'une vieille
Alpes-Maritimes, est administrateur de la filiale française famille polonaise, qui a donné à la France un maréchal, à
du trust américain l.B.M., de Sodico McCann Erikson l'Autriche un feldmarschal, et à la Pologne un roi et un
(Interpublic France), de Trailor; il fut P.D.G. de Gibbs primat, M. Poniatowski porte le titre de prince. Mais il
Hill-France et vice-président mondial de la Jeune Chambre s'agit là d'un titre étranger, ce qui explique qu'il ne figure
internationale. pas dans le Catalogue de la Noblesse française contempo-
Son oncle, René Giscard d'Estaing, marié à une Carnot raine (Paris, 1959). Les Poniatowski actuels, qui ont
(d'une famille connue dans la politique et les produits chi- essaimé en Europe et en Amérique, ne descendent pas du
miques), lui aussi décoré de la Francisque du maréchal roi Stanislas-Auguste, ni du maréchal Joseph Poniatowski :
Pétain, décédé en 1945, était le père de M. Jacques Giscard ceux-ci n'ont jamais contracté d'alliance et n'ont donc pas
d'Estaing, ancien directeur financier du Commissariat à eu de postérité légitime. André Poniatowski, père du maré-
l'énergie atomique, administrateur de sociétés du secteur chal de Napoléon, était devenu prince du Saint-Empire en
nucléaire du trust Schneider (voir chapitre XVI), ainsi que 1765. Les Poniatowski de France, branche à laquelle appar-
de M. François Giscard d'Estaing, directeur général de la tient le ministre de l'intérieur, sont patriciens de Florence
~anque française du commerce extérieur, administrateur avec le titre de principi di Monte Rotondo (depuis 1847)
de Nadella S.A. et membre du conseil de surveillance de et princes autrichiens - depuis 1850. Père de Ladislas
!'Entreprise Jean Lefebvre. Poniatowski, qui a épousé une fille du baron Olivier Gui-
Un autre cousin, M. Philippe Giscard d'Estaing, a été chard, député gaulliste (voir plus loin), le prince Michel
nommé (selon Le Monde du 18 juin 1976), le niême jour, Poniatowski est le beau-frère de !'écrivain catholique Michel
administrateur de la Sté française des téléphones Erickson de Saint-Pierre, ce dernier ayant épousé la sœur de sa
et de la Sté Le Matériel téléphonique, dont il est devenu, femme.
quelques heures après, vice-président-directeur général. Bel Le ministre des Armées nommé dans ce premier gou-
exemple de népotisme ! vernement de la présidence Giscard d'Estaing, appartient
En épousant la petite-fille et héritière des ,Schneider, du également au monde des affaires : M. Jacques Soufflet, au
Creusot, M. Valéry Giscard d'Estaing est entré dans la moment de sa désignation, président de la Société générale
famille des fameux «marchands de canons». Les entre- des transports départementaux, après en avoir été le vice-
LE GOUVERNEMENT AUX MAINS DES 200 FAMILLES 33
32 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
aux mêmes milieux d'affaires. M. Jean-Jacques Servan- nence grise du président Giscard d'Estaing depuis plusieurs
Schreiber, ministre des Réformes, dont les liens avec le années, M. Lionel Stoléru, participant actif du groupe
trust Schneider du Creusot, commanditaire de L' Express il synarchique Bilderberg, a pris le secrétariat d'Etat chargé
y a vingt ans, peuvent expliquer cette promotion insolite des travailleurs manuels ; M. Robert Boulin, administrateur
- et d'ailleurs provisoire; M. Aymar Achille-Fould, secré- de la Cie française de l'Afrique occidentale et de la Sté
taire d'Etat aux P. et T., héritier des Fould, les riches ban- Heinz-Perrier, conseiller du groupe Leven (Source Perrier)
quiers du Second Empire et de la Troisième République, pour les questions laitières, fut ministre chargé des rela-
qui est ou fut administrateur ou gérant d'une dizaine de tions avec le parlement ; il est, depuis peu, délégué aux
sociétés, dont la SOCOMI, la Foncière de l'Hôtel Continen- Finances ; M. Christian Beullac, administrateur de la Sté
tal, la Nigeria and Trading C les vins de Luze et Cie, de
0
,
de matériel agricole et de travaux publics, de la Sté nou-
Bordeaux, et la Sté commerciale de matériel industriel; velle de roulements, de la Sté des Aciers fins de l'Est, de la
M. René Tomasini, secrétaire d'Etat auprès du Premier F.A.S.A. (Espagne), de la S.B.F.M. de Lorient, de la C.P.I.O.
ministre (chargé des relations avec le parlement), ancien pré- de Nantes, de Renault Finance S.A. (Suisse), P.D.G. de
sident de Séquifrance (Sté française financière d'investisse- Renault Industrie, Equipement et Techniques, a été nommé
ment), de la Sacodec (prises de participations dans les affai- ministre du Travail; M. René Monory, président de sociétés
res industrielles et financières) et d'Industria (importante (machines agricoles, automobiles), est ministre de l'Indus-
société de personnel intérimaire); M. Jean-Pierre Soisson, trie, du Commerce et de !'Artisanat depuis le remaniement
secrétaire d'Etat aux départements et territoires d'Outre- du gouvernement Barre (avril 1977); Jean-Jacques Beucler,
mer, cohéritier des Etablissements Soisson et James (manu- P.D.G. de la Sté métallurgique de Corbenay, ancien prési-
facture de vêtements); M. Paul Granet, secrétaire d'Etat à dent du Centre des Jeunes Patrons de Luxeuil, a été nommé
la Fonction publique, ancien directeur général de la Société secrétaire d'Etat à l'intérieur, chargé des collectivités
de technique immobilière et homme de confiance de locales ; Mme Christiane Scrivener, qui est devenue secré-
M. Francis Bouygues, le grand entrepreneur de travaux taire d'Etat à !'Economie et aux Finances (Consommation),
publics ; M. Gabriel Peronnet, secrétaire d'Etat à !'Envi- est la femme de M. Pierre Scrivener, ancien associé de
ronnement, que le Who's Who qualifie, sans donner de K.S. Cate, « patron » de la Sté Pija et ancien trésorier de
détails, d' « administrateur de sociétés » ; André Postel- la Fédération des Jeunes chefs d'entreprises; Mme Hélène
Vinay, secrétaire d'Etat auprès du ministre du Travail Missoffe, nommée récemment secrétaire d'Etat auprès du
(travailleurs immigrés), qui fut, avec M. André Debray, de ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, est l'épouse
la Banque de Paris et des Pays-Bas, et M. François Bloch- de l'ancien ministre François Missoffe, ancien adminis-
Lainé, le banquier (fils d'un associé de la banque Lazard trateur de Harriet Hubbard Ayer, filiale du trust Unilever,
frères), financiers des mouvements de Résistance. et P.D.G. de la Sté Japon Investissements et Japon Pacifie
Les remaniements ministériels n'ont pas modifié la Fund, elle-même fille du comte de Mitry, président d'hon-
tendance du gouvernement : M. Servan-Schreiber, démis- neur de Wendel-Sidelor, administrateur d'une dizaine de
sionnaire, ne fut pas remplacé à ce poste créé pour Jui, grandes sociétés métallurgiques, et de Mme, née Marguerite
mais son alter ego, Mme Françoise Giroud, également de de Wendel, donc directement issue des 200 Familles; et
L'Express, est entrée au gouvernement; M. Pierre-Christian enfin M. Jean François-Poncet, ancien vice-président et
Taittinger, P.D.G. de l'Hôtel Lutétia, vice-président de directeur général de la firme 1.-J. Carnaud et Forges de
l'Hôtel Concorde-Lafayette, administrateur de la Cie com- Basse-Indre et de Marne-Wendel, a été nommé secrétaire
merciale et viticole champenoise (Champagne Taittinger), d'Etat aux Affaires étrangères.
de Ripolin-Georget-Freitag et de la Banquè de l'Union occi- A quelque temps de là, le président Giscard d'Estaing
dentale, est devenu secrétaire d'Etat à l'intérieur ; émi- appela M. François-Poncet auprès de lui, pour remplacer
36 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR . LE GOUVERNEMENT AUX MAINS DES 200 FAMILLES 37
M. Claude Pierre-Brossolette au secrétariat général de la l'économie, voire même un technocrate. Mais lorsqu'on ap-
présidence de la République. Le fils du martyr de la Résis- prit - Lectures françaises fut l'un des très rares orga?es ~e
tance occupait ce poste de confiance depuis l'installation presse qui le révélèrent - que M. Raymond Barre, qm avait
de M. Giscard d'Estaing à l'Elysée. Bien qu'il ait été socia- occupé la vice-présidence de la Commission de la Commu-
liste comme son père et sa mère, M. Claude Pierre-Brosso- nauté Européenne, appartenait à la mystérieuse Trilatérale,
lette appartient, par son mariage, aux 200 Familles. Il a, on comprit mieux : M. Giscard d'Estaing ne faisait que
en effet, épousé en 1953 la fille d'un magnat du pétrole, ratifier le choix que cette nouvelle Synarchie internationale
feu André Goldet, fils d'une Dlle Deutsch de la Meurthe avait fait pour la France comme elle allait le faire, pour
(Pétroles Jupiter), administrateur de la Shell française, de les Etats-Unis, avec un autre de ses membres, M. Jimmy
Péchiney-Ugine-Kuhlmann et P.D.G. de la Sté de gérance Carter.
des intérêts privés (Holding des héritiers Deutsch de la Contrairement à M. Chirac qui, par son épouse, née
Meurthe). Son successeur, M. François-Poncet, appartient, Bernadette Chodron de Courcel, est apparenté aux 200
lui, par son mariage également, à la famille de Wendel; il Familles, notamment aux banquiers de Nerva, M. Barre, fils
est, en effet, le gendre du comte Emmanuel de Mitry, de commerçants, ancien collaborateur du ministre de
descendant de François de Wendel et animateur du holding l'industrie et du Commerce (M. J .-M. Jeanneney, 1959-1962)
regroupant les intérêts familiaux des Wendel dans la métal- et devenu ministre du Commerce extérieur à l'occasion d'un
lurgie. La sœur du nouveau secrétaire général de la Prési- remaniement ministériel du cabinet Chirac, n'appartient
dence fut quelque temps l'épouse du promoteur immobilier pas aux dynasties bour~eoises; Mais il, est du ~ême ~~rd,
Robert de Balkany, et sa belle-sœur, Marie-Thérèse Mis- si l'on peut dire, puisqu il est 1 adepte dune société pohtico-
sofife, est entrée dans le gouvernement en mars dernier, financière internationale qui émane des « 200 Familles »
nous venons de le voir. d'Amérique, d'Europe et du Japon. Nous verrons plus loin
(chapitre III) que le fait est d'une importance capitale.
La brouille du président de la République avec son Ce n'est pas l'effet du hasard qu'autant de gens d'affaires
Premier ministre Chirac et la démission fracassante de ce soient placés à la tête du pays par le président Giscard
dernier provoquèrent, en août 1976, la nomination d'un d'Estaing. Le lecteur un peu attentif aura remarqué l'enche-
nouveau chef de gouvernement. L'Elysée choisit M. Ray- vêtrement des familles, leur imbrication très poussée, qui
mond Barre, un personnage inconnu du grand public, met en évidence une volonté réelle d'accaparement et de
vivant en marge du monde politique, qui prit en même domination. La présence, par exemple, d'héritiers des
temps que la charge de Premier ministre, le portefeuille de Schneider et des Wendel, des Fould et des Deutsch de la
!'Economie et des Finances (16). Pourquoi ce choix ? On Meurthe, dans les avenues du pouvoir est, à ce point de
supposa que ce professeur, qui n'avait jamais été élu à vue, révélatrice.
une fonction publique, avait été désigné en raison de ses Mais si, avec l'actuel chef de l'Etat, c'est la fraction la
connaissances, qu'il était un technicien des finances et de plus connue du Grand Capital qui domine, il serait hasar-
deux d'en déduire que la disparition de M. Giscard
(16) Contrairement à l'attente de certains observateurs, le d'Estaing et de ses ministres - suivie de leur remplacement
conseiller économique de M. Giscard d'Estaing, M. Lionel Stoléru par l'équipe de M. Mitterrand - modifierait profondément
ne devint pas ministre des Finances : il conserva le secrétariat la situation de notre pays. La France ne ferait que changer
d'Etat auprès du ministre du Travail (travailleurs immigrés) qu'il
avait obtenu dans le précédent gouvernement. M. Stoléru attaché de maîtres : le Système restant en place, on verrait bien vite
au cabinet de M. Giscard d'Es~aing, ministre de l'Eco~omie et d'autres hommes d'affaires ou d'autres fidéicommissaires
des Finances (1969-1974 ), puis son conseiller te,chnique à l'Elysée de la «Finance anonyme et vagabonde» s'emparer des
(1974-1976), est une personnalité marquante de la Communauté
israélite et du groupe de Bilderberg. sièges abandonnés par leurs actuels occupants. Les corn-
38 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
« Le vote de la communauté juive contre celui qui vrais indépendants n'y sont pas plus nombreux que sous
avait. dénonc~ Israël comme l'agresseur n'a pas été, sem- les précédents régimes. Cela tient au mode d'élection, et
ble-t-il, sans mfluence », devait écrire un peu plus tard à l'état d'esprit des électeurs, trompés par leurs directeurs
I'exceilent observateur politique du Monde (1). de conscience.
Plus net encore que M. Viansson-Ponté, l'académicien Faut-il rappeler qu'une campagne électorale coûte
François Mauriac, admirateur du Général et son supporter cher, même si la collectivité prend à sa charge 1'envoi aux
fidèle, n'hésita pas à accuser les Israélites d'avoir voté en électeurs des professions de foi des candidats et quelques
masse contre la réforme proposée par le chef de l'Etat dans autres menus frais. Certains journaux ont dit que M. Gis-
1'espoir de provoquer son départ : card d'Estaing avait dépensé plusieurs milliards d'an-
«Ce que personne n'ose rappeler, tant on a peur d'être ciens francs pour se faire élire et que MM. Chaban-Del-
accusé d'antisémitisme, c'est qu'il y eut une autre cause mas et Mitterrand en avaient gaspillé guère moins pour
au triomphe des « non » au référendum : ce fut la politique se faire battre. Il faut aussi beaucoup d'argent pour faire
du Général à l'égard d'Israël. Je regrette de ne pas avoir une campagne, quand on est candidat député. Cela repré-
gardé certaines lettres où des amis juifs, fervents gaullis- sente quelques dizaines de millions anciens si l'on ne
tes, devenaient d'un seul coup des adversaires implaca- dispose pas d'un appareil comparable à celui du Parti
bles (2). » communiste, lequel ne manque pas de moyens financiers
Après la disparition de la scène politique du fondateur non plus.
de la v• République et sans que la constitution ait été Rares sont les candidats qui trouvent, dans leur pro-
?1'odifiée, les députés et les sénateurs reprirent quelque pre famille, les fonds indispensables. Il leur faut donc
importance. On ne sollicite pas encore leur avis quand faire appel à ceux qui sont réputés «avoir les moyens».
le président de la République choisit ses ministres mais Ce sont parfois de petits industriels :ocaux, des négo-
on en revient peu à peu aux fameux dosages f~rt en ciants du cru, qui ne seraient pas mécontents d'avoir
honneur sous les précédentes républiques. On tolère même ainsi «leur» député, c'est-à-dire un élu capable de faire
qu'ils modifient ou édulcorent certains projets, qui tien- aboutir certaines démarches et, au besoin, pouvant les
nent tant à cœur au chef de l'Etat et aux 200 Familles. effectuer lui-même pour leur compte. Mais, le plus souvent,
Il s'ensuit que le parlement, assemblées négligeables il le candidat est dirigé sur une caisse centrale, une véri-
y a dix ans, est redevenu une puissance avec laquelle il table caisse noire alimentée par les trusts et les banques
f?ut compter. C'est, naturellement, par lui que l'opposi- et, dès lors, quiconque profite de cette manne, devient
tion entend provoquer les changements inscrits au «Pro- l'obligé de ceux qui la lui donnent. Ces grands dispensa-
gramme commun ». Aussi, la voyons-nous fourbir ses armes teurs de fonds électoraux se sont appelés, dans le passé :
en vue de la prochaine consultation électorale. Comité Mascuraud, Union des Intérêts économiques, ou
Comité des Forges. De nos jours, le C.N.P.F. et certaine·s
Ce qui est dit au chapitre précédent à propos du gouver-
grandes chambres syndicales distribuent eux-mêmes les
nement est également applicable au parlement. La majo-
milliards de la corruption. Les bénéficiaires en sont aussi
rité y est aussi soumise aux puissances d'argent que le
bien les candidats de droite que ceux de gauche ou du
cabinet. Les oligarchies financières comptent dans les
centre. Ils n'ont pas de préférence, l'essentiel étant de
deux chambres autant de créatures que dans les minis-
s'attacher ainsi les futurs élus.
tères Chirac et Barre ou dans les avenues du pouvoir. Les
Certes, ces aspirants députés n'ont pas pris d'enga-
gements fermes; il est probable que nombre d'entre eux
(1) P. Viansson-Ponté, Le Monde, 12 janvier 1970.
(2) Le Bloc-Notes de François Mauriac, Le Figaro littéraire
ont alors 1'arrière-pensée de suivre leur voie, une fois au
24 novembre 1969. ' parlement, sans se soucier de leurs commanditaires. Mais
42 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'ARGENT ET LA POLITIQUE 43
ils comprendront bien vite que s'ils veulent être réélus thentique des démocraties. Ils ne s'aperçoivent pas qu'ils
il leur faudra satisfaire les intérêts de ceux qui leur ont sont ainsi tombés dans les rets des oiseleurs de la finance.
permis d'entrer au parlement en finançant leur élection, J'ai connu, il y a bientôt quarante ans, un ancien parle-
et qui ne le feraient plus, à l'avenir, si les élus ne faisaient mentaire qui me fit l'aveu de sa surprenante naïveté.
pas ce qu'ils attendent d'eux. Vous pouvez désintéresser Combien en est-il encore qui confondent, de bonne foi,
à bon compte un homme fortuné de votre région qui vous les intérêts du pays et ceux de leur milieu ou du groupe
a versé des subsides lors de votre campagne électorale : qui les a accueillis !
un ruban rouge, souvent, suffira. Mais il en va tout autre- Il existe, il est vrai, sous la ve République, assez peu
ment lorsqu'il s'agit des «gros», des organismes capita- de députés-hommes d'affaires. On cite, bien sûr, le cas
listes qui vous ont largement ou même plus parcimonieu- de ce parlementaire réputé, qui, encore simple avocat sans
sement «arrosé». Pour ceux-là, il faut des avantages plus cause, vécut aux crochets d'un confrère et n'avait pas
tangibles. D'où les votes favorables à certains secteurs un costume convenable à se mettre à la Libération, et
économiques, l'acceptation de subventions publiques à qui fêta son premier milliard en 1955 et son deuxième à
diverses firmes industrielles et les interventions profita- la chute de la IV• République. Mais c'est l'exception.
bles à tel ou tel groupe exportateur ou importateur.
Le scandale de Panama et l'affaire Stavisky sont loin.
L'élu modeste, effacé, soucieux du bien commun - il
La v• République n'a connu que quelques krachs immo-
en existe sur tous les bancs - ne sera pas d'un grand
biliers qui n'ont éclaboussé qu'une demi-douzaine de dé-
intérêt : les trompettes de la renommée, qui ne sonnent
putés. D'ailleurs, les responsables de ces déconfitures
que pour les hommes du Système, ne retentiront pas
n'avaient qu'un lointain rapport avec les oligarques qui
pour lui. Sans appui, il perdra vite le prestige que lui
dominent notre économie ou qui règnent à la Bourse. Il
valut, dans sa circonscription, une brillante élection ; il
leur manquait d'avoir réussi leur coup pour être jugés
sera battu à la consultation suivante. Par contre, le par-
dignes de faire leur entrée dans le cercle fermé des 200
lementaire ambitieux et point trop scrupuleux sur les
services à rendre aux puissances d'argent sera assuré, Familles.
sauf gros imprévu, d'une carrière longue et profitable ; Jean Galtier-Boissière, le fondateur du Crapouillot,
non seulement il aura droit aux articles élogieux de la a publié, voici un quart de siècle, une liste des parlemen-
presse locale ou régionale, mais aussi aux citations fré- taires liés aux milieux d'affaires. Ce ne sont plus les
quentes et non moins bienveillantes dans les grands jour- mêmes aujourd'hui, à de très rares exceptions, mais leur
naux de Paris, et il bénéficiera des avantages que les nombre est sensiblement analogue. Ils ne sont qu'une
trusts accordent aux hommes qui les servent : pour celui- minorité ceux qui, au vu et au su de tous, occupent un
ci, un siège d'administrateur de société ou une sinécure ou plusieurs postes d'administrateurs; le plus souvent,
moins voyante, pour celui-là, s'il est avocat, des dossiers ils passent, aux yeux de leurs collègues et de leurs élec-
à étudier. Les parlementaires les plus en vue n'échappent teurs, pour des techniciens avisés, ce qui leur permet
pas à la règle, à moins qu'ils n'aient une fortune person- d'occuper les meilleures places dans les commissions par-
nelle les mettant à l'abri des tentations. lementaires. Parmi les quelque quatre cent quatre-vingts
N'allez pas croire que les parlementaires qui accep- députés qui siègent à l'Assemblée nationale, combien en
tent ces largesses du monde des affaires aient conscience est-il qui sont capables d'aborder les questions écono-
de trahir les devoirs de leur charge. Pas du tout : ils sont miques, financières et fiscales avec compétence? D'ail-
souvent persuadés que c'est la règle du jeu et qu'ils servent, leurs, s'ils devaient étudier sérieusement tous les projets
en fin de compte, les intérêts de la nation, puisque le de loi, tous les dossiers soumis aux commissions, quand
Système est l'expression la plus satisfaisante de la plus au- pourraient-ils s'occuper des affaires de leurs électeurs?
44 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
L'ARGENT ET LA POLITIQUE 45
L'avionneur n° 1, qui passe pour un « homme de m1ss1on » à la Présidence de la République ; mais il est
droite» - sans doute parce que son bras droit, le général beaucoup plus que cela : c'est l'homme de confiance de
de Bénouville, fut jadis antisémite et camelot du roi et M. Giscard d'Estaing pour toutes les questions concer-
qu'il est à l'origine de sa conversion au catholicisme - nant la recherche et la gestion des fonds destinés à la
fait parfois des générosités à tel ou tel journal ou mou- propagande giscardienne. Agé de soixante ans - il est né
vement national, comme la banque Worms subventionne le 19 décembre 1916 à Saint-Julien, dans la Haute-Loire -
des organismes anticommunistes ou les «patrons» de il débuta comme fonctionnaire de l'Enregistrement en
Viniprix s'intéressent à des publications traditionalistes. 1938, végéta dans cette administration sous l'Etat Français,
Mais l'extrême-droite présente trop peu d'intérêt aux n'en devint inspecteur qu'après la Libération. Adminis-
yeux des oligarchies financières pour qu'elle soit traitée trateur civil au ministère des Finances en 1946, remarqué
sur le même pied que le centre, la gauche ou même les par M. Giscard d'Estaing, alors inspecteur des Finances,
libéraux. Une aumône ou un pourboire, c'est tout ce il devint son collaborateur dès que celui-ci entra au gou-
que valent les nationalistes d'aujourd'hui. Pourquoi, d'ail- vernement. Il fut chef de cabinet de V.G.E., alors secré-
leurs, en serait-il autrement? Depuis trente ans, ne sont- taire d'Etat aux Finances en 1959, le resta lorsque celui-ci
ils pas la piétaille qui reçoit les coups sans que l'on ait devint ministre des Finances en 1962, fut nommé successi-
eu besoin de la mobiliser, encore moins de lui faire des vement sous-directeur rue de Rivoli et contrôleur d'Etat
concessions ou des promesses ? d'Air Inter en 1963, et revint auprès de son protecteur,
Le financement des Républicains Indépendants, le mou- toujours comme chef de cabinet, en 1969. Il est aujour-
vement giscardien, est assuré de la même manière. Les d'hui trésorier-payeur général (nommé en 1970) en même
bailleurs de fonds sont souvent différents, mais pas tou- temps qu'administrateur de la Sofirad, de Radio Monte-
jours. Les groupements patronaux, notamment le C.N.P.F. Carlo, d'Europe N° I et de Sud-Radio.
préfèrent les giscardiens aux gaullistes; mais ils versent Pour mieux camoufler l'organisation financière des
aux deux caisses - à celles des centristes, des radicaux Républicains Indépendants, une organisation spéciale fut
et de la gauche aussi, d'ailleurs, mais peut-être avec plus créée il y a deux ans par le député Chinaud : le Groupe-
de discrétion. ment interprofessionnel d'information économique et
M. Michel Poniatowski a déclaré à M. Campana que sociale (G.1.1.E.S.).
le budget annuel de la Fédération Nationale des Républi- M. Roger Chinaud, qui fut quelque temps le porte-
cains Indépendants, qu'il présida plusieurs années durant, valise de M. Marcel Dassault entre Paris et Tel Aviv, est
s'élevait à 650 millions d'A.F., en incluant les dépenses des l'un des leaders du mouvement giscardien. Agé de qua-
comités de soutien à Valéry Giscard d'Estaing, le Club rante-deux ans, ce fils de fonctionnaire milita d'abord dans
Perspectives et Réalités et Génération sociale et libérale les milieux fédéralistes européens du Nord et devint secré-
(jeunes giscardiens). Il s'agit là, naturellement, du budget taire général adjoint de la Fédération Nationale des Répu-
normal, pour une année sans consultation électorale. Lors- blicains Indépendants en 1968, puis secrétaire général en
qu'il y a un effort financier exceptionnel, par exemple en 1975. Entre temps, il fut élu député de son parti dans
1974, année de V.G.E. à l'Elysée, ou de 1977, année des le 18° arrondissement de Paris en 1973. (Sa défaite aux
élections municipales, un budget spécial est prévu. élections municipales de mars 1977 a quelque peu terni son
Officiellement, le trésorier des Républicains Indépen- image de marque.)
dant est M. Pierre Schaeffer, mais, en fait, il s'appelle Le G.1.1.E.S. ne « tape» pas les grandes entreprises.
Victor Chapot. Ce M. Chapot fut, en quelque sorte, le Il a un procédé plus ingénieux de leur soutirer des som-
véritable «caissier général» de la campagne présiden- mes qui pourront, très officiellement, figurer dans les
tielle de 1974. Officiellement, il n'est que «chargé de frais généraux des sociétés : il leur vend des abonnements
48 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'ARGENT ET LA POLITIQUE 49
à un petit bulletin (500 F par an) et il organise, pour leur liées à la maison Michelin, à la Banque Hoskier, au trust
personnel, des stages d'un coût très élevé. Le scandale de presse Dupuy, à la banque Worms, figuraient sur la
provoqué par les révélations, à son propos, du Canard liste des fondateurs, M. Robert André, président de
enchaîné (4) aurait, paraît-il, beaucoup gêné l'exploitation l'Union des Chambres syndicales des pétroles, qui appor-
de ce filon. De toute manière, soit par conviction, soit tait 60 millions. Il dut en verser un peu plus, car cette
pour ne pas indisposer le Pouvoir, le Patronat et les ban- expérience désastreuse, qui ne dura guère plus de deux
ques versent des sommes considérables au mouvement mois - Le Temps de Paris n'eut que 66 numéros - coûta
du président de la République. en tout 800 millions et les fondateurs furent obligés de
Parmi les entreprises qu.i semblent se montrer les plus combler le déficit. Naturellement M. Robert André n'avait
généreuses, à l'endroit des partis, se trouvent probable- pas pris ces millions dans sa poche ...
ment les compagnies . pétrolières. Officiellement, elles L'affaire Total est un peu différente, car elle est d'ori-
nient naturellement subventionner qui que ce soit. Mal- gine italienne. Mais la suite démontra qu'elle intéressait
heureusement pour elles et heureusement pour la vérité aussi notre pays. En 1976, on découvrait en Italie qu'une
historique, il existe des documents qui prouvent l'intérê.t firme pétrolière transalpine, la Total italiana, avait fourni
que les pétroliers portent à ceux qui fabriquent ou co°:dm- des fonds importants au Parti démocrate-chrétien d'Italie.
sent l'opinion. J'en donnerai ici deux exemples : celm du Cela fit grand bruit chez nos voisins où l'on ne tarda pas
Temps de Paris et celui de Total. à mettre en cause la Compagnie française des Pétroles,
Le Temps de Paris était un journal quotidien, lancé dont la Total italiana n'est qu'une filiale. L'éditorialiste
il y a une vingtaine d'années, très exacte~e~t le de la revue professionnelle, _Pétrole-Information, com-
17 avril 1956. L'intention de ses promoteurs etrut de mentant l'événement et cherchant à justifier les prati-
damer le pion au journal Le Monde qui, à tort ou à raison, ques de Total italiana, écrivait ces lignes lourdes de sens :
passait pour neutraliste et favorable au rapproche~ent « Il n'y a pas qu'en Italie que des contributions sont
avec l'Est. C'était l'époque où le capitalisme français ne dépensées. Un peu partout dans le monde, les partis
voyait que par l'Amérique : il a beaucoup chan~é ~epuis politiques sont pour la plupart tenus à bout de bras par
comme en témoignent les profitables contrats signes par des industriels qui voient là un moyen de se prémunir
de grandes firmes françaises avec la Russie soviétique et contre les lendemains qui déchantent. Plus près de nous,
ses satellites. Une société fut donc constituée le 15 mars en France même, on ne compte plus les dirigeants patro-
1956 chez Maître Champetier de Ribes, notaire à Paris,
1 naux qui, il y a deux ans, à l'occasion de l'élection prési-
par M. Philippe Bœgner, un ancien collaborateur de dentielle, distribuaient équitablement des enveloppes de
M. Jean Prouvost à Paris-Match qui passait alors pour la main droite et de la main gauche, comme ils le font
un prodigieux animateur de presse. Directeur du nouveau à l'occasion de toutes les éle'"tions. Et les bénéficiaires de
journal, M. Bœgner était assisté pour la rédaction, par ces prébendes ne s'en plaignent pas (5). »
M. André Guérin, un ancien rédacteur du Canard enchaîné, Le service chargé des rapports des pétroliers avec les
devenu après la guerre rédacteur en chef de L'Aurore partis politiques et la presse est installé au siège de
après un stage assez long à L'Œuvre de Marcel Déat. l'Union des chambres syndicales du pétrole, avenue Klé-
La Société Parisienne de Presse, d'information et de ber à Paris. Celui du patronat français est au siège
Publication, qui édita Le Temps de Paris, était une société même du C.N.P.F., avenue Pierre-Ier-de-Serbie, dans le
anonyme au capital de 400 millions de francs. Outre 8° arrondissement de Paris. Son «patron», que l'on ap-
diverses personnalités du monde industriel ou financier,
(5) « La Paille et la Poutre», in Petrole-Jnformation, 29 avril
(4) Cf. Le Canard enchaîné, 4 avril 1975. 1976.
4
50 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'ARGENT ET LA POLITIQUE 51
pelle, je ne sais trop pourquoi, le Pharaon, est, depuis une 6 mars 1963. Pour ses pairs, le banquier n'était pas la
trentaine d'années, le conseiller discret et écouté du pré- victime d'un commando gauchiste ...
sident de l'organisme patronal dont il est le délégué. Les fonds dont dispose le Pharaon sont très impor-
Né à Mexico le 6 décembre 1913, M. Aimé Aubert - tants. Mais bien malin qui, en dehors de lui et de très
tel est son nom - était, sous l'Etat français, chef régio- hauts dirigeants de l'organisme patronal, pourrait le dire.
nal des Compagnons de France. Flairant le vent, il aban- Dans son livre, M. Bernard Brizay, qui a étudié de très
dom1a le pétainisme pour le gaullisme et fut chargé de près le C.N.P.F., évalue son budget à 2 milliards et demi
mission des Forces Françaises combattantes à partir de d'A.F. en 1974, ce qui est peu. Certaines chambres syndi•
1943; sa conduite courageuse dans la clandestinité lui cales, certaines fédérations ont, en effet, un budget bien
valut la médaille de la résistance. Il dirigea quelques supérieur ; et pourtant, ces organisations ne sont, elles-
mois la revue Actualités après la Libération et entra au mêmes, que des membres cotisants du C.N.P.F.
C.N.P.F. en 1947. Officiellement donc, M. Aubert n'est On peut donc en conclure, comme le fait M. Campana,
qu'un collaborateur du président du Conseil National du que ce n'est pas l'argent officiel du Conseil National du
Patronat Français, chargé du service des études législa- Patronat Français qui sert à subventionner le8 hommes
tives. Mais il est, en vérité, le grand dispensateur des politiques, les partis et les journaux: «Le rôle du C.N.P.F.
fonds plus ou moins secrets de l'organisme patronal. et d'Aimé Aubert est pourtant capital : il consist~ à aiguil-
Inconnu du public, le Pharaon est un personnage célè- ler. A aiguiller et à servir de courroie de transmission
bre dans les cabinets ministériels et les milieux parle- entre ceux qui en ont (de l'argent) et ceux qui en cher-
mentaires. On le sait agissant et efficace. Si bien que, chent ( 6 ). »
nous dit M. Campana, «quand un projet gênant est for- Les sommes les plus importantes sont naturellement
tement amendé par l'Assemblée nationale, on a coutume fournies par les riches fédérations, membres du Conseil
de dire : « Aubert a bien travaillé. » Il connaît les parle- National du Patronat Français, comme la Fédération du
mentaires, surtout ceux du centre - du centre-droit et Bâtiment ou des Travaux Publics, oµ l~ groupe des indus-
du centre-gauche - et il se tient au courant des événe- tries métallurgiques.
ments électoraux dans les provinces, prenant contact, par La Fédération nationale du Bâtiment passe pour avoir
personnes interposées, au début, avec les étoiles qui mon- un budget dix fois supérieur à celui du C.N.P.F. Son
tent et les jeunes loups de la politique. Il est aussi très président, M. René Lamigeon, un Limousin de soixante-
bien informé sur les partis et les syndicats dont l'action quatre ans - il est né à Limoges le 25 mai 1913 - est
est dommageable aux intérêts du Grand Capital. Le également vice-président du C.N.P.F. et trésorier de la
P.C.F., la C.G.T., la C.F.D.T., naturellement, mais aussi les Fédération internationale européenne de la construction.
mouvements gauchistes, voire les groupuscules fascisants : Il siège au Conseil économique et social et administre
c'est que, depuis l'attentat de la rue de Tilsitt, dont la plusieurs banques (Banque populaire du Centre, Comptoir
responsabilité incombe à des activistes de droite, la des Entrepreneurs, Banque corporative du Bâtiment et
grande industrie se méfie autant des « fascistes » que des des Travaux publics, Banque de !'Entreprise, Compagnie
«anarchistes». Il y eut, jadis, des accommodements avec Française de !'Epargne et du Crédit) et diverses sociétés
certains éléments d'extrême-droite et d'extrême-gauche, financières et industrielles ..
mais on n'est jamais sûr de bien contrôler les réactions Son ami, M. Philippe Clément, né à Paris le 18 mai 1922
de ce petit monde d' « en dehors ». On se souvient, avenue égal~ment conseiller économique et social ainsi que vice:
Pierre-Pr-de-Serbie, du meurtre de cet ancien dirigeant du président du C.N.P.F., préside le Syndicat professionnel des
C.N.P.F., Henri Lafond, président de la Banque de l'Union
Parisienne, retrouvé dans une mare de sang à Neuilly le (6) Op. cit., p. 85~
52 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'ARGENT ET LA POLITIQUE 53
entrepreneurs de travaux publics de France et la Fédéra- triels ont soutenu M. François Mitterrand en 1974 (voir
tion nationale des travaux publics. Il est le P.D.G. des notre chapitre 1•r). On a appris depuis que de gros
Entreprises Léon Chagnaud et Fils, vice-président de la commerçants comme le marchand de tableaux Wilden-
Société Clément et Cie, administrateur de la Mutuelle-Vie, stein, qui subventionne également les centristes, et de
de !'Orfèvrerie Ercuis, de !'Omnium de participation ban- riches publicitaires comme M. Jean-Claude Decaux, sou-
caire et de la Banque de construction et l'équipement. tiennent financièrement les Radicaux de Gauche. Mais,
Enfin, il préside la Société de gestion du fonds commun c'est à un entrepreneur de travaux publics, qui passe pour
de placement des industries du bâtiment et des travaux franc-maçon, que le mouvement de M. Robert Fabre, le
publics. troisième associé de l'Union de la Gauche, doit son instal-
Quant au Groupe des Industries Métallurgiques de la lation très moderne dans un immeuble cossu de la rue de
Région parisienne, c'est un polytechnicien, P.D.G. de la Grenelle. Ce M. Manuel Diaz, né à Abres (Espagne), le
Société Luchaire, de la Technique Electronique et de la 10 novembre 1924, est P.D.G. de la Société européenne
Société Lu-Brun et Associés qui le dirige. Né à Paris le d'entreprises et administrateur de plusieurs autres grandes
23 février 1917, M. Jean-Jacques Wilmot-Roussel a été vice- affaires telles que : la Sté d'études pour la restauration,
président de Sofitel ; il administre les Forges de Boulogne, l'hôtellerie et le commerce par les autoroutes urbaines, de
Sofma et Bamarac. !'Urbaine de travaux, de S.E.F.I., de la S.E.G.A.T., de Cofi-
Le Pharaon, qui connaît les besoins du moment - les route, de la Sté générale d'entreprise, etc. Il est, en outre,
campagnes électorales coûtent cher - réunit les repré- membre de la section de l'expansion intérieure et de la
sentants des riches organismes professionnels, fait les Coopération du Conseil économique et social.
comptes et fixe la part de chacun. Malgré la crise, il a bien - Je pèse 15 milliards d'A.F., a-t-il coutume de dire
fallu que chacune d'elles s'exécute. · à tous propos (7). Le fait est qu'il a les . moyens, comme
Mais il y a, au sein des grandes organisations patrona- on dit, et qu'il se montre généreux envers le Mouvement
les, des animateurs qui font «cavalier seul». C'est le cas des Radicaux de Gauche. Avec son ami Sampierro Quilici,
de M. Emmanuel Lepoyvre, représentant la puissante un industriel d'Aix-en-Provence, il fournit à peu près la
Union des industries métallurgiques et minières. Si nous moitié du budget du parti de M. Robert Fabre.
en croyons Le Canard enchaîné, il serait infiniment plus Du moins, il fournissait ... car, aux dernières nouvelles,
agressif que ses pairs et ne se contenterait pas de subven- M. Manuel Diaz-« travaillé» par son ami Henri Caillavet,
tionner tel ou tel parti ou tel ou tel candidat. Lors de la le sénateur franc-maçon de Lot-et-Garonne, qui pactise
dernière élection présidentielle, il aurait payé le tirage à ouvertement avec la présidence de la République - serait
plus de 100 000 exemplaires d'un journal gratuit intitulé passé du côté des radicaux pro-giscardiens ; il a même
France-Matin, tout entier consacré à démolir M. Mitter- été reçu à l'Elysée en janvier 1977. Cela fait partie de la
rand. L'affaire fit grand bruit et aurait incité M. Lepoyvre grande manœuvre maçonnique d'enve1oppeme'nt de V.G.E.,
à plus de discrétion et de prudence. commencée peu avant l'entrée de celui-ci à l'Elysée, lors-
A gauche, les bailleurs de fonds sont moins connus : que, ministre de !'Economie et des Finances, il fut reçu
- «La solidarité du Fric», me disait un vieux journaliste en grandes pompes à la Grande Loge de France, où il fit
financier, incite ceux qui émargent au C.N.P.F., à la bou- une conférence en tenue blanche. La bienveillance de la
cler. » Il faut dire que, la plupart du temps, les hommes présidence de la République ne peut qu'être une précieuse
d'affaires de droite et ceux de gauche sont complices : référence pour les entreprise que l'on «tape».
ils défendent les mêmes intérêts et, en cas de difficultés, Les autres organisations du centre gauche qui font
ils se dédouaneront mutuellement.
On sait cependant que de nombreux banquiers et indus- (7) Le Canard enchaîné, 2 février 1977.
54 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'ARGENT ET LA POLITIQUE 55
partie de la majorité présidentielle bénéficient des lar- sur les ressources exceptionnelles du Parti socialiste.
gesses de riches sympathisants. Ceux qui savent comment M. François Mitterrand n'était pas encore le . secrétaire
L'Express a été transformé en quotidien éphémère au général du parti, mais ce qu'on offrait au candidat de la
temps du mendésisme et du Front républicain, avec les gauche, alors, pourquoi ne le donnerait-on pas au chef
fonds du trust Schneider (Le Creusot) entre autres (8) se du P.S. aujourd'hui ?
doutent, que de ce côté-là, le parti de M. Jean-Jacques «En 1965, écrit M. André Campana, un matin, alors
Servan-Schreiber est assuré d'un minimum confortable. qu'il avait annoncé sa candidature à la présidence de la
Ses alliés ex-démocrates-chrétiens, groupés autour de M. République, le leader de la gauche reçoit dans une enve-
Jean Lecanuet, sont soutenus par le banquier Edmond de loppe un chèque de 5 millions d'anciens francs, envoyé
Rothschild, le marchand de tableaux Wildenstein et quel- par le Syndicat des producteurs de pétrole, dont le secré-
ques autres. Le groupuscule de M. Jacques Soustelle peut taire général était à l'époque M. Jean Meo (11). François
compter sur le lobby sioniste autant que sur M. Marcel Mitterrand remet le chèque dans l'enveloppe et le renvoie
Dassault et son collaborateur le général Guillain de Bénou- à l'expéditeur avec le commentaire suivant : «Ils ont
ville, ses amis des heures difficiles. Il est vrai que ceux-ci donné deux fois plus à !'U.D.R. Je ne me contenterai pas
se sont montrés assez souvent généreux à l'endroit du de ses restes.» Au téléphone, il précise : « Envoyez-moi la
Parti socialiste : c'est, en effet, M. Marcel Dassault qui même somme qu'à !'U.D.R., peut-être alors pourrais-je exa-
subventionnait l'hebdomadaire socialiste Démocratie, en miner votre proposition. » Nous ignorons la suite :
accord avec les Israéliens et qui hébergeait l'O.U.R.S. et, M. Campana ne le dit pas (12). Mais il reproduit les décla-
au début, le C.E.R.E.S., deux organismes du Parti socia- rations du responsable financier de la campagne présiden-
liste. Il est vraisemblable que M. Alain Gomez se montre tielle de M. Mitterrand en 1974, d'où il ressort que trois
généreux à l'endroit du Parti socialiste : P.D.G. de Saint- syndicats patronaux liés au C.N.P.F. ont versé, l'un
Gobain Desjonquè,res et de Saint-Gobain emballage, le 250 000 F (25 millions d'A.F.), les deux autres 60 000 F
mari de la « patronne » des stylos W aterman est l'un des (6 millions d'A.F.) chacun. Naturellement, il y eut des ver-
fondateurs du C.E.R.E.S. sements individuels, recueillis notamment par M. Georges
Depuis L'Humanité de Jean Jaurès, fondée avec l'ar- Dayan, fidèle compagnon du leader de la Gauche, chargé
gent d'une dizaine de banquiers dreyfusards (9), ce parti des contacts « délicats », ou par M. Olivier Mitterrand, fils
a une longue tradition de sympathies capitalistes. Au temps d'un de ses frères, fort bien introduit dans les milieux de la
de Léon Blum, les fonds qui servirent au lancement du production cinématographique.
Populaire ne venaient pas davantage des militants ou- L'homme de confiance de M. Mitterrand, pour ces
vriers (10). De nos jours, avec M. François Mitterrand, les affaires-là, est M. André Rousselet, président et adminis-
seules cotisations des membres ne suffiraient pas à cou- trateur de sociétés (voir chapitre précédent), qui fut chef
vrir les frais énormes de l'appareil socialiste, surtout en de cabinet du garde des Sceaux Mitterand sous la IV• Répu-
période électorale. Nous avons vu (chapitre Ier) que des blique. C'est un ami de M. Antoine Veil, l'époux de Mme
hommes d'affaires influents ont soutenu la candidature Simone Veil, ministre de la Santé des gouvernements Chi-
Mitterrand en 1974. rac et Barre. Il abandonna la carrière administrative pour
M. Campana nous conte une histoire qui en dit long
(11) M. Jean Meo fut directeur général adjoint, puis directeur
(8) Tous les documents sur L'Express ont été publiés dans La général (1964-1972) de l'Union générale des pétroles (U.G.P.) deve-
Haute Banque et les trusts et L'Europe des Banquiers. mie Elf-Union; il est aujourd'hui P.D.G. d'Avenir Publicité, la
(9) et (10) Dans La Haute Finance et les Révolutions, le lecteur grande firme dépendant d'Havas, après avoir dirigé le groupe
trouvera des détails sur les subsides capitalistes aux milieux révo- France-Soir.
lutionnaires, notamment entre 1900 et 1940. (li) Op. cit., p. 116,
56 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'ARGENT ET LA POLITIQUE 57
les affaires après le faux attentat de !'Observatoire qui bien difficile de repérer leurs versements d'argent. Par
ridiculisa son «patron». Avèc l'aide de M. Pigozzi, de contre, quand il s'agit de la presse, les commandites lais-
Simca, il.devint le dirigeant d'une entreprise de taxis G 7, sent des traces, de même que les ordres de publicité.
créa G 7 - Prêt, prit le contrôle d'Euroccasion et de la
Galerie de tableaux Paul Ambroise, rue Royale. Il recon-
naît avoir dépensé, pour la campagne présidentielle de
1974, plus de 9 millions (900 millions d'A.F.). Sans comp-
ter, naturellement, les sommes déboursées par les sections
et les militants socialistes locaux pour la propagande.
Heureusement pour M. Mitterrand que ces « rentrées »
sont venues remplacer, au bon moment, les fonds des
syndicats socialistes allemands promis mais jamais remis,
le scandale Guillaume qui éclaboussa le chancelier Willy
Brandt, ayant incité la puissante Deutscher Gewerk-
schaffsbund à plus de prudence (13).
Depuis l'élection présidentielle de 1974, le Parti socia-
liste a le vent en poupe. Les 200 Familles se rendent parfai-
tement compte que la gauche peut l'emporter aux élec-
tions législatives prochaines. Comme en 1936, avec Léon
Blum, elles seront bien obligées de s'accommoder d'un
gouvernement néo-Front populaire et, dès maintenant, elles
prennent leurs précautions. Sans cesser d'aider financiè-
rement les giscardiens, les chiraquiens et les centristes,
elles se montrent certainement plus généreuses qu'aupa-
ravant avec M. Mitterrand et ses amis. M. Michel Ponia-
towski, dont les moyens d'information ne sont pas négli-
geables, on en conviendra, puisqu'il disposait de la police,
a déclaré un jour : «A l'heure actuelle, le grand patronat
continue d'aider Mitterrand. Elf-Erap, par exemple, a pris
une page entière de publicité dans L'Unité au mois de
juin 1976 (14). »
Cela explique sans doute la présence de chefs d'entre-
prise autour de la société de pensée que M. Jacques Delors,
ancien collaborateur de M. Chaban-Delmas passé au P.S.,
a fondée sous le nom d'Echanges et Projets. Mais il est
un effondrement des moyens traditionnels de contrôle Le péril ne vient pas de l'extérieur, estiment les auteurs
social, une délégitimation de l'autorité politique et une sur- du rapport de la Trilatérale, car ils ne redoutent pas « une
charge d'exigences adressées au gouvernement qui excè- subversion intérieure de droite ou de gauche, bien que ces
dent sa capacité de les satisfaire (3). » deux 'risques puissent exister » ; ils redoutent le danger que
La machine lancée sur la pente écrase les groupes représente « la dynamique interne de la démocratie elle-
sociaux pour lesquds elle avait été créée, du moins offi- même dans une société hautement scolarisée, mobilisée et
ciellement, et ceux-ci se révoltent : participante » (7).
« Le fonctionnement effectif du système politique démo- Il y ·a donc urgence à mettre un terme à cette situation
cratique requiert habituellement une certaine apathie de dangeréuse : de même qu'il y a « des limites potentielle-
la part d'individus et de groupes de non-participants. ment désirables à la croissance économique», il y a «des
Jadis, chaque société démocratique avait une population limites potentiellement désirables à l'extension indéfinie de
marginale plus ou moins importante, numériquement, qui la démocratie politique» (8). Pour cela, il faut bâillonner
ne participait pas activement à la vie politique. Cette mar- les in'.dividus qui, par la parole ou par l'écrit, s'en pren-
ginalisation est, en elle-même, antidémocratique, mais elle nent au Système établi par la démo-ploutocratie :
fut l'un des facteurs qui ont permis à la démocratie de « Un défi important, souligne-t-elle, est lancé par les
fonctionner normalement (4). » intellectuels et par les groupes proches d'eux, qui affir-
En France, le suffrage censitaire cher aux grands bour- ment 'leur dégoût de la corruption, du matérialisme et de
geois du règne de Louis-Philippe, qui écartait des urnes l'inefficacité de la démocratie, en même temps que de la
les masses populaires, avait également favorisé les oligar- soumission des gouvernements démocratiques au capita-
chies financières. lisme .'de monopole. »
«Le danger, expliquent les rapporteurs de la Trilaté- Les ploutocrates se sentent plus menacés aujourd'hui
rale, réside dans la surcharge du système politique d'exi- par ces critiques indépendants qu'ils ne l'ont été, dans le
gences qui étendent ses fonctions et minent son auto- passé, ,«par les cliques aristocratiques, les mouvements
rité (5). » fascistes et les partis communistes» (9). Ils regrettent
Constatant que l' « autorité fondée sur les hiérarchies, que la presse échappe souvent au contrôle exercé par la
la compétence et la fortune ... a été soumise à une rude atta- bourgeoisie capitaliste et que des journalistes «tendent à
que » ( 6 ), les animateurs de la Trilatérale regrettent visi- s'organiser pour résister à la pression des intérêts finan-
blement que la grande bourgeoisie ne soit plus l'assise du ciers et gouvernementaux» (10). Aussi faut-il agir de telle
régime et que les classes moyennes et populaires n'ac- sorte que le gouvernement, celui des banques et des trusts,
ceptent plus la tutelle de la première. Ah ! il est devenu naturellement, conserve « le droit et la possibilité prati-
bien difficile de gouverner depuis que, dans chaque pays, que de retenir l'information à sa source » ( 11 ).
les 200 Familles, les dynasties bourgeoises doivent parta- La Trilatérale en arrive à . souhaiter le vote d'une loi
ger le pouvoir avec d'autres jusqu'ici tenus à l'écart ou sur la presse, analogue à la loi antitrust : « Quelque chose
dans la soumission ! Il y a longtemps que nous savions que, de comp~rable apparaît maintenant nécessaire en ce qui
selon la formule de notre ami Jacques Ploncard d'Assac, concerne les medias » (12). Museler la presse libre comme
«Démocratie = Ploutocratie», mais il est remarqu_able on a déjà asservi la grande presse est l'un des objectifs de
que les ploutocrates eux-mêmes en conviennent.
(7) (8) Ibid., p. 115.
(3) Ibid., p. 8. (9) Ibid., pagés 6 et 7.
(4) (5) Ibid., p. 114. (10) Ibid., p. 35.
(6) Ibid., p. 115. (11) (12) Ibid., p. 182.
62 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UNE MYSIBRIBUSE ET PU:J:&SANTE SOCIÉTÉ 63
la Trilatérale. Depuis près de deux siècles, c'est, en France, J. Paul Austin, chairman de la Coca-Cola Company, le
l'intention des Dynasties bourgeoises, qui sont presque grand trust multinational de la boisson à la mode ;
parvenues à leurs fins, puisque désormais ce n'est que George W. Ball, associé de Lehmann Brothers, l'une
dans de petits journaux, ou dans des livres comme celui-ci, des plus grandes banques d'affaires israélites de New
que la vérité peut être dite. York (jadis représentée en France par M. Pierre Uri, l'un
N'importe quel ploutocrate voulant jouer les penseurs des conseillers financiers de M. François Mitterrand);
aurait pu écrire ce que nous venons de lire. Mais ses opi- Michel Belanger, président du Stock Exchange de
nions personnelles n'auraient qu'une importance relative. Montréal;
Ici, il ne s'agit pas d'un homme, mais d'un groupe puis- Russell Bell, directeur du Canadian Labour Congress ;
sant, réunissant des personnalités de premier plan, repré- Lucy Wilson Benson, ancienne présidente de la League
sentant elles-mêmes des groupes sociaux ou professionnels of Women of the United States;
considérables. D'ailleurs, en plaçant à la tête du gouver- Robert W. Bonner, de la firme Bonner and Fouks, de
nement français un homme de la Trilatérale, M. Giscard Vancouver;
d'Estaing, membre des Dynasties bourgeoises et héritier Robert R. Bowie, professeur à l'Université de Harvard ;
des 200 Familles, montre le cas qu'il fait des exigences de Zbigniew Brzezinski, conseiller du président de la
cette mystérieuse organisation internationale. L'examen de
République ;
la liste de ses membres va vous convaincre que le prési-
William Brock, sénateur des E.U. ;
dent de la République sait ce qu'il fait, qu'il n'est pas dupe
d'apparences trompeuses. Harold Brown, président de l'Institut de technologie
Un ami américain bien placé m'a fait tenir un exem- de Californie, secrétaire à la Défense des Etats-Unis;
plaire de la brochure donnant la composition du comité de John Brademas, membre de la Chambre des Représen-
la Trilatérale et la liste de ses affiliés ( 13 ). tants;
La position qu'occupent, dans les affaires de leur pays James E. Carter, l'actuel président des Et~ts-Unis ;
respectif, ces personnalités donne une idée de l'importance Lawton Chiles, sénateur des Ë .U.;
de la Trilatérale. L'examen attentif de la liste des affiliés Waren Christopher, associé à fa firme O'Melveny and
confirme qu'il s'agit bien d'une organisation exceptionnel- Myers;
lement influente, d'une force peu commune : Alden W. Clausen, président de la Bank of America ;
William T. Coleman (décédé), ancien secrétaire du
I.W Abel, président de l'United Steelworkers of Department of Transportation ;
A.merica, le puissant syndicat ouvrier de l'acier; Barber B. Conable, membre de la Chambre des Repré-
David M. Abshire, chairman du Georgetown University sentants;
Center for Strategic and International Studies; Richard N. Cooper, professeur à l'Université Yale;
Graham Allison, professeur à l'Université Harvard; John C. Culver, sénateur des E .U. ;
Gérald Curtis, çle l'Institut de l'Est asiatique (Univer-
Doris Anderson, editor du Chatelaine Magazine;
sité de Columbia) ;
John B. Anderson, membre de la Chambre des Repré- Lloyd N. Cutler, associé de Wilmer, Cutler and Picker-
sentants;
Ernest C. Arbuckle, chairman de la Wells Fargo Bank;
ing;
Archibald K. Davis, chairman de la Waçhovia Bank
and Trust Company ;
(13) « The Trilateral Commission. A Private North American- Emmet Dedmon, vice-président et directeur de la Field
European-Japanese Initiative on Matters of Common Conserve»,
345 East 46th Street, New York, N.Y. 10017. Enterprises lnc;
64 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UNE MYSTÉRIEUSE ET PUISSANTE SOCIÉTÉ 65
Louis A. Desrochers, associé de McCuaig and Desro- Jean-Luc Pépin (décédé), ancien président de l'Anti-
chers; Inflation Board of Canada ;
Peter Dobell, directeur du Centre parlementaire pour John H. Perkins, président de la Continental Illinois
les Affaires étrangères et le Commerce extérieur ; National Bank and Trust C0 ;
Hedley Donovan, rédacteur en chef de Time ; John G. Peterson, président de la banque Lehmann
Daniel J. Evans, gouverneur de Washington; Brothers;
Gordon Fairweather, membre du parlement; Edwin O. Reischauer, professeur à l'Université Har-
Donald M. Fraser, membre de la Chambre des Repré- varG, ancien ambassadeur au Japon ;
sentants; Eliot L. Richardson (décédé), a.n_cien secrétaire d'Etat
Richard N. Gardner, professeur à l'Université Colum- au Commerce ;
bia; David Rockefeller, de la famille des richissismes pétro-
Patrick E. Haggerty, chairman de Texas Instruments; liers, fondateur de la Trilatérale, président de la Chase
William A. Hewitt, chairman de la firme Deere and C 0
;
Manhattan Bank ;
Alan Hockin, vice-président de la Toronto-Dominion Robert V. Roosa, associé de Brown Bros, Harriman
Bank; and C 0
;
Richard Holbroocke, éditeur de Foreign Policy Maga- William M. Roth, de la Roth Properties ;
zine; William V. Roth, sénateur U.S. ;
Thomas L. Hughes, président du Carnegie Endowment Carl T. Rowan, chroniqueur;
for International Peace ; Henry B. Schacht, président de la Commins Engin C 0
;
J .K. J ameison, ancien président du trust pétrolier William W. Seranton, ancien gouverneur de Pennsyl-
Exxon Corp.; vanie;
Edgar F. Kaiser, président de la Kaiser Resources Ltd; Gerard C. Smith, de Wilmer, Cutler and Pickering;
Lane Kirkland, secrétaire-trésorier des Syndicats ou- Anthony Solomon, consultant ;
vriers AFI-CIO; Robert Taft, sénateur républicain de l'Ohio;
Arthur R. Taylor, président de Columbia Broadcasting
Sol M. Linowitz, associé de Coudert Brothers ;
System;
Bruce K. Mac Laury, président de la Federal Reserve Arthur .R. Vance, associé de Simpson, Thacher and
Bank of Minneapolis; Barlett, secrétaire d'Etat du président Carter;
Claude Masson, professeur à l'Université Laval ; Paul C. Warnke, associé de Clifford, Warnke, Glass,
Paul W. McCracken, professeur à l'Université du Michi- Mcllwain and Finney ;
gan; Marina von N. Whitman, professeur à l'Université de
Walter F. Mondale, sénateur, vice-président de la Répu- Pittsburg;
blique des Etats-Unis ; Carroll L. Wilson, professeur à Alfred P. Sloan School
Lee L. Morgan, président de Caterpillar Tractor of Management ;
Company; Arthur M. Wood, chairman de Sears, Roebuck and C0 ;
Kenneth D. Naden, président du Conseil national des Leonard Woodoock, président de l'United Automobile
Coopératives de fermiers ; Workers, le grand syndicat ouvrier de l'automobile.
Henry D. Owen, directeur du programme d'études de
politique étrangère de la Brookings Institution ; Outre quelques politiciens, professeurs, journalistes et
David Packard, chairman de la Hewlett Packard dirigeants de syndicats, la Trilatérale compte donc les
Company; présidents et animateurs de très grandes firmes ou ban-
5
66 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
UNE MYSTÉRIEUSE ET PUISSANTE SOCIÉTÉ 67
ques américaines, qui sont au sommet de la pyramide Shenichi Ichimura, professeur d'économie à l'Univer-
capitaliste américaine. sité de Kyoto;
Au Japon, la Banque de Toky?, Sumitomo, Nippon Hiroki Imazato, président de Nippon Seiko K.K. ;
Steel C0 , Sony, Toyota occupent, par le truchement de leurs Yoshihiro Inayama, président de la Corporation japo-
dirigeants, la première place : naise de I'Acier ;
Kaoru Inouye, président de la banque Dai-Ichi Kangyo ;
Simio Hara, chairman de la Banque de Tokyo, et son Rokuro Ishikawa, vice-président de la Kajima Corpo-
adjoint Yusuke Kashiwagi, ancien collaborateur du mi- ration;
nistre des Finances ;
Tadao Ishikawa, professeur de Sciences politiques à
Norischige Hasegawa, président de la Sumitomo Che- l'Université de Keio;
mical C0 Ltd ;
Shozo Hotta, chairman de la banque Sumitomo ; Yoshizana Iwasa, président du Conseil économique
Akib Morita, président de la Sony Corp.; Japon-U.S.A.;
Eiji Toyoda, président de la Toyota Motor C0 Ltd et Motoo Kaji, professeur d'économie à l'Université de
de l'Assemblée japonaise des constructeurs d'automobiles; Tokyo;
Fuji Kamiya, directeur de l'Institut des Relations in-
aux côtés desquels se trouvent : ternationales modernes de l'Université de Keio;
Yoshiya Ariyoshi, président de Nippon Yusen Kaisha; Yusuke Kashiwagi, représentant du président de la
Banque de Tokyo ;
Yoshishige Ashihara, président de la Kansai Electric
Power C0 ; Ryoichi Kawai, président de Komatsu ;
Toshiwo Doko, président de la Fédération des organi- Katsuji Kawamata, président de la Nissan Motor c 0 ;
sations économiques du Japon ; Kazutaka Kikawada, président de la Tokyo Electric
Jun Eto, de l'Institut de Technologie de Tokyo; Power C0 ;
Shinkichi Eto, professeur à l'Université de Tokyo; Kiichiro Kitaura, président de la Cie d'assurances
Chujiro Fujino, président de la Mitsubishi Corporation ; Nomura;
Shintaro Fukushima, président de Kyodo News Ser- Koji Kobayashi, président de la Cie électrique nip-
vice; pone;
Noboru Gotoh, président de la Tokyu Corporation ; Kenichiro Komai, président de Hitachi ;
Toru Hagiwara, ancien ambassadeur du Japon à Paris; Shinichi Kondo, ancien ambassadeur au Canada ·
Yukitaka Haraguchi, président du Comité central exé- Fumihiko Kono, de la Mitsubishi Heavy Indust:ies;
cutif de la Fédération des unions ouvrières des mines Masataka Kosaka, professeur de droit à l'Université
métalliques ; de Kyoto;
Norishige Hasegawa, président de la Sumitomo Chemi- Fumihiko Maki, associé de Maki ;
cal C0 ; Shigeharu Matsumoto, président de la Maison inter-
Yoshio Hayashi, membre de la Diète ; nationale du Japon ;
Teru Hidaka, président de la Y amaichi Securities C0 ; Masaharu Matsushita, présidente de la Cie électrique
Kazushige Hirasawa, commentateur politique de la Matsushita ;
TV japonaise NHK ; Kiichi Miyazawa (décédé), ancien ministre des Affai-
Hidco Hori, président de l'Employment Promotion res étrangères ;
Projects Corporation ; Takashi Mukaibo, professeur de l'Université de Tokyo;
UNE MYSTÉRIEUSE ET PUISSANTE soc~ 69
68 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
L'industriel italien Giovanni Agnelli, le « patron » de
Kinhide Mushakoji, professeur à l'Université Sophia ; Fiat;
Yonosuke Nagai, professeur de sciences politiques à Piero Bassetti, un autre Italien, qui préside le gouver-
l'Institut de Technologie de Tokyo ; nement régional de Lombardie ;
Shigeo Nagano, président de la Chambre de Commerce Umberto Colombo, directeur du comité pour la politi-
et d'industrie du Japon ; que scientifique de !'O.C.D.E. ;
Eiichi Nagasue, membre de la Diète ; Guido Colonna di Paliano, président de la Rinascente,
Toshio Nakamura, président de la banque Mitsubishi ; ancien membre de la Commission de la Communauté
Ichiro Nakayama, président de l'Institut du travail du Européenne ;
Japon; Francesco Compagna, sous-secrétaire d'Etat au Mezzo-
Sohei Nakayama, de la Banque industrielle du Japon; giorno;
Yoshihisa Ohjimi, vice-président de l'Arabian Oil C0 , Francesco Forte, professeur de sciences financières à
ancien vice-ministre de !'Industrie et du Travail interna- l'Université de Turin;
tional; Giuseppe Glisenti, directeur des affaires générales à
Saburo Okita, président de la Fondation de coopéra- la Rinascente;
tion économique <l'outre-mer; Arrigo Levi, directeur du quotidien la Stampa de
Kiichi Saeki, de l'Institut de technologie et d'économie; Turin;
Kunihiko Sasaki, président de la Bank Fuji ; Cesare Merlini, directeur de l'Institut italien pour les
Ryuji Takeuchi, ancien ambassadeur des Etats-Unis, affaires internationales;
collaborateur du ministre des Affaires étrangères ; Edigio Ortona, ancien ambassadeur d'Italie à Was-
Seiji Tsutsumi, président de Seibu Department Store ; hington.
Kogoro Uemura, président honoraire de la Fédération
des Organisations économiques (Keidanren); Ceci pour notre sœur latine. En Allemagne fédérale,
Tadao Umesao, directeur de Musée national d'ethno- plusieurs affiliés de la Tricontinentale occupent une posi-
logie; tion dominante :
Nobuhiko Ushiba, ancien ambassadeur aux Etats-Unis,
collaborateur du ministre des Affaires étrangères ; Kurt Birrenbach, membre du Bundestag, président de
Jiro Ushio, président du trust électrique Ushio; Thyssen Vermoegensverwaltung ;
Shogo Watanabe, président de la Cie d'assurances Fritz Dietz, président de !'Association allemande pour
Nikko; le commerce de gros international ;
Takeshi Watanabe, président de la Trident Interna- Werner Dollinger et Herbert Ehrenberg, membre du
tional Finance de Hong Kong, ancien président de la Ban- Bundestag;
que de développement asiatique; Karl Hauenschild, président de l'Union des ouvriers
Kizo Yasui, de Toray Industries. de la Chimie, du Papier et de la Céramique ;
Karl Kaiser, directeur de l'Institut de la Société alle-
Les hommes qui comptent, au Japon, appartiennent mande pour la politique étrangère ;
donc à la Trilatérale. Le comte Otto Lambsdorff, membre du Bundestag;
Eugène Loderer, président de l'Union allemande des
ouvriers de la métallurgie ;
En Europe, ce sont principalement des, personnalités
de l'Europe du Marché commun qui sont affiliées à cette Alwin Münchrneyer, président de la Fédération ban-
caire allemande ;
organisation :
70 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UNE MYSTÉRIEUSE ET PUISSANTE SOCIÉTÉ 71
Gerhard Schroder, membre du Bundestag, ancien mi- A.F. Tuke, président de la Barclays Bank International;
nistre de la République fédérale ; Sir Kenneth Younger, ancien directeur du Royal Insti-
Hans-Günther Sohl, président de l'Union fédérale de tute of International Affairs, ancien ministre d'Etat aux
l'industrie allemande, président du comité des directeurs Affaires étrangères ;
d'Auguste Thyssen Hütte A.G. ; Sir Philip de Zulueta, directeur d'Antony Gibbs
Theo Sommer, rédacteur en chef de Die Zeit; Holdings, ancien collaborateur du Premier ministre de
Heins-Oskar Vetter, président de la Fédération alle- Sa Majesté.
mande des syndicats ;
Otto Wolff von Amerongen, président du trust Otto La Trilatérale compte également des membres dans
Wolff, et de la Chambre de Commerce. divers pays européens :
!'Euratom, président du trust pétrolier Sofrina et du et social d'Auvergne, de l'Institut de formation des cadres
Mouvement européen ; paysans, du Conseil de !'Agriculture française, de la Safer-
Mary T.W. Robinson, membre du Sénat de la Répu• Auvergne, du groupement d'aménagement des exploita-
blique d'Irlande ; tions agricoles GAMEA, de la Société d'investissement et
John Christian Sannes, directeur de l'Institut norvé- de participation SODIPAR, administrateur de la Somival
gien des Affaires internationales; et de la Caisse de crédit agricole du Puy-de-Dôme, conseil-
Myles Staunton, membre de la Lower House de la ler économique et social et membre du Comité écono-
République d'Irlande ; mique et social de la Communauté économique euro-
Thorvald Stoltenberg, secrétaire aux Affaires interna- péenne, ainsi que membre de la Commission des Classes
tionales des Syndicats norvégiens ; moyennes créée en 1976 par M. Jean-Pierre Prouteau,
Otto Grieg Tidemand, armateur, ancien ministre de la Grand-Maître du Grand Orient de France, à l'instigation
Défense, ancien ministre des Affaires économiques de de l'Elysée; il fut, en outre, membre du conseil supérieur
Norvège; ·du Plan;
Luc Wauters, président de la Kredietbank, de Bruxelles. Paul Delouvrier, membre du comité exécutif de la Tri-
latérale, fils de banquier, inspecteur général des Finances,
Quant aux affiliés français, ils étaient au moment où ancien collaborateur de ministres (Lepercq, R. Pleven,
parut cette plaquette confidentielle de la Trilatérale, au René Mayer), ancien directeur de la division des Finances
nombre de dix-sept : de la C.E.C.A., ancien délégué général du Gouvernement
général de l'Algérie, ancien préfet de la région parisienne,
Georges Paul,Berthoin, ancien secrétaire privé de Jean président d'Electricité de France, membre du conseil de
Monnet, «le père de l'Europe», président de la Trilaté- direction de l'Institut d'études politiques de Paris, prési-
rale pour l'Europe ; dent du Foyer d'accueil international de Paris, de Plan-
René Bonety, ancien conseiller économique et social, Construction, de !'Association pour le développement in-
membre du Comité économique et social des Communau- dustriel de l'Ouest atlantique, etc.;
tés européennes, attaché au service des études économiques Pierre Esteva, inspecteur des Finances, ancien colla-
d'Electricité de France, membre du bureau confédéral de borateur de ministres (A. Pinay, W. Baumgartner, G. Pom-
la Confédération française démocratique du travail; pidou, M. Couve de Murville, F.-X. Ortoli), ancien direc-
Jean-Claude Casanova, professeur à l'Institut d'études teur du Crédit National, administrateur de I'U.A.P., du
politiques de Paris, directeur d'études et de recherches Crédit Universel, de Foncier Crédit, membre du conseil de
à la Fondation nationale des sciences politiques, ancien surveillance de Peugeot S.A. et de la Sequanaise de banqu~,
conseiller technique de Joseph Fontanet, ministre de !'Edu- P.D.G. d'U.A.P.-Investissements et président de la SICAV
cation nationale ; Convertibles ;
Michel Crépeau, avocat, député-maire de La Rochelle, René Foch, membre du comité exécutif de la Fédéra-
ancien vice-président du Parti radical-socialiste, dirigeant tion nationale des Républicains indépendants ;
du Mouvement des Radicaux de Gauche ; Jacques de Fouchier, inspecteur des Finances, pré-
Michel Debatisse, ancien secrétaire général de la Jeu- sident de la Banque de Paris et des Pays-Bas ainsi que
nesse agricole catholique et du Centre national des jeunes de la Compagnie financière de Paris et des Pays-Bas, ad-
agriculteurs, vice-président de la Fédération des produc- . ministrateur de nombreuses sociétés financières et indus-
teurs de lait et de l'Union générale des coopératives agri- trielles : Paribas International, Crédit Foncier de France,
coles françaises, président de la Fédération nationale des Crédit National, B.S.N.-Gervais-Danone, Thomson-Brandt,
syndicats d'exploitants agricoles, du Comité économique Thomson-C.S.F., Cie Française des Pétroles, Banque Ame-
74 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UNE MYSTÉRIEUSE ET PUISSANTE SOCIÉTÉ 75
ribas, Péchiney-Ugine-Kuhlmann, Schlumberger Ltd, Rand tors et vice-président de l'Institut de développement indus-
Selection Corp., Xeros Corp., Rhône-Progil, Parcor; il est, triel;
également, membre du conseil supérieur du Plan et du Bernard Pagezy, P.D.G. des Assurances du Groupe de
Conseil national pour le développement des grandes éco- Paris A.G.P., vice-président de l'Union d'assurances et de
les; capitalisation du secteur privé et de la Cie du Midi, admi-
Michel Gaudet, membre du Comité exécutif de la Tri- nistrateur des Brasseries et Glacières de l'Indochine, de
latérale, conseiller d'Etat, ancien collaborateur de minis- la Sté d'assurances MACL-Minerve, de la Paternelle S.A.,
tre (Tinguy du Pouët), conseiller juridique de la C.E .C.A. de Schneider S.A., de la S.N.C.F., etc. ;
puis directeur général du service juridique de la Commis- Le baron Edmond de Rothschild, surnommé « le riche »
sion des Communautés européennes jusqu'en 1969, prési- parce qu'il est le plus fortuné des Rothschild, président
dent de la Fédération française des sociétés d'assurances, de la Cie Financière, d'Israël European C0 , d'Israël Ge-
président du groupe Marché commun du Comité européen ne rai Bank, d'Israël Corporation Ltd, de la Banque Pri-
des assurances et administrateur de la Sté financière pour vée (Genève), de la Banca Private (Lugano), de Promotex,
l'expansion des télécommunications FINEXTEL; administrateur de la Cie Bruxelles-Lambert, de la De
Jean-Philippe Lecat, maître des requêtes au Conseil Beers, de la Banque Rothschild, président pour l'Europe
d'Etat, ancien député de la Côte-d'Or, ancien secrétaire de !'Emprunt de l'Etat d'Israël, véritable chef du lobby
d'Etat et ministre, porte-parole du Gouvernement puis sioniste en Europe en même temps que membre influent
de la Présidence de la République, conseiller général de du groupe Bilderberg ( 14) ;
Nolay; Roger Seydoux Fornier de Clausonne (frère de Jérôme
Robert Marjolin, l'un des « Sages » de la technocratie Seydoux, supporter de François Mitterrand à l'élection pré-
française, ancien chef de mission du Comité Français de sidentielle de 1974, beau-frère de Philippe Rossillon, co-
Libération Nationale aux Etats-Unis (pendant la guerre), fondateur du Mouvement Patrie et Progrès), ancien am-
adjoint de M. Jean Monnet, ancien commissaire général ad- bassadeur à Tunis, Rabat et Moscou, ancien délégué de la
joint au Plan Monnet, ancien secrétaire général de France à l'O.N.U. et à l'O.T.A.N., président de la Banque
!'O.C.D.E., ancien vice-président de la Commission de la de Madagascar et des Comores, administrateur de Sore-
Communauté Economique Européenne, ancien secrétaire sim, de Sotrepo et de l'Union industrielle de crédit, prési-
général du Comité d'études pour la République, ancien dent de la Fondation de France;
vice-président de la délégation française dans les négo-
Raymond Barre, professeur à la faculté de dr oit et de
ciations sur le Marché commun et !'Euratom, administra-
sciences économiques de Caen et à l'Institut' d'études poli-
teur de la Shell française, de la Royal Dutch, d'Utilico, de
tiques de Paris, ancien directeur de cabinet du ministre·
Rolenco et de Robesco (sociétés néerlandaises), merribre
J.-M. Jeanneney, vice-président de la Commission des
du conseil consultatif européen de la Genera1 Motors;
Roger Martin (père de Mme Jean-Jacques Chaban-Del-
mas, la belle-fille de l'ancien Premier ministre), ancien (14) Ce groupe de financiers et de politiciens, présidé par le
prince Bernhard des Pays-Bas, mis en sommeil à la suite du scan-
P.D.G. de la Cie de Pont-à-Mousson, président de la Cie de dale des pots-de-vin (Lockheed) auquel fut mêlé le mari de la reine
Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, administrateur de la Cie fi- de Hollande, s'est réuni à huis clos en avril 1977 à Torquay (sta-
tion balnéaire du Devonshire), circonscription dont le député est
nancière de Suez, de la Sté lyonnaise des eaux et de l' éclai- Sir Frederik Bennett, du parti conservateur, membre du comité
rage, d'Electricité de France, de Rhône-Poulenc, de Pricel, , de direction du groupe Bilderberg. (Voir le rôle de cette organi-
de l'Agence Havas, d'international Saint-Gobain, membre sation internationale politico-financière dans « Une main cachée
dhige » de Jacques Bordiot, édité par la Librairie Française.) J'ai
du conseil international de la Morgan Guaranty Trust C0 , dit (chapitre Il) que, selon Le Canard enchaîné, le président Gis-
membre du conseil consultatif européen de General Mo- card d'Estaing devait y prendre part.
76 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
que dix feuilles de papier attestant que vous êtes créanciers s'ils parviennent au pouvoir, produisent de meilleurs effets,
de la société pour une somme déterminée et que lesdites aient des résultats plus satisfaisants ? Aux· représentants
feuilles vous donnent droit à un intérêt de 10 ou 12 % des 200 Familles actuellement aux leviers de commande
calculé sur une somme qui sera arbitrairement fixée. La des grandes affaires succéderaient des technocrates qui,
dépréciation de la monnaie aidant, vous vous trouverez sauf exceptions rares, seraient les proches parents, les fils
bientôt réduit à la portion congrue, comme disait ma ou les gendres, les frères ou les neveux, les oncles ou les
grand-mère. Les communistes sont plus francs : ils ne pré- cousins des P.D.G. et des administrateurs actuellement en
voient, pratiquement - soyons lucides - aucune véritable place.
indemnisation. Donc, en fait, socialistes et communistes, Les monopoles ne seraient pas détruits, ils ne foraient
s'ils étaient en mesure d'appliquer le «programme com- que changer de «patrons ».Oublierait-on que la très grande
mun», pratiqueraient une véritable spoliation de l'épargne majorité des hauts fonctionnaires qui acceptent des postes
sous prétexte de juguler les monopoles. de direction dans les sociétés nationalisées n'ont qu'une
- Si je comprends bien, me dira alors le lecteur, vous idée : « pantoufler», c'est-à-dire devenir les dirigeants
êtes hostile aux nationalisations. Comment, alors, espérez- d'entreprises du secteur privé, les fidéicommissaires d'hom-
vous mettre à la raison ces féodaux modernes que sont mes d'affaires nationaux ou internationaux dans les conseils
les financiers, leurs alliés et leurs complices, puisqu'ils d'administration des grandes sociétés non nationalisées ?
conserveront la direction des mastodontes de l'industrie Faut-il donner quelques exemples d'inspecteurs des
et de la banque visés par le « programme commun » ? Finances et de dirigeants d'entreprises nationalisées qui se
Je tiens à préciser tout de suite que je ne suis pas hos- sont mis au service des oligarchies financières ?
tile à toutes les nationalisations. Il est évident que les M. Wilfrid Baumgartner, gouverneur de la Banque de
services publics doivent rester la propriété de l'Etat, et France pendant près de douze ans, ancien ministre des
j'entends par services publics les colossales entreprises qui Finances, fut ensuite président du trust Rhône-Poulenc,
travaillent uniquement pour la Nation. Vous remarquerez administrateur de Péchiney-Ugine-Kuhlmann, des Char-
que les Messageries Hachette, qui sont pourtant un service geurs Réunis, de La Paternelle, de Denain-Nord-Est-Longwy
public, ne sont pas visées par l'Union de la Gauche, non et des Assurances du Groupe de Paris A.G.P.
plus d'ailleurs que l'industrie atomique, laquelle est un M. Henry Bizot, président du Comptoir National d'Es-
service public au premier chef. Je ne crois pas, d'ailleurs, compte de Paris, puis de la Banque Nationale de Paris,
que les nationalisations prévues au« programme commun» quitta le secteur nationalisé pour devenir un haut employé
puissent vraiment être efficaces. MM. Mitterrand, Marchais de la haute banque au conseil d'administration de la
et Fabre se font des illusions s'ils espèrent détruire la B.N.C.I.-Afrique, de Pricel et d'Alsthom.
puissance du Grand Capitalisme en nationalisant cette M. François Bloch-Lainé, fils d'un associé de la Banque
dizaine de grandes sociétés et ces banques, toutes françaises Lazard, président du Crédit Lyonnais nationalisé, de 1967
quant à leur statut juridique, alors qu'ils ne pourront à 1974, est actuellement administrateur de Péchiney-Ugine-
toucher aux banques étrangères, ni aux sociétés multi- Kuhlmann et du Crédit Foncier franco-canadien.
nationales. Je constate d'autre part que les fameuses M. Jacques Brunet, ancien directeur général du Crédit
nationalisations du Front populaire ·et de la Libération National, qui fut également vice-président de la Caisse
n'ont pas réduit les grands monopoles à l'impuissance : Nationale de l'Energie, est devenu vice-président du conseil
les banques nationalisées sont devenues les réservoirs et de surveillance de la Compagnie Bancaire, administrateur
les guichets des autres banques, de l'industrie et du grand du Crédit Commercial de France, de Seichimé, P.D.G. de
négoce. Pourquoi voudriez-vous que les nationalisations Finextel, de Roussel-Uclaf et de Roussel-Nobel.
que les chefs de la Gauche rêvent de provoquer en 1978, M. Pierre Calvet, hier sous-gouverneur de la Banque de
li
82 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR 1
LA SPOLIATION LÉGALISÉE DE L ÉPARGNE 83
France, puis vice-président de la Banque Nationale de Paris, France, a quitté ses fonctions officielles pour s'asseoir dans
est aujourd'hui président d'honneur et administrateur le fauteuil présidentiel de la Banque de Paris et des Pays-
d'idéal Standard, après en avoir été le président. Bas.
M. Jacques Certeux, ancien directeur général du Gaz de M. Pierre Moussa, ancien attaché des ministres Tanguy
France, est P.D.G. de la Sté de banque et de participations du Pouët et Robert Buron, fut P.D.G. de Setilex, adminis-
et administrateur de Sofragaz. trateur de la Sopad, de la Banque de Paris et des Pays-Bas,
M. Jacques de Fouchier, avant d'être le président de la P.D.G. de Cofimer et de Cogel, membre du conseil de sur-
Banque de Paris et des Pays-Bas et l'administrateur de veillance de la Cie Bancaire, membre du comité consultant
quatorze grandes sociétés (Paribas International, B.S.N.- de la Librairie Hachette, président de la Cie foncière Stein
Gervais-Darzone, Thomson-Brandt, Péchiney-Ugine-Kuhl- et Roubaix, administrateur du Crédit du Nord ,et Union
mann, Xerox, Rhône-Progil, etc.), fut sous-directeur du Parisienne, des Entreprises Campenon-Bernard, du Club
Trésor de l'Etat français à Vichy. Méditerranée, des Chargeurs réunis, de l'Union financière
M. Henri Deroy, qui fut gouverneur du Crédit foncier et bancaire, du Trust lnvestment Fund, de la Cie interna-
de France, a quitté ce poste officiel pour devenir vice- tionale des Wagons-Lits, de la Bank of America Inter-
président, puis président de la Banque de Paris et des national, de S.G. Warburg, de Warburg-Paribas, etc.
Pays-Bas ; il est maintenant administrateur d'une dizaine
Le marquis Henry d'Onnesson, frère du directeur du
de sociétés : Parisbas International, Banque Ottomane,
Figaro, ancien directeur général adjoint de la Banque cen-
Raffinerie de sucre de Saint-Louis, Hachette, etc.
trale des Etats de l'Afrique équatoriale et du Cameroun,
M. Guillaume Guindey, ancien directeur adjoint du préside la Sté française financière et immobilière, admi-
Trésor, a «pantouflé» en 1972 et est devenu président de
nistre la Sapar, la Sté d'énergie nucléaire franco-espagnole,
la Cie internationale des Wagons-Lits, P.D.G. de la Finextel, la Société be/go-française d'énergie nucléaire mosane et la
administrateur de la Paternelle, de la Cie Générale des Eaux Sté d'énergie nucléaire de Kaisersugst.
et de Penarroya.
M. Georges Plescoff n'est plus seulement président des
M. Maurice Lauré, passé de !'Inspection des Finances à
Assurances Générales de France nationalisées, mais aussi
la Banque de Madagascar et à la Banque d'Etat du Maroc,
administrateur de la Cie Française des vuitures de Paris.
devenu président de la Société Générale nationalisée, est
M. Jean Saint-Géours, ancien collaborateur de M. Pierre
également administrateur de V allourec, des Ciments fran-
Mendès-France, est passé du Crédit Lyonnais, dont il fut
çais, de l'European American Bank and Trust, de l'Ame-
directeur général, à la Sté de Banque et de Participations
rican Banking Corp., de C.I.I.-Alcatel, et censeur du trust
qu'il préside, au Club Méditerranée, à l'immobilière-Cons-
Schneider (Creusot).
truction de Paris, à Finextel, à la Grande Paroisse, comme
M. Jean-Maxime Lévêque, conseiller de l'Elysée en
administrateur, et est devenu, lui aussi, censeur du trust
1960-1964, «pantoufla» au Crédit Commercial de France
Schneider (Le Creusot).
dont il est le P.D.G. ; il préside également l'Union de ban-
M. Jean Saltes, ancien sous-gouverneur de la Banque de
ques pour l'équipement, est vice-président d'Elysées-Valeurs
France, puis P.D.G. du Crédit National, est aujourd'hui
et administrateur d'Isorel, des Galeries Lafayette, de Nobel-
P.D.G. de la Sté d'études et de développement S.A.D. et de
Bozel, de SOPAD, de la Cie financière Delmas-Vieljeux et
Pyral, ainsi qu'administrateur de Fulmen, de l'Electro-
de diverses autres sociétés importantes.
Banque, des Ets G. Leroy et de la Cie européenne d'accumu-
Le comte Alof de Louvencourt, nommé à l'inspection lateurs.
des Finances par un gouvernement de Front populaire, est
M. Pierre-Paul Schweitzer, ancien sous-gouverneur de la
administrateur de la Société Générale de presse.
Banque de France, est P.D.G. de Petrofigaz, président de la
M. Emmanuel Monick, gouverneur de la Banque de Banque Ameribas, puis de la Bank of America international
LA SPOLIATION ŒGALIS~B DB L ÉPARGNE
1
84 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR 85
à Luxembourg, vice-président de la Bank of America Inter- buables, ruineuses pour les petits actionnaires et inopéran-
national Ltd, à Londres, ainsi qu'administrateur-conseiller tes quant à la mise au pas des féodalités modernes.
du trust Unilever. - Alors, me direz-vous, quel moyen peut-on envisager
M. Yves Thomazeau fut directeur général adjoint du pour mettre fin à cette insupportable tyrannie de l'Argent,
Comptoir National d'Escompte devenu la Banque Nationale pour rogner les griffes du Grand Capital, pour secouer le
de Paris (secteur nationalisé); il siège maintenant au joug des « 200 Familles» ?
conseil d'administration des Mines et fonderies de zinc de Je vais vous répondre en reproduisant ce que j'écrivais
la Vieille Montagne, de la Cie Générale de participations et en tête du premier de mes livres (2) sur les puissances finan-
d'entreprises et au conseil de surveillance du Crédit mobi- cières :
lier industriel SOVAC.
«Je n'attends pas que le phénomène disparaisse brus-
M. Claude Tixier, hier vice-président de la très officielle
quement. Pas davantage que le système s'effondre de lui-
Banque Européenne d'investissements est aujourd'hui vice-
même. Trop de malins tirent parti de· l'un pour répudier
président de la Banque Worms, d'Unibail, et administrateur
l'autre.
de dix sociétés dont La Préservatrice-Accidents, La Foncière-
Vie, Lafarge-Maroc et l'Internationale Bank für Aussen- Je ne demande pas non plus la mort du pécheur, ni
handel, de Vienne. même sa condamnation. Les Fouquier-Tinville de la Révo-
J'arrête là cette énumération, qui deviendrait fastidieuse lution future auraient trop de mal à traduire les justicia-
s'il fallait la poursuivre. D'ailleurs, un volume comme celui- bles devant les tribunaux d'exception. Beaucoup de ces
ci ne suffirait pas si je devais donner la liste de tous les "grands coupables" sont morts; ils échapperaient donc
hauts fonctionnaires - notamment les préfets et les sous- aux rigueurs de leurs lois rétroactives (3). Quant aux
préfets - qui ont quitté le service de l'Etat ou des sociétés vivants, ils sauraient bien, le cas échéant, composer avec
nationalisées pour devenir les dirigeants de grandes firmes le Pouvoir ou mettre leur précieuse personne à l'abri d'une
industrielles et commerciales, de compagnies d'assurances éventuelle épuration. MM. de Rothschild et Worms leur
et de banques. Ces exemples, pris au hasard, devraient suf- ont montré comment on se tirait d'affaire en 1940 et en
fire à prouver ce que j'affirme, à savoir que les hauts fonc- 1944.
tionnaires placés à la tête des entreprises nationalisées Je ne suis pas certain, d'ailleurs, que tous ces "capi-
brûlent d'envie - à quelques exceptions près - de devenir talistes" soient à rejeter de la Société de demain. Je pense
les hauts employés des financiers ou des trusts : c'est, évi- même que plusieurs d'entre eux sont parfaitement vala-
demment, beaucoup plus profitable. bles, qu'ils feraient d'excellents commis, qu'ils défendraient
Mais, dites-moi, dans quelle mesure peut-on leur faire avec autant de dévouement et de conscience les intérêts
confiance? Les moins fermes d'entre eux, avant leur entrée supérieurs de l'Etat qu'ils en mettent aujourd'hui à servir
dans le secteur privé, ne sont-ils pas tentés d'être trop ceux de la Finance cosmopolite.
compréhensifs ou complaisants à l'endroit de groupes dont Car ce ne sont pas les hommes qui sont en cause, mais
ils espèrent, pour un peu plus tard, un poste important ou le système. Les "capitalistes" ne sont dangereux pour la
une belle sinécure? Cela expliquerait, voyez-vous, certains Nation que parce qu'il n'y a plus d'Etat pour juguler le
marchés profitables passés par de grandes firmes du sec- capitalisme.
teur privé avec les entreprises de l'Etat ...
Non, décidément, les nationalisations - inévitables dans (2) Cet ouvrage, Les Financiers qui m~nent le monde, paru en
telle ou telle branche de notre économie, surtout lorsqu'il 1955, eut 14 éditions successives. Il est aujourd'hui épuisé.
s'agit d'un service public, je le répète - ne sont pas la solu- (3) La rétroactivité des lois, trouvaille géniale du Garde des
Sceaux provisoire d'un gouvernement également provisoire, n'a
tion. Elles sont, malgré tout, onéreuses pour les contri- pas fini de servir les petites vengeances des gens au pouvoir.
86 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LA SPOLIATION LÉGALISÉE DE L'ÉPARGNE 87
Je conçois deux manières de gouverner un pays : La fortune de tout un peuple, raflée, retenue, gérée par
Le Pouvoir fait alliance avec le peuple pour contraindre quelques-uns, est devenue, grâce au système capitaliste
les Grands à se plier aux disciplines de l'Etat. Cette poli- basé sur la société anonyme, un instrument de domina-
tique fut celle des rois de France à l'égard de la Féodalité tion.»
et de la Noblesse. Ce qu'il faut donc, en premier lieu, c'est réformer la
Ou bien, le Pouvoir fait alliance avec les Grands pour société anonyme, instrument de domination des oligarchies
maintenir le peuple dans l'obéissance. C'est la politique financières. Il ne faut plus que l'actionnaire soit la vache
pratiquée dans presque tous les pays de la Chrétienté par à lait des 200 Familles. De même, il est injuste que les tra-
les Régimes qui se sont succédés depuis un siècle. vailleurs en salopette, en blouse blanche ou en veston, que
En France, le Pouvoir n'est plus l'allié, c'est-à-dire l'égal les ouvriers, les cadres de l'industrie ou du commerce, les
des Grands : il s'est incliné devant leur puissance. Ce suze- employés ne soient pas intéressés à la bonne marche de
rain s'est fait vassal. Il a abdiqué et s'est donné des maîtres. l'entreprise et à ses résultats financiers. A la lutte des clas-
Gardons-nous de tomber dans le piège de Marx et de ses préconisée par Marx et Lénine, il faut substituer la
confondre le capitalisme et la propriété. L'un n'est que la coopération des classes.
caricature de l'autre. Ce ne sera pas aisé : les 200 Familles s'opposent à cette
"Le Capitalisme, disait Edouard Drumont, ressemble à association du Capital, de !'Intelligence et du Travail avec
la Propriété comme l'œuvre d'un faussaire habile ressemble autant d'entêtement que les communistes. Ceux-ci per-
à une pièce authentique. L'un des parchemins est la vérité, draient alors tout espoir de renverser la société tradition-
l'autre est le mensonge; ils sont non seulement différents, nelle, qui survit, tant bien que mal, aux blessures qui lui
mais fondamentalement opposés; ils sont le contraire et sont faites, et d'établir un système analogue à celui que
la négation l'un de l'autre. maintient en Russie la police et l'armée; celles-là devraient
"Le capitalisme ressemble à la propriété comme le abandonner la plus grande partie des profits qu'elles tirent
sophisme ressemble au raisonnement, comme Caïn peut- d'un Système qui met à leur discrétion les capitaux fournis
être ressemblait à Abel. par l'épargne française et, très souvent aussi, par l'Etat
"La Propriété est le droit à la possession d'une chose. lui-même.
La Possession séparée de ce droit a un air de famille avec Ce qui frappe, à notre époque, ce n'est pas seulement la
la Propriété. Parfois on serait tenté de les confondre; mais concentration des richesses, parfois scandaleuses, mais
la première n'est en réalité qu'un fait matériel qui ne nous «l'accumulation d'une énorme puissance, d'un pouvoir
oblige aucunement au respect. économique discrétionnaire, aux mains d'un petit nombre
"Tout le monde conviendra que je suis propriétaire de d'hommes qui d'ordinaire ne sont pas les propriétaires,
ce que mon travail a produit, ou de ce qui m'a été donné mais les simples dépositaires et gérants du capital qu'ils
en échange et comme équivalent de mon travail, que ce soit administrent à leur gré.
une maison, des meubles, de l'argent. « Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui,
"Mais qu'un vol, une fraude, un dol, ait fait parvenir à détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent le
mon détriment cette même chose en d'autres mains cette crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils
possession constitue-t-elle pour le ravisseur un droit quel- distribuent en quelque sorte le sang à l'organisme écono-
conque, sinon le droit d'être puni? Peut-il arguer de la pos- mique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien
session qui est son crime pour établir à son profit la que, sans leur consentement, nul ne peut survivre.
propriété qui est un droit?" (4). « A son tour, cette accumulation de forces et de ressour-
ces amène à lutter pour s'emparer de la puissance; et ceci,
(4) Edouard Drumont : La France juive devant l'opinion. de trois façons : on combat d'abord pour la maîtrise éco-
88 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
1
LA SPOLIATION LÉGALISÉE DE L ÉPARGNE 89
nomique ; on se dispute ensuite le pouvoir politique dont place pendant six ans. Il ne sera fait appel à l'épargne pu-
on exploitera les ressources et la puissance dans la lutte blique qu'une fois la direction en place. L'augmentation de
économique ; le conflit se porte enfin sur le terrain inter- capital va donc, théoriquement, enlever la majorité aux
national » (5). fondateurs et à leurs hommes de confiance qui occupent
Je constate toujours avec regret l'ignorance du public les postes de direction. Je dis bien théoriquement, car, en
pour tout ce qui touche aux questions d'argent. Il ne com- fait, il n'y aura rien de changé. L'éventualité d'une éviction
prend pas qu'un «petit nombre d'hommes», qui ne sont brutale des administrateurs par l'assemblée générale des
que de simples dépositaires, disposent à leur gré de la actionnaires ne se produira pas. Les financiers et leurs
masse énorme d'argent dont il est, lui, le public, le véritable fidéicommissaires connaissent trop bien le mécanisme des
propriétaire. Cela me conduit à examiner, une fois encore, assemblées générales de société pour avoir quelque inquié-
le fonctionnement de la société anonyme. Car, j'insiste par- tude. Ils savent s'en servir au mieux des intérêts qu'ils
ticulièrement sur ce point, c'est grâce au système de la représentent. S'ils devaient être évincés - cela s'est déjà
société anonyme que les financiers se sont rendus maîtres vu - ce serait par tin autre groupe capitaliste et non par
des grandes affaires dont, cependant, ils ne possèdent les actionnaires isolés, détenteurs en commun de la majo-
qu'une infime partie du capital. rité absolue, donc souverains en titre, mais dans l'impos-
Vous pensez bien que ce n'est pas avec son seul argent sibilité d'exercer leur souveraineté!
qu'un ~anquier, ·fût-il aussi riche que Rothschild, a pu Tous les ans, sur convocation du conseil d'administra-
constrmre, par exemple, nos grands réseaux de chemins tion, l'assemblée générale est réunie. On lui soumet des
de fer dont chaque kilomètre de voie coûtait 400 000 francs- rapports, on lui fait approuver le bilan, on l'invite à nom-
or. Les millions ne suffisaient plus, il fallait des milliards. mer les administrateurs.
C'est alors qu'on découvrit, tout bonnement, qu'il y . De qui se compose l'assemblée générale? De tous les
avait « quelqu'un de plus riche que M. de Rothschild : actionnaires présents ou représentés. Or, les porteurs d'ac-
M. Tout-le-Monde ». De cette constatation naquit l'idée tions sont en majorité des rentiers, des propriétaires
d'intéresser un plus grand nombre de gens à cette entre- terriens, des paysans, des commerçants et des petits indus-
prise, d'en faire des copropriétaires. La société anonyme, triels, fort éloignés géographiquement du siège de la société
qui ne servait guère qu'au financement de certaines compa- dont ils sont actionnaires et peu soucieux d'effectuer un
gnies de navigation, reçut son statut : une loi, promulguée voyage coûteux pour assister à une assemblée générale.
en 1867, autorisa toutes les entreprises à se transformer Aussi se font-ils représenter. Ils signent un pouvoir en
en sociétés anonymes, donc à faire appel au public. blanc qu'ils remettent à leur banque, laquelle l'adresse au
Grâce à cette nouvelle législation, les financiers allaient conseil d'administration de la société. Celui-ci inscrit sur
pouvoir développer leurs affaires ... avec l'argent des autres. les feuilles timbrées qui lui sont remises, le nom d'une ou
La manipulation des assemblées générales qui élisent plusieurs personnes devant assister à l'assemblée. Ce sont
les administrateurs permet aux oligarchies financières de ces personnes, inconnues des porteurs d'actions, mais très
se maintenir à la tête des grandes entreprises et partant dévouées aux dirigeants de la société, qui représenteront
de régenter l'économie française et de dominer Î'Etat. ' les actionnaires à l'assemblée générale. De cette manière,
Au. moment de la constitution d'une société importante, le Conseil est sûr de la majorité. Les choses se passent entre
le capital se trouve naturellement aux mains des fondateurs. soi. La gestion de l'entreprise est approuvée sans discussion
'Ceux-ci, qui appartiennent généralement aux banques et et la désignation des administrateurs s'effectue comme
aux trusts, nomment les administrateurs ql!i resteront en prévu par le groupe financier qui contrôle l'affaire.
Ainsi, grâce à cette législation libérale, le conseil d'admi-
(5) Encyclique Quadragesimo Anno. nistration gouverne aux lieu et place des actionnaires et en
90 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
·I
92 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
LES MASS MEDIA AU SERVICE DU GRAND CAPITAL 93
Location des Sièges Dossiers, Sté de Construction d'Ou- Bateaux; La Revue nationale de la Chasse; La Pêche et
·v~age~ Pré~~briqués, Sté Parisienne de Banque, devenue les Poissons; Points de Ventes; Market; Votre tricot; La
Cie Fmanciere de Patis, Consortium du Nord Cie Fran- Bonne Cuisine ;
çaise de Cultures et de Participations, etc. ( 1 ):
A l'époque, M. Hersant (2) publiait l'Auto-Journal. En 1 agence de presse : I'AGPI, récemment créée, et
1957, il racheta Le Courrier du Centre (ex-Courrier-Liberté) 1 agence de publicité : Publi-Print.
de Limoges, puis divers quotidiens départementaux du
Berry, du Limousin, de l'Auvergne, du Périgord, du Poitou. Il faut y ajouter une imprimerie offset : Offprint, rue
Il les fusionna et en fit Centre-Presse. Ce fut le début de Olivier-Métra, à Paris, et un grand nombre d'autres im-
son trust de presse, qui compte aujourd'hui, après l'achat primeries, celles des journaux rachetés par le groupe et
du quotidien conservateur-libéral et la prise de contrôle six nouveaux centres d'impression mis en place pour tirer
du journal parisien vespéral, acquis par M. Paul Winkler Le Figaro et France-Soir, dont les pages sont envoyées en
qui en a cédé 50 % à M. Hersant : province par fac-similé.
13 quotidiens : France-Soir (700 000 ex.), Le Figaro Lorsqu'on apprit que M. Bersant avait des vues sur
(470 000), Nord-Matin (128 000), Nord-Eclair (110 000) Le Figaro - dont le rachat à M. Jean Prouvost exigeait
P~ris-N_ormandie (183 000), Le Havre Presse (24 000): le versement de 7 milliards d'A.F. - M. Noël Jacquemart
L Eclair de Nantes (33 000), La Liberté du Morbihan demanda, dans son Echo de la Presse : «D'où vient l'ar-
(20 000), Centre-Presse (87 000), Le Berry républicain gent?».
( 47 000), L~ Nouvelle République des Pyrénées (20 000), De mon côté, dans Lectures françaises, rappelant les
France-Antilles et Le Journal de la Réunion·, liens de M. Hersant et du financier lgoin, je fis remarquer
que le Consortium du Nord, l'une des entreprises financiè-
9 hebdomadaires ou hi-hebdomadaires : res de l'homme de confiance des Soviets en France, avait
pour vice-président l'ancien sénateur Joseph Lanet, qui fut
La Voix du Bocage (Vire); Le Courrier de l'Eure (Le l'un des secrétaires d'Etat du gouvernement Mendès-
Neubourg); Le Pont-Audemer (Pont-Audemer); La Liberté France et l'actuel animateur des fameux Clubs pour un
de la Vallée de la Seine (Poissy); Le Pays d'Auge (Lisieux)· nouveau Contrat Social, fondés et présidés par M. Edgar
La Renaissance du Bessin (Bayeux); Les Nouvelles de Fa~ Faure.
[aise (Falaise); L'Action Républicaine (Dreux); Le Jour- «Or, ai-je fait remarquer, si nous en croyons certains
nal d'Elbeuf (Elbeuf); bruits, dont la presse hebdomadaire se fait l'écho, M. Her-
sant aurait eu l'appui de l'actuel président de l'Assemblée
10 magazines techniques et spécialisés : Nationale lors de l'entrée au Figaro de l'ancien chef du
L'Auto-Journal; Sport-Auto,· Les Cahiers du Yachting,· Jeune Front antisémite.
« On connaît les sympathies de M. Edgar Faure, qui
est l'un des rares politiciens français parlant russe, pour
. (1) Dans ces d~U?t dernières sociétés, liées à la Banque Fran-
çaise ~e l.a rue, Vi~enne, M. Igoin avait placé l'un de ses fidéi- l'Union soviétique. On sait, également, que l'Elysée, qui a
commissaires, l ancien sénateur Lanet, un secrétaire d'Etat du placé M. Edgar Faure sur le perchoir du Palais-Bourbon,
gouvernement Mendès-France (1954-1955). · fait cles avances répétées au Kremlin. La présence, au
(2) N~tons que M. Her~ant est un ancien supporter de
M. Jv!endes-France et un ami de M. Edgar Faure qui a joué un Figaro, d'un homme aussi bien "relationné", ne peut
rôle importan} dans les négociations concernant ie Figaro. Cf Le qu'être agréable aux princes qui nous gouvernent. Le Bul-
Canard enchainé, 25 juin 1975. ·
letin quotidien ne fait que confirmer nos propres infor-
94 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LES MASS MEDIA AU SERVICE DU GRAND CAPITAL 95
mations lorsqu'il écrit : "Le soutien moral donné à cette à ces deux ouvrages qui expliquent le mécanisme de l'opé-
opération par l'Elysée et le gouvernement semble avoir ration ( 4 ). Au demeurant, si la direction du trust vert a été
largement facilité l'obtention des fonds nécessaires auprès quelque peu modifiée, si M. Gérard Worms est aujourd'hui
des banques" pour l'achat du Figaro. Citant ces lignes directeur général de cette énorme entreprise et s'est assis
Le Monde du 29 juin 1975 ajoute: "De même, le président dans le fauteuil qu'occupait alors feu Meunier du Hous-
de la République aurait insisté auprès de M. Jean d'Or- soye, les habitudes ont été conservées et le contrôle
messon pour qu'il conserve, après l'arrivée du nouveau qu'exerçait déjà la «banque trop puissante dans un Etat
propriétaire, ses fonctions de président du directoire du trop faible» - je veux dire Paribas - n'a fait que se
Figaro." On sait que l'appel de M. Giscard d'Estaing a été renforcer. On peut donc affirmer, sans crainte d'exagéra-
entendu... » ·
tion, que l'édition française est, aux trois quarts, dominée
L'accaparement du Figaro, puis celui de France-Soir a par Hachette.
provoqué, je l'ai dit, de sérieux remous dans la presse
et dans les milieux politiques. Le monopole Hachette - notamment et très officielle-
Puis, peu à peu, les clameurs se sont tues, et les jour- ment, dans les bibliothèques de gares et du métro parisien
nalistes qui s'étaient trop vigoureusement insurgés contre - est considéré par les écrivains lucides comme un véri-
M. Hersant ont dû vider les lieux. D'autres, et non des table attentat à la liberté d'opinion. Des hommes de lettres
moindres, partiront à leur tour. comme Huysmans et Maupassant, Mirbeau et Barbey d'Au-
La victoire de l'empereur de la presse française est revilly, des journalistes comme Drumont et Rochefort, des
donc totale. Une fois de plus, !'Argent, ce mauvais maître, hommes politiques aussi différents que Barrès, Clemen-
impose sa loi.
(4) Notons simplement que le trust Hachette contrôle (ou
• détient des intérêts importants) dans : ·
1. S.E.E. (pour la petite histoire, je dirai que ce sigle ne reco~;
vre aucune définition concordante), où Hachette (60 %) est associe
au baron Edmond de Rothschild (40 %), holding qui possède
Dans un autre secteur, celui du livre, une mésaventure 85 % du capital de la Société Nouvell~ d'Inforr:zation e~ 4e fubli-
analogue a bo1:1Ieversé en 1974 toute une profession et cité, laquelle contrôle : la Cf!n:Pagme frar:~azse ~e pe_rzpd~ques,
intéressée dans Paris-Match (dmgé par M. F1hpacchi), Tele-7 1ours,
singulièrement affecté la liberté d'expression. De même Parents, etc. ;
que les journalistes doivent se plier aux exigences de leur 2. le groupe Femmes d'aujourd'hui (14,5 % du capital);
«patron» - à de rares exceptions près, celui-ci n'est que 3. les Publications modernes spécialisées (Moto-Journal) (50
l'agent, l'associé ou le complice des oligarchies financières pour cent); .
- de même les écrivains sont conduits à passer sous les 4 France-Editions et Publications, qui publie France-Dimanche,
fourches caudines de ceux qui éditent et vendent leurs Le Îournal d1:. Dimanche, Elle, et qui contrôle : la S.J.P.P., éditrice
du Courrier du Val-de-Marne, et la S.E.P ..E, propriétaire de 50 %
œuvres. des actions du Nouvel Economiste;
J'ai longuement expliqué dans «Les Financiers qui 5. Edimonde, dirigé par M. Paul Winkler (qui « racheta »
mènent le monde » et dans « Le Secret des Dieux » com- France-Soir à Hachette pour le céder en partie à M. Hersant);
cette entreprise édite : Confidences, le Journal de Mickey, Mickey
ment Hachette, qui contrôle une grande partie de la dis- Poche, Picsou Magazine et le Journal de Babar;
tribution, exerce une dictature discrète mais réelle sur la 6. Presse et informations, société publiant Le Point et Vie
pensée française. Je n'y reviendrai pas, renvoyant le lecteur Publique;
7. les Editions Radio, éditrices de Hi-fi Magazine, La Nouvelle
revue du son et quatre autres revues spécialisées : Toute l'électro-
(3) Dossier C ... comme combines, par Nicolas Fournier et nique; Electronique Actualité~; Electronique .et Micro-El~ctro
Edmond Legrand, Editions Alain Moreau, Paris, page 44. nique Industrielle; et Automatique et Informatique Industrielle.
96 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LES MASS MEDIA AU SERVICE DU GRAND CAPITAL 97
ceau, Deroulède et MiJlerand se sont, jadis, indignés du Depuis quelques années, la situation est plus alarmante
droit que la maison Hachette s'arrogeait déjà dans le encore. Hier, il se trouvait des libraires assez courageux
domaine de la pensée. J'ai raconté, ailleurs, comment ou simplement connaissant leur métier et bons commer-
l'éditeur Baudinière, qui avait connu de gros tirages avec çants qui, se passant du trust vert, commandaient directe-
les romans de Maurice Dekobra, dut passer sous les four- ment à l'éditeur le livre jugé trop non conformiste pour
ches caudines de M. Tessou, alors haut fonctionnaire du être diffusé par la voie normale. Ce sont ces quelques
trust vert (5) pour pouvoir doubler un cap difficile. Ha- centaines de libraires qui ont permis à des dizaines de
chette lui faisait jusqu'à 60 % d'avances, déduction faite milliers de nos contemporains de lire ce que les financiers
de la remise du diffuseur {plus de la moitié du prix de qui mènent le monde veulent leur cacher.
l'ouvrage) sur les volumes qu'il remettait aux Messageries Pour briser cette opposition latente au monopole, pour
Hachette, à condition qu'il soumette chaque manuscrit empêcher que trop de livres puissent se vendre en dehors
retenu par le comité de lecture des Editions · Baudinière du circuit, un malin au service des trusts et des banques
à l'approbation d'un censeur de la puissante maison. Au- eut une idée de génie : retirer aux petits libraires une
cun des livres dits «exclusivité Hachette» ne pouvait partie de leur clientèle, donc provoquer à plus ou moins
paraître sans un accord formel. Que de bons livres, trop longue échéance leur disparition. Pour ce faire, deux
peu conformistes, ont été ainsi écartés depuis cinquante moyens : la vente par correspondance à prix avantageux
ans et plus! et les magasins de discount.
C'est cette censure que Drumont jugeait intolérable : C'est ainsi que furent créés, ici et là, des entreprises
«De quel droit, écrivit-il un jour (les patrons de la offrant à prix réduits, les derniers ouvrages à succès des
Maison Hachette) exercent-ils sur les livres qui traitent grands éditeurs. Comme par hasard, la plus connue de ces
des questions sociales une censure qu'ils n'exercent pas nouvelles sociétés de vente par correspondance est une
sur les obscénités ? De quel droit se permettent-il d'empê- filiale de la maison Hachette : Le Livre de Paris.
cher le public de lire un ouvrage irréprochable en tous
Quant aux magasins de discount, qui font des remises •
points sous le rapport des mœurs, et qui n'a que le tort de
atteignant 20 % sur les nouveautés de librairie, ils n'appar-
pas être suffisamment respectueux pour les Rothschild ? De
tiennent jusqu'ici qu'à une seule entreprise : la F.N.A.C.,
quel droit greffent-ils, sur le privilège de percevoir une
dont l'élan s'est trouvé freiné par la levée de boucliers
certaine somme par chaque voh.une, la fonction toute
qu'a suscité, à Paris principalement, l'ouverture du maga-
morale d'examiner le contenu de ce volume et de juger
sin géant de Montparnasse.
s'il peut circuler librement ? »
Paraissant peu attentifs à l'évolution du commerce,
A la fin du siècle dernier, il se trouvait encore des écri- les petits et moyens libraires se sont alors rendu compte
vains pour s'indigner, des journalistes pour soulever l'opi- du danger que faisait courir à leurs entreprises familiales,
nion publique, des députés pour interpeller le gouverne- la création de magasins vendant à prix cassé le dernier
ment. De nos jours, hormis Carrefour (en 1967), Lectures roman à succès.
Françaises et quelques autres feuilles indépendantes, il n'y
a plus de protestataires. Pour le Français désabusé de - Veut-on nous étrangler? questionnèrent les plus
l'an de grâce 1977, le monopole Hachette est, comme la inquiets.
foudre, une calamité qui lui vient du ciel. Le malin s'est En janvier 1974, M. Plaine, président de la Fédération
muni d'un paratonnerre. Que les autres se débrouillent... des Syndicats de libraires, établit un rapport à l'intention
de ses confrères pour leur expliquer ce que quelques amis
(5) Nom donné avant la guerre à Hachette en raison de la et moi clamons depuis des années - sans que beau-
couleur verte de ses voitures et de la devanture de ses dépôts. coup de libraires se donnent la peine de le répéter, - à
7
98 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
LES MASS MEDIA AU SERVICE DU GRAND CAPITAL 99
savoir que la liberté d'expression est en danger lorsque les approfondit ce que l'article ne peut qu'effleurer. Un livre
libraires sont eux-mêmes menacés. seul peut empoigner un problème, apporter des preu-
« La concentration dans la distribution du livre risque
ves, construire une solution. Et puis encore, la supériorité
d'influer profondément sur la production, expliquait-il. du livre, c'est comme l'aurait fait remarquer André Gide,
L'éditeur, contraint par la réduction de ses débouchés, qu'il se relit ( ... )
sera de plus en plus enclin à publier ce qui se vend plutôt Le livre est le meilleur facteur de vérité. Et comme la
que ce qui témoigne de l'état d'une société, d'une pensée vérité est déchirante pour ceux dont elle révèle le vrai
en évolution, ou d'une recherche de forme. » visage, ceux-là, bien sûr, savent que le livre est leur ennemi
« ••• Je ne pense pas que notre action, face à l'entreprise premier.»
de la F.N.A.C., soit seulement la défense d'une corpora- En dénonçant la F.N.A.C., les libraires indépendants ne
tion. C'est la liberté d'expression qui se trouve en jeu, ~t faisaient pas que se défendre ; ils défendaient aussi les
cela parce que le livre n'est pas un produit de consomma- écrivains et les éditeurs, du moins ceux qui font passer
tion comme les autres. Il est un instrument de prise de les intérêts supérieurs de la nation avant leurs petites
conscience et un facteur d'évolution.» combinaisons personnelles. C'était s'attaquer là à un gros
Oui, le livre n'est pas une marchandise comme les morceau, comme on dit; lutte d'autant plus difficile qu'elle
autres. était, au début, un combat d'aveugles à voyants. Que
Le livre est une force. Il sert, disait Léon Daudet, « de savaient-ils de la F.N.A.C., ces libraires intrépides qui se
brandon aux incendiaires ». Mais ajoutait !'écrivain natio- lançaient à l'assaut de la nouvelle Bastille?
naliste : Dans Lectures françaises de février 1974, après une
« Le mal que les livres ont fait, font et feront, d'autres
enquête sérieuse, j'apportais les premiers éléments d'un
livres peuvent le combattre, comme le prouvent les Evan- dossier que les principaux intéressés devaient ensuite uti-
giles, et après les Evangiles, tant d'ouvrages enseignant
liser pour éclairer l'opinion. Le client, tout heureux de
aux humains les moyens d'acquérir la paix et le bonheur
bénéficier d'une ristourne importante, serait amené à
en se dépouillant de l'ambition et des passions corrup-
réfléchir lorsqu'il comprendrait que, finalement, il peut
tives. »
lui aussi être la victime ( 6 ).
Mon vieil ami Pierre Fontaine, l'auteur de prophéti-
ques ouvrages sur le pétrole, disait de son côté que : Ce que ce client ne ferait probablement pas pour un
«Le livre devient le seul moyen d'informer honnête-
commerçant, même sympathique, ne serait-il pas amené
ment le public. » à l'entreprendre pour défendre ses libertés et, partant,
l'indépendance de ceux qui les défendent contre ceux qui
Vous ne pouvez songer à vous emparer de la radio
ou de la télévision pour débourrer les crânes, ni même, les menacent?
pour l'instant, à fonder un quotidien bien à vous dans
chacune de nos provinces. Par la publicité (Bleustein- (6) L'augmentation considérable du prix des livres, depuis
quelques années, est la conséquence directe des rabais faits par
Blanchet) et la distribution (Hachette), les grands jour- les éditeurs aux maisons de discount et aux supe rmarchés qui
naux - et aussi les moins grands - sont, pour la plupart, vendent au rabais. Contraints de faire à ceux-ci des remises beau-
entre les mains de ceux qui veulent écraser les petites et coup plus importantes que celles qui sont consenties aux libraires,
les éditeurs ont été amenés à majorer le prix officiel des volumes.
moyennes entreprises en même temps que l'opposition On remarquera, d'autre part, que l'on retrouve toujours les
nationale. mêmes groupes financiers, qu'il s'agisse des magasins de livres à
« prix cassé » ou des grandes surfaces, car le but recherché est le
Le livre est donc, aujourd'hui, le seul refuge de !'écri- même : faire disparaître les petites et moyennes entreprises pour
vain politique indépendant. ' laisser aux trusts le monopole de la fabrication et de la distribu-
«L'utilité du livre, écrit André Figueras, c'est qu'il tion.
100 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LES MASS MEDIA AU SERVICE DU GRAND CAPITAL 101
Les révélations de Lectures françaises furent comme Séquanaise de banque, de Tubest S.A., de la Cie Gle des
un coup de projecteur donné dans la coulisse de la F.N.A.C. Voitures à Paris, d'Actanéa, d'America Valor, de Ferodo
On découvrit alors, tapis dans l'ombre des grandes affaires, SAF, du Crédit Foncier de France, de Slivafrance, etc.
les véritables tireurs de ficelles. On s'aperçut que la Quant à M. François Moureau, il représente au conseil
F.N.A.C., qui s'était présentée au début comme une« Fédé- de la F.N.A.C., la Séquanaise de banque (établissement fi-
ration d'Achats des Cadres» était une société anonyme nancier de I'U.A.P.) dont le président était alors M. Domi-
au capital de plusieurs milliards d'anciens francs dont les nique Leca, à la fois administrateur de l'U.A.P., de la
dirigeants effectifs appartenaient aux oligarchies financiè- Banque de Paris et des Pays-Bas et du trust Hachette. (Ce
res. Exactement comme le trust vert, avec lequel la F.N.A.C. dernier a pour vice-président le président d'honneur de la
est d'ailleurs liée. Banque de Paris et des Pays-Bas.)
Certes, le P.D.G. de l'entreprise est bien M. André On comprend, dès lors, que la F.N.A.C. puisse dispo-
Essel, un ancien secrétaire national des Jeunesses socia- ser de capitaux énormes, ses administrateurs étant les
listes qui créa la maison avec son ami Max Théret. Mais représentants des grandes affaires.
les bailleurs de fonds, ceux qui ont permis à la F.N.A.C. Charles Maurras avait raison lorsqu'il écrivait, au début
de se développer, de créer des magasins à Paris et en du siècle :
province, de dicter ses conditions aux éditeurs, ne sont «Voici la vie, l'expérience. Et voici la faiblesse humaine
ni M. Essel, ni M. Théret. Ils s'appellent Thierry de Vogüé, enfin sentie. La sensibilité se mêle à la pensée. En orga-
Daniel Schmidt, Jacques-Henri Gougenheim et François nisant de profonds retours sur nous-mêmes : ce mécanisme
Moureau ; ce sont les représentants des grands intérêts des mœurs modernes qui s'institue ! cette distribution
économiques liés aux 200 Familles. Jugez-en : nouvelle des énergies qui tend à effacer vie moyenne et
M. Thierry de Vogüé, fils du comte Bertrand de Vogüé, classes moyennes 1 ce char électrique qui passe, redivisant
des champagnes Vve Clicquot - la célèbre maison dont le monde en glèbe et en patriciat ! Il faut être stupide
Mme Michel Poniatowski est une importante actionnaire comme un conservateur ou naïf comme un démocrate
- et petit-fils du marquis Louis de Vogüé, président pour ne pas sentir quelles forces tendent à dominer la
de la Cie de Suez, est l'un des cadres supérieurs de la terre. Les yeux créés pour voir ont déjà reconnu les deux
Banque de Paris et des Pays-Bas et l'administrateur de antiques forces matérielles : l'Or et le Sang (7). ,.
Materna et de Prénatal ; il administre la F.N.A.C. pour Si les libraires et leurs clients, si les auteurs et leurs
le compte du groupe Paribas ; lecteurs ne réagissent pas, ce sera, pour le public, l'assu-
M. r ;~ niel Schmidt est, lui aussi, un haut employé du jettissement au seul bourrage de crâne officiel. Plus d'édi-
groupe Paribas ; il est le directeur-adjoint de la Banque teurs indépendants, plus de libraires de quartier ou de
de Paris et des Pays-Bas et siège au conseil d'administra- bourg, donc plus d'écrivains libres, plus d'écrits non
tion de . Prénatal, Bonduelle, Dim, Fisuma, Sté commer- conformistes ; les Français seront un peuple de robots
ciale de l'Ouest africain, Brasseries de Maubeuge, Cie belge conduits par des ordinateurs.
de participations Paribas, Uni Printemps.
Ancien élève de l'Ecole polytechnique, M. Jacques-
Henri Gougenheim est un technocrate de valeur qui, entré
à la Cie d'assurances L'Union en 1960 a gravi allégrement
les échelons et est devenu directeur général-adjoint de
l'Union des Assurances de Paris (U.A.P.), le plus impor-
tant groupe d'assurances de France; il préside, en outre, la (7) Charles Maurras L'Avenir de l'intelligence, Paris, 1905,
Sicav Placements institutionnels, et siège au C.A. de la p. 11.
L'ART ET LA MANIÈRE DE PIÉGER LES CLASSES MOYENNES 103
leté de M. La Brède, l'association de classes moyennes en démocrate», Ce socialisme-là ne gêne aucunement les oli-
question ne réunit jamais plus de 4 000 adhérents, recrutés garchies financières : il a l'avantage de ménager les puis-
principalement dans la communauté israélite parisienne, sances d'argent tout en apaisant les éléments les plus
et l'audience de Demain resta insignifiante. Au bout de r emuants de la gauche.
quelques mois, le journal disparut et le groupement fut En février 1977, plusieurs journaux et revues, notam-
mis en sommeil. ment Le Canard enchaîné et Lectures françaises, se sont
A quarante ans de distance, l'entreprise actuelle aura- fait l'écho de bruits relatifs à l'initiation maçonnique pro-
t-elle plus de succès, même lancée avec la bénédiction de chaine de M. Valéry Giscard d'Estaing à la Maçonnerie du
l'Elysée? En tout cas, elle bénéficie de complicités nom- Rite écossais. Il se peut que l'intéressé hésite aujourd'hui
breuses, de circonstances favorables et, probablement, de à sauter le pas et à « recevoir la lumière » en raison des
fonds importants. Pour que le coup de filet ne laisse échap- remous que l'annonce de son initiation a provoqués
per personne, l'opération est conduite dans plusieurs dans les milieux de la majorité, surtout parmi les catholi-
directions - et par plusieurs groupes. ques et les droitiers, mais les contacts fréquents de l'Elysée
C'est M. Prouteau qui dirige, en fait, l'un de ceux-ci : avec les deux grandes obédiences maçonniques (2) indi-
M. Guy Henninot, président des P.M.E. de Paris venait de quent bien que le président recherche la collaboration
lancer son Syndicat national des classes moyennes dont active des francs-maçons pour triompher des obstacles que
l'indépendance risquait de compromettre la manœuvre; il la gauche unie ou M. Chirac et ses amis dressent sur son
fallait donc faire vite. En confiant cette tâche à M. Prou- chemin.
teau, le président de la République a conscience de travail- Donc, le 29 juillet 1976, un arrêté du ministre du Com-
ler à la réalisation de la grande concentration républicaine merce et de l'industrie, créait le Conseil Supérieur des
qu'il projette et qui, unissant sur le plan parlementaire et Classes Moyennes, dont M. Jean-Pierre Prouteau, ci-devant
gouvernemental, giscardiens, radicaux, centristes et socia- Grand Maître au Grand Orient de France, est le principal
listes, rejetterait dans l'opposition un P.C.F. diminué et un dirigeant. Cette décision officielle faisait de ce dernier le
R.P.R. écœuré et impuissant. La personnalité même de chargé de mission de l'Elysée pour cette tâche bien précise.
M. Prouteau indique que c'est bien de cela qu'il s'agit. M. Prouteau, que peu de gens connaissent, est âgé de
Depuis que M. Giscard d'Estaing a été reçu, en grande quarante-six ans. Il a appartenu pendant huit ans à la
pompe, à la Grande Loge de France - cela remonte à Marine nationale avant de faire carrière dans l'informa-
janvier 1974, quelques mois avant l'élection présidentielle tique et est devenu directeur général adjoint de la Société
- on sait qu'il compte beaucoup sur le concours de la d'information, de conseil et de recherches opérationnelles,
franc-maçonnerie pour détacher les socialistes de leilrs filiale de la Caisse Nationale de Crédit agricole. De forma-
alliés communistes et les rapprocher de ses partisans. Ce tion radicale - il devait présider quelque temps les Jeu-
n 'est pas pour rien que, dans les avenues du Pouvoir, on nesses radicales-socialistes d'Indre-et-Loire - M. Prouteau
parle souvent de «socialisme à la suédoise». Déjà le 7 octo- participa, il y a vingt ans, au côté de M. Jean-Jacques
bre 1974, c'est-à-dire moins de cinq mois après son élection, Servan-Schreiber, à la création des Anciens d'Algérie, asso-
M. Jean Daniel, du Nouvel Observateur, notait que, selon ciation qu'il présida en 1959-1960 et qui réunissait des
les diplomates et les ministres européens, «M. Giscard adversaires résolus de l'Algérie française. C'est probable-
d'Estaing prévoit pour la France et pour l'Europe un avenir ment dans ces milieux « schreibériens » qu'il a pris contact
"socialiste"». Dans un article du Monde, M. Etienne Hirsch, avec les sergents recruteurs de la Maçonnerie. En 1961, il
ancien président de la commission de !'Euratom, confiait
le 3 novembre 1976 que « le président de là République (2) Lire : «Giscard franc-maçon?», in Lectures françaises,
souhaite pour la France l'avènement d'un parti social- n° 239, mars 1977.
106 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'ART ET LA MANIÈRE DE PIÉGER LES CLASSES MOYENNES 107
était initié, et en une dizaine d'années, il gravissait les éche- pour la détourner des vrais responsables, en un mot de les
lons qui séparent le premier grade (apprenti) dt1 32e (Su- encadrer solidement, le Pouvoir a suscité d'autres orga-
blime Prince du Royal Secret). Vénérable de loge et membre nismes que celui de M. Prouteau. Ce que cel~i-ci fait dans
1
du Conseil philosophique des Chevaliers Kaddosch Les un secteur influencé par la franc-maçonnerie, d autres le
Amis Bienfaisants, il entra au Conseil de !'Ordre du Grand feront dans les organisations professionnelles des ville~ .et
Orient de France, en devint bientôt le Grand Trésorier, puis, des campagnes. C'est ainsi que l'on·c~éa les Group~s Imt.i~
en 1973, le Grand Maître. tives et Réflexion (G.I.R.), nés de 1 entente de cmq dm-
C'est donc à une très haute personnalité maçonnique geants de groupements syndicaux : les Petites et M~yennes
que le président de la République a confié le soin de mener Entreprises, la Confédération Générale des Cadres,, 1 ~ss~m
la subtile opération politique qui consiste à rallier au Sys- blée Permanente des Chambres de Métiers, la Confederat10n
tème, avec son Centre National de Coopération interpro- des Syndicats Médicaux Français et la Fédération Natio-
fessionnelle, les cadres, les membres des professions libé- nale d'Exploitants Agricoles.
rales, les petits industriels, les commerçants, les artisans Si M. Léon Gingembre, président des P.M.E. semble
et la masse des agriculteurs. L'organisation de M. Prou- avoir lancé l'idée des G.l.R., il n'en est ni le seul dirigeant,
teau revendique une soixantaine de comités départemen- ni même le principal animateur. Ce rôle revient à M. Michel
taux. Le Monde du 2 mars 1977 lui rattachait le traditionnel Debatisse un chef paysan qui flirtait naguère avec la gauche
Comité national de liaison et d'action des classes moyennes et qui pa;aît aujourd'hui pactiser avec la droite libérale et
(C.N.C.M.), fondé en 1947 par M. Roger Millot (ancien pré- gaulliste.
sident de l'Institut international des Classes Moyennes et La carrière de M. Debatisse est, pour beaucoup, un sujet
délégué général de la Confédération Générale des Cadres), d'étonnement. Originaire de Palladuc, dans le Puy-de-Dôme,
et dirigé aujourd'hui par M. Michel Rahar, président de où il vit le jour en 1929, ce fils de petit agriculteur milita
l'Union nationale des professions libérales et conseiller pendant de longues années dans les milieux démocrates-
économique et social. chrétiens : dès 1950, il écrivait dans Jeunes Forces rurales
Mais il ne semble pas que les premiers résultats obtenus et, de 1954 à 1957, il était le secrétaire général de la Jeuness~
par M. Prouteau aient pleinement satisfait M. Giscard Agricole Catholique (J.A.C.), dont le~ ten.dances g~uc?i
d'Estaing et les grands intérêts capitalistes qu'il représente. santes étaient très affirmées. En 1958, il devmt le secretaire
Sans doute le ci-devant Grand Maître du Grand Orient a-t-il général du Centre Nation.al des Je~nes Agric~lteurs et le
déjà rallié nombre de francs-maçons au dessein giscardien resta jusqu'en 1964, date a laquelle il fut porte au secréta-
et jeté les bases d'un groupe capable de noyauter les classes riat général (comme adjoint) de la F.N.S.E.A. ~ntre temp:,
moyennes; mais il s'agit d'aller vite car le temps presse,·les cet actif syndicaliste paysan avait été nomme au conseil
élections sont proches et il ne faut pas négliger la possibilité de direction du Fonds d'Orientation et de Régulation des
d'un retour offensif de la masse la plus active des com- Marchés de l'Etat (F.O.R.M.A.), au conseil (vice-président)
merçants et artisans, groupée aujourd'hui autour de M. Gé- de la Fédération des Producteurs de Lait, à la préside1!'ce
rard Nicoud et de ses amis. Le poujadisme, qui ébranla la de la Confédération française de !'Aviculture. Par la smte,
IVe République, est un phénomène qui peut se reproduire ; il a occupé d'autres postes import.~ts : secrét~ir~ gén~r~l
mieux organisé qu'en 1956, le mouvement risque alors de la Confédération nationale de 1 elevage, secretaire gene-
d'entraîner cette fois les cadres et les professions libérales ral, puis président de l'Institut des cadres paysans. Dans le
qui n'avaient pas compris, il y a vingt ans, que leur sort chapitre sur la Trilatérale (chapitre III) le lecteur t~o~vera
est lié à celui des boutiquiers et des laboureurs. la liste de ses fonctions actuelles. Cette carte de visite de
Soucieux de mobiliser à leur profit ces millions d'élec- M. Michel Debatisse, pourtant copieuse, serait incm?p~ète
teurs révoltés contre le Système, de canaliser leur colère, si l'on n'y ajoutait pas un titre qu'ignorent les diction-
108 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
dirigent, 5ui le lanc~nt contre votre entreprise familiale. puisque le but à atteindre, lui, répond à de légitimes
Le co~troleur ,ne fait qu appliquer les règlements; il ne
1
préoccupations.
les fait pas. C est en haut lieu que ceux-ci sont élaborés. Ajoutez à cela que les hauts fonctionnaires qui élabo-
Ce s~nt le_s technoc~ates de la rue de Rivoli, ces hauts rent ces règlements aussi absurdes qu'odieux sont, le plus
f~nctionnaires, ces mspecteurs des Finances liés à la souvent, les futurs dirigeants des grandes entreprises qui
Fu~ance et aux,trusts (voir le chapitre IV de ce livre), qui profitent de la concentration industrielle et commerciale,
preparent la reglementation que les agents fiscaux appli- donc de la disparition des petites et moyennes usines, des·
qu~nt. Les ~e~ures qui vous mettent en fureur parce petites et moyennes maisons de commerce, que nombre de
qu elles sont i~Justes, qui favorisent les « gros » au détri- ces technocrates sont les proches parents des « patrons »
ment des « ~etits »,.ce sont eux qui les mettent au point. des banques et des trusts, et vous comprendrez mieux les
Abasourdi, mon mterlocuteur avait du mal à me croire : mobiles qui peuvent les faire agir.
- Vot.~s exagérez, me dit-il. Pourquoi ces gens, qui ne - Oh ! moi, dit alors ce petit commerçant, vous savez ...
me connaissent pas, voudraient-ils la disparition de mon Je m'en sortirai toujours. Voyez ce saucisson, poursuit-il
commerce? en me montrant un magnifique échantillon de sa produc-
tion personnelle, ma clientèle n'en veut pas d'autre. C'est
- I_ls ne veulent pas spécialement la mort de votre moi qui le fabrique. Bien sûr, j'ai du mal à trouver du
~ntrepri~e, mais il~ désirent modifier les structures de personnel et je ne sais combien de temps je pourrai encore
l ~ppareil commercial ; les technocrates du ministère des en faire moi-même, mais je connais un confrère qui me
Fma_nce~ sont c~1:1vaincus que le rendement de l'impôt fournira alors une marchandise équivalente. Voyez-vous,
serait bien sup~rieur si le Fisc n'avait affaire qu'à de Monsieur, malgré tout, je tiendrai le coup. Je n'ai person-
gr~~es entreprises. Ils, sont persuadés que les entreprises nellement rien à craindre ...
familiales fraudent, qu elles ne paient pas assez d'impôts J'ai revu ce charcutier il y a quelques années. Il se sou·
parc:e. qu'ell~s sont insuffisamment contrôlées. C'est pour- venait de notre conversation et c'est lui-même qui remit,
qu01 Ils excitent les contrôleurs locaux contre les « frau- comme on dit, l'affaire sur le tapis .
deurs». Je ne suis pas assez naïf pour croire que parmi - Vous aviez raison, me dit-il. Je tiens toujours, mais
les _commerçants et les artisans il n'y a pas de fraudeurs. c'est devenu très dur pour ma femme et pour moi. Mes en-
Mais la vente s~s ~acture, par exemple, se pratique aµssi fants n'ont pas voulu reprendre le commerce que mon père
chez les gros (1 affaire des « ferrailleurs » de Lyon devait m'avait cédé et qu'il tenait lui-même de mon grand-père,
le confirmer quelques années plus tard) et les artifices le père de ma mère. Je n'ai plus de commis. Je ne puis
comptables s~nt. couramment employés parles très grandes plus fabriquer ces saucissons et ces pâtés que la clientèle
firmes po~ _dissimuler des bénéfices ... prélevés, au passage, appréciait et qui faisaient la renommée de ma maison.
p~r des dmgeants peu scrupuleux qui lèsent à la fois le Alors, j'achète chez Olida ou ailleurs. Ce n'est plus la même
Fi~c et l~s a~ti,onnaires . Dieu sait ce que recouvrent cer- chose. Mes clientes me l'ont dit. Je me suis aperçu qu'elles
tams frais generaux des mastodontes de l'industrie et du n'en achetaient plus que rarement ...
commerce!
- Naturellement. Tant que vous pouviez fournir des
. ?one, _ce ~·est pas votre maison de commerce qui est produits de qualité, que la clientèle appréciait d'autant
visee, mais .1 ensem?~e des moyennes et petites maisons, plus qu'elle savait que vous les fabriquiez vous-même et
des entreprises. f~n:ibales que l'on se passe de père en fils. qu'on ne les trouvait pas ailleurs, elle vous était fidèle.
El_les sont, considerees par la Haute Administration comme Du jour où elle a découvert que le saucisson Olida, par
«.madaptees » au commerce moderne. Elles èloivent donc exemple, que vous lui offrez maintenant, est également
disparaitre. Tous les moyens seront bons pour y parvenir vendu dans les autres magasins, elle n'a aucune rai-
112 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR VERS LE MONOPOLE DE LA DISTRIBUTION ? 113
son, hormis la sympathie ou l'habitude, de l'acheter chez liste dans le secteur du commerce, est probablement appli-
vous. quée, mais elle ne suffit pas à empêcher l'ouverture de
- Eh oui 1 les supermarchés, par exemple, en vendent nouvelles «grandes surfaces», encore moins à réduire leur
aussi, bien sûr... nombre. Tout ce qu'elle est parvenue à faire, c'est de
- Ils en vendent et, souvent, à un prix plus bas que limiter les créations :
le vôtre. Au cours de l'année 1974, il y en a eu 30 % de moins
Mon interlocuteur a convenu que cela arrivait parfois, que l'année précédente. Mais l'année suivante la revue
pour certains produits de grande consommation - «la du trust vert Entreprise (10 avril 1975) notait avec satis-
grande cavalerie», selon son expression - qui étaient faction que dans le secteur de la distribution « les gros
vendus bien meilleur marché par l'industrie alimentaire l'emportent».
aux supermarchés qu'aux commerçants locaux: Il y avait, selon I'Atlas LSA 1976, 2 876 supermarchés
- Les grandes surfaces, a-t-il conclu, cassent les prix et 305 hypermarchés à la date du 1er janvier 1976. L'édi-
pour attirer la clientèle. Ils éliminent ainsi peu à peu la tion 1977 de cet annuaire indique leur nombre au
concurrence des petits. Lorsqu'il ne restera plus qu'elles, . '.é but de cette année : 3 246 et 337 ( 1). On voit que le
le marché leur appartiendra. Elles exerceront un véritable frein de la loi Royer n'a pas été très efficace. Ce n'est pas
monopole et pourront vendre le prix qu'elles voudront ou sans raison que M. Gérard Nicoud déclarait, en mars der-
presque. De toute manière, beaucoup plus cher que nous. nier, à un journaliste de la Guadeloupe, M René Cazimer-
Quant à la qualité ... Jeanon : «La prolifération des grandes surfaces est dan-
Voici, posé, une fois de plus, le problème des grands gereuse. A mon sens, c'est une tentative de monopolisa-
magasins, des super et hypermarchés, des «grandes sur- tion des circuits de distribution.»
faces », comme on dit, qui se sont multipliés depuis des L'engouement des consommateurs pour les grandes sur-
années au point qu'il a fallu voter une loi pour limiter faces est-il justifié ? Ces clients ne sont-ils pas, tout bon-
leur nombre, sous la pression des organisations profes- nement, les victimes d'un matraquage publicitaire continu
sionnelles et des petites et moyennes entreprises. qui annihile leurs réflexes de défense ?
Celles-ci, soulignant les conséquences fiscales, économi-
ques et sociales, de la prolifération des grandes surfaces, Un débat qui eut lieu sur la 3° chaîne de la télévision
avaient fait observer qu'elle entraînait : le vendredi 19 mars 1976, à partir de 20 h 30, et auquel
participèrent, notamment, M. Ansquer, ministre du Com-
- la disparition de milliers de petites maisons de merce et de l'Artisanat, M. Gérard Nicoud, porte-parole
commerce; des petits commerçants, et M. Denis Defforey, directeur
- l'inégalité des conditions concurrentielles, qui ne général des supermarchés Carrefour, est particulièrement
permettent pas aux commerçants indépendants d'avoir révélateur.
des prix compétitifs. et les vouent à la fermeture de leur Il m'a confirmé que la prolifération des «grandes sur-
magasin à plus ou moins brève échéance ; faces » - favorisée par les technocrates malgré la loi
Royer - ne profitait pas au grand public, mais à un très
- et, enfin, 1'aggravation des chérrges fiscales qui pèsent petit nombre d'hommes d'affaires entreprenants et astu-
sur le commerce des villes en raison de l'installation de cieux agissant en accord avec les banques et les trusts,
grandes surfaces à la périphérie, dont les charges incom-
bent en p~rtie aux municipalités, donc en fin de compte
(1) Les hypermarchés ont une superfici~ supé~eure à? 500 .m 2 ;
aux contnbuables et au commerce local lui-même. celle des supermarchés est de 400 à 2 500 m . Il existe aussi environ
6 000 superettes dont la superficie varie de 120 à 400 m' et autant
La loi Royer, qui devait endiguer le flot supercapita- de «libre service» ayant moins de 120 m 2•
8
114 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR VERS LE MONOPOLE DE LA DISTRIBUTION ? 115
parfois pour leur compte, en tout cas avec leur soutien par les 120 jours ou 90 jours fin de mois (2). Egalement
financier. par les services : elles exigent parfois du producteur qu'il
- Etes-vous moins cher que les petites boutiques? fasse mettre lui-même, par ses employés, sur les rayons.
demande le meneur de jeu. Elles cassent les prix au maximum ... »
- Oui, répond catégoriquement M. Gérard Seul, direc- En achetant par grosses quantités, elles obtiennent des
teur général d'Euromarché. conditions auxquelles le petit commerçant ne peut prb
Plus nuancé, M. Denis Defforey, après avoir reconnu tendre.
que ses magasins ne sont pas« moins chers toute l_'année », «Je dois vous dire, poursuivit M. Nicoud, que si, par-
sur tous les produits, «à cause des ventes promot1onnelles fois, c'est plus cher chez le petit commerçant - pas tou-
ponctuelles » déclare qu'ils sont cependant « en moyenne, jours, notamment pour les produits frais - la marge
moins chers l'>, bénéficiaire du petit commerçant est inférieure à celle de
Le Monde, qui rendait compte de l'émission dans son la grande surface. »
numéro des 21 et 22 mars 1976, ajoutait : Quant à la fraude ...
«Les achats (une dizaine de produits alimentaires de Dans son numéro du 29 janvier 1975, Minute publiait
base) faits par Jean Peyzieu, réalisateur de l'émission ces lignes qui n'ont reçu aucun démenti :
télévisée consacrée vendredi aux "petits et grands commer- « La commission du commerce intérieur et des prix
ces" le montrent : les hypermarchés sont de 10 à 15 % de l'Assemblée des Chambres de commerce en France a
moins chers que les boutiques, encore que tel petit ouvert une enquête sur les conditions spéciales dont les
commerçant affilié à une centrale d'achat pratique des fabricants font bénéficier les grandes surfaces et qui éli-
prix plus bas de 4 % que son grand concurrent voisin. Au minent les petits commerçants.
demeurant, c'est logique : les commandes massives des
«Certes, c'est la loi naturelle du négoce que plus les
"grands" leur valent d'importantes ristournes des pro-
commandes passées portent sur de gros marchés et plus
ducteurs et les frais de livraison sont moins élevés ...
les prix consentis par les fabricants deviennent avanta-
Ils étaient tous là, les grands et les petits du commerce
de détail alimentaire, de M. Gérard Nicoud à M. Edouard geux. · · d'enquete aurait obtenu des e'l'e-
« Mais la comm1ss10n A •
Sans compter la perte de temps - une demi-journée de les articles plus intéressants pour le magasin : 4,75 et 4,10
perdue! - cela vous a coûté 1 800 francs anciens, donc en haut et en bas, 7,50 au milieu.
pas moins cher. Il y a le problème social qu'il ne faut pas L'astuce, là, devient de la ruse. On n'a plus affaire à
oublier; la moitié des familles françaises n'ont pas de un commerçant, mais à un roublard.
voitures et les 2/3 des Français habitent en zone rurale ... » Poursuivons :
Pour illustrer ce point particulier de la vente en milieu La hauteur, note le commentateur, varie en revanche,
rural, un film a été projeté, dans le cadre de cette émission, auprès des caisses. Les friandises sont placées au bas des
sur la « tournée » de 30 km qu'un jeune boulanger-épicier rayons ou des gondoles ; les enfants les ont à portée de
de l'Ardèche, M. Yves Riou, fait plusieurs fois par semaine la main pendant que les mères attendent le moment de
pour ravitailler des villages dispersés. S'il n'y avait plus payer.
que des supermarchés, les villages isolés ne seraient pas Dans certains supermarchés ont été installées des
ravitaillés. La concentration commerciale a provoqué la caméras pour observer les clients et enregistrer leur com-
disparition des petits magasins d'alimentation dans les portement. Il ne s'agit pas de surveiller d'éventuels voleurs,
petites agglomérations. Le ministre Ansquer promit alors mais de surprendre les réactions des consommateurs pour
de financer l'installation d'épiceries dans les communes en tirer des enseignements. Des psychologues, des spécia-
rurales. listes du marketing étudieront les films ainsi réalisés et
- Le commerce est aussi un service public, concluait prêteront une attention particulière aux hésitations de la
le rédacteur du Monde qui rendait compte du débat clientèle. On perfectionnera ainsi l'éventail des techniques
télévisé. destinées à persuader les ménagères de mettre dans leur
La présentation d'un autre film, sur les supermarchés, panier des produits dont elles n'ont pas toujours besoin.
et le commentaire qui l'accompagnait, ont fait ressortir On modifiera ici la présentation de tel produit, on chan-
les astuces des grandes surfaces pour piéger les naïfs gera tel autre de place pour obtenir un meilleur rende-
consommateurs. ment. La tentation est l'un des leviers puissants des rois
Je résume les remarques du commentateur : du commerce sur l'opinion des consommateurs.
Les couleurs doivent contribuer à exciter le désir Cela explique les dépenses, souvent inconsidérées, que
d'acheter; le blanc, le jaune, l'orangé sont largement em- font les clients des grandes surfaces. Que Choisir?, la
ployés; des lampes fluorescentes spéciales accentuent la revue de l'Union Fédérale des Consommateurs, faisait
couleur rouge de la charcuterie. cette constatation dans son numéro de mars 1976 :
Pas de supermarchés, ni d'hypermarchés sans musi- « 61 % des gens ne comptabilisent pas au fur et à
que; la règle, c'est de créer une atmosphère euphorisante. mesure le prix des articles déposés par eux dans le chariot :
Aux extrémités des gondoles, on met les articles en pro- 39 % le font plus ou moins rapidement, 58,5 % sont
motion. Evidemment, les têtes de gondoles sont suffisam- surpris par le montant de leurs achats lorsqu'ils paient à
ment éloignées des rayons où se trouvent normalement la caisse. »
les articles - pour que vous n'ayez pas le courage ou Cette même revue de consommateurs observait, d'au-
la curiosité d'aller comparer. Au cas où vous auriez évité tre part, que, contrairement à ce que l'on voudrait faire
les têtes de gondoles, vous buteriez sur d'autres gondoles croire au public, ce ne sont pas les petits commerçants
placées au milieu d'allées dans certains magasins, et por- qui commettent le plus souvent des irrégularités mais bien
tant des articles dont on veut pousser la vente. Le range- les gros.
ment sur les rayons est en général assez étudié : les arti- «L'an dernier, note Que Choisir?, sur quatre mois de
cles les moins chers sont placés très haut ou très bas ; au contrôle, les enquêteurs de la Direction Générale de la
milieu, bien signalés, à la portée de la main et des yeux concurrence et des prix ont relevé dans le commerce plus
118 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR VERS LE MONOPOLE DE LA DISTRIBUTION ? 119
de 7 % d'infractions à la réglementation, mais c'est dans effort, pénible pour les personnes âgées, facilite la vente
les magasins de petite surface qu'ils ont dressé le moins des articles plus chers, qui se trouvent au niveau des mains.
de procès-verbaux. » On usera de tous les moyens psychologiques pour amoin-
L'épicier du coin se conduit infiniment mieux avec sa drir les possibilités de jugement, de réflexion du client
clientèle que les supermarchés ! et pour l'inciter à multiplier les « achats d'impulsion ».
« Les trafics sur les étiquettes et les dates limites de Les grandes entreprises commerciales, indique encore
vente se pratiquent encore trop souvent dans les moyen- Que Choisir? (3), ont dépensé 460 millions de F., soit
nes et grandes surfaces. Des employés de supermarchés 46 milliards d'anciens francs en publicité - c'était il y a
ont révélé que certains produits alimentaires. périmés deux ans - ce qui les place au premier rang des annon-
étaient réemballés et réétiquetés. Ces infractions et les ceurs français. Vous pensez bien que tout sera mis en
"coup de pouce" donnés aux dates limites de vente ont œuvre pour récupérer ces investissements considérables :
été relevés par un jugement du tribunal de Paris comme ce sont les consommateurs qui, en fin de compte, paieront
«des faits graves, pouvant mettre en cause la santé du la note. Ce qui explique les demandes d'augmentations
public, et trop répandus notamment dans les grandes sur- de salaires des moins favorisés.
faces ayant un large éventail de clientèle. » Finalement, donc, les grandes surfaces sont un facteur
« Par ailleurs, les hausses de prix trop rapidement et de vie chère puisqu'elles font dépenser aux ménages plus
illégalement répercutés aux produits en stock ou même qu'ils ne le peuvent.
en rayons se pratiquent toujours. »
La revue de l'U.F.C. donnait cette précision :
« Dans un hypermarché de l'Essonne, les seize person-
nes de l'équipe de nuit qui font le marquage des prix sur
les emballages et approvisionnent les rayons, sont égale-
ment chargées - au prix d'un surcroît de travail - d'enle-
ver les étiquettes de prix de certains produits en rayons ou
en stock et d'en remettre d'autres, majorées! »
Il faut obliger le consommateur à dépenser toujours
davantage. Tous les moyens sont bons pour ralentir la
marche de la ménagère : présentoirs à contournes, rayons
en chicanes, caisses encombrées. Plus elle passera de
temps dans le supermarché, plus elle sera tentée de se
livrer à un « achat d'impulsion ». Par exemple, elle mettra
dans son chariot un produit qu'elle n'avait pas l'intention
d'acheter et qu'elle a saisi par pure curiosité : ce yaourt
aux fruits qu'elle emportera à la place du yaourt nature
qui coûte le double, ou ce fruit exotique, assez cher, qu'elle
prendra en plus des bananes ou des oranges qu'elle était
venue chercher. (3) Que Choisir? est une revue mensuelle, sérieuse et docu-
Pour gêner la vente des produits relativement bon mentée, qui fait preuve d'une grande indépendance. Elle est
marché et taxés, on les place au ras du sol, pour obliger l'organe de liaison des groupes locaux de l'Union Fédérale des
Consommateurs (7, rue Léonce-Reynaud, 75781 Paris Cedex 16).
l'acheteur à se baisser, ou sur des rayons supérieurs, pour Outre Que Choisir?, l'U.F.C. édite également : Que Savoir ? et
le contraindre à se hisser sur la pointe des pieds ; cet Que Choisir ? Budget.
UN GÉANT DU COMMERCE : CARREFOUR 121
.r
1
122 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UN GÉANT DU COMMERCE : CARREFOUR 123
de la production et de la distribution entre les mains des d'éliminer la concurrence du petit commerce et d'aiguiller
oligarchies financières. la clientèle vers les établissements intégrés qu'ils contrô-
- Et pourtant, direz-vous, j'ai voté pour Giscard parce lent. D'après les chiffres d'AFRESCO (Association Fran-
qu'il promettait de sauvegarder les petites entreprises ! çaise de Recherches et d'Etudes Statistiques Commer-
J'ai eu tort de le croire ... ciales), les résultats étaient les suivants en 1974 :
« Est-ce la fin de l'entreprise individuelle en France?
Ma réponse est : Non!. .. Je considère comme l'une des
responsabilités de l'Etat de permettre aux entreprises DISPARITIONS ET FERMETURES DE MAGASINS
individuelles de lutter à armes égales avec les autres for-
mes d'organisations économiques (1). »
Gros Détail Total
Cette déclaration, le candidat Giscard d'Estaing l'a
faite et le président de la République l'a oubliée ... avec Commerce agricole 254 77 331
beaucoup d'autres promesses, d'ailleurs. Pouvait~il en être Denrées périssables 165 2170 2335
autrement? Ceux qui connaissaient les liens de V.G.E. avec Farines, sucres 12 1226 1238
la Haute Finance ne pouvaient avoir d'illusions. N'appar- Alimentation générale 182 4 676 4 858
tient-il pas, lui-même, aux 200 Familles ?
A la politique de« reconversion» de M. Mendès-France, Total commerce agricole et alimentaire 613 8149 8762
poursuivie au temps du général De Gaulle, a succédé la
politique de «restructuration» de l'économie, qui facilite
l'encerclement de la distribution par les trusts que favo- En un an, 8 762 magasins du commerce agricole et
rise l'Etat. Aujourd'hui la presse écrite et parlée s'alarme alimentaire ont donc disparu. (Si l'on ajoute les ferme-
de l'envahissement des firmes étrangères. Les lecteurs de tures des années 1970, 1971, 1972 et 1973, on arrive à un
«La France à l'encan» savent que, dès 1965, j'ai mis en total de 39 041 disparitions de magasins du commerce
garde mes concitoyens contre l'emprise des trusts interna- agricole et alimentaire.) L'alimentation générale, autre-
tionaux sur l'industrie et le commerce français. Le do- ment dit les petites épiceries de quartier ou de village, a
maine de la distribution des produits alimentaires et agri- perdu 4 676 points de vente. Mais la dégradation atteint
coles est l'un de ceux qui mettent en évidence les manœu- tous les types de petits commerces indépendants, alimen-
vres du Big Business cosmopolite pour évincer, avec l'ap- taires ou agricoles. La boucherie, elle-même, qui avait
pui de !'Administration, les petites et moyennes entreprises échappé jusqu'ici aux difficultés des autres commerces
françaises. d'alimentation, est touchée à son tour : 1200 bouchers
Il y a une dizaine d'années, le Commissariat au Plan ont dû fermer leur bôutique en 1974. L'activité de l'épi-
notait que le chiffre d'affaires global des industries ali- cerie et de la boucherie (3) est intégrée par le grand
mentaires et agricoles s'élevait à 50 772 millions de F. commerce, en particulier les supermarchés. Une statisti-
Ce secteur occupait la deuxième place dans notre écono- que du Bulletin Officiel des Annonces Commerciales
mie. A la même époque, la consommation des ménages (B.O.D.A.C.) souligne l'accélération du mouvement des fail-
s'élevait à 76 805 millions de F. (2). Vous vous doutez que lites dans le commerce : 4 105 en 1974 et 4 504 en 1975,
cela ne laissait pas les trusts indifférents. Pour accapa- tandis que progressait le nombre des hypermarchés et
rer cet énorme marché, ils mettaient tout en œuvre afin des supermarchés et que grossissait le chiffre d'affaires du
(1) Cité dans Ec_onomie et Po_litique, n• 259, février 1976, p. 117. (3) Rien que pour la viande fraîche, en 1976, les grandes et
(2) Cf. International Marketing, n• 157, mars-avril 1968. moyennes surfaces ont vendu 27,8 % de la consommation totale.
124 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UN G~T DU COMMERCE : CARREFOUR 125
grand commerce. C'est que j'ai montré dans le chapitre le bilan au 31 décembre 1975) ces ponctions atteignaient
précédent. 363 millions de francs, soit plus de 36 milliards d'anciens
La prolifération des grandes surfaces est grandement francs 1
facilitée par des organismes bancaires spéciaux qui dis- - Ainsi, diront les petits commerçants et les artisans,
posent de capitaux énormes. J'en citerai un, à titre d'exem- c'est avec notre propre argent que sont financées les
ple : l'Union pour le financement d'immeubles de sociétés constructions des géants qui veulent nous écraser ?
(U.I.S.). - Oui, c'est bien cela : comme déposants de votre
Fondée en 1960, cette colossale entreprise au capital banque, comme assurés (incendie, vie, etc.), vous partici-
de 171 millions de F. - plus de 17 milliards d'A.F. - s'ap- pez à cette remarquable opération commerciale. Les arti-
pelait à l'origine l'Union Immobilière de Supermarchés et fices des manieurs d'argent et leur roublardise n'ont pas
Centres Commerciaux (elle a pris sa dénomination actuelle fini de vous surprendre ...
en 1972). De 1962 à octobre 1975, elle a financé la cons- A la tête de ladite Union se trouvent, d'ailleurs, les
truction de 173 immeubles destinés à des hypermarchés, représentants de ces banques et de ces compagnies :
des supermarchés, des supérettes, des succursales de M. Papaz siège au conseil d'administration pour le
grands magasins, de centres commerciaux, des entrepôts compte des Assurances Générales de France-Vie; M. Gi-
et des bureaux dans toute la France, notamment pour raud y figure pour les Assurances Nationales-Vie; M. Gon-
Prisunic, Suma, Casino, Corsaire, Monoprix, Félix Potin, tard représente I'U.A.P.-Vie; MM. Vizioz, Bouruet-Auber-
Unico, Radar, Mammouth, Migras, Euromarché, Conti- tot, Axelroud, également administrateurs, siègent pour le
nent, etc. compte (respectivement) de la Banque Nationale de Paris,
Ces 173 immeubles déjà construits, les dizaines en du Crédit Lyonnais et de la Société Générale ; M. Hollard
chantier chaque année, cela représente des centaines de représente la Banque de l'Union Européenne, du groupe
milliards. Où l'Union pour le financement d'immeubles de Empain-Schneider (dont il est parlé dans .ce livre à pro-
sociétés les prend-elle ? Dans quelles caisses puise-t-elle pos de Mme Giscard d'Estaing, petite-fille d'une Schnei-
ces capitaux énormes sans lesquels les supermarchés et les der).
hypermarchés ne pourraient s'établir? Certes, les muni- La banque de Neuflize, Schumberger, Mallet S.A. a,
cipalités prennent, le plus souvent sinon toujours, à leur elle, deux représentants au conseil de l'U.l.S. : M. René
charge une partie des travaux exécutés aufour des grandes Fleury, vice-président, et M. Ponnier. Le premier, un
surfaces pour en faciliter l'accès aux véhicules et aux pié- ·Lyonnais, est directeur général-adjoint de la banque, en
tons. Parfois même, le terrain est fourni à très bon compte même temps qu'administrateur de Cofradel; au conseil
par les autorités municipales. Mais la construction elle- de cette société, il retrouve un autre Lyonnais, ancien
même coûte fort cher et exige un financement important. député du Rhône, qui défraya la chronique au pays de
C'est là qu'intervient le savoir-faire des astucieux pro- Guignol et de Gnafron il y a quelques années : M. Joseph
moteurs : ils puisent les milliards dont ils ont besoin dans Charvet, également administrateur d~ l'U.l.S., ancien
les réserves prodigieusement abondantes des grandes ban- P.D.G. de l'Economique et, actuellement P.D.G. de Paridoc.
ques et des compagnies d'assurances nationalisées. Autre- M. Sieben siège au conseil de U.I.S. en qualité de délégué
ment dit les petits commerçants, clients de fa Société de la General Shopping S.A.
Générale ou du Crédit Lyonnais, auxquels ils confient leurs L'Union pour le financement d'immeubles (U.1.S.) a
fonds, ou assurés auprès des grandes compagnies comme pour président un ancien ingénieur-conseil de l'Union
les Assurances générales de France, ou le ,G.A.N. qui capi- Européenne industrielle et financière (groupe Schneider),
talisent leurs versements, fournissent à fours èoncurrents M. Gérard Chauchat, P.D.G. des Chantiers de France-
les capitaux dont ils ont besoin. Pour l'année 1975 (cf. Dunkerque, 4Jministrateur de plusieurs autres sociétés et
126 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UN GÉANT DU COMMERCE : CARREFOUR 127
membre du Conseil de Surveillance de l'Entreprise Jean Sans doute estiment-ils, cependant, manquer d'expé-
Lefebvre, où il côtoie M. François Giscard d'Estaing, cousin rience, car ils vont aux Etats-Unis pour suivre les cours
germain du président de la République. de M. Bernard Trujillo, l'un des « oracles de la distribu-
Les hypermarchés Mammouth sont les plus nombreux : tion», qui recommande à ses élèves :
48 ; mais leur surface totale est inférieure à celle des
37 hypermarchés Carrefour : 236 520 m 2 contre 352 800. «laissez vos consommateurs faire le travail »,
Viennent ensuite : Euromarché, avec 31 (201 769 m 1), «créez des îlots de perte dans un océan de profit»,
Rond-Point, avec 30 ( 127 890 m 1 ), Auchan, avec 15
( 122 549 m 1 ) et Cora, avec 13 ( 107 899 m'). «faites du cirque en permanence» (5).
C'est donc Carrefour qui est en tête. Les plus grands Enthousiasmés par les méthodes de ce maître, MM. Def-
hypermarchés appartiennent à son groupe : Portet-sur- forey, rentrés en France, sont bien décidés à les mettre
Garonne (25 000 m', soit 2 hectares et demi), Vitrolles en pratique.
Marignane (21 000 m'), Aulnay-sous-Bois (19 355 m'), Méri-
gnac, près de Bordeaux (16 215 m'), Villiers-en-Bière Associés avec M. Marcel Fournier, ils ouvrent le super-
(14 000 m'), Marseille 4° (13 000 m'). Carrefour et ses asso- marché de Parmelan (Annecy) en 1960. Pour la première
ciés comptent une quarantaine de grandes surfaces en fois, un établissement commercial dispose d'un parking
France et quatorze à l'étranger (Belgique, Suisse, Grande. pour les voitures, dont la surface est cinq fois supérieure
Bretagne, Italie, Espagne, Brésil et Autriche), totalisant à celle du magasin lui-même. La politique de Carrefour est
plus de 493 000 m' ( 4 ). La société contrôle de nombreuses tout entière axée sur les propriétaires de voitures :
société d'alimentation. Carrefour s'est, en outre, associé .« L'automobiliste, déclare M. Fournier, est le meilleur
à des groupes étrangers pour étendre son influence. C'est client qui soit. D'abord parce que son pouvoir d'achat
ainsi qu'il est lié, depuis trois ans, aux coopératives socia- est plus élevé que celui du piéton, ensuite parce qu'il vient
listes belges et à Delhaize-le-Lion, dans l'exploitation de moins souvent, mais qu'il achète quatre fois plus. »
Distrimas qui a ouvert deux hypermarchés à l'enseigne de En 1963, un autre magasin est ouvert, toujours à
Carrefour, l'un à Hornu, près de Mons, et l'autre à Rocourt, Annecy, et un troisième à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans
près de Liège. Le groupe Carrefour est devenu l'une des la région parisienne. En deux ans, le Carrefour de Sainte-
plus grandes affaires françaises de distribution. Geneviève-des-Bois obtient des résultats inespérés : son
Son histoire commence en 1959, lorsque des « succur- chiffre d'affaires annuel s'élève à 65 millions, soit six ou
salistes », MM. Jacques et Denis Defforey, installés dans sept fois plus qu'un Prisunic ou un Monoprix du centre
l'Ain, ouvrent un libre service alimentaire de 100 m' au de Paris; quatre ans après, le chiffre d'affaires dépasse
sous-sol du magasin de nouveautés de M. Marcel Fournier, 100 millions, soit 10 milliards d'A.F.
à Annecy. Ce premier Carrefour obtient un franc succès :
on y vend au rabais des marchandises que l'on trouve par- Peu à peu, Carrefour étend son implantation. Pour
tout ailleurs, mais plus cher. Les astucieux commerçants réduire les frais d'installation au maximum, les dirigeants
que sont les Defforey ne placent sur leurs rayons que les de Carrefour dépensent le moins possible dans le bâtiment
marchandises très rentables : aux petites commerçants de lui-même. «Nous ne construisons pas pour vingt ans »,
vendre les produits indispensables aux ménagères mais déclare M. Jacques Defforey. Le fait est que les magasins
qui ne laissent pas une marge suffisante. Carrefour sont construits d'une manière très économique ;
le prix de revient du m' est inférieur de moitié à celui
( 4) Rapport du Conseil d'administration à l'assemblée générale
des actionnaires de 1976. (5) Cité par Que Choisir?
128 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UN GÉANT DU COMMERCE : CARREFOUR 129
des autres magasins, en général. On pourra ainsi aller trielle pour l'expansion des entreprises et fidéicommissaire
s'installer ailleurs plus aisément : « Le développement de la Société de Banque et de Crédit dans diverses affaires.
des villes est tel que dans quelques années nos mag~sins Carrefour a bénéficié d'appuis importants en haut lieu.
se trouveront au milieu de zones entièrement urbanisées. Lors de l'incendie du supermarché de Venissieux - qui
Nous aurons intérêt à vendre notre terrain dont la valeur flamba d'autant mieux qu'il était construit très légère-
aura doublé pour nous installer 10 ou 15 km plus loin. » ment, selon les principes de la maison - la presse fit
allusion aux intérêts que la famille du président Pompidou
Au conseil d'administration de Carrefour, que préside
aurait dans l'affaire, ce qui ne semble pas exact. Mais
M. Marcel Fournier, siègent MM. Denis Defforey, direc~eur
l'Elysée portait alors intérêt à Carrefour en raison des
général, Jacques Defforey, également directeur géneral,
liens d'amitié qui unissaient le ménage Pompidou et
René Bouchet, Georges Brière, Maurice Déchery, Bernard
Mme Françoise Quoirez dite Sagan. Celle-ci est, en effet,
Fournier et Raymond Gouloumès. la belle-sœur de M. Jacques Defforey, administrateur-
M. Marcel, Marie, Jean Fournier est né à Annecy, le directeur général de Carrefour, qui a épousé Mlle Su-
2 mars 1914, au foyer d'un ménage de merciers. Au. cours zanne Quoirez, sœur de l'auteur de «Bonjour tristesse».
de la Deuxième Guerre mondiale, il prit la direction de Les Defforey appartenaient au petit groupe très fermé
la mercerie paternelle : nous avons vu q~'il P,art~cipa ? des amis personnels des Pompidou, notamment à Cajarc,
la création de Carrefour en 1960. Il est au]ourd hw admi- où est née Françoise; on a dit que l'ancien directeur
nistrateur des Hypermarchés S.A. de Participation (Suisse), général de la banque de Rothschild Frères, devenu pré-
de la Cegos et des Comptoirs modernes, ainsi que membre sident de la République, ne dédaignait pas de donner
du conseil de surveillance de la Banque Hervet et de Hanus ses conseils au « patron » de Carrefour.
et Cie. Bernard Fournier, également administrateur de
Carrefour, est son fils ; il siège dans diverses sociétés du Un autre personnage a joué un rôle · très important
dans la société : feu René Dijoud (1913-1976). Sur le plan
groupe ou liées à lui.
des relations politiques ou avec la haute administration,
MM. Jacques et Denis Defforey sont, eux aussi, adminis- cet ancien préfet a été fort utile aux dirigeants de Carre-
trateurs de diverses filiales de Carrefour. Les Defforey sont four. Originaire de la Savoie, il fut secrétaire général du
avec MM. Fournier, les principaux actionnaires du g~ou~e, département du Lot sous !'Occupation, puis sous-préfet et
mais ils sont loin d'être majoritaires. Ils déclarent deterur, finalement préfet (Lozère, Haute-Marne, Aisne). Il se fit
à eux quatre, 48 % des actions nominatives. ~uels sont les mettre en congé spécial pour pouvoir « pantoufler » et
groupes bancaires qui possèdent les autres act10ns ? Quand devenir conseiller administratif de Carrefour.
on sait que le service financier de Carrefour est assuré à
.la fois par des banques nationalisées (c mme la B.N.P., le Tel un paratonnerre, l'ancien préfet protégea l'entre-
Crédit Lyonnais et la Société Générale) et .des banques prise qui se l'était attaché. Mais tout son savoir-faire fut
privées (parmi lesquelles la Banque Rothschild. et la ban- impuissant, parfois, à étouffer les plaintes des victimes.
que de Neuflize, Schlumberger, Mallet) on devme que les C'est ainsi qu'en octobre 1975, la 7" Chambre de la Cour
grands intérêts supercapitalistes ont la part belle. La pré- d'Appel de Paris a condamné Carrefour à verser 3 millions
sence au conseil d'administration de Carrefour, de M. Mau- d'A.F. de dommages et intérêts pour nuisance, à plusieurs
rice Dechery confirme cette hypothèse : ce personna~e voisins ainsi qu'une somme de 9 millions d'A.F. à chacun
est non seulement directeur adjoint du Crédit Lyonnais, d'eux pour dépréciation de leur demeure. Mais qu'est-ce
mais aussi P.D.G. de Noyange et de la Sté lyonnaise d'in- que 36 anciens millions pour une entreprise qui réalise
vestiss ment, de développement et d'expansion, adminis- 1milliard10 millions d'A.F. de bénéfices pour 500 milliards
trateur directeur ~énéral de la Sté financière et indus- d'A.F. de chiffre d'affaires par an! Broutilles que tout cela.
9
·I
130 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UN GÉANT DU COMMERCE : CARREFOUR 131
Ce n'est pas ce qui peut arrêter le N° 1 des hypermarchés Invoquant la liberté - celle du « renard libre dans le
dans sa marche en avant ... poulailler libre», sans doute? - le géant de la distribu-
Il fut un temps où les ménagères, soucieuses de la qua- tion annonçait avec aplomb :
lité des produits qu'elles achetaient, refusaient ceux dont « Pour retrouver cette liberté d'origine, Carrefour pro-
elles ne connaissaient pas la marque. Une maison qui pose les produits libres. Avec les produits libres, on est
se respectait était tenue de surveiller la valeur réelle des libre de choisir les produits pour eux-mêmes. »
marchandises qu'elle vendait sous sa marque sous peine Du shampooing au pain grillé, en passant par le cho-
d'avoir mauvaise réputation. Pour cette raison, les firmes colat, le riz, les pâtes alimentaires, Carrefour offrait une
dont la production avait une renommée douteuse éprou- bonne trentaine de produits.
vaient des difficultés à l'écouler. C'est ainsi que, dans ma Le Bureau de vérification de la publicité, dont la tâche
jeunesse, une conserverie de Lot-et-Garonne ne vendait est de surveiller les annonces, ne tarda pas à réagir. Le
guère dans la région et devait chercher sa clientèle au 5 mai 1976, M. Philippe Renaudin, qui préside le B.V.P.
loin tant était critiquée la qualité de ses produits. Ses entouré de ses quatre vice-présidents et d'un représentant
cassoulets toulousains ne pouvaient guère trouver pre- de l'Institut national de la consommation, lança un aver-
neurs que dans les banlieues pauvres des grandes cités. tissement. Les reproches qu'il faisait à la publicité de Car-
De nos jours, grâce aux magasins populaires et aux refour étaient de quatre ordres : dénigrement des produits
supermarchés, les sous-marques et les marques peu pri- de marque, infraction aux dispositions actuelles relatives
sées des consommateurs ont trouvé un débouché impor- à la publicité comparative, inexactitude et référence abu-
tant. De moins en moins nombreux sont les acheteurs qui, sive à la notion de liberté.
dans l'alimentation notamment, sont attachés à un pro- De son côté, l'Institut national de la consommation
duit de marque. Il en reste cependant et ceux-là doivent jugeait sévèrement la campagne de Carrefour, et certains
être découragés : on doit leur faire abandonner au plus journaux, tout en ménageant l'annonceur, le client de
tôt des préjugés gênants. publicité, notaient que l'opération allait permettre à la
C'est à quoi les dirigeants de Carrefour s'emploient grande distribution de faire passer les fabricants sous son
depuis un an. Ils ont lancé l'opération «produits lib~es » contrôle. L'Express, de M. Jean-Jacques Servan-Schreiber,
qui consiste à faire adopter par les clients des articles n'était pas du nombre des publications critiques, bien au
sans marque portant seulement une étiquette au nom de contraire : il tira, au printemps 1976, un numéro spécial
Carrefour et vendus à des prix inférieurs à ceux des pro- à 3 millions d'exemplaires pour vanter les mérites de
duits de bonne marque. On voit l'intérêt de l'opération : Carrefour. (Un an plus tard, 45 % du capital de L'Express
la clientèle y trouve un bénéfice financier certain pour étaient rachetés par le groupe britannique Goldsmith, qui
peu qu'elle ne soit pas trop difficile et le leader européen contrôle la Générale Alimentaire, le N° 3 des trusts euro-
des hypermarchés peut obtenir des conditions exception- péens de l'alimentation.)
nelles des fabricants contraints de passer sous les fourches Notons pour terminer que Carrefour se vante de faire
caudines du distributeur. Que de petits et moyens pro- contrôler ses produits sans marque par un laboratoire
ducteurs ont été ainsi pris à la gorge. Désormais, ce n'est officiel, dépendant du ministère de !'Agriculture. Cette col-
plus le consommateur qui sera roi, mais le distributeur, lusion d'un organisme chargé de la protection des consom-
la grande surface, qui fait son prix à l'achat comme à la mateurs avec l'un des grands trusts de la distribution
vente. n'est pas normale. On comprendra que beaucoup la consi-
Le 31 mars 1976, une page entière d~ publicité dans dèrent comme un flirt contre nature.
la grande presse annonça l'opération «produits libres »
(coût de la campagne : 2 milliards et derrJ d'A.F.).
BLANC BONNET ET BONNET BLANC 133
rentables ces opérations, ils les suppriment. Véritable louse, président d'honneur de la société, est également
service public, la « tournée» n'est plus assurée; il s'ensuit administrateur des Supermarchés Doc. Un autre frère,
une accélération de la désertion des campagnes, fléau de Henry Toulouse, également président d'honneur de la
la société moderne. Au moment où l'on parle tant d'éco- société, administre plusieurs filiales des Docks de France ;
logie et de défense de la nature ... il est membre du comité des prêts du Crédit National, pré-
La famille Gontard est à la tête de cette entreprise : sident-fondateur de !'Association internationale de la dis-
M. Jacques Gontard est P.D.G., M. Jean Gontard, directeur tribution des produits alimentaires et du Comité interna-
général, MM. André et Michel Gontard, administrateurs. tional des Entreprises à succursales et il appartient à la
Un mot également de Paridoc : c'est un groupement Commission de politique économique du C.N.P.F. M. Mi-
d'achats que préside l'ancien député lyonnais Joseph Char- chel Deroy est vice-président-directeur ~énéral de la socié-
vet et auquel adhèrent des maisons à succursales, gérant té ; il est le fils de M. Henri Deroy, ancien président de
des magasins populaires par milliers ainsi que 358 super- la Banque de Paris et des Pays-Bas ; c'est un neveu des
marchés et 69 hypermarchés (chiffres de fin 1976). Parmi frères Toulouse.
ces succursalistes membres de Paridoc figurent : Cern, Parmi les autres administrateurs des Docks de France,
Cedis, !'Economie bretonne, !'Alsacienne de Supermar- figurent MM. Yvon Decré et Didier Pfeiffer, représentants
chés, les Comptoirs modernes, !'Etoile de l'Ouest, La Ru- .officiels de deux groupes : la Société d'études Decré, pour
che méridionale, l'Union, les Economiques troyens et l'un, et l'Union des Assurances de Paris, pour l'autre. La
Docks réunis, Goulet-Turpin, la Sté économique de Ren- présence de cette dernière dans cette énorme entreprise
nes, l'Aquitaine, la Ruche picarde, Guyenne et Gascogne, confirme ce qui est dit des compagnies d'assurances et
les Docks ardennais, Cofradel, l'Union commerciale, Seric, des banques, pourvoyeurs de fonds des hypermarchés.
Superest, SAMGS, les Docks de France, les Economats du Liés aux Docks de France au sein de Paridoc, les Eco-
Centre. nomats du Centre ont 32 supermarchés Suma (d'une su-
Les Docks de France, appelés communément «DOC», perficie totale de 22 156 m 2 ), 6 hypermarchés Mammouth
sont nés en 1931 du regroupement des Docks du Centre, (34 270 m 2), 206 superettes Economia, 872 succursales
fondés en 1904, et de L'Epargne de l'Ouest, née en 1909. classiques Economats et 136 Monopoles. Au cours de 1975,
Cette société dispose d'une chaîne de magasins d'alimen- ils ont acheté 113 succursales Docks de Nevers et 3 super-
tation de petite surface, exploités directement ou par ses marchés ainsi que 5 supérettes Gros-Rhône. M. Léon Jar-
filiales. Depuis une dizaine d'années, elle suit le mouve- dat, administrateur de Chic Service, de la Cie Hydra-Ther-
ment et a créé des magasins de grande surface et de très male et des Etablissements Mizoule, est le président d'hon-
grande surface : les supermarchés Suma et Doc et les hy- neur de la société; son fils, Jacques Jardat en est le
permarchés Mammouth et Record. Elle a aussi, en asso- directeur général. Tous deux siègent au conseil d'admi-
ciation avec Trigano, les « grands magasins des loisirs )') nistration que préside M. Jean Izambard, administrateur
et elle s'est rapprochée de la Samaritaine pour la créa- de Paridoc et de Chic Service. La Banque Nuger a délégué
tion de magasins de nouveautés à proximité de supermar- son gérant-associé M. Pierre Nùger, qui occupe le fauteuil
chés. Selon le rapport du conseil d'administration à l'as- de vice-président. Egalement administrateur, M. Roger
semblée générale de 1976, elle exploite: 27 Suma, 11 Mam- Lebon représente les intérêts de l'Union de banques à
mouth, 13 Doc, 2 Record, 1 Ambiance et 5 Sabeco. Paris, dont il est le président et qui contrôle financière-
A la tête des Docks de France, qui contrôlent les Super- ment 1'entreprise.
marchés Doc et les magasins Doc François, se trouvent Les Economiques troyens et Docks réunis, fondés en
notamment M. Robert Toulouse, le P.D.G.,' qui est le fils 1898, disposent de 344 succursales, de 25 supérettes et de
du fondateur, Ernest Toulouse. Son frère, Bernard Tou- 9 supermarchés; ils contrôlent en outre 2 Mammouth.
138 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR BLANC BONNET ET BONNET BLANC 139
Cette affaire champenoise est administrée notamment par La société a repris le cirque Medrano, au pied de la butte
MM. Henri Poron, administrateur de Vitos, de k S.B.E.M. Montmartre, pour en faire un supermarché de 1 014 m'.
belge et d'une société établie au Liechtenstein ; et Maurice Le groupe possède plusieurs filiales et contrôle diverses
Bellot, vice-président, gérant des Transports régionaux de sociétés : Montréal (supermarchés), Parhymag, Agora
l'Est et du Centre, administrateur de la Sté de tricotage (Magasins Henri Bardou), Comepar, Niprim et a des inté-
Aube et Marne. rêts dans les Vins Nicolas et les Produits alimentaires et
Egalement lié à Paridoc, le plus important à plusieurs conserves du Landy. Au 31 janvier 1976, Primistères ex-
points de vue, voici Goulet-Turpin, établissements qui fu- ploitaient ou contrôlaient 1 094 magasins. 505 d'entre eux
rent à l'avant-garde du libre-service en France, dès 1948. étaient à l'enseigne Félix Potin, ce qui explique la présence,
C'est en 1874, que Modeste Goulet, qui n'avait que vingt- au conseil d'administration de la société, de MM. Gilbert
trois ans, ouvrit sa première épicerie. Il le fit avec le Cahen d'Anvers et André Mentzelopoulos, de Mme Armande
concours de sa jeune épouse, née Eugénie Angélique Tur- Mentzelopoulos et de la Sté Félix Potin. Les Mentzelopou-
pin. Le succès de l'entreprise fut tel que le pr juillet 1900, los sont, en effet, les dirigeants de vieille maison Potin.
la maison se transformait en société anonyme des Etablis- Ancien collaborateur du trust Bunge (céréales) au Pakis-
sements Goulet-Turpin, au capital de 1 million de francs- tan, président d'Andrew and C0 Ltd à Karachi, depuis
or. La firme Goulet-Turpin possède dans le département 1948, M. André Mentzelopoulos, né à Patras (Grèce) en
du Nord-Est et dans la région parisienne 682 magasins, 1915, administre diverses affaires méditerranéennes et
23 supermarchés et 16 supérettes exploités par une filiale représente son pays à la Chambre de commerce interna-
et 5 hypermarchés appartenant à une filiale, les G.E.M. tionale depuis une douzaine d'années. Le comte Cahen
Les descendants et héritiers du ménage Goulet-Turpin d'Anvers appartient à une famille de financiers originaires
sont à la tête du directoire de l'entreprise. Le président, de Bonn (Allemagne) qui furent anoblis à la fin du XIX" siè-
M. Pierre Goulet, est le fils d'Eugène Goulet (1876-1961), cle par le Pape. M. Gilbert Cahen d'Anvers a présidé
ancien P.D.G. des établissements, lui-même fils des fonda- pendant seize ans environ la Sté Félix Potin. Parmi les au-
teurs. M. Georges Goulet, son cousin, est directeur général tres administrateurs, deux noms retiennent l'attention :
de la société. MM. Jean et Daniel Goulet, respectivement celui de M. Pierre Louis Sénéclauze, un grand marchand
fils de Pierre et de Georges, siègent au directoire comme de vins d'Oran, qui quitta l'Algérie et s'établit dans le
directeurs. Auprès d'eux, M. Pierre Chameroy administre midi de la France ; et celui de M. Marc Henrion, beau-
Saigmag et Cern, et M. Jean Kauffmann préside plusieurs frère du président de la République. Cet homme d'affaires
filiales du groupe, dont Bricogem, qui exploite 10 centres a, en effet, épousé en 1955, Mlle Rosamée de Brantes,
de bricolage, et Restaurap, autre filiale du groupe possé- sœur de Mme Valéry Giscard d'Estaing, ce qui l'apparente
dant une cafétéria, un bowling et 6 restaurants fast food aux Schneider, les magnats du Creusot, donc aux 200 Fa_.
(où l'on mange rapidement). milles. Par sa mère, née Chantal Charles-Heidsieck, il
Parmi les grands succursalistes, il faut citer aussi : appartient à la riche famille des marchands de champagne.
Primistères, qui occupe une place de choix. Cette firme Il fut, en outre, l'un des collaborateurs du baron Edmond
créée en 1903, possède en propre 455 succursales, 56 supé- de Rothschild à la Compagnie financière en 1970-1972.
rettes, 40 « shoppings » ou supermarchés et 4 hypermar- Mais l'une des plus grandes enseignes des hypermar-
chés; ses filiales ont 509 magasins, 15 supérettes, 9 super- chés, c'est évidemment Radar, l'avatar récent d'une très
marchés et 6 hypermarchés. En septembre 1975, Primis- ancienne maison créée en 1887 sous le nom de Docks
tères a pris le contrôle des Comptoirs français et de la rémois. Cette firme naquit au moment où commençait à
Société marnaise qui exploitaient 509 « magàsins de proxi- se développer en France le « succursalisme alimentaire »
mité», 15 supérettes, 6 supermarchés et 1 hypermarché. qui devait rayer de la profession des dizaines de milliers
140 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR BLANC BONNET ET BONNET BLANC 141
de petits épiciers des villes et des campagnes. Les Docks fils du député républicain-socialiste Pierre Forgeot (qui
rémois ravitaillaient, au début, les boutiques des Familis- fut ministre des Travaux publics de Poincaré et de Briand),
tères rémois qui devinrent les succursales de l'entreprise P.D.G. de Finandal, directeur général adjoint de la Cie
appelée un peu plus tard : Docks Rémois-Familistère. Commerciale marseillaise; M. Geraud de Labeau, fidéi-
A partir de 1958, la société adopta, elle aussi, les métho- commissaire du Crédit Commercial de France; Eric Mer-
des américaines et ouvrit des supermarchés, le premier à lin, administrateur-directeur général de la Sté française
Poissy. Avec un associé américain, qui s'en retira plus d'assurances pour favoriser le crédit, administrateur de la
tard, elle prit des intérêts dans la Sté française des super- Banque de financement immobilier et de plusieurs autres
marchés, puis le contrôle total pour mieux participer à entreprises de crédit et de prêt ; Robert Théron, admi-
l'offensive commerciale des grandes surfaces. En: 1973, le nistrateur de la Centrale d'achats pour maisons à succur-
groupe prit le nom, plus moderne, de Radar et, dès lors, sales multiples et supermarchés CAMAS ; M. Dominique
développa son réseau de grandes surfaces. A la date du Leca, que l'on retrouve dans les groupes d'assurances, à la
1•r octobre 1975, il possédait 15 hypermarchés, 111 super- Banque de Paris et des Pays-Bas, chez Hachette, etc. ;
marchés, 241 supérettes et 1 809 succursales traditionnel- M. Jacques-Henri Gougenheim, qui représente l'Union
les, soit 2 176 magasins représentant une surface totale de des Assurances de Paris; et M. Robert Marcy. Ce dernier
vente de 316 488 m1 • est · l'un des très hauts personnages des grands magasins
Radar, c'est aujourd'hui un groupe de 11 sociétés : et des maisons à succursales. Né à Paris en 1911, M. Robert
Sté française de Supermarchés, Camas (une centrale d'a- Marcy, est le fils d'un négociant, Léon Marx, et de son
chats), Sifa, Nord-Est. alimentation, Docks de Blois, Docks épouse, née Jeanne Bloch; il a été autorisé à troquer son
de l'Ouest, Economiques de Normandie, Cie Financière nom d'origine (Marx) contre celui qu'il porte, par décret
Rémoise, Sté Lorraine d'approvisionnement des 3 vallées, du 24 août 1948. D'abord avocat à Paris, il entra dans
Supermarchés C.I.P., Magasins Bon Débit, auxqueHes les affaires après la guerre et devint le président des Dames
s'ajoutent 5 autres sociétés contrôlées en partie ou asso- de France, puis le vice-président directeur général de Paris-
ciées, dont la Cie européenne des vins Janiprix, Paris- France, fleuron de la couronne de son beau-père M. Roger
France et Grogedis. Gompel, l'un des magnats des magasins populaires.
La direction est assurée par le conseil d'administration M. Marcy est aujourd'hui président de la Chambre syn-
où siègent : dical des Magasins populaires, vice-président de la Fédé-
· Président d'honneur : M. André Boussac, cousin de ration nationale des entreprises à commerces multiples,
l'ex-roi des cotonnades et toujours «patron» de L'Aurore; président de Madelios, le grand magasin de luxe des bou-
P~D.G. : M. François Thiault, que l'on retrouve au conseil levards, vice-président directeur général de Paris-France,
des Trois Quartiers, de Paris-France, de Lemaître et cie et P.D.G. de la Sté française des grandes entreprises de dis-
de la grande banque d'affaires, le Crédit Commercial de tribution, administrateur-directeur général de la Sté géné-
France ; vice-président : M. Jacques Merlin, autre repré- rale des grands magasins et dirigeant de diverses autres
sentant du Crédit Commercial de France, également pré-- sociétés du même genre (Trois Quartiers, Magmod, Paru-
sident de la Sté française de Réassurances, membre du nis, Grand Bazar de Toulouse, etc.).
conseil de surveillance de !'Entreprise Jean Lefebvre et
de Roussel-Uclaf, administrateur de Pechiney-Ugine-Kuhl-
mann et de la Banque Rivaud ; et parmi les administra-
teurs : M. Pierre-André Boussac, fils d'André (déjà cité),
administrateur du Crédit Commercial dè France (en
Suisse), des Grands Moulins de Paris ; M. André Forgeot,
CE « BONHEUR DES DAMES » .• . 143
loppé la formule de Pygmalion, de Mademoiselle Bertin pela tout naturellement sa maison : La Samaritaine en sou-
et du Diable Boiteux. A l'origine, La Belle Jardinière ne venir de la pécheresse de Samarie.
vendait que des tissus. Le magasin était installé sur l'em- Vinrent ensuite les autres magasins, dont plusieurs à
placement actuel du Marché aux Fleurs. Il acquit bientôt succursales, comme le Bazar de l'Hôtel de Ville et les Gale-
une certaine célébrité dans le commerce du vêtement, ries Lafayette, la Grande Maison de Blanc et les Nouvelles
Né beaucoup plus tard, le Bon Marché est probable- Galeries ... Tous ont contribué à l'évolution du commerce
ment plus près de nos grands magasins actuels : La et, surtout, à sa concentration entre les mains de quel-
Belle Jardinière ne vendait que des vêtements, tandis que ques personnages liés à la haute finance. Nous allons les
les magasins rachetés par les Boucicaut et agrandis par examiner ensemble, sans trop nous attarder sur chacun
eux au point de leur donner tout un îlot compris entre d'eux.
les rues de Sèvres, du Bac, de Babylone et Velpeau en Depuis que les quatre frères Willot se sont emparés
1869, proposaient de tout à leur clientèle. C'est Au Bon de la vieille maison Aristide Boucicaut, il ne semble pas
Marché qui lança la vente par correspondance en expé- que le personnel de l'entreprise ait été beaucoup plus
diant à des provinciaux des catalogues et des échan- heureux que les actionnaires. La chronique judiciaire a
tillons. rendu compte des incidents qu'ont provoqué les métho-
Le Louvre, aujourd'hui disparu, datait de l'exposition des très personnelles des nouveaux maîtres du BON MAR-
de 1855. Il avait été fondé par un modeste employé du CHE. Les procédés des frères Willot ont été sévèrement
Pauvre Diable ayant réussi à intéresser le financier Pereire jugés, surtout en ce qui concerne la prise de contrôle des
(qui construisait !'Hôtel du Louvre) à un projet de maga- Grands Magasins. A quoi bon y revenir ... d'autant plus que
sin installé à proximité. la justice n'a probablement pas dit son dernier mot dans
C'est un chef de rayon du Bon Marché, Jules Jaluzot, cette affaire dont les rebondissements sont imprévisibles.
venant de quitter la maison des Boucicaut, qui ouvrit, en Il faut seulement rappeler que les quatre frères, héritiers
1865, le Printemps dans les étages inférieurs d'une maison d'une petite affaire familiale fabriquant non pas la bande
de rapport du boulevard Haussmann. Un incendie détrui- Velpeau, comme on l'a prétendu, mais un article lui res-
sit l'immeuble en 1881, mais Jaluzot, qui voyait grand, semblant un peu, avaient gagné beaucoup d'argent. Ces
fonda une société pour rebâtir la maison et exploiter le millions, ils les employèrent à racheter de vieilles entre-
Printemps. Au cours de l'été 1905, Jaluzot, qui s'était fait prises industrielles de textile en difficultés. Toutes les
élire député de la Nièvre, quitta la direction de l'entre- firmes ainsi acquises par les frères Willot avaient un point
prise, et Gustave Laguionie, naguère petit employé au commun : leurs richesses cachées. Elles possédaient tou-
Printemps, fut élu gérant statutaire par l'assemblée géné- tes des biens immobiliers dont la valeur dépassait très lar-
rale de la société fortement éprouvée par la crise finan- gement le prix que les vendeurs en avaient reçu. Les naïfs
cière. Trois ans plus tard, son fils, Pierre Laguionie, devint qui croyaient que les Willot rachetaient les firmes mori-
cogérant. bondes pour les remettre en route, donner du travail à
ces milliers d'ouvriers qui chômaient, développer ainsi
La Samaritaine date de 1870. Elle a été fondée rue du le commerce intérieur et extérieur, participer à la pros-
Pont-Neuf par un ancien élève du Petit Séminaire de périté générale, s'aperçurent que le premier soin des acht>
Pons (Charente-Inférieure), Ernest Cognacq. Celui-ci ven- teurs était de liquider l'affaire, de réaliser les actifs,
dait des étoffes sur le Pont Neuf, à l'endroit où Henri IV c'est-à-dire de vendre les terrains aux uns, les machines
a fait construire un château d'eau sur la fontaine duquel aux autres, sans se soucier autrement des conséquences
figure une Samaritaine du puits de Jacob s'èntretenant avec sociales et économiques de leurs agissements. Plus mar-
Jésus. Lorsqu'il voulut s'établir dans une boutique, il ap- chands de biens et hommes d'affaires qu'industriels et
10
146 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR CE « BONHEUR DES DAMES » ••• 147
commerçants, ils se constituèrent ainsi une masse de nistrateur des Magasins Prisunic, d'Euro-Achats, d'Euro-
manœuvre, un véritable trésor de guerre qui leur per- Expansion, d'Euro-Ventes, de France-Printemps, de Rhein-
metti:a, au cours des années 60, de s'emparer d'un nombre brucke SA (Bâle) et vice-président des magasins Au Prin-
impressionnant de grandes entreprises : leur empire, dont temps.
le centre est constitué par la firme Agache-Willot, s'étend MM. Bertrand et Jacques Maus, tout comme MM. Gé-
sur Saint Frères, Au Bon Marché, La Belle Jardinière, et, rard et Robert Nordmann, sont aussi dirigeants de la
à travers elles, sur la Cie Industrielle de la Corderie, Van Sté helvétique Maus frères.
den Driessche et fils, Tapis et couvertures, la Cie indus- M. Pierre Lévy, qui vient d'avoir soixante-dix ans,
trielle de textiles et d'emballage plastique, la Sté parisienne occupe une fonction dominante dans le secteur du textile
de grands bazars économiques ainsi que sur la Foncière troyen. Patron des Ets Devanlay et Recoing depuis 1931,
du Nord et de l'Est, le Consortium général textile et Sopar- il est actuellement P.D.G. de la Sté anonyme financière et
fitex et plus récemment Conforama. auxiliaire du textile et de la Sté Timwear, en même temps
De M. Pierre Laguionie, « tsar du commerce intégré » qu'administrateur des Magasins Uniprix, de Sogegarde, des
de naguère, les magasins AU PRINTEMPS, sont passés au Nouvelles Galeries, de la Seda (Barcelone), de l'ICOTAL
groupe Maus. Pour combien de temps ? Je l'ignore, car la (Bougie), du Printemps comme le précédent.
situation de l'entreprise laisse, paraît-il, à désirer. Mais Quant à M. Christian Valensi, né à Marseille en 1907,
depuis que la banque Lazard frères et Cie a mis son nez maire de Sainte-Gemme, près de Dreux, il administre plu-
dans les affaires Laguionie, les héritiers du successeur sieurs sociétés contrôlées ou surveillées par Lazard frères.
de Jules Jaluzot sont pratiquement écartés. Le vieux Il est le représentant de cette banque cosmopolite dans
monsieur Laguionie est président d'honneur, son neveu, les affaires du Printemps depuis que ces magasins sont
M.- Jean Vigneras, préside le conseil d'administration, passés sous les fourches caudines de Lazard. Associé-
mais le pouvoir est aux mains des Maus, des Nordmann, gérant de ladite banque, vice-président de Locatel et du
des Lévy et des Valensi. Crédit Mobilier Industriel SOVAC, il administre une quin-
Suisse de nationalité, personnalité marquante de la zaine de riches sociétés.
bourgeoisie israélite de Genève comme les Cognacq étaient, Gabriel Cognacq, fils d'Ernest Cognacq (1839-1928) et
chez nous, de grands bourgeois catholiques, M. Bertrand de son épouse Marie-Louise Jay, dirigea longtemps LA
William · Maus est l'un des patrons du trust Maus, le SAMARITAINE. Catholique et conservateur, il subven-
second groupe des grands magasins de la confédération tionnait le Centre de Propagande des Républicains Natio-
helvétique, mais probablement le plus riche grâce au naux, de Henri de Kérillis, entre les deux guerres. Sous
Rheinbrucke de Bâle : une soixantaine de magasins répar- l'Etat Français, décoré de !'Ordre de la Francisque par
tis sur le territoire de notre voisin, plus trois ou quatre le maréchal Pétain, il présida le Secours National-Entraide
grands magasins aux U.S.A .. Le trust Maus frères de d'Hiver du Maréchal qui était installé dans les locaux de
Genève contrôle, en association avec M. Pierre Lévy (voir la banque de Rothschild frères placée sous séquestre. Après
plus loin), le capital de la Sté Alsacienne de magasins. sa mort {1951), La Samaritaine passa sous la direction
Né à Genève en 1932, M. Bertrand Maus a succédé à son effective de M. Georges Renand (1879-1968), un ancien
père, feu André Maus, à la tête du groupe où il est entré haut employé du Crédit Lyonnais qu'avait connu Gabriel
à l'âge de vingt-cinq ans et dont il devint administrateur Cognacq pendant la guerre de 1914-1918. C'est aujour-
à vingt-neuf. Il fut, quelques années durant, administrateur d'.hui son fils, M. Maurice Renand, ·nommé inspecteur des
d'Uniprix, des Nouvelles Galeries et du Bazar de !'Hôtel de Fmances par le gouvernement de Vichy, révoqué à la Libé-
Ville. Il est, aujourd'hui, P.D.G. de la Sté Alsacienne de r.a~ion et réintégré peu après, qui dirige la société en qua-
magasins, des Magasins populaires (SOFRAMAP), admi- hte de P.D.G. Est-ce pour faire oublier un passé catholi-
200 FAMILLES AU POUVOIR
CE « BONHEUR DES DAMES » ... 149
148 LES
Crédit Commercial de France après sa mise à la retraite à visionne 296 magasins, dont 160 à l'enseigne «Nouvelles
l'âge de quarante-trois ans, et M. Robert O'Neill, officier de Galeries» et une cinquantaine de magasins populaires
Marine reconverti dans les affaires en 1944, ancien direc- Uniprix. Des modifications importantes sont intervenues
teur du Crédit Commercial de France et administrateur au cours des dernières années dans l'état-major de l'en-
de sociétés liées à cette banque. treprise. MM. Georges et Jean Maus, G. et A. Nordmann,
Certains de ces grands magasins, nous l'avons vu, possè- ont cédé la place à de nouveaux venus, mais certains an-
dent des succursales nombreuses, en province principale- ciens sont toujours administrateurs, tels MM. Pierre de
ment, quadrillant ainsi la France d'un réseau de vente qui Bénouville, bras droit de l'avionneur Marcel Dassault, Jac-
draine vers les . mastodontes du commerce concentré la ques Canlorbe, Jean et Charles Demogé, Jean-Jacques et
clientèle jadis servie par le commerce traditionnel. Pour Pierre Lévy.
renforcer encore leur pouvoir d'attraction, trois «gros» D'autres hommes d'affaires sont entrés au conseil d'ad-
contrôlent, en plus, des chaînes de magasins populaires, ministration, comme M. Léon Cligrnan, fils d'un confec-
d'ordinaire fort bien situés géographiquement parlant et tionneur de Tighina (U.R.S.S.), où il est né en 1920, gen-
très attractifs. Les Galeries Lafayette dominent les Mono- dre de M. Pierre Lévy (ci-dessous), «patron» de la Manu-
prix, fort nombreux sur tout le territoire, et Au Printemps ture tourangelle de confection et animateur des Ets Lem-
contrôle les Prisunic, parfois en accord avec un autre suc- mel et la S.A. Cidel, ainsi que des Ets Labrosse et fils, de
cursaliste. C'est ainsi que L'Allobroge exploite, en liaison la Confection de l'Indre, des Ets Devanlay et R:ecoing,
avec la centrale d'achats du Printemps, la SAPAC, les Prisu- administrateur de Prisunic; M. Jean Lévy, gros industriel
nic installés dans la région Rhône-Alpes. Fondée en 1919, du textile à Troyes ; M. Alfred Marchal, président de la
cette société de Chambéry, qui contrôle diverses entre- Sté nouvelle Omnium Minier et de la Sté Dumar admi-
. I
prises de la région, dont la Chocolaterie Confiserie d'An- nistrateur de sucreries et de textiles ; M. Georges Salo-
necy, Le Comte vert, les Galeries suisses, Dussange et EGE, mon (déjà vu au B.H.V.); M. Jacques-Pierre Vizioz, fidéi-
qui possède 12 supermarchés, autant de supérettes, une commissaire de la Banque Nationale de Paris pour laquelle
vingtaine de Printa Star, plus de deux cents succursales, il administre de nombreuses sociétés industrielles et com-
a pour P.D.G. M. François Lansard, administrateur de la merciales ; et M. Daniel Hua, autre fidéicommissaire de
Banque de Savoie, frère de M. Ernest Lansard, également banque, de la Société Générale, cette fois, administrateur
administrateur d' Allobroge. de l'Europear Banking C0 , de Cofimeg, de Codetel et
Les magasins Uniprix, eux, dépendent des Nouvelles censeur de Finextel.
Galeries réunies ; à leur conseil siègent des dirigeants de Autre groupe important, le groupe GOMPEL, du nom
ce trust succursaliste. Ils ont également des administra- de son fondateur à la fin du siècle dernier, Alfred Gompel :
teurs communs avec les Galeries Modernes, notamment Véritable empire, il s'étend sur un très large secteur
M. Bernard d'Anglejan-Chatillon (2), et même avec les des grands magasins. La société Paris-France, devenue la
Galeries Lafayette. société holding du groupe, date de 1898. Elle possède en
Intimement liées au B.H.V., dont elles détiennent 45 % tout 59 magasins implantés dans 41 départements ainsi
du capital, les NOUVELLES GALERIES REUNIES sont que 22 magasins populaires. Aux Dames de France A la
une colossale entreprise qui gère en propre ou appro- Riviera, Aux Trois Quartiers, Madelios, Au Capitol~ sont
les plus connues de ses enseignes, mais il y en a une tren-
(2) Ancien inspecteur de la B.N.C.I. nationalisée, M. d'Anglejean- taine d'autres. Paris-France contrôle à 100 % la Centrale
Chatillon (1926) a «pantouflé" en 1953 pour devenir directeur d'Achat qui porte son nom, à laquelle sont reliés Magmod,
financier des Nouvelles Galeries, puis administrateur directeur de Strasbourg (28 % du capital social sont propriété
général de la Cie financière des Nouvelles Galeries en 1969. Il est
directeur général d'Unincofra et P.D.G. d'Uniprix. de Paris-France) et des magasins filiales ou affiliés, et à
152 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR CE « BONHEUR DES DAMES » ••• 153
les produits des industries alimentaires rejoignent pro- tation. Savez-vous, par exemple, qu'en 1976, 90 % des
gressivement les autres produits industriels dans le mou- bouillons et potages, 80 % du café soluble et du lait
vement de libération des prix», concentré, 70 % des condiments étaient produits ou four-
Et de présenter à la presse le programme de développe- nis par des trusts cosmopolites?
ment de ces industries tel qu'il a été adopté la veille par La concentration par fusion ou absorption a touché,
le conseil des ministres. de 1966 à 1976 plus de 940 sociétés de l'industrie alimen-
Il ressort de son exposé que le gouvernement souhaite taire. Pour réaliser ces objectifs, les gros de !'Association
la « restructuration de l'industrie alimentaire » autour de nationale des industries alimentaires et agricoles ont béné-
quelques grands groupes. Des «programmes sectoriels ficié de l'aide de l'Etat : en 1974, le montant des sommes
d'orientation» seront établis en collaboration avec les allouées a dépassé 16 milliards de F. au titre d'aide aux
dirigeants des trusts, qualifiés ici de «professionnels », investissements de restructuration et d'aide à l'expor-
« pour les secteurs qui justifient des interventions impor- tation.
tantes et répétées des pouvoirs publics » - il est surtout Les contribuables versent ainsi des milliards aux trusts
question de la brasserie, de la transformation industrielle pour qu'ils étranglent plus aisément les petites et moyen-
de la viande et de la biscuiterie-biscotterie -. M. Tibéri a nes entreprises et ferment les usines de leurs concurrents.
promis que « la moitié environ des aides financières, dont On comprend pourquoi le nombre des salariés dans ce
il dispose, pourront être affectées aux investissements ainsi secteur est passé de plus de 500 000 il y a dix ans, à
programmés». De même, une aide sera accordée aux re- 450 000 aujourd'hui, tout en accroissant les productions
groupements d'entreprises et les moyens des organismes alimentaires de 60 % . La disparition de ces entreprises
de financement seront accrus. Le gouvernement, assure le engendre le chômage sans faire baisser les prix à la
secrétaire d'Etat, encouragera enfin le rapprochement entre consommation.
les industriels et le secteur de la distribution, afin d'abou- L'absence d'un pouvoir fort et indépendant se fait, là
tir, dit-il, « à une rationalisation des conditions de encore, cruellement sentir. Je n'incrimine pas les « pa-
commercialisation». trons» de ces géants de l'alimentation, ils ne sont pas des
Autrement dit le gouvernement entend favoriser par philanthropes. Ces hommes d'affaires «font de l'argent» :
tous les moyens en son pouvoir la concentration des entre- en «rationalisant», comme disent les technocrates, la
prises alimentaires entre elles d'abord et avec les magasins production et la distribution pour gagner toujours davan-
populaires et les grandes surfaces ensuite: Et pourtant, tage, ils sont dans leur rôle. Ceux qui ne sont pas dans
nous allons le voir, l'industrie . alimentaire est déjà très le leur, ce sont nos hommes d'Etat qui font passer les
concentrée. Nous sommes loin de l'entreprise familiale intérêts du Grand Capital avant celui de l'ensemble des
soucieuse de conserver cette image de marque qui faisait Français. Dans un Etat qui ne serait plus dominé par les
sa renommée. Il y a une dizaine d'années, 1000 entre- 200 Familles, leurs agents et leurs complices, les grandes
prises se partageaient 50 % du chiffre d'affaires du sec- affaires françaises cesseraient d'agir pour le seul profit
teur de l'industrie alimentaire. Aujourd'hui, 80 % de ce de leurs dirigeants. Mettez un Richelieu à la place d'un
chiffre d'affaires, d'ailleurs très fortement grossi, est réa- Barre et vous verrez comment se comporteront les grands
lisé par les dix gros de !'Association nationale des indus- féodaux de l'industrie et de la banque. Leur puissance est
tries agricoles et alimentaires et les 395 sociétés qu'ils faite de la faiblesse du gouvernement.
contrôlent. Les trusts Nestlé et Unilever occupent, dans ce Laissons Nestlé et Unilever - dont le centre, en Suisse
peloton de tête, une place privilégiée. Par le canal de et en Hollande, est hors de notre portée, mais dont nous
toutes ces sociétés, les firmes étrangères: les « multina- découvrons les tentacules dans les affaires françaises -
tionales » ont accaparé des branches entières de l'alimen- pour ne nous occuper que des trusts établis chez nous.
158 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'INDUSTRIE DE LA GRANDE BOUFFE 159
A tout seigneur ... Commençons par B.S.N. Très impor- de la verrerie et de l'emballage (2), mais aussi dans ceux
tante fabrique de glaces et de verrerie, la Société Boussois- des eaux minérales (Evian, Badoit), des boissons sucrées
Souchon-Neuvesel, née en 1966 de la fusion des Glaces de ( Gini, Eva, Bali, Canada Dry), de la bière (Kronenbourg,
Boussois et de Souchon-Neuvesel, spécialisé dans le verre Kanterbraü), des fromages frais (Gervais, Danone, Ger-
de table et d'emballage, est, depuis plusieurs années, l'un village, Danerolles, Amour de Fruits), des aliments infan-
des grands de l'industrie alimentaire. Le groupe Boussois tiles (Jacquemaire, Gallia), des pâtes alimentaires (Mil-
était lui-même issu de la fusion, en 1908, de la Cie des liat, Panzani), des plats cuisinés (Petitjean, Garbit). Ses
glaces et verres spéciaux du Nord de la France et de la Cie filiales à l'étranger lui assurent des débouchés importants
des glaces et verres spéciaux de France; en 1937, il absorba en Espagne, en Allemagne, en Belgique, en Italie, au
les Verreries mécaniques franco-belges, en 1950, la Sté Brésil et au Mexique.
franco-belge pour la fabrication mécanique du verre et il Le «patron» de cette gigantesque entreprise (2) est
prit le contrôle, en 1961, de Mécaniver. Quant à Souchon-
un personnage qui aurait inspiré Balzac. Né en 1918, d'un
Neuvesel, entreprise familiale à l'origine, elle devait absor- père banquier à Lyon, M. Antoine Ribaud, c'est son nom,
ber Nord-Verre, la Verrerie de Vals et les Verreries méca-
débuta dans l'industrie du verre en 1941. Entré aux Verre-
niques de Bretagne au cours des années 60.
ries Souchon-Neuvesel, il en fut successivement secrétaire
En 1967 et 1968, B.S.N. mit la main sur les verreries général, administrateur et P.D.G.
Hamain frères et la Verrerie de Gironcourt, puis les fusion-
Parallèlement à ses activités d'homme d'affaires, il
nait avec lui en même temps qu'une de ses filiales, la
mène une action politique discrète, mais efficace. On le
Sté auxiliaire de façonnage sur glaces.
trouve aux côtés du trust Schneider (Le Creusot) parmi les
C'est alors que le P.D.G. du groupe annonça (1) son commanditaires de L'Express, quotidien éphémère du
intention de faire une percée dans le secteur alimentaire. Front Républicain en 1955, conseiller de M. Jean-Jacques
B.S.N. venait d'absorber les Eaux minérales d'Evian, la Servan-Schreiber en 1970, soutien financier de M. Mitter-
Brasserie de Kronenbourg et de conclure un accord avec
la Sté européenne de Brasseries et la Sté Bébé-Confort. (2) B.S.N.-Gervais-Danone est le roi de la bouteille plastique, ce
Certes, le trust avait déjà une branche alimentaire : l'un fameux « emballage perdu : ni retour, ni consigne ,. qui simplifie la
des fondateurs, M. Eugène Souchon, avait eu «le génie vie quotidienne des ménagères, mais complique dangereusement le
travail des services de la voirie et du ramassage et de la destruc-
de créer une complémentarité entre l'eau minérale et la tion des ordures ménagères. Ceux-ci sont submergés de récipients
fabrication des bouteilles». Mais l'appétit - la voracité et de bouteilles, trouvés dans les poubelles. Les frais qu'occasion-
- du « patron » actuel de B.S.N., qui faillit coiffer Saint- nent leur broyage sont élevés (ce sont les contribuables qui paient!)
et leur disparition totale pose des problèmes, comme on dit. Les
ÇJobain il y a quelques années, l'incitait à aller beaucoup ingénieurs constatent qu'il s'agit de «matières totalement indes-
plus loin. 1973 vit un progrès sensible dans cette voie : tructibles biologiquement » ce qui veut dire que, contrairement
aux matières végétales (bois, papier, etc.) qui s'éliminent d'elles-
B.S.N. devint B.S.N.-Gervais-Danone en fusionnant avec mêmes, sous l'effet de l'humidité ou par pourrissement, les objets
le groupe alimentaire qui contrôlait des aliments pour en matières plastiques restent indéfiniment dans le même état. Si
bébés, des fromageries, des fabriques de pâtes alimen- l'on doit les détruire par le feu, il faut compter que 10 kilos de
ces matières plastiques dégagent plus de 300 litres de chlore, gaz
taires, de rillettes et de conserves. Si bien qu'à la der- asphyxiant très dangereux pour l'organisme humain. Les débris
nière assemblée de B.S.N.-Gervais-Danone, le conseil d'ad- calcinés et fondus répandus sur un terrain le stérilisent pour tou-
ministration pouvait annoncer que le trust occupait une jours, rendant tout ce qui entoure ce dépôt impropre à la culture.
Quand on sait que les sociétés d'eau minérale utilisent des dizaines
position de premier ordre, non seulement, dans le secteur de millions de bouteilles de plastique, on tremble à l'idée qu'il
faudra les faire absorber par la terre de France. L'UNESCO se
préoccupe de ce problème, mais avant qu'une solution soit prise,
(1) Le Figaro, 3 juillet 1970. songez aux tonnes d'acide chlorhydrique qui ont pollué nos champs.
160 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'INDUSTRIE DE LA GRANDE BOUFFE 161
rand à l'élection présidentielle de 1974. Ses idées sont assez (Bruxelles) et d'une dizaine d'autres très grandes entre-
connues dans les milieux industriels pour qu'U ait été prises; M. Michel David-Weill, banquier, chef de file de la
publiquement traité de « maoïste » à une réunion du banque Lazard; M. Hans Feith, homme d'affaires alle-
C.N.P.F. (3). mand lié à la Deutsch Bank dont il est membre du conseil
Il siège non seulement aux conseils de quelques-unes de direction, président ou administrateur de diverses gran-
des sociétés de son groupe, mais il administre également des firmes de la République Fédérale ; M. Paul Lepercq,
des entreprises qui n'ont qu'un rapport lointain avec les banquier, P.D.G. de la banque franco-américaine Lepercq,
activités industrielles de B.S.N.-Gervais-Danone, comme de Neuflize and C0 , de New York, ancien président d' Ame-
Rhône-Poulenc, Pricel, Philips, Euro/rance, ce qui montre rican Saint Gobain, administrateur de la Sté nouvelle des
une fois de plus la solidarité du monde capitaliste et les Ets Gaumont; M. Jacques de Fouchier, « patron» du
imbrications des différentes branches de la féodalité fi. groupe Paribas (Banque et Cie financière de Paris et des
nancière. Les liens de M. Riboud avec les grandes ban- Pays-Bas), que nous avons vu à la Trilatérale ; M. Renaud
ques ne sont pas moins significatifs, notamment lorsqu'il Gillet, de la puissante famille lyonnaise, président de Rhô-
s'agit de la Cie financière de Paris et des Pays-Bas, dont ne-Poulenc, que l'on retrouve à Pricel et à la Banque de
il est administrateur, et de la Banque Lazard, avec laquelle Paris et des Pays-Bas (sans parler d'autres sociétés);
il est associé (voir plus loin), ou encore du Crédit Lyonnais M. Daniel Jubert, administrateur de la Banque Morin-
nationalisé qui lui a ouvert les portes de son conseil Pons, qui, représente le groupe dans diverses verreries
d'administration. françaises ou étrangères ; M. Jérôme Seydoux, comme
Au groupe B.S.N.-Gervais-Danone, siègent auprès de M. Riboud très favorable à l'union de la Gauche, directeur
M. Riboud, comme vice-présidents : le baron belge Charles général de Schlumberger Ltd, administrateur de la Cie
Emmanuel Janssen, président de trois sociétés du Bénélux, des Compteurs et de diverses autres firmes ; M. François
vice-président de la Sté générale de banque, administra- Thienot, P.D.G. des Produits diététiques Palières, adminis-
teur de cinq autres sociétés européennes; MM. Philippe trateur de la Sté d'alimentation L'Aquitaine et de Nord-
Daublain, Francis Gautier et Jacques Corbière, qui siègent Ouest d'Alimentation; lord Anthony Pilkington, adminis-
au conseil de plusieurs filiales du groupe ; et Jérôme Hatt, trateur de la Banque d'Angleterre, représentant le groupe
président de l'Union générale nationale des Syndicats de la britannique Pilkington, gros actionnaire de B.S.N. ; et
Brasserie française, des Brasseries Kronenbourg et Dumes- deux autres collaborateurs de M. Riboud : MM. Paul Fo-
nil, administrateur de sociétés liées à B.S.N.-Gervais- riers et Bertrand Roque.
Danone. La personnalité, le « poids » financier de ce brillant
Quatorze autres personnalités du monde des affaires état-major donne une idée de la puissance du groupe. ·
cqmplètent le conseil d'administration : Agissant dans un autre secteur, la GENERALE ALI-
M. Edouard Bemberg, héritier d'une grande dynastie MENTAIRE mérite une attention particulière en raison
financière qui s'est taillé la part du lion dans les affaires de ses liens avec la City et, aussi, de la personnalité de
argentines, principalement les brasseries ( Quilmès ), appa- son animateur. Sir James Goldsmith, le «patron» du
rentée aux Hély d'Oissel, aux Montalembert, aux Ganay ; groupe, est sujet de Sa Gracieuse Majesté, mais aussi l'un
M. Yves Boël, personnage important de la finance belge, des «hommes qui comptent» de l'économie anglaise. Il
président de la Société internationale d'énergie électrique, règne sur le trust alimentaire britannique Cavenham ainsi
vice-président d' Electrobel, administrateur de Sofina, de que sur l'un des groupes les plus puissants de Grande-
la Sté générale de banque, de Solvay, d'hmo-Bon Marché Bretag.9e, Slater-Walker Securities, au conseil d'adminis-
tration duquel siègent, avec lui, Lord Rothschild, de la
(3) France-Soir, 10 avril 1973. banque Rothschild and Sons, M. Charles Hambro, autre
11
162 Lt:S 200 FAMILLES AU POUVOIR L'INDUSTRIE DE LA GRANDE BOUFFE 163
personnalité marquante de la communauté juive de Lon- pour autant le sens des réalités, ce qui explique son ma-
dres, qui préside la Hambros Bank, et M. Dominique Leca, riage avec la fille du roi de l'étain, Isabel Patino, dont il
ancien président de l'Union des Assurances de Paris. est veuf. Après avoir racheté Cavenham, au bord de la
M. James Goldsmith a pris le contrôle de la Générale faillite et, un peu plus tard, Bovril, qui marchait très
Alimentaire en mai 1973, lorsque le groupe Rothschild de bien, il est à la tête d'un empire industriel et financier
Paris se fut engagé à lui céder au moins 30 % des actions considéré comme le 2• d'Europe ( 6 ).
de la société sur les 38 % qu'il détenait. Cette entreprise Créée en 1936, la Générale Alimentaire était une entre-
énorme contrôle en Grande-Bretagne la société holding prise strictement française jusqu'au jour où les Roth-
Anglo-continental. Toutes les deux sont ensemble maîtres- schild, qui en avaient le contrôle, furent amenés à en
ses de Cavenham qui comprend, lui-même, des dizaines de laisser la direction à sir Goldsmith. En 1969, le conseil
sociétés de la branche alimentaire, depuis Bovril jusqu'à d'administration se composait essentiellement de MM. Ray-
Lipton en passant par une chaîne de supermarchés des mond Sachot, de la Banque des produits alimentaires,
U.S.A. et par les Foies gras de Strasbourg. Sir Goldsmith a Charles Bernard, un vinaigrier de Bourgogne, Robert Des-
racheté, il y a quelques années, le tiers des actions du grou- saux, P.D.G. de la Sté Dessaux et fils, une très vieille
pe de presse Beaverbrook, qui édite des journaux aussi maison dont le «patron», avant la guerre, feu Paul Des-
prestigieux et importants que le Daily Express, le Sunday saux, était actionnaire de La Libre Parole, Pierre Cornillot,
Express et l'Evening Standard. L'Observer, de Londres, le administrateur de La Pie qui chante, auxquels s'étaient
présente comme un grand ambitieux: «He wants power», joints demi: représentants de très grands intérêts capitalis-
a-t-il dit de sir Goldsmith, « il veut le pouvoir ». Et il tes : M. Yves Coudry, directeur de la Cie financière de Paris
ajoute qu'il passe pour le rénovateur possible de l'indus- et des Pays-Bas, et François Thienot, que nous avons vu à
trie alimentaire et de l'agriculture françaises. Ce qui est B.S.N.-Gervais-Danone. La Générale Alimentaire était le
tout de même cocasse de la part d'un homme qui ne résultat de fusions et d'absorptions de firmes françaises
distinguerait pas un grain de blé d'un grain d'orge! comme Brochet frères, Rical, Unimel, Drouet et Cordier,
Ce James Goldsmith, qui est-ce ? Né voilà quarante- Elesca (1963), Sopralim, Fabrique jurassienne de vinai-
quatre ans à Paris, il a fait une étonnante carrière. Si l'on gres (1964), Catelain, Grande Vinaigrerie chalonnaise,
en croit la revue économique de M. Jean-Louis Servan- Ribourg, Magnier, Baussart et Verge, Confiserie Closse,
Schreiber (4), son père (5) était d'origine allemande. Il Landrieux, Dessaux fils, Exaltier, Confiserie Femina,
servit comme officier dans l'armée britannique, fut conseil- Confiserie Lillosa, Delespaul et Havez, Ladner, Paindor
ler municipal de Londres et député, puis, tenté par les (1965), Dessaux-Duquesne et Cie, Grande Vinaigrerie sté-
affaires, il devint le président d'une chaîne d'hôtels fran- phanoise, Grande Vinaigrerie marseillaise, Chistil, Vinai-
çais (Scribe et Loti, à Paris, Carlton, à Cannes) que sir grerie Moderne, Grande Vinaigrerie d'Auvergne, Vinaigre-
James administre aujourd'hui. Mme Goldsmith mère était rie normande (1966), Foie gras Edouard Artzner (1967).
française, ce qui vaut au fils de posséder la double natio- Aux grandes marques exploitées alors par la Générale
nalité. Ses amis disent qu'il est assez habile pour servir Alimentaire vinrent s'en ajouter d'autres, à la suite de
trois patries à la fois ... l'absorption de plusieurs entreprises (Klapisch, Leymarie,
Elevé à Eton, le jeune Jimmy s'y est surtout signalé Doyen, etc.), dans les années qui ont suivi, si bien que
par sa passion des courses de chevaux. Il n'en perdait pas
(6) Il a cédé la Discount Bank, banque parisienne liée à l'Etat
(4) L'Expansion, décembre 1975, p. 91. d'Israël, contre une participation de 7 % dans la Banque Roths-
(5) Frank Goldschmidt, devenu Goldsmith, né en 1878, est child et une somme de 50 millions de F. (cf. L'Expansion, décem-
décédé en 1967. bre 1975).
164 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'INDUSTRIE DE LA GRANDE BOUFFE 165
le trust exploite aujourd'hui : les bonbons et sucreries tout à fait légal puisque 95 % du capital d'Agrifurane
Croq'andise et La Pie qui chante, les sucettes Sus, les sont détenus par la Générale Alimentaire qui est, elle-
chocolats Corona et Laitta, la moutarde, les autres pro- même, plus anglaise que française, mais la fiction rem-
duits Amora, le condiment Savora, la moutarde Louit, les plaçant la réalité, l'homme d'affaires de la City, qui a déjà
vinaigres Dessaux, les entremets, crèmes et glaces Franco- un pied dans la presse britannique, est désormais le « pa-
russe, Sumatra, Madrilène et Murcier, le pain d'épices tron » du grand hebdomadaire français en attendant de
Unimel, le petit déjeuner Elesca, les foies gras Artzner, l'être d'un quotidien français, genre Financial Times, qui
Louis-Henry, Doyen et Leymarie, Durocher, Marie, le doit être lancé prochainement. Homme avisé, sir Jimmy
saumon fumé Deska ou Klapisch, les desserts à glacer Goldsmith connaît la puissance de la presse.
Skizz, les gâteaux Vandamme, leader sur le marché de la Parmi les « gros » de l'industrie alimentaire, il faut
pâtisserie de conservation, les rillettes Lhuissier et les encore citer quelques firmes françaises :
salaisons Bordeau-Chesnel, les aliments Sanders, les pro- DAMOY, maison rendue célèbre par Julien Damoy, dont
duits vétérinaires Thespos et France Hybrides, etc. les boutiques répandues dans la région parisienne étaient
En perte sensible pour les exercices 1971 et 1972, le bien connues de nos mères et de nos grand-mères, est
trust a enregistré des gains dans les années qui ont sui- aujourd'hui, surtout grand fournisseur de vins de table
vi (plus d'un nùlliard 418 millions d'A.F. pour 1975). et de vins fins (Damoy-Vins, anciennnement Primior, vins
Autour de sir James Goldsmith siègent au conseil Agap ), de café (Excella). Il y a dix ans, M. Félix Damoy
d'administration : son bras droit, Mme Gilberte Baux, présidait aux destinées de la firme. Aujourd'hui, le P.D.G.
femme d'affaires entreprenante, toute dévouée aux inté- est M. Emmanuel Jean Ducas, ancien fonctionnaire de la
rêts Goldsmith, vice-présidente; M. André Jean Jouillié, Préfecture de la Seine, entré à la Société Primior après
également vice-président, qui administre des filiales du la Libération et, aujourd'hui, à la tête d'une dizaine de
groupe ; M. Marcel Goblet, un fidéicommissaire de la sociétés du groupe Damoy, en même temps qu'adminis-
Société Générale de Belgique, de la Générale de Banque et trateur de la Banque régionale d'escompte et de dépôts.
d'Arthur Martin; M. Thomas T. Sebestyen, président de Il est entouré de diverses personnalités du monde des
l'Union de Participations immobilières, administrateur de affaires, certaines de nationalité suisse comme MM. Marcel
Hausmann Bureaux, de la Sté européenne de Grands res- Hebeisen, Pierre Aepli et Pierre Schenk, d'autres liées aux
taurants, etc., qui est directeur général ; le chevalier grandes entreprises comme M. Frédéric Cruse, d'une riche
Gérard Thys, d'une fanùlle belge fort connue; et M. Mau- famille protestante, P.D.G. de deux compagnies d'assu-
rice Lignon, P.D.G. des Laboratoires Grémy-Longuet et rances La Nationale Suisse (France) et le Travail-Vie,
d'Agrifurane, MM. Brian Callaway, Jan Duncan et Jack administrateur de la banque de Neuflize, Schlumberger
Greenhalgh, représentant des intérêts britanniques. Mallet et de plusieurs autres sociétés.
Agrifurane, étant une filiale française de la Générale FELIX POTIN est animé par M. André Mentzelopou-
Alimentaire, cela pernùt à sir Goldsmith de tourner la loi los (dont il est parlé dans un précédent chapitre à propos
française qui interdit à un groupe étranger de contrôler de Primistère), assisté de sa femme, née Laura Montaner.
un journal français. Pendant de longs mois, le rachat par Au conseil d'administration siègent également deux hom-
le baronnet britannique de 45 % des actions de la société mes d'affaires importants : MM. Jacques-Paul Vincent, un
éditrice de L'Express à M. Jean-Jacques Servan-Schreiber ancien ingénieur de Schneider-Westinghouse qui présida
se heurtait à l'opposition du nùnistère des Finances. C'est la Centrale commerciale d'achat et de répartition, en 1961-
alors qu'on eut, à l'Elysée, où le fondat~ur de !'Express 1971 et est, à la tête de la Comepar (magasins populaires)
est persona grata, l'idée de faire racheter lesdites actions depuis 1972, administrateur de plusieurs sociétés d'ali-
par Agrifurane, société française. Bien sûr, cela n'est pas mentation (Primistêres, Pacy) et autres ; et M. Edouard-
166 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'INDUSTRIE DE LA GRANDE BOUFFE 167
Richard Lyon, fils de banquier, banquier lui-même, puis- c'est également Praga (produits alimentaires), Gorcy (sur-
qu'il anime la Banque nordique du Commerce (ex-banque gelés), S.O.D.l. (produits de régime et « naturels ») et
Joseph Danon) et l'Union intercontinentale de banques et Feyel (foie gras). A la tête du trust, M. Maurice Fournier,
a dirigé la Banque Leumi Le Israël (France). Après la prise un commerçant adroit et circonspect, entouré de membres
de contrôle des Comptoirs Français et de la Marnaise d'ex- de sa famille : la comtesse du Verne d'Orcet, née Simonne
ploitation de magasins de grande surface et les prises de Fournier, et ses deux filles, les comtesses Ch. de Pierre
participation dans Genvrain, Montréal, Parhymag, Bardou de Bernis et Roland d'Aramon, puis le comte Pierre de
et Agora, le secteur distribution, concentré dans la Toulgoët, M. Jacques Chartier, P.D.G. de la Sté d'Alimen-
région parisienne, représente un réseau de 1 600 magasins tation parisienne et administrateur du Domaine de l'Etang,
et un chiffre d'affaires approchant 300 milliards d'anciens de la Sté industrielle et commerciale du Ster-Goz; les
francs. Il possède en outre, des actifs immobiliers assez Vancoillie, Gustave et René, le premier P.D.G. de la Sté
considérables (habitations, commerces, bureaux, entrepôts, A.B.G. de Strasbourg et de Mochel-Viandes ; et, avec quel-
magasins). En décembre 1976, la société Félix Potin a ques administrateurs inconnus dans le monde des affai-
acquis le fameux château Margaux, ses 65 hectares de res, un représentant important de la Banque Nationale de
cépages et ses 250 000 bouteilles, poull' une somme de 75 Paris, dont il est directeur, M. Jacques P. Vizioz (déjà vu
millions de F., soit 7 milliards et demi d'A.F., plus que aux Nouvelles Galeries, président du conseil de surveillance
n'offrait le Crédit Agricole, mais infiniment moins que le de Moulinex, président de Banexi, la branche« affaires» de
groupe américain National Distillers qui proposait 82 mil- la B.N.P., vice-président d'Interfinexa, administrateur de
lions. nombreuses sociétés d'alimentation,
La vieille maison SAUPIQUET, de réputation mondiale,
Olida-Caby domine le secteur de la charcuterie, Saupi.- fondée à Nantes en 1891, est étroitement tenue en laisse
quet celui de la conserve, Béghin celui du sucre, L'Aliment par de grands intérêts financiers. La banque Worms a délé-
essentiel, occupe une situation importante dans le secteur gué à son conseil d'administration M. Hubert Dumont
de la biscuiterie, M. Crémieux et les Etablissements Nico- P.D.G. de la Sté parisienne de placement et de participa~
las se partagent avec quelques firmes déjà examinées tion. L'UNIFAL - c'est-à-dire l'Union financière pour le
comme Damoy, la distribution du vin, Genvain et les froma-
geries Bel, le domaine des laitages et dérivés, Lesieur et
Unipol celui des huiles et du savon. En dehors d'eux, ont {usq~'au. 10 !Dar~ 1977, il existait. trois entreprises distinctes au-
Jourd hm fusionnees : les Boucheries Bernard-Louis Dubois succes-
survécu des entreprises d'importance moindre qui tentent seur, fondées en 1947, le~ Nouvelles Boucheries Bernard, qui datent
d'échapper à la boulimie des mastodontes. de 1967, et les Boucheries Bernard, créées en 1971. A l'origine ce
sçmt les Bernard et les Dubois qui dirigeaient l'ensemble : MM. 'Lu-
OLIDA-CABY, c'est, naturellement, Olida et Caby, mais cien Bernard, Lo~is Dubois, Gérard Dubois, Mme Lafaye, née
Bernard, Mme Gmllemet, née Jeanine Bernard étaient parmi les
aussi Fleury-Michon, Albania, Raspail-Porcs, Mochel-Vian- fondateurs de la plus ancienne de ces sociétés, les Dubois étant
des, Elven S.A, !'Association des Bouchers en gros (7), les créateurs des deux autres, mais cette fois avec deux confrères :
M. Charles Bourratière, pour la deuxième, et M. Philippe Lemaire-
Audo~re, de la famille des bouchers en gros, pour la troisième.
(7) Dans le secteur de la boucherie, le commerçant-détaillant Depms 1972, .le trust anglais de la viande Matthews Holding Ltd
conserve.sa place. Mais l'arrivée, sur le marché, des surgelés vendus (200 boucheries à Londres et les environs) a pris le contrôle de la
à bas pns par les grandes surfaces a fortement réduit la clientèle chaîne Bernard et I?lacé à sa tête MM. Raymond E. Bloye, Nor-
du boucher traditionnel. D'autre part, se sont créées, dans les man .Bu,ddery, Chri~topher Latham, tous trois Britanniques, le
~andes villes, notamment à Paris, des chaînes de boucheries, consell etant completé par MM. Yves Arniot et Charles Bourra-
ti~re, l'ancien acheteur du groupe, qui remplace M. Gérard Dubois
aidées par des bll:Ilques ou financées par des tnists étrangers, qui
mena<;:ent plus directement les petites entreprises familiales. La decédé ..C'est. M. Bourratière q~ dirige la chaîne française du
plus rmportante et la plus connue de ces chaînes est celle des trust bntanruque. Le 10" magasm, ouvert à Montparnasse est la
Boucheries Bernard (magasins dans Paris, à Chatou, à Rouen, etc.). plus grande boucherie du monde. '
168 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'INDUSTRIE DE LA GRANDE BOUFFE 169
développement de l'industrie alimentaire, du groupe F. Béghin absorba la firme Say, fondée au début du xr.xe
Schneider-Le Creusot, est présente au conseil par le tru- siècle par Louis Say, laquelle venait elle-même de fusion-
chement de son fidéicommissaire le baron Jean de Varine- ner avec la Sté sucrière Chevières. Le groupe Beghin était
Bohan, administrateur de Lesieur-SODEV A et des Cham- déjà dans la place et l'opération se fit aisément.
pagnes Vve Clicquot-Ponsardin, la grande firme dont Mme Entreprise au capital de 334 millions de F. - près de
Michel Poniatowski est la principale actionnaire - son 33 milliards et demi d'A.F. - le trust comprend deux
mari, l'ancien ministre, ayant été lui-même administra- divisions principales : celle du sucre et celle du papier-
teur de la maison. carton. C'est parce que le sucrier Ferdinand Béghin, le
Au conseil de Saupiquet siègent également divers ac- patron du groupe, était aussi un fabricant de papier-
tionnaires ou héritiers des fondateurs qui habitent la journal, qu'il fut, si longtemps, dans les affaires de presse
contrée de Nantes, ainsi que des personnalités du com- (Paris-Soir, avant la guerre, et Le Figaro, depuis), en asso-
merce régional comme M. Edmond Breton, président ciation avec l'industriel lainier Jean Prouvost. Le groupe
d'honneur et administrateur des Docks de l'Ouest, et possède des papeteries et cartonneries à Corbehem, à
M. Jean-Baptiste Delpierre, qui préside la Cie générale des Kunheim, à Hondouville et à Saint-Just. Il contrôle les
grandes pêches. Remarquons enfin deux autres adminis- Papeteries de Kayserberg, une cartonnerie à Kénitra, au
trateurs de Saupiquet, qui, avec le président, M. Marcel Maroc, la S.A. du Carton ondulé cuirassé, la Société de
Raynaud, de la S.A.P.A.L. de Dakar, complètent le conseil : récupération des papiers, dans la branche papier-carton, et
M. Raymond Lusinchi, directeur général de la Cie de Navi- la Sucrerie centrale de Cambrai, Unisuc, Europar, Cornic,
gation mixte, dont il représente les intérêts dans une di- Lemaître, Schroeder, la Distillerie de Châlons, Fransucre,
zaine de sociétés, président des Chantiers maritimes de etc., dans la branche alimentaire, sans parler des intérêts
Paimpol, de la Cie hôtelière du Midi, administrateur de qu'il possède dans les Laboratoires Celphar-Wuhrlin 50 % ),
Cotelle et Foucher (Javel La Croix), et M. Emmanuel Gau- la Sté de développement financier (19 %), la Sté de parti-
tier, autre fidéicommissaire de la Cie de Navigation mixte, cipations financières et bancaires (10 % ), SODEPADOM
dont il est directeur général adjoint, également adminis- (19 % ), la Raffinerie de Bresle ( 5 % ), la Sucrerie de Wavi-
trateur de Cotelle et Foucher et président de la Sté d'ex- gnies (10 % ), la Société parisienne de Gestion (99 % ), le
ploitation de cadres maritimes (SECAM). Crédit sucrier et alimentaire ( 1 % ) et le Groupement des
Bien qu'il y ait de nombreuses autres grandes firmes industries agricoles alimentaires et de grande consomma-
dominant divers secteurs alimentaires, je terminerai ce tion (15 %).
chapitre sur l'une des plus importantes, le trust BEGHIN- M. Ferdinand Béghin est le P.D.G. du trust. Descen-
SAY. Depuis la disparition de la Raffinerie Lebaudy-Som- dant de Ferdinand Béghin et de Joseph Béghin, qui ont
mier, dont La Générale Sucrière a repris une partie du fondé ou développé l'entreprise au XIX0 siècle, ce grand·
patrimoine en 1973, tandis que les Raffineries de sucre de industriel est originaire de Thumeries, où il est né en
Saint-Louis absorbaient ce qui restait de l'une de nos plus 1902. De son mariage avec Mlle Simone de Lenzbourg, il
anciennes entreprises sucrières (8), le groupe Beghin-Say a trois filles, dont l'une a épousé le comte Charles de Ganay,
règne sur le marché. C'est en 1973, également, que la société d'une famille apparentée aux Lebaudy (sucre) et aux Bem-
berg (bière) et une autre, la deuxième, le comte Jean
(8) Les Lebaudy ont joué un rôle important dans les affaires Lefèvre d'Ormesson, académicien et directeur du Figaro.
et la politique au XIX' siècle. Gustave Lebaudy (1827-1889), qui diri- M. Béghin est, en outre, administrateur de diverses socié-
geait la raffinerie, fut député de Mantes et siègea au centre gauche. tés de son groupe et de la Banque Vernes et Commerciale
Son fils Paul fut également député de Seine-et-Oise de 1890 à 1910.
Les Lebaudy sont alliés aux Ganay, vieille famille noble de Bour- de Paris, dont un des dirigeants, M. Jean-Marc Vernes,
gogne apparentée à la famille Schneider (Le Creusot). siège au conseil d'administration de la société Béghin-
170 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR L'INDUSTRIE DE LA GRANDE BOUFFE 171
Say, dont il est vice-président. M. Vernes, le P.D.G. de la ration. Trois autres administrateurs complètent le conseil,
banque, est administrateur de nombreuses sociétés indus- dont M. Philippe Malet, un personnage important du
trielles et financières (Banque de Suez et de l'Union des groupe Suez, administrateur de Saint-Gobain, Pont-à-Mous-
Mines, Sté parisienne de participations bancaires et finan- son, Lyonnaise des Eaux, Bouygues, Cie française de Raffi-
cières, Banque Cantrade de Genève, American Swiss Cre- nage, Comptoir Lyon-Alemand et Cie française d'entre-
dit, Roux-Combaluzier-Schinder, Gazocéan, Air liquide, prises.
Cie Abeille et Paix, etc.). Enfin, le trust Béghin-Say est lié au Groupement des
Le second vice-président de Béghin-Say, M. Jean Ber- industries agricoles alimentaires et de grande consomma-
nard est un ancien haut fonctionnaire du ministère de tion, dont il détient 34 377 actions - soit 15,15 % du
l'Industrie, collaborateur de M. Edgar Faure il y a dix capital, organisme financier qui relie entre elles les plus
ans, qui a pantouflé chez Say en 1967. grandes firmes alimentaires. Au conseil du G.l.A.C figu-
Les capitaux étrangers sont très largement représentés rent, en effet, les représentants de !'Alsacienne de Biscuits
à la tête du trust, par un homme d'affaires génois, M. (M. Gilbert Imhaus), du Groupement pour l'équipement de
G. de André, roi italien du sucre, dont le domaine, l'industrie sucrière française (M. Pierre Malle, actionnaire
s'étend du Maroc à la Belgique en passant, naturellement de Darty, beau-frère de M. Ferdinand Béghin, beau-père
par la France et M. Br. Riffeser, originaire du Sud-Tyrol du comte Yann de Lesguern (directeur de Spéciale Der-
(Trentin), où il est né en 1926, également un financier nière, administrateur de Marie-Claire, Week-End, Télé
italien important, président de cinq sociétés italiennes, 7 Jours), époux de Mlle Simone Prouvost, directrice de Hit
d'une firme financière luxembourgeoise et d'une société magazine et frère du cinéaste Louis Malle), d'Olida-Caby
suisse, vice-président de six autres affaires italiennes et (M. Charles de Bernis, déjà nommé); des Fromageries
d'une suisse, administrateur d'une vingtaine de compa- Bel-La Vache qui rit (M. Philippe Deloffre), de B.S.N.-
gnies d'assurances, pétrolières ou sucrières en Italie, en Gervais-Danone (M. Francis Gautier, voir plus haut); du
Angleterre, au Maroc et en France. groupe C.D.C. Dubonnet, Cinzano, Byrrh (M. Rodolphe
M. Gordon Shemilt, également administrateur de Joël); de l'Oréal (M. Jean-Pierre Lagrange); du groupe
Béghin-Say, représente, lui, les milieux de la City. Ce finan- Leven (Source Perrier) ; des Grands moulins de Paris
cier anglais est administrateur de firmes établies dans (M. Eugène Wattinne) et de quelques autres, tandis que six
l'ancien empire de Sa Majesté ainsi que dans les pays où censeurs surveillent les activités du groupement, dont
les intérêts britanniques sont restés puissants, notamment M. Lionel Gosse, P.D.G. de la Biscuiterie nantaise, et
au Nigeria; il est l'un des «patrons» d'European Sugars M. Frédéric Cruse, le financier que nous avons vu au
(France) S.A. et administrateur de la Cie européenne de conseil de Damoy.
l'industrie sucrière. Ces précisions, qu'il fallait bien donner au risque d'en-
Deux administrateurs rèprésentent des milieux d'affai- nuyer le lecteur, montrent que l'alimentation, comme d'ail-
res de Belgique, M. Marcel Kilfiger, président de l'Euro- leurs l'ensemble de l'économie française, est aux mains
pean Time Manufacturing, de Sodepadom et d'Ecklo des féodaux de la finance et des trusts. Bien qu'ils ne
(Belgique) et administrateur des Laboratoires Celphar- soient pas les véritables propriétaires, ils en disposent
Wuhrlin, et M. Guy Ullens de Schooten, l'animateur des comme bon leur semble, agissant au mieux de leurs inté-
Raffineries Tirlemontoises de Belgique. Un gendre de rêts propres. Un exemple de cette manière d'agir nous est
M. Béghin occupe un siège au conseil d'administration du donné - et il y en a bien d'autres - par la Cie de Suez :
trust : le baron Bertrand Pernot du Breuil, époux de la ayant été créée pour exploiter un canal maritime, elle au-
première fille du « patron » et fils d'un général dont la rait dû être dissoute, ses liquidateurs répartissant ses biens
famille, d'origine bourgeoise, fut anoblie sous la Restau- entre les actionnaires après la nationalisation ordonnée
L'INDUSTRIE DE LA GRANDE BOUFFE 173
172 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
par Nasser. Il n'en fut rien : les dirigeants de l'entreprise, sonnes interposées : ce sont des fidéicommissaires qui
après une assemblée générale dont on connaît trop bien le siègent pour elles dans les conseils d'administratio? ou
mécanisme, décidèrent de transformer la compagnie en de surveillance des sociétés. Les pouvoirs en blanc, signés
banque pour conserver leur sinécure en même temps que par les naïfs actionnaires et remis aux banques'. rendent
la haute main sur les capitaux énormes que la société aisée leur nomination; même les 10 ou 50 actions que
avait amassés (les indemnités versées par l'Egypte furent l'administrateur doit statutairement déposer dans les cof-
cèpendant, en partie, versées aux actionnaires, c'était la fres de la société à titre de garantie sont fréquemment
moindre des choses). fournies par leurs commettants.
On aura pu faire une autre constatation : nombre de Les fidéicommissaires sont d'autant plus abondants
sociétés d'alimentation remontent au XIX" siècle. Leurs que le nombre des maîtres est réduit. Il y en a prè~ de
fondateurs ou leurs premiers dirigeants étaient, le plus 10 000 à l' «Annuaire Defossés. »,rien que pour les sociétés
souvent, de petits bourgeois avisés et travailleurs, habiles cotées en bourse. Tout le système capitaliste repose sur
en affaires, ayant su conduire leur barque, comme disent cette fiction d'entreprises gérées pour le compte des légi-
les bonnes gens. Grâce à leurs efforts, ces maisons sont times propriétaires alors qu'elles le sont par une poignée
nées et se sont développées souvent au détriment du petit de malins qui se servent du mécanisme de la société ano-
commerce certes, mais avec l'excuse de répondre à l'inté- nyme pour les tromper et les gruger.
rêt des consommateurs. Que sont-elles devenues aujour-
d'hui ? Où sont les descendants de ceux qui les ·o nt cons-
truites et façonnées de leurs mains ? Par le jeu habituel
du capitalisme, ces vieilles maisons françaises sont pas- Ajouté sous presse :
sées sous le contrôle des groupes financiers qui n'ont même
pas laissé des strapontins aux petits-enfants des fonda- Conformément aux intentions gouvernementales an-
teurs. Souvenez-vous de la maison Félix Potin : elle ne noncées par M. Jean Tibéri, alors secrétaire d'Etat chargé
compte plus un Potin dans son état-major ; le dernier des des industries alimentaires (voir pages 155 et 156), un
membres de la famille, M. Philippe Potin, dut un beau délégué aux industries agricoles et alimentaires a été
jour - c'était en 1959 - s'effacer devant le financier nommé le 4 mai, en la personne de M. J. Wahl.
Cahen d'Anvers, qui n'avait eu aucun rôle dans le lance-
Né à Paris le 4 juin 1922, M. Jean Wahl est le fils d'un
ment de l'affaire, mais seulement le mal de s'asseoir dans
directeur commercial, M. Lucien Wahl, et de son épouse,
le fauteuil du vieil épicier mort à la tâche (9).
née Hélène Bloch. Sorti de !'E.N.A. en 1947, il fut nommé
Enfin, le lecteur attentif aura probablement remarqué administrateur civil au ministère des Finances la même
que les fameuses 200 Familles sont rarement en nom dans année. Le président du Conseil René Mayer, ancien direc-
les grandes affaires commerciales. Elles sont partout pré- teur de la banque de Rothschild frères, l'appela auprès
sentes, elles perçoivent au passage la dîme, mais elles de lui (1953). Il occupa ensuite divers postes dans le
demeurent dans la coulisse. L'enchevêtrement des groupes domaine du commerce extérieur, notamment en Grande-
d'affaires et une savante superposition de sociétés leur Bretagne, puis iil présida le Conseil international du caf~
permettent d'exercer le commandement sans être contrain- (1966-1967). Nommé ministre plénipotentiaire en 1967, il
tes de se manifester en personne. Elles règnent par per- enseigne à l'Institut d'études politiques depuis 1970, tout
en conservant ses fonctions à l'Institut du commerce in-
(9) J'ai conté, dans le «Dictionnaire des Dynasties bourgeoi- ternational et à !'E.N.A., où il est professeur depuis de
ses•, l'histoire de Félix; Potin, mort prématurément, victime de longues années.
son honnêteté, épuisé par un dur labeur.
DEUX EXEMPLES : BOREL ET TRIGANO 175
L,
let, de la maison bien connue qui porte son nom, J.-J. Buis-
« INDUSTRIE DE LA BOUFFE » ne se cantonne évidem- son, du Cochon de Lait, Mme Raymond Coutin, de hi
men~ pas aux industriels de l'alimentation. Il y a Rôtisserie de l'Abbaye (St-Germain-des-Pré&), MM. Fran-
aussi tous ceux qui exploitent ces chaînes de res- cis Boudet, président de !'Association Mutualiste de l'in-
t,~urants. et d'h~tels dont il serait trop long de dresser ici dustrie Hôtelière, directeur général des Restaurants et
1 mvent~ire, mai.s qu~ sont assez bien représentés par les Bars de la Tour Eiffel, Pierre Androuet, fromager et res-
entreprises que Je vais maintenant examiner avec vous . taurateur, Marcel Bourseau, président de la Fédération
. L'a~b~rge ~lassique, l'hôtel de famille connaissent les Nationale de !'Hôtellerie française, administrateur de la
pi:es difüculte~,. en r~ison du manque de personnel, des . Caisse Centrale de Crédit Hôtelier Commercial et Indus-
exigences adrmmstratives et de la pression fiscale. Beau- triel, Pierre Fontaine, de la Rôtisserie du Manoir Nor-
coup de « petits » ont renoncé à lutter et disparaissent. mand, André Perrault, P.D.G. du cabaret Le Sexy, Marcel
Par. contre,. les.. « gros » ont beaucoup construit. Cette Trompier, du restaurant La Marée, René Valadou, du
~roiss,anc;e ~nome ?e chaînes d'hôtels s'accompagne au- restaurant-salon de thé Lady Hamilton-Le Grand Pub,
JO~rd hm d un~ cnse grave. Tel établissement qui refu- Serge Boutevillain, directeur général de l'Hôtel Commo-
sait du monde il y a trois ou quatre ans et affichait « com- dore, Christian Cornic, de Charlot, le roi des Coquillages,
p~et », ~ttend désespérément le client. «Le personnel bâille Roger Geeraerdt, président du conseil de surveillance de
d, enz:w dans des halls à demi déserts », rapporte un la Rôtisserie du Plateau de Gravelle, Roger et Raymond
temom. Kérob, du Chalet des Iles (lac du Bois de Boulogne), Ray-
Pour passe: le cap .difficile, les grandes chaînes espè- mond Cart, directeur du Cochon d'Or (La Villette), Gérard
rent. des appms financiers ; mais elles semblent compter Charmes, de Dagorno (La Villette), Jean Letrone, de l'au-
aussi sur le concours des professionnels du tourisme. A ce berge Chez Sam (Pontchartrain) et beaucoup d'autres,
pr~p?s: et. sa~s que l'on puisse, naturellement, lier leurs dont MM. Jean Burca, directeur général de l'Hôtel P.L.M.-
activites, il n est pas sans intérêt de noter l'influence St-Jacques, et Claude Larée, directeur de gestion du per-
qu'exerce, dans les milieux professionnels de l'hôtellerie sonnel des relations humaines et sociales dudit hôtel
et de la restauration, une société fort discrète, le Groupe- (c'est d'ailleurs à !'Hôtel P.L.M.-Saint-Jacques qu'ont lieu
ment lnterP_rof~ssionn.el du Tourisme Européen (G.l.T.E.). les grands dîners politiques du groupe maçonnique Le
Cette organisation est composée exclusivement de francs- Carrefour de l'Amitié, auxquels ont assisté notamment
maçons actifs des deux sexes, affiliés aux obédiences MM. Chirac et Poniatowski, non initiés, mais sympathi-
reconnues par le Grand Orient et la Grande Loge. L'an- sants).
176 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR DEUX EXEMPLES : BOREL ET TRIGANO 177
Cet hôtel appartient au groupe P.L.M., issu de l'an- dent chapitre, occupe une place importante - puis est
cienne compagnie de chemins de fer nationalisée sous le devenu propriétaire du Métropole, à Monte-Carlo. Le
Front Populaire, fief des Rothschild, qui possèdent eux groupe britannique Forte a mis la main sur le Grand
aussi des intérêts dans les téléphériques (région de Cha- Hôtel, l'hôtel Meurice et le Prince de Galles. L'hôtel
monix), des agences de voyages, les casinos de Chamonix Saint-James d'Albany, du faubourg Saint-Honoré, a été
et de Divonne (le premier de France, dit-on), ainsi que acheté par le groupe américain Openroad, qui a des acti-
dans les restaurants des autoroutes. Les puissants ban- vités en Angleterre et en Italie, où il a acquis l'hôtel
quiers contrôlent les sociétés suivantes : Société Hôtelière Augustus, de Rome.
et Touristique du réseau du P.L.M., Société hôtelière Le groupe hôtelier britannique Savoy, propriétaire de
P.L.M.-Saint-Jacques, Société touristique du Mont-Blanc, l'hôtel du même nom à Londres, et de trois autres éta-
Immobilière du Casino de Chamonix-Mont-Blanc, Sotexco, blissements outre-Manche, a racheté le Lancaster, rue de
Carrier-Khéops S.A., Sté de gérance d'immeubles munici- Berri. Et cela n'est pas fini.
paux, Garage Mogador, Sté française de promotion touris- Le groupe français JACQUES BOREL tient contre vents
tique et hôtelière, P.L.M.-Motel, Sté bourguignonne de et marées, grâce à l'appui de financiers internationaux,
restauration et d'hôtellerie, Société d'exploitation de l'aire tantôt américains, tantôt arabes - «l'argent n'a pas
de service de Montélimar, etc. auxquelles s'ajoutent Vacan- d'odeur» dit son animateur. Il annonçait, un jour, sur
ces 2000 et la Sté financière pour les industries du tou- toute une page du Monde : « Jacques Borel international
risme, etc. où P.L.M. possède une participation importante. passe le cap des 300 000 clients par jour. » A la même
Les hôtels de la chaîne de la Sté du Louvre sont égale- époque, au cours d'une conférence de presse, M. Borel
ment de premier ordre : Crillon, Hôtel du Louvre, Lutetia, annonçait qu'il aurait, en 1980, cent hôtels. (Il n'empêche
Terminus, Concorde-La Fayette, à Paris, et d'autres grands que, pour l'exercice 1975, les résultats financiers ont été
hôtels en province : Angers, Metz, Le Mans (et aussi des piètres.) Démolisseur exceptionnel de l'hôtellerie tradition-
intérêts dans des magasins Panorama et l'Hôtel Méri- nelle, mais bâtisseur et commerçant dynamique, M. Jac-
dien); la chaîne appartient, partie à des épargnants isolés, ques Borel est soutenu - comme la corde soutient le
partie à la famille Taittinger, partie de la banque Worms, pendu - par des groupes financiers français : la Banque de
dont l'un des Taittinger, vice-président de la Sté du Louvre, Paris et des Pays-Bas et l'Union des Assurances de Paris
est associé-gérant. Frantel résiste, grâce à ses liens avec la ont délégué au conseil d'administration de Jacques Borel
Cie Internationale des Wagons-Lits et la Cie générale trans- international leurs représentants.
atlantique, mais Sofitel s'est fait absorber par le groupe Né à Courbevoie, près de Paris, en 1927, M. Jacques
Borel. Novotel est soutenu par ses gros actionnaires, la, Borel fut ingénieur commercial à I.B.M. avant de prendre
Banque Louis-Dreyfus, la banque Worms, le groupe de la tête de la Société française de distribution de produits
Suez et quelques autres. La Cie internationale des .Wagons- alimentaires, en 1957, devenue trois ans plus tard la Cie
Lits, intéressée dans plusieurs des affaires nommées, pos- des Restaurants Jacques Borel, puis, en 1970, la société
sède ses chaînes : Etap-hôtel et Euromotel. Jacques Borel international. Il préside et administre plu-
Les trusts étrangers ont pris pied dans l'hôtellerie fran- sieurs filiales de son groupe et est, en outre, président du
çaise, principalement des groupes américains et britanni- Syndicat national de chaînes d'hôtels et de restaurants de
ques. En 1966, déjà, le groupe hôtelier anglais animé par tourisme et d'entreprise. L'empire Borel contrôle 28 socié-
M. Joseph Maxwell (Grand Monopolitan Hôtels) a acquis tés de restaurants, dont la Société française des Drugstores
52 % du capital de la Société des hôtels réutt-is qui possède (qu'il ne faut pas confondre avec l'autre chaîne de drug-
les hôtels Scribe et Lotti, à Paris, et Carlton, à Cannes - stores, celle de M. Marcel Bleustein-Blanchet), 4 sociétés
où M. James Goldsmith, dont il est parlé dans un précé- de promotion (autoroutes), 33 sociétés hôtelières, dont
12
178 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR DEUX EXEMPLES : BOREL ET TRIGANO 179
Sofitel et le centre de thalassothérapie (fondé par le cou- ries, crêperies dans les centres commerciaux, des restau-
reur cycliste Louison Bobet, qui en fut expulsé par M. Bo- rants de ville (La Régence, le Ciel de Paris, etc.). A cela
rel), un groupe d'achats (Société Centrale d'achats et Pro- s'ajoutent les cantines servies par la Général.e de Restaura-
duits alimentaires), 3 sociétés immobilières et 23 filiales tion, filiale du trust, qui se place au 1er rang de sa spé-
étrangères (Allemagne, Hollande, Belgique, Italie, Portu- cialité avec 359 000 repas par jour.
gal, Espagne, etc.). La S.C.A.P.A. a créé des entrepôts à Rungis et à Salon-
Lorsqu'il donna de l'extension à ses restaurants et que, de-Provence, premier maillon d'une chaîne européenne
pour ce faire, il procéda à une augmentation de capital d'entrepôts qui sera constituée d'ici à 1978 et qui englo-
de la Cie des Restaurants Jacques Borel - c'était en bera Barcelone, Bruxelles, Düsseldorf et Milan. Elle sera
1960 - le grand patron du futur trust eut comme soutiens dès lors, la première centrale d'achats internationale de
une douzaine d'amis, dont M. Philippe Cambessedes, un produits alimentaires.
homme d'affaires important que l'on retrouva, en 1965, Les projets à l'étranger sont grandioses. Par sa filiale,
actionnaire du Nouvel Observateur. Par la suite, parmi les la Sté d'étude, d'organisation et de réal.isation des infra-
souscripteurs à diverses augmentations de capital, on structures modernes, le trust Borel a des visées interna-
remarquait M. Félix Gaillard, ancien président du conseil tionales précises en 1talie, en Egypte, en Iran et même en
de la IV 0 République, les financiers Zarifi, de Marseille, la U.R.S.S., où un hôtel de 1892 chambres est prévu pour
Sté des Banques Suisses, à Bâle, les barons Edmond et accueillir les visiteurs des prochains Jeux Olympiques de
Philippe de Rothschild, pour des sommes d'ailleurs très Moscou.
variables. Ce qu'il a gagné en puissance, M. Borel risque de le
Grâce aux fonds ainsi recueillis, M. Borel mit la main perdre en prestige. Les reproches ne manquent pas sur
sur de nombreux bars et restaurants, notamment ceux de ce que les esprits malveillants ou seulement critiques
la vieille maison Biard, reprise entre les deux guerres par appellent ses «gargotes». D'autant plus que des accidents
M. Alexandre Valette, des Etablissements Valette. Ces de parcours peuvent encore ternir son image de marque.
derniers exploitaient les Vins Rémillons et ils absorbèrent, Qu'on se souvienne de cette malhetrreuse histoire de viande
en 1954, la chaîne Paris-Médoc. Au moment où le trust « attendrie » qui provoqua, naguère, l'inculpation d'un des
naissant de-M. Borel racheta Biard, cette société possédait dirigeants locaux de la S.C.A.P.A. Qui trop embrasse ...
vingt bars ou grands cafés (Acropole, Orangerie, Capou- Dans ce domaine de la restauration collective - les
lade, La Régence, Le Marignan, etc.). Ce fut ensuite la fameuses cantines - le trust Borel a quelques concur-
création des Wimpy. rents : Orly Restauration, S.H.R., C 2 R, Sogères, C.F.R.,
Pour le dernier exercice connu (assemblée générale de mais surtout Sodexho (créée par les Bellon, de la Sté Félix
1976) le trust Borel annonce 852 restaurants et hôtels avec Bellon, liés à la Sté Marseillaise de Crédit), Eurest, filiale
501 750 clients par jour servis par 14 597 employés, compte de la Cie des Wagons-lits et de Nestlé, et Interco (une filiale
tenu des sept hôtels 4 étoiles ouverts en 1975 à Nîmes, de la Cie Européenne de distribution, contrôlée par le
Bordeaux, Nantes, Mulhouse, Nancy, Toulouse et Greno- «milliardaire "rouge"», le célèbre Jean Doumenc) qui
ble, des trois hôtels 4 étoiles pris en charge à Anvers, bénéficie de la clientèle des collectivités où règnent de
Bruxelles et Namur, la chaîne Sofitel - qui a permis à puissants comités d'entreprises : Air France, Renault-
Jacques Borel international d'occuper la place de N° 2 dans Rueil, Aérospatial.e Suresnes, Chausson, et bien entendu,
l'hôtellerie en Europe continentale et la place de N° 1 dans la Sécurité Sociale. C'est cependant Jacques Borel inter-
l'hôtellerie 4 étoiles - des nouveaux restatrrants ou libres- national qui tient la tête.
services d'autoroute (Orléans, Montpellier; Chartres, etc.), Pour diriger cette colossale entreprise, M. Jacques
des pizzeria, Quick-West, Grillwest, Drugwest, bars, brasse- Borel est secondé par un brillant état-major dont le vice-
180 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR DEUX EXEMPLES : BOREL ET TRIGANO 181
président de Sofitel, M. Benjamin Cohen, est le chef. Ce des Brasseries Lorraines (St-Nicolas-de-Port); et M. Michel
que le «patron» décide, c'est le collaborateur qui l'exé- Godret, banquier et homme d'affaires, représentant perma-
cute. Peu à peu, M. Cohen est devenu l'ombre de M. Borel, nent de la Sté de Banque et de Crédit, banque privée, pré-
certains disent son éminence grise. Il est secondé par sidée par M. J. Saint-Geours que l'on retrouve notamment
MM. Patrick Mordacq, G. Garein et Bernard Westercamp. au Club Méditerranée, au groupe Fenwick, dans Le Jouet
Français, les Jouets Relier, Solijouets, etc., ainsi qu'au
Au fur et à mesure que le trust grossit et s'étend, des conseil de l'Internationale touristique hôtelière, Trigano
groupes financiers viennent l'épauler et, naturellement, Vacances et le Club Méditerranée. Les rapports de Borel
le contrôler. Au trust américain W.R. Grace and C0 , repré- avec ces deux dernières sociétés ne sont probablement
senté au conseil d'administration de Jacques Borel Inter- pas fortuits. Ils exploitent le même filon, si l'on me per-
national par M. J. Peter Grace et M. James F. Fracborn, met l'expression, et ils s'adressent à la même clientèle,
se sont ajoutés : l'Union des Assurances de Paris, le N° 1 celle de tous les jours se confondant, à certaines époques
des assurances françaises (représenté par M. Didier Pfeif- de l'année en tout cas, avec celle des vacances et des
fer), le groupe bancaire Paribas (représenté par M. Yves loisirs. Cela m'amène à vous parler du Club Méditerranée.
Coudry, d'OPFI), la Caisse centrale des mutuelles agri-
coles (M. André Colnel), le Crédit du Nord et Union Pari- Contrairement à ce que l'on croit généralement, le
sienne (M. Jean Lamson), le groupe de l'Union Européenne, Club n'a pas été fondé par les Trigano ; ceux-ci sont arri-
filiale bancaire du trust Schneider-Empain (M. Jean-Claude vés plus tard. C'est en 1950 que le fils d'un diamantaire
Wagner, de I'Omnium de l'Union Européenne), la banque d'Anvers, venu chercher fortune à Paris, créa le Club
allemande W estdeutsche Landesbank Girozentral (M. Eber- Méditerranée sous la forme d'une association régie par la
hard Eschenbach) et même la Caisse des dépôts et consi- loi de 1901. M. Gérard Blitz, c'est son nom, exploitait
gnations, cet immense réservoir de capitaux que l'Etat ainsi des villages de vacances ; il était secondé par M. An-
met ainsi à la disposition des hommes d'affaires. Mme Jac- toine Hatot, qui a disparu des affaires depuis. En 1957,
ques Borel, née Christiane Roubit, représente au conseil la l'entreprise devint une société anonyme et trois ans plus
Fondation Jacques Borel. Parmi les censeurs figurent, tard, M. Gilbert Trigano ( 1), dont la société était devenue
outre M. Benjamin Cohen et .trois hauts employés du le principal fournisseur du Club, accédait à la direction
groupe: M. Guy Panon Desbassayns de Richemont, ancien générale de la société. C'est en 1962 que le groupe Edmond
élève de !'Ecole Polytechnique, P.D.G. de W.R. Grace de Rothschild entra dans l'affaire. Ce dernier ne fut natu-
(France) et administrateur de diverses sociétés, notam- rellement pas le seul à participer financièrement au déve-
ment minières (Togo); M. Roger de Bonadona, fils d'un loppement de l'entreprise. La Banque Seligman-Louis
éditeur, issu d'une vieille famille du Comtat-Venaissin Hirsch, représenté par le baron Alain de Gunzbourg, la
connue en Avignon dès le xvn• siècle, haut employé Banque Louis-Dreyfus, l'American Express, la Banque de
d'I.B.M. France, administrateur de la S.C.A.P.A. et vice- Paris et des Pays-Bas, furent parmi ses actionnaires, ainsi
président du Syndicat National des Fabricants d'ensem- que le groupe Leven (Eaux Perrier et Vichy, chocolats Me-
bles d'informatique et de machines de bureau ; M. Roger nier, Rozan, Lombard, bonbons Dupont d'lsigny, UFIMA,
Papaz, autre haut employé de l'Union des Assurances de Sté de participatfon dans l'industrie alimentaire, etc.) et
Paris, président d'AGFIMO et administrateur d'America M. Jean Frydman, président de Régie N° 1 (filiale corn-
V alor, de la Banque Générale du Phénix et de la Française
de Réassurances ; M. Raymond Boon, r~présentant les (1) Le rabbin Eisenbeth indique dans son ouvrage «Les Juifs
Brasseries d'Artois, administrateur de la Brasserie Motte- d'Afrique du Nord» que les Trigano sont des sephardim dont le
Cordonnier (Lille) et membre du conseil de surveillance patronyme est tiré du nom de Trigas, une petite ville de la pro-
vince de Huesca, en Espagne.
182 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR DEUX EXEMPLES : BOREL ET TRIGANO 183
mune d'Europe 1 de M. Sylvain Floimt, et de Publicis, de dent de la Confindustria (le C.N.P.F. italien); et M. Domi-
M. Bleustein-Blanchet). nique Leca, qui représente les intérêts de l'Union des
Etroitement liés entre eux, le Club Méditerranée et la Assurances de Paris, dont il a été président.
Sté Trigano exploitent chacun un secteur déterminé des Un groupe de cinq censeurs surveille l'ensemble; il
organisations de loisirs, le premier comme producteur, la est composé de MM. Jean Bollack, collaborateur du baron
seconde .surtout comme marchand de matériel de camping. Edmond de Rothschild, administrateur d'une douzaine
Grâce aux fonds du baron Edmond de Rothschild, ces de sociétés françaises et étrangères, dont la Cie Générale
faiseurs de vacances ont pu surmonter les difficultés de du Jouet, la Cie du Froid alimentaire, Israël European C0 ,
passer du stade quasi artisanal au stade réellement indus- Israël general Bank Ltd et Croisière et Tourisme; Gian-
triel. A l'origine, il s'agissait de « vendre du soleil » aux luigi Gabetti, collaborateur de M. Agneli (Fiat); le ban-
Français anémiés par l'atmosphère empuantie des grandes quier Michel Godret, déjà nommé (voir : Jacques Borel
cités et de gérer des «villages de toile» pour une clien- International); M. Yves Caudry, haut employé de la Ban-
tèle populaire, peu fortunée et point trop exigeante ; au- que de Paris et des Pays-Bas et administrateur d'une
jourd'hui, on organise des voyages de masse, par char- dizaine de sociétés qui en dépendent; et M. Jacques-Henri
ters, des croisières dans les pays lointains, et on fait venir Gougenheim, fidéicommissaire de l'Union des Assurances
les étrangers en France. La fusion, en 1970 du Club Médi- de Paris, déjà vu dans maintes grandes affaires industriel-
terranée (200 000 clients à l'époque et aujourd'hui 300 000) les et commerciales.
avec son principal concurrent, le Club européen du tou- La Société Trigano (articles et matériel de camping)
risme (85 000 clients) a fait de l'entreprise des Trigano la est étroitement liée au groupe Club Méditerranée. C'est
deuxième organisation touristique européenne. Le Club le propre frère du P.D.G. de ce dernier qui l'anime. Tous
Méditerranée contrôle tout un réseau de filiales, d'alliés, les deux ont fondé, il y a une vingtaine d'années la Sté
depuis la Sté des villages de vacances en Guadeloupe jus- Blitz Trigano et Cie, qui fut absorbée plus tard par le
qu'au Travel Counsellors Ltd de Londres, en passant par Club Méditerranée. M. André Trigano était administrateur
le Grand Hôtel Parisien du Val-d'Isère, la Sté Hellas, les du Club jusqu'en 1969. Depuis, il s'occupe principalement
Editions du Trident, Le Chablais (hôtel), Croisières et Tou- de la Sté Trigano-Vacances, dont il est P.D.G. Il préside
risme, Holidays Hôtel, Sodecotour, Sogesval, etc. également trois filiales du groupe : la Cie internationale
Le conseil d'administration compte dix membres : André Trigano, Triginter-Belgium et la S.E.M.M. Carave-
MM. Gilbert Trigano, P.D.G.; Gérard Blitz, vice-prési- lair. Il est également vice-président de la société holding
dent ; C. Francis-Fabre, une huile des transports aériens luxembourgeoise Triginter, ainsi que membre du conseil
et maritimes, président d'U.T.A. et des Chargeurs Réunis, d'administration de Promo-Vacances, de Promotion de Por-
vice-président des Chargeurs Delmas-Vieljeux, administra- querolles et de Blitz international. Il est enfin membre du
teur d'Esso, de la Banque de Paris et des Pays-Bas, de Fiat, conseil de surveillance de laCompagnie Financière, le grou-
d'Eurofrance et d'une demi-douzaine d'autres grandes fir- pe de M. Edmond de Rothschild; il est d'ailleurs membre
mes ; Pierre Moussa, l'un des hauts patrons de la Banque du conseil d'administration de la Chambre de Commerce
de Paris et des Pays-Bas, administrateur de la Cie Inter- France-Israël, qui siège dans les locaux du baron. En 1969,
nationale des Wagons-Lits, du Crédit du Nord et Union en association avec le groupe Docks de Fran'ce et le groupe
Parisienne, du trust Hachette, de Nestlé France, et de beau- Edmond de Rothschild, il créa une Sté de grands magasins
coup d'autres; les barons Alain de Gunzbourg et Edmond des loisirs, dont il prit la présidence-direction générale.
de Rothschild, les richissimes banquiers; J. Saint-Geours, Mais le grand homme de la famille et le grand patron
déjà nommé; Giovanni Agnelli, le roi italien de l'automo- du Club Méditerranée, c'est évidemment M. Gilbert Tri-
bile, « patron ,. de Fiat et du quotidien La Stampa, prési- gano. Né à Saint-Maurice, près de Paris, en 1920 - son
184 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR DEUX EXEMPLES : BOREL ET TRIGANO 185
frère André a cinq ans de moins que lui - il est P.D.G. du pouvait compter sur !'O.R.T.F. d'alors pour lancer la nou-
Club en même temps que celui de la Sté des Villages de velle entreprise. L'estimation .des travaux d'infrastructure
vacances et de la Sté navale Victoria (Suisse) ainsi qu'ad- (routes, équipements divers) étaient, bien sûr, à la charge
ministrateur de deux douzaines de sociétés filiales ou de l'Etat; le devis primitivement établi s'élevait à
alliées au groupe, dont Trigano-Vacances, où il retrouve son 2 800 000 F. pour Juan de Nova et 2 700 000 F. pour la
frère André Trigano. L'une des filles de M. Gilbert Trigano, Réunion, en tout 550 millions d'A.F. versés par les contri-
Sylvie, est mariée avec M. Jean-François Dayan, le fils de buables pour permettre au Club d'accueillir des touristes.
M. Georges Dayan, ancien député, conseiller municipal de Pour M. Gilbert Trigano, « la France peut et doit pren-
Paris et homme de confiance de M. François Mitterrand. dre, en matière de tourisme dans !'Océan Indien, la place
M. Gilbert Trigano a d'ailleurs soutenu publiquement le qu'elle a prise il y a quinze ans dans le Pacifique. Notre
leader de l'Union de la Gauche à l'élection présidentielle métier, ajoute-t-il, est avant tout d'organiser les vacances
de 1974. Nouvelle preuve que politique et finances font de nos adhérents. Nous fabriquons du bonheur. Mais nous
toujours bon ménage. ne pouvons le faire seuls. Il faut que la population des
N'en concluez pas hâtivement que le Club Méditerra- pays où nous nous implantons soit complice. »
née n'a d'accointances qu'avec la gauche. Lorsque M. Mi- Un «bonheur» qui peut rapporter beaucoup d'argent,
chel Debré était ministre des Finances, certains journaux certes. Mais il arrive que des parlementaires, même gaullis-
se firent l'écho d'informations concernant la Réunion, son tes ou apparentés, se refusent à servir les intérêts de MM.
fief électoral, et le Club Méditerranée. C'était l'époque où Gilbert Trigano et de Rothschild. C'était le cas de M. Mar-
l'île de la Réunion préparait un plan de développement cel Cerneau, conseiller général et député (apparenté U.D.-V•
touristique auquel le ministre des Finances, député du - groupe gaulliste) qui annonça qu'il refusait de se faire
lieu, s'intéressait beaucoup. La Lettre d'information de le «complice» de cette opération commerciale. Déjà, au
l'Océan Indien (2) insistait sur les espoirs que l'homme conseil général, en décembre 1967, il avait attiré l'attention
politique plaçait dans l'avenir du tourisme : de ses collègues sur le peu de rentabilité de l'opération
«Peut-être un peu trop; des vacances à 12 000 kilo- pour les finances départementales et pour le marché de
mètres, c'est séduisant, mais onéreux! Un homme cepen- l'emploi. «Ces sommes, soulignait-il, seront prélevées sur
dant ne désespère pas de faire connaître l'ancienne île les crédits destinés à la Réunion ; elles seront investies en
Bourbon à beaucoup de Français : M. Trigano. Président dehors de l'île. »
du Club Méditerranée, cet ami du ministre des Finances L'opération était d'autant plus choquante qu'elle allait
(et du régime) se propose de monter une vaste opération se faire avec l'accord de M. Debré, qui a une réputation
qui bénéficiera du soutien financier des Pouvoirs publics d'honnête homme sans tache. La politique a ses raisons
(c'est-à-dire des contribuables). que la raison ne connaît pas ...
L'opération envisagée par M. Trigano sera une « réali-
sation française dans !'Océan Indien » ; elle comprendra :
- une île de vacances : Juan de Nova, située au large
de Madagascar ;
- un tourisme itinérant basé à la Réunion. »
La clientèle attendue devait, naturellement, se compo-
ser des clients traditionnels du Club Méditerranée qui
l'~m~ de l'ambassadeur soviétique Abrassimov, il reçut à la fois de la Cie financière de Suez et de la S.G.I.M.
m1ss1on de construire la nouvelle ambassade de !'U.R.S.S. à (Balkany), la Sté d'études et promotions des centres com-
Paris et fut consulté pour la création d'une chaîne d'hôtels merciaux, le Centre commercial de Vélizy 2, la Société du
en Russie. Personnage de dimension internationale - les Centre d'activités tertiaires de Rosny 2. Reconnaissant son
Américains d'un côté, les Soviétiques de l'autre - l'habile importance, ses pairs l'ont porté à la tête de l'Association
homme d'affaires transféra le siège de la société d'inves- européenne des promoteurs des Centres commerciaux ;
tissement qu'il anime, l'U.I.I., à Luxembourg - qui est, il est, également, l'une des vedettes de l'International
comme le Liechtenstein, les Bahamas, Panama et quelques Councils of Shopping Centers qui se réunit fréquemment
autres, un «paradis fiscal» fort commode pour les « capi- (l'an dernier à Paris, en mars). .
taux flottants ». «Voilà quinze ans que le nom de Jean-Louis Solal est
, Mais revenons, voulez-vous, aux Centres commerciaux. associé à celui de Shopping Center, pardon, de Centre
C est par le truchement du Consortium Parisien de !'Habi- commercial, note le rédacteur d'une revue profession-
tation qu~ ~ut construit l~ Centre Co~merc~~l de Parly 2, nelle (5). Depuis Elysée 2, "pour se faire la main", les murs
comme d ailleurs tout 1ensemble immobilier de cette de son bureau se sont couverts de luxueuses photos aérien-
« ville-dortoir». Présentant le dirigeant de l'entreprise nes en couleurs de Parly 2, Vélizy 2, Rosny 2, Bobigny 2,
un quotidien parisien écrivait en 1969 : ' Les Ulis 2, Evry 2 et la Part-Dieu qui lui permettent de
«Jean-Louis Sola!, quarante et un ans, président direc- survoler le chemin parcouru ces dix dernières années. »
teur général du Consortium Parisien de /'Habitation est le Expliquant que désormais les Centres commerciaux
spécialiste des problèmes commerciaux du groupe d'affai- régionaux «c'est fini», M. Solal déclare au rédacteur du
res animé par M. de Balkany. Il a créé le Centre commer- Commerce moderne :
cial <l'Elysée 2 ; le 4 novembre prochain, il lancera le plus « Par conséquent, il s'agit de penser plus petit, de faire
grand complexe commercial d'Europe à Parly 2. C'est le de plus petits centres avec des magasins plus petits qui
premier des 15 centres commerciaux régionaux inscrits pourront être rentables plus rapidement et qui peuvent
au schéma directeur ( 4 ). » donner de meilleurs résultats .... Nous devons jouer au
caméléon. Il n'y a pas de vérité unique. »
Les liens de M. Robert de Balkany avec M. Sola! datent
de plusieurs lustres. Les deux hommes se sont connus «Le grand défi que nous avons à relever, c'est que le
aux Etats-Unis lorsque le premier faisait des études d'ar- coût des terrains augmente, le coût de la construction aug-
chitecture à Yale. Il aurait rencontré sur le campus de la mente, les normes de sécurité augmentent, les urbanistes,
célèbre université le jeune Sola! qui, lui, étudiait le droit suite à la révolution écologique désirent faire autre chose,
international. bref, en additionnant tout cela, on a un prix de revient
très élevé et un hiatus entre ce prix de revient et la capa-
~é en 1928 à Alger où son père occupait üne position cité des commerçants de payer.
dommante dans la meunerie, issu par sa mère de la
« Parly 2 avait sa justification en tant que Parly 2,
richissime famille Stora, M. Jean-Louis Sola! est l'une des
comme Vélizy ou Rosny et les autres à leur époque.
personnalités les plus considérables de l'immobilier com-
mercial. Il dirige ou administre la Sté française de Drug- « J'aime ce que je fais et quand je ferai un centre
stores-Drugwest, la Sté des Centres Commerciaux, filiale commercial de 2 000 m' je serai content d'avoir fait un
centre de 2 000 m' s'il a sa justification et sa raison d'être.
Il faut être assez imaginatif pour trouver et mettre au
dans sa société _de promo~ion, ~· Jacques Maziol, ancien ministre point de nouvelles formules. »
de la Construction et ancien deputé U.D.R. de la ,Haute-Garonne
battu en 1967. '
( 4) Paris-Presse, 25 septembre 1969.. (5) Le Commerce Moderne, 31 mars 1976, p. 5.
192 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR CES FOIRES DU MONDE MODERNE 193
Après Parly 2, il y eut beaucoup d'autres centres com- Au nombre des firmes qui utilisent volontiers les cen-
merciaux : tres commerciaux, outre les grands magasins présents,
Cap 3000 à Nice (59 500 m 2, parking compris), Belle- nous l'avons vu, à l'origine même de ces «Shopping Cen-
Epine à Thiais (91 000 m2), Vélizy 2, le monstre de Vélizy ters », Darty occupe une place de choix. Il est présent aux
(559 500 m2), Les Flanades à Sarcelles (63 500 m2) (6), centres commerciaux de la Gaité-Montparnasse, des Trois-
Trois Fontaines, à Cergy-Pontoise (53 500 m2), centres de fontaines à Gergy-Pontoise, de la Belle-Epine, d'Orgeval,
Créteil (95 000 m2), d'Evry (75 000 m1 ), de la Part-Dieu, près de Créteil, de Parly 2, dans la région parisienne, et au
de Lyon (114 000 m1 ), du Polygone de Montpellier (39 500 centre commercial de la Part-Dieu, près de Lyon. Ce spé-
m2), de Noisy-le-Grand (85 700 m1 ), de Marseille-Bourse cialiste du discount vend des appareils de télévision, des
(38 000 m 2 ), de Saint-Sever, près de Rouen. transistors, des magnétophones, des chaînes radiophoni-
ques «Haute Fidélité», des machines à laver le linge ou la
Les promoteurs des centres commerciaux savaient bien vaisselle, des réfrigérateurs, des congélateurs, des appa-
qu'en créant des foires permanentes, ils attireraient toute reils ménagers de toute sorte, de grandes ou de petites
une population d'implantation récente, donc sans racines, marques suivant le cas - certaines refusent d'accepter les
pour qui le « shopping center » deviendrait le lieu de ras- conditions exigées par Darty -. Il possède, grâce à ses
semblement habituel. A l'église où l'on priait ensemble, aux liens avec Réal, une vingtaine de points de vente : ceux
allées ombragées où l'on aimait à se promener en famille que nous venons d'indiquer dans les centres commerciaux
après le dîner, à la salle de café où l'on se retrouvait et plusieurs autres à Paris, Bagnolet, Asnières, Bondy,
entre amis, a succédé la foire permanente du centre com- Champigny, Châtillon, Pierrefitte, Rouen, Limonest.
mercial, avec son tintamare, son agitation et ses lumières. «Quand les prix montent, descendez! » clame Darty-
sous-la-Madeleine, l'une des grandes succursales créées à
La société de consommation a désormais son temple Paris, en sous-sol, place de la Madeleine.
où les dévots de !'Argent-Roi vont faire leurs dévotions. Inconnu il y a vingt ans, Darty occupe des pages entiè-
Je sais bien què le commerce moderne exige une transfor- res dans la grande presse. Il vient d'être accueilli à la
mation, et l'union, la réunion de petites et moyennes Bourse de Paris où ses titres sont désormais cotés. Le
entreprises en un lieu déterminé peut apporter une solu- chiffre d'affaires de la société qui atteignait 480 millions
tion aux problèmes posés par l'apparition des Goliath de de F. - 48 milliards anciens! - en 1974, a dépassé
la distribution. Il n'empêche que ces gigantesques miroirs 780 millions en 1975, avec 24 millions de bénéfices (selon
aux alouettes que sont, pour la plupart, les centres Le Point).
commerciaux, ont un côté déprimant, décourageant,· qui
Ces 780 millions soustraits au commerce traditionnel
ne plaide pas en leur faveur. Et c'est pourtant ce que
manquent dans la caisse des petites entreprises.
certains appellent améliorer la qualité de la vie ...
Qui est Darty? Un ingénieur spécialisé dans la T.V. ?
Vous n'y êtes pas. C'est «un peu par hasard» que les frè-
(6) Les Flanades se terminent par un scandale financier res Darty - ils sont trois, << les trois mousquetaires de
peu commun. Au moment du tirage de ce livre (9 avril 1977), la
presse fait état de la découverte d'une escroquerie s'élevant à l'électroménager», comme disent leur thuriféraires - se
plusieurs milliards d'anciens francs, quatre ou huit, on ne sait sont lancés dans cette branche. Et c'est pour allécher leurs
encore, aux dépens de la Caisse des dépôts et consignations. Ce clients qu'ils ont fait porter leur publicité sur le « service
qui ·prouve bien que cet immense réservoir de liquidités, parti-
cipe aux opérations de ce genre, les finance largement, favorisant après vente», un peu négligé dans les autres magasins de
ainsi l'implantation de ces monstres. Sans l'aide que des compa- discount. La revue Tribune juive, fière de leur réussite,
gnies d'assurances, des banques et des organismes publics comme
la Caisse des dépôts et consignations apportent aux créateurs de décrit l' «irrésistible ascension d'un tailleur de Pologne »
grandes surfaces, la situation serait plus normale. père des trois « patrons » de Darty :
13
194 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR CES FOIRES DU MONDE MODERNE 195
«En vingt-huit ans, de la porte de Montreuil aux ma· que un rédacteur du Monde (8), pour vérifier les p~ et
jestueuses colonnes du Palais de la Bourse, les Frères permettre à Darty de justifier son slogan. Face à ce client
Darty ont fait du chemin. important, les fournisseurs lui font les yeux doux et
Au départ, leur histoire ressemble à tant d'autres ... offrent quelques ristournes. »
De sa Pologne natale, un ouvrier tailleur arrive à Paris Comme la rotation des marchandises est rapide, une
où il a un oncle dans le métier ; il trouve du travail, s'ins- partie des fonds nécessaires est donc procurée par les
talle et trois ans plus tard, en 1931, fait venir sa femme fournisseurs eux-mêmes . . L'autre partie est apportée par
et son fils Natan dans le quartier de Charonne. La famille la Banque de Paris et des Pays-Bas et l'Union des Assu-
s'agrandit; deux autres fils, Marcel et Bernard, deux rances de Paris.
filles. La guerre, la mère est déportée, les garçons en nour- «Le succès est réel, l'entreprise paraît saine, son mar-
rice, les filles cachées dans un couvent. ché solide. D'où vient alors cet imperceptible sentiment
En 1947, après la tourmente, on se remet au travail. de malaise que l'on sent sourdre dans certains milieux fi.
Dans le sous-sol de leur pavillon de Bagnolet les frères nanciers ? Sans doute faut-il y voir d'abord une réaction
s'associent, l'un fabrique les vêtements, l'autre les vend. de rejet - inconsciente ? - contre la publicité massive
En 1950, ils prennent un petit magasin à Montreuil, les de Darty, qui y a consacré ces trois dernières années
affaires marchent gentiment, ils aimeraient bien étendre 32 millions de francs. Est-ce une méfiance à l'égard des
leur commerce. Or, le magasin mitoyen au leur va être promesses et du fameux « contrat de confiance » qui ?e
libre, car leur voisin qui vend des téléviseurs s'en va. 1
fait soit dit en passant, que reprendre pour l essentiel
La Ville de Paris, propriétaire des lieux, ne leur consent les ~bligations prévues par la loi? Apparemment, la clien-
le bail qu'à la condition de continuer le même commerce. tèle à quelques exceptions près, est satisfaite. En fait,
Soit. Et c'est ainsi qu'avec l'aide d'un dépanneur à mi- Darty « joue sur du velours » et se rattrape grâce à la loi
temps, la famille Darty se lance dans l'électro-ménager, des grands nombres. Sur un million de clients, il n'y a eu
appliquant d'instinct l'idée encore neuve dans les an- qu'environ dix mille demandes d~ rembours~ment de pe.r-
nées 60, que le service après vente constitue un véritable sonnes qui avaient trouvé le meme maténel à un pnx
engagement moral vis-à-vis de la clientèle (7). » plus bas chez le concurrent (9). »
Prévoyant l'ouverture de six à dix nouveaux magasins Pour étendre son rayon d'action, la firme s'est associée
par an, les Darty comptent avoir un réseau de plusieurs avec Réal. Cinq points de vente sont communs aux deux
centaines de points de vente à travers la France dans les
marques.
années qui vont suivre. Un client sur cinq, affirme leur
service de publicité, achète chez Darty. «Notre objectif «Mais, précise M. Bernard Darty, il n'y a aucun lien
est qu'il en soit de même partout en France» déclarait financier entre les deux entreprises. Notre famille est
M. Bernard Darty à un rédacteur du Point. Pour contrô- majoritaire dans le capital de Réal. Mais il s'agit d'une
ler l'entreprise, les Darty l'ont dotée d'un ensemble com- diversification qui regarde notre patrimoine et non celui
plet comprenant deux grands ordinateurs 370 I.B.M., des Etablissements Darty (10). »
soixante-dix terminaux à ecran et six imprimantes. Ils peu- L'introduction des actions Darty en bourse sera, pro-
vent ainsi contrôler au jour le jour l'état de leurs stocks, bablement, suivie d'un appel à l'épargne. Les ambitions
les ventes, les interventions du service après vente. du groupe exigent des capitaux très importants, qu'il ne
Pour savoir ce que font les confrères, «des brigades trouvera pas toujours auprès des banquiers et des compa-
de contrôleurs vont "espionner" les concurrents, expli- gnies d'assurances. M. Gogo, qui a si souvent donné ses
,
(7) Tribune Juive, 26 septembre 1976, p. 19. (8) (9) (10) Le Monde, 19 octobre 1976.
196 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR CES FOIRES DU MONDE MODERNE 197
économies à des entreprises moins tapageuses que celle-ci, Le mot drugstore, d'origine américaine, signifie dro-
se laissera-t-il convaincre ? guerie. M. Marcel Bleustein-Blanchet, le c roi de la publi-
Tant pour soigner leur image de marque que pour cité ,., fut séduit par cette formule de magasin ouvert à
attirer la clientèle, les astucieux distributeurs submer- toute heure du jour et de la nuit, où se vendent des pro-
gent auditeurs de radios périphériques, lecteurs de quoti- duits courants de toute sorte. Le drugstore tel que l'a
diens, voire même usagers de la R.A.T.P. qui lisent les conçu M. Bleustein-Blanchet fonctionne 18 heures sur
panneaux de Darty sur les flancs des autobus, des slogans 24, 365 jours par an; il tient à la fois de la pharmacie
publicitaires de plus en plus agressifs. Les Darty promet- et du bazar, de la « librairie-papeterie-journaux » et de la
tent, au client qui trouve ailleurs que chez eux un appa- brasserie. C'est un lieu de rencontre, un centre commer-
reil à un prix inférieur à celui qu'ils pratiquent, de lui cial en réduction. En publicitaire avisé, le promoteur de
rembourser la différence, et ils le font. Ils lui offrent drugstore soigne le décor et l'ambiance. Au bar, les cui-
même, de surcroît, une bouteille de champagne livrée à vres et l'acajou, le velours et la soie (artificielle), les
domicile. Le secret du succès commercial des Darty réside fenêtres en vitrail, les magnifiques poignées des robinets
dans ces petites choses, souvent insignifiantes, qui impres- à bière, tout est là pour créer le dépaysement. Les jeunes
sionnent la clientèle à bon compte. générations y sont sensibles qui forment l'essentiel de la
clientèle. Ouvert à une heure tardive, le drugstore sert au
La direction de la firme est assurée par le plus jeune «dépannage», ce qui explique que la moitié des ventes
des frères, M. Bernard Darty, P.D.G. de la S.A. Etablisse- sont faites après 7 heures du soir.
ments Darty, au capital de 30 millions de F. Les autres
« Qu'il s'agisse du Drugstore Publicis, le plus ancien,
administrateurs sont : MM. Nachman Bencyon dit Nathan
ou du dernier né de l'avenue George-V, The Village, écri-
Darty, Mordka dit Marcel Darty - tous deux nés à Plonsk,
vait un journaliste, tous les drugstores présentent des
en Pologne, comme leur père, M. Icek Hersz Darty, fon-
points communs dans la façon dont ils sont conçus, gérés
dat.e ur de l'entreprise, - Alain Grunberg, époux de Mlle
et organisés : les cuisines sont le plus souvent apparentes
Mindla dite Madeleine Darty, Jacques Lesigne, le comte
et petites (9 m1 chez Publicis pour 2 000 repas par jour);
Thierry de Vogüé et Didier Pfeiffer, tous deux administra-
le bar-glacier doit être apparent pour attirer les gour-
teurs de Prénatal et représentant les groupes financiers
mands; les «coins» doivent être nombreux pour pro-
soutenant Darty : Paribas et l'Union des Assurances de
voquer la curiosité; la circulation doit être intense, grâce
Paris.
à des différences de niveaux renvoyant les visiteurs de
Parmi les actionnaires, outre la famille Darty, figu- boutiques en services, de comptoirs «accrocheurs» (jour-
rent : MM. Pierre Malle (époux de Mme née Françoise na~, tabac) en stands rentables (cadeaux, parfumerie);
Béghin, fille du fameux sucrier) et ses enfants : Mme de les Journaux et le tabac doivent se trouver près de la
Nervo, Mme Robert Chatin et M. Jean-François Malle; porte d'entrée, le restaurant beaucoup plus en retrait;
MM. Jean-Jacques et Yves Pollet; François Dalle, P.D.G. l'affaire doit tourner vite, présenter un choix de produits
de l'Oréal, que nous avons vu à la direction du groupe originaux et de qualité, constamment renouvelés ; les ven-
capitaliste de gauche Entreprise et Progrès ; l'O.P.F.l., deuses doivent être vives, de présentation agréable et par-
filiale de la Banque de Paris et des Pays-Bas, Kléber Inves- ler anglais ( 11). »
tissement et I'U.A.P. Le premier drugstore français a été ouvert dans l'im-
Dans un autre domaine que celui des centres com- meuble de Publicis, sur les Champs-Elysées, le 16 octo-
merciaux, examinés plus haut, ou de party, mention bre 1958. Sont nés, sept ans plus tard : le Drugstore Saint-
doit être faite d'un secteur particulier, déjà important
dans les grandes villes, celui des drugstores. ( 11) La Vie française, · 17 octobre 1969.
198 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR CES FOIRES DU MONDE MODERNE 199
Germain, et, en 1970, le Drugstore Hachette-Publicis de la tionnels, tous ces flâneurs qui se laissent volontiers sé-
Défense, le Drugstore Matignon, le Pub Renault ( dépen- duire, comme les papillons, par le clinquant et les lumières.
dant tous de la Sté des Drugstores Publicis, fondée par C'est, à n'en pas douter, l'une des plus belles trouvailles
M. Bleustein-Blanchet). de la société de consommation si profitable aux malins.
Mais d'autres groupes ont imité les Américains; en
mai 1962, aux Champs-Elysées également, fut créé un
autre drugstore. L'année 1965 est marquée par l'ouver-
ture du Drug-west d'Elysée 2 à La Celle-St-Cloud, dépen-
dant de la Sté Française des Drugstores du groupe Bal-
kany. Un an plus tard, furent inaugurés les Drugstores
Opéra et Drug-west de Parly 2 au Chesnay, créé par la
Sté Française des Drugstores (Balkany).
Par la suite, nombre d'autres drugstores ont vu le
jour dans la région parisienne et en province. Le Village
(Danon), Belline Shop, New Store, Mini-Store, Mini-Drug-
store, Drug-Sud, Nice-Drugstore, Drugstore de Monaco,
Drugstore Canebière, etc. Après Paris, plusieurs villes eu-
rent leur drugstore : Puteaux, Choisy-le-Roi, Nice, Tou-
louse, Marseille, Cannes, Lille, Tours, Nantes, Angoulême,
que sais-je encore.
Outre le groupe Bleustein-Blanchet et le groupe Bal-
kany, .secondé par M. Solal, il existe d'autres sociétés qui
exploitent des drugstores à Paris ou en province, comme
la Sté générale d'exploitation de drugstores, qui possède
le Drugstore Opéra, implanté dans les anciens locaux de
la Grande Maison de Blanc, dont les fondateurs sont :
cette société ( 50 % ), la Cie des Wagons-Lits ( 45 % ) et
l'Omnium de participations financières et industrielles,
du groupe Paribas (5 % ) ; et comme la Sté Inter-Drugsto-
res, qui exploite notamment la Drug Station de la gare
Saint-Lazare, fondée par Ufitour (filiale de la Banque de
l'Union Européenne, du groupe Schneider), la C.E.C.L.A.,
Cofinindus (de la Banque de Bruxelles), et les «patrons»
du Club Méditerranée, MM. Gilbert Trigano et Gérard
Blitz.
A mi-chemin entre le petit commerce et la grande
surface, le drugstore semble avoir été inventé pour attirer
ceux qui, ne pouvant fréquenter le centre commercial
trop éloigné, se contentaient du café, du restaurant, de
la charcuterie, de la parfumerie ou de la librairie tradi-
UNE « PILULE » QUI RAPPORTE 201
titut Mérieux les tire en grande partie de la vente des vac- 627 à 1 008 F. en 1975 et 300 F. en mars 1977). Il est évi-
cins obligatoires en France, de leur exportation - notam- dent que les dirigeants de la société ne se contentent pas
ment au Brésil où le ministère de la Santé publique a d'un aussi piètre revenu ...
décidé en 1974 de faire vacciner toute la population après L'assemblée générale du 21 juin 1976 a entériné quel-
une forte épidémie de méningite, - mais aussi de l'exploi- ques décisions du conseil d'administration qui indiquent
tation des ses filiales et du produit de ses participations : où passent les bénéfices de la société : 750 000 F. ont été
Institut Français d'immunologie (151 700 F. de bénéfices), virés à la réserve légale; 100 000 F. ont été mis à la disposi-
Institut Mérieux International-Mérial S.A. (5 534 850 F de tion des administrateurs; ·4 000 000 de F. ont été« reporté-
bénéfices, dont 2 500 000 F. distribués aux actionnaires, qui à nouveau» et 28 929 376,96 F. ont été versés à la« réserve
sont des membres de la famille Mérieux et leurs proches générale ».
collaborateurs). !fla-Credo (24 550 F.), Institut de séro- Auparavant, plusieurs opérations avaient « dégraissé »
pathie de Toulouse (1333 860 F.), Laboratoire des Staller- largement la société. Ceci pour un total de 18 141 700 F.,
gènes (5 773 000 F.), S.A. Studler, Institut Mérieux (Béné- soit 1 milliard 814 millions d'A.F.
lux), Mérieux-Rentschler (R.F.A.), Deutsche Mérieux Etant donné que les bénéficiaires de ces largesses son~,
(R.F.A.), Recherches hématologiques S.A. (Suisse), Mérieux le plus souvent, des sociétés administrées par ... des adrru-
lnstitute /ne. (U.S.A.), Estrella Mérieux (société argentine nistrateurs de l'Institut Mérieu.x, on comprend que, au
à laquelle la maison mère fait de grosses avances d'argent, vu et au su de tous, ces derniers se contentent de 10 mil~
bien qu'elle réalise 11 678 800 pesos de bénéfices), Rhodia- lions d'A.F. : ils reçoivent beaucoup plus comme membres
Mérieux (Chili), lnterifa (Uruguay), Rhodia-Mérieux (Bré- du conseil d'administration de ces autres sociétés, des
sil). filiales.
A la tête de l'Institut Mérieu.x se trouvent naturelle-
Que l'Institut Mérieux rende d'éminents services, c'est ment des membres de la famille : d'abord, M. Alain
évident. Il faut même reconnaître que les découvertes Mérieux trente-neuf ans, P.D.G. de la société, gendre de
de ses chercheurs sont une contribution extraordinaire à l'industriel Paul Berliet (Automobiles Berliet), adminis-
la lutte co~tre la maladie (5). Mais un organisme qui trateur des Laboratoires Robert et Carrière, des Labora-
assume, somme toute, un véritable service public ... et obli- toires Aguittant et de diverses filiales du groupe ; ensuite,
gatoire - du moins pour le client ! - devrait-il réaliser son père, le Dr Charles Mérieux, P.D.G. de l'Institut Mé-
de tels bénéfices ? rieux international devenu Mérial, administrateur de la
Et ces profits énormes, démesurés, anormaux, à qui Sté Lyonnaise de dépôts et de crédit industri~l, de .Plastic
vont-ils? Le petit actionnaire de l'Institut Mérieux a reçu Omnium et de la Sté lyonnaise de restauration, vice-pré-
8 .F. de dividente net en 1974 et 8,50 F. en 1975 (pour une sident de !'Office international de standardisation biologi-.
action qui était cotée en bourse de 481 à 775 F. en 1974, de que et consul d'Autriche à Lyon; enfin Mme David de Beu·
blain fille de ce dernier P.D.G. des Laboratoires de Stal-
(5) Le compte rendu publié par le conseil d'administration de lergè~es et administrate~ de l'Institut Français de Viro-
l'Institut Mérieux en 1976 indique les secteurs intéressés : logie.
- méningite : création à l'Institut Mérieux de la Bactériologie Siègent également au conseil d'administration :
industrielle ;
- tétanos : vaccin tétanos-rougeole-méningite ; M. Georges Bost, administrateur de Théraplix, de la Sté
- rage : vaccin franco-américain, vaccin mixte rage-fièvre Lautier fils, de Lacto-Labo, de la Sté de chimie organique
aphteuse; et de la S.F.E.C.; M. Charles René Recordon, qui repré-
- rougeole : exploitation internationale du vaccin Schwartz ·
- coq!-'eluch~ : sérum. humain contre la coquèluche ; ' sente le groupe Rhône-Poulenc (ce trust posséderait 51 %
- poliomyélite : vaccm buvable diplovax et nouveau vaccin des actions de l'Institut Mérieux), administrateur d'une
Salk.
204 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
alliées comme La Cellophane, le Laboratoire Roger Bellon, sés par la Sécurité sociale. Sous prétexte de réduire le
la Sté Lautier fils (déjà citée), etc. déficit de cet organisme, on diminuerait le nombre
Le directeur général, M. Guy Malher, fils d'un agent de produits remboursables. Comme la plupart de ces
d'affaires de l'Est, est un ancien vétérinaire sanitaire médicaments sont fabriqués par de petites ou moyennes
d'Etat au ministère de l'Agriculture, qui a pantouflé et maisons, le résultat escompté ne se ferait pas trop
est devenu l'un des dirigeants de l'Institut Mérieux en attendre.
même temps que le président de l'Institut de sérothé- M. Michel d'Ornano, alors ministre de l'industrie et
rapie de Toulouse et l'administrateur de la Cie lyonnaise de la Recherche, a préparé en 1976 un «plan de restruc-
du cinéma, de l'établissement financier Claude Guillot, turation » de l'industrie pharmaceutique comportant deux
de la Cie lyonnaise de restauration, de Sorotour, etc. volets : concentration autour de quatre ou cinq grands
trusts par le rachat des filiales étrangères et, surtout, de
petits laboratoires, et libération des prix pour les grandes
• entreprises qui s'engageraient à respecter des normes
très strictes imposées par l'Administration. Les entre-
prises familiales seraient les premières à. ~uppo~ter le~
C'est une loi qui a rendu obligatoire plusieurs vacci- conséquences des nouvelles exigences adrmmstrat1ves qw
nations; c'est aussi une loi qui a autorisé l'usage de la viendraient s'ajouter aux mesures de la S.S. indiquées
fameuse pilule contraceptive. Les unes et l'autre sont plus haut. La concentration se ferait dès lors sans grandes
remboursées par la Sécurité sociale : pour la seule «pi- difficultés.
lule », cela représente au bas mot 400 millions de F ( 6). On n'en est pas au stade de la décision, d'autant plus
Dans les deux cas, l'intervention du politique dans le que le récent remaniement ministériel a quelque peu bou-
domaine de la santé a été déterminant. Et dans les deux leversé les plans. Mais si les ministres changent, les bu-
cas, aux dépenses de la Sécurité sociale correspondent reaux restent, et ce que M. d'Ornano n'a pas eu le temps
les recettes des fournisseurs : le déficit de l'une n'empê- de faire, son ou ses successeurs le feront sans doute.
che pas, au contraire, les profits des autres. Cela me L'idée de M. d'Ornano, c'était de concentrer toute l'in-
conduit à examiner rapidement le secteur des laboratoi- dustrie pharmaceutique autour de quatre ou cinq grands
res et plus précisément celui des fabricants de produits pôles : .
.contraceptifs. SPECIA, la filiale du trust Rhône-Poulenc; SANOFI,
En France, l'industrie pharmaceutique est concentrée holding du groupe Elf-Aquitaine détenant de très grosses
autour de quelques groupes puissants, les autres labora- participations dans divers laboratoires; PHARMUKA, fi-
toires n'ayant guère que des miettes. Mais il semble que liale du trust Pechiney-Ugine-Kuhlmann; SYNTHELABO,
ce ne soit pas encore suffisant : les princes qui nous gou- qui dépend de l'Oréal (fondé par Eugène Schueller, ancien
vernent souhaitent une concentration ell.core plus poussée, protecteur de M. François Mitterrand et beau-père de
provoquée par la disparition de laboratoires indépendants M. André Bettencourt, ancien ministre giscardien) ; et,
des grands trusts. L'un des moyens envisagés pour y probablement aussi, CLIN-MIDY.
parvenir serait la suppression de quatre cents médica- Pour financer le rachat de filiales de sociétés étran-
gères établies en France, l'Etat subventionnerait ces qua-
(6) Selon un hebdomadaire parisien, daté du 4 aoftt 1976, les tre ou cinq colosses de l'industrie pharmaceutique. En
services de M. Durafour ont calculé qu'en 1978 la èlépense attein- contrepartie de cette aide publique, les firmes qui en béné-
drait un milliard. On comprend mieux le déficit énorme de la ficieraient seraient tenues à certaines règles et leurs super-
Sécurité sociale, ceci s'ajoutant à tout le reste.
206 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UNE « PILULE » QUI RAPPORTE 207
bénéfices seraient obligatoirement reversés à la Sécurité Je m'explique : il semble exclu que les ministres et les
sociale. On sait ce que vaut l'aune de ces engagements et parlementaires qui ont imposé la légalisation de l'emploi
de ces contraintes, d'autant plus que la barre du super- de la pilule soient intéressés financièrement à l'opé-
profit serait bien difficile à fixer! Quel est donc le fonc- ration. En tout cas, je ne l'ai jamais entendu dire.
tionnaire qui oserait affronter ces géants ? Par contre, on Sauf erreur de ma part, les mobiles qui les ont fait agir
voit très bien le profit que tireraient les trusts de la sont tout autres. Ni M. le député Neuwirth, qui a pré-
faculté qu'ils auraient de déterminer librement leur paré la loi, ni le Dr Simon, conseiller du ministre de la
prix tandis que leurs confrères et concurrents, du moins Santé Robert Boulin, qui la prônée, ni Mme Simone Veil,
ceux qui auraient échappé à l'écrasement, devraient subir ministre de la Santé, qui l'a fait voter par le parlement en
la réglementation. Les sociétés étrangères établies en 1974, n'est actionnaire ou associé d'un laboratoire fabri-
France et les sociétés françaises à capitaux étrangers, com- quant ce genre de produits. Tout ce que je pourrais dire
me le trust Roussel-Uclaf, qui accepteraient ces conditions, de ces trois responsables de la législation adoptée, c'est
auraient également le droit de fixer le prix de leurs pro- qu'ils appartiennent au même milieu que celui dont par-
duits pharmaceutiques. lait la revue traditionaliste Nouvelles de Chrétienté, dans
L'argument de M. d'Ornano pour juguler les petits et un article sur le Mouvement Français pour le Planning
moyens laboratoires, c'est que l'on mettrait fin, de cette familial. Adversaire déterminé de la «pilule», cette publi-
manière, aux «rentes de situation» dont profitent très cation attirait « l'attention de nos compatriotes sur les
largement certaines entreprises pharmaceutiques. De mê- agissements malthusiens» dudit mouvement qui venait
me que telle maison ne pourrait plus « rénover » un vieux d'organiser «son premier colloque sur l'information et
médicament en modifiant soit la formule, soit la présen- l'éducation sexuelle, qui s'est déroulé sous la présidence
tation pour pouvoir, très légalement, en augmenter le du Dr Dalsace, avec une intervention remarquée de M. Na-
prix. Ou encore telle autre serait dans l'impossibilité de tanson, maître-assistant de sociologie de la faculté des
majorer certaines matières premières importées, fournies Lettres et Sciences humaines de Rouen».
par une firme étrangère qui n'est qu'une filiale déguisée Utilisant le compte rendu de ce colloque paru dans Le
ou même une complice. Monde sous la signature de Mme Nicole Bernheim, Nou-
Les abus et les malhonnêtetés ne manquent pas, cer- velles de Chrétienté précisait que « l'initiatrice et ancienne
tes, dans cette branche, comme dans beaucoup d'autres. présidente du M.F.P.F. est Mme Marie-Andrée Weill-Hallé,
Mais on ne les supprimera pas en faisant disparaître née Lagroua, veuve de M. Benjamin Weill-Hallé, profes-
80 % des laboratoires : on les mettra simplement hors de seur à la faculté de médecine de Paris, qui fut membre
portée d'un véritable contrôle. N'oublions pas le «pan- du Parti communiste et président de l'organisation crypto-
touflage », qui récompense, si souvent, les services rendus. communiste Conseil mondial de la Paix».
Présentée comme le résultat des cogitations d'un mi- Et la revue de publier les noms des dirigeants et diri-
nistre, d'ailleurs personnellement lié aux 200 Familles, geantes de cette organisation dont l'article premier des
cette réforme pourrait fort bien leur avoir été soufflée, revendications était la légalisation de la contraception. Je
comme on dit, par ceux-là mêmes qui en profiteraient. cite :
Et ceci me ramène à mon propos : les produits contra- «Pour le comité d'honneur: Mme Gabriel Ardant (née
ceptifs. Je ne veux examiner ici que le côté purement Louise Bernheim) ; le Dr Aron-Brunetière ; le docteur Doua-
financier du problème, laissant au lecteur le soin de se dy ; Me Richard Dupuy, Grand-Maître de la Grande Loge
prononcer sur le fond. Il me semble que les intérêts par- de France (7); Mme Françoise Giroud, co-directrice de
ticuliers ont, en l'occurrence, pris le pas sur l'intérêt
général. (7) Le Dr Pierre Simon succéda à M' Richard Dupuy à la Grande
UNE « PILULE » QUI RAPPORTE 209
208 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
bien connu, a dirigé aux Etats-Unis les opérations en feller, qui en tirent de confortables bénéfices. Il s'agit
faveur de la contraception sur le plan administratif et de : Upjohn, Robins, Xerox et Dai.kan Shield. Dans la
financier. Son action, multiforme, s'est exercée soit direc- documentation qu'il a réunie, le Dr Emmanuel Tremblay
tement, soit par l'intermédiaire de sa famille et ses rela- a découvert que les Rockefeller avaient des intérêts dans
tions, soit grâce à ses fonctions de gouverneur de l'Etat des cliniques spécialisées dans l'avortement, notamment
de New York, puis de vice-président des Etats-Unis et dans ce qu'il appelle «le plus grand avortoir du monde»,
par infiltration de la bureaucratie fédérale en plaçant des celui du Planning familial de New York, en faveur duquel
créatures aux rouages importants du Centre du dévelop- la Fondation Rockefeller a investi 200 000 dollars ( 100 mil-
pement du Planing familial aussi bien dans les services lions d'A.F.) (12).
administratifs chargés des problèmes de population que Les bénéficiaires français de la loi Neuwirth-Veil
dans les commissions ou comités s'occupant des questions appartiennent, eux aussi, aux milieux financiers. Ce sont
démographiques. Son pouvoir sur les mass media a gran- les groupes qui contrôlent les laboratoires fabriquant les
dement facilité sa tâche. produits utilisés pour la contraception.
La fondation Rockefeller est directement mêlée à cette
campagne. Son président, le Dr J.-H. Knowles, a donné La publicité de la plupart de ces sociétés pharmaceuti-
le ton dans un discours prononcé le 14 mars 1973 au ques est discrète. Les laboratoires donnent très rarement,
Conseil national du Centre de développement du Planning à leurs produits, le nom de « contraceptifs » (oraux) dans
familial : « C'est le rôle des secteurs privés comme du les dépliants et prospectus. On parle plutôt d' « œstro-
secteur public, a-t-il dit, d'accélérer le développement des progestatifs » ou d' « inhibiteurs de l'ovulation ». Et on ne
avortements légaux afin qu'ils atteignent aux U.S.A. de manque pas d'ajouter les autres «indications» : troubles
1,2 à 1,8 million par an.» Le Dr Knowles estimait que la préménopausiques, cycles menstruels irréguliers, endomé-
décision de la Cour suprême impose que le gouvernement triose, etc. On inscrit également, parfois, les « contre-indi-
et les services de santé répondent affirmativement à cette cations » : grossesse, antécédents thrombo-emboliques,
exigence ; il ajoutait qu'une politique de laisser-faire ne hyperlipidémie, cancers génitaux, antécédents d'ictères, af-
permettrait pas d'atteindre le but proposé et qu'il importe
donc de pratiquer une politique d'avortement de masse. (12) La Fondation Rockefeller dispose d'un avoir de 425 mil-
Il allait jusqu'à envisager des pressions légales pour con- liards d'A.F. Son président d'honneur est M. John D. Rockefel-
ler III, 4 628 000 dollars en 1973, 3 728 000 en 1974. Déjà, Life le
traindre à l'avortement de masse, s'insurgeant contre les Elle n'est pas la seule à soutenir les organismes œuvrant po~ le
institutions offrant une alternative. développement de la contraception. La Fondation Ford, de son
côté, a donné au Population Council, présidé par John Rockefel-
L'objectif à atteindre, c'est la croissance démographi- ler III 4 628 000 dollars en 1973, 3 728 000 en 1974. Déjà, Life le
que zéro (Z.P.G.), voire la régression absolue de la popu- grand magazine américain, notait le 9 juin 1967, p. 66 : '
« Quinze ans et 90 millions de dollars après son effort initial
lation, préconisée par le professeur Ehrlich. la Fondation Ford peut se réjouir de voir que la contraception
Connaissant les Rockefeller et leurs méthodes, je ne n'est presque plus un sujet de controverse; et elle peut aussi se
doute. pas que ces éminents hommes d'affaires, dont le vanter que son appui financier fut le plus puissant facteur qui a
poussé les masses à l'acceptation du "Birth Contrai"•. c Notre tra-
désintéressement n'a jamais été le fort, aient songé à vail n'est pas de faire ce que le gouvernement fait, dit le professeur
joindre l'utile à l'agréable, comme l'on dit. Le Rapport Joseph McDaniel, le secrétaire de la Fondation Ford, notre travail
annuel de la Fondation Rockefeller donne, à ce sujet, est d'aider ceux qui font de l'expérimentation et de penser "en
avant" du gouvernement. Ainsi - et autant que le passé puisse
d'utiles précisions. On y relève notamment que plusieurs ~tre présage de l'av~nir - n'importe lequel des 2 500 projets ou
entreprises industrielles et commerciales, pharmaceuti- idée~ que ,1!1 Fondation Ford finance ac~ellement, pourrait bien,
un Jour, s instaurer dans de nouvelles lors passées par des légis-
ques ou autres, spécialisées dans les contràceptifs et divers lateurs qui ne sauront jamais que la Fondation les aura poussées
procédés de contraception sont contrôlés par les Rocke- jusqu'à leur bureau.» (Life, 9 juin 1967, p. 66.)
212 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UNE « PILULE » QUI RAPPORTE 213
fections hépathiques, etc.», ce qui, nous dit un médecin les résultats extraordinaires de ce produit d'origine hel~
«s'oppose à la réputation de bénignité faite à ces pro- vétique (13).
duits, d'autant plus qu'il a fallu réduire considérablement
les doses pour éviter les accidents». Les Laboratoires Human-Pharm sont une société ano-
Dans Les Libertés médicales, déjà en juin 1969, le nyme au capital de 2 860 000 F. fondée en 1973. A son
Dr Hashagen écrivait à ce propos : conseil d'administration siègent MM. Maurice Gourbault,
Irwin Kleiner, Pierre Baillet dit Galbert, Claude Dubois
«Au physique la "pilule", par exemple devient souvent et Jean-Michel Cazals.
"nuisible" : nervosité, embonpoint, troubles digestifs, ictè- Le~ ?ociétés phar~aceutiques qui fabriquent ce genre
res, thrombo-phlébites, etc. Pensez aussi à ces femmes qui de med1caments sont assez nombreuses. Je vais en citer
devront prendre, chaque jour, leur pilule jusqu'à cin- quelques-unes, parmi celles dont les produits sont les plus
quante ans ! ... Croyez-vous que cela se fera sans dommage répandus :
pour l'ovaire stoppé dans ses fonctions ? On a même parlé
de cancérisation possible. Mais, au moindre arrêt de la Le Laboratoire Cassenne, de Paris (usine à Osny),
pilule, la grossesse sera facilitée ... Bel avantage! Les mil- fondé en 1957 sous la raison sociale Union des labora-
liards gagnés par les laboratoires fabricants expliquent toires franco-anglo-suisses, fabrique le Lutestral, utilisé
couramment comme produit contraceptif. A son catalo-
pas mal de choses.»
que figurent aussi d'autres productions : la crème d'adré-
La publicité se fait donc prudente, en général. Mais naline Cassene, Phycagel, Ph 4, Gelantigène B, Spasalam,
il y a des exceptions. Par exemple, cette circulaire en- etc. Le Laboratoire Cassene est dirigé par M. Jean Hirsch,
voyée aux médecins français, il y a deux ans, par les Labo- P.D.G., assisté de MM. Alain Boulloche, fils du président
ratoires Human-Pharm S.A., de Levallois-Perret : d'honneur de SICOVAM, directeur général, et Armand
« Mon cher Confrère, Guidicelli, administrateur.
La contraception acquiert en France un droit de cité
qui ne lui est plus contesté. L'importance des conseils (13) L~s géants de l'i?di:strie pharmaceutique sont étrangers : le
trust Rhone-Poulenc, lm-meme, n'arrive qu'en 19• position dans le
que vous êtes amené à donner, l'orientation du couple tableau des vingt plus grandes sociétés de ce secteur. Elles sont
dans le choix de sa méthode, vous destinent à connaître comme on dit aujourd'?ui, multinationales. Les plus important~
toute nouvelle technique. C'est la raison de cette lettre. de ces trusts cosmopolites sont d'origine américaine allemande
ou helvétique. Voici les dix premières : '
TA-RO offre la particularité d'être présenté sous forme Hoffmann-La Roche (Suisse), American Home Products (U.S.A.),
de cap-soluble, se dissolvant en totalité à 37° en 3 minu- Warner-f:ambert (U.S.A), .Ciba-Geigy (Suisse), Hoechst (Allema-
gne), Pfizer (U.S.A.), Elt Lilly (U.S.A.), Sandoz (Suisse) et Sterling
tes, et libérant in-situ une activité spermicide puissante, Drug (U.S.A.).
doublée d'une action antibactérienne sur la flore génitale Les sociétés .françaises qui exploitent les brevets des grands
trust~ cC?smopohtes versent une redevance énorme à ceux-ci. Les
pathogène. m~lt1?at1~males de l~ pharmacie, c'est connu, pratiquent des prix
Testé en Angleterre par l'international Planned Paren- tres eleves. l!n proc~s au Ca~ada a révélé que le trust Hoffmann-
hood Federation (I.P.P.F.) et aux Etats-Unis par le Centre La Roch~, qm prodmt 1;1n médicament à base de valium payé 35 dol-
lars l~ k1~0, le revendait 4 870. dollars le kilo. Même si l'on compte
Margaret Sanger, les plus qualifiés de ces organismes dans la ~am:d œuvre. (transformation en tablettes, conditionnement) et
le monde, le pouvoir spermicide est tellement intense que les 11:11pots : env1ron 165 dollars le kilo, c'est un profit franchement
l/8° seulement du contenu de chaque cap-soluble immo- abusif.
Il .est vra! que le président de Cyanamid Canada, filiale du
bilise les spermatozoïdes d'une éjaculation normale de tr;ust m,ternat10nal Ame:ican Cyanamid, déclarait un jour, au cours
5 ml.» d un debat parlementaire sur le prix des produits pharmaceuti-
ques : « Nous sommes dans les affaires pour réaliser des béné-
Arrêtons là cette lecture : deux autres pages vantent fice~ » (cf. Les trusts des médicaments par Charles Levinson
Pans 1974). ' '
214 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
UNE «PILULE» QUI RAPPORTE 215
Depuis quelques années, le Laboratoire Cassene est professeur Karl Winnacker, président du C.S. du trust
devenu une filiale du groupe Roussel-Vela/, l'un des géants Hoechst, qui a pris le contrôle de Roussel-Vclaf il y a quel-
ques années; Olivier Roussel, directeur de Nobel-Bozel; le
de l'industrie chimique, dépendant lui-même du trust
Roussel-Nobel. Les Laboratoires Roussel, qui sont une des comte Jean Terray, du trust Schneider (Creusot), président
filiales du groupe, fabriquent Planor, comprimés contra- du Crédit Chimique et de la Banque Franco-Arabe d'inves-
tissements internationaux, administrateur de deux autres
ceptifs efficaces.
sociétés financières ou industrielles; Serge Varangot, un
Roussel-Vela/ domine tout un secteur de l'industrie haut employé du groupe Paribas - il est directeur géné-
chimique et ph~aceutique : outre les Labora~oires Cas- ral adjoint de la Banque de Paris et des Pays-Bas - admi-
sene et Roussel, il contrôle les Laboratoires Diamant, la nistrateur d'une quinzaine de banques et de firmes fran-
Sté d'applications scientifiques et médicales, Procida, les çaises et étrangères. Le professeur Pierre Lépine, membre
Laboratoires Lutsia, Distriphar, Vsiphar, Collectorgane, de l'Institut, conseiller municipal de Paris (centriste gis-
Distrivet Rilab et même les Grandes huileries métropo- cardien), appartint longtemps au conseil de Roussel-Uelaf,
litaines. 'Il possède, en outre, des participations dans qu'il quitta, en 1973, «atteint par la limite d'âge».
l'Union Chimique Continentale, l'Union technique indus-
trielle les Laboratoires Celphar-Wuhrlin, le Laboratoire Moins importants, mais bien introduits dans certains
milieux médicaux, les Laboratoires du Dr B. Bouchara,
BristdJ, Instruments S.A. et le Groupement de l'industrie
chimique. fabriquent le Gynostat (qui provoque l'inhibition ovulaire
prolongée). Fondés en 1946, par les docteurs Emile et
M. Pierre Beytout fut longtemps l'un de ses grands Pierre Bouchara, ils sont administrés par Mme Boulot,
«patrons» au groupe Roussel-Vela/ dont il était le prési- née Janine Bouchara, P.D.G. MM. Abraham Benhamou,
dent d'honneur. Vice-président du quotidien financier Les Salomon Perahia et Hubert Talabart.
Echos, il était l'époux de Mme Jacquelin; Beytout (.veuve Ciba le laboratoire bien connu, fabrique Noracyeline
en premières noces de V.Q. Petersen, 1 un des r01s des 22. Installée à Rueil-Malmaison, la firme dépend depuis
oléagineux), P.D.G. en même temps que membre du c:on- 1972 du groupe Ciba-Geigy, né de la fusion des Laboratoi-
seil d'administration du trust Petersen. M. Beytout était à res Ciba, des Laboratoires Geigy et des Ets Ciba-Geigy. En
la tête d'une douzaine de grandes sociétés financières, 1972 elle est devenue société anonyme - elle était précé-
industrielles et commerciales, dont la Banque industrielle dem::Uent une société en nom collectif- et a absorbé la Sté
et mobilière privée, la S.A.T.A.M. et Jaz. L'un de ses fils, poitevine de conditionnement de Poitiers, et, en 1974, elle
M. Vincent Beytout, le remplace dans certaines affaires. racheta la Sté Aigues Vives Mas Rouvillac, du Gard. La Sté
Au conseil de Roussel-Velaf siègent onze autres per- Ciba-Geigy est contrôlée par le trust multinational Ciba-
sonnalités dont : MM. Jacques Brunet, gouverneur hono- Geigy, de Bâle (Suisse), 5' grand de la pharmacie mondiale.
raire de la Banque de France, qui a pantouflé dans les af- Au directoire siègent : MM. Thomas-Vincent Cote, Samuel
faires, P.D.G. de Roussel-Nobel, vice-président de la Cie Koechlin, Pierre-Bernard Cousté, André Payet, Renaud
Financière Chimio et de la Cie Bancaire, administrateur Bouffe, Ernst Vischer et Milo Hans Schaub.
de compagnies d'assurances, de banques et de sociétés in-
dustrielles; Jacques Marcilhacy, administrateur de quatre Le Lyndiol, I'Orgulation, l'Ovanon, l'Orariostat, pro-
autres sociétés chimiques; Jacques Merlin, un ponte des duits connus, sortent des laboratoires de la Sté Organon.
assurances, président du Crédit Commercial de Franc_e, Fondée en 1936 par M. Adjutor-Bernard-Guillaume Testu,
qui appartient au conseil d'une dizaine de grandes socié- comte de Balincourt, et son fils, le vicomte Henri - dont
tés que nous avons vu à Radar (grandes surfaces); et l'ancêtre fut secrétaire du roi en 1556 - sous le nom de
qu~tre hommes d'affaires de la République Fédérale d'Al- Sté pour la diffusion des produits opothérapiques, cette
lemagne: MM. H. Gareis, W. von Polnitz, Kurt Lanz et le firme dépend de la N. V. Organon de Hollande. Elle est ad-
216 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR UNE « PILULE » QUI RAPPORTE 217
ministrée par MM. Diderik Verhagen, P.D.G., le professeur veillance de Banania, le grand fabricant de petits déjeuners
Guy Deysson, R. van der Pol, le Dr J. Texier, A.G.J. Ver- sucrés, et de Climiphac. Il y a quelques années, il appar-
meeren et la Sté Akzo Pharma. tint au conseH d'administration de la Sté française anony-
Les Laboratoires Bioseda, de Malakoff, près de Paris, me de courtages d'assurances et de crédit et fut gérant
avec usine à Louviers dans l'Eure, fabriquent I'O.V. 28, d'Alcasynthèse.
qui agit par blocage ovulaire. Cette société date de 1965 ; Lorsqu'il démissionna de la gérance de la société mère
elle absorba une première société créée en 1943. Dirigée et en 1970, MM. Jean et Bertrand Comar lui succédèrent. Ce
administrée, simultanément ou successivement, par M. An- dernier est son fils; il est co-gérant de Clin-Comar-Byla.
dré Cavassa dit Cavasse, Mlle Edith Boulin, MM. Gérard M. Jean Comar, également co-gérant de cette société, est
Despages, Kurt Binovic, Horst Pommer (de Lugwigshafen), président de Searle, de Précibo et gérant de la Sté d' Etu-
Klaus Cantzler (de Mannheim), Gaston Borgoltz, Serge des et d'Applications biochimiques. Il y a bien d'autres
Ignace Vrancea (né à Bucarest, naturalisé en 1973), Hans Comar dans les affaires pharmaceutiques, chimiques ou
Jurgen Mewis (de Hamburg), Herwig Freyschlag (R.A.F.), autres. Au cours de ces vingt dernières années, on trouve
etc. le nom de M. Pierre Comar parmi les associés des Labora-
Les Laboratoires Substantia de Suresnes - qui furent toires Wyeth-Byla, qui produisent le Stédiril, un inhibi-
d'abord une Société immobilière Chaptal-Levallois, n'a- teur de l'ovulation contre-indiqué pour la grossesse, et à
do?tant leur raison sociale actuelle qu'en 1952 - pro- la présidence de la Sté Sempa-Chimie, ainsi qu'au conseil
dmsent le Revolis. Cette entreprise pharmaceutique a de Banania; celui de M. Yves Comar chez Francopovot,
absorbé la S.A. Richard Hudnut, qui dépend, comme elle- dans Clin-Byla international et au conseil d'administra-
même d'ailleurs du puissant trust international Warner tion des Laboratoires d'endocrinologie appliquée et de di-
Lambert établi aux Etats-Unis (le 3e grand de l'industrie verses autres affaires de la famille ; ceux de MM. Michel
pharmaceutique dans le monde). et Vincent Comar, comme associés de la Sté pour ['Ex-
Quant aux dragées Anovlar, aux comprimés Gynopha- ploitation de matières premières végétales et des alcaloïdes
se, aux médicaments comme Milli-Anovlar Primosiston et d'autres affaires.
Gynovlane (formule Schering), ils sont distribués par l~ Importants concurrents du groupe Comar, les Labora-
Sté d'Exploitation des Produits pharmaceutiques spécia- toires Gremy-Longuet fabriquent le Norquentiel (blocage
lisés, de Roubaix. physiologique de l'ovulation) et le Nor 50 (inhibiteur de
Le département Searle du trust Clin Comar Byla four- l'ovulation). ·
nit deux médicaments actifs : Métrulène (contre la gros- Créée trois mois avant la Deuxième Guerre mondiale,
sesse) et Ovulène 50 (inhibiteur de l'ovulation). Fondée en la société des Laboratoires Gremy-Longuet s'appela d'a-
1950 sous le nom de Clin Comar, cette société faisait partie bord Roy et Cie-Laboratoire Grémy et était lié à l'Om-
du groupe Clin-Byla, contrôlé par MM. Verliac, Plaix et nium de marques et à la Sté de Fabrications chimiques et
Comar, ce qui facilita leur fusion. prochimiques. Elle exploita l'affaire créée par M. Gaston
Né en 1899, fils d'un industriel, pharmacien à Paris, Grémy qui avait fait apport de celle-ci à la société. En
M. Raymond Comar fut P.D.G. de Clin-Byla ; ils est au- 1956, elle étendit ses activités en absorbant les Laboratoi-
jourd'hui président d'honneur de C.M. Industries, nou- res Sothèmes. La venue de M. André Longuet coïncide avec
velle raison sociale de cette société, et président du conseil la modification de la raison sociale. MM. André Longuet
?e sur:re~Ilance de Clin-Comar-Byla et de Sempa-Chimie ; et Jacques Longuet administraient l'entreprise, le pre-
d adm1mstre, en outre, l'Office Commercial pharmaceuti- mier en étant le P.D.G. L'année 1969 fut profitable aux
que et la Sté des produits chimiques et matières coloran- Laboratoires Grémy-Longuet qui absorbèrent trois autres
tes de Mulhouse; il est aussi membre des consefü de sur- sociétés : les Laboratoires du Lanord, Ludenne et Gustin
218 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
(5) Henry Coston : «La Haute Banque et les Trusts», Paris mais oui ! - comme le glutamate, que la réglementation tolère
1958, p. 224. dans les aliments et « qui sont, non pas des assaisonnements mais
(6) Que Choisir? n° 106, avril 1976, p. 15. des substances dont l'effet est de fausser les informations reçues
au centre de la gustation, dans le cerveau ! » (Clarté sur le monde,
(7) Il faudrait ajouter aussi ces « exhausteurs de goût» - n° 27, p. 6).
15
226 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LE POISON EST DANS VOTRE ASSIETTE 227
mander plus de soins que l'emploi facile de subs.tances chlorophylles, caramel, carbo medicinalis vegetalis, caro-
chimiques » explique le journal de l'Union fédérale des tenoïdes, xanthophylles, rouge de betterave, anthocyanes.
consommateurs (8). De plus, il peut être rénové - sic! - par le bicarbonate
Le professeur Keilling, déjà cité, donne la raison du de soude et additionné d'acide borique.
comportement des trusts alimentaires : Le croissant, en tant que pâtisserie, a droit à être
« La distribution actuelle exige des produits qu'ils stabilisé et homogénéisé par le sorbitol à concurrence de
soient homogènes, alors que le produit naturel, lui, ne l'est 5 % en poids. La pâtisserie peut d'autre part être colorée,
pas. La fameuse « qualité suivie», c'est tout le contraire avec les mêmes produits que le beurre, auxquels il faut
du naturel! Et les industriels ont été amenés à négliger ajouter les suivants : tartrazine, jaune orangé S, rouge
ce que la distribution actuelle ne distribue pas ; le soin cochenille A.
apporté au respect des produits d'origine (9). » Pour la confiture, on peut aider la prise en gelée par
L'écrivain Michel Rémy, dont les livres (10) devraient l'acide tartrique, ajouter des pectines et des acides orga-
être lus par les Français soucieux de la santé de leur niques, et colorer avec les mêmes colorants que le beurre.
famille et de l'avenir de leur peuple, a imaginé la journée Le «vin doux naturel», par lequel beaucoup commen-
alimentaire-type d'un de nos concitoyens; il fait l'inven- cent le repas de midi en guise d'apéritif, peut être traité
taire des produits chimiques dont la réglementation auto- par l'anhydride sulfureux, à la dose de 450 mg par litre
risait l'addition aux divers aliments qui composent les dont 100 mg libres, avec une tolérance de 10 % ; il peut
repas : être coloré à la cochenille et au caramel, et additionné de
Matin : café au lait sucré, croissant, beurre, confiture. 50 cg d'acide citrique par litre.
Midi : apéritif, charcuterie, bifteck-frites, salade, fro- La charcuterie a droit aux additifs suivants : sel addi-
mage, orange, glace, café, kirsch. Pain, vin et assaisonne- tionné de 10 % de nitrate de sodium ou potassium ou de
ments des mets : sel, graisse, huile, vinaigre, moutarde. sel nitré : acide ascorbique et ses sels alcalins; les mêmes
Soir : potage, poisson, haricots verts, pâtisserie. Pain colorants que le beurre ; enfin, comme homogénéisants :
et vin. phosphates ou polyphosphates alcalins de sodium ou de
Voyons maintenant quels sont les produits chimiques potassium à faible teneur en arsenic, fluor, plomb,
dont l'addition est autorisée dans ces aliments. baryum.
Le lait, s'il est de conserve, peut être additionné d'acide Pour le bifteck, ceux qui le préfèrent saignant auront
ascorbique comme antioxygène; de phosphate disodique, intérêt à méditer sur les lignes suivantes extraites du
de citrate trisodique et de chlorure de calcium comme « Dehove » (pages 159, 160 et 161) :
stabilisants. Les viandes provenant des animaux tuberculeux, à
Le sucre blanc est azuré par le bleu anthraquinonique, quelque espèce qu'ils appartiennent, sont saisies et ex-
qui, se combinant au jaune, couleur d'origine du sucre, lui clues en totalité de la consommation si les animaux sont
donne la blancheur qu'apprécient certains consommateurs. atteints de tuberculose grave (miliaire ou caséeuse). ( ... )
Les viandes et abats des animaux sacrifiés pour cause de
Le beurre peut être coloré avec les produits suivants :
maladie ou d'accident ne peuvent être livrées à la consom-
curcumine, lactoflavine, cochenille, orseille, indigotine,
mation qu'après examen par le vétérinaire inspecteur
agréé, ou, à son défaut, par un vétérinaire sanitaire. ( ... )
(8) U.F.C., 7, rue Léonce.Reynaud, 75781 Paris Cédex 16 qui Les animaux abattus pour cause de maladie ou d'accident
possède des unions locales dans 55 départements.
ne pourront faire l'objet de la marque de qualité.»
(9) Que Choisir? op. cit., p. 16.
(10) Notamment «L'Homme en péril'" paru chez Stock, et
M. Rémy constate :
«La bataille du cancer» édité par C.E.V.I.C. - C'est déjà quelque chose ...
228 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LE POISON EST DANS VOTRE ASSIETTE 229
« Quant à savoir quelle quantité de produits chimiques l'utilité de s'unir - il existe quelques organisations sérieu-
plus ou moins suspects le consommateur moyen absorbe ses dont les effectifs sont encore, hélas! très insuffisants -
ainsi sans s'en douter, des spécialistes ont fait le calcul, les «patrons» des trusts alimentaires, eux, n'ont pas été
et avancent le chiffre de 100 kilos de produit chimique longs à constituer un groupement de défense : il s'agit du
pur au cours de la vie d'un homme ! Quand on pense qu'il Centre de Recherche et d'information sur la composition
faut encore y ajouter tous les produits que l'on absorbe et l'élaboration des Aliments (C.R.I.A.). Cet organisme est
en dehors de l'alimentation, par exemple les toxiques qui discret : vous ne trouverez pas son nom dans l'annuaire
polluent l'atmosphère, ou sont contenus dans certains du téléphone. C'est un véritable lobby, comme disent les
savons avec lesquels on se frictionne, il y a de quoi être Américains, dont le souci principal est d'empêcher les
effaré ... » autorités de mettre un terme définitif aux pratiques ac-
Il faut dire que les préparations ind~strielles, qui dimi- tuelles de l'industrie alimentaire.
nuent la fatigue de la maîtresse de maison et lui font Ce lobby invisible est hébergé par l'Institut de liaisons
gagner du temps, sont de plus en plus recherchées par la et d'études de l'industrie de Consommation (ILEC), qui
clientèle populaire : poissons surgelés, pommes de terre siège avenue Victor-Hugo à Paris. Naturellement, j'ai cher-
épluchées, purées et desserts instantanés. ché à savoir quels étaient les dirigeants de ce groupe de
En vingt ans, de 1952 à 1972, la production des conser- pression et j'en ai dressé la liste. Elle est éloquente : vous
ves de légumes a été multipliée par 5 en France, et celle y trouverez des noms connus, dont plusieurs ont été cités
des pâtes cuisinées (cannelloni, ravioli) par 8. On vend ici même.
28 fois plus de cassoulets et de couscous tout prêts qu'il Président : M. Bernard Treizenem, P.D.G., vice-prési-
y a vingt-cinq ans. Le Dr Henri Dupin, qui s'en inquiète dent administrateur directeur général ou administrateur
pour la santé de nos concitoyens (11), souligne que si « le d'une quinzaine de sociétés françaises ou étrangères dépen-
profit (est) très faible poµr l'agriculteur, il est "au contrai- dant du trust BSN-Gervais-Danone, dont il est l'un des
re relativement élevé pour certaines opérations mineu- hauts employés ; auprès de lui siègent les représentants
res". Quand on compare, écrit-il, le prix des sodas (de l'eau, d'une pléiade de grandes sociétés : Olida, Astra-Calvé (fi-
du sucre, du gaz carbonique, quelques arômes) avec le prix liale du trust Unilever), Fromageries Bel (La Vache qui rit),
du lait, on mesure combien le système est anormal. De Lesieur (huiles et savons), Belin (biscuits), SOPAD, Bui-
même, le fait de mettre un peu de confiture ou quelques toni, etc.
morceaux de fruits dans un yaourt permet d'augmenter Ont adhéré à cet organisme de nombreux syndicats,
notablement le prix. Donner à. un fromage blanc l'aspect de !'Association nationale des industries agricoles et ali-
et la consistance d'une mousse légère permet d'en doubler mentaires à la Fédération nationale de l'industrie laitière,
la valeur marchande. On vend une image, on vend un en passant par des groupements patronaux de minotiers,
slogan». de chocolatiers, de confiseurs, confituriers et conserveurs,
Ces produits alimentaires industriels contiennent des de fondeurs de fromages, de sucriers, de fabricants de bois-
produits chimiques. L'interdiction des additifs alimentai- sons, d'apiculteurs, de salaisonniers, de glaciers, d'impor-
res dont on connaît si mal les effets à long terme sur la tateurs de thé, de producteurs de surgelés, de biscuitiers,
santé s'impose donc. Mais cela ne fait pas l'affaire des etc.
trusts qui les emploient et qui veulent continuer à en user Des firmes alimentaires importantes comme Banania,
largement. Profit d'abord! les bonbons Becco, la liqueur L'Arquebuse, Bardinet, Cera-
Si les consommateurs et les usagers ~omprennent mal liment, Coca Cola Export, Chantovent, Dolfi, Générale Su-
crière, Evian, Glace Findus, Fould-Springer, Générale Ali-
(11) Le Monde, 14-15 novembre 1976. mentaire (Goldsmith), Général Foods, Géo (jambons),
232 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LE POISON EST DANS VOTRE ASSIETI'E 233
Lenz bourg, Lustucru, Gloria, Biscuiterie Nantaise Choco- rants en alimentation ne présente ni intérêt physiologique
lat Poulain, Schweppes France, et des dizaines d'autres ni technologique; elle répond au simple désir d'une meil-
qu'il serait fastidieux de nommer, font partie de C.R.I.A., leure présentation. Des interdictions devraient être édic-
ce qui semble bien indiquer qu'ils utilisent en toute bonne tées et un étiquetage informatique en clair rigoureusement
foi les colorants et qu'ils n'ont pas l'intention d'en aban- imposé. Mais il serait encore plus simple de ne pas intro-
donner l'emploi, persuadés qu'ils sont que ces additifs sont duire de colorants dans les denrées alimentaires (13). »
inoffensifs. Je suis personnellement convaincu que si le professeur
Comme pour les mieux convaincre de la justesse de avait tenu ce langage aux membres du C.R.I.A., nombre de
leurs vues, les dirigeants du C.R.I.A. ont édité à leur inten- ses membres auraient apporté depuis des modifications
tion - et, naturellement, à l'intention de leur clientèle - importantes à leur fabrication. Tous les industriels ne sont
une ~etite brochure de 16 pages, intitulée « Ce qu'il faut pas, loin de là, des empoisonneurs, et surtout des empoison-
savoir des colorants alimentaires » (12), où je lis des neurs volontaires. Mais beaucoup se laissent guider par
textes du genre de celui-ci : des hommes d'affaires pour qui tous les moyens sont bons
«Nous avons été les premiers à mettre en cause cer- quand il s'agit de «faire de l'argent».
tains colorants qui ne faisaient pas la preuve de leur inno-
cuité. Mais de là à emboîter le pas aux contestations sys-
tématiques de tout additif dans l'alimentation, non ... II
serait absurde de se laisser aller à un dénigrement général,
comme tend à le faire certaine presse à sensation... Dans
notre alimentation moderne, des additifs sont nécessaires
lorsqu'ils permettent une amélioration de la production et
de la conservation, et répondent ainsi à un impératif tech-
nologique ou nutritionnel. »
(Prof. Gounelle de Pontanel, page 14.)
Clarté sur le monde, le bulletin de l'A.P.J.D. écologiste,
qui eut également connaissance de cette curieuse plaquette,
cite ces lignes qu'il fait suivre des plus expresses réserves
sur « l'amélioration de la production » et <<l'impératif
technologique du nutritionnel ». ·
Ces affirmations d'un membre de l'Académie de méde-
cine, qui est également le président de la Section d'hygiène
alime~taire et de nutrition du Conseil supérieur d'hygiène,
sont d autant plus troublantes qu'elles contredisent ce que
ce même professeur déclarait à Mme Pujol, rédactrice au
Figaro, quatre mois plus tôt
Que disait en effet, le professeur Gounelle de Pontanel
à la collaboratrice du Figaro ?
Après avoir mis en garde contre les colorants alimen-
taires, il déclarait : « En conclusion, l'utilisation de colo-
,
(12) Imprimée par E.A.G., Issy-les-Moulineaux, décembre 1976. (13) Le Figaro, 19 août 1976.
DU MEME AUTEUR :
• DICTIONNAIRE
DE LA POLITIQ!ZE FRANÇAISE
Classés dans l'ordre alphabétique, de A à Z, des milliers d'ar- CHAPITRE XVI
ticles et de notices sur : les doctrines et les doctrinaires, les hommes
et les militants politiques, les partis, les clubs, les groupes - de
l'extrême-droite à la gauche révolutionnaire -, les journaux et
les revues, leurs dirigeants, rédacteurs ou commanditaires, les Les profiteurs de l'atome
instruments de propagande, etc., ainsi que, dans le tome II, la
nomenclature complète des gouvernements français de 1789 à
1972, avec les noms de tous les présidents, ministres, sous-
secrétaires d'Etat.
Un format pratique (17 X 24,5). Une reliure pleine toile luxueuse
ORSQUE le Chah vint en France, il y a quelques années,
L
et solide. Des illustrations d'un grand intérêt.
on annonça à son de trompe que l'industrie fran-
Tome I (édition courante) . ... . ... ..... . ... . . ........ . 120 F
çaise trouverait son compte dans les fabuleux con-
(édition numérotée sur registre) ... ... ... . . . .. . . 160 F
Tome II (édition courante) .. ......... . ... . . . .. . ... . . . . 120 F
trats que le souverain de l'Iran s'apprêtait à conclure avec
(édition numérotée sur registre) . .. . . ..... ... . . . 160 F notre pays. On apprit alors que la principale commande
serait confiée à Creusot-Loire. Les « marchands de canons »
de jadis devenaient marchands d'atome!
Le fait est qu'on trouve le trust du Creusot bien im-
planté dans le secteur nucléaire. Mais il n'est pas le seul :
• DICTIONNAIRE toutes les grandes affaires s'intéressent, directement ou
DES DYNASTIES BOURGEOISES indirectement, à l'énergie atomique. Elles n'ont d'ailleurs
pas attendu la crise pétrolière pour porter leurs regards
Ceux qui savent le rôle que jouent dans la politique française, sur cette nouvelle source de profits.
les milieux économiques et financiers, en même temps que les
alliances de familles, consulteront fréquemment un ouvrage dont Les écologistes, qui redoutent les effets des centrales
la documentation très sûre complète celle de nos précédents dic- nucléaires sur la santé des hommes et sur leur environne-
tionnaires de la politique française.
ment, prônent d'autres sources d'énergie : en plus du char-
Le chercheur et le curieux y trouveront matière à réflexion ;
ils feront aussi des découvertes. En particulier quant à l'origine bon et de l'hydraulique, le gaz naturel, bien sûr, et, à lon·g
de plusieurs de ces dynasties bourgeoises, paysanne pour cer- terme, la géothermie et les énergies solaire et éolienne.
taines, militaire pour d'autres, étrangère pour beaucoup. Ils consta-
teront, par exemple, qu'une bonne partie de nos grandes familles Depuis que les mines ont été nationalisées, au lende-
financières sont originaires d'Allemagne, que d'autres nous vien- main de la Libération, l'extraction de la houille n'a cessé
nent d'Angleterre, de Russie, de Roumanie, d'Italie ou de Turquie.
de diminuer. On a peu à peu abandonné le charbon, que
Un volume (17 X 24,5), reliure toile rouge, illust. . . . . . . 120 F l'on avait, pour le pétrole, que l'on n'a pas. A cela, une rai-
L'un des 300 exemplaires sur beau papier, numérotés son, parmi tant d'autres moins sordides : les hauts fonc-
de 1 à 300 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140 F
tionnaires des Charbonnages de France ne distribuent pas
d'enveloppes à la grande prosse comme le font les « pa-
(Demandez notice à Henry Costan, B.P. 92-18, 75862 Paris Cédex 18) trons» de l'or noir (parlementaires et dirigeants de jour-
236 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LES PROFITEURS DB L'ATOME 237
naux influents sont si souvent sensibles à cette sorte d'ar- Nous disposons d'un procédé opérationnel pour la gazéifi-
gument). cation du charbon et faisons des recherches sur la liqué-
Et pourtant, l'équilibre de la nature gagnerait à l'em- faction. Nous avons aussi des réserves de charbon au
ploi du charbon. M. H.-Ch. Geffroy me disait un jour que Canada et une option en Colombie. De plus, nous avons
la nature végète par pénurie de carbone et que la plupart lancé un programme de recherche en énergie solaire et
des phénomènes pathologiques actuels qui compromettent pour la reconversion de l'énergie solaire en d'autres éner-
la qualité naturelle de la vie en résultent. gies.» Le fait que le dirigeant du trust N° 1 mondial, fief
Le professeur Birot dans son « Cours de biogéogra- pétrolier des Rockefeller, songe à exploiter l'énergie solaire
phie » ( 1) indique que la teneur en gaz carbonique de en dit long...
l'atmosphère est un facteur extrêmement important : Nos gouvernants comptent, avant tout, sur les centra-
« Il est possible que la teneur en gaz carbonique ait les au fuel et les centrales nucléaires pour faire face à la
varié au cours des âges biologiques ; et par conséquent, il demande accrue d'énergie : 260 M/ec/an (millions de
Y a eu des variations probablement aussi dans l'intensité tonnes d'équivalent charbon) en 1976, et 360 et 400 en
de la production de matière végétale. C'est ainsi qu'on a 1985. Depuis que les nationalisations dans les pays arabes
imaginé qu'à l'époque carbonifère, cette production végé- ont dépossédé les grandes compagnies pétrolières interna-
tale surabondante a été réalisée à un moment où la teneur tionales du monopole qu'elles détenaient, le «Gros Ar-
en gaz carbonique de l'atmosphère était très supérieure à gent», comme disait Emmanuel Beau de Loménie, s'est
la teneur actuelle, ce qui donnait des possibilités d'assimi- résolument tourné vers le secteur nucléaire.
lation chlorophyllienne, pour une même température, très L'argument officiel, vous le connaissez - il a sa valeur
supérieures à celles d'aujourd'hui.» évidemment - : c'est que les gisements de naphtes'épuisent
Commentant ce texte qu'il me faisait lire, mon ami Gef- et que le relais du pétrole doit être assuré par une autre
froy ajoutait que nous pouvions parfaitement susciter un source d'énergie. Dans l'état actuel des choses, les éner-
regain de vigueur à la nature en extrayant le carbone des gies nouvelles (géothermie, installations solaires) ne peu-
mines de charbon, en le brûlant pour produire l'énergie et vent avoir d'applications domestiques. En admettant qu'on
pour libérer du C02• •• (2). pousse un peu les investigations de ce côté-là, cela ne repré-
L'énergie hydraulique n'a pas été négligée, heureuse- senterait pas, en 1985, 2 % de l'énergie globale, assurent
~ent, mais elle n'est pas suffisante. Le gaz naturel, qui les spécialistes. C'est donc du côté de l'atome que les féo-
n est pas sans danger - les explosions et les incendies qu'il dalités financières ont porté leurs regards et c'est l'énergie
provoque le prouvent - apporte une aide appréciable, nucléaire qu'elles entendent imposer. Sans autrement se
mais la géothermie et l'énergie solaire en sont encore à soucier des conséquences. Seules, les réactions que l'im-
leurs balbutiements. plantation de centrales nucléaires suscitent un peu par-
Lors de sa visite à Paris, en avril 1977, M. Clitton C. tout peut retarder la réalisation du programme que M. Boi-
Garvin, président d'Exxon, a déclaré : «Aux Etats-Unis, teux, directeur général d'Electricité de France (E.D.F.),
nous avons 9 milliards de tonnes de charbon en réserve. est chargé de mettre en œuvre. Ce dernier reconnaissait
le 22 mars 1977, lors d'une conférence de presse, que ledit
_(1) Çol!rs de Sorbonne, Editions du Centre de documentation
programme était décalé d'un an. Il en accusait « l'allon-
universitaire, p. 13. gement des procédures d'obtention des sites qui ne permet-
(~) !--es mines de charbon sont loin d'être épuisées : selon les tent plus d'engager en temps utile les travau:X préliminai-
spéc1al~stes du Çroupement des scientifiques pour l'information sur res de terrassement et d'aménagement des accès aux chan-
l'énergie nucléaire, elles peuvent fournir plusieurs' siècles durant
a~ rythme de la consommation actuelle (cf. Que Choisir? jan- tiers. C'est ainsi par exemple que le vote du conseil général
vier 1977, p. 22). du Haut-Rhin subordonnant l'ouverture de l'enquête d'uti-
238 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LES PROFITEURS DE L'ATOME 239
lité publique pour les tranches 3 et 4 de Fessenheim a Le programme nucléaire français prévoit d'autres cen-
retardé celle-ci de près de deux ans » ( 3 ). trales, du type à eau légère pressurisée (PWR) dont voici
Le directeur général d'E.D.F. a communiqué ce tableau le tableau :
des centrales nucléaires en fonctionnement :
Production
Puissance Date de mise cumulée Date Date
en service au 1-12-1975 Puissance de l'ordre de mise
MWh CENTRALES (MWe) d'exécution en service
Filière gaz graphite : de la (couplage)
chaudière
G2-G3-Marcoule (Gard) 80 1959-1960 8 500 000
Chinon II et III (Indre-
et-Loire) 690 1965-1967 25 500 000 900 11-1970 1977
St-Laurent-des-Eaux Programmes ) F"'onhcim-1
Fessenheim-2 900 11-1971 l'J77
(Loir-et-Cher) 975 1969-1971 28 500 000 1970 Bugey-2 900 12-1971 1977
Bugey I (Ain) 540 1973 9 500000 8 000 MW Bugey-3 900 12-1972 1977
sur cinq ans Bugey-4 900 9-1973 1978
Filière eau légère pressu- Bugey-5 900 5-1974 1978
risée (PWR) :
Chooz (Ardennes) 305 1967 11500000 Tricastin-1 900 4-1974 1979
Gravelines-1 900 6-1974 1979
Filière eau lourde-gaz Dampierre-1 900 9-1974 1979
Brennilis (Finistère) 70 1967 2 500 000 Tricastin-2 900 12-1974 1979
Programmes Gravelines-2 900 2-1975 1980
Filière surrégénérateur 1974 • 1975 Dampierre-2 900 5-1975 1980
(10 000 MWe) Tricastin-3 900 7-1975 1980
Phenix-Marcoule (Gard) 230 1973 2 500000 Gravelines-3 900 9-1975 1980
Dampierre-3 900 11-1975 1980
(3) Cf. Le Monde, 28 mars 1977. Tricastin-4 900 1-1975 1981
Le Blayais-1 900 4-1975 1981
Quant au surrégénérateur de Creys-Malville- en colla- qu'il est superflu de citer. C'est, on le voit, un personnage
boration avec l'Allemagne de l'Ouest et l'Italie -, il est de poids, d'autant plus qu'il est affilié, nous l'avons vu (4),
prévu pour une mise en service industrielle vers 1983. à la mystérieuse Trilatérale.
Ces précisions sont données par I'E.D.F. qui est, à la Son bras droit et son cadet de huit ans, M. Marcel
fois, client et maître d'œuvre pour la construction des cen- Boiteux, est directeur général d'E.D.F. depuis dix ans. Il
trales nucléaires en France: c'est, en effet, la grande société a débuté dans la maison comme ingénieur au service com-
nationalisée, dirigée par M. Marcel Boiteux, qui passe les mercial en 1949 après un passage assez court au C.N.R.S.
commandes aux fournisseurs de chaudières nucléaires de Il appartient aussi au Commissariat à !'Energie Atomi-
pièces électromécaniques, etc. et c'est elle ' qui assure Î'ex- q~e et assure ainsi la liaison entre l'E.D.F. et cet orga-
ploitation des centrales. Le Commissariat à !'Energie Ato- rusme.
mique (C.E.A.) n'intervient que pour ce qui concerne le Le très officiel C.E.A. est animé par son administrateur
combustible, la sûreté des installations et les réacteurs à général délégué, M. André Giraud, un ancien collaborateur
neutrons rapides, notamment par l'intermédiaire de Tech- du ministre Olivier Guichard devenu président de la Sté
nicatome, sa filiale. United Reprocessor GmbH et du conseil d'administration
Avant d'en venir aux fournisseurs et principaux béné- de l'Ecole Polytechnique. Sa présence au conseil d'adminis-
ficiaires, examinons I'E.D.F. et le C.E.A. tration d'E.D.F. facilite les contacts entre les deux orga-
nismes.
Service public ayant le monopole de la production, du
Les fournisseurs appartiennent à l'industrie privée. Ce
transport et de la distribution de l'électricité en France
sont, essentiellement : le P.U.K., le groupe Rothschild, celui
depuis la nationalisation des compagnies d'électricité après
de Paribas et le trust Empain pour ce qui concerne le
la Libération, E.D.F. gère les installations de celles-ci, qui
combustible et Creusot-Loire et la C.G.E. pour la construc-
lui ont été transférées en application de la loi du 8 avril
tion des chaudières nucléaires, des turbines, des alterna-
1946, ainsi que les installations nouvelles dont elle a entre-
teurs, etc. Mais, nous le verrons, il y a aussi d'autres grou-
pris la réalisation. M. Paul Delouvrier en est le président.
pes, le plus souvent associés à ceux-ci.
Ce fils de banquier, entré à l'inspection des Finances Le C.E.A. participe à la prospection du combustible
au temps du gouvernement de Vichy, fut, après la Libéra- nucléaire par l'intermédiaire de sa filiale, la Sté d'études
tion, à trente ans, le collaborateur du banquier Lepercq et de recherches d'uranium (SERU), qui prend également
dont le général De Gaulle avait fait un ministre des Finan- des participations dans l'industrie nucléaire. La recher-
ces ( 1944 ), puis celui de M. René Pleven, également minis- che de l'uranium, sur le plan international, fut longtemps
tre des Finances (1944-1945), avant d'être nommé chef de le domaine réservé des grands trusts pétroliers internatio-
la division française du Commissariat général au Plan où naux. Depuis quelques années, quatre groupes français
régnait M. Jean Monnet, puis directeur de cabinet' du participent activement à la prospection : le C.E.A., le
banquier René Mayer, cousin et éminence grise des Roth- P.U.K., la Cie française des pétroles (C.F.P.) et le groupe
schild, lui aussi ministre des Finances (1947-1948), vice- Rothschild. Le gisement de Cluff, au Canada, a été décou-
président du Conseil (1951) et président du Conseil (1953). vert par une société dominée par Rothschild-P.U.K.-C.E.A.
Il occupa les plus hautes fonctions à la C.E.C.A. (1955- En Australie, c'est une association C.F.P.-P.U.K.- C.E.A.
1958) avant d'être nommé, après le retour au pouvoir du qui prospecte. Au Niger, le C.E.A. s'est associé à un
général De Gaulle, délégué général du gouvernement en consortium japonais et à l'Etat nigérien, d'une part, et
Algérie (1958-1960). Rentré en France, il reçut la charge du
avec les Américains et l'Etat, d'autre part.
district de la Région de Paris et fut même préfet de ladite
région jusqu'en 1969, date à laquelle il devint président
d'E.D.F. Sa carte de visite comporte nombre d'autres titres (4) Voir le chapitre III.
16
242 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LES PROFITEURS DE L'ATOME 243
Dans ce domaine, il y a trois groupes dominants, le ger (la vente d'usines "clés en main», par exemple). Sans
C.E.A., les Rothschild, représentés par Le Nickel, Penar- parler des débouchés pour la propre production de ces
roya et Mokta, et le trust P.U.K. qui contrôlent l'immense grandes sociétés.
majorité des gisements exploités par les Français, en On estime à 35 % du prix total d'une centrale nucléaire
France même et en Afrique. En association, ces trois grou- le coût de la chaudière comprenant la cuve, le pressuriseur,
pes ont créé Uranex pour la commercialisation de l'ura- la tuyauterie, les pompes et les générateurs à vapeur, et
nium. Les transformations chimiques des minerais, qui à 15 % celui du groupe turbo-alternateur. Chaque fois
contiennent de un à deux kilos d'uranium par tonne, sont que l'on construit une centrale atomique, dont le coût
assurés par deux sociétés contrôlées par P.V.K. : la Société moyen est voisin de 3 milliards et demi de F., c'est-à-dire
industrielle des minerais de l'Ouest (S.I.M.O.), qui pos- 350 milliards d'A.F., c'est donc 175 milliards d'A.F. qui
sède les usines de Bessines, Ecarpière et Forez, et la Sté vont aux fournisseurs de ces énormes machines. Les chau-
pour la conversion de l'uranium en métal et en hexafluo- dières des réacteurs à eau pressurisée (PWR) sont cons-
rure (COMURHEX), qui traite les concentrés dans ses truites par Framatome, et celle des réacteurs à eau bouil-
usines de Malvési et de Pierrelatte. Un contrat lie ces lante (BWR)) par SOGERCA ; quant aux turbo-alterna-
sociétés au C.E.A. teurs, que construisait jusqu'en 1976 la Cie électro-mécani-
La technique française concernant l'enrichissement du que ( CEM), ils sont aujourd'hui un monopole du trust
combustible nucléaire étant très coûteuse, les trusts lais- Alsthom-Atlantique.
sent la charge de ces investissements considérables à l'Etat Framatome, c'est-à-dire la Sté franco-américaine de
français. C'est leur vieille habitude de faire supporter aux constructions atomiques, détentrice de la licence Westing-
contribuables les frais les plus lourds. house, est une entreprise dépendant de Creusot-Loire
L'uranium une fois enrichi, sa forme définitive lui (51 %), Westinghouse (45 %) et Schneider (4 %). Ses ate-
sera donnée dans des usines dépendant de P.V.K., de Creu- liers du Creusot et de Chalon-sur-Saône sont capables de
sot-Loire et de Westinghouse, ou appartenant à la Société fabriquer 8 cuves, autant de pressuriseurs et 18 générateurs
industrielle des combustibles à eau légère (SIGREL), créée par an.
par le C.E.A., le trust Saint-Gobain et la Sté Alspi, et béné- La Société générale pour l'entreprise de réacteurs et
ficiant d'une licence General Electric, qui fabrique- de centrales atomiques est dominée par la Cie Générale
ront les éléments combustibles (5). d'Electricité (C.G.E.). Celle-ci détient 35 % du capital, et
Il faut ajouter que l'uranium appauvri est « recyclé » sa filiale Alsthom en a elle-même 49,75 %.
par COMURHEX (Saint-Gobain) à Malvési, et le transport Quant à Alsthom-Atlantique, il est né en septembre 1976
des matières nucléaires est effectué par la firme Transnu- de la fusion de la Cie électro-mécanique (CEM), qui fabri-
cléaire, société constituée par les principaux groupes indus- quait du gros matériel d'équipement et travaillait sous
triels qui ont été nommés. licence Brown-Boveri (groupe suisse), son actionnaire prin-
L'intérêt porté à ce secteur par les grands trusts, notam- cipal, et d'Alsthom, filiale de la C.G.E. Le capital d'Alsthom-
ment par P.U.K., géant de la chimie française, s'explique Atlantique est réparti entre la C.G.E. (31 % ), la Cie indus-
non seulement par le profit immédiat et direct, mais aussi trielle et financière de participation Penhoët (25 % ), la Cie
par celui que ces groupes tirent - ou tireront par la industrielle et financière des ateliers et chantiers de la Loire
suite - d'une expérience industrielle monnayable à l'étran- (11,5 %), la Cie financière de Suez (1,04 %) et OPFI-Pari-
bas ( 1,9 % ), le reste étant détenu par de petits actionnaires.
(5) Le jour où la France adopterait une autre filière pour la Creusot-Loire et la C.G.E. possèdent leur entreprise de
production des combustibles, la SHTR, dépendant de Creusot-
Loire et de P.U.K. et de la Cie électro-mécanique, pourrait prendre génie civil : c'est SPIE-Batignolles pour le premier et la
la relève. Société générale d'entreprise S.G.E. pour la seconde. Mais
244 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR 1
LES PROFITEURS DE L ATOME 245
d'autres grandes firmes exécutent également des travaux intéressée dans une vingtaine de grandes entreprises (Cofi-
dans le secteur nucléaire, notamment les Grands Travaux route, Autoroutes Paris Est Lorraine, Parking des Champs-
de Marseille, Campenon-Bernard et Bouygues. Elysées, Parking des Invalides, etc.), présidée par M. J.
Les Entreprises Bouygues sont animées par un self Charpentier, compte dans son conseil d'administration
made man, M. Francis Bouygues, qui a fait fortune dans M. Antoine Bernheim, associé-gérant de la banque Lazard,
la construction immobilière. Il eut longtemps auprès de P.D.G. des assurances La France, administrateur de la Cie
lui, M. Paul Granet, devenu député de l'Aube, futur secré- La Concorde, que nous avons vu déjà à Berthier-Saveco,
taire d'Etat à la formation professionnelle, et un autre par- et M. Michel de Boissieu, l'un des hauts employés des
lementaire et secrétaire d'Etat, M. Maurice Herzog, gendre Rothschild.
du duc de Brissac et de la duchesse, née Schneider (du La Banque Rothschild est intéressée directement à
Creusot). C'est la Sté Bouygues qui a réalisé Bugey 2 et 3. l'énergie atomique. On la trouve à la Cie française des mine-
Campenon-Bernard, associé à CAPAG-CETRA (de M. rais d'uranium (C.F.M.U.), dont elle détient, par l'intermé-
Louis Ducatel, candidat à l'élection présidentielle de 1969), diaire de ses filiales, plus de la moitié du capital, ainsi qu'à
a construit Fessenheim, en Alsace. Cette firme, née de la la Sté minière Pechiney-Mokta SMPM où les célèbres ban-
fusion de la maison Campenon-Bernard et des Entreprises quiers, toujours par leurs filiales, possèdent 50 % ~es
J. Hesbert, est présidée par M. Raymond Guitonneau,, actions - les autres 50 % étant à P. U.K. ; les Rothschild
P.D.G. des Autoroutes Rhône-Alpes, assisté de MM. Jac- détiennent aussi 30 % du capital de la Cie des mines
ques Burin des Rosiers, cousin de l'ancien secrétaire de d'uranium de Franceville (COMUF), au Gabon. Leur asso-
la présidence de la République au temps du général De ciation avec le trust Pechiney-Ugine-Kuhlmann (P.U.K.) au
Gaulle, vice-président directeur général du Crédit du Nor~ sein de la C.F.M.U. et de la S.M.P.M. leur assure une excel-
et Union Parisienne, administrateur de la Banque de Paris lente place dans d'autres sociétés d'extraction, notam-
et des Pays-Bas, de St Gobain-Pont-à-Mousson et président ment : FAMOK, DOMOK (Canada), SMUC (Mines d'ura-
des Papeteries Arjomari-Prioux ; Olivier Campenon, de la nium du Centre), SOMAIR (Mines de l'Aïr, au Niger),
famille du fondateur ; Guy Dejouany, administrateur direc- SIMURA (Sté industrielle et minière de l'uranium, en Bre-
teur général de la Cie générale des eaux, administrateur tagne), URBA (Mines d'uranium de Bakouma, en Républi-
d'une dizaine de filiales de cette dernière et du Crédit du que Centrafricaine) et dans les firmes spécialisées dans la
Nord et Union Parisienne; Jean-Pierre Fontaine, directeur vente de l'uranium, comme URANEX.
de la Banque de Paris et des Pays-Bas, P.D.G. de Poliet et On peut donc dire que si le Commissariat à !'Energie
Chausson, administrateur de Gazocéan, des Ciments Fran- Atomique (C.E.A.) occupe la première place, les Rothschild
çais etc. ; R. Gérard, président d'honneur de la Cie géné- occupent la deuxième avec P.U.K.
rale1 des., eaux; Georges Huvelin, P.D.G. de la Cie géné- Ce dernier est présent à la CFMU, à la SMPM et à cer-
rale des eaux, ·cousin de l'ancien président du C.N.P.F.; taines des sociétés citées, mais aussi à COMUF (Gabon)
Emmanuhl Lamy, arrière-petit-fils du fondateur des Ets SCUMRA (Sté centrale des minerais et minéraux radio-
Kuhlmann~ administrateur de Péchiney-Ugine-Kuhlman, de actifs, en Corrèze) et SOGEREM. Ceci pour les mines
Penhoët, d~ la Cie française de pétrole, président de la d'uranium. Pour le traitement du minerai, il est aussi à
Sté financière de l'Union Parisienne du Nord et président SIMO (usines à l'Ecarpière, Bessines et Le Forez) dont il
d'honneur du Crédit du Nord et Union Parisienne; et Alain possède 50 % du capital. COMURHEX, qui procède au
Odier, de la banque Odier Bungener Courvoisier, adminis- raffinage, est également contrôlé par PUK qui est pro-
trateur de la Librairie Berger-Levrault. priétaire de 51 % de ses actions par l'intermédiaire de
Plus considérable encore que les deùx précédentes, la sa filiale, la Sté des usines chimiques de Pierrelatte (UCP),
Société des Grands Travaux de Marseille, fondée en 1891. laquelle fabrique de la poudre d'oxyde d'uranium. Le trust
246 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR LES PROFITEURS DE L'ATOME 247
est, avec d'autres groupes, présent à USSI (Sté de construc- M. René Pillon, ancien sénateur, fidéicommissaire des
tfon~ d~usines de sél/aration isotopique), qui s'occupe de Rothschild et administrateur de sociétés diverses ;
1ennch1ssement de 1uranium, ainsi qu'à la CICAF, qui fa- M. Jacques de Fouchier, «patron du groupe Paribas »
briqu~ des pastilles d'oxyde, à CERCA et EUROFUEL, qui (déjà cité);
fourmt du combustible (filière PWR) et à Transnucléaire · M. Paul Huvelin, ancien président du C.N.P.F., prési-
il possède 20 % du capital de cette société de transport de~ dent de l'Union des industries de la Communauté euro-
combustibles irradiés, ses associés étant : Paribas (24 % ), péenne, vice-président de Thomson-Brandt, administrateur
St-Gobain (10,10 %), Bourgey Montreuil (13,94 %), Nu- de la Sté générale d'entreprise, de la Cie financière de Suez,
kem, firme allemande (13 %), Banque Worms (1 %), etc. de la Cie générale d'électricité et de beaucoup d'autres;
Le trust Péchiney-Ugine-Kuhlmann (PUK), né de l'ab- M. Emmanuel Lamy, que nous avons vu au conseil de
sorption de la Cie Péchiney et de la Sté Ugine-Kuhlmann Campenon-Bernard;
par la Sté des métaux et alliages en 1971, est le plus impor- M. Robert Mathieu, P.D.G. des Docks industriels, prési-
tant groupe holding de France ; il contrôle des centaines dent du Port autonome de Bordeaux, administrateur de
d~ sociétés rép~r~ies dans huit branches industrielles prin- diverses sociétés ;
cipales : alummmm, chimie, aciers et titane, mines et M. Jacques Merlin, président de la Sté française d'assu-
électr?métallurgie, cuivre, produits spéciaux, nucléaire et rances, que nous avons vu à Radar (grandes surfaces);
techmques nouvelles, recherche. Son président, M. Pierre M. Joseph Roos, ancien P.D.G. d'Air France, administra-
Jouven, soixante-neuf ans, dont la fille aînée a épousé un teur d'Intertechnique, de Jaeger, des Usines Chausson,
petit-fils du général Weygand, fut adjoint au secrétaire etc. ;
général de l'Energie (ministère de la Production indus- M. Jean Roux de Brézieux, d'une famille de la petite
~rielle) à Vichy en 1941-1942. Entré à Péchiney en 1943, noblesse lyonnaise, administrateur de la Sté lyonnaise de
il en est devenu le P.D.G. en 1968. Il administre plusieurs dépôts et de crédit industriel et de la Cie Lebon ;
sociétés liées à P.U.K. et fut, pendant sept ans, administra- et M. Ambroise Roux, ancien élève de l'Ecole polytech-
teur de l'E.N.A. Il est secondé par trois vice-présidents : nique, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, qui fut le collabo-
MM. Desbrière, Jolivet et Philippe Thomas. Celui-ci, qui rateur du ministre Louvel sous la IV• République, aujour-
est aussi directeur général de P.U.K., plus spécialement d'hui « patron » de la Cie générale d'électricité, partie pre-
chargé du département atomique du groupe, est adminis- nante dans l'industrie nucléaire, président de la Cie électro-
trateur de la Cie financière de Paris et des Pays-Bas, de financière et de la Cie industrielle des télécommunications,
Tréfimétaux, de Cégédur et de la Cie française des pétroles. administrateur de Pétrogaz, du Crédit National, de la Cie
Au conseil d'administration siègent les représentants financière de Paris et des Pays-Bas, de la Radiotechnique,
des oligarchies financières : d'Alsthom-Atlantique, etc., figure de proue du patronat au
C.N.P.F.
M. Wilfrid Baumgartner - gendre de feu Ernest Mer-
cier, le «roi de l'électricité» d'avant-guerre - ancien Ces représentants des 200 Familles, pour la plupart,
ministre des Finances de la v• République, ancien gouver- ont déjà été nommés dans les précédents chapitres. Leur
neur de la B.anque de France, président d'honneur de présence montre l'intérêt que les grands groupes économi-
Rhône-Poulenc et administrateur d'une demi-douzaine d'au- ques portent au secteur nucléaire. Celle des représentants
tres grandes affaires ; du groupe Schneider n'est pas moins significative. Vous
M. François Bloch-Lainé, fils d'un associé de la banque allez en juger.
Lazard frères et Cie, ancien· P.D.G. du Crédit Lyonnais J'ai dit quelle place occupe le trust du Creusot dans
(dont il a déjà été parlé); la construction des réacteurs et des centrales atomiques :
248 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
LES PROFITEURS DE L'ATOME 249
tandis que la Cie générale d'électricité a le monopole des
Schneider, Mme Charles Schneider, qui est, détail piquant,
turbo-alternateurs _grâce à. sa filiale Alsthom-Atlantique, le
groupe Creusot-Loire domme dans les branches nucléaires la petite-fiIIe du le~der sociali~te !ules. ?uesd.e, occupe
suivantes : conception générale et cuves avec Framatome toujours un fauteml au ~onse1l d ad,~1mstrat1?n de la
"' • • I 1
maison mère, mais elle n est que pres1dente d honneu~.
eqmpements mternes, pompes primaires, générateurs de
C'est le baron belge Empain qui est le P.D.G. de Schnei-
vapeur, pressuriseurs, transformateurs. Il intervient donc
der S.A. - en même temps qu'un des administrateur~ de
à tous les stades de la construction d'une centrale nu-
Creusot-Loire de Marine-Schneider et Jeumont-Schneider.
cléaire. N'est-il pas, d'ailleurs, le premier producteur fran-
çais d'aciers fins spéciaux, d'appareils de levage et de maté- Né à Budapest en 1937, ce petit-fils du financi~r qui
riel ferroviaire ? participa à la création du Métropolitain d~ .Pans~ est
entré dans le trust du Creusot lorsque le m1mst:e rran-
Pour quiconque ne plonge pas le regard dans la cou-
lisse, l'importance prise par le trust du Creusot est stu- çais des Finances de l'époque, M. Giscard d'Estamg, eut
péfiante. Certes, depuis que la gauche a mené campagne donné le feu vert. Il figure en personne au conseil d'.une
contre «les marchands de canons» au temps de Paul bonne trentaine de sociétés belges, luxembourgeoises,
canadiennes françaises. Il préside 1'Electrorail et ARBED,
Faure et de Francis Delaisi, on sait la place qu'occupe la
administre Électrobel, la Banque de l'Union E::'ropéenn~,
famille Schneider dans l'économie française. J'ai souligné,
la Cie financière de l'Union européenne et meme la Cie
P.ersonneIIement.' l'activité considérable du trust dans plu-
sieurs de mes livres (6). Mais depuis la commandite du luxembourgeoise de télédiffusion, c'est-à-dire le poste
d'émission R.T.L. (Luxembourg).
Creusot à L'Express, alors organe de coalition MoIIet-Mit-
terrand-Mendès-France (7), les militants marxistes ne fai- Son père, le baron Edouard Empain, né.~ ~ru:celles en
s?ient. plus guère allusion à la puissance des Schneider. Il 1914, appartient à une quinzaine de soc1etes liées aux
s ensmt que le trust du Creusot, qui a subi quelques trans- mêmes intérêts.
formations, a pu poursuivre en paix son bonhomme de che- Outre Mme Schneider et le baron Edouard-Jean ~m
min et reprendre la place que les événements l'avaient pain, parmi ceux qui comptent au conseil de Schneider
obligé à abandonner au cours des années 40. S.A., on remarque :
En ce qui concerne l'activité nucléaire du groupe, nous
avons vu qu'eIIe était principalement réservée à Fram- M. Jean Forgeot, président d'honneur ~e ~eum~nt
atome dont Creusot-Loire possède 51 % des actions et Schneider, P.D.G. de Creusot-Loire et de la Cie fznanci.ère
Schneider S.A. 4 % . Les commandes qu'il reçoit s'élèvent de l'Union Européenne (holding du trust ~chneider), v1~
à plusieurs ?izaines de milliards de francs lourds : pour président de Chrysler-Franc~ et d~ Schneider S.A., a~~I
la seule annee 1974, Framatome a reçu 2 miIIiards de F. de nistrateur de Marine Schneider, d Esso SAF, de Publicis,
commandes et Creusot-Loire Entreprises environ 4 mil- des Chargeurs réunis, etc. ; , .
liards. Du fait de sa participation chez Alan Wood Steel et Le général Albert Buchalet, ancien attaché à la pres1-
de sa prise de contrôle de Marre!, le trust du Creusot dence du Conseil (IVe République) - qui dirigea pen~ant
occupe une position dominante dans ce secteur-clé de quelque temps les applications militaires au Comm1~sa•
l'équipement lourd. riat à !'Energie Atomique, et a pantouflé chez Schnez1.er
La famiIIe Schneider s'est aIIiée, sur le plan des affaires en 1960 - aujourd'hui vice-président de la St~ pour lin-
avec le puissant groupe Empain. La veuve du dernier dustrie atomique, P.D.G. de Framatome, et dirigeant du
C.N.P.F. (affaires sud-américaines);
(6) Notamment dans «L'Europe des banquiers ».
M. Maurice David, haut employé des Schneider depuis
(7) Cf. «La Haute Banque et les trusts~. plusieurs années, administrateur de Latil-Bat~gnolles, de
Creusot-Loire Entreprises et de Marfne-Schneider ;
LES PROFITEURS DE L'ATOME 251
250 LES 200 FAMILLES AU POUVOIR
M. André Harth, un gros exportateur, qui a des inté- pas que des incidences familiales ou politiques. Dan~ les
rêts dans diverses sociétés minières et sucrières ; affaires nucléaires de Creusot-Loire et du trust, Schneider,
et deux membres de la famille de Wendel, le comte on découvre un cousin germain du chef de 1 Etat, dont
Pierre Celier, gendre de M. Maurice de Wendel, et le baron le nom - par discrétion, sans doute - ne figure pa~ dans
Ernest-Antoine Seillière, fils d'une Dlle Renée Wendel. les annuaires financiers : il s'agit de ~· Jacques ?1scard
d'Estaing. Frère d'un inspecteur des Fmances,. ~Ul. fut le
collaborateur des ministres Sourbet et Jean F1hpp1, sou:
Pour qui connaît les différends profonds existant pen- la iv• République, et du ministre H~udet, sous. la V,
dant cent cinquante ans entre les deux familles, les Schnei- M. Jacques Giscard d'Estaing fut lui-meme .au cab1~e: du
der et les Wendel, cette alliance autour du baron belge Premier ministre Michel Debré et à cellll du m~mstre
est révélatrice d'une impressionnante évolution sous la Olivier Guichard. Il est aujourd'hui un personnag~ impor-
v• République. Les frères ennemis de l'acier se sont tant du domaine nucléaire ; il ad~inis~re : T echnicatome,
retrouvés dans les mêmes assemblées, dans les mêmes la Sté d'étude et de recherches d uranium ,<SE.RD_), lnter-
sphères gouvernementales : contrôle, la Société franco-iranienne pour l er:richtssement
Côté Wendel : M. François Missoffe, ancien député et de l'uranium (SOFIDIF), Novatome-Industrte, Nov.ato1;1e,
ancien ministre, et son épouse, fille de Marguerite de filiale de Creusot-Loire et de Framatome, a~ co~s.e1l ~ ad-
Wendel, député de Paris; Yves Guéna, marié à une petite- ministration duquel il retrouve un ancien depute mdepe~
fille de Sabine de Wendel, député et ministre; Michel dant, M. Michel Junot, récemment élu conseiller de Pans
Debré, beau-fils d'Elisabeth de Wendel, mère de Mme sous l'étiquette chiraquienne.
Yves Guéna, premier ministre et député; Jean de Broglie, Quand on sait le rôle ainsi joué dans le m?nde des
beau-frère d'une petite-fille de Carmen de Wendel, minis- affaires par la propre famille (8) du chef de 1 Etat, on
tre et député; Jean-François Poncet, marié à une descen- est tenté de conclure que la boucle est bouclée.
dante de Marguerite de Wendel; la maréchale Leclerc de
Hauteclocque, arrière-petite-fille de François de Wendel;
le parlementaire Geoffroy de Montalembert, époux d'une
fille de Carmen de Wendel, qui, devenu veuf a épousé
Odile de Wendel ;
et côté Schneider : M. Simon Nora, qui fut longtemps
l'éminence grise du Premier ministre Chaban-Delmas, et
M. Maurice Herzog, secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux
Sports, ont été successivement les gendres de la duchesse,
de Brissac, née May Schneider ; le marquis de Villoutreys
de Brignac, sénateur de Maine-et-Loire, est le beau-père de
M. François de Durfort, petit-fils de Madeleine Schneider,
mariée avec le marquis de Juigné, parlementaire de Loire-
Inférieure ; la sœur de la marquise, Marguerite, qui épousa
M. Paul Sauvage de Brantes, était la grand-mère de Mme
Anne-Aymone Giscard d'Estaing, femme du président de
la République. (8) J'ai montré (chapitre I") que le père, le frère et les cousins
du président de la Républiql!e sont à la tête de très grandes entri:>
Ce rapprochement Schneider-Giscard d'Estaing n'a prises financières et mdustnelles.
EN GUISE DE CONCLUSION 253
Prénoms :
Profession