Analyse Race Et Histoire de Claude Levi
Analyse Race Et Histoire de Claude Levi
Analyse Race Et Histoire de Claude Levi
CLAUDE LÉVI-STRAUSS :
A. Race et Culture
C. L'ethnocentrisme
E. L'idée de progrès
H. Hasard et civilisation
« En vérité, il n’existe pas de peuple enfants ; tous sont adultes, même ceux qui
n’ont pas tenu le journal de leur enfance et de leur adolescence [1].» C’est avec
cette célèbre phrase, à la fois poétique et profondément révolutionnaire, que
Claude Lévi-Strauss pose les contours de la thèse qu’il va défendre tout au long
de son ouvrage Race et histoire : il n’y a pas de sociétés sans dimension
historique. Cette intuition a deux conséquences capitales, ce sont les deux lignes
de force de l’ouvrage : la lutte contre l’ethnocentrisme et la discussion de la
notion de progrès – et plus particulièrement du progrès vu d’Occident ; les
cultures existent et se renouvellent en interaction les unes avec les autres en
même temps qu’elles ont besoin d’un repli identitaire pour affirmer leur
singularité.
En d’autres termes, Claude Lévi-Strauss, dans Race et histoire, veut montrer
que la doctrine raciste est sans fondement, en même temps qu’il s’attaque à la
forme inversée de cette idée : c'est-à-dire la position qui prétend pouvoir tirer des
conclusions d’infériorité biologique de certains groupes d’humains au regard du
soi-disant progrès culturel accompli par d’autres. Ainsi, l’ethnologue français
s’attaque à deux figures du racisme : la première est connue et facilement
identifiable, la seconde beaucoup moins. Ce racisme inversé s’enracine dans
l’ethnocentrisme (ethnos, peuple et centrum, centre) – qui est, en vérité, un
racisme dissimulé – qui a été défini par l’ethnologue William G. Summer en 1907
comme étant le fait de « placer son propre groupe au centre de tout » et de
considérer que « les coutumes de son propre groupe sont les seules à être
justes ». Plusieurs siècles avant, Michel de Montaigne ne disait pas autre chose
dans les Essais (1595) : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son
usage ».
Si selon son auteur, Race et histoire peut apparaitre comme « une petite
philosophie à l’usage des fonctionnaires internationaux », l’ouvrage est conçu
comme « un essai d’interprétation de la diversité des cultures » qui a pour
ambition de chercher « le moyen de réconcilier la notion de progrès et le
relativisme culturel. »
Ce travail est à la fois une synthèse des thèses développées par Claude Lévi-
Strauss, une analyse et une explicitation des arguments qu’il présente ainsi
qu’une critique de l’œuvre.
I. Contexte de l’écriture de l’œuvre et notion de race
A. Race et culture
C’est l’objet de notre second point qui vise à mettre en avant la seconde idée
formulée par Lévi-Strauss : la diversité des cultures.
Il développe trois points :
- la diversité des cultures est extraordinaire à l’échelle du monde, et « […] cette
diversité intellectuelle, esthétique, sociologique, n’est unie par aucune relation de
cause à effet à celle qui existe, sur le plan biologique, entre certains aspects
observables des groupements humains […][17] »
- il existe beaucoup plus de cultures humaines que de races humaines ;
- il se demande, et reprend l’opinion commune à ce sujet, si la diversité des
cultures n’est pas un obstacle au progrès, si c’est un avantage ou un
inconvénient pour l’humanité.
Une fois démontré que c’est la diversité et le mélange qui permet le progrès,
Claude Lévi-Strauss, relève un obstacle : « Quand on étudie de tels faits – et
d'autres domaines de la civilisation, comme les institutions sociales, l'art, la
religion, en fourniraient aisément de semblables – on en vient à se demander si
les sociétés humaines ne se définissent pas, eu égale à leurs relations
mutuelles, par un certain optimum de diversité au-delà duquel elles ne sauraient
aller, mais en dessous duquel elles ne peuvent, non plus, descendre sans
danger[22]. »
Il y aurait donc un seuil de mélange et d’influence au-delà duquel il ne faudrait
pas aller afin de ne pas mettre en péril une culture par excès de mélange et un
autre seuil, en dessous duquel il ne faudrait aller au risque d’assécher la culture
et de l’isoler. Vingt ans plus tard, dans sa deuxième conférence de 1971, intitulé
Race et culture Claude Lévi-Strauss synthétise parfaitement ce dilemme :
« Nous butons sur une aporie : les cultures existent se renouvellent en
collaborant les unes avec les autres, mais elles ont besoin, pour exister et se
renouveler, de disposer en quelque manière d'une base de repli identitaire à
partir de laquelle ils affirment une singularité qui paraisse opposée à l'ouverture
vers l'extérieur[23]. » Autrement dit, « Davantage de diversité, et c'est la relation
avec les autres cultures qui se trouvent compromise. Moins de diversité, et c'est
chaque culture en elle-même qui est en danger. […] Trop de différences, et
l'écart devient insurmontable ; pas assez d'écart, et l'identité se meurt[24]. »
C. L'ethnocentrisme
Pourtant, ce rejet est l’apanage de tous les groupes humains, y compris les
sauvages : chaque groupe humain a une tendance naturelle à l’ethnocentrisme
soit, selon les termes de l’ethnologue William G. Summer, le fait de « placer son
propre groupe au centre de tout » et de considérer que « les coutumes de son
propre groupe sont les seules à être justes ». Claude-Lévi-Strauss précise bien
le caractère endogène decette dynamique: « Cette attitude de pensée, au nom
de laquelle on rejette les “sauvages” (ou tous ceux qu'on choisit de considérer
comme tels) hors de l'humanité, est justement l'attitude la plus marquante et la
plus distinctive de ces sauvages mêmes[26]. » Il y aurait ainsi, une tendance
naturelle des hommes à réagir aux différences par répulsion, donc, par
conséquent, une tendance naturelle à l’ethnocentrisme. Pour mieux comprendre
ce fait-là, Lévi-Strauss rapporte une anecdote : lors de la découverte de
l’Amérique, au même moment où les Espagnols cherchaient à savoir si les
indigènes possédaient ou non une âme, « ces derniers s'employaient à immerger
des blancs prisonniers afin de vérifier par une surveillance prolongée si un
cadavre était, ou non, sujet à la putréfaction[27]. » Si les moyens diffèrent entre
Espagnols et « sauvages », la finalité est la même : tenter de connaître si
l’étranger que l’on rencontre est semblable à moi ; quête qui, chaque fois, débute
avec des préjugés négatifs. Ce constat de symétrie dans la crainte de l’altérité,
fait dire à Lévi-Strauss : […] c'est dans la mesure même où l'on prétend établir
une discrimination entre les cultures et les coutumes que l'on s'identifie le plus
complètement avec celles qu'on essaye de nier. En refusant l'humanité à ceux
qui apparaissent comme les plus “sauvages” ou “barbares” de ses représentants,
on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. » Et il conclut avec
ce célèbre: « Le barbare, c'estd'abord l'homme qui croit à la barbarie[28]. » Cet
aphorisme répond comme en écho à Montaigne qui ne disait pas autre chose
dans les Essais (1595) : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son
usage ».
Dans ce même chapitre, l’auteur avance une autre idée qui va courir sur
l’ensemble de son œuvre : le combat contre ce qu’il appelle le faux
évolutionnisme, qui est la transposition de l’évolutionnisme biologique, soit le
darwinisme, au monde culturel, ce qu’il appelle l’évolutionnisme sociologique.
Pour Lévi-Strauss, le faux évolutionnisme est dangereux, car c’est « une
tentative pour supprimer la diversité des cultures tout en feignant de la
reconnaître pleinement. Car, si l'on traite les différents états où se trouvent les
sociétés humaines, tant anciennes que lointaines, comme des stades ou des
étapes d'un développement unique qui, partant du même point, doit les faire
converger vers le même but, on voit bien que la diversité n'est plus qu'apparente.
L'humanité devient une et unique à elle-même ; seulement, cette unité et cette
identité ne peuvent se réaliser que progressivement et la variété des cultures
illustre le moment d'un processus qui dissimule une réalité plus profonde ou en
retard de la manifestation[29]. » Que veut dire par là Claude Lévi-Strauss ? Il
s’attaque à ce que l’on a déjà décrit précédemment, le racisme à l’envers, soit
l’ethnocentrisme. Si l’on considère que la mesure du progrès d’un groupe humain
s’effectue par rapport à l’étalon de référenceoccidentale, on va relégitimer le
racisme puisque, en prenant nos standards comme point d’ancrage, on va
forcément conclure à la supériorité des « Blancs ». Autrement dit, comme le
souligne Jean-Baptiste Scherrer, il s’agit d’« Un racisme qui ne conclut pas
ouvertement de la différence des races à la différence d'aptitudes intellectuelles,
mais qui passe subrepticement de la différence de développement des cultures à
sa correspondance technique raciale.[30] » Pour le dire sans nuance, si je
renonce à croire que les hommes noirs ou jaunes ont moins d’aptitudes
intellectuelles ou morales – c’est-à-dire qu’ils en ont autant – que moi, je crois
cependant que, au vu du développement de l’Occident, les « blancs » sont
supérieurs aux autres peuples. Donc, on bascule du racisme classique à
l’ethnocentrisme.
E. L'idée de progrès
L’auteur s’intéresse aux cultures qui ont précédé historiquement notre culture. Il
démontre que la croyance très répandue dans le fait que chaque innovation
nouvelle apportait une amélioration par rapport au développement existant – âge
de la pierre taillée, âge de la pierre polie, âge du cuivre, du bronze, du fer – est
imprécise et quelque peu naïve. De nombreuses évolutions se sont déroulées
non de façon linéaire, mais ont coexisté, aussi, il n’y a pas vraiment eu
d’évolution partant d’un point zéro et allant vers un infini, mais un progrès plus
contrasté, plus complexe. Le propos de Lévi-Strauss n’est pas de « nier la réalité
d'un progrès de l'humanité, mais nous invite à concevoir plus de prudence. » Il
s’agit plutôt de reconsidérer notre perception sur le progrès, ainsi, « Le
développement des connaissances historiques et archéologiques tend à étaler
dans l'espace des formes de civilisation que nous étions portés à imaginer
comme échelonner dans le temps[35]. » En résumé, pour l’ethnologue, « le
progrès (si ce terme convient encore pour désigner une réalité très différente de
celle à laquelle on l'avait d'abord appliqué) n'est ni nécessaire, ni continu ; il
procède par sauts, par bonds, ou, comme diraient les biologistes, par
mutations[36]. »
F. Histoire stationnaire et histoire cumulative
H. Hasard et civilisation
Enfin, Claude-Lévi-Strauss conclut sur cette idée avec force : « Il n’y a donc pas
de société cumulative en soi et par soi. L'histoire cumulative n'est pas la
propriété de certaines races ou de certaines cultures qui se distingueraient ainsi
des autres. Elle résulte de leur conduite plutôt que de leur nature. Elle exprime
certaines modalités d'existence des cultures qui n'est autre que leur manière
d'être ensemble [47]. »
Le chapitre 10