Cameras Inteligente
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REVUE LAMY
l’immatériel
L’originalité en droit d’auteur
Panorama de jurisprudences
(mai 2021-mai 2022)
Par Cécile GUYOT et Manon TUAL
– 2023 : une année clé pour le projet d’euro numérique
Par Lionel COSTES
– Louboutin /Amazon : semelle rouge et carton rouge pour Amazon
Par Floriane CODEVELLE et Chloé CHIRCOP
– Liberté d’expression et atteinte à la présomption d’innocence
Par Emmanuel DERIEUX
– CEDH et droit de réponse
Par Emmanuel DERIEUX
– Caméras « intelligentes » : sécuriser leur conformité au RGPD
Par Louise FAUVEL, Sophie REVOL et Marie-Eugénie HURNIC
– La résilience informatique des institutions financières et de leurs prestataires
Par Eric LE QUELLENEC
– Un monde sans foi, ni loi ?
Analyse des conditions générales d’utilisation du métavers « Decentraland » (Partie II)
Par Erika DEWALD, Joanna POMIAN et Johanne SANTI
200 MENSUEL
FÉVRIER 2023
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Éditorial
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Lionel COSTES
Docteur en droit
Rédacteur en chef
Directeur de la collection
Lamy Droit de l’immatériel
D
eux éléments sont venus, le 16 janvier dernier, mettre un sactions. A cette occasion, elle s’est essentiellement fondée sur
coup d’accélérateur au projet d’euro numérique fortement une revue des technologies existantes et sur le droit européen des
inspiré des technologies innovantes et révolutionnaires de paiements en vigueur et a retenu une approche qui conduirait à
Bitcoin (BTC) et des cryptomonnaies. ce que les transactions aient lieu en ligne, soient répertoriées sur
un compte, soient intégralement traçables et validées par un in-
C’est d’abord la Banque centrale européenne (BCE) qui a publié
termédiaire.
un « état des lieux » de son étude pour émettre un euro numérique
avec une feuille de route dévoilant les prochaines étapes de cette Les caractéristiques du modèle ainsi envisagé ne correspondent
nouvelle version numérisée de la monnaie unique européenne. pas aux premières recommandations faites par les autorités de
protection des données.
Elle a ainsi lancé une étude de marché sur la « conception technique
des éventuels composants et services » d’un euro numérique. En réaction, le Comité européeen de protection des données
(CEPD a publié en octobre dernier une déclaration invitant la BCE
C’est ensuite l’Eurogroupe - réunissant les ministres des Finances de
à revoir son approche sur les trois points prinicipaux suivants.
la zone euro - qui a donné son feu vert pour continuer l’étude et la
construction de l’euro numérique. Dans cette déclaration commune, La possibilité d’utiliser l’euro numérique via un portefeuille électro-
les ministres font, eux aussi, le point sur l’avancement du projet. nique hors ligne, sans connexion internet, pour proposer notam-
ment des paiements de pair à pair, doit être proposée de manière
Il explique ainsi « réaffirmer son soutien aux efforts » aux travaux
prioritaire lors de la création de l’euro numérique et non dans un
préparatoires à « l'émission potentielle » d’un e-euro basé sur la
second temps.
technologie des registres distribuées (DLT) : « ( ) un euro numérique
pourrait jouer un rôle clé dans une économie de plus en plus nu- Afin d’éviter un traçage généralisé des transactions, un seuil de
mérisée, en renforçant l'autonomie stratégique ouverte de l'Union confidentialité doit être prévu, tant pour les usages hors ligne que
européenne ( ) en favorisant l'innovation dans le secteur financier, pour les usages en ligne. Au-dessous de ce seuil, les données de
et en procurant des avantages aux citoyens, aux entreprises et aux transaction resteraient sur le terminal de l’utilisateur et ne feraient
États membres, tout en préservant le rôle de la monnaie de banque l’objet d’aucun traçage par l’Eurosystème ou les intermédiaires ;
centrale comme point d'ancrage de notre système monétaire ».
Afin de prévoir un bon équilibre entre la protection de la vie privée
2023 sera par conséquent une année clé pour le projet d’euro nu- et des données et la lutte contre le blanchiment d’argent et le fi-
mérique. L’objectif est d’aboutir à une proposition législative de la nancement du terrorisme (LCB-FT), un régime juridique spécifique
Commission européenne dès cet été à l’issue de la phase d’investi- à l’euro numérique doit être introduit en droit européen.
gation de la BCE. Il reste donc six mois pour concevoir dès l’origine
Outre le risque de traçage généralisé déjà mentionné, le projet
un euro numérique qui soit respectueux de la vie privée.
comporte également un plafonnement des euros numériques
Au-delà, les autorités européennes de protection des données détenus par Européen. Ce point soulève des risques de suriden-
considèrent que le respect de la confidentialité des transactions est tification des personnes et pourrait conduire à une vérification
une des conditions du succès du futur euro numérique. Afin que ce constante des soldes détenus.
nouveau moyen de paiement, dans le cadre d’un écosystème des
Un euro numérique ne respectant pas les principes de nécessité
paiements européen déjà très performant et concurrentiel, trouve
et de proportionnalité de la collecte et du traitement des données
son public, il devra faire preuve d’une valeur ajoutée supplémentaire
ne serait conforme ni au règlement général sur la protection des
en termes de confidentialité et de protection des données.
données (RGPD), ni aux articles 7 et 8 de la Charte européenne des
Dans le cadre de la phase d’investigation, la BCE a arrêté, en droits fondamentaux qui concernent respectivement le respect de
septembre 2022, des premiers choix en matière d’architecture de la vie privée et familiale et la protection des données personnelles.
l’euro numérique en ce qui concerne la confidentialité des tran- A suivre… n
ACTUALITÉS
ÉCLAIRAGE
Louboutin /Amazon : semelle rouge et carton rouge pour Amazon ......................................................... 8
Par Floriane CODEVELLE et Chloé CHIRCOP
ÉCLAIRAGES
Liberté d’expression et atteinte à la présomption d’innocence ................................................................ 19
Par Emmanuel DERIEUX
CEDH et droit de réponse.......................................................................................................................... 23
Par Emmanuel DERIEUX
PERSPECTIVES
ANALYSES
Caméras « intelligentes » : sécuriser leur conformité au RGPD ................................................................ 35
Par Louise FAUVEL, Sophie REVOL et Marie-Eugénie HURNIC
La résilience informatique des institutions financières et de leurs prestataires ........................................ 40
Par Eric LE QUELLENEC
CONSEIL SCIENTIFIQUE
Président d’honneur Joëlle FARCHY Alice PÉZARD
Jean FOYER (†) Professeur à l’Université Paris I - Panthéon-Sorbonne Conseiller à la Cour de cassation
Ancien ministre Christiane FÉRAL-SCHUHL Lucien RAPP
Président Ancien Batônnier de Paris Professeur à l’Université de Toulouse
Michel VIVANT Jean FRAYSSINET Avocat au Barreau de Paris
Professeur émérite à l’Ecole de Droit de Sciences Po Professeur à l’Université Paul Cézanne - Aix-Marseille Thierry REVET
Tristan AZZI Christophe GEIGER Professeur à l’Université Paris I
Professeur à l'Université Professeur au Centre d'Etudes Internationales de la Panthéon-Sorbonne
Paris I Panthéon-Sorbonne Propriété Intellectuelle Michel TROMMETTER
Valérie-Laure BENABOU Alain GIRARDET Chercheur à l’UMR/GAEL de Grenoble
Professeur à l’Université de Versailles Conseiller à la Cour de cassation Gilles VERCKEN
Saint-Quentin Luc GRYNBAUM Avocat au Barreau de Paris
Adrien BOUVEL Professeur à l’Université René Descartes - Paris V Pierre VÉRON
Maître de conférences à l'Université de Strasbourg Charles de HASS Avocat au Barreau de Paris
Guy CANIVET Avocat au Barreau de Paris Patrice VIDON
Membre du Conseil constitutionnel Marie-Françoise MARAIS Conseil en propriété industrielle
Lionel COSTES Conseiller à la Cour de cassation Bertrand WARUSFEL
Directeur de la Collection Yann PADOVA Professeur à l’Université Paris 8
Christian DERAMBURE Ancien secrétaire général de la CNIL - Commissaire Avocat (FWPA)
Conseil en propriété industrielle à la Commission de la Régulation de l'Energie
Directrice générale : Palmira Andrade Certification : imprimé sur papier FSC Cette revue peut être
Directrice des éditions : Sylvie Duras Eutrophisation : Ptot 0.08 kg/tonne référencée de la manière suivante :
Directeur scientifique : Michel Vivant Pour contacter le service client : RLDI 2022/200, n° 4626
Rédacteur en chef : Lionel Costes (année/N° de la revue, n° du commentaire)
Dépôt légal : à parution
Éditeur : Lamy Liaisons, SAS ayant son siège Prix au numéro : 79,45 € TTC courriel : contact@wkf.fr
social 7, rue Emmy Noether - 93400 Saint-Ouen N°ISSN (version en ligne) : 2257-297X Internet : www.liaisons-sociales.fr
Représentant légal : Karnov HoldCo France N°ISSN (version imprimée) : 1772-6646 www.lamyline.fr - www.lamy-liaisons.fr
Associé unique : Karnov HoldCo France Périodicité : mensuel
Directeur de la publication : M. Pontus N°CPPAP : 0227 T 86065 Toute reproduction ou représentation
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Actualités | Index
INDEX THÉMATIQUE DES SOURCES COMMENTÉES
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Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit de L’Immatériel Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit de L’Immatériel
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A
fin de lutter contre l'inadéquation de l'offre et la demande, la la Grande École du Numérique (GEN) met
en place un observatoire GEN_SCAN qui a pour vocation, à terme, de permettre aux acteurs de l'écosystème
de la formation de mieux répondre aux besoins des entreprises et de faciliter l'orientation du grand public
vers les métiers d'avenir.
Elle rappelle qu’en décembre 2022, l'OCDE et Randstad, ont diffusé les résultats d'une étude basée sur l'analyse
de 417 millions d'offres d'emploi, dans les métiers du numérique, publiées au cours des 10 dernières années, dans
10 pays en ligne – Allemagne, Belgique, Canada, Espagne, États-Unis, France, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni et
Singapour – : en France le nombre d'offre a augmenté de 66% en 4 ans. Les offres d'emploi des entreprises dans
le secteur du numérique ne cessent de croitre et l'offre de formation n'est pas toujours en adéquation avec les
besoins des entreprises.
Il est donc difficile, dans ce secteur qui évolue si vite, d'avoir la connaissance, le recul et l'agilité requis pour créer
des cursus de formation aux métiers du numérique qui anticipent ces besoins.
Dans ce premier rapport, la GEN se focalise sur les besoins en compétences numériques des entreprises en
analysant les caractéristiques des offres d'emploi publiées au 1er janvier 2023. Elle également fait appel à plusieurs
experts des secteurs emploi/formation/numérique. Leurs éclairages permettent de compléter nos analyses et de
dresser un portait fidèle des besoins des entreprises en ce début d'année 2023.
Ainsi, et plus précisément, parmi les métiers regroupés en six familles par la GEN, ce sont les postes de pilotage
et de gestion qui sont le plus en tension. Ces métiers représentent un quart des offres d’emploi publiées, à
équivalence avec la famille de métiers « sécurité, réseau, cloud et télécoms ».
C’est le poste de chef de projet digital qui est le plus recherché, un poste de chef d’orchestre faisant la jonction
entre le marketing, la technique et la production. Or, la GEN déplore un nombre de formations relativement réduit
dans ce secteur.
Dans la deuxième famille « sécurité, réseau, cloud et télécoms », les besoins ont augmenté durant la crise sanitaire,
notamment au niveau bac+2 (techniciens). Les besoins en maintenance des réseaux ont en effet doublé entre 2019
et 2022 selon l'Observatoire des métiers de l'IMT-Institut Mines-Télécom.
Si c’est dans ce secteur que la GEN dénombre le plus de formations, elles ne sont pas vraiment adaptées aux
besoins des entreprises en matière de cloud et de cybersécurité. Ce sont pourtant les métiers de la cybersécurité
qui devraient connaître la plus forte croissance dans les années à venir.
Les compétences – et plus spécifiquement la double compétence technique et télécoms - font également défaut
dans un autre secteur porteur, la 5G, où l’OPIIEC (Observatoire des métiers du numérique, de l'ingénierie, du
conseil et de l'évènement) attend 100 000 créations d’emplois d’ici 2027.
Dans la famille de métiers « développement, test et Ops », la 3e qui concentre le plus de besoins, il existe un
décalage entre le nombre élevé de formations disponibles et les recherches des entreprises, qui veulent dénicher
des développeurs « full stack » (back end et front) alors que ces formations sont en train de disparaître selon des
experts interrogés par la GEN. Le nombre de langages à maîtriser devient trop important, d’où le déséquilibre
entre l’offre et la demande.
Vient ensuite la famille de métiers dans la data, l’IA et l’IoT, qui connaît la plus forte croissance du nombre
d’offres d’emploi publiées sur la fin 2022 début 2023. L’observatoire souligne que le data analyst est le nouveau
« développeur junior », et que c’est dans l’IoT et la robotique qu’il faudrait créer le plus de formations. A le suivre,
« L’IoT va être très porteur grâce à la 5G et la greentech, avec des métiers protéiformes ».
Pour construire la partie « formations » de son observatoire, la GEN s’est basée sur les formations initiales
répertoriées par l’Onisep, les formations continues de la base de données CARIF-OREF, et les formations éligibles
à Mon Compte Formation.
Lionel COSTES
ÎRLDI 4626
D
ans un arrêt du 22 décembre 2022, la Cour de justice de I. RAPPEL DES FAITS LITIGIEUX
l’Union européenne ouvre la voie à une responsabilité di-
recte des plateformes en ligne pour la publicité et la vente Christian Louboutin est un créateur français, célèbre pour ses
des produits contrefaits. chaussures à semelles rouge, protégées par des marques enregis-
trées notamment au Benelux et dans l’Union européenne.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour de Justice apprécie la no-
tion d’usage de marque, telle que prévue par l’article 9 paragraphe Amazon est une plateforme de vente en ligne « hybride », propo-
2 sous a) du Règlement 2017/1001(1) sur la marque de l’Union euro- sant des biens et des services variés, tant pour son propre compte
péenne, en se référant à la perception de l’utilisateur normalement que pour le compte de vendeurs tiers.
informé et raisonnablement attentif du site. Amazon, qui bénéficie d’une grande renommée pour ses services
Si la perception de l’utilisateur est prise en compte pour évaluer de distribution, offre également des services complémentaires
l’existence d’un risque de confusion, c’est la première fois que d’assistance à ses clients, notamment pour l’élaboration de la pu-
cette notion est utilisée pour déterminer si le prétendu contrefac- blicité et la fixation des prix, ainsi que des services de stockage
teur effectue lui-même ou non l’usage critiqué. et d’expédition des produits vendus par ses clients, les vendeurs
tiers.
Cet arrêt, qui prend le contre-pied des conclusions de l’Avocat
Général(2) – sauf en ce qu’il intègre la notion de la perception de Constatant qu’Amazon diffusait sur sa plateforme de vente en
l’utilisateur dans l’analyse de l’usage – est une victoire pour les ti- ligne, des annonces de tiers commercialisant des produits repro-
tulaires de marques. duisant ses marques sans son autorisation, Christian Louboutin a
intenté une action en contrefaçon contre Amazon, devant les juri-
Son impact risque toutefois d’être limité compte tenu du caractère dictions luxembourgeoises et belges.
très subjectif de la notion de « perception de l’utilisateur ».
Aux termes de ses conclusions, Christian Louboutin reproche à
Amazon d’avoir joué un rôle actif dans l’usage non-autorisé des
marques litigieuses et d’avoir intégré au sein de sa propre commu-
nication commerciale les annonces des produits litigieux notam-
(1) Article 9, paragraphe 2, a) du Règlement de la marque de l’Union ment :
européenne « Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la
date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union euro-
i) en présentant les annonces de manière uniforme sur son site,
péenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habi- sans distinction quant à leur origine (produits Amazon ou de
lité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire vendeurs tiers) et revêtues du logo Amazon,
usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services
lorsque: a) ce signe est identique à la marque de l’Union européenne ii) en présentant les produits sous forme de boutiques et de la-
et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour bels, sans distinguer de manière apparente l’origine des pro-
lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée; [...] » duits, et
(2) Conclusions de l’Avocat Général M. MACIEJ SZPUNAR présentées le
2 juin 2022 accessibles sur Curia ; F. Codevelle et C. Chircop, Loubou- iii) en fournissant aux vendeurs tiers des services d’assistance à
tin/Amazon : usage de marque et responsabilité directe des intermé- l’élaboration des publicités, à la fixation des prix, au stockage
diaires de l’internet, RLDI 2022/197, n°4564. et à l’expédition des produits litigieux.
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Les sociétés Amazon sont ainsi poursuivies sur le fondement de III. LA SOLUTION ADOPTÉE PAR LA COUR DE JUSTICE
leur responsabilité directe, et non pas en leur qualité d’héber-
geur dont le régime de responsabilité est prévu par la Directive A.- La prise en compte de la perception du public pour
2000/31/CE. La responsabilité des vendeurs tiers n’est pas non établir l’usage des exploitants de sites Internet
plus invoquée La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 9, paragraphe 2 du Rè-
En défense, Amazon conteste tout contrôle sur les « usages » ef- glement n°2017/1001, l’enregistrement d’une marque de l’Union
fectués par ses clients, les vendeurs tiers, et oppose, pour s’exoné- européenne confère à son titulaire le droit d’interdire à tout tiers
rer de toute responsabilité directe, sa qualité de place de marché de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique à cette
et donc d’intermédiaire indirect des ventes. marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour
lesquels celle-ci est enregistrée.
Amazon s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de justice(3) en
matière de places de marché, aux termes de laquelle ces intermé- C’est donc la notion de « faire usage » qui détermine les actes de
diaires ne font que créer les conditions techniques pour un usage contrefaçon, laquelle n’est pas définie par les textes européens.
et sont rémunérés pour cela sans que ces circonstances et la four- Cette notion a ainsi donné lieu à un important contentieux per-
niture de ces services n’impliquent un « usage » de leur part. mettant à la Cour de justice d’en délimiter les contours au gré des
C’est dans ces circonstances que les Tribunaux luxembourgeois affaires qui sont portées devant elles, et ce, tout particulièrement
et belges ont respectivement sursis à statuer et transmis plusieurs s’agissant des « usages » effectués par les exploitants de sites In-
questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. ternet et places de marché(5).
Il est néanmoins admis de manière constante par la Cour de justice
II. LES QUESTIONS PRÉJUDICIELLES que :
La Cour de Justice résume en substance les questions préjudi- - l’article 9, paragraphe 3 du Règlement n°2017/1001 donne des
cielles des juridictions de renvoi en 3 problématiques(4) : exemples, non-exhaustifs, de types d’usage que le titulaire de
1) « l'article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001 droit peut interdire(6) ;
doit[-il] être interprété en ce sens que l'exploitant d'un site In- - ces types d’usages impliquent tous un comportement actif et une
ternet de vente en ligne intégrant, outre les propres offres à la maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage(7) ;
vente de celui-ci, une place de marché en ligne est susceptible
d'être considéré comme faisant lui-même usage d'un signe - l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque du titu-
identique à une marque de l'Union européenne d'autrui pour laire par un tiers intermédiaire implique que ce dernier fasse
des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est un usage du signe dans sa « propre communication commer-
enregistrée, lorsque des vendeurs tiers proposent à la vente, ciale ».
sur cette place de marché, sans le consentement du titulaire Ainsi, la Cour a déjà jugé, s’agissant de l’exploitant d’une place de
de ladite marque, de tels produits revêtus de ce signe » ? marché en ligne, que l’usage des signes identiques ou similaires à
2) les circonstances ci-après sont-elles pertinentes dans l’analyse des marques, dans des offres à la vente affichées sur cette place
de l’usage fait par l’exploitant d’un site Internet : i) l’exploitant de marché, est fait uniquement par les clients vendeurs de cet ex-
recourt à un mode de présentation uniforme des offres publiées ploitant et non pas par celui-ci, dès lors que ce dernier n’utilise pas
sur son site Internet, affichant en même temps les annonces re- ce signe dans le cadre de sa propre communication commerciale(8).
latives aux produits qu’il vend en son nom et pour son propre Si la notion de communication commerciale propre n’est pas da-
compte et celles relatives à des produits proposés par des ven- vantage définie par les textes européens, la Cour précise dans
deurs tiers sur ladite place de marché, ii) il fait apparaître son l’arrêt du 22 décembre 2022 « que celle-ci désigne généralement
propre logo de distributeur renommé sur l’ensemble de ces an- toute forme de communication destinée aux tiers, visant à pro-
nonces et iii) il offre aux vendeurs tiers, dans le cadre de la com-
mercialisation de leurs produits, des services complémentaires
consistant à leur fournir un soutien dans la présentation de leurs
annonces, ainsi qu’au stockage et à l’expédition des produits (5) CJUE, 23 mars 2010, aff. jointes C-236/08, C-237/08 et C-238/08, Goo-
proposés sur la même place de marché ? gle France et Google ; CJUE, 12 juill. 2011, aff. C-324/09, L'Oréal c/
3) la perception des utilisateurs du site Internet en question doit- Ebay ; CJUE, 2 avril 2020, aff. C567/18, Coty Germany c/ Amazon.
elle être prise en considération, le cas échéant ? (6) Article 9, paragraphe 3 du Règlement 2017/1001 : « Il peut notamment
être interdit, en vertu du paragraphe 2 : [...] b) d'offrir les produits, de
les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou
d'offrir ou de fournir des services sous le signe ; [...] e) d'utiliser le signe
(3) CJUE, 23 mars 2010, aff. jtes. C-236/08, C-237/08 et C-238/08, Google dans les papiers d'affaires et la publicité ; f) de faire usage du signe
France et Google Inc. contre Louis Vuitton Malletier SA (C-236/08), Goo- dans des publicités comparatives d'une manière contraire à la directive
gle France SARL contre Viaticum SA et Luteciel SARL (C-237/08) et Google 2006/114/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre
France SARL contre Centre national de recherche en relations humaines 2006, en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative »
(CNRRH) SARL et autres (C-238/08) ; CJUE, 12 juill. 2011, aff. C-324/09, (7) CJUE, 2 avr. 2020, aff. C567/18, Coty Germany c/ Amazon.
L'Oréal c/ Ebay ; CJUE, 15 déc. 2001, Frisdranken Industries Winters, (8) Ce principe découle de l’arrêt l’Oréal C-324/09, points 102 et 103
C-119/10; CJUE, 2 avr. 2020, aff. C567/18, Coty Germany c/ Amazon. pour les places de marché et réitéré dans CJUE, 2 avr. 2020, aff.
(4) CJUE, 22 déc. 2022, Louboutin c. Amazon, C-148/21 et C-184/21, §23. C567/18, Coty Germany c/ Amazon, points 40.
mouvoir son activité, ses biens ou ses services, où à indiquer l'exer- A cet égard, il convient de rappeler, par exemple, que la Cour s’est
cice d'une telle activité » (§39). prononcée, dans l’affaire opposant Coty Germany à Amazon, por-
tant sur le stockage de produits contrefaisants par Amazon, et en
Surtout, la Cour ajoute que l’« utilisation d’un signe dans la propre
a conclu qu’il n’y avait pas d’usage de la part d’Amazon du fait de
communication commerciale d’une telle entreprise suppose ainsi
l’entreposage de ces produits litigieux à des fins d’expédition, dès
que ce signe apparaisse, aux yeux des tiers, comme faisant partie
lors qu’Amazon n’avait pas offert elle-même les produits concer-
intégrante de celle-ci et, partant, comme relevant de l'activité de
nés à la vente ni ne les avait mis dans le commerce et qu’Amazon
cette entreprise » (§39).
n’avait pas non plus l’intention de le faire(9).
La communication commerciale de l’exploitant est donc appréciée
de manière subjective – qu’elle est la perception des tiers ? – et IV. CONCLUSION
non objective – cette communication est-elle destinée à promou-
voir l’activité, les biens ou les services de l’exploitant ? La décision rendue par la Cour dans cette affaire opposant Ama-
zon à Louboutin doit être saluée dans la mesure où elle conclut
La Cour en conclut que, si un utilisateur normalement informé et pour la première fois à la possibilité, pour un exploitant de place
raisonnablement attentif établit un lien entre le signe contrefaisant de marché, de voir sa responsabilité directement engagée.
et les services de l’exploitant d’un site de vente en ligne intégrant
ses propres services et une place de marché, en raison de la com- Elle s’inscrit dans la tendance actuelle de régulation des plate-
munication de ce dernier, alors il y a un usage au sens de l’article 9 formes en ligne, notamment avec l’adoption des règlements « Di-
du Règlement n°2017/1001. gital Services Act » et « Digital Market Act ».
La prise en compte de la perception de l’utilisateur dans la notion
B.- Les circonstances à prendre en considération d’usage de marque pourra toutefois en limiter la portée.
Dans l’arrêt du 22 décembre 2022, la Cour de justice donne une Cette notion, si subjective, risque en effet, d’une part de donner
importance capitale à la perception de l’utilisateur quant à l’usage lieu à un important contentieux, variable d’un état à l’autre, mais
fait par l’exploitant du site dont la responsabilité est mise en cause. aussi au sein même des juridictions d’un état.
Compte tenu du caractère subjectif de la notion, les juges rap- D’autre part, à suivre le raisonnement de la Cour, il suffira aux ex-
pellent qu’il appartiendra aux juridictions nationales d’apprécier ploitants de sites Internet d’adapter la présentation des annonces
au cas par cas l’usage effectué ou non par l’exploitant du site Inter- en apposant, par exemple, la mention « liens/annonces vendeurs
net, au sens de l’article 9 du Règlement 2017/1001. tiers » pour s’assurer que l’internaute n’établira pas de lien entre
les services de l’exploitant et le signe critiqué… et ainsi de conti-
La Cour donne toutefois une liste de circonstances dont les juges
nuer d’offrir à la vente et de présenter sur leur site des produits
pourront tenir compte dans leur analyse du lien établi par l’inter-
contrefaisants qu’ils stockeront et livreront, en en tirant – grand
naute entre l’exploitant de la place de marché et les produits liti-
– profit.
gieux et notamment :
Nous pouvons donc nous poser la question de savoir si la notion
- le mode de présentation uniforme des offres publiées sur le
de perception du public a réellement un rôle à jouer dans l’appré-
site de l’exploitant du site Internet ;
ciation de l’usage fait d’un signe par l’exploitant d’un site Internet.
- la concomitance des annonces relatives aux produits de l’ex-
Enfin, compte tenu des circonstances retenues par la Cour pour
ploitant avec celles des vendeurs tiers ;
déterminer si l’exploitant fait un usage illicite de la marque d’au-
- la présence du logo de l’exploitant sur l’ensemble des an- trui, il semble que l’arrêt du 22 décembre 2022 ne pourra en réalité
nonces des vendeurs tiers ; s’appliquer qu’aux plateformes hybrides.
- l’offre de services complémentaires tels le stockage et l’expé- Ainsi, si cet arrêt est un carton rouge pour les plateformes, le match
dition des produits critiqués. avec les titulaires de marques est loin d’être terminé.
Si cette liste ne saurait être exhaustive, une seule de ces circons- Les prochaines décisions, à commencer par celles des juridictions
tances ne sera de toute évidence pas suffisante pour en conclure de renvoi dans la présente affaire, confirmeront ou non la tendance
que l’utilisateur de la plateforme établira un lien entre les biens et vers une responsabilisation des exploitants de sites Internet et
services de cette dernière et les produits litigieux. plateformes en ligne. n
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DROIT DES CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
Par Lionel COSTES
Docteur en droit
Rédacteur en chef
PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE Pour estimer que la Société du Figaro a commis des actes de
contrefaçon et la condamner à payer certaines sommes au de-
mandeur à titre de dommages-intérêts, l’arrêt d’appel a retenu
RÈGLES GÉNÉRALES que l’argumentation de la société, si elle devait être suivie, abou-
tirait nécessairement à le déclarer irrecevable, faute de qualité à
ÎRLDI 4627 agir, dans ses demandes en réparation de ses préjudices patrimo-
niaux, prétendument cédés à l’agence (T)-Iliade et l’association
Action en contrefaçon de droit CDDS, et que le débat que les parties instaurent sur le bien fondé
d'auteur : dénaturation de l’objet du des demandes du plaignant au regard de la portée des cessions
de droits consenties à la société du Figaro touche en réalité à la
litige recevabilité de ses demandes de réparation et est, à ce titre, irre-
cevable comme n’entrant pas dans le champ de la saisine après
Pour les Hauts magisrats, les juges d’appel ont modifié la cassation partielle intervenue.
l’objet du litige.
Pour la Cour de cassation, « en statuant ainsi, alors que le moyen
Cass. civ. 1è, 18 janv. 2023, n° 21-17.049, FD de défense de la société du Figaro relatif à la portée des cessions
La Société du Figaro, qui édite le quotidien éponyme et les pé- de droits qui lui avaient été consenties par les agences de presse
riodiques « Le Figaro Magazine », « Madame Figaro » et « Fi- ne tendaient pas à voir déclarer les demandes (du requérant) ir-
garoscope », a mis en ligne sur son site internet www.lefigaro.fr, recevables mais à ce que celles-ci soient rejetées en ce qu’elles
dans une rubrique « archives », en accès payant, l’intégralité des étaient mal fondées, la cour d’appel, qui a modifié l’objet du li-
archives papier du quotidien et des périodiques, sous forme de tige, a violé le texte susvisé ». n
reproduction par voie de numérisation au format PDF des pages
entières de ces publications comprenant les articles illustrés de
photographies.
STATUTS PARTICULIERS : LOGICIELS
L’auteur de certaines de ces photographies, estimant qu’il n’avait
pas cédé ses droits pour un tel usage et qu’il était loisible aux in- ÎRLDI 4628
ternautes de télécharger ses oeuvres, sans mention de son nom,
a assigné la Société du Figaro en contrefaçon. Contrefaçon de logiciel et
La Société du Figaro faisait valoir que dès lors que les droits d’ex- annulation d’une assignation trop
ploitation des photographies litigieuses lui avaient été cédées
par l’agence (T)-Iliade et l’association CDDS, et non par l’auteur imprécise
des photographies lui-même, ces cessions étaient soumises aux
Le tribunal judiciaire de Nanterre a annulé une
conditions de validité de droit commun des conventions et non à
l’article L. 131-3 du code de propriété intellectuelle qui limite le assignation en contrefaçon de droit d’auteur de la
droit d’exploitation de l’oeuvre, de sorte qu’elle avait acquis le société Dassault Systems Solidworks pour n’avoir pas
droit d’exploiter les pages des journaux dans lesquelles étaient présenté et commenté le code source du logiciel en
insérées les photographies sous tous formats et que le requérant cause.
devait donc être débouté de l’intégralité de ses demandes.
TJ Nanterre, 1ère ch., ord. 14 déc. 2022, Dassault Systemes Solidworks
En réponse, il arguait de ce que l’agence (T)-Iliade et l’association Corp. / Emitech, Emitech France et M. X., Legalis
CDDS n’étant que des mandataires, c’était bien lui en sa qualité
La société Dassault Systemes Solidworks reprochait à la société
d’auteur qui avait cédé les droits d’exploitation à la Société du
Emitech de détenir des licences d’exploitation en nombre insuffi-
Figaro, de sorte que l’article L. 131-3 devait recevoir application,
sant de son logiciel de CAO « Solidworks ».
se plaçant donc lui aussi sur le terrain du bien-fondé de ses pré-
tentions. Avant tout débat au fond, cette dernière a cependant soulevé
une exception de nullité pour vice de forme.
L’arrêt d’appel est censuré au visa de l’article 4 du code de procé-
dure civile aux termes duquel « l’objet du litige est déterminé par En effet, un logiciel est protégé par le droit d’auteur à la seule
les prétentions respectives des parties ». condition d’être original. Il appartient donc à celui qui se prévaut
d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et qu’œuvre en vertu de la directive 2001/29/CE du Parlement eu-
d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue. ropéen et du Conseil, du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de
certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la
Pour respecter le principe de la contradiction figurant à l’article
société de l’information. Et, dans son arrêt du 2 mai 2012 SAS
16 du code de procédure civile, le défendeur doit connaître
Institute Inc. c. World Programming Ltd, elle a dit pour droit
précisément les caractéristiques qui fondent l’atteinte qui lui
que cette même disposition doit être interprété en ce sens que
est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l’absence
ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage
d’originalité.
de programmation et le format de fichiers de données utili-
Plus précisément, le Tribunal rappelle qu’ « en application de sés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter
l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur certaines de ses fonctions ne constituent une forme d’expres-
d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sion de ce programme et ne sont, à ce titre, pas protégés par
sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et op- le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur au sens de
posable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et cette directive.
moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Et, en appli- Ainsi, le logiciel, qui peut se définir comme une séquence d’ins-
cation de l’article L 112-1 du même code, ce droit appartient à tructions interprétables par un système d’exploitation en consi-
l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, dération du langage de programmation dans lequel est écrit
la forme d’expression, le mérite ou la destination, l’article L 112- son code source puis de sa retranscription en langage binaire
2 13° faisant figurer les logiciels et le matériel de conception (code objet), n’est protégé par le droit d’auteur que si la forme
préparatoire dans la liste des œuvres de l’esprit. de son expression est originale en ce sens qu’elle traduit un ef-
Dans ce cadre, si la protection d’une œuvre de l’esprit est ac- fort personnalisé du programmeur dépassant la simple mise en
quise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création œuvre d’une logique automatique et contraignante qui se ma-
d’une forme originale en ce sens qu’elle porte l’empreinte de térialise dans une structure individualisée. Seul le code source
la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise permet de connaître les choix précis du programmeur qui ont
d’un fonds commun non appropriable, il appartient à celui qui présidé à la mise en forme qui constitue le siège de l’originalité
se prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée d’un logiciel.
de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il al- A cet égard, s’il est exact que, au regard de la nature des faits
lègue. En effet, seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la imputés aux défendeurs à qui est reprochée l’utilisation du ou
carence, est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa des logiciels copiés servilement ou piratés, une comparaison
personnalité et qui justifient son monopole et le principe de la des codes sources ne sera sans doute pas utile, l’analyse de
contradiction posé par l’article 16 du code de procédure civile celui du logiciel Soldiworks est néanmoins indispensable pour
commande que le défendeur puisse connaître précisément les définir les éléments et les enchainements logiques qui, en son
caractéristiques qui fondent l’atteinte qui lui est imputée et sein, sont le siège de l’originalité alléguée : les modalités de la
apporter la preuve qui lui incombe de l’absence d’originalité. contrefaçon dénoncée n’enlèvent rien à la nécessité de présen-
A cet égard, si une combinaison d’éléments connus ou natu- ter et de commenter le code source ».
rels n’est pas a priori exclue de la protection du droit d’auteur, Ayant ainsi posé le cadre juridique applicable au présent
encore faut-il que la description qui en est faite soit suffisam- contentieux, il souligne qu’ « il n’est pas ici question d’impo-
ment précise pour limiter le monopole demandé à une combi- ser à la demanderesse la caractérisation prématurée de l’ori-
naison déterminée opposable à tous sans l’étendre à un genre ginalité de l’œuvre en débat (question relevant des pouvoirs
insusceptible d’appropriation. Et, les notions de nouveauté et juridictionnels du tribunal statuant sur la question préalable à
d’originalité sont distinctes, la seconde présupposant certes la fin de non-recevoir si l’exception était rejetée, la ligne de
objectivement la première mais y ajoutant une dimension sub- départage entre ces différents contrôles étant celle qui sépare
jective résidant dans l’incarnation formelle de choix exprimant l’existence de l’explicitation de sa suffisance et de sa perti-
une personnalité ». nence), mais, outre l’identification de l’œuvre opposée, la dé-
termination et la définition objective des éléments subjectifs
Il rappelle également qu’ « en matière de programmes d’or-
qui la caractérise pour permettre un débat contradictoire à
dinateur, qui sont compris dans la notion française de logiciel,
la fois pertinent et loyal lui interdisant d’ajuster l’assiette des
la CJUE a dit pour droit dans son arrêt du 22 décembre 2010
droits qu’elle revendique aux moyens opposés tant dans le
Bezpeènostní softwarová asociace – Svaz softwarové ochrany
cadre d’une fin de non-recevoir que dans celui d’une défense
c. Ministerstvo kultury que, au sens de l’article 1§2 de la di-
au fond : expliciter n’est pas prouver mais rendre clair et pré-
rective 91/250/CEE du Conseil du 14 mai 1991 concernant la
cis ; l’exigence d’explicitation touche à la détermination de
protection juridique des programmes d’ordinateur, l’interface
la demande et non à la preuve de sa recevabilité ou de son
utilisateur graphique, entendue comme une interface d’inte-
bien-fondé, l’originalité n’étant pas un fait juridique qui se
raction permettant une communication entre le programme
démontre, le cas échéant par présomption, mais une qualifi-
d’ordinateur et l’utilisateur, ne peut bénéficier de la protection
cation juridique qui s’apprécie.
par le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur en vertu
de la directive mais peut être protégée, si elle est une création Il incombe à la société Dassault Systemes Solidworks Corpo-
intellectuelle propre à son auteur, par le droit d’auteur en tant ration dès le stade de l’assignation, pour permettre ce débat
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contradictoire utile au sens des articles 9, 15 et 16 du code Elle prétendait que Deepgray Vision avait utilisé le code source
de procédure civile ou au tribunal de statuer immédiatement de son logiciel XLine à cette occasion et ainsi contrefait ses droits
en l’absence de constitution du défendeur conformément à d’auteur sur ce logiciel ainsi que ses marques XLine et SIAS.
l’article 472 du même code, d’identifier précisément la ou les
Deepgray Vision a été créée le 20 janvier 2012 par trois per-
œuvres opposées et de définir pour chacune d’elles les carac-
sonnes qui avaient été salariées de Clecim jusqu’au 9 septembre
téristiques originales qu’elle entend opposer et qui serviront
2011 et qui avaient travaillé sur ces logiciels. Clecim a obtenu
d’assiette aux droits d’auteur qu’elle revendique.
deux ordonnances en saisie-contrefaçon et a assigné son concur-
Or, l’assignation, en admettant qu’elle permette, grâce à son an- rent pour faire interdire la reproduction non autorisée la mise à
nexe 1, de déterminer clairement les versions du logiciel objet jour de son logiciel XLine et la reproduction non autorisée de
des droits d’auteur revendiqués, ne contient aucun développe- ses marques,
ment permettant d’identifier les caractéristiques dont l’origina-
Sur la contrefaçon, le tribunal considère que Clecim ne démon-
lité conditionne l’existence de ces droits, les brefs éléments de
trait pas être titulaire des droits d’auteur sur le logiciel à la date
présentation du logiciel en ses différentes versions se réduisant à
des faits litigieux, en raison notamment de l’apposition sur ce-
l’évocation de sa titularité.
lui-ci d’un copyright © désignant une autre société et ce « bien
Aussi, à défaut d’explicitation des caractéristiques originales des qu’il s’agisse d’une notion étrangère au droit français ».
œuvres en débat par la société Dassault Systemes Solidworks
En tout état de cause, il a conclu à l’absence de contrefaçon du
Corporation, son assignation, qui ne définit pas suffisamment son
logiciel. En effet, Clecim ne s’était pas réservée par contrat la
objet, est affectée d’un vice de forme qui cause aux défendeurs
maintenance corrective de son logiciel, le client était donc en
un grief évident tenant à l’impossibilité de se défendre utilement
droit de faire réaliser cette maintenance par Deepgray Vision.
faute de détermination préalable du périmètre et de l’assiette
des droits opposés ». De plus Clecim ne prouve pas que cette intervention impliquait
le recours aux codes sources du logiciel litigieux.
OBSERVATIONS
Par ailleurs, le tribunal a estimé que Deepgray Vision avait déve-
Le Tribunal rappelle ainsi la nécessité de la description de l’origi-
loppé sa propre solution logicielle d’inspection de surface dont
nalité d’un logiciel dès le stade de l’assignation.
l’originalité et le caractère innovant sont corroborés par l’expert
En d’autres terrmes il n’ ya pas de contrefaçon de logiciel, sans en informatique ayant assisté l’huissier pendant la saisie-contre-
la démonstration de l’originalité du code source, voire la produc- façon et par l’éligibilité de cette société au statut de jeune entre-
tion de ce dernier sous peine de nullité pour vice de forme de prise innovante et au crédit d’impôt recherche.
l’assignation.
Si Clecim échoue à prouver les faits de concurrence déloyale
Pour une analyse de cette décision nous renvoyons le lecteur au de Deepgray Vision, elle est en revanche condamnée à indem-
commentaire de Me Antoine Casanova (à paraître) qui rappelle- niser la défenderesse pour des actes de concurrence déloyale
ra plus globalement la difficulté d’une action en contrefaçon de par dénigrement par la présentation, comme acquis en justice, à
logiciel et la nécessité d’en préparer en amont chaque étape. n plusieurs clients communs, du principe d’une contrefaçon sur la
base de simples ordonnances de saisie-contrefaçon.
ÎRLDI 4629 Le tribunal conclut à l’intention de nuire de Clecim contre
Deepgray Vision et au détournement du but de l’action en jus-
Contrefaçon de logiciel et tice, faisant dégénérer en abus son droit d’agir.
condamnation pour procédure Enfin, il annule les marques SIAS pour défaut de distinctivité et
abusive estime que Deepgray Vision n’a pas contrefait les marques XLine
car l’usage qu’elle en a fait était nécessaire pour désigner le lo-
Pour le Tribunal judiciaire de Paris la société giciel en cause.
demanderesse ne démontre pas qu’elle est titulaire Et de condamner la société Clecim à verser 100 000 € de dom-
des droits d’auteur sur le logiciels en cause à la date mages-intérêts à la société Deepgray Vision indûment pour
des faits allégués de contrefaçon. Ses demandes concurrence déloyale, 20 000 € pour procédure abusive et 40 000
présentées sur ce fondement sont donc mal fondées. € au titre de l’article 700 du CPC.
TJ Paris, 3e ch., 2e sec., 25 nov. 2022, Sté. VAI Clecim c./ Sté Deepgray OBSERVATIONS
Vision, Legalis
Ainsi que le démontre ce jugement assigner en justice pour
La société Clecim accusait la société Deepgray Vision d’avoir contrefaçon de logiciel et concurrence déloyale un concurrent,
commis des faits de contrefaçon de son logiciel lors des opéra- sans pouvoir démontrer ses accusations et en communiquant sur
tions de maintenance qu’elle a réalisées en novembre 2014 chez ces affirmations alors qu’elles n’ont pas été confirmées par le tri-
un client. bunal, peut coûter cher pour celui qui introduit une telle action. n
La référence en matière
de droit du numérique
A_LDN_165x60_N_12_22 [PB] ©gettyimages
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En bref…
Par Lionel COSTES La transformation numérique jouent, ainsi que sur le temps et l’argent qui
leur est consacré.
à l’ordre du jour du Parlement
Les députés exigent des informations plus claires
Vers la généralisation de la carte européen en 2023
sur le contenu, les politiques d’achat et la tranche
Vitale numérique en France Les cryptomonnaies, l’IA, les semi-conduc- d’âge ciblée par les jeux, éventuellement sur le
Le gouvernement a publié le 28 décembre teurs et le partage des données seront discu- modèle du système PEGI (Pan European Game
dernier, le décret donnant le feu vert au dé- tés au Parlement européen en 2023. Information) déjà utilisé dans 38 pays.
ploiement de la carte Vitale numérique sur Les députés européens adopteront en janvier Ils souhaitent également que les mineurs
tout territoire. une position sur un cadre juridique pour l’in- soient spécifiquement protégés contre les in-
Il définit les caractéristiques des moyens telligence artificielle, qui vise à introduire une citations à effectuer des achats dans les jeux
d’identification électronique des assurés, des base réglementaire et juridique commune et contre la pratique consistant à obtenir des
professionnels de santé et des établissements, pour l’IA, conformément aux valeurs de l’UE. objets dans un jeu contre de l’argent réel, car
notamment les caractéristiques de la carte L’accent est mis sur les applications spéci- cette pratique peut être liée à la criminalité fi-
Vitale sous sa forme d’application sur un ter- fiques et les risques éventuels. nancière et aux violations des droits humains.
minal mobile et les caractéristiques du moyen Des règles sur les cryptomonnaies visant à En outre, les développeurs de jeux doivent
d’identification électronique mis à disposition protéger les consommateurs et à établir des éviter de concevoir des jeux qui alimentent
des professionnels, organismes ou établisse- garanties contre la manipulation du marché et l’addiction et doivent tenir compte de l’âge,
ments dispensant des actes ou prestations la criminalité financière sont à l’ordre du jour des droits et des vulnérabilités des enfants.
remboursables par l’assurance maladie. en février. Les députés travailleront également Les députés estiment que les développeurs
IL est pris en application des articles L. 161- sur la question du règlement sur les don- de jeux vidéo devraient également donner la
31 et L. 161-33 du code de la sécurité sociale nées. Ce dernier établit des règles communes priorité à la protection des données, à l’équi-
modifiés par l’ordonnance n° 2021-581 du 12 pour réglementer le partage des données lors libre entre les genres, à la sécurité des joueurs
mai 2021 relative à l’identification électronique de l’utilisation de produits connectés ou de et ne devraient pas discriminer les personnes
des utilisateurs de services numériques en santé services connexes. handicapées.
et des bénéficiaires de l’assurance maladie. L’objectif est de faciliter le passage d’un four- Ils soulignent que l’annulation des abonne-
Les feuilles de soins devraient également être nisseur de services de cloud computing et ments aux jeux doit être aussi facile que leur
fiabilisées par l’accès automatique au téléser- d’autres services de traitement des données à souscription.
vice de droits ADRi, minimisant ainsi le risque un autre. Elle met également en place des ga-
ranties contre le transfert international illégal Le Parlement reconnaît la valeur et le po-
d’erreurs et de rejets des factures.
de données par les fournisseurs de services de tentiel du secteur des jeux vidéo et souhaite
Un autre avantage mis en avant est la limita- soutenir son développement. À cette fin, les
tion du risque de contamination entre un mé- cloud computing.
députés proposent de créer un prix européen
decin et son patient, car plus besoin de mani- Dans le sillage de la pénurie mondiale de se- annuel du jeu vidéo en ligne et demandent à
puler une carte physique. mi-conducteurs causée par la pandémie, le la Commission de proposer une stratégie eu-
La carte Vitale dématérialisée sera disponible Parlement exposera sa position sur un paquet ropéenne du jeu vidéo qui aiderait ce secteur
à partir d’une application pour téléphone législatif. Il vise à garantir que l’UE dispose des créatif et culturel à exprimer tout son potentiel
portable, baptisée ApCV. Les professionnels compétences, des outils et des technologies (Parlement européen, 18 janv. 2023).
de santé pourront y accéder grâce à un qR essentiels pour devenir un leader dans le do-
code ou à l’aide d’un lecteur compatible NFC. maine des applications et des technologies
L’usage du premier est préconisé, car la tech- des semi-conducteurs. Création d’un service de
nologie NFC n’est pas disponible sur tous les L’objectif est de contribuer à la réalisation de l’intelligence artificielle à la CNIL
smartphones. la transition numérique et écologique ainsi La CNIL crée un service de l'intelligence artifi-
La carte numérique sera tout aussi protégée que d’aider à stimuler la production et à éviter cielle pour renforcer son expertise sur ces sys-
que sa version physique. Seules les données les perturbations de la chaîne d’approvision- tèmes et sa compréhension des risques pour
relatives aux noms, prénoms, genre, droits et nement (Europarl, 27 déc. 2022). la vie privée tout en préparant l'entrée en ap-
organisme obligatoire de rattachement y se- plication du règlement européen sur l'IA.
ront hébergées. Une double authentification Rapport du Parlement européen : Il réunira 5 personnes. Composé de juristes et
sera mise en place à chaque utilisation. d'ingénieurs spécialisés, ce service sera ratta-
« Protéger les joueurs et
La première connexion, en revanche, nécessi- ché à la direction des technologies et de l'in-
encourager la croissance du novation de la CNIL dont le directeur, Bertrand
tera un selfie de l’usager qui sera comparé à
la photographie de son justificatif d’identité. secteur des jeux vidéo » PAILHES, était précédemment coordonnateur
Ces données biométriques seront « détruites Le Parlement européen a demandé dans un national pour la stratégie d’intelligence artifi-
au terme d’un délai qui ne peut excéder 96 rapport adopté, le 18 janvier dernier, que les cielle au sein de la Direction interministérielle
heures à compter de l’activation de l’applica- joueurs soient mieux protégés contre l’ad- du numérique et du SI de l’Etat (DINSIC).
tion carte Vitale ». diction et autres pratiques manipulatrices en Il aura pour principales missions de faciliter au
Le décret laisse aux caisses nationales d’as- soulignant le potentiel de ce secteur innovant. sein de la CNIL la compréhension du fonction-
surance maladie jusqu’au 31 décembre 2025 Adopté avec 577 voix pour, 56 voix contre et nement des systèmes d'IA, mais aussi pour les
pour déployer cette nouvelle alternative à 15 abstentions, il demande l’harmonisation professionnels et les particuliers ; consolider
tous les usagers. Ce texte est en vigueur de- des règles afin de permettre aux parents son expertise dans la connaissance et la pré-
puis le 1er janvier 2023 (D. n° 2022-1719, 28 d’avoir une bonne vision d’ensemble et un vention des risques pour la vie privée liées à
déc. 2022, JO 30 déc.). contrôle des jeux auxquels leurs enfants la mise en œuvre de ces systèmes ; préparer
l'entrée en application du règlement euro- Rattaché au directeur général des entreprises centaines de plaintes relatives au design et
péen sur l'IA (en cours de discussion au niveau du ministère de l'économie et des finances, aux caractéristiques de bannières cookies.
européen) ; développer les relations avec les et en lien avec le secrétariat général pour l'in- En réaction, un groupe de travail rassemblant
acteurs de l'écosystème. vestissement, il s'appuiera sur l'ensemble des toutes les autorités de protection des données
Dans le cadre de ses missions, le SIA collabo- administrations concernées ainsi que sur les européennes volontaires a été créé pour ana-
rera étroitement avec la direction en charge centres et laboratoires de recherche dédiés lyser collectivement les différentes questions
de l'accompagnement juridique, pilotée à l'intelligence artificielle (Gouvernement , 26 soulevées par ces plaintes, quand bien même
janv. 2023). le mécanisme de coopération prévu par le
par Thomas DAUTIEU, notamment dans la
production de « droit souple » (référentiels, RGPD (mécanisme de « guichet unique ») n’a
recommandations...) et l'instruction des de- Rapport d’activité 2022 de la pas vocation à s’appliquer aux opérations de
mandes d'avis adressées par le gouverne- DGE : « Construire une économie lecture et/ou écriture d’informations dans le
ment. Cette direction pourra aussi solliciter le terminal des utilisateurs.
numérique souveraine et
SIA pour conseiller les acteurs publics ou pri- De fait, même si le dépôt de cookies et autres
vés sur des projets impliquant le recours à des compétitive » traceurs relève spécifiquement de la directive
systèmes d'IA d'une complexité particulière. La Direction générale des Entreprises (DGE) a ePrivacy (l’article 5(3) - transposé dans la loi In-
Plus généralement, en raison de sa composi- publié, le 18 janvier 2023, son rapport d'activi- formatique et Libertés à l’article 82), le CEPD
té 2022, concluant une année marquée par les a considéré que le nombre de plaintes et de
tion pluridisciplinaire et de sa nature transver-
bouleversements géopolitiques aux impacts pays concernés ainsi que l’importance du
sale, ce nouveau service a vocation à travailler
importants sur les entreprises et la nécessité sujet pour la protection de la vie privée des
avec toutes les directions de la CNIL.
d'accélérer les trois transitions majeures de internautes justifiaient une certaine coordi-
Le SIA apportera également un support dans notre économie : la planification écologique, nation à l’échelle européenne (CNIL, 18 janv.
l'instruction de plaintes et l'adoption de me- l'autonomie stratégique et la transition numé- 2023).
sures correctrices en cas de manquements liés rique.
à l'utilisation d'un système d'IA.
On retiendra plus spécialement que dans le Photographies dites « libres de
Il sera chargé de l'expertise technique de cadre de la PFUE, l'adoption des Digital Ser-
dossiers relatifs à l'intelligence artificielle vices Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) a
droit »
comportant des aspects spécifiques à cette permis de renforcer la régulation des grandes Une commune bretonne a commandé un re-
technologie. Il contribuera aux travaux du Co- plateformes face à la prolifération des conte- portage à un photographe. Il a précisé dans
mité européen de la protection des données nus illicites, haineux ou de désinformation et à son devis que « Les photographies sont libres
(CEPD) et conduira également des projets éviter les pratiques déloyales. de droits ».
d'expérimentation en lien avec le LINC. Parce que la souveraineté numérique passe Une des photographies a été utilisée par la
par le développement d'une offre souve- commune sur son site internet après reca-
France 2030 : Nomination du raine, la DGE a poursuivi en 2022 la mise en drage et sans citer le nom du photographe.
coordinateur national pour œuvre des stratégies d'accélération, dans les Selon la Cour, cette mention ne peut viser
secteurs du cloud, de la cybersécurité et de que l’absence de rémunération au titre de
l’intelligence artificielle l'intelligence artificielle. l’exploitation des photographies mais pas le
Sylvie Retailleau, ministre de l'Enseignement Elle a par ailleurs poursuivi ses actions pour droit moral de l’auteur. Elle indique à cette fin
supérieur et de la Recherche, et Jean-Noël aider les TPE/PME à se saisir des opportuni- que « la gratuité d’utilisation ne pouvait être
Barrot, ministre délégué chargé de la Transi- tés apportées par les outils numériques grâce confondue avec une utilisation modifiée sans
tion numérique et des Télécommunications, à France Num, qui a accompagné plus de autorisation et sans le nom de son auteur, le
avec Bruno Bonnell, secrétaire général pour 150 000 entreprises, à travers des dispositifs droit moral étant incessible ». Elle condamne
l'investissement, en charge de France 2030, comme les 30 000 diagnostics numériques la commune à verser 500 € à ce titre.
annoncent la nomination de M. Guillaume réalisés depuis 2020 ou les 112 000 chèques Elle rappelle ainsi très nettement que le ré-
Avrin au poste de coordinateur national pour France Num destinés à les aider dans leur gime du droit moral de l’auteur (droit de
l'intelligence artificielle. transformation numérique (MINEFI, 18 janv. paternité et droit au respect de l’œuvre no-
M. Avrin est ingénieur diplômé de Centrale- 2023). tamment) s’applique aux photographies dites
Supélec et des Arts et métiers, docteur en « libres de droit » et ce, sauf si l’auteur y a ex-
robotique et neurosciences et premier expert Adoption par le CEPD du rapport plicitement renoncé.
français qualifié par le Cofrac en IA. Il était Elle rejette en revanche la demande fondée
final de la « task force » dédiée
précédemment responsable du secteur intel- sur les droits patrimoniaux car « en insérant
ligence artificielle au Laboratoire national de aux bannières cookies (« cookie
la mention « libre de droits » à son devis
métrologie et d’essais où il a posé les bases et banner ») du 30 juin 2016 et dans la facture du 7 oc-
les principes méthodologiques de l’évaluation La CNIL et ses homologues européens ont tobre 2016, [le photographe] a clairement
des machines intelligentes. adopté, le 17 janvier 2023, le rapport synthéti- renoncé à toute rémunération pour l’exploita-
Il aura pour mission la coordination intermi- sant les conclusions du groupe de travail char- tion des clichés du reportage réalisé par ses
nistérielle de la stratégie nationale en intel- gé de coordonner les réponses aux questions soins ».
ligence artificielle. La stratégie s'intègre à sur les bannières cookies soulevées par les Si l’originalité des photographies est souvent
France 2030, plan d'investissement de l'Etat plaintes de l’association NOYB. rejetée elle est ici reconnue au motif suivant :
dans l'innovation, l'industrialisation et re- Ainsi qu’il est rappelé 18 autorités de pro- « L’originalité de ce cliché s’évince de ce que
cherche, et plus particulièrement du levier tection des données de l’Union européenne les couleurs brun-rougeâtres des voiles des
doté de 4 milliards d'euros pour maîtriser et de l’Espace économique européen (EEE), Cornish se détachant sur le bleu de la mer et
les technologies numériques souveraines et dont la CNIL, ont été saisies entre mai 2021 et du ciel attirent instantanément l’oeuil de l’ob-
sûres. août 2022 par l’association NOYB de plusieurs servateur à la fois par leur caractère inhabituel
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qui interpelle sur le type de bateau qui s’en bility through quality » pour des produits et distinctifs : « la marque visée à la demande
trouve équipé ‘ les Cornish n’étant pas de services en classes 7, 9, 16 et 42. n’est certainement pas comparable à d’autres
simples voiliers ordinaires ‘ mais aussi par leur Il relève notamment les points suivants : la exemples de flacons cités par la demande-
nombre et leur regroupement qui font s’inter- marque demandée est tout à fait compréhen- resse, tels les célèbres flacons en forme de
roger sur la raison de leur présence à cette sible et claire pour les consommateurs anglo- bustes féminin et masculin des parfums «
heure de la journée et de leur manoeuvre à phones des produits et services concernés et Classique » et « Le Male », jouant sur l’extra-
une distance assez proche de la plage » (CA ne présente aucune caractéristique inhabi- vagante inventivité et l’univers sulfureux du
Rennes, 17 janv. 2023). tuelle, fantaisiste, surprenante ou inattendue fameux créateur de mode Jean-Paul Gaultier
qui la rendrait aisément mémorisable par les (Annexe 4), d’une apparence révolutionnaire
consommateurs concernés ; elle ne suscite au-
Cession d’oeuvres futures dans un au regard d’autres formes sur le marché et
cune analyse intellectuelle, ne nécessite aucun
contrat de travail des « normes et habitudes du secteur » au
effort d’interprétation et ne déclenche aucun
moment de leur lancement » (EUIPO, BoA, 31
Une styliste avait conclu un contrat de travail processus cognitif auprès du public concerné.
oct. 2022).
comportant la clause de cession suivante : Il en conclut que « l’expression en cause sera
« Madame X cède à titre exclusif à l’Employeur perçue par le public pertinent exclusivement
l’ensemble les des (sic) droits de propriété comme une formule promotionnelle, en raison Marque sur des personnages
intellectuelle (droits de reproduction et de de son sens intrinsèque, plutôt que comme II: le portrait de Charlot peut-il
représentation ‘ à l’exclusion de ceux et (sic) une indication d’une origine commerciale » constituer une marque ?
d’adaptation) ‘ relatifs aux créations réalisées (TUE, 1er févr. 2023, 253/22).
dans le cadre du présent contrat, au fur et à Suite au refus partiel de plusieurs marques de
mesure de leur réalisation ». personnages historiques en décembre dernier
Parfumerie : rejet d’une demande l’EUIPO a à nouveau rejeté une demande de
La nullité de la clause était soutenue compte de marque 3D sur un flacon marque représentant Charlot en classes 9, 35,
tenu de l’interdiction de la cession globale
La chambre de recours a rejeté une demande 38, 41 et 42. La demande était faite par une
d’oeuvres futures.
de marque 3D portant sur un flacon de par- société française et non par les ayant droits de
La Cour confirme sa validité dans les termes fum pour des produits de parfumerie. Le cri- Charlie Chaplin.
suivants : « Une telle clause n’est pas nulle dès tère d'appréciation utilisé exige que la forme
lors qu’elle délimite le champ de la cession Il a estimé que « le public pertinent, lequel
diverge, de manière significative, de la norme
à des oeuvres déterminables et individuali- ou des habitudes du secteur. perçoit l’image familière et humoristique du
sables à savoir celles réalisées par la salariée personnage Charlot sous un jour favorable
Même s'il n'existe aucun flacon antérieur pré-
dans le cadre du contrat de travail et au fur eu égard aux valeurs modernes, libérales et
sentant toutes les caractéristiques du flacon,
et à mesure que ces oeuvres auront été réa- humanistes auxquelles il est associé, percevra
la chambre rappelle que l'originalité et la
lisées. Ainsi, la clause de cession n’encourt nouveauté n'impliquent pas la distinctivité du le signe suivant comme une représentation
pas le grief de cession globale d’oeuvres fu- signe. En l'espèce, les différences relevées par publicitaire de ce personnage interprété par
tures puisqu’elle ne vise pas globalement les le déposant ne sont pas « remarquables, mar- Charlie Chaplin (1889 -1977) dont la seule fi-
oeuvres objet de la cession en outre, elle ne quantes et frappantes », au point de générer « nalité est d’inciter ou de provoquer l’achat du
porte pas sur des oeuvres futures mais sur des un effet visuel objectif et inhabituel ». produit ou la souscription du service. Ce signe
oeuvres réalisées, la cession n’opérant qu’au La chambre relève que la déposante avait pro- ne sera en revanche par perçu par le public
fur et à mesure de la réalisation ». bablement conscience que la forme ne consti- pertinent comme une indication de l’origine
Cette décision permet une sécurité juridique tue pas une indication de l'origine commer- commerciale desdits produits et services. En
pour les employeurs mais elle met en lumière ciale car elle a prévu un rectangle pour le nom effet, il ne verra rien de plus qu’une image
l’inadéquation des règles de la création sala- du produit : « le flacon présenté à l’enregistre- promotionnelle du personnage Charlot dont
riée (CA Paris, 25 janv. 2023) ment contient un encadrement ressemblant l’attrait et les valeurs renforcent par voie de
à une étiquette dorée à l’emplacement où conséquence l’attractivité de l’ensemble des
se situe normalement le nom du parfum, qui produits et services en cause » (EUIPO, 3 janv.
Les slogans ne sont pas les distingue l’origine commerciale du produit » 2023).
bienvenus en droit des marques Au final la décision est très positive pour un
Le TUE en donne un nouvel exemple en tiers à la procédure, la société JEAN-PAUL Suivez l’actualité en temps réel du droit
confirmant le refus de la demande « Sustaina- GAULTIER dont certains flacons sont reconnus de l’immatériel sur twitter : @RLDI_lamy
E
n ce début d'année, la CNIL a souhaité mettre en avant les actions menées dans le cadre de ses pouvoirs
répressifs au cours de l'année 2022. Elle a présenté son bilan le 31 janvier dernier.
On retiendra plus spécialement les points suivants.
Globalement les tendances de 2021 sont confirmées en 2022, tant par le nombre de mesures adoptées (21
sanctions et 147 mises en demeure) que par le montant cumulé des amendes, qui dépasse à nouveau les 100
millions d'euros. 2022 aura également été marquée par une réforme importante des procédures correctrices.
21 sanctions ont été ainsi prononcées par la CNIL, pour un montant de 101 277 900 euros. 13 d'entre elles ont été
rendues publiques. Ces sanctions comportent 19 amendes dont 7 avec injonctions sous astreinte et 2 décisions
de liquidation d'astreinte.
17 sanctions ont été prononcées par sa formation restreinte et 4 par son président seul, dans le cadre de la
procédure de sanction simplifiée mise en place en 2022. Cette nouvelle procédure a notamment été créée pour
traiter les dossiers ne présentant pas de difficulté particulière, et permettre ainsi à la CNIL de mieux agir face aux
plaintes de plus en plus nombreuses reçues depuis l'entrée en application du RGPD.
Les décisions de sanction ont concerné des secteurs d'activité, des thématiques et des acteurs très divers. Parmi
les manquements les plus fréquents figurent le défaut d'information des personnes, le non-respect de leurs droits
et le défaut de coopération avec la CNIL.
Sur ces 21 sanctions, un tiers comporte également un manquement en lien avec la sécurité des données
personnelles. 4 sanctions concernent une mauvaise gestion des cookies et autres traceurs et 3 contiennent des
manquements en lien avec la prospection commerciale.
La CNIL a également adopté 3 décisions en coopération avec ses homologues européens, dans le cadre du guichet unique
prévu par le RGPD. En parallèle, elle a examiné 18 projets de décision d'homologues européens relatifs à des traitements
qui concernent notamment des français. Elle a par ailleurs participé à 5 procédures engagées au niveau du CEPD pour
régler des litiges avec certains homologues sur des projets de décision, notamment concernant le groupe META.
À nouveau, un nombre record de mises en demeure a été atteint en 2022, avec 147 décisions prononcées. 22
décisions à l'encontre de communes n'ayant pas désigné de DPO ont été rendues publiques et 5 ont été adoptées
dans le cadre de la coopération européenne.
La CNIL poursuit ainsi l'augmentation conséquente du nombre de mises en demeure adoptées, engagée en 2021.
Elles ont concerné des secteurs et des problématiques variés. Outre l'obligation de désigner un DPO, elles ont
également porté sur la prospection commerciale et la transmission de données à des partenaires commerciaux,
sur le transfert des données vers les Etats-Unis par le biais de l'outil Google Analytics ou encore sur les mesures de
sécurité de sites web. Plus généralement, en matière de sécurité des données, une part importante des décisions
adoptées comporte au moins un manquement sur ce sujet (72 mises en demeure).
En parallèle, la CNIL a clos 87 dossiers correspondant à des procédures de sanction et de mise en demeure à
l'issue, notamment, de l'examen des actions prises par les organismes pour se mettre en conformité.
Concernant le bilan des sanctions prononcées depuis l'entrée en application du RGPD, les amendes prononcées par
les autorités de protection des données sur la base de ce texte dépassent le montant total de 2,5 milliards d'euros.
L'autorité irlandaise, en coopération avec ses homologues européens, a notamment infligé plusieurs amendes importantes
à l'encontre du groupe META (deux amendes en lien avec les traitements de publicité ciblée, de 210 millions d'euros à
l'encontre de Facebook et de 180 millions d'euros à l'encontre d'Instagram ; une sanction de 405 millions d'euros pour
le service Instagram, portant sur le traitement des données de mineurs, et une amende de 265 millions d'euros visant
Facebook, relative à l’outil d’importation de contacts sur la plateforme « data scrapping »).
En 2021, l'autorité luxembourgoise, en collaboration étroite avec la CNIL, avait pour sa part adopté, à l'encontre
d'Amazon, une amende de 746 millions d'euros. Cette sanction portait sur les traitements de publicité ciblée et
avait pour originie une plainte de LQDN.
Sur cette même période, la Commission a prononcé des sanctions pour un montant cumulé d'un peu plus d'un
demi-milliard d'euros pour des manquements commis tant au RGPD qu'à la directive ePrivacy (cookies). Les
organismes concernés par ces mesures sont de toutes tailles, y compris des géants du numérique et appartiennent
à une grande variété de secteurs.
Lionel COSTES
http://lamyline.lamy.fr
Par Emmanuel DERIEUX
Professeur à l’Université Panthéon-Assas
(Paris 2)
ÎRLDI 4631
P
ar deux arrêts rendus à un jour d’intervalle, les 13 et 14 dé- des juridictions nationales (B), et l’appréciation de la Cour euro-
cembre 2022, la Cour européenne des droits de l’Homme péenne (C).
(CEDH) et la Cour de cassation française, se référant notam-
ment à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de A.- Faits de l’espèce
l’Homme (ConvEDH)(1), se sont prononcées, contradictoirement,
Dans cette affaire, était en cause la condamnation civile(2) dont la
sur la façon d’assurer, s’agissant de faits distincts, la délicate conci- RTBF (société de radio-télévision publique belge) a été l’objet,
liation entre le principe de liberté d’expression et la protection de pour atteinte à la présomption d’innocence, suite à la diffusion
la présomption d’innocence, deux exigences fondamentales. La d’un reportage télévisé relatif à une enquête judiciaire en cours,
concomitance des dates, de la nature des deux litiges, et donc portant sur des faits impliquant un couple suspecté d’abus sexuels
des questions juridiques à résoudre, conduit à les considérer en- envers des enfants.
semble ici. Le reportage litigieux comportait notamment des entretiens avec
de supposées jeunes victimes, sous couvert d’anonymat, avec des
I.- CEDH, 13 DÉCEMBRE 2022 voisins des suspects, et même avec ces derniers (tous retranscrits,
pour une meilleure compréhension des faits, dans l’arrêt de la
A l’égard de l’arrêt de la CEDH, du 13 décembre 2022, il convient Cour). Il mettait en cause lesdits suspects, identifiés par leur nom
d’envisager successivement : les faits de l’espèce (A), les décisions et leur activité professionnelle. Il contenait des images d’eux, à la
porte de leur domicile, au moment où la police y pénétrait pour
procéder à une perquisition. Il mentionnait que « la police les
(1) « Article 10.- 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce soupçonne de trafic d’êtres humains, de viols et de pédophilie »,
droit comprend la liberté de recevoir ou de communiquer des infor- et se demande « s’ils ne sont pas un des maillons d’un commerce
mations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités international très lucratif de vente de cassettes hard », et si, sous
publiques et sans considération de frontière […] couvert de leur activité, « ne se cache pas un réseau international
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsa- de prostitution ». Dans le même temps, il était cependant fait état
bilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions
ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures néces-
saires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’in-
tégrité territoriale ou à la santé publique, à la défense de l’ordre et à (2) Prononcée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil belge,
la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à dont la numérotation et la formulation correspondent à celles de l’an-
la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher cien article 1382, devenu l’actuel article 1240, du Code civil français :
la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autori- « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage,
té et l’impartialité du pouvoir judiciaire ». oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
de ce que, « à ce jour », les mis en cause « ne sont pas inculpés Ladite Cour d’appel estima que, « au regard de ces principes […]
et clament leur innocence », et que « la justice chargée de cette les informations qui ont été données par le reportage ont été suf-
affaire ne souhaite pas s’exprimer, pour le moment ». fisamment recoupées par l’interview » que les mis en cause ont
accepté d’accorder.
S’estimant « injuriés par les séquences et le reportage »(3), les deux
époux saisirent le tribunal « d’une demande de réparation du pré- Cependant, « quant à la violation de la présomption d’inno-
judice qu’ils estimaient avoir subi à la suite de ce qu’ils appelaient cence », la Cour d’appel retint surtout que « le reportage n’adopte
un ‘lynchage médiatique’ ». pas un ton neutre et se livre à une campagne ‘name and shaming’
(littéralement nommer et couvrir de honte), répétant, à moultes
B.- Décisions des juridictions nationales reprises, le nom » des mis en cause. Elle ajouta que « l’obligation
déontologique des journalistes, de respecter la présomption d’in-
En première instance, le Tribunal, considérant que la société de nocence, découle d’une combinaison de deux autres devoirs, celui
programme de télévision et le journaliste avaient « manqué aux du respect des faits et celui du respect de la vie privée », et que
devoirs de la déontologie journalistique », en ayant « construit le l’émission contestée « ne peut davantage se retrancher derrière
reportage litigieux comme un ‘véritable réquisitoire’ » à l’encontre l’alibi d’un enjeu de société, l’intérêt général reconnu à l’émission
des mis en cause, « laissant très peu de place à la nuance et à la étant, en l’espèce, de portée très limitée ». Elle en conclut que
neutralité », fit partiellement droit à la demande et alloua une in- « cette manière de traiter l’information viole le droit […] à la pré-
demnité (de 2.500 euros) à chacun des époux. somption d’innocence ».
Se référant, devant le juge national, comme cela est de plus en Par l’arrêt d’appel, reproche a été fait, au reportage télévisé, de
plus fréquemment fait, à l’article 10 de la ConvEDH, la société de n’avoir pas adopté « la réserve et la neutralité qui s’imposaient
télévision fit appel de la condamnation. lorsqu’il s’agit de la vie privée de particuliers et de leur présomp-
tion d’innocence, dans le cadre d’une enquête pénale qui était en
Indiquant devoir examiner l’affaire « à la lumière de la jurispru- cours […] sans qu’une inculpation ait encore été décernée ».
dence » de la Cour européenne « relative à la protection de la
liberté d’expression »(4), et soulignant que, « lorsque, en traitant Il en a été conclu que « les articles 6 et 8 de la ConvEDH ont donc
bien été violés »(6), et que la société de télévision avait « commis
une affaire d’intérêt public, la presse s’intéresse à des particuliers,
une faute engendrant sa responsabilité », et dont il fut ordonné
au risque de porter atteinte à leur réputation ou à certains de
réparation.
leurs droits, l’exercice de cette liberté est soumis à la condition
que le journaliste ait agi de bonne foi, dans le souci de procurer Le pourvoi en cassation fut rejeté, la Haute juridiction belge esti-
une information exacte et fiable, conforme à la déontologie jour- mant que « les juges d’appel avaient légalement motivé leur déci-
nalistique », la Cour d’appel considéra que « le sujet du reportage sion en considérant que le reportage et la diffusion de séquences
rencontre l’intérêt général […] au regard du système éducatif, de aux journaux télévisés devaient adopter la réserve et la neutralité
la protection de l’enfance ou du droit pénal ». qui s’imposent lorsqu’il s’agit de la vie privée de particuliers et de
leur présomption d’innocence dans le cadre d’une enquête pénale
Ladite Cour se référa également à la Recommandation du Conseil en cours […] sans qu’une inculpation eût été décernée »… et, de-
des ministres du Conseil de l’Europe, du 10 juillet 2003, sur la dif- vrait-il même être considéré, sans qu’une condamnation définitive
fusion, par les médias, d’informations relatives aux procédures pé- ait été prononcée.
nales, rappelant notamment : l’exigence de « respect du principe
de la présomption d’innocence » ; et le droit, de « toute personne De ces décisions, la société de télévision saisit la Cour européenne.
qui a fait l’objet d’un compte rendu incorrect ou diffamatoire de la
part des médias, dans le cadre de procédures pénales », de « dis- C.- Appréciation de la Cour européenne
poser d’un droit de rectification ou de réponse », et de l’accusé, La prise en compte de l’argumentation contradictoire des parties
lorsqu’il « peut démontrer qu’il est fort probable que la fourniture (1°/) a conduit à l’arrêt de la Cour (2°/).
d’informations entrainera ou a entrainé une violation de son droit
à un procès équitable »(5), de « disposer d’une voie de recours ju- 1°/ Argumentation des parties
ridique efficace ».
A l’argumentation de la société de télévision, s’est opposée celle
du Gouvernement.
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suivi le but légitime de la ‘protection des droits d’autrui’, au sens de légale l’article 1382 du Code civil ; et qu’elle poursuivait le but de
l’article 10 de la Convention ». Elle a cependant soutenu que « les ‘la protection de la réputation […] d’autrui’ ».
motifs invoqués, par les juridictions nationales belges, pour justifier
La Cour estime notamment que, « au vu de l’importance des ques-
l’ingérence dans son droit n’étaient ni pertinents ni suffisants ».
tions soulevées dans le reportage et de l’absence de communi-
Ladite société critiqua « le raisonnement de la Cour d’appel qui, cation officielle des autorités d’enquête, le public avait un intérêt
tout en reconnaissant que le sujet du reportage rencontrait l’in- à être informé de la procédure en cours, y compris pour pouvoir
térêt général, ‘au regard du système éducatif, de la protection de exercer son droit de regard sur le fonctionnement du système ju-
l’enfance, ou du droit pénal’, a estimé » qu’elle « ne pouvait ‘se diciaire pénal ».
retrancher derrière l’alibi de l’existence d’un enjeu de société, l’in-
Eu égard aux circonstances de l’espèce, ladite Cour « considère
térêt général reconnu à l’émission étant, en l’espèce, de portée
que l’émission litigieuse touchait indubitablement des questions
très limitée’ ».
d’intérêt général », et « rappelle que, s’agissant du niveau de
Elle prétendit qu’elle avait eu « l’obligation d’informer », et que le protection, l’article 10, § 2, de la Convention ne laisse guère de
reportage litigieux « s’inscrivait parfaitement dans la mission de place pour des restrictions à la liberté d’expression » s’agissant de
service public remplie par elle ». Elle renvoya à la jurisprudence de « questions d’intérêt général ». Pour elle, « l’exercice de la liberté
la CEDH portant sur la notion de « contribution à un débat d’inté- d’expression dans le cadre d’une émission télévisée consacrée à
rêt général ». un sujet d’intérêt général majeur étant en jeu, les autorités » natio-
nales « ne disposaient que d’une marge d’appréciation restreinte
La même société fit encore valoir que « le reportage du journaliste
pour juger que la mesure incriminée répondait à un ‘besoin social
n’a révélé aucune information secrète, issue du dossier pénal, pou-
impérieux’ ». En conséquence, elle dit devoir « procéder à un exa-
vant porter atteinte aux droits » des mis en cause.
men des plus scrupuleux de la proportionnalité de cette mesure au
Elle mentionna enfin que, « malgré le caractère mineur et la nature but légitime poursuivi, au sens de l’article 10, § 2 ».
civile de la sanction(7), elle était néanmoins censée gêner ou pa-
Se prononçant sur « la sévérité de la sanction imposée », la Cour
ralyser la couverture médiatique future de questions similaires ».
note que la société de télévision a été condamnée, au civil, à payer
à chacun des deux mis en cause, « un euro symbolique au titre
b) Argumentation du Gouvernement du dommage moral ». Elle « estime toutefois que, au regard de
Le Gouvernement belge(8) soutint : que « la condamnation au ci- l’article 10 de la Convention, la légèreté de la sanction imposée
vil », de la société de télévision, « était prévue par la loi » ; et que ne saurait, à elle seule, pallier l’absence de raisons suffisantes de
« le but de cette condamnation était la protection de la réputation, restreindre le droit à la liberté d’expression ». Elle considère que,
ce qui est un but légitime, selon la Convention ». « bien que légère, elle a pu exercer un effet dissuasif » sur la socié-
té de télévision, et que, « en tout état de cause, elle ne se justifiait
Il avança que « c’est à bon droit que les juridictions nationales ont pas au vu des éléments énumérés ci-dessus ».
considéré que les images et commentaires » de la société de télé-
vision « ne visaient pas à informer le téléspectateur, mais à réaliser De tout cela, la Cour arrive à la conclusion que, « bien que perti-
un réquisitoire de culpabilité à l’égard » des mis en cause. nents, les motifs avancés par les juridictions nationales ne suffisent
pas à établir que l’ingérence incriminée était ‘nécessaire dans une
quant à la sanction, le Gouvernement fit valoir que, s’agissant d’un société démocratique’ ». Elle poursuit qu’ « au vu de l’importance
euro symbolique, elle « a été proportionnelle au but poursuivi », des médias dans une société démocratique, ainsi que de la marge
et n’a « pas eu d’effet dissuasif sur le comportement ultérieur » de d’appréciation réduite des autorités internes s’agissant d’une émis-
ladite société. sion télévisée portant sur un sujet de nature à susciter considérable-
Pour lui, « l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression […] ment l’intérêt du public », elle « estime que la nécessité des restric-
était donc nécessaire dans une société démocratique » tions apportées à la liberté d’expression doit être établie de manière
convaincante », et que, « malgré le caractère léger de la sanction
infligée […] il n’existe pas de rapport raisonnable de proportion-
2°/ Arrêt de la Cour
nalité entre, d’une part, les restrictions au droit », de la société de
L’arrêt de la Cour européenne commence par relever que « les par- télévision, « à la liberté d’expression qu’ont entraînées les mesures
ties s’accordent à dire que la condamnation au civil […] s’analyse décidées par les juridictions nationales et, d’autre part, le but légi-
en une ingérence dans l’exercice », par la société de télévision, time poursuivi, à savoir la protection de la réputation d’autrui ».
« de son droit à la liberté d’expression, au sens du premier para-
Elle en conclut qu’« il y a eu violation de l’article 10 de la Conven-
graphe de l’article 10 de la Convention ; qu’elle avait pour base
tion ».
Le présent arrêt de la CEDH mérite d’être mis en relation avec
l’arrêt rendu, le lendemain, sur le même sujet de la conciliation
(7) La CEDH réprouve toute peine d’emprisonnement et même toute entre la liberté d’expression et le respect de la présomption d’in-
sanction pénale des abus de la liberté d’expression. nocence, par la Cour de cassation française.
(8) Au nom de l’exigence de séparation des pouvoirs et de l’indépen-
dance de la justice, doit-on se satisfaire que les décisions rendues II.- CASS. CIV., 14 DÉCEMBRE 2022
par les juridictions nationales soient, devant la CEDH, défendues par
« le gouvernement » du pays ? Ne devrait-il pas revenir à l’autorité A l’égard de l’arrêt de la Cour de cassation, du 14 décembre 2022,
judiciaire de le faire ? il convient d’envisager successivement : les faits de l’espèce (A),
les décisions des juges du fond (B), et l’appréciation de la Cour de présenté indûment comme coupable d’une infraction détermi-
cassation (C). née », et qu’elle « doit s’apprécier uniquement au regard des faits
précis pour lesquels la personne est mise en examen ou fait l’objet
A.- Faits de l’espèce de poursuites ».
C.- Appréciation de la Cour de cassation Elle estime que, ayant « procédé à la mise en balance des intérêts
en présence […] la Cour d’appel en a exactement déduit que, si
Au moyen du pourvoi doit être opposée la réponse de la Cour. l’enquête sur le détournement des fonds à l’Université constituait un
sujet d’intérêt général, les articles litigieux contenaient des conclu-
1°/ Moyen du pourvoi sions définitives tenant pour acquise la culpabilité » de l’intéressé
« et excédaient les limites admissibles de la liberté d’expression ».
Dans leur moyen au pourvoi, les responsables de la publication
ont notamment fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir retenu que les En conséquence, le pourvoi est rejeté.
articles contestés portaient atteinte à la présomption d’innocence
de l’individu mis en cause, et d’avoir ordonné la publication d’un CONCLUSION
communiqué, alors, tentaient-ils de faire valoir : « que la protec-
tion de la présomption d’innocence », au sens des articles 9-1 du En ces deux affaires, comportant leurs particularités de faits et
Code civil et 6-2 de la ConvEDH, « doit être conciliée avec les li- de circonstances pouvant justifier des différences de solution, la
bertés d’information et d’expression garanties par l’article 10 de la CEDH et la Cour de cassation -celle-ci se référant aux méthodes
Convention » ; que, « en présence d’une question d’intérêt général d’appréciation et à la jurisprudence de la première- assurent, du
reposant sur une base factuelle suffisante, la liberté d’information jour au lendemain, à leur manière et de façon qui pourrait paraître
prime le droit des particuliers » ; que « les articles litigieux, qui ont contradictoire, la délicate et controversée conciliation entre le
exactement souligné que l’intéressé n’avait fait l’objet d’aucune principe de liberté d’expression et le respect de la présomption
condamnation pénale et demeurait ‘présumé innocent’, pris dans d’innocence. La CEDH est fréquemment perçue comme faisant le
leur contexte, ne pouvaient être réputés avoir porté atteinte aux plus souvent prévaloir la liberté d’expression, tandis que les juges
droits invoqués par le plaignant sur le terrain de l’article 9-1 du nationaux seraient souvent plus sévères à cet égard. Cela signi-
Code civil »(9) ; que, « en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’ap- fie-t-il que le juge français ferait de la résistance et que la décision
pel a violé les textes susvisés » ; qu’« une atteinte à la présomption de la Haute juridiction française, rendue en la présente espèce,
d’innocence, au sens de l’article 9-1, exige que le plaignant soit pourrait être remise en cause par la CEDH ? n
http://lamyline.lamy.fr
Par Emmanuel DERIEUX
Professeur à l’Université Panthéon-Assas
(Paris 2)
ÎRLDI 4632
E
n cette affaire, la Cour européenne des droits de l’Homme L’application du droit allemand (I) en la matière a ainsi été validée
(CEDH), avait été saisie, par la Société Axel Springer, éditrice par la CEDH (II).
du quotidien Die Welt, de l’injonction qui lui a été faite, par
les juridictions allemandes, en application du droit national, de pu- I.- APPLICATION DU DROIT ALLEMAND
blier le texte qui, au titre du droit de réponse, lui avait été adressé
En la présente affaire, sur la base des dispositions légales (A) en
par une ancienne responsable de la Stasi (anciens services secrets
vigueur, relatives au droit de réponse, ont été prises les décisions
Est allemands), préalablement mise en cause dans les colonnes du des juridictions (B) nationales.
journal. Ladite société éditrice considérait que, en lui imposant une
telle obligation, il était porté atteinte à sa liberté d’expression, telle A.- DISPOSITIONS LÉGALES
que consacrée par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des
droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ConvEDH)(1). La loi allemande énonce, en substance, que « l’éditeur d’un écrit
périodique est tenu d’insérer la rectification qui lui a été adressée
Dans un arrêt du 17 janvier 2023(2), ladite Cour européenne conclut par une personne visée par une allégation de faits qu’il a préa-
à l’absence de violation de cet article. lablement publiée. Une telle obligation ne s’applique pas : si la
personne ne peut pas se prévaloir d’un intérêt légitime ; si la lon-
gueur de la rectification n’est pas adaptée ; ou si la rectification est
adressée à des fins de promotion commerciale […] La rectification
(1) « Article 10.- 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce
droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de com- ne doit porter que sur des éléments de fait, et ne doit pas être
muniquer des informations ou des idées, sans qu’il puisse y avoir ingé- constitutive d’une infraction ».
rence d’autorités publiques et sans considération de frontière […]
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsa- B.- Décisions des juridictions
bilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions
ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures néces- En cette affaire, la société éditrice ayant refusé d’insérer le texte
saires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’in- de la réponse qui lui avait été adressée, la personne mise en cause
tégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à saisit la justice allemande.
la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à
la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher Pour tenter de justifier son refus d’insérer le texte qui lui avait été
la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autori- adressé au titre du droit de réponse, la société éditrice du journal
té et l’impartialité du pouvoir judiciaire ». fit notamment valoir : que la personne mise en cause n’était pas
(2) qui, de façon contestable, n’est disponible qu’en anglais, alors que le fondée à se prévaloir d’un intérêt légitime, à l’égard des faits rap-
français est aussi une des langues officielles du Conseil de l’Europe. portés, dès lors que, avant la publication de l’article contesté, elle
avait refusé de répondre aux questions qui lui avaient été adres- du Conseil de l’Europe et un texte relevant du droit de l’Union
sées par le journal ; et que les éléments que contenait la réponse européenne.
ne servaient pas à la correction des faits litigieux.
La Résolution (74) 26, du Comité des ministres du Conseil de
En première instance, le tribunal, considérant la demande d’inser- l’Europe, relative au droit de réponse, recommande aux Etats
tion de la réponse comme infondée, refusa d’y faire droit. membres de veiller à ce que les droits des individus, à l’égard des
médias, soient en cohérence avec les principes suivants : « En ce
En appel, après que la Cour ait exprimé des doutes concernant la
qui concerne les informations relatives aux individus publiées par
longueur du texte de la réponse, une nouvelle version lui ayant été
un moyen de communication, l’individu concerné disposera d’une
soumise, injonction fut adressée à la société éditrice d’en assurer
possibilité réelle d’obtenir la rectification, sans délai excessif, des
la publication en page intérieure du journal, mais refusant d’ordon-
faits inexacts le concernant et pour la rectification desquels il peut
ner que l’annonce en soit faite à la une. Considérant la longueur
justifier d’un intérêt, cette rectification bénéficiant, autant que pos-
et le contenu de la réponse, la Cour releva qu’ils étaient adaptés à
sible, de la même importance que la publication initiale ».
la mise en cause initiale. Elle estima que l’intéressée, ayant été en
droit de ne pas répondre aux questions que lui avait adressées la L’annexe à ladite Résolution, déterminant les « règles minimales re-
société éditrice, ne pouvait pas, de ce fait, être privée de son droit latives au droit de réponse à la presse, à la radio, à la télévision et à
de réponse. l’égard d’autres moyens de communication à caractère périodique
énonce que : « 1. Toute personne physique ou morale, ainsi que
quatre mois après la publication de l’article contesté, la société
toute autre entité, sans considération de nationalité ou de résidence,
éditrice inséra le texte de la réponse. Elle l’accompagna d’une
désignée dans un journal, un écrit périodique, dans une émission de
note faisant état de son exactitude et de ce que le journal n’avait
radio ou de télévision, ou par tout autre moyen de communication à
pas de preuve des faits initialement rapportés.
caractère périodique, et au sujet de laquelle des informations conte-
Trois ans plus tard, la Cour constitutionnelle rejeta la demande de nant des faits qu’elle prétend inexacts ont été rendues accessibles
la société éditrice. au public, peut exercer le droit de réponse afin de corriger les faits
la concernant. 2. A la demande de la personne concernée, le moyen
C’est donc devant la CEDH que l’affaire fut portée.
de communication de masse est tenu de rendre publique la réponse
que cette personne lui aura fait parvenir. 3. La loi nationale peut pré-
II.- VALIDATION PAR LA CEDH voir, à titre d’exception, que la publication de la réponse pourra être
A la contestation de l’application faite du droit allemand (A), la refusée par le moyen de communication dans les cas suivants : i.
CEDH opposa son approbation (B) au regard de l’article 10 ConvE- lorsque la demande de publication de la réponse n’est pas adressée
DH. au moyen de communication dans un délai raisonnablement bref ; ii.
lorsque la longueur de la réponse excède ce qui est nécessaire pour
A.- Contestation de l’application faite du droit allemand corriger l’information concernant les faits prétendument inexacts ;
iii. lorsque la réponse ne se limite pas à la correction des faits in-
Devant la Cour européenne, la société éditrice du journal s’est criminés ; iv. lorsqu’elle constitue une infraction punissable ; v. lors-
plainte de ce que l’ordonnance l’enjoignant d’insérer le texte de qu’elle est contraire aux intérêts juridiquement protégés des tiers ;
la réponse avait violé sa liberté d’expression, au sens de l’article 10 vi. lorsque l’individu concerné ne justifie pas de l’existence d’un in-
ConvEDH. Elle a notamment fait valoir : que l’article visé ne com- térêt légitime. 4. La publication de la réponse doit intervenir sans
portait aucune mise en cause de la personne se prévalant du droit délai excessif et recevoir, autant que possible, la même importance
de réponse ; que n’avait pas été correctement prise en compte que l’information contenant les faits prétendument inexacts […] 7.
l’attitude de l’intéressée, alors qu’il lui aurait été très facile de ré- Toute contestation sur la mise en œuvre des règles qui précèdent
pondre aux questions qui lui avaient été adressées, par le journal, sera portée devant le tribunal qui pourra ordonner la publication
avant la publication de l’article contesté ; et que cette personne immédiate de la réponse ».
n’avait pas légitimement réclamé l’insertion d’une réponse.
Référence est, par ailleurs, faite, par le présent arrêt, à la Recom-
Le gouvernement allemand fit notamment valoir que le refus de mandation du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre
l’intéressée de répondre aux questions d’un journaliste, avant la 2006, sur la protection des mineurs et de la dignité humaine et sur
publication de l’article contesté, ne pouvait pas remettre en cause le droit de réponse en liaison avec la compétitivité de l’industrie
la légitimité de sa demande d’insertion d’une réponse. européenne des services audiovisuels et d’information en ligne.
En son annexe I, consacrée à des « orientations indicatives pour
B.- Approbation de la CEDH la mise en œuvre, au niveau national, de mesures dans le droit ou
Pour fonder sa décision, la CEDH se référa à l’article 10 ConvE- les pratiques nationales, en vue de garantir le droit de réponse ou
DH et à des dispositions européennes plus spécifiques relatives au des voies de droit équivalentes pour les médias en ligne », il est
droit de réponse. posé que, « sans préjudice des autres dispositions de droit civil,
administratif ou pénal adoptées par les Etats membres, toute per-
sonne physique ou morale, sans distinction de nationalité, dont les
1°/ Textes de référence
intérêts légitimes, en ce qui concerne notamment son honneur et
Outre l’appréciation de l’affaire, au regard de l’application tradi- sa réputation, ont été affectés par une allégation de fait, dans une
tionnellement faite de l’article 10 ConvEDH, la Cour se référa à publication ou une émission, devrait pouvoir exercer un droit de
des textes de moindre valeur juridique ou force contraignante, tels réponse ou des voies de droit équivalentes. Les Etats membres
notamment : qu’une Recommandation du Comité des ministres veillent à ce que l’exercice effectif de ce droit de réponse ou de ces
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voies de droit équivalentes ne soit pas entravé par l’imposition de nions, diffusées par les médias, susceptibles de porter atteinte à sa
modalités déraisonnables ». Il y est notamment considéré que « le vie privée, à son honneur ou à sa dignité ; et que l’objectif premier
droit de réponse est une voie de recours particulièrement appro- du droit de réponse est de permettre aux individus de réagir à de
priée dans l’environnement en ligne, étant données la possibilité fausses informations publiées, à leur sujet, dans les médias.
de correction instantanée des informations contestées et la facili-
Se référant, comme il est d’usage, à de précédents arrêts rendus
té technique avec laquelle les réponses émanant des personnes
par elle, la Cour considère, par ailleurs : s’il existe une relation suf-
concernées peuvent y être jointes », et que « la réponse devrait ce-
fisante entre la mise en cause et la réponse dont l’insertion est
pendant intervenir dans un délai raisonnable après la justification
requise ; et si celle-ci constitue une réaction proportionnée. Pour
de la demande, et à un moment et d’une manière appropriés en
elle, cela implique d’apprécier le contenu de la réponse au regard
fonction de la publication ou de l’émission à laquelle la demande
de celui de la mise en cause initiale.
se rapporte ». Mention y est cependant faite que « la demande
d’exercice du droit de réponse, ou de voies de droit équivalentes, La Cour européenne a également estimé : si la longueur de la
peut être rejetée si le plaignant n’a pas un intérêt légitime dans la réponse dépassait, ou non, ce qui était nécessaire pour corriger
publication d’une telle réponse, ou si la réponse comporte un acte l’information contenant des faits considérés comme inexacts ; et le
punissable, expose le fournisseur de contenu à des poursuites au délai mis à formuler une demande d’insertion de la réponse.
civil ou transgresse les normes de moralité publique ».
Elle dit encore laisser, aux autorités nationales, une marge d’appré-
C’est sur la base de ces diverses dispositions que la Cour s’est pro- ciation pour se prononcer sur ces différentes questions.
noncée en cette affaire.
CONCLUSION
2°/ Décision de la Cour
Le droit français est sans doute plus souple et accueillant quant
Constatant que nul ne conteste que la décision des juridictions aux conditions d’ouverture du droit de réponse, mais plus précis
nationales ordonnant l’insertion de la réponse constituait une in- et contraignant quant aux modalités de son exercice(4), en des
gérence de l’Etat dans l’exercice du droit à la liberté d’expression termes différents cependant selon les supports de communication
de l’entreprise éditrice, la Cour européenne, selon une méthode en cause(5), que ne l’est le droit allemand, ici validé par le droit eu-
d’analyse des plus classiques(3), retient : que ladite ingérence était ropéen. En droit allemand, il s’agit, en réalité, d’un droit qui se rap-
prévue par la loi ; qu’elle visait à protéger la réputation de la per- proche du droit de rectification français(6), mais qui, à la différence
sonne en cause, et poursuivait ainsi l’intérêt légitime de protection du droit français, est ouvert aux particuliers. L’amplification de la
de la réputation ou des droits d’autrui, au sens de l’article 10, § 2, diffusion internationale, et notamment européenne, des moyens
de la Convention ; et qu’il lui restait à établir si elle était nécessaire de communication devrait, tant dans le cadre de l’Union euro-
dans une société démocratique. péenne que du Conseil de l’Europe, probablement conduire, par
des textes communs et dans l’intérêt de tous (éditeurs, individus
La Cour énonce, à cet égard, qu’une ingérence peut être consi-
mis en cause et public), à un rapprochement ou à une harmoni-
dérée comme nécessaire dans une société démocratique : si elle
sation, sinon à une totale uniformisation, des droits nationaux des
répond à un besoin social impérieux ; si elle est proportionnée au
médias, s’agissant du droit de réponse, comme de bien d’autres
but légitime poursuivi ; et si les raisons avancées par les autorités
éléments ou aspects de ces droits. n
nationales sont adaptées et suffisantes.
Posant, tout aussi classiquement, que la presse joue un rôle essen-
tiel dans une société démocratique, et cherchant à déterminer si,
en l’espèce, l’ingérence était nécessaire, la Cour observe : que les
(4) Bigot Ch, « Les droits de réponse et de rectification », Pratique du
journaux et les autres médias privés doivent être libres de décider droit de la presse, Dalloz, 3e éd., 2020, pp. 59-104 ; Derieux E, « Droit
de publier, ou non, des articles, des commentaires ou des lettres de réponse », Droit des médias. Droit français, européen et inter-
qui leur sont adressés par des particuliers ; et, en même temps, national, Lextenso-LGDJ, 8e éd.. 2018, pp. 449-464 ; Dreyer E, « Les
que l’obligation légale d’insérer une réponse peut être considérée droits de réponse », Droit de la communication, LexisNexis, 2e éd.,
comme constituant un élément normal du cadre juridique gouver- 2022, pp. 535-571.
nant l’exercice de la liberté d’expression des médias. (5) Selon les termes : de l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881, dans la
presse écrite ; de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 et du décret n°
La Cour mentionne encore que les organes de la Convention ont 87-246, du 6 avril 1987, dans les services de communication audio-
retenu que la finalité du droit de réponse est d’offrir, à chacun, la visuelle ; et de l’article 6.IV de la loi du 21 juin 2004 et du décret n°
possibilité de se protéger contre certaines mises en cause ou opi- 2007-1527, du 24 octobre 2007, dans les services de communication
au public en ligne.
(6) Au sens de l’article 12 de la loi du 29 juillet 1881 qui pose que « Le
directeur de la publication sera tenu d’insérer gratuitement, en tête
(3) Bigot Ch, La liberté d’expression en Europe. Regards sur douze ans du prochain numéro du journal ou écrit périodique, toutes les recti-
de jurisprudence de la CEDH (2006-2017), Victoires SA, coll. Légi- fications qui lui seront adressées par un dépositaire de l’autorité pu-
presse, 2018, 184 p. ; Derieux E, « Droit européen et droit interna- blique, au sujet des actes de sa fonction qui auront été inexactement
tional de la responsabilité des médias. Jurisprudence européenne », rapportés par ledit journal ou écrit périodique » ; Bigot, Ch., « Droit
Droit des médias. Droit français, européen et international, Lexten- spécial de rectification des dépositaires de l’autorité publique », Pra-
so-LGDJ, 8e éd., 2018, pp. 838-855 ; « Droit européen de la respon- tique du droit de la presse, Dalloz, 3e éd., 2020, pp. 80-85 ; Derieux E,
sabilité des médias. Applications jurisprudentielles », Droit européen « Droit de rectification », Droit des médias. Droit français, européen
des médias, Bruylant, 2017, pp. 448-699. et international, Lextenso-LGDJ, 8e éd., 2018, pp. 464-467.
ACTIVITÉS
1 DROIT DESDE L’IMMATÉRIEL
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
Et Joséphine de ROMANET
Par Lionel COSTES Et Joséphine de ROMANET
Directeuren
Docteur dedroit
collection
Secrétaire générale de la rédaction Secrétaire générale de la rédaction
Lamy Droit en
Rédacteur de chef
l’immatériel
Formulaire Lamy Droit de l’immatériel Formulaire Lamy Droit de l’immatériel
Lamy Droit international
Lamy Contrats internationaux Lamy Contrats internationaux
LES GRANDS SECTEURS DE L’IMMATÉRIEL des droits garantis par ce règlement le droit à un recours juridic-
tionnel effectif.
DROITS FONDAMENTAUX La première de ces procédures est toujours en cours, mais les
juridictions civiles hongroises saisies dans le cadre de la seconde
ÎRLDI 4633 procédure ont, par un jugement devenu définitif, déjà constaté
que la société précitée avait violé le droit d’accès de BE à ses
Conditions d’exercice des recours données à caractère personnel.
administratif et civil prévus par le La cour de Budapest-Capitale demande à la CJUE si, dans le
cadre de la révision de la légalité de la décision de l’autorité de
RGPD : les précisions de la CJUE contrôle nationale, elle est liée par le jugement définitif des juri-
La Cour de justice a estimé que les recours dictions civiles portant sur les mêmes faits et la même violation
prétendue du RGPD par la société concernée.
administratif et civil prévus par le règlement général
sur la protection des données peuvent être exercés de De plus, un exercice parallèle des recours administratif et civil
manière concurrente et indépendante. pouvant être à l’origine de décisions contradictoires, la juridiction
hongroise cherche à savoir s’il existe une éventuelle priorité de
CJUE, 12 janv. 2023, aff. C-132/21, Nemzeti Adatvédelmi és l’un de ces recours par rapport à l’autre.
Információszabadság Hatóság
La Cour rappelle que le RGPD offre différentes voies de recours
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation aux personnes invoquant une violation de ses dispositions, étant
de l’article 77, paragraphe 1, de l’article 78, § 1, et de l’article entendu que chacune de ces voies de recours doit pouvoir être
79, § 1, du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016, relatif à la exercée « sans préjudice » des autres.
protection des personnes physiques à l’égard du traitement des
données à caractère personnel et à la libre circulation de ces don- Ainsi, il ne prévoit pas de compétence prioritaire ou exclusive ni
nées, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la aucune règle de primauté de l’appréciation effectuée par l’auto-
protection des données – RGPD). rité de contrôle ou par une juridiction quant à l’existence d’une
violation des droits concernés.
Elle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BE à la
Nemzeti Adatvédelmi és Információszabadság Hatóság (Autorité Aussi, elle relève que les recours administratif et civil prévus par le
nationale hongroise de la protection des données et de la liber- RGPD peuvent être exercés de manière concurrente et indépen-
té de l’information) à propos du rejet de la demande de BE de dante. quant au risque de décisions contradictoires prises par les
se voir communiquer des extraits de l’enregistrement sonore de autorités administratives et juridictionnelles nationales concer-
l’assemblée générale des actionnaires d’une société à laquelle nées, elle souligne qu’il appartient à chaque état membre d’assu-
BE a participé. rer, par l’adoption des règles procédurales nécessaires à cet effet
et dans l’exercice de son autonomie procédurale, que les recours
Cette société n’a cependant mis à sa disposition que les extraits
concurrents et indépendants prévus par le RGPD ne remettent en
de cet enregistrement reproduisant ses propres interventions,
cause ni l’effet utile et la protection effective des droits garantis
à l’exclusion de celles des autres participants même si ces der-
par celui-ci, ni l’application cohérente et homogène de ses dispo-
nières constituaient les réponses à ses questions.
sitions, ni, enfin, le droit à un recours effectif devant un tribunal.
BE a alors demandé à l’autorité de contrôle hongroise respon-
OBSERVATIONS
sable au titre du RGPD d’ordonner à la société concernée de lui
communiquer l’enregistrement en cause. Le présent arrêt peut être utilement rapproché de celui rendu le
27 septembre 2017 selon lequel lorsque les états membres défi-
Celle-ci ayant rejeté sa demande, BE a introduit un recours ad-
nissent les modalités procédurales des recours en justice desti-
ministratif contre la décision de rejet devant la cour de Buda-
nés à assurer la sauvegarde des droits conférés par le règlement
pest-Capitale. En parallèle, il a également saisi les juridictions
2016/679, ils doivent garantir le respect du droit à un recours ef-
civiles hongroises d’un recours dirigé contre la décision de refus
fectif et à accéder à un tribunal impartial, consacré à l’article 47
d’accès de la société en cause.
de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui
Ce dernier recours était fondé sur une disposition du RGPD constitue une réaffirmation du principe de protection juridiction-
conférant à chaque personne s’estimant victime de la violation nelle effective (CJUE 27 sept. 2017, Puškár, C 73/16).
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Ceux-ci doivent ainsi s’assurer que les modalités concrètes RGPD n’a « ni pour objet, ni pour effet d’autoriser une personne
d’exercice des voies de recours prévues à l’article 77, § 1, à l’ar- à connaître l’identité des agents publics ou des salariés ayant
ticle 78, paragraphe 1, et à l’article 79, § 1, du règlement 2016/679 consulté les données à caractère personnel la concernant dans
n’affectent pas de manière disproportionnée le droit à un recours l’exercice de leurs fonctions au sein de la personne morale ou du
effectif devant un tribunal visé à l’article 47 précité. n service destinataire » (CE., 24 févr. 2022, n°447495).
Pour la CJUE, le droit d’accès implique la possibilité pour la
ÎRLDI 4634
personne concernée d’obtenir de la part du responsable du
traitement les informations sur les destinataires spécifiques aux-
Droit d’accès de la personne quels les données ont été ou seront communiquées ou, alterna-
concernée à ses données : les tivement, de choisir de se borner à demander des informations
concernant les catégories de destinataires.
précisions de la CJUE
Toutefois, et dans le même temps, elle reconnaît que le droit à la
La CJUE a précisé sa position suite à un renvoi protection des données n’est pas un droit absolu et qu’il doit être
préjudiciel de la cour suprême autrichienne sur mis en balance avec les autres droits fondamentaux.
l’interprétation de l’article 15 du RGPD qu’il convient En conséquence, dans des circonstances spécifiques, il peut
d’avoir. être admis que les informations sur les destinataires concrets ne
CJUE, 12 janv. 2023, aff. C 154/21, RW c./ Österreichische Post AG soient pas fournies avec alors une limitation aux catégories de
destinataires.
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation
de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement (UE) 2016/679 Dans ces conditions il ne fait aucun doute que la définition de
du 27 avril 2016 (règlement général sur la protection des données ces circonstances spécifiques sera à l’origine de nouveaux dé-
- « RGPD »). bats très prochainement. n
Elle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant RW à
Österreichische Post AG au sujet d’une demande d’accès à des
données à caractère personnel selon cet article 15. PRESSE
Un particulier avait demandé au titre de son droit d’accès à la
poste autrichienne la liste des destinataires de ses données per- ÎRLDI 4635
sonnelles, demande qui n’avait pas été satisfaite.
Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si Diffamation publique envers un
ledit article doit être interprété en ce sens que le droit d’accès citoyen chargé d’un mandat public
de la personne concernée aux données à caractère personnel
la concernant, prévu par cette disposition, implique, lorsque ces et prescription de l’action
données ont été ou seront communiquées à des destinataires,
l’obligation pour le responsable du traitement de fournir à cette
Pour la Cour de cassation c’est à tort que l’arrêt
personne l’identité concrète de ces destinataires. d’appel a condamné la prévenue pour diffamation
publique alors que les faits incriminés étaient
Pour la CJUE le droit d’accès devait être interprété en ce sens
que ce dernier imposait au responsable de traitement de fournir prescrits.
l’identité de ces destinataires, sauf impossibilité ou demandes Cass. crim. 10 janv. 2023, n°22-82.838, F-D
infondées ou excessives au sens de l’article 12, paragraphe 5 du
règlement 2016/679, de la personne concernée auquel cas, les Le 12 juillet 2020, le premier adjoint au maire de (Localité X), a
seules catégories de destinataires peuvent être fournies à la per- déposé plainte au commissariat contre la prévenue qui, sur le
sonne exerçant son droit d’accès. Les cas dans lesquels l’iden- réseau Facebook, l’a mis en cause en ces termes : « A la (Localité
tité des destinataires peuvent ne pas être transmises sont ainsi X) LREM et le Modem ont désigné un 1er adjoint au Maire déjà
limitées et encadrées, avec la nécessité pour le responsable de condamné pour des violences conjugales ».
traitement de motiver les raisons de la non communication des Le 15 juillet 2020, le parquet d’Ajaccio a transmis la procédure
destinataires, le cas échéant. pour compétence au procureur de la République de Versailles
OBSERVATIONS qui, le 3 août 2020, a saisi le commissaire de police pour procéder
à l’audition de la prévenue qui est intervenue le 27 octobre 2020.
Le présent arrêt souligne à nouveau la nécessité de mettre en
place des dispositifs efficaces et exhaustifs en matière de ges- Les juges du premier degré l’ont condamnée pour diffamation
tion des droits des personnes concernés, éléments clés des pro- publique envers un citoyen chargé d’un mandat public. Elle a
grammes de conformité. alors relevé appel de cette décision.
On rappellera sur la notion de « destinataire que dans un arrêt Le moyen du pourvoi critique l’arrêt d’appel qui l’a condamnée
du 24 février 2022, le Conseil d’Etat a précisé que l’article 15 du pour diffamation publique, alors que les faits étaient prescrits de-
puis le 12 octobre 2020, soit trois mois après le dépôt de plainte tion suivante d’un membre de la liste d’opposition au maire et
du 12 juillet précédent. engagé dans l’association « Non au PLU » : « il y a la propriété
d’un élu de la municipalité qui est en fait en quasi fin de mandat
Il est reçu par la Cour de cassation qui censure ledit arrêt au visa
de l’article 65, alinéas 1 et 2, de la loi du 29 juillet 1881. a dû penser à convaincre ses collègues de l’intérêt d’urbaniser
pour en tirer profit ». Ce propos a fait suite à une controverse
Il dispose que « la prescription en matière de délits de presse ne évoquée dans la presse locale faisant état d’une éventuelle prise
peut être interrompue que par des actes de poursuite ou d’ins- illégale d’intérêts résultant de ce que des terrains visés par le
truction réguliers survenant dans le délai de trois mois à comp- lotissement étaient détenus, en partie, par un adjoint au maire
ter des faits ou du dernier de ces actes s’il en a été fait. Avant chargé de l’urbanisme.
l’engagement des poursuites, seules des réquisitions aux fins
d’enquête articulant et qualifiant l’infraction à raison de laquelle Le prévenu a été cité, le 2 juin 2020, par l’adjoint à l’urbanisme
l’enquête est ordonnée sont interruptives de prescription ». de la commune pour diffamation publique envers une personne
chargée d’un mandat public, devant le tribunal correctionnel qui
En effet, elle relève qu’ « en l’espèce, la publication litigieuse du
a annulé la citation pour violation de l’article 53 de la loi du 29
10 juillet 2020 a fait courir la prescription de trois mois, laquelle
juillet 1881.
n’a été interrompue ni par la plainte simple de M. [M] du 12 juil-
let 2020, ni par la transmission de la procédure au procureur de L’arrêt d’appel est censuré au visa de l’article 10 de la Convention
Versailles le 15 juillet suivant, ni par le soit-transmis de ce dernier européenne des droits de l’Homme aux termes duquel « la liber-
mandatant le commissaire de police pour procéder à l’audition té d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans
de (la prévenue) le 3 août 2020 dès lors que ces réquisitions n’ar- les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard
ticulent et ne qualifient pas les faits conformément aux prescrip- du paragraphe 2 de ce texte ».
tions de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881. La prescription était
donc acquise le 10 octobre 2020, soit antérieurement à l’audition Après avoir relevé, à juste titre, le caractère attentatoire à l’hon-
de (la prévenue) le 27 octobre suivant ». neur et à la considération des propos tenus par le prévenu vis-à-
vis du demandeur l’arrêt, pour refuser au premier le bénéfice de
Elle en conclut qu’ « en l’absence d’acte interruptif de prescrip- la bonne foi, fait valoir que la déclaration de celui-ci constitue
tion dans le délai de trois mois couru à compter de la publica- une attaque personnelle, sans mesure ni prudence, qu’elle ne
tion litigieuse du 10 juillet 2020, la cour d’appel, à laquelle il ap- poursuit pas un but légitime compte tenu de son caractère ex-
partenait de relever d’office une telle exception péremptoire et
cessif et qu’elle ne repose sur aucune base factuelle dès lors qu’il
d’ordre public, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus
n’a pas participé aux votes du projet débattu.
rappelé ».
Pour la Cour de cassation en se déterminant ainsi, la cour d’appel
OBSERVATIONS
a méconnu les texte et principe susvisés.
On rappellera plus globalement que l’action publique et l’action
civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la En effet, « le propos incriminé repose sur une base factuelle suf-
loi de 1881 se prescrivent après trois mois révolus, à compter du fisante dès lors que l’adjoint au maire de la commune en charge
jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruc- de l’urbanisme, est effectivement propriétaire d’une partie des
tion ou de poursuite (voir par ex. Cass. crim. 13 sept. 2022, n°21- terrains concernés par le projet de lotissement. Il était donc légi-
83.705, RLDI 2022/196, n°4556 qui, à propos du délit de diffama- time de s’interroger sur son implication dans ledit projet.
tion publique envers un particulier, a estimé que la prescription Par ailleurs, le propos (du prévenu) n’a pas dépassé les limites
de l’action publique a été rejetée à juste titre). n admissibles de la liberté d’expression d’un opposant politique,
dans le contexte d’une campagne électorale marquée par une
ÎRLDI 4636 polémique concernant ce projet de lotissement ».
personne chargée d’un mandat Ce contentieux nous donne l’occasion de rappeler plus globa-
lement qu’en matière de diffamation, la bonne foi est appréciée
public : le bénéfice de la bonne foi moins strictement lorsque les propos s’inscrivent dans un débat
du prévenu rejeté à tort d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante.
Celle-ci postule que l’auteur des propos ait fait preuve de pru-
La Haute juridiction casse l’arrêt d’appel pour avoir
dence dans l’expression et que si le militantisme de l’auteur des
méconnu l’article 10 de la Convention européenne des propos invite à apprécier cette condition moins strictement, il ne
droits de l’Homme. la fait pas disparaître pour autant.
Cass. crim. 24 janv. 2023, n° 22-82.722, F-D
Les illustrations jurisprudentielles faisant application de ces règles
Un journal télévisé a diffusé, le 24 février 2020, un reportage ré- spécifiques relatives au délit de diffamation sont diverses (voir
alisé à l’occasion des élections municipales d’une commune au par ex. et récemment, Cass. crim. 28 juin 2022, RLDI 2022/195, n°
sujet d’un projet de lotissement ayant donné lieu à la déclara- 4233, Cass. crim. 13 sept. 2022, RLDI 2022/196, n°4555). n
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INFORMATIQUE ces données, considérées comme « sensibles » par le législateur
de l’Union.
ÎRLDI 4637 Elle examine, enfin, sur la question de la compatibilité de la légis-
lation nationale prévoyant la collecte systématique de ces don-
Enregistrement de données nées avec les dispositions de la directive 2016/680 qui portent sur
biométriques et génétiques par la leur traitement, en tenant compte des principes y applicables.
police et traitement de données Ainsi, elle considère que « l’article 10, sous a), de la directive (UE)
2016/680 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016
personnelles : la position de la CJUE lu à la lumière de l’article 52 de la Charte doit être interprété en
ce sens que « le traitement de données biométriques et géné-
Pour la CJUE, la collecte systématique des données tiques par les autorités de police en vue de leurs activités de re-
biométriques et génétiques de toute personne mise cherche, à des fins de lutte contre la criminalité et de maintien de
en examen aux fins de leur enregistrement policier l’ordre public, est autorisé par le droit d’un État membre, au sens
est contraire à l’exigence d’assurer une protection de l’article 10, sous a), de cette directive, dès lors que le droit de
cet État membre contient une base juridique suffisamment claire
accrue à l’égard du traitement de données sensibles à
et précise pour autoriser ledit traitement.
caractère personnel.
Le fait que l’acte législatif national contenant une telle base juri-
CJUE 26 janv. 2023, aff. C-205/21, V.S. en présence de :Ministerstvo
dique se réfère, par ailleurs, au règlement (UE) 2016/679 du Parle-
na vatreshnite raboti, Glavna direktsia za borba s organiziranata
prestapnost ment européen et du Conseil, du 27 avril 2016 (règlement géné-
ral sur la protection des données), et non à la directive 2016/680,
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation n’est pas de nature, en lui-même, à remettre en cause l’existence
de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et c), de l’article 6, sous a), et d’une telle autorisation, pour autant qu’il ressort, de manière suf-
des articles 8 et 10 de la directive (UE) 2016/680 du 27 avril 2016 fisamment claire, précise et dénuée d’équivoque de l’interpréta-
ainsi que des articles 3, 8, 48 et 52 de la charte des droits fonda- tion de l’ensemble des dispositions applicables du droit national
mentaux de l’Union européenne (la « Charte »). que le traitement de données biométriques et génétiques en
Elle a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale enga- cause relève du champ d’application de cette directive, et non
gée contre V.S. qui à la suite de sa mise en examen, a refusé la de ce règlement ».
collecte par la police de ses données biométriques et génétiques Elle estime aussi que « l’article 6, sous a), de la directive 2016/680
aux fins de leur enregistrement. ainsi que les articles 47 et 48 de la Charte doivent être interpré-
En s’appuyant sur la législation nationale qui prévoit l’« enre- tés en ce sens que : ils ne s’opposent pas à une législation na-
gistrement policier » de personnes mises en examen pour une tionale qui prévoit que, en cas de refus de la personne mise en
infraction pénale intentionnelle poursuivie d’office, les autorités examen pour une infraction intentionnelle poursuivie d’office, de
de police ont demandé au Spetsializiran nakazatelen sad (tribu- coopérer spontanément à la collecte des données biométriques
nal pénal spécialisé bulgare) d’autoriser l’exécution forcée de la et génétiques la concernant aux fins de leur enregistrement, la
collecte des données génétiques et biométriques de V. S. Seules juridiction pénale compétente est tenue d’autoriser une mesure
des copies de l’ordonnance de sa mise en examen et de la décla- d’exécution forcée de cette collecte, sans disposer du pouvoir
ration de son refus à la collecte de ses données accompagnaient d’apprécier s’il existe des motifs sérieux de considérer que la
la requête des autorités de police. personne concernée a commis l’infraction pour laquelle elle est
mise en examen, pour autant que le droit national garantisse ul-
Cette juridiction avait des doutes sur la compatibilité de la légis- térieurement le contrôle juridictionnel effectif des conditions de
lation bulgare applicable à cet « enregistrement policier » avec la cette mise en examen, dont découle l’autorisation de procéder
directive 2016/680 lue à la lumière de la Charte et a, par consé- à ladite collecte ».
quent, saisi la CJUE à titre préjudiciel.
Enfin à la suivre, « l’article 10 de la directive 2016/680, lu en com-
Elle précise, tout d’abord, les conditions dans lesquelles le traite- binaison avec l’article 4, paragraphe 1, sous a) à c), ainsi qu’avec
ment des données biométriques et génétiques par les autorités l’article 8, paragraphes 1 et 2, de cette directive doit être inter-
de police peut être considéré comme étant autorisé par le droit
prété en ce sens que : il s’oppose à une législation nationale qui
national, au sens de la directive 2016/680.
prévoit la collecte systématique des données biométriques et
Elle se prononce, ensuite, sur la mise en œuvre de l’exigence, génétiques de toute personne mise en examen pour une infrac-
visée à cette directive, concernant le traitement de données tion intentionnelle poursuivie d’office aux fins de leur enregistre-
d’une catégorie de personnes à l’égard desquelles il existe des ment, sans prévoir l’obligation, pour l’autorité compétente, de
motifs sérieux de considérer qu’elles sont impliquées dans une vérifier et de démontrer, d’une part, si cette collecte est absolu-
infraction pénale et sur le respect du droit à une protection ju- ment nécessaire à la réalisation des objectifs concrets poursuivis
ridictionnelle effective ainsi que du principe de la présomption et, d’autre part, si ces objectifs ne peuvent pas être atteints par
d’innocence dans le cas où la législation nationale permet à la des mesures constituant une ingérence de moindre gravité pour
juridiction nationale compétente d’autoriser la collecte forcée de les droits et les libertés de la personne concernée ». n
en matière de protection des Le CPC suivra activement la mise en œuvre de ces engagements
et les autorités nationales contrôleront et assureront leur respect
consommateurs : les engagements si des problèmes subsistent. n
pris par Google
Afin de poursuivre la mise en conformité de
ses pratiques avec le droit de l’UE, principale- COMMERCÉ ELECTRONIQUE
ment en ce qui concerne l’absence de transpa-
ÎRLDI 4639
rence et d’informations claires à l’intention des
consommateurs, Google a pris l’engagement
d’apporter des modifications à plusieurs de ses
Marketing d’influence : 60% des
produits et services. influenceurs ciblés par la DGCCRF
Commission européenne, 26 janv. 2023 en anomalie
À la suite du dialogue engagé en 2021 avec le réseau de coo- La DGCCRF enquête sur les pratiques commerciales
pération en matière de protection des consommateurs (CPC), des influenceurs. Selon ses constats, sur la soixantaine
coordonné par la Commission européenne et dirigé par l’auto-
rité néerlandaise pour les consommateurs et la Direction géné- d’influenceurs qu’elle a ciblés depuis 2021, 6 sur 10
rale de l’Inspection économique belge, Google a manifesté sa ne respectaient pas la réglementation sur la publicité
volonté de s’attaquer aux problèmes soulevés par les autorités et les droits des consommateurs. Elle a ainsi engagé
et à apporter des modifications à Google Store, Google Play plusieurs procédures pour rappeler à l’ordre, voire
Store, Google Hotels et Google Flights pour garantir le respect sanctionner les fautifs.
des règles de l’UE en matière de protection des consommateurs.
DGCCRF, 23 janv. 2023
Google s’est ainsi engagée à limiter sa faculté d’effectuer des
modifications unilatérales en lien avec les commandes en ce qui En expansion depuis quelques années, le métier de l’influence et
concerne les prix ou les annulations et à créer une adresse élec- de la création des contenus présente aujourd’hui de nombreux
tronique dont l’utilisation sera réservée aux autorités de protec- enjeux socio-économiques. Le recours aux influenceurs pour
tion des consommateurs, afin que celles-ci puissent signaler les promouvoir des produits ou services s’est fortement développé,
contenus illicites et en demander la suppression rapide. notamment pour permettre aux entreprises de toucher les jeunes
consommateurs qui sont particulièrement attentifs aux réseaux
Google s’est plus précisément engagée à apporter une série de sociaux.
modifications à ses pratiques dont les suivantes :
En raison de ce développement, la Direction générale de la
pour Google Flights et Google Hotels : mention claire précisant Concurrence, de la Consommation et de la Répression des
aux consommateurs s’ils concluent un contrat directement avec fraudes (DGCCRF) réalise depuis plusieurs années des enquêtes
Google ou si cette dernière agit simplement en tant qu’intermé- afin de contrôler les pratiques commerciales des influenceurs et
diaire ; Indication claire du prix utilisé comme référence lorsque le respect des dispositions protégeant les consommateurs.
des remises font l’objet de publicités sur la plateforme, et men-
tion du fait que les avis ne sont pas vérifiés sur Google Hotels Afin de vérifier le respect de ces dispositions, les services de la
; acceptation des mêmes engagements en matière de transpa- DGCCRF ont ciblé et contrôlé plus d’une soixantaine d’influen-
rence que ceux des autres grandes plateformes d’hébergement ceurs et agences depuis 2021, actifs dans la promotion de pro-
en ce qui concerne la présentation des informations, par exemple duits et services tels que les compléments alimentaires, les pro-
sur les prix ou les disponibilités, aux consommateurs ; concernant grammes « minceur », les cosmétiques, ou encore les services de
Google Play Store et Google Store : mise à disposition d’infor- trading ou de paris en ligne.
mations précontractuelles claires sur les coûts de livraison, le Les contrôles ont notamment visé les influenceurs disposant d’un
droit de rétractation et la disponibilité de possibilités de répa- nombre très significatif d’abonnés ou faisant l’objet de signale-
ration ou de remplacement. En outre, Google facilitera égale- ments par les consommateurs. A cette occasion, les services ont
ment l’obtention d’informations sur l’entreprise (par exemple sa constaté que les pratiques de 60 % des influenceurs contrôlés
raison sociale et son adresse) et de coordonnées pour une prise présentaient des anomalies par rapport à la règlementation.
de contact directe et effective (par exemple via une permanence
téléphonique) ; indication claire de la manière dont il est pos- Ainsi, la totalité des influenceurs en anomalie ne respectaient pas
sible de consulter les versions de Google Play Store propres à les règles relatives à la transparence du caractère commercial de
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leurs publications. Parmi eux, certains ont également trompé les Une consultation publique est ouverte jusqu’au 31 janvier sur le
consommateurs sur les propriétés des produits vendus (fausses site make.org. Cette consultation permet à tous les Français de
allégations anti-covid, produits bio ou naturels qui ne l’étaient s’exprimer sur 11 mesures réparties en quatre thématiques : les
pas…) ou ont promu des produits ou services risqués, notam- droits et obligations des influenceurs, la propriété intellectuelle,
ment dans le domaine des paris sportifs, en s’affranchissant des la protection des consommateurs et la gouvernance du secteur.
règles encadrant ces produits.
La DGCCRF recommande aux consommateurs d’être vigilants
Dans les cas les plus graves, certains influenceurs ont réalisé des quant aux annonces proposées sur les réseaux sociaux et pro-
opérations de promotions non autorisées, comme celle de l’utili- mues par des influenceurs. Il est important de prendre le temps
sation du compte de formation professionnelle (CPF) pour récu- de la réflexion et de ne pas succomber à un achat compulsif, de
pérer des espèces ou des cadeaux, et donc détourner de l’argent bien comparer les prix et les caractéristiques des produits entre
dédié à la formation, ou celle d’injections à visée esthétique par plusieurs sites avant de commander et de faire jouer la concur-
des esthéticiens et des non professionnels de santé, pratique qui rence. Enfin, si l’identité et les coordonnées du vendeur (avec
n’est pas dénuée de risque pour la santé. adresse de contact, et un mail ou numéro de téléphone) ne fi-
Enfin, certains influenceurs pratiquant le dropshipping en ou- gurent pas sur le site de e-commerce promu par un influenceur,
blient les règles associées, notamment, dans ce cas, leurs obliga- il est préférable de ne pas acheter sur ce site. Elle a par ailleurs
tions en tant que vendeur vis-à-vis des consommateurs. mis en place sur sa plateforme SignalConso, une rubrique dédiée
aux pratiques commerciales déloyales sur les réseaux sociaux, et
A la suite de ces constats, les services de la DGCCRF ont engagé invite les consommateurs lésés à y laisser un signalement. n
plusieurs procédures afin que les contrevenants soient sanction-
nés.
ÎRLDI 4640
Suivant le degré de gravité, les suites données aux enquêtes iront
de l’avertissement à la transmission d’un procès-verbal d’infrac- L’avertissement scientifiquement
tion au procureur de la République. Les pratiques commerciales
trompeuses, comme le fait de masquer le caractère commercial justifié ne constitue ni une pratique
d’une publication, peuvent en effet être punies de deux ans commerciale déloyale ni un acte de
d’emprisonnement et jusqu’à 300 000 € d’amende. Les pratiques
des influenceurs donnent également lieu à mesures d’injonction dénigrement
en cessation, dont le non-respect est également passible d’une
sanction. Ces suites peuvent enfin être assorties de mesures de
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a estimé
publicité informant le grand public des faits constatés et des que la société de l’espèce n’engageait pas sa
suites données. responsabilité à l’égard du producteur dont
les jambons étaient référencés sur son service
Au même titre que les acteurs traditionnels du secteur publici-
taire, les influenceurs doivent respecter l’ensemble des règles
comme « mauvais ».
s’appliquant aux publicités. Ils doivent par exemple indiquer si CA Aix-en-Provence, 8 déc. 2022, n°2022/354
leur publication a un caractère commercial (rémunération directe
Une société spécialisée dans la fabrication de charcuterie in-
ou indirecte par l’entreprise) ou respecter les modalités spéci-
dustrielle avait constaté qu’un de ses jambons était référencé
fiques de publicité relatives à certains produits ou services (ser-
comme « mauvais » sur l’application YUKA, notamment en raison
vices financiers ou jeux d’argent) ainsi que les interdictions de
publicité (tabac/alcool, médicaments, produits dangereux…). de la présence de nitrites pourtant autorisés par la réglementa-
Ces dispositions sont importantes pour permettre aux consom- tion européenne. La fiche produit comportait également un ban-
mateurs d’être informés en toute transparence et en toute sécu- deau renvoyant à la signature d’une pétition pour l’interdiction
rité, et pour garantir une concurrence loyale dans le secteur de des nitrites.
la publicité. Elle a estimé que la société YUCA s’était rendue notamment cou-
Les contrôles de la DGCCRF montrent l’appropriation encore in- pable de pratiques commerciales déloyales, ainsi que de déni-
suffisante par certains influenceurs des régles qui s’appliquent grement. Elle l’a ainsi assigné devant le Tribunal de commerce
en matière de publicité. La DGCCRF reste ainsi extrêmement vi- d’Aix-en-Provence.
gilante pour protéger les consommateurs, en particulier les plus Il a considéré qu’elle avait engagé sa responsabilité civile et l’a
jeunes, face aux manquements de certains acteurs du secteur condamnée à payer 25 000 € au producteur de charcuterie, en
de l’influence. Elle intensifiera ses contrôles durant les prochains réparation de son préjudice moral.
mois.
Elle a alors interjeté appel de ce jugement devant la Cour d’appel
Par ailleurs, pour éviter que ces agissements négatifs nuisent
d’Aix-en-Provence qui a infirmé la décision de première instance.
aux consommateurs et au développement du secteur, Bruno Le
Maire, Ministre de l’économie, des Finances et de la Souveraineté Les juges d’appel ont ainsi relevé que la société YUCA propose
industrielle et numérique, a lancé une démarche de co-construc- un service d’information qui renseigne les consommateurs sur la
tion pour mieux accompagner et encadrer l’activité d’influence. qualité des produits qui leurs sont offerts à la consommation, aux
fins de les aider dans leurs choix alimentaires et de pousser les OBSERVATIONS
industriels à proposer des produits de meilleure qualité.
Du présent arrêt on retiendra que la société qui propose un
À cet égard, ils ont estimé que sa responsabilité devait être exami- service d’information et avertit ses utilisateurs des dangers pré-
née en tenant compte des règles relatives à la liberté d’expression. sumés d’un produit, sur la base d’une méthode transparente et
à l’appui de documentations scientifiques, n’engage pas sa res-
S’agissant des demandes formulées sur le fondement des pra-
tiques commerciales déloyales, les juges ont rappelé qu’une telle ponsabilité délictuelle. n
pratique est caractérisée lorsqu’elle remplit deux conditions : elle
altère ou est susceptible d’altérer le comportement économique ÎRLDI 4641
du consommateur et elle est contraire aux exigences de la dili-
gence professionnelle. Vente sur une marketplace de
Ils ont considéré que le premier critère était rempli. Ils ont en produits soumis à un réseau de
effet relevé que le fait pour l’application d’indiquer qu’un produit
alimentaire était « mauvais » et de lui attribuer une faible note
distribution sélective et absence de
était susceptible de modifier le comportement du consomma- trouble manifestement illicite
teur qui est fortement dissuadé d’acheter le produit.
La Cour de cassation a considéré que la vente sur
Sur le second critère, ils ont rappelé que cette société était tenue
au titre de ses diligences professionnelles « de fournir une infor- une marketplace de produits soumis à un réseau de
mation permettant au consommateur de choisir les produits les distribution sélective ne constitue pas un trouble
meilleurs pour sa santé ». manifestement illicite - condition nécessaire pour
Ils ont relevé à cet égard que l’application explicitait à raison fonder la compétence du juge des référés – lorsqu’elle
aux consommateurs les critères de notation qu’elle utilisait. Par est réalisée par un particulier.
ailleurs, elle fournissait les fondements de l’information commu- Cass. com. 11 janv. 2023, n°21-21.847, FB
niquée en mettant à leur disposition des articles scientifiques «
issus d’un travail de recherche non contestable ». La société Ebay gère et exploite la plateforme www.ebay.fr sur
laquelle des offres de produits divers sont postées par des tiers.
Enfin, le producteur de charcuteries ne rapportait pas la preuve que
la société YUCA avait dérogé à ses règles méthodologiques et à ses La société Beauté Prestige International Shiseido EMEA (la socié-
critères de notation pour défavoriser les produits concernés. té BPI) produit et commercialise des cosmétiques et des parfums
sous la marque Shiseido et sous d’autres marques de luxe.
Ils ont en conséquence débouté le producteur de sa demande
au titre des pratiques commerciales déloyales. Soutenant que des ventes effectuées sur le site Ebay portaient
atteinte à son réseau de distribution sélective et sont ainsi consti-
Il sollicitait également la condamnation de la société au titre
d’actes de dénigrement. tutives d’actes de concurrence déloyale, la société BPI a assigné
en référé la société Ebay en cessation de la commercialisation des
Ils ont estimé que le fait de référencer un produit comme « mau- produits en France par le biais de la plateforme et en paiement
vais » était de nature à jeter le discrédit sur ce dernier. d’une provision à valoir sur l’indemnisation du préjudice causé.
Pour autant, le dénigrement ne peut être constitué lorsque Elle reproche à l’arrêt d’appel d’avoir estimé n’y avoir lieu à référé
l’information litigieuse répond à trois critères suivants : elle se sur ses demandes dirigées contre la société Ebay. Il est confirmé
rapporte à un sujet d’intérêt général, elle repose sur une base par la Cour de cassation.
factuelle suffisante, elle est exprimée dans une certaine mesure.
Elle rappelle que selon l’article L. 442-2 du code de commerce :
La Cour d’appel a ainsi retenu, pour les mêmes motifs factuels « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le
tenant à la documentation fournie par YUCA, qu’elle avait suffi- préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activi-
samment justifié son avertissement. tés de production, de distribution ou de services, de participer
Elle observe par ailleurs que cette information s’inscrivait incon- directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de
testablement dans un sujet d’intérêt général et ne ciblait pas revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de dis-
spécifiquement le producteur mais bien l’ensemble des indus- tribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles appli-
triels concernés. cables du droit de la concurrence ».
De plus, les termes employés par l’application respectaient la Elle en déduit que « les ventes accomplies par de simples parti-
mesure requise dans le cadre de la diffusion d’informations, no- culiers ne sont pas susceptibles de constituer une violation d’une
tamment car l’appelante ne se prévalait d’aucune autorité scien- interdiction de revente hors réseau de distribution sélective ».
tifique officielle et reconnue.
Elle observe ensuite qu’après avoir exactement retenu que les
Les juges ont en conséquence considéré que la responsabilité particuliers n’étaient pas concernés par l’interdiction de revendre
de YUCA ne pouvait pas être retenue sur le fondement du dé- des produits faisant l’objet d’un réseau de distribution sélective,
nigrement. l’arrêt a retenu que les captures d’écran produites par la société
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BPI ne permettent pas de démontrer si les vendeurs sont des L’objectif poursuivi est de développer et faire rayonner la tech sur
professionnels ou des particuliers. tous les territoires, y compris dans les Outre-Mer et à l’étranger.
Elle en conclut que « c’est sans inverser la charge de la preuve Le ministre a précisé à cette occasion qu’« en ce début d’année
que la cour d’appel a considéré que le trouble manifestement 2023, si symbolique pour la French Tech qui célèbre ses 10 ans
illicite n’était pas caractérisé avec l’évidence requise en référé ».
cette année, nous venons confirmer et consolider le réseau des
OBSERVATIONS Capitales et Communautés French Tech. C’est d’abord le renfort
Cette décision n’est pas vraiment surprenante dès lors qu’en du réseau des Capitales qui s’enrichit de 3 nouvelles entrées :
l’absence d’un trouble de trouble manifestement illicite, le juge La French Tech BourgogneFranche-Comté, La French Tech Pa-
ne pouvait valablement ordonner à la marketplace de faire cesser ris-Saclay et La French Tech La Réunion, première Capitale dans
la commercialisation des produits litigieux. une région d’Outre-mer. Le réseau des Communautés, en France,
accueille lui 2 nouveaux entrants (Marnela-Vallée et Mont-Blanc)
Néanmoins la question de la responsabilité d’une place de mar-
ché dans ces circonstances reste entière même si elle semble et renforce son lien de coordination avec les Capitales. À l’in-
difficilement admissible même dans l’hypothèse où elle aurait la ternational, les Communautés French Tech restent présentes sur
qualité d’éditeur. n tous les continents, avec des implantations dans 52 pays ! En
Europe tout particulièrement, de nouvelles Communautés ont
pu se créer, avec par exemple 3 Communautés en Allemagne à
Berlin, Munich et Düsseldorf ».
NUMÉRIQUE
On rappellera que pour mener à bien son action, la Mission
ÎRLDI 4642 French Tech a fédéré des entrepreneuses et entrepreneurs enga-
gés, sous la forme de ce réseau des Capitales et Communautés,
Labellisation 2023-2025 Capitales avec un double enjeu : favoriser le déploiement de l’action et
Communautés French Tech du soutien de l’état à la French Tech partout en France et dans
le monde et formaliser cet accompagnement des entrepreneurs
Jean-Noël Barrot, Ministre délégué chargé de la par les entrepreneurs.
Transition numérique et des Télécommunications,
Consolidé au cours des années, ce réseau a déjà de très belles
a dévoilé, le 2 février, les 16 Capitales et les 32
réussites à son actif. Il a ainsi permis le déploiement des pro-
Communautés françaises labellisées pour la période grammes de la Mission French Tech et a pu fédérer localement
2023-2025 par la Mission French Tech. les différents acteurs de l’innovation, conditions indispensables à
MINEFI, 2 févr. 2023 l’éclosion et à la croissance de nouvelles start-up. n
En bref…
Par Lionel COSTES com a reçu 85 saisines des ayants droit du tées poursuivent leur diffusion dans nos foyers :
sport portant sur dix compétitions sportives. la proportion de possesseurs de ces équipe-
787 noms de domaine de sites miroirs ont été ments augmente de 7 points par rapport à 2020
LOPMI : promulgation et entrée notifiés par l’Autorité aux fournisseurs d’accès pour atteindre respectivement 40 % et 27 %.
en vigueur du nouveau chapitre à internet qui ont appliqué les mesures de blo- En 2022, 87 % des répondants possèdent
du Code des assurances sur les cage avec une particulière diligence. un smartphone (+3 points par rapport à 2020).
risques de cyberattaques Au total, grâce à ces actions, auxquelles Parmi eux, 89 %, déclarent envoyer des mes-
s’ajoutent les services bloqués par les fournis- sages grâce aux applications proposant ce
L’article 5 de la loi n° 2023-22 d’orientation et
seurs d’accès en exécution des décisions judi- service (+10 points par rapport à 2020), et 78 %
de programmation du ministère de l’intérieur
ciaires initiales, ce sont 1 299 sites illégaux qui les utilisent pour téléphoner (+11 points). Plus
crée un nouveau chapitre du Code des assu-
ont été bloqués au bénéfice de la protection des généralement, la navigation sur internet depuis
rances sur les risques de cyberattaques.
retransmissions sportives depuis le début 2022. les smartphones concerne désormais 92% des
Ainsi, le titre II du livre Ier du code des assu- répondants (+5 points par rapport à 2020).
Pour l’Arcom, grâce à la coopération opéra-
rances est complété par un chapitre X ainsi Les achats en ligne, qui avaient connu un essor
tionnelle mise en place entre l’Autorité, les
rédigé : « Chapitre X inégalé en 2020 au moment de la crise sani-
ayants droit et les fournisseurs d’accès à in-
« L’assurance des risques de cyberattaques ternet, sur le seul premier semestre 2022, l’au- taire, se pérennisent en 2022 : 8 personnes sur
« Art. L. 12-10-1.-Le versement d’une somme en dience sportive illicite globale a ainsi diminué 10 déclarent avoir effectué au moins un achat
application de la clause d’un contrat d’assurance de moitié (49 %). Il convient néanmoins de en ligne au cours de l’année (77 %, +1 point
visant à indemniser un assuré des pertes et dom- rester vigilant. par rapport à 2020).
mages causés par une atteinte à un système de Ainsi, de nouveaux modes d’accès aux ser- On retiendra également que la proportion de
traitement automatisé de données mentionnée vices frauduleux (IPTV illicites, VPN ou de DNS personnes disposant d’une connexion inter-
aux articles 323-1 à 323-3-1 du code pénal est su- alternatifs) nécessitent de toujours rechercher net fixe à domicile se stabilise à 85 % depuis
bordonné au dépôt d’une plainte de la victime les mesures les plus pertinentes à mettre en plusieurs années, et parmi elles, 56 % utilisent
auprès des autorités compétentes au plus tard place comme de solliciter l’ensemble des ac- désormais un accès en fibre optique ou via le
soixante-douze heures après la connaissance de teurs susceptibles d’intervenir pour faire ces- réseau câblé (très haut débit).
l’atteinte par la victime. ser les atteintes aux droits. Le taux d’utilisateurs des réseaux en fibre a
« Le présent article s’applique uniquement L’Arcom, l’APPS, la FFTélécoms et Iliad se sont fortement progressé en 2022 (+17 points par
aux personnes morales et aux personnes phy- félicitées de cet accord qui doit permettre de rapport à 2020) grâce au déploiement rapide
siques dans le cadre de leur activité profes- renforcer et d’accélérer les mesures prises de ces réseaux en 2020 et 2021. L’accroisse-
sionnelle ». pour protéger les manifestations sportives. ment du taux de foyers connectés est élevé
Ce nouveau chapitre du Code des assu- quelle que soit la taille de la commune (Ar-
En effet, les parties se sont accordées à la fois
rances « entre en vigueur trois mois après la com, 30 janv. 2023).
sur des bonnes pratiques en matière judiciaire
promulgation de la présente loi », soit le 24 mais aussi sur la prise en charge des coûts de
avril 2023. l’automatisation des mesures de blocage no- Panorama de la cybermenace
Dans cet intervalle, les assureurs devront iden- tifiées par l’Arcom sur saisine des ayants droit 2022 de l’ANSSI
tifier dans chacun de leurs contrats l’ensemble (Arcom, 18 janv. 2023).
Dans son « Panorama de la cybermenace
des garanties susceptibles d’être concernées 2022 », l’Agence nationale de la sécurité des
par l’obligation de dépôt de plainte. Ils pour- Les points clés de l’édition 2022 systèmes d’information (ANSSI) fait état des
ront attirer l’attention de leurs assurés sur grandes tendances de la menace cyber ayant
cette nouvelle règle d’ordre public et la sanc-
du Baromètre du numérique
rythmé 2022.
tion radicale en cas de défaut (L. n° 2023-22, L’Arcep, le Conseil général de l’économie,
24 janv. 2023, art. 5, JO 25 janv.). l’Agence nationale de la cohésion des territoires Les tendances observées l’année précédente
(ANCT) et depuis cette année l’Arcom – dans se sont confirmées et ce malgré l’intensifica-
le cadre du « Pôle numérique commun Arcep – tion du conflit russo-ukrainien et de ses effets
Signature de l’accord entre les Arcom » publient les résultats du Baromètre du dans le cyberespace.
fournisseurs d’accès à internet numérique, une étude annuelle réalisée par le On retiendra plus spécialement que le ni-
et les titulaires de droits CREDOC sur la diffusion des équipements nu- veau général de la menace se maintient en
sportifs visant à protéger les mériques et l’évolution de leurs usages. 2022 avec 831 intrusions avérées contre 1082
Ses résultats ont été dévoilés par Jean-Noël en 2021. Si ce nombre est inférieur à celui de
retransmissions sportives 2021, cela ne saurait être interprété comme
Barrot, Ministre délégué chargé de la Transi-
L’Arcom, l’Association pour la protection des une baisse du niveau de la menace.
tion numérique et des Télécommunications.
programmes sportifs (APPS) et la Fédération
L’édition 2022 intègre la qualité de service res- En effet, si une chute de l’activité liée aux rançon-
Française des Télécoms (FFTélécoms, Orange,
sentie par les utilisateurs sur les réseaux fixes et giciels a bien été observée par l’ANSSI sur les
Bouygues Télécom et SFR) auquel se joint le
mobiles et complète ses travaux sur l’empreinte opérateurs régulés publics et privés à l’exception
groupe Iliad, ont signé un accord entre les des hôpitaux, elle n’illustre pas l’évolution géné-
quatre principaux fournisseurs d’accès à internet environnementale des équipements numériques.
rale de cette menace cyber qui se maintient à
(FAI) et l’APPS visant à renforcer la lutte contre On retiendra que la multiplication des équipe- un niveau élevé en se déportant sur des entités
la diffusion illicite de contenus sportifs en ligne. ments au sein du foyer et le développement moins bien protégées (ANSSI, 24 janv. 2023).
Ainsi qu’il est rappelé, depuis un an, en appli- des usages numériques se poursuivent.
cation de l’article L. 333-10 du code du sport et Les objets connectés (domotique, électro- Suivez l’actualité en temps réel du droit
en amont de la conclusion de cet accord, l’Ar- nique, santé, sécurité) et les enceintes connec- de l’immatériel sur twitter : @RLDI_lamy
http://lamyline.lamy.fr
Caméras « intelligentes » :
sécuriser leur conformité au RGPD
Marie-Eugénie HURNIC
Avocate
Département IP/IT et protection des données
Ernst & Young Société d’Avocats
ÎRLDI 4643
L
e 19 juillet dernier, la Commission Nationale Informatique dispositifs dépassent l’encadrement juridique applicable à la vidé-
et Libertés (« CNIL ») a publié sa position sur les conditions oprotection.
de déploiement des dispositifs de vidéo « augmentée » ou
A noter que la CNIL et le Comité européen de la protection des
« caméras intelligentes » dans les lieux ouverts au public(1). Face au
données (« CEPD »)(5) distinguent la reconnaissance faciale en rai-
développement croissant de ce type de dispositifs dans un cadre
son de son caractère particulièrement intrusif, puisqu’elle permet
juridique incertain, la CNIL avait appelé en septembre 2018 à un
d’identifier automatiquement un individu et implique le traitement
débat démocratique(2). La publication de la position de la CNIL
de données biométriques au sens de l’article 9 du RGPD. Elle est
s’inscrit dans ce débat et fait suite à une consultation publique lan-
de ce fait soumise à des obligations complémentaires que nous ne
cée le 14 janvier 2022(3).
commenterons pas ici.
Les caméras ou dispositifs vidéo « augmentés » sont définis
Les enjeux soulevés par les dispositifs vidéo « augmentés » sont
comme « des dispositifs vidéo auxquels sont associés des logiciels
divers. Ces technologies ont déjà par le passé provoqué des inter-
permettant une analyse automatique de l'image afin de détecter
ventions ponctuelles de la CNIL, notamment :
par exemple des formes ou des objets, d'analyser des mouve-
ments, etc. »(4). - Le premier cas pour lequel la CNIL a considéré le cadre juri-
dique existant comme insuffisant concernait l’usage de « ca-
Les systèmes classiques de vidéoprotection par caméras se
méras-piétons » par les forces de l’ordre en 2015(6). Le législa-
doublent aujourd’hui de nouvelles technologies constituées de
teur est intervenu en 2016 pour encadrer leur usage(7).
logiciels de traitements automatisés d’images associés auxdites
caméras et permettant la déduction d’informations supplémen- - En 2018, la CNIL appelait à nouveau le législateur à revoir le
taires et générant des données supplémentaires. Ces nouveaux cadre juridique existant, cette fois face au développement de
nouveaux usages de caméras vidéo « intelligentes » pour pré- de prospection ciblée, analyse de la fréquentation des enseignes
venir ou réprimer les troubles à l’ordre public(8). de centres commerciaux à des fins d’amélioration de leur gestion,
développement de commerces autonomes sans caisses, etc.).
- La CNIL a aussi appelé à la vigilance en juin 2020 concernant
les nouveaux dispositifs vidéo destinés à faciliter la gestion de La CNIL n’interdit pas par principe le recours aux dispositifs de
la crise sanitaire et a demandé à ce que leur usage soit in- caméras « intelligentes ». Pour autant, leur déploiement requiert
terrompu, faute d’un encadrement légal suffisant(9). Le cas des le respect de plusieurs conditions qui peuvent s’avérer difficiles à
caméras thermiques a été abordé plus particulièrement(10), la remplir en pratique.
CNIL ayant alerté sur la nécessité d’un encadrement normatif
de ces traitements particulièrement intrusifs notamment en I.- LE CADRE JURIDIQUE APPLICABLE AUX DISPOSI-
raison du traitement de données de santé(11). TIFS DE CAMÉRAS « INTELLIGENTES »
- Toujours dans le cadre de la crise sanitaire, l’exécutif s’est Le régime juridique traditionnel du code de la sécurité intérieure
prononcé par décret sur l’usage des caméras « intelligentes » applicable à la vidéoprotection se révèle insuffisant face aux nou-
pour mesurer le port du masque dans les transports, le 10 mars veaux usages générés par les caméras « intelligentes » (A). En
2021(12). La CNIL a rendu un avis sur le projet, relevant notam- revanche, les traitements de données personnelles générés par
ment que le dispositif envisagé n’avait pas vocation à traiter l’utilisation de ces dispositifs sont appréhendés par le RGPD (B)(14).
des données biométriques et ne devait pas servir à poursuivre
des infractions(13). Nous reviendrons sur cet avis, en ce qui
A.- Le cadre juridique traditionnel prévu par le Code de
concerne plus particulièrement le droit d’opposition, dans la
section 2.2 ci-dessous.
la sécurité intérieure se révèle insuffisant
Le régime applicable aux dispositifs de vidéoprotection est régi
Au regard des éléments qui précèdent, on constatera que les si-
par le Code de la sécurité intérieure (CSI), notamment les articles
tuations déjà encadrées juridiquement sont spécifiques à plusieurs
L.251-1 et L.251-2.
égards - en raison du contexte dans lequel elles ont émergé (ex. la
crise sanitaire) et des personnes qui en sont à l’initiative ou desti- Ce régime implique l’obligation de demander une autorisation
nataires (les forces de l’ordre ou services en charge d’une mission préfectorale(15) préalable et s’applique aux systèmes de vidéo-
d’intérêt public). Ces situations ont tout de même pu servir de protection mis en place sur la voie publique ou dans des lieux et
base à une réflexion plus générale en la matière. établissements ouverts au public. Il se définit par opposition au
régime de vidéosurveillance qui fait référence aux dispositifs per-
Dans sa position de juillet 2022, la CNIL présente une liste de cas
mettant de filmer les lieux privés ou non ouverts au public(16) (locaux
d’usage auxquels elle a été confrontée, aussi bien dans le secteur
d’entreprises, de commerces, d’hôtels réservés aux salariés, etc.)(17).
public (exercice de leurs missions de police administrative et judi-
ciaire par des autorités publiques, régulation des flux de circulation Selon l’article L. 251-2 du CSI, un dispositif de vidéoprotection
et l’aménagement de leur territoire par des collectivités, mesure peut être mis en place (i) soit sur la voie publique par les auto-
de l’affluence et de la fréquentation des quais du métro ou d’une rités publiques compétentes et ne peut alors être utilisé que
gare à des fins de diffusion de messages informatifs dynamiques, pour une liste limitative de finalités en lien avec la sécurité des
ou encore évaluation du niveau de respect des règles sanitaires en personnes et des biens, (ii) soit par des acteurs privés « dans
vigueur, etc.) que dans le secteur privé (sécurisation des personnes des lieux et établissements ouverts au public aux fins d’y as-
et des biens dans des magasins en détectant les vols et compor- surer la sécurité des personnes et des biens lorsque ces lieux
tements suspects, salles de concert ou autres établissements rece- et établissements sont particulièrement exposés à des risques
vant du public, mesure de l’audience des panneaux publicitaires d’agression ou de vol. »
sur la base d’un comptage des individus passant à proximité ou
prospection grâce à la prise en compte des attributs des indivi-
dus passant près d’un panneau publicitaire, réalisation d’actions
(14) Nous ne traiterons pas dans cet article du régime prévu par la direc-
(8) La CNIL appelle à la tenue d'un débat démocratique sur les nouveaux tive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril
usages des caméras vidéo | CNIL 2016, dite directive « Police - Justice », transposée au titre III de la loi
du 6 janvier 1978 qui établit des règles spécifiques principalement
(9) Caméras dites « intelligentes » et caméras thermiques : les points de dans le cadre du traitement de données personnelles mis en œuvre
vigilance de la CNIL et les règles à respecter | CNIL par certains entités (autorité publique compétente ou tout autre or-
(10) La CNIL appelle à la vigilance sur l'utilisation des caméras dites « in- ganisme ou entité à qui a été confié, à ces mêmes fins, l’exercice
telligentes » et des caméras thermiques | CNIL de l’autorité publique et des prérogatives de puissance publique) à
(11) Caméras dites « intelligentes » et caméras thermiques : les points de des fins notamment de préventions ou de détection des infractions
vigilance de la CNIL et les règles à respecter | CNIL pénales.
(12) Décret n° 2021-269 du 10 mars 2021 relatif au recours à la vidéo intel- (15) Article L. 252-1 CSI.
ligente pour mesurer le taux de port de masque dans les transports (16) « RGPD. Mettre en œuvre un dispositif de vidéosurveillance » N°
- Légifrance (legifrance.gouv.fr) 1187, G. Desgens-Pasanau, dernière mise à jour 6 Juillet 2020 et Site
(13) Délibération n°2020-136 du 17 décembre 2020 portant avis sur un internet de la CNIL : Vidéoprotection, vidéosurveillance, c’est quoi la
projet de décret relatif au recours à la vidéo intelligente pour mesurer différence ? | Besoin d’aide | CNIL.
le taux de port de masque dans les transports (cnil.fr) (17) Vidéoprotection : quelles sont les dispositions applicables ? | CNIL
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Un dispositif de vidéoprotection à des fins autres que sécuritaire informées de l’objectif du traitement conformément aux ar-
n’est donc pas soumis au CSI. Cette interprétation est confortée ticles 12 et 13 du RGPD. A titre d’exemple, le CEPD indique
par une Circulaire du 22 octobre 1996(18) qui énonce explicitement que toute vidéosurveillance invoquant le seul objectif de « sé-
« qu'une installation de vidéosurveillance motivée exclusivement curité » ou se fondant sur la mention « pour votre sécurité »
par une finalité commerciale, fût-elle dans un lieu ouvert au public n’est pas motivée de manière suffisamment précise. Une infor-
comme une grande surface, ne rentre pas dans le champ d’appli- mation à plusieurs niveaux peut être fournie. Enfin, en raison
cation de la loi », c’est-à-dire des articles L. 251-1 et suivants du notamment de leur caractère innovant, les traitements mis en
CSI. œuvre via les systèmes de caméras « intelligentes » répondent
généralement à la nécessité de réaliser une analyse d’impact
La CNIL confirme par ailleurs que le CSI, qui fixe donc le cadre
relative à la protection des données (« AIPD ») conformément
applicable aux dispositifs de vidéoprotection « classiques » pour
à l’article 35 du RGPD(20).
certaines finalités déterminées, n’est pas adapté à l’utilisation de
nouvelles technologies, mais considère qu’il n’interdit pas non plus
– par principe - son déploiement. II.- REGARD SUR CERTAINES CONDITIONS à REMPLIR
POUR ASSURER LA CONFORMITÉ DES DISPOSITIFS
B.- La conformité des traitements de données réalisés DE CAMÉRAS « INTELLIGENTES »
via les caméras « intelligentes » évaluée à l’aune Dans le cadre du déploiement de caméras « intelligentes », trois
du RGPD points majeurs de conformité sont susceptibles de générer des
difficultés : (A) l’identification de la base de licéité, (B) le respect
Dès lors qu’un système de caméras « intelligente » traite des don-
du droit d’opposition et (C) l’interprétation large de la notion de
nées personnelles, notamment des images permettant d’identi-
catégories particulières de données.
fier des personnes, l’ensemble des règles et principes du RGPD
doivent être respectés. Parmi ces règles et principes, nous pou-
vons noter en particulier : A.- La base de licéité applicable
- Le principe de limitation des finalités : le responsable de trai- A date, les éléments de doctrine ou de jurisprudence en lien avec
tement doit au préalable définir la ou les finalités poursuivie(s), la question de la base de licéité des traitements reposant sur des
qui devront être déterminées, explicites et légitimes. La CNIL systèmes de caméras vidéo dont nous disposons, concernent uni-
précise que le résultat de l’analyse réalisée via le dispositif doit quement des dispositifs vidéo classiques utilisés à des fins de sé-
être distingué de l’objectif poursuivi qui constitue la finalité. curité.
Par exemple, un dispositif qui analyse les comportements/ La jurisprudence européenne s’est notamment penchée sur la
mouvements de clients dans un magasin n’a pas pour objectif base de licéité des traitements de données personnelles réalisés
cette analyse elle-même mais éventuellement la détection et par des dispositifs vidéo utilisés dans des lieux non-ouverts au pu-
la comptabilisation des achats en magasin afin de leur éviter blic, par des particuliers. La CJUE a ainsi admis pour la première
un passage en caisse. fois, dans l’arrêt Rynes du 11 décembre 2014(21), que le propriétaire
- Le principe de minimisation des données : les données per- d’une habitation pouvait se prévaloir d’un intérêt légitime pour jus-
sonnelles doivent être adéquates, pertinentes et limitées à ce tifier l’installation de caméras de vidéosurveillance filmant l’entrée
qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles de son domicile, l’entrée de l’immeuble d’habitation situé en face
sont traitées. en son domicile ainsi que la voie publique et ce, dans le but de
protéger ses biens ainsi que la santé et la vie de sa famille.
La CNIL rappelle que, de manière plus générale, il faut s’assurer
du caractère nécessaire et proportionné du traitement à la finali- De plus, dans ses lignes directrices sur les dispositifs vidéo, le
té poursuivie. Ces critères devant être notamment démontrés au CEPD rappelle qu’en principe chacune des bases de l’article 6
regard (i) de l’absence de moyens moins intrusifs permettant d’at- du RGPD peut fournir une base de licéité pour le traitement des
teindre les finalités envisagées, (ii) des données personnelles impli- données de vidéosurveillance, mais il indique tout de même que
quées (volume, sensibilité, etc.), (iii) des conditions du traitement les « dispositions les plus susceptibles de s’appliquer » sont, en
et, en particulier, du périmètre de déploiement des dispositifs pratique : l’intérêt légitime, la mission d’intérêt public et à titre ex-
dans l’espace et dans le temps (nombre de caméras concernées, ceptionnel, le consentement. Il faut noter que les lignes directrices
étendue de leur champ, durée de leur déploiement, etc.) et (iv) des portent uniquement sur la vidéosurveillance pour une finalité «
garanties mises en œuvre et, en particulier, des remontées d’infor- classique » de protection de biens et autres actifs.(22)
mations aux responsables de traitement.(19) Pour les dispositifs vidéo « augmentés » à vocation économique
- Le principe de transparence et le droit à l’information des per- ou commerciale, la détermination de la base de licéité reste une
sonnes concernées : les personnes concernées doivent être question ouverte. Nous envisagerons, en conséquence, les trois
bases de licéité qui nous semblent les plus pertinentes en l’espèce
à savoir l’intérêt légitime, le consentement et la nécessité d’exé- RGPD. Toutefois, ces deux fondements restent difficilement envi-
cuter un contrat : sageables en pratique pour les systèmes à vocation économique
ou commerciale.
- Dans sa dernière publication, la CNIL n’exclut pas a prio-
ri la possibilité de fonder le traitement sur l’intérêt légitime.
Néanmoins, elle considère que l'intérêt légitime ne peut être B.- La difficulté de respecter le droit d’opposition
retenu comme base de licéité pour certains traitements par- Au titre de l’article 21 du RGPD, la personne concernée a le droit
ticulièrement intrusifs, c’est-à-dire ceux qui analysent le com- de s’opposer à tout moment à ce que ses données soient utilisées
portement notamment sur la base de la détection des gestes par un organisme pour un objectif précis, lorsque le traitement est
et des interactions. Une analyse approfondie de la balance fondé sur l’intérêt légitime ou la nécessité d’exécuter une mission
des intérêts pourrait néanmoins être réalisée en prenant en d’intérêt public. Dans ce cas, elle doit justifier « de raisons tenant
compte la doctrine de la CNIL sur ce sujet, à savoir vérifier que à [sa] situation particulière » et le responsable de traitement peut
l’intérêt poursuivi est « légitime », que le traitement satisfait démontrer qu’il bénéficie de motifs légitimes et impérieux pour
à la condition de « nécessité » et que le traitement ne heurte continuer le traitement. En cas de traitement à des fins de prospec-
pas les droits et intérêts des personnes dont les données sont tion commerciale, la personne concernée a le droit de s’opposer
traitées, compte tenu de leurs attentes raisonnables (ce point au traitement de manière discrétionnaire.
renvoie à la question du caractère nécessaire et proportionné
du traitement évoquée ci-dessus – section 1.2). S’il peut être envisageable d’exercer son opposition en appuyant
sur un bouton, en faisant un geste particulier devant une camé-
- La CNIL n’exclut pas non plus a priori la possibilité de fonder ra ou en stationnant dans une zone dédiée, ces moyens peuvent
le traitement sur la base du consentement. Toutefois, l’une des être complexes à mettre en place. De la même manière, le CEPD
principales conditions, conformément au RGPD, est que le précise que la personne concernée peut, par exemple, formuler
consentement soit libre(23). Il ne doit être ni contraint ni influen- une objection au moment d’entrer dans une zone, de la traverser,
cé et la personne ne doit pas subir de conséquences néga- ou après l’avoir quittée. Or, afin d’entériner cette opposition, le
tives en cas de refus. Par ailleurs, il convient de souligner que responsable de traitement doit être en mesure d’empêcher immé-
le consentement ne signifie pas une acceptation des risques diatement la caméra de traiter les données de la personne concer-
d’atteinte à la vie privée par la personne concernée. née, et la zone concernée doit être délimitée, ce qui peut s’avérer
Les conditions à respecter pour collecter un consentement valide particulièrement difficile à mettre en place.
peuvent donc être complexes à remplir dans le cas de caméras « intelli- Par ailleurs, bien que le droit d’opposition ne soit pas absolu (en
gentes ». Le CEPD donne néanmoins quelques exemples de moyens de dehors du cas de la prospection commerciale), il n’est pas pos-
collecte du consentement dans ses lignes directrices(24) tels que : « faire sible d’anticiper les raisons tenant à la situation particulière des
glisser une barre sur un écran, agiter la main devant une caméra intel- personnes concernées ou les motifs légitimes et impérieux que
ligente, faire tourner un smartphone dans le sens des aiguilles d'une pourraient soulever les responsables de traitement afin de l’ex-
montre ou pour former un huit sont différentes possibilités permettant clure a priori. Ni la CNIL, ni le CEPD ne précisent la notion de « si-
d'indiquer son consentement, pour autant que des informations claires tuation particulière ». De plus, selon la CNIL, les motifs légitimes et
soient fournies et qu'il soit clair que le mouvement en question signifie impérieux du responsable de traitement doivent être appréciés in
que la personne concernée accepte une demande spécifique ». concreto, c’est-à-dire au cas par cas.
- Il reste à envisager la base de licéité relative à la nécessité d'exé- Le RGPD prévoit à l’article 23 qu’il est possible d’écarter le droit
cuter un contrat auquel la personne concernée est partie. Trois d’opposition uniquement dans le cas où un texte réglementaire
conditions doivent être remplies : une relation contractuelle, un ou législatif le prévoit, « lorsqu'une telle limitation respecte l'es-
contrat valide et la nécessité du traitement. En ce qui concerne sence des libertés et droits fondamentaux et qu'elle constitue une
cette dernière condition, le CEPD précise que le traitement doit mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocra-
être objectivement nécessaire à l’exécution d’un contrat avec la tique pour garantir ». Cette possibilité a fait l’objet d’une appli-
personne concernée (ex. la fourniture du produit ou du service cation dans le décret sur l’usage des caméras intelligentes pour
prévu au contrat) ou afin de prendre des mesures précontrac- mesurer le port du masque dans les transports, du 10 mars 2021(26).
tuelles à la demande de la personne concernée(25). Il permet aux exploitants de services de transports collectifs de
Certains dispositifs (et traitements associés) pourraient éventuelle- voyageurs de mettre en œuvre des dispositifs de mesure du taux
ment s’inscrire dans le cadre d’une « mission d'intérêt public » ou de port de masque au moyen du traitement automatisé d’images
bien d’une « obligation légale », deux autres bases de licéité du provenant des caméras de vidéoprotection existantes, en excluant
le droit d’opposition des personnes concernées. Dans son avis du
17 décembre 2020(27), la CNIL reconnaissait que l’objectif à valeur
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constitutionnelle de lutte contre l’épidémie de COVID-19 et de déclaration d’intérêts sont « susceptibles de dévoiler, de ma-
protection de la santé était de nature à justifier une limitation des nière indirecte, des informations sensibles » et constituent des
droits des personnes, et en particulier du droit d’opposition. Elle catégories particulières de données au sens de l’article 9 pa-
précisait néanmoins que cette exclusion devait être mentionnée ragraphe 1 du RGPD. Dès lors, il est nécessaire de porter une
par le décret et « [prenait] acte de l'engagement du ministère [des attention particulière à cette notion dans le cadre du dévelop-
transports] d'ajouter une mention au décret imposant aux respon- pement d’un dispositif vidéo « augmentée ».
sables de traitement, à travers l'information qu'ils fourniront en
La conséquence majeure serait, la plupart du temps, l’obligation
application du RGPD, de préciser que le droit d'opposition n'est
pas ouvert » ce qui a été effectivement fait dans le décret susvisé. de collecter le consentement explicite et distinct de la personne
concernée au traitement des catégories particulières de données,
ce qui peut s’avérer en pratique très compliqué à mettre en place.
C.- L’interprétation large de la notion de catégories par-
ticulières de données au sens de l’article 9 du RGPD Pour conclure, bien qu’une attention particulière doive être portée
à la base de licéité, au droit d’opposition et au traitement de ca-
L’utilisation de caméras « intelligentes » semble pouvoir facilement tégories particulières de données, il faut rappeler que les caméras
entrainer le traitement incident de catégories particulières de don- intelligentes doivent être conformes à l’ensemble des règles du
nées (données de santé, données relatives aux opinions politiques RGPD. Ces règles n’ont pas été abordées ici de manière exhaus-
ou religieuses d’une personne, etc.), d’autant que cette notion tive, dans la mesure où elles n’impliquent pas le même niveau de
semble devoir être interprétée de manière large : complexité dans leur mise en œuvre.
- Dès 2016, la CNIL avait considéré, dans son avis relatif au dé- Les problématiques liées à la conformité des traitements de don-
cret autorisant le traitement de données de la RATP via l’expé-
nées personnelles impliqués par l’usage des caméras intelligentes
rimentation de caméras piétons(28), que « les dispositifs projetés
se posent de plus en plus souvent, dans un contexte de dévelop-
pourront, par la captation des images et des enregistrements
pement accéléré de nouvelles technologies. Le développement
sonores, enregistrer de manière incidente des données sen-
important de l’intelligence artificielle en est un très bon exemple.
sibles au sens de l’article 8 de la loi précitée, ce que le projet
Cette dernière fait d’ailleurs actuellement l’objet de nombreuses
de décret prévoit expressément. La commission prend acte
discussions et propositions législatives, en particulier au niveau eu-
que ce dernier interdit de sélectionner dans le traitement une
ropéen(31). En cas d’utilisation combinée de caméras vidéo et d’in-
catégorie particulière de personnes à partir de ces seules don-
telligence artificielle, ce nouveau cadre réglementaire - une fois en
nées. »
vigueur - devra faire l’objet d’une analyse préalable afin de tenir
- En 2019, le CEPD adopte une position plus souple à cet égard(29) compte d’éventuels impacts.
et considère que la vidéosurveillance permet naturellement de
Enfin, l’élargissement des usages des caméras intelligentes fait
collecter un nombre très important de données, qui peuvent
l’objet d’une attention particulière de la CNIL, comme en témoigne
être des données sensibles. Cependant, cela n’entraîne pas de
le dernier avis publié sur le projet de loi relatif aux Jeux olympiques
facto l’application de l’article 9 du RGPD relatif au traitement
et paralympiques de 2024(32). Comme en juillet, la CNIL invite à nou-
de catégories particulières de données à caractère personnel
veau le ministère de l’intérieur à mettre en conformité le CSI afin
à tout traitement de vidéosurveillance. Il appartient au respon-
de permettre aux responsables de traitement de connaître l’état
sable de traitement d’évaluer attentivement les risques liés à la
réel de leurs obligations et aux personnes concernées de savoir
mise en place de la vidéosurveillance et notamment d’évaluer
comment exercer leurs droits. La Commission insiste sur le cadre
le risque d’enregistrer des données sensibles bien que cela ne
soit pas la finalité du système de vidéosurveillance. expérimental du déploiement de traitements algorithmiques sur
les images captées par les dispositifs de vidéoprotection ou des
- Dans son récent arrêt du 1er août 2022, la CJUE adopte une drones, qu’elle qualifie de « tournant ». Enfin, elle rappelle « la
interprétation large de la notion de catégories particulières nécessité d'une réflexion globale et éthique sur les usages de ces
de données(30). En l’espèce, elle considère que les données instruments, et sur l'importance de se prémunir de tout phéno-
nominatives sur le conjoint, concubin ou partenaire dans une mène d'accoutumance et de banalisation de ces technologies de
plus en plus intrusives. » n
ÎRLDI 4644
I.- UN SECTEUR à RISQUE ET PARTICULIèREMENT EX- Le secteur des banques et de l’assurance doit faire face à de nom-
POSÉ (1)(2) breux dangers. Les vulnérabilités sont à plusieurs niveaux et les
règles prudentielles ne font que se renforcer d’année en année.
L’actuelle Commission entend adapter l’Europe à l’ère du numé- Les turbulences économiques successives ont conduit à l’adop-
rique et bâtir une économie parée pour l’avenir et au service des tion d’un paquet bancaire en 2021(6), la Commission européenne
citoyens(3). S’exprimant au Conseil Européen conclusif du 28 no- souhaitant renforcer la résilience aux chocs économiques suite aux
vembre 2022, le ministre des finances tchèque(4) a parfaitement accords internationaux de Bâle III intervenus 2 ans après la crise
décrit le contexte d’adoption de Dora : de 2008.
« Nous vivons des temps incertains. Les banques et autres entre- Le train de mesures sur la finance numérique prévoit une nou-
prises fournissant des services financiers en Europe ont déjà mis en velle stratégie en matière de finance numérique pour le secteur
place des plans pour leur sécurité informatique, mais nous devons financier de l’UE afin que celle-ci embrasse la révolution numé-
aller plus loin. Grâce aux exigences juridiques harmonisées que rique et en devienne le fer de lance avec l’aide de sociétés euro-
nous avons adoptées aujourd’hui, notre secteur financier sera plus péennes innovantes, de manière à faire profiter les entreprises et
à même de continuer à fonctionner à tout moment. Si une attaque les consommateurs des avantages de la finance numérique. Outre
Dora, le train de mesures a porté également sur les crypto-actifs
à grande échelle est lancée contre le secteur financier européen,
(le fameux règlement MiCa)(7), une proposition de règlement sur
nous y serons préparés(5). »
un régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur
la technologie des registres distribués (DLT)(8) et une proposition
de directive visant à clarifier ou à modifier certaines dispositions
(1) Règlement (UE) 2022/2554 du parlement européen et du conseil du connexes de l’Union sur les services financiers(9). La numérisation
14 décembre 2022 sur la résilience opérationnelle numérique du sec- et la résilience opérationnelle du secteur financier sont les deux
teur financier et modifiant les règlements (CE) n° 1060/2009, (UE) n°
648/2012, (UE) n° 600/2014, (UE) n° 909/2014 et (UE) 2016/1011 (Texte
présentant de l’intérêt pour l’EEE).
(2) Digital Operational Resilience Act (6) JCPE 2021, n°45, act. 746.
(3) Ensemble de mesures sur la finance numérique (europa.eu). (7) Proposition de règlement sur les marchés de crypto-actifs, et modi-
(4) Zbyněk Stanjura. Pour mémoire, après la France, la République fiant la directive (UE) 2019/1937.
Tchèque a pris la présidence tournante du Conseil de l’Union euro- (8) Proposition de règlement sur un régime pilote pour les infrastructures
péenne pour le 2nd semestre de l’année 2022. de marché reposant sur la technologie des registres distribués
(5) https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/11/28/ (9) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modi-
digital-finance-council-adopts-digital-operational-resilience-act/ fiant les directives 2006/43/CE, 2009/65/CE, 2009/138/CE, 2011/61/
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faces d’une même médaille. Le numérique, ou les technologies de hétérogènes conduit à une fragmentation du marché unique,
l’information et de la communication (TIC), sont sources à la fois compromettant « la stabilité et l’intégrité du secteur financier de
d’opportunités et de risques. Ceux-ci doivent être bien compris et l’UE et port[ant] atteinte à la protection des consommateurs et des
gérés, surtout en période de tensions. investisseurs ».
La notion de résilience informatique est née en 2005 avec les ac- Cela est d’autant plus vrai que bien souvent les attaques informa-
cords Bâle II. Aux côtés des risques bancaires, le risque opéra- tiques interviennent par rebond. Le hacker s’attaque au maillon de
tionnel consiste en des « pertes provenant de processus internes la chaîne le plus faible, lequel est souvent le prestataire extérieur…
inadéquats ou défaillants, de personnes et systèmes ou d’événe-
Après le pic des cyberattaques pendant les confinements succes-
ments externes. »
sifs, le sujet revêt une acuité toute particulière avec l’intensification
La défaillance des systèmes conduit à devoir identifier ceux devant des menaces observée depuis le début du conflit russo-ukrainien.
être qualifiés de critiques. Une directive européenne a été adoptée
Cependant, pour ne pas entraver l’apparition de nouveaux services
en ce sens dès décembre 2008(10) mais elle vise dans un premier
avec de nouveaux acteurs entrants sur le marché, comme pour de
temps que le secteur des transports et de l’énergie(11).
nombreux textes européens, les petites et moyennes entreprises
Il a finalement fallu attendre un arrêté du 3 novembre 2014(12) pour bénéficieront d’un allègement de certaines obligations.
que ces exigences soient compilées et directement opposables
Une question qui n’est pas à ce jour totalement traitée est le re-
aux banques et assurances en France. Cet arrêté a le mérite de
couvrement entre les obligations fortes fixées par Dora et les
responsabiliser les entreprises soumises à agrément à assurer la
autres textes européens (la directive NIS(16) et sa nouvelle version
continuité de ses services et activités, en impliquant à ce titre les
de la même date que Dora(17)) mais aussi nationaux sur la cybersé-
prestataires extérieurs, sans pour autant conférer à l’ACPR un pou-
curité(18). En France, les grandes banques rentrent déjà dans ces
voir de sanction vis-à-vis d’eux.
statuts légaux, il ne faudrait pas multiplier les obligations qui vont
Avec la transformation numérique de plus en plus poussée dans dans le même sens au risque d’être contreproductif.
le secteur financier, cet arrêté a été révisé en janvier et février 2021
pour mieux préciser les exigences attendues des prestataires de II.- UNE GESTION FINE DES RISQUES ET INCIDENTS
services essentiels externalisés (« PSEE »), faisant suite aux lignes POUR MIEUX ATTEINDRE L’OBJECTIF DE CONTINUI-
directrices de l’Agence bancaire européenne(13) et de son homo- TÉ D’EXPLOITATION
logue, l’EIOPA, pour les assureurs(14).
Très attendue des banques, assurance et de la plupart des acteurs
Le 22 juillet 2021, l’ACPR a constaté suite à ses contrôles que si le financiers, le règlement fixe une définition de la résilience opéra-
recours à des prestataires dans le cloud ou d’outsourcing se ba- tionnelle numérique consistant en : « la capacité d’une entité finan-
nalise, les attendus en termes d’analyse des risques et garanties cière à développer, garantir et réévaluer son intégrité opération-
pour la reprise et la continuité d’activité n’étaient pas observés, nelle d’un point de vue technologique en assurant directement,
se vérifiant tant au niveau des clauses des contrats concernés que ou indirectement par le recours aux services de tiers prestataires
dans les obstructions que les prestataires peuvent opposer à la de services informatiques, l’intégralité des capacités liées à l’infor-
conduite d’audit(15). matique nécessaires pour garantir la sécurité des réseaux et des
La Commission européenne fait, elle, le bilan dans l’exposé des systèmes d’information qu’elle utilise, et qui sous-tendent la four-
motifs pour Dora que la multiplication des initiatives nationales niture continue de services financiers et leur qualité. »
La continuité opérationnelle est clairement l’objectif poursuivi et
non la maîtrise du risque opérationnel(19), au risque de tourner en
rond. Cette finalité que constitue la résilience opérationnelle doit
UE, 2013/36/UE, 2014/65/UE, (UE) 2015/2366 et (UE) 2016/2341, COM être poursuivie par tout acteur concerné par le règlement selon
(2020) 596. un standard élevé et uniforme sur le territoire de l’Espace écono-
(10) Directive 2008/114/CE — Recensement et désignation des infrastruc- mique européen.
tures critiques européennes et évaluation de la nécessité d’améliorer
leur protection.
(11) Elle devrait être révisée dans le même temps que Dora rentrera en
application.
(12) Arrêté relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la (16) Directive (UE) 2016/1148 du 6 juillet 2016 concernant des mesures
banque, des services de paiement et des services d’investissement destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux
soumises au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de réso- et des systèmes d’information dans l’Union.
lution. (17) Directive (UE) 2022/2555 du 14 décembre 2022 concernant des me-
(13) https://www.eba.europa.eu/sites/default/documents/files/docu- sures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité
ments/10180/2761380/6565c789-487b-4528-8a17-4b94147dc5b8/ dans l’ensemble de l’Union, modifiant le règlement (UE) no 910/2014
EBA%20revised%20Guidelines%20on%20outsourcing_FR.pdf?re- et la directive (UE) 2018/1972, et abrogeant la directive (UE) 2016/1148
try=1 (directive SRI 2).
(14) Guidelines on information and communication technology security (18) Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 de programmation militaire,
and governance | Eiopa (europa.eu) laquelle a renforcé la sécurité des systèmes d’information critiques :
(15) https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/medias/docu- les systèmes d’information d’importance vitale (SIIV).
ments/2021072022_cp_prestation_externes.pdf (19) Voir page 13 : Présentation PowerPoint (banque-france.fr)
C’est ainsi avec Dora un règlement d’application directe qui va sitif est plus exigeant que celui prévu pour la gestion des failles de
s’appliquer pour favoriser la mise en place, au niveau de l’Union, données visées par l’article 33 du RGPD. Les critères d’identifica-
d’un cadre global avec des règles cohérentes qui répondent aux tion des incidents majeurs seront précisés les autorités de super-
besoins de résilience opérationnelle numérique de toutes les en- vision et l’ENISA (l’agence européenne cyber) dans des textes dits
tités financières réglementées et à établir un cadre de supervision de niveaux 2(25), à savoir des « Regulatory Technical Standards »
pour les tiers prestataires critiques de services informatiques. La (« RTS »)(26). La notification volontaire est également encouragée.
Commission, comme elle l’avait fait pour le RGPD, n’a cependant
Les autorités entre elles avec l’appui de l’organisme européen ha-
pas retenu la création d’une nouvelle autorité transnationale(20) qui
bilité, centraliseront les notifications pour un meilleur partage de
aurait eu pour objet notamment de surveiller les prestataires de
l’information et une meilleure coordination des actions au niveau
services informatiques. Le nouveau texte s’appuiera sur les autori-
européen.
tés européennes de surveillance déjà existantes.
Précisément parce que la force d’un système de sécurité s’ap-
L’objectif de résilience passe par une évaluation des risques dont
précie à l’aune du maillon le plus faible, lequel peut être parfois
les entités financières doivent prendre la responsabilité dans une
l’utilisateur, Dora prévoit que des programmes de sensibilisation
logique « d’accountability »(21), concept de common law intradui-
à la sécurité informatique et des formations à la résilience opéra-
sible mais bien connu en matière fiscale et en protection des don-
tionnelle numérique doivent être obligatoirement intégrés au plan
nées personnelles, au titre de de laquelle l’obligation doit être ob-
de formation du personnel mais aussi, et c’est très exigeant, aux
servée et documentée. La charge de la preuve en cas de contrôle
membres de la direction.
ou de mise en cause de la responsabilité repose sur le débiteur de
l’obligation. En d’autres termes, l’établissement financier doit avoir Le pouvoir de sanction reste à l’initiative des Etats membres, ce
mis en place toutes les mesures techniques, juridiques et organisa- qui en soit, présente le risque de disparités dans le montant et la
tionnelles, pour prouver qu’il a tout fait pour identifier le risque et fréquence des sanctions encourues.
pris toutes les mesures pour le mitiger.
Concrètement, cela passe d’abord par l’adoption de « stratégies, III.- FONCTIONS CRITIQUES OU IMPORTANTES ET RES-
politiques, procédures, protocoles et outils informatiques qui sont PONSABILISATION DES PRESTATAIRES EXTÉRIEURS
nécessaires pour protéger dûment et efficacement toutes les com- Avant même de conclure un contrat avec un fournisseur, une éva-
posantes et infrastructures physiques pertinentes, y compris le luation doit être faite par l’organisme financier sur son besoin pour
matériel informatique (…)(22) ». L’ACPR relève que les outils clas- une fonction critique ou non, l’évaluation du fournisseur devant re-
siques à l’instar des plans de continuité d’activité (« PCA ») sont poser sur plusieurs critères (le niveau de sécurité, le caractère subs-
prolongés(23). tituable du service ou prestataire, la dimension géographique, le
Tout doit être mise en œuvre pour identifier les risques informa- risque de concentration, la gestion des sous-traitants extérieurs)(27).
tiques, se protéger et les prévenir, détecter les menaces, y ré- Les tiers prestataires critiques sont ceux auprès desquels des
pondre le cas échéant avec rétablissement des systèmes et mobi- services critiques sont externalisés. Lorsqu’un incident de toute
lisation des sauvegardes au besoin. nature frappe un tel service alors l’organisme financier risque de
Les fameux tests d’intrusion (« penetration tests ») doivent voir ne pas être en mesure d’assurer sérieusement en permanence les
leurs périmètre étendus de sorte à intégrer l’ensemble des com- conditions et obligations de son agrément. Ces prestataires cri-
posantes de la résilience. Les organismes de test indépendants tiques doivent mettre en place des « règles, des procédures, des
devront eux-mêmes être qualifiés avec reconnaissance mutuelle mécanismes et des dispositifs complets, solides et efficaces pour
européenne, ce qui est loin d’être le cas actuellement. gérer les risques informatiques qu’il est susceptible de faire peser
sur les entités financières ». Ces prestataires critiques sont dési-
La qualité des tests sera assurée par l’approbation préalable par gnés comme tels par l’autorité compétente et figurent dans une
l’autorité de régulation et les entreprises disposeront d’un certifi- liste publique. Les prestataires critiques sont directement soumis à
cat de conformité à l’issue des tests. la supervision et à la surveillance de ces autorités. Concrètement,
Ces tests seront effectués minimum tous les 3 ans, l’établissement un seul « lead overseer » (superviseur principal) interviendra pour
financier effectuant lui-même des auto-tests (audits internes) sur chaque prestataire critique.
périmètre ciblé, dans l’intervalle. A l’instar de l’article 28 du RPGD qui encadre le contrat de
Les incidents liés à l’informatique sont enregistrés dans un registre sous-traitance portant sur des données personnelles, le règlement
standardisé. Les incidents majeurs sont notifiés à l’autorité natio-
nale de régulation sans délai(24) dans un cadre normalisé. Le dispo-
(25) L’ACPR anticipe jusqu’à 13 textes de niveau 2 (Voir en page 20 : Pré-
sentation PowerPoint (banque-france.fr)). Ceci explique aussi le délai
(20) Les retours en phase de consultation pour la création d’une nouvelle important entre l’adoption de Dora et sa réelle entrée en application.
organisation supranationale ayant cet objet ont été plutôt négatifs. (26) Parmi ces critères, il y a le nombre de personnes concernées, l’at-
(21) Article 4.2 du règlement Dora. teinte à la réputation, la durée de l’incident y compris de la rupture de
service, la zone géographie impactée, la perte de données, la gravité
(22) Article 5.2 du règlement Dora. de l’impact sur les activités de production informatique comme d’ac-
(23) Voir page 24 : Présentation PowerPoint (banque-france.fr) tivité pour l’institution financière, l’impact économique.
(24) Article 17 du règlement Dora. (27) Article 25.5 du règlement Dora.
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Dora comprend un certain nombre d’exigences de forme et de sécurité numérique qui garantissent de manière adéquate une
fond. Tout contrat sur des services informatiques dans le périmètre prestation de service sûre par l’entité financière, conformé-
de Dora doit être conclu par écrit et répondre aux exigences de ment à son cadre réglementaire ;
fond suivantes :
– le droit d’assurer un suivi permanent des performances du
– une description claire et exhaustive du périmètre confié au tiers prestataire de services informatiques, qui comprend un
tiers prestataire de services, précisant son intervention sur droit d’audit garanti par la loi notamment et une collaboration
une fonction critique, ou de parties significatives de celle-ci, du prestataire ;
les conditions applicables à cette sous-traitance (au sens du
– des droits de résiliation et un délai de préavis minimal corres-
terme anglais « outsourcing ») doivent être précisément stipu-
pondant pour la résiliation du contrat.
lées ;
Il est possible de conclure que ce contrat de service numérique
– les lieux où les services et fonctions visés par le contrat ou la dans le domaine financier est un contrat nommé au sens de l’ar-
sous-traitance seront fournis et là où les données seront trai- ticle 1105 du code civil.
tées, y compris le lieu de stockage devront y figurer. De même,
le prestataire de services informatiques devra informer l’entité Les organismes financiers devront disposer d’une stratégie et
financière s’il envisage de déplacer ces lieux : on mesure l’im- d’une politique pour les prestataires numériques multifournisseurs.
pact de cette exigence pour les services de type cloud public, Un registre standard d’informations avec la vue complète de l’en-
le RGPD n’avait pas cette exigence ; semble de ces fournisseurs numériques avec les fonctions assu-
rées(28). Un rapport sur les modifications apportées à ce registre
– des dispositions sur l’accessibilité, la disponibilité, l’intégrité, doit être communiqué au régulateur une fois par an.
la sécurité et la protection des données à caractère personnel
et sur la garantie de l’accès, de la récupération et de la resti- Une stratégie doit être fixée en cas de défaillance d’un prestataire.
tution, dans un format facilement accessible, des données à Les tiers fournisseurs critiques feront l’objet tous les ans d’un plan
caractère personnel et autres traitées par l’entité financière en annuel de supervision sur la base des exigences de résilience telles
cas d’insolvabilité, de résolution ou de cessation des activités que la disponibilité, la continuité, l’intégrité des données, la sécuri-
commerciales du tiers prestataire de services informatiques té physique, les processus de gestion des risques, la gouvernance,
avec des engagements de continuité de service pendant cette les rapports, la portabilité, les tests. La responsabilité envers le ré-
période. On est clairement dans une prolongation des exi- gulateur sera désormais directe et non indirecte comme cela est le
gences du RGPD dans une logique de réversibilité au sens de cas dans le cadre actuel, pouvant donner lieu à des sanctions en
l’état de l’art technique ; cas de non-conformité.
– des descriptions complètes des niveaux de service devront fi- En conclusion, toutes les institutions financières vont devoir priori-
gurer au contrat, y compris leurs mises à jour et révisions, et ser plus encore leurs investissements techniques, organisationnels
des objectifs de performance quantitatifs et qualitatifs précis et juridiques pour assurer un niveau de résilience de leurs systèmes
dans le cadre des niveaux de service convenus, afin de per- critiques et importants en l’inscrivant dans un vrai programme de
mettre un suivi efficace par l’entité financière et de prendre compliance. Les entreprises du numérique fournissant des services
dans les meilleurs délais des mesures correctives appropriées à des clients dans ce secteur seront désormais directement res-
lorsque les niveaux de service convenus ne sont pas atteints ; ponsables y compris auprès des régulateurs compétents. L’entrée
– devront être aussi stipulés les délais de préavis et les obliga- en vigueur différée de certaines obligations, notamment pour
tions de notification du prestataire à l’entité financière, y com- les tests d’intrusion à grande échelle peut permettre de laisser
pris la notification de tout développement susceptible d’avoir un temps d’adoption et d’adaptation nécessaire. La prudence
une incidence significative sur la capacité du prestataire à rem- conseille toutefois d’anticiper l’impact majeur de ce texte et de
plir efficacement des fonctions critiques conformément aux commencer d’ores et déjà à se mettre en conformité, autant que
possible. Pour l’ACPR, il faut dès aujourd’hui renforcer la gouver-
niveaux de service convenus ;
nance actuelle, en interne des institutions financières comme dans
– l’obligation pour le prestataire de fournir, sans frais supplé- les interactions avec leurs prestataires numériques(29). n
mentaires ou à un coût déterminé à l’avance, une assistance
en cas d’incident lié à l’informatique ;
– l’obligation pour le tiers prestataire de services informatiques (28) Des Regulatory Technical Standards (« RTS ») préciseront également
de mettre en œuvre et de tester des plans d’urgence et de le contenu comme la forme de ces registres.
mettre en place des mesures, des outils et des politiques de (29) Voir page 21 : Présentation PowerPoint (banque-france.fr)
ÎRLDI 4645
I. DÉMONSTRATION DE L’ORIGINALITÉ
1. Textile, mode et accessoires
ŒUVRES
DÉCISIONS
CONCERNÉES
Imprimés Originalité à NON
• CA Paris, 1 juin 2021, n° 19/12248
Pour retenir l’absence d’originalité d’un imprimé « têtes de chats », la Cour a relevé d’une part que démonstration de
l’originalité qui était faite était une description technique objective du positionnement des sujets. Or, pour la juridiction,
cette répétition de l'imprimé s'inscrivait dans une tenance « all over » très fréquente dans le milieu de la mode. D’autre part,
les juges du fond ont souligné que l'originalité du croquis de la tête de chat en lui-même n'était pas spécialement revendiqué
et que le fait que la créatrice indiquait vouloir créer un sentiment chez l'observateur d'être épié par le chat n'était, en plus
d'être subjectif, pas suffisant pour démontrer un effort créatif. L'originalité d'un modèle pull était également invoquée mais
les juges du fonds l’ont écartée, pour des raisons proches de celles évoquées ci-dessus (description technique).
En ce sens également : CA Paris, 30 mars 2022, n° 20/04683 statuant sur l'absence d'originalité de sweats pour enfants et
d’un imprimé « basket » dont la combinaison était qualifiée par la Cour d’habituelle pour la mode enfant.
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ŒUVRES
DÉCISIONS
CONCERNÉES
Broderie/Dentelle Originalité à OUI
• CA Paris, 5, 1, 25 janvier 2022, n° 19/18139
Une société spécialisée dans la création et la fabrication de broderie avait procédé à un dépôt sous enveloppe SOLEAU
d’un dessin de broderie sur lequel elle revendiquait des droits d’auteur. Constatant qu’une maison de couture de lingerie
de luxe, qui lui avait commandé des échantillons sans pour autant passer commande, commercialisait une collection de
lingerie confectionnée avec une broderie reproduisant les caractéristiques de la sienne, elle a assigné cette dernière en
contrefaçon de droits d’auteur.
Pour retenir l'originalité de la broderie, la Cour a énoncé que si les éléments revendiqués étaient issus du fonds commun
en matière de broderie, à savoir la représentation stylisée de motifs végétaux et floraux, leur agencement relevait de choix
arbitraires et personnels de l’auteur. La juridiction a retenu à cet égard qu'il n'apparaissait pas nécessaire d’invoquer le
cheminement personnel et subjectif de l’auteur l’ayant conduit à la création dans la mesure où les exemples tirés de l’art
antérieur produits par la société attaquée ne faisaient apparaître ni le même séquençage de motif, ni la même composition.
Considérant que les caractéristiques originales de la broderie en cause avaient été reproduites par la société attaquée, elle
a été condamnée pour contrefaçon.
En ce sens également, retenant l'originalité d'une dentelle Cass. civ. 1, 16 juin 2021, n° 19-24.631 ; CA Rennes, 14 sept.
2021, n° 19/04700 ; CA Paris, 10 sept. 2021, n° 18/28516).
2. Photographies
ŒUVRES
DÉCISIONS
CONCERNÉES
Photographies Originalité à NON
-
• CA Rennes, 18 janv. 2022, n° 19/06526
Portrait
Un photographe reprochait l’utilisation sans son autorisation de deux de ses photographies par un journal de presse
quotidienne. Dans son arrêt, si la Cour a souligné que les photographies présentaient une grande qualité technique et
révélaient des compétences et un savoir-faire indéniables, elle n’en a pour autant pas conclut à leur originalité.
La Cour a ainsi retenu que le portrait réalisé par le photographe ne révélait pas l'empreinte de sa personnalité à travers la
mise en scène (le portrait sur fond noir étant une technique très répandue et ne constituait pas une constante susceptible
d'être associé à son style), les choix de lieux ou d’accessoires, les positions ou expressions, le cadrage inhabituel ou encore le
traitement ultérieur de l'image (qualifiant ainsi de « banales » les retouches nécessitées par la mise en valeur du sujet).
La seconde photographie étant une photographie « prise sur le vif », dont le résultat émanait donc de circonstances non
maitrisées par le photographe, la Cour en a déduit qu’elle de dénotait pas de choix esthétiques arbitraires manifestant un
effort créatif propre reflétant la personnalité de ce dernier.
En ce sens également : CA Rennes, 1 févr. 2022, n° 19/07458 ; CA Paris, 30 mars 2022, n° 20/03542 ; CA Bordeaux, 1 févr.
2022, n° 19/00984)
3. Audiovisuel
ŒUVRES
DÉCISIONS
CONCERNÉES
Scénario Originalité à OUI
• CA Paris, 8 oct. 2021, n° 19/14879
Dans cet arrêt, un auteur réalisateur de longs et courts métrages, après avoir présenté le synopsis d'un documentaire à une
société de production de télévision, considérait que cette dernière avait contrefait ses droits via la diffusion d'une série de
documentaires écrits par un tiers. Pour apprécier l'originalité de l'œuvre revendiquée, la Cour a retenu que si le scénario en
cause traitait de thèmes connus en lien avec la ville de Paris, son originalité était néanmoins constituée par l'agencement
de ces thèmes, par le choix des intervenants, des lieux et ambiances, ainsi que des clichés les accompagnant. Si la Cour
a donc tranché qu'il résultait de ces choix arbitraires que l’aspect global du scénario portait l'empreinte de la personnalité
de son auteur du fait de la combinaison des éléments revendiqués, elle a toutefois écarté la contrefaçon à l’examen des
ressemblances invoquées entre les œuvres en cause.
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ŒUVRES
DÉCISIONS
CONCERNÉES
Scénario Originalité à NON
• CA Paris, 18 mai 2021, n° 19/11653
Une maison de couture souhaitant réaliser un film afin de célébrer l’anniversaire d’une collection a pris contact avec une société
spécialisée dans la préparation et le tournage de films. Malgré la réalisation d’un scénario et de visuels dans le cadre d’un
repérage dans un château, le tournage n'a jamais eu lieu. Constatant la reprise de visuels réalisés dans le cadre de son travail
préparatoire sur le site internet de la maison de couture, cette dernière a été assignée en contrefaçon.
Pour rejeter l'originalité du scénario, la Cour a tout d’abord rappelé que tant les produits de la maison de couture que le
cadre offert par le lieu choisi ne pouvaient être revendiqués au titre de l'originalité, ajoutant à ce titre que la conception
d’un « univers onirique et mystérieux » ne constituait qu’une inspiration ou un concept insusceptible de protection par
le droit d’auteur. Ceci étant dit, la Cour a retenu que les éléments de présentation consignés dans le synopsis transmis
se contentaient de décrire une déambulation dans le lieu en cause en y associant certaines pièces des collections de la
société, ce qui ne suffisait pas à démontrer l’existence d’un parti pris esthétique rendant la création originale et donc
protégeable au titre du droit d’auteur.
ŒUVRES
DÉCISIONS
CONCERNÉES
Œuvres graphiques Originalité à OUI
• CA Aix-en-Provence, 1 déc. 2021, n° 18/00532
Pour apprécier l'originalité d’œuvres graphiques constituées de briques obtenues à partir de pages de couvertures de
magazines et pages de bandes dessinées compressées pour constituer un tableau, la Cour a retenu que même si l'utilisation
par compression de différents matériaux et la technique d’assemblage d’images font partie du fonds commun de l’art plastique
contemporain, tout comme l’incorporation d’œuvres préexistantes issues de la culture populaire telles que des magazines ou
recueil de bandes dessinées, l'originalité des œuvres était caractérisée par le choix de chaque élément pris individuellement
et leur assemblage, traduisant la personnalité de l'auteur. La Cour a en revanche dans cette espèce écarté la qualification de
contrefaçon, retenant une impression d’ensemble différente produite par les œuvres en cause.
5. Ouvrages
ŒUVRES
DÉCISIONS
CONCERNÉES
Traduction Originalité à NON
• CA Paris, 29 juin 2021, n° 18/21198
Un traducteur littéraire a assigné une maison d’édition avec laquelle il avait conclu un contrat portant sur une traduction de
l’anglais au français d’un ouvrage à caractère scientifique en réparation de rupture unilatérale abusive et contrefaçon de ses
droits d’auteur. Cette dernière avait en effet mis fin au contrat au motif que la traduction aurait été remise tardivement et serait
incomplète, confiant la tâche à un tiers pour publication.
Pour la Cour, le traducteur avait échoué à démontrer que sa traduction révélait l'empreinte de sa personnalité. Le fait de
procéder à de multiples choix lexicaux, grammaticaux, documentaires et stylistiques, procédait selon les juges du travail même
de tout traducteur. Dès lors, les choix revendiqués de ponctuation, des termes, des temps et des adverbes utilisés ne suffisaient
pas à démontrer l’originalité alléguée. Ainsi, si les choix réalisés relevaient d'un savoir-faire du traducteur, ils ne témoignaient
pas pour autant d’un effort créatif ou d’une démarche subjective susceptible de révéler l’empreinte de sa personnalité.
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DÉCISIONS
CONCERNÉES
Couverture d’un Originalité àNON
ouvrage
• CA Versailles, 22 mars 2022, n° 20/03988
Une société d’édition littéraire revendiquait des droits d'auteur sur la couverture d'un livre et avait assigné en contrefaçon
une société ayant reproduit cette couverture dans le cadre d'une campagne publicitaire dans laquelle elle avait remplacé le
titre ainsi que le nom de l’auteur.
Ceci étant dit, la Cour a retenu que la renommée et la notoriété de son créateur ne suffisaient pas à démontrer l'originalité de
l'œuvre revendiquée, pas plus que les développements sur les choix ayant présidé à la création de l'ensemble des couvertures
des ouvrages qu'elle éditait. Pour retenir l'absence d'originalité de la couverture, la Cour a ensuite souligné que la volonté
d’attirer l'œil du lecteur sur le titre ne relevait pas de choix esthétiques ou créatifs mais d’un objectif fonctionnel et utilitaire,
commun à l’ensemble des sociétés d’édition. En outre, pour la Cour, les arguments développés par la société visant à
démontrer ce qui avait présidé aux choix du créateur constituaient de simples allégations en ce qu’ils ne résultaient pas des
dires du créateur lui-même, outre le fait qu'ils correspondaient à une description purement technique (agencement de motifs
géométriques simples avec des polices de caractère anciennes et dont l'usage est répandu).
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DÉCISIONS
CONCERNÉES
Plans de construction Originalité à NON
• CA Rennes, 23 nov., n° 19/01684
Des époux ayant pour projet de faire construire leur future maison avaient fait appel à deux constructeurs afin d’élaborer leurs
plans. Le premier constructeur, qui n’avait pas été retenu par les époux, a assigné ces derniers, le second constructeur et
l’architecte car il considérait que les plans définitifs réalisés (maison constituée de trois pignons) constituaient une contrefaçon de
ses plans. La Cour a néanmoins rejeté l'originalité des plans dans la mesure où elle a relevé, d’une part que les plans revendiqués
avaient en réalité été inspirés d'un plan transmis par les époux, s'inspirant eux-mêmes du plan transmis par le second constructeur
et, d’autre part, que la seule présence de trois pignons ne suffisait pas à caractériser une ligne architecturale singulière différant de
la ligne architecturale composée de trois pignons déjà établie en France depuis le 15ème siècle. Pas d'originalité donc.
(également sur l'absence d'originalité de plans de construction : CA Nancy, 27 sept. 2021, n° 20/01681)
ŒUVRES
DÉCISIONS
CONCERNÉES
Logiciel Originalité àNON
• CA Aix-en-Provence, 10 nov. 2021, n° 19/02621
La Cour a rappelé que l’originalité d’un logiciel s’appréciait par la démonstration d’un apport intellectuel propre et d’un effort
personnalisé de son auteur. Pour la juridiction, cette démonstration ne pouvait résulter de la simple production des codes
sources du logiciel mais de la comparaison avec les codes sources d’autres logiciels. En l'espèce, la Cour a noté que la société
versait les codes sources du logiciel en cause sans démontrer un effort personnalisé et sans démontrer en quoi le logiciel serait
novateur et différent des logiciels déjà disponibles sur le marché. Il a également été rappelé que la communication du détail des
fonctionnalités était insuffisante. La Cour a en outre la demande subsidiaire en expertise formée par la demanderesse au motif
que cette mesure d’instruction ne pouvait viser à suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve, celle-ci ayant
eu la possibilité de fournir une analyse ou une expertise amiable comparant son logiciels aux logiciels de même type disponibles.
ŒUVRES
DÉCISIONS
CONCERNÉES
Logiciel Originalité à OUI
• TJ Paris, 6 juil. 2021 n° 18/0160
Une société avait conclu plusieurs contrats avec une société éditrice logiciels afin de développer pour cette dernière une
application de caisse avec un site web de gestion. Considérant notamment que la mise en ligne de l’application sur une
plateforme de téléchargement constituait une contrefaçon de ses droits, la société éditrice a mis un terme à cette collaboration
et assigné son ex-cocontractante en contrefaçon.
Pour apprécier l'originalité du logiciel, la Cour a indiqué que si les fonctionnalités (click-and-collect, store to web etc.) et
l’ergonomie revendiquées ne pouvaient donner lieu à protection au titre du droit d'auteur, pas plus que l'algorithme en tant
qu'énoncé logique de fonctionnalité, il en allait cependant différemment de l'infrastructure.
Au regard des choix exprimés dans le code source du logiciel, la Cour a souligné notamment que si les informations appelées
étaient nécessaires à l’obtention du résultat souhaité (exemple du nom de la taxe / assiette / formule de calcul pour calculer la
taxe due), rien n’imposait cependant que ces informations soient regroupées au sein d’un unique fichier.
Dès lors, la Cour a conclu que si, pris indépendamment, les choix opérés par la société n'étaient pas originaux, ces derniers
traduisaient cependant, par une combinaison spécifique, des choix arbitraires, considérés comme « différents de ceux
effectués par d’autres opérateurs du marché et allant au-delà de la mise en œuvre d’un simple savoir-faire technique ou de
logiques automatiques et contraignant ». Dans cette affaire, la contrefaçon a en outre été retenue.
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8. Œuvres diverses
ŒUVRES
DÉCISIONS
CONCERNÉES
Plantes artificielles Originalité à NON
• CA Rennes, 8 juin 2021, n° 18/02636
Une société spécialisée dans la fabrication et vente notamment de plantes décoratives pour aquariums a assigné une société
tierce en contrefaçon.
La Cour a retenu que les plantes artificielles commercialisées ne sauraient bénéficier de la qualification d’œuvre de l’esprit susceptible
de protection par le droit d’auteur. En effet, l’argument selon lequel leur originalité résulterait de la qualité supérieure du produit
fini, de l’utilisation d’un procédé d’assemblage et de lestage en une seule opération, de l’utilisation d’une tige renforcée assurant la
stabilité de la plante ou encore du choix des feuillages ou des fleurs a été jugé insuffisant. Aucune originalité retenue en l'espèce.
En ce sens également : CA Rennes, 07 sept. 2021, n° 18/08384
ŒUVRES
DÉCISIONS
CONCERNÉES
Condition de • CA Paris, 5, 1, 2 nov. 2021, n° 18/16504
fond et non pas Dans cet arrêt, la Cour a indiqué que « l'originalité d'une œuvre est une condition de fond et non pas de recevabilité de l'action
de recevabilité en contrefaçon de droits d'auteur, le défaut d'originalité devant donc conduire au débouté (…) et non à [une] irrecevabilité »
de l'action en (défense au fond).
contrefaçon
En ce sens également : CA Paris, 16 nov. 2021, n° 18/20990 ; CA Paris, 29 juin 2021, n° 18/05368 ; TJ Marseille, 3 mai 2022.
La référence en matière
de droit du numérique
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Un monde sans foi, ni loi ?
Analyse des conditions générales d’utilisation
du métavers « Decentraland » (Partie II)
Johanne SANTI
Juriste au sein du Centre de Recherches et
d’Information Juridique (CRIJ)
LPA CGR avocats
ÎRLDI 4646
MÉTAVERS ET PROTECTION DES DONNÉES PERSON- données à l’insu des utilisateurs, données qui pourront ensuite être
NELLES ET DE CERTAINS DROITS RATTACHÉS à LA exploitées.
PERSONNALITÉ (DROIT AU RESPECT DE SA VIE PRIVÉE, Cette question de la protection des données personnelles des uti-
DROIT à L'IMAGE...) lisateurs des métavers se pose, avec la même importance, aussi
bien sur le plan technique, avec les obligations de garantie de cy-
En tant que mondes virtuels dans lesquels évoluent des avatars
ber sécurité, que sur le plan juridique, avec l’adéquation de leurs
les métavers vont également être soumis à un certain nombre de CGU à la règlementation applicable en matière de protection des
règles visant à protéger les données considérées comme person- données à caractère personnel.
nelles et à préserver les droits généralement rattachés à la person-
nalité (droit à l’image, droit au respect de sa vie privée…). En vertu des textes applicables sur cette question (essentielle-
ment : le RGPD, entré en vigueur le 25 mai 2018, la loi du 20 juin
D’abord, les utilisateurs de métavers font l’objet d’un traçage 2018, relative à la protection des données personnelles(64), qui
constant. En effet, tous leurs déplacements, leurs interactions, les modifie la loi « informatique et libertés » du 06 janvier 1978(65) et
propos qu’ils tiennent, leurs préférences et les biens qu’ils pos- son décret d’application du 20 octobre 2005(66)), les plateformes
sèdent sont en direct et en permanence enregistrés, conservés et de métavers devront ainsi premièrement déterminer et circonscrire
analysés par les plateformes qui les vendront parfois très cher à les finalités du traitement de données envisagé. Il leur incombera
des annonceurs. également de mettre en place des mécanismes permettant aux
utilisateurs de se prévaloir efficacement de leurs droits relatifs au
Les métavers traitent et exploitent donc de très grandes quantités
traitement de leurs données (droit d’accès, droit de rectification,
de données (état civil, pseudonyme, sexe, image, données bio-
droit à l’oubli, droit à la portabilité, etc…).
métriques…) considérées comme sensibles au sens de l’article 9
du Règlement général sur la protection des données personnelles Ensuite, si l’on considère que l’avatar est un prolongement, sur
n° 2016/779 (RGPD)(63). Une attention toute particulière devra ici le métavers, de la personne même de l’utilisateur, cela aura pour
être portée aux accessoires permettant d’entrer dans ces mondes
virtuels (casques, lunettes VR, capteurs, micros) qui collectent des
(64) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037085952
(65) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000886460/
(63) https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees (66) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006052581/
conséquence d’éventuellement lui faire bénéficier de certains et du citoyen(73) qui le définit comme un « droit naturel et impres-
droits fondamentaux normalement exclusivement attribués aux criptible de l’homme ».
personnes physiques, comme le droit à la protection de sa vie pri-
Tous les jours, une multitude de biens virtuels sont créés, achetés,
vée et le droit à l’image, prévus à l’article 9 du code civil(67) et aux
échangés et accumulés sur le métavers et cela ne va pas être sans
articles 226-1 à 226-7 du code pénal(68).
poser un certain nombre de questions relatives à la titularité et à
Enfin, certains textes adoptés pour réprimer les abus de la liberté l’opposabilité de droits de propriété sur ces biens. qui possède
d’expression ainsi que certains crimes et délit commis sur Inter- quoi sur le métavers ? Un avatar dispose-t-il de la pleine propriété
net pourront également être appliqués aux métavers. Seront ainsi des biens qu’il a acquis sur le métavers ? Tels sont les problèmes
sanctionnés sur le métavers, la diffamation (définie à l’article 29 de auxquels nous seront confrontés.
la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse(69)), la mise en ligne
Sur le métavers, les transactions sont financées par des monnaies
de contenus haineux (régulés, en autres, par la loi sur la confiance
numériques ou des cryptomonnaies, via des jetons non-fongibles
dans l’économie numérique du 21 juin 2004, n°2004-575(70)), le dé-
: les NFT. Certaines grosses plateformes, comme Decentraland et
lit de cyberharcèlement (réprimé par l’article 222-33-2-2 du code
The Sandbox possèdent d’ailleurs leurs propres cryptomonnaies :
pénal(71)) et les violences et agressions sexuelles (condamnées par
le Mana et le Sand. Le stockage et la transmission des informations
l’article 222-22 du code pénal(72)).
relatives aux transactions effectuées sur le métavers sont quant à
La protection de ces données et de ces droits sur le métavers ne va eux assurés par la blockchain, qui de ce fait, va faire office de seul
pas être sans poser un certain nombre de difficultés (dissociation « cadre juridique » pour ces opérations. Or cette base de données
personne physique – avatar, territorialité…) qui devront être tran- ne garantit en rien ce droit de propriété.
chées par les juges.
Attardons-nous d’abord sur le cas des transactions immobilières
virtuelles, activité principale de Decentraland. Dans le monde
LA TITULARITÉ DES DROITS DE PROPRIÉTÉ SUR LES « réel » toute vente d’un bien immobilier doit impérativement
OBJETS ACHETÉS SUR LA PLATEFORME avoir lieu par l’intermédiaire d’un notaire qui garantit la légalité,
Le droit de propriété est un droit fondamental et cardinal de notre la validité et l’efficacité des actes qu’il rédige. Or, pour acheter un
ordre juridique. Il est d’ailleurs protégé dès le Préambule de notre terrain dans le métavers, il n’y a pas besoin de notaires. Ensuite, la
Constitution, par l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme publication de l’acte de vente signé par les trois parties au Service
de Publicité Foncière, rend celui-ci opposable aux tiers (et cela,
quelle que soit la durée et le contexte de la transaction). En effet,
ce qu’on achète dans le métavers ce n’est pas un bien immobilier
mais une représentation d’un bien immobilier sans aucune maté-
(67) https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIAR-
rialité comparable à ce qui se passe dans le monde réel. Par consé-
TI000006419288/ quent, il convient d’être très attentif aux « abus de langage » qui
conduisent à prendre l’image pour l’être.
(68) https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042
193566/ Pour le moment, dans la mesure où aucune passerelle n’a été créée
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI0000064 entre les différente plateformes, cette opposabilité n’est donc pas
17930/2022-08-16
possible pour le métavers. En effet, si l’une d’entre elles venait à
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033
207318/2022-08-16 fermer, la valeur des jetons non-fongibles qui y étaient jusqu’alors
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042 échangés pour effectuer les transactions (par exemple le Mana ou
193578/2022-08-16 le Sand) deviendrait nulle car ce type de cryptomonnaies ne se-
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037 raient pas utilisables ailleurs.
288087/2022-08-16
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000030 Le métavers appartient à une société déterminée tandis que les
776820/2022-08-16 droits portant sur les NFT sont dévolus à l’utilisateur qui est soumis
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042 à la charte de la plateforme. Comment peut-on alors disposer de
193593/2022-08-16 la pleine et entière propriété d’un bien si l’accès à celui-ci peut être
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000028 bloqué discrétionnairement par l’opérateur ? Ici , précisons que
776961/2022-08-16 The Sandbox (TSB), autre plateforme décentralisée de transactions
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI0000064
immobilières virtuelles, dispose d’ailleurs dans ses CGU qu’: « en
17934/2022-08-16
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033
utilisant les Services, vous accordez à TSB une licence mondiale,
219748/2022-08-16 non exclusive, gratuite, perpétuelle, irrévocable, sous-licenciable,
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI0000206 transférable d’utiliser, reproduire, représenter, distribuer et adap-
30884/2022-08-16 ter les Actifs et Jeux [de l’utilisateur] aux fins de développer, distri-
(69) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006 buer, fournir, améliorer et promouvoir les services et nos activités ».
419790/
(70) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000801164/
(71) https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045
292599/ (73) https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vi-
(72) https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043 gueur/constitution/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-ci-
409030/ toyen-de-1789
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De la même manière, un NFT ne peut pas créer de la propriété là d’indemniser en intégralité les plaignants ainsi que de leur restituer
où il n’y en a pas, notamment, sur des choses incorporelles non les biens et articles virtuels une fois que les réclamations auront été
appropriées par un droit d’auteur. Il organise seulement par la confirmées par le juge. Cette confirmation est finalement interve-
tokenisation l’unicité et la rareté du support incorporel de la chose nue par un jugement en date du 29 avril 2014, lequel a homologué
incorporelle (l’image du bras d’une joueuse de tennis, la capture l’accord conclu entre Linden Research Inc. et les demandeurs.(77)
d’écran d’un tweet, des images, du texte, du son, de la texture
non protégés par le droit d’auteur). Tel est le cas des collections LA DAO OU « ORGANISATION AUTONOME DECEN-
de personnages composées à partir d’images prédéfinies (che- TRALISEE »
veux, lunettes, chapeaux, vêtements, etc.) et générées de manière
aléatoire. Par la « magie du NFT », unicité et rareté, cette chose L’acronyme DAO désigne une « organisation autonome décen-
incorporelle prend beaucoup de valeur, mais le NFT ne crée pas tralisée » (decentralized autonomous organisation). La DAO
de nouvelles propriétés. fonctionne grâce à un programme informatique qui fournit à une
communauté des règles de gouvernance lesquelles sont transpa-
Les premiers cas de vols sur le métavers illustrent également une rentes et immuables du fait de leur inscription dans la technolo-
première évolution jurisprudentielle de ces questions. gie blockchain.(78)Ces règles se présentent sous la forme de lignes
Même si au début la jurisprudence(74) exigeait que la chose sous- de code qui s’exécutent automatiquement, s’apparentant ainsi à
traite, évoquée à l’article 311-1 du code pénal(75), soit par principe une matrice chargée d’articuler entre eux des smart contracts (ou
un meuble corporel, les choses ont évoluées, et aujourd’hui, la « contrats intelligents », qui ne désignent pas des contrats en tant
matérialité du bien n’est plus exigée pour retenir l’infraction de que tels, mais des protocoles informatiques qui permettent l’exé-
vol. C’est ainsi que dans un arrêt du 9 septembre 2003 ou encore cution automatique des termes d’un contrat).(79).
un arrêt du 20 mai 2015(76), le juge a, par exemple, admis le fait La DAO joue un rôle indispensable notamment dans le métavers
que des données informatiques puissent faire l’objet d’un vol. Une de Decentraland, car elle en assure le fonctionnement : Decentra-
conception jurisprudentielle aussi large de la « chose volée » per- land est d’ailleurs « gouverné » par la DAO.(80)
met en effet d’adapter les solutions en droit « aux circonstances et
besoins de l’époque » et d’appréhender cette infraction y compris La DAO de Decentraland est fondée sur un modèle collaboratif,
sur le métavers. avec un système de vote. Chaque membre peut formuler des
propositions concernant le fonctionnement du métavers, puis ces
Un exemple jurisprudentiel nous a été fourni par l’affaire Second dernières sont soumises au vote des utilisateurs. La DAO n’est
Life aux Etats-Unis. Des joueurs avaient porté en plainte, en avril donc que le catalyseur de cette démocratie directe. Ainsi, il est
2010, pour une expropriation abusive et une modification des impossible d’attribuer une personnalité juridique propre à la DAO,
conditions d’utilisation de la plateforme en vue d’une appropria- puisque toutes les règles qu’elle édicte ne sont autres que le pro-
tion du travail desdits utilisateurs. Bien que l’affaire en question ait duit des choix des utilisateurs, et qu’il n’existe aucun lien de hié-
été résolue au moyen d’une transaction conclue le 17 mai 2013, les rarchie entre ces derniers.
termes de l’accord rendent compte de l’acceptation par Linden
Resarch, gestionnaire du monde virtuel Second Life, du principe qu’en est-il alors de la responsabilité de la DAO en cas de litige
sur la plate-forme ? En l’absence de personnalité juridique, il est
certain que la DAO ne peut voir sa responsabilité civile ou pénale
engagée en qualité de personne morale. Pour tenter de répondre
à cette question, certains auteurs ont alors tenté d’opérer un rap-
(74) Pour être susceptible de vol, il faut que la chose puisse être appré-
prochement avec des statuts juridiques existants.
hendée. Il en va ainsi d’un ordre administratif ayant fait l’objet d’un
acte écrit (Alger, 24 mars 1911 : DP 1913. 2. 168) ; d’électricité, dans
la mesure où cette dernière passe par un moyen de transmission qui Le groupement d’intérêt économique (GIE)
peut être matériellement constaté (Crim. 3 août 1912 : DP 1913. 1.
439 ; S. 1913. 1. 337, note Roux et Montpellier, 10 mars 2011 : JCP Dans la mesure où le GIE permet de servir l’activité économique
2011, no 953). En revanche, il a été jugé qu’une onde hertzienne ne de ses membres et de leur distribuer des bénéfices (article L251-1
pouvait faire l’objet d’un vol, car en l’absence d’un quelconque sup- du code de commerce), ce dernier semble a priori constituer une
port, cette dernière échappe à la maîtrise de son émetteur et relève piste de réflexion sur le statut juridique de la DAO.
d’une nature immatérielle (Paris, 24 juin 1987 : D. 1988. Somm. 226,
obs. Hassler ; Gaz. Pal. 1987. 2. 512, note Marchi; RSC 1988. 793, obs.
Bouzat).
(75) h t t p s : / / w w w. l e g i f r a n c e . g o u v. f r / c o d e s / s e c t i o n _ l c / L E -
GITEXT000006070719/LEGISCTA000006165324/#:~:text=-
Section%201%20%3A%20Du%20vol%20simple,%C3%A0%20 (77) Evans v. Linden Research, Inc., No. C-11-01078 DMR (N.D. Cal. Apr.
311%2D11)%20%2D%20L%C3%A9gifrance&text=Le%20vol%20 29, 2014)
est%20la%20soustraction%20frauduleuse%20de%20la%20
chose%20d’autrui.&text=La%20soustraction%20frauduleuse%20 (78) A. Maudouit-Ridde, L’organisation autonome décentralisée, BJB Mai-
d’%C3%A9nergie,autrui%20est%20assimil%C3%A9e%20au%20 Juin 2018, p. 177
vol.&text=Le%20vol%20est%20puni%20de,45%20000%20euros%20 (79) Répertoire Dalloz IP/IT et Communication / Blockchain – Aspects
d’amende. techniques IP/IT – Amélie FAVREAU – Septembre 2021
(76) Crim., 9 septembre 2003 - n° 02-87.098 pour le vol du contenu d’une (80) Conformément aux Terms of Use de Decentraland : « Decentra-
disquette ; Crim. 20 mai 2015, n° 14-81.336 pour la soustraction de land is governed by a decentralized autonomous organization (the
données sans le consentement de leur propriétaire. «DAO»). »
Ce rapprochement est toutefois inopérant. En effet, le GIE jouit la loi du 19 mai 1998, qui transpose la directive communautaire de
obligatoirement de la personnalité morale, laquelle est subordon- 1985, pose le principe d’un régime de responsabilité sans faute
née à une immatriculation au registre du commerce et des sociétés des fabricants et distributeurs ; ce régime est tout à fait applicable
(article L251-4 du code de commerce). Par conséquent, la DAO aux programmes informatiques, puisque la loi précise que ces der-
ne saurait être traitée comme un GIE par un juge en cas de litige. niers sont des biens meubles.
Ce régime de responsabilité se serait montré particulièrement utile
La société créée de fait ou la société en participation lorsque le projet TheDAO, qui était initialement destiné à finan-
Pour rappel, la société créée de fait résulte du comportement de cer une plateforme de location(83), a été piraté en juin 2016. Alors
personnes qui se sont réunies dans le cadre d’une œuvre écono- que la levée de fonds s’élevait à plus de 150 millions de dollars
mique commune et qui en ont partagé les profits et supportés les en ethers (cryptomonnaie utilisée sur la blockchain Ethereum, sur
pertes. Ces personnes se sont, en somme, comportées comme laquelle était inscrite TheDAO), une faille dans le code des smart
des associés sans en avoir pleinement conscience et sans avoir ac- contracts de la DAO a permis à un hacker de siphonner l’intégralité
compli les démarches de création d’une société. La société en par- des sommes récoltées(84). Comble de l’histoire : une personne res-
ticipation, quant à elle, correspond à la collaboration économique tée anonyme a revendiqué la cyberattaque, et menacé de procès
de plusieurs personnes, lesquelles ont convenu de créer une socié- ceux qui tenteraient de récupérer leur mise. Le prétendu pirate
té sans toutefois l’immatriculer. Ces formes de société possèdent s’est prévalu du fameux adage « code is law » (le code tient lieu
pour particularité d’être dépourvues de personnalité juridique. de loi), selon lequel il possédait désormais la pleine propriété des
ethers dérobés. Malheureusement, et comme cela était prévisible,
La DAO peut donc se rapprocher de l’un ou de l’autre de ces sta- l’auteur de l’attaque n’a jamais pu être identifié et donc poursuivi.
tuts. Si l’on part du postulat où les utilisateurs de la DAO n’ont pas
conscience de collaborer au même titre que des associés, alors Une question se pose alors : pourquoi la responsabilité des déve-
cette dernière pourra être désignée comme une société créée de loppeurs n’a-t-elle pas été engagée ? La réponse se trouve dans le
fait par le juge dans le cadre d’un litige. Il faudra toutefois que but poursuivi à l’origine de la création des DAO. Le sacrosaint prin-
le demandeur rapporte la preuve de l’existence d’une telle so- cipe de décentralisation pousse en effet à mutualiser les risques
ciété, ce qui suppose la réunion de tous les éléments constitutifs entre les utilisateurs de la communauté, et plus précisément à dé-
du contrat de société (apports, partage des pertes et bénéfices, placer sur cette dernière le fardeau de la responsabilité. C’est ici
affectio societatis)(81). Si on considère, à l’inverse, que les utilisa- que se rencontre donc la limite au raisonnement consistant à appli-
teurs de la DAO se sont comportés comme des associés en toute quer le régime de responsabilité du fait des produits défectueux.
conscience, alors le statut applicable sera celui de la société en Cependant, un exemple récent survenu outre-Atlantique va peut-
participation. être marquer la fin de cette possibilité pour les entités rattachées
Dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, le résultat est le même : aux DAO de se dédouaner de leur responsabilité. En effet, Ma-
en effet, la société créée de fait est soumise au même régime que kerDAO, une plateforme de finance décentralisée (ou DeFi pour
celui de la société en participation (article 1873 du code civil). Les decentralized finance), a fait l’objet d’une action de groupe dé-
associés contractent en leur nom propre, et sont donc respon- posée devant la Northern District Court of California, engageant
sables personnellement et de façon illimitée. Cela signifie qu’un la responsabilité de trois entités étrangères affiliées au protocole :
créancier ne peut poursuivre la société pour une dette qu’il aurait Maker Ecosystem Growth Holdings Inc, Maker Ecosystem Growth
contractée avec l’un des associés, car ce dernier est seul respon- Foundation, et DAI Foundation(85). Cette action fait suite à l’échec
sable. Ainsi, on peut en conclure que les litiges entre utilisateurs de la tentative de résolution du litige à l’amiable par le biais de la
ne peuvent se régler qu’entre les intéressés, sans qu’une entité mise en place d’un système de remboursement des utilisateurs lé-
supérieure, la DAO, ne puisse être attaquée. sés, ce qui aurait permis l’application de la clause des Terms of Use
excluant toutes poursuites judiciaires en cas d’accord trouvé entre
Ce fonctionnement est bien évidemment source d’une très grande les utilisateurs et la plateforme. Impossible alors pour MakerDAO
insécurité juridique. En effet, rechercher la responsabilité d’un utili- d’échapper à un procès, lequel sera à suivre de très près(86).
sateur suppose que celui-ci soit identifiable. Or, les plateformes ne
procèdent à aucune vérification d’identité des utilisateurs, de sorte
La soumission des plateformes de métavers au régime
que ces derniers peuvent être parfaitement anonymes, la possibi-
lité de les retrouver grâce à leur adresse IP étant vite balayée par de la responsabilité allégée des hébergeurs
l’utilisation éventuelle d’un VPN. La question se pose ici de la responsabilité des plateformes de
En outre, la question de la responsabilité se pose également lors- métavers, en raison des actes malveillants commis en ligne. À
qu’il est question non pas de litiges entre utilisateurs, mais de
failles dans le programme informatique qui permet le fonction-
nement de la DAO. On pourrait logiquement en déduire que la
responsabilité à rechercher serait celle des développeurs, en vertu (83) https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/communaute/021982520272-
de la responsabilité du fait des produits défectueux(82). A cet égard, the-dao-le-principe-de-l-autogestion-applique-aux-jeunes-
pousses-210959.php
(84) https://www.ethereum-france.com/the-dao-post-mortem/
(85) https://journalducoin.com/analyses/decentralisation-responsabi-
(81) Com. 23 juin 2004, n° 00-18.974 lite-maker-dao-bitcoin/
(82) Articles 1245 à 1245-17 du code civil (86) https://cryptoactu.com/makerdao-recours-collectif/
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considérer que des agissements sur un avatar puissent constituer CONCLUSION : DES UNIVERS NUMÉRIQUES HORS LA
des actes illicites, les plateformes qui hébergent le service pour- LOI ?
raient également voir leur responsabilité engagée, si elles ne re-
tirent pas promptement le contenu illicite. En l’état actuel du droit, Les médias sociaux ont profondément bouleversé les démocraties,
ces plateformes pourraient se voir attribuer la qualité d’hébergeur tout en respectant (parfois à leur corps défendant et avec retard)
et être soumises à la responsabilité mise en place à leur égard par les lois des différents pays. C’est leur logique même qui affecte
la loi du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique(87). le fonctionnement démocratique par le biais du regroupement
L’article 6-I-2° de cette loi adopte une conception volontairement transfrontalier des extrêmes et par la visibilité qu’ils acquièrent au
très large de la notion d’hébergeurs qu’il définit comme « les per- travers de ces réseaux.
sonnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, L’analyse des documents issus du site decentraland.org montre
pour mise à disposition du public par des services de communica- que nous pourrions franchir, si nous ne n’y faisons pas attention, un
tion au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, nouveau pallier dans le détricotage des structures juridiques qui
de sons ou de messages de toute nature fournis par des destina- encadrent nos systèmes politiques depuis des siècles.
taires de ces services ».
Volonté démiurgique de se doter de son propre cadre juridique
La responsabilité envisagée pour les hébergeurs est une responsa- partant du principe (osé) que Decentraland est une création ex ni-
bilité allégée car celle-ci ne pourra être mise en œuvre que si deux hilo qui échappe aux droits des mortels puisque ceux-ci ne sont
conditions cumulatives sont réunies. Il faut dans un premier temps, référencés nulle part contrairement aux principes de base de se
que l’hébergeur ait eu une connaissance effective du caractère illi- référer à un cadre juridique préexistant (métaphore martienne)
cite du contenu diffusé et que dans un second temps, celui-ci n’ait
pas réagi pour faire cesser cette violation du droit. Les métavers : nouvel horizon des théories libertariennes
C’est pour cela, que le décret du 14 janvier 2022(88) a créé de nou- La philosophie politique et le droit sont intimement liés car on
velles obligations à la charge des plus grandes plateformes s’agis- édicte des règles au nom d’une vision. Les CGU des métavers
sant de la mise en place de dispositifs de notification des contenus n’échappent pas à la règle. Tout comme d’ailleurs, Internet dont
haineux illicites, de mécanismes de coopération avec les autorités la création s’est accompagnée d’une charte d’indépendance du
judiciaires ou administratives et de transparence concernant la mo- cyberespace qui précise, entre autres « Nous n’avons pas de gou-
dération de ces contenus. vernement élu et nous ne sommes pas près d’en avoir un, aussi je
Compte tenu de l’essor actuel des métavers, les seuils fixés par ce m’adresse à vous avec la seule autorité que donne la liberté elle-
texte devraient largement être franchis et les dispositifs prévus leur même lorsqu’elle s’exprime. Je déclare que l’espace social global
être appliqués. que nous construisons est indépendant, par nature, de la tyrannie
que vous cherchez à nous imposer. Vous n’avez pas le droit moral
Sur le plan européen, les métavers devraient, en tant que très de nous donner des ordres et vous ne disposez d’aucun moyen de
grandes plateformes (TGP), également anticiper l’entrée en vi- contrainte que nous ayons de vraies raisons de craindre(90) ».
gueur prochaine du Règlement « Digital Services Act » (DSA)(89) et
adapter leurs CGU à celui- ci. Ce texte, adopté définitivement par En effet, les univers numériques, dont les concepteurs et princi-
le Parlement européen le 05 juillet 2022 a pour objectif de rendre paux réalisateurs sont des américains de la Silicon Valley ont tou-
Internet plus sûr pour les utilisateurs et prévoit de lutter contre jours été pensés à l’aune de la science-fiction et des idées liberta-
les contenus et produits illégaux en ligne (haine, désinformation, riennes(91). Le conglomérat d’idées qui structurent la philosophie
contrefaçons...). politique des technologues réunit la défiance absolue envers l’Etat
sous quelle que forme que ce soit, la supériorité intrinsèque de
Ce texte imposerait aux TGP d’analyser une fois par an tous les l’esprit entrepreneurial dont la nature volontaire permet de dépas-
risques systémiques découlant de l’utilisation de leurs services ser toute limitation extérieure qui constitue une atteinte à la liberté
dans l’UE. Parmi les risques systémiques identifiés pour les méta- de l’individu. Cette vision du monde va ensuite être utilisée par les
vers figurent les effets négatifs sur la vie privée et familiale, la liber- grandes entreprises d’Internet à leur profit exclusif toujours dans
té d’expression et d’information. Les plateformes n’ont pas seule- la même logique : utiliser le réseau pour « en faire une économie
ment à jauger ces risques systémiques, elles doivent aussi prévoir
des mesures pour les atténuer. Mais cette obligation d’évaluation
annuelle est-elle suffisante pour appréhender les enjeux éthiques,
sociologiques, psychologiques et juridiques engendrés par les
métavers ? Force est de constater que nous sommes encore loin
d’une réglementation à même de réguler de manière satisfaisante (90) https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_d%27ind%C3%A-
l’utilisation de ces plateformes. 9pendance_du_cyberespace#:~:text=Je%20d%C3%A9clare%20
que%20l’espace,de%20vraies%20raisons%20de%20craindre.
Barlow, J. (2000). Déclaration d’indépendance du cyberespace. Dans
: Olivier Blondeau éd., Libres enfants du savoir numérique: Une an-
thologie du “Libre” (pp. 47-54). Paris: éditions de l’éclat. https://doi.
org/10.3917/ecla.blond.2000.01.0047
(87) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000801164/ Bourguignon, J. (2021) Internet, année zéro | De la Silicon Valley à la
(88) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044993663 Chine, naissance et mutations du réseau, éditions divergences
(89) https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/policies/digital-ser- (91) Carré, S. (2010) Les libertariens aux états-Unis, Sociologie d’un mou-
vices-act-package vement asocial, Paris, ResPublica
à part entière, une économie mondialisée et presque immune au A défaut d’une régulation internationale précise et complète
pouvoir législatif(92) ». permettant d’encadrer Internet, la Blockchain, la/les métavers,
le juriste devra mettre en application ses connaissances en droit
Cet assujettissement de la technologie à la logique du profit ob-
international privé, puis l’ensemble de ses textes nationaux pour
tenu grâce à la totale liberté des acteurs est aujourd’hui parfai-
trouver des réponses juridiques adaptées à chaque situation. L’ap-
tement implémenté, connu et reconnu. Les dérivent auxquelles
proche défendue depuis peu, selon laquelle « ce qui est interdit
conduit cette vision de la société également. Contrairement à la
dans le monde réel l’est aussi dans le monde virtuel », bien que
déclaration d’indépendance du cyberespace, celui-ci a été pro-
socialement opportune en offrant une ligne de conduite simple,
gressivement encadré et les gouvernements ont trouvé des solu-
aura peut-être un peu du mal à trouver aussi facilement sa place,
tions législatives, comme le RGPD et dans les années à venir, dans
compte tenu de la complexité du sujet et des innovations tech-
l’Union Européenne, un ensemble des lois très contraignantes
nologiques utilisées. Le débat n’est certainement pas tranché de
ayant pour objectifs de cadrer tous les aspects d’utilisation d’In-
savoir si un monde virtuel suppose un droit virtuel, alors qu’en re-
ternet. D’autres pays ne cherchent pas à s’embarrasser avec des
vanche, le métavers permettant des interactions sociales, le besoin
lois mais coupent simplement l’accès à des pans entiers d’Internet,
de droit et de régulation est indiscutable.
transformant celui-ci en un vaste intranet contrôlé et espionné par
l’Etat et ses organes. Pour l’heure, il n’existe aucune base légale ni aucune jurisprudence.
Pour cause, l’aspect universel de cette évolution technologique ne
Les différents métavers cherchent, consciemment ou non, à récréer
permet pas de localiser les individus dans l’espace géographique
l’univers rêvé des premiers technologues-penseurs d’Internet en
terrestre. De la même manière qu’avec internet, le métavers risque
l’adaptant à leur avantage. Ils adossent une solution politique à
d’entraîner des conflits de droit applicable, de compétence juridic-
des techniques hermétiques(93) pour la plupart des gens afin de
tionnelle et de responsabilités.
garder la maîtrise de l’ensemble et d’en tirer des avantages. Les
documents publiés par Decentraland, l’opacité de la structure, En effet, au travers des avatars, c’est bien l’utilisateur qui agit et
l’utilisation de la DAO dans un cadre encore assez confus, tout communique sans que l’avatar n’ait une quelconque responsa-
porte à croire que le métavers représente pour ses créateurs la bilité, étant pour le moment totalement dépourvu d’autonomie.
nouvelle frontière à atteindre selon les règles qu’ils auront eux- Cependant, l’absence de responsabilité propre à l’avatar ne signi-
mêmes créées. Et c’est là que le bât blesse. fie pas que les actes illicites commis dans ces mondes virtuels ne
peuvent être sanctionnés. L’avatar constituant le prolongement de
Les outils juridiques existants sont-ils suffisants ? l’utilisateur : si l’avatar est agressé l’utilisateur l’est également. En-
fin, comment ne pas envisager la question de l’identification dans
Forts de ces conclusions largement partagées, ne doit-on pas les métavers. Au même titre que sur internet, l’anonymat des utili-
commencer le plus tôt possible à légiférer? sateurs est de mise sur les métavers.
On observe que tant la législation pénale que le nouveau dispo- Cependant, davantage que sur internet, les principes technolo-
sitif réglementaire envisagé par l'Europe ne sont pas adaptés aux giques de blockchain et de décentralisation du métavers peuvent
défis suscités par le métavers. Il convient de mener une réflexion être la cause de l’anonymat des utilisateurs. L’avenir nous révélera
pluridisciplinaire, juridique, éthique, philosophique sur le sujet. À comment l’identification de chacun des utilisateurs sera garantie
ce titre, le DSA actuellement en discussion au niveau européen est sur les métavers et comment les poursuites pourront être réalisées
une opportunité pour intégrer des règles à même de réglementer devant les juridictions nationales. Pour l’heure, par analogie, les
l'exploitation de ces mondes virtuels par les plateformes. De plus, règles du droit de l’internet trouvent à s’appliquer tant à l’égard
la possibilité, prévue par ce texte, d'une amende pouvant aller des utilisateurs que des créateurs de plateformes numériques.
jusqu'à 6% du chiffre d'affaires des sociétés ou encore des me-
sures de rétorsion et d'exclusion temporaires du marché intérieur L’espace interactif et immersif de ce monde parallèle se tradui-
des plateformes ne se conformant pas aux nouvelles obligations ra, d'ici quelques années, par des échanges, achats et ventes de
leur incombant sont des preuves de la volonté ferme de l'Union biens, ainsi que des prestations de services entre les utilisateurs.
européenne d'asseoir sa position face aux réalités des déviances Tous les aspects de notre société seront impactés, tant le monde
dans le monde virtuel. Le droit européen doit donc être moteur du travail, que le divertissement et la publicité, ou encore l'éco-
pour avancer sur ces questions fondamentales pour notre avenir nomie.
d'humains. Le métavers fera émerger de nouveaux business, notamment pour
les marques qui y voient déjà des canaux de marketing supplé-
Dans la perspective des contentieux à venir que tous les mentaires, via la création de boutiques virtuelles. Les parcelles voi-
experts entrevoient, quel est l’état du marché et que disent sines de grandes enseignes pourraient même prendre de la valeur
les avocats qui se spécialisent sur le sujet (US / UK et FR) ? et permettre d'obtenir une plus-value à la revente si le nombre de
parcelles est limité dans les plateformes qui seront les plus po-
Certains juristes perçoivent l’arrivée du métavers comme une
pulaires. Ce qui ouvrira d’ailleurs le champ des possibles pour les
réelle « révolution du droit ». Est-ce véritablement le cas ?
professionnels de l’immobilier. Le rôle de l'avocat est de faire com-
prendre à son client ce qu'il acquiert réellement quand il achète un
bien virtuel dans le métavers ». Les avocats ne doivent surtout pas
sous-estimer l'impact de cette technologie et rester ouverts à l'ar-
(92) Bourguignon, J., op.cit. p93. rivée de ce nouvel espace virtuel, afin de saisir cette occasion pour
(93) Bourguignon, J., op.cit. p.279 se spécialiser dans cette hypothétique nouvelle branche du droit.
http://lamyline.lamy.fr
Mais comment se mettre à la page face à une technologie qui le droit positif au métavers ou appartient-il au législateur d'être
n'en est qu'à ses prémices et dont on ignore tout ? Conseiller proactif face à ces nouvelles infractions ? Les interprétations juri-
les clients souhaitant investir dans le métavers requiert toutes les diques sont nombreuses et peuvent être différentes entre les ex-
réflexions juridiques traditionnelles de droit positif qui peuvent perts, autorités et juridictions. Nous aurons besoin d'un peu d'har-
s'observer dans un univers marchand presque traditionnel, une monisation en termes de compréhension des problématiques et
expertise forte en cryptoactifs, et plus particulièrement de fines d'application des règles, ce qui nécessite un travail global au ni-
connaissances économiques, technologiques et juridiques des veau des entités supranationales.
NFT utilisées par un grand nombre de plateformes, ainsi qu'une vi-
Créer un texte juridique spécifique au métavers n'aurait pas grand
sion internationale de certaines problématiques juridiques et de la
intérêt, ni de sens, car les transactions opérées sont très différentes
manière dont ces environnements récents sont en train d'évoluer,
selon les plateformes et ces dernières sont elles-mêmes des enti-
mais aussi d'être régulés.
tés pouvant avoir des natures juridiques diverses. Réviser les textes
Cela nécessite d'avoir une vue d'ensemble sur les différents types actuels, notamment européens, pour les adapter au métavers nous
de problématiques juridiques complexes, ce qui crée une diffi- paraît être une solution plus adaptée. La principale difficulté posée
culté nouvelle par rapport aux dossiers habituels relatifs aux sites par le métavers est que l'aspect universel de cette évolution tech-
marchands sur Internet ou aux jeux vidéo, et la constitution d'une nologique ne permettra pas de localiser les individus dans l'espace
équipe multi-sectorielle et pluridisciplinaire pour traiter de ces géographique terrestre. De nombreuses questions demeurent en
questions. Une expertise pluridisciplinaire qui va donc au-delà de suspens : Comment déterminer le droit applicable et la juridiction
l'organisation historique des cabinets d'avocats, souvent organisés compétente concernant les conflits dans le métavers ? Verra-t-on
en silo avec des équipes très spécialisée dans une matière et/ou émerger un tribunal arbitral ou une juridiction métaversique ? Des
un secteur juridique. pistes de réflexions sont en train d'être discutées entre praticiens
concernant la gouvernance des plateformes dans le métavers.
Si la portée réelle du métavers et son implication dans la vie des
utilisateurs restent encore à déterminer, des situations inédites fe- La question de leur autogouvernance est notamment mise sur la
ront, demain, leur apparition : le vol de données personnelles des table, cette dernière solution permettant à chacune d'instaurer
utilisateurs d'une plateforme, de nouvelles formes d'escroquerie son propre cadre juridique et donc de traiter directement des li-
ou encore de fraude. Ceci pose des problématiques juridiques tiges et de sanctionner, voire d'exclure, les utilisateurs à sa conve-
nouvelles et est source d'interprétation juridique. Avec l'agression nance. Certains praticiens proposeraient quant à eux l'application
virtuelle intervenue sur Horizon Worlds, l'univers virtuel de Meta, d'une compétence universelle dans le métavers, chaque tribunal
par exemple, est-on face à un délit au sens du droit pénal équi- étatique pouvant ainsi être compétent, ou encore la formation de
valent à celui rencontré dans la vie réelle ? L'avatar, incarnation collectifs qui se joindraient aux groupes industriels pour s’accor-
virtuelle de chaque utilisateur dans le métavers, devra-il être vu der sur des normes communes. Aujourd'hui l'un des problèmes les
comme une extension de la personnalité juridique de l'auteur qui plus récurrents rencontrés par les clients est celui de la distorsion,
l'a créé ou lui reconnaîtra-t-on une responsabilité virtuelle qui lui ou du manque de clarté de l'information qui leur est donnée sur
est propre ? Dans l'idéal, chacun devrait répondre des faits com- ce qu'il achète réellement dans le métavers. Dans bien des cas, les
mis par son propre avatar. Mais quid de la responsabilité en cas droits acquis sont inexistants ou limités. Se pose alors la question
d'agression si l'avatar devient semi-autonome ou s'il est intégrale- de la responsabilité des plateformes qui engendre de véritables
ment généré par l'intelligence artificielle ? Devrons-nous appliquer sujets d'interprétation juridique. n