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COURS DE THÉORIE DU COMMERCE

INTERNATIONAL
Jean-Marie Le Page

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Jean-Marie Le Page. COURS DE THÉORIE DU COMMERCE INTERNATIONAL. Licence. Théorie
du commerce international, Paris 6ème, centre Assas, France. 2021, pp.153. �hal-04051222�

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1

COURS DE THÉORIE DU
COMMERCE INTERNATIONAL

JEAN-MARIE LE PAGE

Professeur émérite à l’Université Paris Panthéon-


Assas

(Cours dispensé durant l’année universitaire 2020-2021 à


l’Université Paris Panthéon-Assas dans le cadre du L3 économie
et gestion, parcours Économie internationale)
2
3

Cet enseignement de spécialisation (UEF) (dispensé à l’Université Paris Panthéon-Assas en L3


économie-gestion, parcours Économie internationale, pour la dernière fois entre janvier et mai 2021)
commençait par exposer les grandes caractéristiques empiriques du commerce international :
ampleur de la mondialisation, sources du phénomène, chaînes de valeur, grandes économies
exportatrices.

Il abordait ensuite de façon approfondie les trois grandes familles de théories du commerce
international :
- Analyse ricardienne
- Analyse néoclassique (Hecksher, Ohlin, Samuelson)
- Nouvelles théories du commerce international (Krugman, Melitz essentiellement)

L’accent était mis sur les nouvelles analyses du commerce international et sur leur pertinence
empirique.

Le cours s’achevait par un exposé sur les théories du protectionnisme (formes du


protectionnisme, effets sur l’économie, défaillances de marché et protection).

Thèmes du cours
Introduction : données statistiques sur le commerce international
• L’analyse ricardienne
o : La notion de coûts comparatifs
o Analyse formelle du modèle des coûts comparatifs et extensions de l’analyse
o Évaluations empiriques
• Le modèle Hecksher-Ohlin-Samuelson et ses prolongements
o Le modèle néoclassique de l’échange international : l’analyse Hecksher-Ohlin et
les formulations contemporaines
o Évaluations empiriques du modèle néoclassique
o Dynamique des revenus et croissance (Stolper-Samuelson, effet Rybczynski, effet
Bhagwati)
• Les Nouvelles théories du commerce international
o Concurrence imparfaite et échanges internationaux (Krugman)
o Pertinence empirique des modèles de Krugman
o Les nouvelles théories du commerce international : la réponse des entreprises à
l’ouverture commerciale (Melitz)
• Les analyses du protectionnisme
4
5

Introduction

Le commerce mondial

Le commerce mondial de marchandises représente aujourd’hui l’équivalent du quart de la


production mondiale.
Le Commerce mondial de marchandises ayant dépassé 18 000 milliards de dollars après la crise
économique et financière de 2008-2009, beaucoup y ont vu la confirmation de la reprise des
échanges après l’effondrement de l’année 2009 qui a été une année de crise mondiale où les
échanges de marchandises se sont contractés de 22 % en valeur. En 2010, les échanges de
marchandises ont en effet progressé de 22% en valeur et en 2011 de 19 %. Les échanges globaux
(marchandises + services) atteignant 23282 milliards de dollars en 2014 semblaient devoir atteindre
à l’avenir l’équivalent du tiers de la production globale. Mais en 2015 et 2016, le prix unitaire des
exportations a diminué entraînant une forte baisse de la valeur du commerce mondial de
marchandises (15464 milliards de dollars) malgré une progression en volume de 1,3 %. Au cours
de cette même année, les échanges globaux (marchandises + services) sont ainsi retombés à 20 272
milliards de dollars. En 2019, le commerce mondial de marchandises était de 19 051 milliards de
dollars en diminution de 0,1 % en volume alors que la croissance du PIB mondial fut de 2,3 % cette
année-là. En 2021, ce commerce mondial de marchandises atteignait 21678 milliards de dollars.
Le commerce mondial de services ayant été de 5 898 milliards de dollars en 2019, le commerce
mondial total (marchandises + services) atteignait près de 25000 milliards de dollars dépassant ainsi
la valeur atteinte en 2014. En 2020, il a chuté à cause de la pandémie pour n’atteindre « que »
23200 milliards de dollars. En 2021, les exportations mondiales de services ont atteint
5994 milliards de dollars. Le commerce mondial total était donc de 27300 milliards de dollars au
cours de cette année.
Le graphique ci-dessous, établi par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), montre
l’évolution simultanée du PIB mondial et du commerce international de marchandises.
Chapitre III | Dernières tendances du commerce mondial 2017-2018

Figure 1 : Croissance mondiale et commerce international


Graphique 3.1
Ratio de la croissance du commerce mondial des marchandises en volume à la
croissance du PIB réel mondial, 1981-2017
(Variation annuelle en % et ratio)
15 8

12 7

9
6,1
6 1,5
Ratio de la
5
6 croissance
du commerce
4 mondial des
3
marchandises
3,0
2,8 2,8 3,4
3 en volume à la
2,6 2,6
0 2,4 2,5 2,5 croissance du PIB
2,0
1,8 1,7 1,9 1,8
2,1
1,8
mondial aux taux
1,7 1,6 2
1,5 1,5 1,5 1,5 1,6 1,5 de change du
-3 1,3
marché en 2017
1,0 1,0
1,4 0,9 1,0 1,0 0,9 0,8
1

-6 0,1
-0,2 0

-9
-1

-12
-2
-2,6

-15 -3
1991
1981

2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2008
2009
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990

1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007

Croissance du commerce Croissance du PIB Ratio de la croissance du commerce à


mondial en volume (à gauche) mondial (à gauche) la croissance du PIB (à droite)

Source
Sources::Estimations
OMC de l’OMC pour le commerce, estimations
consensuelles pour le PIB.

pourrait freiner légèrement les importations à court en 2017, contre 1,9% en 2016. La demande
Pendant longtemps, le commerce mondial
terme, mais il devrait produire une croissance plus
en volume a crû davantage que la croissance
d’importations a également progressé dans
mondiale ; durable
forte et de 1985 à terme,
à long 2011,celes échanges
qui stimulerait les mondiaux de marchandises
les pays développés, mais de façon ontmoins
ainsi augmenté au rythme
de 5,6échanges
% par commerciaux.
an alors que Inversement,
le PIBen mondial
l’absence a progressé
spectaculaire à puisque la croissance
un rythme annueldu de 3,1 %. Et de 1990 à
2014, d’une ouverture commerciale plus poussée, on
la croissance moyenne du commerce mondial commerce des marchandises en volume a été
de marchandises de 5 % représentait même le
peut s’attendre à une plus faible croissance du de 3,1% en 2017, contre 2,0% en 2016.
doublecommerce
de la croissance de l’économie
à court et à long terme. mondiale.
En réalité, la croissance du commerce mondial de marchandises
Les exportations de marchandisesavaitont sans cesse dépassé celle
du PIBAccroissement
mondial depuis du volume
la findudecommerce
la Seconde Guerre progressémondiale
de 3,5% dans les pays développés
puisqu’elle avait été de 6 % par an de
des marchandises au second semestre et de 5,7% dans les pays en développement
1948 àde1960,
2017
de 8,8 % de 1960 à 1973 et de 4l’année % entre 1973 et 1980 . 1
dernière, contre, respectivement, 1,1%
Seule l’année 2009 semblait exceptionnelle en raison de la crise
et 2,3% l’année précédente (voirmondiale avec une contraction
le tableau 3.1).
des exportations en volume
La plus forte croissance en volume dedu12,2 % alors que le PIB mondial diminuait de 2,3 %. Cette
commerce avait
amplification mondialsans
des marchandises,
doute deuxquicauses est : La
la croissance
baisse deducapacité
volume du commerce des
de financement des exportations
passée de 1,8% en 2016 à 4,7% en 2017, marchandises a été plus forte dans les pays
par deanombreuses banques et la diminution des
été stimulée par le raffermissement de la
dépenses des ménages en biens haut de gamme au
en développement sur l’ensemble de 2017.
cours demande
de la crise. De plus,
d’importations lestoutes
dans entreprises
les réduisent
Toutefois,aulescours d’uneet récession
exportations surtout les aussi forte que celle de
régions,dépenses
2009 leurs mais surtoutd’investissement
en Asie. 2 importations
. En revanche, lades pays développés
surréaction se sont
du commerce mondial à la chute
renforcées pendant l’année, en particulier au
du PIB ne semble pas imputable à la mise en oeuvre de protections commerciales massives3.
L’augmentation la plus importante des second semestre.
Mais depuis a2012,
importations les exportations
été enregistrée dans les mondiales de marchandises ont tendance à rejoindre le taux
de croissance
économies en mondial. En 2013,
développement les deux taux
et émergentes ont été 3.2
Le graphique demontre
2,2 %lesetvolumes
en 2014 de 2,5 %. En 2015, le
où la croissance
commerce mondialdu de commerce a atteint 7,2%
marchandises a crû trimestriels
de 2,6 % deset
exportations
le PIB et des
mondial de 2,4 %. En 2016, le
commerce de marchandises a crû de 1,3 % et le PIB mondial de 2,3 %. En 2017, le taux de croissance
29
1
M. Rainelli, Le commerce international, La Découverte, dixième édition, 2009, page 11.
2
P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Économie internationale, Pearson, 9e édition, 2012, pp. 14-15.
3 P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Économie internationale, Pearson, 10e édition, 2015, pp. 14-15.
7

du commerce mondial a de nouveau dépassé celui du PIB. Mais en 2018, les deux taux ont été
comparables (3 % pour le volume du commerce des marchandises et 2,9 % pour le taux de
croissance mondial) alors qu’en 2019 le taux de croissance du commerce mondial de marchandises
a été quasi-nul en volume dans un contexte de croissance mondiale supérieur à 2 %. En valeur, la
croissance des exportations mondiales de marchandises en 2015 avait même été négative en raison
de baisses de prix des biens exportés. De même, la valeur en dollars des exportations mondiales de
services a baissé de 6 % en 2015 et n’a augmenté que de 0,1 % en 2016. En 2019, le commerce
mondial de marchandises en valeur a baissé de 3 % (après une hausse de 10,2 % en 2018). En 2020,
il a diminué de 4,9 %, davantage donc que le PIB mondial qui a reculé de 3,4 % cette année-là. Mais
en 2021, le commerce mondial de marchandises a de nouveau bénéficié d’une forte croissance
(8,9 %) supérieure à celle de la production mondiale (5,8 %).
Ce ralentissement de la croissance dont on ne sait pas s’il sera durable du commerce mondial a
peut-être été dû à des causes conjoncturelles : ralentissement de la croissance (notamment dans les
pays émergents comme, par exemple, au Brésil où la récession a été sévère en 2015, 2016 et 2020),
tensions géopolitiques fréquentes au Moyen-Orient, hausse du dollar par rapport à un grand nombre
de monnaies émergentes et dans des périodes comme 2014 à 2016 baisse des prix du pétrole ainsi
que d’autres produits de base.
Mais il y a aussi sans doute des facteurs structurels qui peuvent ralentir l’expansion du commerce
mondial. Ainsi, depuis les années quatre-vingt-dix, la Chine importait des pièces détachées et des
composants. Elle les assemblait pour les réexporter vers le reste du monde. Or, depuis les années
2000, la Chine a accru ses approvisionnements en produits domestiques. Le pourcentage
d’importations de pièces détachées et de composants dans les exportations chinoises (qui montent
actuellement en gamme) est passé de 60% il y a vingt ans à 35 % aujourd’hui. De plus, le taux de
croissance de l’économie chinoise ne cesse de baisser. Il est aujourd’hui inférieur à 6 %, voire à 5 %
alors qu’il a pendant longtemps été de 10 % ou plus. Par ailleurs, aux États-Unis, les produits
manufacturés dans les importations ont vu leur part doubler dans les années quatre-vingt-dix (en
raison de l’externalisation et des délocalisations) avant de se stabiliser depuis les années 20004.
Enfin, le regain du protectionnisme aux États-Unis et en Europe ainsi que l’augmentation des droits
de douane sur les marchandises depuis 2018 ont été un facteur de freinage du commerce mondial.

4
C. Constantinescu, A. Mattoo, M. Ruta, « Part of the global trade slowdown since the crisis has been driven by
structural, not cyclical, factors, Finance & Development, décembre 2014, pp. 39-41. Cette revue est éditée par le site
web du FMI.
8

Figure 2 : Volume des exportations mondiales de marchandises 1990-2013 (Indice 1990=100)

Source : OMC

Entre 1960 et 2008, l’élasticité du commerce des produits manufacturés par rapport au PIB
mondial a été de 2,1 et l’élasticité du commerce mondial par rapport à la production a été de 1,7.
L’élasticité du commerce mondial a atteint son plus haut niveau dans les années quatre-vingt-dix
avant de faiblir jusqu’à la période actuelle (figure 3)5. Il semble donc qu’il y ait eu une rupture
récente dans l’évolution du commerce mondial de marchandises qui était inférieur en 2013 de 17 %
à l’évolution tendancielle de 6 % constatée avant la crise (période 1990-2008).
Dans ce chapitre introductif, nous étudierons :
- le rôle de l’OMC et les causes du développement important du commerce mondial ;
- les grands déterminants des échanges bilatéraux et multilatéraux ;
- la structure du commerce mondial (répartition marchandises services et liste des grands pays
exportateurs.

5
OMC, L’économie mondiale et le commerce en 2014 et au début de 2015, 2015.
I. L’ÉCONOMIE MONDIALE
9

ET AU DÉBUT DE 2015
ET LE COMMERCE EN 2014
I. L’ÉCONOMIE MONDIALE ET LE COMMERCE EN 2014 ET AU DÉBUT DE 2015

Figure 3 : Élasticité du volume mondial des marchandises par rapport au PIB mondial au taux de
changeFigure
du marché (1980-2014)
9 : Élasticité du volume du commerce mondial des marchandises par rapport
au PIB mondial aux taux de change du marché, 1980-2014
2,4

2,2

2,0

1,8

1,6

1,4

1,2

1,0

1980-1990 1985-1995 1990-2000 1995-2005 2000-2010 2004-2014

Note : Les élasticités sont calculées au moyen d’une régression du logarithme du volume du commerce mondial des marchandises sur le
logarithme du PIB mondial aux taux du marché sur 10 ans.
Source : Statistiques du commerce international de l’OMC pour le commerce, base de données des Perspectives de l’économie mondiale du
FMI pour le PIB aux taux de change du marché sur 10 ans.

I L’OMC et le développement du commerce mondial

1) Le rôle de l’OMC
Note
L’OMC est l’Organisation mondiale du commerce (World Trade Organisation) qui regroupe 164
pays.1 LeLes diplomate
données annuelles, trimestrielles
brésilien et mensuelles
Roberto Azevedo en en fut directeur général de 2017 à 2020.
détaillées relatives au commerce des marchandises et des
L’organisation est dirigée
services commerciaux depuis
peuvent février 2021
être téléchargées par la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala. L’OMC est
sur le site
née de l’accord
Web de l’OMC deàMarrakech signé
l’adresse suivante en 1994.
: http ://www.wto.org/
statistics.
Sa première mission est celle de la libéralisation des échanges internationaux dans le cadre des
négociations commerciales multilatérales. Grâce à ces négociations menées à l’origine par le GATT,
les droits de douanes étaient en 2018 en moyenne inférieurs à 6 % (3,8 % pour les produits
industriels) dans les pays développés et à 10 % dans les économies émergentes.
Sa deuxième mission est de faire respecter les nouvelles règles sur l’anti-dumping, sur les
subventions et sur les mesures de sauvegarde.
Sa troisième mission est de prévoir des dispositions sur la protection de la propriété intellectuelle,
sur la libéralisation des services et sur la libéralisation de l’agriculture.
Sa quatrième mission est de régler les différends commerciaux entre pays (avec l’Organe de
règlement des différends qui arbitre les conflits et est la principale innovation par rapport au GATT).
Cet organe d’appel de l’OMC qui comporte en temps normal sept juges élus pour quatre ans est
aujourd’hui bloqué par le refus répétitif des États-Unis depuis 2017 de nommer de nouveaux juges.
Ces derniers doivent en effet être nommés à l’unanimité des 164 membres de l’OMC. Or, les États-
Unis font valoir que leurs préoccupations systémiques sur le fonctionnement de l’OMC n’ont
toujours pas été prises en compte. Ils reprochent à l’organe d’appel d’outrepasser ses compétences
et de produire du droit au lieu de corriger des erreurs. En d’autres termes, ils considèrent que
l’organe d’appel a fini par se considérer comme une sorte de cour de justice. A leur grande surprise,
ils ont été l’objet de 170 plaintes sur 600 déposées auprès de l’organe d’appel entre 1995 et 2019…
En décembre 2019, il ne restait plus qu’un seul juge en fonction ce qui paralysait totalement le

23
10

fonctionnement de l’Organe d’appel de l’OMC qui peut toutefois continuer d’enregistrer les
plaintes.
Enfin, l’OMC apporte des programmes de formation ainsi qu’une assistance technique aux pays
en voie de développement

2) Les causes du développement du commerce mondial

L’un des facteurs puissants du développement rapide du commerce international est la baisse des
coûts de transport. Selon Caves, Frankel et Jones, aux États-Unis, le coût réel du transport maritime
a baissé de 70 % de 1920 à 1990. Or, le coût des transports transatlantiques avait déjà baissé de
60 % environ entre 1870 et 1900 et celui des transports terrestres de 90 % entre 1800 et 19106. De
même, la capacité des pétroliers est passée d’une moyenne de 16 000 tonnes de port en lourd (tpl)
en 1950 à 100 000 tonnes dans les années quatre-vingt-dix (et même 500 000 tonnes pour les
superpétroliers qui peuvent transporter plus de 3 millions de barils de pétrole). Les navires cargos
de fret avaient une capacité moyenne de 20 000 tpl en 1960 alors qu’elle atteignit 45 000 tpl au
début des années quatre-vingt-dix.
Grâce à l’invention du conteneur qui va se généraliser à la fin des années soixante, le prix de la
tonne de marchandises transportée par voie maritime est passé de de 420 dollars à moins de 50
dollars de nos jours7. Ajoutons que de 1930 à 1990, les tarifs moyens du transport aérien ont diminué
de 84 % et le coût d’une communication téléphonique de 3 minutes de New York à Londres a baissé
de 98,6 %8. Selon Angus Maddison, le nombre de passagers-milles est passé dans le transport aérien
de 28 milliards en 1950 à 2600 milliards en 1998.
La mondialisation des échanges s’est traduite par des délocalisations ainsi que par le
développement de chaînes de valeur qui ont provoqué une croissance des importations supérieure à
celle de l’activité interne de chaque zone économique. Le processus fonctionne dans les deux sens :
ainsi, en cas de crise mondiale comme celle de 2008-2009, le commerce mondial baisse davantage
que l’activité mondiale.
Signalons aussi que le commerce international s’est développé grâce aux négociations
internationales. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la plupart des pays ont abaissé leurs barrières
commerciales comme en témoigne la baisse des droits de douane depuis les années soixante. Alors
que ces droits étaient en moyenne de 48 % en 1931 aux États-Unis, de 30 % en France et de 21 %
en Allemagne, les chiffres de 2016 sont respectivement de 3,5 % et 5,2 %9. Aujourd’hui, les droits
de douane sont généralement supérieurs à 10 % dans les pays en voie de développement et égaux
ou inférieurs à 5 % dans les pays développés. En particulier, ils sont inférieurs à 5 % au Japon et au
Canada. Pour les produits non agricoles, les droits de douanes imposés par les économies
développées ne dépassaient guère 2,5 % en moyenne jusqu’en 2017. Désormais, l’OMC couvre
97 % des échanges mondiaux. Mais un coup d’arrêt à cette tendance de droits de douane bas semble
avoir été porté par les États-Unis en 2018 avec leurs décisions d’instauration de droits de douanes
de 25 % sur les importations d’aluminium et de 10 % sur celles d’acier et l’imposition de 10 % de
droits de douanes sur 200 milliards d’importations en provenance de Chine à partir du mois de
septembre de cette année. À l’issue de la phase 1 de l’accord commercial signé entre les États-Unis
et la Chine le 15 janvier 2020, 250 milliards de dollars d’importations américaines en provenance
de Chine restent taxés à hauteur de 25 % mais les droits de douane sur certaines importations qui
avaient été fixés à 15 % entre le 1er septembre 2019 et l’accord de janvier 2020 furent ramenés à
7,5 %.

6
OMC, Rapport sur le commerce mondial, 2013, II, page 49.
7
T. Harford, L’économie mondiale en 50 inventions, PUF, 2018, page 132.
8
R. Caves, J. Frankel et R. Jones, Commerce et paiements internationaux, De Boeck, 2003, page 7.
9
P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Économie internationale, Pearson, 12e édition, 2022, page 267.
11

Grands cycles de négociation depuis 1947

Cycle Durée Nombre de Droits de Réduction


Participants douane avant le moyenne des
cycle droits
Dillon 1960-61 30 16,5 % 7%
Kennedy 1962-67 50 15,2 % 35 %
Tokyo 1973-79 99 9,9% 34 %
Uruguay 1986-94 119 6,5 % 39 %
Doha 2001-2006 puis 151 3,9 % (sur les Accord sur la
reprise de biens non « facilitation des
discussions en agricoles) échanges » en
janvier 2007 et décembre 2013.
accord de Bali Les procédures
de décembre douanières
2013 puis de seront
Nairobi en encadrées,
décembre 2015. simplifiées et
accélérées*.
Source : Problèmes économiques N° 2915 du 17 janvier 2007, page 2 et du 29 août 2007, page 45
* L’Inde a toutefois refusé de ratifier cet accord le 31 juillet 2014.

Un autre déterminant important de la croissance des échanges mondiaux a été la multiplication


des accords régionaux d’intégration : Communauté Économique Européenne en 1957 , Union
Européenne en 1993, Accord de libre-échange nord-américain en 1994 (ALENA, devenu en 2019
accord USMCA en anglais et ACEUM en français, entre les États-Unis, le Mexique et le Canada),
MERCOSUR en Amérique du Sud entré en vigueur en 1995 puis ASEAN en Asie du Sud-Est (zone
de libre échange conçue en 1992 et entrée en vigueur en 2003 avec, plus tard, l’ASEAN plus trois
(APT) intégrant la Chine, le Japon et la Corée du Sud aux négociations à partir de 1997). Mais le
plus vaste accord commercial mondial a été signé en novembre 2020. Il s’agit du Partenariat
régional économique global (RCEP en anglais pour Regional Comprehensive Economic
Partnership) qui réunit la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle Zélande et les
dix pays de l’ASEAN (Vietnam, Malaisie, Singapour, Brunei, Indonésie, Philippines, Thaïlande,
Laos, Myanmar et Cambodge).

II les déterminants des échanges

La structure du commerce extérieur d’un pays est une illustration statistique des déterminants
des échanges. Commençons par quelques chiffres en prenant l’exemple de la France. Ces chiffres
mettent en évidence l’impact de la proximité géographique des pays frontaliers ainsi que le poids
de certaines économies au niveau mondial.

1) La structure du commerce extérieur d’un pays comme la France

Un pays comme la France exporte en 2022 55 % de ses ventes vers l’Union européenne (UE,
dont 13,8 % environ vers l’Allemagne) et 50,2 % de ses importations proviennent de l’UE.
Les États-Unis absorbent 8,2 % des exportations françaises, la Chine environ 5,1 %. L’ensemble
des exportations vers l’Allemagne, les États-Unis, l’Italie et l’Espagne représentent 38,9 % de nos
exportations de biens.
Pour les importations, l’Allemagne représente 12 %, la Chine 10,1 % et les États-Unis 8 %.
12

2) Le modèle de gravité

Dans leur ouvrage Économie internationale10, Paul Krugman, Maurice Obstfeld et Marc Melitz
montrent d’une part qu’il y a une très forte corrélation entre le poids économique d’un pays dans le
PIB de l’UE et sa part dans le commerce de la France avec l’UE. D’autre part, on vient de voir que
les principaux pays partenaires de la France (en dehors de la Chine pour les importations) sont
l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, l’Espagne et le Royaume-Uni qui sont des pays frontaliers.
Il est donc clair que deux facteurs jouent un rôle essentiel dans les échanges bilatéraux : le poids
économique des pays et la distance géographique. C’est ce que l’on synthétise avec le « modèle de
gravité » testé dans les années soixante par Jan Tinbergen et qui s’exprime ainsi :

𝐴𝑌!# 𝑌"$
𝑇!" =
𝐷!"%

Dans cette expression Tij représente les échanges (valeur du commerce entre les pays i et j), Yi le
PIB du pays i, Yj celui du pays j et Dij la distance géographique. Les coefficients a, b et c sont les
élasticités des échanges par rapport aux PIB des pays et par rapport à la distance géographique. En
pratique, ces trois élasticités sont proches de l’unité dans nos pays, ce qui implique que :

𝐴𝑌! 𝑌"
𝑇!" ≈
𝐷!"

Mais ce modèle suppose implicitement sur le fait que les prix sont identiques et sur l’absence de
barrières aux échanges. Or, dans la réalité, les effets frontières sont puissants. Ainsi, selon les
travaux de John Mc Callum dans les années quatre-vingt-dix, le commerce entre deux provinces du
Canada est de 16 à 22 fois plus élevé qu’entre celui qui peut exister entre une province du Canada
et un État américain de poids et de distance comparables11. Dans un article de 2002, Robert C.
Feenstra a ramené la fourchette précédente d’estimation de l’effet frontière à 10,5 pour le Canada :
le commerce interne canadien au début des années 1990 était 10,5 fois supérieur à son commerce
transfrontalier12. Pour les États-Unis, le chiffre ne serait que de 2,6 ce qui suggère que l’effet
frontière serait moins important pour les grands pays. Au sein de l’Union européenne le rapport était
selon Keith Head et Thierry Mayer de l’ordre de 30 dans les années soixante-dix mais il a
sensiblement diminué depuis ; il est environ deux fois moins important depuis les années 199013.
De plus, le modèle de gravité n’étudie que l’aspect bilatéral des échanges. Il doit être complété
par une analyse mettant en évidence les variables qui favorisent les ventes à l’étranger d’une partie
de la production d’un pays.

3) Les déterminants des échanges globaux

Les exportations d’un pays ont deux déterminants principaux :


- la demande mondiale Di adressée au pays i ;

10
Pearson Education, 12e édition, 2022.
11
J. Mc Callum, « National Borders Matter: Canada-U.S. Regional Trade Patterns », American Economic Review, vol.
85, N° 3, juin 1995, pp. 615-623.
12
R. C. Feenstra, « Border Effects and the Gravity Equation: Consistent Methods for Estimation », Scottish Journal of
Political Economy, vol. 49, N° 5, 2002, pp. 491-506.
13
P. Krugman ,M. Obstfeld et M. Melitz, 2018, op. cité, , pp. 22-24 et K. Head et T. Mayer, « Effet frontière, intégration
économique et « Forteresse Europe », Économie et prévision, N° 152-153, 2002, pp. 71-92.
13

- la compétitivité prix ci.


La compétitivité prix a trois composantes :
&'
- le coût salarial unitaire ( ( ), en notant N l’emploi, w le salaire nominal et y le niveau de
production (ce coût unitaire est donc le rapport du salaire à la productivité du travail y/N);
- le taux de marge m ;
- le taux de change E (défini ici à l’incertain : nombre d’unités monétaires domestiques par unité
monétaire étrangère).
Si l’on appelle P* le prix en monnaie étrangère d’une unité de produit domestique et P en
monnaie domestique de ce produit, on peut ainsi écrire que l’indice de compétitivité prix est (en
désignant par P* la productivité à l’étranger et par P la productivité domestique):

𝐸𝑃∗ (1 + 𝑚 ∗)𝑤 ∗ 𝛱
𝑐= =𝐸
𝑃 (1 + 𝑚)𝑤𝛱∗

Un pays peut donc gagner de la compétitivité prix par quatre moyens : par une dépréciation de
sa monnaie et/ou par une baisse de ses marges et/ou par une compression de ses salaires et/ou par
une augmentation de sa productivité relative.
Si l’on appelle Xi les exportations d’un pays i, on a :

Xit = F(Di, ci, t) ; F’D > 0 et F’c > 0

Pour la France, sur la période 1980-3 à 2002-2, on obtient ainsi14 :

∆𝐿𝑜𝑔𝑋*
= 4,7 + 0,83∆𝐿𝑜𝑔𝐷* + 0,24∆𝐿𝑜𝑔𝑐* − 0,56(𝐿𝑜𝑔𝑋* − 𝐿𝑜𝑔𝐷* ) + 0,55𝑐*+, − 0,0042𝑡𝑟𝑒𝑛𝑑
7,6 6,3 1,9 -7,5 6,9 6,7
+0,022𝐷𝑢𝑚𝑚𝑦
R2 = 0,58 et DW = 2,24

Dans cette expression, trend est une tendance temporelle de 1980-3 à 1986-3 et Dummy prend la
valeur 1 entre 1996-4 et 1998-3 (gros contrats signés à cette époque).
La relation de long terme associée est la suivante :

𝐿𝑜𝑔𝑋* = 𝐿𝑜𝑔𝐷* + 0,99𝐿𝑜𝑔𝑐* − 0,0076𝑡𝑟𝑒𝑛𝑑

On voit qu’en longue période, les exportations françaises sont proportionnelles à la demande
mondiale selon une relation du type :

𝑋* = 𝐴𝐷* 𝑐*-,// 𝑒 +-,--01*

Plus récemment, sur la période 1980-1 à 2013-4, Bruno Ducoudré et Éric Heyer obtiennent une
fonction d’exportation de long terme du type15 :

𝑋* = 𝐴𝐷* 𝑐*-,23 𝑒 +-,-,*

14
Rapport Artus-Fontagné, Conseil d’Analyse Économique, 2006, pages 29-30 et page 96
15
B. Ducoudré et E. Heyer, « Baisse de l’euro et désinflation compétitive », Revue de l’OFCE, N° 136, 2015, pp. 221-
253.
14

III Structure du commerce mondial

Les taux d’ouverture, c’est-à-dire le rapport (Importations + Exportations)/PIB, sont très


différents d’un pays à l’autre. En 2020, ce taux était d’un peu plus de 20% aux États-Unis et au
Japon, d’un peu plus de 30 % en Chine, de plus de 40 % en France, d’environ 80 % en Allemagne,
de plus de 100 % en Suisse.16

1) Les chaînes de valeur

De nos jours, le commerce international est majoritairement une circulation transfrontalière de


biens et services intermédiaires, donc d’éléments d’un processus de production de plus en plus
complexe17. Par exemple, la conception et le marketing d’un nouveau modèle d’automobile vont
être réalisés en France ou en Allemagne alors qu’une bonne partie de la production sera réalisée
dans des pays à bas coûts comme le Maroc ou la Roumanie ; quant à l’aluminium, il pourra provenir
d’un pays tel que l’Islande. De même si le design, le marketing l’ingénierie d’un iPhone sont réalisés
en Californie, l’assemblage a lieu en Chine alors que les composants proviennent de 28 pays
différents. On appelle alors Chaîne de valeur mondiale (CVM) l’ensemble des opérations réalisées
d’un pays à l’autre afin de mettre un produit sur le marché de sa conception jusqu’à son stade final.
Cela correspond à une démultiplication des stades de production en fonction d’une optimisation des
coûts : les grandes firmes produisent telle ou telle partie d’un bien là où la fabrication est la moins
coûteuse. Les CVM offrent aux économies en développement un moyen se stimuler leur croissance
et de mieux utiliser leurs ressources naturelles, humaines et de capacité productive. En 2015, les
CVM auraient représenté 57 % du commerce mondial18.
Le développement des CVM a été rendu possible par deux caractéristiques du monde
contemporain19 :
- les nouvelles technologies de l’information et des télécommunications qui permet de gérer la
complexité du processus de production à distance ;
- les fortes différences de salaire entre le monde développé et le monde émergent.

2) Qu’échange-t-on ?

Le commerce mondial est dominé par les marchandises (80 % en moyenne contre 20 % pour les
services ; le pourcentage exact est de 20,9 % en 2014). Au sein des marchandises, les produits
manufacturés représentent 68 % en 2018, les combustibles et produits miniers 19 % alors que la
part des produits agricoles est de 10 %20.

16
P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Économie internationale, Pearson, 12e édition, 2022, page 3.
17
K. Constant, P. Domingues, G. Duchêne, A. Guillin, S. Kablan, P. Lenain et J. Lochard, Économie internationale,
Vuibert, 2018, chapitre1, pp. 30-39.
18
OMC, Examen statistique du commerce mondial, chapitre 4, 2019, page 42.
19
D. K. Elms et P. Low (edited by), Global Value Chains in a Changing World, OMC et Fung Global Institute, 2013,
chapitre 1 rédigé par Richard Baldwin, « Global supply chains: Why they emerged, why they matter, and where they
are going ».
20
OMC, Examen statistique du commerce mondial, chapitre 4, 2019, page 30.
120
merchandise exports in 2021, with a value of US$ 14.8 trillion.
32%
115
Source: WTO estimates.

110 15
68%
105
Figure 4 : Répartition récente du commerce mondial entre marchandises et services
100 Le com
95 and services
Trade in goods Goods Commercial services
ont év
World trade in goods and services amounted to US$ 27.3
90 25
5.9 6.1
5.8
dix de
trillion in 2021, a 24 per cent increase compared with 2020.
augme
5.4 5.0
20 21.6
85 19.0 18.5

US$ trillion
Note: Average of exports and imports. 17.3 17.0
15
Source: WTO-UNCTAD estimates.
80 10
2008 2009 2010 2011 2012 2013 201
5

0
Volume du commerce mondial des marchandises PIB réel2018
2017 mondial aux
2019taux de2020
change du marché
2021

Source : OMC
Transport services Exports Imports

Trade in5transport
Figure serviceset
: Structure rose by 35 per cent
évolution duincommerce
2021, fuelled mondial
2017 de marchandises 944
1,115
by a surge in freight shipping rates. The total value exceeds
pre-pandemicGraphique 2.2 Graphique 2
1,036
levels. 2018
1,246

Exportations mondiales de marchandises 2019 par groupe de 1,041


1,237
Exportatio
Source: WTO-UNCTAD estimates.
produits et croissance annuelle, 2020 2008-2018 856
1,025
secteur et
(Milliards de dollars EU et variation annuelle 2021 moyenne en pourcentage) 1,158
1,374
(Milliards de
0 200 400 600 800 1,000 1,200
US$ billion

20000 11 6000
2 1 10
18000 20 0
11
16000 15 -13 5000
22 -3
14000 13
4000
-23
12000
10000 3000
8000
6000 2000

4000
1000
2000
0 0
2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018* 2008

Produits agricoles Combustibles et produits miniers Produits manufacturés Transports

* Estimation provisoire.
Source: Estimations de l’OMC. Source: Estimati

Les exportations mondiales de Les ex


marchandises ont augmenté de 20% en comm
valeur depuis 2008. Les exportations de en val
produits manufacturés ont progressé de servic
2,3% par an en moyenne. en mo
Cette diminution a cependant été moins Les prix à l’exportation de toutes les zinc (+8%), le plomb (+4%) et le
marquée qu’en 2015 (-36%). Les grandes catégories de produits de base, minerai de fer (+4%). Une baisse des
exportations de produits manufacturés hormis les produits alimentaires et les prix a cependant été enregistrée pour
ont légèrement diminué (-2%), tandis boissons, ont légèrement baissé, mais l’uranium (-28%), le nickel (-19%) et le
que les exportations de produits bien moins qu’en 2015. Les prix des cuivre (-12%). Les prix de l’énergie ont 16
agricoles ont légèrement augmenté produits alimentaires et des boissons reculé de 18%, avec la plus forte baisse
(+1%). En 2016, les exportations ont affiché une légère hausse, de 1%. pour le gaz naturel (-34%). Les prix du
totales de produits manufacturés se Cela a été dû principalement à de
Figure 6 : Structure du commerce de marchandises par types de marchandises en 2016
Graphique 4.1:
Exportations mondiales de marchandises, par grande catégorie de produits, 2016
(Part en %)

4%
2% Fer et acier

12% Produits chimiques

13%
73%
11% Matériel de bureau et
de télécommunication

9% Automobiles

5% Vêtements et textiles
10%
34% Autres produits manufacturés

Produits manufacturés Produits agricoles Combustibles et produits miniers Autres/non spécifié

Source: Secrétariat de l’OMC.

La part plus modeste des services est due au fait que certains d’entre eux comme par exemple la
coiffure, le nettoyage industriel ou même l’hôtellerie nécessite une proximité entre le fournisseur et
le consommateur. De plus, les services ne peuvent être séparés de leur production. Néanmoins, selon
l’OCDE
30 et l’OMC, la comptabilisation traditionnelle des biens et services en flux franchis à la
frontière aboutit à sous-estimer gravement la part des services dans le commerce mondial car les
biens intermédiaires inclus dans les exportations font l’objet de doubles ou triples comptabilisations
comme on va le voir ci-dessous. En effet, depuis la fin du XXe siècle, on assiste comme on l’a vu à
un fractionnement extrême du processus de production entre différents pays.
Si un composant X est exporté par un pays vers un deuxième pour une valeur x et qu’il est
incorporé à un produit Y d’une valeur finale y qui est exporté vers un troisième pays, la
comptabilisation traditionnelle du commerce international est x + y alors que la valeur des
exportations du deuxième pays n’est en réalité que de y – x et celle du commerce mondial de y! Si
par exemple la France exporte pour 50 de pneus en Allemagne à partir de ressources uniquement
internes et que l’Allemagne exporte pour 200 d’automobiles vers l’Italie, le commerce mondial
(réduit aux trois pays) est de 250 selon la comptabilisation traditionnelle car les pneus ont été
comptés deux fois. En termes de valeurs ajoutées, le commerce n’est que de 200 : 50 pour les
exportations françaises et 150 pour celles de l’Allemagne21.

21
J’emprunte cet exemple au chapitre 1 de l’ouvrage de K. Constant, P. Domingues, G. Duchêne, A. Guillin, S. Kablan,
P. Lenain et J. Lochard, Économie internationale, Vuibert, 2018,page 35.
17

Figure 7

Part de la valeur ajoutée locale dans les exportations


brutes en 2011
120,0
100,0
80,0
60,0
40,0
20,0
0,0

riq ou …
U: éd : I …
Ro Tu e

ZA rab rati de
Af sa de
A: me e

N: ésil
U: : Fr a

N: lie

NL : Me rée

SA S: F IND ine
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GB TU : Su e

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P: s-B
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BR s-U

Ch

tN
EX Co

CH Br
CH spa
D: xi

M du
r
m
BE Aus

A é
S:
AU

RU
Source : Données de l’OCDE

Si l’on raisonne au contraire en termes de valeur ajoutée par un pays, la valeur des services dans
les échanges mondiaux est deux fois plus importante. Le secrétaire général de l’OCDE, Angel
Gurria, déclarait ainsi en janvier 2013 : « Un bien produit dans l'UE et exporté aux Etats-Unis inclut
des composants de Chine et du Japon, utilisant des matières premières et des services en
provenance d'Australie, de Russie ou d'Inde ». Prenons l’exemple du commerce mondial de produits
chimiques : d’après l’Organisation Mondiale du Commerce (rapport 2016 sur le Commerce des
marchandises et des services), 62 % de la valeur ajoutée des exportations de ce type de produits
provenaient en 2011 d’autres industries fournissant des intrants aux entreprises exportatrices de ce
secteur.
En dehors même du problème de la sous-estimation des services impliquée par la mesure
traditionnelle des échanges internationaux, une comptabilisation du commerce international en
valeurs ajoutées et non en flux bruts modifierait l’analyse habituelle du commerce extérieur des
pays. Dans de nombreux pays d’Asie comme la Malaisie, les Philippines, Singapour, Taïwan, la
Corée du Sud, le contenu en consommations intermédiaires de biens utilisés en partie comme
exportations est très élevé. Le pourcentage des importations totales de biens manufacturés dépasse
souvent 20 % dans ces pays22. Ainsi par exemple, la Chine ne contribue que pour 4 % de la valeur
des iPhones, mais elle apparaît en flux bruts comme exportatrice de biens à fort contenu
technologique. Or, dans le cas des iPhones, c’est le Japon (producteur des écrans, des mémoires
flash et des transistors de la batterie) qui est à l’origine de 36% de la valeur ajoutée globale devant
l’Allemagne (18 % car elle est productrice des bandes de base et des émetteurs-récepteurs) et la
Corée du Sud (14 % car elle fournit les supports de mémoire DRAM)23. Par ailleurs, les composants
et services produits par ces trois pays relèvent d’une technologie avancée et font appel à du travail
très qualifié24. Plus la division internationale des processus de production (DIPP) est importante (en
raison des baisses des coûts de transport, de l’apparition de nouvelles techniques de production et
de l’apparition des TIC), plus les distorsions impliquées par l’analyse traditionnelle sont fortes.

22
M. Rainelli, Le commerce international, onzième édition, La Découverte, 2015, pages 31-32.
23
M. Rainelli, 2015, op. cité, pages 30-31.
24
M. Rainelli, « La division internationale des processus de production au cœur de la nouvelle géographie des
échanges », Problèmes économiques, Hors-Série N°6, septembre 2014.
18

En moyenne, au sein des marchandises, les biens manufacturés représentent traditionnellement


de 65 % à 80 %, les produits combustibles et miniers 15 % ou plus et les produits agricoles environ
10 % mais ces pourcentages subissent des fluctuations d’une année à l’autre.
À l’avenir, laLe
partcommerce mondial
des services devrait etsensiblement.
s’accroître le PIB mondial Les grandes catégories de
services sont les services de transports, d’assurances des produits échangés, de prestations
ont évolué parallèlement au cours des
touristiques (voyages) et de services délocalisables grâce aux nouvelles technologies de
l’information et dix
de la dernières
télécommunication années. Ils ontjuridiques,
(services culturels, tous deux financiers, commerciaux
etc.). Jusqu’aux années 1970, les services de transport étaient majoritaires (autour de 40 % des
augmenté
échanges de services mondiaux) cardeils26% depuis
étaient liés 2008.
au commerce des marchandises. Mais depuis, le
milieu des années soixante-dix, ce sont les autres services que les transports ou les voyages qui sont
2012
devenus 2013
majoritaires (autour
2014
de 60 %2015aujourd’hui)2016grâce aux nouvelles
2017
technologies.
2018
Au sein des
services de transport, le transport maritime de marchandises représente 30 % en 2014, suivi par le
transport par rail, route et voies navigables intérieures (15 %) et par le transport aérien de
aux taux de change du marché Source: Estimations de l’OMC, Perspectives de l’économie mondiale du FMI.
marchandises (6 %). Le transport aérien de passagers représente quant à lui 21,4 % des services
globaux de transport.

Figure 8 : Structure et évolution des échanges de services commerciaux


Graphique 2.3
roupe de Exportations mondiales de services commerciaux par
secteur et croissance annuelle, 2008-2018
pourcentage) (Milliards de dollars EU et variation annuelle moyenne en pourcentage)

6000 8
10 8
7
11 -4 1
5000 7
-3 13 3
13 9
4000 -11

3000

2000

1000

0
016 2017 2018* 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018

manufacturés Transports Voyages Autres services commerciaux Services liés aux marchandises

Source: Estimations OMC-CNUCED-ITC.

3) Quels sont les grands exportateurs ?

La Chine est depuis 2009 le premier exportateur de marchandises avec 15,1 % du commerce
Les
mondial devant les exportations
États-Unis mondiales
(7,9 %), l’Allemagne de services
(7,3 %), les Pays-Bas (3,7%), le Japon (3,4 %).
20% en commerciaux ont augmenté de 46%
La France est le neuvième exportateur avec 2,6 % du commerce mondial de marchandises.

ions de en valeur et les exportations de


essé de services ont progressé de 3,9% par an
en moyenne.
19

En termes de grandes régions, c’est l’Asie qui est la première exportatrice de biens avec 34,70%
des échanges mondiaux en 2019 devant l’Union Européenne (31,6%) et l’Amérique du Nord
(13,9 %).
La part des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ne cesse de croître. Aujourd’hui, hors échanges
intra-UE, la Russie est le 13e exportateur mondial de marchandises, l’Inde le 18e et le Brésil le 25e.
Les États-Unis sont le premier importateur de marchandises au monde avec 13,0 % du commerce
mondial devant la Chine (11,9%), l’Allemagne (6,3 %), le Japon (3,4 %), et la France (3,2 %) et le
Royaume-Uni (3,1 %). L’Union Européenne est en 2019 la deuxième région importatrice mondiale
de marchandises avec environ 30 % derrière l’Asie qui représente le tiers de ces flux. L’Amérique
du Nord est troisième avec 18,6 % des importations mondiales.
Les tendances de moyen terme du commerce mondial sont nettes. Les pays à bas salaires ont
bénéficié de la mondialisation grâce à l’accroissement de la taille de leurs marchés. Ils ont fait
diminuer la part des économies développées dans le commerce mondial. Depuis 1980, l’UE, les
États-Unis et le Japon ont vu leur part dans les exportations mondiales reculer. De 1980 à 2011, la
part de l’UE est passée de 37 à 30 %, celle des États-Unis de 11 à 8 % et celle du Japon de 6 à 5 %.
En revanche, la Chine qui ne représentait en 1980 que 1 % des exportations mondiales (10e place à
l’époque) est aujourd’hui le premier exportateur de marchandises avec, comme nous l’avons vu
12,8% de ces exportations. De même, les pays en développement dont les exportations
représentaient 34 % du commerce de marchandises en 1980 atteignent aujourd’hui le chiffre de
47 % de ces exportations. La part des économies développées a ainsi fortement diminué passant de
66 % à 53 % du commerce de marchandises.
Selon l’OMC, la part du commerce Nord-Nord dans le commerce mondial est passée de 56 % en
1990 à 36 % en 2011. La part du commerce Sud-Sud a triplé durant la même période, passant de
8 % à 24 %. Enfin, le commerce Nord-Sud a progressé passant de 33 % à 38 %.
La plus grande partie des échanges mondiaux (87 % en 2014) est concentrée sur trois régions :
l’Europe, l’Amérique du Nord et une partie de l’Asie (Japon, Chine et Sud-est asiatique)25. Ces
différentes régions procèdent à des échanges concentrés à l’intérieur de leur propre zone.
Le commerce international de services n’est vraiment mesuré que depuis le milieu des années
quatre-vingts26. En effet, pendant longtemps, les prestations de services nécessitaient comme on l’a
déjà dit, un contact physique entre le producteur et le consommateur. Tel est le cas de ce que l’on
dénomme services traditionnels (coiffeurs, médecins avocats etc.). Cependant, cette contrainte est
aujourd’hui levée dans bon nombre de professions grâce au développement des NTIC. De plus, la
technologie nouvelle s’est accompagnée du développement de nouveaux types de services comme
les centres d’appel téléphoniques.
Dans le domaine des services, les États-Unis sont leaders avec 12,9% des échanges mondiaux en
2021 devant le Royaume-Uni (6,9 %), la Chine (6,5 %), l’Allemagne (6,2 %), l’Irlande (5,6 %), la
France (5,0 %). L’Inde est déjà le 8e exportateur de services et pourrait dépasser les Pays-Bas
(4,1 %) dans ce domaine. Les États-Unis sont le premier importateur de services commerciaux
(9,5 % des importations mondiales) devant la Chine (7,9 %), l’Allemagne (6,8 %), l’Irlande (6,2 %),
la France (4,7 %) et le Royaume-Uni (4,3 %)
Des pays comme les États-Unis, Le Royaume-Uni, la France et l’Inde compensent une partie de
leurs déficits d’échanges de marchandises par des excédents sur les services. La Chine, l’Allemagne
et le Japon sont dans la situation inverse27.

25
K. Constant et alii, op. cit, 2018, pp. 12-16.
26
M. Rainelli, Le commerce international, La Découverte, onzième édition, 2015, pages 32-33.
27
M. Rainelli, 2015, op. cité, page 33.
20
21

Chapitre 1
La théorie ricardienne
La théorie du commerce international aborde trois thèmes essentiels28:
- la spécialisation des différents pays ;
- la détermination des prix internationaux des biens et services échangés ;
- l’effet du commerce global sur les pays échangistes.
S’il est incontestable que les différentes théories du commerce international n’abordent pas toutes
ces trois thèmes, on peut affirmer que la théorie ricardienne permet de répondre à ces trois types de
questions si on y inclut l’apport de John Stuart Mill. Mais l’analyse ricardienne met particulièrement
l’accent sur l’origine des spécialisations. Ces dernières font l’objet de deux grandes familles
d’explication.
Une première série d’analyses met l’accent sur les différences internationales de coûts et sur
l’efficacité relative des pays dans la production de certains biens. Chaque pays exporterait dans cette
optique les biens pour lesquels il posséderait un « avantage comparatif ». C’est l’optique de David
Ricardo au chapitre VII de ses Principes d’économie politique et de l’impôt (3e édition, 1821). C’est
dans ce chapitre qu’il utilise le mode d’exposition qui sera souvent repris en économie
internationale : deux pays et deux biens. En l’occurrence, il n’existe dans la théorie de Ricardo qu’un
seul facteur de production mobile à l’intérieur du pays et immobile d’un point de vue international.
La concurrence parfaite est le cadre d’analyse de même que dans les théories néoclassiques. Ces
dernières fondent d’ailleurs leurs analyses sur les différences internationales de coûts comparatifs
comme la théorie que nous exposons dans ce chapitre.
Une littérature plus récente met l’accent sur les économies d’échelle qui permettent d’améliorer
la productivité et d’abaisser les coûts lorsqu’un pays produit un nombre limité de biens. Ces théories
sont développées dans un cadre de concurrence imparfaite au chapitre 5.
Dans ce chapitre, on n’étudiera que le rôle des coûts comparatifs dans la détermination des
échanges.
C’est donc Ricardo qui a montré en 1817 que la technologie et plus précisément les différences
de technologie ont un rôle fondamental à jouer dans l’explication du commerce international. Si les
prix relatifs des biens diffèrent d’un pays à l’autre en autarcie, ces pays pourront bénéficier des
bienfaits du commerce international.
Dans le modèle de Ricardo, les prix des biens sont déterminés par les quantités de travail qu’ils
incorporent. Comme on l’a vu, le cadre d’analyse est la concurrence. Les rendements sont supposés
constants. Comme on l’a vu, le facteur de production (le travail) est mobile entre les secteurs et
immobile au niveau international. Le raisonnement se limite à deux pays et deux biens comme nous
l’indiquions ci-dessus. Les généralisations sont ultérieurement possibles.

28
M. Rainelli, Le commerce international, La découverte, 11e édition, 2015, page 45..
22

David Ricardo, père de la théorie des avantages comparatifs


Auteur Oeuvre
David Ricardo (1772-1823) était un homme Ricardo est l’auteur d’un ouvrage majeur
d’affaires anglais à l’origine d’une œuvre abstraite de l’école classique. Il s’agit des Principes
et rigoureuse qui a eu une influence considérable de l’économie politique et de l’impôt qui
dans l’histoire de l’économie politique. C’était un fut publié en 1817. Sa thèse sur les
ami de Jean-Baptiste Say et de Thomas Malthus. Il déterminants du commerce international
s’est opposé à ce dernier non seulement au sujet de est encore aujourd’hui le fondement de la
la loi des débouchés mais aussi en raison du théorie dominante des échanges extérieurs.
caractère très abstrait de ses écrits.

I Deux notions d’avantages à l’échange

La notion d’avantages comparatifs de Ricardo fut précédée par celle d’avantages absolus d’Adam
Smith. Ce dernier développa ce concept au livre IV de la Richesse des nations (ce livre IV étant
intitulé « Des systèmes d’économie politique » ; il s’agit ici du chapitre 2 de ce livre : « Des entraves
à l’importation »).

1 La notion d’avantage absolu

Il y a avantage absolu lorsqu’un pays est plus efficace que son partenaire dans la production d’un
bien et moins efficace que ce dernier dans la production de l’autre bien. Dans un tel contexte, chaque
pays a intérêt à se spécialiser dans la production du bien pour lequel il a un avantage absolu car cela
permet aux facteurs de production (ici, le seul travail) d’être utilisé de façon plus efficiente. Par
ailleurs, cela permet aussi d’accroître globalement les quantités produites des deux biens.
Imaginons deux pays et deux biens fabriqués à l’aide du seul facteur travail supposé lui-même
immobile. Le travail est mesuré en hommes-année. On suppose que la production d’une unité de
chaque bien nécessite les quantités de main-d’œuvre suivantes dans chaque pays :

Modèle de Smith : inputs de main d’œuvre

Automobiles Vêtements
Pays 1 0,1 0,5
Pays 2 0,6 0,2

On supposera qu’une unité de vêtements correspond à 100 kilos de ces biens.


Le tableau fait clairement apparaître un avantage absolu du pays 1 dans les automobiles et du
pays 2 dans les vêtements. En autarcie, une unité de vêtements s’échange contre 5 voitures dans le
pays 1 et contre 0,33 voiture dans le pays 2. Dès lors, si les deux pays échangent une unité de
vêtements contre 2 automobiles, ils réalisent chacun un gain à l’échange.
En effet, dans le pays 1, il fallait 5 voitures pour obtenir une unité de vêtement contre 2 après
échange international. Le gain est donc de 3 voitures par unité de vêtement achetée… Dans le pays
2, il fallait 3 unités de vêtements pour obtenir une voiture ; il n’en faut plus que 0,5.
Cette conception du commerce international est beaucoup trop restrictive. En effet, dans
l’optique privilégiée par Smith, les seuls pays qui peuvent élargir leur marché par le commerce
international sont ceux qui ont un avantage absolu en termes de coûts de production. C’est ce qui se
produit lorsque deux zones économiques échangent des biens totalement absents du paysage
économique de l’un des deux partenaires. Par exemple, des pays producteurs de pétrole vont acheter
des biens de haute technologie à des pays du nord.
23

On voit qu’une telle vision du commerce international ne correspond qu’à une petite partie des
échanges de biens et services au niveau mondial. Le mérite de Ricardo a été d’élargir
considérablement cette perspective théorique (donc notre compréhension du monde réel) en
montrant que même des pays sans avantages absolu ont intérêt à participer aux échanges
internationaux.

2 la notion d’avantage comparatif

Cette notion exposée par Ricardo au chapitre VII de ses Principles est l’une des bases de la
théorie moderne du commerce international.
Il y a comme précédemment 2 pays et 2 biens et un seul facteur de production, le travail. Un pays a
un avantage absolu dans la production des deux biens. Les inputs sont des coûts de production
unitaires. Plus précisément, on suppose à présent que le pays 1 ait un avantage absolu dans la
production des deux biens. Les inputs de main d’œuvre en hommes-année sont représentés par le
tableau ci-dessous.

Modèle de Ricardo : inputs de main d’œuvre et prix relatifs des biens en autarcie

Automobiles Vêtements Prix relatif des Prix relatif des


automobiles vêtements
Pays 1 0,1 0,15 0,66 unité de 1,5
vêtement automobile
Pays 2 0,6 0,2 3 unités de 0,33
vêtement automobile

On voit que le pays 1 peut produire les deux biens à un coût inférieur à celui du pays 2. Mais le
pays 1 est six fois plus productif dans la production d’automobiles et seulement de 25 % plus
efficient dans la production de vêtement. Le pays 2 bénéficie au contraire d’un coût relatif beaucoup
plus faible dans la production de vêtements. Pour produire une voiture, le pays 1 sacrifie 0,66 unité
de vêtement alors que le pays 2 en sacrifie 3… Le coût d’opportunité de la production de voitures,
c’est-à-dire ce que l’on doit sacrifier en travail textile pour produire une unité supplémentaire
d’automobile, est donc beaucoup plus faible dans le premier pays que dans le second. Le pays 1 a
un avantage comparatif dans la production d’automobiles et le pays 2 dans la production de
vêtements. Il va donc se spécialiser dans la production d’automobiles et le pays 2 dans la production
de vêtements.
Pour que l’échange international apporte un gain à chaque pays, il faut que le prix relatif de cet
échange soit tel que le pays 1 obtienne plus de 0,66 unités de vêtement contre 1 voiture et que le
pays 2 reçoive plus de 0,33 voiture par unité de vêtement. Si en effet, une unité de vêtement
s’échangeait au niveau international contre 2 automobiles, les producteurs d’automobiles du pays 1
préfèreraient échanger chaque automobile au prix autarcique (0,66 unité de vêtement) qu’au niveau
de 0,5 unité de vêtement.
Les termes de l’échange seront donc :

0,33 automobile ≤ 1 unité de vêtement (100 kg) ≤ 1,5 automobile et


0,66 unité de vêtement ≤ 1 automobile ≤ 3 unités de vêtement

Le théorème ricardien de l’échange international s’énonce ainsi :


« Il y a ouverture à l’échange international si les termes de l’échange se situent à l’intérieur des
coûts relatifs nationaux respectifs. Chaque pays se spécialise ainsi totalement dans la production du
bien dont le coût relatif est le plus faible comparé au pays étranger et importe l’autre bien ».
24

D’une façon générale, si l’on note aL1 le coefficient technique en travail pour le bien 1 dans
l’économie domestique et a*L1 le même coefficient technique à l’étranger, l’économie domestique
aura un avantage comparatif dans la production du bien 1 si :

!!" !!$ !!" !!"
∗ < ∗ ou ! < ∗
!!" !!$ !$ !!$

La première inégalité est en termes d’efficacité relative de la production du même bien dans le
pays1 par rapport au pays 2 alors que la seconde inégalité exprime que le coût d’opportunité de la
production du bien 1 est moindre dans le pays 1 que dans le pays 2. En effet, la première inégalité
!∗" !∗% !% !∗%
$∗" $∗% $% $∗%
peut s’écrire : !" < !% et la seconde !" < !∗"
.
$" $% $" $∗"

3 Les conséquences de l’échange sur les salaires

Avant l’échange international, un salarié du pays 1 produisait 10 voitures (1/0,1) et 6,66 unités
de vêtements (1/0,15, soit 6,66 unités ou 666 kg). Son salaire réel est égal à sa production moins le
taux de marge m des entreprises, soit (1 – m)w. Supposons que m soit de 30 %. En autarcie, le salaire
réel dans le pays 1 était donc de 7 automobiles (10x0,7) et de 466 kg de vêtements (6,66x0,7).
Supposons alors que l’échange international soit de 1 automobile contre 1 unité de vêtements.
Après échange international et spécialisation de chaque pays dans la branche où il a un avantage
comparatif, le salaire réel du pays 1 est de 7 automobiles et 7 unités (700 kg) de vêtements. Il est
donc plus élevé.
Dans le pays 2 où l’on suppose que le même taux de marge existe, le salaire en autarcie est de
(1/0,6)x0,7 soit 1,66x0,7 = 1,16 automobile et de 5x0,7 = 3,5 unités (350kg) de vêtements. Après
ouverture à l’échange, ce salaire sera toujours l’équivalent de 350 kg de vêtements mais de 3,5
automobiles par an.
Le bilan est le suivant. Les salaires du pays 1 restent deux fois plus élevés que ceux du pays 2
(en raison des différences de productivité), mais les salaires réels ont augmenté dans les deux zones.
Un tel résultat explique comment les entreprises occidentales peuvent résister à la concurrence
des pays émergents comme l’Inde ou la Chine. Même si les salaires y sont beaucoup plus bas que
dans les économies développées, la productivité y est également moindre dans de nombreux
secteurs. Il en résulte que dans les différentes branches de l’économie occidentale, il est possible de
verser des salaires plus élevés que dans les pays émergents ou en voie de développement sans que
le coût unitaire de production y soit systématiquement plus élevé, car ce dernier est égal au rapport
du salaire nominal à la productivité du travail. Le différentiel de productivité autorise des écarts de
salaires substantiels. Le même phénomène explique que les pays d’Europe de l’ouest peuvent
soutenir la concurrence dans de nombreux secteurs face aux pays d’Europe centrale membres de
l’Union européenne alors que les coûts horaires de main d’œuvre y sont beaucoup plus faibles
comme le montre le graphique suivant.
l économie était de 25,1% dans l UE et de 25,6% dans la zone euro, variant de 5,3% en Lituanie à 32,9% en
France.
Ces estimations sont publiées par Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne. Les données couvrent
25
les entreprises de 10 salariés et plus et sont basées sur les données 2016 de l'enquête sur le coût de la main-
d uvre qui sont extrapolées en utilisant l indice du co t de la main-d uvre.

Source : Eurostat

4 Généralisation à n biens

Le modèle de Ricardo peut aisément être généralisé dans un modèle à deux pays et à n biens.
Appelons aLi le coefficient technique du travail de la branche i, c’est-à-dire la quantité de travail
nécessaire à la production d’une unité de i dans l’économie domestique (pays 1). Désignons par a*Li
le même coefficient technique à l’étranger (pays 2).
On peut alors classer les branches par rapports croissants des coûts comparatifs aLi / a*Li.
Selon le modèle ricardien, le pays 1 se spécialisera dans les biens i tels que son salaire relatif
w/w* (c’est-à-dire son salaire w rapporté au salaire étranger w*) est inférieur au rapport a*Li / aLi .
En effet, dans ce cas, waLi < w*a*Li. Il est alors moins coûteux de produire le bien i dans le pays 1.
En revanche, tous les biens i tels que w/w* > a*Li. / aLi seront produits à l’étranger (pays 2).
Voici un exemple (emprunté à un article de Jean-Louis Mucchielli) de la spécialisation
ricardienne de deux économies dans un monde à n biens29.
On considère un système économique ricardien à deux zones : l’Europe et l’Asie. Il y a 5 biens :
les vêtements, les jouets, l’acier, les automobiles et les avions. Les rendements sont constants et le
travail est le seul facteur de production.
Le tableau ci-dessous montre la production annuelle par salarié dans les colonnes 2 et 3. On voit
que l’Asie a un avantage absolu dans la production de vêtements. Mais, comme on va le voir aussi,
sa spécialisation ne se limitera pas à ces seuls biens.

29
J.-L. Mucchielli, « Les théories de l’échange international », Cahiers français N° 341, novembre-décembre 2007.
26

Biens Production annuelle Production annuelle Salaire


par salarié en Europe par salarié en Asie Europe/Salaire
Asie (w/w*)
Vêtements 80 90 4
Jouets 170 100 4
Acier 175 40 4
Automobiles 180 30 4
Avions 250 10 4

On peut alors déterminer les coefficients techniques de travail par pays et par bien.

Biens Coefficients Coefficients Rapport des


techniques en Europe techniques en Asie coefficients
(aL) (a*L) techniques
(a*L/ aL)
Vêtements 0,0125 0,0111 0,888
Jouets 0,0058 0,01 1,724
Acier 0,00571 0,025 4,38
Automobiles 0,00555 0,033 5,95
Avions 0,004 0,1 25

D’après la règle des coûts comparatifs à n biens, l’Asie produira tous les biens tels que w/w* >
a*Li. / aLi c’est-à-dire les biens tels que 4 > a*Li. / aLi donc les vêtements et les jouets.
Comme nous le verrons au chapitre 2, les propositions ricardiennes ont été empiriquement
vérifiées, pour l’essentiel, dans les premiers travaux d’économétrie de l’échange international. C’est
ainsi que la célèbre étude de Mac Dougall publiée en 195130 sur les exportations britanniques et
américaines montre qu’avant la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne exportait vers les
États-Unis des biens (textile, pneumatiques, chaussures …) pour lesquels le différentiel de
productivité entre les deux pays était inférieur au différentiel de salaires.
De même, Bela Belassa vérifia-t-il que la plupart des performances d’exportation des États-Unis
et de la Grande-Bretagne au début des années cinquante s’expliquait par des différentiels de
productivité. 31
Toutefois, si ce modèle ricardien a le mérite de la logique, il faut reconnaître qu'il est incomplet.
Parmi les nombreuses critiques formulées à son encontre et qui vont permettre à l'analyse de
progresser, on relève tout d'abord la nécessité de déterminer le rapport international d'échange
d'équilibre ; or la demande est totalement négligée. Il y a aussi le fait qu'on ignore tout de l'origine
de la différence des coûts comparés. David Ricardo se donne les coûts de production des biens sans
autre justification. Les écarts observés peuvent pourtant provenir de multiples raisons : dotations
variables en capital physique ou humain, différences de qualification, conditions géographiques,
fonctions de production propres à chaque pays pour un même produit, présence ou non d'économies
d'échelle, etc. Cette simple énumération permet seulement de relever que ce sont bien les différences
technologiques qui sont au cœur de l'analyse. Enfin, rien ne permet d'assurer que les coûts restent
constants ; c'est même le contraire le plus probable si on tient compte du fait que la spécialisation
de chaque économie n'est jamais absolue. Dans une version moderne de l'analyse en termes de coûts

30 « Les exportations britanniques et américaines : une étude suggérée par la théorie des coûts comparés », Economic
Journal, vol. 61, n° 244, décembre 1951, pp. 697-724, traduction française in B. Lassudrie-Duchêne, Échange
international et croissance, Economica, 1972.
31 « Une démonstration empirique de la théorie classique des coûts comparés », The Review of Economics and
Statistics, vol. 14, août 1963, traduction française in B. Lassudrie-Duchêne, op. cité.
27

d'opportunité, c'est cette hypothèse de constance des coûts qui va être relâchée ; raisonnant dans le
cadre de la théorie des rendements décroissants, revenant à considérer que les coûts d'opportunité
s'élèvent au fur et à mesure que l'économie se spécialise dans un produit, Gottfried Haberler
développera une théorie générale de l'ouverture à l'extérieur et de la spécialisation ne faisant du
modèle de David Ricardo qu'un cas particulier.

5 Avantages comparatifs et idées reçues

La théorie de l’avantage comparatif permet de rejeter un certain nombre d’idées fausses mais
répandues sur les effets de l’échange international. Ces idées sont les suivantes.
Un pays ne pourrait participer aux échanges que s’il produit certains biens plus efficacement que
les autres. L’argumentation de ce chapitre a montré qu’une telle proposition est fausse. L’avantage
absolu n’est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour exporter. Ce qui est
déterminant est le coût d’opportunité de la production d’un bien. C’est cette notion qui est à l’origine
de l’existence d’éventuels avantages comparatifs.
L’échange international serait aussi selon certains un mécanisme favorisant l’exploitation des
travailleurs du Tiers-Monde. Le premier exemple de ce chapitre a pourtant montré clairement que
la différence de salaires entre les deux pays avait pour origine des écarts de productivité. Si le pays
2 revenait à l’autarcie, ses salariés recevrait l’équivalent de 350 kg de vêtements et 1,16 automobile
par an contre 350 kg de vêtements et 3,5 automobiles auparavant…

II Les gains à l’échange

1 Calculs des gains à l’échange32

Chaque pays produit les biens pour la production desquels il est le plus efficace. Cela permet de
dégager au niveau global une économie de ressources rares. Supposons qu’avant l’échange, chaque
pays produisait 500 000 automobiles et 500 000 unités de vêtements (50 000 tonnes). Les quantités
d’hommes-année nécessaires étaient alors les suivantes.

Pays 1 Pays 2
Automobiles 50 000 300 000
Vêtements 75 000 100 000
Quantité totale de travail 125 000 400 000

Après échanges, on a pour la même production mondiale (à savoir 1 000 000 d’automobiles et 1
000 000 d’unités de vêtements, soit 100 000 tonnes)

Pays 1 Pays 2
Automobiles 100 000 -
Vêtements - 200 000
Quantité totale de travail 100 000 200 000

L’économie mondiale a donc « économisé » 225 000 hommes-année. Pourtant, le pays 2 n’avait
aucun avantage absolu de compétitivité…

32Voir sur ce point l’ouvrage de Jean-Louis Mucchielli, Principes d’économie internationale, Economica, 1987,
pages 13 à 19.
28

2 La répartition des gains de l’échange

Le modèle ricardien montre que les termes de l’échange sont compris entre les valeurs d’autarcie.
Mais il est impossible de savoir à quels niveaux ils se fixeront finalement. C’est John Stuart Mill
qui proposa en 1848 dans ses Principles une solution à ce problème.

John Stuart Mill, dernier des grands économistes classiques


Auteur Oeuvre
John Stuart Mill (1806-1873) est le dernier Il développe avec une grande clarté les thèses de
des grands économistes classiques. Ses Ricardo sur la production et la répartition. Selon
Principes d’économie politique publiés en lui, les lois de la répartition peuvent être modifiées
1848 ont connu un succès considérable et par l’intervention de l’État. De plus, il détermine
s’imposèrent comme le principal manuel théoriquement, grâce à un raisonnement élégant, la
d’économie avant la sortie des Principes répartition des gains à l’échange international.
d’Alfred Marshall en 1890.

Selon cet auteur, les prix internes sont déterminés par les coûts de production (comme chez
Ricardo). Mais au niveau international, c’est l’offre et la demande mondiale qui vont déterminer,
par leur confrontation, les termes de l’échange. Dès lors, si un pays se spécialise, sur la base de ses
avantages comparatifs, dans la production d’un bien très demandé au niveau mondial, le prix
international de ce bien sera beaucoup plus élevé que son prix autarcique et le pays exportateur de
ce bien réalisera d’importants gains à l’échange. Dans le cas contraire, le prix international sera
proche du prix autarcique initial, mais le pays ne perdra rien car le prix international ne peut être
inférieur au prix interne…
John Stuart Mill avait appliqué son raisonnement au cas où un progrès technique affecte une
industrie d’exportation. Dans son exemple, l’Allemagne vend de la toile à l’Angleterre qui lui
exporte à son tour du drap. S’il y a un progrès technique dans la production de toile en Allemagne
et que la demande anglaise de toile est peu élastique au prix alors que la demande de drap par rapport
au revenu est forte en Allemagne, ce dernier pays verra ses termes de l’échange se dégrader. Mill
met ainsi en évidence un cas de croissance appauvrissante…
La répartition des gains à l’échange est donc inégale. Dans le passé, les pays du Nord et les pays
producteurs de pétrole ont ainsi davantage profité du commerce international que des pays en voie
de développement comme les exportateurs de bananes par exemple. De même le Brésil dont la
croissance a été plutôt florissante jusqu’en 2013 a pendant longtemps peu bénéficié sde ses
exportations de sucre et de soja…
29

Chapitre 2

Analyse formelle de la théorie ricardienne des coûts comparatifs


Différents auteurs ont proposé une formulation du modèle de Ricardo utilisant la modélisation et
les outils d’analyse économique moderne. Parmi ces auteurs, on peut citer Marshall, Pareto, Lerner
et Samuelson et plus récemment Paul Krugman33.
L’intérêt d’un tel exercice est de faciliter la comparaison des théories ricardiennes avec les
analyses contemporaines, mais aussi de généraliser ou de préciser certains résultats.
Nous commencerons par formuler les hypothèses du modèle de Ricardo en termes
contemporains. Nous en déduirons les conditions d’un équilibre de marché d’abord en autarcie puis
en économie ouverte aux échanges internationaux. Une avant dernière section sera consacrée aux
théories du cycle du produit (Vernon). Ces théories mettent en effet l’accent sur le rôle de la
technologie et de l’innovation dans l’échange entre pays. Or, l’approche de Ricardo était centrée sur
l’idée que les différences de technologie sont au cœur du commerce international. Dans une dernière
section, nous poserons la question de la validité de la théorie ricardienne dans le monde moderne.

I Équilibre en économie autarcique

On commence par envisager une économie en autarcie comprenant le travail comme unique
facteur. Ce travail est disponible en quantité L. La concurrence règne sur les marchés de biens et du
travail. Ce dernier peut librement se déplacer d’une branche à l’autre mais il est immobile d’un
pays à l’autre. Il n’y a que deux secteurs puisque n’existent que deux biens. Le salaire net est le
même dans les deux branches de l’économie (automobiles et vêtements) en raison de la concurrence.
Les rendements sont constants.

1 La frontière des possibilités de production

Le travail est une ressource rare qui nécessite des choix de production. Si l’économie fabrique
plus d’un bien, elle doit produire moins de l’autre. La frontière des possibilités de production (FPP)
symbolise ces choix dans la mesure où elle représente l’ensemble des combinaisons de production
""
possibles. Si l’on note aL1 le coefficient technique de travail du bien 1, on a donc : 𝑎"# = où L1
$"
est la quantité de travail dépensée dans la branche 1 et X1 la production de cette branche. De même,
"$
𝑎"% = pour la production de la branche 2. On a naturellement, compte tenu de ce qui précède :
$$
L = L1 + L2. Rappelons que les rendements étant constants par hypothèse, les coefficients techniques
sont invariables.
On déduit la droite des possibilités de production de la condition de plein emploi du facteur travail :
" !!"%$
L = L1 + L2, soit L = aL1X1 + aL2X2, d’où 𝑋% = − . Cette droite est représentée ci-dessous.
!!$ !!$

33
On utilisera souvent dans ce cours des modélisations de l’ouvrage de Paul Krugman, Maurice Obstfeld et Marc Melitz,
Economie internationale, Pearson, 12ème édition, 2022.
30

X2

L/aL2

L/aL1
X1

!!"
Le coût d’opportunité de la production du bien 1 en terme de bien 2 est . Ce coût est constant.
!!$

2 Salaires, prix relatifs et équilibre en autarcie

Les hypothèses sont les suivantes : rendements d’échelle constants, concurrence parfaite,
complémentarité des facteurs de production et plein emploi de ces facteurs. La demande de chaque
bien est Di(P), i = 1, 2 avec P = p2/p1, D’2(P) < 0 et D’1(P) > 0.
Les prix sont égaux aux coûts de production et l’on fait ici abstraction des marges :
&4
𝑝! = 5 & = 𝑤𝑎4! ; 𝑖 = 1, 2 où aLi est le coefficient technique du bien i. Le rapport des prix P est
&
donc égal à aL2/aL1.
L’équilibre autarcique est solution du programme :
Maximiser U(X1, X2) sous la contrainte L = aL1X1 + aL2X2.
Le Lagrangien s’écrit :

𝐿(𝑋, , 𝑋6 ) = U(𝑋, , 𝑋6 ) + 𝜆(𝐿 − 𝑎4, 𝑋, − 𝑎46 𝑋6 ).

A L’optimum, les dérivées partielles du lagrangien sont égales à zéro, soit :


7 7
𝑈5, = 𝜆𝑎4, 𝑒𝑡 𝑈56 = 𝜆𝑎46 .
&
&%" !!" '"
On en déduit que & = = .
&%$ !!$ '$
Il en résulte qu’au point d’équilibre, le taux marginal de substitution :
&
&%"
– dX2/dX1 (= & ) est égal au rapport des prix p1/p2 = 1/P.
&%$

En autarcie, l’équilibre est donc atteint en un point tel que E sur le graphique où une courbe
d’indifférence est tangente à la droite des possibilités de production.
31

X2

X1

II L’économie ouverte

On suppose que les deux pays ont des technologies différentes donc des prix différents au départ.
On note P* le prix relatif à l’étranger avec P* = p2*/p1*.

1 L’équilibre en économie ouverte

On suppose qu’au départ, le rapport des prix est P dans l’économie domestique et P* à l’étranger.
∗ ∗
# #$% #$" #$"
Si P > P*, #$% > ∗
#$"
ou #$%
< ∗
#$%
et le pays 1 a un avantage comparatif dans le bien 1. Le pays 2
$"
#$% #∗ #$" ∗
#$"
a un avantage comparatif dans le bien 2. Si P < P*, #$"
< #$%
∗ ou #$%
> ∗
#$%
et l’économie
$"
domestique a un avantage comparatif dans le bien 2 alors que le pays 2 a un avantage comparatif
dans le bien 1.
Supposons qu’initialement P > P*. L’économie domestique se spécialise dans la fabrication du
bien 1 pour lequel elle a un avantage comparatif et qui a un prix relatif plus élevé à l’étranger, ce
qui incite les producteurs du pays 1 à exporter ce bien. La demande totale de bien 1 qui leur est
adressée est supérieure à la demande interne. Il en résulte que p1 s’accroît et que P diminue.
Inversement et pour des raisons symétriques, p*2 augmente dans le pays 2. Par ailleurs, la hausse de
8 # 8 8 8
p1 dans le pays 1 implique que 8" > #$" 𝑠𝑜𝑖𝑡 # " > # % . Or, # " = 𝑤 puisque 𝑝, = 𝑤𝑎9, .
% $% $" $% $"
Il en résulte que le salaire versé dans le secteur 1 de l’économie domestique est supérieur à celui
du secteur 2. La main d’œuvre déserte ainsi le secteur 2 de l’économie domestique. La production
du bien 2 est donc abandonnée dans le pays 1. Pour des raisons symétriques, la production du bien
;;;;
8
1 est abandonnée dans le pays 2. Quant au rapport 𝑃U = 8;;;%; des prix internationaux, il est compris
"
entre P et P* puisque le prix p1 s’est accru de même que p2* : P > 𝑃U > P*.
Dans les deux pays, on constate que l’échange international permet d’atteindre un niveau de
satisfaction plus élevé. Chaque pays se spécialise dans la production d’un bien. L’optimum de
production est A dans le pays 1 et A’ dans le pays 2. Il s’agit d’optima en coin. On a donc :

4 4∗
𝑋, = #$"
𝑒𝑡 𝑋6∗ = ∗
#$%
.

&
&'"
L’optimum de consommation réalise l’égalité des utilités marginales pondérées (tel que =
((
'((
"
&
&'$
) ; il correspond à E1 dans le pays 1 et à E’1 dans le pays 2.
((
'((
$
Dans le pays domestique, cet optimum correspond au programme :
32

4
Max U(C1,C2) sous la contrainte 𝑝
UUU, #$"
− UUU
𝑝, 𝐶, − 𝑝
UUU6 𝐶6 = 0 .

Le lagrangien s’écrit :

4
𝐿(𝐶, , 𝐶6 ) = U(C1,C2) + 𝜆 W𝑝
UUU, #$"
− UUU
𝑝, 𝐶, − 𝑝
UUU6 𝐶6 X

A l’optimum :
𝑈<7 " = 𝜆𝑝
UUU, et 𝑈<7 % = 𝜆𝑝
UUU6

L’optimum en économie ouverte est représenté sur la figure ci-dessous.


X2 Économie X*2 Économie
domestique A’ étrangère

Droite des E’0


prix
internationau
E’1
Droite des possibilités de
E1 production de chaque
E0 pays U*1
U1 U*0

U0
X1 X*1
A
2. Les salaires réels après ouverture à l’échange.

Dans le modèle ricardien, la spécialisation est totale. Avant l’échange, on avait dans l’économie
'"
domestique 𝑝, = 𝑤𝑎4, donc w = . On notera avec une barre au dessus des varables les
!!"
nouvelles valeurs des salaires et des prix après échange international. Une fois le commerce
;;;;
8
extérieur mis en place, on peut écrire que 𝑝
UUU, = 𝑤 \ = # " > w puisque UUU
\ 𝑎4, 𝑑𝑜𝑛𝑐 𝑤 𝑝, > 𝑝, . Le
$"
=
& & ,
pouvoir d’achat en terme de bien 1 est inchangé car 8;;;; = 8"
= #$"
. Le pouvoir d’achat en bien 2
"
=
& =
& =
& , &
est désormais 8;;;; = ∗
;;;;#$%
&∗
= ∗
;;;; #$%
&∗
alors qu’auparavant le salaire réel en terme de bien 2 était 8 =
% %
& , =
& , ,
&#$%
= #$%
. Il y a donc gain de pouvoir d’achat grâce à l’échange si ∗
;;;; #$%
&∗
> #$%
, c’est-à-dire si

𝑤
\ 𝑎46 > UUUUU
𝑤∗ 𝑎46 ,
ce qui est la condition de coût nécessaire à l’échange. Globalement, le commerce
entre les deux pays améliore donc le pouvoir d’achat des salaires.

III L’économie mondiale

1 La frontière mondiale des possibilités de production et la spécialisation internationale

La frontière mondiale des possibilités de production (FPP) traduit le potentiel de l’ensemble des
pays. Elle est coudée comme sur la figure ci-dessous. En effet, les deux pays ont au départ la
possibilité de fabriquer les deux biens, mais avec des productivités différentes. Techniquement, la
33

frontière mondiale des possibilités de production est obtenue en ajoutant point par point les droites
de production de chaque pays. On suppose que la structure des préférences est la même dans les
deux pays34.

Production mondiale de
bien 2

FPP étrangère

Production
FPP domestique
mondiale de bien 1

34
Sur ce point, voir J.-L. Mucchielli, Principes d’Economie Internationale, Economica, 1987, page 46.
34

L’optimum global correspond au point de tangence entre la FPP et la courbe d’indifférence


représentant la structure des préférences internationales. On voit que l’on peut envisager trois types
de spécialisation.
La spécialisation de type A est une situation correspondant à une forte demande mondiale du
bien 2. Elle permet à l’économie domestique de produire le bien 1 et le bien 2 et à l’économie
étrangère de ne fabriquer que le bien 2. La capacité de production de bien 1 est supérieure à la
demande mondiale de ce bien.
La spécialisation de type B permet à chaque pays de ne produire que le bien dans lequel il a un
avantage comparatif (le bien 1 pour l’économie domestique et le bien 2 pour l’économie étrangère).
B est le point de Ricardo.
La spécialisation de type C correspond à une forte demande mondiale du bien 1. Elle permet à
l’économie domestique de produire le bien 1 à hauteur de sa capacité de production. L’économie
étrangère fabrique les deux biens car la demande mondiale de bien 2 est relativement faible. La
capacité de production de ce bien 2 est supérieure à la demande mondiale de ce bien.

2 Détermination du prix international

Dans le cadre de la théorie de John Stuart Mill, la demande mondiale permet de déterminer le
prix relatif de chaque bien au niveau international, comme on l’a vu au chapitre 1.
La courbe d’offre mondiale résulte du regroupement des deux courbes d’offre nationales. Ces
dernières sont des droites en raison des rendements constants. Comme les deux pays ont des niveaux
de productivité du travail différents, les deux segments d’offre mis bout à bout forment une courbe
en escalier.
La figure ci-dessous (empruntée à l’ouvrage de Paul Krugman, Maurice Obstfeld et Marc
Melitz35) représente les courbes d’offre et de demande mondiales du bien 2. Si la courbe de demande
coupe la courbe d’offre sur son segment inférieur (comme la courbe rouge en pointillés sur la figure
jointe), donc si la demande mondiale est faible, le prix international sera le même que le prix
autarcique.
Si au contraire la demande mondiale coupe la courbe d’offre internationale sur son segment
vertical qui correspond à la spécialisation intégrale de chaque pays, le prix mondial sera supérieur
au prix autarcique du pays étranger P*.
Enfin, si la demande mondiale est élevée, elle coupera la courbe d’offre sur son segment
supérieur (ce qui n’est pas représenté sur la figure). Le prix d’échange international sera alors égal
au prix de production du pays 1 qui n’a pas d’avantage comparatif dans la production du bien 2.

35
P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Economie internationale, 12ème édition ; Pearson, 2022, page 38.
35

𝑃U
Offre et demande relatives
mondiales

𝑎46
𝑎4,

UUU
𝑃>


𝑎46 UUU
𝐷6 = (𝐷6 + 𝐷6∗ )/(𝐷, + 𝐷,∗ )

𝑎4, UUU
𝐷67
Quantité relative de
vêtements :
(𝑋6 + 𝑋6∗ )
(𝑋 + 𝑋 ∗ )
3 Les limites du modèle ricardien

Quatre limites méritent d’être soulignées :


- l’hypothèse de constance des coefficients techniques est très restrictive ;
- l’origine des différences de technologie n’est jamais précisée ;
- le capital qui est un facteur essentiel dans le monde contemporain ne joue quasiment aucun
rôle ;
- la spécialisation de chaque zone est extrême, ce qui est une conclusion empiriquement
contestable.
Nous verrons au chapitre suivant que l’analyse néo-classique tente de répondre à la plupart de ces
objections.

4 L'approche néo-technologique : le cycle du produit

Pour l'essentiel, elle tente d'expliquer les avantages comparatifs à l'origine du commerce
international par le progrès technique qui placerait, au moins momentanément, la firme ou le pays
innovateur en position de monopole. Remarquons qu'à la différence de l'hypothèse statique de David
Ricardo, il s'agit d'une vision dynamique : peu à peu, la nouvelle technologie se diffuse et l'avantage
se résorbe ; il faut donc le renouveler en permanence par la recherche de nouvelles techniques.
Alfred Marshall semble avoir été un pionnier dans ce domaine avec son ouvrage Industry and Trade
(1919). Il décrivait déjà un cycle du produit fondé sur trois étapes : le stade de l’innovation, celui
de l’imitation et enfin la standardisation qui s’accompagne d’une production de masse.
L'analyse s'est progressivement développée grâce aux travaux de M.V. Posner (1961) sur « l'écart
technologique », puis de G.C. Hufbauer (1966) et de R. Vernon (1966) qui initièrent la théorie du
cycle du produit. Selon Posner, des pays comparables échangent car certains d’entre eux deviennent
exportateurs en innovant et cela indépendamment de leurs dotations factorielles et avantages
comparatifs.
36

Raymond Vernon, père de la théorie du cycle du produit


Auteur Analyse
Raymond Vernon (1913- Dans un article publié en 1966, Raymond Vernon analyse les
1999) était un économiste causes de l’innovation et sa diffusion à l’échelle internationale.
américain, professeur L’innovation nécessite la proximité d’un vaste marché (comme le
d’économie internationale à marché américain des années soixante) pour lancer le produit
l’Université d’Harvard. nouveau. Le développement international du produit aura lieu en
plusieurs phases.

On peut ainsi considérer qu'un pays ou une industrie ayant réalisé de bons investissements
disposera d'une avance technologique lui facilitant la découverte de nouveaux processus de
production et source d'un avantage comparatif36. Cet écart technologique sera la cause de l'échange
jusqu'à l'imitation du processus et/ou du produit par les producteurs étrangers.
L'importance des conséquences de cet écart technologique dépendra donc du temps écoulé d'une
part entre la première consommation du nouveau produit dans le pays innovateur et celle qui a lieu
dans le pays imitateur, d'autre part entre l'innovation et son imitation par les producteurs étrangers.
Si le premier délai peut être relativement court, surtout entre pays également développés, le second
sera vraisemblablement plus important. Or le flux commercial existe lorsque l'écart de demande
ayant été comblé, l'écart d'imitation subsiste.
Enfin, bien que la nature dynamique du processus rende l'avantage comparatif instable, dans la
réalité l'avance technologique tend à se nourrir d'elle-même dans la mesure non seulement où
certains pays jouissent d'un environnement plus favorable (législation, système éducatif, capacités
de recherche) mais aussi parce que les profits réalisés permettent de financer de nouvelles
recherches... De plus, l'innovation est elle-même un processus d'apprentissage, ce qui est à l'origine
d'un cercle vertueux.
L'analyse en terme d'innovation et d'avantage comparatif dynamique a été affinée par la théorie
du cycle du produit qui s'applique à mieux préciser le processus d'innovation et la nature des produits
échangés37. Pour cela, elle distingue trois phases correspondant chacune à une situation différente
du point de vue des échanges extérieurs.
1ère phase : il s’agit de l’introduction du produit. Durant cette phase, c'est essentiellement le
marché intérieur qui est exploité (proximité, possibilité d'observer les réactions de la demande). Le
coût de fabrication du bien est élevé en raison de son fort contenu en travail qualifié et R&D. Le
prix est donc élevé également d’autant plus que la firme bénéficie d’une situation de monopole et
d’une demande peu élastique au prix. Les exportations commencent à stimuler la production ; c’est
le stade du New Product.
2ème phase : les produits qui subsistent au terme de cette première étape accèdent à leur phase de
croissance durant laquelle la production et la consommation de masse sont introduites. La
production bénéficie d’économies d’échelle et la mécanisation importante peut faire baisser le
contenu en travail qualifié. Les entreprises les plus avancées pénètrent alors les marchés extérieurs
sur lesquels elles ont encore une position de monopole tant que la diffusion technologique ne s'est
pas réalisée auprès des firmes locales qui craignent d'ailleurs de ne pas pouvoir rentabiliser leurs
efforts de recherche ou d'imitation étant donnée la faiblesse des prix. Les substituts du produit qui
apparaissent rendent la demande plus élastique et les exportations se développent fortement. C’est
la phase du Maturing Product.

36 Posner, M.V., « International Trade and Technical Change », Oxford Economic Papers, 1961.
37 G. C. Hufbauer, Synthetic Materials and the Theory of International Trade, Londres, Duckworth, 1966 ; R. Vernon,
« International Investment and International Trade in the Product Cycle », Quarterly Journal of Economics, mai 1966.
37

3ème phase : c’est celle de la maturité caractérisée par la standardisation du produit et la saturation
du marché intérieur du pays innovateur ; la taille optimale des usines doit être grande pour profiter
au maximum des économies d'échelle qui constituent désormais un élément essentiel de la
compétitivité ; sur les marchés étrangers, le produit est imité par les firmes locales qui concurrencent
les entreprises innovatrices lesquelles se retirent alors peu à peu (possibilité de délocalisation). Le
pays innovateur devient alors souvent importateur.
Les pays moins développés commencent à exploiter leurs avantages dans la fabrication de
produits aux caractéristiques suivantes :
a) il s’agit de produits à fort contenu en travail, ce qui permet un nouvel abaissement des coûts
en raison du niveau des salaires ;
b) ce sont des produits dont l’élasticité prix est désormais élevée (sans quoi le niveau des coûts
de production ne jouerait aucun rôle) ;
c) ce sont des biens dont la production ne nécessite pas un environnement industriel important ;
d) ils sont le plus souvent stockables sans grand risque d’obsolescence ;
e) enfin, ils sont à haute valeur ajoutée, ce qui permet à leurs producteurs de supporter
d’importants coûts de fret.
Cette troisième phase est donc celle de la standardisation. Vernon pensait à l’exemple du secteur
textile ou de l’acier brut…
L’idée essentielle de la théorie de Raymond Vernon (1913-1999) est donc que la sauvegarde des
parts de marché passe par de nouvelles innovations et l'élaboration de nouveaux produits. Cette
analyse n'est toutefois adaptée qu'à l'explication de l'échange du produit nouveau alors qu'une
théorie des bases de l'échange devrait s'intéresser à l'ensemble des produits.
Par ailleurs, dès 1979, R. Vernon considérait que sa théorie devait être reconsidérée sur trois
points essentiels38 :
a) le délai qui sépare les premières introductions d'un produit aux États-Unis puis à l'étranger a
beaucoup diminué ;
b) l'innovation apparaît aussi bien en Europe et au Japon qu'aux États-Unis car l'écart de revenu
par tête entre ce pays et les deux autres zones est aujourd'hui considérablement réduit ;
c) beaucoup de firmes multinationales produisent directement de nouveaux biens standardisés à
l'échelle mondiale sans respecter une séquence États-Unis - Europe - Pays en voie de
développement.
Quel a été l’apport de la théorie du cycle du produit ?
La théorie de Vernon revient à affirmer que le commerce international devrait être plus intense
dans les branches où l’innovation, donc la R & D, est très importante. Cette proposition a été vérifiée
pour des secteurs comme la pétrochimie, les industries électro-mécaniques et les secteurs
producteurs de biens durables39. Toutefois, si l’origine de l’échange est indéniablement une
différence de technologie, nous constatons que la troisième phase de standardisation et de
délocalisation correspond aux dotations de facteurs que nous étudierons au chapitre suivant.
La théorie du cycle du produit a eu aussi le grand mérite de répondre à plusieurs objections
fondamentales souvent faites au modèle de Ricardo. L’idée d’expliquer les échanges par
l’innovation est certes le principal apport de cette théorie, mais il y a également quatre importantes
critiques du modèle ricardien auquel le modèle de Vernon échappe.
1°) Dans l’analyse ricardienne, aucun pays n’importe et n’exporte la même catégorie de biens
alors qu’empiriquement ce phénomène est fréquent.

38 Vernon, R., « The Product Cycle Hypothesis Model of International Trade : US Exports of Consumer Durables »,
Oxford Bulletin of Economic and Statistics, vol. 41, novembre 1979, pp. 255-268 ; voir aussi Guillochon, B., Économie
Internationale, Paris, Dunod, 1993, p. 97.
39
Rainelli, M., Le commerce international, La Découverte, onzième édition, 2015, pp. 56-59.
38

2°) Dans le modèle ricardien, on ne tient pas compte des dotations en capital ni des ressources
primaires dans la détermination de la spécialisation. L’analyse néoclassique réalise d’ailleurs
d’importants progrès de ce point de vue.
3°) Le modèle traditionnel de Ricardo néglige l’existence d’économies d’échelle.
4°) Ce modèle est développé dans le seul cadre d’une concurrence parfaite.
On peut représenter les trois phases de la théorie de Vernon de la façon suivante :

Le cycle du produit de Vernon

Production
Consommatio
n
Exportations

Importations

New Standardized
Product Maturing Product Product temps

5 La validité empirique du modèle ricardien

On a vu au chapitre précédent que le modèle de Ricardo peut aisément être généralisé à un modèle
à deux pays et à n biens. Rappelons qu’en notant aLi le coefficient technique du travail de la branche
i, c’est-à-dire la quantité de travail nécessaire à la production d’une unité de i dans l’économie
domestique (pays 1), par a*Li le même coefficient technique à l’étranger (pays 2), on peut alors
39

classer les branches du pays par rapports croissants des coûts comparatifs aLi / a*Li. Selon le modèle
ricardien, le pays 1 se spécialisera dans les biens i tels que son salaire relatif w/w* (c’est-à-dire son
salaire w rapporté au salaire étranger w*) est inférieur au rapport a*Li / aLi . En effet, dans ce cas,
waLi < w*a*Li. Il est alors moins coûteux de produire le bien i dans le pays 1. En revanche, tous les
biens i tels que w/w* > a*Li / aLi seront produits à l’étranger (pays 2).
Ces propositions ricardiennes ont été empiriquement vérifiées, pour l’essentiel, dans les premiers
travaux d’économétrie de l’échange international. Comme on l’a signalé au précédent chapitre,
l’étude de Mac Dougall publiée en 195140 sur les exportations britanniques et américaines montre
qu’avant la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne exportait vers les États-Unis des biens
(textile, pneumatiques, chaussures…) pour lesquels le différentiel de productivité entre les deux
pays était inférieur au différentiel de salaires.
On trouvera ci-dessous un extrait du tableau que G. D. A. Mac Dougall a publié dans l’Economic
Journal dans son étude sur le commerce entre les États-Unis et la Grande-Bretagne avant la Seconde
Guerre mondiale (1937). Il présentait les résultats suivants pour un certain nombre de secteurs :

Secteurs Rapports des productivités Rapport des gains


États-Unis/Grande Bretagne hebdomadaires États-
Unis/Grande Bretagne
Automobiles 3,1 2,0
Machines 2,7 1,9
Verre 2,4 2,0
Papier 2,2 2,0
Chaussures 1,4 1,5
Laine 1,35 2,0

Le tableau montre que les États-Unis avaient un avantage absolu dans tous les secteurs
représentés. Mais les États-Unis avaient intérêt à exporter uniquement des automobiles, des
machines, du verre et du papier.
De même, Bela Belassa vérifia-t-il pour 28 industries en 1950 que la plupart des performances
d’exportation des États-Unis et de la Grande-Bretagne au début des années cinquante s’expliquaient
$" )"
par des différentiels de productivité. Il testa pour cela un modèle du type =𝛼 + 𝛽 . Dans cette
$$ )$
expression, Xi désigne les exportations du pays i et Pi la productivité du travail dans le pays i.
Mais les études qui viennent d’être évoquées sont anciennes. C’est pourquoi, plus récemment,
en 2000, Stephen S. Golub et Chang-Tai Hsieh41 ont réexaminé la validité empirique de l’analyse
ricardienne. Leurs tests confirment que la productivité relative ainsi que les coûts salariaux unitaires
expliquent une grande partie du commerce bilatéral entre les États-Unis et sept pays développés
(France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Australie, Japon, Canada) sur une période 1977-1991
pour 39 secteurs manufacturiers.
Ils testent par exemple la relation :
𝑋!" 𝑎!?
𝐿𝑜𝑔 ^ _ = 𝛼"? + 𝛽"? 𝐿𝑜𝑔 b c + 𝜀"?
𝑋!? 𝑎!" +,
par la méthode SUR utilisée pour l’estimation de systèmes d’équations dans lesquelles les erreurs
des différentes années sont temporellement corrélées. Dans cette expression, i est un indice de bien,

40 « Les exportations britanniques et américaines : une étude suggérée par la théorie des coûts comparés », Economic
Journal, vol. 61, n° 244, décembre 1951, pp. 697-724, traduction française in B. Lassudrie-Duchêne, Échange
international et croissance, Economica, 1972.
41
Golub, S., Hsieh, C., « Classical Ricardian Theory of Comparative Advantage Revisited », Review of International
Economics, Vol. 8, 2, 2000, pp. 221-234.
40

j et k des indices de pays. La lettre X désigne les exportations vers le reste du monde et la lettre a un
coefficient technique. Le coefficient bjk est alors l’élasticité du commerce bilatéral42 entre le pays j
et le pays k par rapport au rapport des productivités des deux pays. Le tableau ci-dessous indique
les valeurs de cette élasticité pour les équations dans lesquelles le commerce est comparé avec les
États-Unis. Le signe des élasticités estimées est correct. Toutefois, les coefficients de corrélation
sont très faibles.

𝑿𝒊𝑼𝑺 𝒂𝒊𝒌
Elasticités du rapport par rapport à , 39 branches
𝑿𝒊𝒌 𝒂𝒊𝑼𝑺

Période Elasticité bUSk Coefficient de R2


Student
US-Japon 1984-90 0,30 2,80 0,18
US-Allemagne 1977-91 0,15 3,80 0,05
US-UK 1979-91 0,23 4,48 0,12
US-France 1978-91 0,09 1,96 0,03
US-Italie 1978-91 0,37 6,25 0,13
US-Canada 1972-90 0,27 6,26 0,04
US-Australie 1981-91 0,31 3,52 0,10

Le tableau ci-dessus montre par exemple qu’une augmentation de 1 % de la productivité


américaine par rapport à celle du Japon accroît de 0,3 % les exportations américaines vers le reste
du monde par rapport aux exportations japonaises.
Les auteurs ont également testé des relations
𝑋!"
𝐿𝑜𝑔 ^ _ = 𝛼"? + 𝛽"? 𝐿𝑜𝑔e𝑐"? f+, + 𝜀"?
𝑋!?
& #
La variable c désigne ici le coût unitaire salarial relatif de production, soit le rapport & #&' &'@ où
&( &( '(
ejk est le taux de change bilatéral en parité des pouvoirs d’achat. Notons que le rapport d’exportations
ne concerne, dans ce nouveau test, que les échanges bilatéraux.

42
À savoir, ici, le rapport entre les exportations d’un pays (en l’occurrence, les États-Unis) et les exportations d’un
autre pays développé.
41

𝑿𝒊𝑼𝑺
Elasticités du rapport par rapport à 𝒄𝒊𝑼𝑺𝒌+𝟏 , 39 branches
𝑿𝒊𝒌

Période Elasticité bUSj Coefficient de R2


Student
US-Japon 1984-90 -0,33 -2,87 0,21
US-Allemagne 1977-91 -0,13 -3,13 0,05
US-UK 1979-91 -0,23 -4,95 0,05
US-France 1978-91 0,11 3,88 0,03
US-Italie 1978-91 -0,29 -4,90 0,08
US-Canada 1972-90 -0,15 -4,27 0,02
US-Australie 1981-91 0,07 -0,75 0,01

L’élasticité du rapport XiUS/Xik par rapport au coût relatif doit ici être négative. On observe que ce
n’est pas le cas pour la France. On note que les résultats sont moins satisfaisants avec les coûts
salariaux relatifs qu’avec les productivités relatives.
Notons aussi que l’on trouve dans un article de Ren Ruoen et Bai Manying publié en 2002
l’illustration suivante de la théorie ricardienne à partir d’une comparaison Allemagne-Chine en
1995. Alors que le rapport production par travailleur chinois/ production par travailleur allemand
était au cours de cette période de 5,2 % pour l’ensemble des secteurs manufacturiers, la production
chinoise représentait dans ce périmètre 71,6 % de la production allemande. Mais dans le secteur de
l’habillement où le rapport production par travailleur chinois/ production par travailleur allemand
était de 19,7 %, la production chinoise représentait 802,2 % de la production allemande43...
De même, il est clair d’un point de vue empirique que les différences de productivité jouent un
rôle essentiel dans les échanges internationaux contemporains. Ainsi, le Bangladesh est-il devenu
le deuxième exportateur mondial de textile malgré sa très faible productivité. Cela s’explique par le
fait que la productivité du secteur textile y est plus de deux fois plus élevée que dans les autres
secteurs44. La production de vêtement est donc caractérisée par un avantage comparatif marqué.
Comme les salaires sont très bas, le Bangladesh peut concurrencer la Chine qui a pourtant un
avantage absolu dans tous les secteurs… La productivité du travail au Bangladesh est égale à 28,5
% de celle de la Chine en 2011 quand on la compare en prenant comme référence l’ensemble des
secteurs manufacturiers. Mais elle est de 77 % de celle de la Chine pour le secteur des vêtements.
Ainsi, alors que les exportations manufacturières du Bangladesh ne représentent que 1 % des
exportations chinoises, elles atteignaient en 2011 15,5 % dans la branche de l’habillement !

43
Ces chiffres sont tirés de l’étude de R. Ruoen et B. Manying publiée par Économie internationale, N°92, 2002/4,
pp. 103-130.
44
Krugman, P., Obstfeld, M., Melitz, M., Économie internationale, Pearson, 11e édition, 2018, pp. 49-50.
42
43

Chapitre 3
Différences de dotations et échange international

Même en supposant l'immobilité des facteurs au plan international, on conçoit que ces derniers
exercent une influence sur les échanges puisque la somme de leurs rémunérations représente le coût
monétaire des produits. Dans ces conditions, au-delà des coûts comparatifs, ce serait la comparaison
des rémunérations de facteurs qui expliquerait que les nations se spécialisent dans telle ou telle
production. Tel est le sens des analyses proposées par les économistes néo-classiques qui lient les
écarts de rémunération aux différences de dotations. Une importante objection, connue sous le nom
de Paradoxe de Léontief, a toutefois été faite à l'encontre de cette thèse.
I Dotations factorielles et modèle néo-classique
Au lieu d’expliquer les échanges par les différences de technologie comme le faisait Ricardo,
l’approche néoclassique suppose que cette technologie est la même dans les pays qui procèdent à
l’échange. En revanche, selon ce courant, qui suppose à la différence de l’analyse ricardienne qu’il
existe plusieurs facteurs de production substituables, c’est la proportion des facteurs qui diffère
d’une économie à l’autre. Cette approche des déterminants de l'échange apparaît ainsi comme une
alternative au courant technologique ; elle a été développée par les économistes suédois Eli Filip
Heckscher et Bertil Ohlin d'abord, puis modélisée à la fin des années quarante et au début de la
décennie suivante par différents auteurs (W.F. Stolper, P. Samuelson, A.P. Lerner en particulier),
ce qui permettra de disposer d'un cadre théorique plus général45.

1 Le théorème d’Heckscher-Ohlin

C'est dès 1919 qu'Eli Flip Heckscher, spécialiste d’histoire économique, présente l'essentiel de
l'argumentation de ce qui deviendra la théorie suédoise de l'échange ; Bertil Ohlin (prix Nobel 1977)
contribuera à sa diffusion. D'après ces deux auteurs, une différence des dotations factorielles entre
deux pays peut expliquer l'écart des coûts comparatifs dès lors que l'on admet que les fonctions de
production sectorielles sont identiques d’un pays à l’autre.
L’idée fondamentale de la théorie néoclassique de l’échange international est simple. Si un pays
est bien doté dans un facteur de production, les productions qui l’utilisent intensivement seront
relativement moins chères qu’à l’étranger. Dès lors, le pays aura un avantage comparatif dans ces
productions et ce seront les biens correspondants qui seront exportés.
En d’autres termes, dans un modèle à deux pays et deux biens, un pays possède un avantage
comparatif dans la production du bien utilisant intensivement le facteur de production qu’il possède
en abondance.

45 E. Hecksher, « L’effet du commerce international sur la répartition du revenu », dans B. Lassudrie-Duchêne,


(Éd.), Échange international et croissance, Paris, Economica, 1972, pp. 55-77 ; B. Ohlin, Interregional and
International Trade, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1933 ; W. F. Stolper, P. Samuelson,
« Protection and Real Wages », Review of Economic Studies, vol. IX, 1941, traduit dans B. Lassudrie-Duchêne,
op.cit., pp. 161-182 ; P. Samuelson, « International Factor-Price Once Again », Economic Journal, vol. LIX, n°234,
juin 1949, traduit dansB. Lassudrie-Duchêne, op.cit., pp. 78-94 ; A. P. Lerner, « Factor Prices and International
Trade », Economica, février 1952.
44

Les pères de l’analyse néoclassique de l’échange international


Auteur Analyse fondamentale
Eli Heckscher (1879-1952) est un Les pays se spécialisent dans les productions qui utilisent
économiste suédois, spécialiste de des facteurs de production dont ils disposent en abondance.
l’histoire économique. Il met en
évidence le rôle des dotations
factorielles dans les avantages
comparatifs
Bertil Ohlin (1899-1979) est un La logique du modèle est la suivante : des dotations
économiste suédois qui obtint le différentes de facteurs conduisent à des prix relatifs
prix Nobel en 1977. Il est à différents de facteurs, donc à des coûts relatifs différents
l’origine avec Eli Heckscher de la des produits ; ces derniers sont à l'origine de l'échange
théorie néoclassique de l’échange international qui doit être bénéfique pour chacun des co-
international. échangistes.

Bertil Ohlin en a tiré de cette logique une loi dite des proportions de facteurs: « un pays tend à
se spécialiser dans la production pour laquelle la combinaison de facteurs dont il dispose lui donne
le maximum d'avantages (ou le minimum de désavantages) ». Pour exprimer cela plus
concrètement, nous dirons qu'un pays « riche en capital » exportera des biens fortement utilisateurs
de capital ; un pays « riche en travail » exportera des biens fortement utilisateurs de travail :
l’Europe (« riche en capital ») exporte des avions AIRBUS et la Tunisie (« riche en travail ») du
phosphate.
La théorie d’Hecksher-Ohlin s’énonce donc simplement : En libre échange, les économies
exportent les produits utilisant de façon intensive les facteurs de production abondants. Elles
importent les produits utilisant de façon intensive les facteurs de production rares.
C’est ce que l’on appelle le « théorème d’Hecksher-Ohlin ». Ce résultat a été généralisé à un
nombre quelconque de produits, pays et facteurs de production par Alan Deardorff46 : les économies
exportent les biens intensifs en facteurs de production dont ils sont relativement le mieux dotés.
Il apparaît ainsi que, par l'intermédiaire de l'échange des produits, les pays échangent leurs
facteurs abondants contre des facteurs rares sur leur territoire. Soulignons que le passage des
dotations factorielles aux prix des facteurs puis aux prix des produits est bien le point fondamental
du raisonnement. Il s'ensuit que les raretés relatives ressenties de facteurs se modifient dans les deux
pays, celui qui dispose de relativement peu de travail réduisant sa production du bien en nécessitant
le plus, ce qui en libère beaucoup, et réciproquement.
Notons que la demande peut s'intégrer dans l'approche en terme de dotations de facteurs.
C'est ainsi que le théorème d'Heckscher-Ohlin dépend implicitement de l'hypothèse que les
demandes entre les deux pays sont relativement semblables. En effet, si ce n'est pas le cas, il se peut
très bien que l'avantage d'un pays dans la fabrication d'un bien soit plus que compensé par son désir
de le consommer ; la demande intérieure peut même être plus forte que l'offre de telle sorte que le
pays se trouve en situation d'importer en partie le produit intensif dans le facteur qu'il détient en
abondance. Pour tenir compte de la demande, il faudra donc reformuler le théorème d'Heckscher-
Ohlin en disant qu'un pays tend à produire et peut-être à exporter, relativement plus, le bien intensif
dans ses facteurs de production relativement abondants. L'élasticité de la demande intervient bien
de façon importante.
Précisons donc à présent les hypothèses de la théorie néoclassique de l’échange international.
On distingue deux pays et deux biens.

46 A. Deardorff, « The general Validity of the Hecksher-Ohlin Theorem », American Economic Review, vol. 72,
1982, pp. 683-694.
45

La concurrence parfaite règne dans les deux économies.


Il existe deux facteurs de production substituables : le capital K et le travail L.
Ces facteurs mobiles dans chaque pays sont immobiles au niveau international.
Seuls les biens et services peuvent donc être échangés d’un pays à l’autre.
Les rendements d’échelle sont constants mais les rendements marginaux décroissants.
Selon la théorie néoclassique, le rapport K/L est celui qui permet de minimiser, pour tout niveau
de production X, le coût de production total rK + wL en désignant par r et w les rémunérations
respectives du capital et du travail. Les facteurs étant supposés substituables, on peut utiliser la
notion de fonction de production sectorielle :

X = F(K, L) avec F’K > 0, F"K < 0, F’L > 0, F"L < 0.

Il s’agit donc de minimiser rK + wL sous la contrainte X = F(K, L).

Le Lagrangien s’écrit : L(K, L, l) = rK + wL + l[X - F(K, L)].

À l’optimum, :

r = l F’K et w = l F’L.

Il en résulte que :

,-. /!& 0
= = ,
-" /-& 1

,-.
Le TMST (taux marginal de substitution technique) est donc égal au rapport des prix de
-"
facteurs.
Géométriquement, cet optimum correspond à la tangence d’une isoquante avec le rapport des
prix de facteurs. Dans chaque secteur, on choisit la combinaison productive K/L (notée aussi k dans
ce chapitre et les suivants) qui réalise l’égalisation du taux marginal de substitution technique au
rapport des prix de facteurs.
Dans ce chapitre, on supposera que le secteur intensif en capital est le secteur 1 (automobiles)
et le secteur intensif en travail est le secteur 2 (vêtements). Nous conserverons cette hypothèse en
permanence.
Si par exemple47, la fonction de production de chaque secteur est du type Cobb-Douglas,
# ,+# F
𝐹(𝐾! , 𝐿! ) = 𝐾! & 𝐿! & pour i = 1, 2, on a, en notant ki l’intensité capitalistique (soit ki = 4 & ) :
&

/
0 (#, !. )5. .
= / 0" , soit :
1 !. 5. .

𝑤 1 − 𝑎1
= % ) 𝑘1
𝑟 𝑎1

Donc, si a1 > a2 (ce que nous supposerons toujours), l’intensité capitalistique de la branche 1 qui
produit des automobiles sera supérieure à celle de la branche 2 qui fabrique des vêtements.

47
Nous reprenons ici l’exemple donné au chapitre 1 de l’ouvrage de Ivan Ledezma et Hélène Lenoble-Liaud, Économie
internationale, PUF, 2020, pages 57 à 59.
46

&
Pour toute valeur du rapport G , 𝑎, > 𝑎6 ⇒ 𝑘, > 𝑘6 .

Le choix de l’intensité capitalistique de chaque secteur en fonction du rapport des prix


relatif w/r des facteurs de production

Secteur 1(à intensité Secteur 2 (à intensité


K capitalistique élevée) K capitalistique moins forte
que dans le secteur 1)
La droite en vert a un coefficient
directeur indiquant l’intensité
capitalistique K/L de chaque
secteur

Isoquante
Isoquant
e
Droite de pente L Droite de pente L
w/r w/r

N. B. : la pente w/r de la droite des prix relatifs des facteurs de production est naturellement la
même dans les deux secteurs.

Par ailleurs, le prix relatif des facteurs w/r traduit le degré de rareté respective du capital et du travail.
Ce prix est faible dans un pays dont la dotation en travail est abondante et inversement. De plus, on
suppose cette intensité factorielle irréversible. On peut donc écrire, en désignant par un astérisque
le pays étranger :

𝑤 𝑤∗ 𝐾 𝐾∗
> ∗ ⟺ > ∗
𝑟 𝑟 𝐿 𝐿

Pour un système donné de prix relatifs des facteurs, le pays a intérêt à se spécialiser dans la
production la plus intensive dans le facteur de production le plus abondant au sein de l’économie.
Sur cette base, nous allons définir en premier lieu l’équilibre autarcique indispensable à la mise
en évidence ultérieure des gains de l’échange international. Pour construire cet équilibre, nous
aurons besoin de la notion de frontière des possibilités de production qui va être présentée dans la
prochaine sous-section.

2 La construction de la frontière des possibilités de production

Dans la théorie néoclassique, on suppose que la réallocation des facteurs d’une branche à l’autre
en vue d’une spécialisation comporte des coûts d’opportunité croissants. La frontière des
possibilités de production (FPP) est l’outil qui permet de traduire ce phénomène. La FPP (ou
frontière de transformation) montre la quantité maximale d’un bien que l’on peut produire étant
données les quantités fabriquées des autres biens.
Commençons par décrire la méthode algébrique de construction de la FPP.
On construit la courbe des possibilités de production à partir de la fonction de production Xi =
F(Ki, Li) ; i =1,2. Il faut alors résoudre le programme :
47

Max F(K2, L2) s. c.


X1 = F(K1, L1)
K = K1 + K2
L = L1 + L2

On forme le Lagrangien associé à ce programme :

L(K1, K2, L1,L2) = F(K2, L2) + l1 F(K1, L1) + l2 (K - K1 - K2) + l3(L - L1 - L2)

A l’optimum, on a donc :

(1) L’K1 = l1F’K1 = l2


𝐹′𝐾1 𝐹′𝐾2 𝜆2
(2) L’K2 = F’K2 = l2 (4 équations qui impliquent : (5) = = )
𝐹′𝐿1 𝐹′𝐿2 𝜆3
(3) L’L1 = l1F’L1 = l3
(4) L’L2 = F’L2 = l3
(6) K - K1 - K2 = 0
(7) L - L1 - L2 = 0
(8) X1 = F(K1, L1)
(9) X2 = F(K2, L2)

Les équations (5) à (9) sont un système de cinq relations pour six inconnues : X1, X2, K1, K2, L1,
L2. Cela permet d’exprimer X2 en fonction de X1.
Le graphique ci-dessous, comparable à celui que l’on trouve au chapitre 4 de l’ouvrage de Paul
Krugman, Maurice Obstfeld et Marc Melitz48, illustre la construction géométrique de la frontière
des possibilités de production dans le cas d’une quantité donnée de capital dans chaque secteur. On
notera que le travail affecté à chaque branche est supposé pouvoir varier.

48
P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, op. cité, 12ème édition, 2022, page 59.
48
3

Figure 2 : La frontière des possibilités de production (FPP)

Construction de la frontière des X2


possibilités de production, pour
des valeurs données du capital
de chaque secteur

.% , )% )
%% = F(- #(%$ , %% ) = 0

L du secteur 2 X1
)$ + )%

)$ + )%

L du secteur 1
.$ , )$ )
%$ = F(-

Document 3 : L’optimum autarcique de production


Cette frontière des possibilités de production est de pente négative et concave, ce qui signifie que
le coût d’opportunité
Rappelons qu’il y adedeux
la production
secteurs. Lesupplémentaire d’un
travail de chaque bien est
activité croissant.
L est rémunéré au même
Si un pays est plus abondant en capital que l’autre, sa FPP
taux w et le capital K au taux r identique dans les deux secteurs. La fonction sera plus allongée sur
de production de l’axe des
abscisses puisque
chacun d’eux est : Xnous avons
i = F(K i, Li) supposé
; i =1,2. que le bien 1 (les automobiles) était plus intensif en capital
queDéfinissons
le bien 2 (vêtements).
la droite De plus, on supposera
d’isovaleur comme que le pays 1 est
l’ensemble desrelativement plus abondant
combinaisons de en
capital quedes
production le deux
paysbiens
2. Nous
(X1, Xconserverons
2) dont la valeurdésormais
globale est cette hypothèse
constante et égaledans lesestdeux
à Y (qui une chapitres
valeur du revenu global) :
suivants.
H5
On appelle taux marginal de transformation (TMT) le rapport − H5% . On voit que ce taux est
Y = p1X1 + p2X2. "
croissant dans la théorie néoclassique alors qu’il est constant dans les modèles ricardiens. Notons
enfin quedroite
Cette l’équation
a pour de la frontière
pente l’opposé dudesrapport
possibilités
des prixde(c’est-à-dire
production- sera notée dans ce qui suit sous
p1/p2).
forme implicite,
L’optimum soit : G(X
autarcique de1,X 2) = 0.
production est la situation dans laquelle la valeur de la production
estNaturellement,
maximisée compte tenu desuivante
l’égalité la contrainte des possibilités
est toujours de production.
respectée, Il est
puisque la FPPdonc solution toutes les
regroupe
du programme :
combinaisons de productions qui utilise les mêmes quantités de facteurs de production :
Maximiser = p1X1 + p2X2 sous la contrainte8:&
%" -$$
G(X1, X2) = 0 & = − .
88$ -$"
49

3 L’optimum autarcique de production

Rappelons qu’il y a deux secteurs. Le travail de chaque activité L est rémunéré au même taux w
et le capital K au taux r identique dans les deux secteurs. La fonction de production de chacun d’eux
est : Xi = F(Ki, Li) ; i =1,2.
Définissons la droite d’isovaleur comme l’ensemble des combinaisons de production des deux
biens (X1, X2) dont la valeur globale est constante et égale à Y (qui est une valeur du revenu global) :

Y = p1X1 + p2X2.

Cette droite a pour pente l’opposé du rapport des prix (c’est-à-dire - p1/p2).
L’optimum autarcique de production est la situation dans laquelle la valeur de la production est
maximisée compte tenu de la contrainte des possibilités de production. Il est donc solution du
programme :

Maximiser = p1X1 + p2X2 sous la contrainte :


G(X1, X2) = 0

Le Lagrangien s’écrit L(X1, X2) = = p1X1 + p2X2 + lG(X1, X2)

À l’optimum :

L’X1 = 0, soit : p1 = - lG’X1


L’X2 = 0, soit : p2 =- lG’X2

On constate donc qu’à l’optimum, comme nous l’avons déjà établi ci-dessus à partir du
programme de recherche du profit maximal, le rapport des prix est égal au taux marginal de
transformation :

&
'" 8%" -$$
= & = − .
'$ 8%$ -$"

On voit sur le graphique qu’à l’optimum de production, la droite d’isovaleur définie ci-dessus
est tangente à la FPP. En effet, au point E, la valeur de la production globale est la plus élevée
possible compte tenu des possibilités de production indiquées par la frontière du même nom.
Les coordonnées du point E indiquent les productions respectives des deux biens en fonction du
rapport de leurs prix.
50

X2

Droite d’isovaleur Y = p1X1 + p2X2

Pente au point E = -1/P


E

X1

4 Équilibre général en autarcie

Le pays cherche à maximiser sa fonction d’utilité collective U(X1,X2) sous la contrainte des
possibilités de production G(X1,X2) = 0.
Le lagrangien s’écrit donc : L(X1,X2) = U(X1,X2) + l G(X1,X2).

À l’optimum, on a :

L’X1 = U’X1 + lG’X1 = 0


# #
!!" "!" #$$
L’X2 = U’X2 + lG’X2 = 0, ce qui implique que # = # = −
!!$ "!$ #$"
L’l = G(X1,X2) = 0

À l’optimum, les taux marginaux de substitution et de transformation sont donc égaux. L’égalité
# #
!!" "!"
# = # ainsi que la contrainte G(X1,X2) = 0 permettent de calculer les productions des biens
!!$ "!$
1 et 2.
#
!!" %"
De plus, on sait qu’à l’optimum de consommation, # = .
!!$ %$
%"
On en déduit donc le système de prix d’équilibre .
%$
51

Equilibre général en autarcie

Courbe d’indifférence
X2

X1

II L’ouverture à l’échange

Nous supposerons que le système de préférence collectives et le niveau du revenu global sont les
mêmes dans les deux pays. Nous commencerons par étudier les systèmes de prix relatifs avant
l’échange dans les deux pays.

1 Les différences initiales de systèmes de prix relatifs

Ces deux pays ont des systèmes de prix différents dès lors que leurs dotations factorielles ne sont
pas les mêmes. Ainsi, le prix relatif du bien 1 (automobiles) sera plus faible dans le pays 1 riche en
capital puisque ce bien est par hypothèse intensif en capital. On peut donc écrire qu’avant la mise
en œuvre de l’échange international : P > P*.
52

Bien 2

- 1/P*

- 1/P

Bien 1

Prix relatifs avant ouverture à l’échange

Si les pays ouvrent leurs frontières, les consommateurs des deux pays vont se procurer le bien 1
dans l’économie domestique où il est moins cher en raison de l’abondance de capital dans ce pays.
Symétriquement, les consommateurs des deux pays achèteront le bien 2 à l’étranger. On assiste
alors à une hausse du prix du bien 1 dans le premier pays et à une augmentation du prix du bien 2
dans le second. Le système de prix international sera donc désormais tel que P > 𝑃U > P*.
53

Bien 2

Droite des
prix
internationau
x de pente –

Bien 1

Le pays 1 va se spécialiser dans la production du bien 1 en ce sens qu’il produira pour lui-même
et pour l’exportation. Mais sa spécialisation ne sera en général que partielle en raison de l’existence
de coûts croissants de transformation. Pour des raisons symétriques, le pays 2 se spécialisera dans
la production de bien 2.
Le théorème d’Heckscher-Ohlin est donc le suivant : Sous les hypothèses adoptées au début du
chapitre, chaque pays exporte le bien utilisant de façon intensive le facteur dont il est relativement
bien doté.
Ce théorème est illustré par le diagramme d’Harrod-Johnson.

2 Le diagramme d’Harrod-Johnson

Ce diagramme49 permet de vérifier la correspondance entre la spécialisation internationale et


l’intensité factorielle. Il permet aussi de relier le prix relatif des biens au prix relatif des facteurs et
à l’intensité capitalistique k choisie par chaque secteur. Sa partie gauche est une relation entre P et
le rapport des prix de facteurs w/r. Sa partie droite illustre le lien existant entre l’intensité factorielle
k et le rapport w/r.
On reprend les hypothèses précédentes : l’économie domestique est mieux dotée en capital et la
branche 1 est intensive dans l’utilisation de ce facteur. Dans ces conditions, quelle que soit la valeur

49
On reprend ici la présentation de Jean-Louis Mucchielli, Principes d’économie internationale, Economica, 1987,
page 146.
54

de w/r, l’intensité capitalistique est plus forte dans le secteur 1 que dans le secteur 2 ; c’est ce
qu’illustre la partie droite du graphique : pour une même valeur de w/r, la valeur de k est plus grande
dans la branche automobile que dans la branche textile. Il existe donc une relation croissante entre
k et w/r.
Il existe également une relation croissante entre P et w/r. Cette relation est illustrée par la partie
gauche du graphique. Plus, P (= p2/p1) est élevé, plus il est profitable de produire du bien 2 (optimum
de production). Mais ce bien est intensif en travail ; le prix de ce dernier s’accroît donc avec la
production du bien 2. Inversement, une hausse du prix relatif des automobiles provoque une
augmentation de leur production et de la demande de capital. Il en résulte une diminution du rapport
w/r. En résumé la relation entre le prix relatif du bien 2 et le prix relatif du travail est croissante.
C’est ce que représente la partie gauche du graphique.

w/r

Secteur 2

𝑤 Secteur 1
W X
𝑟 -

𝑤
\
^ _
𝑟̅

P k

P0 → 𝑃U o 𝑘U6 𝑘U, 𝑘6- 𝑘,-

Le diagramme se lit de gauche à droite. Le prix du bien 1 s’accroît. Le prix relatif P baisse donc
(P = p2/p1). Le graphique montre que le bien 1 dans lequel l’économie domestique se spécialise a
une intensité capitalistique k1 ( = K1/L1) supérieure à celle du bien 2. Or, l’économie domestique
bénéficie d’une relative abondance de capital. P0 est le prix relatif des biens en autarcie et le prix
relatif après échange. À l’étranger, le prix relatif P* du bien 2 est plus faible que dans l’économie
domestique, ce qui entraine en autarcie un prix relatif du travail w/r également inférieur à ce qu’il
est dans l’économie domestique. On voit que l’économie étrangère se spécialise dans la production
du bien 2 intensif en travail.
55

3 Équilibre après ouverture des échanges dans le modèle Heckscher-Ohlin

On considère que le capital et le travail sont immobiles internationalement mais parfaitement


mobiles d’un secteur à l’autre dans chaque pays. L’environnement est concurrentiel. Les prix
internationaux des biens sont respectivement notés 𝑝̅, et 𝑝̅6 . On a aussi :
%$ %$∗
P > 𝑃 > P* avec P = , 𝑃 = 8̅ et P* = ∗
8̅%
U U
%" " %"
Comme dans la théorie ricardienne, les échanges internationaux permettent d’atteindre des
niveaux de satisfaction plus élevés grâce à la spécialisation partielle de chaque pays dans la
production où il est le plus efficient. L’optimum en économie ouverte est décomposable entre un
optimum de production et un optimum de consommation, comme le montrent les figures ci-dessous.
On voit aussi que, sauf cas particulier, la spécialisation n’est que partielle.

X2 Équilibre de l’économie domestique


en économie ouverte

Droite des prix internationaux de pente -


1/𝑃U

B (optimum de
consommation)
E U1
U0 Droite des prix en autarcie
Importation
s de pente -1/P0

A (optimum de production)

Exportations X1
o

E : équilibre en autarcie dans l’économie domestique


A : Optimum de production en situation d’échange
B : Optimum de consommation en situation d’échange

L’équilibre en économie ouverte de l’économie étrangère peut être représentée comme ci-
dessous avec :
E’ : équilibre en autarcie à l’étranger
A’ : Optimum de production en situation d’échange à l’étranger
B’ : Optimum de consommation en situation d’échange à l’étranger.
56

X2* Équilibre de l’économie étrangère en


économie ouverte

Droite des prix en autarcie de


A’ pente – 1/P*

U’1
Exportations

E’
B’

Droite des prix internationaux de


pente – 1/𝑃U

U’0 X*1
o
Importation
s
La détermination algébrique de l’optimum en économie ouverte est la suivante. Le pays cherche
à maximiser sa fonction d’utilité collective U(C1,C2) sous la contrainte des possibilités de production
G(X1,X2) = 0. Mais, à la contrainte technologique qui subsiste, il faut ajouter celle de balance
commerciale qui s’écrit ainsi :
𝑝̅, (𝑋, − 𝐶, ) + 𝑝̅6 (𝑋6 − 𝐶6 ) = 0, 𝑠𝑜𝑖𝑡 𝑝̅, 𝑋, + 𝑝̅6 𝑋6 = 𝑝̅, 𝐶, + 𝑝̅6 𝐶6 .
Cette contrainte traduit la nécessité d’équilibrer les échanges en valeur.
Le lagrangien associé au programme à résoudre est donc : L(X1, X2, C1, C2) = U(C1,C2) +
l1(𝑝̅, 𝑋, + 𝑝̅6 𝑋6 − 𝑝̅, 𝐶, − 𝑝̅6 𝐶6 ) + l2G(X1,X2). À l’optimum, on a à présent :
7
L’C1 = 0 ⇒ 𝑈<, − 𝜆, 𝑝̅, = 0
7
L’C2 = 0 ⇒ 𝑈<6 − 𝜆, 𝑝̅6 = 0
7
L’X1 = 0 ⇒ 𝜆, 𝑝̅, + 𝜆6 𝐺5, =0
7
L’X2 = 0 ⇒ 𝜆, 𝑝̅6 + 𝜆6 𝐺56 = 0
L’l1 = 0 ⇒ 𝑝̅, 𝑋, + 𝑝̅6 𝑋6 − 𝑝̅, 𝐶, − 𝑝̅6 𝐶6 = 0
L’l2 = 0 ⇒ G(X1,X2) = 0.

On déduit alors des quatre premières relations que :

# #
!&" "!" %̅" '
# = # = = ).
!&$ "!$ %̅$ (

À l’équilibre, les taux marginaux de substitution et de transformation sont égaux au rapport des
prix internationaux (voir graphiques).
57

# #
!&" "!" %̅"
La double égalité # = # = ainsi que l’équation de balance commerciale et la
!&$ "!$ %̅$
contrainte des possibilités de production déterminent X1, X2, C1, C2 en fonction de 𝑃U qui est lui même
déterminé par la confrontation des offres et demandes relatives globales.

4 La détermination des prix internationaux

On considère deux économies identiques sauf en ce qui concerne les dotations en facteurs de
production. L’abondance relative de l’économie domestique en capital est supposée comme
précédemment supérieure à celle de l’autre économie mieux dotée en travail. L’économie
domestique exporte donc le bien 1 (les automobiles) et l’économie étrangère le bien 2 (les

vêtements). Les exportations d’automobiles sont une fonction croissante du rapport 8̅" des prix
%
internationaux car c’est ce rapport qui détermine la production relative de chaque bien par tangence
de la droite des prix internationaux avec la frontière des possibilités de production.
La détermination internationale des prix est représentée sur le graphique ci-dessous.
Notons qu’on peut également déterminer les prix internationaux en partant du fait que les
exportations du pays 1 (respectivement du pays 2) doivent être égales aux importations du pays 2
(resp. du pays 1) :

X1 – C1 = C1* – X1* ou X2 – C2 = C2* - X2*

Offre relative
Demande de bien 1
relative
de bien 1

𝑝
UUU,
𝑝
UUU6

𝑋, + 𝑋,∗
𝑋6 + 𝑋6∗

III Les vérifications empiriques du modèle néoclassique

1 Le paradoxe de Leontief

Commençons par détailler les conditions de mise en évidence de ce paradoxe, avant d'évoquer
un certain nombre de critiques et d'éléments explicatifs.
Les travaux statistiques conduits par Wassily Léontief (1905-1999) vont lui permettre de
découvrir que les USA exportaient des biens intensifs en travail et importaient des produits intensifs
en capital bien que leur dotation factorielle fût a priori constituée de beaucoup de capital et de peu
de travail...
58

Le contenu factoriel des exportations et la méthode input-output


Auteur Modèle
Wassily Leontief (1905-1999) était Leontief a mis au point la méthode input-output qui
un économiste américain d’origine permet sur la base de tableaux d’échanges sectoriels de
russe. Professeur à l’Université calculer les contenus en facteurs de production d’une
d’Harvard, il a reçu le prix Nobel unité de demande finale ou d’exportation d’un bien.
d’économie en 1973.

On considère une économie comprenant N branches où les rendements d’échelle sont constants.
Soit A la matrice carrée de dimension (N, N) des consommations intermédiaires. Chaque coefficient
aij de cette matrice indique la quantité du bien i nécessaire à la production d’une unité du bien j. Les
coefficients aij sont fixes. On note X le vecteur de dimension (N, 1) des productions des différentes
branches. On note D le vecteur (N, 1) de la demande finale.
Il y a deux facteurs de production : le travail et le capital. Le vecteur l de dimension (N, 1)
comprend les coefficients techniques li d’emploi. Ces coefficients indiquent la quantité de travail
nécessaire à la production d’une unité du bien i. On définit de même un vecteur k des coefficients
techniques de capital.
L’équilibre emplois-ressources des secteurs s’écrit ainsi en termes matriciels :
X = AX + D, soit X = [I – A ] -1D.
Si l’on désigne par x le vecteur de dimension (N, 1) de la répartition par branche d’un million de
dollars d’exportations, la quantité totale Lx de travail total incluse dans un million d’exportations est
donc :
Lx = l’[I – A ] -1x
De même, la quantité totale Kx de capital incluse dans un million d’exportations est :
Kx = k’[I – A ] -1x
On définit de même le vecteur m de dimension (N, 1) de la répartition par branche d’un million
de dollars d’importations. La quantité totale Lm de travail total incluse dans un million
d’importations est alors :
Lm = l’[I – A ] -1m
La quantité totale Km de capital incluse dans un million d’importations est :
Kx = k’[I – A ] -1m
Exemple :
0,1 0,4 0,3 0,5 0,1 0,2 0,5
𝐴 = r0,2 0,1 0,1s, 𝑥 = r0,4s , 𝑚 = r0,5s , 𝑙 = r0,4s et 𝑘 = r0,1s
0,3 0,2 0,2 0,1 0,4 0,1 0,3
0,9 −0,4 −0,3 1,518 0,824 0,672
On a alors : [𝐼 − 𝐴] = r−0,2 0,9 −0,1s et [𝐼 − 𝐴]+, = r0,412 1,367 0,325s
−0,3 −0,2 0,8 0,672 0,651 1,583
1,156 0,833
[𝐼 − 𝐴]+, 𝑥 = r0,785s et [𝐼 − 𝐴]+, 𝑚 = r0,855s
0,755 1,026
-1 -1
Lx = l’[I – A ] x = 0,621 et Kx = k’[I – A ] x = 0,883
Lm = l’[I – A ]-1m = 0,611 et Km = k’[I – A ] -1m = 0,810
F F
On en déduit que : 4 ) = 1,422 et 4 * = 1,325.
) *
59

En 1953, Leontief trouva paradoxalement un rapport K/L de 13,991 pour les exportations
américaines de 1947 et de 18,184 pour les importations50.
Affinant ce résultat général en réalisant une étude sectorielle, il constate que plus le rapport
capital/travail diminue, plus le poids relatif des exportations s'accroît.
Notons que ces résultats seront confirmés en 1971 par l’étude de Robert Baldwin.

Contenu factoriel des exportations et importations américaines en 1962

Importations Exportations
Capital par million de 2 132 000 1 876 000
dollars
Travail (hommes/année) par 119 131
million de dollars
K/L (dollars) 18 000 14 200
Nombre d’années 9,9 10,1
d’éducation par travailleur
Proportion de travail qualifié 0,0189 0,0255
(ingénieurs et scientifiques)
Source : Robert Baldwin, American Economic Review, mars 1971, volume 61, tableau 1 de la
page 134

Le paradoxe de Léontief se manifeste donc à la fois sur le plan global et sur le plan sectoriel : les
États-Unis exportent des biens exigeant moins de capital et plus de travail que n'en demandent les
produits américains concurrencés par les importations. Il s'agit bien d'un résultat opposé à celui
attendu compte tenu des hypothèses faites sur la dotation factorielle américaine et sur la validité du
modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson.
Devant une telle situation il fallait :
- soit rejeter le modèle néo-classique de la dotation factorielle ;
- soit admettre que la dotation factorielle des E.U. ne correspondait pas à l'intuition ;
- soit remettre en cause la méthode de calcul utilisée par Wassily Léontief.
Avant de procéder à une telle révision, soulignons que l'auteur lui-même a proposé une
explication susceptible de réconcilier les différents points de vue.
Certes, l'ouvrier américain dispose de plus de capital par travailleur que son homologue étranger
reconnaît-il ; mais la confusion viendrait de l'hypothèse de parité technologique consistant à
considérer les productivités identiques pour une combinaison productive donnée. En fait, Léontief
établit que pour un même apport de capital, le travailleur américain est, à l'époque où il écrit, environ
trois fois plus productif que le travailleur étranger. Dans ces conditions, c'est trois fois plus de
travailleurs américains qu'il faudrait comptabiliser et les E.U. se trouveraient largement dotés en ce
facteur ; le théorème d'Hecksher-Ohlin serait donc respecté. Quant à la productivité élevée du
travailleur américain, elle s'expliquerait par l'efficacité de la fonction d'entreprise, l'organisation
rationnelle du travail et un climat favorable...
Bien qu'elle ait suscité un certain nombre de réserves et de critiques d'ordre statistique autant que
méthodologique, cette solution est à l'origine des théories néo-factorielles de l'échange.
Dans la mesure en effet où d'autres travaux, bénéficiant des progrès en matière de disponibilité
statistique, faisaient apparaître d'autres cas de paradoxes, il convenait au minimum de considérer la
théorie d'Heckscher-Ohlin-Samuelson comme trop globale.

50W. Leontief, « Domestic Production and Foreign Trade : The American Capital Position Re-Examined »,
Proceedings of the American Philosophical Society, vol. 97, 1953.
60

La première idée qui va émerger pour améliorer l'explication sera de qualifier différentes variétés
de facteur. C'est ainsi que la production de certains produits exige du travail simple, tandis que pour
d'autres il faut avoir recours à du travail qualifié ou même très qualifié. Ces différentes qualités de
travail n'étant pas facilement substituables, elles doivent être considérées comme des facteurs
spécifiques. L'affinement du modèle va donc consister à tenir compte des qualifications du travail
et des spécificités du capital.
Ce souci ne fait d'ailleurs que rejoindre une préoccupation présente chez de nombreux auteurs y
compris parmi les plus anciens, et qui avait été négligée pour, dans un premier temps, simplifier la
recherche. Désormais, on doit bien considérer que la qualité supérieure d'un travail conduit à le
traiter comme un facteur de production différent des autres types de travail, sans substitution
possible.
Telle est l'optique de l'approche néo-factorielle qui reste bien dans le cadre initial du modèle des
proportions de facteurs (en particulier, l'analyse demeure statique) et se différencie au contraire de
l'approche néo-technologique.
Ainsi, dans les années quatre-vingt-dix un économiste anglais (Adrian Wood51) a-t-il utilisé la
technique du contenu factoriel en distinguant deux facteurs de production : le travail qualifié et le
travail non qualifié. En revanche, dans l’optique de cette étude, le capital, considéré comme mobile
n’aurait pas d’influence sur les échanges internationaux. Les pays du Nord, riches en travail qualifié
devraient ainsi être importateurs de travail non qualifié.

Les résultats des calculs de Wood :

Source : A. Wood, « How Trade Hurt Unskilled Workers », Journal of Economic Perspectives, vol. 9, N°3, été
1995.

Les calculs de Wood montrèrent en effet que par rapport à une situation sans commerce avec les
pays en voie de développement, l’impact du commerce nord-sud fait baisser la quantité de travail

51
A. Wood, « How Trade Hurt Unskilled Workers », Journal of Economic Perspectives, vol. 9, N°3, été 1995, pp. 57-
80.
61

total de 10,8 % mais augmente de 0,3 % l’utilisation de travail qualifié tout en faisant diminuer de
21,5 % la demande de travail non qualifié. La technique de Wood est cependant fragile car elle
utilise les coefficients techniques du sud et néglige le fait que sans commerce international, les biens
intensifs en travail non qualifié seraient plus chers et moins demandés. Il faudrait aussi tenir compte
des différences de productivité entre travailleurs de même niveau de qualification au sud comme au
nord. Enfin, sans les échanges internationaux, les salaires du travail non qualifié seraient peut-être
plus élevés, ce qui pourrait provoquer une certaine substitution à la marge du travail qualifié au
travail non qualifié…
À partir du moment où les avantages comparatifs sont déterminés par les différences de dotations
de cinq ou six facteurs, le problème essentiel devient celui de la détermination de leur nombre
optimal. L'analyse est généralement centrée sur l'hétérogénéité du facteur travail, en prenant en
compte les diverses qualifications de celui-ci, requises dans des proportions variables par les
différentes activités productives. Quant aux dotations nationales, elles sont le fruit des
investissements passés, notamment dans le système éducatif. En tout état de cause, l’introduction
de la distinction entre le travail qualifié et le travail non qualifié permet de rendre les exportations
américaines plus intensives en personnel qualifié et en savoir technologique que les importations de
ce pays. Les études récentes ont ainsi permis de constater la disparition du paradoxe de Leontief
autour des années soixante-dix52. La technique de calcul de Leontief avait d’ailleurs été très
critiquée dans les années quatre-vingt car elle aurait dû partir des exportations nettes et non des
exportations et importations prises séparément. De plus, cette technique a négligé l’impact de la
balance commerciale sur le calcul des contenus factoriels53. Enfin, le contenu en capital des
exportations américaines aurait été sous-évalué. En effet, les calculs de Leontief n’intègrent pas le
capital non productif comme les infrastructures de transport ou les écoles…54
En conclusion de cette présentation des conséquences, pour le commerce international, des
différences de dotations, nous pouvons considérer que si le modèle fondé sur les analyses
d'Heckscher, Ohlin et Samuelson a effectivement permis de faire progresser la connaissance, ne
serait-ce qu'en suscitant de nombreuses études empiriques, l'analyse reste insuffisante dans la
mesure où elle ne prend en compte ni le progrès technique, ni la croissance : elle ne serait valable
qu'entre économies parvenues au même stade de développement.
Nous en arrivons ainsi à reconnaître la nécessité de relativiser la théorie de la spécialisation : il
conviendrait de privilégier des explications différentes selon les cas.

2 Les tests récents de la théorie néoclassique du commerce international

La première chose à observer d’un point de vue empirique est l’extrême diversité de la dotation
factorielle des régions du monde. Le tableau ci-dessous issu d’un article de Peter Schott55 l’illustre
pour le début du XXIe siècle. On constate par exemple dans le tableau suivant tiré de cet article de
Peter Schott que la faible dotation de l’Asie, de la Chine et de l’Amérique latine en travail qualifié
et en capital par tête par rapport aux pays de l’OCDE. Le point de départ du modèle HOS est donc
pertinent.

52
P. Krugman et M.Obstfeld, Économie internationale, Paris, Pearson Éducation, 2006, pp. 72-73.
53 Sur ce dernier point, voir J. de Melo, J.-M. Grether, Commerce international, Paris-Bruxelles, De Boeck Université,
1997, pp. 218-219.
54
B. Guillochon, A. Kawecki, F. Peltrault, B. Venet, Économie internationale, 8e édition, Dunod, 2016, pp. 49-51.
55
P. Schott, « The Relative Sophistication of Chinese Exports », Economic Policy, 2008, pp. 5-49
5.1. Chinese market share and product penetration
62
16 Table 6 reports the US market share of Asia, Latin America, the PETER OECD K. and China
SCHOTT
in terms of import value (V ), by industry, for the first and laste years of the sample.
Les dotations factorielles au début du XXI siècle
The
Tablemarket region r in year
share ofendowments
1. Relative by tregion
and industry i is the sum of the regions’ exports
to the United States as a share of all countries exports to the United States,
Region No Primary Secondary Post-secondary Arable land Capital
MStri = 100 × ∑
schooling
Vtci ∑
attainment
V ,
(%) c tci (%)
attainment
(%)
attainment
(%)
per person
(hectares)
per capita
($)
(1)
c ∈r

Asia c indexes countries


where 32 and32c ∈ r captures27 the set of8 countries in region r. Recall
0.14 3339
Carribean 18 44 31 7
that the results for Asia exclude China and Japan and that market shares across 0.08 6212the
Latin America 18 49 20 13 0.25 5590
columns
OECD of Table 56 do not 34 sum to 100% 40 because all21US trading0.38 partners are 67688not
represented.
China 21 42 36 3 0.10 2274
The market shares displayed in Table 6 convey several messages. First, they
Notes: Cells report mean (columns 2 through 5) or median (column 6) values across all countries by region for
show thatis exports
which data from themeasures
available. Education world’saremost developed
for 1999 and are fromeconomies,
Barro and Lee proxied hereabundance
(2000). Land by the
data are for 2000 and are from the World Bank’s World Development Indicators database. Capital per
aggregate
population data OECD,
is for 1990dominate
and are from theNehru
US andmarket, though
Dhareshwar (1993).less
Per so over
capita time.
capital valuesWhile the
are adjusted
OECD accounted
for purchasing for 83%
power parity using of manufacturing
World imports
Bank PPP conversion in 1972,
factors; they arethis share infalls
expressed 1987todollars.
48% by
2005. Second, they reveal that China is the main contributor to Asia’s overall growth.
Source : P. Schott, « The Relative Sophistication of Chinese Exports », Economic Policy, 2008.
China’s share of manufacturing imports increases steadily from essentially 0% in
Table
1972
Si l’on to2.19%
commence Whereinpar China
2005, fits in
desdriven by other regions’
a relatively
constatations largerelative
statistiques gain endowments
in Miscellaneous
directes, la répartition Manufacturing
des importations
(which
américaines
Regionparincludes
régionsapparelNo and
montre toys).
quePrimary By comparison,
le modèle HOS est over
Secondary the same
une Post-
assez bonne interval, the remaining
explication
Arable land des échanges
Capital
Nord-Sud. On voit en effet sur le tableau ci-dessous (extrait
countries in Asia saw their market share increase from 10% to 16%.
schooling attainment attainment de
secondary l’articleper de Peter
person Schott
per cité plus
capita
haut) que les attainment (hectares) ($)
China’s 19 percentage point jump in market share dominates all other US trading forte
exportations des pays émergents et en développement sont corrélées à leur
dotation partners
en travailexcept
peu qualifié et à leur
for58Mexico, whosefaible dotation
market shareenrises
capital.
from
Asia 84 68 32 2 to 10%. 52 Table 7 reports27
Carribean 67 50 50 33 75 20
Latin Importations
America 68américaines
26 en valeur
89 : parts par5 régions en191972 et 2005
21
Table
OECD 6. US import95 value market
64 share41by region and
5 year 26 9

Notes: Cells report the percentile of each region’s distribution


China Asiathat would Latin
be occupied
Americaby China if OECD
it were part
of the region.
SITC1 industry See the notes to Table 1 for information on the source of each relative endowment variable.
Education measures are for 19991972 and are from
2005Barro1972and Lee 2005
(2000). Land abundance
1972 2005data are
1972for 2000 and
2005
are from the World Bank’s World Development Indicators database. Capital per population data is for 1990
and are from Nehru and Dhareshwar (1993).
5 Chemicals 0 4 2 6 6 6 85 76
6 Manufactured Materials 0 15 10 14 5 15 80 48
7 Machinery 0 17 5 17 2 15 93 50
8rather
Misc Manufacturing 0 of
than the mean because 36 29outliers
significant 20 (for Mexico
4 13 Uruguay
and 64 among
27
Overall
others) Manufacturing
in the dataset. 0 19 10 16 3 14 83 48
Though
Notes: China
Cells display as a whole
the market share ofiseach
extremely labor
region’s or abundant,
country’s exports toits
theprovinces varyexclude
US. Asia results substantially
China.
in: P.terms
SourceSource: of« calculations.
Author’s
Schott, their
The levelsSophistication
Relative of development. of ChineseThis internal
Exports heterogeneity
», Economic is noteworthy
Policy, 2008.
given the theoretical models discussed above. It implies that coastal Shanghai’s relative
Parmiskill-
les activités distinguées surmay
and capital-abundance ce tableau,
provide le secteur
it with theleresources
plus capitalistique
to produceest celui de la
a more
chimie, devant celui des machines (ordinateurs, générateurs, véhicules…), puis des produits
sophisticated range of goods than the much more labor-abundant inland province of
transformés (cuir, textiles, acier, papier…), puis des biens manufacturés divers (jouets, vêtements,
Guizhou.
chaussures, As discussed
équipements above, such an
scientifiques…). Or,outcome
les paysdepends on factor
de l’OCDE immobility:
exportent if labor
vers les États-Unis
beaucoup de produits chimiques (qui nécessitent beaucoup de capital) et beaucoup moinslike
were freely mobile in China, workers in provinces with relatively low wages de biens
Guizhou
manufacturés would
divers havepeu
qui sont an capitalistiques.
incentive to move to provinces
Inversement, les like
paysShanghai
émergentswhere wagesvers les
exportent
aresurtout
États-Unis higher.desThese
biensmovements would lead to convergence in factor prices, relative
peu capitalistiques.
Dans endowments
un article publié
and product mix. souvent cité dans la littérature spécialisée, John Romalis
en 2004 56
et très
a égalementThere
montré que le modèle
is, of course, ampleHeckscher-Ohlin
reason to believeexplique assez
that labor bien
is not les échanges
freely entre pays
mobile within
dont les dotations factorielles sont contrastées. On voit par exemple sur la figure ci-dessous tirée de
China. As documented in Bannister (2005), the Chinese government explicitly controls
ses travaux que les importations américaines en provenance du Bangladesh ont en 1998 une intensité
the ability of workers from the inland provinces to migrate and seek employment in

56
J. Romalis, « Factor Proportions and the Structure of Commodity Trade », American Economic Review, mars 2004.
63

en travail non qualifié (mesurée sur l’axe des abscisses) beaucoup plus importantes que les
importations américaines en provenance de l’Allemagne. Le Bangladesh exporte ainsi beaucoup de
textile, intensif en travail peu qualifié alors que l’Allemagne exporte beaucoup de biens industriels
comme les machines-outils intensifs en travail très qualifié. Ce résultat est dans la logique du modèle
HOS.

Théorème HOS et structure des importations américaines

Source : J. Romalis, « Factor Proportions and the Structure of Commodity Trade », American Economic Review,
mars 2004.

Abordons à présent les études fondées sur des modèles ou tests plus ou moins complexes. Le
principe fondamental de ces tests du modèle HOS est d’évaluer la thèse selon laquelle le commerce
international est un échange de services de facteurs de production. Si la théorie néoclassique de
l’échange est pertinente, un pays devrait exporter les services de facteurs dont la part excède celle
du pays dans le revenu mondial. Si un facteur est abondant dans un pays, il doit en effet représenter
une proportion supérieure dans sa répartition mondiale à celle de la taille économique de ce pays.
L’étude de référence dans ce domaine est celle de Harry Bowen, Edward Leamer et Leo Sveikauskas
(1987)57
Supposons qu’il existe F facteurs de production et N branches dans chaque pays de l’économie
mondiale. Appelons Ei le vecteur des dotations factorielles du pays i. Ce vecteur est de dimension
F,1. Chacun de ses éléments eki désigne la quantité du facteur de production k dont dispose le pays
i. Le vecteur E désigne de la même façon le vecteur des dotations factorielles au niveau mondial. Il
est donc tout simplement la somme de tous les Ei .Si l’on appelle Yi le PIB du pays i et Y le PIB

57 H. Bowen, E. Leamer, L. Sveikauskas, « Multicountry, Multifactor Tests of the Factor Abundance Theory »,
American Economic Review, vol. 77, décembre 1987, pp. 791-809. Voir aussi P. Krugman et M. Obstfeld, 2006,
op. cité, pp. 72-76.
64

mondial, un facteur est abondant dans un pays s’il représente au niveau global une part supérieure
à Yi /Y. En désignant par wi ce dernier rapport (corrigé du solde de la balance commerciale comme
on le verra ci-dessous), le vecteur (de dimension F,1) des abondances relatives des facteurs du pays
i est Ei – wiE.
On peut également définir une matrice A (de dimension F,N) des besoins directs et indirects en
chaque facteur. Chaque élément akj de cette matrice indique donc la quantité totale de facteur k
utilisée dans la production d’une unité finale de bien j.
Si Ti est le vecteur (de dimension N,1) des exportations nettes, on peut écrire que :
Ti = Xi – Ci
où Xi est le vecteur des productions totales du pays i et Ci le vecteur (de même dimension) des
consommations totales de ce pays. On suppose que les préférences sont les mêmes dans chaque pays
et homothétiques ; il en résulte que :
Ci = wi X.
Le vecteur (de dimension F,1) des utilisations nettes de facteurs pour le commerce extérieur du
pays i est ATi. Dans la théorie d’Heckscher-Ohlin, il y a plein emploi des facteurs de production, ce
qui implique :
Ei = AXi.
De ce qui précède il résulte que : ATi = A(Xi – Ci) = Ei - ACi = Ei –AXwi = Ei – Ewi.
La théorie néoclassique est donc empiriquement validée si l’égalité
ATi = Ei – Ewi
est vérifiée. Rappelons que dans cette formule, wi est la part du pays i corrigée du solde de la
balance commerciale58. La partie qui est à gauche du signe = est le contenu factoriel net du
commerce extérieur. Celle qui est à droite est la dotation factorielle relative.
Prenons un exemple. Supposons qu’il y ait deux facteurs de production (F = 2) et deux biens (N
= 2). La quantité totale disponible au niveau mondial de facteurs de production est la même pour
chacun de ces facteurs et est égale à 10. La part du pays i dans le PIB mondial est de 1% par
0,2 0,1 0,1 0,1 3,5
hypothèse. Nous posons alors : 𝐸! = W X, 𝐸&! = W X, A = W X et 𝑇! = W X.
0,05 0,1 0,2 0,3 −2,5
0,1 0,1
Nous pouvons ainsi calculer facilement que : ATi = W X et que Ei - Ewi = W X. Dans ce
−0,05 −0,05
6,5
cas, l’égalité ATi = Ei – Ewi est parfaitement respectée. Si nous avions eu au départ, 𝑇! = W X,
−6
0,05
ATi aurait été égal à W X de même signe que Ei – Ewi.
−0,5
Si le modèle néoclassique est pertinent, l’égalité ATi = Ei – Ewi doit être respectée. Les auteurs
ont testé cette égalité pour 27 pays et 12 facteurs.
Les résultats ont été décevants. Sur 324 (27x12) comparaisons possibles, entre les signes des
utilisations factorielles et ceux des dotations factorielles, seuls 61 % correspondent (alors qu’une
répartition au hasard aurait donné 50 % environ). De plus, la proportion des correspondances de
signes ne dépasse 50 % que pour 18 pays sur 27. De même, la proportion de classements corrects

58 Si l’on appelle Bi le solde de la balance commerciale du pays i et si l’on désigne par 𝑃( le vecteur (de dimension N,1)
des prix internationaux (𝑃(′ étant le vecteur transposé de 𝑃(), on peut aussi écrire (en désignant par A-1 l’inverse à gauche
de la matrice A) :
𝐵+ = 𝑃′ = 𝑇 = 𝑃′ = 𝐴,- (𝐸 − 𝐸𝑤 ) 𝑝𝑢𝑖𝑠𝑞𝑢𝑒 𝐴𝑇 = 𝐸 − 𝐸𝑤 .
+ + + + + +
Or, il est clair que 𝐴,- 𝐸+ = 𝑋+ 𝑑. 𝑎𝑝𝑟è𝑠(3)𝑒𝑡 𝐴,- 𝐸 = 𝑋 puisque le vecteur E est le vecteur des ressources mondiales
et que le vecteur X désigne la production mondiale. Comme le revenu global du pays i est 𝑌+ = 𝑃′ = 𝑋 et que le revenu
+
mondial Y est égal à 𝑃′ = 𝑋, 𝐵+ = 𝑃′
= 𝑇+ = 𝑃′ = 𝑋+ – 𝑃=. 𝑋𝑤+ = 𝑌+ − 𝑌𝑤+ , d’où 𝑤+ = / ! , 1 !
. Toutes ces démonstrations
/
s’inspirent de l’article de H. Bowen, E. Leamer, « Cross-Section Tests of the Heckscher-Ohlin Theorem : Comment »,
American Economic Review, vol.71, décembre 1981, pp. 1040-1043.
65

des facteurs (fondée sur la correspondance entre le classement des abondances sectorielles et celle
des intensités factorielles) est assez faible comme on le voit sur le tableau ci-dessous.

Tests de signes et de classements pour 12 facteurs de production de 27 pays

Facteurs de production Test de signe a) Test de classement b)


Capital 0,52 0,45
Travail 0,67 0,46
Techniciens 0,78 0,33
Cadres 0,22 0,34
Employés de bureau 0,59 0,48
Employés ventes 0,67 0,47
Employés services 0,67 0,44
Employés agricoles 0,63 0,47
Employés production 0,70 0,48
Terre 0,70 0,73
Pâturages 0,52 0,61
Forêt 0,70 0,65
a) Pourcentage des 27 pays pour lesquels les signes d’intensité factorielle nette correspondent au signe d’abondance
factorielle relative. b) Proportions de classements corrects des facteurs en fonction des abondances sectorielles et des
intensités factorielles
Source : Bowen, H., Leamer, E., Sveikauskas, L., 1987, op. cité, tableau 2, page 796. La colonne 2 du tableau
comprenant des coefficients de corrélation des rangs n’est pas reproduite.

D’autres tests de la théorie néoclassique ont été proposés en utilisant des régressions des soldes
de balance commerciales sur les intensités factorielles. En notant ei un vecteur d’erreurs aléatoires
se rapportant au pays i et en utilisant les notations déjà employées ci-dessus, il s’agit d’estimer des
relations du type : 𝑇! = 𝐴′𝛽! + 𝜀! . Dans cette expression, le vecteur bi est censé avoir le même
signe que le vecteur d’intensité factorielle ATi. Or, on peut montrer que grâce à la théorie élémentaire
des moindres carrés que cette hypothèse est fausse en toute rigueur59. Cependant, en pratique, ce
type de test donne une bonne approximation des intensités factorielles.
Daniel Trefler a émis en 1995 l’hypothèse que les résultats décevants des tests du modèle
néoclassique seraient dus à une mauvaise comptabilisation des dotations factorielles. Dans les pays
développés, certains facteurs comme le travail sont beaucoup plus productifs que dans les pays du
sud. L’hypothèse fondamentale de Daniel Trefler60 est donc que dans un pays du sud, un facteur de
production ne permet de produire qu’une proportion d de ce que le même facteur produirait aux
États-Unis. Il faudrait alors tester des relations du type :
𝐴𝑇! = 𝛿{ 𝐸! − 𝑤! 𝛿{ 𝐸
où les notations 𝛿{ désignent des matrices diagonales de coefficients d’efficacité technologique
par rapport aux États-Unis. En 1983, ce coefficient d aurait par exemple été de 0,03 pour le
Bangladesh, de 0,1 pour l’Indonésie, de 0,14 pour le Portugal, de 0,6 pour l’Italie, de 0,74 pour la

59 En effet, l’estimation de bi est égale à : (𝐴′𝐴),- 𝐴𝑇+ . Le signe estimé de bi n’est donc pas obligatoirement le même
que celui des éléments correspondants de ATi. Ce serait le cas si la matrice (A’A)-1 était diagonale, mais un tel cas
signifierait que chaque secteur n’utilise qu’un seul facteur. Sur ces points, voir H. Bowen, L. Sveikauskas, « Judging
Factor Abundance » Quarterly Journal of Economics, mai 1992, pp. 599-620.
60 D. Trefler, « The Case of the Missing Trade and Other Mysteries », American Economic Review, vol. 85, décembre
1995, pp. 1029-1046.
66

France et de 0,78 pour l’Allemagne. 9 facteurs et 33 pays sont étudiés. Dès lors, si une zone comme
l’Europe importe beaucoup moins de travail que ce que semble prédire la théorie, c’est parce
l’efficacité productive de son travail est très élevée par rapport au reste du monde. Il y a ainsi
statistiquement un « commerce international manquant » si l’on considère que le commerce mondial
est un échange de services de travail. Mais ce commerce manquant ne serait qu’une illusion dans la
mesure où les zones occidentales sont très bien dotées. Avec ces modifications, les corrélations
globales de signes passent alors de 0,5 à 0,72 et les tests de classement de 0,28 à 0,67.
Notons enfin qu’en 2001, Donald Davis et David Weinstein61 ont amélioré les résultats des tests
de pertinence du modèle néoclassique de l’échange international d’une part en utilisant de
meilleures estimations des matrices de coefficients techniques (prenant en compte les différents
niveaux de technologie), d’autre part en prenant en compte les différences de prix de facteurs et de
prix des biens (en raison des coûts de transport et des barrières commerciales) ainsi que l’existence
de biens non échangeables. Pour cela, ils ont fait des calculs complexes à partir de statistiques input-
output de l’OCDE pour une dizaine de pays et 34 branches ainsi que des données statistiques
partielles de vingt autres pays. Avec ces améliorations, le contenu mesuré en facteurs de production
du commerce international correspond à plus de 80 % à celui que peut prédire le modèle.

Amélioration (selon Davis et Weinstein) du modèle de Bowen, Leamer et Sveikauskas par


l’abandon de trois hypothèses initalement adoptées par ces auteurs

Hypothèses abandonnées
Aucune Hypothèse 1 Hypothèses 1 et Hypothèses 1, 2
2 et 3
Test de la 0,32 0,50 0,86 0,91
structure du
commerce
Test du volume 0,0005 0,008 0,19 0,69
du commerce
Hypothèse 1 : même technologie
Hypothèse 2 : tous les pays produisent les mêmes biens
Hypothèse 3 : tous les biens sont vendus au même prix
Test de la structure du commerce : taux de correspondance entre l’abondance relative en facteurs et le signe du
commerce net en service de facteur.
Test du volume du commerce :
Ratio entre le volume de commerce observé et le volume prédit par le modèle.
Source : P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Economie internationale, 12ème édition, 2022, page 115, tableau lui-
même construit à partir de l’article de D. Davis, D. Weinstein, « An Account of Global Factor Trade », American
Economic Review, vol. 91, n°5, décembre 2001.

61 D. Davis, D. Weinstein, « An Account of Global Factor Trade », American Economic Review, vol. 91, n°5, décembre
2001, pp. 1423-1453.
67

Chapitre 4

Dynamique des revenus et croissance dans le modèle néoclassique

On a vu au chapitre précédent que l’ouverture à l’échange modifiait le niveau de production de


chaque bien dans les deux pays considérés. Il en résulte une modification de la répartition des
revenus que nous étudierons dans la première partie.
Par ailleurs, les économies modernes sont en croissance. L’augmentation de la dotation
factorielle qui accompagne ce processus a forcément des conséquences sur les avantages
comparatifs et sur les spécialisations. La deuxième partie du chapitre est consacrée à ces questions.

I Répartition des revenus et commerce international

Le résultat analytique le plus connu dans ce domaine est le théorème de Stolper-Samuelson établi
en 1941 par ces deux économistes62.

Paul Samuelson et Wolfgang Stolper


Auteur Modèle
Paul Samuelson (1915-2009) est un Dans le seul domaine de l’économie internationale, il a
économiste américain, l’un des plus contribué à la formalisation rigoureuse du modèle
célèbres du XXe siècle. Ses travaux Heckscher-Ohlin.
ont porté sur presque tous les Le « théorème » qu’il a proposé avec Wolfgang Stolper
domaines de la science économique. analyse l’impact du commerce international sur les
Il fut professeur au MIT. Il a reçu le rémunérations des facteurs.
prix Nobel d’économie en 1970.
Wolfgang Stolper (1912-2002) était Il est à l’origine avec Samuelson d’une importante
un économiste américain d’origine contribution à la théorie du commerce international.
autrichienne. Il fut l’élève de Joseph
Schumpeter puis professeur à
l’Université du Michigan jusqu’en
1982.

1 Spécialisation internationale et évolution des prix de facteurs

Reprenons l’exemple de deux pays possédant la même technologie mais des dotations factorielles
différentes. Supposons que l’économie domestique soit relativement mieux dotée en capital. En
autarcie, le prix relatif du bien 1 intensif en capital est donc plus faible qu’à l’étranger où c’est le
travail qui est relativement abondant et le bien 2 bon marché. L’échange international est ainsi à
l’origine d’une spécialisation de l’économie domestique dans le bien 1 et de l’économie étrangère
dans le bien 2. Comme la production du bien 1 est intensive en capital, sa rémunération augmentera
par rapport à celle du travail. Dans le même temps, les salaires de l’économie domestique vont
diminuer en raison de la baisse de production du bien 2 et de la nécessité de préserver le plein emploi
du facteur travail. Cette baisse de salaire provoque une substitution du travail au capital qui accroît
la productivité marginale de ce dernier et permet la hausse de sa rémunération.

62 W. F. Stolper et P. A. Samuelson, « Protection and Real Wages », Review of Economic Studies, vol. 9, 1941, pp.
58-73.
68

À l’étranger, les salaires augmentent au contraire, sous l’effet de la croissance de la production


du bien 2 et la rémunération du capital diminue. Les deux auteurs résument ainsi leur proposition :
« Si l’on suppose (…) que le montant total des facteurs de production reste inchangé, il résulte
clairement du théorème d’Heckscher-Ohlin que l’introduction du commerce [international] doit
réduire la part relative du facteur de production rare dans le revenu national réel ou nominal ».
Ainsi, le prix du travail qui était élevé dans l’économie domestique aura tendance à y baisser
alors qu’il s’accroit à l’étranger. Le phénomène inverse se produit pour la rémunération du capital.
Si l’on pousse le processus à la limite de sa logique, on aboutit au théorème de Stolper-Samuelson
qui s’énonce de la façon suivante :
Si un pays n’est pas totalement spécialisé dans la production de l’un des deux biens, une
augmentation du prix relatif d’un produit provoque la hausse de la rémunération du facteur de
production intensif dans la fabrication de ce bien et la baisse de celle du facteur de production
utilisé dans de moindres proportions.
La figure suivante illustre le théorème de Stolper-Samuelson dans le cas de l’économie
domestique.
On reprend la partie gauche du diagramme d’Harrod-Johnson qui fait apparaître une relation
croissante entre le prix relatif P des vêtements et le prix relatif du facteur travail. A l’ouverture à
l’échange, le prix relatif des vêtements passe d’un niveau P0 à un niveau 𝑃U moins élevé. Il en résulte
que le prix relatif du travail diminue puisque ce facteur de production est moins demandé dans le
secteur exportateur 1 où l’on produit des automobiles. Le processus inverse se produira dans
l’économie étrangère où l’on observera un accroissement du salaire relatif.
69

Le théorème Stolper-Samuelson

w/r

(w/r)0

𝑤
\
𝑟̅

𝑃U P0 P

2 L’effet d’amplification

Supposons qu’à l’ouverture de l’échange, le prix relatif du bien 1 augmente de 10 %. Sa


production s’accroitra et provoquera une hausse de la rémunération du capital ainsi qu’une baisse
des salaires puisque la production du bien 2 sera partiellement remplacée par des importations.
Comme la concurrence règne sur les marchés, la rémunération du capital augmentera de plus de 10
% car le prix du bien qui est en hausse de 10 % est égal au coût de production unitaire composé des
seules dépenses en travail et capital. En d’autres termes, ce prix est une moyenne pondérée du coût
unitaire en travail et en capital63. Or, le prix du travail baisse. La hausse de 10 % du prix du bien
reflète donc la hausse du coût du capital et la baisse des salaires. C’est l’effet d’amplification
(Magnification effect). À l’étranger, on assiste au phénomène inverse. Le prix du bien 2 s’accroit de
même que le salaire w alors que la rémunération du capital r diminue.
Cet effet peut être démontré de la façon suivante.
Reprenons les notations des chapitres précédents. La fonction de production de chaque secteur
est homogène de degré 1. Écrivons la sous la forme (où l’on omet l’indice de branche pour alléger
les notations) : X = F(K, L). Grâce à l’homogénéité de degré 1 de la fonction de production, on peut
utiliser le théorème d’Euler pour affirmer que : X = F’LL + F’KK ⟹ p X = pF’LL + pF’KK. D’où :
p =wL/X + rK/X puisque w = pF’L et r = pF’K.
HJ
Désignons par un point au-dessus d’une variable x sa variation H* par rapport au temps.
&̇ Ġ 8̇ &̇ Ġ
On a alors : 𝑝̇ = 5
𝐿+ 5
𝐾, soit 8 = (1 − 𝑎) & + 𝑎 G
en désignant par a la part du capital et par
1 – a celle du travail. Dans ce qui suit, on notera par un accent circonflexe les variations relatives.
La relation qui montre que la variation du prix de vente est la moyenne pondérée des variations des

63
R. W. Jones, « The Structure of Simple General Equilibrium Models », Journal of Political Economy, vol. 73,
décembre 1965, pp. 557-572.
70

rémunérations de facteurs est donc : 𝑝̂ = (1 − 𝑎)𝑤 • + 𝑎𝑟̂ . Or, 𝑤


€< 0, ce qui implique que 𝑟̂ > 𝑝̂ . Par
exemple, si a = 0,33 et si 𝑝̂ = 10%, 𝑟̂ = 33% et 𝑤
€= -1,5 %.

3 Le théorème Stolper-Samuelson et le monde réel

Dans le monde contemporain, le théorème de Stolper-Samuelson est une explication possible des
pressions à la baisse ou de la stagnation de la rémunération du travail non qualifié des économies
les plus développées. Dans un article publié en janvier 2012 dans la revue L’économie politique,
Roger Guesnerie écrivait ainsi : « … la théorie la plus standard, celle qu’on associe aux noms de
Stolper mais aussi de Samuelson (…) nous dit que le commerce fait des gagnants et des perdants.
Elle suggère par exemple que, dan = s le commerce Nord-Sud, les perdants seraient les travailleurs
non qualifiés du Nord… » Le travail non qualifié est en effet le facteur de production relativement
abondant dans les économies en développement et émergentes, mais moins abondant dans les
économies de type occidental qui sont riches en travail qualifié. Dans les économies de l’OCDE, ce
dernier bénéficie donc du commerce international. C’est ce que semblent confirmer les données
empiriques ci-dessous pour les Etats-Unis. La croissance des importations américaines en
provenance des PED s’est accompagnée d’une augmentation importante du salaire des travailleurs
qualifiés par rapport à ceux des non qualifiés.

Part des PED dans les importations américaines et prime de


qualification aux Etats-Unis

2011

2007

2000

1989

1979

1973

0,00% 10,00% 20,00% 30,00% 40,00% 50,00% 60,00%

Prime de qualfication des salariés ayant fait des études supérieures


importations américaines en provenance des pays les moins développés

Source : graphique construit à partir des données de l’article de J. Bivens, « Using Standard Models to Benchmark
the Cost of Globalization for American Workers without a College Degree », Economic Policy Institute, 22 mars 2013.
71

Quoi qu’il en soit, dans un article de 1962, Samuelson explique que les perdants du commerce
substituting industrialization toward outward-looking policies; and of course China made a
international pourront être indemnisés si les gagnants du libre-échange sont taxés, ce que
l’augmentation du PIB rend possible. Mais il s’agit là de décisions politiques64.
dramatic shift from central les
Traditionnellement, planning to a market
économistes economy focused
considéraient on exports.
que l’impact des importations de biens
manufacturés en provenance des PED sur les salaires des travailleurs non qualifiés des économies
développées était limité. Cependant, si l’on prend en compte le phénomène de l’intégration
internationale et verticale de la production, on s’aperçoit que cet impact pourrait être non
négligeable conformément à ce que suggère le graphique ci-dessus et également le graphique ci-
dessous extrait d’unFigure
article1de Paul Krugman de 201865.

Developing country manufactures exports as


% of world GDP
6

0
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
2012
2014
2016

Source: World Bank

Les pays développés


Since manufactured exportsexportent en effet de
from developing nombreux
countries, biens intensifs
measured en of
as a share travail qualifié qui sont
the world
intégrés à d’autres biens exportés à leur tour par les PED et pays émergents après montage et
assemblage.
economy, are now Or ces biens
triple exportés
what par les
they were paysmid-1990s,
in the émergentsshould
à partirwe
de conclude
composants intensifs
that en travail
the effect
qualifié ont nécessité dans ces pays essentiellement l’intervention de travail non qualifié. Le
montagedistribution
on income et l’assemblage n’étant
has also pas réalisés
tripled? Probably dans lesfor
not, économies les reasons.
at least two plus riches, les importations de
ces derniers sont donc intensives en travail non qualifié, ce qui renforce l’effet Stolper-Samuelson.
Prenons l’exemple suivant emprunté à Paul Krugman dans un article de 200866. Supposons que le
bien fabriqué par l’économie (domestique) développée soit un composant intégré dans un second
temps à un bien Y qui nécessite outre le bien X un processus d’assemblage utilisant surtout du
First, a significant
travail part of
non qualifié. Onthe increase
aura in developing-country
par exemple exports dans
80 % de travail qualifié reflects the rapid
le bien growth
X et 20 % de travail
non qualifié alors que les pourcentages sont de 90 % de bien X dans la production de Y qui absorbe
of South-South trade, which is an important story but not relevant to the impacts on advanced-

country
64 workers. Even
P. Samuelson, « The more important,
Gains from however,
International the nature
Trade Once Again »,ofEconomic
this trade growth
Journal, vol.–72,
involving a
n° 288, 1962, pp.
820-829.
65
P. Krugman, « Globalization: What Did We Miss? », Mars 2018.
66
5 103-
P. Krugman, « Trade and Wages, Reconsidered », Brookings Papers on Economic Activity, Spring 2008, pp.
137.
72

par ailleurs 1 % de travail qualifié et 9 % de travail non qualifié. De plus, l’économie étrangère
exporte un bien Z à partir de 73 % de travail non qualifié et de 27 % de travail qualifié.

Part des différents inputs dans la production des trois biens


Inputs nécessaires Bien X Bien Y Bien Z
Bien X - 0,9 -
Travail qualifié 0,8 0,01 0,27
Travail non qualifié 0,2 0,09 0,73
Source : P. Krugman, « Trade and Wages, Reconsidered », Brookings Papers on Economic Activity, Spring 2008.

L’échange traditionnel peut alors être symbolisé par la partie supérieure du schéma ci-dessous
emprunté à l’article de Paul Krugman67. L économie la moins riche (notée « S » sur le schéma)
exportera surtout du travail non qualifié vers le pays riche (noté « N » sur le schéma) et ce
phénomène sera apparent car elle ne vendra à l’extérieur que le bien Z. Mais s’il y a intégration
verticale, les exportations vers le pays riche de l’économie en développement apparaîtront comme
des ventes de biens relativement intensifs en travail qualifié car elles comprendront une proportion
significative de bien Y et l’impact sur la rémunération du travail non qualifié de la zone développée
semblera alors faible… Tout cela plaide en faveur d’un effet Stolper-Samuelson non négligeable.
PAUL R. KRUGMAN 133
Échanges Nord-Sud avant et après intégration verticale
Figure 15. North-South Trade before and after Vertical Specialization

Before vertical
specialization

X After vertical
Y specialization

Source: Author's model described in (he lexi.

Source : P. Krugman, « Trade and Wages, Reconsidered », Brookings Papers on Economic Activity, Spring 2008.
to the developing country while the skilled labor-intensive portion remains
En revanche, dans
in the la littérature
developed country. récente, certains auteurs font valoir que les mécanismes
défavorables au travail
Figure non qualifié des illustrates
15 schematically pays développés
the pattern peut être au
of trade moins partiellement
associated with compensé
each case, with the length of the arrows indicating the value
par ce qu’ils nomment « effet de productivité » . De quoi s’agit-il ? Traditionnellement, le
68 of exports from
each country était
commerce international to the other. When X and
un échange de Ybiens.
must beMaisco-localed. North exports
aujourd’hui, grâce aux nouvelles
Y to South and imports Z. (Think of this as trading computers
technologies de communication et au développement des transports internationaux à moindre coût,for apparel.)
When it becomes
les échanges mondiaux portent de possible
plus en to plus
engagesur indesvertical
tâchesspecialization.
qui peuvent êtreNorthaccomplies dans des
exports X (for example, computer components) to South, and imports both
Z (apparel) and Y (assembled computers). I have drawn the figure to sug-
67 gest op.
P. Krugman, 2008, a large increase
cité, figure 15,inpage
the 133.
volume of trade. In the numerical example, the
68
G. M. Grossmanshare
et E.of
Rossi-Hansberg,
imports in North's « Trading
GDPTasks : A Simple
rises from Theory of
13.6 percent to Offshoring », The American Economic
53.5 percent.
Review, vol. 98, N°5,Indécembre 2008, pp. 1978-1997. L’expression Trading Tasks
a qualitative sense the change illustrated in figure 15 seems to resem-semble avoir été introduite par ces
auteurs. ble the actual change in North-South trade since the early 1990s, as doc-
umented in this paper. The share of developed country GDP spent on
imports from developing countries rises sharply, because components are
shipped to developing countries for assembly, and the assembled goods are
then exported back to the developed world. If X and Y continue to be clas-
sified as part of the same industry, however, factor content calculations
73

économies différentes afin d’obtenir le bien final. Ce dernier résulte en effet d’un continuum de
tâches qui peuvent être accomplies soit dans l’économie qui proposera le bien final soit à l’étranger.
Pour utiliser le vocabulaire des économistes anglo-saxons, on peut dire qu’un trade in tasks (ou task
trade) se substitue de plus en plus à un exchange of goods. Différentes économies apportent de la
valeur ajoutée tout au long d’une chaine de production globale. C’est ce que l’on nomme parfois en
France la DIPP (Division internationale des processus de production). La place des « parties et
composants » serait ainsi passée de 18,5 % du commerce mondial en 1992 à 22 % en 200369. Or,
lorsque des tâches sont délocalisées, la productivité du processus de production s’accroît. Il en
résulte une baisse de coûts de production qui bénéficient particulièrement aux activités intensives
en travail non qualifiées. La profitabilité de ces branches augmente ainsi dans la mesure où les gains
de productivité réalisés de cette manière ne sont pas intégralement répercutés sur les prix. Il en
résulte un accroissement de la demande de travail non qualifié qui va à l’encontre de l’effet Stolper-
Samuelson.

4 Le théorème d’égalisation des prix de facteurs

Revenons à la théorie de Stolper et Samuelson. Dans chaque pays on observe donc une
augmentation du prix du facteur utilisé intensivement par le bien exporté et à une baisse de la
rémunération de l’autre facteur. Comme les salaires étaient initialement plus élevés dans l’économie
domestique et la rémunération du capital plus élevée à l’étranger, la dynamique ainsi décrite est
celle d’un rapprochement des prix de facteurs.
Lorsque les prix des biens s’égalisent grâce à l’échange international, c’est-à-dire lorsque P et
P* tendent vers 𝑃U, les prix des facteurs tendent eux aussi à s’égaliser puisque les prix des biens sont
égaux aux coûts de production unitaires qui reflètent eux mêmes les prix de facteurs. On aboutit
ainsi au théorème d’égalisation des prix de facteurs (qualifié parfois de théorème d’Heckscher-
Ohlin-Samuelson) établi par Paul Samuelson en 194970 :
Si aucun des deux pays n’est entièrement spécialisé, le libre-échange entre eux provoque une
tendance à l’égalisation des prix de facteurs. Si les technologies sont identiques, cette égalisation
sera complète.

5 Démonstration géométrique

Cette démonstration repose sur l’utilisation du diagramme d’Harrod-Johnson présenté au


chapitre précédent.
Avant l’échange, les prix relatifs des biens étaient de P dans l’économie domestique et P* à
l’étranger avec P > P*. Grâce au commerce international, ces prix convergent vers un prix relatif
unique𝑃U. De façon plus précise, le prix relatif P diminue dans l’économie domestique, ce qui y
provoque la baisse du prix relatif du travail ainsi que des intensités capitalistiques. À l’étranger, le
prix relatif P* s’accroît ce qui fait augmenter le prix relatif du travail. Ce processus entraîne le fait
que :
& =
& & ∗ =
&
W G X → W G̅ X et W G X → W G̅ X .
-

À l’équilibre, les deux économies utilisent la même intensité factorielle dans chaque secteur.

69
Chiffre cité par Michel Rainelli dans son article, « La division internationale des processus de production au cœur de
la nouvelle géographie des échanges », Problèmes économiques Hors-série, N°6, septembre 2014.
70
P. A. Samuelson, « International Factor-Price Equalization Once Again », The Economic Journal, juin 1949, pp. 181-
197.
74

w/r

Secteur 2

𝑤 Secteur 1
W X
𝑟 -

𝑤
\
^ _
𝑟̅

𝑤∗
𝑟∗

P o UUU
𝑘6 UUU
𝑘,
𝑃U P*
0
6 La validité empirique du théorème d’égalisation des prix de facteurs

Ce théorème est-il confirmé par l’analyse empirique ? Il ne le semble pas. Les raisons de cette
faible pertinence empirique sont nombreuses :
- Les droits de douanes et les barrières au commerce international sont une première raison
évidente.
- Les coûts de transport sont souvent importants et empêchent l’égalisation des rémunérations
des facteurs de production.
- La technologie diffère d’un pays à l’autre. Le passage de la technologie à la production dépend
aussi de la qualité des inputs qui varie.
- La mobilité des facteurs de production d’une branche à l’autre est très imparfaite. Certains
(comme les terres agricoles) sont spécifiques.
- Dans certains secteurs, la spécialisation est complète.
- Dans les pays émergents, il est douteux que les salaires des travailleurs non qualifiés bénéficient
de l’échange international. Les gains de productivité se traduisent surtout par des baisses de prix.
- L’évolution des prix de facteurs dépend d’un changement du prix relatif des biens selon la
théorie qui vient d’être exposée. Or, il n’est guère évident que depuis 1970, les prix relatifs des biens
intensifs en travail qualifié aient fortement augmenté.
- Le commerce Nord-Sud ne représente qu’une faible part du commerce et des dépenses totales
des pays riches : les importations de produits manufacturés en provenance de pays non membres de
l’OCDE ne représentaient par exemple en 2016 que 4,5 % du PIB français et 4,5 % du PIB des
75

États-Unis71. Les contenus en facteurs de ces biens ne représentent qu’une faible proportion de
l’offre totale de travail et n’ont ainsi qu’un faible impact sur les marchés du travail des pays
développés.
- Dans le monde réel, la rigidité salariale est à l’origine de mécanismes bien différents du
théorème de Stolper Samuelson comme l’illustre le graphique ci-dessous. Dans la théorie de Stolper
et Samuelson, algébriquement, on peut affirmer que le prix international, le prix relatif du travail et
la combinaison productive k pour l’ensemble des deux pays sont tels que72 :

𝑃U = 𝑓(𝑘) avec 𝑓 7 (𝑘) > 0 (Heckscher-Ohlin) puis :


&=
UUU 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑔7 (𝑃U) > 0 (Stolper-Samuelson) avec au départ :
= 𝑔(𝑃)
G
k = K /L où K et L sont les dotations mondiales (c’est-à-dire pour les deux pays réunis)
en capital et travail.

Selon D. R. Davis, le fonctionnement du système est totalement inversé si les salaires sont
rigides dans l’un des pays (et flexibles dans l’autre) à un niveau w/rD exogène car du chômage
apparaîtra dans ce pays.
&=
En effet, l’équation 𝑃U = 𝑔+, W X déterminera alors un prix relatif international 𝑃… ≠ 𝑃U. De plus,
G
l’équation 𝑘L = 𝑓 +, e𝑃…f indiquera la combinaison productive et l’équation correspondant à la
partie basse du graphique, uD = L - K/kB, déterminera le niveau du chômage. Ce dernier n’existera
que dans l’économie où le prix relatif du travail est rigide. Dans l’autre économie, la flexibilité du
salaire permettra de préserver le plein emploi. Dans le cas néoclassique, le rapport des dotations
factorielles détermine au contraire le prix relatif international P (Heckscher-Ohlin) qui détermine à
son tour le prix relatif (supposé flexible) du travail. Il y a plein emploi et le schéma se lit dans le
sens Brecher (cadran du bas du graphique)73-Hecksher-Ohlin et Stolper-Samuelson (d’où les indices
« ss »). Dans le cas d’un salaire rigide ou minimum, le modèle « fonctionne à l’envers » : le prix
international résulte du salaire rigide ou minimum w/rD. Ce prix P détermine l’utilisation de
combinaisons kB plus capitalistiques (ou plus intensives en travail qualifié) que dans le cas qui
mènerait au plein emploi. Cette mécanisation forcée entraîne le chômage (uD sur le graphique).

71
P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Économie internationale, Pearson, 11éme édition, 2018, page 105.
72
D. R. Davis, « Does European Unemployment Prop up American Wages? », The American Economic Review, vol.
88, N° 3, juin 1998, pp. 478-494
73
R. A. Brecher, « Optimal Commercial Policy for a Minimum-Wage Economy », Journal of International Economics,
4, 1974, pp. 139-149.
76

La logique du théorème de Stolper-Samuelson et son fonctionnement inversé

w/r k

w/r w/rss 0 kss kB


D

uD

En économie ouverte, si l’on suit la logique de Davis, le prix relatif international P s’impose à
l’économie étrangère où le salaire est supposé flexible. Ce prix entraine une plus forte production
de vêtements et des salaires plus élevés que dans le cas où le prix international relatif des vêtements
aurait été plus faible. La production de vêtements est encore plus faible dans l’économie
domestique, ce qui y accroît le chômage… Pour Davis qui utilise un modèle où les seuls facteurs de
production sont le travail qualifié et le travail non qualifié, la rigidité salariale en Europe permet aux
salaires du travail non qualifié d’être plus élevés en Europe et aux États-Unis (où ils sont pourtant
flexibles) mais est cause de chômage dans la première zone.
Selon cet auteur, les mécanismes mis en avant par Stolper et Samuelson fonctionnent donc très
différemment du monde réel.
77

II Croissance et spécialisation internationale dans le modèle néoclassique

Commençons par étudier l’évolution de la production d’un pays en économie ouverte alors que
sa dotation factorielle dans l’un des facteurs augmente. C’est l’objet du théorème de Rybczynski du
nom de l’économiste anglais d’origine polonaise Tadeusz Rybczynski (1923-1998) qui a étudié le
premier cette question en 195574.

1 Le théorème de Rybczynski

Supposons que le prix international des deux biens reste inchangé alors que la quantité de capital
du pays domestique augmente sans modification du volume de la population active. Si les biens
continuent d’être échangés aux mêmes prix entre les deux pays et que les prix de facteurs ne varient
pas, les techniques de production utilisées resteront les mêmes.
Supposons par exemple que la quantité de capital s’accroisse de 10 % dans le pays domestique.
La production des deux biens ne peut augmenter à son tour de 10 % car la quantité de travail n’a
pas été modifiée. La production des deux biens ne peut pas non plus s’accroître de moins de 10 %
car une partie du capital serait inutilisée. La seule solution est un accroissement de la production de
bien 1 intensif en capital de plus de 10 %. Pour cela, il faut consentir une diminution de la production
de bien 2 intensif en travail pour pouvoir transférer une partie de ce facteur à la fabrication de l’autre
bien.
Comment expliquer ce résultat ? Si la quantité de capital s’accroît sans variation du volume de
travail disponible, le rapport global K/L augmente. La seule solution pour préserver le plein emploi
de chaque facteur sachant que la combinaison productive de chaque branche reste inchangée est
d’augmenter la taille relative du secteur le plus utilisateur de capital. En effet :
𝐾 𝐿, 𝐾, 𝐿6 𝐾6
= +
𝐿 𝐿 𝐿, 𝐿 𝐿6
Le théorème de Rybczynski s’énonce alors ainsi : À prix internationaux constants des produits,
l’augmentation du volume d’un facteur de production provoque un accroissement de la
production du bien qui l’utilise intensivement et une baisse de la production intensive dans l’autre
facteur.
On note également que dans notre exemple, la production du bien 1 s’accroit davantage en
pourcentage que la quantité de capital supplémentaire. En effet, la diminution de la production de
bien 2 provoque le transfert d’une partie du capital et du travail existants au profit de la fabrication
du bien 1.

74
T. M. Rybczynski, « Factor Endowments and Relative Commodity Prices », Economica, vol. XXII, N° 84, novembre
1955. Rybczynski devint banquier d’affaires, chez Lazard, après la publication de cet article.
78

X2

Droites des prix internationaux


U0

B B’
U1

A
A’ Droite de Rybczynski

X1

X10 X11
L’accroissement du capital déplace la courbe des possibilités de production vers la droite. Le
point A est l’ancien optimum de production et A’ le nouveau. Les points B et B’ sont les optima de
consommation associés.
Si le prix relatif des biens reste identique, le pays accroît la production du bien intensif en facteur
de production dont la quantité a augmenté (dans notre exemple, le capital). La production de l’autre
bien (ici : X2) diminue. Les productions associées aux variations du capital pour un système donné
de prix internationaux des biens sont indiquées par l’ensemble des points qui joignent A et A’ : c’est
la droite de Rybcynski. Comme les productions sont à rendements constants et que les intensités
factorielles sont fixes, les volumes produits sont proportionnels aux quantités de capital utilisées. Il
en résulte que les variations de production (l’une positive, l’autre négative) sont dans un rapport
fixe. Le théorème de Rybczynski est important car il indique une dynamique des coûts comparatifs.
Si, par exemple, le capital augmente plus vite en Chine que dans l’UE grâce à l’investissement
international et à son énorme effort en matière d’investissement, il n’est pas étonnant que la
production d’automobiles y augmente plus rapidement qu’ailleurs compte tenu de l’évolution de ses
avantages comparatifs au profit de biens plus intensifs en capital et en travail qualifié. En 2010, la
Chine a ainsi produit 18,2 millions de véhicules (dont 13,9 millions de voitures) sur un total mondial
de 77,6 millions75 ; grâce à elle, l’Asie a réalisé 51 % de la production mondiale de véhicules
(voitures, utilitaires et camions) contre 30 % au début du siècle… Aujourd’hui la Chine fabrique
beaucoup plus d’automobiles que l’Europe et les États-Unis. Plus précisément, en 2013, la Chine
restait le premier producteur mondial d’automobiles avec 18,7 millions de véhicules légers
fabriqués sur 82,5 millions dans le monde. Elle devançait les États-Unis (11 millions de véhicules)
et l’ensemble des pays européens (15,9 millions). En 2017, la Chine était de loin le premier
producteur mondial d’automobiles avec 23,5 millions de véhicules… Elle produisait trois fois plus
de ce type de bien que les États-Unis, quatrièmes du classement.

75
Les Échos du 5 avril 2011.
The market shares displayed in Table 6 convey several messages. First, they
show that exports from the world’s most developed economies, proxied here by the
aggregate OECD, dominate the US market, though less so over time. While the
OECD accounted for 83% of manufacturing imports in 1972, this share falls to 48% by 79
2005. Second, they reveal that China is the main contributor to Asia’s overall growth.
China’s share of manufacturing imports increases steadily from essentially 0% in
De même, le tableau suivant issu d’un article de Peter K. Schott76 révèle que les parts de marché
1972 to 19% in 2005, driven by a relatively large gain in Miscellaneous Manufacturing
de la Chine dans les importations de produits manufacturés des États-Unis sont passées de 0 % en
1972 (which
à 19 % includes apparel and toys). By comparison, over the same interval, the remaining
en 2005 ce qui dénote une évolution profonde de ses avantages comparatifs. Or, on
countries in Asia saw their market share increase from 10% to 16%.
peut interpréter cette évolution en l’attribuant à la très forte augmentation de la qualification
China’s 19 percentage point jump in market share dominates all other US trading
moyenne du travail chinois.
partners except for Mexico, whose market share rises from 2 to 10%. Table 7 reports
Tableau 4-1. Part de marché en valeur de 1972 à 2005 de différentes régions du monde dans les
Table 6. américaines
importations US import value market share by region and year

China Asia Latin America OECD


SITC1 industry
1972 2005 1972 2005 1972 2005 1972 2005

5 Chemicals 0 4 2 6 6 6 85 76
6 Manufactured Materials 0 15 10 14 5 15 80 48
7 Machinery 0 17 5 17 2 15 93 50
8 Misc Manufacturing 0 36 29 20 4 13 64 27
Overall Manufacturing 0 19 10 16 3 14 83 48

Notes: Cells display the market share of each region’s or country’s exports to the US. Asia results exclude China.
Source: Author’s calculations.

Source : Peter K. Schott, 2008.

De plus, la part des industries chinoises exportant vers les États-Unis est passée de 9 % à 85 %
de 1972 à 2005
Dans une autre étude souvent citée dans la littérature, John Romalis77 a montré que les quatre
économies du « miracle asiatique », Singapour, Taïwan, la Corée du Sud et Hong Kong, ont vu la
proportion de leurs exportations intensives en travail qualifié vers les États-Unis s’accroître très
sensiblement au cours de la période 1960-1998.
Il en va de même pour cinq autres pays non encore développés en 1960 : la Chine, l’Espagne,
l’Irlande, Israël et le Japon comme on le voit sur le graphique ci-dessus.
On constate sur le graphique joint que les dragons asiatiques, Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong
et Singapour avaient en 1960 des exportations vers les États-Unis très intensives en travail non
qualifié alors qu’en 1998 le contenu en travail qualifié de ce qu’ils vendaient à la première économie
du monde devenait beaucoup plus proche de ce que l’Europe et le Japon exportaient vers elle. Cela
s’explique par la forte augmentation de la qualification des salariés des quatre nouveaux pays
industrialisés. Une évolution assez comparable est observable pour le contenu en capital des
importations américaines en provenance de ces quatre pays émergents.
D’autre part, les résultats obtenus par Romalis sur 49 et 103 pays suggèrent que ceux qui
accumulent plus rapidement le capital que les autres développent les branches intensives en capital
et voient la part de ces secteurs s’accroître dans leurs exportations (et dans les importations
américaines).
Pour parvenir à ces résultats, Romalis a utilisé pour l’année 1992 une régression dans laquelle la
variable expliquée est la variation Dxij de la part du pays i dans les importations américaines de la
branche j. Les variables explicatives principales étaient la variation (notée Dskill) de l’abondance
en travail qualifié x l’abondance en travail qualifié zi, l’abondance en travail qualifié, l’abondance
en capital ki et la variation de l’abondance en capital x l’intensité en capital (notée Dcapital) :
Dxij = ai + (a1 + a2Dskill) zi + (a3 + a4Dcapital) ki + aléa
Les variables Dskill et Dcapital étaient mesurées sur la période 1972-1998.

76
P. K. Schott, « The Relative Sophistication of Chinese Exports », Economic Policy, Janvier 2008, pp. 6-50.
77
J. Romalis, « Factor Proportions and the Structure of Commodity Trade », The American Economic Review, vol. 94,
mars 2004, pp. 67-97.
80

Source : J. Romalis, « Factor Proportions and the Structure of Commodity Trade », The American Economic
Review, vol. 94, mars 2004.

2 Effet Rybczynski et boîte d’Edgeworth

On peut également démontrer le théorème de Rybczynski en utilisant un diagramme en boîte


d’Edgeworth.
La boîte d’Edgeworth est construite de la façon suivante.
On considère une économie produisant deux biens.
81

Commençons par étudier l’équilibre général de l’économie domestique. Dans chaque secteur, le
rapport k = K/L est déterminé par le prix relatif w/r des facteurs qui dépend lui-même, comme on
;8;;;
l’a vu avec le diagramme d’Harrod-Johnson, du prix relatif des biens 𝑃U (égal à ;8;;%;). La hauteur de la
"
figure ci-dessous correspond à la quantité totale de capital disponible.
La longueur de la boîte indique la quantité totale de travail disponible.
Chacun des facteurs est réparti entre les deux branches de l’économie : L = L1 + L2 et K = K1 + K2.

O2
L2 k2

K2
K1
E

Isoquantes (du secteur 1 en


bleu et du secteur 2 en rouge)

k1
L1
O1
Le bien 1 est intensif en capital et le bien 2 en travail. Il en résulte que k1 > k2.
Les quantités de travail et de capital utilisées par le secteur 1 se lisent à partir de l’origine
O1. Les quantités de travail et de capital utilisées par le secteur 2 se lisent à partir de l’origine O2.
L’équilibre est à l’intersection des deux droites indiquant l’intensité capitalistique ki de chaque
secteur (i = 1,2) ; il est caractérisé par deux propriétés :
- la quantité totale de travail et de capital disponible est employée ;
- les isoquantes des secteurs 1 et 2 sont tangentes et leur TMST est égal à w/r.
Supposons que la dotation en capital s’accroisse. La nouvelle origine pour la mesure des
utilisations de facteurs du secteur 2 est alors O’2. Conformément à l’effet Rybczynski, le nouvel
équilibre est caractérisé par une production accrue de bien 1 (intensif en capital) et une baisse du
volume produit de bien 2 (intensif en travail). La quantité de travail et de capital utilisée par le
secteur 1 augmente, passant respectivement de L10 à L11 et de K10 à K11. La quantité de travail et de
capital utilisée par le secteur 2 diminue, passant respectivement de L20 à L21 et de K20 à K21.
Ce nouvel équilibre E1 (en rouge) apparaît sur la figure ci-dessous :
82

L20 L21 O’2

k2

K11 E1 K21
DK

O2
k2

E0 K20

K10

k1
L10 L11

O1
83

3 Croissance appauvrissante dans le modèle de Bhagwati

La croissance augmente la capacité de production de l’économie soit par l’existence de gains de


productivité, soit par accroissement de la dotation factorielle. Les conséquences de la croissance sur
les échanges internationaux sont fonction du caractère plus ou moins biaisé de l’extension des
capacités de production. Si, par exemple, la croissance augmente davantage les capacités de
l’économie dans la branche qui produit le bien 1 (les automobiles), on parle d’une croissance biaisée
en faveur du produit 1.
Les biais sont dus à deux sortes de phénomènes :
- le progrès technique qui est inégal d’un secteur à l’autre ;
- l’effet Rybzcynski qui permet de comprendre que l’accroissement de la dotation factorielle
engendre une expansion inégale des capacités de production.
Si le pays qui connaît un accroissement de sa capacité de production est de petite taille, le prix
international du bien qu’il exporte ne varie pas et son bien-être s’accroît. Mais si la taille du pays
exportateur est suffisante par rapport au marché mondial pour avoir une influence sur le prix
international, ce dernier baissera car la courbe d’offre mondiale du bien considéré se déplacera
vers la droite.
Dans certains cas, l’augmentation des capacités de production d’un pays peut alors
paradoxalement faire baisser son revenu réel. C’est le phénomène de croissance appauvrissante mis
en évidence par Jagdish Bhagwati en 195878. À l’origine d’un tel phénomène se trouve la question
des termes de l’échange, c’est-à-dire le rapport entre le prix des biens exportés et ceux des biens
importés. Le raisonnement de Bhagwati partait de l’hypothèse du déplacement de la frontière des
possibilités de production en faveur du produit exporté. Si ce dernier est un bien comme le café dont
l’élasticité de la demande par rapport au prix est supposée a priori peu élevée, son prix risque de
chuter au fur et à mesure que les capacités de production du pays augmente. Dans le cas où le pays
concerné est un très grand exportateur à l’échelle mondiale comme le Brésil79, la thèse de l’auteur
était que la détérioration des termes de l’échange du pays exportateur pouvait être telle que son
revenu réel diminuerait !

78
J. N. Bhagwati, « Immiserising Growth : A Geometrical Note », Review of Economic Studies, vol. XXV, N°3, juin
1958, pp. 201-205.
79
Le Brésil continue de produire de nos jours environ le tiers de la production mondiale de café. Les conditions
climatiques au Brésil et au Vietnam ont un impact important sur les cours de cette denrée.
84

Jagdish Bhagwati théoricien de la croissance appauvrissante


Auteur Modèle
Jagdish Bhagwati est un économiste La dégradation des termes de l’échange liée à la
indo-américain né en 1934. Il est croissance de la production peut obliger un pays à
professeur à l’Université Columbia. Son devoir exporter plus, donc à sacrifier davantage de
ancien élève le plus célèbre est Paul ressources rares, pour maintenir sa capacité
Krugman. C’est l’un des principaux d’exportation. La croissance est alors
théoriciens contemporains du « appauvrissante ».
commerce international.

X2

U1
Ancienne droite des prix
B

D U0 Nouvelle droite des prix

A
X1
o
85

Le graphique ci-dessus illustre le raisonnement précédent. Le progrès technique est fortement


biaisé en faveur du secteur exportateur. L’augmentation des capacités de production fait baisser le
rapport P1/P2. L’optimum de production passe de A en C. L’optimum de consommation passe de B
en D. Or, ce dernier point est sur une courbe d’indifférence plus basse …
Les trois facteurs déterminants de la croissance appauvrissante sont donc :
- L’accroissement des capacités de production et de la production des secteurs exportateurs. Il
faut donc une croissance très fortement biaisée vers l’exportation et un poids suffisant du pays dans
la production des biens exportés.
- L’inélasticité de la demande mondiale de certains biens.
- Le pays doit être très fortement dépendant du commerce extérieur afin que les pertes des termes
de l’échange annulent les gains de la capacité d’offre.
Beaucoup d’économistes considèrent que ces conditions sont tellement restrictives que la
croissance appauvrissante constitue à leurs yeux un danger théorique.

4 Spécialisation internationale et termes de l’échange

En tout état de cause, cette thèse a incité d’autres économistes à conseiller aux pays qui craignent
d’en souffrir d’adapter des politiques de substitutions d’importations. Ainsi, un important
investissement dans le secteur importateur permettrait de limiter une trop forte expansion du secteur
exportateur et d’éviter un effondrement des termes de l’échange.
Les politiques de substitution aux importations (ainsi que les droits de douane sur les
importations comme on va le voir ci-après) ont souvent été préconisées par des économistes du Sud,
notamment Raoul Prebisch (voir ci-dessous), qui craignaient une détérioration permanente des
termes de l’échange de ces pays pour les raisons suivantes80 :
- la faible élasticité revenu des importations du Nord et la forte élasticité revenu des importations
du Sud ;
- la faible élasticité prix des produits agricoles exportés par les pays en voie de développement ;
- le progrès technique plus générateur d’externalités positives dans les économies développées ;
- le fait que le progrès technique entraîne de main d’œuvre agricole qui pèse sur l’ensemble des
salaires. De plus, l’élasticité revenu des importations de produits primaires des pays du centre (les
économies développées) est souvent inférieure à l’unité alors que celle des pays de la périphérie qui
importent des biens industriels est supérieure à 181. Dès lors, la contrainte d’équilibre de la balance
commerciale de ces pays bride leur croissance.
C’est pourquoi Prebisch prônait une politique d’industrialisation. Mais de telles politiques
comportent à leur tour, comme nous allons le voir, des risques dans la mesure où elles peuvent
empêcher l’exploitation d’avantages comparatifs aussi bien que d’économies d’échelle.
Sur un plan empirique, selon une étude publiée en 200482, le prix des produits primaires par
rapport au prix des produits manufacturés aurait baissé de près d’un tiers entre 1900 et 1998. Mais

80
J. L. Mucchielli et T. Mayer, Économie internationale, Dalloz, 2005.
81
Voir R. Prebisch, « Commercial Policy in Underdeveloped Countries », American Economic Review, vol. 49, Papers
and Proceedings, 1959, pp. 251-273. Prebisch prend l’exemple suivant. Si le revenu par tête du centre s’accroît de 3 %
par an et que son élasticité-revenu est de 0,8 pour les produits primaires importés, les importations de ces pays vont
croître de 2,4 % (3 %x0,8). Si, par ailleurs, l’élasticité revenu de la demande de biens industriels est de 1,3 dans les
économies périphériques, leur croissance (limitée par la contrainte de balance commerciale) est égale à 1,84 % environ
(2,4 % :1,3)... Pour équilibrer les échanges en bénéficiant d’une croissance plus forte, les pays de la périphérie devraient
donc, selon cette thèse, limiter l’augmentation de leurs importations ou renforcer leurs exportations de biens
manufacturés ou adopter une combinaison des deux stratégies. C’est pourquoi Prebisch préconisait une politique
d’industrialisation et de substitution aux importations.
82
G. P. Zanias, « Testing for trends in the Terms of Trade between Primary Commodities and Manufactured Goods »,
Journal of Development Economics, octobre 2004, pp. 49-59, cité par D. Savatore, op. cité, 2008, page 411-412.
86

cette chute ne fut pas un processus continu. Elle eut lieu essentiellement au cours de deux périodes :
1915-1920 et 1975-1993.
On trouve d’autres éléments empiriques dans le manuel de Krugman, Obstfeld et Melitz83. Base
100 en 1980, les termes de l’échange des pays émergents et en développement ont baissé. Ils
n’étaient plus qu’à un niveau légèrement supérieur à 90 en 2011. Pour les NPI d’Asie (Hong Kong,
Taïwan, Singapour et Corée), l’indice n’était plus que de 80 en 2011. Pour l’Asie en développement
(y compris la Chine et l’Inde), les termes de l’échange étaient descendus à un niveau de 85. En
revanche, pour les pays d’Amérique latine et les Caraïbes, l’indice qui était tombé à 65 en 1993
remonte depuis cette période pour atteindre 90 en 2011. Globalement (et par symétrie), les termes
de l’échange de la Zone euro étaient les mêmes en 2011 qu’en 1980. Pour les pays développés, ces
termes sont passés de 100 en 1980 à un peu moins de 110 en 2011.
Pour les États-Unis, aucune tendance nette ne se dessine depuis les années quatre-vingt : leurs
termes de l’échange étaient les mêmes en 2014 qu’en 1980 et remontent un peu depuis 201184. Ils
sont à 99,8 en 2018 (base 100 en 2000). L’évolution est peu favorable pour la France (87,9 en 2018).
Les termes de l’échange de la Chine se sont dégradés de « la politique de la porte ouverte » lancée
par Deng Xiaoping en décembre 1978 jusqu’en 1986 pour remonter jusqu’à la fin du siècle dernier.
Ils se sont ensuite dégradés durant la première décennie du XXIème siècle et ont tendance à remonter
depuis 2011. Mais ils ne sont plus qu’à 84,6 en 2018 (base 100 en 2000).

83
P. Krugman et alii, 9e édition, 2012, op. cité, chapitre 6, page 137.
84
P. Krugman et alii, 11ème édition, 2018, op. cité, chapitre 6, pp. 139-140.
87

Indice des termes de l’échange des marchandises : États-Unis (base 100 en 2000)

Indice des termes de l’échange des marchandises : France (base 100 en 2000)

Source : Banque Mondiale


88

Indice des termes de l’échange des marchandises : Chine (base 100 en 2000)

Source : Banque Mondiale

Termes de l’échange et commerce international : la thèse Singer-Prebisch


Auteur Oeuvre
Raoul Prebisch (1901-1986) était La thèse qu’il défendit parallèlement à celle d’Hans
un économiste argentin, Singer (1910-2006) est celle de la dégradation des termes
représentant de l’économie de l’échange des pays de la périphérie. Le monde est en
structuraliste. Il fut professeur à effet partagé entre un centre (symbolisé par les États-
d’économie politique à l’Université Unis) et la périphérie qui exporte surtout des produits
de Buenos Aires de 1925 à 1948. Il primaires. Les pays du centre exportent des produits
fut aussi secrétaire général de la manufacturés incorporant de plus en plus de technicité et
Commission économique pour dont les prix mondiaux relatifs augmentent alors que les
l’Amérique latine (CEPAL) de pays du Sud exportent surtout des produits primaires à
1948 à 1962, puis le premier faible élasticité prix dont la valeur baisse sans cesse.
secrétaire général de la CNUCED
de 1964 à 1969.

Dans les années 1950 à 1970, un grand nombre de pays en voie de développement choisirent
donc de mener une politique de substitution à l’importation. Ce fut en particulier le cas de l’Inde,
du Pakistan, de l’Argentine, du Brésil, de l’Île Maurice, du Nigéria etc. Mais ces politiques ne furent
pas couronnées de succès en terme de croissance. Elles comportaient à leur tour des risques dans la
mesure où elles pouvaient empêcher l’exploitation d’avantages comparatifs aussi bien que
d’économies d’échelle.
Les pays qui les mirent en œuvre furent ainsi confrontés aux problèmes posés par des productions
inefficientes à cause de l’étroitesse du marché intérieur et nécessitant des investissements difficiles
à financer compte tenu de leur faible épargne. De plus, de telles orientations de la politique
économique furent à l’origine de prix à la consommation élevés. Enfin, ces pays négligèrent leur
89

agriculture au point de devoir importer des biens alimentaires qu’ils exportaient auparavant (comme
ce fut le cas alors du Brésil)85. C’est pourquoi à partir du milieu des années quatre-vingt, beaucoup
d’économies en voie de développement remplacèrent la stratégie de substitution d’importations par
des politiques de libéralisation des échanges. A la suite du Chili qui libéra son commerce dès 1974,
ce fut le cas notamment de l’Argentine, du Brésil, de l’Indonésie, du Pakistan, du Maroc, de la
Tunisie, de l’île Maurice etc.
Pour éviter le phénomène de croissance appauvrissante, certains économistes ont également
conseillé aux pays qui en souffrent d’instaurer un droit de douane sur les importations, ce qui accroît
le prix relatif des biens importés et abaisse celui du bien exporté. Dans notre exemple habituel, le
prix relatif du bien exporté par le pays domestique (le bien 1) diminue, ce qui provoque un
déplacement vers la gauche de sa courbe d’offre. Dans le même temps, la hausse du prix relatif du
bien 2 qui est importé en fait baisser la demande au profit du bien 1.
On voit sur le graphique ci-dessous que ce droit de douane déplace vers la gauche la courbe
d’offre du bien exporté (ici, le bien 1) car son prix relatif a baissé et vers la droite sa courbe de
demande (également parce qu’il est devenu moins cher en termes relatifs). Finalement, le pays
domestique bénéficie donc d’une augmentation de ses termes de l’échange. Cet accroissement est
d’autant plus important que la taille du pays est grande. Ainsi, les pays de l’UE ont-ils bénéficié à
l’origine de l’instauration d’un tarif commun extérieur puisque c’est une union douanière. En
revanche, une simple taxe à l’importation aurait sans doute eu peu d’effet sur les prix mondiaux à
l’échelle d’un pays.

85
D. Salvatore, Économie internationale, De Boeck, 2008, pp. 418-420.
90

Instauration d’un droit de douane sur les importations

O1 O0

UUU
𝑝,
^ _
𝑝
UUU6 ,

D1
UUU
𝑝,
^ _
𝑝
UUU6 -
D0
𝑋, + 𝑋,∗
𝑋6 + 𝑋6∗
91

Notons enfin que le thème des effets internationaux de la croissance a été relancé par un article de
Paul Samuelson en 200486. L’auteur y étudie dans le cadre d’un modèle ricardien les effets de la
croissance des nouveaux pays industrialisés sur les échanges avec les pays développés. Dans un
premier temps, les échanges entre les deux pays (la Chine et les États-Unis dans l’exemple choisi
par l’auteur) accroissent le revenu mondial et le revenu de chaque économie. Si le progrès technique
affecte surtout les secteurs exportateurs des économies émergentes (et non les économies
développées ou dans de moindres proportions), cela a surtout pour effet de dégrader les termes de
l’échange de ces nouveaux pays industrialisés dont les capacités de production ont beaucoup
augmenté. Mais si un progrès technique a lieu dans les pays en développement au sein d’activités
où ils étaient auparavant importateurs, il est possible que les pays développés perdent leurs
avantages comparatifs dans ces branches. En d’autres termes, ces pays développés peuvent
enregistrer une perte nette de revenu car ils ne pourront plus exporter dans ces secteurs… Des
délocalisations pourraient même se produire puisque les économies émergentes continuent de
verser de salaires plus faibles. Les effets du libre-échange pourraient ainsi être à terme
défavorables aux pays développés. Remarquons toutefois que dans le modèle de Samuelson, le
commerce international entre la Chine et les États-Unis connaît une contraction alors que dans le
monde réel, il ne cesse de se développer.

5 Transferts de revenu et déplacement de la courbe de demande globale87

Dans les paragraphes précédents, la modification des termes de l’échange était due à l’évolution
de la capacité de production. Mais dans l’économie réelle, la demande globale peut aussi jouer un
rôle dans l’évolution des termes de l’échange. Par exemple, les goûts des consommateurs peuvent
évoluer. Cependant, le cas le plus fréquent est celui des transferts internationaux de revenu. De nos
jours, d’importants transferts de revenu ont lieu à l’occasion de l’aide au développement et surtout
en raison de l’existence de prêts internationaux. Ces derniers ne sont pas une augmentation
définitive de revenu, mais à court terme, ils s’analysent de la même façon.

86
P. Samuelson, « Where Ricardo and Mill Rebut and Confirm Arguments of Mainstream Economics Supporting
Globalization », Journal of Economic Perspectives, vol. 18, N° 3, été 2004, article traduit en français dans la revue
Problèmes économiques n° 2877, du 8 juin 2005, pp. 2-11.
87
On reprend ici les développements proposés par Paul Krugman et Maurice Obstfeld dans une édition antérieure de
leur ouvrage Économie internationale, op. cité, 2009, pp.97-99.
92

Supposons que le pays domestique transfère une partie de son revenu au pays étranger. Ses
dépenses seront réduites et celles du pays étranger accrues. Les capacités de production des deux
économies sont en revanche inchangées. Si les coefficients budgétaires sont les mêmes dans les
deux pays, la demande mondiale de chacun des biens sera inchangée et les termes de l’échange
n’évolueront pas.
Supposons au contraire que le pays domestique a une plus forte propension à consommer les
automobiles (bien 1) que le pays étranger. La demande mondiale d’automobiles va baisser au profit
des vêtements. La courbe de demande du bien 1 va se déplacer vers la gauche provoquant une
détérioration des termes de l’échange. C’est ce que montre le graphique ci-dessous.

OR

1 E1
\
𝑃,
DR1
E2
1
UUU6
𝑃 DR2

O Production relative
de bien 1
93

Le graphique ci-dessus fait l’hypothèse que la propension à consommer le bien 1 soit plus
faible à l’étranger que dans le pays domestique qui exporte ce bien.
Si la propension à consommer le bien 1 avait été plus forte à l’étranger, on aurait constaté une
amélioration des termes de l’échange. Mais empiriquement, on observe en général une certaine
forme de préférence nationale en matière de consommation. C’est donc le cas d’une baisse des
termes de l’échange qui paraît le plus probable.
Sur le plan historique, les débats au sujet des transferts ont été lancés par la controverse de 1929
entre Keynes et Ohlin sur les effets des réparations allemandes. Keynes affirmait que pour pouvoir
les payer, l’Allemagne devrait diminuer le prix de ses exportations, ce qui dégraderait ses termes de
l’échange et augmenterait son fardeau. Ohlin prétendait au contraire qu’un accroissement des taxes
allemandes était inéluctable pour pouvoir faire face à la dette internationale. La demande
d’importations baisserait donc et les revenus supplémentaires versés aux pays victorieux
financeraient la hausse de la demande internationale de produits allemands. L’Allemagne
échapperait ainsi à une dégradation de ses termes de l’échange. L’Allemagne n’ayant jamais payé
la totalité des sommes dues, l’histoire n’a pas départagé les deux grands économistes.
Toutefois, la plupart des macroéconomistes privilégient l’idée qu’il existe en matière de
consommation des biais en faveur des biens et services domestiques, ce qui va dans le sens de
Keynes : les transferts internationaux favoriseraient plutôt la baisse des termes de l’échange.
94
95

Chapitre 5
Concurrence imparfaite et échanges internationaux
On a expliqué jusqu’à présent le développement du commerce international par les avantages
comparatifs et les différences de dotations factorielles. Mais dans le monde réel, de nombreux
échanges sont favorisés par l’existence d’économies d’échelle. C’est ce que montrent les travaux de
Paul Krugman (prix Nobel 2008).
L’idée selon laquelle les échanges internationaux pourraient être stimulés par des économies
d’échelle a été évoquée par Bertil Ohlin (prix Nobel 1977) dès 1933 dans son ouvrage Interregional
and International Trade. Il existe en fait deux familles d’économies externes : les économies
d’échelle internes qui dépendent de la seule taille de la firme et les économies d’échelle externes.
Nous commencerons par étudier ces dernières ainsi que leur impact sur les échanges internationaux.

Paul Krugman, théoricien contemporain majeur du commerce international


Auteur Modèle
Paul Krugman est un économiste Il est le principal contributeur des nouvelles
américain né en 1953. Il est actuellement théories du commerce international qui sont
professeur d’économie et de relations fondées sur l’impact des économies d’échelle sur
internationales à l’Université de les échanges mondiaux. Ces analyses présentées
Princeton. Il a reçu la médaille John Bates dans un cadre de concurrence imparfaite montrent
Clark en 1991 et le prix Nobel l’importance du commerce intrabranche entre des
d’économie en 2008. économies comparables.

I Échange international et économies d’échelle externes

Les économies d’échelle externes se traduisent par le fait que le coût de production dépend de la
taille de la branche d’activité mais non de l’entreprise. Cette catégorie d’effets externes s’oppose à
celle des économies d’échelle internes qui permettent des baisses de coût au fur et à mesure que
l’entreprise se développe.

1 L’origine des économies d’échelle externes

Cette notion trouve sa source dans les travaux d’Alfred Marshall88. Dans ses Principes
d’économie politique, l’auteur définit ces économies d’échelle comme étant externes à la firme et
internes au secteur. Les économies externes se traduisent par des baisses de coût de production « qui
résultent du progrès général du milieu industriel » (page 147 du tome 2). En d’autres termes, il s’agit
de diminutions du coût de production induites par la taille de la branche et la concentration
géographique. Ce concept est présenté au livre IV des Principles : « Les agents de la production »
(Nature, travail, capital et organisation).
Trois séries de facteurs sont à l’origine des économies d’échelle externes. Ces facteurs sont tous
liés à la tendance des entreprises à se concentrer géographiquement. Il s’agit des éléments explicatifs
suivants :
- La concentration géographique favorise la diffusion des connaissances : « Si quelqu’un a une
idée nouvelle, elle est aussitôt reprise par d’autres et combinée avec les idées de leur crû ; elle
devient ainsi la source d’autres idées nouvelles » (page 465). Il faut d’ailleurs noter que certaines
connaissances ne sont pas brevetables comme par exemple le mode d’organisation.

88
A. Marshall, Principes d’économie politique, traduction française, Giard et Brière, Paris, 1906, réimpression par la
Librairie de Droit et de Jurisprudence ainsi que Gordon & Breach, 1971.
96

- La concentration géographique favorise la création et l’apparition d’entreprises sous-traitantes


très spécialisées qui permettent aux producteurs de bien final d’économiser des coûts de transport
et de disposer avec une grande facilité de biens et services intermédiaires.
- Enfin, la concentration géographique permet la création de marchés du travail spécialisés où
les employeurs trouvent facilement des salariés qualifiés avec des compétences spécifiques. La
Silicon Valley aux États-Unis illustre pour le marché des semi-conducteurs la thèse de Marshall. Il
en va de même pour les services informatiques à Bangalore en Inde, pour les services financiers de
Londres ou pour l’aéronautique à Toulouse.

2 Économies d’échelle externes, production et prix

Les économies d’échelle externes jouent un rôle important dans les échanges internationaux. En
particulier, les pays qui fabriquent des biens à coûts décroissants en fonction de l’échelle de
production et qui disposent en autarcie d’un marché étendu sont favorisés.
Si l’on désigne par X la production de la branche et par x celle de l’entreprise, en cas d’existence
d’économies d’échelle externes, la fonction de coût de chaque entreprise peut être représentée de la
façon suivante89 :

C(x) = c(X)x

H<
Dans cette expression, C(x) est le coût total de l’entreprise et c(X) est son coût marginal (car HJ =
𝑐(𝑋)).
Grâce à ces économies d’échelle externes, la courbe d’offre est décroissante car plus la
production est importante, plus le coût de fabrication diminue en raison des gains de productivité.
D’où : c’(X) < 0. De plus, chaque entreprise vend au coût moyen car le coût moyen peut être
<(J)
considéré comme égal au coût marginal puisque J = 𝑐(𝑋).
Paul Krugman et Maurice Obstfeld prennent l’exemple dans leur célèbre manuel d’économie
internationale de la ville chinoise de Qiaotou où se fabriquent environ 80 % des fermetures Éclair
et 60 % des boutons dans le monde90. On pourrait aussi citer le cas de la Malaisie qui fabrique à elle
seule 55% des gants chirurgicaux dans le monde91.
Supposons donc dans un premier temps que le monde ne comprenne que deux économies :
l’Europe et la Chine. En Europe, les coûts de production des boutons sont décroissants mais toujours
supérieurs à ceux de la Chine. En autarcie, le prix des boutons est donc plus élevé en Europe qu’en
Chine comme l’illustre la figure ci-dessous où PC désigne le prix des boutons en Chine et PE le prix
de ces biens en Europe. La droite de demande est désignée par D dans les deux économies et la
courbe de coût moyen par CM. Cette courbe est décroissante dans les deux zones.

89
I. Ledezma et H. Lenoble-Liaud, Économie internationale, PUF, 2020, page 95.
90
P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Économie internationale, Pearson, 12e édition, 2022, chapitre 7, pp. 156-162.
91
Exemple cité par le journal Le Monde du 26 mai 2020.
97

Coût moyen et prix


Coût moyen et
prix D
D

PE
CM
PC
CM

Production chinoise Production


européenne
Si les consommateurs constatent ces différences de prix, ils s’adresseront aux entreprises
chinoises et il y aura ouverture à l’échange international. Dès lors la taille du marché chinois des
boutons augmentera, ce qui permettra de nouvelles baisses de coût de production de ces boutons.
Plus la Chine en vendra, moins le prix sera élevé. Les entreprises européennes seront confrontées
au phénomène inverse : leurs ventes et productions de boutons diminueront sans cesse, ce qui
provoquera inévitablement un accroissement de leurs coûts de production et de leurs prix. N’étant
plus compétitives, les entreprises européennes disparaîtront. Lorsqu’il existe des économies
d’échelle externes, les prix divergent à l’ouverture au commerce international au lieu de converger !
De plus, la Chine vendra les boutons à un prix plus bas que les prix d’autarcie. Elle sera désormais
le seul producteur au niveau mondial.

Demande en Demande mondiale


Chine

P1

CM en Chine
P2
Production
chinoise

Si dans les deux économies considérées, les rendements sont croissants dans les deux secteurs et
qu’elles sont parfaitement identiques (même taille et mêmes technologies avec des dotations de
98

facteurs égales), chacune aura intérêt à se spécialiser dans une branche différente pour bénéficier au
maximum des économies d’échelle externes92.

3 Économies d’échelle et structure des échanges mondiaux

L’impact des économies d’échelle externes sur la structure du commerce international est donc
important. La figure ci-dessous en donne une autre illustration empruntée une nouvelle fois au
manuel de Paul Krugman et Maurice Obstfeld.
On considère un bien fabriqué et vendu à un prix mondial P1. Rappelons que chaque entreprise
vend au coût moyen. On considère deux pays producteurs du bien considéré.
On suppose que le pays 1 a été le premier à offrir le bien au marché mondial. Sur le graphique,
on voit que le pays 1 a des salaires élevés mais est capable grâce à une échelle de production élevée
de produire à un coût plus faible qu’un pays 2 dont la taille de marché est (au départ) inférieure à
X* en économie ouverte car les entreprises qui cherchent à s’implanter ne peuvent au début
approvisionner qu’une partie du marché existant!
Krugman et Obstfeld montrent par leur argumentation que la spécialisation internationale ne se
fait donc pas toujours au « bon » endroit. Les accidents historiques ainsi que la dimension du marché
intérieur peuvent ainsi être une source de spécialisation internationale. De plus, l’équilibre ainsi
trouvé est stable. Mais si l’économie 2 à bas salaires avait été la première sur le marché, elle aurait
pu vendre le produit à un prix mondial P2 inférieur à P1 … Si par exemple le Vietnam avait été le
premier sur le marché international des fermetures Éclair ou des boutons, il aurait pu vendre ces
biens à un prix encore moins élevé que la Chine.
Le point précédent montre donc que face à des économies d’échelle externes, la spécialisation
internationale peut mener l’économie mondiale à des situations sous optimales. En effet, si une
économie à bas salaires comme le Vietnam avait pu exploiter le marché la première, elle aurait pu,
comme on vient de le montrer, offrir le bien à un prix P2 inférieur à celui qui s’est imposé sur le
marché mondial dominé par le pays 1 à hauts salaires. Mais n’étant pas arrivée la première sur le
marché considéré, toute entreprise qui déciderait de s’implanter au Vietnam ne pourrait le faire car
elle serait incapable de proposer ses premières fermetures Éclair à ce prix. Ainsi, l’influence des
accidents historiques pèse lourdement sur certaines spécialisations internationales : la Grande-
Bretagne et plus particulièrement Londres ont développé leur industrie financière dès le XVIIe
siècle en raison de leur politique coloniale, Bangalore a bénéficié d’une façon exceptionnelle de
l’implantation de la firme Texas Instrument en Asie en 1984 etc.
De plus, si la taille du marché du pays 2 avait été par exemple de X’ en autarcie, il aurait pu
produire le bien qu’il importe à un prix inférieur P’ au prix qu’il paie pour importer ce bien. Ses
gains à l’échange ont donc disparu… Ainsi, un pays comme la Thaïlande qui a de faibles coûts
salariaux pourrait produire en autarcie des montres à des prix inférieurs à ceux des montres suisses
si son marché intérieur était d’une taille suffisante (telle que X’ sur le graphique).

92
K. Constant, P. Domingues, G. Duchêne, A. Guillin, S. Kablan, P. Lenain et J. Lochard, Économie internationale,
Vuibert, 2018, pp. 104-106.
99

Courbe de demande mondiale

P1

P’

P2 Coût moyen du pays 1

Coût moyen du pays 2

X
O
X* X’
100

4 Taille des régions, des pays et dynamique d’agglomération

Lorsqu’il existe des économies d’échelle, un autre facteur que les dotations factorielles permet
d’expliquer la spécialisation internationale quand la réduction des barrières aux échanges est
suffisante. Un processus cumulatif d’agglomération des activités peut en effet être enclenché. C’est
la thématique essentielle de la Nouvelle économie géographique qui s’est développée sous
l’impulsion d’un article publié par Paul Krugman au début des années quatre-vingt-dix93.
Supposons que l’on compare deux régions dont l’une est grande et l’autre petite. Dans les deux
zones, la plupart des activités non agricoles bénéficient d’économies d’échelle. Les entreprises ont
a priori intérêt à se rapprocher du grand marché pour bénéficier de ces économies d’échelle. Si les
coûts de transaction liés aux frais d’implantation, coûts d’information et coûts de transport pour
acheminer les biens à partir d’un centre sont peu élevés, l’effet d’agglomération peut attirer de façon
cumulative un grand nombre d’entreprises car il est source de profits. En effet, il y a en premier lieu
les effets externes technologiques qui permettent aux firmes de bénéficier du savoir-faire d’une
région ainsi que d’une partie de la R&D qui s’y est développée. Il y a aussi les externalités
pécuniaires qui sont liées en premier lieu au fait que les grands centres attirent (comme on l’a vu au
début de ce chapitre avec les apports théoriques d’Alfred Marshall) une main d’œuvre à la fois
spécialisée et diversifiée, ce qui est source de gains de productivité. De plus, l’arrivée de chaque
nouvelle entreprise fait naître de nouveaux emplois, donc de nouvelles consommations qui sont
elles-mêmes à l’origine d’élargissement des marchés ainsi que de nouvelles variétés de biens.
Toutefois, le processus n’est pas infini car l’arrivée de nouvelles firmes freine aussi une partie de la
profitabilité des concurrentes en accroissant le degré de concurrence sur le marché des biens et en
provoquant une augmentation du coût du travail liée au développement des besoins en main-
d’œuvre. C’est ce second ensemble d’éléments qui limitent le processus d’agglomération des
activités. Toutefois, sur un plan empirique, on constate la puissance de ce processus. En France par
exemple, l’Île de France qui représentait en 2020 18 % de la population réalisait 31 % environ du
PIB national94.

II Échange international et économies d’échelle internes

Nous avons vu dans les chapitres précédents que la théorie traditionnelle explique le commerce
international par les différences de dotations en facteurs de production et de technologie utilisées.
Une telle approche permet d’analyser essentiellement le commerce interbranche. L’analyse de
Krugman s’applique en revanche au commerce intrabranche dont l’importance est croissante dans
les échanges internationaux des pays développés.
Les économies d’échelle internes correspondent aux baisses de coût moyen liées à la taille des
firmes. Elles sont à l’origine d’une recherche permanente de l’élargissement des marchés par les
entreprises. Comment expliquer l’apparition de telles économies d’échelle ? Une plus grande taille
de marché peut permettre en premier une meilleure organisation et la possibilité de payer moins
chers les produits intermédiaires ainsi que le crédit bancaire. Elle rend également possible une plus
grande spécialisation du travail. Mais le point essentiel est que la production en grandes quantités
amortit les coûts fixes. Or, dans le monde contemporain, l’importance de ces coûts fixes est
croissante pour deux raisons essentielles :
- la lourdeur des budgets publicitaires qui permettent à la firme de conserver ou d’accroître sa
part de marché et qui atteignent aujourd’hui 640 milliards de dollars dans le monde;
- les dépenses de R & D elles aussi de plus en plus substantielles. L’aéronautique illustre
parfaitement ce point. En équivalent de dollars actuels, le coût de développement du DC3 était de 3
93
P. Krugman, « Increasing Returns and Economic Geography », Journal of Political Economy, vol. 99, N° 3, juin
1991, pp. 483-499.
94
P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Economie internationale, 2022, chapitre 7, page 163 de la 12e édition.
101

millions dans les années 30, celui du DC8 de 112 millions dans les années cinquante, celui du 747
d’un milliard, celui du 767 d’1,5 milliard, celui du Boeing B777 de 4,7 milliards et celui de l’A380
de 18,6 milliards !95
La firme va alors devenir de plus en plus importante car elle entre dans un processus permanent
de croissance interne.
Il est clair qu’un tel processus est incompatible avec la concurrence pure et parfaite pour deux
raisons.
Dans le modèle concurrentiel, la taille de la firme est atomistique ; cette dernière ne peut donc
pas influencer le prix du marché. Mais cela peut être remis en cause dès lors que la firme est incitée
à croître sans cesse.
De plus, dans le modèle de concurrence, le prix de vente est égal au coût marginal. Or, lorsqu’il
existe des économies d’échelle, ce dernier est décroissant. Il en résulte qu’il est en permanence
inférieur au coût moyen. Cette situation rend impossible la tarification au coût marginal car elle
entrainerait des ventes à perte.
Démontrons le fait que le coût marginal est inférieur au coût moyen lorsque ce dernier est
décroissant.
<
Si l’on note C le coût total, CM le coût moyen et x la production, on sait que CM = J :et si CM est
H<O
décroissant, HJ
< 0. Or :

23
H<O H < J+< H<
HJ
= HJ J
W X= 2)
J%
< 0 si HJ
𝑥<𝐶.

Ce qui implique :

H< <
HJ
< J.

Les économies d’échelle étant incompatibles avec les situations concurrentielles mènent donc à
un pouvoir de marché. Le premier installé sur un marché dispose d’un avantage de coût et donc
d’une forme de monopole. C’est pourquoi la théorie contemporaine du commerce international
étudie plus particulièrement les situations dites de concurrence monopolistique. Dans ces situations,
les producteurs offrent aux marchés des produits différenciés qui correspondent au phénomène
économique des marques. Cette différenciation protège en partie chaque entreprise de la
concurrence.

1 La concurrence monopolistique

Cette théorie a été développée dans les années 1930 par Edward Chamberlin dans son ouvrage
La théorie de la concurrence monopolistique96.

95
L. Abdelmalki, R. Sandretto, Le commerce international, De Boeck supérieur, 2017, page 72.
96
La référence exacte est The Theory of Monopolistic Competition, Harvard Economic Studies, vol. XXXVIII, 1933,
sixième édition, 1950, traduction française aux Presses universitaires de France, 1953.
102

Edward Hastings Chamberlin, père de la théorie de la concurrence monopolistique


Auteur Analyse
Edward Hastings Chamberlin (1899-1967) est Le producteur a un pouvoir de contrôle sur ses
un économiste américain qui enseigna à prix dans la mesure où son produit est
l’Université d’Harvard jusqu’à la fin de sa vie. différencié, donc imparfaitement substituable à
Son ouvrage The Theory of Monopolistic d’autres. Grâce à la publicité, le vendeur peut
Competition publié en 1933 fit faire aussi accroître son pouvoir de marché. Mais les
d’importants progrès à l’analyse producteurs de produits comparables seront
microéconomique en analysant un type de attirés par ses profits et à terme, la multiplication
marché, intermédiaire entre la concurrence et des entreprises en concurrence fera tomber le
le monopole, que l’on rencontre fréquemment prix au niveau du coût moyen.
dans la réalité.

Ce type de marché a des points communs avec le monopole et la concurrence :


- avec le marché monopolistique, il partage la différenciation du produit favorisée par le
phénomène de marques. Chaque entreprise dispose alors d’un certain pouvoir de monopole
maintenu ou amplifié par la publicité.
- Mais, comme en concurrence, le nombre n d’entreprises est élevé. Ainsi chaque entreprise
présente sur le marché considère comme donnés les prix pratiqués par les autres firmes. Ce
comportement est toutefois illusoire car les produits sont substituables. Sur de nombreux marchés,
les entreprises proposent aux consommateurs des biens et services relativement proches en termes
de qualité et de services rendus. C’est pourquoi les quantités vendues par chaque entreprise
décroissent avec le nombre n de firmes présentes sur le marché. Tant que le prix dépasse le coût
moyen, de nouvelles firmes entrent sur le marché, mais à long terme, le prix tombe au niveau du
coût moyen.
On supposera que toutes les firmes ont les mêmes courbes de coût et de demande (hypothèse de
symétrie des entreprises).
Dans le premier modèle de Paul Krugman qui sera étudié, la courbe de demande à laquelle chaque
firme (symétrique) est confrontée a pour expression :

,
𝑥 = 𝑆 ‹P − 𝑏(𝑝 − 𝑝̅ )• 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑏 > 0.

Cette relation traduit le fait que les ventes x sont une fonction décroissante de l’écart entre le prix
de vente p et le prix moyen 𝑝̅ . S désigne la taille globale du marché.
La fonction de coût de chaque firme est identique. Elle est égale à la somme des coûts fixes F et
des coûts variables cx :

C = F + cx.

La présence du coût fixe permet à la firme de réaliser des économies d’échelle internes au fur et
à mesure que sa production augmente. Or, selon Krugman, les économies d’échelle expliquent une
partie du commerce international. Ce dernier permet en effet aux firmes compétitives d’accroître
la taille de leurs marchés. Un marché international non fondé sur les avantages comparatifs
apparaît.
En courte période, chaque firme choisit un prix qui maximise son profit. Tant que ce dernier est
positif, le nombre d’entreprises s’accroît, ce qui fait baisser progressivement le prix. À long terme,
le prix tombe donc au niveau du coût moyen.
L’équilibre de la concurrence monopolistique consiste à déterminer le nombre n de firmes sur le
marché ainsi que le prix p de longue période. L’un et l’autre sont déterminés par l’intersection de
103

deux courbes qui symbolisent deux tendances contradictoires du marché de concurrence


monopolistique :
- d’une part, plus la concurrence est importante, moins le prix de longue période est élevé. Il y
a ainsi une relation décroissante (courbe PP) entre le prix et le nombre d’entreprises sur le marché.
- d’autre part, plus le nombre de firmes est élevé, moins important est leur volume individuel
de vente. On a donc un coût unitaire qui s’accroît avec n. Cette relation croissante est symbolisée
par la courbe CC sur le graphique.

CC

𝑝̅ E

PP
n
O
n1 𝑛U n2

Sur le graphique, l’équilibre est (𝑛U, 𝑝̅ ). En n1, le nombre de firmes permset de réaliser des profits
positifs ; ce n’est donc pas un équilibre et n va s’accroître. En n2, les firmes sont trop nombreuses
car elles vendent à perte : n va diminuer jusqu’à ce que n = 𝑛U.

2 Les équations du modèle de concurrence monopolistique

Il y a n entreprises présentes sur un marché de concurrence monopolistique. La demande perçue


par chacune d’elle a pour expression :

,
𝑥 = 𝑆 ‹P − 𝑏(𝑝 − 𝑝̅ )• 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑏 > 0.
104

Cette relation traduit le fait que les ventes x sont une fonction décroissante de l’écart entre le
prix de vente p et le prix moyen 𝑝̅ . S désigne la taille globale du marché.
La fonction de coût de chaque firme est identique. Elle est égale à la somme des coûts fixes F et
des coûts variables cx : C = F + cx (c est positif). Le coût marginal est donc égal à c et le coût moyen
CM est tel que :

Q
CM = J + c ; c > 0

Chaque firme tente de maximiser son profit :

,
𝛱 = 𝑝𝑥 – 𝐶 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑥 = 𝑆 ‹P − 𝑏(𝑝 − 𝑝̅ )• 𝑒𝑡 𝐶 = 𝐹 + 𝑐𝑥.

On peut donc écrire :

, ,
Π = 𝑝𝑆 ‹P − 𝑏(𝑝 − 𝑝̅ )• − 𝐹 − 𝑐𝑆 ‹P − 𝑏(𝑝 − 𝑝̅ )•.

Le profit est maximal si :

HR HJ HJ HJ
H8
= 0 soit 𝑥 + 𝑝 H8 − 𝑐 H8 = 0 avec H8
= −𝑏𝑆.

On en déduit que :

HR
H8
= 0 ⟹ 𝑥 − 𝑏𝑝𝑆 + 𝑏𝑐𝑆 = 0.

Or, ce résultat est valable pour chacune des entreprises identiques, ce qui implique qu’elles
pratiqueront toutes le même prix.
Il en résulte que :

S
𝑝 = 𝑝̅ 𝑒𝑡 𝑥 = P.

En remplaçant x par S/n dans les conditions du premier ordre ci-dessus, on obtient :

𝑆 1
− 𝑏𝑝𝑆 + 𝑏𝑐𝑆 = 0 𝑠𝑜𝑖𝑡 + 𝑏𝑐 = 𝑏𝑝
𝑛 𝑛

On en déduit immédiatement que :

,
𝑝=𝑐+ $P
(relation PP du graphique) > c

On observe que le prix est supérieur au coût marginal, ce qui est indispensable en rendements
croissants.
À long terme, le coût moyen est égal au prix. Or,

PQ S
CM = S
+ c (relation CC du graphique), car 𝑥 = P.
105

On a donc l’égalité de longue période :

PQ , S
S
+c=𝑐+ $P
⟹ 𝑛 = ‘$Q.

Le nombre de firmes croît avec la taille du marché, mais moins que proportionnellement. Le prix
de long terme est donc tel que :

𝐹
𝑝= ’ +𝑐
𝑏𝑆

La taille du marché favorise la baisse du prix.


La quantité produite à long terme est finalement :

𝑥 = √𝑏𝐹𝑆.

La taille du marché de chaque firme croît donc moins que proportionnellement par rapport au
marché total car toute hausse de S accroît le nombre de concurrents potentiels attirés par la baisse
du coût moyen induite par cet accroissement.

3 Ouverture à l’échange

La cause de l’ouverture à l’échange est la recherche par chaque entreprise d’un marché de taille
supérieure à celle du marché autarcique. L’augmentation de la taille du marché permet en effet de
mieux amortir les coûts fixes.
Soit S1 la taille du marché de l’économie 1 et S2 celle du marché de l’autre économie. Le marché
est désormais de taille S’ = S1 + S 2 > S.
Cette ouverture n’affecte pas la courbe PP qui ne dépend pas de la taille du marché comme le
montre la condition de maximisation du profit ci-dessus où la variable S de dimension du marché
n’apparaît pas.
On observe en revanche que le commerce international fait baisser le coût moyen (en augmentant
PQ
S puisque CM = S + c, donc le prix de longue période.
En effet, sur le graphique, la droite CC pivote vers le bas en raison de l’augmentation de S. Les
conséquences de l’ouverture de l’économie sont donc les suivantes :
1) Le prix baisse passant d’un niveau p1 à un niveau p2. Elle coupe à présent la courbe PP en un
point dont l’ordonnée est plus faible qu’auparavant, ce qui correspond bien à une baisse du prix
(passage de l’équilibre E1 à l’équilibre E2). On constate que ce résultat est cohérent avec la formule :

Q Q
𝑝, = ‘$S 4 + 𝑐 < 𝑝6 (= ‘$S + 𝑐) avec S’ = S1 + S2. > S.

2) La production de chaque entreprise supportant la concurrence mondiale s’accroît également ;


elle passe en effet de 𝑥, = √𝑏𝐹𝑆 à 𝑥6 = √𝑏𝐹𝑆′ avec S’ > S.
106

Le passage de l’équilibre initial au nouvel équilibre correspond aux mécanismes économiques


suivants97.
À court terme, l’accroissement de la taille du marché favorise l’arrivée de nouvelles firmes
(passage du point d’équilibre initial E1 à A). C’est l’effet de court terme (segment E1A). Mais
l’augmentation du nombre d’entreprises fait baisser le prix au-dessous du coût moyen (passage du
point A au point B). C’est l’effet concurrentiel. On assistera donc à la disparition ou au
regroupement (fusions acquisitions) de firmes (passage du point B à l’équilibre final E2) : c’est
l’effet de rationalisation.

Effets du commerce international en concurrence monopolistique

CC1

CC2
E1 A
p1

p2 E2

B
PP
Nombre
d’entreprises
n n’ 2n

3) On constate aussi que le nombre total d’entreprises augmente (passant de n à n’, mais sur le
marché intégré) grâce au commerce international car la taille globale S du marché s’accroît et passe
à S’ > S. On vérifie ce point en se souvenant que :

𝑆′
𝑛7 = ’ >𝑛
𝑏𝐹

4) Cette formule montre clairement que le nombre final de firmes sera inférieur à la somme
d’entreprises existantes dans l’ensemble des économies concernées avant l’ouverture à l’échange.
Appelons N cette somme (N = n1 + n2 où n1 et n2 désignent respectivement le nombre de firmes en
autarcie dans l’économie domestique et dans l’économie étrangère). Si les deux économies sont
identiques, N = 2n avec n = n1 = n2. Un nombre 2n – n’ d’entreprises disparaît alors au cours de
l’intégration internationale.

97
Ce graphique est comparable à celui de la page 195 de l’ouvrage de Jean-Louis Mucchielli et Thierry Mayer,
Économie internationale, Dalloz, 2005.
107

Ce résultat s’explique d’un point de vue technique par la concavité de la fonction 𝑛 = 𝑓(𝑆) =
S
‘$Q (voir la figure ci-dessous) : une telle fonction a la propriété suivante :

f(S1) + f(S2) > f(S1 + S2), soit 𝑛, + 𝑛6 > 𝑛7 .

Nombre total d’entreprises et dimension globale du marché de concurrence


monopolistique

S
f(S) = ‘
f(S1) + f(S2) $Q

f(S1 + S2)

f(S2)

f(S1)

S
S1 S2 S1 + S2

4 Un exemple numérique emprunté au manuel de Paul Krugman, Maurice Obstfeld et Marc


Melitz 98

Deux pays fabriquent des automobiles vendues à un prix p.


Dans chaque pays, il existe n entreprises en situation de concurrence monopolistique. Ces
entreprises ont les mêmes fonctions de demande et de coût ; l’équilibre est donc symétrique. Chaque
entreprise produit à un niveau noté x.
Dans le premier pays, la taille totale S du marché automobile est de 900 000 unités et dans le
second de 1 600 000 unités. La fonction demande est la même dans chaque pays :

1 (𝑝 − 𝑝∗ )
𝑥 = 𝑆” − •
𝑛 30 000

La fonction de coût total est également identique :

C = 750 000 000 + 5000x.

98 P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Economie internationale, 12ème édition, 2022, pages 180 à 183.
108

Avant l’échange :
S /-- ---.U- ---
- Dans le premier pays, 𝑛 = ‘$Q ⟹ 𝑛 = ‘ 02- --- ---
= √36 = 6 et le prix est tel que :

, U- ---
𝑝=𝑐+ $P
⟹ 𝑝 = 5000 + 1
= 10 000 euros.

La production x de chaque firme est égale à 900 000/6 = 150 000 véhicules.

S , 1-- ---.U- ---


- Dans le second pays, 𝑛 = ‘$Q ⟹ 𝑛 = ‘ 02- --- ---
= √64 = 8 et le prix est tel que :
, U- ---
p = c + $P ⟹ 𝑝 = 5000 + 3
= 8750 euros.

La production x de chaque firme est égale à 1 600 000/8 = 200 000 véhicules.

Après l’échange :

- Sur le marché intégré, le nombre d’unités vendues est de S’ = 2 500 000 unités (soit : 900 000
+ 1 600 000).

D’où l’on déduit le nombre n’ total de firmes ainsi que le nouveau prix p’ :
S 6 2-- ---.U- --- , U- ---
𝑛7 = ‘$Q ⟹ 𝑛′ = ‘ 02- --- ---
= √100 = 10 et 𝑝 = 𝑐 + $P7
⟹ 𝑝 = 5000 + ,-
=
8 000 euros.

Chaque entreprise produit 2 500 000/10 = 250 000 véhicules. Le prix a baissé, mais l’effet de
rationalisation a réduit le nombre total de concurrents.

Les figures ci-dessous illustrent ces calculs et ces conclusions.


109

p p
Marché domestique Marché étranger

CC CC
10 000

8750 PP

PP

n1 n2
6 8
p

Marché intégré

CC

8 000

10
PP

n’
110

5 Économies d’échelle et avantages comparatifs

Le modèle précédent, comme le font remarquer Paul Krugman et Maurice Obstfeld, a


l’inconvénient de ne donner aucune indication sur la structure du commerce international induite
par le modèle de concurrence monopolistique. En particulier, il est impossible de savoir comment
les dix firmes de l’exemple précédent seront réparties. Pour compléter le modèle, il faut étudier la
façon dont les économies d’échelle interagissent avec les avantages comparatifs.
Supposons que l’économie 1 (« économie domestique ») soit mieux dotée en capital que
l’économie 2 (« économie étrangère »). En situation concurrentielle, au sens de concurrence pure et
parfaite, l’économie 1 exporterait le bien 1 intensif en capital et importerait le bien 2 intensif en
travail. C’est ce qu’illustre la figure ci-dessous.

Automobiles Vêtements
Économie
domestique

En revanche, si le secteur 2 des vêtements est une


branche de concurrence
Économie monopolistique, le pays
étrangère
2
conserve un avantage net dans cette production dont il reste exportateur net mais il importera aussi
des vêtements même s’ils sont plus coûteux car les consommateurs souhaitent bénéficier de produits
différenciés.

Économie Automobiles Vêtements


domestique
Commerce
intrabranche

Commerce
interbranche

Économie
étrangère
111

6. La validité empirique des thèses de Paul Krugman

Elle peut tout d’abord s’évaluer à partir des données sur les économies d’échelle. Il est très
difficile d’évaluer l’existence d’économies d’échelle internes parce qu’il est particulièrement délicat
de les distinguer des économies externes et du progrès technique. De plus, fort peu d’études
internationales ont porté sur ce sujet. La plus connue est sans doute celle de Werner Antweiller et
Daniel Trefler publiée en 200299. Le tableau joint est issu de leur recherche. Il donne les valeurs de
H< HJ
l’élasticité d’échelle µ (on peut poser que 𝜇 > 1 𝑠𝑖 — < — < — J —, expression dans laquelle C est le
H< HJ
coût total et x le niveau de production et 𝜇 < 1 𝑠𝑖 — < — > — J —).

Élasticités d’échelle

Cette élasticité est supérieure à l’unité en présence d’économies d’échelle et égale à 1 en cas de
rendements constants. Sur 34 branches étudiées pour 71 pays et cinq années entre 1972 et 1992, 11

99
W. Antweiller et D. Trefler, « Increasing returns and All That : A View from Trade », American Economic Review,
vol. 92, N°1, mars 2002, pp. 93-119.
112

sont à rendements croissants, 10 à rendements constants et 13 ont un régime indéterminé. Les


rendements croissants seraient observables dans la pharmacie, l’électronique, les machines, l’acier,
le pétrole, la sylviculture, l’élevage, les mines. Environ un tiers des activités serait donc à
rendements croissants.
Les rendements d’échelle croissants s’expliquent par le poids de coûts fixes importants liés à des
investissements en infrastructures, machines, assurances, coûts publicitaires, coûts de
contractualisation avec l’étranger, coûts de recherche développement etc.
Par exemple, dans une firme comme Wal-Mart aux États-Unis, une augmentation de 10 % des
ventes fait baisser le coût moyen de 2 %. De même, le graphique ci-dessous (repris par un rapport
de l’OMC de 2008 sur le commerce mondial) montre la diminution du coût moyen d’un abattoir
norvégien en fonction des tonnes de viande produites.

Rendements d’échelle croissants et coût moyen de production (en couronnes) d’une


entreprise norvégienne

Source : OMC

Il y a ensuite les données empiriques sur le commerce intrabranche. Le modèle de concurrence


monopolistique éclaire en effet cet aspect fondamental du commerce international contemporain. Il
s’agit du commerce qui résulte d’une dynamique de différenciation des produits et d’économie
d’échelle. Ce commerce est le complément du commerce interbranche qui résulte de l’existence
d’avantages comparatifs.
Une partie importante du commerce mondial concerne aujourd’hui les échanges entre pays
comparables. Il en va ainsi en particulier du commerce entre pays développés.
Le poids du commerce intrabranche d’un pays j avec un pays k pour une activité i se mesure
souvent à partir de l’indicateur de Grubel et Lloyd défini ainsi en désignant par Xijk les exportations
de bien i par le pays j vers le pays k et par Mijk l’équivalent en termes d’importations:

V5&'( + O&'( V
GLijk = 1 − 5&'( W O&'(

Cet indicateur est compris entre 0 et 1. Il est égal à zéro lorsque la branche i exporte un type de
bien qu’elle n’importe pas ou si elle importe un type de bien qu’elle n’exporte pas. En revanche,
113

une valeur unitaire de l’indicateur GL signifie que les exportations du bien i sont égales à ses
importations. Le commerce intrabranche est alors maximal.
Comme le suggère l’utilisation de l’indicateur de Grubel et Lloyd, le commerce intrabranche
concerne surtout les échanges bilatéraux entre pays développés. Ainsi, 86 % des échanges entre la
France et l’Allemagne seraient-ils de ce type et 74 % de ceux qui concernent les États-Unis et le
Canada comme le montre le tableau ci-dessous.

Les principaux échanges intrabranches bilatéraux dans le monde en 2000 (pourcentages et valeurs)

Source : L. Fontagné, M. Freudenberg, G. Gaulier, « A Systematic Decomposition of World Trade into Horizontal
and Vertical IIT», Review of World Economics, Weltwirtschaftliches Archiv, vol. 142, N°3, octobre 2006, page 467.

L’indice global de Grubel et Lloyd pour les échanges de deux pays j et k est naturellement donné
par la formule :

∑&V5&'( + O&'( V
GLjk = 1 − ∑&Y5&'( W O&'( Z
.

En 2006, selon un rapport de Marius Brülhart100 qui portait sur 214 pays, le commerce
intrabranche (Intra-Industry Trade, IIT) représentait 44 % du commerce mondial à un niveau 3-
digits de la nomenclature et 27 % à un niveau plus fin (5-digits) comme le montre la figure jointe.

100
M. Brülhart, « An Account of Global Intra-Industry Trade, 1962-2006 », The World Economy, 2009, pp.401-460. Ce
chercheur a utilisé la base de données commune de la Banque mondiale et de la United Nations Statistical Division’s
Commodity Trade (COMTRADE). Les données portent sur 177 pays en 1962 et 214 en 2006.
114

Indicateur de Grubel et Lloyd du commerce mondial dans deux nomenclatures (3-digits : 177 branches ou
5-digits : 1161 branches)

De nos jours, le commerce intrabranche représenterait environ 40 % du commerce mondial.


L’une des difficultés les plus sérieuses de l’utilisation de l’indicateur de Grubel et Lloyd est
toutefois qu’il dépend fortement de la finesse de la nomenclature utilisée… C’est pourquoi Lionel
Fontagné, Michael Freudenberg et Guillaume Gaulier ont proposé une autre méthode que celle de
Grubel et Lloyd. Ils commencent par définir comme commerce interbranche des situations telles
que les flux soit d’exportations soit d’importations ne représentent que 10 % ou moins de l’autre
flux. Puis, au sein du commerce intrabranche, ils distinguent une composante horizontale qui
regroupe des biens de qualité comparable et une composante verticale qui se réfère à des biens de
qualités différentes101. La distinction est faite sur la base de la valeur à la tonne des exportations et
importations. Si l’écart entre les deux est supérieur à 25 %, les biens sont classés dans la catégorie

101
L. Fontagné, M. Freudenberg, G. Gaulier, « A Systematic Decomposition of World Trade into Horizontal and
Vertical IIT», Review of World Economics, Weltwirtschaftliches Archiv, vol. 142, N°3, octobre 2006, pp. 459-475.
115

des échanges intrabranche verticaux. Le tableau ci-dessous indique les principaux échanges
bilatéraux intrabranches en 2000 par catégories.

Les dix principaux échanges bilatéraux en 2000 par catégories (commerce vertical et
commerce horizontal)

Source : L. Fontagné, M. Freudenberg, G. Gaulier, 2006, op. cit, page 468.

Cet autre tableau issu d’un rapport de l’Organisation mondiale du commerce de l’année 2008
analyse pour l’année 2007 les échanges bilatéraux de l’Allemagne avec ses principaux partenaires
en les décomposant entre échanges intrabranches horizontaux, échanges intrabranches verticaux et
échanges interbranches. Rappelons que ces derniers concernent des échanges bilatéraux dans
lesquels soit les exportations soit les importations ne représentent que moins de 10 % de l’autre flux.
On remarque que les échanges avec les pays en voie de développement sont surtout de nature
116

interbranche. Avec les pays émergents, ce sont souvent des échanges intrabranches verticaux. Enfin,
avec des pays comparables, les échanges intrabranches horizontaux sont souvent dominants.

Dix principaux échanges bilatéraux de l’Allemagne en 2007 par catégories

On note encore que le commerce intrabranche a tendance à progresser avec la taille du pays. De
plus, ce type de commerce est beaucoup plus important aujourd’hui qu’au début des années
soixante. Le développement de l’externalisation et des délocalisations pourrait l’avoir favorisé. En
effet, l’une des caractéristiques du commerce mondial contemporain est le développement des
chaînes de valeur. Les nouvelles technologies et le commerce par containers ont rendu possible le
fractionnement des processus de production. Par exemple, le coton nécessaire à la fabrication d’un
Tee-shirt sera produit au Texas, puis exporté en Chine où le vêtement sera fabriqué avant d’être
réexporté à New York pour l’impression des logos et motifs. Les pays sont donc à la fois
exportateurs de biens qui utilisent des intrants étrangers et exportateurs de biens et services
vir de matériau de rembourrage. L’iPhone d’Apple
ctre technologique : on observe que de nombreux 117
nent des quatre coins du monde.
intermédiaires intégrés aux exportations des autres pays. De même, les composants d’un iPhone
sont-ils de provenances très variées comme on le voit ci-dessous.
ndiales : des vêtements aux appareils électroniques
Mémoire
Processeur d’applications - Flash (Corée)
(Corée)
Radio fréquence
- Bande de base, émetteur- Connectivité
récepteur (Allemagne) - Wi-Fi/BT, GPS (États-Unis)
- Mémoire (États-Unis)

Gestion d’énergie
Écran/appareil photo - Composant principal (Allemagne)
- Écran (Corée ou Japon)
- Écran tactile (États-Unis ou
Taipei chinois)
Interface et capteurs
- Commande de l’écran tactile,
codec audio (États-Unis)
- Boussole (Japon)
Batterie (Corée)
- Accéléromètre, gyroscope
(France)

Source : OCDE, Économies interconnectées : comment tirer parti des chaînes de valeurs mondiales, rapport de
2009) ; celui
synthèse,de
2013l’iPhone 4 a été établi sur la base d’une analyse d’IHS-
n compte les composants, et n’inclut pas les autres dépenses en lien
redevancesAinsi,etl’OCDE 102
droits dea-t-il mesuré (pour
licence) ses pays
; Source de membres
la carteet: pour d’autres économies)
© ARTICQUE – le
pourcentage d’intrants étrangers dans leurs exportations (en bleu ci-dessous) et le pourcentage par
rapport à leurs propres exportations d’intrants locaux utilisés dans les exportations de pays tiers (en
blanc). Les pourcentages qui apparaissent ci-dessous concernent l’année 2009. On voit que de
petites économies comme le Luxembourg ou la Belgique utilisent de nombreux intrants étrangers
dans leurs exportations. Mais les grandes économies comme les États-Unis exportent beaucoup de
biens intermédiaires eux-mêmes utilisés par les pays tiers dans leurs exportations. Ainsi la
participation des États Unis aux chaînes de valeurs mondiales représentent-elles 40 % de leurs
exportations (dont 15 % d’intrants étrangers dans les exportations américaines et 25 % d’intrants
locaux américains utilisés dans les exportations de pays tiers).

eurs que toutes les CVM ne sont pas également


é de fractionnement de la production est lié aux
s produits et aux coûts induits par la dispersion
rs lieux. Ainsi, les services sont moins suscep-
produits manufacturés, notamment lorsqu’ils re-
e le prestataire et le consommateur. En outre, le
nction d’un arbitrage entre les coûts de produc-
sant certaines étapes du processus de production
roduction sont plus faibles, les entreprises rédui-
102 OCDE, Économies interconnectées : comment tirer parti des chaînes de valeurs mondiales, rapport de
uction. Cependant,
synthèse, 2013. elles encourent une augmen-
variables en raison de l’ensemble des services
roduction en différents endroits. Toute modifica-
bitrage peut peser sur les décisions d’externali-
15
118
Graphique 2. Participation aux CVM, 2009
Intrants étrangers et intrants locaux incorporés dans les exportations de pays tiers,
en pourcentage des exportations brutes
Pays de l’OCDE
Participation en amont Participation en aval
80%

70%

60%

50%

40%

30%

20%

10%

0%

Économies non membres


Participation en amont Participation en aval
80%

70%

60%

50%

40%

30%

20%

10%

0%

.
Note : Les données statistiques concernant Israël dans l’ensemble des graphiques du présent document sont fournies
Source
par : OCDE,
et sous Économiesdes
la responsabilité interconnectées : comment
autorités israéliennes tirer partiL'utilisation
compétentes. des chaînes de de
cesvaleurs
donnéesmondiales,
par l'OCDE rapport
est sansde
synthèse, 2013.
préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem-Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjorda-
nie aux termes du droit international.
Revenons à l’indicateur
Source : Miroudot et De Backer de(2013),
Grubel et Lloyd.
“Mapping Global En général,
Value Chains”,l’indicateur
OECD Science,GL est faible
Technology and pour des
Industry
Working Papers, OECD Publishing (à paraître).
produits peu différenciés comme les matières premières, les céréales et le pétrole brut. En revanche,
il est élevé pour des biens plus complexes comme les produits manufacturés, les véhicules, les
machines-outils, la chimie, l’industrie de base ou pour des branches dans lesquelles le pays
considéré n’a pas d’avantage
ÉCONOMIES INTERCONNECTÉES comparatif
: COMMENT TIRER net.
PARTI DES CHAÎNES Il MONDIALES
DE VALEUR a beaucoup
– RAPPORTprogressé dans
DE SYNTHÈSE © OCDE 2013 les industries

alimentaires. La figure jointe montre également la très forte augmentation du commerce


intrabranche des activités qui produisent des biens intermédiaires depuis 1975.
119

source : Marius Brühlart, 2009, op. cité, page 429.

Sur le tableau suivant (issu du rapport 2013 de l’OMC103) figurent les indices moyens de Grubel
et Lloyd de différents pays dans leurs échanges avec des partenaires avancés ou en développement.
Ce tableau confirme l’importance des échanges intrabranches des pays les plus avancés (États-Unis,
Union Européenne, Suisse et Canada) et d’économies émergentes comme la Chine, la Thaïlande,
Singapour, Hong Kong dans le monde contemporain. En revanche, des économies riches en
ressources naturelles comme l’Algérie, le Nigéria, le Vénézuela ainsi que les économies moins
avancées comme la République Centre Africaine, Madagascar ou le Niger pratiquent peu
d’échanges intrabranches.
Dans un article publié en 2013104, Manuel Cabral, Rod Falvey et Chris Milner ont confirmé en
étudiant les échanges bilatéraux des pays de l’UE avec ses 52 principaux partenaires en 2002 que
les échanges intra-branches diminuent avec les différences de revenus par tête. 93 branches étaient
étudiées. En revanche la corrélation positive entre le commerce intra-branche vertical et les
différences de revenu par tête n’est vérifiée que pour des partenaires à revenus par tête élevés. La
corrélation devient en effet négative si l’on considère le commerce intrabranche vertical avec des
partenaires à revenu par tête faible (inférieur à la moyenne européenne). Le même résultat est obtenu
avec les différences de capital par tête.

103
OMC, World Trade Report 2013, tableau B.8, page 70.
104
M. Cabral, R. Falvey et C. Milner, « Endowment Differences and the Composition of Intra-Industry Trade », Review
of International Economics, vol. 21, 3, 2013, pp. 401-418.
WORLD TRADE REPORT 2013

120

Table B.8: Average Grubel-Lloyd indices across sectors for selected economies, 1996-2011
(Index, 0-1)
1996 2011
World Developed Developing World Developed Developing
Hong Kong, China 0.70 0.29 0.65 0.66 0.30 0.61
Singapore 0.65 0.31 0.60 0.65 0.38 0.59
United States 0.61 0.65 0.47 0.62 0.68 0.51
European Union (27) - - - 0.60 0.63 0.51
Malaysia 0.43 0.28 0.51 0.55 0.37 0.58
Canada 0.57 0.59 0.36 0.53 0.58 0.34
Switzerland 0.51 0.52 0.31 0.49 0.49 0.37
Thailand 0.36 0.26 0.44 0.49 0.38 0.53
Mexico 0.50 0.47 0.42 0.49 0.46 0.38
Korea, Republic of 0.42 0.35 0.35 0.48 0.43 0.42
Taipei, Chinese 0.44 0.34 0.38 0.48 0.40 0.48
India 0.34 0.30 0.34 0.44 0.39 0.43
Ukraine 0.43 0.30 0.44 0.43 0.27 0.44
South Africa a 0.41 0.31 0.44 0.41 0.30 0.44
Brazil 0.43 0.32 0.43 0.41 0.33 0.43
China 0.39 0.33 0.40 0.40 0.38 0.36
Panama 0.12 0.08 0.13 0.39 0.12 0.47
Turkey 0.32 0.27 0.36 0.39 0.36 0.41
Japan 0.35 0.34 0.32 0.39 0.36 0.39
Indonesia 0.29 0.23 0.33 0.38 0.30 0.40
New Zealand 0.35 0.34 0.32 0.37 0.40 0.31
Norway 0.38 0.37 0.28 0.33 0.33 0.29
Argentina 0.36 0.21 0.43 0.32 0.19 0.39
Tunisia 0.26 0.18 0.36 0.32 0.26 0.32
Costa Rica 0.26 0.14 0.31 0.32 0.18 0.34
Guatemala 0.29 0.12 0.38 0.31 0.11 0.39
Philippines 0.27 0.23 0.29 0.31 0.28 0.29
Colombia 0.29 0.16 0.39 0.31 0.18 0.36
Australia 0.39 0.38 0.39 0.30 0.34 0.31
Egypt 0.17 0.12 0.19 0.28 0.20 0.33
Chile 0.24 0.14 0.31 0.27 0.14 0.32
Russian Federation 0.38 0.26 0.47 0.26 0.20 0.33
Peru 0.18 0.13 0.21 0.26 0.16 0.29
Uganda 0.12 0.04 0.13 0.24 0.09 0.26
Pakistan 0.14 0.09 0.16 0.24 0.16 0.27
Senegal 0.11 0.06 0.20 0.21 0.10 0.26
Kyrgyz Rep. 0.34 0.07 0.36 0.20 0.06 0.23
Côte d'Ivoire 0.22 0.09 0.32 0.19 0.08 0.22
Bahrain, Kingdom of 0.17 0.05 0.28 0.19 0.05 0.24
Ghana 0.11 0.06 0.19 0.19 0.11 0.18
Ecuador 0.19 0.11 0.24 0.18 0.10 0.21
Zambia 0.18 0.08 0.18 0.17 0.04 0.18
Albania 0.15 0.14 0.11 0.17 0.16 0.14
Madagascar 0.12 0.11 0.11 0.17 0.15 0.16
Kazakhstan 0.32 0.09 0.37 0.15 0.06 0.17
Nigeria 0.09 0.09 0.08 0.14 0.11 0.13
Azerbaijan 0.20 0.05 0.19 0.14 0.04 0.15
Iceland 0.08 0.07 0.09 0.13 0.13 0.14
Nicaragua 0.14 0.07 0.15 0.12 0.09 0.16
Paraguay 0.12 0.05 0.13 0.12 0.06 0.13
Bolivia, Plurinational State of 0.13 0.07 0.17 0.12 0.09 0.11
Niger 0.16 0.02 0.18 0.08 0.06 0.10
Venezuela, Bolivarian Rep. of 0.26 0.16 0.36 0.08 0.05 0.09
Algeria 0.08 0.06 0.12 0.05 0.04 0.04
Central African Rep. 0.08 0.04 0.06 0.02 0.03 0.04

Source: WTO Secretariat estimates based on data for available reporters in the UN Comtrade database.
Note: Averages are taken across SITC Rev.3 products at the 3-digit level.
70 a South Africa refers to South African Customs Union in 1996.
121

III Concurrence monopolistique, rendements d’échelle et variétés : le modèle de Krugman


de 1979 et ses prolongements

Le modèle étudié dans la section précédente mettait l’accent sur le rôle des économies d’échelle
internes dans l’explication de l’échange international. Sans négliger ce thème essentiel qui tient une
large place dans l’analyse, l’intérêt du modèle publié par Paul Krugman en 1979105 est de montrer
que le commerce international peut aussi s’expliquer par le goût des consommateur pour la variété.
De plus, le commerce international favorise le développement des firmes les plus compétitives et
est même un facteur de gains de productivité. Ces effets structurants sur l’efficience productive ont
été mis récemment en lumière par les travaux de Marc Melitz et Daniel Trefler que nous étudierons
au chapitre suivant.
Nous commencerons par présenter le modèle dans un cadre d’économie fermée en situation de
concurrence monopolistique. Le cas de l’économie ouverte sera étudié dans un second temps.

1 Concurrence monopolistique, variétés et économies d’échelle en économie fermée

On considère une économie produisant sur un marché de concurrence monopolistique un grand


nombre de biens similaires qui ne se distinguent que par leurs caractéristiques. Ces biens sont
indicés par la lettre i. La technologie est à rendements d’échelle croissants. On appelle li la quantité
de travail nécessaire à la production du bien i en quantité xi. On suppose que : li = a + bxi avec a, b
> 0 et i = 1,2, …, n. Si w désigne le salaire, le coût de production total du bien i en quantité xi est
donc :

wli = aw + bwxi.

Dans cette expression aw désigne les coûts fixes et bw le coût marginal. Ainsi, le coût moyen
égal à aw/xi + bw est décroissant sous l’effet d’économies d’échelle dues à l’amortissement des
coûts fixes.
Les consommateurs ont la même fonction d’utilité U = ∑![P ![, 𝑣(𝑐! )telle que v’(ci) > 0 où ci est la
consommation individuelle de la variété i. On suppose que les marchés des biens et du travail sont
à l’équilibre. En notant L la quantité de travail disponible, on a donc :

(équilibre du marché des biens) : xi = Lci et


(équilibre du marché du travail) : L = ∑![P ![P
![, 𝑙! = ∑![, (𝑎 + 𝑏𝑥! ).

La technologie étant la même pour toutes les variétés et les fonctions d’utilité étant identiques,
les variétés seront produites à la même échelle et au même prix : pi = p et xi = x pour i = 1, 2, …, n.
H%! 8!
On désigne par ei l’élasticité prix de la demande :𝜀(𝑐! ) = − H8! %! . Krugman suppose qu’elle
H\!
décroît avec le niveau de consommation, soit :H%! < 0.
Chaque entreprise choisit la production qui lui permet de maximiser son profit, c’est-à-dire celle
J! H8!
qui égalise sa recette marginale à son coût marginal. À l’optimum (en se souvenant que 8! HJ! =
%! H8! H8! ,
8! H%!
, puisque xi = Lci), on peut donc écrire que : 𝑝! + 𝑥! HJ! = 𝑏𝑤 ou 𝑝! W1 − \!(%!)
X = 𝑏𝑤 ∀𝑖. En
d’autres termes, le rapport p/w est tel que :

105 P. Krugman, « Increasing Returns, Monopolistic Competition and International Trade », Journal of International
Economics, vol. 9, novembre 1979, pp. 469-479. Tous les articles de cette fin de chapitre sont regroupés dans l’ouvrage
suivant : P. Krugman, Rethinking International Trade, The MIT Press, 1990.
122

𝑝 𝜀(𝑐)𝑏
(1) =
𝑤 𝜀(𝑐) − 1

Comme e diminue avec le niveau de c, le rapport p/w augmente avec c. C’est la courbe PP
croissante sur le graphique joint. Quelle est la signification économique de cette courbe ? Elle
traduit le fait que plus c est grand, moins l’élasticité de la demande est élevée donc plus la marge
des entreprises est forte. C’est l’équivalent de la courbe PP du début du chapitre.
Une seconde condition est la nullité des profits à l’équilibre de la concurrence monopolistique,
soit :

Π = 0 ⟹ 𝑝𝑥 = (𝑎 + 𝑏𝑥)𝑤 ou :
𝑝 𝑎 𝑎
(2) = + 𝑏 = +𝑏
𝑤 𝑥 𝐿𝑐

Cette relation correspond à la courbe ZZ décroissante du graphique. Elle traduit le fait que plus
la production est importante, moins les coûts unitaires sont élevés, ce qui permet une baisse des prix
de vente. C’est donc une logique de coût que traduit cette relation équivalente à la courbe CC du
début du chapitre.
L’intersection des deux courbes permet de déterminer les niveaux d’équilibre de p et de c.
Le nombre de variétés à l’équilibre est alors déterminé par la condition de plein emploi de la
main d’œuvre :

4
𝐿 = ∑![P
![, (𝑎 + 𝑏𝑥! ) avec 𝑥! = 𝑥 ∀𝑖 ⟹ (3) 𝑛 = #W$4%

Il s’agit d’une relation décroissante entre le nombre de firmes et le volume produit de chaque
variété. En effet, si ce dernier est très élevé, il ne sera pas possible de répartir la production entre un
nombre élevé de firmes puisque la quantité de travail disponible est fixe. Inversement, si le volume
de chaque variété est faible, un nombre important de firmes pourront se partager le facteur de
production disponible. Cette relation est représentée par la courbe NN sur le graphique.
Les relations (1), (2) et (3) déterminent c, p et n.
Sur le graphique joint, l’équilibre global de l’économie ainsi décrite est atteint au point A. En ce
point, le prix pratiqué maximise le profit (puisqu’il se situe sur la courbe PP) tout en étant égal au
coût moyen sous l’effet de la concurrence (car le point A appartient aussi à la courbe ZZ).

2 Concurrence monopolistique et accroissement de la taille de l’économie : les effets du


commerce international

Krugman envisage alors successivement les effets d’un accroissement de la taille du marché à
partir de deux sources : un accroissement de L et une ouverture au commerce international.

A) Une augmentation de L (c’est-à-dire de la taille de l’économie) n’affecte pas la courbe PP


mais déplace la courbe ZZ vers le bas comme l’implique l’équation (2). Sur le graphique, la courbe
qui correspond à l’économie ouverte est donc Z1Z1 au lieu de Z0Z0 comme précédemment. Cela
traduit l’amortissement accru des coûts fixes grâce à l’extension du marché.
Il en résulte une baisse de p/w (équivalente à une hausse du salaire réel) et une diminution de c.
La baisse du prix traduit la baisse des coûts unitaires sous l’effet de l’accroissement de la taille du
marché. Graphiquement, la hausse de L entraîne le passage du point A au point B. Cependant, la
123

#
production de chaque variété s’accroît. En effet :𝐿𝑐 = 𝑥 = 5 . Cette augmentation de la
+$
6
production de chaque variété s’explique naturellement par l’accroissement de la taille du marché106.

p/w
Z0 P
Z1

𝑝-
A
𝑤
B
𝑝, Z0
𝑤 P
Z1 c

𝑐, 𝑐-
N1
𝑛,

𝑛- N0

N1

N0
n

4 ,
De même, le nombre de variétés s’accroît puisque : 𝑛 = #W$4%
= 7 et que les deux
W$%
$
composantes du dénominateur baissent.
B) Une ouverture à l’échange international a les mêmes conséquences. Ce n’est guère étonnant
car l’ouverture élargit la taille des marchés et agit donc comme un accroissement de la dimension
de l’économie.
Considérons deux économies identiques. Le prix de chaque variété ainsi que le salaire y sont
les mêmes. Chaque économie se spécialise dans un certain nombre de variétés. Comme on va le
voir ci-dessous, la demande totale de chaque variété s’accroît puisqu’il faut ajouter la demande
externe à la demande interne. Si L* est la quantité de travail à l’étranger, la production de chaque
variété est x = (L + L*)c. L’ouverture à l’échange a donc les effets suivants :
1) Le premier effet est la baisse du prix de chaque variété. En effet, x = (L + L*)c, ce qui implique
8 # #
&
= J
+ 𝑏 = (4W 4∗ )%
+ 𝑏. Il est donc clair qu’à toute valeur de c correspond une valeur plus faible
de p/w. La courbe ZZ se déplace vers la gauche ce qui explique sur le graphique la baisse de p/w.
D’un point de vue économique, cette diminution de p/w correspond à la diminution de la marge de

106Ce graphique est comparable à celui de la page 199 de l’ouvrage de Jean-Louis Mucchielli et Thierry Mayer,
Économie internationale, Dalloz, 2005.
124

chaque producteur en raison de la hausse de la concurrence due à l’ouverture des frontières. C’est
l’effet concurrentiel de l’ouverture à l’échange qui provoque la baisse de prix. En revanche la
quantité consommée c de chaque variété diminue car chacun a désormais la possibilité de
consommer les variétés étrangères. On le voit sur le graphique où l’équilibre passe du point A au
point B.
8 # #
2) De plus, la valeur de x va s’accroître puisque &
= J
+ 𝑏, soit 𝐿𝑐 = 𝑥 = 5 avec p/w en
+$
6
baisse. C’est la conséquence de l’accroissement potentiel de la taille du marché pour chaque
producteur.

3) Le nombre de variétés produites dans chaque pays est proportionnel à la main d’œuvre
disponible :

4 4∗
𝑛= #W$J
et 𝑛∗ = #W$J
.

Ce nombre baisse dans chacune des deux zones économiques après l’ouverture de l’économie
en raison de l’accroissement de x. La courbe NN se déplace vers la gauche. Cela correspond à un
effet de rationalisation qui élimine les entreprises non compétitives. Le nombre d’entreprises
présentes sur le marché doit en effet être compatible avec un prix égal à un coût moyen désormais
plus faible qu’auparavant.

4) De plus, si la consommation de chaque variété a baissé, chaque consommateur dispose d’un


plus grand nombre de variétés. Or, chacun d’eux a un goût pour la variété. Démontrons ce nouveau
résultat.
Supposons que les deux économies soient identiques. On a alors : L + L* = 2L. On cherche le
nombre nT de variétés après ouverture à l’échange :

L = 𝑛- (𝑎 + 𝑏𝐿𝑐- ) = 𝑛, [𝑎 + 𝑏(𝐿 + 𝐿∗ )𝑐, ] = 𝑛, [𝑎 + 2𝑏𝐿𝑐, ] avec , 𝑐, < 𝑐- ce qui implique


#W$4%
que 𝑛, = W#W6$4%8 X 𝑛- .
"

Or, 𝑛 ] , le nombre de variétés après ouverture à l’échange est égal à 2n1 puisque les deux
économies sont identiques.

On peut ainsi écrire :

6#W6$4%
𝑛 ] = W #W6$4% 8X 𝑛- > 𝑛- .
"

Le nombre de variétés disponibles a donc bien augmenté après la mise en place des échanges
entre les deux économies. Mais le nombre de firmes actives dans chaque pays baisse à cause de
l’effet de rationalisation. Ainsi, n0 – n1 entreprises disparaissent dans chaque économie.
5) L’augmentation du nombre de variétés accroît la satisfaction des consommateurs107.
Supposons que leur fonction d’utilité soit 𝑈 = ∑![P ^
![, 𝑐! avec 0 < < 1. Leur contrainte de budget
![P
s’écrit 𝑌 = ∑![, 𝑝! 𝑐! . Or, le prix p des variétés est le même pour toutes et leur niveau de
consommation est identique :

107 Sur tous ces points, voir l’ouvrage d’économie internationale déjà cité de J.-L. Mucchielli et de T. Mayer (2005),
pages 196-201.
125

𝑝! = 𝑝 et 𝑐! = 𝑐 ⟹ 𝑌 = ∑![P
![, 𝑝! 𝑐! = 𝑛𝑝𝑐.

_ _ ^ _ ^
La consommation de chacune d’entre elles est ainsi 𝑐 = P8
d’où 𝑈 = 𝑛 WP8X = 𝑛,+ ^ W8X . On
`a _ ^
en déduit que `P
= (1 − 𝜃)𝑛+^ W8X > 0. L’accroissement du nombre de variétés disponibles
(passées de n0 à nT > n0) accroît l’utilité des consommateurs.

D’un point de vue empirique, une étude publiée en 2006 par Christian Broda et David E.
Weinstein108 en 2006 a montré que le nombre de variétés de biens importés par les États-Unis a
triplé entre 1972 et 2001 ! Il serait passé de 71 000 en 1972 à 260 000 en 2001. Le prix unitaire des
importations ajustées au nombre de variétés aurait baissé de 22,5 % par rapport au prix non ajusté
sur la période 1972-1988 (1,6 % par an) et de 5 % pour la période 1990-2001 (0,5 % par an). Cette
multiplication des variétés disponibles aurait induit sur l’ensemble de cette période un gain de bien-
être pour les consommateurs américains équivalant à 2,6 % du PIB des États-Unis…

6) Les prix étant identiques, la dépense globale dans chaque économie est également
proportionnelle à la main d’œuvre disponible. La part des importations dans l’économie nationale
4∗
est 𝑤𝐿 4W 4∗ . En effet, si nous repartons de l’égalité entre le revenu global et la dépense globale, nous
pouvons écrire que :

_ &4 &
𝑌 = 𝑤𝐿 = 𝐿𝑛 ] 𝑝𝑐 = 𝐿(𝑛 + 𝑛∗ )𝑝𝑐 ⟹ 𝑐 = 4(PW P∗ )8
= 4(PW P∗ )8
= (PW P∗)8. Or, M = Lpn*c, d’où
&4P∗
𝑀= (PW P∗ )
.

4 4∗ P∗ 4∗
De plus, 𝑛 = #W$(4W 4∗ )%
et n* = #W$(4W 4∗ )%, ce qui implique que PW P∗ = 4W 4∗ .

4∗
Si l’on suppose que w = w*, à l’étranger, les importations représentent une proportion 4W 4∗ .du
&44∗
revenu global wL*. On a alors un commerce équilibré entre les deux pays puisque :M = M* = 4W 4∗ .
Il s’agit d’un commerce intra-branches puisque les variétés sont des biens fortement substituables.

Le commerce international est donc maximal lorsque les deux zones sont de tailles égales. Pour
4∗
le voir, on pose x = 4W 4∗ . On a alors M / w(L + L*) = M* / w(L + L*) = x(1 – x). Soit f(x) cette
expression. Elle est maximale si f’(x) = 0, ce qui est vrai si 1 – 2x = 0, c’est-à-dire si x = 1/2.
En résumé, les gains du commerce international sont donc pour l’essentiel la hausse du salaire
réel et l’augmentation du nombre de variétés disponibles.

108
C. Broda et D. E. Weinstein, « Globalization and the Gains from Variety », Quarterly Journal of Economics, vol .
121, N°2, mai 2006, pp. 541-585.
126
127

Chapitre 6
Les nouvelles théories du commerce international : la réponse des
entreprises à l’ouverture commerciale
Nous commencerons par exposer les thèses de Marc Melitz et Daniel Trefler sur l’impact de
l’ouverture à l’échange en matière de profitabilité des entreprises. Dans la seconde section, nous
étudierons les nouvelles théories de l’échange international en situation d’oligopole. La troisième
section abordera les stratégies d’internationalisation des firmes.

I Commerce international, effets de réallocation des ressources et gains de productivité

Nous avons vu que le commerce intrabranche accroît le nombre de variétés à la disposition des
consommateurs et diminue leur prix de vente. Mais l’analyse précédente était fondée sur l’hypothèse
de firmes identiques. Dans la réalité, les entreprises sont hétérogènes et le commerce international
engendre une deuxième série de gains à l’échange. Il permet le développement des firmes les plus
compétitives et le recul ou la disparition de celles qui le sont moins. L’ouverture à l’échange a donc
un effet de réallocation des ressources. C’est ce que montrent des développements récents de
l’analyse économique109.

Marc Melitz
Auteur Analyse
Marc Melitz est un économiste américain né le Il a publié des articles qui permettent d’étudier
1er janvier 1968. C’est un spécialiste reconnu de sur les plans à la fois empirique et théorique
l’économie internationale. Il a été professeur à l’impact du commerce international sur la
l’Université de Princeton de 2006 à 2009, puis productivité et la profitabilité des branches
à l’Université Harvard. Il collabore désormais ainsi que sur les firmes qui les composent. Ces
avec Paul Krugman et Maurice Obstfeld pour travaux sont largement complémentaires des
les nouvelles éditions du célèbre manuel analyses proposées par Paul Krugman.
d’économie internationale qui porte leurs noms.

1. Le modèle de Melitz

Les principes généraux du modèle de Melitz sont les suivants. Sur un marché de concurrence
monopolistique, plus la productivité moyenne de la branche est élevée, plus le profit unitaire
opérationnel minimal à réaliser pour qu’une firme reste sur le marché est bas110. En effet, le profit
opérationnel est le profit hors coûts fixes. Plus la productivité du travail j est élevée, plus le coût
marginal w/j est bas (w désignant ici le salaire nominal). Donc plus la productivité est importante,
plus la quantité produite par chaque firme sera élevée (comme on va l’établir ci-dessous) et plus le
coût fixe unitaire sera faible. Il en résulte qu’une firme à productivité élevée a besoin d’un profit
opérationnel unitaire plus faible pour couvrir ses coûts fixes et rester ainsi rentable. C’est la courbe
décroissante sur le schéma ci-dessous. Inversement, plus la productivité moyenne est élevée dans
une branche, plus les profits attendus par des concurrents potentiels sont importants. C’est la courbe

109
M. Melitz et D. Trefler, « Gains from Trade when Firms Matter », Journal of Economic Perspectives, vol. 26, N°2,
printemps 2012, pp. 91-118.
110
M. Melitz, « The Impact of Trade on Intra-Industry Reallocations and Aggregate Industry Productivity »,
Econometrica, vol. 71, N°6, novembre 2003, pp. 1695-1725.
128

croissante du graphique. La productivité moyenne d’équilibre et le profit unitaire moyen réalisés


sont à l’intersection de deux courbes.
En économie ouverte, c’est la courbe décroissante qui se déplace vers le haut, ce qui élève la
productivité moyenne et le profit d’équilibre. En situation d’échange international, la concurrence
accrue exige en effet pour tout niveau de productivité un niveau minimal de profit unitaire plus
élevé ou pour tout niveau de profit un niveau minimal de productivité plus important car les
exportations nécessitent des coûts d’échange t qui accroissent le coût marginal.

Effet de l’ouverture de l’économie sur le profit et la productivité moyennes

profit Profit attendu


(Free Entry)

P1
P0

Profit minimal exigé


(Zero Cut Profit)

y0 y1 Productivité moyenne

2. Les performances de firmes hétérogènes

Entrons à présent dans le détail de l’analyse. Supposons donc qu’il y ait deux catégories de firmes
en concurrence monopolistique. Toutes les entreprises sont supposées être confrontées aux mêmes
courbes de demande. Leurs coûts marginaux sont également supposés constants. Mais les plus
compétitives des firmes ont un coût marginal c1 plus faibles que les moins compétitives dont le coût
marginal est c2 (avec c2 > c1 ). Les coûts fixes sont notés f sur la figure ci-dessous.
Les firmes les plus performantes pratiquent un prix plus faible avec un taux de marge p – c
supérieur à celui des autres car la droite de recette marginale a une pente plus accentuée que celle
de la courbe de demande. Elles produisent également davantage que les entreprises à coût marginal
élevé. De plus, le profit opérationnel des firmes compétitives est également plus important. Sur le
graphique, les firmes les moins compétitives ont même un profit net (profit opérationnel – coûts
fixes) négatif. Les firmes dont le coût marginal excéderait un niveau c* ne peuvent produire.
129

Source : M. Melitz et D. Trefler, « Gains from Trade when Firms Matter », Journal of Economic Perspectives, vol.
26, N°2, printemps 2012
130

3. Gagnants et perdants de l’ouverture de l’économie à l’échange international

On va voir dans ce qui suit que l’ouverture à l’échange fait pivoter la courbe de demande. Cette
ouverture a en effet deux conséquences :
- un accroissement de la concurrence ;
- une augmentation de la dimension du marché.
La concurrence accrue, à taille inchangée du marché, provoque un déplacement vers la gauche
de la courbe de demande. Par ailleurs, à degré de concurrence inchangée, un élargissement du
marché déplace la courbe de demande vers l’extérieur.
On vérifie facilement ce résultat en constatant qu’avec la droite de demande du premier modèle
,
de Krugman (à savoir : 𝑥 = 𝑆 ‹P − 𝑏(𝑝 − 𝑝̅ )•) :

HJ H8 ,
H8
= −𝑏𝑆, ce qui implique que HJ = − $S
.

Or, la taille du marché s’accroît avec l’ouverture à l’échange. Elle passe d’un volume S à une
taille S’ > S. La pente de la nouvelle droite de demande est donc telle que :

𝑑𝑝 1 1
œ œ = œ− 7
œ < œ− œ
𝑑𝑥 𝑏𝑆 𝑏𝑆

La droite de demande pivote donc comme on le voit sur la partie haute du graphique ci-dessous.
La nouvelle droite de demande a un coefficient directeur plus faible que la droite de demande en
autarcie (quand le marché était de taille S).
Ainsi, les firmes les moins compétitives (qui sont celles qui produisent le moins) sont affectées
essentiellement par l’effet de concurrence alors que les entreprises les plus performantes bénéficient
essentiellement de la dimension accrue de leur marché.
131

Source : M. Melitz et D. Trefler, « Gains from Trade when Firms Matter », Journal of Economic Perspectives, vol.
26, N°2, printemps 2012
132

Le graphique illustre aussi dans sa partie basse les conséquences de l’ouverture à l’échange. La
courbe de profit d’exploitation pivote au profit des firmes dont le coût marginal est faible et au
détriment des autres comme on le voit sur la partie inférieure de la figure. Les firmes dont le coût
marginal est supérieur à c*’ disparaissent. Au contraire, les firmes les plus compétitives diminuent
leurs prix et leurs marges, ce qui leur permet d’accroître leurs parts de marché. Il y a donc des
gagnants et des perdants au cours de l’ouverture à l’échange. Seules les entreprises dont l’effet de
concurrence compense exactement l’effet d’extension du marché verront leur situation inchangée.
Dans ce modèle, le commerce international n’affecte pas la productivité de chaque entreprise.
En revanche, la productivité globale augmente par effet de composition puisque la part de marché
des entreprises les plus performantes augmente. On constate ainsi qu’en 2003, les entreprises
exportatrices françaises sont des entreprises sensiblement plus efficaces que les autres. Leur
productivité totale de facteurs est en moyenne supérieure de 20 % à celle des autres entreprises
françaises. Les salaires moyens y sont plus élevés de 14 % et l’intensité capitalistique de 77 % !111.
Sur un plan empirique, une étude publiée en 2010 par Daniel Trefler et Alla Lileeva112 va plus
loin encore. Elle porte sur l’accord de libre échange américano-canadien signé en 1988 qui aboutit
à une diminution des droits de douane. Cet accord eut trois sortes d’effets (bien que très hétérogènes)
sur les firmes canadiennes. Alors que ces dernières furent souvent incitées à exporter alors qu’elles
ne le faisaient pas auparavant ou à augmenter leurs exportations, les conséquences furent les
suivantes :
- la productivité du travail augmenta ;
- elles innovèrent davantage ;
- elles eurent un pourcentage plus élevé d’adoption de technologies avancées.
Mais devenir une entreprise exportatrice est difficile. En France, en 2015 et selon l’INSEE, il
n’existait ainsi que 222 000 entreprises exportatrices Cela ne représentait que 9,3 % de l’ensemble
des entreprises hors microentreprises et autoentrepreneurs. Mais ce pourcentage est de 19 % dans
l’industrie, 14,9 % dans le commerce, 10, 5 % dans les transports et l’entreposage et 9,3 % dans la
branche des services aux entreprises. Quant à l’importance des exportations en fonction de la taille
de l’entreprise, il est clair que ce sont surtout les firmes de plus de 250 salariés qui exportent. En
France par exemple, ces grandes entreprises réalisent 60 % du chiffre d’affaires des exportations.
De plus, 66 % des firmes de plus de 250 salariés sont exportatrices (contre 8 % pour les entreprises
de moins de 9 salariés et 33 % pour celles de 10 à 249 salariés). Au niveau européen, Thierry Mayer
et Gianmarco Ottaviano ont montré que 1% des entreprises réalisent plus de 40 % des exportations
et en 2003, 10 % des entreprises du secteur manufacturier réalisent 84 % des exportations de cette
branche113...
Dans la réalité, les coûts de l’échange international ne sont pas tels qu’une économie passe de
l’autarcie au commerce international. D’un point de vue empirique, la situation fréquente est celle
d’une libéralisation des échanges qui fait baisser le coût de l’échange que l’on supposera égal à t.
En d’autres termes, on peut faire l’hypothèse que chaque unité produite dans une économie et
vendue à l’extérieur entraine un coût supplémentaire t d’échange extérieur. La figure suivante
(empruntée aux travaux de Melitz et Trefler) illustre les effets d’une diminution de t.
Comme le coût marginal est supposé constant, les décisions de la firme concernant le marché
domestique et le marché étranger peuvent être séparées. Le profit réalisé à l’étranger est plus faible

111
P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Économie internationale, Pearson, 10e édition, chapitre 8, 2015, chapitre 8,
pages 186-88.
112
A. Lileeva et D. Trefler, « Improved Access to Foreign Markets Raises Plant-Level Productivity… For Some Plants»,
The Quarterly Journal of Economics, vol. 125, N° 3, août 2010, pp. 1051-1099.
113
T. Mayer et G. P. Ottaviano, The Happy Few : The Internationalisation of European firms, CEPR, Bruegel Blueprint
Series, volume III, 2007.
133

puisqu’il correspond à un coût marginal c + t supérieur au seul coût de production c. C’est ce que
montre la partie haute de la figure.
La partie basse du graphique met en évidence les conséquences d’une libéralisation des échanges.
Cette libéralisation des échanges (baisse de t) diminue les profits réalisés sur le marché domestique
à cause de l’effet concurrentiel (déplacement vers le bas de la courbe des profits opérationnels).
Certaines entreprises à coûts élevés qui produisaient pour le seul marché domestique disparaissent.
En revanche, les entreprises compétitives profitent de l’extension du marché pour développer leur
production à l’étranger. La courbe de leurs profits opérationnels se déplace vers le haut. Certaines
entreprises qui n’étaient pas exportatrices le deviennent.
Les développements précédents s’appliquaient aux seuls effets « between plant » du commerce
international. Mais il existe également des effets « within plant ». L’ouverture aux échanges
augmente en effet la taille du marché des meilleures entreprises. Ces dernières ont donc la capacité
de mieux amortir les coûts fixes souvent très élevés de l’innovation. Supposons qu’une innovation
entraine un coût fixe f et engendre une baisse permanente de coût marginal égale à Dc. Si l’entreprise
réalise l’innovation alors qu’elle produit un volume q, sa baisse de coûts sera égale à qDc. Dès lors,
l’innovation sera rentable si la dimension du marché de l’entreprise est telle que q > f/Dc. Les
mesures de libéralisation du commerce international permettent ainsi à certaines entreprises
compétitives d’atteindre une dimension critique leur permettant d’augmenter leur efficience
productive. Un cercle vertueux de la compétitivité est alors créé.
Selon Melitz et Trefler, c’est un phénomène de ce type qui a été induit par l’accord de libre
échange entre les États-Unis et le Canada, cet accord étant entré en vigueur le 1er janvier 1989. Les
entreprises canadiennes qui ont commencé à exporter à la suite de cet accord ont accru leur
productivité du travail de 29 % de plus que les entreprises non exportatrices...
134

Source : M. Melitz et D. Trefler, « Gains from Trade when Firms Matter », Journal of Economic Perspectives, vol.
26, N°2, printemps 2012
135

II Commerce international et oligopole : le modèle de Brander et Krugman

Ce modèle a fait l’objet d’une publication des deux auteurs en 1983114. Il permet d’établir que
l’analyse pure du commerce international proposée au chapitre précédent dans le cadre de la
concurrence monopolistique est partiellement transposable au cas d’un marché global d’oligopole.
Nous commencerons par rappeler l’analyse de l’oligopole de Cournot qui est à la base du modèle
étudié.

Augustin Cournot
Auteur Analyse
Augustin Cournot Son ouvrage publié en 1838 sous le titre Principes mathématiques de
(1801-1877) est un la théorie des richesses est l’un des premiers à introduire les
philosophe et mathématiques dans l’analyse économique. Le livre met l’accent sur la
mathématicien fonction de demande (loi du débit) décroissante par rapport au prix
français. Il enseigna alors que les classiques privilégiaient essentiellement l’offre. Cournot
les mathématiques et met aussi au point la première théorie du monopole et montre que
fit une carrière de haut l’accroissement du nombre d’entreprise fait baisser le prix. Il part de
fonctionnaire de l’analyse du monopole et démontre que plus le nombre d’entreprises
l’éducation nationale. est grand et plus le prix est bas. La théorie de la concurrence se déduit
de cette proposition.

1 Rappels sur le duopole de Cournot

Deux entreprises se partagent le marché. Chaque producteur cherche à maximiser son profit en
considérant la production de l’autre comme donnée.
Soit xi la production de l’entreprise i. Soit p le prix fixé par le marché ; ce prix décroît avec la
production globale (x1 + x2) des deux entreprises :

p = p(x1 + x2) et p’(x) < 0 avec x = x1 + x2.

La fonction de profit de chacun s’écrit :

P(xi) = pxi – C(xi), avec i = 1,2, p = p(x1 + x2) et p’(x) < 0 avec x = x1 + x2.

On suppose que la fonction p(x) est linéaire : p(x1 + x2) = a – b(x1 + x2).

Une condition nécessaire à l’obtention d’un profit maximal est que la dérivée de la fonction de
profit par rapport à xi s’annule sous l’hypothèse que xj est donné. On a donc :

P(xi) = axi – bxi2 – bxixj – C(xi) et ΠJ7 & = 0 ⇒ 𝑎 − 2𝑏𝑥! − 𝑏𝑥" - 𝐶 7 (𝑥! ) = 0 (pour i = 1,2, j = 1, 2
et i ≠ j). Soit :

P(x1) = ax1 – bx12 – bx1x2 – C(x1) ⇒ ΠJ7 " = 0 ⇒ 𝑎 − 2𝑏𝑥, − 𝑏𝑥6 - 𝐶 7 (𝑥, ) = 0 pour le producteur
1 et

114 J. Brander, P. Krugman, « A Reciprocal Dumping Model of International Trade », Journal of International
Economics, vol. 15, 1983, pp. 313-321.
136

P(x2) = ax2 – bx22 – bx1x2 – C(x2) ⟹ ΠJ7 % = 0 ⇒ 𝑎 − 2𝑏𝑥6 − 𝑏𝑥, - 𝐶 7 (𝑥6 ) = 0 pour le
producteur 2

Les expressions 𝑎 − 2𝑏𝑥, − 𝑏𝑥6 − 𝐶 7 (𝑥, ) = 0 et −2𝑏𝑥6 − 𝑏𝑥, − 𝐶 7 (𝑥6 ) = 0 sont les fonctions
de réaction de chaque producteur. Elles indiquent le volume de production choisi en fonction de la
production du concurrent.

La fonction de réaction de l’entreprise 1 (en rouge sur la figure jointe) est une droite ayant une
pente égale à -2 et celle de l’entreprise 2 (en bleu) est une droite de pente égale à -1/2.

Les volumes de production sont ainsi les solutions du système suivant de deux équations : 𝑎 −
2𝑏𝑥, − 𝑏𝑥6 - 𝐶 7 (𝑥, ) = 0 et 𝑎 − 2𝑏𝑥6 − 𝑏𝑥, - 𝐶 7 (𝑥6 ) = 0.

Supposons que les coûts marginaux soient indépendants des quantités produites :

C’(x1) = c1 et C’(x2) = c2 où c1 et c2 sont des valeurs positives et constantes.

Le système d’équations 𝑎 − 2𝑏𝑥, − 𝑏𝑥6 - 𝑐, = 0.et 𝑎 − 2𝑏𝑥6 − 𝑏𝑥, - 𝑐6 = 0 détermine les


volumes d’équilibre notés respectivement x1* et x2*. On obtient :

#W %% + 6%" #W %" + 6%%


𝑥,∗ = U$
et 𝑥6∗ = U$
.

Le prix de marché est alors p* = a – b(x1* + x2*).

On constate que x1* = x2* si c1 = c2, que x1* > x2* si c1 < c2 et que x1* < x2* si c1 > c2.

Cet équilibre est représenté sur le graphique joint. La part de marché de chaque entreprise dépend
de son coût marginal comme nous l’avons vu. Si ce dernier est identique, chaque entreprise aura la
même production et le point d’équilibre E sera sur la bissectrice comme on peut le voir sur la figure
ci-dessous.
137

Le duopole de Cournot
x2
Fonction de réaction de 1
de pente = -2

E
x2 *

Fonction de réaction
de 2 de pente = - 1/2

x1 * x1

On constate aussi que cet équilibre est stable.

2 Le duopole de Brander et Krugman

On considère deux entreprises confrontées à la même fonction de demande dans deux pays. Soit
x la production de la firme 1 pour le pays domestique et x* sa production pour l’étranger. La firme
2 est étrangère et produit y pour le marché domestique et y* pour son marché interne situé à
l’étranger. La courbe de demande dans chaque pays a pour expression :

p = a – bX avec X = x + y et a > 0, b > 0

On suppose que le coût de production de chaque firme est plus élevé lorsqu’elle produit pour
l’étranger en raison des coûts de transport. Si l’on désigne par c le coût marginal d’une production
pour le marché interne, le coût marginal d’une unité destinée à l’étranger est ainsi supposé égal à
%
b
avec 0 < g < 1.

La fonction de coût total de chaque producteur est donc respectivement égale à :

J∗ (
𝐶 = 𝐹 + 𝑐 W𝑥 + b
X et 𝐶 ∗ = 𝐹 + 𝑐 W𝑦 ∗ + bX où F désigne les coûts fixes.

On observe que le coût unitaire diminue avec le volume de production en raison de l’existence
de coûts fixes. Le profit de l’entreprise 1 s’écrit alors sous la forme :

J∗
Π, = [𝑎 − 𝑏(𝑥 + 𝑦)]𝑥 + [𝑎 − 𝑏(𝑥 ∗ + 𝑦 ∗ )]𝑥 ∗ − 𝐹 − 𝑐 W𝑥 + b
X = 𝑎𝑥 − 𝑏𝑥 6 − 𝑏𝑥𝑦 + 𝑎𝑥 ∗ -
%J ∗
b(𝑥 ∗ )6 − 𝑏𝑥 ∗ 𝑦 ∗ − 𝐹 − 𝑐𝑥 − b
.

Il s’agit d’une fonction concave dont le maximum est atteint si les dérivées premières par rapport
à x et x* s’annulent. On a donc :
138

a – 2bx – by = c et a – 2bx* - by* = c/g.

On obtient de même pour l’entreprise 2 :

(
Π6 = [𝑎 − 𝑏(𝑥 + 𝑦)]𝑦 + [𝑎 − 𝑏(𝑥 ∗ + 𝑦 ∗ )]𝑦 ∗ − 𝐹 − 𝑐 W𝑦 ∗ + bX = 𝑎𝑦 − 𝑏𝑦 6 − 𝑏𝑥𝑦 + 𝑎𝑦 ∗ -
%(
b(𝑦 ∗ )6 − 𝑏𝑥 ∗ 𝑦 ∗ − 𝐹 − 𝑐𝑦 ∗ − b

Donc à l’optimum, pour l’entreprise 2, on a : a – 2by – bx = c/g et a – 2by* – bx* = c.

Chaque entreprise adopte un volume de production tel que sa recette marginale réalisée sur un
marché soit égale au coût marginal sur ce marché. Cela implique que la firme étrangère produira
moins sur un marché que son concurrent car elle vend au même prix que lui mais supporte un coût
plus élevé. On en déduit que sur chaque marché, la part de l’entreprise étrangère est plus faible.
On peut d’ailleurs le vérifier en résolvant le système d’équations suivant sur le marché
domestique :

a – 2bx –by – c = 0 (fonction de réaction de l’entreprise 1 sur le marché domestique) et


a – 2by – bx – c/g = 0 (fonction de réaction de l’entreprise 2 sur le marché domestique).

On trouve alors :

, % , 6%
𝑥= U$
W𝑎 + b
− 2𝑐Xet 𝑦 = U$
W𝑎 + 𝑐 − b
X.

Comme g est compris entre zéro et l’unité, il est clair que x > y. C’est bien ce que l’on constate
sur le graphique ci-dessous dans lequel E désigne l’équilibre de duopole caractérisé par le fait que
x > y.

Sur chacun des deux marchés, le prix est le même. La firme étrangère réalise donc sur ses ventes
à l’exportation une marge bénéficiaire moindre puisque son taux de marge est de :
9 ;
8+<O <O W
: <
8
=1− 8
=1− 8

alors que la firme domestique dégage une marge unitaire de :


9
8+<O <O W%
8
=1− 8
=1− )
8
; or, F/x < F/y puisque x > y et c < c/g

L’avantage pour chaque firme de vendre une partie de sa production à l’étranger est que cela lui
permet d’accroître sa production et d’abaisser ainsi ses coûts unitaires grâce aux économies
d’échelle. Ces dernières induisent un commerce international « intrabranches ». ainsi les résultats
du modèle « krugmanien » du chapitre précédent sont généralisés au cas de l’oligopole : l’une des
sources principales du commerce intrabranche est la recherche d’un marché plus vaste qui permet
de mieux amortir les coûts fixes.
On observe aussi que le prix pratiqué à l’étranger par chaque firme est, une fois calculé FOB, c’est-
à-dire net de coûts de transport, inférieur à celui qu’elle pratique sur son marché d’origine. Brander
139

et Krugman évoquent ainsi un « dumping réciproque ». Le commerce international est donc un


facteur de baisse des prix mondiaux.

y
Fonction de réaction
de 1, de pente = -2

Fonction de
réaction de 2, de
E pente = - 1/2

45°
x

Ce type de dumping peut apparaître dans un premier temps comme une forme de gaspillage
puisqu’on exporte un bien qui supporte des coûts de transport alors qu’il est également produit
localement. Toutefois, il ne faut pas oublier que cette pratique permet de maintenir un minimum
de concurrence sur chaque marché, du moins s’il n’y a pas entente.
Au niveau européen, toute entreprise, association d’entreprises ou État qui s’estime victime de
dumping (considéré comme une pratique anticoncurrentielle) peut déposer plainte auprès de la
Commission. Des plaintes sont également déposées de plus en plus fréquemment auprès de
l’OMC. De 1995 à 2016, 15 plaintes ont été déposées (principalement par des pays émergents)
contre l’Union européenne et 54 contre les États-Unis.
Aux États-Unis, il existe un Anti Dumping Act depuis 1921. De plus, depuis 1974, le dumping
est présumé exister si le prix des importations est inférieur au coût étranger de production
augmenté d’une large marge de profit.
Les économistes ont rarement condamné le dumping dans la mesure où il s’agit d’une pratique
commerciale considérée comme défendable dans le cadre d’une discrimination par les prix. Il
s’agit par exemple d’accorder des tarifs préférentiels à des clients réguliers.
Le modèle pur de dumping peut être présenté de la façon suivante. Considérons une firme
disposant d’un monopole sur le marché domestique parce qu’elle est protégée (par exemple par un
droit de douane). En situation de non exportation, le prix pratiqué est celui qui permet l’égalisation
du coût marginal Cm et de la recette marginale Rm. Ce prix est noté pm sur le graphique joint. Si
l’entreprise a la possibilité d’exporter, elle est confrontée à un prix mondial pw inférieur à pm.
Toutefois, ce prix est supérieur au coût marginal jusqu’à un niveau de production OB. L’entreprise
a alors intérêt à vendre à l’extérieur au prix mondial qui constitue sa recette marginale à l’étranger.
Dans le même temps, elle pratique un prix pd sur son marché interne de manière à égaliser sa
recette marginale interne à sa recette marginale externe pw.
140

Le modèle pur de dumping

Cm
pd

pm
pw

D (Demande interne)

Recette
marginale
interne production
O A B

Sur le graphique, La courbe D représente la demande interne. L’entreprise exporte une quantité
AB et vend un volume OA sur son marché domestique à un prix pd supérieur au prix de monopole
pm.
La segmentation des marchés et la pratique de discrimination par les prix sous la forme de tarifs
différents en fonction du pays où le bien est vendu sont fréquentes sur le marché automobile
européen en raison de coûts de transaction entrainés par les formalités administratives que doivent
remplir les consommateurs. Des différentiels de 10 à 27 % ont été observés couramment115.

115
J.-L. Mucchielli et T. Mayer, Economie internationale, Dalloz, 2005, page 207.
141

III Les stratégies d’internationalisation des firmes

1 Quatre modalités d’internationalisation

L’exportation n’est évidemment pas la seule possibilité que possède une entreprise de s’intégrer
au marché mondial. Il en existe trois autres :
- l’investissement direct horizontal : il s’agit d’un engagement de capitaux représentant au
moins 10 % du capital de la filiale à l’étranger. De plus, dans ce cas, l’investissement direct (IDE)
est qualifié d’horizontal car la firme réplique à l’étranger l’activité de la maison mère (exemple des
cafés Starbucks ou de la construction de la Toyota Yaris à Valenciennes). Ce type d’investissement
direct est essentiellement dirigé vers les pays développés.
- l’investissement direct vertical est aussi un investissement correspondant à au moins 10 % de
la filiale étrangère. Mais il s’agit cette fois de confier une partie du processus de production à cette
filiale (montage des iPhones en Chine ou site de production de PSA en Slovaquie).
- l’externalisation (ou outsourcing) : l’entreprise choisit de faire faire plutôt que de faire elle-
même. La production a lieu sous licence ; elle est réalisée par une entreprise indépendante (cas du
constructeur automobile roumain Dacia de 1960 à 1999 avant son rachat par Renault).
Deux précisions :
- Les investissements directs sont qualifiés d’investissements greenfield s’ils correspondent à
une création ex nihilo de la filiale (par exemple construction d’une usine au Mexique par une firme
américaine) et d’investissements brownfield s’ils sont réalisés par rachat d’une firme déjà existante
à l’étranger (rachat de Dacia par Renault par exemple).
- Les IDE verticaux et l’externalisation correspondent à ce que l’on appelle un offshoring car
ce terme désigne le fait de produire ou de faire produire à l’étranger une partie de la chaîne de
valeur116.
Les IDE ont connu une forte expansion depuis les trois dernières décennies : 35 % de la FBCF
mondiale en 1990 contre 7,2 % en 2017117.
Mais quels sont les déterminants des choix stratégiques des entreprises en matière
d’internalisation ?

2 Les logiques économiques des différentes modalités

Les exportations sont déterminées par une logique économique qui est une combinaison de
coûts comparatifs et d’économies d’échelle. Une fois la compétitivité internationale des firmes
déterminée, si l’on désigne par t le pourcentage des frais de transport et de droits de douane et si F
est le coût de création d’une filiale à l’étranger, l’entreprise va dépenser tQ pour exporter Q unités
de biens à l’étranger ou F si elle crée une filiale. Cela implique que si la condition Q < F/t, les
exportations sont la meilleure stratégie. Mais l’inégalité précédente ne prend pas en compte les
économies d’échelle internes réalisées grâce à la stratégie d’exportation qui permet d’amortir les
coûts fixes par une production domestique plus élevée. C’est pourquoi peu d’entreprises deviennent
multinationales.
En revanche, si Q > F/t, la création de la filiale étrangère est la meilleure stratégie si l’on néglige
l’impact de la dimension du marché sur les économies d’échelle.

116 P. Krugman, M. Obstfeld et M. Melitz, Économie internationale, Pearson, 12ème édition, chapitre 8, 2022,
chapitre 8, pages200 à 206.
117 Chiffres cités par Ivan Ledezma et Hélène Lenoble-Liaud dans leur ouvrage Économie internationale, PUF,
2020, page 161.
142

Selon une logique alternative, la stratégie d’IDE horizontal permet de s’approcher de la demande
étrangère. Le choix exportation/IDE horizontal est donc un arbitrage concentration/proximité.
Les IDE verticaux obéissent quant à eux à une logique de coûts marginaux comparatifs. On
aborde ici une logique de délocalisation dans laquelle on confie une partie de la production à une
filiale étrangère. Les chaînes de valeur constituent un commerce intra-firme qui représente 30 % du
commerce mondial.
Enfin l’externalisation (outsourcing) a l’avantage pour la firme d’impliquer un moindre
transfert de technologie. En effet, dans ce contexte, une partie seulement de la chaîne de valeur est
concernée. Cependant, la solution de l’outsourcing pose le problème de la rédaction et de la
renégociation d’un contrat avec une autre firme, ce qui est coûteux et aléatoire dans la mesure où le
contrôle du fournisseur est alors bien moindre que dans le cadre d’un IDE vertical. Il y a donc un
arbitrage complexe à réaliser entre l’IDE vertical et l’externalisation. Une étude de Fabrice Defever
et Farid Toubal montre que ce sont les multinationales françaises les plus productives qui choisissent
l’externalisation118.

118
F. Defever et F. Toubal, « Importations de biens intermédiaires et choix organisationnel des firmes multinationales
françaises », Économie et Statistique, n°435-436, 2010, pp. 169-184.
143

Chapitre 7
Les distorsions au libre échange
Nous étudierons dans la section 1 les formes du protectionnisme. La section 2 sera consacrée à
l’analyse du protectionnisme et la section 3 aux problèmes de défaillance des marchés.

I Les formes du protectionnisme

1 Les droits de douane

C’est la forme la plus ancienne du protectionnisme.


Dès 1816 par exemple, les États-Unis protégèrent leur industrie naissante par un droit de douane
de 20 % sur la plupart des marchandises119.
La forme la plus courante du protectionnisme est le droit ad valorem c’est-à-dire proportionnel
au prix (par exemple 10 % du prix d’un ordinateur importé). C’est ce qu’ont fait par exemple les
États-Unis en mars 2018 en imposant des droits de douane additionnels de 25 % sur l’acier et de 10
% sur l’aluminium en provenance de l’UE, de la Turquie, de la Chine, du Canada et du Mexique
pour protéger l’emploi en Pennsylvanie. L’Union Européenne avait riposté en taxant les motos, les
jeans, le tabac, le maïs, le riz et le jus d’orange en provenance des États-Unis. De même, une taxe
douanière de 25 % a touché les exportations de vins français non effervescents, de fromages, d’huile
d’olive, de whisky vers les États-Unis à partir d’octobre 2019. A la même période, les Autorités
américaines ont imposé avec l’accord de l’OMC des taxes de 15 % sur les Airbus. A son tour,
l’Union Européenne avait été autorisée en octobre 2020 par l’OMC à prendre des mesures de
rétorsion. Mais en juin 2021, Washington et Bruxelles ont décidé de suspendre ces taxes liées au
conflit Airbus-Boeing (qui dura de 2004 à 2021) durant cinq ans. En octobre 2021, les droits de
douane additionnels sur l’acier et l’aluminium européens ont été supprimés par l’administration
Biden.
Le taux consolidé de droit de douane est le taux maximal pratiqué par un pays qu’il s’est engagé
auprès de l’OMC à ne pas dépasser.
En 2017, la valeur moyenne des droits de douane était selon la Banque Mondiale de 5,2 %. Ce
pourcentage est environ six fois plus faible qu’il y a une cinquantaine d’années ! Mais la dispersion
des taux moyens est assez large : 2,4 % en 2018 en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et dans
l’ensemble de l’UE, 3,3 % aux États-Unis, 2,0 % au Canada, 7,6 % en Chine, 3,8 % au Japon.
Il existe d’autres formes de droits de douane. L’une des formes les plus connues (mais peu
utilisée) est le droit de douane spécifique qui consiste à payer une certaine somme par unité physique
importée (par exemple 1000 euros par tonne).

Le graphique ci-dessous met en évidence la tendance baissière des droits de douane au cours des
trente dernières années.

119
R. C. Allen, Introduction à l’histoire économique mondiale, La Découverte, 2014, page 87.
144

Moyenne des taux de droits de douane pratiqués dans le monde (période 1988-2018)

Source : Banque Mondiale

2 Les barrières non tarifaires et les autres formes de protectionnisme

Il s’agit des subventions à l’exportation, des normes, des quotas et des restrictions volontaires à
l’exportation.
Les normes ou standards de qualité peuvent être sanitaires (pour la santé des personnes ou des
animaux), phytosanitaires (pour les végétaux) ou techniques. Elles ont engendré de nombreux
conflits comme ceux qui ont opposé l’Union européenne aux États-Unis au sujet des OGM. En effet
ces normes cachent parfois une nouvelle forme de protectionnisme pratiquée par des gouvernements
soucieux de protéger des entreprises domestiques. En 2013, l’OMC dénombrait 11288 mesures
sanitaires et phytosanitaires en vigueur (mesures relatives à l’innocuité d’aliments et normes
sanitaires pour les animaux et végétaux) ainsi que 15560 obstacles techniques au commerce
(règlements, normes, procédures d’essai et de certification)120.
Aujourd’hui, les normes reflètent moins le protectionnisme que ce que Pascal Lamy a appelé
récemment dans une interview au journal Le Monde le « précautionnisme ». Les États cherchent de
plus en plus à protéger les populations d’un certain nombre de risques notamment dans le domaine
sanitaire.
En cas de quotas, le pays importateur restreint les quantités importées en accordant des licences
d’importation. Par exemple, les États-Unis ont un quota sur les importations de fromage étranger.
La restriction volontaire d’exportation (RVE) est un quota fixé par le pays exportateur lui-même
pour éviter de subir des droits de douane ou d’autres quotas. C’est ce que fit par exemple le Japon

120
Le Monde du 17 juin 2013. Exemples de règles et normes freinant les échanges internationaux : pêche de crevettes
par des moyens respectueux des tortues marines, fleurs sans résidus de pesticides, jouets répondant à des tests de
résistance, automobiles n’émettant pas de CO2 au-delà d’un certain seuil, couleur imposée des fusées de détresse d’un
yacht, obligation d’exporter la valeur correspondante à des importations d’eaux de toilette ou de vins, interdiction du
poulet lavé au chlore, de la viande de bœuf aux hormones, du maïs OGM, obligation faite aux banques de prouver que
leurs contrôles permettent de réduire les risques de produits financiers.
145

de 1981 à 1985 pour ses exportations d’automobiles vers les États-Unis. De même, la Chine accepta
de limiter ses exportations de panneaux solaires vers l’UE en 2013 (7 gigawatts par an avec un prix
plancher de 0,56 euro par watt).
On notera que les quotas ont des effets comparables à ceux des droits de douane à une différence
près : les quotas engendrent une rente perçue par les vendeurs de licences d’importation alors que
les droits de douane sont des recettes fiscales au bénéfice de l’État.
Les subventions d’exportation, les quotas et les RVE sont aujourd’hui relativement peu courants
car interdits par l’OMC.
En revanche, les subventions /crédits d’impôt à des biens produits sur le territoire national sont
une forme active de protectionnisme. Un exemple en est donné par le plan IRA de Joe Biden (IRA
pour Inflation Reduction Act) adopté en 2022. Ainsi un crédit d’impôt de 7500 dollars fut accordé
aux États-Unis aux acheteurs d’une voiture électrique fabriquée aux États-Unis avec des composants
américains et des minéraux extraits aux États-Unis ou dans les pays ayant des accords commerciaux
avec les États-Unis (Canada, Australie, Mexique, Chili, Pérou…). De telles décisions étaient
évidemment discriminatoires pour les industries européennes à forte intensité énergétique mais
aussi pour l’automobile européenne ainsi que pour les énergies renouvelables et les batteries de
notre continent.

II Les effets des droits de douane

1 Analyse d’équilibre partiel

L’analyse traditionnelle de l’impact d’un droit de douane est représentée par le graphique ci-
dessous. Sur ce graphique m représente les quantités importées, D la demande de bien importé, S*
l’offre d’exportation121.
Supposons pour commencer que le pays est suffisamment grand pour que l’exportateur qui
l’approvisionne augmente son prix en fonction de la quantité écoulée dans le pays. La courbe S est
alors croissante.
En libre échange, le prix payé à l’exportateur pour le bien importé est p*0. En revanche, le prix
après instauration d’un droit de douane est égal à p1. Le prix payé initialement par le consommateur
(en libre échange) est p0 et le prix p1 payé par ce même consommateur après l’application d’un droit
de douane au taux t est :

p1 = p*1(1 + t)

La mise en place du droit de douane déplace la courbe S* vers le haut car toute quantité offerte
l’est désormais à un prix plus élevé pour les consommateurs du pays qui doivent payer le droit de
douane.
L’instauration du droit de douane augmente donc le prix payé par les consommateurs et fait
baisser le volume d’importations de m0 – m1.

121
Ce graphique est extrait de l’article de Mary Amiti, Stephen J. Redding et David E. Weinstein, « The Impact of the
2018 Tariffs on Prices and Welfare », Journal of Economic Perspectives, vol. 33, N° 4, automne 2019, pp. 187- 210.
190 Journal of Economic Perspectives
146

Figure 1d’un droit de douane dans le cas d’un « grand pays »


Impact
Impact of a Tariff on Prices

S (1 + τ)
*

p*τ

p1 = p*1 (1 + τ)
S*

A B
p*0 = p0
C D
p*1
D
m1 m0 m

Source: Authors.
Note: Horizontal axis shows the quantity of imports; vertical axis displays the price of the good; D
corresponds to the import demand curve; S ⁎ represents the export supply curve.

Source du graphique : M. Amiti, S. J. Redding et David E. Weinstein, « The Impact of the 2018 Tariffs on Prices
and Welfare », Journal of Economic Perspectives, vol. 33, N° 4, automne 2019.
producer surplus, equal to C, is transferred in the form of tariff revenue to the home
government, and the triangular region D constitutes the deadweight welfare loss from
Lathe
région rectangulaire A + la région B définit une aire représentant la perte de welfare du
distortion of foreign production and consumption decisions.
consommateur (A, coût
A clarifying supplémentaire
special d’achat
case of the impact + B perte
of tariffs de consommation).
on prices and welfare comes
Les régions rectangulaires A + C sont les gains du gouvernement
when exports are supplied perfectly elastically and so the export supply sous curve
formeisde recettes fiscales.
Lahorizontal,
différenceas p* shown
0 – p* peut
in Figure
1 2. In this case, the imposition of a foreign tariff de
s’interpréter comme un gain des termes willl’échange du pays
imposant
have noun effect
droit de douane.prices. This means that the home country will necessarily
on foreign
Lalose,
région D correspond
because region C is zeroà une
andperte
hence résultant desterm
there is no distorsions des décisions
of trade gain—leaving thede production et de
consommation.
home country with only the welfare loss due to the distortion of domestic production
Leand
gainconsumption decisions. Therefore,
net pour l’économie est donc C Figures
– B qui1 and
peut2 illustrate thatlethe
être, selon cas,welfare
positif ou négatif. Si le
droit de douane est faible, la courbe S*(1 + t) est proche de S* et le gain a de fortes chances d’être
effects of a tariff depend crucially on how steep the export supply curve is.
This conventional approach can be used to obtain a quantitative estimate of
positif. Ainsi, le gain net croît jusqu’à un maximum avant de disparaître à un niveau de t qui fait
the effect of the import tariff on welfare. If we assume that the import demand
disparaître les importations. On peut donc définir un droit de douane optimal.
curve has a constant slope and approximate region B by a triangle, we can then
Mais comment calculer le droit de douane optimal ? Ce dernier est tel que le coût marginal de la
calculate the deadweight welfare loss if we know the value of imports122after the impo-
dernière
sitionunité importée
of tariffs, est rate,
the tariff égal and
au prix intérieur du
the percentage bieninimporté
change coût ℂ des importations
. Orofleimports
the quantity
1 Hℂ
est égal à p*m, ce
in response to qui implique
the tariff. que le coût marginal des importations est :
Hd

1
In algebraic terms, the height of this triangle is given=
𝑑𝑝is∗ given by m – m . The dead-
𝑑ℂ by p ⁎ τ∗ and its base
𝑝
1 + 𝑚 0 1
weight welfare loss is then given by __12 p ⁎1 τ(m 0 – m𝑑𝑚 ⁎
1) = 2 (p 1 m1)τ(m 0 – m𝑑𝑚
1
__ ⁎
1)/m1, where p 1 m1 is the value of
imports after the imposition of tariffs, τ is the tariff rate, and (m 0 – m1)/m 0 is the percentage change in
the quantity of imports due to the imposition of the tariffs.
Ce qui peut s’écrire :

𝑑ℂ 1
= 𝑝∗ ^1 + _
𝑑𝑚 𝑒d

122
J. L. Mucchielli et T. Mayer, Économie internationale, Dalloz, 2005, page363.
147

,
Expression dans laquelle @*
est l’inverse de l’élasticité prix des exportations du pays étranger
`d 8∗
(notée em) égale à `8∗ d .

Hℂ
A l’optimum, le coût marginal d’importation Hd doit être égal au prix interne p du bien importé
qui est tel que :

p = p*(1 + t)

Le taux optimal de droit de douane (noté 𝜏̅) est donc solution de l’équation :

1
𝑝∗ (1 + 𝜏̅) = 𝑝∗ ^1 + _
𝑒d

D’où :

1
𝜏̅ =
𝑒d

Si le pays est « petit » ou si l’élasticité prix de l’offre d’importations est infinie (ce qui semble
The Impact
avoir été le cas lors de l’instauration of the 2018
de droits Tariffs onpar
de douane Prices
lesand Welfare 191
États-Unis en 2018 selon Mary
Amiti, Stephen Redding et David Weinstein ), la courbe S* est horizontale et le droit de douane
123

optimal est nul.


Figure 2
Impact
Impactd’un droit on
of a Tariff de Prices
douane withdans le casElastic
Perfectly d’unExport
« petitSupply
pays »

p1 = p*1 (1 + τ) S (1 + τ)
*

A B p*τ

p*1 = p*0 = p0 S*

D
m1 m0 m

Source: Authors.
Note: Horizontal axis shows the quantity of imports; vertical axis displays the price of the good; D
corresponds to the import demand curve; S ⁎ represents the export supply curve.

Source du graphique : M. Amiti, S. J. Redding et David E. Weinstein, « The Impact of the 2018 Tariffs on Prices
and WelfareAlthough
», Journalwe of Economic
will focusPerspectives,
on tariffs asvol.
by 33,
farN°
the4, most
automne 2019. protectionist
important
trade policy, these same techniques can be used to examine the effects of quantita-
tive restrictions on imports, such as quotas and voluntary export restraints.2 Under
perfect competition, a quota that restricts imports to the same amount as under a
123
tariff has exactly the same effects on prices, quantities, government revenue, and
Amiti et alii, op. cité, 2019, page 197.
welfare as the tariff, as long as the home government auctions the licenses to import
under the quota competitively. In Figure 1, home consumers lose region A + B, and
the home government gains region A + C from sales of the quota licenses, leaving a
net effect on home welfare of area C – B. Therefore, if quota licenses are auctioned
competitively, the net effect of the quota on home welfare (like the net effect of
the tariff on home welfare) depends on the extent to which there is an improve-
148

Dans ce cas, le gouvernement perçoit seulement A de recettes engendrées par les droits de
douane. Les pertes des consommateurs continuent à être représentées par les aires A + B. La totalité
de l’impact du droit de douane repose ainsi sur les seuls consommateurs.
La perte globale est alors indiquée par l’aire B (estimée par exemple à 8,2 milliards par Amiti et
alii pour la seule année 2018 aux États-Unis).
De plus, le droit de douane fait diminuer le nombre de variétés disponibles pour les
consommateurs car certaines deviennent trop coûteuses comme on le voit sur la figure ci-dessous
qui indique l’évolution du nombre de variétés disponibles aux États-Unis avant et après la hausse
des tarifs206 Journal ofenEconomic
américains 2018. Perspectives
L’année 0 est celle de l’instauration du droit de douane. Les
différentes vagues de tarifs correspondent aux hausses successives mises en œuvre de février à
octobre 2018.
Figure 6
Effets des hausses
Number des droits
of Varieties de douane
by Tariff Wave sur le nombre de variétés aux États-Unis

1.1
Normalized variety count

0.9

0.8
−32 −28 −24 −20 −16 −12 −8 −4 0 4 8
Month

Untreated Wave 1 Wave 2 Wave 3 Wave 4 Wave 5 Wave 6

Source: US Census Bureau; US Trade Representative (USTR); US International Trade Commission


(USITC); authors’ calculations.
Note: Twelve-month proportional changes in the number of import varieties, defined as an HTS10-
country code, by tariff wave and for unaffected products. Each series is normalized to the value one in
the month prior to the introduction of the tariff; for the untreated month, zero is defined as in the first
tariff wave. Tariff waves are defined in the section “How Did Tariffs Affect US Prices?”

Source : M. Amiti, S. J. Redding et David E. Weinstein, « The Impact of the 2018 Tariffs on Prices and Welfare »,
Journal of EconomicWhile the algebravol.
Perspectives, for 33,
deriving
N° 4, these expressions
automne 2019. can be somewhat involved, the
intuition is straightforward. For many demand systems, the value of any variety of a
goodd’équilibre
2 Analyse comes down général
to two terms. First, we need to know how substitutable a good is
with other goods. The elasticity of substitution matters because consumers are more
likelyicitoleappreciate
On utilise modèle HOS beingpour
able pouvoir
to purchase new differentiated
prendre en compte legoods (like French
prix relatif des biens ainsi que
red wine) than highly substitutable ones (French wheat). Thus, all things equal,
l’influence de l’utilisation des taxes sur le revenu global des consommateurs.
tariffs that cause varieties of differentiated products to disappear are likely to be
Dans le cas d’un « petit pays », donc d’un pays qui ne peut influencer le prix mondial du bien 2
more costly than tariffs that cause varieties of homogeneous products to disappear.
qui est leWe bien importé, l’impact d’un droit de douane peut aussi être représenté dans un cadre
define varieties as HTS10-country codes (like French red wine) and assume an
d’équilibre elasticity of Supposons
général. qu’un droit
substitution between thesede douaneofad
varieties valorem
6, which, au taux tabove,
as discussed soit imposé
is a au prix du
bien 2 importé.
standard Pour lesinconsommateurs
value the internationalettrade
les producteurs
literature anddu pays
is in linedomestique, le prix relatif de ce
with our estimates
bien 2 est from
doncTabledésormais
1. U (1
𝑃 + 𝜏) au lieu de 𝑃. U
Second, the quality of a product relative to its cost also matters. In many
common demand systems, the market share of a product is a sufficient statistic for
a product’s quality relative to its price because any increase in quality or reduction
149

Initialement, le prix relatif du bien 2 était égal à 𝑃U ce qui impliquait un optimum de production
Q1 et un optimum de consommation A1. Les exportations de bien 1 sont égales à B1Q1 et le volume
d’importations de bien 2 est égal à A1B1 (𝑃UA1B1 en valeur).

Instauration d’un droit de douane. Analyse d’équilibre général

,
U1 Pente - e;
X2

A1

A2
U2
,
Pente - e;(,W f)
B2
Q2

B1 Q1

X1

Après instauration d’un droit de douane, le prix relatif du bien 2 payé par les consommateurs est
plus élevé qu’auparavant puisqu’il est désormais égal à 𝑃U (1 + 𝜏). De plus, on suppose que le
produit du droit de douane perçu par l’État est redistribué aux consommateurs ; c’est pourquoi le
nouvel optimum de consommation est indiqué par le point de tangence A2 avec une droite de revenu
plus éloignée de l’origine que la droite de revenu qui définit le nouvel optimum de production Q2.
On constate sur le graphique qu’il y a une baisse du niveau de satisfaction domestique (puisque
la courbe d’indifférence U2 indiquant le nouveau niveau d’utilité est au-dessous de la courbe
d’indifférence initiale U1) et un accroissement de la production du bien 2 par le pays domestique
(passage de l’optimum de production Q1 à l’optimum de production Q2).
Toutefois, les échanges internationaux se font aux prix mondiaux. Les optima de production Q2
,
et de consommation A2 appartiennent donc à la même droite de pente e; : 𝐵6 𝑄6 = 𝑃U 𝐴6 𝐵6 . En effet,
B2Q2 représente la valeur des exportations et 𝑃U 𝐴6 𝐵6 celle des importations. Le volume des échanges
s’est contracté car l’économie exporte désormais un volume B2Q2 de bien 1 au lieu de B1Q1 et
importe un volume A2B2 de bien 2 au lieu d’une quantité initiale A1B1.
150

III Les défaillances de marché : effets externes, industrie naissante et économie ouverte

1 Les grandes théories du protectionnisme

Un premier argument en faveur d’un certain protectionnisme avait été développé par Frank
Graham au début du vingtième siècle sur la base du caractère statique de la théorie des avantages
comparatifs et de la nécessité de s’interroger sur l’influence d’éventuelles économies d’échelle.
Frank Graham124 avait fait remarquer qu’en présence de telles économies, les résultats traditionnels
de la théorie selon lesquels les échanges permettent d’accroître la disponibilité totale de biens à un
prix plus faible sont remis en cause.
Graham prenait l’exemple de deux pays, deux biens (la laine et les montres) ainsi que d’un seul
facteur de production (le travail). Les montres sont produites avec des économies d’échelle alors
que la fabrication de la laine se fait dans des conditions de rendements d’échelle décroissants. Si
l’économie domestique a un avantage comparatif au départ dans la production de laine et l’économie
étrangère dans les montres, l’ouverture à l’échange poussera cette économie à se spécialiser dans la
laine. Cela risque de la conduire à une situation pire que celle dont elle bénéficiait en autarcie en
raison des déséconomies d’échelle dans le secteur de la laine qui accroissent les coûts unitaires de
production. En revanche, à l’étranger, la situation sera de plus en plus favorable car les économies
d’échelle favorisent la production de montres… Graham recommandait sur cette base une protection
de l’économie nationale pour empêcher la mise en œuvre de spécialisations défavorables. Mais
Wilfried Ethier a montré en 1982 que la spécialisation dans une branche sans économie d’échelle
n’est pas systématiquement défavorable à l’économie domestique qui bénéficie de la baisse de prix
des montres.
Un autre argument favorable au protectionnisme pourrait être le théorème de Stolper Samuelson
étudié au chapitre 4 : l’augmentation du prix relatif d’un bien grâce à l’instauration d’un droit de
douane permet d’accroître la production (par exemple la production de vêtements dans le pays 1).
Dès lors, la demande de travail est plus forte car le secteur de l’habillement est intensif en facteur
travail. Les salaires s’accroissent à leur tour, ce qui provoque une substitution à la marge du capital
au travail qui augmente la productivité de ce dernier. La hausse des salaires étant générale et le plein
emploi des facteurs étant préservé, il est clair que la part du travail dans le revenu global devient
plus importante. Mais d’après l’analyse précédente, le bien-être global du pays est en revanche
réduit. La politique de hausse des droits de douane américain au cours du mandat de Donald Trump
s’inscrit dans une telle logique. Elle est destinée à accroître les salaires relatifs des travailleurs non
qualifiés des branches sidérurgiques par rapport à eux des salariés qualifiés.
Revenons à présent au cas d’un pays de petite taille qui ne peut pas influencer le prix mondial.
On a vu que dans ce cas, il existe une perte sociale. Mais il y a des cas où cette perte sociale peut
être compensée par les externalités positives exercées par l’augmentation domestique de production.
C’est le cas des industries innovantes. Lorsque ces dernières accroissent leur taille, elles diffusent
des progrès techniques dans le reste de l’économie. Ces progrès sont des facteurs de baisse des coûts
et de gains de compétitivité. Si ces effets bénéfiques dépassent les distorsions classiques engendrées
par les droits de douane, la protection commerciale peut améliorer le bien-être de la société.
L’argument le plus traditionnel en faveur du protectionnisme dans certains cas est sans doute
celui de l’industrie naissante. Cet argument a été proposé à l’origine par un économiste allemand,
Friedrich List, en 1841 (dans son ouvrage Système national d’économie politique) sous le nom de
protectionnisme éducateur. Il a souvent été appliqué à la situation des économies en voie de
développement et a servi auparavant de base à la protection de l’acier aux États-Unis au dix-
neuvième siècle lorsqu’ils imposèrent un droit de douane de 50 dollars par tonne. L’acier américain

124
F. Graham, « Some Aspects of Protection Further Considered », Quarterly Journal of Economics, vol. 37, N°2,
février 1923, pp. 199-227.
151

était alors plus coûteux qu’en Grande-Bretagne. Ce droit de douane ne fut supprimé qu’en 1913
lorsque la production américaine devint moins chère que celle du concurrent anglais. Selon la thèse
de l’industrie naissante, certaines activités ont des avantages comparatifs potentiels qui ne peuvent
être réalisés que si elles sont temporairement protégées par un droit de douane jusqu’à ce qu’elles
soient prêtes à affronter la concurrence internationale grâce à l’existence de l’expérience acquise
ainsi qu’à l’apparition de substantielles économies d’échelle. C’est John Stuart Mill qui avait ajouté
en 1848 cette condition nécessaire au protectionnisme. Ce dernier n’est justifié que s’il existe un
effet d’apprentissage (learning by doing) dans les secteurs considérés. Dans ce contexte, chaque
entreprise de l’activité protégée aura un savoir-faire à apprendre de sa propre expérience et de celle
des autres firmes du secteur. Mais cette protection ne devrait être que temporaire.
Cet argument de l’industrie naissante a été à son tour l’objet de plusieurs critiques de la part des
partisans du libre échange125.
Selon la première critique, si les entreprises bénéficiant de la protection sont des firmes pouvant
devenir rentables, elles auraient eu la possibilité de recevoir des prêts finançant leur développement
jusqu’à la fin de la période critique. Mais cet argument oublie que dans le monde réel, les entreprises
nouvelles ont fréquemment du mal à obtenir des capitaux.
La deuxième critique affirme que fréquemment, les industries naissantes protégées ne
grandissent jamais. Leurs dirigeants se regroupent souvent pour faire pression sur les
gouvernements afin de prolonger les mesures qui assurent la pérennité de leurs profits. Cela peut
entrainer des coûts importants pour l’économie dans son ensemble comme l’illustre le cas du
Bangladesh où la protection des producteurs de tissu dégrade la compétitivité des entreprises de
confection en accroissant le coût de leurs matières premières. Il faut toutefois observer que ces
évolutions n’ont rien de systématique comme le montre le contre-exemple de l’Asie orientale qui a
pu « sevrer » (pour reprendre l’expression de Joseph Stiglitz) de nombreuses industries naissantes.
Il faut aussi signaler qu’il n’est pas toujours évident d’identifier les secteurs dans lesquels les
bénéfices de la protection l’emportent sur ses inconvénients126.
En tout état de cause, une réponse récente aux critiques précédentes contre l’industrie naissante
est un protectionnisme à base large consistant par exemple à prélever des droits de douane uniformes
sur tous les produits manufacturés. C’est l’argument de « l’économie naissante ». Cet argument a
connu une extension dans les travaux de Bruce Greenwald et Joseph Stiglitz127 qui ont développé la
thèse selon laquelle le protectionnisme peut permettre dans les économies en développement
d’accroître la taille de l’industrie. Les bénéfices d’une telle extension de l’industrie exercent des
effets externes positifs sur le secteur rural, ce qui permet d’accélérer la croissance.
Les bases du raisonnement des deux économistes reposent sur quatre hypothèses centrales.
Il existe en premier lieu des effets externes provoqués par les entreprises de l’industrie et pour
lesquels elles ne sont pas rémunérées. En deuxième lieu, les effets externes n’existent que s’ils
trouvent leur source dans l’industrie du pays concerné ; ils se manifestent alors par des hausses de
productivité. En troisième lieu, les innovations sont concentrées dans les branches industrielles.
Enfin, le rythme d’innovation de l’industrie dépend de la taille de son marché.
Dans une telle perspective, la protection à base large (qui est spécifique à la thèse de l’économie
naissante) permet de développer l’innovation industrielle et les gains de productivité qui se diffusent
dans l’ensemble de l’économie. Grâce à l’expansion industrielle, l’État bénéficie par ailleurs de
ressources pour financer l’éducation et les infrastructures. De plus, comme l’affirme Joseph
Stiglitz : « Le protectionnisme à large base réduit la marge de manœuvre des intérêts particuliers ».
L’hypothèse qui est au centre de la théorie de l’économie naissante est, comme on l’a vu, que la
source de l’innovation se trouve dans le secteur industriel. Selon les auteurs de cette thèse, tout

125
J. Stiglitz, Un autre monde, Fayard, 2006, page 116.
126
K. Constant, G. Duchêne et alii, Économie internationale, Vuibert, 2018, chapitre 6, pp. 240-242.
127
B. Greenwald et J. Stiglitz, « Helping Infant Economies Growth : Foundations of Trade Policies for Developing
Countries », American Economic Review, mai 2006.
152

repose sur le fait que l’activité industrielle est réalisée principalement par de grandes entreprises
très concentrées géographiquement. On retrouve ici la thématique du district industriel d’Alfred
Marshall.
Quant aux effets de transmission de l’innovation du secteur industriel vers les secteurs
traditionnels, ils sont les suivants.
On souligne d’abord que les firmes de l’industrie amortissent plus facilement la R&D grâce à
leur taille et à la longueur de leurs séries de production. De plus, ce sont des organisations stables,
ce qui permet une accumulation régulière de l’expérience et de l’apprentissage. On souligne aussi
que ces entreprises sont relativement faciles à taxer, ce qui fournit des ressources aux autorités pour
favoriser et subventionner certaines dépenses d’éducation et de R&D des secteurs primaire et
secondaire. On doit également se souvenir que l’accumulation du capital humain est plus aisée dans
le cadre de grandes organisations dont les activités sont complexes et largement indépendantes.
Quant à l’investissement en biens d’équipement, il s’agit d’un des principaux vecteurs du progrès
technique donc de gains de productivité dans l’ensemble de l’économie. Enfin, le succès industriel
présuppose une accumulation de connaissances y compris de connaissances utilisées en dehors des
frontières.

2 Les politiques commerciales stratégiques

Depuis les années quatre-vingt, des travaux de recherche ont défendu l’idée de la mise en œuvre
de politiques de subventions publiques au profit de certaines activités afin de les aider à gagner des
parts de marché au niveau international128. Ces travaux se situent clairement dans le cadre d’un
marché oligopolistique. Plus précisément, deux firmes sont supposées être en concurrence sur un
marché étranger sans producteur domestique, ce qui permet d’assimiler le bénéfice du producteur à
l’intérêt du pays. Chacune d’elles dispose d’un pouvoir de marché au niveau mondial. Ce pouvoir
se traduit par l’existence d’une rente. Dans cette perspective, l’intervention d’un gouvernement peut
aboutir à transférer une partie des rentes des entreprises étrangères vers l’entreprise domestique. Le
cas le plus favorable est celui où une subvention permet à cette dernière de décourager
l’investissement et la production de la firme étrangère sur le marché mondial. Nous supposerons
qu’il s’agit ici de la production d’un nouvel avion.
Par hypothèse, la matrice des profits est la suivante (le premier chiffre indique le bénéfice de
l’économie étrangère et le second celui de l’économie domestique):

Firme domestique
Produire Ne pas produire
Firme étrangère Produire (-5, -5) (100,0)
Ne pas produire (0,100) (0,0)

En effet, si l’une des entreprises produit l’avion alors que l’autre renonce, les profits de cette
entreprise sont importants. Si, en revanche, l’autre entreprise cherche aussi à produire l’avion, les
deux firmes seront en perte. Dans ces conditions, le premier arrivé sur le marché restera maître de
ce marché. Si la firme étrangère a par exemple un temps d’avance sur l’entreprise domestique,
l’équilibre sera en haut à droite car elle sait qu’une fois implantée, elle ne sera pas concurrencée.
Cependant, la situation peut changer comme l’ont montré Brander et Spencer. Si les autorités
domestiques versent une subvention supposée ci-dessous égale à 25, l’entreprise du pays considéré
ne perd pas d’argent même si le concurrent décide de produire. Ce dernier est donc certain que la

128
B. Spencer et J. Brander, « International R&D Rivalry and Industrial Strategy», Review of Economic Studies, vol.
50, 1983, pp. 707-722. Voir aussi P. Krugman, Pop Internationalism, MIT, 1996, traduction française sous le titre La
mondialisation n’est pas coupable, La Découverte, 1998, pages 195-215.
153

firme domestique fabriquera le nouvel avion et décidera d’abandonner le marché… tant que son
investissement est inférieur à 5 :

Firme domestique
Produire Ne pas produire
Firme étrangère Produire (-5, 20) (100,0)
Ne pas produire (0,125) (0,0)

L’équilibre serait alors la case inférieure gauche. Mais le raisonnement suppose l’absence de
représailles étrangères, ce qui est peu réaliste. Le plus probable est que les deux pays vont
subventionner leur entreprise et l’on aboutira ainsi au pire résultat : celui du dilemme du prisonnier.
De plus, les subventions à l’exportation sont en principe interdites par l’OMC. Les pays qui les
mettraient en œuvre encourraient donc des sanctions...
De plus, le raisonnement précédent présuppose une parfaite information des autorités sur le
marché. Mais supposons que la firme étrangère ait eu un avantage initial sur la firme domestique,
sans que les autorités en aient eu une pleine conscience, comme cela est représenté sur le tableau ci-
dessous.

Firme domestique
Produire Ne pas produire
Firme étrangère Produire (10, - 5) (115,0)
Ne pas produire (0,100) (0,0)

Dans ce cas, la firme étrangère ne sera pas dissuadée par la subvention à l’entreprise
domestique129. Les deux firmes produiront l’avion mais le surplus collectif sera négatif car les
contribuables auront payé 25 alors que le profit de la firme domestique ne sera que de 20…

Firme domestique
Produire Ne pas produire
Firme étrangère Produire (10, 20) (115,0)
Ne pas produire (0,125) (0,0)

129
K. Constant, G. Duchêne et alii, Économie internationale, Vuibert, 2018, chapitre 6, pp. 246-47.

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