Jedrzejewski Florent 2014 ED520
Jedrzejewski Florent 2014 ED520
Jedrzejewski Florent 2014 ED520
spectrale
Florent Jedrzejewski
Florent JEDRZEJEWSKI
soutenue le : 12 septembre 2014
RAPPORTEURS :
M CASTANET Pierre Albert Professeur, université de Rouen (président du jury)
M CHOUVEL Jean-Marc Professeur, université de Reims
Thèse de doctorat
soutenue par
FLORENT JEDRZEJEWSKI
Sous la direction de
DOCTEUR EN MUSICOLOGIE
Thèse n°
Strasbourg, juin 2014
1
2
LE SON DANS LE SON :
LES PERCUSSIONS DANS LA MUSIQUE SPECTRALE
par
FLORENT JEDRZEJEWSKI
Membres du jury :
_____________________________________________________________________________________
Pr. Jean‐Marc Chouvel, Université de Reims, rapporteur
_____________________________________________________________________________________
Pr. Pierre Albert Castanet, Université de Rouen, rapporteur
_____________________________________________________________________________________
Pr. Pierre Michel, Université de Strasbourg, directeur de recherches
_____________________________________________________________________________________
M. Giovanni Verrando, compositeur
_____________________________________________________________________________________
M. Jean‐Paul Bernard, percussionniste
3
4
REMERCIEMENTS
5
6
AVANT‐PROPOS
7
8
INTRODUCTION
9
ou le cinéma ne sont pas étrangères au développement des approches
conceptuelles ou minimalistes de l’écriture instrumentale. Le
développement du langage des instruments traditionnels causé par les
expérimentations de nombreux compositeurs attirés par la nouveauté et
l’innovation donne un souffle nouveau à l’interprétation : l’adaptation
devient une qualité indispensable pour les musiciens. Ces faits historiques
contribuent à faire parvenir la création musicale à un croisement de toutes
ces démarches dorénavant digérées, croisement dont une des
conséquences peut être considérée comme la naissance du mouvement
spectral. En effet, le retour à un structuralisme formel avancé, la recherche
d’inspiration dans l’observation scientifique des phénomènes sonores,
ainsi qu’un retour de l’écriture instrumentale axée sur l’interprétation et la
perception sont les trois notions qui caractérisent le mieux le courant
musical qui fut appelé ensuite « spectral ».
La percussion est la seule famille d’instruments qui s’est autant
agrandie dans la musique occidentale au XXème siècle. Les évolutions de
disciplines comme l’organologie, l’anthropologie ou l’ethnomusicologie
contribuèrent à l’inclusion dans le vocabulaire des compositeurs de
nombreux nouveaux instruments, ainsi qu’à la reconsidération du sens du
terme « instrument ». L’accroissement de l’intérêt artistique pour la
lutherie, le timbre ou les manières de jouer les instruments fait augmenter,
pour les compositeurs et les interprètes, le champ des possibles au niveau
du sonore. Le développement de la sémiologie et de la phénoménologie
influence également la reconsidération du langage et de l’attitude vis‐à‐vis
des instruments de musique et de leur manipulation. La famille des
percussions fut pourtant assez nettement définie jusqu’à la remise en cause
de ses limites : elle est constituée des catégories qui apparaissent d’abord
chez Rameau, puis Berlioz jusqu’à Wagner par les instruments
traditionnels comme les timbales, les grosses caisses et tambours, les
cymbales, les triangles, cloches et tam‐tams, ainsi que par l’utilisation
occasionnelle d’objets pour divers effets figuratifs ou de ponctuation. Le
début du XXème siècle voit la famille d’instruments s’augmenter des divers
claviers lui conférant de nouveaux moyens d’expression mélodique et
harmonique. La conséquence de l’évolution mondialiste de l’humanité ainsi
que de l’invention de l’enregistrement sur la musique savante occidentale
est une prise de conscience à propos des musiques populaires et
traditionnelles. Les percussions tendent de plus en plus à être une famille
ouverte, et aujourd’hui toute sonorité tirée de l’action percussive d’un objet
sur un autre et employée par un compositeur sera une démarche justifiée,
et sans doute assignée au pupitre des percussions. Avec la prise en compte
de l’inharmonique comme composante de la création sonore au même titre
que la note, les percussions prennent une importance nouvelle, qui se
traduit par une plus grande intégration dans la science de l’orchestration.
Cette famille est à part et l’intérêt que lui portent les créateurs de musique
10
se voit fortement renouvelé au XXème siècle. Depuis Ionisation de Varèse,
les œuvres pour percussions seules sont devenues indénombrables et pour
faire évoluer le discours, les compositeurs redoublent d’inventivité à
propos de leur langage1. La recherche musicologique a encore beaucoup à
traiter au sujet de la place et du rôle des percussions dans de nombreux
domaines, et la musique spectrale est un style dont l’approche par les
percussions n’a pas encore été vraiment étudiée.
Pourtant, l’importance de la vaste palette de sonorités, du travail sur
la forme des objets musicaux ainsi que sur le temps ou l’espace sonore que
permet une telle famille d’instruments représente un intérêt particulier
pour l’étude de la musique spectrale et de ses conséquences. La création
par les percussions est particulière dans le sens où elle offre au
compositeur un matériau brut modulable à volonté et donc une approche
compositionnelle qui peut être plus directe et instinctive. Elle permet aussi
de transcrire facilement des structures complexes, d’élaborer des sons par
des procédés plus abstraits ou descendant d’une démarche
expressionniste, et les considérations typiques du spectralisme sont toutes
potentiellement magnifiées par la création à partir d’un tel outil autonome.
Nous avons voulu poser la problématique par une question à deux
niveaux : d’une part, comment la percussion est‐elle considérée chez les
compositeurs se réclamant ou étant issus d’une génération spectrale, et
quels sont les répercussions de telles considérations sur la famille des
percussions en général? D’autre part, quel rôle a pu avoir la percussion
dans le développement du spectralisme et quelle influence a‐t‐elle eu sur
toutes les conséquences découlant de la place de plus en plus grande que ce
courant musical a pu occuper au sein de la musique contemporaine ?
11
clarté du spectre est également à rapprocher de celle de l’empâtement
percussif. Les percussions viennent‐elles compléter ou prolonger le spectre
? Il nous faut développer l’idée de complémentarité entre les spectres de
hauteurs et les spectres de bruit (issus des bandes magnétiques ou de
l’électronique, quand il y en a dans les œuvres, mais surtout des
percussions). On peut citer à ce titre en exemple l’effet « noisy » chez des
compositeurs comme Fausto Romitelli. Il faudra ensuite établir une
typologie des procédés de manipulation de l’objet sonore par les
percussions, comme la fusion et les granulations. Pierre Albert Castanet
relève plusieurs sortes de fusion, comme, la « fusion par tuilage d’agrégats
dynamisés, fusion par utilisation d’entité résonante à des fins de halo
sonore, fusion par imbrication d’éléments résultant d’une
complémentarité », etc2. Peut‐on développer cette classification, la mettre
en œuvre pour les percussions, faire des diagrammes d’événements
pouvant expliquer les procédés timbriques et temporels de fusion, par
exemple? Il en va de même pour la typologie des grains que l’auteur a
développé (« grain de frottement, d’itération, de l’allure des trilles, etc. ») :
peut‐elle être adaptée aux percussions, et quel rôle joue la notion de grain
dans le rapport à la sonorité globale d’une œuvre musicale ?
Enfin, nous devrons considérer la notion de l’acte musical percussif.
Comment l’interprète s’y prend‐il pour retranscrire le texte de la partition,
le « codage » des compositeurs, pour amener la dimension « spectrale » à
son interprétation? Existe‐t‐il une « interprétation spectrale »? Si la notion
de processus est une composante majeure dans le procédé de composition
spectrale, qu’en est‐il de la notion d’acte musical dans
l’interprétation spectrale ? Les questions principales de cette recherche,
que nous venons d’exposer, en font surgir de nombreuses autres, plus
spécifiques quant à la mise en œuvre des notions et concepts. Comment
peut‐on les allier entre‐elles et avec les autres familles d’instruments, pour
créer de nouveaux timbres et spectres intéressants au niveau artistique et
créatif ? Quelles sont les techniques d’écriture à adopter ? Les techniques
d’orchestration ? D’interprétation ? Les percussions viennent‐elles
compléter ou prolonger le spectre ? Un mélange de timbres est‐il
simplement une addition mathématique de timbres ? Est‐il nécessaire de
distinguer les instruments par de nouvelles classifications, comme par
exemple les qualités de résonants ? Certains sont des résonants
métalliques, d’autres à membrane, en bois, en plastique...
12
émerger des propriétés générales par une démarche de taxinomie.
L’analyse se porte sur un champ vaste, pour observer les constantes et les
démarches relatives. Les trois chapitres suivants tentent, par l’étude
approfondie de trois œuvres caractéristiques du mouvement spectral dans
le répertoire pour percussions, d’élaborer des réflexions sur l’influence
mutuelle qu’ont pu avoir les démarches spectrales sur le timbre et sur le
temps avec celles sur la création à partir de cette famille instrumentale. Le
dernier chapitre étudie la question phénoménologique de l’acte lors de la
composition et de l’interprétation des percussions dans le courant spectral.
Le premier chapitre est donc un chapitre introductif, qui étudie la
place et le rôle qu’occupe la percussion dans le mouvement spectral. La
méthodologie repose sur la recherche des informations dans le champ
large des écrits disponibles sur le sujet. Possédant par nature un côté
quelque peu historique, ce chapitre voudra d’une part rappeler les grands
concepts des compositeurs spectraux, et comment ceux‐ci s’appliquent à
l’écriture pour percussion, mais d’autre part s’intéressera à l’évolution de
ces théories et procédés jusqu’à nos jours. Le deuxième chapitre est ensuite
consacré à l’analyse des partitions représentatives du mouvement spectral
tant pour l’écriture des percussions que pour leur contexte historique ou
leur influence sur la création musicale postérieure. L’angle d’approche est
double : le courant défini comme « spectral » par les musicologues, et le
pupitre de la percussions. Pour que la méthodologie soit adéquate, il faudra
élargir la recherche à des œuvres en marge du courant, ou même
complètement opposées pour jauger les différences structurelles. Nous
sommes partis de l’hypothèse que ces recherches du premier chapitre sur
la littératures, croisées avec celles, analytiques sur les œuvres, du
deuxième chapitre, devraient permettre de faire émerger des concepts
importants qu’il faudra traiter. Les trois chapitres suivants seront
consacrés chacun à une œuvre majeure pour les percussions. La première
sera Erewhon de Dufourt, ensuite viendra Tempus ex machina de Grisey, et
enfin Chorus de Romitelli.
Erewhon de Hugues Dufourt est sans doute l’œuvre proche des
débuts du mouvement spectral regroupant le plus grand nombre
d’instruments de percussion, et chacun y est traité selon de nouveaux
principes de composition fondateurs de l’école spectrale. En élaborant une
typologie de ces percussions, de leur écriture timbrale et temporelle ainsi
que des techniques pratiques qui permirent de la matérialiser, nous
pourrons montrer comment s’est articulé la définition pour le mouvement
spectral d’un langage propre à la famille instrumentale. Nous voulons
repérer les traitements de matériau, de rythmes ou tous les paramètres
musicaux qui ont pu être étudiés dans un but spécifique à la création, et la
généralisation de ces pratiques par un groupe de compositeurs.
L’identification de spécificités et de nouveautés dans une œuvre si
gigantesque promet en effet de fournir du matériau théorique conséquent
13
et un panorama des techniques premières de l’écriture et de
l’interprétation, qui finiront par constituer les piliers du mouvement
musical.
Après la lecture de plusieurs articles dont celui de François‐Xavier
Féron, qui avait étudié sur les esquisses de Modulations de Gérard Grisey à
la fondation Paul Sacher de Bâle, il parût indispensable d’aller rechercher
dans ce fonds inestimable ce qui existe dans les esquisses de Grisey
concernant les percussions. Après consultation des esquisses de Tempus ex
machina et du Noir de l’étoile, il apparut judicieux de fonder la recherche
sur la considération du temps, et par extension du rythme, fondement de
l’écriture percussive, dans le courant spectral par celle définie par le
compositeur. Gérard Grisey est peut être le compositeur de l’école
spectrale qui a le plus étudié et théorisé la considération du temps dans le
mouvement qu’il a contribué à créer. Il a beaucoup écrit pour percussions
dont deux pièces très importantes pour 6 percussionnistes : Le Noir de
l’étoile et Tempus ex machina. Nous avons pu lire dans ses écrits de
nombreuses théories récurrentes qui ont été à la source des
préoccupations de l’Itinéraire et de l’établissement du courant spectral
comme un style majeur de la musique contemporaine.
A propos de Chorus, l’approche serait de ne pas aborder l’analyse de
manière trop classique. Malgré le caractère récent de l’œuvre de Romitelli,
nous avons voulu par l’étude de cette œuvre réfléchir un peu plus avant sur
le concept sonore de grain. L’analyse traditionnelle serait bien entendu
tout de même intéressante car peu documentée, et nous la détaillerons
pour cela avec l’identification des outils employés par le compositeur ainsi
que des processus formels et des procédés d’écriture de la pièce. Pourtant
l’analyse d’une œuvre si innovante dans sa composition par son mélange
de formalisme spectral d’influences esthétiques et philosophiques « pop »
et « rock », demande l’emploi d’une méthodologie adaptée. La notion de
grain est souvent évoquée dans la littérature musicologique du sujet qui
nous intéresse, cependant jamais clairement définie. L’aspect reste en
général du domaine esthétique sensible, voire de l’allégorique, et peu du
domaine de l’intelligible. La définition que nous retirerons de l’analyse de
cette pièce tentera de concilier le grain scientifique et le grain esthétique, et
considérant le grain comme une des caractéristiques du timbre.
La fin du travail aura pour but une prise de recul sur les résultats
analytiques par la mise en relation d’une approche un peu plus
philosophique de la percussion contemporaine, notamment via la notion de
l’ « acte ». Nous y explorerons des concepts découlant des travaux de Paul
Valéry, Jean‐Luc Nancy, Gilles Deleuze ou Jacques Derrida entre autres, tels
que l’archi‐écriture, l’écriture du corps, ou encore la porosité des spectres
et la malléabilité des grains, jusqu’à l’excription de la partition, opposé
naturel de l’inscription selon la pensée déconstructiviste derridienne. Les
concordances entre la composition et l’interprétation dans le domaine des
14
percussions, et le lien à travers l’acte, matérialisé par le geste, tient plutôt
de la conséquence de l’invention créatrice que de la théorisation d’un
spectralisme pur. L’engagement du corps dans ce qu’il a de vivant est en
revanche déterminant dans la considération du temps et de l’espace
musical, et le spectre est le principe qui a l’emprise sur ce caractère, car il
est la matérialisation biologique de ce qu’est le son. Les notions de
continuité, de périodicité, de seuil et de différence chère à la pensée
spectrale trouvent une résonance particulière lorsqu’on les aborde sous
l’angle de l’esthétique post‐moderne et de l’ontologie. Nous tenterons de
comprendre l’intérêt de l’acte dans la relation entre spectralisme,
percussions, composition et interprétation.
15
16
Chapitre 1 : Spectres, bruits et
percussions
17
18
Les percussions forment une famille instrumentale vaste dont
l’étude sous l’angle du courant de la musique spectrale doit être comprise à
plusieurs niveaux. L’histoire et les analyses « spectrales » ont été déjà
largement traitées, mais encore trop peu de travaux se sont intéressés à la
question des percussions. Or les concepts de la musique spectrale sont
extrêmement liés à cette classe instrumentale couvrant une échelle de
complexité sonore très large : du spectre le plus simple (cloche, bol
tibétain, voire timbale ou lame de vibraphone) au plus complexe
(cymbales, plaques de tôle), la diversité spectrale des sonorités est ici bien
plus grande que pour les instruments à vents ou à cordes, par exemple.
Le premier niveau d’une telle étude consiste assez naturellement à
réaliser une recherche globale du traitement de la percussion dans
l’ensemble des œuvres majeures du courant spectral. Ce chapitre se
présentera donc au premier abord comme un panel représentatif des
quarante ans d’idées et de réflexions ayant contribué à la conceptualisation
de la musique spectrale, abordées sous l’angle des percussions. Mais il
cherche en même temps à poser plusieurs questions qui seront au cœur de
la recherche entreprise dans cette thèse : il reprend en effet les
problématiques soulevées par l’étude du travail des compositeurs et des
interprètes spectraux, pour les observer à travers le prisme du pupitre des
percussions.
19
En outre, ce chapitre sera aussi le lieu pour réétudier les concepts
classiques de la musique spectrale, en s’intéressant cette fois à leur
évolution récente, en parallèle de l’évolution du domaine de la percussion
en général. Les principales sources d’études de ce chapitre seront les écrits
des compositeurs et des musicologues. Les analyses des œuvres majeures,
indissociables d’une telle méthodologie, seront volontairement réservées
pour le chapitre suivant.
20
consisterait à étudier un maximum de textes sur le sujet afin d’en isoler les
théories existantes sur la considération de la percussion par les
compositeurs, musiciens et chercheurs s’intéressant au style « spectral » de
la musique contemporaine. Cependant nous voulons aussi dégager des
manières récurrentes de traiter la percussion chez ces acteurs du
mouvement, et pour cela nous devons observer l’écriture pour percussions
dans un répertoire un peu plus général, afin de circonscrire par
différenciation la substance réelle de l’identité du spectralisme. Cela
permettra de mettre à jour les spécificités, nouveautés et caractéristiques
de l’écriture spectrale de la percussion.
21
On sent dans ces propos l’importance qui est accordée au désir de
renouveler le langage des percussions, en accord avec les préoccupations
liées au timbre des compositeurs. Murail est conscient que la percussion
peut prendre un rôle nouveau mais plus naturel que jamais, trouvant une
place primordiale dans les œuvres tout en restant subtile et en retrait sur
le plan sonore. En s’éloignant d’un rôle de ponctuation ainsi que d’un rôle
de bruitage « expérimental », la percussion pourrait prendre une place de
matériau premier pour la sculpture sonore. Après des siècles de
développement dans un rôle de ponctuation (pour renforcer des émotions,
des ambiances poétiques ou des éléments dramatiques) atteignant son
apogée au passage du XIXème au XXème siècle, la percussion devint le
matériau sonore par excellence lors de l’abandon progressif de la tonalité.
Elle permettait d’obtenir facilement des sonorités inharmoniques, hors du
commun et à caractère marqué, s’affranchissant de nombreuses hauteurs,
harmonies et orchestrations traditionnelles. Murail estime alors que la
famille des percussions pourrait être mieux intégrée aux reste des
instruments dans l’orchestration contemporaine, et que ses palettes
sonores infinies seraient mises à meilleur usage par une écriture
respectant les besoins physiques de la bande passante audible, c’est‐à‐dire
le spectre.
Dufourt, lui, est conscient de la relation du bruit et du son
harmonique :
22
se disperser. Pareilles notions s’appliquent aux caractères
d’inharmonicité d’un spectre et plus généralement aux
combinaisons de son et de bruit qui élargissent
considérablement le domaine possible du musical. 5
23
l'Art‐Science, déclenchent alors un nouveau régime de
fonctionnement mental qui modifie la pensée à l'œuvre
d'art sonore.7
24
huit, neuf, dix et onze double croches de deux glockenspiels
et de deux vibraphones. Il faut noter le camaïeu de
résonances cristallines, leurs dynamiques, leur
superposition et leurs extinctions respectives. Les
percussionnistes 1 et 6 ne sont pas synchrones ; alors que
les autres sont d'entrée de jeu dans la nuance triple forte.
(etc.)8
8 Ibid., p. 193‐194.
25
à l’orchestre par une orchestration adaptée, et ceci de manière très
contrôlée. Outils aux subtilités de langage infinies, elles peuvent facilement
permettre aux spectraux de concrétiser leurs recherches musicales. La
famille des percussions rend la tâche plus aisée au compositeur sous la
plume duquel s’ouvre alors une véritable polychromie spectrale.
Si l’on considère que deux extrêmes d’un spectre sont le bruit d’un
côté et la hauteur pure de l’autre, on peut envisager de comprendre le
fonctionnement de la complémentarité entre spectres de hauteurs et
spectres de bruit. Mise à jour depuis les débuts de l’enregistrement, elle fut
expérimentée grâce à l’électronique et aux bandes magnétiques, mais c’est
dans l’écriture pour percussions qu’on peut reconnaître son existence au
départ. On trouve des exemples dans les œuvres spectrales où cette
complémentarité de spectre, où la combinaison de sonorités recherchées
donne des résultats bien au delà de l’addition de timbres, notamment à
cause de l’influence du temps et de l’espace sur le son. Romitelli par
exemple, avec sa grande maîtrise du timbre, ses effets « noisy » parmi
d’autres, a montré que l’orchestration spectrale pouvait permettre encore
de grandes nouveautés.
26
par déliquescence du matériau, fusion par couples d'unisson.9 » Il
s’intéresse aussi aux grains (« grain de frottement, d'itération, de l'allure
des trilles, etc. »).
Il est possible d’adapter cette classification, de la mettre en œuvre
spécialement pour les percussions. En étudiant les œuvres et les écrits, en
réalisant des analyses, des diagrammes comparant événements de fusion
et temps, nous pourrons sans doute approfondir notre connaissance de
l’usage des percussions, peut‐être même au‐delà des frontières du
spectralisme.
27
continues, on n’y trouve pas d’aspérité, de rupture brusque ou de réel
événement sonore marquant. Le compositeur demande même au début de
la partition de poser des sourdines sur les peaux pour assourdir le son,
ainsi que de chercher les baguettes adaptées à un univers sonore constant
et cohérent. Les percussions ne doivent pas « émerger du son global malgré
l’attaque ».
28
4. Les concepts de la musique spectrale concernant les percussions
29
Celles‐ci sont décrites dans son texte « Spectre‐Harmonie‐Mélodie‐
timbre »13.
L'Harmattan, 2000.
15 Gérard Grisey, Ecrits ou l’invention de la musique spectrale, p. 114,
30
dire qu’il est impossible avec notre constante de temps de
percevoir leurs discours. Parallèlement, à l’audition d’un
chant d’oiseau, on a l’impression qu’il est très aigu et agité.
Car il a une constante de temps beaucoup plus courte que
la nôtre. Difficile pour nous de percevoir ses subtiles
variations de timbre, alors que lui nous perçoit peut‐être
comme nous percevons les baleines.16
31
de ce langage. L’utilisation des huitièmes de tons reste donc chez Murail
assez peu répandue, sans aucun doute pour permettre une interprétation
plus aisée et par conséquent plus fidèle à la partition. Les fréquences des
composantes spectrales sont approchées par les interprètes, mais la nature
humaine ainsi que celle des instruments acoustiques rend la hauteur moins
précise que la production de son par synthèse. Cette approche, adoptée par
la plupart des compositeurs spectraux, donne un caractère particulier à la
fusion recherchée dans les alliages de timbres et de hauteurs. Elle est
complexe et s’affranchit de la gamme tempérée pour parvenir à un résultat
sonore probant mais garde ce caractère instrumental imparfait qui donne
leur âme aux interprétations.
32
comment Grisey utilise le temps dans son écriture au chapitre 4, mais sans
aborder encore la question du temps, on peut remarquer que c’est sa
construction d’évolutions par processus qui lui permet d’utiliser « l’ombre
des sons » comme matériau compositionnel. Comme l’explique Anne Sedes,
lorsque deux fréquences jouées simultanément sont assez proches pour
que le son différentiel soit inférieur à 20 Hz, des éléments rythmiques sont
générés par le battement périodique qui devient suffisamment lent pour
l’oreille humaine22. Le compositeur peut ainsi définir la distribution
fréquentielle des sons comme une série de valeurs relatives tout autant au
timbre qu’au temps. Cela lui donne la capacité de générer des « auras » de
sons, évoluant selon la directionnalité du processus. Les données obtenues
ainsi par les caractéristiques des sons différentiels peuvent parfois se
rapprocher de multiples harmoniques du matériau original, et donc
engendrer des sons harmoniques, ou à l’inverse inharmoniques lorsqu’elles
n’ont aucun lien avec le matériau. Ces composantes sont pour Grisey
« l’ombre du son ». En d’autres termes le son résultant des interactions
entre les fréquences dominantes est différentiel, et il est comparable à une
source de lumière mouvante dans l’espace qui projetterait l’ombre des sons
principaux sur le plan de l’écoute.
Cette technique est à l’œuvre notamment dans Jour, contre‐jour,
ainsi que dans Sortie vers la lumière du jour. Elle a l’avantage de supprimer
la dialectique harmonique / inharmonique dans la pièce, pour s’intéresser
à des sons émergents indépendants de l’harmonicité, plutôt issus des
interactions fréquentielles.
22 Anne Sedes, « Grisey, Murail und die Spectralismus », in revue Musik und
Aesthetik Heft 21, Janvier 2002, Klett‐Cotta, Stuttgart.
23 Jean‐Jacques Rousseau, Dictionnaire de musique, article « Bruit », p. 96,
33
l’accord de dominante : les timbres des instruments sont des spectres
simples, et la construction harmonique est spectralement simple aussi, vu
qu’une quinte est à peu près égale à la deuxième harmonique. Dans Saturne
d’Hugues Dufourt, on trouve une nouvelle utilisation du bruit qu’amène la
percussion dans l’orchestre : la pièce est orchestrée pour six
percussionnistes, douze vents et quatre joueurs d’instruments
électroniques, de manière à entendre les fréquences très pures des
instruments électroniques contrastant avec les bandes de bruit blanc des
percussions, auxquels se mêlent les timbres des instruments à vents pour
compléter l’éventail des sons les plus purs aux plus complexes. On peut
citer aussi l’exemple de Appels de Michaël Levinas, œuvre dans laquelle des
caisses claires sont placées devant les pavillons des instruments à vent et
résonnent par sympathie. Les vibrations des timbres des caisses claires se
mêlent alors aux sons traditionnels et complexifient les timbres de départ.
34
fréquences f1 et f2, au lieu de prendre des fréquences additionnelles ou
différentielles f₁ ± nf₂, où n est un nombre entier, prendre f₁ ± qf₂ où q est
un petit paramètre de l'intervalle réel [‐1, +1] (e.g. q=0.874), fixé en
fonction des spectres choisis initialement, ou encore une fonction du temps
q(t). Ce paramètre peut aussi varier de manière continue. Ce procédé
s'inspire des théories modernes de quantification en physique quantique.
35
En résumé, toutes les composantes des paramètres
convergent vers un processus unique [...]24
36
prendre la pièce Mémoire/Érosion de Tristan Murail. Cette œuvre pour cor
et neuf instruments est construite sur le principe d’une boucle de
réinjection, mais le dispositif électronique est imaginaire. D’après le
compositeur, « comme dans le cas d’une réinjection électronique on
entendra donc, répétée après un certain intervalle de temps, chaque phrase
émise par le cor. Ce sont bien sur les instruments qui se chargeront de cette
réémission25. » Mais le principe d’une boucle de réinjection en studio est
différent d’un simple canon traditionnel : le son, à force d’être recopié et
recopié sur les bandes, ainsi que remixé avec le reste des sons, est
nettement dégradé par rapport à l’original, ce qui est la source d’intérêt de
Tristan Murail. Il continue : « Mais la phrase, ou le son de départ, ne seront
jamais répétés tels quels. À chaque répétition jouera le processus d’érosion
qui, tout en détruisant les structures musicales originelles issues du solo de
cor, reconstruira peu à peu de nouvelles structures qui à leur tour seront
soumises au processus d’érosion, et ainsi de suite10. »
De plus, les techniques de studio sont limitées par rapport à
l’écriture. Une boucle de réinjection studio gardera toujours la même
orchestration et la même interprétation alors que l’écriture permet par
exemple de séparer une partie des instruments de la boucle principale,
pour en fabriquer une autre boucle qui s’autoalimente. On peut reproduire
la technique de studio de l’écho, en imaginant un écho plus évolué, qui
ralentirait au cours du temps ou avec des harmoniques apparaissant
progressivement, pour obtenir un timbre de plus en plus complexe à
l’inverse de l’écho à bande qui a tendance à filtrer de plus en plus les graves
et les aigus avec le temps.
25Tristan Murail, Modèles & Artifices, textes réunis par Pierre Michel, p.16.
Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2004.
37
l’une des caractéristiques du timbre, à la croisée de l’épaisseur, de la
chaleur et de la vibration.
38
Ici une forte pression de l’archet augmente la force de frottement de
la même manière qu’une surface rugueuse possède un pouvoir de
frottement plus grand qu’une surface lisse28. Ceci a en plus pour effet de
tordre la corde et de produire une harmonique modifiée, donc moins
naturelle. On associe la rugosité esthétique perceptible de cette
harmonique avec la rugosité physique du frottement. La rugosité du
matériau joue aussi sur la manière dont vont se propager les ondes sonores
dans celui‐ci. Pour les percussions, les ondes qui sont créées lors du choc
d’un impact vont se propager d’une manière qui aura une incidence directe
sur la rugosité du son.
39
Il semble qu’il y ait deux types d’appréhension du temps :
l’un directionnel, c’est le temps irréversible de la biologie,
de l’histoire, du drame, le temps « occidental » ; l’autre non
directionnel, c’est le temps de l’inconscient et des
psychotropes, l’éternel présent de la contemplation, le
temps « oriental ». La musique que j’écris s’inscrit
résolument et consciemment dans le premier type
d’appréhension.29
40
engendrent des évolutions exponentielles ou logarithmiques. D’autres
mettent en jeu des contractions et dilatations temporelles, suggérant des
modèles de tension et de détente. La loi de Weber‐Fechner est, en
psychophysique, la loi qui décrit la puissance d’une sensation en fonction
de l’intensité d’un stimulus. Selon celle‐ci la sensation perçue par l’être
humain est égale à un multiple du logarithme de l’intensité du stimulus.
Cette loi se vérifie sur la vision et sur l’audition des humains. En effet, la
perception de puissance acoustique perçue par l’oreille est par exemple
multiple du logarithme de l’intensité acoustique, de la puissance
surfacique. La considération de ce phénomène par un compositeur amène
à transposer cette loi dans des processus d’évolution de temps, de hauteur,
de timbre et ainsi de suite, pour chercher des résultats inédits dans la
perception par l’oreille, et dans la cognition de l’écoute.
La théorie mathématique de l’information, établie par Shannon et
Weaver en 1948 dans The mathematical theory of communication31, utilise
un logarithme de base deux (système numérique à uniquement deux
chiffres, 0 et 1) pour définir l’entropie, l’accroissement de sa
désorganisation, et par extension de sa dégradation. L’unité du bit, de
valeur 0 ou 1, est l’information de base qui permet de coder toute
information plus conséquente, et est à la base de la révolution numérique
entamée quelques années plus tard. Lorsque Grisey compose dans les
années 70 ou 80, cette théorie est en plein retentissement et les premiers
instruments et machines électroniques numériques commencent à peine
leur apparition.
41
La modification du matériau sonore par compression et étirement
renvoie à la dilatation et la contraction du temps. Ce concept, qui trouve un
écho dans les théories relativistes d'Einstein et de Poincaré, accentue ici la
dimension cosmique de l'entreprise spectrale. Dans Saturne de Dufourt ou
dans les expériences avec les pulsars de Grisey, la référence au cosmos est
patente, non pas dans une posture contemplative et hypnotique, mais
toujours prise par le dynamisme des processus de transformation. A cette
dimension s’ajoute celles des cultures asiatiques et extra‐européennes
auxquelles se réfèrent les compositeurs (cloches tibétaines, etc.).
34 Tristan Murail, Modèles & Artifices, textes réunis par Pierre Michel,
p.118‐119. Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2004.
42
les durées sont proportionnelles aux intervalles du spectre
d'harmoniques impairs.35
43
En outre, c’est Grisey qui est peut‐être pour le courant spectral le
compositeur qui a le plus manipulé et étudié le temps dans son œuvre.
Chez lui, les différents temps rentrent en symbiose parfaite, renouant avec
les résonances du spectre. Après avoir exposé sa définition du corps du
temps, ainsi que celles des trois couches du squelette, de la chair et de la
peau du temps, il approfondit de manière plus scientifique les liens entre le
rapport temps oriental ‐ temps occidental d’une part, et le rapport temps
subjectif – temps objectif d’autre part. Il se place dans le domaine de la
composition et de la création, qui axe du coup son postulat vers la
recherche d’une osmose entre ces rapports, entre ces temps multiples.
38 Ibid., p 179‐180.
44
être imprévisible, et les sonorités ou les rythmes résultant de son
expérimentation, s’ils permettent de repousser les limites de la
composition, demandent une rigueur combinatoire très grande.
Une troisième caractéristique du rapport au temps chez Grisey
prend encore sa source dans son incapacité à séparer la technique de
composition du domaine des propriétés micro‐temporelles du son et celle
du domaine des composantes fréquentielles du son. S’il compose sur des
dilatations de temps, il doit alors aussi dilater « l’harmonie ». C’est‐à‐dire
qu’il doit utiliser les hauteurs des harmoniques et partiels des spectres
qu’il veut entendre et les répartir aux instruments de l’orchestre pour
obtenir les hauteurs qu’il compose originalement, celles qui constituent le
premier niveau de l’œuvre, en quelque sorte le spectre global imaginé. À
propos de sa composition Le Temps et l’écume (1988‐1989) pour quatre
percussions, deux synthétiseurs numériques et orchestre de chambre,
Grisey note :
39 Ibid., p. 153.
45
De même il semble que l'on puisse distinguer deux
approches dans la manière de composer et de percevoir le
temps : l'une privilégiant l'instant et la mémoire
immédiate de l'événement sonore, l'autre faisant une
grande confiance à la mémoire cognitive de l'auditeur qui
serait soi‐disant à même de rassembler, de comparer et de
hiérarchiser les éléments d'un discours musical étalé sur
une très longue période de temps.40
40 Ibisd, p.85
41 Ibid. p.179
46
Evoluent‐elles dans leur temps propre synchrone ou asynchrone, et
peuvent‐elles former ensemble un « spectre de temps partiels » ?
De son côté, Tristan Murail n'utilise les percussions que dans les
pièces pour orchestre ou pour petit ensemble. Il emploie par contre des
sons électroniques proches des percussions dans de nombreuses œuvres. Il
fait la description de son utilisation de ce genre de sonorités dans
Allégories :
42 Tristan Murail, Modèles & Artifices, textes réunis par Pierre Michel,
p. 179. Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2004.
47
d’instrument à un autre. Autrement dit, un modèle de cymbale ou même de
maracas n’aura pas le même son qu’un autre modèle de cymbale ou de
maracas, et de telles différences s’additionnant sur toutes les percussions
demandées dans l’effectif d’une œuvre finissent par dénaturer de manière
trop audible les spectres que le compositeur avait imaginé en premier lieu,
avec les instruments qu’il avait à ce moment là. Voici un exemple où Murail
se plaint que les percussions ne sonnent pas exactement en concert comme
l'attend le compositeur. Il suggère de les accompagner par des sons
synthétiques.
43 Ibid., p.175.
48
structurelles de la pièce, tout en apportant au discours des éléments
indispensables au développement des processus. En traçant un diagramme
matériau/temps de Partiels de Grisey, Jean‐Marc Chouvel met en évidence
dans cet espace, analogue à un « espace des phases » des comportements
chaotiques et des bifurcations qui pour la plupart sont marqués par les
percussions.
49
Fig. 1 : Exemple de diagramme formel de J.‐M. Chouvel, sur
l’Allegretto de la sonate K. 545 de Mozart46.
50
que les évolutions indépendantes des dynamiques, du
timbre, du tempo.47
51
Le schéma est formel, dans le sens où il représente le temps de
l’œuvre en abscisses, et présente les parties successives avec le découpage
par 4, 5, 6 et 7 surimposés. Les durées obtenues définissent les hauteurs
utilisées, la fréquence principale étant elle aussi divisée par 4, 5, 6 et 7
simultanément et les différents résultats définissant les notes, placées alors
non seulement à leur hauteur mais aussi à leur place temporelle.
52
Chapitre 2 :
Analyse de l’écriture pour percussions
dans quelques œuvres historiquement et
qualitativement représentatives
53
54
Certaines des œuvres que nous allons présenter ici ont déjà été
analysées à plusieurs reprises, d’autres n’ont pour l’instant pas été autant
recherchées et étudiées par les musicologues. On peut citer par exemple les
analyses des œuvres de Grisey par Jérôme Baillet, l’article de François‐
Xavier Féron sur Modulations, les écrits de Pierre‐Albert Castanet sur
Dufourt, et bien d’autres. Nous ne développerons pas les analyses des
œuvres ayant déjà fait l’objet de recherche approfondies, préférant
référencer et partir de ce qui a déjà été dit, pour nous intéresser
directement au domaine qui est l’objet de ce travail : les percussions, leur
rôle, leur place et leur langage. Nous citerons cependant les
instrumentaires des pièces, et présenterons brièvement chacune avant de
rentrer dans les détails. Il est en effet nécessaire de poser des bases solides
de connaissance des œuvres qui nous serviront ensuite pour le croisement
des données trouvées dans ces pièces, entre les différents compositeurs,
époques, et en rapport avec les textes de référence. Nous nous
intéresserons d’abord aux compositeurs de L’Itinéraire comme Grisey,
Murail, Dufourt, Levinas, puis nous continuerons par des œuvres de
seconde génération avec Saariaho, Harvey ou Hurel. Enfin nous aborderons
des compositeurs antérieurs au spectralisme comme Scelsi ou Miroglio
d’une part, puis des représentants des dernières générations issues du
spectralisme comme Romitelli, ou Verrando.
55
I. Gérard Grisey et la percussion
Dans Partiels et dans Modulations il s’agit, plus que dans les autres
œuvres de Grisey, d’appliquer à l’orchestre les phénomènes expérimentés
dans les studios de musique électroacoustique. La composition ne porte
plus sur des notes, mais sur des sons. Deux grands principes guident les
Espaces acoustiques : le spectre d’harmoniques et la périodicité. On l’a vu,
ces principes engendrent un matériau interdépendant du temps et des
hauteurs, masse sonore évolutive, sculptée par un compositeur par
combinatoire de données compositionnelles et par processus originaux de
transformation.
Comme le travail sur le matériau et la masse sonore requiert une
manipulation des fréquences harmoniques et partiels du son, la question
devient : comment la percussion peut‐elle s’intégrer dans les polyphonies
spectrales ? D’abord, elle y joue un rôle de premier plan, puisqu’elle est la
principale source de bruit. Ensuite, son panel très large de sonorités
permet au compositeur de piocher dans cette palette sonore pour créer des
alliages, d’une part afin de fabriquer des mélanges de sonorités par
recherche esthétique, mais aussi, de par leurs spectres nettement définis,
par recherche scientifique. Certes, il existe des modes de jeux, des textures
micro‐intervallaires qui modifient le timbre de l’orchestre, mais peu
engendrent du bruit, ou du moins possèdent dans leur spectre de larges
plages continues de fréquences qui viennent perturber la structuration
harmonique, tendant vers une plus grande inharmonicité. Les cymbales ou
tam‐tams, avec leur spectre ressemblant à du bruit blanc filtré, révèlent
une tout autre utilité que les vibraphones, bols tibétains ou autres
triangles, aux sonorités cristallines spectralement pures, ou encore que les
instruments en bois, très secs et sans résonance, ou enfin les peaux, à la
vibration de membrane caractéristique.
Comme nous le verrons plus en détail dans les analyses
approfondies dès le chapitre suivant, les percussions ont souvent plusieurs
manières d’accompagner un groupe instrumental et viennent en appui
pour modifier des textures timbriques. Elles facilitent la mutation de
spectres entre eux, et conditionnent la mise en œuvre des processus qui
règlent selon Grisey les compositions spectrales. Par des phénomènes de
coagulation, des blocs polyphoniques mutent en des blocs homophoniques.
Par de lentes évolutions des couches instrumentales, le compositeur règle
la dialectique, nous pourrions même dire le dialogue, de l’harmonicité et de
l’inharmonicité. La percussion peut se représenter comme une palette
sonore composée de plusieurs échelles : du son pur vers le bruit, du
sombre vers le lumineux, du monochrome vers le coloré, ou encore de lisse
56
vers rugueux. Comme le compositeur spectral veut délaisser les rôles
conférés aux percussions dans le répertoire antérieur, il lui faut donc
reposer la question du rôle de la percussion, éviter l’écueil de la
ponctuation, ou celui du catalogue de sonorités inouïes. Les spectraux
doivent répondre à de nouvelles interrogations et dans la musique de
Grisey, une des questions centrales se trouve être celle‐ci : quel est le rôle
des percussions dans la continuité des transitions spectrales, et dans ce
que le compositeur appelle la zone liminale ?
57
acoustiques, sont des pièces qui montrent les nouvelles méthodes pour
l’écriture des percussions avancées par les compositeurs « spectraux ».
1 Glockenspiel,
1 Xylophone
1 Gong thaïlandais (mi grave),
1 Tam‐tam très grave,
1 Cymbale très aiguë,
1 paire de cymbales frappées.
3 Caisses claires (3 hauteurs différentes),
2 Tambours militaires avec timbre (2 hauteurs
différentes),
1 Tom moyen,
1 Tom basse,
1 Tom contrebasse,
1 Grosse caisse très grave,
1 Tambour de bois (sinon 2 Tumbas différentes),
1 Tambour à corde grave (lion’s roar).
Accessoires :
4 sourdines pour les toms,
1 brosse dure,
1 brosse souple,
5 feuilles de papier de verre fin,
2 plaques de polystyrène,
Papier d'emballage, papier métallisé,
3 appeaux (perdrix) identiques, donnant un bruit de
souffle (pas de sifflement).
58
La notice d’introduction précise que deux appeaux seront
donnés l’un au deuxième clarinettiste et l’autre au
clarinettiste basse.
Il est aussi prévu quatre types de baguettes :
‐ Baguettes dures,
‐ Baguettes moyennes,
‐ Baguettes douces,
‐ Mailloches de timbales.
59
plus le spectre construit d’harmoniques du trombone se transforme en
spectre de partiels du même instrument, inharmonique. Les effets viennent
dégrader le son, comme le flatterzunge, le growl, le son de souffle aux vents
etc. La section se termine par des traits aux cordes qui contribuent à
accentuer le désordre, et se concluent sur le coup de tam‐tam qui annonce
le chiffre 12 et la section suivante.
Cette nouvelle section, II, va des chiffres 12 à 21 sur la partition. Sur
l’enregistrement51, elle démarre à 3’24.
60
utilise ici à la fois des techniques issues de la musique sérielle et des
variations de vitesse propres à la musique électroacoustique. Il indique
précisément une voix principale (Hauptstimme) et une voix secondaire
(Nebenstimme) dans un discours centré sur des couples d’instruments. Les
percussions sont absentes de cette section. Le tambour à corde entre au
chiffre 27 avec un jeu tenu de sons de plus en plus forts et de plus en plus
longs, qui annoncent la section suivante. La sonorité de friction de cet
instrument rappelle des sonorités entendues plus tôt dans Ionisation de
Varèse. Le chiffre 28 marque ensuite intensément le début de la section IV,
qui dure jusqu’au chiffre 32. Le deuxième percussionniste frappe le tam‐
tam avec la mailloche et « laisse vibrer irrégulièrement la baguette de
métal derrière l’instrument » (à 8’33 sur l’enregistrement cité). Il
accompagne des trilles très serrés des instruments à vent et des échos de
cordes sur tout le début du chiffre 28. Le son initial s’estompe et dans une
texture composée par les cordes et les vents auquel s’ajoute le vibraphone
(avec moteur, vibrato très rapide) émergent les partiels de rang impair du
spectre de mi : si2 (2e partiel, 28), sol dièse 3 (5e partiel, 29), ré bas 4 (7e
partiel, 30), fa dièse 4 (9e partiel, 30). La petite cymbale ouvre la fin de la
section, sur un crescendo introduisant ces traits de bois descendants très
aigus et fortissimo sur un tapis de très légers glissandi de cordes (chiffre
31).
Au chiffre 33, début de la section V qui va jusqu’au chiffre 41, les
instruments commencent tout à coup à alterner des mouvements
ascendants et descendants, et jouent sur les harmoniques du spectre de mi
(sur l’enregistrement de l’ensemble Court‐Circuit à 10’40). Les percussions
ne jouent pas jusqu’au chiffre 36 où le vibraphone accompagne les
quintolets de la deuxième clarinette dans des mouvements alternants qui
s’amplifient au grave et à l’aigu. La coloration qu’apporte le vibraphone
dans la clarinette est particulière, car il est moins fréquent d’entendre un
instrument plus timbré coloré par un instrument plus pur. Le vibraphone
renforce ici, par ses harmoniques pures et son vibrato périodique, la partie
de clarinette au son déjà riche en partiels. Cet alliage perdure presque
jusqu’à la fin de cette section et disparaît au chiffre 41 pour laisser de la
place dans ce qu’on entendra comme une transition vers la section
suivante. Cette transition, avec ces traits descendants rapides au bois
mélangés aux glissandi des cors et au pizzicati des cordes, ainsi que l’effet
des silences qui séparent les objets sonores, rappelle la deuxième section
de Gondwana de Murail, que nous étudierons ultérieurement.
On peut considérer que dans la sixième section (chiffres 42‐46,
12’10 sur l’enregistrement), l’inharmonicité règne. Grisey note sur la
partition : « Jusqu’au chiffre 48, les accentuations, d’abord exactement
synchrones doivent se disloquer progressivement (position dans la
mesure), puis se ramollir et se liquéfier littéralement (collections de
hauteurs). » Les percussionnistes se partagent les peaux : le premier joue
61
sur les deux tambours militaires et les trois caisses claires, alors que le
second, dans un registre plus grave, joue des trois toms et de la grosse
caisse. Les fréquences des sons, disposées de manière discrète et isolées
entre les instruments, sont dans cette section augmentées de sons répartis
sur de larges plages fréquentielles, laissant s’épanouir de nouvelles
caractéristiques sonores plus bruiteuses et granuleuses. S’ajoutent aux
trémolos des cordes, joués avec une pression exagérée de l’archet, aux
flatterzunge des cors et des trombones, le bruit râpeux des frottements
produits par le papier de verre, la sonorité des peaux munis d’un timbre
(caisse claire et tambour militaire) frottés avec une brosse dure et de
manière circulaire, ainsi que les clarinettistes qui substituent à leurs
instruments les appeaux à perdrix dont ils varient les hauteurs en fermant
plus ou moins les mains. Tout concourt à créer une sonorité complexe où
les sons ne sont plus aussi clairs que ceux produits par un orchestre
traditionnel, mais rejoignent les textures de la musique électroacoustique,
jusqu’à la liquéfaction totale de la pâte sonore.
Accompagnant le mi des cordes et de la clarinette contrebasse, la
grosse caisse est mise en vibration en tournant contre sa peau une brosse
souple. C’est le début de la section VII, qui comprend les chiffres 47 et 48.
Les sons harmoniques tournent autour du mi générateur, alors que les
multiphoniques des bois et la sourde sonorité de la grosse caisse produit
un état quasi comateux, qui suspend le temps. On sent ici la recherche de
Grisey à propos du temps, et sa volonté de sublimer le rythme par la
maîtrise totale du temps. La sonorité apportée par la grosse caisse est
réellement proche d’une plage définie de bruit blanc. À partir du chiffre 48,
on écoute la continuation du début de la section mais de manière
« lointain[e], comme un écho de la musique précédente », les plans
instrumentaux se désagrègent jusqu’au silence troué par un quadruple
piano de la grosse caisse seule (chiffre 49). La coda commence alors
comme un souffle résonant de la pièce toute entière, comme la persistance
de l’écho et de la réverbération accumulée tout au long des sections
précédentes.
62
toutes les cordes qui se mettent à froisser du papier calque. Le chef
d’orchestre sort un mouchoir rouge (« de préférence ») de sa poche et
s’essuie le front. Grisey demande d’exécuter « tous les gestes d’abord
brusques et saccadés, puis de plus en plus souples jusqu’à devenir
excessivement lents et irréels, jusqu’au silence et à l’immobilité ». Le
percussionniste, baguettes en main, doit écarter les bras très lentement,
« mystérieux et solennel » jusqu’à ce que ceux‐ci soient horizontaux. Grisey
indique sur sa partition « Tension musculaire et psychologique comme
pour un coup fff ». Cette mise en scène permet une autre appréhension des
gestes instrumentaux qui ont lieu lors de l’interprétation. Le geste virtuose
est devenu usuel, et s’immobilise avant de devenir instrumental. Après
avoir joué la pièce, les interprètes doivent aussi jouer l’action, mais dans la
définition théâtrale du verbe.
Les bruits parasites des actions demandées aux interprètes sont
assimilables à des bruits de percussions, des timbres colorés précis,
montrant la musique sous un jour mystérieux et inhabituel dans ce cadre,
qui est pourtant la représentation d’un monde réel, lui par contre très
habituel, amplifié par les fréquences graves qui subsistent plus longtemps.
Ce procédé d’accentuation de l’effet de silence par des fréquences graves
continues et de faible intensité est très efficace et masque en réalité le
silence pour que l’oreille se force à le chercher. La fin de cette pièce
apparaît dans ce sens comme un reflet de la théorie de Grisey sur le « corps
du temps » et représente la mort des sons fabriqués et mis en œuvre
pendant l’interprétation.
63
mathématiques la plus exacte et fidèle possible, avec un facteur « humain »,
lié à l’interprétation, qui s’intéresse au côté organique du son, aux
imperfections qui donnent la vie aux corps et aux temps des sons. La
deuxième grande pièce des Espaces acoustiques est Modulations, et nous
allons en faire aussi l’analyse.
Percussion 1 :
Cloches tubes
1 Grosse caisse (avec sourdine)
1 Caisse claire
64
4 Tambours créoles (hauteurs différentes)
4 Bongos graves (hauteurs différentes)
1 Série de crotales
Percussion 2 :
1 Vibraphone
1 Série de crotales
5 Cloches à vache graves (hauteurs différentes)
5 Gongs
1 Tumba grave
1 Tam‐tam contrebasse (sourdine)
1 Arc
1 Paire de cymbales frappées
Percussion 3 :
1 Vibraphone
1 Glockenspiel
4 Cloches à vache medium (hauteurs différentes)
1 Cymbale suspendue
1 Tam‐tam
4 Bongos aigus (hauteurs différentes)
1 Tambour de bois grave
1 Arc
1 Plaque qui produit un la grave
4 Temple block graves (hauteurs différentes)
4 Wood block (hauteurs différentes)
65
groupes ides instruments à vents et des instruments à cordes. Ensuite, la
pièce progresse d’un départ « très irrégulier/heurté » vers un milieu plus
« régulier et lent », et une « berceuse » alternant harmoniques pairs et
impairs à la fin.
La deuxième esquisse montre la répartition extrêmement précise
des accords dans cette première partie de Modulations. Elle présente sept
colonnes de données, et une partie centrale où figurent de multiples figures
rythmiques. Les annotations de Grisey révèlent beaucoup de procédés
compositionnels. Il structure la première partie de la pièce en 13 « périodes
rythmiques évolutives », de durées croissantes liées au « n° harmonique »
croissant, rang des harmoniques composant le spectre originel du cycle des
Espaces acoustiques. Les 13 valeurs (1, 2, 3, 5, 7, 9, 11, 13, 15, 17, 19, 21, 23)
sont reportées dans la colonne 1.
L’analyse formelle révèle que Modulations peut se décomposer en
cinq parties, dont nous présenterons les détails ci‐après. L’analyse de F.‐X.
Féron que nous avons évoquée ici porte, elle, sur la première section
uniquement. Grisey, dans ses Ecrits, explique d’ailleurs que « malgré la
continuité de l’évolution, on peut distinguer et résumer cinq processus et
une rupture du discours, dont les durées sont proportionnelles aux
intervalles du spectre d’harmoniques impairs54 ». Les processus sont
fondés sur des évolutions au sein des échelles de « détente – tension »,
« homophonie – polyphonie », « binaire – multiple ‐ indifférencié » et
« apériodique – périodique ».
66
Fig. 2 : Note pour les percussions au début de la partition de
Modulations de G. Grisey.
67
rythmique d’une de ses pièces à partir du spectre originel55, et émet
l’hypothèse qu’il l’ait fait consciemment à l’occasion de l’anniversaire
d’Olivier Messiaen, qui était son maître et pour qui le rythme devait être
l’une des principales qualités d’un musicien.
Nous voyons donc que la section I de cette pièce est riche en liens
noués entre sonorité, propriétés du son et organisation rythmique. Les
sections suivantes suivent elles aussi des processus identifiables mettant
en jeu la recherche de timbre par les caractéristiques observables du son et
non seulement l’orchestration des percussions, mais aussi son écriture
rythmique.
Au chiffre 18, les groupes instrumentaux interviennent en tuilage
dans un mouvement de crescendo decrescendo, en soufflet (< >). Ce sont
d’abord les vents (chiffre 17 à 20), qui mènent le jeu. Les percussions
entrent au cours du chiffre 19 avec les baguettes de timbales, très douces,
sur les cloches tubes. Puis entrent les cordes frottées (chiffre 19‐21)
accompagnées du vibraphone, des cloches tubes et des gongs. Les gongs
restent seuls avec les cordes pincées (chiffre 20–22), joués « le plus fort
possible, sans qu’ils donnent trop d’aigu ». Grisey a recours à des
instruments dans les registres extrêmement bas de leur tessiture, voire au‐
delà. Il précise, dans un souci de réalisation, que les notes très graves du
vibraphone peuvent être jouées sur le marimba si sa tessiture ne le permet
pas, et les notes extrêmement graves des cloches sont facultatives. L’alliage
gongs – contrebasses fonctionne très bien avant la fin pour créer un
spectre doux se développant sur toute la plage fréquentielle de notre
audition. Cette sonorité résonante des gongs s’espace de plus en plus, pour
être remplacée dans le silence par la pureté ronde des peaux basses : tom
contrebasse, grosse caisse, tumba « très grave » et tambour de bois « très
grave ». La transition est imperceptible, le « morphing » très délicat. Les
peaux sont très étouffées, des roulements et alliages avec les cordes
viennent créer des vagues d’ondes graves où l’on ne sent plus les attaques.
L’écho des gongs a été transfiguré.
68
« Du chiffre 23 au chiffre 31, il y a deux plans d’intensité :
les cuivres d’une part (auxquels s’ajoutent les bois au
chiffre 25,4), les bois, les cordes et les percussions d’autre
part. L’orgue Hammond colore les timbres des cuivres et
leur ajoute une pulsation ; il ne doit en aucun cas passer au
premier plan, mais rester à l’intérieur de la sonorité des
cuivres. Bois, cordes et percussions réalisent un type de
modulation en anneau des intervalles entendus aux
cuivres. »
69
finement ciselées par la présence de quart, sixième et huitième de ton. Les
percussions perdent leur caractère percussif et fusionnent avec les
instruments mélodiques. Dans cette section, quatre spectres harmoniques
a, b, c et d construits sur la résonance des sons de cuivres avec sourdine
sont dilatés à l’extrême, passés au microscope, pour former huit accords
inharmoniques. Grisey joue de ce matériau qu’il appelle « hétérophonie de
blocs » et qu’il répartit différemment selon les sous‐groupes orchestraux A,
B, C et D ou A’, B’, C’ et D’. Les transformations font évoluer l’hétérophonie
vers l’homophonie, et le compositeur insiste sur la partition que le passage
de l’un à l’autre doit être « insensible ».
On remarque que les percussions dans cette partie sont
exclusivement mélodiques et viennent la plupart du temps renforcer du
matériau par alliages avec d’autres timbres. Leur association avec les
notions d’hétérophonie, homophonie de blocs et homophonie ne se fait pas
linéairement. La section suit un cheminement de la détente vers la tension
deux fois, en redescendant doucement à une détente moindre entre les
deux. C’est cependant l’homophonie qui domine au début ainsi qu’à la fin. Il
est donc intéressant de noter que l’homophonie finale n’a rien à voir avec
celle de départ : le spectre passe bien de l’harmonicité à l’inharmonicité
totale, de la détente à la tension. La deuxième phase de détente a cependant
lieu dans le même temps que l’hétérophonie de blocs. Par son intégration
des percussions, qui jouent comme des filtres sur les sonorités de chaque
bloc, les spectres harmoniques tendent vers le désordre dans des espaces
délimités. Lorsque le compositeur réduit son homophonie de 20 parties à 4
parties en composant des blocs, les blocs jouent une partie unique mais
chacun ayant sa part dans la fabrication du timbre global. La perception
mène à la détente, l’idée du compositeur est rendue réelle par l’adéquation
du processus à sa création. Les timbres des percussions contribuent au
spectre global plus que par addition ou soustraction. Elles sont des
composantes pouvant être combinées à d’autres instruments pour
contrôler l’harmonicité et avoir des rôles dans des blocs d’orchestration.
Ces blocs contribuent à des effets de filtres plus nets, opérant sur un plus
grand pourcentage du son global. Lors de l’homophonie finale, on entend
bien comme les claviers aigus (glockenspiel, crotales) contribuent à
l’inharmonicité totale.
La cinquième section va du chiffre 44 à la fin, mais dès le chiffre 43,
les sous‐groupes orchestraux disparaissent et la partition d’orchestre
reprend son aspect initial. Lorsque Transitoires s’enchaîne à Modulations,
cette section est coupée pour enchaîner directement avec Transitoires.
Grisey explique qu’il pense au spectre d’un coup de cymbale joué à l’envers
lorsqu’il se représente cette section. Le temps s’inverse, la fusion
progressive dilue les harmonies jusqu’au bruit blanc final. Le coup de
cymbale serait celui du percussionniste qui est figuré debout, figé au début
de la pièce ainsi qu’à la fin de Partiels. Son temps s’inverse, on entend le
70
coup de cymbale qu’il aurait dû donner, en commençant par la fin. Le son
commence dans les méandres des résonances et des partiels qui durent le
plus longtemps, pour récupérer son corps, le bruit de l’attaque, l’infinité de
partiels envoyée sous forme d’ondes sonores dans l’air entourant la
cymbale. Le corps se reconstitue aussi vite qu’il aurait explosé dans le
temps suivant la direction habituelle. Plus ses cellules se régénèrent et plus
elles sont nombreuses à en fabriquer de nouvelles ; la croissance du son est
donc exponentielle pour finir sur un ffff de caisse claire frappée en rimshot
combiné à des coups de cymbales frappées (percussion 2) et de tam‐tam
(percussion 3), les sons possédant la plus grande transitoire d’attaque
bruitiste à la disposition d’un compositeur. La très courte attaque d’une
sonorité de cymbale pure présente un spectre très plein : des partiels sont
émis sur presque la totalité de la bande de fréquence de l’oreille humaine.
Voici (figure 3) l’extrait de la partition de l’extrême fin de la pièce.
71
fois. Cet écho n’en est cependant pas tout à fait un, car il est inversé, à
l’envers dans le temps, celui‐ci se déroulant désormais à rebours. Le son
correspond aux derniers scintillements que l’on entend lorsque le son de
cymbale frappée original s’éteint. Ils sont eux aussi à l’envers.
L’enchaînement entre cette section finale et la précédente dévoile donc que
la sonorité des percussions, jouées sfffz (à la toute fin du chiffre 43, sur le
premier temps de 44, présenté figure 4), est liée à une partie de spectre du
scintillement de la fin de la vie du son de la cymbale. Autrement dit, cette
orchestration n’est pas anodine, car ce sont les partiels émis lors de la fin
de la résonance du son de cymbale qui sont utilisés comme matériau
compositionnel.
72
mélangeant aux tenues des bois et cuivres qui oscillent lentement en
fondus enchaînés entre les pupitres d’une part, et en se fondant dans le
tapis de cordes d’autre part, le tout matérialisant presque la surface de la
cymbale sur laquelle les ondes se déplacent, sur un plan plat, circulaire et
centrifuge.
73
à la mise en place de deux instances temporelles, ainsi que l’explique le
compositeur :
74
Ces temps sont tous les deux représentés et cohabitent à tous les
niveaux de « zoom » dans le spectre du coup de grosse caisse initial. Mais
lorsqu’on « zoome » suffisamment, le temps phénoménologique peut être
mis en évidence et permettre son expérimentation. En effet, lorsqu’on
s’aventure dans l’infiniment petit du son, le compositeur fabrique une
version « agrandie » du son, qui nous permet d’écouter des évolutions que
nous ne percevons pas car trop rapides à l’échelle normale. Autrement dit,
il est possible de comprendre autrement les interactions entre le temps et
le timbre, entre le temps et les hauteurs des partiels, car le compositeur
spectral crée un monde sonore dans lequel les lois acoustiques de
l’infiniment petit peuvent s’appliquer à l’échelle de l’être humain.
Lorsqu’on écoute le coup de grosse caisse en direct, en se tenant à
proximité, le temps acoustique est tel que nous avons l’habitude de le
ressentir, directionnel et chronologique ; mais lorsqu’on recrée ce coup de
grosse caisse à une échelle immense, malgré les incertitudes liées à
l’imperfection humaine de la construction, on a une chance de voir se
produire des phénomènes régis par des lois acoustiques inhabituelles où le
temps et l’espace n’ont plus le même rapport, où l’étude ne peut plus être
que phénoménologique. Mais in fine, ce qui compte aux yeux de Grisey,
c’est la destination finale de l’œuvre :
59 Ibid., p. 143
75
l’étude de cette pièce puis en confrontant les résultats d’analyse à la
globalité du courant « spectral ». Nous verrons que le cheminement pour
passer d’une échelle à une autre n’est pas perceptible au premier abord :
certains détails comme des coups qui doivent être perçus comme
périodiques (à 56 secondes d’écart) sont précédés par le même coup 48
secondes avant le premier, ce qui trouble la compréhension.
Cette pièce est, comme Tempus ex machina, une œuvre sur le temps.
L’instrumentarium est le même que cette pièce : elle est écrite pour six
percussionnistes, disposés autour du public, auxquels on ajoute une bande
magnétique et le son de la transmission in situ de signaux astronomiques.
Elle s’inscrit comme une œuvre qui part de la première mais l’englobe et
finit par l’incorporer comme introduction.
Le Noir de l’étoile est né de la rencontre à Berkeley de Gérard Grisey
et de l’astrophysicien Joe Silk qui lui fit découvrir le son des pulsars. Les
pulsars sont des étoiles à neutrons tournant très rapidement sur elles‐
mêmes et qui émettent un fort rayonnement électromagnétique. De ce fait,
ils émettent des signaux pulsés très régulièrement que les astronomes
détectent et mesurent. Ces objets ont fortement impressionné Gérard
Grisey qui se demandait « à la manière de Picasso ramassant une vieille
selle de bicyclette » ce qu’il pouvait bien en faire :
60Gérard Grisey, Op. cit., p 155. Les “glitches” sont des ralentissements
soudains de la vitesse de rotation des pulsars.
76
89 millisecondes. Mais ce qui est encore plus singulier dans sa démarche
est qu’il ne peut choisir d’autres instruments que des percussions.
592 395
296 237 197 168
148 118 99 84
74
Fig. 6 : Tableau représentant les durées des parties principales dans
Le Noir de l’étoile de G. Grisey.
61 Ibid.
77
Le Noir de l’étoile est une pièce qui, dans sa quête sur le temps, tente
de réunir les instruments et la composition avec des sons qui nous
entourent, qui existent avec ou sans nous : les pulsars continueront
d’émettre leurs ondes électromagnétiques, qu’on les écoute ou non, qu’ils
soient mis en scène, en musique ou en œuvre d’art. Grisey explique que le
moment de passage d’un pulsar dans le champ d’observation terrestre
astreint le moment de son exécution à une date et une heure précises. Cela
permet de lier le temps du concert avec celui de cette horloge lointaine,
ainsi la musique pourrait atteindre le pouvoir de conjurer le temps en
devenant un événement in situ ou mieux in tempore.
78
II. Tristan Murail et la percussion
79
1. Les Courants de l’espace (1979)
Percussion 1 :
Timbale grave,
Vibraphone,
Tambour médium,
Tam‐tam grave,
Deux cymbales : très aiguë et médium,
Maracas aiguës et graves,
Planche à laver,
Crécelle.
Percussion 2 :
Tom médium,
Caisse claire aiguë,
Tam‐tam grave,
Cymbale chinoise (ou cymbale médium),
Trois cymbales : aigué, médium et très grave,
80
Maracas aiguës et graves,
Sand blocks,
Marimba,
Guiro aigu,
Crécelle.
Percussion 3 :
Xylorimba,
Grosse caisse,
Deux toms : aigu et grave,
Quatre cymbales : médium aiguë, médium, médium grave, grave,
Sand blocks,
Maracas aiguës et médium,
Guiro grave,
Brosse.
81
jamais entièrement de leurs timbres individuels. Lors de la création des
sonorités avec l’orchestre, Tristan Murail parle de « timbre‐harmonie »
dans plusieurs de ses écrits. Pour lui, lorsqu’opère la fusion de l’orchestre,
donc entre autres phénomènes lorsque le spectre interprété tend à
disparaître au profit du timbre unique de l’agrégat entendu, la qualification
du son par le terme « timbre » n’est pas aussi exacte que pour des sonorités
fabriquées électroniquement. Les instruments expriment leur personnalité.
La structure globale de la pièce est basée sur un rapport entre des
spectres très précis construits par les modulateurs en anneau, nourris par
la source primaire de l’onde Martenot. Lorsqu’un son est fabriqué par
l’instrument, les composantes du spectre transformé servent de matériau
pour la composition du développement à l’orchestre. Le spectre orchestral
est cependant bien différent, les composantes timbrales individuelles des
instruments permettant de complexifier infiniment le timbre, qui prend
des caractéristiques plutôt de l’ordre du vivant. Les objets que le
compositeur expose aux ondes Martenot sont relativement imités par
l’orchestre, puis déformés et transformés, qui eux‐mêmes deviennent des
objets musicaux originaux, et développent une solide identité sonore.
Les sections sont notées par des lettres sur la partition
conducteur63. Dès les premières mesures de la section A, on constate que le
rôle spectral des percussions est affirmé. La pièce commence par un do
demi‐dièse 6 (2154 Hz) joué par les ondes Martenot. Cette note est couplée
à un si 4 (987 Hz), par une modulation en anneau, sur le synthétiseur, et
associée aux ondes Martenot. La modulation produit ensuite une fréquence
additionnelle (sol 6) et une fréquence différentielle (ré 4). La couleur de ces
quatre sons est modifiée par l’ajout de percussions, lorsque cymbales et
timbales viennent compléter le spectre sonore avec leurs composantes
inharmoniques. Cet ajout est un phénomène important dans le processus
compositionnel qui est essentiellement construit autour d’effets de
distorsion et d’imitation.
La couleur orchestrale est aussi modifiée par les sons électroniques
qui s’ajoutent aux sons des instruments. Le même agrégat est joué par les
cordes, avec un effet d’atténuation du son qui est l’équivalent de l’effet de
« potentiomètre » en musique électroacoustique. La suppression des
transitoires d’attaque a pour conséquence de détimbrer le son, ce que les
percussions réalisent parfaitement. Ainsi, le compositeur peut plus
aisément enchaîner les agrégats entre eux en jouant sur les fusions de
timbre et en réglant la densité orchestrale.
La prégnance des micro‐intervalles qui deviennent de plus en plus
nombreux provoque des irisations et des jeux de lumière à l’intérieur
même des spectres sonores. La fusion des trilles du piano (mesure 40) et
82
des résonances du tam‐tam crée des halos harmoniques sur lesquels les
différentes couleurs de l’orchestre se déploient. Le bruit s’intensifie et à
partir de la mesure 49, les sons étouffés et les sons frottés (brosse ou
papier de verre sur la grosse caisse) alternent. Après l’intervention des
ondes Martenot vers la mesure 50, les maracas éclairent le son et facilitent
la transition entre les deux premières sections (A et B).
Dans la section B, les sons « bruiteux » dominent : les effets de
souffle joués par les instruments à vent sont accompagnés par des
frottements sur la grosse caisse. Ces sonorités sont assez discrètes mais
possèdent des spectres totalement inharmoniques présentant des bandes
de fréquences remplies de partiels désordonnés. De plus, leur enveloppe
d’amplitude est souple, il n’y a pas d’attaque mais le son est granuleux, les
crissements flottant sur un tapis de basses fréquences. Un cluster tournant
(mesures 17 à 29) est joué dans l’extrême grave au piano et se résout dans
la dilatation du temps et la diminution progressive du volume sonore. La
résonance des instruments est prolongée par les cymbales, tandis que
l’onde et les percussions étouffent mutuellement le son d’ensemble
(mesure 32).
La section suivante, C, voit les peaux accompagner les maracas et
des effets de frottement (papier de verre). La sonorité globale est
entièrement modulée par la granulation des percussions. Ceci est dû au fait
que les sonorités mises en jeu ont une enveloppe complexe, c’est‐à‐dire
qu’elles démontrent une évolution du son contrôlée sur un temps aussi
long que l’on veut, à l’inverse d’une frappe par exemple, qui a une
enveloppe prévisible constituée d’une attaque qui s’éteint plus ou moins
progressivement. Les maracas ou les frottements sont un outil de
modulation de timbre au sein des alliages, et la sonorité des peaux se voit
ainsi colorée de manière évolutive, en perpétuel renouvellement. C’est
juste après, à la section D, que le compositeur orchestre les harmoniques
des cordes et contrôle l’introduction du bruit par l’utilisation des
percussions, mais aussi des modes de jeu aux autres instruments (sul
ponticello, micro‐intervalles, etc.). Le roulement sur le mi bémol aux
timbales (mesure 16) marque à la fois l’apparition des fréquences du
spectre de mi bémol jouées par le basson et le violoncelle, et l’introduction
des sons bruités tenus par les maracas, le polystyrène et le papier de verre.
Les fréquences s’amplifient, se multiplient même, par le calcul de la
modulation en anneau, pour finalement atteindre un point culminant qui
conclut cette section.
Dans la suivante, les maracas créent un halo harmonique constant
sur lequel s’opère un glissement progressif des fréquences, à l’exception
des vents qui restent sur le spectre de mi bémol. On entend bien dans cette
section l’interaction entre les composantes de timbre et de rythme aux
percussions.
83
• Cet exemple est accompagné d’un extrait audio.
Voir la plage n° 03 du disque joint à la thèse :
section E des Courants de l’espace.
84
des cordes qui est amplifiée par une écriture de percussions (guiros, tom et
grosse caisse) tout en textures (mesure 28). Après une suite de glissandi
ascendants et descendants, les instruments de plus en plus détimbrés sont
accompagnés par la crécelle et les guiros. Le mouvement se fige dans un
spectre de piano de la mesure 28 à la mesure 30, et sa résonance qui est
étalée sur tout le reste de l’orchestre. Les instruments détimbrés sont
amputés de leur attaque et le son est de plus en plus mêlé de bruits, en
partie joués par les percussions. Les cordes jouent sul ponticello, les cuivres
sont munis de sourdines, les timbres deviennent à la fois fusionnels et
méconnaissables. La pièce se termine dans une gigantesque fresque
résonante, dans un « délavement » complet des couleurs et des textures.
2. Gondwana (1980)
Gondwana est une pièce pour orchestre qui, malgré un propos non
descriptif, met en œuvre de nombreuses structures sonores tirées de
sonorités comme les cloches, les vagues, ou des phénomènes
météorologiques comme l’orage et la tempête, ou sismiques comme des
grondements terrestres. La métamorphose est une idée maîtresse du
développement de l’œuvre. Les structures changent constamment, et
presque toujours progressivement, mis à part quelques effets de seuils ou
de volte‐face assez soudains. Dans la notice de l’œuvre, Murail décrit « des
structures claires [qui] se transforment en mouvements flous, [d]es
harmonies‐timbres bien différenciées [qui] se ‘‘dégradent’’ lentement en
structures bruiteuses64 ». Joshua Fineberg note que la pièce tire ses
85
paramètres compositionnels principaux d’une part d’un spectre
inharmonique de cloches synthétisées et d’autre part d’un spectre
harmonique de trombone65. En outre, Gondwana est un continent englouti
de la mythologie indienne, dont le nom a été repris par des géologues pour
désigner le continent qui a réellement existé à la préhistoire et qui s’est
disloqué lentement pour donner aujourd’hui Madagascar, l’Inde et
l’Antarctique.
Comme Désintégrations, Gondwana montre à de nombreuses
reprises l’utilisation que le compositeur fait d’un processus qui lui est cher,
et qui lui permet de manipuler l’harmonicité du spectre plus précisément, à
savoir la modulation de fréquence. Marc‐André Dalbavie l’a montré
lorsqu’il a donné une analyse détaillée des procédés d’engendrements des
hauteurs de l’œuvre66. Le fait d’agir directement sur l’harmonicité fournit
au compositeur le matériau pour l’écriture. Il utilise l’orchestre comme un
synthétiseur FM : le timbre se complexifie par addition de différentes
fréquences créées par des oscillateurs ; le compositeur remplace les
oscillateurs par des sonorités diverses issues d’alliages d’orchestre, et
fusionne les sonorités qui se trouvent parfois dans des univers paraissant
très éloignés. Les composantes fréquentielles proches mais différentes
dans chacune des sources sonores interagissent et résonnent ensemble.
Ces sonorités tendent à s’assembler en un spectre global, ce qui va dans la
direction des expérimentations de Murail. Les percussions ont un rôle qui,
encore une fois, joue de manière majeure sur les composantes de la
fabrication des timbres. Les plages fréquentielles de bruits diverses, les
attaques maîtrisées de matériaux bien définis, les basses oscillations des
larges peaux, les sonorités cristallines des métaux aigus, sont toutes des
angles fondateurs très utiles et efficaces pour l’entreprise de sculpture
sonore introduite par le compositeur. La nomenclature des instruments à
percussion est la suivante, le pupitre comptant 3 percussionnistes :
Percussion 1 :
Crotales,
Xylophone,
Tambour moyen,
Deux bongos,
Cinq cymbales échelonnées,
Paris, 1989.
86
Tom contrebasse,
Timbales,
Tom aigu,
Woodblock aigu,
Maracas aigus.
Percussion 2 :
Vibraphone,
Tom moyen,
Glockenspiel,
Grosse caisse,
Marimba,
Cymbale moyenne,
Crécelle en bois,
Maracas moyens.
Percussion 3 :
Cloches‐tubes,
Crotales,
Vibraphone,
Trois cymbales cloutées échelonnées,
Tam‐tam grave,
Caisse claire,
Tom basse, Tom grave, Tom aigu,
Deux bongos,
Maracas graves.
87
Après une sorte d’appogiature orchestrale par quelques instruments
(cors, bassons et clarinettes), accompagnée d’un decrescendo aux maracas,
le premier accord est donné à la mesure 4 et repris avec un même
accompagnement de percussions : piano, cloches, vibraphone et crotales
auxquels s’ajoutent le glockenspiel à partir du quatrième accord (mesure
17). Les percussions disparaissent après le septième accord. Le son se
métamorphose en remplaçant le spectre de la cloche par une enveloppe de
trombone. Les tenues sont écourtées alors que les accords s’ouvrent petit à
petit, bourgeonnent et fleurissent (mesure 50) jusqu’à donner naissance à
des trilles qui virevoltent dans l’espace musical et qui ouvrent la section
suivante.
La deuxième section, B (2’24 sur l’enregistrement68), commence par
le rythme rapide induit des trilles et ralentit progressivement. Les
percussions restent calées sur les mêmes sonorités instrumentales
(vibraphone, glockenspiel, cymbales). Les cuivres jouent des notes tenues,
les bois évoluent par traits descendants et les cordes par tremolos et
harmoniques. Les changements de spectres sont indiqués sur la partition
par des lettres grecques. À partir de la mesure 40, avec le changement de
spectre gamma, les percussions changent d’instruments : le marimba et le
tam‐tam moyen remplacent le vibraphone qui reviendra seulement au
troisième percussionniste en même temps que le spectre epsilon (mesure
55). Maracas graves, crécelle et cymbale grave entrent en scène à la mesure
65, qui introduit des éléments bruiteux plus importants. Le compositeur
demande que les sons de crécelle et de maracas se fondent dans le son de
trompette. C’est toujours l’idée de fusion des instruments en un spectre
global qui prévaut dans la démarche, au niveau perceptif bien sûr mais
aussi au niveau physique, notamment à travers les phénomènes de
résonance.
88
aigu accompagnent la grosse caisse, annonçant la courte transition vers la
section suivante.
Les sons percutés dominent alors, puis l’entrée du xylophone
(mesure 7) change la couleur des bois. Le roulement de cymbale cloutée
fusionne avec les sons joués par les seules trompettes avec sourdines
harmon, à la mesure 19. À partir de la mesure 35, le discours retourne aux
sonorités des instruments de départ (cymbale cloutée aiguë, grosse caisse,
cymbale grave). La fin de la section (à partir de la mesure 50) présente des
sons multiphoniques alternés avec des trilles, les souffles des bois et des
vents se confondant avec des résonances multiples : celle du vibraphone et
celle des trilles aux cymbales cloutées et à la cymbale très aiguë.
La sonorité très particulière de la section suivante, D, est liée au
mouvement très animé, un peu chaotique des soufflets (notés « < > », à
partir de 7’50 sur l’enregistrement) des instruments auxquels se mêlent les
glissandi de la harpe et du célesta. Les percussions sont toujours dans la
même configuration (cymbales cloutées, vibraphone, cymbale très aiguë)
ce qui conserve l’univers précédent, tout en accentuant le caractère irréel
et dématérialisé de ce passage. Le souffle s’amenuise lentement : il ne reste
que le trille de la cymbale cloutée, puis quelques notes aux vibraphones qui
disparaissent elles aussi à l’entrée des timbales sur la mesure 47, page 26.
Elles ouvrent la deuxième partie de cette section, disparaissant un court
instant (de la mesure 57 à la mesure 65), s’accouplant au vibraphone joué
avec les baguettes dures mais disparaissant ensuite mesure 70. Une
dernière articulation, presque de l’ordre de la ponctuation, reprend la
configuration initiale à la mesure 80, suivie d’un impressionnant halo de
toutes les maracas (mesures 82 à 89). Le xylophone termine la section par
son timbre de bois sec, aigu, mais harmonique.
À partir de la lettre E (9’21 sur l’enregistrement), les accords aux
cordes sont renforcés par le raclement du guiro, par la planche à laver
(jouée par la harpe), la crécelle (jouée par le piano) et par les crescendo
poco a poco du tom contrebasse et de la grosse caisse, tous deux étouffés.
Les mouvements telluriques lents et sourds s’amplifient et les percussions
se font de plus en plus présentes : on entend beaucoup d’instrument à
peaux. À la percussion 1, le tom grave, le tom aigu, les bongos, à la
percussion 2 la grosse caisse, et à la percussion 3 trois toms et deux bongos
sont orchestrés ensemble mesure 15, page 34. Un passage plus doux
annonce l’œil du cyclone (mesure 19), le calme avant le déchaînement final
des forces sismiques : dans un lent balancement, les percussions finissent
par se réduire au seul célesta.
Le final de la pièce est contenu dans la lettre F (à partir de 12’52 sur
l’enregistrement). Il commence par des effets d’oscillations ponctuées par
le vibraphone, joué d’abord avec l’archet, puis avec la pédale, auquel
s’ajoute la cymbale très aiguë (mesure 25) dans un alliage délicat au niveau
fréquentiel. A partir de la mesure 31, les percussions retrouvent une
89
configuration familière (cymbales cloutées, vibraphone, cymbale très
aiguë), souvent rencontrée dans la pièce notamment à la section D,
configuration sonore qu’elles conservent jusqu’au point d’orgue tenu par
les cors à la mesure 40. La fin de la pièce est une longue résonance des
instruments s’éteignant (de la mesure 40 à la mesure 57), soulignée par
toutes les vibrations à fort sustain, comme refusant l’extinction, des
instruments de percussions (cloches, vibraphones, cymbales et
glockenspiel).
Tristan Murail dans Gondwana montre comment il peut fabriquer
suivant des principes comme la généralisation de spectres inharmoniques
créés à partir de techniques de synthèse sonore, ici la modulation de
fréquence. Ce genre de processus, aux règles de manipulations sonores
physiques issues de la technologie acoustique et servant de matériau pour
composer, se retrouvera dans nombre de ses œuvres, comme
Désintégrations, Time and again, et on en voit les prémices dans la
recréation de boucle de bande dans Mémoire/érosion, et même déjà de
modulation de fréquence dans Ethers, dès 1976.
90
Le terme « musique spectrale » a donc d’abord défini une musique
basée sur l’instabilité du phénomène sonore, que la technologie nouvelle
permettait d’observer et d’analyser, et dont la composition « prend appui
sur le contrôle global du spectre sonore et consiste à dégager du matériau
les structures qui prennent naissance en lui72. » Ensuite, cette première
définition originale a laissé la place à une définition plus restreinte du
terme, qui ne représente alors plus qu’une technique de composition
propre surtout à Tristan Murail et Gérard Grisey (il est d’ailleurs
intéressant de noter que ce dernier a toujours été en désaccord avec le
terme), avant de reprendre des dimensions musicologiques plus
conséquentes, nombre d’œuvres postérieures se réclamant dans le sillage
et la descendance du mouvement. Le débat n’est toujours pas clos sur
l’étendue musicologique du terme, Grisey ayant écrit un texte « Vous avez
dit spectral ? » en 1998, dans lequel il adopte relativement le terme tout en
remettant en cause sa validité.
Dufourt est un compositeur dont certaines œuvres ouvrent la voie
et définissent de nombreux principes dans la constitution du courant
spectral, sans jamais cependant utiliser directement des théories
emblématiques telles que celles développées chez Grisey et Murail. Il
explore de nouvelles voies compositionnelles dans la manière de concevoir
les paramètres usuels tels que l’espace, le temps, la structure, la densité et
les hauteurs. Cela le plongera dans des recherches sur le timbre, qui auront
lieu à la même époque que les débuts de L’Itinéraire. Erewhon, majestueuse
pièce en forme de symphonie pour percussions, lui permettra de faire
progresser véritablement le discours compositionnel pour cette famille
instrumentale, comme nous le verrons plus tard dans ce travail. Saturne
montrera les avancées que le compositeur a pu engendrer au niveau de
l’assimilation de l’électronique, ainsi que s’inscrire dans les recherches sur
les spectres des sonorités d’instruments à vent graves chères à L’Itinéraire.
Dans Surgir, il appliquera toute son expérience de compositeur et le fruit
de ses années de création à l’orchestre symphonique, comme pour établir
un bilan de cette période créative où de nombreux concepts se virent
renouvelés. Les jalons qui amenèrent le compositeur aux théories du
spectralisme sont déjà présents dans l’œuvre de jeunesse Brisants, dans
laquelle les six percussions ont une place de choix et servent de cadre à la
peinture sonore. C’est dans cette pièce que le langage commence à se baser
sur les considérations timbrales de l’école spectrale. Hugues Dufourt a
donc une place pivot dans l’établissement du courant spectral, dans le sens
où il a permis son éclosion par des œuvres en avance sur leur temps et
annonciatrices des progrès de Murail et de Grisey. Erewhon fut écrit de
1972 à 1976, Saturne de 1978 à 1979 et Surgir de 1980 à 1984.
72 Ibid., p. 291.
91
Pour le sujet qui nous concerne, Erewhon est une œuvre
incontournable, au sens où c’est la pièce pour percussions la plus
gigantesque liée au courant spectral, voire la plus gigantesque de la
musique contemporaine, tant par sa durée d’une heure et quart que par
son nombre d’instruments, qui s’élève à environ 150 (en comparaison,
Ionisations d’Edgar Varèse en compte 37). La pièce datant vraiment des
tous débuts de l’établissement du style spectral (L’Itinéraire ayant été
fondé en 1973), elle propose une appréciation des idées concernant le
langage, la place et le rôle qu’ont tenu les percussions à cette époque, et
montre sous un angle incontournable les conséquences qu’elle a engendrée
sur tout l’ensemble du mouvement. Il faut à ce titre noter que la pièce
Sombre journée était à l’origine incluse comme mouvement d’un Erewhon
encore plus grand, mais Dufourt, la trouvant trop différente du reste de
l’œuvre, a voulu désolidariser cette partie et en faire une œuvre originale à
part entière. Sombre journée possède néanmoins des points de
convergence avec Erewhon, notamment dans l’intérêt porté aux qualités
résiduelles des phénomènes sonores, sonorités microscopiques mieux
observées par recréation de spectres comme dans la musique de Grisey et
Murail. Cet intérêt chez Dufourt est fondamental, même s’il s’ajoute à une
liste infinie de préoccupations physiques et perceptuelles du sonore,
comme le rapport du timbre et du grain, ou encore les périodicités longues
et leur rapport fréquentiel avec les hauteurs.
Certaines pièces plus tardives du compositeur continuent de
renouveler le langage des percussions : on pense par exemple à Plus‐Oultre,
ou à L’Asie d’après Tiepolo. On peut aussi déjà évoquer l’œuvre de 60
minutes pour percussions seules Burning Bright, actuellement encore en
composition, dont la création est prévue pour avoir lieu en septembre 2014
au festival Musica de Strasbourg. Dans la partie de sa carrière postérieure à
1990, Dufourt se détache naturellement de la pensée scolaire spectrale. Il
marque le passage aux nouveaux courants musicaux génétiquement
apparentés au spectralisme, mais se démarquant relativement des
compositeurs fondateurs.
Erewhon (1972‐1976)
92
théories et travaux mathématiques ayant servi à la création et à la
définition de données compositionnelles. Des principes développés par
John Horton Conway comme la théorie des jeux combinatoires et
l’automate cellulaire du « jeu de la vie » ont servi à la composition
d’Erewhon IV73. L’œuvre se découpe donc en quatre grands mouvements,
chacun composé de plusieurs sous parties que l’on peut révéler par
l’analyse. L’instrumentarium est extrêmement vaste, et va chercher dans
les sonorités traditionnelles, ethniques, expérimentales et basées sur la
matière. En voici la composition ; le plan de scène est présenté ensuite en
figure 7 (page suivante) :
Percussion 1 :
Tambours sahariens, tarole, bongos, tumbas, toms,
cymbale cloutée, tam‐tams, cymbales turques, plaques de
tôle, tambour de frein, glockenspiel, crotales, gongs
gamelans, grosse caisse, claves, grand marimba, temple
blocks, woodblocks, tambour de bois, cloches de vache,
vibraphone et gongs philippins.
Percussion 2 :
Tambours sahariens, tambour sur cadre, tambour de
basque, bongos, caisse claire, tambour militaire, toms,
cymbales turques, plaques de tôle, vibraphone, temple
blocks, woodblocks, tambours africains, cloches tubes,
cloches de vache, grosse caisse, grand marimba.
Percussion 3 :
Tambours sahariens, tambour de basque sans
cymbalettes, tambour sur cadre, bongos, tumbas, tambour
militaire, toms, cymbales turques, plaques de tôle,
glockenspiel, cloches tubes, sistre, tam‐tams, petite caisse
grave, gong philippin, bongos, marimba, temple blocks,
woodblocks, tambours africains, xylorimba, cloches de
vache, tambour de frein, vibraphone.
Percussion 4 :
Tambours sahariens, tambour de basque, tambour sur
cadre, bongos, caisse claire, tom, timbales, cymbales
chinoises, plaques de tôle, vibraphone, cymbales
suspendues, tam‐tams, temple blocks, woodblocks,
tambour de bois, xylophone.
93
Percussion 5 :
Tambour de basque, tambour sur cadre, bongos, tambour
militaire, toms, grosse caisse, cloches tubes, guiro,
cymbales turques, plaques de tôle, glockenspiel, crotales,
cloches de vache, cymbales suspendues, gong,
vibraphone, temple blocks, wood blocks, tam‐tams, gong
thaïlandais, xylophone, grosse caisse.
Percussion 6 :
Tambour de basque, tambour sur cadre, paire de timbales
créoles, caisse claire, toms, grosse caisse, cymbales
chinoises, plaques de tôle, vibraphone, cymbales turques,
gong thaïlandais, wood blocks, claves graves, temple
blocks, tam‐tams.
94
Fig. 7 : Disposition des percussions
(« implantation ») dans Erewhon de
H. Dufourt, document trouvé dans la
rubrique « répertoire » du site
internet des Percussions de
Strasbourg à jour en 2014.
95
IV. Le traitement de la percussion dans Voûtes de Michaël
Levinas
96
Michaël Levinas est un des compositeurs principaux du groupe
L’Itinéraire. C’est Tristan Murail et Roger Tessier qui l’ont officiellement
fondé, mais Grisey, Dufourt et Levinas en étaient au départ les principaux
représentants. La pièce Voûtes ayant été composée vers 1987‐1988, elle est
le point de départ d’une recherche sur les qualités de l’enveloppe sonore, et
ses combinaisons. Des procédés développés dans ce sens sont à l’œuvre
dans toute la pièce, et le compositeur commence l’année de sa création une
recherche plus large inspirée par la même base théorique à ces procédés.
97
et le rire. Cette orchestration de cuivre est soutenue en
pédale par de grands vases chinois mettant en vibration,
par sympathie sur des fréquences très précises, des caisses
claires. Je retrouve dès lors ce privilège du matériau
« percussion », l’interférence d’un corps sonore sur un
autre, le phénomène de l’ébranlement et l’évocation du
souffle.
Tout au long de cette œuvre, ces nouveaux transitoires
d’attaque deviennent comme des structures de
développement. Il en résulte une variation continue sur
trois modes (trois courtes pièces : tournoiement du cuivre =
sanglot, voûte, pulvériser) obtenus par l’utilisation
contrôlée des diamètres des métaux, des caractéristiques
des surfaces réfléchissantes, des temps de résonance et des
vitesses des chutes circulaires. La polyphonie rythmique
n’est plus limitée à la scansion. Avec Voûtes, je tente de
nouvelles écritures du « faire sonner76 ».
76 Ibid., p. 401‐402.
98
de chute puis de stabilisation par mouvement circulaire périodique permet
de jouer sur la course imaginaire de l’objet tombant avec fracas, et certains
procédés ingénieux, comme celui d’actionner certaines fréquences pour
faire résonner des timbres de caisses claires par sympathie.
99
réel par l’interprète sur un ordinateur et le logiciel Max/MSP. Voici
l’introduction à la pièce par la compositrice :
100
mouvement, ce qui requiert de disposer six configurations différentes sur
la scène, ou une seule configuration, plus imposante, comportant tous les
instruments de la pièce. Voici l’instrumentarium de la pièce, suivi de la
disposition pour l’interprète représentée en figure 8 :
101
Fig. 8 : Disposition des instruments du percussionnistes Brad Meyer
pour Six Japanese Gardens de K. Saariaho78.
Elle explique aussi que les deux harmonizers doivent être réglés à un
quart de ton au dessus et en dessous, afin de fondre les hauteurs des
instruments acoustiques. Le signal capté par les microphones est envoyé
dans le module de reverb infinie pour permettre que les instruments ayant
un volume plus faible puisse bénéficier d’une réverbération plus longue.
Nous avons étudié l’écriture des percussions pour chacune des six pièces
séparément. Ainsi, nous avons ici séparé les résultats des recherches pour
chacun des six Jardins dans des paragraphes différents. Ces mouvements
sont en effet des entités à part entière, des pièces autonomes dont le
langage de la percussion est le fil conducteur. Chacun possède donc ses
spécificités, mais nous regarderons tout de même d’un peu plus près les
rapports entre les différents procédés utilisés. Nous étudierons donc la
transversalité dans ces pièces : des liens existent entre ces Jardins japonais
mais aussi avec d’autres pièces de la compositrice qui présentent certaines
propriétés similaires.
78Tiré de son mémoire "Six Japanese Gardens and Trois Rivieres: Delta: an
analysis of Kaija Saariaho's two major works for solo percussion and
electronics".
102
(1) Tenju‐an Garden of Nanzen‐ji Temple.
103
(2) Many Pleasures (Garden of the Kinkaku‐ji),
104
tam sont imposés ; les autres instruments sont à choisir librement dans
trois familles (bois, peau, pierre) mais ne doivent pas avoir de hauteurs
bien déterminées. Les rythmes très complexes du second thème sont
difficiles à exécuter. La pulsation ne doit pas être constante, bien que les
rythmes soient notés de manière précise. Le percussionniste doit d’abord
en faire une réduction pour savoir comment les jouer. Par exemple, à la
mesure 40, la décomposition en quadruple croches fait apparaitre des
événements portant sur les pulsations 1, 5, 6, 11, 13, 16, 17.
L’opposition entre l’ordre du premier thème et le désordre du
second est très marquée. Sur l’extrait, on entend le premier thème plus
long, auquel répond le deuxième court et déstructuré. Cette alternance ce
répète une seconde fois, avec un deuxième thème plus long cette fois‐ci. Ces
deux expositions représentent le premier tiers du morceau, environ 50
secondes. La compositrice cherche peut‐être à symboliser le concept de la
dualité, omniprésente dans les philosophies bouddhiste et zen, l’ordre et le
chaos, le yin et le yang, le calme des jardins et la folie de certains quartiers
de Tokyo, Kyoto ou des grandes villes japonaises.
105
(5) Moss Garden of the Saiho‐ji,
106
macrophonique. En effet, la compositrice développe très en détail la côté
structurel de son œuvre : les procédés rythmiques sont travaillés dans
chaque mesure, mais aussi à l’échelle de la pièce globale. Les échanges et
relais entre les différentes voix et alliages de timbres sont aussi une
composante importante de Six jardins japonais. L’imagerie des sonorités est
basée sur le calme et les émotions ressenties dans des jardins zen, et les
parties instrumentales reflètent, aussi bien dans l’écoute que par les gestes
demandés à l’interprète, un ciselage simple mais très détaillé. L’écriture,
lorsqu’elle est simple, requiert une intention gestuelle simple, mais
lorsqu’elle se complexifie dans les structures, demande souvent des gestes
rapides, larges et précis, qu’on peut se représenter proche des arts
martiaux.
107
Je pense à vous, Seigneur, que ma vue n’atteint plus
Et le regard perdu au loin, médite mon regret79
108
‐ plusieurs microphones, dont un pour la voix de
l’interprète, dirigés dans le patch Max/MSP.
Trois Rivières : delta possède des points communs avec Six jardins
japonais, dans le sens où ces deux pièces sont toutes les deux écrites pour
un interprète solo, mais le nombre d’instruments est grand. L’adjonction
d’électronique, géré par Max/MSP, est une composante supplémentaire à la
création sonore. Les pièces sont aussi de durées équivalentes, mais
possèdent tout de même chacune une originalité qui les distingue
réellement. Si Six jardins japonais tire son inspiration poétique de la
contemplation de jardins zen, Trois rivières : delta tire la sienne de la
contemplation de rivières imaginaires, qui viennent à l’esprit lors de la
lecture du poème de Li Po. Les deux pièces possèdent donc des racines
communes dans la culture orientale.
80Tiré de son mémoire "Six Japanese Gardens and Trois Rivieres: Delta: an
analysis of Kaija Saariaho's two major works for solo percussion and
electronics".
109
Le premier mouvement commence par une accélération progressive
en temps et en intensité, les rythmes étant de plus en plus compliqués.
Celle‐ci commence sur un tempo de noire égale à 52 et dure jusqu’à la
mesure 104 (« furioso ») en arrivant à un tempo de noire égale à 120
(mesure 68), puis décroît lentement pour revenir presque au tempo
d’origine (60 à la noire), mesures 146‐155 (« calmo, dolce »). Le
mouvement a donc une forme en cloche en ce qui concerne l’intensité et de
complexité du propos. Le point culminant est atteint mesures 104‐105, un
peu avant les deux tiers du mouvement, ce qui a tendance à rappeler les
proportions du nombre d’or 0,618.
Le percussionniste récite la première strophe du poème de Li Po
(mesures 1 à 23) tandis que les voix enregistrées répètent des fragments
de ces vers déformés par différents effets électroniques. Puis le texte est
repris en mouvement rétrograde repliant le mouvement sur lui‐même. La
figure 11 représente les premières mesures de la partition81.
110
Le texte est en français, et Saariaho spécifie les trois différents types
de voix qui doivent être employées par le percussionniste par un signe
spécifique (chuchoté : « o », parlé avec beaucoup de souffle : « », ou parlé
normalement : « ■ »). À côté du volume sonore développé par les
percussions, notamment les plus grandes, l’interprète doit naturellement
utiliser un micro, car le public ne pourrait jamais entendre les passages
murmurés, ainsi que les passages en voix parlée avec beaucoup de souffle.
Cette palette sonore, que l’on pourrait considérer sur l’axe de l’échelle des
sonorités « timbrées‐détimbrées », se reflète dans les jeux sur les différents
types de frappes, que la compositrice note sur une échelle que l’on peut
définir comme sonorité « étouffée‐ouverte ». Elle note sur la partition les
coups étouffés par un « o » et les coups ouverts par le signe « + ».
L’interprète doit passer d’une sonorité à l’autre, en général de manière
progressive, non abrupte.
Une dernière remarque qu’il faut formuler ici concerne les
similarités avec Six jardins japonais. On remarque que Saariaho orchestre
l’entrée des instruments de la même manière que dans le premier Jardin
japonais. Les instruments les plus aigus entrent en premier, et les plus
graves s’ajoutent un par un ensuite.
Le deuxième mouvement est construit, et c’est encore un point
commun avec le deuxième des Six jardins japonais, sur une dialectique
entre deux groupes d’instruments.
111
les éléments percussifs entre eux jusqu’à la fin du mouvement. Les alliages
rencontrés vers la fin du mouvement, jusqu’à l’apogée sonore de la mesure
330, sont très larges et utilisent des sons très opposés en hauteur et en
timbre pour créer des sonorités fortes et puissantes.
Le troisième mouvement reprend des matériaux des mouvements
précédents en leur faisant subir diverses transformations. Les coups de
cymbales zen délimitent les zones de transition ménagées dans l’écriture
(mesures 4‐8, 11‐15, 20‐25, 40‐43, 50‐51 et 85‐86). Entre les deux
premiers mouvements et celui‐ci, les mesures se répondent. Certains objets
créés pour les mouvements 1 et 2 servent ici de points d’ancrage pour la
pièce, comme des motifs qui se font écho et replacent les événements dans
un autre contexte, avec d’autres timbres éventuellement. Par exemple, les
quintolets du deuxième mouvement, mesures 170‐186, renvoient à ceux du
troisième mouvement, situés mesures 31‐36. De même, les mesures 55‐57
répètent les mesures 108‐112 du mouvement 2. Mais dans tous ces
exemples, les rythmes sont altérés, modifiés, évolués. On reconnaît les
figures des objets sonores, des rythmes déjà évoqués dans le doigté des
baguettes et le déroulement thématique. La fin du mouvement (mes. 85‐
105) reprend les 24 premières mesures du premier mouvement : la pièce
se termine comme elle avait commencée, refermant l’histoire développée
par la musique pour créer une grande boucle sur la totalité de la pièce. Ce
phénomène avait déjà été observé dans Six jardins japonais.
Avant le XXème siècle, l’écriture pour percussion n’a que très peu
assigné un seul percussionniste à de nombreux instruments. Des
compositeurs comme Igor Stravinsky ou Charles Ives sont parmi les
premiers à avoir écrit pour un seul interprète qui jouerait de multiples
instruments à percussion différents dans une même pièce. Les premiers
concepts de création de pièces pour « multi‐percussions solo »
apparaissent dans des œuvres comme Zyklus n°9 de Karlheinz Stockhausen
ou 27’10.554 pour un percussionniste de John Cage. À travers les sonorités
des deux pièces de Kaija Saariaho pour percussions que nous avons
étudiées, on peut distinguer des éléments stylistiques dans l’écriture de la
compositrice pour cette famille instrumentale. Premièrement la recherche
de sonorités amène le mélange des parties préenregistrées et un
traitement informatique de la musique dans Max/MSP avec un
instrumentarium acoustique large et diverse, axé sur les matériaux et sur
les extrêmes du spectre audible. L’écriture par sonorités, où l’interprète est
libre de jouer l’instrument qui lui conviendra, où la seule indication est de
matière, de grain, comme « peaux », « bois » ou « métal », rejoint les
considérations sur le timbre initiées par les premiers compositeurs
spectraux.
112
VI. Le traitement de la percussion dans Bhakti de Jonathan
Harvey
‐ un vibraphone,
‐ des cloches tubes,
‐ un marimba,
‐ des crotales (2 octaves),
‐ un tam‐tam,
‐ un gong medium,
‐ deux cymbales suspendues (medium et petite),
‐ un triangle,
‐ deux woodblocks (dont un très petit),
‐ deux temple blocks,
‐ 3 toms (moyennement grave, moyen et très aigu).
113
dissonante en relation avec la basse, mais si on la considère comme une
entité séparée, flottante au‐dessus des fonctions habituelles de basse, elle
prend le rôle d’une masse sonore contrôlée, et les deux registres
s’entremêlent pour cohabiter dans un même univers unifié. Le traitement
musical par l’électronique est justement un outil pour l’unification, comme
l’explique le compositeur :
L’œuvre s’ouvre sur un sol qui est joué par tous les instruments avec
plus ou moins d’effets : sourdines pour les violons, « sul ponticello, senza
vibr. » pour les altos et violoncelles. Le tam‐tam joue une hauteur imprécise
114
en grattant la peau avec un objet métallique (« appoximate pitch obtained
by scraping tam‐tam with thin metal pointed object » note le
compositeur). À partir de la mesure 22, on entend sur la bande la série des
harmoniques qui introduit les premières mutations du sol, qui devient sol
demi‐dièse (sol + ¼ de ton), suivi par de nombreux partiels éclatés sur
toutes les instruments. Le vibraphone entre à la mesure 25 et est joué en
trilles à deux sons, à la nuance pppp. Le résultat est une résonance des
lames, sans aucune attaque, qui lie certaines parties des autres pupitres
entre elles. Après le début du mouvement II, les percussions (tom grave et
woodblocks) répondent ou questionnent la bande (temple block) toujours
insérée dans les attaques du piano et de la clarinette (mesure 1 à mesure
58).
115
nombreux compositeurs. L’exemple cité ici est d’une élégance inhabituelle,
le fait de lier ces alliages avec des sonorités équivalentes issues de la bande
permettant une unification presque totale. Quelques notes au marimba
accompagnent les autres instruments sur tout le début du troisième
mouvement, de la mesure 1 à la mesure 41. Elles sont suivies de coups de
gong (mesure 42) qui introduisent le vibraphone entre les mesures 43 et
45. Le retour du marimba (mesure 48), du gong et du vibraphone (mesure
50) entretient jusqu’à la fin du mouvement une écriture instrumentale
pure, sans son venant de la bande. Au départ de la quatrième partie, IV, le
trille du marimba accompagne ceux des bois et des cordes. Mais dès la
mesure 5, les crotales et le vibraphone étalent un cluster (de si à mi) sur
des rythmes imposés, mais au tempo plus rapide que les autres
instruments, créant un halo sonore sur lequel se greffent les bois et les
cordes. Puis, vers la mesure 13 et jusqu’à la mesure 15, le vibraphone se
fond dans les trilles des bois. Il en va de même à la fin du mouvement,
lorsqu’il se fond dans les trilles des cuivres (mesures 33 à mesure 37).
L’introduction du cinquième mouvement est quant à elle très
colorée par les percussions (cymbale suspendue, marimba, gong,
vibraphone, triangle) entre les mesures 1 et 6. Le vibraphone est
accompagné de la harpe (mesures 21 à 23) et complète la bande sur
laquelle on entend le violon et l’alto, le hautbois et la clarinette. Ici, ce qui
est assez rare pour être signalé, la bande ne reprend pas les instruments de
l’orchestre. Quelques mesures plus loin, le marimba, fondu dans le piano
(mesures 30 à 34) finit par être remplacé par le vibraphone (mesure 39)
puis par les crotales (mesure 41). Sur la fin du mouvement, certaines
percussions émergentes en dehors des fusions de timbre (tam‐tam,
crotales, cymbale medium, vibraphone) donnent à la fois une véritable
coloration et un contrepoint rythmique.
Le mouvement VI s’ouvre par un coup de gong ainsi qu’un
accompagnement du vibraphone par les crotales (mesures 1 à 5). Le début
est intense. Suit un épisode qui démarre par des frottements sur le gong,
avec des coups de temple block et de woodblock alternant avec des
couleurs plus mates de marimba, jusqu’à la mesure 14. À partir de la
mesure 13, des réservoirs de notes à jouer aléatoirement sont proposés
aux instrumentistes, alors que la bande fait entendre les toms, joués
simultanément en direct par le percussionniste. Après un coup de gong et
un accord résonant aux cloches tubes à la mesure 15, tous les instruments
imitent la bande. Le choix est laissé à l’instrumentiste : « imitate tape, using
any appropriate instruments, with fewer and faster gestures » demande le
compositeur. L’écriture s’éloigne alors complètement des canons
classiques (voir la partition à la figure 12). Comme le note Eric de Visscher
dans les notes de programme qui figurent dans le livret du disque, les sons
116
instrumentaux sont « de plus en plus guidés vers le haut du spectre84, » ce
qui fait une référence aux sons paradoxaux, comme ceux qui donnent
l’illusion de toujours monter. Le final, uniquement à la bande, est une
illustration de son utilisation comme extension instrumentale, au sens d’un
registre étendu dans l’aigu que ceux‐ci ne peuvent atteindre.
117
remplacer et prolonger sans qu’on s’en aperçoive les résonances véritables.
Celles‐ci durent quelques mesures dont la sonorité est assez aiguë. La
reprise des instruments de l’orchestre à la mesure 11 est une réponse à
cette phase, mêlée de crotales, triangle, vibraphone et cloches tubes, cette
fois avec des attaques marquées, sur des rythmes mouvants et dynamiques.
Une noire, fa aigu au vibraphone joué à l’archet sur un crescendo marque la
fin du mouvement, du moins pour les instruments, le son de la bande
continuant encore quelques mesures, l’enregistrement étant composé
presque uniquement de percussions (voir figure 13). Cette partie est
encore basée sur des sonorités familières mais transformées, certains
instruments étant fondus avec les autres, comme l’accord de glockenspiel
qui se transforme subrepticement en cloches tubes, la note de cloche qui
devient un accord de vibraphone, ou encore les coups de gong qui
s’épandent en écho.
118
magnétique joue la série des partiels de cette note qui a été fabriquée avec
le programme CHANT. Ce programme a été utilisé de façon à introduire des
variations de l’enveloppe spectrale, en passant des formants aux
harmoniques et inversement, libérant au passage des kyrielles de partiels.
Ce mouvement est le plus représentatif de la composition, car il est
véritablement unique, le seul propos étant la sonorité, Harvey ayant réussi
à faire abstraction de tout autre paramètre musical. C’est la fabrication de
la texture sonore qui est exceptionnelle, et tout le reste de la pièce
converge vers ce développement timbral d’une richesse inouïe,
indissociable de l’interaction des sonorités instrumentales avec la bande
créée en fonction, au résultat incroyablement humain. Le dixième
mouvement ne comporte que peu de percussions. Il commence par un
dialogue entre le cor et la bande, suivi d’un trille du vibraphone qui
annonce le tutti d’orchestre commençant à la mesure 4, et qui dure tout le
mouvement. Il se termine par de longues tenues et des tremolos aux
cordes, accompagnées par les cloches tubulaires, jouées en soufflet (p < mp
> pp). Ce mouvement est le miroir du mouvement VIII, encadrant le
mouvement IX en lui conférant l’importance requise.
C’est encore un dialogue qui débute le onzième mouvement, cette
fois entre la bande, la flûte et le hautbois. On entend entre les mesures 20
et 22 sur la bande une succession d’accords joués par le marimba. Les
cordes, le piccolo et la clarinette reprennent aussi mesure 22, accompagnés
par le woodblock et le temple block. Le percussionniste intervient à la
mesure 38 sur le tom aigu par une série de coups francs répétés, puis sur le
tom medium, et le woodblock avant de reprendre le marimba à la mesure
46. On observe ensuite un retour au tom aigu, au petit temple block, et au
woodblock jusqu’à la fin du mouvement.
Pour le dernier mouvement, le hautboïste se place à côté du
percussionniste et joue du tam‐tam de la mesure 1 à la mesure 7, alors que
le percussionniste tient le vibraphone, plaque des accords en noires
pointées en accompagnant le piano qui joue des accords en croches, mais
décalé par rapport aux autres instruments comme la harpe qui jouent des
noires (mesures 1 à 10).
119
harpe et le piano. Puis les cloches tubes accompagnent le piano, sur des
mouvements d’accords allant des extrêmes au centre, joués par la bande.
Le marimba, le woodblock et les crotales terminent le mouvement lors
d’une apogée finale, textures sonores colorées et expressives, mises en
rapport par couches rappelant les techniques modernes de peinture
abstraite.
120
transition à partir du matériau initial, mais au contraire un travail de
mutations de figures où à chaque instant une situation musicale s’empare
de la précédente pour affirmer et faire évoluer le discours.
Dans l’article « Le phénomène sonore, un modèle pour la
composition », il revient sur ce sujet et détaille un peu plus les concepts
qu’il met en place :
121
suites de symboles. Par exemple, le pattern ABCDEBGD redonne lorsqu’il
est répété toutes les cinq lettres qui le constituent (exemple de Richard
Perrin86).
122
En somme, la pièce peut être comprise comme un « détimbrage »
progressif du son du vibraphone, ou plutôt comme une lutte du vibraphone
contre son timbre, alimentée par l’orchestration fine des autres
instruments et l’effet circulant des patterns. Philippe Hurel l’explique très
clairement : « La forme de l’œuvre prendra l’aspect d’une sorte d’hybride
entre « trajet parcouru » et « variations » et chacun sera libre d’entendre
les matières sonores comme « matériaux » ayant une responsabilité dans le
discours, ou « états de transition », selon son attention et son penchant à
favoriser tel ou tel type de perception : une forme « anamorphotique » en
quelque sorte88. »
123
un comportement amateur et une certaine légèreté dans l’expression91 ».
Pour citer une œuvre extrêmement représentative du pré‐spectralisme
chez Scelsi, le Quatrième Quatuor (1964), en un seul mouvement de dix
minutes est une vraie synthèse de son style. Chaque longue tenue musicale
devient petit à petit le formant d’un timbre par combinaison avec tous les
autres sons de l’image harmonique. Son écriture étant très simple et aérée,
le phénomène est assez facilement perceptible, et c’est cette efficacité de la
démonstration qui a permis de convaincre les jeunes représentants du
groupe L’Itinéraire de l’intérêt de la démarche.
Il faut aussi noter que Scelsi avait dans sa jeunesse beaucoup
voyagé, en Orient notamment. Il aurait été converti au bouddhisme Zen,
mais pas dans le même sens que John Cage : cela ne l’a pas amené à
recourir à l’aléatoire, ni à accepter le sort (musical ou humain) sans
discuter. Par contre, les titres de ses œuvres évoquent souvent un Orient
mythique ou imaginaire : Khoom ou Igghur évoquent pour Tristan Murail
une « Mongolie secrète de l’âme92. » Morton Feldman (cité par Célestin
Deliège, ibid.), rapporte après avoir été reçu chez Giacinto Scelsi à Rome
que sa maison est située face au Forum et à la Colline Palatine, exactement
à la limite entre l’Est et l’Ouest romain, ce qui peut expliquer, ou au moins
mettre en métaphore la musique de Scelsi : « ni orientale, ni occidentale,
mais quelque part entre93. »
91 Ibid., p. 874
92 Tristan Murail, Modèles & Artifices, textes réunis par Pierre Michel, p. 80,
Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2004.
93 Célestin Deliège, Cinquante ans de modernité musicale, De Darmstadt à
p. 125‐142.
124
sonorité globale. Il invente des instruments hétéroclites comme les lamina
(grandes tôles), une calotta et un grand fût (un bidon de 200 litres) qu’il
utilise dans Uaxuctum (1966) pour sept percussionnistes, timbalier, chœur
et orchestre. Il joue des mailloches, règle très précisément l’utilisation des
baguettes (en bois, recouvertes de feutres, etc.), et invente des modes de
jeu. Voici la description et la notation des baguettes qui figure dans la
partition de Uaxuctum (figure 14):
125
neuvième mesure le guitariste frappe avec les phalanges, puis cogne le
cordier à la mesure 10, et ainsi de suite (voir l’exemple en figure 15), avec
le rythme de noires qui revient ensuite à la mesure 15. La partie de
percussions se complexifie au long de la pièce, et s’allie pour diverses
sonorités avec des résonances de cordes, souvent à vide, où des résonances
tirées d’autres modes de jeu sur la guitare, au‐dessus du chevalet par
exemple96.
96Julien Payan, « Ko‐Tha, Trois danses de Shiva pour guitare traitée comme
instrument de percussion », Giacinto Scelsi aujourd’hui, dirigé par P. A.
Castanet, CDMC, Paris, 2005.
126
IX. Le traitement de la percussion chez Francis Miroglio,
éloigné du spectralisme mais à l’écriture singulière de la
percussion
‐ Frapper
‐ Agiter
‐ Agiter par saccade
‐ Frotter
‐ Racler
‐ Rouler
‐ Glisser
‐ Frapper en variant les points de frappe.
127
presque tous les autres en réalité, car lorsqu’on prend en compte que
l’emploi de points de frappe différents donne des résultats de spectres
différents quel que soit le mode de mise en vibration des instruments, on se
retrouve face à une infinité de nuances d’interprétations possibles. Cet
élément permet de composer sur des paramètres qui sont donc de l’ordre
des paramètres humains, aux échelles infinies plutôt que sur des
paramètres fixes, comme les échelles habituelles des différentes actions
musicales.
128
soprano, ensemble et trois projections vidéos (2003). Romitelli est célèbre
pour son utilisation et sa manipulation compositionnelle de la guitare
électrique, ainsi que pour son écriture sonore toujours à la limite de la
métamorphose vers le sale, le saturé, le côté obscur de tout objet ou
matériau musical.
Michaël Levinas était ami avec Fausto Romitelli, et c’est avec lui qu’il
entretint une relation privilégiée alors qu’il dirigeait l’ensemble
L’Itinéraire. Romitelli y entra au Comité de lecture. Levinas rappelle que
lorsqu’il écrivait beaucoup dans les années 1990, c’est Romitelli qui lui
« rappelait sans cesse la nécessaire échappée qu’il avait trouvée dans [s]es
œuvres100 ». Celui‐ci explique que c’est de Ligeti dont ils parlaient
ensemble tous les jours. C’est sans doute l’esthétique de la répétition et du
processus, qui chez Romitelli apparaît comme l’ensemble de notions les
plus reconnaissables.
Chorus (2001)
129
d’informatique musicale, comme la convolution, l’hybridation de timbres la
synthèse croisée101.
Romitelli utilise dans Chorus, comme dans la plupart de ses pièces,
une structure formelle précise et avancée, à la méthodologie architecturale
riche et développée. La forme peut être décomposée en trois parties plus
une coda. La première partie de l’œuvre dure jusqu’à la mesure 18, même
si les trois premières et trois dernières mesures de ce segment peuvent
être considérées comme respectivement une introduction et une transition.
Cette partie présente un motif de quatre notes dans un mouvement lent et
espacé, jouant sur des silences « résonants » et des alliages instrumentaux
relais entre les plastiques, inspirés d’effets de studio appliqués à la
composition instrumentale.
La deuxième partie dure de la mesure 19 à la mesure 27. Elle est
marquée par une densité rythmique plus élevée que dans les autres
moments de la pièce, et par une phrase qui est jouée, et une autre qui est
présentée comme l’écho manipulé de la première. La sonorité est à
dominance métallique, et l’orchestration suggère des effets électroniques
reproduits acoustiquement par les interprètes. La troisième partie
commence ensuite à la mesure 28, et la coda occupe les cinq dernières
mesures. Cette troisième partie est axée sur l’expérimentation
instrumentale autour de l’effet électronique de chorus. Cette technique
suppose de superposer plusieurs signaux sonores identiques avec de légers
décalages et de profiter d’un son plus épais mais en même temps dégradé
par des interactions de phases. La gestion des importances relatives entre
les attaques et les résonances de sons différents mais simultanés provoque
des alliages évolutifs dans lesquels les ondes prennent des rôles de
matériaux de construction pour créer un espace sonore vaste et
architectural.
130
d’autres utilisent comme outil compositionnel, consciemment ou non, au
niveau de la sculpture sonore de véritables matériaux physiques.
Multiplicity (2013)
Percussion 1 :
‐ deux truelles (une aigue et une grave) + une batte de triangle
‐ un grand fouet
131
‐ du papier de verre 600
‐ une plaque de métal (40x25cm)
‐ un vibraphone,
‐ un marteau
‐ un petit violon sans cordes + un onglet
‐ un couvercle en plastique
‐ un cliquet mécanique
Percussion 2 :
‐ deux truelles (une aigue et une grave) + une batte de triangle
‐ une brosse à vêtements + du papier d’aluminium
‐ du papier de verre 600
‐ une plaque de métal (40x25cm)
‐ un couvercle en plastique
‐ un marteau
‐ trois tubes en fer sur une petite table en bois
‐ un cliquet mécanique
Percussion 3 :
‐ une brosse à vêtements + du papier d’aluminium
‐ du papier de verre 600
‐ une plaque de métal (40x25cm) + une batte de triangle
‐ une grande plaque de métal suspendue
‐ une petite caisse claire + une brosse à vêtements
‐ des chaines suspendues
‐ une washboard, un dé à coudre et un diapason mécanique
Percussions 4 :
‐ une brosse à vêtements + du papier d’aluminium
‐ du papier de verre 600
‐ une plaque de métal (40x25cm)
‐ une grosse caisse accordée en mi grave et des fagots
‐ un couvercle en plastique
‐ une petite caisse claire + une brosse à vêtements
‐ des chaines suspendues
‐ une washboard, un dé à coudre et un diapason mécanique
132
Giovanni Verrando explique comment manipuler les objets de plastique, de
carton ou de métal, comment les mettre en vibration par des modes
opératoires variés afin d’obtenir des sonorités précises, et les instructions
pourront réaliser la combinaison sonore imaginée seulement si elles sont
scrupuleusement respectées. Au niveau formel, la pièce se décompose en
trois mouvements principaux, tous trois au tempo la noire à 60. La durée
totale est théoriquement d’environ 14 minutes 20.
Le jeu traditionnel sur les instruments est banni de l’orchestration
de Multiplicity. Les sons composés sont uniquement des sons concrets, et
rappellent les bruits que l’on peut entendre en extérieur, dans une ville par
exemple. Pour Giovanni Verrando, « le percussionniste est un symbole, un
paradigme de l’évolution du musicien102 ». En effet, un percussionniste ne
se cantonne pas à jouer son unique instrument ou à la rigueur des versions
de tailles différentes du même instrument (comme les différentes flûtes,
clarinettes, etc.), mais il joue de nombreux instruments, chacun ayant son
propre mode de jeu et ses possibilités d’en faire sortir les sons désirés. De
plus, le percussionniste est plus au fait de l’équilibre entre les sons
harmoniques et inharmoniques que les instrumentistes jouant le plus
souvent sur les fonctions harmoniques des notes tempérées. Au niveau
spectral, le percussionniste possède un spectre couvrant l’étendue entière
de l’oreille humaine, ainsi que des capacités équivalentes tant au niveau
macro‐ que microscopique. Verrando travaille sur les nouvelles
lutheries103, et l’application de ses recherches la plus évidente dans son
répertoire est Multiplicity. Les actions sur des instruments non‐
traditionnels des percussionnistes entraînent le reste de l’orchestre à se
parer de morceaux de carton et de papier à bulles qui créent les bruits et
les alliages en réponse et s’arrangent pour fonder l’architecture de
l’univers sonore développé par ces nouvelles lutheries. Le compositeur
veut dépasser l’orchestre et l’orchestration occidentale telle qu’on la
connaît, pour explorer la musique en elle‐même, affranchie des contraintes
d’orchestration traditionnelle. L’intérêt pour les nouvelles lutheries rejoint
celui pour les phénomènes inharmoniques et psycho‐acoustiques, et
Verrando a développé une grammaire et une esthétique basée sur ces
nouvelles considérations.
133
commencent par les truelles et le papier d’aluminium, puis passent aux
sonorités du fouet et du papier de verre. Les papiers sont frottés avec des
brosses à vêtements, donc à poil plutôt moyen‐dur. Les sons demandés
sont orientés vers la continuité et c’est de ces mélanges de nappes sonores
et de ces nuages de sonorités que le compositeur tire son alchimie,
transportant l’auditeur pour un voyage dans les bruits de la civilisation. On
rencontre d’autres modes de jeu, comme le frottement de papier de verre
sur la tranche des plaques de métal. Un trait de vibraphone ressort à la
mesure 17, puis un autre à la mesure 26. Après un retour aux truelles de la
mesure 32 à la mesure 38, on entend pour la première fois les basses
fréquences de la grosse caisse (mi grave à 20,6 Hz), mise en vibration de
manière douce, sans attaque : le grondement est caractéristique. Au niveau
des instruments à vent, Verrando utilise à partir de la mesure 37 des codes
pour les sonorités produites par la bouche et les cordes vocales des
interprètes, le son n’étant jamais produit par le corps de l’instrument. Il
place la lettre à prononcer (voyelles, mais également consonnes) et les
caractéristiques du souffle à émettre. Les sons se font plus espacés dans
cette partie du mouvement I, la nuance forte ne revenant qu’à la mesure 59,
dans un final composé de souffles sur voyelles, de suraigus de cordes et de
papier de verre sur métal. Le vibraphone refait une apparition,
accompagné du celesta, pour un trait forte à la mesure 62. La fin du
mouvement ressemble à un effacement progressif des couches de bruits,
pour terminer sur des résonances d’harmoniques de cordes, substituées
par la résonance inharmonique du plastique sur les plaques de métal, et
d’un écho de basses fréquences à la mesure 71.
Le deuxième mouvement est globalement le plus agité de la pièce. Il
commence sur une nuance fortissimo et des sonorités aux percussions de
caisses claires frottées ainsi que de truelles frappées au marteau. Les
continuums violents de sons issus du papier de verre ou des chaînes
suspendues viennent émerger dans le déluge de ricochets sur les cordes. À
la mesure 10, on entend pour la première fois la sonorité de la planche à
laver (washboard) frottée avec un dé à coudre. L’agitation, notamment aux
cordes, dure jusqu’à la mesure 17, et la mesure 18 change l’ambiance pour
revenir à des sonorités plus discrètes. Les tubes de fer sont joués pour la
première fois mesure 19. Le crescendo de la mesure 27 introduit un
nouveau passage de forte agitation, et les mesures 33 à 35 sont en plus
soulignées par un roulement de grosse caisse qui monte jusque dans la
nuance forte. L’auditeur ressent encore une nouvelle sensation à partir de
la mesure 36, avec les montées et descentes de cordes successives,
véritables allers‐retours sur leur tessiture, qui mettent en valeur la même
construction au troisième pupitre des percussions, à la batte de triangle
frottée sur la surface métallique. Ces phénomènes commencent à s’espacer
dès la mesure 41, puis de plus en plus jusqu’aux mesures 50‐51 où
commence une autre section, qui mènera au dénouement de ce
134
mouvement. Ce final prend la forme d’un crescendo global, sur un tapis de
tressaillements mis en place par des ricochets électriques aux cordes et les
trilles continus produits par les frottements du marteau sur les truelles.
Le dernier mouvement de l’œuvre, le troisième, montre comment le
compositeur procède pour créer encore de nouvelles sonorités issues du
même univers, et comment des explications très précises lui donnent un
contrôle avancé sur les sonorités mises en œuvre. C’est dans ce mouvement
que sont introduits les cliquets, ainsi que le violon sans cordes (joué par le
premier percussionniste). Le début du mouvement est dominé par des
sonorités courtes, mises en valeur par les silences qui les entourent. On est
ensuite accaparé par les frottements de diapasons sur les washboards. Les
flûtistes et hautboïstes soufflent dans des anneaux de plastique à la place
de leur instrument à partir de la mesure 16, ce qui donne un son instable et
aigu rappelant le vol d’un insecte. Le reste de l’instrumentation est épars
jusqu’à la mesure 38. Mais dès la mesure 21, c’est le violon sans cordes,
dont différentes sonorités sont tirées, qui est mis en avant. L’onglet sert à
frapper le corps du violon sur différentes zones géographiques
correspondant à différentes hauteurs, ou à frotter l’intérieur des ouïes pour
produire des sortes de glissandi au grain boisé. La partie finale, qui
représente une forme de climax de ce mouvement, se trouve entre la
mesure 38 et la mesure 62. Contrairement au mouvement II, la nuance
reste généralement contrôlée et ne dépasse que rarement le mezzo‐forte.
Cette partie, assez fournie en cordes, présente une conclusion de la mesure
58 à 62, qui fait disparaître d’abord les vents au profit de tubes à
percussions, joués par les bassons et cors, puis plus progressivement les
cordes. Le violon sans cordes finit la section seul, par des frottements dans
l’ouïe et deux frappes rapprochés sur son corps.
La coda prolonge la disparition des événements pour six mesures de
plus, avant de laisser place au silence, qui trouve avec cette œuvre une
importance particulière, notre oreille ayant été sollicitée par de
nombreuses nouveautés inattendues et par l’exercice de compréhension du
lien entre le son que l’on entend et l’action que l’on voit sur la scène. Le lien
entre les gestes instrumentaux (dont le son est en plus très modifié en
volume par la sonorisation) et la musique entendue amène à des efforts de
perception des univers complexes et inharmoniques du compositeur. Ceci a
pour effet de sortir l’auditeur des schémas habituels et de le forcer à
apprécier, pour sa plus grande satisfaction, des sonorités en réalité simples
lorsqu’elles sont seules, mais délicieusement architecturales lorsqu’elles
sont conjuguées. Le silence peut alors imposer tout son poids et sa
puissance.
135
de la sonorité globale et considération accrue de l’aspect perceptuel ont
encore un rôle prépondérant. La fabrication de timbres inédits passe par
de nouveaux procédés mais la précision du travail du spectre acoustique
garde une importance capitale dans le voyage que le compositeur propose
à la perception de l’auditeur. Les nouvelles lutheries sont ici l’outil, mais le
fond compositionnel témoigne d’une recherche sonore et d’un langage
orchestral de la percussion tentant de dépasser la tradition dont ils sont
issus. Si le spectre était auparavant une constante dominante dans
l’orientation des méthodes compositionnelles, il ne l‘est peut être plus
aujourd’hui ; cependant, des évolutions de langage et d’écriture de la
percussion ont été provoquées par les expérimentations développées dans
le courant spectral. Il ne fait aucun doute que celles‐ci ont laissé une
empreinte immuable dans le dogme actuel de la composition et
l’orchestration pour cette famille instrumentale.
136
Chapitre 3 :
Erewhon de Hugues Dufourt, innovations
et typologie de la percussion « spectrale »
137
138
Dès qu’on s’attaque aux dimensions
internes de la sonorité, on a affaire à
des caractéristiques en constante
interférence.104
Hugues Dufourt
I. Introduction
139
Le compositeur avait pour but d’unifier dans cette œuvre de très
nombreux systèmes de production de sons venus de civilisations
totalement différentes. Les 150 instruments qui forment l’instrumentarium
de l’œuvre proviennent de tous les continents. Pionnier dans la manière
spectrale de traiter les possibilités sonores spécifiques de chaque
instrument, Dufourt puise à la source du timbre et de la résonance un
nouveau langage musical. Il coupa les instruments de leur mode de jeu
traditionnel, toujours dans un souci d’unification sonore de la pièce, en
prenant de grandes distances dans l’écriture avec le côté exotique ou
folklorique que pouvait apporter ces instruments. Il fallait noter ces
percussions hétéroclites sur une partition tout en gardant la maîtrise des
durées, intensités, résonances, et expressions de manière lisible et
explicite. Il créa ainsi de nouveaux outils graphiques exprimant au mieux
les nouvelles techniques de jeu spécifiques aux divers instruments, forçant
les interprètes de formation classique à se surpasser en renouvelant la
gestuelle traditionnelle.
Composé au départ de cinq mouvements, Erewhon n’en comprend
finalement que quatre. L’un des mouvements deviendra la pièce connue
aujourd’hui sous le nom Sombre Journée. C’est au cours des répétitions de
l’œuvre pour sa création à Royan que Dufourt s’aperçoit que le mouvement
III de sa grande symphonie pour percussions marque une trop grande
rupture par rapport au reste. C’est le mouvement qu’il a d’ailleurs composé
en dernier. Il deviendra donc une pièce à part entière. Sombre journée sera
créé quelques temps plus tard, en 1977. Le mouvement IV d’Erewhon
deviendra le II, le II deviendra le III, et le V restera le final, il sera donc
déplacé au IV.
140
qu’amène la musique spectrale sont nombreux, et cependant le traitement
réservé à la percussion est assez restreint dans ces textes ; l’univers de la
percussion occupe pourtant une place immense dans les œuvres.
141
nécessité où s’est trouvé Stravinsky de multiplier les
changements de mesure surtout dans la Danse sacrale107.
London 1992.
109 Hornbostel et Sachs, « Abhandlungen und Vorträge », p. 553‐90 in
142
instruments constitués d’au moins deux parties sonores complémentaires
frappées les unes contre les autres, comme les cymbales frappées par
exemple, et enfin ceux secoués (maracas), raclés (guiro). Les
membranophones, eux, se divisent en membranophones frappés
directement (tambours), secoués, pincés, ou frottés (cuica).
Cette classification est très utilisée en organologie ou en
ethnomusicologie, pour son efficacité dans le classement de tous les
instruments de musique. Cependant, nous la mentionnons seulement dans
un souci de définir un peu mieux la place qu’occupe la percussion dans la
pensée occidentale à l’époque de la composition d’Erewhon. Nous voulons à
notre tour nous intéresser au classement des instruments de percussion,
mais sans proposer une nouvelle classification : car ce sont les nouveautés
apportées par les compositeurs spectraux qui nous intéressent. Nous
voulons donc revoir pour chaque instrument à percussion, comment leur
usage a changé avec la musique spectrale, tant du point de vue du
compositeur que de celui de l’interprète.
143
œuvre dans laquelle des caisses claires sont placées devant les pavillons
des instruments à vent et résonnent par sympathie. Les vibrations des
timbres des caisses claires se mêlent alors aux sons traditionnels et
complexifient les timbres.
Ensuite, Tristan Murail cherche à intégrer mieux qu’auparavant les
nouveaux sons instrumentaux du XXème siècle, utilisés trop souvent
comme des effets sonores : des nouveaux instruments sont apparus,
acoustiques comme électroniques, mais aussi les techniques
instrumentales se sont renouvelées et le compositeur dispose de nouveaux
sons obtenus en jouant de manière non‐traditionnelle les instruments
traditionnels. À partir de sons‐limites, sons paradoxaux, sons instables,
complexes sonores, Tristan Murail développe les techniques de fabrication
de multiphoniques, du jeu sur les harmoniques et jeu sul ponticello ou son
écrasé aux cordes. Par exemple, il fait se transformer des accords simples
(à « spectre harmonique ») en accords complexes (à « spectre
inharmonique ») en faisant jouer les cordes sur le chevalet, apportant de
nouvelles fréquences (harmoniques), alors qu’apparaissent en même
temps des multiphoniques aux vents, à sept sons ou plus.
Tristan Murail explique que l’on peut donc intégrer les sons
complexes les plus divers dans une logique musicale et non sous une forme
incongrue, comme s’ils avaient été projetés sur la partition. Il pense que ces
sons ont un rôle fondamental et irremplaçable dans les processus
harmoniques et de timbre. Grâce à eux, on peut décomposer les timbres en
harmonies et construire des timbres à partir des harmonies.
144
différents qui ne se mélangent pas, ce qui pour Grisey fit vite oublier de
nombreuses pièces décevantes des années soixante.
Il apparaît que les instruments de l’orchestre doivent souvent
s’adapter aux sonorités des percussions : les premiers se montrent plus
souples au niveau de leur matériau, alors que les secondes risquent de
sonner de manière plus figée, et très caractéristique. Il est plus facile pour
l’orchestrateur d’adapter des instruments plus neutres pour intégrer les
percussions que l’inverse. Grisey cite en exemple Messiaen, chez qui
l’utilisation de complexes harmoniques au piano permet d’intégrer
facilement une sonorité de type gong ou cloche. Il cite aussi le Marteau sans
maître de Boulez dans lequel l’utilisation exclusive des sonorités d’attaque
des instruments de l’orchestre, par nature plus « bruitées » que la queue de
ces sonorités, permet une meilleure fusion avec les percussions. Enfin,
Carré et Momente de Stockhausen présentent des percussions « comme les
plosives des autres instruments ou des voix que l’on peut dès lors
considérer comme des voyelles111 ».
Grisey indique que ses travaux sur les spectres instrumentaux, ainsi
que ceux de H. Dufourt, T. Murail et M. Maiguashca leur ont permis de
mieux intégrer à l’orchestre les sons des percussions ainsi que les sons
électroniques. Il dit : « Cette fois, l’écriture provenant du son et non de la
note tempérée du piano, toute intégration acoustique est imaginable112. »
Par leur recherche des qualités spectrales des sonorités, les compositeurs
de ce mouvement ont dégagé des propriétés qui leur permettent de
mélanger les sons en se fondant sur les caractéristiques de leurs spectres.
Ils utilisent le spectre comme un outil d’observation leur permettant de
créer des sons dont les images ont un rapport scientifique, et enfin
construire un puzzle dont les pièces s’emboîtent parfaitement les unes
dans les autres.
La tendance de cette époque est de grouper l’immense
instrumentarium des percussions par familles, par groupes, au sein
desquels il est possible d’écrire de manière plus dense, plus complexe.
Cette tendance se rapproche selon Grisey de l’orchestration traditionnelle
africaine ou balinaise : plusieurs instruments d’une même famille donnent
un son d’ensemble plus modulable, se mélangent pour ne faire qu’un
matériau, sculptable plus facilement. Dans Tempus ex machina, Grisey
n’inclut donc aucun clavier. Il étudie, nous l’avons vu au chapitre précédent,
la périodicité et l’accélération, par le biais de leur espace et de leur
évolution.
En assistant à un concert des percussions du Mali à Beaubourg,
Grisey réalise que leur musique montre une « charge physique », « la magie
du corps qui s’adonne aux rythmes et à la danse », ce que s’est toujours
145
refusé la musique contemporaine. Il voit « dans la percussion pure, dans
l’excès et la joie rythmique, le germe d’un renouveau musical
permanent113 ». Un peu plus loin, Grisey compare l’écriture rythmique pour
percussions à l’écriture harmonique pour quatuor à cordes : c’est un art
exigeant et difficile, « une épure implacable, un véritable retour aux
sources », bien qu’il tempère en disant que « les quelques décades de
musique pour percussions occidentales ne se comparent pas à l’immense
tradition du quatuor ». Le répertoire pour percussions compte ses maîtres
chez « les joueurs de tabla indiens, de zarb iraniens, les paysans balinais,
les percussionnistes africains et quelques inoubliables jazzmen ». Il est
certain que pour la musique classique occidentale, le nombre de créations
pour percussions seules est en croissance exponentielle depuis la fin de la
dominance du système tonal. Le savoir de certaines musiques ethniques
sur la composition pour percussions seules permet aux compositeurs
occidentaux de prendre pour modèle de nombreux procédés de fabrication
rythmique et timbrale. Si la musique contemporaine continue de ne pas
incorporer la charge physique du corps vivant la pulsation dans la durée,
elle demande l’investissement de l’interprète pour suivre constamment la
vision du compositeur, ce qui revient souvent à changer plusieurs fois
successivement d’état émotionnel et requiert une charge physique variable
et contrôlée.
146
chaque fois, à élargir les possibilités des moyens qu’elles
mettent en œuvre 114.
114 Julian Anderson, cité dans le livret du disque Erewhon par Les
Percussions de Strasbourg, Universal, Una Corda, MFA, 2000.
115 Maurice Fleuret, « L’apothéose des médiateurs », in Le Nouvel
147
piège des sonorités folkloriques, notre oreille étant encore forcément trop
conditionnée par notre exposition aux œuvres plus anciennes, de Berlioz à
Bartók. C’est donc en puisant un nouveau langage à la source du timbre et
de la résonance que Dufourt évitera magistralement ces pièges. Mais pas
uniquement : l’unification qu’il opère au cours de sa composition
s’exprimera également par la notation qu’il choisira d’employer. Le besoin
d’un système de notation permettant de transmettre aux interprètes les
subtilités de la pièce, les instruments étant pour la plupart éloignés de leur
mode de jeu habituel, était primordial. Il imagina donc non seulement de
très nombreux nouveaux modes de jeu afin de tirer les sonorités voulues
sur chacun des instruments utilisés, mais aussi toutes les notations
correspondantes. Le travail sur les sonorités résonantes, typique de l’école
spectrale, et auparavant de Giacinto Scelsi, passe souvent dans la
percussion par une technique gommant les attaques et favorisant
l’entretien des résonances. Comme le dit Castanet, cette technique « s’est
orientée vers le genre de la respiration musicale atemporelle. Par
conséquent, dans les phases chaotiques écrites de bout en bout, la
complexité rythmique des masses était singulièrement de mise117 . »
Cet intérêt pour la résonance du son plutôt que pour l’impact est
comme nous l’avons vu un concept dominant du mouvement spectral.
D’autant plus appropriée à des instruments comme ceux de la famille des
percussions, se répartissant sur toute l’échelle des sons les plus purs
(triangle, bol tibétain) aux plus complexes (cymbales, tam‐tams), cette
préoccupation est omniprésente chez Dufourt. Dans son Autoportrait pour
les Musiktage de Donaueschingen, par exemple, il raconte que ce qui
compte dans la percussion, ce n’est pas l’impact, mais le spectre dynamique
de la résonance118. Il est vrai que si un impact donne le son primaire de
l’instrument de percussion, son timbre ne peut être varié que
principalement par la nature des baguettes et la force de frappe. Pourtant,
par frottement, grattement, roulement, on a accès à toutes sortes de
sonorités résonantes pour un même instrument. Le compositeur
renouvelle l’écriture pour percussion, et par conséquent les interprètes
doivent se renouveler aussi : leur formation à des modes de jeu classique
ne suffit plus, il faut inventer de nouveaux comportements, une nouvelle
gestuelle, une nouvelle manière de lire la partition.
117Ibid., p. 57.
118 Hugues Dufourt, Selbsportrait, Donaueshinger Musiktage ’77, oktober
21‐23, 1977, p. 26‐28, Donauschingen 1977. (traduit de l’allemand par
Josef Häusler d’après un manuscrit inédit du 19 août 1977 – source
française : CDMC)
148
typologie spectrale des instruments à percussion. Le but ne sera pas ici de
donner une nouvelle classification des percussions, mais plutôt de montrer
les différentes possibilités de traitement des instruments de cette famille
par les compositeurs spectraux, d’identifier les spécificités d’écriture et
d’interprétation des percussions dans le courant spectral, et de distinguer
les nouveautés de conception et de perception de la percussion rendues
possibles avec l’avènement de ce courant musical.
La méthodologie pour entreprendre ce travail consiste à répertorier
tout d’abord l’ensemble des instruments de la pièce, puis à étudier leur
utilisation : répertorier les techniques de jeu, puis les procédés
compositionnels rythmiques, harmoniques et mélodiques, et enfin signaler
toute autre originalité spécifique à tel ou tel instrument. La pièce pourra
ensuite être analysée, non pas de manière classique mais à la lumière de la
typologie déterminée auparavant. Ceci permettra, après des recherches
analytiques du matériau compositionnel ainsi qu’un croisement de
données plus larges incluant d’autres œuvres importantes, d’amener vers
l’établissement d’une typologie de la percussion et de son utilisation dans
la musique spectrale.
149
Instrument Première Techniques de Procédés Autres
occurrence jeu particulières compositionnels caractéristiques
Tumbas I, mesure 2 Recherche des
Timbale I, mesure 1 sonorités
créole 1 résonantes et
Timbale I, mesure 2 gommage des
créole 2 impacts.
150
Instrument Première Techniques de Procédés Autres
occurrence jeu particulières compositionnels caractéristiques
« sans attaque » laisser vibrer. La
sonorité de chaque
instrument sollicité
doit émerger de la
résonance des
autres. »
Plaques de I, mesure Roulements « sans L’essentiel est
tôle 188 attaque » avec l’utilisation des
crescendos. différents bruits
que peuvent fournir
la résonnance des
plaques, qui par
combinaisons avec
les autres
instruments
amènent des
sonorités
recherchées.
Woodblock II, mesure 7 Roulements avec Construction de
aigu des baguettes crépitements du
Woodblock I, mesure douces de bois par de
med. aigu 169 vibraphone, blocs nombreux
Woodblock I, mesure 7 par moment roulements pp et
medium attachés au avec crescendos
Woodblock I, mesure vibraphone, pour brusques sur les
med. grave 167 provoquer la woodblocks.
Woodblock II, mesure 7 résonance des Recherche de la
grave lames du clavier résonance de bois
Temple‐block I, mesure en frappant les qui est pourtant
aigu 162 blocs. Recherche très courte.
Temple‐block I, mesure de résonances de
medium aigu 161 type « bois » en
Temple‐block I, mesure gommant les
medium 161 attaques lors de
Temple‐block I, mesure roulements à
medium 162 grandes
grave dynamiques.
Temple‐block I, mesure
grave 162
151
Instrument Première Techniques de Procédés Autres
occurrence jeu particulières compositionnels caractéristiques
Sistre II, mesure Percussion rare,
33 utilisée encore
pour ses sonorités
de résonance et
non comme
ponctuation.
Glissando arraché
avec baguette de
triangle pour le
sistre.
Guiro IV mesure Sec, et laisser Le guiro n’est pas
111 vibrer. Utilisation joué, il sert à
du guiro comme « racler, en
baguette. remontant, le
revers supérieur
du tam‐tam »
Tambour de I, mesure 7 Plusieurs tambours
basque distribués sur les
différents pupitres
pour des effets
d’échos spatialisés
Tambour sur I, mesure 2 Jeu en rimshot
cadre
Caisse claire I, mesure 1 Utilisation très
fréquente de la
sonorité « sans
timbre », jeu en
rimshot,
Tambour I, mesure 1 Jeu en rimshot
militaire
Tarole I, mesure 3 Alternative au
tambour et à la
caisse‐claire, en
plus aigu. Le son
est plus clair, mais
porte moins loin.
Petite caisse I, mesure 5 Jeu sur les zones
grave de frappes, bord
ou centre.
Grosse Caisse I, mesure 1 Utilisation de la
II, mesure 3 résonance comme
nouvelle sonorité
indépendante.
Roulements pppp
« sans varier »
152
Instrument Première Techniques de Procédés Autres
occurrence jeu particulières compositionnels caractéristiques
Gong gamelan Sforzandi et Mélange des
1 roulements avec sonorités avec
Gong gamelan variations de d’autres
2 nuance pour instruments pour
Gong gamelan I, mesure recherches de créer des
3 221 résonance. Jeu combinaisons
Gong gamelan I, mesure avec des baguettes inédites et inusitées
4 177 de tambour
Gong gamelan classiques.
5
Gong gamelan I, mesure
6 177
Gong gamelan I, mesure
7 217
Gong gamelan I, mesure
8 188
Gongs I, mesure Jeu sur les zones Mélange des Le jeu sur les
Philippins 189 de frappe : sonorités avec différents gongs
« centre » ou d’autres est très recherché.
« bord ». instruments pour Dans le
Utilisation de créer des mouvement II, B,
différentes combinaisons dont les sonorités
baguettes. inédites et inusitées résonnantes
Gongs I, mesure Frappe simultanée « Crescendos très constituent
Thaïlandais 188 du cône du plus irréguliers, avec l’essence de la
aigu et du bord du brusques écarts », à composition, les
plus grave pour la libre indications de
une attaque et une interprétation du types de baguettes
résonance percussionniste. et de zones de
dissociées et frappe sont très
contrôlables détaillées. Par
séparément. exemple, « bord
Gong grave I, mesure 82 Jeu sur cône ou inférieur,
sur bord, mailloches
utilisation de la lourdes », ou
main pour « base du dôme,
« étouffer baguettes feutre ».
aussitôt » lorsque
c’est indiqué.
Timbale 1 I, mesure Roulements « avec Plus grande
147 légers crescendos, importance du
Timbale 2 I, mesure irréguliers et timbre et de la
147 brefs » (ex : couleur que des
Timbale 3 I, mesure mesures 150‐151) notes. Pas de rôle
147 Utilisation de de basse. Recherche
153
Instrument Première Techniques de Procédés Autres
occurrence jeu particulières compositionnels caractéristiques
Timbale 4 I, mesure 2 nombreux du « grondement »
glissandi. grave adéquat dans
le mélange des sons.
Cloches de II, mesure Jeu le plus souvent
vache 33 aux mailloches,
cloches accordées
mib mi fa sol# la#
Tambour de II, mesure Combinaison du jeu
frein 177 du tambour de frein
avec d’autres
timbres pour
l’obtention de
sonorité inédites et
inusitées.
Maracas IV, mesure Utilisation d’une Non mentionnée
27 maracas comme dans
baguette à la main l’instrumentarium
gauche Considérée
comme une
baguette.
Claves II, mesure Combinaison du jeu
48 des claves avec
d’autres timbres
pour l’obtention de
sonorités inédites et
inusitées.
Cloches tubes II, mesure 7 Utilisation de Utilisation de la
Crotales II, mesure nombreuses résonance des notes
33 baguettes comme sonorité à
Grand II, mesure 3 différentes, pour part entière.
marimba différentes Grande précision
Glockenspiel II, mesure 1 couleurs sonores. dans l’écriture de la
Glockenspiel IV, mesure Grandes pédale et des lames
à marteaux 62 dynamiques, à étouffer à la main.
Vibraphone II, mesure I « glissandi
Xylomarimba II, mesure 3 arrachés ».
Xylophone II, mesure Jeu avec le vibrato
48 du vibraphone,
lent, rapide, éteint.
154
traditionnelles ou ethniques sont aussi absentes de l’œuvre. Nous verrons
en outre que dans Chorus de Romitelli, analysée dans le chapitre 5, le bol
tibétain joue un rôle prépondérant ; mais il est également absent
d’Erewhon. Pour développer une typologie des percussions plus générale à
la musique spectrale, nous devrions inclure à ce tableau les instruments
utilisés dans l’ensemble du mouvement. Le croisement des données
présentées ici, avec celles des autres œuvres étudiées au cours des
recherches pour ce travail aura pour but d’étendre cette typologie à une
plus grande partie du répertoire du courant spectral.
155
Pour obtenir des résultats, parfois d’ordre plus général, ou parfois dans des
endroits éloignés de la partition, elle doit recouper les singularités
découvertes telles que d’éventuels liens, similarités ou tous autres points
d’intérêt remarquables interagissant dans plusieurs parties distinctes. Ce
croisement des données donne le plus souvent un éclairage différent sur
des éléments thématiques, ou motiviques des timbres : tout en suivant le
déroulement de la pièce dans sa longueur qui serait le niveau zéro, l’étude
transversale sur le plan des percussions est le premier niveau de l’analyse.
L’étude transversale des autres données scientifiques contenues dans la
composition s’intéresse aux niveaux sous‐jacents. Nous tenterons de
mettre à jour les interactions des caractéristiques compositionnelles entre
ces différents niveaux.
156
métrique, celui du compositeur et de la partition, au niveau rythmique,
celui de la vibration physique, et au niveau dynamique, celui de la
perception.
Le deuxième mouvement est dominé par les sonorités métalliques.
L’intérêt est porté sur les interactions entre les spectres qui ont lieu dans
les résonances. Dufourt part de l’idée que ces dernières sont
caractéristiquement longues et maîtrisables dans cette catégorie
d’instruments. Cela lui permet de se consacrer à la composition des
transitions. Les structures créées par les instruments inharmoniques,
comme les tam‐tams, les gongs, cymbales et plaques de tôle sont
mouvantes et évolutives, à la fois dans le temps et dans l’espace musical,
sur la partition et sur scène. Les grains sont fondus, les gestions
dynamiques par les mélanges de spectres mettent en place une méthode
compositionnelle qui continuera longtemps d’être expérimentée.
157
réunies lors de la création de ce mouvement, que ce soit les jeux
mathématiques de Conway, les techniques artistiques de gravure119 , le
souffle et l’illusion philosophique du monde, contribuent et s’inscrivent
totalement dans la pensée spectrale naissante. La percussion devient un
ensemble de matériau pour s’aventurer à la sculpture sonore, et permet de
cadrer le spectre global, du socle principal aux moindres finesses de détails,
avec le son produit comme finalité et non comme conséquence.
2. Erewhon I
Erewhon I
image d'un monde‐genèse, d'un pur espace en action.
Décharges, vrilles, turbulences, saccades. Les formes
s'enchevêtrent, s'encastrent, ou s'écrasent mutuellement sous la
pression du dynamisme qui les soulève. La violence formelle vise
à la concentration la plus dense, à l'imbrication la plus serrée.
Elle brise et contracte ; un formalisme du heurt et de la
fracture. La percussion des peaux se prête tout particulièrement
aux métamorphoses brutales ; libérée de contraintes d'échelle,
elle ne s'attache qu'à l'aspect énergétique du son. Avec un
nombre suffisant d'instruments, on dispose d'un véritable
clavier d'impulsions dynamiques : attaques sèches et abruptes,
ébranlements sourds, secousses avec résonance timbrée, ou
impacts mats. Rythmique, métrique, dynamique sont
totalement dissociées. C'est leur imbrication forcée qui crée la
tension de l'œuvre. La mise en œuvre consiste à articuler entre
elles ces configurations explosives, en jouant plus ou moins de
leurs conflits de structure.
158
L’idée de formes interagissant les unes avec les autres est au cœur
de la démarche du compositeur. On ressent que l’ouverture de l’œuvre
emprunte à l’image scientifique de création de matière et d’entropie. Les
matières s’entrechoquent, se fracturent et se reconstruisent sous d’autres
formes ; tout se conserve mais se transforme. Puis Dufourt parle de
concret : la multiplicité des instruments lui donne une palette suffisante de
formes d’objets sonores : il travaille donc sur l’enveloppe des sons, la
courbe des attaques, déclins, soutiens, relâches successifs que lui offrent
l’instrumentation.
Le vocabulaire du texte est explicite : « action », « pression »,
« violence », « tension », « conflits ». Ce premier mouvement est intense et
chargé, axé sur les percussions à peaux. Le travail sur les différences entre
rythme écrit, rythme référent (métrique) et rythme des intensités
(dynamique) est de laisser ces rythmes coexister, vivre ensemble, tout en
réduisant les interactions au minimum. Plusieurs combinaisons
rythmiques instables sont sans cesse confrontées, et ce qui ressort de leurs
incompatibilités donne la marge de jeu compositionnel sur laquelle le
compositeur s’amuse à faire varier la tension musicale perçue.
159
timbres et des dynamiques rend les individualités plus petites lorsque l’on
considère l’ensemble, ce qui fait que la perception humaine tend à ne
percevoir plus qu’Un : un son, un spectre.
160
agitation particulière dans les peaux engendrera des réactions sonores sur
les bois ou les métaux, dont le résultat sont des objets sonores sculptés à
tous les niveaux : leur timbre, leur enveloppe d’amplitude et leur rythme
interne.
161
L’objet sonore qui part du roulement du sixième percussionniste au
début de la mesure 39 et qui dure jusqu’à la fin de la mesure 40 peut être
décomposé en trois phases principales. La première est ascendante, avec
un crescendo global, pour presque tous les musiciens (le troisième crée du
mouvement dynamique). Cette phase présente un décalage rythmique qui
sonne comme un double mouvement se déplaçant du sixième vers le
troisième, puis vers les deux premiers percussionnistes. Dans la deuxième
phase intervient un mouvement de matériau démarrant au contraire du
premier percussionniste, puis se propageant ensuite vers les autres. La
troisième phase est une sonorité crépitante en mouvements contraires et
en crescendo.
La figure 2 est un extrait pris à partir de la mesure 66, qui montre
un passage plus fourni. La matière est en mouvement constant et Dufourt
parvient à exprimer des formes qui s’enchevêtrent et qui s’imbriquent par
des combinaisons de placements des sonorités. Il répartit les événements à
la fois sur l’échelle des impulsions dynamiques, du temps, de la hauteur et
de la situation dans l’espace scénique. Des formes s’étendent parfois, et le
temps se rétracte ; des objets se déplacent sur tous les plans, et suivent des
trajets cohérents tant en tressaillement de hauteurs qu’en déplacement
dans l’espace occupé par les instrumentistes. C’est en ce sens que Dufourt
amène un nouvel aspect dans l’écriture de la percussion. Tout en incarnant
l’idéal des spectraux d’un retour vers la perception de l’auditeur, et d’un
éloignement de la rigidité cognitive du sérialisme, Dufourt montre la
capacité des percussions au sens large à construire un son global qui sera
la musique. Elles constitueront un spectre modelable à volonté dont les
composantes, partiels et harmoniques seront interprétés par des
instruments seuls ou associés en groupes, et que de nombreux procédés
d’orchestration et de création rythmique pourront permettre de
matérialiser. La constitution de telles sonorités complexes passe par la
réalisation instrumentale, et le compositeur s’attèle donc à composer les
fréquences avec son instrumentarium impressionnant comme on pourrait
le faire aujourd’hui plus facilement avec des sons agencés par séquenceur.
Sur cet exemple de la figure 2, on voit que l’instrumentarium utilisé est
constitué de peaux uniquement, et que les groupements temporels sont
soigneusement élaborés pour créer des objets uniques à partir de plusieurs
événements. Par exemple, sur le premier temps de 66 : les sons les plus
puissants sont au milieu de l’objet sonore, avec les caisses claires et le
tambour sur cadre. Le spectre global de l’objet à une forme « en bulle » qui
montre la pensée plus axée sur la modulation d’un spectre global
qu’instrumental.
162
Fig. 2 : Mesures 66 à 69 de Erewhon I de H. Dufourt.
163
La figure 3 montre un procédé de notation d’objet sonore qui
revient souvent tout au long de l’œuvre. Ce sont des « nuages » de sons. Ils
sont définis par leur durée, leur matériau sonore, et leur échelle de densité.
Le nuage dans Erewhon n’indique pas d’instrument en particulier mais
uniquement une qualité de matière, de grain, comme « peau », « bois » ou
« métal ». L’interprète choisit lui‐même l’instrument ou les instruments
qu’il veut jouer. Une autre caractéristique du nuage est sa densité
dynamique. Elle progresse soit de l’éparse au dense, soit du dense au rare.
Cette échelle oriente la forme du nuage, un triangle isocèle horizontal. La
pointe est du côté de l’éparse, la base est du côté du dense. Ainsi, le jeu
entre ce paramètre de densité et celui des nuances permet des
combinaisons intéressantes : ralenti en crescendo, par exemple. En outre,
le nuage est toujours effectué par des groupes de percussionnistes, parfois
par tous.
164
C’est un phénomène qui influe aussi au niveau global, et le
compositeur conjugue les durées relatives des nuages par rapport au nuage
global. À la mesure 82, on voit que le sixième pupitre démarre une croche
après les autres, alors qu’ils finissent ensemble sur la quatrième croche. On
note enfin que ces nuages sont rarement présentés comme des objets
sonores à part entière. Ils font partie d’un tout, car leur nature même est de
rendre plus floue les frontières rythmiques avec ce qui les entoure.
165
Fig. 4 : Mesures 117‐118 de Erewhon I de H. Dufourt.
166
Fig. 5 : Mesures 169‐170 de Erewhon I de H. Dufourt.
167
Fig. 6 : Mesures 187 à 189 de Erewhon I de H. Dufourt.
168
situant pendant la vibration de la plaque de tôle. L’alliage est à ce moment
constitué de cymbales turques et chinoises graves, du gamelan 7 (très
grave), et de la plaque de tôle. Les roulements de caisses graves sont une
constante sous‐ jacente de l’alliage, seule peau dont le roulement permet à
l’entité principale de ne jamais disparaître complètement. On remarque
que les formes temporelles des nuances et des timbres correspondent l’une
à l’autre : les courbures dynamiques sont travaillées très précisément.
En effet, dans le premier mouvement d’Erewhon, les notions
fondamentales esthétiques employées par le compositeur tournent autour
de concepts empruntés à la morphologie et à la topologie. En
mathématiques, la topologie est l’étude des déformations spatiales par des
transformations continues. Lorsqu’un objet ou une masse est déformé par
des forces extérieures, les mouvements qu’il effectue peuvent être définis
par des ensembles d’équations différentielles. Les espaces étudiés ont un
paramètre de dimension, les repères à une, deux ou trois dimensions étant
les plus naturels pour nous. L’étude topologique de courbes de mouvement
d’objets dans un espace à trois dimensions présente une corrélation avec la
masse de sonorités à peaux que le compositeur module et transforme. La
masse sonore de Dufourt est transformée au cours du temps de plusieurs
manières, et les propriétés de ces transformations sont étudiées en
topologie. Les mouvements suivent des courbures lisses, proportionnelles,
logarithmiques, aussi bien que des ruptures droites ou courbées, qui
suivent des développements organisés tirées de l’observation de
l’évolution dans l’espace. Les liens que tisse le compositeur entre la masse
physique dans un espace à trois dimensions et la masse musicale qui
évolue dans un repère fabriqué pour l’occasion sont complexes mais
clairement définis. Le repère de Hugues Dufourt est celui du son à trois
dimensions tel que l’a constitué l’acoustique depuis l’époque des travaux
d’Emile Leipp sur les spectrogrammes : amplitude, fréquence et temps. Le
matériau que sculpte le compositeur s’inscrit donc dans le repère sonore à
trois dimensions, et l’évolution des processus compositionnels est tirée de
théories topologiques comme celle de René Thom sur la topologie
différentielle. La musique pour percussions d’Erewhon I est donc nouvelle à
plusieurs niveaux. D’une part, c’est la sonorité d’ensemble qui est
composée, et les percussions en sont l’univers sonore, l’ensemble
d’impulsions, de timbres, et de périodes plutôt que des artifices sonores
œuvrant pour et par eux‐mêmes. D’autre part, la conceptualisation de cette
sonorité dans un repère acoustique qui est celui des spectrogrammes
provoque un cheminement philosophique nouveau, qui débouche sur
l’association des échelles de ce repère à celles de l’orchestration de cette
famille d’instruments. Enfin, les travaux de mathématiques modernes sur
les déformations structurelles conduisent à des processus d’évolutions
temporelles dans le repère acoustique adopté par le compositeur.
169
La partition est un outil graphique qui permet au compositeur de
représenter les transformations qu’il entreprend sur la sonorité globale, et
il se trouve que cette représentation présente elle aussi son propre repère.
Le plan de la partition, dans le cas de l’écriture pour six percussions, est le
repère du temps par rapport à l’espace scénique. On comprend donc
facilement ces deux échelles, mais Dufourt doit opérer la translation d’une
masse spectrale imaginée vers les partitions séparées, et ce dans l’espace
scénique. La figure 7 montre comment des notations permettent au
compositeur de manipuler les caractéristiques de la masse sonore.
171
Fig. 8 : Mesure 232 d’Erewhon I de H. Dufourt.
172
associent ces notions scientifiques. Le déroulement de ce mouvement tient
d’un processus évolutif d’une masse de peaux qui, à force de fusions, de
collisions et de ruptures, cause de plus en plus de phénomènes
d’interaction avec l’extérieur, matérialisés par les métaux et leurs
résonances. La musique est un son global et est pensée comme telle : le
compositeur joue de l’orchestre comme d’un seul instrument, et considère
en acousticien les spectres globaux comme les spectres locaux. Le son
d’ensemble perçu par l’auditeur est considéré dans l’écriture sur un plan
du même type que ceux des instruments seuls. Le son est observable sous
forme de spectre, peu importe son origine. Erewhon I s’inscrit donc dans la
coordination de plusieurs idées nouvelles de l’époque.
Premièrement, les conséquences de la pensée musicale du Traité des
objets musicaux de Pierre Schaeffer120 transparaissent dans la création du
matériau musical. L’objet musical est l’unité de base de la création sonore,
les notes n’ayant plus comme rôle que de permettre de transmettre la
manière de réaliser ces objets. Deuxièmement, les travaux d’Emile Leipp et
d’autres acousticiens sur l’observation des paramètres du son et l’étude
psycho‐acoustique de leur perception121 engendrent un double
phénomène : d’un côté le recul de la création arithmétique pure héritée du
sérialisme, de l’autre la composition comme travail d’un son global, celui
observé sur les spectrogrammes. Troisièmement, les travaux géométriques
de la topologie inspirent les transformations structurelles du matériau. Les
notions de morphogenèse et de stabilité structurelle dans la théorie de
catastrophes de René Thom122 se répercutent dans l’optimisation des
chemins structurels empruntés par les formes dynamiques des objets
musicaux. Dernièrement, les recherches anthropologiques et
ethnomusicologiques d’André Schaeffner123 ont eu une influence non
négligeable sur la constitution de l’instrumentarium et l’orchestration des
timbres des percussions par le compositeur. Cette convergence des notions
appliquées à la composition sont annonciatrices d’un des plus grands
renouveaux de l’écriture contemporaine avec l’avènement de l’école
spectrale, courant dont on pourra considérer qu’Erewhon fait partie en tant
qu’œuvre fondatrice, d’autant plus que son existence n’était pas encore
théorisée lors de la création de la pièce. La percussion trouve un renouveau
dans les problèmes théoriques posés par l’acoustique. La complexité des
120 Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux, Paris, Seuil, 1966.
121 121Emile Leipp, Acoustique et musique, Masson, Paris, 1971, travaux
prolongés plus tard dans La Machine à écouter, Mason, Paris, 1977.
122 René Thom, Stabilité structurelle et morphogenèse, Interédition, Paris,
1972.
123 André Schaeffner, Origine des instruments de musique. Introduction
173
formes sonores doit être assimilée par la composition tout en restant dans
le domaine réalisable par des instruments. Le compositeur se tourne donc
vers les masses, les blocs, les franges, les crêtes et les limites plutôt que
vers les hauteurs, durées, et harmonies traditionnelles.
3. Erewhon II, A
Erewhon II
Erewhon II est un essai de stéréodynamique fantastique.
Qu'adviendrait‐il d'un espace brusquement saturé de toutes les
figures de l'énergie, comme échappées des mailles de l'univers ?
Il en surgirait peut‐être un monde de purs mouvements sans
limite assignable, une tourmente d'architectures tremblées, la
prolifération soudaine d'une flambée d'interférences. Pour
traduire l'image de cette complexité effervescente, j'ai tenté de
réaliser une architecture mouvante de timbres métalliques
(plaques de tôle, cymbales, gongs, tam‐tams) où prévaudraient
la fluence, l'ambiguïté, l'indéfini des transitions. Un jeu de
glissements incessants, le recouvrement mutuel des masses
sonores tendent à produire un effet de fuite indéfinie. La
superposition ou l'alternance des timbres, qui creusent et
soulèvent tour à tour l'onde sonore constituent un élément
rythmique. Autre forme de scansion : les blocs de lumière
plantés dans la masse (vibraphones, glockenspiels) se dressent
dans un mouvement de surrection radicale. Dans cette œuvre,
j'ai tenté de tirer systématiquement parti des ressources
spécifiques de la percussion pour métaux : modification du
timbre par l'attaque, lente transformation de la couleur du son
sous l'effet des roulements de baguettes douces (plaques de tôle,
gongs, tam‐tams), utilisation des grains de résonance (le
scintillement progressif d'une cymbale), modulation des
spectres dynamiques de la résonance. La percussion métallique
modifie profondément les relations entre la production et la
perception du son. Elle remet en question l'équilibre
174
traditionnel (instrumental ou vocal) entre les mouvements
articulatoires et les ondes acoustiques qu'ils engendrent. Il faut
précisément tenir compte de ce coefficient dynamique propre
aux résonances métalliques, qui donne naissance à une nouvelle
classe de sons « fluides ».
175
habituée à la plupart de ces sonorités et leur forme d’onde est souvent de
schéma similaire : le jeu par impact confère une attaque courte et
puissante, et un déclin court. Le soutien et la relâche varient plus
facilement, même si les sons peuvent être étouffés à volonté (main sur
cymbale, pédale de vibraphone). Pourtant, les percussions métalliques
peuvent être mises en résonance sans attaque, comme lorsqu’on obtient le
son en frottant le bord des verres en cristal ; il est en plus assez aisé
d’obtenir cette résonance. Ce phénomène engendre pour quasiment chaque
instrument métallique de nouvelles manières de sortir leur son. Le
compositeur nomme les sons résultants « fluides ». Il s’agit des sonorités de
résonances métalliques dont le volume de la résonance est plus fort que
tous les impacts qu’il a fallu pour stimuler l’instrument.
Le besoin d’homogénéisation de la masse sonore globale présente
dans Erewhon I est ici très présente encore, mais l’écriture aux métaux est
différente. La création de résonances complexes à travers différentes
résonances des claviers tempérés contribue à créer de larges objets
présentant de nombreux points communs avec des spectrogrammes. La
complexité de répartition des partiels dans les spectres des sons est infinie.
Le mélange de multitudes de notes résonantes aux claviers, émergeant
dans le relâchement d’éclats aux peaux et aux instruments bruiteux
(cymbales, tam‐tams, gongs) ressemble à des constructions architecturales
spectrales. Le mouvement d’ensemble apparaît ralenti, le temps apparaît
dilaté pour laisser apprécier le cheminement des harmoniques complexes
et les interactions résonantes. Sur la figure 9, on peut observer comment
Dufourt orchestre une résonance complexe de partiels, émis par six
claviers métalliques, trois vibraphones et trois glockenspiels.
176
Fig. 9 : Mesures 4 à 6 de Erewhon II, A de H. Dufourt.
177
En plus de la manipulation globale d’attaques et de timbre, Dufourt
se penche ici sur la linéarité continue et discontinue des cellules
rythmiques ainsi que sur leur caractère rationnel et irrationnel. Dans les
esquisses réalisées par Dufourt pour l’élaboration d’objets musicaux, de
paramètres sonores et leur organisation formelle (la plupart du temps sur
papier calque millimétré), on voit comme il réinvente la recherche de la
polyphonie et du contrepoint, incarné aux percussions par ces masses de
claviers tempérés, en bois ou en métal. Ces recherches aboutissent à des
objets qui comportent dans leur structure des phénomènes qu’on peut
déterminer comme des « transitions pleines » ou « avec rupture », des
« expansions volumétriques ou des « étagement de masses124 ». Le
compositeur hiérarchise des contenus et leurs variations sur ses esquisses,
pour puiser ensuite des transmutations présentant des augmentations ou
diminutions régulières, ou irrégulières, des cellules dont le matériau se
décale, se vide ou se remplit par silences et syncopes, ou encore des
rythmes superposables obtenus par passage « en négatif ». C’est toujours la
topologie qui ouvre l’écriture du compositeur à de tels procédés, comme
les courbes définies dans la Théorie des catastrophes qui lui inspire les
mouvements temporels entre les voix, ainsi que les densités locales du
matériau. La figure 9 (page précédente) montre en ce sens, par exemple sur
le dernier temps de la mesure 4, comment la densité et les hauteurs sont
réparties pour suivre une courbe géométrique de mouvement fluide et
torsadé. Dans l’étude des transformations dans l’espace, cette théorie traite
de celles advenant de manière brusque, imprévisible, par ruptures. Les
points de « catastrophe » sont les points de rupture notables dans les
courbes de mouvement. Les discontinuités sont donc prises comme pivots
et les points de rupture de leurs courbes sont étudiés en fonction de l’avant
et de l’après. C’est ce qui se produit mesure 6, après que le nuage se soit
stabilisé dans le pianissimo. L’homophonie rompt la courbure, alors que
celle‐ci s’est approchée d’une limite, celle du silence qui, on le suppose,
correspond au point zéro du repère dans lequel on se place. La rupture a
lieu aussi au niveau des timbres, et le nouvel objet musical est lui aussi
digne d’intérêt : il est composé par des attaques et des sonorités
résonantes, dont la combinaison forme un agrégat temporel autonome. La
monochromie précédente cède place à une touche polychrome, et le
spectre polyphonique qui en résulte est une écriture directe du timbre et
de la création hybride de résonances et de transitoires d’attaque.
L’extrait présenté en figure 10 montre à son tour comment le
compositeur procède à plusieurs niveaux pour la création de timbres : la
manipulation de l’impact et de la résonance paraissent un peu trop simples
178
Fig. 10 : Mesures 10‐11 de Erewhon II, A de H. Dufourt.
179
dans le sens où les sons qu’il écrit sont composés aussi de rémanences, de
résurgences, voire de silences. Les résonances se cristallisent la plupart du
temps avant de disparaître au profit du silence, et les interférences qu’elles
provoquent peuvent s’amplifier par exemple, pour laisser naître et se
développer un son nouveau, résurgent.
180
On remarque nettement sur cet extrait de la partition les courbes
que suivent les objets musicaux, aussi bien au niveau de la dynamique, que
de la densité et du placement dans l’espace. Le mouvement vers le
percussionniste six est temporellement logarithmique, et tend vers une
limite que l’on pourrait qualifier d’homophonique à partir de la mesure 13
(1+5/16). Le propre de la limite est de voir tendre le matériau vers celle‐ci,
mais il ne l’atteint jamais. C’est le cas ici où par moments, le discours est à
nouveau rompu par de très légers éléments perturbateurs, comme la triple
croche au cinquième pupitre, mesure 15, qui tombe en de façon décalée.
La figure 12 montre également de complexes alliages présentant des
processus transformationnels. Certaines sonorités sont jouées en
homorythmie totale, des glissandi à courbes variables comme celui du
vibraphone au pupitre 4, mesure 47, directement inspiré des courbes de la
Théorie des catastrophes de René Thom. L’orchestration est
stéréophonique sur le plan spatial des six percussionnistes. La matière est
courbée et torsadée selon de nombreuses trajectoires simultanées, ce qui
engendre un réseau de mouvements complexes tels ceux qui sont étudiés
pour un volume dans un espace en trois dimensions. Les points d’orgue et
les nuages rendent plus floues les limites musicales aussi bien au niveau
formel, timbral que temporel.
La double vague lente jouée par tous les instrumentistes sur les
blocs chinois débute une longue phase, d’abord axée sur cette sonorité,
avant de passer à de longues résonances de métaux, tam‐tams, plaques de
tôle, cymbales et gongs. L’écriture de l’agitation de ce tapis évolutif de blocs
chinois passe par des signes indiquant des côtés aléatoires, quant à la
régularité et au choix des blocs frappés par les interprètes. La pulsation est
183
La notation des nuances et des résonances est améliorée de
différentes manières. Dufourt note les courbes résonantes à la fin des
crescendos, ou la manière progressive pour le percussionniste de remonter
la pédale du vibraphone pour étouffer les notes. La façon d’obtenir une
résonance de gong est elle aussi étudiée, avec une écriture de la zone de
frappe (par exemple mesure 16, du dôme vers les bords). Ces trois
résonances mêlées montrent comment ce sont en général les claviers
métalliques qui les démarrent. La résonance du vibraphone est complétée
par celle d’un gong philippin, à son tour complétée par celle d’un tam‐tam,
suivie d’une cymbale et enfin d’un autre gong.
La construction des textures par différents procédés de mises en
relation des objets musicaux est toujours dynamique dans Erewhon. Les
masses sonores sont évolutives, ce qui implique d’organiser plusieurs
méthodes de fusion d’enchevêtrement et de tuilage du matériau. La figure
15 montre comment le compositeur met en avant les différentes
composantes du timbre de l’alliage qu’il fabrique par le biais de courbes de
nuances, crescendos améliorés pour transcrire de brusques ruptures
dynamiques.
184
partant du résultat à obtenir. L’élaboration de structures numériques
complexes régissant les paramètres des plans mouvants de transformation
à plusieurs niveaux de leurs compositions commencent d’une part après
que Dufourt ait déjà commencé la composition d’Erewhon, et d’autre part le
penchant pour l’irrationalité pousse le compositeur à inventer des
procédés de synthèse timbrale plus adaptés à l’orchestration acoustique. Si
Grisey et Murail s’inspirent de sonorités pour transformer leurs
reconstructions sonores (la cloche de Gondwana, la grosse caisse de
Tempus ex machina, le trombone de Modulations), Dufourt choisit ses
paramètres dans la création mentale de sa propre synthèse instrumentale.
Dufourt se place du côté de la perception en faisant confiance à un instinct
témoignant de la fabuleuse capacité de son audition interne à fabriquer le
timbre et à le transformer en alliages dynamiques. Ses recherches sur le
timbre et l’ouïe lui permettent d’assembler des objets harmoniques et
rythmiques qui prennent corps dans une matière fondue, homogène,
personnalisée et autonome.
Le final du mouvement II, B est justement fabriqué par un tuilage
des agitations et des résonances construites en premier lieu sur la
recherche de colorations particulières, de manière harmonique et sans
tenir compte du paramètre temporel. C’est uniquement lorsque le
compositeur a déduit les paramètres de hauteurs qui, assemblés,
fournissent la qualité timbrale et granuleuse recherchée pour la
composition, qu’il commence à considérer le mouvement et l’axe temporel
de l’évolution. Entrent alors en jeu les paramètres de dynamique,
d’intensité et de spatialisation qui permettent au discours musical
d’emmener l’auditeur dans un véritable voyage vers le son. Un extrait de
ces procédés de tuilage de la fin d’Erewhon II est présenté figure 16 (page
suivante). On observe que les sons ont pris le relais et que la fusion du
tuilage opère par brouillage de l’homophonie : la synchronisation
temporelle des traits est respectée à l’échelle de la pulsation, mais pas à
l’échelle des rythmes internes aux objets musicaux, qui sont bien souvent
en décalage. Les différentes méthodes de fusion qu’emploie Dufourt pour
rendre autonome ses combinaisons spectrales sont décrites par Pierre
Albert Castanet dans le livre déjà cité. Les fusions qui opèrent dans cet
exemple sont tout à fait de l’ordre de la « fusion par tuilage d’agrégats
dynamisés », ainsi que par « imbrication d’éléments résultant d’une
complémentarité ». La « fusion par utilisation d’entité résonante à des fins
de halo sonore » ainsi que celle par « truchement d’un geste de sélection »
sont aussi à l’œuvre car les sonorités continuent souvent longtemps après
qu’elles aient été jouées, et les alliages de claviers les uns avec les autres
orientent un déplacement du timbre dans l’espace mais pas dans sa
qualité125.
185
Fig. 16 : Mesures 87 à 90 de Erewhon II, B de H. Dufourt.
186
5. Erewhon III
Erewhon III
adagio pour percussion qui traite les instruments
comme des voix : gongs, cloches tubes, cloches de vache,
timbales, marimba. Dans cette œuvre, j'ai expressément tenu
compte de la dynamique globale du son de percussion. Frapper
un gong, ébranler un tam‐tam, c'est créer un événement
énergétique avec un foyer (le choc), et une aire d'irradiation (le
signal rayonné). Le temps métrique est entièrement subordonné
à la durée interne de phases de résonance. De plus, la résonance
d'un instrument métallique produit une forme dont le modelé
s'anime d'un mouvement interne d'expansion. Elle donne à
l'espace sonore une loi de croissance, de courbure, elle lui
imprime une allure évolutive. Les propriétés physiques de la
résonance des métaux dessinent d'elles‐mêmes une géométrie
expressive. J'ai tenté de tirer parti de cet alphabet de
configurations fugaces, mais nettement différenciées par leur
spectre de dispersion. Leur emploi contraint à une organisation
spécifiée par des lois d'affinité ou de contraste. Enfin, le
traitement des cloches et des gongs pose un problème
harmonique particulier : on a affaire à des sons hybrides qui
s'entendent tantôt comme des hauteurs définies, tantôt comme
des sons complexes (paquets de spectres harmoniques), fixes en
tessiture, mais sans degré assignable. D'où l'intérêt des
équivoques, des oscillations, des transitions entre ces deux
régimes distincts du son. Erewhon III est un paysage
imaginaire, à la manière d'Edgar Poe : résurgence lointaine
d'un écho rémanent.
187
Dans ce texte d’introduction, Dufourt cite Edgar Allan Poe pour
mettre en parallèle la manière avec laquelle ce dernier met en mots les
paysages issus de son imagination et la manière avec laquelle le
compositeur crée les espaces dans son œuvre. Si les références à une
réflexion sur le paysage sont récurrentes dans l’œuvre de Poe126, c’est
souvent pour se livrer à une contemplation émerveillée de la nature et à
une remise en cause de la dégradation de ses paysages par l’être humain.
Mais les descriptions de Poe tendent souvent à l’onirisme, et la fascination
de l’auteur pour le beau est intimement liée avec les sensations que lui
procure la nature. Dans le domaine d’Amheim, il écrit : « Toutes mes
réflexions sur ce sujet reposaient sur cette idée, que l’intention primitive de
la nature devait avoir disposé la surface de la terre de manière à satisfaire
en tout point le sentiment humain de la perfection dans le beau, le sublime
et le pittoresque127 ». C’est l’impression onirique, la résonance que la
sensation de beauté de la nature excite en nous qui est le lien ici : la
sensation poétique décrite dans l’œuvre de Poe lors de la contemplation
résonne dans notre espace intérieur vaste, et ce phénomène est retrouvé
dans le troisième mouvement d’Erewhon. La notion de grand espace où les
vibrations résonantes se développent est primordiale. C’est le corps
humain qui est submergé par la sensation poétique et qui lors de son
excitation par la beauté se connecte à l’immensité et l’unité universelle. Si
Dufourt précise que le temps métrique est dans Erewhon III entièrement
conditionné par la durée de résonance des sonorités, c’est pour laisser
cette beauté naturelle parler d’elle‐même. Le rôle du compositeur est donc
de jouer avec les sonorités naturelles à se disposition pour composer un
paysage naturel, à l’image de ceux peints par Claude Le Lorrain qu’Edgar
Poe admirait tant.
Dans Erewhon de Samuel Butler (1872), la description est celle d’un
pays imaginaire. Ce pays est loin d’être une utopie, mais n’est pas non plus
une dystopie. Dans la dernière partie du livre, l’auteur s’inspire de la
récente théorie darwinienne (à l’époque), et constitue un « livre des
machines », dans lequel il émet l’hypothèse que les machines pourraient
développer une conscience propre suivant la sélection naturelle. Gilles
Deleuze puisa dans les idées développées par Butler à de nombreuses
reprises pour le développement de sa « philosophie de la différence ». Il
188
appelle notamment les idées des « erewhons », les distinguant des
concepts, et indique que le « no‐where », « nulle‐part » facilement
identifiable dans le titre du livre doit aussi être compris comme un « now‐
here », « maintenant, ici ». Si la question que se posait Edgar Poe de savoir
pourquoi l’action humaine entraînait la dégradation de la beauté naturelle
trouve écho dans la philosophie de Deleuze, c’est bien dans l’utilisation
qu’il fait des théories de Butler pour dépasser « la polémique ordinaire du
vitalisme et du mécanisme128 ». Il explique :
189
particularités en permettant à l’auditeur d’entendre leur matière
intérieure. Dufourt laisse dans ce mouvement les propriétés physiques
dicter le développement de la structure et les organismes sonores évoluer
d’eux‐mêmes vers ce à quoi ils tendent, que ce soit le développement ou
l’extinction. Comme s’il voulait étudier si la sélection naturelle allait
s’opérer sur les organismes sonores, la population des percussions est mise
à l’épreuve d’une société musicale imaginaire, Erewhon, et le chemin
parcouru entre le début et la fin de l’œuvre pourra être observé comme un
résultat de l’expérience, pour ainsi donner de nouvelles connaissances sur
les percussions, leur rôle et leur comportement au sein de la création
musicale moderne.
190
Fig. 17 : Mesures 30‐31 de Erewhon III de H. Dufourt.
191
objet sonore. Mais le silence se fait aussi sentir lorsqu’un élément disparaît
de la masse et laisse un vide dans le spectre global de la masse musicale
sculptée. Le silence d’une partie du son laisse alors apparaître des
fréquences nouvelles et celles qui s’annulaient auparavant par
soustraction, ou qui étaient masquées par écrasement harmonique sont
mises en avant de la même manière qu’on retirerait un filtre coloré devant
la lumière éclairant une œuvre plastique. Un exemple de cette action est
présenté figure 18.
192
• Cet exemple est accompagné d’un extrait audio.
Voir la plage n° 15 du disque joint à la thèse :
Mesures 50 à 58 de Erewhon III.
193
Fig. 19 : Mesures 69 à 73 de Erewhon III de H. Dufourt.
194
Fig. 20 : Mesures 112 à 116 de Erewhon III de H. Dufourt.
La figure 21, en revanche, montre une oscillation alliant temporalité,
dynamique, largeur de spectre et résonance. En effet, le discours aux
claviers étend la largeur de sa tessiture, ce qui élargit les fréquences
entendues vers l’aigu et vers le grave. La nuance augmente en crescendo, et
le procédé est répété plusieurs fois. La pédale, qui étouffe le son, est
abaissée et remontée progressivement, ce qui a pour effet d’ajouter les
fréquences résonantes, et d’éteindre toutes les résonances en même temps.
Il est à noter que le glockenspiel et le vibraphone sont ici aussi considérés
comme un seul instrument, de tessiture plus large.
Erewhon IV
avec cette œuvre, j'ai tenté d'approcher une situation
limite. Que resterait‐il d'un langage dont la parole s'est retirée,
d'un discours sans la communication ? Il ne subsisterait rien
sans doute, sinon les indices d'un monde aboli, des traces, un
souffle, une illusion sonore. J'ai imaginé à ce propos un
fourmillement imperceptible, un état dynamique extrêmement
ténu, formé d'une grêle d'attaques sèches et incisives sur les
peaux. Cette matière est animée de gonflements très lents, de
fluctuations à peine marquées, traversées ça et là de coulées
métalliques diffuses. Pour modeler ces volumes accordés à leur
propre pulsation, je me suis inspiré des techniques de la
gravure. L'art de l'entaille sait, avec des moyens d'une précision
aiguë, évoquer un lointain, un ailleurs, traduire le flottement
d'un espace sans attache. Quelques traits, un dégradé de points,
suffisent à susciter un jeu d'ombres, un mélange de clarté livide
et de scintillement noir. Précisément, l'esprit de l'écriture
musicale ne me paraît pas étranger à cette économie
graphique, qui crée du flou avec de l'acéré. C'est pourquoi je me
suis limité, dans cette œuvre, à une composition de grains, plus
ou moins resserrés, plus ou moins dilatés : battuto, roulements,
frottements, résonances.
196
le départ de l’homophonie à la mesure 10, très douce, comme filtrée
électroniquement, puis le départ des triples croches régulières et
puissantes à la mesure 13.
198
• Cet exemple est accompagné d’un extrait audio.
Voir la plage n° 17 du disque joint à la thèse :
Mesures 10 à 20 de Erewhon IV.
2000.
199
L’automate s’articule sur une grille en deux dimensions où chaque case
représente une cellule, dont l’état est « vivant » (1) ou « mort » (0).
L’évolution se fait par étapes générationnelles. À chaque génération, l’état
de chaque cellule est déterminé par l’état de ses huit voisines, suivant les
deux règles très simples :
‐ Une cellule morte possédant exactement trois voisines vivantes
devient vivante (elle naît).
‐ Une cellule vivante possédant deux ou trois voisines vivantes le
reste, sinon elle meurt.
Ceci implique que si une cellule, vivante ou morte, a exactement trois
voisines vivantes, elle reste vivante. Si elle a exactement deux voisines
vivantes, elle reste dans son état actuel, vivante ou morte. Si elle a moins de
deux ou plus de trois voisines vivantes, elle meurt. La similarité de ce
processus de développement purement théorique avec l’évolution des
organismes vivants est impressionante, d’où le terme de « jeu de la vie ». En
effet, en partant de très peu de cellules formant un motif très simple au
départ, les structures qui se développent au bout de nombreuses
générations peuvent être très différentes. Certaines structures vont se
stabiliser, comme le carré de quatre points (cellules vivantes) entouré que
de vide (cellules mortes). D’autres vont être périodiques, comme les trois
points horizontaux qui vont devenir verticaux à la génération suivante, puis
redevenir horizontaux et ainsi de suite. Certaines structures vont se
déplacer périodiquement dans une direction ou une courbe. D’autres se
déplacent également, mais en laissant une traînée de débris. D’autres
encore sont périodiques et fabriquent régulièrement des structures, plus
petites, qui vont partir en se déplaçant dans une direction. En appliquant
ces formules au matériau musical, le compositeur fabrique des objets
musicaux obéissant à ces genres d’évolution. Composés de tels cellules, les
objets peuvent être stables, périodiques, en mouvement linéaire ou courbe,
arriver à stabilisation après développement, ou encore engendrer d’autres
structures par des structures complexes. En pratique, c’est dans l’évolution
de l’orchestration des longs passages en triples croches qu’on retrouve les
constructions à partir de ces cellules. La régularité rythmique représente
les générations successives de l’automate cellulaire. Le développement de
l’orchestration des sonorités sur les différentes percussions à peaux est
construit de telle manière que les notes interagissent sur leur voisines. Un
instrument qui disparaît de l’orchestration est une cellule « tuée » par ses
voisines et un nouveau qui apparaît dans le spectre est une cellule qui est
née par l’action de ses voisines.
Plus tard dans le quatrième mouvement, le compositeur a recours à
de nombreuses techniques utilisées plus tôt dans la pièce, pour composer
un final où se mélangent courbes de dynamiques et de stéréophonie,
orchestration de la globalité vers une masse sonore, notation d’événements
irréguliers et arythmiques et combinatoire du matériau. Un exemple de
200
cette unification de discours dans une sonorité mélangeant les différentes
catégories de timbres du morceau est présenté en figure 24.
202
Fig. 25 : Mesures 208 à 210 de Erewhon IV de H. Dufourt.
203
biologiques. Il précisa cependant que « cette théorie [l’]intéresse mais pas
pour une application directe133
V. Conclusions
204
récentes à l’époque de la pièce. La topologie différentielle de René Thom et
l’automate cellulaire de John Conway contribuent aux créations cellulaires,
aux évolutions génétiques, ainsi qu’aux courbes transformationnelles qui
opèrent dans Erewhon. Mais les recherches les plus révélatrices du
spectralisme naissant sont celles d’Emile Leipp sur l’acoustique, la
perception et la psycho‐acoustique. On sent l’influence de ces domaines à
au moins deux niveaux fondamentaux de l’œuvre. D’une part, l’importance
d’une préoccupation globale du sonore est montrée par un discours
presque constamment axé sur la sculpture d’une masse sonore, modulée,
transformée, et causant des événements sonores imprévisibles surgissant
d’interactions avec les phénomènes auxquels elle est confrontée. D’autre
part, l’utilisation sur un espace scénique instrumental de la stéréophonie
orchestrée prend une place considérable, amplifiée par la composition à
partir de courbures, de ruptures et de déformation scientifiques, et par
l’orchestration de sonorités comme celles des percussions, aux enveloppes
d’amplitude très diverses. Ces paramètres orientent la pièce vers des
univers où l’équilibre tient à la fusion et à la granulation, où la vraie beauté
se révèle lorsque la perception ne distingue plus les timbres individuels des
instruments qui sont joués. Le son est alors apprécié pour son spectre,
magnifié par le fait que les instruments et les interprètes sont, en finalité,
des humains.
205
206
Chapitre 4 :
La conception du temps différentiel,
liminal et transitoire dans Tempus ex
machina de Gérard Grisey
207
208
Si les sons ont un corps vivant,
le temps est à la fois leur
espace et leur atmosphère.134
Gérard Grisey
I. Introduction
209
le système traditionnel de notation, Grisey entreprend de créer une pièce
dont le processus est la dérive d’une pulsation périodique vers la
perception d’un temps musical non‐pulsé. Il écrit sur une esquisse
préalable à la composition :
210
principes pour la composition, mais aussi de tenter de parvenir à la
conclusion d’un paradigme sur le temps dans la musique du compositeur,
qui de par son fondamentalisme pourra peut‐être se vérifier dans le reste
du courant spectral. Dans un de ses premiers textes, « Devenir du son136 »,
Grisey titre déjà un paragraphe « Tempus ex machina », et explique
plusieurs propriétés de sa perception du temps en tant que compositeur.
Son idée principale est que le temps est perçu par l’auditeur de manière
variable, et que c’est la prévisibilité des événements sonores qui influe sur
la dilatation ou la contraction du temps.
136 Et non « Le devenir des sons », autre texte de quatre ans plus récent.
137 Gérard Grisey, « Devenir du son », in Écrits ou l’invention de la musique
spectrale, p. 31, MF, Paris 2008.
138 Ibid., p.29
211
Deuxièmement, il explique qu’il existe pour lui un seuil perceptuel
qu’il est impossible de transgresser sans sombrer dans l’absurde : la
musique au cours des siècles ayant présenté un accroissement presque
constant de sa complexité, il est cependant impossible pour l’homme de
percevoir l’infinité des détails à partir d’un certain seuil. Passé ce seuil,
nous cherchons à percevoir l’ensemble, le global, la Gestalt, et non plus
l’addition de tous les événements musicaux qui se produisent. Mais la
notion de seuil se retrouve aussi dans d’autres niveaux de sa vision
musicale, notamment au niveau micro‐sonore, le niveau perceptuel étant
plutôt macro‐sonore. C’est au niveau technique qu’on en trouve les
occurrences. Lorsqu’il considère les approximations de hauteurs qu’il doit
concéder pour écrire pour des instruments traditionnellement tempérés, il
remarque qu’il existe un seuil d’approximation à partir duquel les notes
deviennent suffisamment proches des valeurs fréquentielles des partiels et
où la fusion sonore peut commencer d’opérer.
Troisièmement, on considère qu’il existe deux types d’appréhension
du temps. Le temps directionnel, celui de la biologie, de l’histoire, le temps
« occidental », et le temps non‐directionnel, celui de l’inconscient, de la
contemplation, le temps « oriental ». Grisey précise inscrire sa musique
dans le premier type : pour lui le son naît, vit et meurt dans le temps. Même
inversé artificiellement, il suivra toujours ce même schéma : naissance, vie,
mort. Cette pensée inscrit les sons dans une forme vectorielle, une forme
qui les oriente de manière dynamique. Qu’on observe le sonore de manière
microphonique ou macrophonique, la réalité est continue : comme le dit
Grisey, on nomme les sept couleurs de l’arc‐en‐ciel alors qu’il en existe une
infinité. Entre un événement sonore A et un événement B existe
« l’épaisseur du présent139 ». On peut noter que ce concept s’applique sur
l’échelle du temps, mais aussi sur l’échelle des hauteurs, lorsque les notes
disparaissent pour laisser place aux fréquences.
212
l’interprétation pour percussion ici, avant de nous intéresser à bien
d’autres aspects de ces instruments dans les chapitres suivants.
213
Fig. 1 : Classification par Gérard Grisey de l’échelle de
complexité des durées142.
214
fluctuation imperceptible plus proche des phénomènes physiologiques
humains, comme le battement de cœur ou la respiration, on obtient un
matériau bien plus intéressant pour l’oreille humaine. C’est la qualité des
grands interprètes de savoir se placer rythmiquement pour faire vivre la
musique. C’est aussi le « groove », recherché comme le saint Graal par tant
d’acteurs des musiques populaires et du jazz. Ces questions forment
d’ailleurs depuis de nombreuses années un domaine de recherche très
répandu et il n’en sera donc pas question dans ce travail, cependant à
l’époque où Grisey écrivit ce texte cette question n’était pas encore si
fréquemment abordée par les musicologues.
En musique spectrale, la conception de la périodicité est différente
d’une part de la conception sérielle, qui l’exclut totalement, et de l’autre
côté de la musique minimaliste, qui se construit et joue avec la répétition.
Pour Grisey, « la périodicité est irremplaçable ; elle permet l’arrêt du
discours musical, le point de suspension du temps, le repos nécessaire et
quelquefois une redondance utile à la compréhension143. »
215
progression ne suit aucun schéma temporel prédéterminé. Grisey note que
cette répartition ne retient l’attention de l’auditeur que pour une durée très
limitée, et appelle cela un « véritable bruit blanc des durées ». Il ajoute un
dernier stade de complexité : le temps lisse, l’absence de durées, le son
unique ou le silence rythmique.
Grisey conclut sa description de l’échelle de complexité en insistant
encore sur le point que « la structure, quelque soit sa complexité, doit
s’arrêter à la perceptibilité du message ».
3. Le corps du temps
216
muscles, tendons, systèmes sanguins et nerveux, graisse. En
approfondissant cette métaphore du compositeur, on peut tisser des
parallèles entre ce qui constitue cette chair et le temps musical. En
musique, chaque temps (au sens de la pulsation) possède sa propre
décomposition, son propre tempo. Cette décomposition peut, au même titre
que le tempo, être constante comme variable. On pensera au swing des
jazzmen ou aux nombreux rythmes spécifiques des musiques
traditionnelles extra‐occidentales. De même, la manière dont différents
interprètes joueront les croches ou les doubles croches donnent un idée de
ce en quoi consiste la chair du temps, et pourquoi le paramètre d’élasticité
prend tout son sens à l’échelle de la pulsation.
Avant la musique contemporaine du XXème siècle, la chair du temps
n’était que peu recherchée et prise en considération par les compositeurs.
Elle était plutôt du ressort de l’interprète bien que les indications en italien
comme vivace, sostenuto, misterioso, con fuoco etc. donnent des indications
allant au‐delà de la simple vitesse qui incluent des notions du domaine de
la chair du temps. Désireux d’approfondir dans le domaine du temps, les
compositeurs plus récents se sont penchés sur le sujet du temps dans le
temps, celui qui peut varier à l’intérieur de chaque pulsation même lorsque
le tempo reste stable. On peut supposer que l’influence des musiques du
monde et des musiques afro‐américaines y est pour beaucoup, conjuguée à
un désir de renouveau dans tous les domaines théoriques lors de la chute
du système tonal.
Cependant, Grisey le dit lui‐même, « nous sommes partis de
domaines où l’action du compositeur était encore effective (le squelette du
temps) pour parvenir peu à peu à ceux où son action devenait plus
circonspecte, plus prudente (la chair du temps)144 ». L’influence du
compositeur reste donc limitée sur les caractéristiques temporelles régies
par l’intention humaine. Pour ce qui est de la peau du temps, Grisey
prévient : « nous entrons dans un domaine où le compositeur constate plus
qu’il n’agit145 ». Le compositeur possède une influence sur le squelette, car
il crée l’œuvre et reste donc maître de sa structure temporelle. L’œuvre
doit ensuite être interprétée, puis écoutée. Le temps faisant son affaire,
l’interprète impose son rythme à la chair du temps, l’auditeur à la peau du
temps. Le corps de l’œuvre lui‐même est assujetti à ces influences, mais le
temps est l’axe sur lequel le son vit et se construit.
La peau du temps couvre la chair et possède la même élasticité que
cette dernière. Elle l’accompagne dans tous ses mouvements et permet de
cacher et protéger les mécanismes internes du corps du temps. De plus, elle
est à l’extérieur du corps, et est de ce fait le seul élément de ce corps à être
en contact avec l’auditeur.
217
Lorsqu’on écoute, la présence du son n’est pas toujours évidente
dans sa temporalité. On entend l’instant présent, mais on entend encore ce
qui précède par un effet de mémoire, et on devine plus ou moins en avance
ce qui va être entendu. Grisey distingue ces phénomènes importants ayant
trait à la peau du temps : les phénomènes de mémoire et d’érosion du son,
le phénomène de perception. La perception humaine du temps étant sujette
à de nombreux paramètres extérieurs, le compositeur tient compte de cette
inconstance. Le fait de ressentir le temps passer très vite lorsqu’on est très
occupé, mais de se dire à la fin de la journée qu’elle fut interminable est un
paradoxe qui trouve des répercussions directes en musique. Le
compositeur dispose de différents outils pour manipuler cette perception.
Grisey pense que ce sont « de bien maigres moyens ». Il propose la
répétition d’un événement, qui aide à la mémorisation, le degré de
prégnance d’un son (un son fort et inattendu reste par exemple plus
longtemps dans la mémoire immédiate), l’attention au début et à la fin
d’une œuvre, ou encore la continuité lisse qui empêche la mémorisation. Il
nomme ce dernier processus de composition chronotrope146 .
La concordance entre le temps de l’auditeur et le temps de l’œuvre
est un facteur de grande influence sur la peau du temps. Grisey explique
que :
218
À la fin de sa vie en 1998, Gérard Grisey écrivit un texte qu’on a
retrouvé dans ses fichiers informatiques, qu’il a nommé « Vous avez dit
spectral ?148 », en référence au refus du terme spectral qu’il a manifesté
régulièrement au long de sa carrière. Il y revient sur les caractéristiques
principales de cette musique, qu’il appelle des « conséquences » de la
pensée spectrale. Il y récapitule que ce courant musical intègre tous les
sons (du bruit blanc au son sinusoïdal) et « l’harmonie et le timbre au sein
d’une même entité », en éclatant le système tempéré pour établir de
nouvelles échelles de rythme, de hauteur et de timbre. Le rythme a cédé la
place au temps, à la durée comme objet même de la forme musicale. Il
rappelle enfin que l’attitude des compositeurs est extrêmement attentive à
la phénoménologie de la perception, et que les matériaux et procédés
compositionnels utilisés sont volontairement neutres et souples, facilitant
la perception et la mémorisation des processus.
219
seraient propres au mouvement spectral, à partir de recherches
comparatives sur la pensée temporelle musicale de époque. Nous mettrons
ainsi à l’épreuve la compréhension de ce temps spectral dans l’analyse de
l’œuvre Tempus ex machina.
1. Temps différentiel
149 Emmanuel Kant : Critique de la raison pure, PUF, Paris, 1993, p. 63.
220
lumière est constante quel que soit le mouvement de sa source. Pour
prendre un exemple, la théorie de la mécanique classique explique que le
lâcher d’un objet sur terre alors qu’on est immobile, ou dans un train en
marche n’auront pas la même trajectoire, que l’on mesure depuis le
référentiel « train » ou depuis le référentiel « terre ». L’électromagnétisme
à l’inverse explique que la vitesse de la lumière est toujours constante dans
n’importe quel référentiel, donc n’obéit pas à cette règle. Le texte « Zur
Elektrodynamik bewegter Körper150 » jette les bases de la théorie de la
relativité restreinte et fait cohabiter ses deux principes en redéfinissant
l’espace et le temps : ceux‐ci deviennent dépendants de ces principes et
non l’inverse.
La relativité générale abandonne les qualificatifs d’absolus et
d’immuable pour désigner le temps. L’espace‐temps se déformerait avec la
présence de matière, et la manifestation de ce phénomène serait la gravité.
La pensée sur le temps prend donc un nouveau tournant et considère que
le temps peut se dilater ou se raccourcir. Mais si on abandonne
l’idée newtonienne du temps absolu, peut on toujours identifier un temps
cosmique ultime, celui qui serait la norme dans l’univers ? La théorie
cosmologique la plus souvent acceptée aujourd’hui est celle du Big Bang,
mais celle‐ci comporte toujours des énigmes non résolues : le temps de
Planck par exemple.
La direction du temps, ou la flèche du temps est aussi une question
assez récente de la recherche sur le temps. La plupart des phénomènes
macroscopiques se produisant dans le temps ont une direction temporelle.
Un objet que l’on casse, par exemple, est un événement que l’on ne peut pas
inverser dans le temps. Or à l’échelle microscopique, de nombreux
phénomènes montrent une réversibilité dans le temps lorsqu’on les
observe. De nombreux échanges entre particules sont des phénomènes
réversibles. Pourquoi le temps choisit‐il alors une direction, où l’on se
souvient du passé mais pas du futur ? La physique quantique tend à
expliquer que le temps s’écoule dans le sens de la complexification. De
même, le second principe de la thermodynamique explique que le sens du
temps est celui d’une entropie grandissante. La flèche du temps est le
concept dominant de la pensée moderne du temps. L’homme se crée
instinctivement sa propre flèche du temps, du passé vers le futur,
cependant nous sommes plus tournés vers les durées que vers la direction
du temps.
221
acceptée, comme fondement, nous permet d’organiser des tensions. La
musique est alors le devenir des sons151 ». Il se place alors clairement sur la
flèche du temps. La différence est perçue comparativement à ce qui est
entendu avant et après. La différence peut aussi être perçue simultanément
entre deux sons très distincts (par exemple très aigu et très grave). Si la
pensée spectrale se situe à la pointe de la recherche contemporaine, elle
peut être rapprochée de théories récentes quant à la conception
différentielle du temps. La perception se fait par analyse des différences
entre la succession de « clichés », ou instants de temps, qui montre
l’évolution de toute chose. Cette vision tisse des liens avec celle de la
physique quantique et des unités temporelles développées par Max Planck,
qui suppose que le temps serait la succession d’unités infiniment petites.
Le temps différentiel, dans le sens de la mise en œuvre musicale de
l’écriture pour percussion, pourrait être le temps qu’on conçoit aujourd’hui
en sciences, le temps physique objectif qui n’est pas forcément régulier,
mais sur lequel la perception humaine n’a pas d’influence. L’influence de
l’espace sur le temps existe, mais ce temps resterait celui que l’on mesure,
pas celui que l’on ressent.
2. Temps liminal
Paris 1986.
222
temporelle, immanente à l’œuvre en soi153 . » Par opposition avec les
moments acoustiques de l’œuvre musicale, Ingarden précise que ces
moments non‐acoustiques n’existent pas dans toutes les œuvres, mais que
parmi eux, certains sont des facteurs essentiels pour chaque œuvre
musicale en tant qu’œuvre d’art. Pour le phénoménologue, chaque œuvre
est en effet une succession de phases aux « qualités tonales et sonores, ainsi
que celles du bruit ». Ces phases constituent les moments fondamentaux
d’une pièce. Ils sont en effet premièrement le socle de l’existence de
l’œuvre, nécessaire à l’existence d’autres moments, d’autres objets
musicaux temporels. Cette existence prend forme au moment de
l’exécution de l’œuvre, lors du passage de la musique depuis l’abstrait vers
un son produit existant par lui‐même et audible par des individus. Dans un
second temps, ces moments donnent aussi lieu à une multiplicité d’entités
sonores dont l’œuvre est l’ensemble organisé, et qui dévoilent ses qualités
élémentaires. C’est l’espace temporel occupé par ces entités qui définit le
rythme interne de l’œuvre, et c’est leur succession dans le temps ainsi que
la succession des objets qui les composent qui impliquent que chaque
élément est suivi et précédé par un autre. La mémoire à court terme exerce
alors son influence sur le présent de l’écoute : chaque élément est
interprété dans le prisme du précédent et du suivant.
On remarque dans ce raisonnement que depuis l’idée de
différenciation de l’écoute qu’évoque Gérard Grisey, on peut
éventuellement remonter à celle du seuil, celui qui existe entre la
perception de détails et de global, celle de moments ou celle d’une œuvre
d’art. Ces questions furent déjà bien abordée chez Ligeti154 , cependant
Grisey se place sur un plan quelque peu différent. Si le temps est
intimement lié à l’idée de l’enchaînement d’événements musicaux se
succédant et permettant à la mémoire de catalyser le travail
d’interprétation par notre conscience d’auditeur, la notion de seuil est elle
plus délicate à placer dans le temps. Le seuil de perception existe dans la
plupart des sens humains. On ne voit plus deux éléments distincts mais un
seul lorsqu’ils sont trop petits et trop proches. Au niveau du toucher, on ne
sent pas sur la peau si on exerce un contact en un ou plusieurs endroits si
ces endroits sont trop proches. L’ouïe fonctionne de la même manière et
deux sons deviennent un seul timbre lorsque des fréquences partielles trop
proches se mélangent. Ce dernier point est d’ailleurs, on l’a vu, une des
raisons pour lesquelles Grisey qualifie sa musique de liminale. Cependant,
notre perception du temps est aussi sensible à ce phénomène : on
153 Roman Ingarden, Qu’est‐ce qu’une œuvre musicale, p. 109, Ed. Christian
Bourgois, Paris, 1989.
154 György Ligeti, « Musique et technique : Expériences personnelles et
223
distinguera deux événements différents s’ils se produisent successivement,
mais s’ils sont assez semblables et qu’ils se produisent à des moments plus
éloignés dans le temps, on ne verra plus les différences. On retrouve cette
idée dans la composition de variations sur un thème ou de motifs musicaux
par exemple. De manière plus évidente encore, il existe un seuil temporel
de vitesse à partir duquel un rythme très rapide devient une texture, un
continuum. Cela se produit dans l’écriture de traits instrumentaux très
rapides, comme des roulements, pour les percussions, mais aussi tous les
trilles, nuages de notes résonantes, etc.
La considération des seuils dans le temps d’une œuvre musicale
peut donc se faire à de nombreux niveaux. Mais même si peu de
compositeurs ont réellement beaucoup cherché dans ce sens, on observe
que la théorie de Grisey sur la notion de seuil dans l’écriture musicale
trouve souvent son équivalent du côté temporel. Pour tenter de formuler
cette théorie, mais appliquée au temps, il faut repartir de l’explication
originale de Gérard Grisey. Pour lui, sa musique peut être qualifiée de
liminale car il prend pour source de processus compositionnel la
conscience de trois seuils perceptuels qu’il a déterminé ainsi : le premier
est le seuil de fusion à partir duquel l’oreille ne fait plus la différence entre
les détails et le global. C’est le seuil à partir duquel l’approximation des
hauteurs composées est suffisamment précise pour permettre de percevoir
les partiels d’un spectre comme une entité propre, un timbre unique. Le
deuxième seuil est celui de proximité de fréquences induisant des
interférences dans le son. Comme deux fréquences très proches
provoquent des battements, il existe un seuil sous lequel ces battements
deviennent perceptibles en durées. Au‐delà, les durées sont trop courtes et
on reste dans le domaine des hauteurs, des plages de fréquences altérant le
timbre. Grisey suggère 20Hz pour la valeur de ce seuil. Le troisième seuil
est celui à partir duquel l’oreille a tendance à ne plus différencier deux sons
proches mais un son unique. Le phénomène témoigne de l’ « aura » du son :
c’est la répartition des harmoniques, l’intensité relative des partiels ou les
formants, les combinaisons et alliages qui forgent les caractéristiques de
cette aura. Grisey appelle cela « un degré d’ombre et de luminosité155 ».
Pour lui, ce seuil opère au niveau temporel dans le sens où il est un seuil
minimal de transition entre un son et le son suivant. Il en arrive à la
conclusion que comme chaque composante rayonnante d’un son peut être
mise en valeur, actualisée pour constituer le son suivant, chaque son
engendre le suivant, et que la génération est instantanée. Cela remet en
question pour lui la conception de cellule, de thème ou de série comme
élément musical, mélodique mais pas uniquement. Le principe
224
compositionnel de développement cède la place à celui de processus, et le
matériau devient la préoccupation principale de l’écoute. Chaque aura
présente un choix de devenirs possibles, le matériau sonore devient
évolutif, il « devient le devenir156 ». Le pôle central devient le présent du
son et ce vers quoi il va, plutôt qu’un point d’ancrage situé généralement en
début de pièce. De plus, une sorte de continuité émerge lorsque le
compositeur travaille sur toute la durée de la pièce, dans tous les moments
possibles en même temps. Ce dernier possède un pouvoir qu’il lui faut
parvenir à contrôler : chaque geste créatif entraîne une réaction en chaîne.
Dans ses Écrits, le compositeur énonce ces principes en commençant
par celui qui est exposé ici en deuxième, le seuil de 20Hz. Nous avons
commencé par évoquer le seuil ayant trait à la fusion des partiels en un
timbre unique car il présente moins de caractéristiques temporelles. On
peut certes lui en trouver, comme le fait que la fusion peut être facilitée par
un temps d’exposition plus long, mais ce sont plutôt les deux autres seuils
qui présentent le véritable temps liminal que nous voulons mettre à jour.
En effet, le seuil de 20Hz en dessous duquel existent des interférences se
transformant en pulsation audible montre une dépendance totale du
timbre et du temps. C’est la conséquence directe du fait que les fréquences
ne soient physiquement que des durées d’oscillation. Le troisième seuil est
lui aussi lourd de conséquences temporelles, car il est au final
pratiquement celui à partir duquel on arrive à la limite d’un son pour
entrer dans le son suivant, celui à partir duquel notre sens auditif et la
cognition de celui‐ci comprend une nouvelle entité. Si on ajoute à ces deux
seuils temporels celui, phénoménologique, de l’existence du sonore en tant
qu’œuvre musicale, nous avons à notre disposition de nombreuses sources
d’inspiration et d’innovation pour la composition.
3. Temps transitoire
156 Ibid.
157 Ibid., p. 52.
225
Comme Grisey se place dans le temps directionnel, celui de la
biologie, de l’histoire et du drame, il s’intéresse au processus transitoire et
à son interpolation. En physique, l’état est dit transitoire si une variable du
système évolue rapidement avec le temps. L’interpolation, en
mathématiques, est la création de courbes ou de fonctions à partir d’un
nombre fini de données. Ces deux notions lui semblent être la clé qui va lui
permettre d’atteindre la continuité tant recherchée, celle qui est aussi
présente et atteignable par les seuils et les périodes. L’objet, le moment
sonore est plus aisément observable par un grossissement à l’extrême de
l’espace et du temps, et permet au compositeur d’obtenir des processus
formels pour la création. Mais il s’aperçoit que l’objet sonore n’est déjà rien
d’autre qu’un processus extrêmement contracté. Le temps du processus
qu’il crée est un temps différent de celui qu’il observe, la composition
devient donc une projection du réel, un espace naturel composé sur une
trame de fond artificielle, un écran récepteur. Ceci amène l’avantage de
pouvoir projeter sur cet écran une image déformée : « il est à la fois miroir
déformant, focalisateur, multiplicateur, sélecteur, ‘’corrodeur’’, etc.158 »
Grisey propose des catégories formelles basées sur le concept de transition.
Il explique qu’il ne veut ni rectifier la nature des sons, ni singer leur
comportement. Il propose plutôt une dérive de l’imagination ou tout est
possible. Les trois catégories qu’il définit sont la « transition par mixage »,
le « changement d’échelle » et la « métabole des systèmes d’écriture ».
La première catégorie est la manière de procéder la plus simple.
L’utilisation du tuilage permet de faire apparaître ou disparaître deux sons
différents au cours du temps. La seconde catégorie de transition utilise le
passage d’une échelle microphonique à une échelle macrophonique. Ce
phénomène opère lorsque l’on passe de l’observation des harmoniques
d’un son instrumental à la réalisation par tout un orchestre du spectre
observé. Dans Tempus ex machina par exemple, on passe au début du
spectre de la grosse caisse et du tambour de bois (simples, originels), à
celui de l’agrandissement et de l’étalement maximum du spectre de ces
mêmes instruments. La troisième catégorie ressemble à la deuxième, à ceci
près que l’échelle macro‐ à microphonique est remplacée par l’échelle des
systèmes d’écriture, par « métabole progressive ». Le compositeur décrit
ainsi ce procédé, utilisé dans Modulations du chiffre 31 au chiffre 44 :
226
échanges et les mouvements de cellule de ce même
visage159 .
227
émerge la forme et la moindre erreur est fatale !160 » Lassé de ne trouver
habituellement dans les pièces pour percussions que du travail sur les
timbres, il voudrait par cette démarche s’occuper du langage temporel
avant tout. Le parcours global de la pièce, qui dure un peu plus de vingt
minutes est un lent cheminement depuis la macrophonie jusqu’à la
microphonie. D’une séquence initiale périodique, on plonge en suivant les
méandres des accélérations et des décélérations vers l’intérieur du son. Le
temps se dilate tout au long de Tempus ex machina. Le but est de grossir les
son comme par un « microscope auditif » pour entendre son intérieur, son
grain, sa matière. Les derniers coups de grosse caisse et de tambour de la
pièce sont les mêmes événements que ceux qui sont entendus au tout
début, mais dilatés à l’extrême, ce qui permet d’entendre les sons entre les
impacts, reconstitués par les modes de jeu de l’interprétation. Transitoires,
harmoniques, partiels, battements, la chair du son est écrite sur la
partition. Le but du compositeur est de nous emmener à considérer un
battement périodique pour son essence même, car pour lui, la fin du voyage
se situe « de l’autre côté du miroir161 ».
Nous avons déjà entamé l’analyse formelle de Tempus ex machina au
chapitre 2, et nous avions à ce moment‐là expliqué de nombreuses
caractéristiques générales de la pièce, sans entrer dans le détail des
différentes sections. L’œuvre est construite sur l’idée première de
l’exploration de la sonorité d’un coup de grosse caisse pur. Par une
structure sinueuse, la pièce emmène l’auditeur de l’écoute d’un son de
grosse caisse dans sa nudité la plus pure, jusqu’à l’écoute du spectre de ce
son recomposé, étalé à l’extrême, par l’orchestre des six interprètes qui
réinventent l’architecture et jouent des transformations des moindres
détails de la sonorité.
228
sur mi, do, la, fa#, ré, et sib. Tous les percussionnistes ont un tambour de
bois, une caisse claire, un gong et un tam‐tam, ainsi que des peaux de
différentes hauteurs et caractéristiques timbrales, telles que grosses
caisses, toms, tambours ethniques, etc.
Percussion 1 :
Tambour de bois : ‐ côté aigu
‐ côté grave
5 Tom‐toms
Grosse caisse (très grave)
Caisse claire
Gong
Tam‐tam
Percussion 2
Tambour de bois : ‐ côté aigu
‐ côté grave
5 Tambours chinois
Caisse claire
Gong
Tam‐tam
Percussion 3
Tambour de bois : ‐ côté aigu
‐ côté grave
5 congas
Caisse claire
Gong
Tam‐tam
Percussion 4
Tambour de bois : ‐ côté aigu
‐ côté grave
5 Roto‐toms
Caisse claire
Gong
2 Tam‐tams
Percussion 5
Tambour de bois : ‐ côté aigu
‐ côté grave
5 Boo‐bams
Timbale (grave)
229
Grosse caisse (grave)
Caisse claire
Gong
Tam‐tam
Percussion 6
Tambour de bois : ‐ côté aigu
‐ côté grave
5 Bongos
Tambour de bois africain très grave : ‐côté aigu
‐côté grave
Timbale (moyenne)
Caisse claire
Gong
Tam‐tam
230
Fig. 2 : Description des symboles et des baguettes dans la
partition de Tempus ex machina de G. Grisey.
231
592 395
296 237 197 168
148 118 99 84
74
Fig. 4 : Tableau représentant les durées des parties
principales dans Le Noir de l’étoile de G. Grisey.
232
Fig. 5 : Partition de Tempus ex machina de G. Grisey (chiffre 13).
233
Les durées des voix suivent aussi une progression géométrique, de
168/n, l’entier n prenant les mêmes valeurs que précédemment (de 3 à 8).
Ainsi, la première voix enchaine 56, 42, 34, 28, 24 et 21 pulsations
(souligné sur le tableau représenté figure 6). En divisant les durées par 2,
puis en itérant le processus, Grisey établit un schéma de l’évolution
temporelle de la pièce162. On peut représenter ces valeurs dans un tableau
où, comme précédemment, la fonction f(x)=x/2 s’observe en descendant
par ligne, et où les valeurs petites sont arrondies, ici à 0,25 près. Une fois
les premières valeurs déterminées, les autres peuvent être complétées
géométriquement, et le compositeur dispose alors de nombreuses données
pour la création.
192
168 136 112 96
84 68 56 48
42 34 28 24
21 17 14 12
10.5 8.5 7 6
5.25 4.25 3.5 3
2.5 2 1.75 1.5
1.25 1
Chaque section de l’œuvre est ensuite construite sur ces durées. Les
esquisses de Grisey expliquant ces processus seront étudiées plus en détail
dans le chapitre sur le temps et sur Tempus ex machina. Nous détaillerons
les autres sections de l’œuvre au cours desquelles le plan total de l’œuvre
peut s’accomplir et montrer comment Grisey manipule les différents plans
de temps. En conclusion temporaire, remarquons que même s’il y a un
traitement de spectres dans cette œuvre, à savoir celui du coup de grosse
caisse initial, l’attention formelle est portée de manière plus importante sur
le traitement spectral, au sens où les processus font partie intégrante de la
définition de ce qu’est la musique spectrale pour Gérard Grisey. Le corps du
temps du son de grosse caisse doit être exploré, donc recréé à grande
échelle pour nous permettre d’y pénétrer mais au delà, les processus de
reconstruction doivent établir des lois temporelles qui permettent aux
phénomènes fréquentiels de se reproduire dans un temps étalé. Les
234
hauteurs ne sont pas représentées, et la délimitation stricte de la famille
timbrale mis en œuvre permet une meilleure compréhension par l’auditeur
de la forme et de ces processus. Certains processus restent cependant
indécelables par simple écoute analytique, même si le compositeur avait
souhaité l’inverse : seule l’analyse de la partition et des esquisses
préparatoire à la composition permettent de mettre à jour le cheminement
formel.
235
sonore et les différences entre les niveaux de temps prennent tout leur
sens dans ces méandres de périodicités, d’accélérations, décélérations et de
tempi multiples. Le jeu qu’il exerce sur les rapports entre des objets
semblables et des objets transformés se place dans le cadre d’un discours
différentiel et transitoire. Ses trois fameux adjectifs périodique, liminal et
transitoire trouvent ici des échos dans chaque mouvement, chaque mesure,
chaque note. Si nous entendons aisément le côté périodique du temps dans
les niveaux les plus facilement perceptibles du déroulement temporel, le
seuil est une limite que l’on ressent constamment, parfois repoussée,
parfois franchie dans les rapports sur la perception des différences entre
les sons, dans le plan spatial de l’écoute, à savoir si l’on est plutôt
spectateur du son de l’intérieur ou de l’extérieur.
Comme l’a montré Jérôme Baillet dans son analyse163, et comme
nous l’avons détaillé plus haut, toute la structure de l’œuvre est basée sur
des durées dont les valeurs sont définies par d’assez simples suites
mathématiques. Cette apparente simplicité se voit prendre une envergure
bien plus complexe lorsque plusieurs de ces formules agissent en même
temps pour créer des événements musicaux sublimement alambiqués,
comme ce premier mouvement où les percussionnistes jouent tous à des
tempi différents, et où après de nombreuses convergences temporelles
entre les voix, s’approchant de plus en plus les uns des autres, les
interprètes finissent par se retrouver en phase dans un mouvement de
transition d’une parfaite fluidité. Grâce aux esquisses préalables à la
composition que rédigeait Grisey, et qui se trouvent aujourd’hui à la
fondation Paul Sacher de Bâle, nous pouvons observer clairement le
cheminement que le compositeur a réalisé pour définir ses durées. Voici en
figure 7 un document qui montre les correspondances arithmétiques
utilisées pour l’obtention des valeurs.
Ce document est un tableau qui a sans doute pu servir au
compositeur de référence pour la création de ses objets rythmiques. Il
permet de facilement retrouver à quel rythme correspond quelle valeur
numérique ou à quelle durée va correspondre une valeur dans tel tempo.
Au cours de la composition, le tableau permet de savoir quelle
décomposition de la pulsation il faut utiliser pour obtenir les combinaisons
rythmiques au bon tempo, dans le rapport proportionnel voulu. Nous
détaillons ce tableau un peu plus précisément ci‐après, car il permet de
comprendre comment la suite de nombres entiers définie au départ permet
de conserver une influence sur tous les paramètre temporels. Nous
reviendrons souvent dans l’analyse aux correspondances figurant sur ce
document.
236
Fig. 7 : Tableau des durées
périodiques de la pièce,
esquisse de G. Grisey
237
La suite de valeurs principale de la pièce est 3, 4, 5, 6, 7, 8. On voit
dans ce document que Grisey définit 18 durées proportionnelles qui vont
de la division d’une croche par 8 (quadruple croche) à une division d’une
ronde par 3 (triolet de blanche), avec tous les intermédiaires de division
par 4, 5, 6 et 7 Il nomme ces durées selon un schéma de notation composé
d’un chiffre et d’une lettre, où la lettre correspond à la durée qui est divisée
(numérateur), et le chiffre correspond au nombre de subdivisions
(dénominateur). Pour expliquer avec un exemple, la lettre A correspond à
une ronde, donc l’appellation 4A signifie que l’on divise une ronde en 4, et
désigne donc les noires. L’appellation 5A signifie que l’on divise une ronde
en 5 parties égales. La lettre B équivaut à une blanche, donc l’appellation
4B équivaut à 4 croches. Il utilise des lettres romaines lorsqu’il diminue la
durée du numérateur (ronde = A, blanche = B, noire = C et ainsi de suite)
mais il utilise des lettres grecques lorsqu’il augmente cette même durée.
Deux rondes donnent α, quatre rondes donnent β ; l’appellation 4α donne
donc des blanches, et 7β donne par exemple une correspondance d’un
septolet sur quatre mesures à quatre temps, donc un peu moins de deux
notes par mesure.
Les valeurs des tempi sont trouvées par le même procédé, à partir
de la suite de nombres entiers. Il suffit d’utiliser un facteur 15 : 15 multiplié
par 3 donne 45, 15 par 4 donne 60 et ainsi de suite jusqu’à 120. Les
percussionnistes étant au nombre de six, Grisey montre une
correspondance avec six durées consécutives de ce tableau, de la division
de la ronde par 3 (6α, ce qui serait la même chose que 3A ; Grisey note 3α
sur le tableau, mais nous aurons compris la logique sous‐jacente. L’erreur
tient plutôt du fait que ces notes étaient personnelles et pas destinées à
être étudiées), jusqu’à la division de la blanche par 4. Les groupes 6α, 4A,
5A, 6A, 7A et 4B donnent les tempi utilisés, qui correspondront à l’écoute et
resteront proportionnels, tout en installant des décalages temporels
inédits. La correspondance avec les tempi se fait ainsi : si la noire est égale
à une seconde, donc 60, la subdivision 4A correspond au tempo de 60. A est
donc égal à 15, car 4 x 15 = 60. De même, 6α est égal à 45, donc α est égal à
7,5. On trouve également que B est égal à 30, C à 60 et D à 120.
Cependant, Grisey veut que ces données numériques régissent
l’œuvre dans sa totalité structurelle, et voudrait faire en sorte que tous les
paramètres temporels soient dépendants de ces valeurs. On voit dans la
deuxième colonne qu’il prend comme durée correspondant à la noire le
nombre 42. La blanche vaut donc 84, la ronde 168. Il définit de la même
manière des valeurs pour toutes les durées possibles des subdivisions de la
mesure à 4 temps. Pour cela, il divise 168 par les différents nombres
entiers de cette suite. Le triolet de blanche, par exemple, divise la mesure
par 3, ce qui donne 168/3 = 56. En commençant la série des valeurs par
celle‐ci, les suivantes sont donc logiquement 168/4, 168/5 etc. Il en retire
une seconde série de nombres, qui, en commençant au même endroit que
238
pour les tempi, à savoir 3A, donne la série 56, 42, 34, 28, etc., qu’il arrondit
à 0,25 près lorsque les nombres deviennent trop petits. Comme nous allons
le voir, ces valeurs lui serviront pour construire les durées de toute la
pièce. On remarque sur l’esquisse que Grisey, par souci d’accomplissement,
a noté des valeurs dont il ne se servira pas, et que celles‐ci notamment en
allant dans le sens vers la nomenclature en lettres grecques, ne sont pas
inscrites dans la continuité logique. Le compositeur a sûrement commis
une erreur de notation en bas de la colonne du milieu, sur les traits plus
fins : la valeur 84 devrait correspondre à 4α et non 4β. De même, les
valeurs sont multipliées deux fois trop vite dans le groupe β : 6β devrait
correspondre à la valeur 112 et 4β à la valeur maîtresse 168 (et par
déduction 7β = 96 et 5β = 134,4).
239
Fig. 8 : Schéma formel de Tempus ex machina, esquisse de Gérard Grisey.
240
241
Fig. 8 : Schéma formel de Tempus ex machina, esquisse de Gérard Grisey.
242
Par ailleurs, on peut se demander, d’après la suite d’entiers
originelle, où est passé le mouvement qui dure 1185/8, soit 148 secondes.
Il n’existe pas, cependant il existe bien une coda de 24 secondes pour finir
la pièce. On sait que la pièce démarre par des coups de grosse caisse, joués
à une échelle d’écoute humaine normale, c’est‐à‐dire simplement pour leur
son pur, non modifié. Ce coup de grosse caisse est répété plusieurs fois, au
tempo de 45 à la noire, avant que le deuxième percussionniste rentre, à 60
à la noire dans une correspondance rythmique de rapport 45/60, c’est à
dire 3/4. Le dernier mouvement de l’œuvre, quant à lui, représente des
coups de grosse caisse dilatés, dont la durée est bien plus étalée, où les
percussionnistes retranscrivent la composition de l’ « intérieur du son » de
ces coups de grosse caisse. Le processus que met en place Grisey est donc
un processus de grossissement temporel. Si on assigne à la durée d’une
noire à 60 (durée = 1 seconde) une valeur de 42, lorsque ces valeurs
deviennent des secondes, la noire dure 42 secondes. Lorsqu’on fait varier le
tempo par incréments de 15 battements par minute, on reste
proportionnel à ces valeurs assignées. La noire à 45 prend alors une durée
de 56 secondes, celle à 75 une durée de 34, et ainsi de suite. Cela permet à
Grisey de translater des noires, dans des pulsations proportionnelles vers
un référentiel de durées en secondes. Le dernier mouvement, sur le schéma
formel de la figure 8, montre qu’il est subdivisé en trois parties de 56
secondes. On suppose, d’après les explications de Grisey ainsi que par la
confirmation de l’analyse de Jérôme Baillet, que ces parties sont trois coups
de grosse caisse, étalés sur 56 secondes chacun. Grisey explique en effet,
sans trop s’attarder sur les détails, « ce lent parcours de la macrophonie
vers la microphonie détermine la forme de Tempus ex machina, véritable
machine à dilater le temps, dont l’effet de zoom nous laisse peu à peu
entrevoir le grain du son, puis sa matière même164. »
243
deuxième percussionniste entre au bout de 145 secondes et joue pendant
240 secondes. Il joue donc 240 pulsations à 60 à la noire. Le troisième joue
pendant 160 secondes à 75 donc 200 pulsations, le quatrième 110
secondes à 90 donc 165 pulsations, et de la même manière le cinquième
joue 140 pulsations et le sixième 120 pulsations. Grisey fait entrer tous les
percussionnistes, sur des rythmes très simples, de noires principalement,
mais ceux‐ci sont complètement hors phase. La synchronisation des
phases, qui arrive comme la conséquence de la périodicité longue de la
fabrication arithmétique proportionnelle, a lieu à la fin de la durée du
grand cycle. La durée de chaque cycle individuel est multiple de ce cycle. Ce
point marque la fin de la section et le début de la suivante.
La deuxième grande partie commence au chiffre 14. Le tempo
devient 120 pour tous les interprètes. À chaque pupitre est assignée une
des six valeurs rythmiques les plus élevées définies dans le tableau de la
figure 7, sauf pour le premier qui joue une valeur en dessous, ce qui permet
de jouer des sextolets au lieu de septolets de croches. Ces valeurs sont 4E,
7D, 6D, 5D, 4D et 6C (au lieu de 7C pour le premier percussionniste). Nous
avons présenté figure 9 les premières mesures de cette deuxième section.
244
• Cet exemple est accompagné d’un extrait audio.
Voir la plage n° 19 du disque joint à la thèse :
Début de la deuxième section de Tempus ex machina.
245
un processus de variations des vitesses de pulsation. Il dissocie des
paramètres comme la vitesse, le tempo et la pulsation. La sonorité est
uniquement constituée de roulement de caisses claires. Elles marquent des
accents pour exprimer leurs pulsations personnelles, et révèlent leurs
différents tempi. De plus, les tempi étant progressifs dans le sens du
premier au sixième percussionniste, comme dans le premier mouvement,
le développement du son a lieu en tournant dans l’espace scénique. Les
périodes ondulatoires que met en place Grisey sont délimitées par des
coups de gongs et de tam‐tams, ce qui rend leur perception plus aisée. Cette
ondulation est appliquée notamment au paramètre du tempo. Chaque
phase démarre par un ralentissement du tempo, suivant les valeurs de la
série des tempi définie plus haut, par multiples de 15, de 7,5, voir de 3,75.
Un peu plus tard, le tempo remonte, pour être interrompu par un coup de
gong. Une nouvelle phase commence alors et l’ondulation recommence une
période par un ralentissement. Le point le plus lent diminue avec chaque
ondulation, le point le plus rapide également, pour se diriger
progressivement vers l’immobilité. La dernière phase est au tempo de 15 à
la noire. Commence alors une phase de transition annonciatrice de la
quatrième partie de la pièce. Ces phases ondulatoires sont au nombre de
sept, et leur durée est calculée ici encore par la série régissant toute
l’œuvre. Les durées sont 56, 42, 34, 28, 24, 21 et 17 secondes, qui sont
celles associées aux valeurs rythmiques de triolet de blanche, noire,
septolet de blanche, triolet de noire, quintolet de blanche et croche.
246
d’intensité croissante. La section D’ présente en revanche trois phases
d’intensité maximale, presque égales entre elles. Cette division entre D et D’
ne se perçoit pas véritablement à l’oreille, mais Grisey la note dans le
schéma formel, et elle est naturelle au niveau des durées globales définies
pour les grandes parties par la série harmonique dérivée de la suite de
nombres entiers originelle, à savoir 1185/3, 1185/4 etc. jusqu’à 1185/8.
On ne distingue pas non plus véritablement à l’oreille la rupture entre la
phase de 48 secondes, dernière de D, et la première de 56 secondes. Nous
voyons donc à partir de cette analyse des critères temporels que des
données, toutes issues de la même série numérique, engendrent tous les
paramètres de l’architecture formelle de la pièce.
247
248
Fig. 10 : Schéma formel du matériau compositionnel de
Tempus ex machina, esquisse de G. Grisey.
249
s’inverser. Les oscillations dont nous parlions un peu plus haut, qui se
développent pendant la troisième partie, sont, on l’a vu, mises en
application grâce à des variations de tempi, ainsi que des variations
d’intensité. On voit désormais que ces oscillations ont aussi lieu dans
l’espace : à chaque période correspond donc un cycle de rotation. Au début
de chaque période, lorsque le tempo diminue, les accents tournent dans un
sens. Lorsque le tempo remonte vers le début des périodes suivantes, le
sens de rotation est opposé et a lieu dans le sens des aiguilles d’une
montre. Les percussionnistes jouent ici aussi des subdivisions rythmiques
basées sur la suite d’entiers 3, 4, 5, 6, 7 et 8. Les gongs et tam‐tams
marquent les débuts des périodes, et tournent aussi aux différents
pupitres. Il y a sept périodes : la première est marquée par un tam‐tam sur
le premier temps du quatrième percussionniste. La suivante est marquée
par le troisième, puis le second, le premier, le sixième, et de cette manière
le début de la septième période est marqué de nouveau au quatrième
pupitre. Cette période, indiquée à 30 à la croche, présente le tempo le plus
lent de la pièce. L’oscillation atteint presque l’immobilité, et la grande
accélération du chiffre 39 montre une fin de septième période qui ne suit
pas la logique de descente à tous les niveaux caractérisant la section. C’est
une transition vers la suite, sous la forme d’un son percussif inversé et
étalé sur quelques mesures, ou bien d’une attaque molle très ralentie. Il est
également possible que cette phase soit purement esthétique, pour amener
les sonorités de la dernière grande partie de la pièce. Sur le schéma de la
figure 10, cette section de transition n’est pas décrite, de même que la
quatrième partie de la pièce, qui est très sommairement abordée : on voit
seulement les trois coups durant 56 secondes de la cinquième phase
formelle. À trois périodes de la fin de cette troisième partie, Grisey indique
l’apparition de gongs pour marquer le début des cycles, permettant des
sonorités plus douces en accord avec la forme. Il note aussi « Étaler les
transitoires », et décrit les silences qui ont lieu dans les moments les plus
lents des périodes comme « habités », ce qui se traduit en roulements très
peu forts sur la grosse caisse et les gongs. En pratique, les accents
ralentissent suivant les calculs compositionnels tirés des suites de départ,
et la dissociation du tempo, de la densité, de la rapidité des traits et de
vitesse du temps perçu est totale. Sous les transitoires, le son tend vers la
continuité, les graves sont de plus en plus indifférenciés et la dernière
phase se conclut par la concentration de cette continuité dans une
accélération logarithmique vers le bruit blanc qui finalement se termine
par un court silence avant d’exposer les sonorités de grosses caisses
éclatées, reflets microphonique de la grosse caisse seule qui démarra la
première section.
La quatrième section est annotée, à l’image d’une sonorité de grosse
caisse pure : « Très souple, chercher jusqu’à la fin un son parfaitement
homogène ». Grisey précise aussi que les aigus des gongs et tam‐tams
250
doivent être limités pour ne pas provoquer d’événements trop extérieurs à
l’univers spectral de la grosse caisse. Les premières mesures de la section,
montrant le déroulement de la première sonorité de grosse caisse (sur les
neufs qui constituent le mouvement) sont présentées figure 11.
251
À titre de comparaison nous présentons un spectre de grosse caisse
obtenu via le logiciel SPEAR, en figure 12. Celle‐ci présente l’évolution des
partiels du spectre d’une grosse caisse d’orchestre sur deux secondes, et
jusqu’à 3500Hz. On voit nettement sur celle‐ci que les partiels de la grosse
caisse, lors de l’attaque, n’arrivent pas tous à l’instant t=0. Certains sont
engendrés par des résonances qui mettent quelques millisecondes à se
développer. On distingue plusieurs points importants sur ce spectre de
grosse caisse : premièrement, les fréquences aiguës mettent moins de
temps à s’éteindre. Deuxièmement, la majeure partie des partiels
inharmoniques graves arrive après l’attaque. Troisièmement, on distingue
une périodicité dans le son, d’une période d’environ 0,275 secondes, ce qui
est un phénomène oscillatoire dû aux vibrations de la grosse caisse.
252
Fig. 13 : Zoom et isolement de la fréquence fondamentale du spectre de
grosse caisse visualisé sur SPEAR.
253
Tout n’est qu’évolution et déploiement d’harmoniques et de partiels
dans l’espace. Chaque instrument joue une composante du spectre de
grosse caisse, propre et majestueux, l’auditeur peut se perdre dans les
méandres de la sonorité et de son architecture. La coda consiste en quatre
courtes déflagrations périodiques, sur des sonorités dominées par les très
éclatants tambours de bois. Ces périodes ressemblent à l’agrandissement
de quatre doubles‐croches de tambour de bois et servent de clôture
dynamique à l’œuvre. Cela procure un relâchement, qui advient pendant le
silence final, et qui est plus appréciable car les coups de grosse caisse étalés
de la dernière section semblent ne jamais finir. Lorsqu’un spectre s’éteint, il
y en a toujours un qui recommence. Les silences à la fin de ses spectres
sont donc emplis de tensions, alors que les quatre mesures ffff de la coda
annulent cette tension en permettant à notre perception de se détacher de
ce qui vient de se passer. On ne sait pas si on est plus secoué par le silence
final ou par les quatre explosions que l’on vient d’écouter. A moins que cela
ne soit des agrandissements de grosses caisses dont on est encore sous le
choc ?
254
rythmique et temporelle scrupuleusement tirée de séries mathématiques
dérivées de la suite d’entiers 3, 4, 5, 6, 7, 8. Pour cela, Grisey définit toutes
les valeurs rythmiques de toutes les notes de toutes les voix pour la durée
entière de la première partie, avec la série qu’on a vue plus haut :
255
synchronicité comme par miracle. En réalité, c’est par la synchronisation
des deux processus que nous venons de décrire. Celle‐ci est décrite dans le
tableau de la figure 14. Pour effectuer cette synchronisation, Grisey fait des
tableaux de correspondance des données des deux processus : d’une part
les durées des phases pulsationnelles et d’autre part les durées des deux
types d’objets. Ces reproductions sont des copies des tableaux qu’a fait
Grisey, que nous avons réalisées à la main. On voit sur ce tableau comment
le matériau rythmique est déterminé à chaque subdivision de la première
partie de la pièce, et pour chaque pupitre. Les six lignes du tableau sont les
six voix, avec leur tempo. Les colonnes sont les 18 valeurs de la suite
numérique utilisée comme processus. Pour chaque ligne, la hauteur
représente la durée des objets : les données relatives à la grosse caisse se
trouvent en haut et celles au tambour en bas au début, à la fin elles se
rejoignent au milieu. Pour chaque section dont le nombre de pulsations est
déterminé par la suite, Grisey va chercher les cellules rythmiques
correspondantes dans le premier tableau (figure 7). Celles qui sont, on l’a
vu, dénommées 4A, 6C, 7D, etc. Il fait en sorte d’attribuer pratiquement la
même série numérique aux rythmes internes des objets graves qu’aux
durées de chaque phase. Les objets bois suivent en revanche la série
rétrogradée.
256
Fig. 14 : Tableau de processus de la première partie de
Tempus ex machina de G. Grisey.
257
Le côté créatif de la composition entre en jeu à ce niveau, car Grisey
inverse ou combine certaines valeurs, comme les 4A et 3A (noires et
triolets de blanches) qui débutent la pièce, mais le déroulement global est
dans le sens décrit ici. Le nombre d’événements, c’est à dire le nombre de
frappes par phase, découle, lui, de ces deux paramètres. On voit dans la
partition conducteur que la notation de ces désynchronisations
proportionnelles poserait problème avec une notation classique : les
parties individuelles ne sont pas dépendantes des autres tempi, l’auteur
laisse les interprètes jouer au tempo qui leur est indiqué
proportionnellement aux autres parties. Dans la notation de Tempus ex‐
machina, cela permet à Grisey d’adapter son écriture à la temporalité de
l’oeuvre.
258
Fig. 15 : Tracé millimétré de la notation dans Tempus ex machina,
de quelques mesures avant le chiffre 6, à un peu après le chiffre 9.
Esquisse de G. Grisey.
259
des traits « le plus rapide possible », des roulements « très irréguliers »,
des lettres pour désigner la position de la frappe sur l’instrument (B au
bord, O ordinaire, C au centre) ou encore des signes pour étouffer
l’instrument avec la main, avant ou après avoir joué.
Ces conventions pour la notation sont complétées par la symbolique
des différentes baguettes utilisées pour obtenir diverses sonorités sur les
instruments. Ces baguettes été décrites plus haut dans ce chapitre. Leur
notation s’inscrit dans un style droit et strictement millimétré qui
contribue par impression visuelle à imposer une rigueur rythmique plus
grande encore aux interprètes. Dans ce sens, la qualité de l’écriture de
Grisey brille car elle parvient à combiner la rigueur temporelle
mathématique à une démarche visant la facilité de compréhension par
l’interprète, ainsi qu’à une préoccupation très grande pour la cohérence de
la perception par l’auditeur.
260
Fig. 16 : Tableau de la répartition des fonctions acoustiques aux
différents pupitres dans la quatrième partie de Tempus ex machina de
G. Grisey.
261
Fig. 17 : Début de la dernière période de 56 secondes de la
quatrième partie de Tempus ex machina de G. Grisey.
262
par l’opération 168/n (168/3 = 56, 168/4 = 42, etc. jusqu’à 168/8 = 21).
Concernant le nombre d’événements par phase, Grisey prolonge la série en
partant de 8, pour arriver à 24 (168/8 = 21, 168/10 = 17, 168/12 = 14,
168/14 = 12, 168/17 = 10, 168/21 = 8, 168/24 = 7). Il est à noter que dans
ce cas, les valeurs de la série sont arrondies à l’entier près, car l’unité
considérée ici est l’événement, qui n’est pas divisible. Dans cette dernière
phase de 56 secondes, le nombre d’événements est donc de 21. Grisey
utilise selon son processus 21 instruments différents, qui auront tous une
fonction acoustique du spectre de grosse caisse assignée. Ces fonctions se
présentent comme des objets sonores : frappes simples accentuées et
résonantes, ou roulements évolutifs en nuances, en hauteur et en temps.
Nous pouvons observer facilement la concordance entre les figures
16 et 17. Par exemple, sur la première ligne de la partition, on voit bien que
le roulement sur la conga 2 et le roulement évolutif apériodique du
troisième percussionniste est déterminé sur le tableau. Ces objets sonores
globalement répartis reconstituent le maximum des fonctions acoustiques
des partiels du spectre originel. Grisey les place ensuite dans le
déroulement temporel, et orchestre des différences entre les phases.
Chaque coup de grosse caisse est en effet unique et le compositeur a
recours à des permutations pour modifier les sonorités. Certains
instruments se voient échanger de fonctions acoustiques pour faire
entendre différentes harmoniques et différentes interactions entre les
alliages sonores.
V. Conclusions
263
temps multiples a un poids plus important encore dans le travail. Le temps
influe souvent sur les spectres, mais les spectres n’influent jamais
directement sur le temps. Les spectres peuvent être définis et translatés en
valeurs temporelles, mais le temps ne peut pas être défini par des valeurs
spectrales. En somme, le temps préexiste au spectre : il peut exister un
temps sans spectres mais l’inverse est impossible. Les spectres sont des
objets d’inspiration pour Grisey, à la manière des modèles pour les artistes
plastiques. Ils sont du domaine du signifié mais restent par là même en
dehors de la composition. Le temps est le véritable matériau du
compositeur. Cependant, c’est bien dans l’observation de spectres qu’il
trouve des données temporelles qu’il transfèrera en musique, et cela lui
paraît la manière de procéder la plus valable, car tous les sons sont
composés, au niveau micro, d’une multitude de fréquences qui peuvent être
uniquement définies par des paramètres temporels.
Les percussions permettent dans ce cadre de composer le temps de
manière très spécifique. Les instruments de cette famille représentent
chacun un modèle spectral, selon qu’on s’intéresse seulement aux
fréquences fondamentales (la série harmonique le plus souvent) où à des
plages de formants, voir de bruits. Leur timbre est défini par des
caractéristiques sonores à l’échelle de l’audition et de la perception
humaine. Mais surtout, leur côté rythmique, favorisé par leur
monotimbralité générale et par leur jeu instrumental gestuel et souvent
percussif, axe leur langage sur la fabrication d’ondes sonores que le
compositeur peut plus facilement influencer. Créer des sonorités
particulières avec des ensembles d’instruments de percussions tient plus
d’une sorte de synthèse sonore à l’échelle du groupe, que la création avec
des ensembles orchestraux plus ordinaires. Les timbres des instruments
comme les cordes, les bois, les cuivres sont d’une part limités à des
sonorités plus facilement reconnaissables et présentant une moins grande
diversité spectrale potentielle ; d’autre part, ils ne permettent pas la même
diversité de rythmes dans leurs enveloppes d’amplitude : les percussions
ont en général une marge de manipulation de leur enveloppe d’amplitude
plus large au cours du temps que les autres familles instrumentales.
L’écriture pour percussions s’inscrit dans un temps spectral lorsque
le temps est ce qui régit la plus grande partie de ce qui la compose. Lorsque
l’on considère les sons pour ce qu’ils sont réellement, on observe des ondes
dont les seules qualités sont la quantité (l’amplitude) et la période (donc la
fréquence, la hauteur) qui est un temps. L’écriture touche alors à l’essence
artistique, la composition du fondamental, la physique acoustique du son et
des ondes qui le composent.
264
Chapitre 5 :
Une étude de la granulation à partir de
l’analyse de Chorus de Fausto Romitelli
265
266
Il y a des points de contact entre l’idée
d’élaboration du matériau de la musique
spectrale et la recherche intuitive que
l’on trouve dans le rock. Une recherche
sur la matière, sur le grain165 .
Fausto Romitelli
I. Introduction
267
diapasons à bouche pour accorder les guitares (« guitar pitch pipe »)
travaillent à créer des effets de traitement électronique, mais sans
électronique. Il parvient à modeler les effets de « réverbération, de chorus,
de distorsion, de filtrages, flanger, écho, sons additionnels et différentiels
etc.167 », simplement par le jeu instrumental des percussions.
Ces instruments‐jouets sont assez habituels dans l’instrumentation
de Romitelli, et on retrouve des kazoos (mirlitons), des harmonicas à
bouche et des « guitar pitch pipes » dans d’autres œuvres du compositeur
comme Professor Bad Trip par exemple.
Romitelli évoque une « phrase mélodique de quatre notes tirées de
la pièce de Michaël Jarrell168 (et qui termine aussi celle de François‐
Bernard Mâche169) [qui] devient, après deux simples inversions
d’intervalle, l’ « incipit » d’un chef d’œuvre de la musique pop des années
soixante‐dix. » Nous aurons bien entendu identifié dès la troisième mesure
le motif principal du chef d’œuvre en question, Shine On You Crazy Diamond
du groupe Pink Floyd. Ce clin d’œil n’est pas anodin : il montre d’une part
un côté très éclectique de la personnalité musicale de Romitelli, et d’autre
part nous invite à une réflexion sur des procédés compositionnels uniques
et inhabituels, d’où il s’ensuit que nous devrons adapter d’une manière
bien précise les outils et les angles d’approche analytique pour l’étude
d’une œuvre si originale et innovante.
L’idée n’est donc pas ici d’aborder l’analyse sous un angle classique.
Bien que l’œuvre de Romitelli soit assez récente et encore trop méconnue,
nous avons pensé étudier Chorus à la lumière du concept sonore de grain.
Certes, une analyse traditionnelle serait tout de même intéressante, et c’est
pour cette raison que nous détaillerons au fil de notre recherche dans la
pièce les outils utilisés par le compositeur, la forme de l’œuvre ainsi que
ses procédés d’écriture. Cependant, pour analyser une œuvre à la facture si
moderne et si novatrice dans la composition, mélangeant dans la forme des
éléments de spectralisme et dans le fond une âme pop rock, l’invention
d’outils adaptés s’impose.
167 Ibid.
168 Michaël Jarrell : Incipit, premier morceau du disque cité.
169 François‐Bernard Mâche : Vectical Libens, deuxième piste du disque cité.
268
La recherche sur la perception de la musique dite spectrale fut une
préoccupation majeure des compositeurs, dès la genèse de ce courant :
Grisey en parle beaucoup dans ses écrits, notamment dans son texte « Le
devenir des sons170 », contenant sa théorie sur les composantes
transitoires, différentielles et liminales de sa musique. Il y écrit : « Notre
principal apport consiste en la liquidation des catégories figées au profit de
la Synthèse et l’Interaction d’une part, et en l’approche d’une adéquation
optimale entre le Conceptuel et le Perceptuel d’autre part171. » Cette
démarche est proche de celle de Romitelli dans Chorus, et doit se refléter
dans la démarche de notre analyse.
170 Gérard Grisey : “La musique : le devenir des sons” (1982), in Écrits ou
l’invention de la musique spectrale (édition réalisée par Guy Lelong avec la
collaboration d'Anne‐Marie Réby), coll. « Répercussions », Éditions Musica
Falsa, Paris, 2008.
171 Ibid.
172 Jean‐Marc Chouvel, Analyse musicale, sémiologie et cognition des formes
269
ces remarques s’avèrent trouver des échos dans les textes des spectraux et
dans d’autres œuvres contemporaines, peut être réussirons nous à en tirer
des conclusions sur la « percussion spectrale » en général.
270
inscrit dans les œuvres à celle de l’esprit qui les a conçues et qui les
reçoit. ». Elle doit aussi permettre « le décryptage de l’ensemble des
relations impliquées dans l’œuvre », et « la conservation optimisée de
l’intégralité de l’information176 ». Un peu plus loin, il explique encore :
« l’analyse cognitive, en se donnant pour but de dresser le compte‐rendu
précis de toutes les opérations disponibles dans la matière d’une œuvre,
d’en dresser une « cartographie » exhaustive, doit donner à voir le
« potentiel de représentation » d’une œuvre donnée177». Cette
méthodologie est donc ensuite mise en pratique et se fonde sur de
nombreux diagrammes formels pour arriver à ses conclusions. Ces
diagrammes sont très précisément détaillés dans l’ouvrage cité.
Sous l’angle d’approche choisi ici qui est le rôle de la percussion,
cette méthodologie de l’analyse cognitive soulève plusieurs questions.
Premièrement, comment est perçue la percussion, comment est‐elle
écoutée ? Quels phénomènes ont lieu, dans l’esprit de l’auditeur et dans ce
qui l’entoure, pour permettre la perception d’avoir lieu elle aussi ?
Comment influent les percussions sur cette perception, et quel a été leur
rôle dans les phénomènes qui ont permis à la musique d’accéder à la
conscience de l’auditeur ? Peut‐on dégager des principes cognitifs à propos
de la percussion, en s’aidant de l’analyse ? Qu’en ressort‐il si l’on compare
par cette méthode, les œuvres à composantes spectrales avec des œuvres
issues d’autres écoles contemporaines ?
L’algorithme source développé par Jean‐Marc Chouvel pour réaliser
les diagrammes formels est résumé ainsi :
271
plutôt de l’agencement des événements les uns par rapports aux autres ;
donc si un événement est récurrent, la mémoire « forme » doit se rappeler
chaque récurrence. On remarque aussi que la notion de « fragment » est
extrêmement générale. L’auteur note d’ailleurs : « rien n’oblige le fragment
à être pensé comme segment, ce qui permet d’envisager l’analyse de la
polyphonie. »
On peut être tenté de faire le lien entre le « matériau » dans la
théorie cognitive de Chouvel et la notion de « matériau » dans les écrits de
Pierre‐Albert Castanet, notamment dans son article « Musiques spectrales :
nature organique et matériaux sonores au 20ème siècle179 » et dans son livre
sur Hugues Dufourt180.
La notion de matériau couvre plusieurs domaines lorsqu’on parle de
composition, d’interprétation et de perception. La lutherie et
l’orchestration en est un, le timbre en est un autre, les notions de forme et
de temps encore un autre. On peut éventuellement comparer l’œuvre à une
peinture de maître : les outils et matières sont la lutherie et l’orchestration,
ses couleurs seraient les timbres et ses formes visuelles seraient la forme
temporelle. Dans Chorus et d’ailleurs dans la plupart des œuvres pour
percussions, l’instrumentarium défini par le compositeur a une influence
considérable sur le matériau sonore et musical. Dans la pièce de Romitelli,
des instruments très typés transmettent des informations de matière,
matière constituée d’objets musicaux, de fragments qui sont agencés dans
le temps. Par exemple, la sonorité du kazoo en plastique donne des
informations de matière qui sont assez éloignées de celles issues de la
sonorité d’un grand gong.
Pierre‐Albert Castanet rappelle que l’avènement d’une sorte d’« art
du timbre » par recherche technique et esthétique fut prédite par Louis
Laloy dans son article sur La musique de l’avenir, publié en 1908 dans Le
Mercure de France. Il y expliquait que « le timbre d’un instrument répond
à la fois à une vibration d’une certaine forme, où l’analyse découvre
principalement une superposition de vibrations simples ou pendulaires,
dont la rapidité croît comme la suite des nombres entiers. Un autre timbre
est représenté par un autre ensemble ; et les deux, combinés, produisent,
suivant la loi du mélange, un certain nombre de timbres différents181. »
Cette idée ne sera mise en pratique que plus de cinquante ans plus tard.
Vincent d’Indy en parlait pourtant aussi dans ses cours de la Schola
272
Cantorum parisienne en 1901‐1902. Il qualifiait l’alliage trompette‐
hautbois d’un son plus « nourri » que la trompette seule, et proposait que le
soutien d’un basson par une clarinette basse atténuait la « vulgarité
naturelle » du premier182.
L’utilisation de la notion de « couleurs » pour qualifier le son est
récurrente chez Laloy, et lorsque Castanet évoque la « coloration de
l’espace sensible », il touche un concept propre à l’esthétique des
compositeurs de l’Itinéraire. Il remarque que :
273
durée d’émergence de sons sans attaques impose souvent un temps
minimum pour s’exprimer.
274
pas tout à fait exact : le grain a des propriétés indépendantes du timbre.
Schaeffer le définissait d’ailleurs comme une « propriété de la matière
sonore (...)186 »
En effet, le grain est attaché à une notion d’équilibre à plusieurs
niveaux. Pour comprendre cela, on considère l’organisation et la largeur
d’un spectre. Le son le plus organisé est constitué uniquement de
fréquences harmoniques, et le son le plus étroit d’une unique fréquence ; le
son le plus désorganisé possède toutes les fréquences sur une bande
passante donnée, le son le plus large a des fréquences couvrant une bande
passante infinie. Si l’on s’approche trop d’un de ces quatre extrêmes, on
perd en grain. Le grain est le plus présent à l’équilibre de ces axes : un son
granuleux est ni trop étroit ni trop large, ni trop pur ni trop chargé en bruit.
De plus, il présente par exemple un aspect essentiel au niveau musical et
compositionnel : il a un rôle primordial dans l’intérêt que porte l’oreille
humaine à la sonorité entendue.
186Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux, p. 548, Paris, Seuil, 1966.
187Jean‐Baptiste Barrière, Le Timbre, métaphore pour la composition, Paris,
Christian Bourgois, 1991.
275
pourrait être comparable à une sorte de « pixelisation » sonore. Mais les
sons usuels, instrumentaux ou concrets, ont eux une « résolution » infinie.
Le grain comme propriété sonore que nous décrivons aujourd’hui n’est
donc pas à proprement parler l’ensemble des plus petites « particules »
qu’on peut observer dans les sons, mais il est cependant intimement lié à
cette idée. Dans ce contexte, la synthèse granulaire serait plutôt pensée
comme un moyen de créer des sons dont on contrôle la granulation en
premier lieu. Schaeffer étudie d’ailleurs le lien entre l’aspect scientifique
des microstructures sonores unitaires appelées grains avec l’aspect
perceptuel et esthétique du grain du son :
276
faudrait établir une méthodologie pour l’analyse, dans notre recherche
d’une méthode de classement des sonorités des percussions.
277
dans le numéro de 38 de la revue Analyse Musicale192, ou la thèse de Michaïl
Embeoglou193. La texture sonore possède une surface qui montre son grain,
le grain perceptuel, celui qu’on pourrait ressentir avec la main si l’on
pouvait « toucher le son ». Bregman écrit :
192 Pierre Michel, Revue Analyse Musicale, n° 38, Dossier « Analyse des
musiques contemporaines : la notion de texture », coordonné par, Paris,
2001.
193 Michaïl Embeoglou : La notion de texture dans la musique post‐sérielle,
278
‐ la force de frottement (souffle entrant dans un instrument à vent, archet
sur les cordes, baguettes des percussions...).
Les seconds types de grains sont fabriqués par des phénomènes extérieurs
au matériau musical choisi par le compositeur. Ils résultent plutôt du choix
des outils de travail que des caractéristiques de la matière. Ces grains
peuvent être la conséquence :
‐ du mode de jeu (sourdines, sul tasto, sul ponticello, col legno...) et les
objets métalliques parasites sur les cordes ou les membranes,
‐ d’un « relais entre deux timbres » (par exemple crescendo de timbales
finissant en cluster de cuivres),
‐ de filtres, électroniques mais aussi compositionnels (technique de
« masque » par exemple),
‐ d’un arrêt au niveau de l’interprétation d’une partie de la résonance,
‐ d’un processus de réitération (roulements discontinus, objets
faussement mais souvent répétés sur une courte durée),
‐ du caractère « humain » de l’interprétation rythmique (agogique ou
écriture aux limites de la virtuosité),
‐ de la qualité des trilles, vibrato, trémolo ou encore flatterzunge (vents
et cordes mais aussi électriques comme au vibraphone ou à l’orgue, et
électroniques),
‐ de la complexité du relief projeté par l’écriture rythmique sur
l’évolution du spectre global de l’œuvre,
‐ du libre‐arbitre interprétatif laissé par l’emploi par le compositeur de
métaphores poétiques, en toutes lettres sur la partition.
À partir de cette typologie des grains, nous voudrions créer des outils et
une méthodologie pour l’analyse. Nous voulons donc constituer des
échelles pour classer les différentes sonorités des percussions en fonction
de leur granulation. En repartant des différents paramètres de cette
typologie, on établit que les valeurs suivantes entrent en compte pour
apprécier la granulation :
279
‐ La matière utilisée pour produire le son (métal, bois, peau, plastique et
bien d’autres)
‐ La manière de faire sonner cette matière (en frottant, soufflant,
frappant, pinçant, ou tout autre mode de jeu particulier).
280
que pour les autres instruments existent bien d’autres modes de jeu,
comme « pincé » et « soufflé » notamment. Cette catégorie est celle de
l’orchestration et des modes de jeu ; elle est définie par le choix des
instruments et de la manière d’en produire le son.
281
Ces instruments présentent au cours de la pièce différents timbres
et différents degrés de grain, le plus souvent liés à une granulation variable,
rendue possible par des modes de jeu instrumentaux originaux. Ces
différents modes de jeu sont précis et bien expliqués, sur la partition et en
avant‐propos de celle‐ci. Premièrement, les instruments immergés dans
l’eau (deux cloches et un gong, répartis à trois des six percussionnistes)
sont le plus souvent joués à sec, puis plongés progressivement dans leur
bac alors qu’ils résonnent, ce qui a pour effet de faire glisser leur son d’un
demi‐ton vers le bas. Deuxièmement, la plupart des instruments sont
accordés : trois bols tibétains jouent les notes de sol4, ré#5, et fa#5, le
troisième percussionniste dispose de six paires de crotales accordés sur les
notes de mi4, fa#4, la4, si4 mib5 et fa5. Même les deux bouteilles sont
censées jouer un la1 grave. Le jeu du synthétiseur est très axé sur les
glissandi, ou les portamenti, fonction du synthétiseur qui a pour effet,
lorsqu’on plaque un accord sur le clavier, de transformer progressivement
la sonorité de l’accord précédent en celle qu’on joue, en modifiant la
hauteur sur une durée plus ou moins longue, réglable ; cela crée des
glissandi très purs, contrôlés par l’oscillation parfaite d’un oscillateur
électronique.
282
circuits analogiques du synthétiseur sont sans doute responsables de cette
caractéristique, et Romitelli montre ici qu’il a bien conscience de cela. Par
exemple, il utilise la sonorité dans les nuances piano alors que ne sont
présents dans l’orchestration par ailleurs que des sons purs. Le grain de
l’Akai se fait alors très discret et contribue à une masse douce, comme dans
les quatre dernières mesures, alors que le jeu tout en sforzandi des
passages plus agités ajoute un grain qui donne un relief fort à son timbre.
196 Il faut noter que Lévinas a utilisé le kazoo auparavant dans Les
réciproques et que l’amitié que partagaient ce compositeur et Romitelli
suppose peut‐être une influence.
197 Avvertenze, en italien dans l’édition étudiée, Ricordi, 2001.
283
arrive entre le pianissimo et le piano quand on écoute l’enregistrement des
Percussions de Strasbourg.
Les instruments jouets à vent (harmonica, kazoo, « guitar pitch
pipe ») possèdent des timbres présentant de larges similarités, mais leur
grain couvre une très large palette. En effet, la granulation de l’harmonica
est très grande : l’instrument est timbré et donne une sonorité très
chaleureuse. À l’inverse, le « guitar pitch pipe », fabriqué à l’origine pour le
musicien qui doit s’accorder comme un diapason à vent chromatique, est
naturellement non timbré et discret, à granulation faible. Le kazoo fait le
lien entre ces extrêmes, avec sa granulation variable. Comme pour le kazoo,
le compositeur demande aux interprètes jouant le « guitar pitch pipe » de
chanter en même temps qu’ils soufflent, mais ici une note différente de
celle qu’ils jouent. À l’écoute on entend que ceci a pour effet de moduler le
son de l’instrument et de lui donner une fragilité de timbre particulière,
proche du flatterzunge. En résulte un grain plus marqué, amené par la
rugosité de l’interprétation, même si le son de l’instrument reste fin et
froid.
284
instruments à la granulation la plus faible de la palette, ainsi que les
bouteilles de vin vides, à la granulation très forte. De cette catégorie
d’instruments à granulation fixe ressort un constat : leur granulation est
soit très faible, soit très forte. Le choix de Romitelli n’est pas anodin, et
témoigne d’une volonté d’avoir, parmi les instruments à granulation fixe,
uniquement des instruments aux extrêmes de l’échelle du grain, c’est‐à‐
dire des instruments à caractère très fort.
285
Fig. 2 : Granulation en mode de mise en vibration pour la cymbale
chinoise dans Chorus de F. Romitelli, avec archet (à gauche) et avec
rasoir (à droite).
286
pour agir sur le son. Il peut le faire grâce à la puissance de la pression qu’il
exerce sur la surface de la cymbale, à l’endroit où il exerce cette pression.
En l’occurrence, il n’est pas indiqué dans la partition où il doit jouer, ni à
quelle pression, ni s’il doit bouger. Il est donc supposé que le musicien joue
à peu près au milieu du rayon de la cymbale, à pression « entre légère et
moyenne », et qu’il ne se déplace pas mais se contente d’allumer et
d’éteindre l’appareil suivant le déroulement temporel indiqué.
En ce qui concerne la première catégorie d’échelles, le jeu au rasoir
entraîne aussi quelques remarques : la variation d’intensité est faible, elle
oscille d’une part à la même vitesse que le moteur, d’autre part elle grandit
plus lentement au fur et à mesure que la cymbale entre en résonance. La
variation de vitesse est nulle. L’évolution du spectre est plus intéressante,
et l’alliage des sons est une triple superposition : le spectre du rasoir seul,
le son produit par l’entrechoquement du rasoir et de la cymbale, et la
résonance de la cymbale. Le spectre est donc très complexe, complètement
inharmonique, et comprend une composante évolutive (la résonance de la
cymbale) et deux composantes stables ou presque (le moteur et la frappe
du rasoir).
Dans le cas du jeu à l’archet, la vitesse de frottement de l’archet, elle,
n’est pas constante, et l’action de l’archet ne fait pas de bruit secondaire.
Les bruits secondaires entendus lors de ce mode de jeu proviennent de
phénomènes acoustiques complexes issus de l’action du crin sur la tranche
du cuivre. Ces sont des bruits de type émergents, c’est‐à‐dire qui
apparaissent dans la résonance de la cymbale. Pour ce mode de jeu, la
variation de vitesse et la variation d’intensité sont toutes les deux grandes,
et par conséquent l’évolution du spectre est assez audible. La granulation
est forte en tous points de vue pour cette sonorité, le grain est rugueux et
son évolution violente. Le spectre est assez large et désorganisé, le son
proche du bruit.
287
Le jeu sur le grain des sonorités que nous constatons ici peut être
illustré par un exemple de la partition : la figure 3 montre comment
Romitelli crée des alliages sonores inédits. L’extrait montre les mesures 13,
14 et 15 de la partition et commence à 51 secondes sur l’enregistrement.
288
Fig 3. Exemple dans la partition d’alliage de grains typique de Chorus
de F. Romitelli.
289
3. La forme globale, morphologie de Chorus
290
Après une introduction de trois mesures ayant comme fonction
d’installer un rythme et un climat, le motif maître de l’œuvre est présenté.
C’est une petite mélodie de quatre notes, sur un rythme régulier de
croches. Le début de la première partie peut donc être délimité par
l’exposition de ce motif. C’est de lui dont Romitelli parle dans le texte qui
fut distribué à la première représentation, et que nous avons cité dans
l’introduction. Cette partie se poursuit jusqu’à la mesure 18, bien qu’une
transition s’amorce dès la mesure 15. Cette partie se définit comme aérée,
lente. Les nuances globales vont de pianissimo à mezzo forte, hormis
quelques sfortzandi, comme mesure 14, ou comme les coups d’archets sur
la cymbale et les climax de « guitar pitch pipe », notés fortissimo, mais à
volume sonore réel bien plus faible. La transition est plus agitée, comme
pour introduire la partie suivante.
Le voyage dans la granulation commence pour l’auditeur dès la
première note. Le relai entre les « guitar pitch pipes » aux pupitres
extrêmes donne une ambiance étrange, avec du grain malgré la froideur du
timbre, et un côté mystique par le relai de gauche à droite de l’espace. Les
autres sonorités sont métalliques, jusqu’à l’arrivée du motif rappelant le
morceau de Pink Floyd, ponctué par une note de basse à l’Akai (ré au
milieu de la clé de fa) et suivi d’un fort coup d’archet sur la cymbale
chinoise. Le contraste entre les sons métalliques et plastiques, ainsi
qu’entre les granulations faibles et fortes, est orchestré de manière
tourbillonnante, dans le temps et dans l’espace stéréo. Quand le plastique
est aux extrêmes avec un grain froid, serré mais vibrant, et que le métal des
gongs et vibraphones est au centre, avec un grain chaud, large mais lisse, ce
n’est pas une coïncidence. Sur la première page, lorsqu’un coup de gong est
joué au centre, la réponse par des sons purs et très lisses (cloches dans
l’eau, bols tibétains) est entendue tout de suite aux extrêmes de l’espace.
Ceci marque des contours très nets entre les différents instruments et ce
qu’ils jouent ; comme des alliages réussis mais non mélangés.
291
plusieurs effets électroniques construits avec des instruments. On entend
un delay de deux doubles‐croches au vibraphone, et les glissandi
agrémentés du grand crescendo au synthétiseur suggèrent un rembobinage
de bande.
292
construite à partir d’effets électroniques mais joués instrumentalement.
Elle s’achève sur une accélération régulière du rythme et une descente de
basse caractéristique au synthétiseur, évoquant peut‐être un objet qui
rebondit pour finir sa course avec fracas, comme le souligne la grosse
caisse qui répond en écho à ce final. La deuxième partie s’achève de même
avec une accélération en crescendo suivie d’un silence.
La dernière partie n’en est pas vraiment une, c’est une coda de cinq
mesures, qui clôt la pièce dans le même esprit que l’introduction. Très
aérée, le souffle dans des bouteilles de vin vides produisant une
harmonique grave vient remplacer les « guitar pitch pipes » à gauche et à
droite de la stéréo, dans le même procédé de relais. Le synthétiseur
termine dans le registre très aigu, là où il n’est que peu granuleux, mélangé
à des harmoniques créées par le vibraphone, les crotales et les harmonicas.
Le morceau s’achève avec un ré bémol très doux aux vibraphones qui
s’amenuisent lentement jusqu’au silence.
293
Fig. 5 : Premières mesures de Chorus de F. Romitelli.
294
On remarque que les cloches renforcent ce phénomène, avec un
relais en écho entre le premier percussionniste et le sixième, sur les deux
premières mesures. Cet effet utilise l’espace scénique pour construire la
stéréophonie, et l’écriture pour percussions montre une fois encore que les
processus spatiaux sont construits aux percussions par placement dans le
champ scénique des sonorités. On se rappelle les torsions d’Erewhon,
Romitelli tente dans Chorus de mettre en place ce qu’on pourrait appeler
une stéréophonie scénique du grain.
Le rôle du synthétiseur est assez intéressant. Il double la plupart du
temps d’autres instruments à l’unisson ou à l’octave pour modifier le grain
et renforcer l’originalité de l’expression instrumentale. On en a un exemple
dès la deuxième page, montrée en figure 6. Pour donner encore plus une
impression de liant et de fluide qui sert de glue entre les différents
instruments, le synthétiseur double souvent des traits montants ou
descendants par des glissandis, comme on peut le voir à la figure 7. Le
timbre et le grain du son de vibraphone dans cet exemple sont transfigurés
et apparaissent à l’oreille comme si le métal des lames percutées par
l’interprète fondait et se mêlait avec les sonorités de son voisin.
295
dans la résonance douce du sforzando. On remarque aussi que souvent
dans la partition, les crescendos sont annotés d’un petit « o » sur leur côté
faible. Cela indique que le son part du silence et est uniquement émergent.
Ici le synthétiseur, muni d’une pédale de volume permet d’interpréter ce
genre de nuance parfaitement, car on peut plaquer l’accord avec le volume
au minimum pour augmenter ensuite progressivement le son, ce qui donne
un contrôle total sur l’attaque, ainsi que sur l’enveloppe d’amplitude du son
en général.
198 En physique acoustique, un mode est une fréquence accentuée dans une
pièce par phénomène de résonance, car sa longueur d’onde est multiple de
la distance entre deux murs parallèles.
297
jouait notamment souvent de ce phénomène dont il tirait son concept
d’ombre du son. Romitelli généralise aux timbres ces expérimentations, en
travaillant les interactions de phases des harmoniques sur des timbres
proches, comme les vibraphones, crotales et bols tibétains.
298
L’effet d’écho peut être entendu quelque mesures plus loin, comme
dans l’extrait présenté à la figure 9, lorsque les instruments doublés
s’arrêtent les uns après les autres, accentués par le synthétiseur dont le son
rebondit encore et s’éteint en dernier.
299
Alors que la phrase est finie, le silence se fait seulement après deux
mesures, car les instruments répètent leurs dernières notes en écho,
s’arrêtant chacun à leur tour. Cet effet est mis en valeur par une gestion
intelligente de courts crescendi et decrescendi, créant une fois de plus un
effet proche du tremolo qui se synchronise avec l’écho.
300
Tous les exemples particuliers de l’écriture développée dans Chorus
montrent comment l’analyse granulaire permet de prêter un regard
nouveau sur les alliages de sonorités et la recherche sonore en général. Les
occurrences de fabrication de sons par mélanges évoluant au cours du
temps sont plus que nombreuses, elles sont omniprésentes. Cela permet à
l’auditeur de sentir des qualités de granulation différentes, mélangées mais
clairement définies. L’orchestration lie des sons très différents de manière
fluide, et permet d’établir un espace de granulation dans lequel celle‐ci
évolue, les sons à la granulation la plus forte se déplaçant d’instrument en
instrument, de couleur en couleur, et procure au spectre un relief qui
donne une perception consistante de matière, comparable à la perception
des couleurs ordonnées par les timbres. Les zones sonores attirantes pour
leur granulation sont en constant déplacement, un moment centrées sur la
vibration du kazoo, puis sur un alliage instrumental improbable, pour se
retrouver à souffler de la vie dans les lames du vibraphone excitées par le
crin des archets.
V. Conclusions
301
Si Chorus s’inspire des procédés de l’informatique musicale, il
n’emploie que des techniques instrumentales, sans recours à d’autres
technologies. Romitelli explique que « les musiciens jouent des instruments
métalliques […] et, en même temps, des instruments jouets […] pour créer,
sans l’aide de traitements électroniques, des effets de réverbération,
chorus, distorsion, filtrages, flanger, écho, sons additionnels et différentiels,
etc.201 » Nous avons détaillé ces aspects dans l’analyse, et il en ressort la
grande capacité du compositeur à mélanger l’énergie du rock et les effets
de production moderne avec la musique classique contemporaine.
302
CONCLUSION
303
ensuite tenté de prendre du recul quant aux interactions historiques,
esthétiques et structurelles qu’ont pu connaître les évolutions du
mouvement spectral et de l’écriture pour percussions.
Il est peu fait référence aux percussions dans les écrits relatifs à la
musique spectrale, chez les compositeurs comme chez les musicologues.
Les thèses fondamentales du spectralisme sont cependant souvent
appliquées aux percussions, que ce soit au niveau formel ou timbral. Les
différentes notions propres au spectralisme, comme celles de processus, de
fusion, de masse sonore, d’inharmonicité, de couleur, luminosité et ombre
du son, encadrent le développement de l’écriture pour percussions, voire le
développement de leur considération musicale. Les notions temporelles,
comme la continuité, la différenciation, la transition ou l’émergence, jouent
aussi un rôle rythmique majeur, et les percussions en sont les premières
impactées. L’intérêt pour la perception, ou plus généralement pour la
manière de recevoir leurs œuvres pousse les compositeurs à considérer la
sonorité globale de la pièce dans son évolution temporelle par les
phénomènes de mémoire ou de seuils. Les seuils perceptuels entrent en jeu
à divers niveaux lors de la perception du son par l’auditeur, et sa mémoire
lui permet d’intégrer ses seuils, consciemment ou inconsciemment, par
différenciation, transition ou périodicité. L’aspect percussif de la palette
fournie par notre famille instrumentale n’est pas l’unique aspect utilisé par
les compositeurs. On remarque que les spectres fournis par les percussions
servent bien souvent à composer le timbre, que ce soit de manière
instinctive ou complètement calculée. La palette très variée en fréquences,
durées, densité, matériau, que propose la famille des percussions sert aux
compositeurs pour créer des spectres par additions, soustraction de plages
fréquentielles, voire même par émulation d’effets électronique ou de
modulation de fréquence.
Les œuvres majeures pour percussions liées au spectralisme ne
peuvent pas réellement être définies de manière exhaustive. Nous en avons
cependant choisi des incontournables, que nous avons étudié, puis avons
inclus dans cette recherche les plus représentatives. Des analyses de ces
œuvres sont donc présentées au chapitre 2, et nous pouvons y observer
comment les compositeurs envisagent la création pour les percussions.
Certains compositeurs pré‐spectraux, comme Scelsi, ou Miroglio ont une
approche à la sonorité globale qu’on retrouvera plus tard dans le
spectralisme. Si le premier est revendiqué comme influence par de
nombreux compositeurs spectraux, le deuxième est plutôt une référence
pour son orchestration d’ensemble de percussions très large, mais n’a à
priori rien à voir avec le mouvement spectral. Pourtant, les points
communs entre les deux approches sont révélateurs. L’étude du corpus des
fondateurs du courant comme Grisey, Murail, Dufourt, Tessier et Lévinas,
montre des approches assez différentes quant à la famille instrumentale,
dont les points commun sont globalement les mêmes concepts que nous
304
avons trouvés dans les écrits. Les compositeurs plus récents comme
Saariaho, Harvey, Hurel, Romitelli ou Verrando ont à leur catalogue des
œuvres dans lesquelles la percussion est en avant et nous avons étudié
comment certaines de celles‐ci sont construites. D’autres compositeurs
apparentés de près ou de loin au spectralisme, comme Leroux, Fineberg,
Benjamin, Maiguashca, Anderson et bien d’autres encore ont aussi écrit
pour percussions et il en ressort une tradition d’écriture à la fois
personnelle et issue du paradigme établi par les fondateurs dans les années
soixante‐dix. Les procédés de fabrication du matériau ne sont plus
forcément basés sur des spectres ou sur des processus construits à partir
de données spectrales, mais on observe toujours certaines notions,
notamment dans l’effacement des échelles musicales au profit d’échelles
scientifiques (les notes deviennent des fréquences, les rythmes des durées,
etc.), ou la compréhension d’un son global de l’œuvre, mis en œuvre depuis
l’angle perceptif, en se plaçant du côté de l’auditeur.
L’étude approfondie de trois grandes œuvres nous a permis de
rechercher trois hypothèses principales sur les liens entre spectralisme et
percussions. Nous avons voulu par le choix de ces trois œuvres, nous
pencher à la fois sur trois époques du mouvement, et sur trois thèmes de
recherche que nous avons dégagé après la recherche plus globale des deux
premiers chapitres. Erewhon de Dufourt est située au tout début de la
musique spectrale, à l’époque où le terme n’existait même pas. Elle est
pourtant sûrement l’œuvre spectrale la plus gigantesque par son nombre
d’instruments et sa durée. Par l’étude de cette pièce nous avons constitué la
typologie des percussions spectrales, dans le but d’établir pour un très
grand nombre d’instruments, les innovations d’écriture et d’interprétation,
les nouvelles manières de concevoir, d’allier les sonorités et de chercher les
timbres appropriés par les modes de jeu. Nous avons aussi étudié les
techniques de notations ou l’influence des théories scientifiques
contemporaines. Les avancées de la science on le sait, sont à l’origine même
de la création « spectrale » car la visualisation de spectres est ce qui permit
aux compositeurs d’entrer dans les sons pour y récupérer des données et
les utiliser dans leurs compositions. En plus de cela, les recherches
scientifiques contemporaines mettent à jour des phénomènes qui inspirent
les compositeurs à lier de différentes manières les théories scientifiques à
la structuration de leur création. Pour transcrire des subtilités à l’échelle
du spectre, donc à une précision infinie, il faut des nouvelles techniques de
notation : car même si le compositeur doit équilibrer la précision
scientifique avec le jeu de l’interprète pour obtenir un compromis souvent
arrondi mais à l’exécution plus maitrisée, le développement d’une notation
adaptée permet de parfaire ce compromis.
Tempus ex machina de Gérard Grisey permet une réflexion plutôt
sur le rythme et sur le temps en musique spectrale, incarnée par l’écriture
pour percussions du compositeur. Cette œuvre de 1979 appartient donc à
305
la maturité du spectralisme, même si le courant existe encore sous sa
forme première à cette époque. Le dépouillement timbral auquel Grisey se
livre ici a pour but de simplifier la perception des sons et de rendre plus
perceptibles les composantes temporelles de la pensée spectrale. La
structure élaborée qui sous‐tend la totalité des paramètres de l’œuvre est
magnifiée par cette simplicité d’orchestration. Chaque instrument est un
modèle spectral, un timbre dans lequel une plongée microscopique
présente les schémas temporels et fréquentiels en action. La prise comme
modèle d’un spectre de grosse caisse et d’un spectre de tambour de bois
autour desquels l’œuvre s’articule, ainsi qu’une série d’entiers à l’origine de
presque toute la construction compositionnelle, montre des aspects inédit
de l’interaction entre théories spectrales et sonorités de la famille des
percussions. Le rythme et le temps se jouent sur plusieurs niveaux : le
rythme de la partition, celui écrit à destination des interprètes, est différent
du rythme interne de l’évolution des spectres, et la transcription des
basculements entre ces différents niveaux de perception est fabuleusement
gérée par le compositeur. Grisey manipule les spectres de sonorités qui
sont en jeu au même moment dans le spectre globale pour une mise en
abîme conceptuelle et emmène l’auditeur à la rencontre de ses propres
seuils perceptifs.
Après avoir remarqué que la notion de grain revenait très
régulièrement dans de nombreux écrits, nous avons décidé de nous
pencher sur celle‐ci à travers une composition d’une école spectrale plus
moderne. Chorus de Romitelli présente un travail sur le mélange des
sonorités qui va dans un sens au‐delà du timbre. La perception d’une
granulation sonore est apparente dans ces mélanges de matériaux tels que
le métal le bois, le plastique, les peaux. Le grain comme nous l’avons défini
est une caractéristique du timbre à la fois physique et esthétique. Il en
existe différents types, qui sont bien identifiables dans la pièce de
Romitelli. La famille des percussions est adaptée pour la réflexion sur le
grain car ces instruments présentent des grains isolés, bien
compréhensibles autant sur le plan scientifique qu’esthétique. Les échelles
que nous avons mises en place pour quantifier la granulation sont des
échelles qui permettent l’étude analytique de la pièce sous une approche
différente. Cette granulation n’est pas un phénomène linéaire, comme les
hauteurs par exemple, mais demande une appréhension à plusieurs
dimensions, à la manière du timbre par exemple. La création de très
nombreux procédés compositionnels peut être observée sous l’angle de la
granulation : la création de timbres, d’effets électroniques de manière
acoustique peut permettre d’envisager l’esthétique du sonore par des
paramètres dont la taxinomie permet de s’approcher de la quantification.
La synesthésie que procure les échelles de granulation peut permettre
d’une part au compositeur de travailler la sonorité de manière plus directe,
et d’autre part à l’auditeur de recevoir la musique dans un champ sonore
306
comparable aux dimensions d’un espace. La pensée en grain pourrait
presque permettre de composer la musique comme un peintre choisi ses
couleurs, un sculpteur ses matières. De plus, lorsque la composition est
orientée d’une telle manière, le grain prend également une importance plus
grande dans la perception. La pièce de Romitelli utilise des sons à la
granulation très marquée, comme des alliages plastique‐métal, et la
perception de ces qualités de matériau passe souvent avant celle des
hauteurs ou des rythmes. La granulation est un sujet sur lequel la
recherche doit continuer, et être approfondie à d’autres courant musicaux
ainsi qu’à d’autres familles instrumentales.
307
neurobiologiques de l’acte interprétationnel existant entre l’être humain et
son instrument.
308
la différence dans la trace, l’écart et les marges. Elle n’exclut cependant pas
l’écriture, au contraire : les deux concepts d’écriture et d’archi‐écriture
coexistent simultanément et communiquent entre eux.
Le sens de l’archi‐écriture rejoint à de nombreux niveaux le mystère
de la création et les difficultés de l’interprétation. En effet, l’écriture ne
consiste pas en une basique reproduction de la langue parlée, ce qui serait
une simple graphie, mais participe à l’inscription de la trace, représentante
de l’archi‐écriture. Bien plus qu’une « première possibilité de la parole202 »,
l’archi‐écriture doit se penser pour nous comme une première possibilité du
son et du sens musical. L’archi‐écriture est aussi au départ du geste
compositionnel lorsque le compositeur place ses objets sur la partition : le
trait (graphein) s’évanouit au profit de l’inscription (graphème) et l’écriture
peut alors vraiment commencer. C’est aussi là, corrélativement, que
démarre son étude. Mais ce qui demeure, l’objet le plus singulier, reste ce
qui se loge dans ce geste de transmutation alchimique où l’énergie donne
un sens à ce qui n’en a pas encore. L’archi‐écriture est antérieure à
l’écriture du quotidien, en majesté, dans ce qu’il faut étudier. L’écriture –dit
Derrida– est la métaphore même.
Si l’on considère ces notions à l’échelle de la composition pour les
percussions, il existe donc deux écritures : l’écriture du logos, liée au
sonore, à la manière de l’exprimer et au discours musical, est celle de la
graphie sur la partition, le résultat de l’action du compositeur sur le papier.
Mais l’archi‐écriture est celle qui présente la force de disloquer le
logocentrisme, ce socle sur lequel tout l’écrit prend son départ, et qui
permet à l’être de se rapprocher du sens. Si la primauté de la « vie » et de la
« présence » place la parole traditionnellement avant l’écriture, la
considération de partitions pour percussions montre que la simple écriture
ne permet pas toute la subtilité qu’un lien direct entre le sensible de
l’interprète et l’imaginaire du compositeur laisserait envisager. L’écriture
ne peut pourtant pas être une reproduction du sonore imaginé, ou
reproduit, car d’après Derrida ni l’un ni l’autre n’arrive avant. En outre, le
fait de transcrire un imaginaire par l’écriture pour ensuite transformer
l’écriture en son audible par une action conjointe de l’intelligible et du
sensible passe par un intermédiaire déformant. L’archi‐écriture
compositionnelle est la seconde écriture de la partition, celle qui est
disséminatrice et généralisée par la différance. Ce n’est pas une simple
graphie, mais l’inscription et l’articulation de la trace. La trace est
« l’origine absolue du sens en général. La trace est la différance qui ouvre
l’apparaître et la signification203 ». Or, si « la trace appartient au
mouvement même de la signification, celle‐ci est à priori écrite, qu’on
309
l’inscrive ou non, sous une forme ou sous une autre, dans un élément
« sensible » et « spatial » qu’on appelle « extérieur »204 ». Ceci implique que
la trace est pour l’œuvre le véritable objet de la transmission d’un
compositeur à l’interprète. La tradition de l’écriture sur partition est alors
remise en question pour le compositeur : les limites sont déplacées car
elles deviennent celles de l’écriture physique et temporelle, celles de la
graphie, que le compositeur doit employer, mais qu’il peut réinventer à
volonté. L’interprète doit alors prendre conscience de la différance, et saisir
l’essence de la partition, ce qui, sans action conjointe avec le compositeur,
tient de l’impossible. C’est pourquoi les deux parties doivent remettre en
cause et s’accommoder d’un système de notation en inadéquation avec
l’œuvre originelle, celle de l’imagination. L’œuvre s’en voit transformée, et
c’est en cela qu’on peut imaginer qu’elle prend son sens dans la dimension
musicale. L’écriture est figée, on peut l’observer sur la partition, elle est
stable. Cependant, à l’image de l’interprétation, l’archi‐écriture ne se
stabilise jamais, ne peut être pensée sous la catégorie du sujet, et l’acte
d’écrire peut alors être défini par le verbe « suppléer ».
Ecrire le corps
310
s’agir d’un objet simple. Le corps est donc une des notions essentielles à
étudier lorsqu’on se concentre sur l’acte de l’interprétation.
Dans ses Essais, Paul Valéry attribue au corps au moins trois
dimensions205. Une première, correspondant à un corps agissant impliqué
dans l’action, est celle qu’il appelle Mon‐Corps. Cette dimension trouve son
expression dans la réalité physique du monde, celle, ontologique, de
l’existence scientifique du corps dans l’espace‐temps. Une deuxième
dimension correspond à un corps conscient du regard des autres et de soi‐
même, de ses propres rythmes et de ses horloges biologiques. Enfin, une
troisième dimension est celle du corps connaissant et intelligent,
responsable par exemple de « l’intelligence des doigts ». Chaque dimension
découpe l’acte musical selon des sensibilités différentes, mais en ce sens le
corps tridimensionnel ne peut rendre compte d’un corps‐machine. Or, dans
le corps se loge une multiplicité de prospects, d’affects, d’agencements des
choses, de machines désirantes, de territorialisations et de
déterritorialisations que Deleuze et Guattari ont développé dans L’Anti‐
Œdipe et dans Mille Plateaux justifiant la différence du « corps sans
organes206 », produit du désir et de l’organisme. Le corps est coextensif à la
nature, nous dit Deleuze, et l’espace de circulation des intensités qu’il
délimite ne peut se réduire aux trois dimensions précédentes. Un corps ne
se dit jamais au singulier : il est à la fois le reflet d’autres corps, et son
propre complément, son « co‐corps ». Il est un corps aux organes à la fois
déterminés et indéterminés, où se greffe à fleur de peau l’histoire des
autres corps. Le corps pluriel ne peut cependant pas exprimer ce qu’il est et
ce qu’il a à dire de l’acte musical : c’est donc ici qu’intervient la notion
d’« écrire le corps ». En effet, pour donner à voir ce que la multiplicité des
corps peut exprimer, il faut que le compositeur des percussions, ainsi que
leur interprète rende compte de ces multiples unifiés. Cela revient non pas
à dire ce que les corps signifient dans le contexte musical, mais seulement,
comme le dit Jean‐Luc Nancy « toucher aux corps ». « L’excription de notre
corps, voilà par où il faut d’abord passer. Son inscription‐dehors, sa mise
hors‐texte comme le plus propre mouvement de son texte : le texte même
abandonné, laissé sur sa limite207 ». La difficulté est là, dans la
déconstruction du signe, car le corps n’a ni signifiant ni signifié, car il ne
peut s’inscrire dans un texte et que pourtant il faudrait l’écrire. L’éprouver
ne résout pas le problème du corps qui ne renvoie qu’à lui‐même. Pourtant,
selon Nancy, « le corps est l’archi‐tectonique du sens ». C’est à ce niveau
205 Paul Valéry, Regards sur le monde actuel et autres essais, Gallimard,
Paris, 1945.
206 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, Editions de Minuit, Paris,
1980.
207 Jean‐Luc Nancy, « Aphalle et acéphale », in Corpus, p. 14, Métailié, Paris,
1992.
311
que l’archi‐tectonique de Nancy croise l’archi‐écriture de Derrida, mais
comprendre ce qui rapproche les deux notions, ainsi que ce qui les
différencie est une lourde tâche. Pour nous, dans la perspective de l’acte
musical, le rapprochement nous invite à penser au‐delà des interprétations
structurales de la musicologie, l’écriture musicale et son interprétation
(l’archi‐écriture) comme faisant partie des corps du compositeur, de
l’auditeur et de tout individu (l’archi‐tectonique). C’est ce que nous avons
tenté de montrer par exemple avec la notion de grain, une notion prise
autant dans l’écriture que dans les corps, où ce qui gratte, frappe, coule,
glisse, éclate représente autant de moments de compréhension de
« l’excription des corps ».
312
impulsions spectrales par exemple par l’emploi des cloches, du vibraphone
ou des crotales. C’est pourquoi la notion de grain nous a paru centrale dans
cette recherche. Parce qu’elle donne en partage une résonance de l’écriture
et des corps, elle crée le lien entre ce qui s’écrit, se joue et se perçoit d’une
part, avec le comment cela s’écrit, se joue et se perçoit d’autre part. « Le
corps, sans doute, c’est qu’on écrit, mais ce n’est absolument pas où on écrit,
et le corps n’est pas non plus ce qu’on écrit – mais toujours ce que l’écriture
excrit208 » dit Jean‐Luc Nancy. En somme, on peut avancer que l’excription
est ce qui demande à être compris. Comprendre le grain dans toutes ses
dimensions est une voie d’approche de cette excription où l’on entrevoit en
quoi le spectre posé à la base d’une œuvre entre dans la résonance des
corps pensants. Au final, puisqu’il n’y a pas de corps sans esprit, le toucher
se donne comme une qualité principale de la composition musicale prise
dans la relation de l’écriture perçue à l’écriture conçue. Autrement dit et en
un seul terme, on parle de l’écriture excrite. Et le spectre devient le véhicule
de cette excription.
313
dedans et du dehors. Pour trouver le chemin, il nous faut trouver les
concepts qui permettent le passage de l’un à l’autre, du dedans au dehors,
du monde de la création au monde de l’affect et du désir, au monde de
l’écoute. Le grain nous a paru être un concept de ce type, qui relie le monde
physique du toucher et de l’haptique au monde sensible du perçu et de
l’émotion. Le concept est particulièrement bien adapté aux percussions, qui
mettent en valeur la nature physique des instruments, leurs modes
d’attaque ou de frappe, en lien avec les sensations des corps, c’est‐à‐dire les
corps percevant et les corps pensant. Le grain a ceci de particulier que
celui‐ci est malléable. Comme l’effectif des pupitres, le grain s’adapte à la
volonté des compositeurs. Plusieurs grains se partagent un même
instrument, et plusieurs instruments partagent un même grain, sans qu’il y
ait adéquation entre eux. Les modes de jeu sont souvent au centre de ce
partage : raclé ou frappé, avec des baguettes dures ou des mailloches
recouvertes de feutre, sur des bois, des métaux ou des cordes, les
instruments produiront des sons différents. Parallèlement à cela, on
constate que l’écriture pour percussions est une dramaturgie trop souvent
laissée aux seuls spécialistes du domaine. Dans le temps cependant,
l’évolution des grains donne à penser le sens de leur frayage dans la
partition, et pour la musique spectrale, leur lien avec le ou les spectres de
référence qui sous‐tendent la base de l’œuvre. Il faut songer aux Japanese
Gardens de K. Saariaho, pour comprendre ce que la compositrice ressent
dans l’intimité de ces jardins, lourds d’histoire, aux matières
rigoureusement disposées dans l’espace : densité des petits cailloux, des
galets, cheminements des cours d’eau, matière molle des boues, vie
végétative des arbrisseaux et des plantes. Au final, comment la
compositrice transcrit‐elle en percussion l’ambiance de ces jardins ? C’est
bien une taxinomie des grains qui nous interpelle. Plus encore, lorsqu’un
compositeur écrit pour orchestre, il lui faut caler les processus de
composition spectrale avec son écriture pour percussions. Cette difficulté,
qui n’a pas été souvent commentée par les compositeurs, est pourtant bien
réelle : sans qu’elle soit théorisée, l’orchestration se fait naturellement,
imbriquant les spectres les uns dans les autres, évoluant selon des
procédés comptables prédéfinis et ajustant toujours la granulosité des
objets sonores à son optimum. Cet ajustement « naturel » de l’écriture
appartient au mystère de l’acte musical dont il faudrait pouvoir expliquer
la naturalité. Elle restera pour nous dans une première approche
intimement liée à la malléabilité des grains.
L’excription vive
314
partition mais ce qu’il excrit, autrement dit ce qu’il inscrit au‐dehors. Car ce
qui importe vraiment sont plus les gestes de dérivation continue que les
gestes d’assimilation. L’acte musical se dit, se conçoit et se comprend au
présent ; de plus, il ne se plie que très peu à la connaissance. L’assimilation
de tout ce que le compositeur a appris est d’une importance toute relative
en regard de sa propre activité actuelle. L’acte musical se joue dans la
présence sonore, celle qui se constitue aussi bien dans l’émission que dans
la réception du son. Ce que le compositeur dépose en propre dans la
partition comme dans ses marges est l’expression de son corps sensible,
que le musicologue ou le philosophe suivent à la trace et qui est transcrite
dans des « couleurs » du son qui reposent dans ses textures, grains, saveurs
et rugosités. C’est à ce moment‐là que, dans l’ensemble des registres
sensibles, le compositeur excrit. Plus que pour d’autres familles
instrumentales, l’écriture pour percussion est indissociable d’une pensée
du toucher et de la résonance des corps. « En vérité, la résonance – dit Jean‐
Luc Nancy – est à la fois l’écoute du timbre et le timbre de l’écoute, s’il est
permis de parler ainsi. La résonance est à la fois celle d’un corps sonore
pour lui‐même et celle de la sonorité dans un corps écoutant qui, lui‐même,
sonne en écoutant209». Tous les procédés musicaux fonctionnent en
interaction dans les deux sens, et c’est ce qui en fait leur difficulté
d’analyse. En réalité, c’est peut‐être plus dans l’écriture que dans le geste
qu’il faut chercher à dénouer les entrelacs de l’acte musical. En tout cas,
l’acte compositionnel passe par l’écriture, mais l’acte interprétationnel
passe aussi par cette excription impulsée par le créateur. « « Écrire » dans
son concept moderne élaboré depuis Proust, Adorno, Benjamin et jusqu’à
Blanchot, à Barthes et à l’ « archi‐écriture » de Derrida, ce n’est pas autre
chose que faire résonner le sens au‐delà de la signification, ou au‐delà de
lui‐même210 ». Pour reprendre ces mots, on peut avancer que cet acte, de
faire résonner le sens au‐delà de la signification, est bien la plus singulière
et essentielle question de la musique. Ce que l’on ne peut écrire ni avec des
mots, ni avec des notes, une inflexion qui se loge dans un lieu inconnu, dans
la courbure d’une ligne mélodique ou dans la suavité d’une mélodie de
timbres ne peut que nous guider dans la compréhension de l’acte musical
par où circule l’émotion. Jean‐Luc Nancy voit plutôt cette inflexion dans les
pans résonants qui se répondent les uns aux autres, dans une dialectique
du corps et du monde. Il écrit :
209 Jean‐Luc Nancy, « Être à l’écoute », in L'écoute, textes réunis par Peter
Szendy, p. 311, Ircam‐L'Harmattan, 2000.
210 Jean‐Luc Nancy, À l’écoute, p. 67, Galilée, Paris 2002.
315
de laquelle l’ouverture d’une bouche peut reprendre et
relancer la résonance ? Frappe du dehors, clameur du
dedans, ce corps sonore, sonorisé, se met à l’écoute
simultanément d’un « soi » et d’un « monde » qui sont l’un à
l’autre en résonance. Il s’en angoisse (se resserre) et il s’en
réjouit (se dilate). Il s’écoute s’angoisser et se réjouir, il
jouit et il s’angoisse de cette écoute même où le lointain
retentit au plus près. Dès lors cette peau tendue sur sa
propre caverne sonore, ce ventre qui s’écoute et qui s’égare
en lui‐même en écoutant le monde et en s’y égarant dans
tous les sens, cela n’est pas une « figure » pour le timbre
rythmé, mais c’est son allure même, c’est mon corps battu
par son sens de corps, ce qu’on nommait jadis son âme211.
316
une action directe sur le grain du son et cette méthode peut‐être
rapprochée de la notion d’excription, appliquée au sonore. On tente alors de
manipuler ce qui demande à être entendu. Enfin avec l’interprétation,
vivante, on cherche comment le sens de l’œuvre peut être transformé et
sublimé, alors même que la musique passe de l’esprit d’un compositeur à
celui de l’auditeur par un ensemble infini d’actes intermédiaires.
Si la famille des percussions est bel et bien à part dans le champ des
instruments de musique, son imbrication dans les problématiques récentes
de la création musicale tend à montrer que les possibilités offertes par ses
qualités et ses évolutions peuvent façonner certains aspects de courants
musicaux. Cependant le point d’observation des différentes interactions
entre d’une part l’évolution d’une famille instrumentale et de son langage,
et d’autre part un courant musical particulier et son histoire sur une
période donnée, a une influence non négligeable sur les résultats de ces
observations. Pour élargir les conclusions à une théorie plus générale, il
faudrait donc orienter la suite de la recherche sur les interactions entre
deux phénomènes : l’évolution au sens large des instruments de musique et
la génétique historique des courants musicaux.
317
318
Annexes
319
320
GLOSSAIRE
321
Grain : Le grain a une double signification. C’est d’une part la plus petite
unité sonore (un grain de son). D’autre part, c’est une qualité
esthétique perceptible du son qui est le résultat de l’interaction de
plusieurs paramètres acoustiques du son, comme ses formants, son
enveloppe et les qualités de ses transitoires.
Halo : Lorsque le son principal d’un spectre semble entouré d’une zone de
flou harmonique ne faisant ni partie de la sonorité en elle‐même, ni
du reste des sons émis simultanément. Le halo peut être perçu à
l’oreille mais aussi par l’observation de spectres
322
Objet : Les définitions de l’objet musical par Pierre Schaeffer et de l’objet
sonore par Michel Chion tendent toutes deux à présenter l’objet
comme un phénomène sonore perçu dans le temps comme un tout,
une unité
Ombre du son : Idée introduite par Gérard Grisey, qui désigne les sonorités
projetées par des interactions comme la soustraction ou
l’annulation par opposition de phase entre les partiels d’un son
323
Sonagramme (ou Spectrogramme) : Représentation en trois dimensions de
l’évolution de l’amplitude des fréquences par rapport au temps. Le
temps est en abscisses, la fréquence en ordonnée et l’amplitude en
cote. Ce dernier paramètre est généralement représenté en densité
ou en couleurs dans le cas d’une représentation en deux dimensions.
324
LISTE DES FIGURES
325
Fig. 3.1 : Mesures 39‐40 de Erewhon I de H. Dufourt. p. 161
Fig. 3.2 : Mesures 66 à 69 de Erewhon I de H. Dufourt. p. 163
Fig. 3.3 : Mesures 82‐83 de Erewhon I de H. Dufourt. p. 164
Fig. 3.4 : Mesures 117‐118 de Erewhon I de H. Dufourt. p. 166
Fig. 3.5 : Mesures 169‐170 de Erewhon I de H. Dufourt. p. 167
Fig. 3.6 : Mesures 187 à 189 de Erewhon I de H. Dufourt. p. 168
Fig. 3.7 : Mesures 206‐207 d’Erewhon I de H. Dufourt. p. 170
Fig. 3.8 : Mesure 232 d’Erewhon I de H. Dufourt. p. 172
Fig. 3.9 : Mesures 4 à 6 de Erewhon II, A de H. Dufourt. p. 177
Fig. 3.10 : Mesures 10‐11 de Erewhon II, A de H. Dufourt. p. 179
Fig. 3.11 : Mesures 12 à 15 de Erewhon II, A de H. Dufourt. p. 180
Fig. 3.12 : Mesures 47 à 51 de Erewhon II, A de H. Dufourt. p. 181
Fig. 3.13 : Mesures 1 à 6 d’Erewhon II, B de H. Dufourt. p. 182
Fig. 3.14 : Mesures 14 à 17 de Erewhon II, B de H. Dufourt. p. 183
Fig. 3.15 : Mesures 69‐70 d’Erewhon II, B de H. Dufourt. p. 184
Fig. 3.16 : Mesures 87 à 90 de Erewhon II, B de H. Dufourt. p. 186
Fig. 3.17 : Mesures 30‐31 de Erewhon III de H. Dufourt. p. 191
Fig. 3.18 : Mesures 50 à 58 de Erewhon III de H. Dufourt. p. 192
Fig. 3.19 : Mesures 69 à 73 de Erewhon III de H. Dufourt. p. 194
Fig. 3.20 : Mesures 112 à 116 de Erewhon III de H. Dufourt. p. 195
Fig. 3.21 : Mesures 120 à 124 de Erewhon III de H. Dufourt. p. 195
Fig. 3.22 : Mesures 10 et 11 de Erewhon IV de H. Dufourt. p. 197
Fig. 3.23 : Mesures 13 et 14 de Erewhon IV de H. Dufourt. p. 198
Fig. 3.24 : Mesures 52 et suivantes de Erewhon IV de H. Dufourt. p. 201
Fig. 3.25 : Mesures 208 à 210 de Erewhon IV de H. Dufourt. p. 203
326
ex machina, esquisse de G. Grisey.
Fig. 4.11 : Première exposition spectrale de la grosse caisse de la p. 251
quatrième section de Tempus ex machina de G. Grisey.
Fig. 4.12 : Spectre d’une grosse caisse d’orchestre visualisé sur le p. 252
logiciel SPEAR.
327
328
DISCOGRAPHIE
329
Sinfonietta, London Philharmonic Orchestra, sous la direction de Benjamin
(George), Nimbus Records, 2005, NI 5505.
Dufourt (Hugues), Plus Oultre, par Thierry Miroglio, Salabert actuel M.F.A.,
1994, SCD 9411.
330
Dufourt (Hugues), An Schwager Kronos (1994), Par Eiko Shiono, pianiste, in
Eiko Shiono, Piano Recital, Japon, JASRAC, 1999, R‐9980236.
Dufourt (Hugues), La Cité des Saules for electric guitar and sound
transformation, in Ceci n’est pas une guitare, Emanuele E. Forni, guitars,
Stradivarius, 2007, STR 33775.
331
Luxembourg sous la direction de Pierre‐André Valade, Timpani, 2013,
1C1195.
Grisey (Gérard), Partiels, Dérives, (1) Ensemble Ars Nova sous la diection de
Boris De Vinogradov, (2) Orchestre National de France sous la direction de
Jacques Mercier, Erato Musique Française d'Aujourd'hui, 1981, STU 71157
Grisey (Gérard), Les Espaces Acoustiques, Garth Knox, Asko Ensemble, WDR
Sinfonieorchester Köln, direction : Stephan Asbury, Kairos, 2005,
0012422KAI.
332
Grisey (Gérard), Solo pour deux ; Anubis‐Nout ; Stèle ; Charme ; Tempus ex
machina, Ernesto Molinari, Uwe Dierksen, Ensemble S, Kairos, 2006,
0012502KAI.
333
Harvey (Jonathan), Mythic Figures, comprenant The Riot ; Nachtlied ; Valley
of Aosta, Harrie Starreveld : flûte, Harry Sparnaay : clarinette basse, René
Eckhart : piano, Jane Manning : soprano, David Mason : piano, , Ensemble
Musique Nouvelle, direction : Georges‐Elie Octors, Sargasso, 2001,
SCD28044.
Harvey (Jonathan), Angels : The Angels ; Missa brevis ; Marahi ; How could
the soul take flight ; Dum transisset Sabbatum ; Sweet/ Winterhart,
Ensemble Les jeunes solistes, direction : Rachid Safir, Soupir & Nocturne,
2007.
Harvey (Jonathan), Complete String Quartet & Trio, quatuor Arditti, Aeon,
2009.
Harvey (Jonathan), « Works for piano ‐ Works flute and piano » : Nataraja ;
Run Before Lightning ; Vers ; ff ; Homage to Cage, à Chopin (und Ligeti ist
auch dabei) ; Haiku ; Four Images After Yeats ; Florian Hoelscher : piano,
Pirmin Grehl : flûte, Neos, 2009, n° 10828.
Harvey (Jonathan), The Angels ; Ashes Dance Back ; Marahi ; The Summer
Cloud's Awakening, Latvian Radio Choir, direction : James Wood, Hyperion,
2011, CDA67835.
334
Harvey (Jonathan), Bird Concerto with Pianosong ; Ricercare una melodia ;
Other Presences ; Ricercare una melodia, London Sinfonietta, Hideki Nagano
: piano, David Atherton : direction, NMC 2011, NMC D177;
Hurel (Philippe), I. Phonus ou la voix du faune ; II. Figures libres ; III. Quatre
variations, Benoit Fromanger : flûte, Orchestre Philharmonique d'Oslo,
direction : Christian Eggen (I), Ensemble Court‐Circuit, direction : Pierre‐
Andre Valade (II), Matthew Ward : percussion, Argento chamber ensemble,
direction : Michel Galante (III), 1 cd Soupir/Plus loin, HL prod, MFA,
Harmonia mundi, 2009.
335
Levinas (Michaël), Ouverture Pour Une Fête Étrange, Les Rires Du Gilles,
Concerto Pour Un Piano‐Espace N°2, Nouvel Orchestre Philharmonique de
Radio‐France, Ensemble L'Itinéraire, Ensemble 2E2M, Gilbert Amy, Hubert
Soudant, Yves Prin, Adès, 1985, 14.072 (Rééd. Accord, 2000, 465 606‐2.
Levinas (Michaël), Les Nègres d'après Jean Genet, opéra, Choeurs Du Grand
Théâtre De Genève, Orchestre De La Suisse Romande, Bernhard Kontarsky,
Sisyphe,2007, Sisyphe 009.
Maiguashca (Mesias), The Spirit Catcher For Cello, Tape, Radio Baton And
Computer, The Tonal pour percussion, Sacateca's Dance For Flute, Tape,
Radio Baton And Computer, The Wings Of Perception II, El Oro For Flute,
Cello, Speaker And Tape, The Nagual For Metal Objects, Radio Baton,
Computer And Tape, Wergo, 1997, WER 2053‐2.
336
Miroglio (Francis), Extensions 2 par les Percussions de Strasbourg,
Prospective 21e Siècle, 2 disques vinyl, 6521 031.
337
l'Attente, Treize couleurs [et al.] », Antoine Ladrette, violoncelle, Ensemble
Court‐Circuit, dir. Pierre‐André Valade, Accord, 2000, n° 465 901‐2.
338
Romitelli (Fausto), « Anamorphosis » : Amok Koma ; Domeniche alla
periferia dell'impero ; La sabbia del tempo ; Nell'alto dei giorni immobili ;
Blood On The Floor ; Painting, Talea Ensemble, direction : James Baker,
Tzadik, 2012, TZ 8087.
Romitelli (Fausto), « The Nameless City » : Amok Koma ; Flowing down too
slow ; Domeniche alla periferia dell'impero ; Nell'alto dei giorni immobili ;
The Nameless City, ensemble Musiques Nouvelles, direction : Jean‐Paul
Dessy, 1 cd Cyprès, 2012, CYP5623.
Saariaho (Kaija), Works for cello : Petals ; Près ; Spins and Spells, Anssi
Karttunen : violoncelle, Petals 002, 1998.
339
From the Grammar of Dreams ; Il pleut ; Adjö ; Grammaire des reves ; Die
Aussicht, Anu Komsi, Piia Komsi, sopranos, Petteri Salomaa, baryton,
Avanti! dir. Hannu Lintu, Ondine, 2000, 958‐2.
Saariaho (Kaija), New gates : Cendres ; Grammaire des rêves ; Solar ; New
Gates ; Ensemble Champs d'action direction : James Wood, Mode Records,
2000, Mode 91.
Saariaho (Kaija), Du cristal ; ...à la fumée ; Nymphea (Jardin secret III) ; Sept
papillons, Anssi Karttunen, violoncelle, Los Angeles Philharmonic
Orchestra, direction : Esa‐Pekka Salonen, Kronos Quartet (Nymphea),
Ondine, 2004, ODE 1047‐2.
340
finlandais, direction : Esa‐Pekka Salonen, mise en scène : Peter Sellars, 1
dvd Deutsche Grammophon ‐ Universal, 2005.
Saariaho (Kaija), D'Om ; Le Vrai Sens ; Laterna Magica ; Leino Songs, Anu
Komsi : sorpano, Kari Krikku : clarinette, Finnish Radio Symphony
Orchestra, direction : Sakari Oramo, Ondine, 2011, ODE 1173‐2.
341
Verrando (Giovanni), « Milano Musica Festival Live, Vol. 5 », Quartetto n. 2
et des oeuvres de Francesconi et de Fedele, Stradivarius, 2011, STR 33891.
342
PARTITIONS
Anderson (Julian) :
Benjamin (George) :
Dufourt (Hugues) :
Fineberg (Joshua) :
343
Paradigms (1994) pour six instruments (dont 1 percus.) et dispositif
électronique, 10 minutes, Max Eschig.
Streamlines pour neuf instruments (dont 1 perucs.) , 12 minutes, Max
Eschig.
Empreintes (1995) pour ensemble (22 musiciens dont 2 percus.) et
électronique, 20 minutes, Max Eschig.
Speaking in Tongues (2010) pour six percussionnistes solistes et orchestre,
19 minutes, Billaudot.
Grisey (Gérard) :
Harvey (Jonathan) :
344
Hurel (Philippe) :
Leroux (Philipe) :
Levinas (Michaël) :
Maiguashca (Mesias) :
345
Miroglio (Francis) :
Murail (Tristan) :
Romitelli (Fausto) :
Saariaho (Kaija) :
346
Château de l'âme (1995), cinq chants, pour soprano, huit voix de femmes et
orchestre (dont 4 percus.), 20 minutes, Chester Music.
Orion (2002) pour orchestre (dont 5 percus.), 25 minutes, Chester Music.
Adriana Mater (2004‐2005) opéra en deux actes (dont 4 percus.), 2h10,
Cheester Music.
La Passion de Simone (2005‐2006) passion en quinze stations pur soprano,
choeur et orchestre (dont 3 percus.), 1h15, Chester Music.
Scelsi (Giacinto) :
Verrando (Giovanni) :
347
348
BIBLIOGRAPHIE
349
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GREAM, Hermann, Strasbourg, 2013.
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Frequency Modulation. » Journal of the Audio Engineering Society 21(7),
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oeuvres de Tristan Murail », Textes réunis par D. Cohen‐Lévnas, Paris, La
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rapports que peuvent entretenir le jeu et la composition musicale ? », Nyon,
Dissonance 82 (2003) 20‐25.
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Matthews (Max), The Technology of Computer Music. Cambridge,
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analysis of Kajia Saarihao’s two major works for solo percussion and
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Nancy (Jean‐Luc), « Être à l’écoute », in. L'écoute, textes réunis par Peter
Szendy, Ircam‐L'Harmattan, 2000.
362
Palmer (John) (1998b). « A Conversation with Jonathan Harvey ». 20th‐
Century Music 5, no. 8 (August): 1–8.
Payan (Julien), « Ko‐Tha, Trois danses de Shiva pour guitare traitée comme
instrument de percussion », Giacinto Scelsi aujourd’hui, dirigé par P. A.
Castanet, CDMC, Paris, 2005.
363
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Platon (390‐347 av. J.‐C.) Apologie de Socrate, Criton, Phédon, trad. M.‐J.
Moreau, ed. Gallimard, Folio Essais, 1985.
Rahn (John), Basic Atonal Theory. New York: Schirmer Books, 1980.
364
Risset (jean‐Claude), Wessel (David), Exploration of Timbre by Analysis and
Synthesis, in The Psychology of Music, New‐York : Academic Press (1982)
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365
Schick (Steven), The Percussionist’s Art, Same bed, different dreams,
University of Rochester Press, 2006.
Sedes (Anne), « Grisey, Murail und die Spectralismus », Musik und Aesthetik
21 (2002).
366
Stockhausen (Karlheinz), textes dans la revue Contrechamps n° 9, éd. L’Age
d’homme, Paris, 1988.
Valéry (Paul), Regards sur le monde actuel et autres essais, Gallimard, Paris,
1945.
367
Virilio (Paul), Esthétique de la disparition, Paris, Balland, 1980.
368
INDEX DES NOMS PROPRES
369
Morgenstern, 203 Scelsi, 55, 123, 124, 125, 126, 148,
Mozart, 50 304
Murail, 20, 21, 22, 23, 27, 29, 30, 31, Schaeffer, 173, 204, 275, 276, 277
33, 37, 38, 39, 42, 47, 48, 50, 55, Schaeffner, 173, 204
61, 79, 81, 82, 84, 85, 86, 87, 88, Sciarrino, 20
90, 91, 92, 97, 120, 122, 123, 124, Sedes, 33, 364
127, 143, 144, 145, 184, 304 Shannon, 41
Nakamura, 77 Silk, 76
Nancy, 14, 311, 313, 315, 316 Sinopoli, 139
Newton, 220 Soami, 105
Ostendorf, 20 Stockhausen, 112, 145
Papirer, 5, 77 Stravinsky, 112, 141, 142, 213
Paquelet, 124, 125, 128 Takemitsu, 99
Perrin, 122 Thom, 169, 173, 181, 204
Planck, 221, 222 Tzschoppe, 77
Po, 107, 109, 110 Ueno, 99, 100
Poe, 187, 188, 189 Valade, 60
Poincaré, 41 Valéry, 14, 311
Prin, 86, 88 Varèse, 11, 23, 31, 61, 92, 141, 142,
Radulescu, 90 146
Rameau, 10, 33 Verrando, 5, 55, 130, 131, 132, 133,
Ravel, 141 134, 305
Risset, 20 Von Neumann, 203
Romitelli, 5, 12, 13, 14, 26, 55, 128, Wagner, 10, 141
129, 130, 131, 155, 265 ‐ 298, 301, Weaver, 41
302, 303, 305, 306 Weber, 40
Russel, 142 Wessel, 20
Saariaho, 49, 55, 99, 100, 102, 103, Xenakis, 203
107, 109, 110, 111, 112, 305, 314
Sachs, 142
370
INDEX DES NOTIONS
acte musical, 12, 27, 28, 307, 311, contraste, 80, 187, 291
313, 314 convolution, 129, 267
alliage, 59, 61, 68, 71, 72, 89, 96, 165, cosmologie, 23, 24
169, 184, 190, 193, 202, 267, 273, couleur sonore, 38, 88, 282, 349
278, 284, 286, 287, 289, 290, 295, déconstructiviste, 14
301 densité, 26, 43, 67, 80, 82, 84, 91,
ambiance, 80, 134, 291, 314 130, 156, 159, 164, 176, 178, 181,
amplitude, 25, 32, 43, 51, 83, 161, 183, 193, 204, 216, 245, 247, 250,
169, 193, 205, 264, 274, 280, 286, 276, 304, 314
296 diffraction, 38
anthropologie, 10 dissonance, 23
archi‐écriture, 14, 308, 309, 312, distorsion, 22, 60, 82, 150, 268, 302,
315, 316, 385 312
architecture, 9, 73, 133, 171, 174, dodécaphonisme, 29
175, 228, 247, 254 drame, 40, 226
aura, 5, 14, 39, 45, 47, 73, 80, 155, durée, 25, 28, 37, 38, 42, 49, 51, 92,
219, 224, 225, 227 98, 113, 125, 129, 132, 140, 146,
biologie, 40, 212, 226 164, 187, 188, 213, 214, 215, 219,
boucle, 37, 90, 106, 112 225, 232, 236, 238, 239, 243, 246,
bruit, 12, 21, 22, 26, 28, 33, 35, 36, 249, 253, 255, 258, 273, 279, 280,
56, 58, 62, 70, 83, 84, 98, 143, 150, 282, 286, 305, 323, 345, 358, 362
202, 216, 219, 223, 245, 250, 260, écho, 29, 36, 37, 41, 62, 68, 71, 112,
273, 275, 285, 286, 287 118, 130, 134, 175, 187, 189, 196,
bruitage, 22 268, 291, 293, 295, 299, 300, 302,
cognition, 41, 49, 225, 269, 270, 281, 307
302, 352 écoute, 9, 25, 30, 33, 39, 41, 45, 49,
composition, 9, 12, 13, 14, 21, 25, 26, 62, 74, 75, 78, 85, 98, 107, 113,
27, 28, 29, 30, 36, 39, 42, 43, 44, 157, 159, 196, 210, 218, 219, 223,
45, 52, 56, 59, 73, 76, 78, 82, 91, 225, 228, 230, 235, 236, 238, 243,
92, 93, 97, 98, 100, 107, 119, 121, 270, 276, 282, 283, 284, 314, 315,
129, 130, 135, 142, 143, 146, 148, électroacoustique, 9, 29, 36, 56, 61,
153, 155, 156, 157, 160, 171, 173, 62, 82, 301
185, 187, 196, 204, 210, 211, 218, électronique, 9, 12, 22, 26, 37, 80, 81,
224, 225, 226, 227, 228, 235, 236, 91, 99, 100, 101, 107, 108, 109,
239, 243, 247, 254, 258, 261, 263, 113, 114, 130, 188, 214, 268, 282,
264, 268, 272, 273, 275, 281, 290, 292, 297, 304, 343, 344, 345, 346
293, 297, 303, 306, 309, 312, 314, émergence, 11, 25, 29, 156, 182, 193,
316 202, 269, 274, 278, 288, 304
continuité, 15, 34, 42, 57, 66, 133, enregistrement, 10, 26, 60, 61, 62,
210, 213, 218, 225, 226, 239, 247, 68, 88, 89, 96, 118, 235, 283, 287,
250, 304 288, 333
371
entropie, 41, 159, 221 harmonicité, 29, 33, 56, 64, 66, 70,
enveloppe, 32, 47, 83, 88, 94, 97, 98, 86, 279
119, 125, 127, 159, 161, 193, 218, harmonie, 9, 31, 40, 42, 45, 47, 51,
264, 274, 278, 296 81, 113, 114, 219, 227, 251, 282,
érosion, 37, 90, 218 308, 360, 364
espace, 11, 15, 23, 24, 25, 26, 30, 33, harmonique, 10, 22, 23, 25, 29, 33,
38, 39, 40, 43, 49, 52, 68, 75, 79, 34, 35, 39, 45, 48, 56, 66, 67, 68,
80, 81, 82, 84, 85, 88, 91, 130, 145, 69, 81, 83, 84, 86, 89, 99, 113, 124,
157, 158, 162, 165, 169, 170, 174, 143, 144, 146, 150, 176, 185, 187,
175, 176, 178, 181, 185, 187, 188, 192, 193, 215, 247, 251, 264, 278,
193, 196, 202, 205, 209, 221, 222, 279, 293
223, 226, 232, 246, 250, 254, 273, hauteur, 26, 29, 32, 41, 45, 51, 52, 59,
277, 291, 292, 293, 295, 297, 301, 67, 96, 112, 114, 144, 150, 162,
302, 307, 311, 314, 315, 316 219, 228, 232, 256, 263, 264, 280,
esthétique, 9, 14, 15, 21, 37, 39, 56, 282, 286, 292, 302, 321
63, 114, 129, 130, 133, 140, 147, histoire, 19, 25, 40, 112, 173, 175,
172, 222, 250, 254, 263, 270, 272, 210, 212, 219, 226, 311, 314
273, 276, 306, 310 homophonie, 66, 70, 176, 178, 185,
ethnomusicologie, 10, 143, 147, 204 190, 196, 245, 247
expressionniste, 11 hybridation, 97, 115, 129, 267
filtrage, 29 identité, 21, 60, 82, 365
formant, 34, 124, 200 inconscient, 40, 212
fréquence, 29, 36, 42, 43, 51, 52, 71, informatique, 44, 112, 129, 132, 156,
82, 86, 90, 98, 169, 210, 227, 232, 267, 301, 302
251, 252, 261, 264, 275, 293, 297, inharmonicité, 22, 29, 56, 60, 61, 64,
304, 321, 322, 323, 324, 325 66, 70, 304, 312
fusion, 12, 22, 23, 27, 30, 31, 32, 47, inharmonique, 10, 22, 33, 35, 60, 84,
57, 70, 82, 88, 106, 120, 144, 145, 86, 99, 134, 144, 204, 287
160, 165, 171, 184, 185, 190, 199, interprétation, 10, 12, 13, 14, 20, 26,
202, 205, 212, 224, 225, 273, 292, 27, 28, 32, 36, 37, 38, 63, 64, 75,
304 108, 129, 147, 149, 153, 155, 213,
geste, 14, 26, 27, 48, 63, 105, 185, 223, 228, 261, 272, 279, 280, 284,
225, 301, 308, 309, 310, 313, 315 303, 305, 307, 308, 309, 310, 311,
grain, 12, 14, 27, 37, 38, 69, 74, 88, 312
92, 112, 129, 130, 135, 164, 214, langage, 10, 13, 21, 24, 26, 27, 29, 32,
228, 230, 243, 267, 268, 274, 275, 52, 55, 91, 92, 94, 96, 102, 129,
276, 277, 278, 280, 281, 282, 283, 135, 140, 143, 144, 147, 148, 172,
284, 285, 286, 287, 288, 290, 291, 187, 196, 228, 254, 264, 276, 303,
292, 293, 295, 297, 302, 306, 312, 307, 317
313, 314, 317, 322 logarithme, 41
granulation, 37, 38, 83, 84, 129, 130, luminosité, 36, 79, 224, 304
155, 205, 265, 274, 276, 277, 279, lutherie, 10, 272, 322
280, 281, 282, 283, 284, 285, 286, macrophonique, 107, 212, 226
287, 288, 290, 291, 292, 301, 302, matériau, 11, 13, 20, 22, 23, 27, 33,
303, 306, 322, 378, 383, 384 36, 37, 38, 39, 41, 48, 51, 56, 57,
graphie, 309 59, 64, 67, 70, 72, 75, 81, 82, 86,
halo, 12, 26, 83, 89, 116, 185, 273, 90, 91, 98, 120, 121, 123, 128, 130,
322 142, 145, 146, 147, 149, 156, 157,
372
158, 162, 164, 169, 172, 173, 178, 160, 162, 171, 173, 174, 185, 205,
181, 184, 193, 196, 199, 200, 204, 210, 211, 213, 216, 218, 219, 220,
211, 215, 216, 225, 247, 256, 263, 222, 223, 235, 236, 243, 246, 247,
267, 269, 270, 271, 272, 277, 278, 254, 258, 260, 264, 269, 271, 272,
279, 284, 302, 304, 305, 307, 316 274, 276, 281, 286, 290, 301, 304,
mathématiques, 5, 64, 93, 156, 158, 306, 307, 316
160, 169, 199, 203, 204, 226, 236, périodicité, 15, 35, 56, 64, 75, 76, 98,
254, 263, 297, 313, 323 145, 165, 210, 214, 215, 244, 245,
mélodie, 9, 23, 30, 51, 84, 119, 291, 251, 252, 304
292, 315 périodique, 33, 61, 66, 67, 99, 210,
méthodologie, 13, 14, 20, 129, 149, 213, 225, 227, 228, 236, 246, 260
156, 231, 270, 271, 277, 279 phénoménologie, 10, 219, 222, 307
micro‐intervalles, 31, 82, 83 physique, 24, 35, 36, 39, 88, 145,
microphonique, 107, 212, 226, 246, 157, 168, 169, 171, 175, 220, 221,
250 222, 226, 227, 264, 292, 297, 306,
mixage, 226 307, 310, 311, 314
mode de jeu, 26, 38, 73, 83, 94, 125, physique quantique, 35, 221, 222
126, 127, 133, 148, 175, 204, 228, polychromie, 11, 26, 249, 273, 321
280, 281, 282, 283, 302, 305, 308, polyphonie, 30, 66, 97, 98, 178, 247,
312, 314 272
modernisme, 9 ponctuation, 10, 22, 25, 48, 57, 89,
monochromie, 178, 273, 321 141, 150, 152, 290, 292
morphing, 30, 34, 68 porosité, 14, 312, 316, 385
multiphoniques, 35, 62, 79, 89, 144 post‐moderne, 15
musique concrète, 9, 131 processus, 12, 14, 20, 27, 29, 30, 33,
objet musical, 130, 165, 171, 173, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 42, 45,
178, 204, 277 48, 49, 51, 56, 64, 66, 67, 68, 70,
ombre du son, 32, 33 77, 79, 81, 82, 84, 85, 86, 87, 90,
onde, 25, 47, 81, 82, 83, 84, 174, 176, 99, 106, 120, 121, 122, 129, 144,
232, 245, 275, 297, 321, 322, 323 158, 160, 169, 173, 175, 181, 187,
ontologie, 15 199, 200, 202, 204, 210, 218, 219,
orchestration, 10, 12, 22, 25, 26, 36, 224, 226, 227, 234, 243, 246, 254,
37, 57, 68, 70, 72, 84, 88, 96, 98, 255, 260, 263, 279, 295, 297, 304,
103, 123, 124, 130, 132, 136, 141, 305, 312, 314, 316
144, 145, 162, 169, 171, 172, 173, psycho‐acoustique, 172, 173, 205
181, 185, 200, 204, 205, 232, 247, psychophysique, 41
254, 260, 263, 272, 281, 282, 284, puissance acoustique, 25, 41
288, 301, 302, 304, 306, 312, 314 référentiel, 39, 43, 220, 239, 243
organologie, 10, 143, 146, 204 résonance, 11, 15, 23, 24, 25, 31, 44,
oscillation, 193, 195, 225, 227, 232, 46, 47, 48, 56, 59, 60, 70, 71, 83,
250, 251, 282, 285, 297 85, 88, 90, 94, 97, 98, 115, 120,
partiels, 23, 34, 35, 43, 45, 46, 51, 56, 125, 128, 134, 140, 148, 150, 151,
59, 61, 66, 71, 72, 74, 75, 83, 115, 152, 153, 154, 157, 158, 160, 165,
119, 144, 162, 165, 176, 193, 202, 168, 171, 174, 176, 178, 180, 183,
212, 224, 225, 228, 247, 252, 253, 184, 187, 188, 190, 195, 202, 204,
254, 260, 263, 274, 312 230, 278, 279, 287, 288, 292, 296,
perception, 10, 28, 31, 41, 45, 47, 57, 297, 312, 315, 316
64, 70, 85, 123, 130, 135, 149, 157, résurgence, 11, 187, 204
373
réverbération, 29, 36, 62, 102, 268, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 48,
297, 300, 302 49, 50, 51, 52, 56, 57, 62, 63, 64,
rugosité, 37, 38, 39, 278, 284 69, 70, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78,
sculpture, 22, 48, 57, 79, 86, 94, 96, 79, 81, 83, 86, 88, 91, 97, 98, 99,
125, 130, 158, 205 104, 110, 130, 140, 141, 142, 144,
sémantique, 269 157, 159, 160, 162, 165, 168, 169,
sémiologie, 10, 49, 269, 270, 352 170, 171, 175, 176, 178, 180, 187,
sens, 311 188, 193, 195, 207, 209, 210, 211,
sérialisme, 29, 162, 173 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218,
seuil, 15, 22, 23, 29, 32, 212, 223, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 225,
224, 225, 236, 283 226, 227, 228, 231, 232, 234, 235,
silence, 62, 63, 68, 135, 178, 180, 236, 238, 239, 243, 245, 247, 249,
191, 193, 202, 214, 216, 246, 250, 252, 255, 258, 263, 264, 270, 272,
254, 293, 296, 300 273, 274, 277, 280, 284, 285, 286,
sonagramme, 30 288, 291, 292, 295, 297, 301, 302,
stéréodynamique, 24, 174, 175 303, 305, 308, 311, 313, 314
stéréophonie, 24, 200, 205, 295 texture, 61, 69, 84, 119, 160, 175,
structuralisme, 9, 156, 235, 307 224, 277, 278
substance, 21, 273 théorie de l’information, 40, 269
sympathie, 34, 98, 99, 144 timbre, 9, 10, 13, 14, 22, 24, 25, 26,
synchronisation, 29, 185, 232, 244, 28, 30, 31, 32, 33, 37, 38, 41, 47,
254, 255, 256 50, 56, 57, 58, 59, 62, 63, 68, 70,
synesthésie, 302, 306 75, 81, 82, 83, 84, 86, 89, 91, 92,
synesthésique, 270 94, 96, 111, 112, 114, 115, 116,
synthèse, 20, 32, 36, 37, 48, 79, 90, 123, 124, 129, 130, 140, 141, 142,
94, 96, 104, 124, 129, 160, 184, 144, 148, 152, 153, 161, 165, 174,
196, 210, 264, 267, 274, 275, 282 178, 184, 185, 199, 202, 214, 219,
système tonal, 9, 141, 146, 217 223, 224, 225, 230, 264, 267, 272,
taxinomie, 12, 52, 97, 155, 306, 310, 273, 274, 275, 282, 283, 284, 291,
314 292, 295, 297, 302, 304, 306, 315,
technologie, 74, 90, 91, 120, 160, 184 316
tempo, 50, 73, 104, 110, 116, 119, transitoire, 71, 96, 97, 157, 207, 212,
132, 210, 215, 216, 217, 227, 230, 214, 225, 226, 227, 236, 252, 382
232, 236, 238, 243, 244, 245, 249, unisson, 27, 295
254, 255, 258, vibration, 24, 38, 56, 62, 98, 127,
temporalité, 156, 195, 218, 254, 258, 132, 133, 157, 169, 272, 280, 283,
269 284, 285, 286, 287, 301, 310
temps, 11, 13, 14, 15, 19, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30, 31, 32, 35, 36, 37,
374
TABLE DES MATIERES
Page
REMERCIEMENTS ................................................................................................................... 5
INTRODUCTION ........................................................................................................................ 9
375
II. Tristan Murail et la percussion ..................................................................... 79
1. Les Courants de l’espace (1979) ............................................................ 80
2. Gondwana (1980) ....................................................................................... 85
376
2. La volonté de renouvellement de l’écriture pour
percussion par la musique spectrale ................................................... 143
3. L’adéquation historique et autres spécificités
d’Erewhon ........................................................................................................ 146
377
2.2. Processus formels .......................................................................... 239
2.3. Processus spectraux ...................................................................... 247
3. Analyse de détails remarquables dans l’écriture,
l’orchestration et la notation ................................................................... 254
3.1. Le double processus de la première section ...................... 254
3.2. Une notation adaptée à la temporalité.................................. 258
3.3. Le processus mélodique et rythmique des partiels
dans les spectres de la dernière section ....................................... 260
378
ANNEXES ................................................................................................................................. 319
379
380
Florent JEDRZEJEWSKI
Le son dans le son
Résumé
Bien que le courant musical « spectral » soit à la source de nombreuses recherches, il apparaît que
la les percussions y tiennent une place particulière qui n’a été que trop peu étudiée.
Le langage des percussions apparait comme vecteur immédiat de l’expression des compositeurs et
des interprètes, et le courant spectral semble bénéficier de cette exploration sonore.
Mots clés : musique spectrale, spectralisme, Grisey, Dufourt, Romitelli, percussions, rythme, grain
Abstract
Although the musical style called « spectral » is the source of much research, it appears that the
percussion family holds in it a special place that has been too little studied.
Percussion appear as immediate expression vectors to composers and performers, and the spectral
movement seems to benefit from this exploration of sound, made possible by the diversity inherent to
percussion alloys spectra.
Keywords : spectral music, spectralism, Grisey, Dufourt, Romitelli, percussions, rhythm, time, grain