Pour Une Méthode D'analyse de L'espace Dans Le Texte Dramatique
Pour Une Méthode D'analyse de L'espace Dans Le Texte Dramatique
Pour Une Méthode D'analyse de L'espace Dans Le Texte Dramatique
2024 15:02
L’Annuaire théâtral
Revue québécoise d’études théâtrales
URI : https://id.erudit.org/iderudit/041350ar
DOI : https://doi.org/10.7202/041350ar
Éditeur(s)
Centre de recherche en littérature québécoise (CRELIQ) et Société québécoise
d'études théâtrales (SQET)
ISSN
0827-0198 (imprimé)
1923-0893 (numérique)
Découvrir la revue
Tous droits réservés © Centre de recherche en littérature québécoise (CRELIQ) Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
et Société québécoise d'études théâtrales (SQET), 1998 services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.
https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/
Hélène Laliberté
CREUQ, Université Laval
1. Cet article est le résultat d'une communication présentée à Québec, en juin 1997, lors du
congrès mondial de l'Association internationale du théâtre à l'université (AITU). Par ailleurs,
la recherche qui le sous-tend est rendue possible grâce à l'appui financier du Conseil de
recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada.
2. À l'Université Laval, une équipe de recherche dirigée par Chantai Hébert et Irène Perelli-
Contos s'intéresse aux théories de la «nouvelle communication» dans une perspective
spécifiquement théâtrale.
POUR UNE MÉTHODE D'ANALYSE DE L'ESPACE DANS LE TEXTE DRAMATIQUE 135
L'espace physique
J'entends par espace physique toute portion d'espace, qu'elle soit décrite
dans les didascalies ou tout simplement mentionnée dans le dialogue,
désignant le ou les lieux fictifs privilégiés par le dramaturge. La première
étape d'une analyse spatiale consiste à dresser une liste des différents lieux
et de leurs attributs qui sous-tendent l'action et la narration en prenant soin
de spécifier ce qui appartient en propre, selon la terminologie d'Issa-
charoff, à l'« espace mimétique », c'est-à-dire l'espace choisi par l'auteur
pour être « représenté sur scène [et] perçu par le public », et à l'« espace dié-
gétique», c'est-à-dire Y espace physique qui est repérable « dans le discours
des personnages [et qui] se limite à une existence verbale * (1985 : 72). La
nécessité d'opposer espace mimétique et espace diégétique découle du fait
que cette division est une des spécificités du texte dramatique. Fréquem-
ment, la dialectique « en scène »/« hors scène », outre le rôle qu'elle joue
dans l'esthétique de l'œuvre, procure une piste d'interprétation signi-
ficative sur la manière dont l'auteur organise l'action, sur l'effet de distance
ou de proximité qu'il cherche à établir entre les éléments de la fiction.
Même s'il est loisible à un éventuel metteur en scène de ne pas respecter
les indications de l'auteur concernant la localisation et la configuration des
lieux (et la pratique est de plus en plus courante), l'analyse de Xespace
physique permet de faire ressortir certaines caractéristiques formelles ou
fonctionnelles qui se répercutent sur la structure de l'action dramatique.
Ainsi, dans Being at home with Claude (Dubois, 1986), la présence de deux
portes qui donnent accès au lieu scénique, contrôlées l'une par l'inspec-
teur, l'autre par le meurtrier, fait écho au rapport de force symétrique qui
s'instaure dès le début de la pièce entre les protagonistes.
(p. 142). La façon dont un auteur traite Y espace * off» s'avère généralement
significative d'une esthétique particulière de l'œuvre. Dans 2&is, impasse
du Colonel Foisy, Dubois joue sur les limites de Y espace * off» en abolissant
et en rétablissant au besoin la frontière qui sépare la scène de la salle. Tout
en s'adressant directement à son public, Madame dresse un mur entre elle
et les spectateurs, en scrutant l'impasse qui mène à sa demeure à travers
une fenêtre imaginaire pour constater qu'elle n'est peuplée que de « ma-
rionnettes » (1982 : 51). Le public est alors comparé à des pantins articulés
qui, si nous extrapolons, font figure de personnages dans le théâtre de la
vie. Dubois amalgame la réalité et la fiction qui, ainsi fusionnées, trans-
cendent l'illusion pour introduire un univers où le concept de métathéâtre
bouleverse la perception que le lecteur ou le spectateur se fabrique de
l'espace fictionnel.
L'espace dramatique
Parallèlement à Y espace physique se profile un espace plus abstrait que les
dernières considérations sur les concepts territoriaux et régionaux introdui-
sent et qui s'attache principalement à des idées de mécanisme mental,
d'ambiance relationnelle et de dynamique des échanges. Ce second sous-
système spatial, Vespace dramatique, se construit, explique Patrice Pavis,
« lorsque nous nous faisons une image de la structure dramatique de l'uni-
vers de la pièce : cette image est constituée par les personnages, par leurs
actions et par les relations de ces personnages dans le déroulement de
l'action » (1987 : 147). Le principal sujet d'investigation de Y espace drama-
tique est donc le personnage que j'aborde sous trois angles : Y espace égo-
centrique, Y espace interactionnel et Y espace cinétique.
elle permet de mettre au jour les règles qui dictent les échanges ainsi que
la relation qui a cours entre les interactants. Il convient de noter que ces
multiples notions doivent obligatoirement être observées sous l'angle du
contexte où elles se reproduisent et peuvent trouver un point d'ancrage
dans le cadre de Vespace physique. À cet effet, Le printemps, monsieur
Deslauriers de Dubois (1987) présente un haut niveau de cohérence entre
les différents éléments de Vespace dramaturgique. Donnons-en une illus-
tration : la surface glacée de la patinoire sur laquelle évoluent les per-
sonnages, en éveillant l'image paradoxale de l'équilibre et du déséquilibre,
répond, entre autres, à l'opération menée par monsieur Deslauriers qui, en
déstabilisant le système familial, cherche à lui redonner une harmonie.
L'espace textuel
« Tout texte de théâtre contient des marques spatiales qui ne sont pas ex-
plicitement liées au projet de représentation », constate Jean-Pierre Ryn-
gaert, en ajoutant que ces multiples marques mettent toutefois en évidence
« un système révélateur, parfois plus riche que ne l'étaient les seules infor-
mations techniques » (1991: 79). Dans un premier temps, une étude de Yes-
pace textuel, que je définis grosso modo, à la suite de Pavis, comme étant
« l'espace considéré dans sa matérialité graphique, phonique ou rhétori-
que » (1987 : 146), s'intéressera au matériau textuel comme tel, au vocabu-
laire, aux images que l'on peut regrouper en isotopies autour d'un point
précis de la thématique. Le discours des protagonistes comporte généra-
lement un lexique orienté vers un aspect quelconque de la spatialité. C'est
ainsi que des données ayant trait aux couleurs, aux formes géométriques
ou aux parties du corps humain, pour n'en nommer que quelques-unes,
peuvent devenir suffisamment prégnantes pour instaurer une dimension
spatiale représentative des préoccupations des personnages, du regard
qu'ils posent sur eux-mêmes, sur les autres, sur leur environnement. Plus
encore, remarque Louise Vigeant, « [plarfois, un seul mot dans un texte sert
d'indice pour la création d'un décor » (1992 : 36). À ce lexique distinctif se
juxtaposent les figures de style (comparaisons, métaphores, métonymies,
etc.) qui contribuent à instaurer une poétique de l'espace. « Ainsi, souligne
Ubersfeld, l'espace scénique peut-il être la transposition d'une poétique
textuelle » (1982 : 161). Dans 2&is, impasse du Colonel Foisy, Madame,
emportée par son lyrisme, dans un long poème qui prend la forme d'une
complainte, s'assimile aux caractéristiques de son château :
Mon vœu était trop grand.
Et ma colline balayée
Me laissant au cœur du vent
Investie, visitée,
142 L'ANNUAIRE THÉÂTRAL
Madame devient, par le fait même, cette « Citadelle oubliée de la vie » qui
l'abrite. L'image porte à conclure, comme Diane Pavlovic le remarque à
propos de la façon dont ce personnage contrôle ses mouvements et ses
déplacements dans Y espace physique, que « Madame se conçoit elle-même
comme un décor» (1984: 90). Cet exemple, qui prend appui sur des
éléments relatifs à M espace textuel et à \ espace cinétique, démontre la
nécessité de repérer à l'intérieur du texte dramatique, sur les plans abstrait
et concret, les récurrences de termes et les redondances d'idées qui, par
leur emphase, leur omniprésence ou leur omnipotence, tendent à se
constituer en système mettant en relief, directement ou indirectement, un
domaine précis de X espace dramaturgique.
Bibliographie
CORVIN, Michel (dir.) (1991), Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Paris, Bordas.
DORT, Bernard, et Anne UBERSFELD (dir.) (1978), Le texte et la scène. Études sur
l'espace et l'acteur, Paris, Imprimerie F. Paillait.
DUBOIS, René-Daniel (1982), 26**, impasse du Colonel Foisy, Montréal, Leméac.
(Coll. « Théâtre Leméac », n° 122.)
DUBOIS, René-Daniel (1986), Being at home with Claude, Montréal, Leméac. (Coll.
« Théâtre Leméac », n° 150.)
DUBOIS, René-Daniel (1987), Le printemps, monsieur Deslauriers, Montréal, Guérin
littérature.
GOFFMAN, Erving (1973a), La mise en scène de la vie quotidienne, vol. 1 : La pré-
sentation de soi, Paris, Éditions de Minuit.
GOFFMAN, Erving (1973b), La mise en scène de la vie quotidienne, vol. 2 : Les rela-
tions en public, Paris, Éditions de Minuit.
GREIMAS, A. J., et Joseph COURTES (1979), Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la
théorie du langage, Paris, Hachette. (Coll. « Langue. Linguistique. Commu-
nication », n° 12.)
HALL, Edward T. (1971), La dimension cachée, Paris, Éditions du Seuil. (Coll.
- Points », n° 89.)
HALL, Edward T. (1984), Le langage silencieux, Paris, Éditions du Seuil. (Coll.
« Points », n° 160.)
HELBO, André, J. Dines JOHANSEN, Patrice PAVIS et Anne UBERSFELD (dir.) (1987),
Théâtre, modes d'approche, Bruxelles, Éditions Labor.
ISSACHAROFF, Michael (1985), Le spectacle du discours, Paris, Librairie José Corti.
JANSEN, Steen (1984), « Le rôle de l'espace scénique dans la lecture du texte drama-
tique », dans Herta SCHMID et Aloysius VAN KESTEREN (dir.), Semiotics of Drama
and Theatre, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins Publishing Company,
p. 254-289.
KOWZAN, Tadeusz (1992), Sémiologie du théâtre, Paris, Éditions Nathan. (Coll.
« Littérature ».)
LALIBERTÉ, Hélène (1997), « Espaces et territoires dans Being at home with Claude de
René-Daniel Dubois », L'Annuaire théâtral, n° 21 (printemps), p. 119-131.
MONOD, Richard (1977), Les textes de théâtre, Lyon, Cédic.
POUR UNE MÉTHODE D'ANALYSE DE L'ESPACE DANS LE TEXTE DRAMATIQUE 145