Deprivilegier Le Genre - Arnaud Alessandrin
Deprivilegier Le Genre - Arnaud Alessandrin
Deprivilegier Le Genre - Arnaud Alessandrin
le genre
Arnaud Alessandrin
© ( : ? ! ; ) D O U B L E P O N C T U A T I O N, 2021.
ISBN 978-2-490855-12-4
Fichier epub développé par Numilog en janvier 2021 pour le compte de Double ponctuation,
18, avenue de la République – 94340 Joinville-le-Pont, France. Polices de couverture :
Argesta display et Josefin sans ; police des pages intérieures : Cormorant Garamond
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pages), SIL Open Font License v1.10 (© 2015, Christian Thalmann et le Cormorant Project
Authors). Conception de la couverture : Marjorie Besch. Visuels de couverture : libres de
droit, issus de la base de données Rawpixel. Mise en page : Claire Laffargue. Correction :
Nathalie Massin. Dépôt légal : 2021.
Stéphane Bataillon, Où nos ombres s’épousent, éditions Bruno Doucey, 2016 (p. 75).
« on ne sort jamais
totalement du placard,
et jamais en une seule fois »
C’est très certainement ma première marche de fiertés qui m’a,
à cette époque du moins, le plus marqué. En 2004, à Bègles,
non loin de chez moi, avait lieu le premier mariage homosexuel.
Célébré par Noël Mamère, il était suivi par tout un ensemble
d’acteurs et d’actrices de la lutte pour l’égalité des droits. Le
jeune lycéen que j’étais ne saisissait pas cet évènement
pleinement, dans toute sa portée. J’y voyais plutôt un instant de
visibilité concomitante à la mienne, une simultanéité aussi
opportune qu’inconfortable pour m’affirmer. Opportune, car j’ai
rencontré là des ami·e·s de militance, car les médias en
parlaient et que cela me permettait d’en discuter moi aussi.
Inconfortable, car j’ai d’emblée dû faire avec les remarques du
type : « Vous, les homosexuels, vous en demandez beaucoup,
quand même ! » ; ou « Il faut toujours que vous vous fassiez
remarquer ! »… J’ai perdu beaucoup d’amis à cette époque, des
garçons pour la plupart. Lors de la marche des fiertés qui se
tenait le même jour que ce mariage, je me souviens que des
individus, postés de part et d’autre des trottoirs le long du
passage du cortège, nous insultaient. D’autres franchissaient
même nos rangs pour distribuer des tracts sur lesquels nous
pouvions lire que nous étions « anormaux ». Aucune personne
ne saurait passer à travers ce déchaînement de haine sans en
absorber une part, même infime. Je pensais ne jamais revivre
cela ; mais neuf ans plus tard, le même déferlement
d’homophobie se produisit. La Manif pour tous m’a prouvé que
le sentiment homophobe était bel et bien présent, souvent
refoulé mais prêt à s’épanouir à la moindre occasion. Cette
constance interpelle.
L’arbitraire du genre
Détraditionalisation du genre
Ronronnement du genre
Je peux vous dire d’où je parle, comme je peux vous dire quelle
est ma méthode, mais je ne saurais défendre « une » et « une
seule » paroisse théorique ou conceptuelle qui viendrait à la fois
introduire et conclure mon propos. Les constats qu’impose le
genre – que l’on parle d’inégalités ou de violences – nécessitent
que l’on soit humble. À la question : « À quelle condition puis-je
faire quelque chose du genre qui m’a été donné ? », aucun
procédé individuel ou collectif ne répond à coup sûr, à l’unisson.
Peut-être car le genre, comme expérience, ne se laisse jamais
complétement saisir d’un seul tenant. Pour le dire autrement, on
n’efface pas le genre. Je ne crois pas aux révolutions genrées.
On n’écrit pas le genre avec une gomme. On le repeint, mais il
craquelle sans cesse. Sans cesse il laisse entrevoir ses
soubassements. Sans cesse, alors, il est repris.
L’horizon égalitaire
« la dimension démocratique
de l’égalité réelle relève de
l’intérêt
général, et non d’une défense
particulariste »
Aujourd’hui, l’abstraction de l’égalité ne se ressent plus dans les
chairs, dans les témoignages, dans l’actualité. Le monde
militant ne veut plus attendre et croire à de nouvelles
promesses. Bien entendu, les temps militants et les temps
citoyens ne sont pas les mêmes. Si les militantes et les militants
construisent leur cheminement en menant une série de combats
décisifs – sans toutefois toujours l’emporter –, nombreuses sont
les citoyennes et les citoyens qui restent à quai, ne comprenant
pas vraiment, pas complétement, ce qui se déroule. Les
crispations, incompréhensions et autres rancœurs n’en sont que
plus visibles. Des hommes qui ont le sentiment qu’ils ne
peuvent plus rien dire. Des opposants au mariage pour tous qui
ne sont pas homophobes mais… Le temps de la pédagogie
laisse place aux ruptures.
1
Judith Butler, Défaire le genre, 2006. Paris : Éditions Amsterdam.
2
Celles dont sont victimes les personnes intersexes.
3
On pourra reprocher à cet ouvrage, pour poursuivre les débats initiés par le
blackféminisme, de neutraliser la race comme élément d’analyse et de ne pas interroger le
pouvoir du féminisme antiraciste et décolonial dans ce mouvement visant à déprivilégier le
genre. Mes objets d’étude ne portant pas sur ces champs, ces derniers ne seront pas
développés ici. Toutefois, ils ne sont pas ignorés. Lire à cet égard : Hélène Martin et Patricia
Roux, 2015. Recherches féministes sur l’imbrication des rapports de pouvoir : une
contribution à la décolonisation des savoirs. In Nouvelles questions féministes, volume 34,
n° 1, p. 4 à 13.
4
Pierre Bourdieu, 1998 (p. 9). La Domination masculine. Paris : Les éditions du Seuil.
5
Ibid, p. 7.
6
Je me réfère ici à la phrase de Brigitte Estève-Bellebeau, 2011 : « À
quelles conditions puis-je faire quelque chose de ce qui a été fait de moi ? ».
In Actes de la journée – Le désir de reconnaissance : entre vulnérabilité et
performativité, p. 8.
En ligne :
https://vulnerabiliteperformativite.files.wordpress.com/2011/07/actes-de-la-journc3a9e-
reconnaissance-vulnc3a9rabilitc3a9-performativitc3a9.pdf (consulté le 26/11/2020).
7
On peut d’ailleurs remarquer qu’une femme qui ne veut pas d’enfants et qu’un gay qui
veut en avoir sont confrontés aux mêmes types de reproches et sont fréquemment
considérés comme « égoïstes ».
8
Slogan de l’opérateur Internet Numéricable en 2014.
9
Lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, intersexes et queers.
10
François Dubet, 1994. Sociologie de l’expérience. Paris : Éditions du Seuil.
11
Force est de constater que le courant de la sociologie des individus n’a pas été des plus
descriptifs de ce côté-là, comme les si émotions rendaient le travail scientifique impropre. Il
faut redonner aux émotions toute leur place dans l’analyse des phénomènes sociaux. Il faut
inclure les pleurs comme les euphories, les chavirements comme les doutes.
12
Lire à cet égard : Réjane Sénac, 2019. L’égalité sans condition.
Paris : Éditions Rue de l’échiquier.
Première partie
Le privilège de genre
Égalité et universalité
« l’indifférence au genre
est un mythe nécessaire
pour de nombreux soignants »
Dans les recherches que nous avons menées avec Anastasia
Meidani26, de très nombreux praticiens (et praticiennes) mettent
en avant l’universalité de leurs pratiques. Si le genre du patient
importe, ce n’est que du point de vue des organes. Le champ
lexical de « l’indifférence aux différences » revient souvent dans
la bouche de nos interlocuteurs soignant·e·s : « Je ne fais pas
de différence entre les hommes et les femmes » ; « Je ne vois
pas de différence, évidemment » ; « Le suivi est protocolisé.
Tous les patients ont le même, ou presque ». Toutefois, le
dogme des traitements théoriquement neutres réservés aux
patients ne résiste jamais longtemps à l’épreuve du terrain. En
paraphrasant la thèse de François Dubet27 concernant l’égalité
des chances, soutenons l’idée que l’indifférence au genre est un
mythe nécessaire pour de nombreux soignants qui essayent de
traiter à l’identique toute leur patientèle. Or, du point de vue des
patients et de l’adhésion thérapeutique, la prise en compte des
éléments relatifs au genre n’est pas anodine. Et pour cause…
Hommes et femmes n’ont pas le même taux de compliance aux
soins en fonction des interactions soignants/soignés. Tout se
déroule alors comme si la fonction soignante était investie par
les professionnels d’une force « agenrée ». Présentée comme
la condition d’un « bon » traitement, la neutralité est supposée
acquise. « Je ne connais pas de médecin, sauf peut-être
quelques "vieux de la vieille", qui traitent différemment les
femmes et les hommes » ; « dans ma pratique, je ne vois quasi
exclusivement que des femmes. Mes patients atteints de cancer
du sein sont assez rares. Mais je ne crois pas qu’il y ait une
spécificité de ma pratique en ce qui concerne les hommes ».
Dans un tel contexte, la neutralisation du genre procède d’un
double effet d’externalisation aux métiers du care (c’est-à-dire
aux métiers pensés comme féminins) et de limitation du genre
aux organes sexués. Seul importe le fait d’avoir les organes
génitaux d’un homme ou d’une femme, de façon classificatoire,
pour les traitements. Déprivilégier le genre, c’est donc aussi
l’extraire de cette posture « gender blind » (d’aveuglement au
genre ou d’ignorance du genre) qui positionne l’individu dans
une pratique intentionnellement « neutre », car les inégalités de
traitement se déploient bel et bien en deçà des intentions
individuelles.
Pédagogie et contestation
Déprivilégier la parole
13
Christine Bard et Sylvie Chaperon, 2017. Dictionnaire des féministes. France – XVIIIe-
XXIe siècle. Paris : Presses universitaires de France. Bibia Pavard, Florence Rochefort,
Michelle Zancarini-Fournel, 2020. Ne nous libérez pas, on s’en charge – Une histoire des
féminismes de 1789 à nos jours. Paris : Éditions La Découverte.
14
Céline Bessière et Sibylle Gollac, 2020. Le Genre du capital – Comment la famille
reproduit les inégalités. Paris : Éditions La Découverte.
15
Isabelle Collet, 2016. L’École apprend-elle l’égalité des sexes ? Paris : Belin.
16
Sylvie Octobre (dir.), 2014. Questions de genre, questions de culture. Paris : DEPS-
Ministère de la Culture.
17
Anastasia Meidani et Arnaud Alessandrin, 2019. Parcours de santé/Parcours de genre.
Toulouse : Presses universitaires du Mirail.
18
Monique Méron et Margaret Maruani, 2012. Un siècle de travail des femmes en France
1901-2011. Paris : Éditions La Découverte.
19
Marylène Lieber, 2008. Genre, violences et espaces publics : la vulnérabilité des femmes
en question. Paris : Presses de Sciences Po.
20
Pauline Delage, 2018. Violences conjugales. Du combat féministe à la cause publique.
Paris : Presses de Sciences Po.
21
Didier Eribon, 1999. Réflexions sur la question gay. Paris : Fayard.
22
Corinne Luxembourg, 2017. La ville : quel genre ? Paris : Le temps des cerises. Lire
aussi : Pascale Lapalud, Chris Blache et Lucie Roussel Richard, 2016. Le droit à la flânerie.
Genre et Ville. In Les cahiers de la LCD, volume 1, nº 1, p. 34 à 57. Paris : L’Harmattan.
23
Lire à cet égard : Arnaud Alessandrin et Johanna Dagorn, 2018.
Sexisme(s) urbain(s) : jeunes filles et adolescentes à l’épreuve de la ville.
In Enfances Familles Générations, n° 30 : « Explorer la ville – Rapport aux espaces publics
des enfants et des adolescents ». Montréal : Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS.
En ligne : https://journals.openedition.org/efg/2725 (consulté le 26/11/2020). Lire aussi :
Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin, 2017. Femmes et espaces publics. In Hommes et
Libertés, n° 177 : « Femmes – Violences, inégalités », p. 43 à 49. Paris : Ligue des droits
de l’Homme.
24
Les enquêtes réalisées s’échelonnent entre 2015 et 2020 et rassemblent
plus de 10 000 répondantes.
25
Raewyn Connell, 2014. Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie.
Paris : Éditions Amsterdam. Édition établie par Meoïn Hagège et Arthur
Vuattoux.
26
Lire par exemple : Anastasia Meidani et Arnaud Alessandrin, 2019.
Quand le cancer rencontre le genre. In Revue française de sociologie, volume 60, n° 2, p.
201 à 224. Paris : Presses de Science Po. Lire aussi : Anastasia Meidani, Arnaud
Alessandrin et Nicolas Madranges, 2020. Cancérologues et interactions de soins : quand le
genre s’en mêle.
In Anastasia Meidani (dir.). Masculinités et féminités face au cancer. Expériences
cancéreuses et interactions soignantes, p. 113 à 134. Toulouse : Éditions Érés.
27
Nicolas Duvoux, 2005. Entretien avec François Dubet. In Le Philosophoire, volume 25, n°
2, p. 21 à 33. Paris : Éditions Vrin.
28
Mona Chollet, 2018. Sorcières : La puissance invaincue des femmes. Paris : Éditions
Zones / La Découverte.
29
Vague de contestation qui a également connue une forte résistance, notamment dans le
milieu du cinéma. Dans ce cas comme dans d’autres, aucune mobilisation citoyenne
n’emporte avec elle un soutien unanime.
30
Titre de la tribune de Virginie Despentes dans le quotidien Libération du 1er mars 2020.
31
Mazarine Pingeot, 28 juillet 2020. Ce mortel ennui qui me vient. In Le Monde.
32
Caroline Fourest, 2020. Génération offensée : de la police de la culture à la police de la
pensée. Paris : Grasset.
33
Révoltes sexuelles après #MeToo. In Mouvements, 2019/3, n° 99. Paris : Éditions La
Découverte.
34
Quelque part aussi, quand je dis « ils », je dis forcément un peu « je ».
35
Viviane Albenga et Johanna Dagorn, 2019. Après #MeToo : réappropriation de la sororité
et résistances pratiques d’étudiantes françaises. In Mouvements, volume 99, n° 3, p. 75-84.
Paris : Éditions La Découverte.
36
Y compris, en négatif, dans les phénomènes de cyberharcèlement.
Deuxième partie
Avant le « transsexualisme »
Du médical au social
Appropriations transidentitaires
37
Souvent oubliées dans les études sur les minorités de genre, les personnes intersexes
sont aujourd’hui au cœur de l’actualité médicale et juridique, sous la forme d’une question
transversale : pourquoi faut-il opérer des enfants intersexes à leur naissance ? On nomme
« intersexe » tout individu qui développe des formes sexuées primaires ou secondaires qui
ne permettent pas à la médecine de déclarer « c’est un garçon » ou « c’est une fille ». En
dehors des cases « mâle » ou « femelle », il existe un continuum de formations sexuées.
Si, encore aujourd’hui, le législateur confère à la médecine le droit de choisir le sexe de
l’enfant intersexe à sa naissance, les associations intersexes militent pour l’arrêt de ce
qu’elles nomment des « mutilations » et pour le libre choix de son sexe à l’âge adulte. Pour
le dire autrement, là où la médecine formule que le sexe des enfants intersexes est
« indéterminé », les personnes concernées répondent que leur anatomie est comprise dans
les variations naturelles des formes sexuées. Il en résulte des pratiques médicales
controversées (assignations, ré-opérations) et des condamnations de la France par
certaines instances nationales comme internationales. En 2016, la France est mise en
cause par l’ONU pour « mutilations » sur les enfants intersexes et, la même année, c’est la
Commission nationale consultative des Droits de l’Homme qui appelle la France à cesser
ce qu’elle considère être des « traitements inhumains et dégradants ».
38
Hélène Martin et Marta Roca i Escoda (dir.), 2019. Sexuer le corps – Huit études sur des
pratiques médicales d’hier et d’aujourd’hui. Lausanne : Éditions HETSL.
39
Harry Benjamin, 1953. Transvestism and transsexualism. In International Journal of
Sexology, n° 7, p. 12 à 14.
40
Niels Hoyer, 1933. Man into woman: an authentic record of a change of sex – A portrait
of Lili Elbe. Londres : Jarrold Publisher’s.
41
Arnaud Alessandrin, 2018. Sociologie des transidentités. Paris : Éditions Le Cavalier
bleu.
42
Pierre-Henri Castel, 2003. La métamorphose impensable. Paris : Gallimard.
43
Stéphanie Nicot et Alexandra Augst-Merelle, 2006. Changer de sexe. Paris : Éditions Le
Cavalier bleu.
44
Harold Garkinkel, 2007. Recherches en ethnométhodologie. Paris : PUF.
45
Un point de vocabulaire important : en réalité, les personnes ne « changent » pas de
genre. Elles deviennent qui elles sont.
46
Norman Fisk, 1974. Gender dysphoria syndrome : The conceptualization that liberalizes
indications for total gender reorientation and implies a broadly based multidimensional
rehabilitative regimen (Editorial comment on male transsexualism). In West Journal Med.,
n° 120, p. 386 à 391. Londres : BMJ Group.
47
Brigitte Estève-Bellebeau et Arnaud Alessandrin, 2014.
Genre ! L’essentiel pour comprendre. Paris : Éditions Des ailes sur un tracteur.
48
Joris Hage et alii, 2007. On the Origin of Pedicled Skin Inversion Vaginoplasty : Life and
Work of Dr Georges Burou of Casablanca. In Annals of Plastic Surgery, volume 59, n° 6, p.
723 à 729. Wolters Kluwer.
49
Troubles liés au genre, 2011. In L’information psychiatrique, n° 4, volume 87. Arcueil :
John Libbey Eurotext.
50
Arnaud Alessandrin, 2019. La notion de regret dans la clinique de changement de genre.
In L’évolution psychiatrique, n° 84 (3), p. 277 à 285. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson.
51
Bernard Cordier, Colette Chiland, Thierry Gallarda, 2001. Le transsexualisme,
proposition d’un protocole malgré quelques divergences. In Annales Médico-
psychologiques. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson, n°159, p. 90-195.
52
Arnaud Alessandrin, 2014. Le principe de précaution est-il un principe éthique ? In
Éthique et Santé, volume 11/1, p. 43 à 50, Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson.
53
Alain Giami, Emmanuel Beaubatie, Jonas Le Bail, 2011. Caractéristiques
sociodémographiques, identifications de genre, parcours médicopsychologique et VIH/sida
dans la population trans. In Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n° 42, p. 433 à 437.
Saint-Maurice : Santé publique France.
54
Maxime Foerster, 2005. Histoire des transsexuels en France. Paris : H&O éditions.
55
Arnaud Alessandrin, 2016. La transphobie en France. In Cahiers du genre, n° 60, p. 193
à 211. Paris : L’Harmattan.
56
Je m’inclus ici dans cette déprise, puisqu’en tant que sociologue cisgenre, c’est-à-dire
non trans, produisant des textes sur la question trans, il m’a été reproché de déposséder
les luttes trans d’une certaine visibilité. Si du point de vue scientifique il n’est peut-être pas
toujours nécessaire d’être inclus dans le sujet de son étude, du point de vue d’une société
des identifications, on comprend la nécessité des minorités de gagner en visibilité et en
autonomie.
57
Karine Espineira et Arnaud Alessandrin, 2015. Sociologie de la transphobie. Bordeaux :
MSHA.
58
Arnaud Alessandrin, Karine Espineira, Maud-Yeuse Thomas, 2013. La SOFECT : du
protectionnisme psychiatrique. In Les cahiers de la transidentité, volume 1, p. 61 à 75.
Paris : L’Harmattan. Pour une lecture actualisée, et moins critique, de la SOFECT, lire :
Alain Giami et Lucie Nayak, 2019. Controverses dans les prises en charge des situations
trans : une ethnographie des conférences médico-scientifiques. In Sciences sociales et
santé, volume 37, n° 3, p. 39 à 64. Arcueil : John Libbey Eurotext.
59
Arnaud Alessandrin, 2016. La transphobie en France : insuffisance du droit et
expériences de discrimination. In Cahiers du Genre, volume 60, n° 1, p. 193 à 212. Paris :
L’Harmattan.
60
Alessandrin Arnaud et Johanna Dagorn (dir.), 2020. Le rôle de la ville dans la lutte contre
les discriminations. Bordeaux : MSHA.
61
Bruno Perreau, 2018. Qui a peur de la théorie queer ? Paris : Presses de Sciences Po.
Lire aussi : Judith Butler, 2005. Trouble dans le genre. Paris : Éditions La Découverte.
62
Arnaud Alessandrin, 2017. Au-delà du troisième sexe : expériences de
genre, classifications et débordements. In Socio, n° 9, Paris : Éditions de la
Maison des sciences de l’homme. En ligne :
https://journals.openedition.org/socio/3049 (consulté le 26/11/2020).
63
Fanny Poirier, Agnès Condat, Laurie Laufer et alii, 2018. Non-binarité et
transidentités à l’adolescence. In Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, volume
66, n° 6. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson.
64
Karine Espineira et Arnaud Alessandrin, 2015. Sociologie de la transphobie. Bordeaux :
MSHA.
65
Johanna Dagorn, Arnaud Alessandrin, 2018. La santé des LGBTI à l’école. In L’école des
parents, n° 627, p. 28 à 29. Toulouse : Éditions Érés.
66
Diagnostic and Statistical Manual.
67
Térésa De Lauretis, 2007. Théorie Queer et culture populaire. Paris : Éditions La
Dispute.
68
Du côté des sciences humaines et sociales, des chercheurs et chercheuses opposés au
mariage pour tous ont par exemple fait évoluer leurs écrits. On pensera à l’anthropologue
Françoise Héritier ou à la sociologue Irène Théry, cette dernière devenant même une alliée
dans la conquête du mariage pour tous.
Troisième partie
La non-binarité
Un phénomène en progression ?
« on ne saurait limiter
à des questions d’appellation
ces nouvelles identités de
genre »
Un contexte d’incertitude
« la dégénitalisation du sexe
n’en est très certainement
qu’à ses balbutiements »
On estime qu’à la naissance, environ 2 000 enfants naissent
avec des formes anatomiques ne correspondant pas aux
normes génitales « mâles » et « femelles »88. À ces personnes
s’ajoutent celles et ceux qui développent durant leur puberté
des formes de sexuation secondaires atypiques, qui font du
sexe un continuum et non un concept binaire et figé, sans
circulation d’une catégorie à l’autre89. La théorie fondatrice de la
prise en charge médicale des personnes intersexes, la théorie
de Robert Stoller90 – selon laquelle, en assignant un sexe
anatomique à l’enfant intersexe, on lui assigne un genre (bref,
que le sexe décide du genre) – a été très largement mise à
mal91. Condamnée à de multiples reprises par le maintien
d’opérations génitales sur le corps d’enfants intersexes non
consentants (notamment par la Commission nationale
consultative des Droits de l’Homme), la France poursuit encore
aujourd’hui ce qui est nommé des « mutilations », afin de faire
perdurer la différence des sexes sous sa forme la plus
anatomique92.
La dégénitalisation du sexe n’en est très certainement qu’à ses
balbutiements, en France notamment. Mais il est à souhaiter
que l’augmentation tendancielle des droits des minorités finisse
par s’étendre jusqu’aux personnes intersexes. Désétatiser le
genre et le sexe, les rendre disponibles à l’individu : voici les
mouvements de genre que l’on aura tenté d’illustrer ici. Par ces
derniers, le droit, la médecine, les médias ou bien encore
l’institution scolaire sont appelés à trouver des nouvelles formes
d’accueil, d’écoute, d’accompagnement et, in fine, de non-
discrimination.
69
Mathieu Trachman et Tania Lejbowicz, 2018. Des LGBT, des non binaires et des cases.
Catégorisation statistique et critique des assignations de genre et de sexualité dans une
enquête sur les violences. In Revue française de sociologie, volume 59, n° 4, p. 677 à 705.
Paris : Presses de Sciences Po.
70
En France, l’importation des théories queer et la démocratisation d’Internet au début des
années 2000 ont fortement contribué à cela.
71
Mireille Elchacar, 2019. Comparaison du traitement lexicographique des appellations des
identités de genre non traditionnelles dans les dictionnaires professionnels et profanes. In
Éla – Études de linguistique appliquée, volume 194, n° 2, p. 177 à 191. Paris : Éditions
Klincksieck.
72
Gabrielle Richard, 2019. Hétéro, l’école ? Plaidoyer pour une éducation antioppressive à
la sexualité. Montréal : Éditions du remue-ménage.
73
Arnaud Alessandrin, Karine Espineira, Maud-Yeuse Thomas (dir.), 2014. Les
transidentités à l’école. In Les cahiers de la transidentité, volume 4. Paris : L’Harmattan.
74
Fanny Gallot et Gaël Pasquier, 2018. L’école à l’épreuve de la « théorie du genre » : les
effets d’une polémique. Introduction. In Cahiers du Genre, volume 65, n° 2, p. 5 à 16.
Paris : L’Harmattan.
75
Gabrielle Richard et Arnaud Alessandrin, 2019. Politiques éducatives et expériences
scolaires des jeunes trans au Québec et en France : un panorama. In Genre, sexualité &
société, n° 21, OpenEdition Journals.
76
De la même manière que pour les questions de sexualité en général. Voir à cet égard :
Yaelle Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux, 2020.
Les jeunes, la sexualité et Internet. Paris : François Bourin éditeur.
77
Mélanie Bourdaa et Arnaud Alessandrin, 2019. Fan studies, Gender studies : le retour.
Paris : Éditions Téraèdre.
78
Pour le dire comme Éric Fassin. Lire : Joan W. Scott et Debra Keates (dir.), 2004.
Usages of Science and Science of Usages : on Homoparental Families (trad. James
Swenson). In Going Public. Feminism and the Shifting Boundaries of the Private Sphere, p.
241 à 260. Champaign : The University of Illinois Press.
79
Dans sa version complète, la recherche est présentée dans Arnaud Alessandrin,
Johanna Dagorn, Anastasia Meidani, Gabrielle Richard, Marielle Toulze, 2020. Santé
LGBT. Bordeaux : Éditions Bord de l’eau.
80
Nous sommes donc loin du sondage OpinionWay #MOIJEUNE, qui, en 2017, annonçait
que 13 % des 18-30 ans (toutes sexualités confondues) interrogés ne s’identifient pas
comme hommes ou femmes. Un questionnement identitaire qui ne touche pas uniquement
les 18-35 ans : selon un autre sondage mené par YouGov pour 20 Minutes en février 2018,
sur la population générale cette fois, 6 % des interviewés ne se définissent pas de façon
binaire.
81
Par exemple, sur 136 personnes se considérant comme non binaires, 97 ont 25 ans et
moins (soit plus de 72 % alors que cette tranche d’âge représente 38 % des répondants
dans l’enquête), 33 ont entre 26 et 45 ans (soit 24 % alors que cette tranche d’âge
représente 46 % des répondants dans l’enquête). Enfin, 6 ont plus de 45 ans (soit 4 % alors
que cette tranche d’âge représente 16 % des personnes qui ont répondu à l’enquête).
82
Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin, 2015. Être une fille, un gay, une lesbienne ou
un·e trans au collège et au lycée. In Le sujet dans la cité, volume 6, n° 2, p. 140 à 149.
Paris : Éditions Téraèdre.
83
Jean Malpas et Samantha Bosman, 2014. L’enfant en non-conformité de genre et sa
famille : une approche systémique. In Cahiers critiques de thérapie familiale et de
pratiques de réseaux, volume 52, n° 1, p. 139 à 165. Louvain-la-Neuve : De
Boeck. Les écrits de certaines chercheuses canadiennes semblent, en la
matière, bien plus engagés. Lire par exemple : Annie Pullen Sansfaçon, 2015.
Parentalité et jeunes transgenres : un survol des enjeux vécus et des interventions à
privilégier pour le développement de pratiques transaffirmatives. In Santé mentale au
Québec, volume 40, n° 3, p. 93 à 107. En ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/smq/2015-
v40-n3-smq02336/1034913ar/ ( consulté le 26/11/2020).
84
Fanny Poirier, 2019. Processus adolescent et identifications de genre.
De la créativité de genre aux identités plurielles. In Arnaud Alessandrin (dir.), Actualité des
trans studies, p. 49 à 57. Paris : Éditions des archives contemporaines.
85
Sabine Prokhoris, 2000. Le sexe prescrit. Paris : Flammarion.
86
Didier Eribon, 2005. Échapper à la psychanalyse. Paris : Léo Scheer.
87
Expression utilisée par Judith Butler, en particulier lors de la conférence
qu’elle a donné à Paris 10 Nanterre le 25 mai 2004. En ligne :
https://www.multitudes.net/faire-et-defaire-le-genre/ (consulté le 09/11/2020).
88
La médecine classe ces naissances dans le panel des « troubles du
développement sexué ».
89
Cynthia Kraus et alii, 2008. Démédicaliser les corps, politiser les identités : convergences
des luttes féministes et intersexes. In Nouvelles Questions Féministes, volume 27, n° 1 : À
qui appartiennent nos corps ?, p. 4 à 15. Lausanne : Éditions Antipodes. En ligne :
https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2008-1-page-
4.htm?contenu=article (consulté le 26/11/2020). Lire aussi : Cynthia Kraus,
2015. Diagnostiquer les fœtus intersexués : quoi de neuf docteurs ?
Commentaire In Sciences sociales et santé, volume 33, n° 1, p. 35 à 46,
John Libbey Eurotext. En ligne : https://www.cairn.info/revue-sciences-
sociales-et-sante-2015-1-page-35.htm (consulté le 26/11/2020).
90
Robert Stoller, 1978. Recherches sur l’identité sexuelle à partir du
transsexualisme. Paris : Éditions Gallimard.
91
Judith Butler, 2008. Trouble dans le genre. Paris : Éditions La Découverte.
Pour un récit autobiographique et analytique du parcours intersexe, lire :
Vincent Guillot, 2008. Intersexes : ne pas avoir le droit de dire ce que l’on ne
nous a pas dit que nous étions. In Nouvelles Questions Féministes, volume 27, n° 1, p. 37 à
48. Lausanne : Éditions Antipodes.
92
Benjamin Moron-Puech et Mila Petkova, 2017. Le GISS | Alter Corpus. Une association
engagée auprès des personnes intersexuées (entretien réalisé par Arnaud Alessandrin et
Johanna Dagorn). In Les cahiers de la LCD, volume 5, n° 3, p. 131 à 143. Paris :
L’Harmattan.
Quatrième partie
L’expérience drag-queen :
exacerber le genre
Et si déprivilégier le genre passait par son exagération ? Par
sa dramatisation ? C’est ce que propose la pratique drag. Mais
ses nouveaux contours nous interrogent : qu’est-ce que cela
signifie, aujourd’hui en France, de caricaturer le genre jusqu’à
son obsolescence ?
Luttes structurantes
B. est une drag « des années 1990 », comme elle se définit elle-
même103. À 42 ans, elle assume son âge et l’expérience qui va
avec : « Il n’y en a plus beaucoup des comme moi. Je suis un
dinosaure », dit-elle. B. insiste longuement sur le glissement
politique qui accompagne les mouvements drag, et en
particulier ceux des années 1990 et 2010. « Attention vous allez
voir le logo ORTF apparaître, mais c’est vrai que les drags
d’aujourd’hui n’ont pas connu le sida comme nous. C’est super,
évidemment, mais pour des vieilles telles que moi, ça nous
force à changer de logiciel. Passer des VHS à Twitter, en
quelque sorte ». Comme le soulignent Tiphaine Bressin et
Jérémy Patinier dans leurs travaux sur le voguing, les années
1990 impriment sur le mouvement drag des thématiques
centrales, comme la lutte contre le VIH. C’est également ce que
rappelle Jean-Yves Le Talec dans son ouvrage consacré aux
Sœurs de la perpétuelle indulgence, groupe de personnes
travestis en nonnes et luttant, par la parodie et l’activisme,
contre le VIH et les infections sexuellement transmissibles (IST).
« la question de la légitimité
drag semble aujourd’hui passer
par une politisation du discours
et de la pratique »
Si les registres de la politisation se déplacent en fonction des
thématiques mises en avant par les mouvements sociaux et les
politiques LGBT, la question de la légitimité drag semble
aujourd’hui passer par une politisation du discours et de la
pratique, qui s’appuie sur de nouveaux référentiels. Pour A., « la
théorie queer est constamment présente dans notre pratique ».
Elle insiste : « C’est hyper important d’avoir un discours
construit et des livres comme ceux de Judith Butler ou Sam
Bourcier ont été de vraies révélations pour moi ». S’arrimer à la
théorie pour proposer un univers scénique revient, pour le dire
comme Éric Fassin, à un « usage de la science », une
réappropriation ainsi qu’une politisation ; une « pratique de la
théorie »104 qui s’inscrit très nettement dans les pas des
écrivaines et écrivains queers et de certains courants
féministes. B. relate elle aussi cette politisation progressive
dans son parcours : « Au début je faisais vraiment ça pour
m’amuser, pour créer un personnage. J’adorais ça. Et puis un
jour j’ai rencontré J., une Mother Drag devenue célèbre sur
Paris. Elle nous a coupé net dans notre élan de gamines en
nous mettant entre les mains du Butler ou du de Lauretis et elle
nous a dit : "Maintenant les filles, on va être belles et
intelligentes". Et, tu vois, je n’avais jamais pensé que mon
personnage allait autant gagner en complexité. Aujourd’hui, je
conseille à tous les bébés drags qui arrivent de se nourrir de ça.
Depuis on a tourné avec des lectures "drag-queer", comme ça
nous aussi on fait découvrir ces textes à notre public. On est
des bibliothèques sur talons. On est folles. »
Drag Race
« la décentralisation de la
culture
drag marque une réelle
différence
avec les années 1990 »
Cette expansion en province crée littéralement une offre locale
en termes de représentations LGBTIQ (surtout gay) et
encourage de nouvelle houses à se former. « Quand on a
débuté, on était seules et on se demandait comment ça allait
fonctionner, si ça allait prendre, si des gens allaient être
réceptifs. On a fait des petits clubs pour débuter, des soirées
associatives, comme ça, sans vraiment savoir où on mettait les
pieds, et très vite on a croulé sous les demandes. On peut
performer devant plus de 500 personnes en une semaine. C’est
inespéré. On a même entendu qu’une nouvelle maison allait se
constituer. On n’a rien contre évidemment, il en faut pour tous
les goûts et y’a de la place pour tout le monde dans le monde
drag », relate S., drag dans une grande ville de province.
Précarité
La dette du genre
Faire et être
114
Virginie Despentes, 2006. King Kong théorie. Paris : Éditions Grasset.
Lexique
L’auteur souhaite remercier Johanna Dagorn
pour ses relectures du Lexique et pour ses remarques
Cisgenre/cisidentité
Sont nommées « cisgenres » ou « cisidentitaires » les
personnes dont le sexe assigné à la naissance correspond,
sinon parfaitement du moins grandement, à l’identité de genre
de la personne. La cisidentité permet de rappeler que les
minorités ne sont pas seules à être « particulières » et, par
conséquent, que les majorités (ou celles et ceux qui sont jugés
comme « normaux ») sont aussi une composante « particulière »
de la société, qu’il convient de nommer.
Féminisme
Il n’existe pas « un » mais « des » féminismes, qui peuvent être
historiquement reconstitués en « vagues ». La première vague
inaugurale du féminisme, celle d’Olympe de Gouges, des
Suffragettes ou de Louise Michel, impose le débat de l’égalité
entre les citoyen·ne·s. Avec cette phrase : « On ne naît pas
femme, on le devient », on estime que c’est à Simone de
Beauvoir avec le Deuxième sexe (1949) que l’on doit le passage
à une « deuxième vague ». Cette dernière se caractérise
notamment par le droit à disposer de son corps, le droit à
l’avortement et à la contraception, avec comme slogan
fédérateur « Mon corps m’appartient ». Ces vagues se
superposent et entraînent des résistances, y compris au sein
même des mouvements féministes. L’opposition au patriarcat
(Christine Delphy), ou à l’hétéronormativité (Monique Wittig)
marquent alors durablement la pensée féministe. Dans les
années 1990, le féminisme se déploie en une « troisième
vague » marquée par des travaux queer (Judith Butler) ou
intersectionnels (Angela Davis, Elsa Dorlin). Le féminisme se
réinvente continuellement et s’enrichit des pensées marxistes,
égalitaristes, psychanalytiques, universalistes et donne
naissance à de nouveaux courants qui intègrent toutes les luttes,
comme par exemple, l’écoféminisme, le féminisme décolonial, le
transféminisme, etc.
Genre
« Le genre est un arsenal catégoriel qui classe […] en ce que les
valeurs portées par le pôle masculin sont considérées comme
supérieures à celles portées par l’autre pôle » selon
l’anthropologue Françoise Héritier (Hommes, Femmes : la
construction de la différence, Éditions Le Pommier, 2010). Cette
socialisation différentiée et hiérarchisante nous donne des
indications sur ce que le genre n’est pas : c’est-à-dire ni une
donnée purement biologique, ni une évidence historique, ni
même une norme fixe (socialement comme individuellement).
Toutefois, un certain nombre de normes de genre ne cessent de
se répéter : l’idée d’une différence fixe entre les catégories
« femme » et « homme », l’idée d’une naturalité fondamentale
des sexes, l’idée d’une inégalité socialement justifiée entre ces
catégories (également nommée patriarcat) et l’hétérosexualité
comme norme répétée. Lorsque ces normes ne sont pas
respectées, une « police de genre » intervient bien souvent sur
les individus, qui subissent des sanctions en réponse à leurs
transgressions. Il existe ainsi des inégalités et des
discriminations genrées que l’on retrouve aussi bien dans les
carrières professionnelles des femmes, dans le partage des
tâches ménagères, dans les orientations scolaires, dans les
injonctions corporelles ou dans les rôles publics incarnés par les
femmes comme par les hommes. Mais si les attitudes et les
comportements inhérents au genre font l’objet d’un long
apprentissage, ils sont néanmoins susceptibles d’évoluer. Ces
évolutions individuelles et collectives sont portées par les
mouvements féministes et LGBTIQ (lesbiens, gays, bissexuels,
trans, intersexes et queers). Dans sa célèbre phrase, la
philosophe américaine Judith Butler résume ainsi : le genre,
c’est « une pratique d’improvisation qui se déploie à l’intérieur
d’une scène de contraintes » (Défaire le genre, Amsterdam,
2006.).
Identité de genre
Les Principes de Jogjakarta (2007) définissent l’identité de genre
« comme faisant référence à l’expérience intime et personnelle
de son genre profondément vécue par chacun, qu’elle
corresponde ou non au sexe assigné à la naissance, y compris
la conscience personnelle du corps (qui peut impliquer, si
consentie librement, une modification de l’apparence ou des
fonctions corporelles par des moyens médicaux, chirurgicaux ou
autres) et d’autres expressions du genre, y compris
l’habillement, le discours et les manières de se conduire ». Tous
les individus ont une identité de genre, mais toutes les identités
de genre ne sont pas soumises aux mêmes suspicions,
sanctions ou validations.
Injure
L’injure, si elle est à caractère discriminatoire, est punie par la
loi. Qu’elle soit prononcée en privé comme en public, son emploi
reste prohibé, y compris sur Internet que l’on considère comme
faisant partie de l’espace public. Pour Didier Eribon (1999),
l’injure est inaugurale des identités des minorités en ce sens
qu’elle s’abat, très tôt, sur les personnes discriminées.
Évidemment, l’injure est un stigmate. Mais il n’est pas
nécessaire d’être injurié pour se savoir potentiellement la cible
d’injures. L’injure est donc aussi une menace, qui se banalise
(« Fais pas ton pédé », « C’est un travail d’arabe »). Si les mots
peuvent blesser, l’injure parvient parfois à être réappropriée,
positivée et revendiquée comme un élément identitaire pouvant
générer de la fierté (« négritude », « féminisme », « PD », par
exemple).
Intersectionnalité
En 1991, la féministe américaine Kimberlé Williams Crenshaw
publie un article (Mapping the margins: intersectionality, identity
politics and violence against women of color, Stanfort Law
Review, vol. 43, n°6) sur l’importance de lier les questions de
racisme et de sexisme. C’est à partir de cet écrit que le terme
d’intersectionnalité se diffuse dans les milieux féministes et
académiques, insistant sur la nécessité de ne pas saisir les
caractéristiques des individus et des groupes, ainsi que les
rapports de dominations qui se tissent entre les groupes, selon
un critère unique de leur identité. Les imbrications mais aussi les
tensions entre les questions de sexisme, de racisme et de
classisme (liées aux dominations entre les classes sociales) sont
particulièrement étudiées par les approches intersectionnelles.
Intersexe
Se dit de personnes sur lesquelles la médecine est intervenue
sans consentement, soit chirurgicalement et/ou par le biais
d’hormones, afin de normaliser l’appareil génital et le corps. La
médecine procède dès le plus jeune âge à des interventions non
consenties afin d’assigner, selon le modèle de la binarité, un
sexe à l’enfant alors opéré. Les personnes intersexes sont ainsi
marquées par de nombreuses interventions qui ne prennent pas
en compte leur identité de genre. Aujourd’hui, si de nombreux
pays réclament l’arrêt de ces mutilations non consenties ou y
sont parvenus, la France poursuit son programme d’assignation
d’un sexe à la naissance.
LGBTphobies
L’homophobie et la transphobie sont des discriminations punies
par la loi qui renvoient à l’hostilité envers des personnes qui se
définissent comme homosexuelles ou trans ou bien qui sont
supposées l’être. Les violences et l’exclusion produites se
déclinent sous différentes formes comme la lesbophobie, la
gayphobie, la biphobie ou la transphobie, reconnue dans le droit
français depuis 2012. Les concepts d’hétérosexisme et de
cissexisme renvoient plus généralement aux sanctions subies
par les individus qui dérogent aux normes de genre et de
sexualité en vigueur dans un contexte donné.
Masculinités
Comment interroger le sexisme si la masculinité n’est pas
interrogée ? En 1995, Reawyn W. Connell, sociologue
australienne, publie un livre qui fera date, sur les masculinités
(Masculinities, University of California Press, 1995). Elle y définit
la masculinité non comme une somme d’évidences biologiques
mais comme une construction politique. La sociologue
distinguera quatre types de masculinités qu’elle nommera
« hégémoniques », « complices », « subordonnées », et
« marginalisées », pour souligner que si la masculinité
contemporaine a un réel coût social, et notamment du côté des
violences faites aux femmes, elle a aussi un impact sur d’autres
hommes dont la masculinité est jugée illégitime. Aujourd’hui les
questions de harcèlement de rue, de harcèlement sexiste au
travail ou d’homophobie dans le sport interrogent avec insistance
ces masculinités hégémoniques et complices.
Préjugés, stéréotypes et discriminations de genre
On nomme stéréotypes de genre l’ensemble des représentations
communément associées au féminin et au masculin. Quant au
préjugé, il s’agit plus d’une attitude évaluatrice, favorable ou
défavorable, positive ou négative à l’égard d’une personne (ou
groupe de personnes). Ces préjugés et stéréotypes donnent lieu
à des « discriminations », c’est-à-dire des traitements
différenciés prohibés par la loi. En cela, la discrimination est
contraire au principe d’égalité. Il existe aujourd’hui 24 critères de
discriminations dont l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le
sexe de la personne, l’apparence (non sans lien avec le sexisme
dans bien des cas) ou encore, l’état de grossesse. Voir
https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/institution/competences/lutte
-contre-discriminations (consulté le 25/11/2020).
Queer
Le terme anglais « queer » renvoie à une insulte (« pédé »,
« tapette », etc.) qui désigne quelqu’un d’étrange, de tordu ou de
malade. Mais dans les années 1990, en procédant par
renversement du stigmate, des groupes LGBT se réapproprient
le terme afin d’en phagocyter la charge péjorative. « Queer »
devient alors une identité, un slogan. Mais le « queer » est aussi
un mouvement, en provenance des marges sexuelles de la
société, qui défend le nomadisme de l’identité (son aspect non
essentiel). Le mouvement queer est aussi une critique des
tentatives de normalisation et d’assimilation des marges aux
normes coercitive. Ainsi, le mouvement queer épouse également
la forme de productions théoriques et la « théorie queer » à son
tour va fermement critiquer les dispositifs normatifs. S’il s’agit là
d’une théorie générale critique, il s’agit également d’une pratique
au sens ou le mouvement queer encourage la performance et la
création comme outil de déconstruction des normes.
Sexisme
Le sexisme est une idéologie et une pratique qui définit et justifie
les inégalités et hiérarchies entre les femmes et les hommes à
l’avantage de ces derniers. À ses côtés, le terme de misogynie
signifie littéralement la haine des femmes et désigne un
sentiment de mépris à leur égard. Quant au terme de machisme,
il renvoie aux comportements issus des privilèges acquis par les
hommes. Ce système, que l’on nomme aussi patriarcat, est donc
une forme d’organisation sociale et culturelle dans laquelle les
pouvoirs (économiques, politiques, symboliques) sont
concentrés dans les mains des hommes. La persistance de la
domination masculine, qui s’appuie sur une dévalorisation du
féminin, peut également être intégrée par les femmes tant celle-
ci est prégnante dans nos sociétés.
Sexualité
La sexualité est un terme parapluie qui permet de saisir
différentes composantes. En effet, nous avons tou·te·s une
sexualité qui n’indique pas forcément une pratique sexuelle
unique ou effective. Aussi, la notion de sexualité comprend celle
d’orientation sexuelle. Traditionnellement découpée en
« homosexualité », « hétérosexualité », « bisexualité », nous
pouvons poser la question de la persistance et de la robustesse
de notre « orientation sexuelle » : gardons-nous toujours la
même ? N’en avons-nous pas plusieurs en même temps ? Enfin,
tout ceci se différencie de l’identité sexuelle, c’est-à-dire
l’ensemble des mots pour dire sa sexualité. Aujourd’hui de
nouvelles identités s’expriment comme la « pansexualité » (le fait
de ne pas limiter ses désirs à une anatomie) ou « l’asexualité »
(l’absence de pratique sexuelle).
Transgenre/transidentitaire
On entend souvent parler de personne « transsexuelle » mais ce
terme à connotation pathologisante ne sera pas retenu ici. Le
« transsexualisme » renvoie en effet à une nosographie
psychiatrique alors que les parcours transidentitaires ne sont pas
réductibles à l’idée d’un trouble ou d’une maladie. Bien au
contraire, ils participent plutôt d’une nouvelle approche des
parcours de vie et des parcours de genre, moins statique. On
emploiera de manière indistincte le terme de « transgenre » et
de « trans », au sens d’un terme parapluie qui englobe les
personnes trans, c’est-à-dire les personnes dont le sexe assigné
à la naissance ne correspond pas à l’identité de genre vécue.
Violences de genre
Les violences de genre correspondent aux attaques subies par
un individu en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe,
ou sa non-conformité aux rôles socialement attribués à son
sexe. Les violences de genre sont présentes dans toutes les
sociétés et ne peuvent donc se réduire à des responsabilités
individuelles puisqu’elles s’incarnent dans des normes et des
phénomènes massifs comme les violences faites aux femmes. Il
existe diverses formes de violences de genre : verbales,
physiques, psychologiques, sexuelles, économiques et
symboliques.
La vraie mission de chaque homme était celle-ci : parvenir à soi-même.
Double ponctuation accompagne ses auteurs au plus près, pour faire de leurs textes des
livres. Nous croyons que la qualité de la relation qui existe entre l’éditeur et l’auteur
détermine aussi la qualité du livre qui en naîtra. Nous travaillons avec des professionnels
de la chaîne du livre, basés en France ou en Europe. Nous respectons le droit d’auteur, qui
protège la création, qu’il s’agisse de celui des auteurs, graphistes, créateurs de police de
caractères, d’illustrateurs…
Nous essayons de lutter à tous prix contre la surproduction des livres – qui nourrit
essentiellement, au final, le pilon – en ne portant qu’un nombre raisonnable de projets
éditoriaux tous les ans et en ajustant les tirages au plus près. Nous luttons aussi contre le
clonage des livres – où toutes les publications finissent par se ressembler, traitent des
mêmes sujets, de la même façon. L’éditeur indépendant doit porter d’autres regards sur le
monde ; dans tous les domaines, la diversité est vitale.
En matière d’écriture inclusive et de féminisation des textes que nous publions, nous
avons choisi avant tout de respecter la volonté des personnes qui nous confient leurs écrits.
Le masculin continue à être très utilisé en tant que genre neutre, par beaucoup d’auteurs et
d’auteures, sans que cela implique un désintérêt de leur part pour le féminisme ou
l’évolution de notre langue. Il ne nous semble pas possible de contraindre qui que ce soit
d’utiliser le point médian – qui pose d’ailleurs des questions de confort de lecture sur des
textes longs –, ni d’utiliser systématiquement et de façon consécutive les deux genres.
Nous encourageons bien entendu la féminisation des professions, qui nous semble être un
minimum indispensable. Cette position globale sur la féminisation de l’écriture en français
pourra bien sûr être revue selon l’évolution de notre profession d’éditeur, et au regard des
débats en cours sur ces questions. Enfin, pour cet ouvrage, le choix a été fait d’indiquer
« gay », « queer », « drag » et « drag-queen » sans italique – contrairement aux règles
typographiques en vigueur – car ces termes nous semblent suffisamment acceptés dans le
langage courant pour ne pas être particulièrement distingués.