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Chapitre IV
LA MÉMOIRE COLLECTIVE
ET L’ESPACE
Auguste Comte observait que l'équilibre mental résulte pour une bonne part, et
d'abord, du fait que les objets matériels avec lesquels nous sommes en contact
journalier ne changent pas ou changent peu, et nous offrent une image de permanence
et de stabilité. C'est comme une société silencieuse et immobile, étrangère à notre
agitation et à nos changements d'humeur, qui nous donne un sentiment d'ordre et de
quiétude. Il est exact que plus d'un trouble psychique s'accompagne d'une sorte de
rupture de contact entre notre pensée et les choses, d'une incapacité à reconnaître les
objets familiers, si bien que nous nous trouvons perdus dans un milieu étranger et
mouvant, et que tout point d'appui nous manque. En dehors même des cas
pathologiques, lorsque quelque événement nous oblige aussi à nous transporter dans
un nouvel entourage matériel, avant que nous ne nous y soyons adaptés, nous
traversons une période d'incertitude, comme si nous avions laissé derrière nous notre
personnalité tout entière : tant il est vrai que les images habituelles du monde
extérieur sont inséparables de notre moi.
Il ne s'agit pas seulement de la gêne que nous avons à changer nos habitudes
motrices. Pourquoi s'attache-t-on aux objets ? Pourquoi désire-t-on qu'ils ne changent
point, et continuent à nous tenir compagnie ? Écartons toute considération de com-
modité ou d'esthétique. Il reste que notre entourage matériel porte à la fois notre
marque et celle des autres. Notre maison, nos meubles et la façon dont ils sont
Maurice Halbwachs, La mémoire collective (1950) 84
disposés, tout l'arrangement des pièces où nous vivons, nous rappellent notre famille
et les amis que nous voyons souvent dans ce cadre. Si nous vivons seuls, la région de
l'espace qui nous entoure de façon permanente et ses diverses parties ne reflètent pas
seulement ce qui nous distingue de tous les autres. Notre culture et nos goûts
apparents dans le choix et la disposition de ces objets s'expliquent dans une large
mesure par les liens qui nous rattachent toujours à un grand nombre de sociétés,
sensibles ou invisibles. On ne peut dire que les choses fassent partie de la société.
Cependant meubles, ornements, tableaux, ustensiles et bibelots circulent à l'intérieur
du groupe, y sont l'objet d'appréciations, de comparaisons, ouvrent à chaque instant
des aperçus sur les directions nouvelles de la mode et du goût, et aussi nous
rappellent les coutumes et distinctions sociales anciennes. Dans un magasin
d'antiquités, toutes les époques et toutes les classes s'affrontent ainsi, dans les
membres épars et hors d'usage des mobiliers dispersés ; et certes, l'on se demande: à
quelle personne ont pu appartenir ce fauteuil, ces tapisseries, ce nécessaire, cette
coupe ? mais on songe en même temps (et c'est au fond la même chose) au monde qui
se reconnaissait en tout cela, comme si le style d'un mobilier, le goût d'un
aménagement étaient pour lui l'équivalent d'un langage qu'il comprenait. Lorsque
Balzac décrit une pension de famille, la maison d'un avare, et Dickens, l'étude d'un
notaire, ces tableaux nous permettent déjà de pressentir à quelle espèce ou catégorie
sociale appartiennent les hommes qui vivent dans un tel cadre. Ce n'est pas une
simple harmonie et correspondance physique entre l'aspect des lieux et des gens.
Mais chaque objet rencontré, et la place qu'il occupe dans l'ensemble, nous rappellent
une manière d'être commune à beaucoup d'hommes, et lorsqu'on analyse cet
assemblage, qu'on attire notre attention sur chacune de ses parties, c'est comme si l'on
disséquait une pensée où se confondent les apports d'une quantité de groupes.
De fait, les formes des objets qui nous entourent ont bien cette signification. Nous
n'avions pas tort de dire qu'ils sont autour de nous comme une société muette et
immobile. S'ils ne parlent pas, nous les comprenons cependant, puisqu'ils ont un sens
que nous déchiffrons familièrement. Immobiles, ils ne le sont qu'en apparence,
puisque les préférences et habitudes sociales se transforment, et si l'on se lasse d'un
meuble ou d'une chambre, c'est comme si les objets eux-mêmes vieillissaient. 11 est
vrai que, pendant des périodes de temps assez longues c'est l'impression d'immobilité
qui prédomine, et qui s'explique à la fois par la nature inerte des choses physiques et
par la stabilité relative des groupes sociaux. Il serait exagéré de prétendre que les
déménagements ou changements de lieu, et les modifications importantes introduites
à certaines dates dans l'installation et l'ameublement d'un appartement, marquent
autant d'époques dans l'histoire de la famille. La stabilité du logement et de son
aspect intérieur n'en imposent pas moins au groupe lui-même l'image apaisante de sa
continuité. Des années de vie commune écoulées dans un cadre à ce point uniforme
se distinguent mal l'une de l'autre, et l'on en vient à douter que beaucoup de temps ait
passé, et qu'on ait changé grandement dans l'intervalle. Ce n'est pas entièrement
inexact. Lorsqu'un groupe est inséré dans une partie de l'espace, il la transforme à son
image, mais en même temps il se plie et s'adapte à des choses matérielles qui lui
résistent. Il s'enferme dans le cadre qu'il a construit. L'image du milieu extérieur et
des rapports stables qu'il entretient avec lui passe au premier plan de l'idée qu'il se fait
de lui-même. Elle pénètre tous les éléments de sa conscience, ralentit et règle son
évolution. L'image des choses participe à l'inertie de celles-ci. Ce n'est pas l'individu
isolé, c'est l'individu en tant qu'il est membre du groupe, c'est le groupe lui-même qui,
de cette manière, demeure soumis à l'influence de la nature matérielle et participe de
son équilibre. Alors même qu'on pourrait croire qu'il en est autrement, quand les
membres d'un groupe sont dispersés et ne retrouvent rien, dans leur nouvel entourage
Maurice Halbwachs, La mémoire collective (1950) 85
matériel, qui leur rappelle la maison et les chambres qu'ils ont quittées, s'ils restent
unis à travers l'espace, c'est qu'ils pensent à cette maison et à ces chambres. Quand on
dispersait les messieurs et les religieuses de Port-Royal, rien n'était fait tant que l'on
n'avait pas rasé les bâtiments de l'abbaye, et que n'avaient pas disparu ceux qui en
conservaient le souvenir.
Ainsi s'explique que les images spatiales jouent un tel rôle dans la mémoire
collective. Le lieu occupé par un groupe n'est pas comme un tableau noir sur lequel
on écrit puis on efface des chiffres et des figures. Comment l'image du tableau
rappellerait-elle ce qu'on y a tracé, puisque le tableau est indifférent aux chiffres, et
que, sur un même tableau, on peut reproduire toutes les figures qu'on veut ? Non.
Mais le lieu a reçu l'empreinte du groupe, et réciproquement. Alors, toutes les
démarches du groupe peuvent se traduire en termes spatiaux, et le lieu occupé par lui
n'est que la réunion de tous les termes. Chaque aspect, chaque détail de ce lieu a lui-
même un sens qui n'est intelligible que pour les membres du groupe, parce que toutes
les parties de l'espace qu'il a occupées correspondent à autant d'aspects différents de
la structure et de la vie de leur société, au moins à ce qu'il y a eu en elle de plus
stable. Certes, les événements exceptionnels se replacent aussi dans ce cadre spatial,
mais parce qu'à leur occasion le groupe a pris conscience avec plus d'intensité de ce
qu'il était depuis longtemps et jusqu'à ce moment, et que les liens qui le rattachaient
au lieu lui sont apparus avec plus de netteté au moment où ils allaient se briser. Mais
un événement vraiment grave entraîne toujours un changement des rapports du
groupe avec le lieu, soit qu'il modifie le groupe dans son étendue, par exemple une
mort, ou un mariage, soit qu'il modifie le lieu, que la famille s'enrichisse ou
s'appauvrisse, que le père de famille soit appelé à un autre poste ou passe à une autre
occupation. A partir de ce moment, ce ne sera plus exactement le même groupe, ni la
même mémoire collective ; mais, en même temps, l'entourage matériel non plus ne
sera plus le même.
Maurice Halbwachs, La mémoire collective (1950) 86
Les divers quartiers, à l'intérieur d'une ville, et les maisons, à l'intérieur d'un
quartier, ont un emplacement fixe et sont aussi attachés au sol que les arbres et les
rochers, une colline ou un plateau. Il en résulte que le groupe urbain n'a pas
l'impression de changer tant que l'aspect des rues et des bâtiments demeure identique,
et qu'il est peu de formations sociales à la fois plus stables et mieux assurées de durer.
Paris et Rome, par exemple, malgré les guerres, les révolutions, les crises, semblent
avoir traversé les siècles sans que la continuité de leur vie ait été un seul moment
interrompue. Le corps national peut être en proie aux convulsions les plus violentes.
Le citoyen descend dans la rue, lit les nouvelles, se mêle aux groupes où on les
discute ; il faut que les jeunes gens courent à la frontière ; il faut payer de lourdes
taxes ; une partie des habitants se dresse contre l'autre, et c'est un épisode d'une lutte
politique qui se poursuit dans le pays tout entier. Mais toute cette agitation se
développe dans un décor familier, et qui ne paraît pas en être affecté. Est-ce le
contraste entre l'impassibilité des pierres et le trouble auquel ils sont livrés, qui les
persuade qu'après tout rien n'est perdu, puisque les murs et les maisons restent debout
? Il faut plutôt considérer que les habitants se trouvent porter une attention très
inégale à ce que nous appelons l'aspect matériel de la cité, mais que le plus grand
nombre sans doute seraient bien plus sensibles à la disparition de telle rue, de tel
bâtiment, de telle maison, qu'aux événements nationaux, religieux, politiques, les plus
graves. C'est pourquoi l'effet de bouleversements, qui ébranlent la société sans altérer
la physionomie de la cité, s'amortit lorsqu'on passe à ces catégories du peuple qui
tiennent de plus près aux pierres qu'aux hommes : par exemple le cordonnier à son
échoppe, l'artisan à son atelier, le marchand à la boutique, à l'emplacement du marché
où on le trouve d'ordinaire, le promeneur aux rues qu'il traverse, aux balustrades des
quais où il flâne, aux terrasses des jardins, les enfants au coin de la place où ils
jouent, le vieillard au mur exposé au soleil, au banc de pierre, le mendiant à la borne
auprès de laquelle il est accroupi. Ainsi, non seulement maisons et murailles
persistent à travers les siècles, mais toute la partie du groupe qui est sans cesse en
contact avec elles, et qui confond sa vie et celle de ces choses, demeure impassible,
parce qu'elle ne s'intéresse pas a ce qui se passe en réalité hors de son cercle le plus
proche et au-delà de son horizon le plus immédiat. Le groupe s'aperçoit donc qu'une
partie de lui-même reste indifférente à ses passions, ses espoirs, ses paniques : et cette
passivité des hommes renforce l'impression qui résultait de l'immobilité des choses.
Mais il en est de même des secousses qui ébranlent tel groupe plus limité, fondé sur
les liens du sang, de l'amitié, de l'amour, deuils, ruptures, jeu des passions et des
intérêts, etc. Alors qu'on est sous le coup d'un ébranlement de ce genre, qu'on sorte,
qu'on parcoure les rues : on s'étonne que la vie autour de nous continue comme si de
rien n'était, que des visages joyeux se montrent aux fenêtres, que des propos
s'échangent entre les passants arrêtés à un carrefour, les acheteurs et les marchands
sur le pas de la porte des boutiques, alors que nous, notre famille, nos amis sentons
passer un vent de catastrophe. C'est que nous, et ceux qui nous tiennent de près, ne
Maurice Halbwachs, La mémoire collective (1950) 87
représentons que quelques unités dans cette multitude. Certes, chacun de ceux que je
rencontrais, pris à part, replacé dans sa famille et dans le petit groupe de ses amis,
serait capable de sympathiser avec moi, si je lui découvrais mon chagrin ou mes
soucis. Mais les hommes, pris dans les courants qui suivent les rues, soit qu'ils se
présentent comme une foule, soit qu'ils se dispersent et semblent mutuellement se fuir
et s'éviter, ressemblent à des parties de matière serrées l'une contre l'autre, ou en
mouvement, et qui obéissent en partie aux lois de la nature inerte. Ainsi s'explique
leur insensibilité apparente, que nous leur reprocherions à tort, comme à la nature son
indifférence, parce que, si elle nous blesse, elle contribue cependant à nous calmer,
elle nous remet d'aplomb en nous replaçant nous-même un moment sous l'influence
du monde et des forces physiques.
Pour bien saisir ce genre d'influence qu'exercent les divers emplacements d'une
ville sur les groupes qui s'y sont lentement adaptés, il faudrait, dans une grande ville
moderne, observer surtout les quartiers anciens, ou les régions relativement isolées
d'où leurs habitants ne s'éloignent que pour aller à leur travail et qui forment comme
de petits mondes fermés, ou encore, même dans les parties neuves de la cité, les rues
et boulevards peuplés surtout d'ouvriers et où ceux-ci se retrouvent chez eux, parce
qu'entre le logement et la rue il y a de perpétuels échanges, et que les relations de
voisinage s'y multiplient. Mais c'est dans les villes plus petites, un peu à l'écart des
grands courants, ou dans celles des pays orientaux, où la vie est encore réglée et
rythmée comme elle l'était chez nous il y a un ou deux siècles, que les traditions
locales sont le plus stables, et que le groupe urbain apparaît le mieux tel qu'il est
ailleurs à un moindre degré, c'est-à-dire comme un corps social qui, dans ses
divisions et sa structure, reproduit la configuration matérielle de la ville où il est
enfermé. Sans doute la différenciation d'une cité résulte à l'origine d'une diversité de
fonctions et de coutumes sociales ; mais, tandis que le groupe évolue, la cité, dans
son aspect extérieur, change plus lentement. Les habitudes locales résistent aux forces
qui tendent à les transformer, et cette résistance permet le mieux d'apercevoir à quel
point, en de tels groupes, la mémoire collective prend son point d'appui sur des
images spatiales. En effet, les villes se transforment au cours de l'histoire. Souvent, à
la suite de sièges, d'une occupation militaire, de l'invasion de bandes pillardes, des
quartiers entiers sont détruits, et ne subsistent plus qu'à l'état de ruines. L'incendie y
fait des coupes sombres. De vieilles maisons se délabrent lentement. Des rues
autrefois habitées par des riches sont envahies par une population misérable et
changent d'aspect. Des travaux d'édilité, des tracés de voies nouvelles entraînent bien
des démolitions et des constructions : les plans se superposent les uns aux autres. Des
faubourgs qui se sont développés autour de l'enceinte lui sont rattachés. Le centre de
la ville se déplace. Les quartiers anciens, encerclés par de hautes bâtisses neuves,
semblent perpétuer le spectacle de la vie d'autrefois. Mais ce n'est qu'une image de
vétusté, et il n'est pas sûr que leurs anciens habitants, s'ils reparaissaient, les
reconnaîtraient.
Si, entre les maisons, les rues, et les groupes de leurs habitants, il n'y avait qu'une
relation tout accidentelle et de courte durée, les hommes pourraient détruire leurs
maisons, leur quartier, leur ville, en reconstruire, sur le même emplacement, une
autre, suivant un plan différent ; mais si les pierres se laissent transporter, il n'est pas
aussi facile de modifier les rapports qui se sont établis entre les pierres et les
hommes. Lorsqu'un groupe humain vit longtemps en un emplacement adapté à ses
habitudes, non seulement ses mouvements, mais ses pensées aussi se règlent sur la
succession des images matérielles qui lui représentent les objets extérieurs.
Supprimez, maintenant, supprimez partiellement ou modifiez dans leur direction, leur
Maurice Halbwachs, La mémoire collective (1950) 88
orientation, leur forme, leur aspect, ces maisons, ces rues, ces passages, ou changez
seulement la place qu'ils occupent l'un par rapport à l'autre. Les pierres et les
matériaux ne vous résisteront pas. Mais les groupes résisteront, et, en eux, c'est à la
résistance même sinon des pierres, du moins de leurs arrangements anciens que vous
vous heurterez. Sans doute, cette disposition antérieure a été autrefois l'œuvre d'un
groupe. Ce qu'un groupe a fait, un autre peut le défaire. Mais le dessein des hommes
anciens a pris corps dans un arrangement matériel, c'est-à-dire dans une chose, et la
force de la tradition locale lui vient de la chose, dont elle était l'image. Tant il est vrai
que, par toute une partie d'eux-mêmes, les groupes imitent la passivité de la matière
inerte.
EMPLACEMENTS ET DÉPLACEMENTS
ADHÉRENCE DU GROUPE A SA PLACE
Pour que cette résistance se manifeste, il faut qu'elle émane d'un groupe. Ne nous
y trompons pas en effet. Certes, il est inévitable que les transformations d'une ville et
la simple démolition d'une maison gênent quelques individus dans leurs habitudes, les
troublent et les déconcertent. Le mendiant, l'aveugle cherche en tâtonnant
l'encoignure où il attendait les passants. Le promeneur regrette l'allée d'arbres où il
allait prendre le frais, et s'afflige de voir disparaître plus d'un aspect pittoresque qui
l'attachait à ce quartier. Tel habitant pour qui ces vieux murs, ces maisons décrépies,
ces passages obscurs et ces impasses faisaient partie de son petit univers, et dont bien
des souvenirs se rattachent à ces images maintenant à jamais effacées, sent que toute
une partie de lui-même est morte avec ces choses, et regrette qu'elles n'aient pas duré
au moins aussi longtemps qu'il lui reste à vivre. De tels regrets ou de tels malaises
individuels sont sans effet parce qu'ils ne touchent pas de collectivité. Un groupe, au
contraire, ne se contente pas de manifester qu'il souffre, de s'indigner et de protester
sur le moment. Il résiste de toute la force de ses traditions, et cette résistance n'est pas
sans effets. Il cherche et il réussit en partie à retrouver son équilibre ancien dans les
conditions nouvelles. Il essaie de se maintenir ou de se reformer dans un quartier ou
dans une rue qui ne sont plus faits pour lui, mais sur l'emplacement qui était le sien.
Pendant longtemps, de vieilles familles aristocratiques, un ancien patriciat urbain
n'abandonnent pas volontiers le quartier où jusqu'à présent et depuis un temps
immémorial ils avaient fixé leur résidence, malgré que la solitude se fasse autour
d'eux et que de nouveaux quartiers riches se développent sur d'autres points, avec des
voies plus larges, des parcs à proximité, plus d'air, d'animation, et un aspect plus
moderne. Mais la population pauvre non plus ne se laisse pas déplacer sans
résistance, sans des retours offensifs et, même quand elle cède, sans laisser derrière
elle bien des parties d'elle-même. Derrière les façades nouvelles, aux abords
d'avenues bordées de maisons riches récemment bâties, dans les cours, dans les
allées, dans les ruelles des environs, la vie populaire d'autrefois s'abrite et ne recule
que pas à pas. C'est ainsi qu'au milieu des quartiers neufs on est surpris de rencontrer
des îlots archaïques. C'est un fait bien curieux que l'on voie reparaître, même après un
Maurice Halbwachs, La mémoire collective (1950) 89
La mémoire
collective
Le groupe dans son cadre spatial. Puissance du milieu matériel, Les pierres de
la Cité, Emplacements et déplacements. Adhérence du groupe à sa place,
Groupements en apparence sans bases spatiales ; groupements juridiques,
économiques, religieux, L'insertion dans l'espace de la mémoire
collective, L'espace juridique et la mémoire des droits, L'espace
économique, L'espace religieux.
Maurice Halbwachs, La mémoire collective (1950) 4
AVERTISSEMENT
POUR LA DEUXIÈME
ÉDITION
En 1949, il y a près de vingt ans, on n'avait pas cru devoir introduire dans le livre
un article publié de son vivant par Maurice Halbwachs dans la Revue philosophique
(1939, nos 3-4) : « La mémoire collective chez les musiciens », bien qu'il eût
envisagé, mais comme une simple possibilité, de faire de cet article le premier
chapitre de l'ouvrage. M. Jean Duvignaud estime aujourd'hui que cette analyse de la
mémoire musicale semble confirmer les vues qu'il a lui-même formulées, dans sa
Préface, sur l'évolution de la pensée de Maurice Halbwachs et son « orientation vers
le concret ». Il a donc été décidé d'ajouter l'article au livre, mais, afin de ne pas
modifier la structure de celui-ci, de le situer en annexe. Une autre adjonction a été
faite : celle de l'Introduction biographique, écrite en 1948 par J.-Michel Alexandre, et
qui n'avait paru que dans L'année sociologique (3e série, 1940-1948), où l'ouvrage
avait été publié en priorité, par les soins de G. Gurvitch, sous le titre : Mémoire et
société.
J.-M. A.