L'Opéra Italien en France Avant Lulli - Prunières, Henry

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Q\l 1 IMl^Ç MAI 1^

LIBRARY OF
LESLEY COLLEGE

PRESENTED BY
The French Government

/q038l
HENRY PRUNIÈRES
Docteur es lettres

L'OPERA ITALIEN
EN FRANCE

AVANT LULLI

PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION
EDOUARD CHAMPION
5, QUAI MALAQUAIS, 5

I9I3
BlBLIOTHÈaUE

DE

L'INSTITUT FRANÇAIS DE FLORENCE


(UNIVERSITÉ DE GRENOBLE)

T»; Série. Collection d'Histoire et de Lingcistiqle française


ET italienne comparées

(Tome III)

L'OPÉRA ITALIEN EN ERAXCE AVANT LULLI

Par Henrv Prl niéres


PUBLICATIONS

L'INSTITUT FRANÇAIS DE FLORENCE

Série I. — Collection d'Etudes d'Histoire et de Philologie Françaises


ET Italiennes comparées (Editeur : Champion, Paris).

Ouvrages déjà parus :

1. G. Maugain. DocHiiieiili hi-bliografici e critici per la slon'a tlella Jortiina del Féiiehii
in Italia.
2. E. Levi-Malvano. Montesquieu e Macbiaveîli.
3. H. Prunières. L'Opéra italien en France avant Lulli.

Série II. — Opuscules de Critique et d'Histoire (Editeur : Champion, Paris).

Déjà parus :

1. G. Maugain. L'Italie dans quelques pidûicat ions de Jésuites français.


2. G. PrroLLET. De quelques manuscrits anciens de la Bibliothique Fabri de Peiresc.
5. P. RoNZY. Escholiers i^entilhoinnies et pédants français d'après le Fraudons de
Ch. SOREL.
4. G. Maugain. Boileau et l'Italie.

Série III. — Collection de Textes musicaux inédits (Maurice Sénart, éditeur).

1. Chants du Carnaval florentin., fascicule I, par Paul Marie Masson.


2. Pergolèse, Livia e Tracollo, par Radiciotti (sous presse).
3. Luigi Rossi, Orfeo, par H. Prunières (pour paraître en 19 J 4)-
4. Chants du (AUiurval florentin, fascicule II ( id. ).

Série IV. —
Collezione dei migliori storici, critici moralisti francesi
contemporanei, tradotti in italiano (Ed. R. Carabba, Lanciano).

Les premiers vohinies paraîtront eu içi^.

Série V. — Collezione di Classici francesi commentati ad uso del pubblico


E delle scuola d'Italia (Ed. R. Carabba, Lanciano).

Série VL — Opuscules : Questions Franco-Italiennes.

Déjà parus :

i . ]. Luchaire. Sur l'organisation des relations des Universités françaises avec l'étranger.
2. J. Luchaire. Le fonctiounenient ci les travaux de l'Institut français de Florence
en njio-i(.)ii.
3. |. Luchaire. Le Co)igr!s des Etudes italiennes à Crenoble (Juillet 1912).

Publications hors série :

\'. I . La grande inondation de l'Arno en MCCCXXXIII, anciens poèmes populaires


italiens édités et traduits en français par les soins de MM. S. Morpurgo, direc-
teur de la Bibliothèque Nationale de Florence, et Luchaire, directeur de
J.
l'Institut Français de Florence (Paris, Champion ; Florence, Bemporad).
HENRY PRUNIÈRES
Dcctcitr es lettres

L'OPERA ITALIEN
EN FRANCE

AVANT LULLI

PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION
EDOUARD CHAMPION
5, QUAI MALAQUAIS, 5

I9I3
DU MEME AUTEUR :

Liillv. Paris, 1910. i vol. petit in-8" de 128 pages, avec 12 planches
hors texte. — H. Laurens, éditeur (Collection : Les Musiciens rcli'hresj.

]x Ballt'l de Cour e)i France avanl LuU\. Paris, 19 n, H. Laurens, éditeur.

Un fort volume, grand in-8" raisin, avec 16 planches hors texte.

EN PRÉPARA riON :

I.uiGi Rossi. — Orjco. Edition critique et intégrale de la partition. Maurice


Sénart et C''=, éditeurs. Coîleclioii de lexles luusicaiix de l'iiislilul Français de

Florence.

1303 b\

.
vaJ'-ta-A-.

ML

f^
A MONSIEUR

ROMAIN ROLLAND

en témoignage â\idiiiiralioii.

de grafitiuh' et de respeeliieiisi

affection.
AVANT-PROPOS

Je consacre ce travail à rhistoire des représentations d'opéras en


France avant la fondation de f Académie royale de Musique. Il est

singulier qu'un chapitre si important de l'histoire de notre théâtre

lyrique nait pas été écrit plus tôt. En fait, il n'existe jusqu'il ce jour

sur la question, que des études fragmentaires : qiwlques pages de

l'introduction du livre de Nuitter et Thoinan : les Origines de


rOpéra français, ////<' plaquette d'Ademollo : Primi fasti délia

Musica italiana a Parigi, //;/ article de M. Romain Rolland : le

premier opéra représenté à Paris, l'Orfeo de Luigi Rossi. Quant


aux ouvrages de Castil Bla^e, de Chouquet, de Clément, mieux
vaut n'en point parler. Quelques citations, toujours les mêmes, des
Mémoires de Madame de Motteville, de Saint-Evremond, de

Menestrier et de Pierre Ferrin en forment tonte la documentation et

les hypothèses, ou même les affirmations les plus saugrenues, s'y donnent
libre cours : l'auteur de /'Orfeo de 164/ est-U Montevcrde ou
Zarlino ? Fierre Ferrin est-il le librettiste de cet opéra italien ? On ne

finirait pas si l'on voulait réfuter toutes les erreurs que contiennent ces

ouvra (rcs ; mieux vaut les considérer comme inexistants.

Xuitter et Thoinan furent les premiers, en 1886, et donner en


quelques pages un clair résunu^ de l'état de la question. A leur

connaissance, quatre opéras avaient été chantés en France de 164/ tt

1662 : /'Orfeo de Luigi Rossi, les Xozze di Peleo e di Teti de


Carlo Caproli, le Xerse ('/ /'Ercole Amante de Cavalli. En 164J
on avait aussi donné une pièce et grand spectacle entremêlée de
VIII L OPERA ITALIEN EN FRANCE

musique : la Finta Pazza. Sui- ces diverses représentalions on était

fort mal renseigné. Nuitter et Thoinan citent presque exclusivement

la sèche Gazette de Renaudot, la Muze historique de Loret, les

livrets des diverses pièces et quelques passages de Mémoires contem-


porains. En i8c)j, M. Romain Rolland, abordant le sujet au point
de vue esthétique, consacra quelques pages de sa thèse : l'Opéra en
Europe avant Lulli et Scarlatti, à l'étude du Xerse et de l'Ercole

de Cavalli. Il signalait aussi la présence à Rome de la partition de


/'Orfeo de Luigi Rossi qu\)n croyait perdue.
Cependant rbisloire propreunnU dite de l'opéra italien en France
iw s'enrichissait d'aucun document nouveau, quand parut une
plaquette de M. Ademollo qui contenait une di^fiinc de lettres du
chanteur Atto Melani. Un ami de M. Ademollo les avait rencontrées

dans les archives de Florence au cours d'un dépouillement méthodique

et les lui avait communiquées. Ces lettres, datées de Paris, révélaienl

des faits importants : Un opéra avait été chanté au Carnav(d


de 104). L'Orfeo de Luigi Rossi, en 164/, avait été interprété par

des chanteurs florentins auxquels s était joint le fameux castrat Marc


Antonio Pasqualini. M. Ademollo ne sut pas tirer parti de cette
trouvaille, il voulut faire concorder les faits racontés par Atto Melani

avec ceux que narraient Castil Blar^e et Cbouquet en leurs livres.

Il en résulta de grosses erreurs.

M. Romain Rolland comprit l'intérêt des lettres d'Atto Melani et

s'en servi! pour écrire un magnifique article sur /'Orfeo de Luigi Rossi
qui parut en icjoi J^z;z5 la Revue d'histoire et de critique musicales.

Cette élude était enrichie de nombreuses citations de nu' moires contem-

porains et d'une pénétrante analyse de la partitiou dont M. Colds-


chmidl publiait, quelques mois plus tard, de superbes fragments avec
un comnn'utaire enthousiaste dans ses Studien zur Geschichte der
Italienischen Oper.
C'est par t'élude de la tragédie lyrique de Lulli que je fus lunené it

m'occuper de Finflueiice qu'avaient pu exercer sur le Florentin les opéras


représentés en France sous le ministère de Ma:iarin : mais avant
d'éliuher les cvuvres elles-mêmes, il me parut nécessaire de faire la
AVANT-PROPOS IX

Jumicrc sur les conditions matérielles et sociales dans lesquelles l'opéra

avait été révélé aux Français.


Dès le début de mes travaux, vers içoy, une lecture attentive des
uu'moires et des ga::^ettes ne tarda pas ci me convaiiwre de Fimpos-
sibilité d'écrire une histoire de l'opéra italien en France avant LuUi
sans recourir aux documents d'archives ; j'entrepris alors une série de
recherches en Italie avec l'espoir de trouver dans les relations des

diplomates, accrédités auprès de la Cour de France, des détails sur les

opéras qu'on jouait alors ci Paris. A Modène, ci Veinse, à Parme, le

résultat de mes investigations fut médiocre, mais ci Turin, ci Rome


et surtout ci Florence, la correspondance des résidents avec leurs

gouvernements me révéla cjuantité de faits encore inconnus. En


dépouillant dans ces diverses villes les lettres écrites de France cl

l'époque cjui m'intéressait, je découvris un grand nombre de missives


émanant de chanteurs, de compositeurs et de machinistes qui ren-
daient compte des préparatifs des opéras et donnaient de nom-
breux renseignements sur les détails de l'exécution ; mais c'est ci

Paris, au Ministère des Affaires Etrangères, que j'ai recueilli les

éléments les plus précieux de ma documentation. La correspondance


diplomatique des fonds Rome, \'enise, Toscane, France, m'a fourni
une foule de lettres relatives ci l'engagement de musiciens ou de
chanteurs pour les opéras montés par Maxcir in. f ai rencontré aussi,
aux Manuscrits de la Bibliothèciue Nationale et aux Archives Xatio-
nales, quelques pièces fort importantes. Quant aux compositeurs dont
il est parlé dans cet ouvrage, fai étudié leurs œuvres partout où cela
m'a été possible : ci Paris, ci Xapi es, à Rome, ci J'enise, ci Bologne,
Cl Bruxelles. Toutefois Taboudancc des documents biographiques et

anecdoticjues m'a obligé à rejeter au second plan le point de vue


musical. J'ai voulu avant tout écrire un chapitre d'histoire théâtrale et

n'ai parlé des œuvres que pour en indiquer ci grands traits les tendances

générales et les caractères distinctifs. Je me suis interdit les détails

techniques, me réservant de montrer un jour, dans un livre consacré il

l'esthétique de Lulli, tout ce que l'cpéra français doit ci l'Ltcdie. Si fai


donné quelques indications sur la musicjue et les livrets des pièces
X L OPERA ITALIEN EN FRANCE

rencontrées en chemin, c'est seulement pour mieux faire sentir an

lecteur l'importance des œuvres dont je racontais la genèse et l'histoire.

C'est dans le même esprit que j'ai voulu évoquer à la fin de mon
ouvrage le grand mouvement d'idées que déterminèrent les repré-

sentations d'opéras italiens et les diverses tentatives mélodramatiques

qui en résultèrent : tragédies de machines, pastorales en musique,

comédies-ballets.

En exposant le résultat de mes recherches, je n'ai pas cru devoir me


préoccuper outre mesure du reproche qui me serait adressé d'avoir

trop sacrifié aux petits détails. J'ai pensé que les renseignements
anecdotiques sur la société musicale du xvii^ siècle étaient trop

précieux pour pouvoir être négligés : je uw suis donc parfois livré

à des digressions que le lecteur excusera, je l'espère, en faveur de

la nouveauté des faits.


Malgré son étendue, cet ouvrage est loin d'être aussi complet que

je l'eusse soidjaité. Bien des points restent obscurs : le hasard des


fouilles d'archives met en pleine lumière des faits dlmporlance secon-
daire et laisse dans T ombre des questions fort graves. Je n'ai pas cru
cependant devoir poursuivre davantage mes recherches ; il me suffit

d'avoir pu reconstituer, dans ses grandes lignes, d'après des documents


authentiques, l'histoire des représentations d'opéras à Paris avant la

fondation de l'Académie de Musique, fe laisse à d'autres, plus patients


ou plus heureux que moi, le soin d'en combler les lacunes. Je n'ai pas
la prétention d'offrir au public un ouvrage définitif et me contente

de répéter après Beauchamp : « Quelqu'un plus habile fera mieux


dans la suite, je lui sacrifie de bon cœur mes faibles découvertes. »

Il me reste à remercier tous ceux qui m'ont aidé de leurs conseils,

de leur autorité ou de leurs services au cours de mes travaux. Je tiens

Cl adresser d'abord l'expression de ma profonde gratitude à MM. les

Directeurs d'archives et de bibliothèques d'Italie, auprès desquels fai

toujours trouvé le meilleur accueil. A Ronw, le R. P. Ehrle, l'émi-


AVANT-PROPOS XI

lient préfet de la Bibliothèque du Faiicaii, a tout mis en œuvre

pour faciliter ma tâche et m'a autorisé, avec Tassentiment de

S. A. le prince Barherini, à consulter divers dossiers qui ne sont pas


encore à la disposition du public. A Mantoue, le chevalier Alessandro

Ltizjo m'a fait lui-même, avec une extrême courtoisie, les honneurs

de l'Archivio Gonzaga. Tous les archivistes avec lesquels je me


suis trouvé en rapport se sont mis ci ma disposition avec une inlas-

sable complaisance M. Gian Carlo Buraggi


; je citerai uotannneiit

à Turin, M. l'abbé Giovanni Dr ci Parme, M. Franchini et ci

Modène, M. le Comte Riccardo Filangieri à Naples M. Chec- ;

chini à Floreiwe.

Les bibliothèques nationales et municipales ne m'ont pas été, enitahe,

moins hospitalières que les archives. A Bologne, M. P atielli m'a reçu

avec un empressement dont je ne saurais perdre le souvenir ; à Rome.


M. Francesco Mantica, sous-bibliothécaire au Conservatoire Santa
Cecilia; ci Turin, M. le docteur Gino Levi, sous-bibliothécaire de la
Biblioteca Xa:^ionale ; ci Parme, M. le professeur Gasperini conser-

valeur du Liceo Musicale; à Florence, M. le chevalier Riccardo

Gandolji, bibliothécaire de Thistiluto Musicale, niont réservé l'accueil

le plus affable.

Enfin, durant mes voyages en 'Italie, diverses personnes m'ont rendu

les plus grands services, je nommerai entre tous MM. Levi Malvano.
secrétaire général, et Crémicux, Directeur du service des renseignements,
de /'Institut français de Florence, qui, ci diverses reprises, ont effectué

pour moi des recherches d'archives ; M. l'abbé Simonatti, de Pistoia,

par l'entremise duquel j'ai pu avoir connaissance des actes baptistaires

des Met a ni ; M. Gennaro de Leva qui m'a procuré copie à Xaples des

lettres de Torelli enfin M. Taddeo JViel qui a bien


; voulu me commu-
niquer Ir texte d'une lettre de Cavalli, découverte par lui éi Venise.

Hors d'Itcdie, les concours ne m'ont pas non plus manqué.


M. JVotquenne, le très distingué secrétaire du Conservatoire de

Bruxelles, m'a ouvert toutes grandes les portes de sa riche bibliothèque

et m'a assisté de ses conseils dans mes travaux sur Técole de la

cantate romano-napolitaine. M. Dent, professeur et l'Université de


XII L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Cambridge, uia fourni divers reiiseigjieinenis sur des manuserits que

/> ne pouvais aller considter en Angleterre.

A Paris, j'ai bien des fois mis à l'épreuve l'obligeanee de

MM. Taiisserat-Radel et Georges Espinas, archivistes du Ministère des


Affaires étrangères, ainsi que celle de MM. Julien Tiersot et Henrv
Expert, bibliothécaires du Conservatoire. M. Gabriel Roucbe~ a bien
voulu me communiquer dès n)io les analyses des lettres des

Figarani dont il préparait la publication. Enfin M. Antonio Rosa,


lecteur ci la Eacidté des lettres, m'a rendu le très grand service de

revoir avec un soin minutieux le texte des documents italiens publiés.

Je tiens, en terminant, à exprimer nui profonde reconnaissance à

M. Romain Rolland, à M. André Pirro et à M. Michel Breuet qui,


tous trois, n'ont cessé de s'intéresser à nu\s travaux et dont les encou-
ragements m'ont été précieux au cours de recherches longues, pénibles
et souvent décevantes. .

Avril 191 3.
INTRODUCTION

I. L'Italianisme musical au xvi^ siècle.


Instrumentistes italiens au service des rois de France. — Représentation de
la Calandra à L\'on. — Influence de l'Italie sur les recherches poético-
musicales de la Pléiade. — Divertissements italiens à la Cour des Valois.

IL Initiation de la France a l'art mélo dramatique.


Les fêtes du mariage d'Henri IV et de Marie de Médicis. — Rinuccini à
Paris. — Séjour de Giulio Caccini et de sa famille à la Cour d'Henri IV.

III. Les Comédiens italiens en France.


Rôle de la Musique dans le théâtre italien du xvue siècle. - G. B. Andreini
et ses comédies.

IV. Le GOUT DE LA MUSiaUE ITALIENNE SOUS LoUIS XIII.


Concerts italiens à Paris. — De Nyert réforme du chant. — Indifférence
et la

des compositeurs pour l'opéra. — Opinion de Mersenne de Maugars. et

Les rudes compagnons de Charles VIII et de Louis XII chevauchèrent


à travers l'Italie sans rien voir des merveilles qui s'offraient à leurs regards
indifférents. Ils regrettaient la France, trouvant le temps chaud et le vin
aigre '. A peine s'ils s'aperçurent qu'églises et palais étaient bâtis de
marbre et d'albâtre. Seule, la magnificence des fêtes données en leur

honneur exerça sur eux quelque attrait. Ils regardèrent avec curiosité
venir à leur rencontre, aux portes des villes où ils entraient, les
hauts chars sur lesquels trônaient des divinités costumées à l'antique.
Ils furent conviés à des bals où des dames, luxueusement parées, et
des seigneurs, le visage caché sous un masque d'or, dansaient avec

I. BatiflFol. Siècle de la Renaissance, 1909, Hachette, p. 15.


XIV L OPERA ITALIEN EN FRANCE

grâce et traçaient par la salle d'ingénieuses figures \ Ils s'assirent à

de fiistueux banquets et ouïrent les airs et danses d'Italie sonnés par


des instruments mélodieux qu'ils ne connaissaient pas. Ils prirent
goût à la vie voluptueuse, aux mœurs raffinées des cours italiennes
et ramenèrent avec eux une foule de serviteurs dont les talents les

avaient surpris et charmés : tailleurs, parfumeurs, jardiniers, orfèvres^


et aussi des joueurs de hautbois, de cornets, de sacquebutes.
François I'-'"', dès son avènement au trône, entreprit d'organiser sa
maison sur le pied de celles des princes les plus magnifiques d'Ita-
lie \ Il voulut que des bandes nombreuses de musiciens égayassent
les bals, les tournois et mascarades dont il divertissait la cour •*. A
son appel, de Mantoue, de Milan, de Vérone, de Florence, de Fer-
rare affluèrent les joueurs d'instruments. Les hautbois et sacquebutes
formèrent la bande italienne de l'Ecurie > qui rivalisa avec la troupe
française des violons. François F' tenait en grande estime ces musi-
ciens et les désignait plutôt que les Français pour briller dans les

occasions solennelles *'.


Les cornets, presque tous originaires de
\^érone, touchaient de gros traitements. Ils se faisaient entendre
ordinairement comme solistes 7, soutenaient parfois les voix des
chanteurs ou formaient avec les deux trompettes et les deux flûtes

de la Chambre du Roi, un petit orchestre d'instruments à vent.


On rencontre aussi en France, vers le même temps, de nombreux
musiciens italiens qui accompagnent des souverains ou des princes
étrangers ^. Fn 1538, la reine de Hongrie mène avec elle des cornets,

1 V. la description des danses en masques à Milan dans la chronique de Jean


.

d'Auton. S. H. F. II, 99 et suiv.


A Sienne, Charles VIII assiste à un ballet dansé par les plus belles femmes de la
ville (Chr. Ms. de Tizio. Bibl. Chigi à Rome (fo 255, 2)6).
2. Etat des gages des ouvriers italiens employés par Charles VIII, par de Mont-
aiglon. Archives de l'Art français, I, 94.
3. Avant le nos rois se contentaient d'un petit nombre de
règne de François I^r,

musiciens. Au contraire, la musique des princes italiens était composée d'une foule
d'instrumentistes et de chanteurs. V. Valdrighi, Cappelle, Concerti e Musicbe di Casa
d'Esté. Modena, 1884. —
Bertolotti, la Miisica in Maiitova, Ricordi.
4. Pour tous les détails relatifs à la vie des musiciens italiens à la cour de France
et l'organisation de la musique royale, nous renvoyons à notre étude sur La Musique
de lachambre et de l'Écurie sons François F^ et Henri II. Année mnsicale, ic/ii. Paris,
Alcan, 191 2.
5. Kn 13 50 elle était composée de huit musiciens dont nous connaissons les noms :

Bartolommeo da Firenze, Pietro Pagano, Cristoforo da Piacenza, Masone da Milano.


Francesco da Biraga, Simone da Piacenza, Francesco da Cremona.
6. Arch. Nat., K. K. 100. Année 1529, f^s 84 et 85.
7. V. sur le cornet Augustin Champaigne, l'étude de M. Michel Brenet. Rieniann
Festchrift, 1909. Max Hesses, Leipzig. (On peut consulter cet ouvrage à la Bibl.
Pierre Aubry
(Faculté des lettres).
8. Le cardinal de Lorraine a une bande de violons italiens. {Actes de François h'.
VIII, 586, no^' 27, 265.
INTRODUCTION XV

le pape des hautbois et des trompettes, l'ambassadeur de Venise des


violons, le duc de Mantoue des hautbois.
L'invasion continue sous Henri II et les derniers Valois. Vers 1555,
le maréchal de Brissac envoie à Catherine de Médicis toute une
bande de violons piémontais En 1572, Charles IX dépêche dans le
'.

Milanais un certain Batesta Delfinone avec mission d'en ramener des


artistes pour la maison royale \ Sous Henri III, Domenico da Lucca
et Salomone Darlione sont les chefs de la bande des douze « haut-
bois, cornets à bouquin, violions et sacquebutes ». Sur les

comptes et les états, on ne relève que des noms d'instrumentistes


italiens '.

Les chantres et compositeurs italiens sont au contraire fort peu


nombreux en France durant tout le xvi'' siècle. Le fliit s'explique

aisément : formés à l'école des grands polyphonistes franco-flamands


du xV siècle ^, les Italiens parlaient encore la même langue musicale
que nous. Comme compositeurs ils étaient peu renommés dans les
pavs occidentaux et on les tenait généralement pour médiocres chan-
teurs : Soins Galliis cantat, répétait-on avec orgueil >. Les Italiens
eux-mêmes semblaient souscrire à ce jugement puisqu'ils s'effor-

çaient de recruter en Picardie, en Guyenne, en Languedoc les élé-

ments de leurs maîtrises ^\ Il n'importe donc aucunement que cinq ou

1. M. Lalanne donne la date de 1537 pour celle de l'arrivée à Paris de cette bande

(Brantôme. S. H. F. IX, 664). Nous ne savons sur quels documents il se fonde.


Brissac fut gouverneur du Piémont de 1550 à 1559. En 155^), il avait déjà ramené
du Milanais le chorégraphe Pompeo Diobono. V. Gratie d'aniore, de Cesare Negri,
1604, p. 3.
2. Cimheret Danjou. Arch. tome VIII, p. 357 et 358.
cur. de Vhist. de France,
3. Ludovico Cesare Delfino, Carlo da la, Lorenzo ûispen-
Sai, Gabriello Nardini,
driteno, Viterbo, Nadreini, Mazarini, etc. V. H. Prunières, la Musique de la chambre
et de l'Ecurie. Aimée musicale içii, p. 248.

4. V. Michel Brenet. Palestrina. Coll. Alcan, p. 126 et suiv.


5. « Balant Itali, gemunt Hispani, ululant Germani, cantant Galli ». Préface de
la Pràellence du langage français de Henry Estienne. Paris, Mamert-Patisson,
1579, i"-8°.
6. Au xve siècle, les maîtrises italiennes sont presque exclusivement composées de
Français. Sous le pontificat de Nicolas V, sur dix-sept chantres inscrits, dix portent
des noms français ou flamands. En 1455, Galeas Marie envoie son chanteur Gaspar,
recruter en Picardie dix soprani, un ténor alto, un ténor et deux contre-basses. (Mor-
bio, Codice Visconteo-Sfor:iesco, p. 409).
Au xvie duc de Ferrare prie Claudin de Sermisy de lui procurer des chan-
siècle, le
teurs français. A Claudin lui écrit la curieuse lettre suivante (encore
cette occasion,
inédite) Monseigneur, j'ay receu ces jours passez les lettres qu'il vous a pieu m'es-
:

crire par votre chantre li s^ de Milleville, dont très humblement vous remercye. Pour
lors m'estoys retiré de vostre ville a raison d'une colicque qui m'a tourmenté long
temps et tourmente souvent, par quoy n'ay peu suyvre la route. Monseigneur, il me
desplait que ne vous ay mieulx servy en ceste affaire. Il est fort difficille de trouver
bons enfans pour le présent en France. le croy que la mère en est morte. Touttefoys
XVI L OPERA ITALIEN EN FRANCE

six ultramontains aient pris rang parmi les chantres de la Chapelle


Royale, puisqu'interprétant seulement des œuvres françaises, ils ne
purent exercer aucune influence sur les destinées de notre art '. Par
contre, la présence de nombreux instrumentistes italiens à la cour de
François P"" et de ses successeurs n'est pas un fait négligeable pour l'his-

toire de la musique. Avant la venue de ces artistes nous connaissions


mal les sacquebutes aux sons puissants et graves, les cornets dont
le timbre cuivré se mariait heureusement avec les voix humaines, les

hautbois aux rustiques accents ; nos luths et nos violes n'avaient


pas sidoux sons que ceux des luthiers véronais, mantouans ou floren-
tins ^ Enfin notre musique instrumentale, encore dans l'enfance, ne
pouvait disputer le pas à l'art somptueux et raffiné dont les vir-

tuoses italiens étaient les interprètes et, en quelque sorte, les apôtres.

Lorsque l'invasion franco-flamande submergé l'Italie musi-


avait
cale, au XV siècle, le domaine de la musique instrumentale était
demeuré le refuge des artistes indigènes. Respectueux disciples des
maîtres qui leur venaient du nord pour la polyphonie vocale, les

italiens n'avaient pas tardé à imposer à l'admiration de leurs paci-


fiques envahisseurs leurs pièces de luth subtiles et tourmentées, leurs
danses aux rythmes souples et variés, tout un art fastueux et magni-
fique comme l'existence même des princes italiens.
Le luth était, au début du xvi" siècle, le roi des instruments.
Aucun honneur n'était trop grand, aucune louange trop forte, pour
ceux qui excellaient à en jouer. On surnommait Francesco da Milano

!ed. srde Milloville en a ramené deux a l'ayde de Messeigncurs les Cardinaulx, comme
il vous dira s'il vous plaist, me tiendrez pour excusé que n'ay mieulx faict mon
;

debvoir envers vous. Monseigneur, j'ay baillé aud. Milleville ung petit motet qui se
comcnce Este merci, pour vous présenter. 11 vous plaira le prendre en grâce et sur
ce, Monseigneur, je prie le Creater vous tenir en saincte, très bonne, et très longue
vie
De Paris, le !'-''•
jour de juillet
Vostre très humble et très obéissant serviteur
Claudin de Sermisy.
(Archives de Modène).
1. sont d'ailleurs fort peu nombreux. On trouve à la mort de Louis XII dans la
Ils
chapelle, quelques chantres aux noms italiens Porchi, Noli, Dalbi. (Thoinan, les
:

Origines delà chapelle Musique des rois de France, p. 91. V. aussi Michel Brenet, —
Les Musiciens delà Sainle-Chapelle, 191 1. in-40. Un compte des menus plaisirs de
François ler mentionne un don l'ait à « Auriallio Dascoli musicien... pour se faire
guarir et panser d'une maladie ». Arch. Nat., K. K. 100. Année 1530, f° 20.
2. Vidal, dans son ouvrage monumental sur les instruments à archets, a contesté
la légitimité de l'attribution à Amati des instruments commandés par Charles IX
pour sa musique. Il faut pourtant méditer ce compte du 27 octobre 1572 « Payé à :

Nicolas Delinet joueur de fluste et de viollon dudit seigneur, la somme de cinquante


livres tournois pour luy donner le moyen d'achepter ung violon de Crémonne pour le
service dudict seigneur. » (Publ. par Cimber et Danjou. Arch. cur., VIII, 358).
iXTËObUCTIOX xvit

// Diviiio et la gloire de Marco dell' Aquila ou d'Alberto Rippe était

universelle. Virtuoses incomparables, c'étaient aussi des créateurs.


Les fantasic et les iocciUc qu'ils composaient et faisaient imprimer
dans leurs recueils de tablature attestent la volonté de doter leur
instrument d'une littérature originale. En France, au contraire, les
quelques joueurs de luth qui vivaient à la cour de nos rois se
contentaient d'orner de broderies les chansons en vogue et de
réduire tant bien que mal les nombreuses voix des motets polypho-
niques '. L'arrivée d'Alberto Rippe à la cour de. François F' va bou-
leverser tout cela. Il formera par ses conseils une génération de
luthistes français qui jouera un grand rôle dans l'histoire de notre
musique instrumentale et même dans l'histoire de notre musique
dramatique.
Né à Mantoue de famille noble. Alberto Rippe entra, en 1529,
au service de François F' qui ne tarda pas à le prendre en affection-.
Valet de chambre du rov, capitaine de xMontils-sous-bois, enfin
seigneur de Carrois en Brie ', il mena, à la cour de François F' et

de Henri II, la double existence de virtuose aimé du prince et de


gentilhomme.
Le roi se montrait her du talent d'Alberto Rippe ; il l'emmenait
partout en vovage avec lui' et ne perdait aucune occasion de le

faire entendre aux souverains étrangers qui étaient ses hôtes. Lors-
que le pape vint en France, Alberto rivalisa avec le luthiste Francesco
da Canonna, attaché à la personne du Souver.iin Pontife >. Il donna
également « le plaisir de son industrie » à l'empereur Charles-
Quint, au roi d'Angleterre, et à d'autres princes et infinis sei-

gneurs ''.

Alberto Rippe n'était pas seulement un habile luthiste, c'était un

1. V. Michel Brenet. Notes sur


l'histoin' du lulh en France. Bocca cdit., Turin.
2. Pour
biographie d'Alberto Rippe, nous renvoyons à l'étude déjà citée de
la
Michel Brenet et à notre travail sur les Musiciens de la chambre et île l'Ecurie. Année
musicale iç)ii.
3. Alberto Rippe était riche. Outre le château de Carrois et ses dépendances, il
possédait une terre au pont de Xeuillv, et avait reçu du roi la jouissance du domaine
de Beauregard en Dombes. En plus des revenus de ces propriétés foncières et dts
dons de toute sorte que lui faisait le roi, il recevait une pension de 600 livres tour-
nois, somme énorme pour l'époque, puisque les autres luthistes de la chambre ne
touchaient que 240 livres. On voit que sa situation était des plus enviables.
4. Albert touchait alors de fortes indemnités pour l'entretien de ses chevaux (ms.
fr. 21 52, fo 4) voj.
Arch. Nat., J. 961, f" 258 (lîôle des acquits).
5.
Dédicace du Premier livre de tahulature de lent... de feu messire Albert de Rippe
6.
de Mantoue, publié par Guillaume MorLue en 1)53- Bibl. Ro\'. de Bruxelles, fonds
Fétis, 2897.
XVIII L OPERA ITALIEN EN FRANCE

esprit des plus cultivés ; il correspondait avec l'Arétin, qui lui témoi-
gnait une haute estime', et demeurait en relations avec le poète
italien Gabriele Simeoni qui composa en son honneur un sonnet
enthousiaste^. A la cour, il était lié d'amitié avec les poètes et

les lettrés dont s'entourait le dilettantisme éclairé de François I" \


Alberto Rippe est le type accompli du musicien de cour. C'est
un art aristocratique que nous révèle l'étude des nombreuses tabla-

tures de luth, publiées après sa mort par son disciple Guillaume Mor-
laye et par Adrien Le Roy et Ballard '
: des thèmes d'une distinction
rare, de curieux effets de sonorité, des dissonances hardies qu'atté-
nuaient sans doute les ornements et les traits de l'exécutant. Tout
raffinement de notre Renaissance française, si pénétrée d'italian'.sme,
revit dans cette musique aux accents graves et expressifs, aux rythmes
souples et variés, aux harmonies recherchées.
La gloire d'Alberto Rippe, célébrée par les poètes, nous montre la

participation d'un élément italien à la lutte obscure qui se livre en


France pour transformer en monodie la polyphonie traditionnelle \
Les réductions de motets polyphoniques habituent les oreilles aux
réalisations harmoniques et minent les bases du contrepoint figuré.

D'autre part, l'habitude de chanter en s'accompagnant sur le luth va

1. V. la lettre du i6 mars 1537 écrite par Albeito Rippe dans Lcllerc scrilte al
sii^iior Picli'o Aietiiio ihi molli sii^iiori. A'eiietia, 1532, in-iS^', tome 1, 345. Réponse
de l'Arétin. l.cticre... Parigi, 1609, in-iS», libro II.
2. \ . Picot. La
en Fninù' an WI'^ siccle. Bull.
Ihilii'iii ital. de la Faculté des
lettres de 13ordeauN. I, p. 9^1 et suiv.
5. Marot lui dédia ime épigramme enthousiaste :

« Quand Orpheus re\iendroit d'I^h'sée


Du ciel Phebus, plus qu'Orpheus expert,
|à ne serolt leiu' musiciue prisée
Pour le jourdhu\- tant que celle d'Albert.
L'honneur d'aînesse est à eulx, comme appert :

Mais de l'honneur de bien plaire à l'ouN'r,


fe dis qu'Albert par droict en doit jou\'r
là qu'un ouvrier plus exquis n'eust .sceu naistre
Pour un tel Rov que Françovs resjouvr
Ne poiu" l'ouvrier un plus excellent maistre. »
Cette pièce l'ut publiée dans l'édition de 1547. V. édit. Jannet, 1(^74, tome III,

p. )0.
La mort d'Alberto Rippe en 1531 lut pleiuée partons les poètes de la cour:
Ronsard, Saint-Ciclais, Marot, Baïf composèrent des épitaphes en son honneur.
4. Pour la bibliographie des œuvres d'Albert de Rippe, voir les Xotes sur Flnsloirc
du liilb de Michel Brenet.
3. M. Miche! Brenet a très bien mis en liunière le rôle des luthistes dans la trans-
formation du st\'le poh4)honique en stvle harmonique Malgré le soin qu'ils pren- :

nent de transcrire une à ime chaque voix séparée, les voix une fois réunies dans la
<<

tablature ne peuvent plus conserver ni pour l'tvil, ni pour l'oreille, leur personnalité
individuelle la composition qui exécutée par quatre chanteurs était
: polyphonique,
devient harmonique. « (^k cil., p. 25.
INTRODUCTION XIX

conduire insensiblement au système de la basse continue. Au


XVI'-' siècle, il est déjà d'un usage courant de faire entendre seule-
ment la partie de Tcuor ou de Supériits d'une chanson et de jouer
les autres parties sur un instrument d'harmonie'. En 1554, '•-' '^'^"

ciple d'Alberto Rippe, Guillaume Morlaye, suivant la voie ouverte


par les admirables éditions de Petrucci, publie les psaumes de Pierre
Certon, « réduits en tablature de leut, réservé la partie de dessus
qui est notée pour chanter en jouant. - » Ces arrangements marquent
une étape importante, dans l'évolution de la musique madrigalesque,
vers les formes nouvelles de l'Air de Cour et du Récitatif '. Les paroles,
au lieu de se perdre dans le flot mouvant des parties, se trouvent
isolées, mises en relief avec la mélodie qui leur sert de support.
L'adaptation de la musique au texte, qui jusque-là avait fort peu
préoccupé les compositeurs, sera l'objet de leur attention. Les poètes
et les musiciens, qui vont se grouper autour de Ronsard et de Baïf,
s'efforceront de moduler de longues tirades en s'accompagnant sur le

luth, à la manière des Aèdes grecs ou des modernes Italiens. Ronsard,


en enseignant à ses disciples qu'ils doivent « mesurer le vers sur la

Ivre », reconnaît qu'il suit kii-mème l'exemple des Italiens''. Tous


les efforts de la Pléiade et surtout de l'Académie de Baïf pour asso-
cier étroitement la musique à la poésie, pour créer le récit monodique
et inventer de nouvelles formes mélodramatiques, seront dominés
par l'influence ultramontaine >.

Au W'i"- siècle, l'italianisme dont on ne trouve que de faibles traces

en étudiant l'évolution de la musique madrigalesque, se décèle dans


toutes les inanifestations théâtrales auxquelles la musique est asso-

ciée *^\
Les compositeurs français ne sont pas comme les Italiens, de

1. M. Henry Expert, le grand artiste auquel nous devons la résuirection de tant de

merveilles musicales de notre xvie siècle irançais, a fiiit plusieurs fois chanter dans
les concerts qu'il dirige, des chansons de Costelex-, de Claude Le Jeune ou de Jane-
quin par une seule voix avec accompagnement de clavecin ou de luth. L'effet était
des plus heureux.
2. Bibl. Roy. de Bruxelles. Fclis, 2896.
T,. Les Airs de Cour d'Adrien Le Roy, publiés en 1371 avec Taccompagnement
noté en tablature de luth, marquent les progrès accomplis en peu d'années. Certains
d'entre eux sont déjà de petits récits dramatiques. Mademoiselle Janet Uodge a publié
dans 5. /. M., 1907, p. 11 52 et suiv., quelques transcriptions d'airs de ce recueil,
d'après l'imprimé unique de Bruxelles, l'oiids Fétis, 2579.
4. « Je t'eray encore revenir, si je puis, l'usage de la Ivre aujourdhuv ressuscitée en
Italie,laquelle Ivre doit et peut animer les vers et leur donner le juste poids de leur
gravité. » Ronsard, édit. Marty-Laveaux, II, 477.
5. Augé-Chiquet. La Vie, les idws cl l'aiivre de Jeiui-Aiiloiue de Baif. Paris,
Hachette, 1909, in-8", chapitres vu, viii et ix.
6. Plus précisément dans tous les spectacles de cour dont le caractère aristocra-
:

tique et raffiné permet de prévoir l'avènement du ballet et de l'opéra.


XX L OPERA ITALIEN EN FRANCE

tous les temps, des hommes de théâtre'. Ce n'est qu'entraînés par


le courant ultramontain qu'ils tentent de renforcer par la musique
l'impression dramatique ; encore s'y efforcent-ils avec une réserve
extrême, jusqu'au jour où Lulli, florentin francisé, trouve pour eux la

juste formule à laquelle ils vont se tenir jusqu'à la révolution


gluckiste -.

C'est dans la péninsule que s'élaborent lentement les divers élé-


ments dont seront constitués le Ballet de Cour et l'Opéra. Les pièces
antiques ou à l'antique qui y sont représentées, sont toutes accom-
pagnées de scènes chantées, de chœurs et parfois de danses '. Dès le

milieu du xvT' siècle, les hrançais vont pouvoir, sans sortir du royaume,
se faire une idée de ces spectacles fastueux. Si l'on songe qu'ils ne
connaissaient alors en fiit de divertissements comiques, que « des far-
ceurs, des couard/, de Rouan, des joueurs de basoches et autres
sortes de badins et sortes de badinages, forces, momeries et sotte-
ries », on comprendra quelle impression dut iaire sur leurs esprits
'

la représentation de la Cahvidra du Cardinal Bibbiena jouée par les •

meilleurs acteurs d'Italie et montée avec un extraordinaire déploiement


de mise en scène.
En 1548, l'Archevêque Comte de Lyon était un prince italien des

plus magnifiques : Hippolyte d'Esté, cardinal de Ferrare. A l'annonce


de la venue du roi, de la reine et de la favorite Diane de Poitiers,

il résolut d'oflrir aux souverains le divertissement d'une comédie ita-

lienne entremêlée d'intermèdes musicaux et chorégraphiques. Pendant


que Messieurs îles Nalions ''
dressaient « leurs préparatifs de plusieurs
arcs triomphaux, spectacles, jeux, combats, naumachies, comédies et

autres passe-temps, » "


le cardinal fit élever un théâtre en une vaste
salle de son palais qu'on décora à profusion d'arabesques, de corniches,
de girandoles, d'écussons. Les murs lurent hérissés de monstres fon-

1. \'. Romain Rolland. L\-'pcrti en linrt.i[ic avaiil SùiihiUi cl I.ii/li, p. 225 et buiv.
2. \'. llcnr\- Pi'unicrc^-, Lcicij de la Vicvillc cl le cldssieiiiiie iinisienl. Revue
S. I. M., ij juin 1908. —
l.iilly, collcct. Laurens, 1910.

3. A l'crrare, en i)02, on joue devant 3.000 spectateurs cinq comédies de Plante


avec des intermèdes musicaux et choréijjraphiques. V. Alessandro d'Ancona, Origiiii
del lealro ilaliaiio, II, 384.
4. S. H. /•"., tome III, p. 236.
Brantôme. Œuvres.
3. Cette pièce depuis quai\uite ans au répertoire de toutes les troupes
était
comiques. Sur les représentations de la CiiLiiidra à Urbino en 1315, à Rome en 15 14,
à Mantoue en 1320 et à Venise en i)22. V. Alessandro d'Ancona, Orig. del teatro
ilal., cliapitre il, passiiii.
6. On appelait ainsila puissante corporation des négociants étranL;ers, italiens pour
la plupart, qui résidaient à L\'on. \'. Raschet, Les coniedieiis ilalieus à la cour de
'France, p. 6.
7. Godelrov". (Icrèiiionial fraiiçois, I, 823 et 832.
INTRODUCTION XXl

tastiques porteurs de flambeaux et de petits amours brandissant des


torches furent pendus à la voûte '.

Deux Italiens se chargèrent de la mise en scène ; un certain


Nanuccio, fixé à Lvon, brossa les décors de la pièce-. Par une déli-
cate attention pour Catherine de Médicis, il peignit sur la toile de
fond une vue de Florence en perspective, avec le dôme de Santa
Maria dcJ Fiorc dans le lointain ; et au premier plan, la pia~~a cicUa
Sigiioria \ Le sculpteur Zanobi exécuta de nombreuses statuettes en

terre cuite dorée, qui furent placées sur le théâtre. Il était venu tout
exprès de Florence, en compagnie des coniédiens appelés par le car-

dinal de Ferrare ^ qui dépensa en ces divers préparatifs plus de « dix


mille escus ».
Les souverains firent leur entrée solennelle dans Lyon, le 21 sep-
tembre 1548. Après plusieurs jours passés en plaisirs et liesse,

on leur fit les honneurs de la comédie apprêtée à si grands frais.

« l'ai oui dire à plusieurs seigneurs et dames, conte Brantôme, que


si la traçi-comédie de ce grand Cardinal fut belle, elle fut aussi très

bien représentée par les comédiens et comédientes qui estoient très

belles, parloient très bien et de fort bonne grâce et estoit accompagnée


de force intermedies et feintes » >. La musique dramatique n'était

pas oubliée dans ces intermèdes. « Apollon chantant et récitant au


son de sa Ivre plusieurs belles rymes thoscanes » à la louange du roi,

parut sur le théâtre et la cour admira « une nouvelle mode et

non encore usitée aux récitementz de comédies qui fust qu'elle com-
mença par l'advenement de l'Aube, qui vint traversant la place de la
perspective et chantant sur son chariot trayné par deux coqz, et finit

aussi par la survenue de la Xuyct couverte d'estoiles, portant


un croissant d'argent et chantant sur son chariot trayné par deux
chevêches en grandissime attention et plaisir de tous spectateurs » ^\

1. Bapst, Histoire du théâtre, p. 203 (d'après Godefrov, Cérémonial français, I, 852).


— V. aussi Angelo Solerti. La rappresenta:{ione délia Calaiidra a Lione nel 1)48. (Rac-
colta di studi critici dedicata ad Alessandro d'Ancona. Firenze, Barbera, 1901).
2.Nanuccio ou Nannoccio appartenait au cardinal de Tournon. V. La niagnijica et
triiimphale oitrata del Cliristianis. Rè di Francia Henrico Seconda di qiiesto nome fat ta
nella iiohile e antiqua cita di Lyone a hiy et a la sna sereniss. consorte CIjaferina, alli
21 di septembre 1^48. Colla particolare descritione délia coniedia che fece recitare la
Natione florentina a richiesta de Sua Maestà Christianissima. In L\one. Appresso
Guglielmo Rouillio, 1549.
3. De même Torelli un siècle plus tard, en 164), représentera le Pont-Neuf et la
pointe de la Cité sur un décor devant figurer Tile de Scyros.
4. Ils avaient dû prendre la poste pour arriver à temps. Baschet, op. cil p. 7. ,

). Brantôme. Œuvres. S. H. F., III, 256.


6. La Magnificence de la Superbe et Triomphante entrée de la noble et antique cite de
Lyon, faicte au très ckrestien Roy de France Heurv Deuxième de ce nom et à la Reyne
XXII l'opéra italien ex FRANCE

Henri II et Catherine de Médicis se montrèrent enthousiastes de ce


magnifique divertissement et gratifièrent les comédiens, l'un de cinq
cents, l'autre de trois cents écus d'or '

On connaît trop mal le détail des fêtes qui se donnèrent sous le

règne troublé de Henri II, pour pouvoir affirmer que la représen-


tation de la Ccthvuha fut une occasion unique pour les courtisans

français d'applaudir les acteurs et les chanteurs italiens. Il est probable,

au contraire, qu'ils entendirent bien d'autres comédies ultramon-


tainesacccompagnées d'intermèdes musicaux. L'italianisme sévit alors.
Le roi s'entoure de seigneurs, d'artistes, de virtuoses venus de la
péninsule, et la reine passe sa vie dans un milieu tout florentin -. Elle
dut fréquemment, en compagnie de ses filles d'honneur, se livrer au
plaisir qu'elle aflectionnait entre tous : le ballets A cette époque, ce
mot ne désignait qu'une danse exécutée par plusieurs personnages

masqués et parés. C'était un prétexte à déguisement et à figurations ingé-


nieuses. Comme dans les entremets du xv"' siècle, les danseurs faisaient
leur entrée dans la salle, montés sur un char doré. Ils se déguisaient en

dieux, en bergers, en nymphes +. Il y eut de nombreuses mascarades


de ce genre à la cour, à l'occasion desquelles on chanta force récits

français et sans doute aussi italiens.


Vers ce temps une nouvelle génération se révèle, celle de la seconde
Renaissance, celle des poètes et des musiciens humanistes et italianisants,
celle de Ronsard, de jodelle, de Baïf, de Claude Le Jeune. C'est à

cette école que va échoir la mission de créer de nouvelles formes


d'art et de rechercher l'idéale union de la poésie et de la musique
qu'avaient connue les Anciens. Les efforts de la Pléiade tendirent

d'abord à créer une littérature particulière, destinée à être mise en

musique, lusque-là, les compositeurs français s'étaient contentés le plus


souvent de traiter des couplets populaires ou des textes latins >. A

Catherine son espouse, le xxii de septeiiihic MD.XIA'III. A L\on. Guillaume Rouille,


1549, in-4'' (Bibl. Nat., Réserve 40 Lb. >', 14.
1. Baschet, op. cit., p. 9.
2. V. Picot. Les Italiens en France au AT/^ siicle. Bulletin italien de la Faculté dos
lettres de Bordeaux, tome IV.
5. « Elle inventoit tousjours quelques nouvelles
danses ou quelques beaux ballets ».
Brantôme. S. H. F., VII, 546.
4. V. Henry Prunlères, Le Ballet de cour
en France avant Benserade et Lulli. Paris,
Laurens, édit., 191 3, in-80. —
Avant longuement décrit dans cet ouvrage la naissance
du ballet dramatique, on nous excusera de traiter ici la question très brièvement et
en effleurant seulement le sujet. Pour tous les détails des fêtes données à la cour au
xvie siècle, nous renvoyons au chapitre 11 de cet ouvrage.
5. V. les textes des' chansons
publiées par Attaignant en 1529 et rééditées par
Henr\- Expert dans son admirable collection Les Maîtres Musiciens de la Renaissance.
:

Il ne faudrait pourtant pas croire qu'avant les efforts de


la Pléiade, les musiciens ne
INTRODUCTION XXIII

partir de 1550, stimulés par les poètes, ils mettent en musique les

sonnets, les odes et d'autres formes de la poésie savante que Ronsard,


Baïf et leurs collaborateurs écrivent pour eux. Sur ce point, l'in-

fluence italienne n'est pas , douteuse. Les premiers sonnets décasyl-


labes à rimes féminines composés en France furent d'abord adaptés
à des airs italiens en vogue ', et un poète prenait soin de noter, en
publiant des sonnets, qu'ils se pouvaient chanter « à la mode de
ceux d'Italie ».

Lorsqu'en 1571 Baïf fonda sa fameuse Académie, la question de


l'union de la poésie et de musique hantait tous les esprits. Baït, à la
la

fois poète et musicien, était tout désigné pour trouver à ce problème


une solution. C'est au sein de son Académie et sous son influence person-
nelle que s'élabora peu à peu l'esthétique de la musique mesurée à l'an-

tique, dont le rythme impérieux allait ruiner l'édifice déjà branlant du


contre-point figuré -. L'air de cour et le récit sortiront de ces essais et
trouveront leur emploi dans les ballets dramatiques.
Depuis plusieurs années déjà, les poètes et les humanistes s'occu-
paient activement des spectacles auxquels se récréait la cour'. En
1565, y en eut de magnifiques à Fontainebleau. Des sirènes, « fort
il

bien représentez es canaux du jardin » charmèrent les assistants « d'une


musique parfaite ». Des chevaliers prirent d'assaut un château où des
démons tenaient prisonnières des belles, enfin une comédie fut repré-
sentée « sur le subject de la belle Genièvre de l'Arioste »-^. Ronsard et

ses amis avaient composé plusieurs pièces de vers pour ces fêtes > dont
la mise en scène et le fiiste trahissaient un esprit tout italien. On en

mettaient en musique que des couplets populaires. Ils puisaient largement dans les
poésies de Clément Marot et des autres poètes de la cour. On trouve trop rarement
il est vrai, mais enfin on trouve quelquefois dans les chansons de Claudin de Sermisv

et de Janequin, des vers qui, à défaut de structure très savante, ont une grâce poé-
tique et une réelle délicatesse de forme. V. dans le même recueil d'Attaignant, p. 95 :

Puisqii'eii amours a si grand passe temps ; p. 21 Puisque fortune a sur moi entrepris;
:

p. 24 :Au jol\ bois en l'ombre d'ung soucv, etc.


1. V. Augé-Chiquet, Br?;/, p. 504. Claude de Pontoux. Gedolacrxe, fo 22 et suiv.
2. Non qu'à l'origine les collaborateurs de Baïf aient dédaigné les artifices polypho-
niques, comme feront un peu plus tard les musiciens de la Camerata Bardi Claude :

Le Jeune, Du Caurroy, Jacques Mauduit, sont de grands maîtres dans l'art du contre-
point, tnais en tenant compte de la prosodie, en assujettissant la musique au rvthme
du vers, en faisant dominer une partie mélodique au détriment des autres, ils ont
provoqué le triomphe de l'air à voix seule, et leurs disciples ne tarderont pas à délaisser
le contre-point pour le stvle harmonique.
5. V. Henry Prunières. Le Ballet de cour, chap. 11.

4. Brantôme, tome VII, p. 370. V. aussi Lanson, Revue d'Histoire liltêraire-de la


France, 1903 (juillet-septembre).
5. Ronsard. Mascarades, combats et cartels (1567). Notamment le Trophée —
d'Amour à la comédie de Fontainebleau (édit. Blanchemain, tome IV, p. 131). On trouve
XXIV l. OPERA ITALIEN EN FRANCE

peut dire autant de celles qui furent données, en 1565, à Bavonne, pour
Tentrevue de Catherine et de sa fille Madame, mariée au roi d'Es-
pagne '.

A partir de 1567 apparaît, parmi les officiers domestiques de Cathe-


rine de Médicis, le célèbre Baltazarini qui va prendre au cours des
années suivantes la direction et comme l'intendance des plaisirs

rovaux. Il dressera les plans des fêtes, en réglera l'ordonnance et la

mise en scène, et, pour la réalisation, fera appel aux bons offices

des chorégraphes italiens % des poètes et des musiciens de la cour.


Baltazarini — qui allait franciser son nom en celui de Beaujoyeulx —
avait été envoyé à la reine mère par le maréchal de Brissac, gouverneur
du Piémont. Il était arrivé en France avec sa bande de violons, « très

exquise », si Ton en croit Brantôme '. C'était un homme instruit, d'un


commerce agréable, « un fort gentil esprit », qui savait force contes
et force belles histoires. Ce dernier talent ne dut pas nuire à sa for-
tune. Successivement valet de chambre de Catherine de Médicis », de
Marie Stuart, de Charles IX et de Henri III >, il mourut probablement
peu d'années après avoir mené à bien l'entreprise du Balh'l comique

lie la Rciiic'' où les humanistes crurent voir une résurrection de la

tragédie antique, avec ses récits, ses chœurs et ses danses.

C'est en France que le ballet de cour est né, mais ce genre est rede-

la musique de ce récit dans les Airs de cour sur le hit]] d'Adrien Le Rov (Bibl. de
Bruxelles, fonds Fêtis, 2379.
1. Li i^'nnidissiiiii
\
apparali e reali
|
trioiifi fatti per il Ke c Rei^iiia di Frai!:^a iiel-
\

I
/(/ iitli'i di Biiioiia, iielï al>lwitniieiilo délia Reo^iiia Catholica di Spa^iia
\
Dove si \

narra rhouoratissiiiio aeeetlo. il coiiibatlere iino castello iiwantato, coiiibattivienli in mare,


liccisione d'iiua Baleiia, et allri iiiostri iiiaritii, coiuhattinienti a caiiipo franco, cou iiinfe,
sotii, et caiiti, et un
andava da se stesso, et altre cose, conte legendo intenderete.
castello che
In Pado-Vii, MDLXV
(in-4") (Collection H. Prunières^.
2. Cesare Negri dans les Gratie d'ainore (p. 3 et suiv.), cite les noms d'un certain
nombre d'illustres baladins italiens qui servirent les rois de France, en particulier
Ponipeo Diobono et Vergilio Bracesco. Un peu plus tard, nous relevons dans les
comptes de la maison de Henri III les noms de « Jehan Pierre Gallin, natif de
Milan » et de « Francisque de la Serre » baladins. (Arch. cur. de l'hist. de France,
tome X, p. 427). En 1582 un certain Bernard Teton(i) baladin ord^^du Rov, natif de
Milan, se marie (Arch. Nat., Y 124, fo 130).
3. Brantôme, S. H. F., tome IX, p. 684. Il est qualifié « viollon de la chambre du
Rov » sur un acte du g mars 1582 (ms. fr. 7835, pièce 24).
4. Lettres de Catherine de Médicis. Imp. Nat., tome X, p. 535 (et ms. (]lair. 836,
p. 2596).
5. V. Louis Paris. Xèi^^ociations, lettres et piices dnrrses relatives an règne de Fran-
çois II, p. 748. - Ms.
7856, p. 1238, 1308, 1540.
fr. Clair. 836, p. 2951). —
6. Il quitte le service de Henri III en 1584, .sert Catherine en qualité de valet de
chambre en 1585 avec son fils Charles, reçu en survivance de sa charge (Arch. Nat.,
K. K. 387, f" XX.XII v". On ne sait pas la date exacte de sa mort. Il portait le titre
d'écuycr et seigneur Des Landes. Sa veuve se remaria en 1595 avec » Jehan de
Rueil, escuyer, seigneur Desmarestz » (Arch. Nat., Y, 134, f" 244).
IXTRODUCTIOX XXV

vable à l'Italie de la plupart des éléments qui le constituent'. Qu'est-ce


que ces entrées de nymphes, de satyres, de tritons, ces chars où s'en-
tassent toutes les divinités du paganisme, sinon l'appareil ordinaire des
spectacles de \'enise, de Ferrare et de Rome ? On reconnaît la mise
en scène et la figuration des maschcratc, des intenuedi et des danses
théâtrales : brandi ou iiioirschc de la péninsule. Toutes ces formes étaient
depuis longtemps populaires en France. Les chorégraphes de la cour
étaient tous italiens, italiens aussi la plupart des musiciens qui pre-
naient part à ces fêtes-. On ne saurait donc s'étonner que le

piémontais Baltazarini ait introduit dans l'action de sa Ciirc les diver-


tissements qui, depuis de longues années, f^iisaient les délices de la

cour française.
En composant le Ballcl ', Baltazarini s'imaginait de bonne
Comique
foi prendre pour modèle drame antique avec ses chœurs chantés et
le

dansés-^. Il croyait rendre la vie à un genre théâtral tombé en désué-


tude au cours des âges barbares et faire œuvre d'humaniste en utili-

sant les mêmes intermèdes qui, en Italie, s'intercalaient entre les actes

des comédies et tragédies latines qu'on y représentait.


Né d'un ingénieux mélange de genres différents, le Ballet Coiniijiie

de 1581 n'en reste pas moins une création originale >. « J'ai animé et

fait parler le Ballet, s'écrie Beaujoyeulx dans sa préface, et chanter et


raisonner la Comédie et v adjoustant plusieurs rares et riches repré-
sentations et ornemens, je puis dire avoir contenté en un corps bien

1. V. Henrv Pruniéres Le Ballet de cour, ch. 11.


:

2. H. Pruniéres, /« Musiciens de la cljanihre et de l'Ecurie. Année musicale, 191 1.


5. Ce qui signifie ballet-comédie, ballet à action dramatique et non ballet drola-
tique, ainsi que l'ont cru la plupart de ceux qui ont eu l'occasion de parler de ce spec-
tacle.
4. Les poètes en apportant leur tribut d'hommages à Baltazarini en ont laissé un
curieux témoignage :

Beaujoyeulx qui premier, des cendres de la Grèce


Fais retourner au jour le dessein et l'adresse
Du Ballet compassé en son ton mesuré
Mon esprit, Beaujoveux, esperduement s'esgare ,

Dedans hauts projets doctement recherchez,


tes
Et des vieux monumens de la Grèce arrachez
Pour esjouyr nos Rovs d'un spectacle si rare.
Vers imprimés en tête du livret du Ballet comique de ta Royne Jaict aux nopces de
:

Monsieur le Duc de Joxeuse et de Mademoiselle de Vaudemont sa saur, par Baltasar de


Beaujoyeulx, valet de chambre du Roy et de la Royne. sa mère. Paris, Adr. Le Rov
et iWh. Ballard et Mamert-Patisson, imprimeurs du Rov, 1582 (Bibl. Nat., Réserve
Ln^T 10436, Bibl. de l'Arsenal, B. L. 771 1, Mazarine, I09i8">), réimprimé par
Lacroix dans le tome I'^'' des Ballets et Mascarades de cour. Genève, Gay, 1868.
). Ce qui est nouveau dans cette entreprise, c'est l'emploi que fait Beaujoveulx de
cet appareil étranger, c'est l'unité de l'action dramatique qui met en œuvre des récits,
des chœurs, des danses...
XXVI L OPERA ITALIEN EN FRANCE

proportionné l'œil, l'oreille et l'entendement ». Ces quelques lignes


résument toute l'esthétique du genre nouveau.
Par un singulier retour, le ballet dramatique qui devait tant à
l'Italie allait y êtrey importé et jouir d'une prodigieuse fortune. Intro-
duit par Rinuccini à cour de Toscane, vers 1603, il fut accueilli avec
la

une faveur extrême et ne tarda pas à balancer le succès des tragédies


musicales qui se représentaient à la même époque '. Le Ballet de Cour
non seulement ne précéda pas dans la péninsule les tentatives de
Cacccini, de Péri et d'Emilio del Cavalière, mais détourna le drame
musical de ses destinées naturelles et le fit dévier vers l'opéra à machines,
moins sévère et plus divertissant. Créé en France par des humanistes
italianisants, le ballet passa les monts et exerça son influence sur
l'esthétique mélodramatique -. La France renvoyait à l'Italie une forme
d'art nouvelle forgée avec les éléments qu'elle en avait reçus durant
tout un siècle.

II

Un profond changement s'opère dans les goûts, les idées et la pra-


tique des musiciens français sous le règne de Henri IV. Tout en se

réclamant de Claude Le Jeune et de Mauduit \ la nouvelle école


délaisse les jeux polvphoniques auxquels se plaisaient ses maîtres et ne
songe plus à rythmer mélodiquement les vers mesurés de Baïf. Les
Guédron, les Bataille, les Boesset se soucient médiocrement d'exactitude
prosodique, ils cherchent à concilier la beauté plastique de la forme
avec Dans les ballets de cour,
les nécessités de l'expression dramatique.

les récits ne sont plus déclamés, mais chantés. La musique vocale prend

une importance croissante. Ce seront bientôt des manières de petits


opéras '. Il est curieux d'observer que cette évolution de la musique
française vers un idéal plus dramatique, coïncide avec la présence à

1. C'est au jJrand historien du mélodrame florentin, jM. Angelo Solerti, que revient

riionneur d'avoir, le premier, établi ce t'ait d'une manière indiscutable. Avant lui, on
admettait généralement que le ballet dramatique avait été importé d'Italie en France,
c'est le contraire qui s'est produit. V. Gli Albori dcl McJodniuiuia, tome I, p. 27 et
suiv.
2. Solerti. Miisica, BaJlo e Driinninitiùi alla corle Mcdicea 1600-1657. Firenze,
19O) (in-80).
3. Sur le rôle de Mauduit et l'influence de ses théories V. Mersenne. Hanii. Unii'.
Livre VII du traité des Instruments. Sâuval, Jiilicjiiilc's de Paris, II, 491. Michel
lirenet, Mnsiiieiis de lu vieilli' Fraïue, p. 199 et suiv.
4. Les sujets eux-mêmes sont des sujets d'opéras Tiuicrède, Lu Délivrmice de
:

Renaud, Roland, Psyché, etc.


INTRODUCTION XXVIl

Paris des deux principaux artisans de la réforme poético-musicale de


Florence : Ottavio Rinuccini et Giulio Caccini.
Marie de Médicis avait assisté, durant toute sa jeunesse, aux eflorts des

poètes et des musiciens florentins pour découvrir ce qu'ils nommaient


le stile rappreseutaîivo. elle n'avait pu demeurer
Bien que peu cultivée ',

indiflérente à un problème qui passionnait non seulement les artistes,


mais les courtisans et les princes de Toscane eux-mêmes. Ferdinand F"",
en 1 597, avait assisté à la représentation de la Dajnc de Rinuccini, mise en
musique par Jacopo Péri et encouragé les auteurs à persévérer dans la
voie où ils s'étaient engagés-. LEiiridice venait d'être terminée quand
fut décidé le mariage de Marie de Médicis avec Henri IV Ferdinand II ;

résolut de solenniser les noces par une exécution fastueuse de


l'œuvre nouvelle. Le 6 octobre 1600, VEiiridice fut chantée au palais

Pitti en présence de l'envové de Henri W , le duc de Bellegarde, et

d'un nombre infini de princes et de seigneurs italiens '. Quelques jours


plus tard, on entendit au P^7/«-~() Farbio une pastorale de Chiabrera, //

rûpimciilo di Ccftilo, dont Giulio Caccini avait composé la musique *. Le


succès de cette œuvre avant dépassé les espérances de Caccini, l'illustre

chanteur dont la voix était la joie et l'orgueil de la cour de Toscane,


entreprit lui aussi de revêtir de musique ÏEitvidicc de Rinuccini et en
termina la partition peu après le départ de Marie de Médicis pour la

France '.

1. Elle lisait peu, mais adorait la comédie et la musique De l'sEtoile dans son :

Journal remarque au moment de l'arrivée de la nouvelle reine à Marseille « Elle


aime fort la chasse aussi bien que le Rov, et la musique aussi qui a été cause que :

Sa Majesté lui a euvové la sienne, avec tous ses violons et joueurs d'instrumens,
que la reine et tous les seigneurs et dames de la suite ont louée et admirée tout
ensemble ».

2.Pour l'histoire de la révolution mélodramatique consulter : Solerti, Gli albori de!


iiiclodrariinia,^ vol. m-80 On'c^iiit' ciel nielodraiiiiiia, i vol., Bocca
; frat., iu-8°; Musica,
l'iillo e draiiniiafica, i vol. in-8, — le très intéressant ouvrage collectif intitulé : Coiiniie-
iiiora:iioj!e Ri/ornia nielodraiinjuiiica, dans \cs Atli deW Accadeiuia del R. Istituto
delta
ïiiiisicale di Fi)en:^e, 1895, in-40, —
enfin le chapitre du beau livre de M. Romain m
Rolland L'opéra en Europe avant Lidli ei Scarlatti. Paris, Thorin, 1895, in-80. On
:

trouvera en appendice de ce dernier ouvrage une e.xcellente bibliographie qu'on


pourra compléter au mo\-en des volumes de Solerti parus quelques années plus tard.
3. UEiiridice parut précédée d'une dédicace à la nouvelle reine Le Musiche di :

]. P. nobiJ fiorentiuo sopra J'Eiiridice del sig. Ottavio Rinuccini, rappresenlate nello
Sponsali~io délia Christ""^ Maria Medici, rci^ina di Francia e di Xavarra. Firenze,
Marescotti, 1600.
4. La musique en est malheureusement perdue, à l'exception de la scène finale
imprimée dans le Xuove Musiche de 1602. Le livret fut traduit en vers français et
publié avec une description détaillée de la représentation Le Ravissement de Ce/aie, :

représenté à Florence aux Xopces royales, par X. Chrétien, sieur des Croix, Ari^entenois.
Rouen, Théod. Reinsart (in-i6). Bibl. Nat., Réserve Y f. 2962.
5. L'Euridice, composta in musica, in stile rappresentativo da G. C. detto Romano.
Florence, Marescotti, 1600, dédicacé à Bardi datée du 20 décembre.
XXVIII i; OPERA ITALIEN EN FRANCE

Ainsi le mariage de la princesse de Toscane avec Henri W avait été

l'occasion des plus importantes manifestations de l'art mélodramatique


qui se fussent encore produites en Italie. « Le retentissement des
fêtes, la part que prirent à la représentation les plus fameux musiciens
et les plus nobles seigneurs d'Italie, eurent dans toutes les cours
italiennes et presqu'aussitôt dans celles de l'étranger un éclatant

écho '
».

L'auteur de VEuridice, le poète Ottavio Rinuccini, était issu d'une


des familles les plus illustres de la péninsule-. Il comptait parmi ses
aïeux des artistes, des lettrés, des hommes politiques fameux. Hanté
du souvenir du théâtre grec, il avait accompli une première révolution
théâtrale en renonçant aux intrigues baroques et extravagantes des
auteurs de la fin du xvr" siècle, pour composer ses belles tragédies aux
lignes simples et pures, aux formes harmonieuses \ Rinuccini se voua
corps et âme à la réforme mélodramatique. Il fut peut-être le premier
à croire qu'une pièce pouvait être entièrement chantée-^. Il revenait
ainsi d'instinct aux pures traditions italiennes, à la conception illustrée

par YOrfco du Politien un siècle plus tôt >. Il réussit à forger « le pre-

mier tvpe indéfiniment répété, peut-être le plus parfait de la tragédie en


musique'' ». Vingt ans durant, les Jacopo Péri, les Giulio Caccini, les

Marco da Gagliano, les Monteverde travaillèrent sur ses poèmes.


Gentilhomme et poète de cour, Rinuccini connaissait fort bien Marie
de Médicis. La médisance afiirmait même qu'il avait été son amant ".
Une tradition plus vraisemblable, recueillie par Ménage, veut qu'il ait
été seulement éperdument amoureux de la reine. « Cet homme estoit

un peu fou à ce que j'ai entendu dire à des gens qui l'avoient connu.
Il se mit en tête que Marie de Médicis l'aimoit et qu'il n'y avoit que la

crainte du tablier qui l'empêchât d'entrer en commerce avec elle.

Dans cette ridicule pensée, il passa avec elle en France ou la vertu de


cette reine lui fit bientôt perdre contenance. Il fut assez étourdi pour
confier ses sottises à quelques-uns et les railleries piquantes qu'on en fit

l'obligèrent enfin à quitter la France » '^.

1. Romain Rolland, L'Opàii en liiiiopc, p. 78.


2. Roccamadoro-Ramclli. Oltavio Riuuaiiti. Fabiano Gcntile, 1900, in-S".
3. Tiraboschi. Stovia delIa h'tleraiitra italiana, tome VII, p. 1946.
4. V. les préfaces des premiers mélodrames, publiées par Solerti. Ori<^iiii dcl Melo-
(IrcniuJia. Bocca frat., Torino, in-8".
5. V. Romain Rolland. L'Opêid avaiil Vopéra dans sMiisiiit'iis (Piiiilrclois.

6. L'Opéra en Europe, p. 75.


7. lani Xicii Erithraei : Pinacotheca allera iDiaohiiutn ilhistri/iiii Colonix, l6.|),
1,62.
8. MeiKioiinui, 1713. tome III, p. 264.
INTRODUCTION' XXIX

L'anecdote est plaisante et contient peut-être un fond de vérité, mais


le motif du vovage de Rinuccini est d'ordre moins romanesque. Le
poète était porteur de grosses créances à recouvrer '. Tout au plus

l'assurance d'être protégé par la nouvelle Reine au cas où il aurait

peine à se faire rendre justice, l'engagea-t-elle à ne pas diftérer son


voyage. Il quitta donc Florence et passa les Alpes, dans le temps que
Marie de Médicis débarquait à Marseille, et arriva peu après elle à

Paris ^. Soit qu'il fût réellement amoureux de la Reine, soit plutôt que
le règlement de ses affaires tirât en longueur, il fit de fréquents séjours
en France au cours des cinq premières années du siècle '.

A la Cour, Rinuccini trouva le meilleur accueil. Marie de Médicis


ne lui ménagea pas sa protection et le recommanda chaleureusement
au chancelier pour son procès contre « aucuns particuliers du pays
de Dauphiné^». Henri W le nomma gentilhomme de sa chambre».
Rinuccini conserva bon souvenir de la manière hospitalière dont
il avait été reçu puisqu'il désirait dédier à Louis XIII le recueil de
ses poésies, lorsqu'il mourut. Son fils obéit à ce désir et accompagna
l'édition qu'il publia en 1622 d'une intéressante préface où il

explique comment son père rapporta de France le genre nouveau du


Ballet de Cour ^ Rinuccini dut exalter devant Henri IV les

musiciens du grand duc de Toscane, et parler avec enthousiasme du

1. Solerti. L'n viaggio di Giulio Caccini in Francia, Kivisla Musicale, XXXIX,


p. 405 et suiv.
Gionuile Stcuico dcUa lelteral. ital., VII, p. 1946.
2.
5. De
retour à Florence de son premier voyage durant l'été de 1601, il repartit au
piintemps suivant pour ne revenir en Italie qu'au mois d'août 1603. Au début de
1604, il se mettait derechef en route et regagnait sa patrie, cette fois définitivement,
semble-t-il. vers la fin de septembre de la même année. V. Solerti, op. cit.,
4. La reine écrit à M. de Maisse « Le sigr Octavio Rinuccini m'a fait entendre les
:

bons offices que vous luv avez renduz a ma recommandation en une afiaire qu'il a
eu au conseil privé du Rov Monseigneur allencontre d'aucuns particuliers du pays
de Dauphiné, dont je vous remercie et vous prie de continuer encore à l'assister de
vostre faveur et mesme de le recommander de ma part à Monsieur le chancellier, à
ce que par vostre bonne intercession, il puisse tant plutost obtenir l'expédition qu'il
poursuit, selon la justice de sa cause. Vous ferez en cela chose qui me sera très
agréable... » (Ms. Cinq cents Colbert, 86, i° 11).
5.Tiraboschi, op. cit., VIL p. 1946. Les lettres que les souverains de France con-
liaient à Rinuccini, à chacun de ses voyages, pour les princes de Toscane, attestent
l'estime qu'ils avaient pour le poète courtisan. Archives de Florence. Mcdiceo, 4729,
etc. Bibl. Xat., Cinq cents Colbert, 86. Il est fort question dans ce dernier recueil de
la signora Rinuccini. Elle s'en retourne en Italie en 1605 (fo^ 261 et 262). Son enfant
est filleul de la reine (f"^ 151 et 159 vo.) La reine écrit plusieurs lettres au grand
duc de Toscane pour faire accordera « Jean Paolo Rinuccini » la dii^nilc de quarante
hiiict. Pour Ottavio Rinuccini, v. fo^ 106, 107, 266, 267.

6. Préface des Poésie... Firenze, Giunti, M.DCXXII, « quindi nacque che balli, i

quali egli ancora primiero condusse di Francia accompagnati dalla musica, piacquero
mirabilmente ».
XXX L OPERA ITALIEN EN ERANCE

célèbre Giulo Caccini et de ses fiUes aux voix charmeresses, car le roi,

piqué de curiosité, se décida à écrire de sa main le billet suivant '


au
grand duc de Toscane :

« Mon oncle, le récyt que j


ay ouv fere du bon concert de Musyc-
que de Julyo Romane avec fet vous fere ce mot et ses fvlles me
pryer parRenocyny quy le vous randra, de nie le vouloyr prester
pour deus ou troys moys afin que les ayant ouys, je vous puysse
mander sy la renomée qui voile d'elles est verytable, et remetant le
surplus à la sufysance dudN't Renocyny, je vous prverai de le crere,

et Dieu vous avoyr, mon oncle, en sa savncte et dygne garde ce


XXIII° Aoust à Fontainebleau. Henrv. »

Une lettre de Marie de Médicis pour la grande duchesse de Tos-


cane fut aussi confiée à Rinuccini. La reine s'associait au vœu formé
par son mari et priait sa tante de luv prêter « le concert de Musique
de Julio Romano avec ses filles » -,

Giulio Caccini était alors dans toute la force et la maturité de


son génie. Les fêtes de 1600 avaient rendu son nom célèbre > et ses

A'iiovc Miisicl.v se trouvaient entre les mains de tous les musiciens.


Romain de naissance, il s'était depuis longtemps fixé à Florence; il

avait deux filles d'un premier mariage : Francesca et Settimia ; elles

formaient avec lui et avec sa seconde femme Margherita le concert


de musique dont la renommée avait volé jusqu'à Henri IV -i.
Fran-
cesca, qu'on appelait la Cecchina, ne s'était pas encore illustrée dans la
composition >
et n'était célèbre que pour la beauté de sa voix lors-
que Rinuccini revint à b'iorence porteur des missives royales.
Le grand duc de 'Foscane montra peu d'empressement à se sépa-
rer de son musicien préféré ; il objecta que Caccini souffrait d'une
jambe et qu'il ne pourrait sans doute accéder au désir de Henri lY.
Caccini ne l'entendit pas ainsi et s'empressa d'écrire à son souverain

1. Arch. do l'Iorcncc, Mcdici-c, -^yiiS, ù» i<S5. Nous cro\ons devoir rcspcacr Tor-

thographc pittoresque d'Henri IV.


2. « Ma Tante, le Ro\-, Monseii^neur, escrivant par Renoncini a mon oncle le grand
duc pour le pr\er de lu\- vouloir prester pour quelques mois son concert de musique
de Julio d" Romano avec ses filles, j'a\- cru vous devoir fere la mesme prière et vous
assurer que pour l'amour de vous, ils seront les bien venus et vous de mo\'. Votre
bien affectionnée Niepce, Marie. — —
2.\ Août 160.]. » Mediceo, 4729, t" 118.

3. \ .sur Caccini, l'intéressant article de M. Ricardo Gandolfi, Alcunc cùiisidi'ni:iiciii


iiiloiiio (ilhi lifoniia lueJodraiinmiliciu Rivhla Musicale, III, 718 (1896).

l- Ademollo, La Cecchina. faiifiilla délia Doiiieiiica,


no 17, année 1885.
). iïn 1625, elle composera l'opéra La Hbera:;^ioite di Kiitfoiero dont les qualités de
:

fraîcheur, de grâce et de distinction mettent son auteur au premier rang des iemnies
musiciennes. V. Ambros. Geschicljlc der Musik, 2'^ édit., i8Si,ton!e I\', p. 293 et
suiv. — Romain Rolland, rOpéra en lùirope. p. ii.i.
INTRODUCTION XXXI

qu'il était absolument remis de sa maladie et qu'il le suppliait de


lui accorder l'autorisation de se rendre en France '.

Le 30 septembre 1604, Caccini quitta Florence avec ses deux hlles,


sa femme, son fils Pompeo qui était peintre et un page de musique,
son élève -. Un cheval de selle, deux litières, cinq mules et un sommier
turent nécessaires au transport des vovageurs et de leurs bagages.
Caccini avait reçu du grand duc une somme de quatre cent cin-
quante ducats pour les trais de la route.
Arrivé à Paris, Caccini alla remettre au florentin Concini, tavori
de la reine ', une lettre d'introduction que lui avait donnée au

départ la duchesse de Toscane ^. Concini fit bon accueil au musicien


et à sa famille et s'empressa de les présenter à la cour. Les Floren-
tins se firent entendre en présence des souverains dans le répertoire
le plus varié : airs italiens, français et même espagnols '. Leur
succès fut considérable. Un grand seigneur anglais qui assistait à un
de leurs concerts, s'etforça de les décider à passer la xManche, les assu-
rant que la reine Elisabeth adorait la musique italienne et qu'elle les
accueillerait avec enthousiasme.
Henri I\', qui aimait beaucoup la musique, tut cliarmé par la voix de
la Cecchina. Il protesta que personne n'avait jamais chanté de telle sorte
et pria Caccini de lui laisser sa fille. Le musicien en référ-i au grand duc
qui envova l'autorisation demandée ^\ Francesca demeura donc sans
doute à la cour après le départ de son père, bien que nous n'ayons
pu trouver trace de son séjour dans aucun document du temps.

1. « Ben
desidererei che risolvendosi S. A. non mi lasciasse perderc l'occasion, dci
buoni tempi... » Le texte de cette lettre a été publié par Solerti dans son étude de la
Rii'ista Musicale sur le voyage de Caccini.
2.« Addi, 30 Settembre 1604. Mess. Giulio Caccini, Musico, va a Parigi, chiamato
dalla Regina e con seco la Moglie, e due sue lïgliole e un suo figliuolo pittore e un
putto che canta che è suo allievo. Ha con seco due lettige a nolo con 5 muli, un
mulo da soma e un cavallo da sella. Ebbe per donativo ducati 450. » Note du major-
dome Giovanni del Maestro (Arch. de Florence. Carte Sln\iid>ie, f. XXXC, 6.
3. V. Berthold Zeller, Henri IV et Marie de Médicis. Paris, Didier, in-8".
4. Lettres de Caccini du 19 février et du le"" mai 160^, publ. par Solerti.
5. Lettre du 19 février concert au Louvre « dove, havendo cantato italiano, spa-
:

gnuolo et francese... » La musique espagnole était alors très goûtée à la cour de


France. En 1601, une cantatrice espagnole, la senora Isabel, avait charmé la reine
(Cinq cents Colbert 86, f» 8), et dans le 11^ livre des Airs mis en tablature de luth, de
Bataille (161 1), on trouve six airs espagnols de grand caractère.
6. C'est ce qui parait résulter de la lettre du i^r mai au grand duc, où Caccini
déclare que la réponse de Ferdinand ler au sujet de la Clk'cchina a fait grand plaisir aux
monarques français « Ho notificato a loro Maestà quanto V. A. mi ha riposto in
materia délia mia figliuola, e ne mostrarono sentir gusto particolare ». La Cecchina
était en tous. cas de retour en Toscane au mois d'avril 1610, car à cette date elle se
tait entendre à Pise en présence du grand duc. V. Solerti, Mnsica, ballo, draminatica,

p. 59.
XXXIl L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Dnns les derniers jours d'avril 1605, Caccini se rendit avec sa tamille
à Fontainebleau pour prendre congé de Henri I\' et de Marie de Médi-
cis. Ceux-ci lui exprimèrent toute leur satisfaction et lui remirent des
lettres pour les souverains de Toscane, où ils ne cachaient pas le plaisir

qu'ils avaient pris à « ouïr par deçà » le chanteur et sa troupe '.

Les Métnoires français du temps sont muets sur le séjour de Cac-


cini en France-. Il serait hasardeux d'en conclure que sa présence
passa inaperçue et ne put exercer aucune influence sur notre art musi-
cal. Un demi-siècle plus tard, Luigi Rossi viendra à Paris, et pour-
tant son nom et son séjour dans la capitale resteront enveloppés
d'un nuai2;e obscur jusqu'aux recherches de ces dernières années. Il

en va de même pour Caccini. Son nom ne parvint sans doute pas


au grand public, mais les musiciens se rendirent mieux compte de
l'importance du personnage. De tous les compositeurs italiens de
cette époque, il connu en France. Trente ans
est le seul qui soit bien

plus tard, le père Mersenne qui cite à peine Monteverde et paraît


ignorer Emilio de! Cavalière et Marco da Gagliano, parle, en plu-
sieurs endroits de son Haniiouic UjiivcrscUc, de Giulio Caccini ' et

1. La lettre d'Henri IV se trouve aux Arcliives de Florence {Med. 4728, f" 65).
Elle a été publiée avec quelques corrections orthographiques dans l'édition des Lettres
missives d Henri IV, tome VIII, p. 908. —
Voici le texte de la lettre de Marie de Mé-
dicis demeurée inédite : « Mon
Oncle, vous recevrez celle-cv par les mains de Giulio
Romano lequel s'en retourne maintenant par delà avec sa troupe, et vous puis assurer
qu'il s'v est si bien comporté qu'il a laissé beaucoup de contentement de luy au
Kov Monseigneur, à mo\- et à tous ceux qui l'ont ouy. C'est pourquoy, je vous prve
de l'avoir toujours en toute bonne et favorable recommandation aux occasions qui
s'en présenteront. Je prie Dieu, mon Oncle, qu'il vous avt en sa saincte et digne
garde... .\ Fontainebleau, le 26 Avril 1605. » {Med. 4729, 1° 151). Une lettre pour la
grande duchesse conçue dans dans des termes semblables, fut aussi confiée à Caccini
{Med. 4729 fo 153). On trouve aussi le texte de ces deux lettres en compagnie de
trois autres missives adressées par la reine à son frère et ses cousins, dans le fonds des
Cinq cents Colbert (86, 1°* 267 et 268).
2. En Italie au contraire, le voyage de Caccini fit un certain bruit. Voilà ce que
Severo Bonini en dit dans son Discours sur la musique, rédigé vers 1640 « Il signor :

Cjiulio Caccini, inventor del nuovo stile, è stato cosi eccellente nel cantar solo nella
sua gioventù che non si trovo chi lo superasse. I concerti a più voci che in casa sua
faceva erano invero mirabili essendo tutti adorni di peregrine grazie del che [iede] ;

lacevano le moltitudini spesse de' principi e signori grandi forestieri e délia nostra città
di Firenze ch'andavano, quasi che per favore, a sentirli. E fu taie il grido e la fama,
ch'arrivata sino aile Maestadi Cristianissime di Francia Enrico e Maria Medici, sua
sposa, convenne al detto signor Giulio con tutta la sua virtuosissima famiglia far
passaggio et andare per ordine loro a fare udire la nuova maniera di cantare dove :

arrivata, non potria lingua umana csprimere quanto tossero stati accarezzati e quante
lodi et onori ebbero da quelle, non solo Maiestadi, quanto da tutti principal! duchi e i

baroni di F'rancia, che qui si litrovarono » (Solerti, Orioiui del melodrdiiiiiia, p. 13)).
3. Harmonie uuiverselle. Des chauts, p. 357 et 362. Il semble que « r.-\rt de bien

chanter, Florence, 162 1, » attribué par Mersenne à Caccini ne soit qu'une réimpres-
sion des Xiun'c Musiche.
Le prestige de Caccini se conserve si vivace en F'rance que, vers 1670, le chanoine
INTRODUCTION XXXIII

analyse longuement la méthode de chant placée en tète des Xitove


Mnsichc.
L'influence personnelle de Caccini parait donc avoir été réelle'. Si
l'on étudie les airs dramatiques imprimés dans les recueils de Gabriel
Bataille % on se rend compte que nos musiciens connurent fort
bien, vers 1600, le stile rapprescuiativo. On trouve dans leurs récits des
vocalises et des ornements apparentés à ceux des réformateurs floren-
tins et dont les œuvres du xvr' siècle n'oflî'ent aucun exemple. La
mélodie devient de plus en plus dépendante vers. On sent un du
effort constant vers une déclamation musicale plus simple et plus
naturelle. Des airs italiens apparaissent dans les recueils imprimés vers

le même temps ', enfin les compositeurs français donnent à la

musique dramatique une part toujours plus grande dans les Ballets
de Cour. Ainsi l'influence ultramontaine agit sur notre art sans
nulle violence. Tout en s'enrichissant de tournures nouvelles, la

musique française conserve son caractère et son originalité. L'art des


disciples de Mauduit : Guédron, Antoine Boesset ou Bataille, ne con-
naît pas les audaces expressives auxquelles se plaisent les Italiens du
temps ; les sentiments élégiaques et mélancoliques dominent et les

cris de passion y sont rares, mais cette musique d'intimité renferme


des trésors de sensibilité, d'émotion, d'invention mélodique. Les Ita-

liens eux-mêmes en subissent le charme ^.

Ouvmrd riionneur de la réforme mélodramatique


lui attribue tout « Julio Caccini, :

Florentin, a introduit premier la basse continue, au commencement de ce siècle,


le
l'an 1600 et de là on a pris occasion de mêler avec les voix toutes sortes d'instru-
mens en différentes manières. » La Musique rétablie depuis son origine et l'histoire des
progrès qui s'y sont faits jusqu'à notre temps, ch. v, p. 28, Bibl. de Tours, mss. 822.
1. Il V aurait lieu de rechercher si cette influence ne fut pas réciproque et si le

séjour de Caccini à la cour de France ne fut pas pour quelque chose dans le change-
ment de stvle qu'il est aisé de discerner entre les Xuove Musiche et le Fnggilo:^io
Musicale (161 3) dont beaucoup de morceaux rappellent la forme de l'air de cour.
2. Airs De Différents
I
Autheurs, Mis en tablature de luth.
( \
Par Gabriel \

Bataille. A Paris, Par Pierre Ballard, Imprimeur en musique du Rov, demeurant



| |

rïie S, Jean de Beauvais, à l'enseigne du mont Parnasse. {Livre I) 1608. Second


Livre, 1609. — Trois les me livre, 161 1. Ouatriesvie livre, 161 3. — Cinqidcsme —
livre, 1614. — F/e, i6ij, F//e, 1617, VillCièiS, /A'e, 1619, X^, 1621, .Y/e,
1623.
La Bibl. du Conservatoire en possède une collection complète. La Bibl. Nat. pos-
sède les livres IV (incomplet) à XL
3. A dire vrai, l'air « Credi tu per fugire » inséré dans le I^r livre des Airs en tabla-
ture de luth (1608), est d'une forme si française qu'on ne saurait le considérer comme
une œuvre étrangère. Mais il est curieux néanmoins de voir les compositeurs de la
cour mettre en musique des textes italiens. Quelques années plus tard, Boesset écrit
de même deux airs italiens Non speri pietà et Dove mi lasci ingrala imprimés dans
:

le Vni<; Livre d'Airs île cour


| et de différents autheurs, .-V Paris
\ \
par Pierre
\
|

Ballard 1628, in-80, 52 ff. (B. Xat., Réserve 7 277). Vm


4. On lit souvent dans les diarii florentins publiés par Solerti, des indications de
ce genre « Li franzosini musici sononio gli violini alla francese » (31 mai 161 2),
:

Musica, Ballo e drammatica alla corle Medicea, p. 65. M. Torchi, dans son étude sur
XXXIV L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Il 3^ eut certainement, en ces premières années du xvii^ siècle, un


courant d'influence française en Italie : Rinuccini importe à Flo-
rence le Ballet de Cour parisien, des bandes françaises parcourent la
péninsule en jouant sur leurs violons les airs et les danses de notre
pays. Enfin, non seulement un grand artiste comme Giulio Caccini
ne dédaigne pas d'interpréter nos airs de cour, mais le duc de Man-
toue envoie même à Paris son chanteur Gio. Maria Lugharo pour y
étudier la manière française "... Ainsi, durant quelques années, une
sorte d'équilibre s'établit entre les enseignements que nous recevons
de l'Italie et ceux que nous lui donnons. Ce fécond échange d'idées
sera d'ailleurs de bien courte durée. Avant peu nos musiciens vont
se désintéresser de tout ce qui se passe au-delà des monts, jusqu'au
jour où, menacés par l'invasion italienne, ils devront compter avec un
adversaire déjà triomphant.

III

Les comédiens Italiens furent les vulgarisateurs en France de


l'art mélodramatique et préparèrent les esprits aux intrigues bizarres,

chères aux librettistes de l'opéra italien. La mode des intermèdes


lyriques les avait contraints de bonne heure à cultiver le chant*.
Certaines troupes, au milieu du xvi*-" siècle, renfermaient un assez
grand nombre de musiciens pour pouvoir interpréter, avec leurs
seules ressources, de longues scènes chantées. En 1574 les coinici

La Mitsîca istrumentale in Italîa (Bocca, 1901), note l'apparition vers 1610 dans les
recueils manuscrits et imprimés italiens des hallelti francesi et leur influence sur l'évo-
lution des formes instrumentales Notevole è il fatto che nomi ed anco le forme
: « i

cominciano a mostrarsi nella suonata italiana,


dei balli, e dei balli francesi per di più,
laquale... oltre alla forma di can/one e di sinfonia in un tempo solo e in due temi
principali con uno o due ritornelli mantenuta nello stile délia canzone vocale e dei
madrigale, accetta una forma per cui essa viene divisa in varii tempi seconde il succe-
dersi di parecchie danze o arie di danza ond'ella è costituita... », p. 32 et suiv.
I. Rien de plus significatif que les lettres du musicien où il rend compte à son
patron de ses efforts pour s'enrichir la mémoire des plus beaux airs de France « Per :

arrichirmi meglio délie più belle arie di Francia e délia maniera dei cantarle ». Dans
une autre lettre, le même artiste exprime son désir d'aller à Paris « per prendere
ancor meglio tutte queste arie francese si per cantare, corne pe^- sonare. » V. les
lettres de Gio. Maria Lugharo au duc de Mantoue, publiées par Bertolotti. La Musica
in Mantova. Ricordi, pp. 80 et 81. (Les lettres dont Bertolotti ne donne pas la source,
sont classées à l'Archivio Gonzaga sous la cote Francia 666. : 1606 (Diversi). — —
2. V. Alessandro d'Ancona. Orii^ini dei teatro italiano. Solcrti Alhori dei melo- :

drainma, passini.
INTRODUCTION XXXV

gelosi représentèrent ainsi devant Henri III à \"enise ', une tragédie du
poète Frangipane, mise en musique par Claudio Merulo-, sorte de
petit opéra ou plutôt de vaste cantate allégorique et mythologique où
étaient exaltées les vertus du monarque.
Les Gclosi vinrent en France quelques années plus tard et donnèrent
sans doute à la cour de Henri III les pièces à intermèdes et les pasto-

rales entremêlées de chœurs qui faisaient leur gloire en Italie K Devant


le peuple ils paraissent s'en être tenus aux coiiniicdie deW urlc. L'arrêt du
Parlement qui les frappe les accuse en effet de n'enseigner « que paillar-

dises et adultères », « de tenir escole de débauche à la jeunesse de tout


sexe de la ville de Paris « ^ Quoi qu'il en soit de ces anathèmes, nous
n'avons que des données trop vagues sur le répertoire des GeJosi pour
pouvoir en faire état. Nous sommes un peu mieux renseignés sur les

différentes compagnies qui passèrent les Alpes sous le règne de


Henri IV.
Ce prince n'aimait pas moins la comédie que la musique >. Encore
roi de Béarn, il entretenait à Nérac une troupe italienne qui lui don-
nait cet agréable passe-temps. Devenu roi de France, il couvrit de sa
constante protection les comédiens ultramontains. Il écrivit lui-même
au tameux HarJeqniu, Tristano Martinelli, pour l'engager à faire le

vovage et témoigna la plus grande bienveillance à la compagnie de


l'acteur Francesco Andreini qui visita la France en 1605 ''.

1.De Nolhac et Solerti. Il viaggio in liai la di Enrico III, Re di Frauda e le feste


a Vene^ia, Ferrara, Manto-va e Toriiio. Roma^ 1890, in-8. Baschet. Les comédiens
italiens en France, p. 5; et suiv.
2. Le livret manuscrit de cette Tragedia se trouve à la Bibl. Nat., ms. ital., 709. Il
en fut tiré plusieurs éditions à Venise.
A noter ce passage de l'avertissement (2^ édit.), qui montre les préoccupations
humanistes des auteurs a Tutti li récitant! hanno cantato in suavissimi concerti,
:

quando soli, quando accompagnati e infin' il coro di Mercurio era di sonatori, che
avevano quanti vari istrumenti che si sonarono giamai... Non si è potuto imitarc

l'antichità nelle composizioni musicali avendole fatte il S. Claudio Merulo, che a tal
grado non devono giamai esser giunti li antichi... »
j.- Le 28 juillet 1577, ^^^ Gelosi représentent devant la cour de France, à Blois, une

pastorale (Baschet, op. cit., 75). Peut-être était-ce VAininta du Tasse, qu'une troupe
de Gelosi avait jouée le 51 juillet 1573 devant le duc de Ferrare. V. Solerti Vita di :

Torquato 'lasso et Teatro di T. lasso (Bologna, 1895).


4. Journal de L'Estoile, cité par Baschet. Les comédiens italiens en France, p. 74.
5. Sans avoir raffinement artistique des derniers Valois, Henri IV adorait la
musique. En 1590, au plus fort de la lutte qu'il soutenait pour conquérir son
royaume, douze joueurs d'instruments et rTeuf chantres émargeaient au budget de sa
maison (ms. fr., 7856, p. 1450 et suiv.). La sévère économie de Sullv fit peu à peu
réduire ce nombre. Eu 1599, il n'y a plus que huit chantres et cinq instrumentistes.
En 1592, Henri IV avait créé un superintendant de sa musique, Alexandre de Bon-
niéres (ms. fr., 7835, pièce 27). En 1597, '^'^^'^ ^^s violons de Henri IV sont italiens :

Battista et Pierluigi Delfinone (Note de Robillart de Beaurepaire dans l'édition de


l'entrée de Henri IV à Rouen (1887).
6. \'. Baschet. Les conn'dicns italiens en France, p. 86 et suiv.
XX.KVI L OPERA lÏALIEX EN FRANXE

Issu de la noble famille des Cerrachi de Pistoja^ Francesco Andreini


avait mené une vie pleine d'accidents '. Soldat, les hasards de la guerre
l'avaient fait tomber aux mains des Turcs qui l'avaient gardé huit ans en
esclavage. S'étant évadé, il était entré, vers 1577, dans la troupe des
Gelosi où il avait tenu avec succès divers rôles, notamment celui de
Capitaii Spavciito del Val d'bifcnio qui l'avait rendu célèbre. Il

avait épousé la fameuse Isabella de la famille des Canali de Venise.


Poétesse % bel esprit ', comédienne illustre, c'était aussi une excel-
lente musicienne qui « chantoit bien et jouoit admirablement des
instruments « -K

H (Ji nnisico suon portando il vcnto


Gran Sirena dcl Ciel scmbrava al Canto >.

Francesco Andreini excellait à chanter dans les pastorales des airs


champêtres avec accompagnement de fiûtes^'. Les deux époux durent bien
souvent charmer les oreilles des courtisans français durant les quelques
mois qu'ils passèrent à Paris. Henri IV raffolait d'Isabella et ne dut
se séparer d'elle qu'à regret, au mois d'avril 1604 En arrivant à
".

Lyon, la pauvre Isabella tomba malade et mourut laissant sept


enfants, dont un allait par la suite jouer un rôle éclatant.
Né à Florence en 1578, Giambattista Andreini avait fait ses huma-
nités à l'Université de Bologne pendant que ses parents parcouraient

1. Bcvilacqiia, Andreini c la ioni[uignid dei Fcdeli. Giornale stonco


(jiiUubaUhla
délia Ictieratuni italiaim.Locschcr, i<S94. Anno XII, p. 77 et suiv.
2. vSes œuvres principales sont « Myrtilla, favola pastorale ».
: Sonelli, caii-oni —
epitalauii... Milano, 1601. —
Lellere (six éditions de 1607 à 1647).
3. Délia Chiesa affirme qu'elle écrivait tout à fait bien en latin, espagnol et fran-
çais, et avait grande connaissance des choses de la philosophie {Tealro délie donne
Ictleraie, Mondovi, 1620, p. 200).
4. Bayle, Dictionnaire.
5. Pianto d'Apollo. Rime funehri in inorle d' Isal'ella Andreini. Milano, 1606 (p. 25),
œuvre du fils de la comédienne rillustre Giambattista Andreini.
:

6. Dans la préface des liraviire del capitan Spavenio (Venise, 1624), on rappelle
les divers rôles où il excellait, et on ajoute « E maravigliosamente poi la parte dun
:

pastore nominato Corinto nelle pastorali, suonando varii e diversi stromeuti da fiato,
composti di molti Ifauti, cantandovi sopra versi boscarecci e sdruccioli ad imitazione
del Sannazaro. »
7. On peut juger de l'impression qu'Isabella avait produite en France, en lisant
l'ouvrage de Mademoiselle de Heaulieu J.a première atteinte contre ceux qui
:

accusent les comédies, par une demoiselle frini(oise A Paris, chez Jean Richer..., :

1603. — (Bibl. Nat., Réserve Ye, 5219). L'envie, déclare-t-elle, serait « dissipée
sur la terre, par les zéphirs de l'haleine de cette Heur céleste d'Isabelle. » A la fin, elle
place des « Stances à Madame Isabelle sur l'admiration où elle a tiré la France ».
L'œnivre est dédiée en ces termes au duc de Nemours « Je vous ai veu libéral aux :

louanges de l'esprit de la Signore Isabelle, dont les comédies se peuvent maintenir ce


que vous les avez jugées. Monsieur, un plaisir semblable aux repas des Avettes, où il
n'y a souillure, polution, ni amertume... »
INTRODUCTION XXXVIl

l'Europe avec les comédiens Gclosi de Flaminio Scala '. En 1601, il

avait épousé la Virginia Ramponi qui devait s'illustrer sous le nom


de la Florinda. Génie incomplet, tourmenté et bizarre, x\ndreini eut
des idées fort originales et paraît avoir exercé une influence réelle
sur l'évolution de l'opéra. Ses pièces étranges, aux intrigues extra-
vagantes, furent extrêmement prisées en Italie comme en France. Sans
être de véritables mélodrames, puisque la musique n'y joue qu'un
rôle épisodique, certaines d'entre elles présentent la structure des
grands opéras à machines qui vont triompher à Rome sous les Bar-
berini et être importés en France par Mazarin. Entre Ja Ceninura
d'Andreini, Ja hiiita Pa:ir^a de Strozzi et VOrfco de l'abbé Buti, il n'y

a pas solution de continuité. Ainsi, durant de longues années, le

public français va être préparé par les comédiens italiens à l'intro-

duction de l'opéra romain.


A l'époque où Andreini commença à se faire connaître, la réforme
mélodramatique était si récente qu'il n'y avait pas encore, à propre-
ment parler, de chanteurs d'opéra. Lorsqu'on montait une tragédie
Ivrique, on distribuait les rôles à des virtuosi da ramera, ou plutôt à
des comédiens avant de la voix. On préférait ces derniers pour leur
habitude de la scène, leur jeu varié et leur déclamation expressive.

Les compagnies d'acteurs italiens eurent ainsi très souvent à prendre


part à des représentations musicales. En 1608, le mariage de François
de Gonzague et de Marguerite de Savoie fut l'occasion de grandes
réjouissances. On manda à Mantoue la troupe des Fedeli à laquelle
appartenaient Giambattista et sa femme. Les comédiens devaient se
faire entendre dans les entr'actes d'un nouvel opéra de Monteverde,
VAriaua-. Les répétitions touchaient à leur fin quand la Caterinuccia
Martinelli (Ja Rotiiaiiiini) qui jouait le personnage d'Ariane mourut
subitement. Le désarroi fut grand. Heureusement on s'avisa de
demander à \'irginia Andreini de remplacer Roma- à l'improviste la

ni iia. Elle accepta et apprit son rôle en moins d'une semaine \ Le


jour de la première, elle interpréta avec une émotion si poignante les
pages sublimes où Arianne se lamente sur son sort, qu'à ses accents
des milliers de spectateurs versèrent des larmes. Quelques mois plus
tard, elle parut dans le ballo dcUe Ini^rate dont Monteverde avait com-

1. BeviUicqua. Op. cit.

2. Monteverde une crise des plus cruelles, sa jeune femme se


traversait alors
mourait. Il mis à l'œuvre avec une sorte de rage. On craignit un moment
s'était
qu'il ne se tuât de travail. V. R. Rolland, L'Opt'ra eu Europe, p. 88 et 8g.
3. P. Canal. La Musica in Mantova. Meiii. de! R. Ins. Feiieto, XXI, part, m,
p. 764.
XXXVIII L OPERA ITALIEN EN FRANCE
I
posé la musique sur un livret d'Ottavio Rinuccini '. Durant les quel-
ques mois qu'il passa à Mantoue, Giambattista Andreini fut donc à
bonne école pour connaître et apprécier le mouvement mélodrama-
tique.
Appelée par Marie de Médicis, la troupe des Fcdeli vint en France
durant l'été de 1613-. Le vieil Harkqnin en était l'âme '
; à

ses côtés brillaient Giambattista Andreini, la Floriiuia, le Capitan


R'nioccronic et plusieurs autres excellents comédiens. Ils laissèrent à

la cour un souvenir si agréable que, quelques années plus tard, le

roi Louis XIII désira les entendre de nouveau. Les FcdeJi revinrent
dans les derniers jours de l'année 1620 pour ne repartir qu'en
février 1622. Entre temps, Andreini était passé directeur de la troupe ^

et y exerçait une intkience décisive. Fêté par Louis XIII et Anne


d'Autriche, le comédien se prit d'atlection pour notre pays et ne
cessa dès lors d'v faire de fréquents séjours. Nous l'y trouverons
encore, en 1647, lors des représentations de ïOrjeo >'.

T(^ute sa vie Andreini fut hanté par le mélodrame ^\ Cette préoc-


cupation se manifeste non seulement dans certaines de ses pièces
destinées à la musique comme la Maddaleiia ou la Ccnlaura, mais
même dans son grand poème religieux VAiiûiiio, prototype du Paradis
Perdu de Milton. D'un bout à l'autre de cette oeuvre, qu'il acheva
en 161 3 et qu'il dédia à la reine de France, on sent que le poète se
représente les fiiits comme se passant sur une scène d'opéra. Ce sont
les mêmes décors, les mêmes dispositifs. Les chœurs chantés par les
anges, les séraphins, les chérubins y abondent. La Fana Gloria

assise sur un char, traîné par un géant, chante un récit en touchant


une Ivre '. Plus loin, un esprit infernal entonne les louanges de
Lucifer avec accompagnement de stridents instruments infernaux **.

1. Le réimprimé par Solcrti dans OU Alhoi i tJel nieJoilntnnuii, tome II,


livret a été
p. 258 et musique, publiée dans les Madrioali o/n'iricri de 1638, a trouvé
suiv., la
récemment place dans le tome A'II de la collection /'.-///(' luiisicalc in Ittilia, de:

Torchi. Ricordi, édit.


2. V. Baschet, op. cil., chap. vi.

3. Le roi et la reine le couvraient de leur protection. Marie de Médicis écrit en


1612 au grand duc de Toscane « Mon cousin, puisque Harlequin m'a choisie pour
:

sa commère, il faut que je prenne quelque soing de ce qui lu\- touche et à ses
enfans. » Mediceo, 4729, f" 298. —
V. aussi Baschet. I.cs loinèdieiis italiein en France.
4. Après le départ d'Harlequin.
5. V. Picot. Gli liUiiui aiini di G.B. A)idrci)ii. Rassci^ua iùldioi^raficd dclle lettere
ilalùuie,tome IX, p. 66.
Nous croyons devoir rappeler que nous employons
6. ce terme au sens étymo-
logique de drame musical, drame lyrique.
7. Acte II, scène v.
8. Q.ui cantando dovranno accompagnar la sua voce rauchi stromenti infernali,
ni, 4.
INTRODUCTION XXXIX

La Carne chante trois strophes suivies d'une grande symphonie'. Il


y
a un ballet de nymphes - et un autre de follets qui dansent les

Matassins '. Il est même fort possible que certaines scènes fussent
destinées à être déclamées en style récitatif, du moins la coupe des
vers permet de le supposer.
La MaddaJeua, représentée par la troupe des Fedeli, en 1617, est

presque un opéra, elle marque une étape entre la pastorale floren-


tine, inspirée de l'art antique, et les pièces à grand spectacle qui vont
faire fureur à Venise et à Rome. « De la confusion de dilférents
genres, tragédie, comédie, tragi-comédie, drame religieux, sort peu à
peu la forme nouvelle qui s'intitule melodramnia , c'est-à-dire l'Opéra
moderne. La MaddaJciia marque déjà le dernier stade de cette trans-
formation puisqu'il est hors de doute que la plus grande partie de cette
œuvre ne fut pas récitée mais chantée '^. » En efiiet, Salomon de Rossi,
Claudio Monteverde, Muzio Efrem et Alessandro Giunizzoni da Lucca
mirent en musique maints passages de la Maddaleiia >. Andreini eut
encore à collaborer avec un compositeur pour un interiiwdio à grand
spectacle qu'il écrivit pour la cour de Mantoue, en 1619''.
En 1622, à la veille de quitter Paris, Andreini publia et dédia à
d'illustres personnages plusieurs œuvres théâtrales dont deux, la Cen-
îaura et la Ferinda, offrent un très grand intérêt pour l'histoire des
formes mélodramatiques". Les autres : Aiiior iiello spccchio, la Siiltana,

Li duo Lcli simili, sont de simple commcdie, où l'on ne rencontre


qu'incidemment la musique et la danse associées à l'action '~^

: Séré-
nades la nuit, airs à boire durant un souper, ballet ordonné par
le maître du lieu, etc.. La Ferinda et la Cciitaura témoignent au
contraire d'un eflbrt très original pour associer la musique récitative
à la comédie, ce sont des manières d'opéras-comiques et il est possible

que ces pièces, ou d'autres semblables, aient donné à Molière la pre-


mière idée de ses comédies ballets.

1. Acte V, se. I.

2. Acte V, se. VI : k choro di donzelle alla Ninfale canta danzando. »


3. Acte III, se. v : « Cantano e ballano e si sentono suoni rauehi. »
4. Bevilacqua, op. cit.
5. « Musicbe di alcuiii excellent issiiiii inusici, composte per la Maddalena di G. B. A>i-
dreini. Venezia, Gardano, 1617 ».
6.Bevilacqua, ihid.
7. M.
Pirro a le premier attiré l'attention des musicographes sur ces deux pièces
dans son livre sur Descartes et la musique, p. io6.
8. Dans la Sultaiia, la musique sert à donner une couleur plus ou moins orientale
à l'œuvre par ses trompettes, ses clochettes et ses cvmbales. On \- voit mentionnés
des <( récits turquesques ». La comédie Li duo Leli simili finit par une moresque.
Enfin l'on trouve plusieurs chansons dansées dans VAmor iiello specchio. Toutes ces
comédies se trouvent à la Bibl. Nat. et à la Bibl. de l'Arsenal.
XI. L (M^ERA ITALIEN EN FRANCE

La Fer'nida est une sorte d'opéra bouffe. Dans sa préface, Andreini la


présente comme une tentative nouvelle'. Durant les années qu'il a
passées à Mantoue, il a eu l'occasion d'entendre de nombreux opéras - :

« l'Orfeo, l'Ariana, la Silla, la Dafne, la Cerere et la Psyché, pièces


vraiment admirables, tant pour l'excellence des cygnes fortunés qui y
chantèrent glorieusement, que pour le rare génie des suaves musiciens

qui harmonieusement et d'une manière angélique les composèrent ».

La vue de ces opéras lui a suggéré l'idée d'écrire une coiiuiiedictta

iiiiisicalc. Il a été arrêté quelque temps dans la réalisation de son dessein

par la crainte de devoir renoncer aux dieux, aux machines, aux cos-
tumes somptueux qui contribuent pour une forte part au succès des
opéras et qui s'accordent assez mal avec les sujets, ordinaires de la
comédie. Pour sortir de cet embarras, il a eu l'idée de placer la scène
à Venise. De la sorte, perspectives maritimes, palais de marbre seront
là à leur place, les costumes pourront être magnifiques sans choquer la

vraisemblance, et, pour machines, il v aura les gondoles, circulant


sur la scène, chargées de personnages. La Mvthologie aura son lot.

Thalie, sortant de l'onde sur une conque, chantera le Prologue. Après


quoi la comédie commencera.il semble que dans l'intention d'Andreini,
la pièce dût être entièrement chantée
\ les airs et les ballets ne parais-
sant que pour rompre par leurs formes arrêtées la monotonie du réci-
tatif. La bcriuda est d'ailleurs écrite avec habileté et les vers spirituels

et alertes se prêtent tout naturellement à la musique.


La Ceniaiira est une œuvre étrange ^. L'invention en est extrava-
gante '. Le premier acte, en prose, est une comédie, on y apprend que la

1. La dédicace au duc d'Alvi est datée du 7 mars 1622. V. La Fcniidd... Parigi,


1622. Bibl. Xat., Yd, ^082.
2. « Allior che per mia telicc iortuna in I-irenza e in Mantova fui spectator d'opere
rccitative e musicali, vidi l'Orfeo, l'Arianna, la Silla, la Dafne. la Cerere e la Psyché,
cose in vero maravigliosissime, non solo per l'excellenza de fortunati cigni che le
cantarono gloriose, corne per la rarità de Musici canori che armoniose et angelichc le
refero. »
^. Il a multiplié, dit-il, les « voci tronche, esclaniazioni tanto ne' ridicoii come
ne' gravi, accio che l'eccellente Musico havesse occasion di monstrar il suo valore in
questi differenti modi scherzando... » « Parimente, si come l'opère già dette sono
quasi ripiene e vaghe, oltre la testura di versi ordinari di canzonette alla pindarica,
cos'i di questa anch'io ne resi adorna la mia, et in particolar in bocca de' ridicoii,

come in occasion di fare serenate, e perché ad ogni lior di cosi fatte cose è quasi
ottimo condimento il Balletto, e pur qui dentro il Balletto ci posi. » Il y a en —
effet dés le début (Act. I, se. i) un « i^alletto di gentilhuomini a calze intere, e di gen-
tildonne alla foresticra vestite. »
.]. Lit Ctmiaura. So^i'^ello divisa in Conniu'dia, Piisloralc, c Inii^edia. Parigi, 1622,
Hibl. Xat., Yd, 4078. '

). .Kndreini convient dans la préface que de toutes ses couvres, c'est sans contredit
la plus extravagante « Quest'é un invenzione contrarissima in se .stessa
: nel primo ;

atto essendo comedia, nel secondo pastorale, nel terzo tragedia. »


INTRODUCTION' XLl

femme du Centaure est fille du roi de Rhodes; le deuxième acte, en


prose, contient une scène de sacrifice et de chœurs ; il du genre
relève
pastoral et nous fait pénétrer dans l'intimité de la famille du Cen-
taure ; le troisième acte, en vers, avec quelques passages en prose,
appartient au genre tragique, il montre la Centauresse, débarquée à
Rhodes, fusant valoir ses droits au trône de son père.
La pièce commence par un prologue entièrement chanté. Des per-
sonnages allégoriques et des divinités, annoncés par des svmphonies

appropriées à leurs caractères et à leurs attributs, se succèdent sur le

théâtre '. Des flûtes et des piffari saluent l'entrée de Pan, dieu des
forêts ; des trombe sortie et des iainhiiri discordi, celle de la Tragédie ; des
stridenii regali, celle du Sagittaire ; un or<^aiio di legiio in suon iiiesto

prélude au chant de la Muse Thalie et des fanfares de trompettes com-


mencent et finissent le prologue. Le rideau en se levant découvre
une vue en perspective d'une belle ville, ornée de colonnades et de
pvramides. Au milieu de la scène se tient Thalie, une couronne à la
main, qui chante un air coupé par une ritournelle. C'est Là un véri-
table prologue d'opéra nécessitant l'emploi d'un orchestre important et

varié.

La musique n'intervient pas dans le premier acte qui est une comédie
banale. La pastorale renferme une scène de sacrifice construite selon les

formules alors en usage et comportant des chœurs assez développés.


L'acte III est partiellement traité en stvle récitatif-. Certaines scènes
semblent arbitrairement détachées d'un opéra. Un formidable ensemble
où s'unissent tous les cha-urs termine la pièce en acclamant iû Centaura
banibiiiûK
On voit quelle place tient la musique dramatique en
cette œuvre qui annonce déjà les étranges Feste Walrali de Giulio

1. « S'udrà un rimbombo d'una sinfonia di flauti, storte,''0 verdi suonar un


pitari
altra sint'onia et a questo suono uscirà a fuori il Dio Pane... Al suon di trombe sorde
e di tamburi discordi uscirà la Tragedia e qui, subbito che sarà nel mezzo al teatro,
s'udirà un organo di legno in suon mesto e essa, cantata la sua ottava, e passeggiato
nel mezzo in quello... Al suon d'una sinfonia di stridenti regali, nell' alto comparirà
il Sagittario in cima della fascia del Zodiaco, la quai si vedrà solo mezza in pros-
pettiva, e li corne s'è detto in cima, al suon di quella sinfonia farà a moto di
ballo.... —
Finito il Prologo al suon d'infinité trombe » (Online per recitar qiiest'
opéra).
2. La scène v où figurent Dolore, Pcniita et Giiistiiia, porte cette indication :

« Ad uno ad uno usciranno, e tutte queste parti si potrebbono cantare nello stil réci-
tât! vo ».

5. « Choro di pastori cantando, e qui si potrà fare che'l choro de' musici del Re di
Rhodi cantando con quelli de' pastori, faccia la melodia maggiore, perô lascieranno
cantar prima gli stessi soli pastori; poi..., potranno alhor con doppio choro terminar
l'opéra couducendo in bell' ordine fuor di iheatro la Centaurina « (scène xii).
XLII L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Strozzi^ représentées vingt ans plus tard à Venise. Il est évident que si

les pièces à grand spectacle d'Andreini furent montées à Paris, vers 1620,
elles purent donner une idée approximative au public français des
opéras d'Italie. Malheureusement le fait est douteux'. On ne trouve
mémoires ou les gazettes du temps de représen-
nulle traces dans les
tations qui auraient dû provoquer la curiosité générale. Les pièces
avec musique formaient pourtant en quelque sorte la spécialité des
Fedeli et il est bien invraisemblable qu'ils se soient abstenus d'en
donner aucune durant leurs séjours en France.
D autre part, si Andreini choisit la Cenlaitra de préférence à toute
autre comédie pour la dédier à Marie de Médicis, n'est-ce pas parce que
la Reine l'avait entendue et lui en avait exprimé sa satisfaction ? En
tout cas, la publication à Paris de la Ceiitaiim et de la Ferinda ne dut
point passer inaperçue en un temps où les beaux esprits se passionnaient
pour le Pastor Fido et TAminta, où la foule courait entendre les lazzi
des bouffons ultramontains. Assurément nombreux furent les poètes
qui lurent ces livrets. C'est en les feuilletant peut-être que certains
d'entre eux prirent la première idée de ces tragédies de machines qui
allaient triompher sur le théâtre du Marais.
Les pièces d'Andreini préparèrent progressivement le public parisien
aux intrigues extravagantes qu'il allait retrouver quelques années plus
tard dans l'opéra; elles lui donnèrent une idée des grandes fêtes sen-
suelles qu'étaient les spectacles musicaux en Italie. C'est un art décadent
que La chorégraphie, la musique, la mise en scène
celui d'Andreini".
empiètent sur domaine de la Comédie, de la Pastorale et de la Tra-
le

gédie. De ce mélange va sortir peu à peu l'opéra à machines, plus


voisin certes, par l'inspiration, des pièces d'Andreini et de Strozzi où
la musique ne joue pourtant qu'un rôle épisodique, que des tragédies

lyriques de Caccini et de Monteverde. C'est cet opéra qui sera intro-

duit en France sous la régence d'Anne d'Autriche et nous verrons qu'il

sera fort bien accueilli d'abord. La génération qui aura assisté aux
représentations des comédiens italiens acceptera sans opposition

1. La Ferinda publiée avant d'avoir été mise en musique. V. la note qui ter-
tut
mine la pièce Se giamai quest'operetta lîieritasse d'esser posta in musica m'é
: «
paruto di compor eziandio la parte di Guerindo capitano in Spagnolo, perché, posta
nello stilc recitativo musicale, farà buonissimo sentira. » En 1647, comme nous le
verrons, Andreini cherchera à faire représenter la Ferinda après VOrfeo de Luigi
Rossi.
2. « Certamente, écrit M. Bevilacqua, l'arte drammatica fu in decadanza presso i
Fedeli quella miscela farraginosa in cui si confondono la choreografia e la musica
;

colle più strane invenzioni drammatiche nella magnificenza » (pp. cil- Giorn. Sior. —
delta lelter. ital., Xll, p. 77, sqq.)
INTRODUCTION XLIll

VOrfco et les Noi^e di Pelco e ai Tcfi ; ce sera la génération suivante


classique et anti-italianisante qui réagira. Les contemporains de Boileau
brûleront ce que ceux de Voiture auront adoré.

IV

Bien avant que les opéras eussent révélé à la foule les beautés de
l'art mélodramatique, les dilettantes et les curieux pouvaient se rendre
compte de la luxuriante floraison de la musique italienne. Les rapports
entre la France et l'Italie étaient continuels. Non seulement des
savants comme Doni et Mersenne correspondaient entre eux et s'entre-

tenaient de graves problèmes techniques ', mais des échanges incessants


d'imprimés et de manuscrits musicaux s'opéraient par-dessus les

Alpes.
Les grands seigneurs qui visitaient la péninsule recueillaient dans
les villes où ils passaient des objets d'art, des tableaux, des livres et

aussi des partitions-. Nombre d'entre eux se piquaient de savoir chan-


ter, jouer du luth ou de la guitare et avaient, parmi leurs valets de
chambre, des musiciens qu'ils emmenaient avec eux. D'illustres seigneurs
italiens venaient aussi de temps à autre séjourner à Paris. Nous y
trouvons ainsi, à 1624, le fameux Ottavio Corsini ', grand
de 1622
amateur d'opéra mécène renommé, qui, peu auparavant, avait donné
et

un éclatant témoignage de son goût pour la musique dramatique en


taisant représenter, dans son palais de Rome, YArctiisa de Filippo V'tali.

Il est fort possible qu'il ait amené avec lui quelques-uns de ses chan-
teurs préférés. En tout cas, dès le temps du ministère de Richelieu,
un castrat ultramontain fit sensation dans les salons et les ruelles.
« Mon Dieu, s'écriait en l'entendant. Madame de Longueville, que cet
incoiiimodé chante bien * » ! Mademoiselle Sandrier, qui avait séjourné

1. M. Pirro prépare une


édition de cette correspondance, d'après le manuscrit de la
Bibl. Nat., ms.
nouv. acq., 6204, 6205.
fr.,
2. Mersenne dans son Harmonie Universelle publiée en 1636, parle de la partition
du San Alessio parue en 1634 (des chants, p. 337). Brossard, copia de sa main de
longs fragments de cette partition que lui avait prêtée « Madame de Barradas très digne
religieuse et organiste de Tabbave de Jouarre. Catalogne manuscrit. Réserve Vm^®,
p. 344. La partition du San Alessio se rencontre d'ailleurs dans plusieurs bibliothèques
publiques de France.
3. Corsini vint en France en qualité de nonce du pape, il était alors archevêque de
Tarse. V. Ademollo, Teairi di Roma, p. 4 et Passerini, Famiglia Corsini, p. 142.
4. Tallemant des Réaux. Historiettes, 3e édit., tome V, p. 140.
XLIV L OPERA ITALIEN EN FRANCE

plusieurs années à Turin, remporta aussi un vif succès de curiosité en


interprétant, à son retour à Paris, des airs et des récits italiens '. Sa
vogue fut d'ailleurs de courte durée : on se moqua de ses grimaces et

de ses accents passionnés; « on diroit qu'elle a des convulsions », insi-


nuait Tallemant des Réaux.
Les Français ne comprirent pas d'abord la nouveauté et la puissance
de la musique dramatique d'Italie ; ils furent cependant sensibles à
certains détails méthode italienne exerça,
de technique vocale. La
vers 1640, une influence considérable sur notre musique et détermina
une véritable révolution dans l'art de chanter. Le principal artisan de
cette réforme fut un gentilhomme nommé Pierre de Nyert-. Musi-
cien doué d'une voix charmante, il accompagna à Rome
accompli et

en 1633, le maréchal de Créquy, désigné


pour représenter la France
auprès du Saint-Siège >. A Rome, de Nyert lia connaissance avec de
nombreux virtuoses et assista aux fastueuses représentations d'opéra
que donnaient les Barberini sur leur nouveau théâtre des Oiialiro Foutanc.
Le chant italien lui parut plus expressif, plus souple, plus nuancé que
le nôtre ; il résolut de tirer parti de son expérience pour ajusler la

méthode i tu lii'fi ne avec la française^. Dès 1640, de Nyert jouissait d'une


grande autorité dans les milieux artistiques. Louis XIII l'aimait et se
plaisait à l'entendre chanter K Ses avis furent bien accueillis ; de Nyert
forma par ses conseils deux musiciens qui eurent une grosse influence
au xvir' siècle : Bénigne de Bacilly qui fut le théoricien de la réforme et

dontles Remarques sur Fart de bien chanter'' furent durant un siècle le

bréviaire des chanteurs français, et Michel Lambert dont les airs d'une
préciosité italianisante firent longtemps les délices des académies et

des ruelles. De très nombreux chanteurs s'instruisirent à cette école.

1. « Elle revint bien dix-sept ans, où elle se mit à chanter des airs
à Paris, il \' a
italiens; elle avait fît bien du bruit, mais cela ne dura guère;
appris à Turin. Elle
plusieurs trouvent même qu'elle chante mal, car c'est tout à fait à la manière d'Italie,
et elle grimace horriblement ». Historieltes, VI, 204.
2. Né à Bayonne vers 1597. ^ ^o" rt-'tour de Rome, il devint premier valet de
garde-robe du roi en 1638. Louis XIV en fit un de ses premiers valets de chambre.
Il mom-ut le 12 février 1682, âgé de 86 ans. V. Tallemant, VIII, 99 et suiv. —
Madame de Sévigné, Lettres (passiiii.); La Fontaine (Epitres)\ Saint-Simon (Mé-
moires, I, 58, 60) Dangeau, Joiirnat, II, 217, VIII, 249; Jal, Dicl. cril. Cimber et
; ;

Danjou, Arch. cur., XX, 431, etc.


Nicolas Chorier, Hist. de la vie de CImrles de Crècjuy, Grenoble, 1685.
3.
Maugars, Kespoiwe faite à un curieux..., édit. Thoinan, p. 40.
4.
5. De Nvert fut un des trois ou quatre musiciens auxquels Louis XIII faisait
chanter des airs spirituels près de son lit, durant son agonie. Il lui légua une somme
de 600 livres (Testament de Louis XIII, Arch. des Aff. Etr. France, 846, f» 166 v°).
6. Remarques curieuses sur l'art de bien cijanter... A Paris, chez Charles de Sercv,
1661, in-8". Il en fut tiré plusieurs éditions.
INTRODLXTION XLV

Ils n'y apprirent pas seulement, comme on l'a dit, à orner leurs airs de
couplets en diminution \ mais à prononcer distinctement les paroles, à
respirer à propos sans couper le sens d'une phrase, à tenir compte de
la prosodie, à déclamer en s'inspirant du rythme des vers. Cette réforme
joua un grand rôle dans la formation d'un style récitatif français. Bien
que lesCambert et les Lambert se soient gardés d'attaquer de front le
problème de l'expression dramatique, ils composèrent des dialogues et

des pastorales qui assouplirent la déclamation musicale et frayèrent la

yoie au récitatif luUiste -.

Intéressés par les hardiessesharmoniques d'un Gesualdo ou d'un


Monteyerde, par la méthode vocale d'un Giulio Caccini, par la
technique d'un Frescobaldi, nos compositeurs semblaient fort peu se
préoccuper de l'opéra et des problèmes qu'il suscitait. Guédron, sous
l'influence de la réforme florentine, avait tenté d'orienter la musique
française vers un idéal dramatique, mais sa tentative n'avait pas eu de
lendemain ^ Vers 1640, nous n'avions plus que le vieux Boesset qui
pût encore fliire quelque flgure auprès des Italiens. Le froid Henry Du
Mont^ l'ennuyeux Gobert, le brillant, mais superficiel Lambert étaient
les meilleurs artistes que nous eussions pour lors. Comment prétendre
opposer ces médiocrités distinguées aux génies d'Italie : aux Luigi
Rossi, aux Carissimi, aux Cavalli ? La musique française traversait une
période de stérilité. Le pis, c'est que nos compositeurs n'en avaient
pas conscience. Ils admiraient leur art étriqué et souffreteux, sans dai-
gner jeter les veux sur les œuvres vivantes, inspirées, expressives des
maîtres de l'opéra italien.
Dès 1636, le Père Mersenne s'irritait dans son Harmonie Universelle
de cette indifférence stérile^. Il notait tort bien la diff'érence qu'il y
avait entre la musique voluptueuse, tranquille et un peu languissante
des Français, et les accents passionnés des compositeurs italiens. Ceux-
ci, disait-il, « représentent tant qu'ils peuvent les passions et les

art'ections de l'àme et de l'esprit, par exemple la cholère, la fureur, le

dépit, la rage, les défaillances du cœur et plusieurs autres passions,

1. \'. notaninicnt les nombreux exemples d'embellissement du chant cités par


Mersenne dans chapitre Des chants (Haniioiiie Uiiiverselh', 1636).
le
2. C'est ce que le P. jMenestrier a fort bien expliqué dans un passage souvent
cité « C'est par les petites chansons qu'on a trouvé le fin de cette musique d'action
:

et de théâtre... Il v a plusieurs dialogues de Lambert, de Martin, de Perdigal, de


Boisset et de Cambert, qui ont servi pour ainsi dire d'ébauche et de prélude à cette
musique que l'on cherchoit, et qu'on n'a pas d'abord trouvée ». Rcpri'sciitiitioiis en
musique, 1681, p. 178.
3. Henrv Prunières, Le Ballet de Cour, chapitres et v. m
4. Des chants, p. 357.
XLVI L OPERA ITALIEN EN FRANCE

avec une violence si extraordinaire que l'on jugeroit quasi qu'ils sont
touchez des mêmes affections qu'ils représentent en chantant, au lieu

que nos Français se contentent de flatter l'oreille et qu'ils usent d'une


douceur perpétuelle dans leurs chants, ce qui en empesche l'énergie ». Il

reprochait aux Français d'éviter « les exclamations et les accents »

comme tenant trop de la Comédie ou de la Tragédie, il leur prônait


les belles comédies en musique qu'on vovait à Florence et à Rome,
mais, ajoutait-il, « nos musiciens sont, ce semble, trop timides pour
introduire cette manière de récyt en France, quoyqu'ils en soyent
aussi capables que les Italiens, si quelques-uns les y poussent, qui
veuillent faire la dépence requise en un tel sujet ».
Mersenne en cela se trompait, il fallait autre chose qu'un Mécène
pour déterminer les Français à tenter la voie nouvelle ; il fallait non
seulement bouleverser leurs préjugés puissants, luais changer de fond en
comble leur nature musicale. Le goût de la musique dramatique n'est

pas naturel aux Français et la meilleure preuve qu'on en puisse donner


est que, durant deux siècles, les seuls grands dramaturges qui se soient
manifestés en France, Lulli et Gluck, ne sont pas originaires de notre
pays .
Une autre voix s'éleva peu après celle de Mersenne pour attirer

l'attention des Français sur la musique italienne. Un illustre joueur de


viole,André Maugars, au service du cardinal de Richelieu, ayant
encouru sa disgrâce par une riposte un peu forte qu'il avait faite au
roi, partit pour Rome et de là écrivit une longue épître qui fut publiée,
en 1639, sous le titre de Rcspoiise faite îi 11 11 niricii.x sur le senti uient de la

Musique d'Italie ~.
Maugars note avec une remarquable impartialité les qualités respec-
tives de la musique française et de la musique italienne. Il observe
« que nous péchons dans le détaut et les Italiens dans l'excez » mais
il ne dissimule pas ses préférences pour l'art ultramontain '. Il n'a rien

1. Je dis dramaturges et non compositeurs. Rameau, Campra, Destouches sont de

merveilleux musiciens, mais ils n'ont apporté aucun changement appréciable à l'es-
thétique dramatique de leur temps.
2. On ne connaît qu'un seul exemplaire de l'édition originale devenue rarissime. Il
se trouve à la Bibl. Mazarine (29, 988). C'est déjà, d'après cet exemplaire, qu'en
1703 l'abbé Raguenet cite quelques passages de l'ouvrage de Maugars, à l'appui de sa
thèse italianisante (Paratlèle des Italiens et des Fitinçois). M. Thoinan a réimprimé
cette plaquette en la faisant précéder d'une biographie de Maugars. Thoinan, Maiii^ars
cèlîhie joueur de viole... Paris, Claudin, 1865, in-8°.
3. André Maugars connaissait bien la musique des différents pa)s d'Europe. 11
avait fait partie en 1620 de la musique du roi d'Angleterre, Jacques !«', et avait
voyagé en Espagne. C'était un homme instruit, il publia deux traductions d'ouvages
de Bacon qui lurent très estimées. La Lettre de Maugars révèle un artiste impartial et
INTRODUCTION XLVII

entendu en France de comparable à ces grands motets où les récits à


voix seule alternent avec les symphonies et les chœurs ; à ces histoires

sacrées et ces comédies en style récitatif. Selon Maugars, nos compo-


siteurs, nos chanteurs et nos instrumentistes ont tout à gagner à
connaître mieux Fart de la péninsule. Il ne doute pas qu'à ce contact,
ils ne cessent de s'absorber dans la contemplation de « leurs musiques
par trop régulières » pour s'éprendre d'œuvresplus libres, plus hardies,

plus vivantes '.

Maugars voyait juste, et ses prédictions devaient peu après se réa-


liser. Les représentations d'opéras organisées par Mazarin allaient avoir
une heureuse action sur nos musiciens. Elles allaient leur donner
confiance dans le pouvoir expressif de la musique, stimuler leur acti-

vité et leur imagination créatrice, les faire sortir enfin des bornes
étroites où les renfermait, non moins qu'un pédantisme scholastique,
leur timidité naturelle.

d'un goût très sûr. distingue tout de suite dans la foule des compositeurs italiens
Il :

Monteverde et Frescobaldi. Il est curieux de noter qu'il fait un grand éloge de la


cantatrice Leonora Baroni et du castrat Marc' Antonio Pasqualini, qui, tous deux,
devaient venir à la cour de France quelques années plus tard.
I. <( Pour nos compositeurs, s'ils vouloient un peu plus s'émanciper de leurs règles
pédantesques, et faire quelques vovages pour observer les musiques estrangères, mon
sentiment est qu'ils réussiroient mieux qu'ils ne font pas ».
CHAPITRE PREMIER

l'opéra ex ITALIE SOUS LE PONTIFICAT d'uRBAIX Vlll

(162S-1644)

I. L'opéra et la société romaine au xviie siècle. — Evolution de l'opéra à Rome de


1620 — Les Barberini. — L'opéra à machines.
à 1640.

IL La vie musicale à Rome. — Ecole de cantate. — Luigi


la Rossi. — Les repré-
sentations du P«/iî:^^o cPAthuite.
III. L'opéra à Venise. — Influence du milieu. — Francesco Cavalli.

Tandis que triomphaient à Paris IcCid ciCiiuia, que les hon-


nêtes gens disputaient des mérites de M. Descartes et qu'en la

Chambre bleue d'Arthénice, \'oiture et Chapelain faisaient


assaut de bel esprit, la société italienne se livrait à une orgie
de musique. A Rome, à Florence, à \^enise, à Xaples, on était
en proie à une passion quasi maladive pour les opéras. Les
nombreux théâtres de \^enise étaient combles chaque soir vers
letemps du Carnaval et, à Rome, l'opéra, patronné par le Pape
'

Urbain VIII, excitait un enthousiasme qui touchait à la folie.


Des princes de l'Eglise mettaient leur gloire à monter des mélo-
drames % à en écrire eux-mêmes les livrets des moines parais- ;

saient sur le théâtre sans exciter ni surprise, ni indignation.

1. Le théâtre San Cassiano avait été inauguré, en 1657, avec VAiidroiiicda de Ferraii,

musique du romain Mannelli. En 1639, le S. S. Giovanni e Paolo ouvre ses portes; la


même année, le Teatro San Moïse fait un éclatant début avec VAriaiia de Monte-
verde. En 1 641, est fondé le Teatro novissimo en 1649, celui des S^' Apostoli en 165:,
; ;

le S. Apollinare en 1661, le San Salvatore en 1670, le teatro di Saloni en 1677, le


; ; ;

Sant'Angelo; en 1678, le San Giovanni Crisostomo en 1679, le teatro di Canal Regio;


;

les années suivantes paraissent les théâtres Altieri, aile Zattere, S. Marina, S. Fantino,
etc. V. Galvani, I tcatri iiiitsicali di Vene:;^ia nel secolo XV Ricordi edit. H .

2. Nous rappelons que nous désignons sous ce nom générique toutes les formes
d'opéras, de drames ou de comédies en musique récitative.
L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Le « Style représentatif » avait été révélé, dés 1600, aux habi-


tants de Rome, par le réformateur florentin Emilio del Cava-
lière. La Rdppri'sc'iiUirJoiw ill iiniiini c di corpo n'avait d'ailleurs pas
été accueillie avec grand enthousiasme. Comme VEiiiiicIlo'

chanté quelques années plus tard, cette œuvre avait déplu par
son austérité, par sa gravité religieuse ^ à un public plus sensible
à la beauté de la forme qu'à la justesse de l'expression drama-
tique. Les compositeurs romains se montraient très hostiles
aux théories de la Camerata Bardi, ils reprochaient à celles-ci

de sacrifier la musique à la poésie et semblaient peu disposés


à renoncer à la pratique de l'art madrigalesque \ Bientôt pour-
tant, magnihcences théâtrales de l'iorence et de
l'écho des
Mantoue leur curiosité. Plus d'un parmi eux
vint éveiller
s'essaya à pratiquer le style récitatif et, en 1619, le romain
Stefano Landi lit représenter devant la cour pontificale La Morte
irOrjco '.

La musique de cet opéra est peu originale, elle n'est qu'une

1. Dans Vlùiiiiciio Tallcgoric chrétienne se déguise en fable nntliologique. Le pas-


leur Eunielio s\mbolise l'âme humaine ; Apollon, le Clirist, etc. La partition assez
terne de cette représentation spirituelle se trouve à la Santa Cecilia. (C. S. 02.,
F 25, V)-
2. ((Il \- peu de concessions au goût profane, remarque M. Romain Rolland;
a là
nulle part a place pour le rire et la grâce n'est pas familière à Cavalliere »
il n"\-

(L'opi'iii Cl! liiiiopc, p. 133). Il faut avouer qu'à C(Jté de pages d'une noble et haute

inspiration, il y a aussi d'interminables récitatifs qui sont la chose la plus morne du


monde. M. Francesco Mantica vient de publier le fac-similé de l'édition originale
d'après l'exemplaire unique de la Santa Cecilia. {La rapp. ili Anima c di Corpo, Casa
Editrice Monteverde. Roma, in-f".
V. Goldschmidt. Stuâien
3. Gcschichlc dcr ilaliciiisilieii (^pcr... Leipzig, 1901.
::;^iir

Landi, dont nous parlerons plus loin à propos du San Alcssio, était en
4. Stefitno
1619 au service du cardinal Borghese, comme en témoigne une lettre autographe qu'il
lui adresse d'Ancône le 19 décembre 16 19 « 111""' et Rev"io Sig' et Prôn Col"'"
: Fer —
ricordarmi a V. S. 111"'" et Rivm" quel devoto et humil servitore che sempre li son'
stato, doppo ha\erle annuntiato le bone leste de S"'" Natale, quali gli le auguro feli-
cissime, li niando questa compositione allegra da cantar a 3 voci, délia quale mi
son'compiaciuto particolarniente per la vaghezza délie parole e del soggetto e se
\'. S. Ill"i-< non isdegnerà cosi basso dono, pigliero a cuore per a\'cnire di far cose 1

di piu momento, con che l'acendo a V. S. 111'"'» profondissima liverenza lipregodal ciel

ogni componimento di félicita... » (Boy^Jiese IV, Mise. 2 3<-), aux .\rch. du \'.uican).
Il est à noter que leconnu de la Morlc d'Oifco, aujourd'hui au British
seul exemplaire
Muséum, provient de la Bibl. Borghese. M. W'otquenne en a fait exécuter une copie
pour le Conservatoire de Bruxelles (K. 13461). \'()ici le titre exact de cette œuvre :

La Morle d'Orfco, lia^i-coiiicdia paitoialc, cou le iiiusichc di Slcjano Laadi. Slainpa in


VcneLia, MDXLX.
L OPERA SOUS URBAIN VIII

réplique affaiblie des œuvres que composaient à Florence, vers


le même temps, les Caccini, les Gagliano, les Monteveide. On
y peut observer pourtant une tendance à mettre les ressources
du passé au service du style nouveau. Stefano Landi n'abdique
pas ses qualités de polyphoniste en écrivant son opéra. Les
chœurs et les ensembles sont très développés et ont une inten- '

sité et une variété d'expression dramatique, qui sojit choses


neuves dans l'histoire du théâtre lyrique. En revanche, le livret

contraste par son insignifiance" avec les belles tragédies à l'an-


tique de Rinuccini et de Chiabrera. On trouve ainsi en germe
dans la Morte cF Or feo tout ce qui fera la grandeur et aussi tout
ce qui fera la faiblesse de l'opéra Barberini.
romaine ne tarda pas à adopter le nouveau
L'aristocratie
plaisir qui lui venait de Florence. Ce « spectacle de princes », '

avec ses airs voluptueux, ses intrigues amoureuses, ses décors


et ses ballets, ne pouvait manquer de séduire une élite dont la

sensualité artistique, non moins que raffinement intellec-


tuel, était parvenue au plus haut point de développement.
Brusquement, grands seigneurs et princes de l'Eglise se
prennent d'une véritable passion pour le genre nouveau. Ce
n'est pas assez qu'ils organisent des représentations dans leurs
palais ou dans leurs vignes Il faut qu'ils se mêlent du livret,
'.

de la musique, de la mise en scène, des costumes. Le cardinal


Orazio Lancellotti s'attire maintes railleries pour la dextérité
avec laquelle il habille et déshabille les actrices '. De bonne

1. Ainï.i le chœur à huit des Pasteurs qui termine l'acte Ie>- : lù-co dall' ori;;oiile. A
noter aussi le gracieux trio des zéphirs : Mciilrc caiiliaiiio (I, se. 5).
2. Voici l'argumeut : « Celebrando Orfeo con un convito didei il suo giorno natale,
è ucciso dalle Menade per ordine di Bacco, per non haverlo voluto in dette cor vivo,
è poi da Giove trasferito in cielo. » Une dont le musicien eût pu
scène originale et
tirer meilleur parti s'y rencontre pourtant. Orphée retrouve aux enfers l'ombre d'Eu-

rydice qui, grLice à l'eau du Lethé, ne se souvient plus de sa vie terrestre et il s'ef-
force en vain de lui remémorer leurs amours. Caron, pour le consoler, l'engage à
boire l'eau merveilleuse, Orphée obéit et le calme renaît dans son àme.
3. « Spettacolo veramente da Principi ». Prétace de la Dofitc de Gagliano. Cette
préface a été publiée dans les Atti dcIF Academia del K. Lut. Miisiciile di Firciiye.
Anno XXXIII Coniiiu'Dioia^ioiic dclhi Rifonna Mdodnujtniatiùi, 1895, p. 81.
:

4. Le cardinal Aldobrandino en particulier fait chanter des opéras dans sa vigne de


de Frascati. V. Ademollo, Teatii di Roi/ni, p. 20.
5. Un jour qu'il déguisait de ses propres mains une jeune actrice en berger, il s'at-

tira cette pointe « Vostra Eminenza dimostra una gran pratica invero nel mcttere e
:
LOI'ERA ITALIEN EX FRANCE

heure on chercha à éviter le scandale en remplaçant sur la

scène les femmes par des castrats déguisés en nymphes et en


déesses. On s'aperçut par la suite que l'usage des travestis ne
faisait que favoriser de singuliers errements, mais il était
trop tard pour y remédier, et nous verrons cette habitude mons-
trueuse subsister en Italie jusqu'à la fin du xviii'' siècle '.

Le cardinal Borghese fut un des premiers à servir de Mécène


à l'art mélodramatique. C'est en sa présence que fut chantée
dans le palais de Monseigneur Corsini, le 8 février 1620, la

charmante .^n'Iiisii de l^lippo Vitali -. Neuf cardinaux et de


nombreuses dames de l'aristocratie romaine accueillirent
l'œuvre avec une grande faveur. La beauté des décors peints
par Pompeo Caccini fut pour beaucoup dans ce succès.
'^

VJirliiiui est un drame musical de technique et d'inspiration


florentines elle plut malgré sa sobriété, mais ne fit pas école.
;

Nous ne verrons plus éclore à Rome qu'une seule œuvre se


réclamant de l'esthétique des Caccini et des Monteverde : la

(hihileu de Loreto \'ittori, où vient expirer l'art florentin ^ dans


un suprême efi'ort vers la beauté simple et vraie, vers la

noblesse de l'expression dramatique et la grâce souriante. Seul


un autre musicien trouvera, quelques années plus tard, des
accents d'une inspiration semblable Lulli se dégagera de :

l'influence des opéras romains et vénitiens pour revenir d'ins-

Icvaic i calzoni a giovanotti ». Diario Je 'l'coiloixi AiiieviU'ii cité par Adcniollo


p. 5 et 6.

1. V. les piquantes railleries du Président de Brosses sur les interprètes des opéras
italiens. Leltres JaiiiiliLics cciilcs d'il.ilic (édit. Ixibou, i8)8), tome II, p. 239
et suiv.
2. L'Arctiisa,jiivola in iiiiisica di Filippo Vilali, rapprcsciiUila in Roiiui in casa di Moii-
signor Corsini, dedicala i^"io slg. cardinal Bon^bese. Rome,
ail' III^'» et Ant. Soldi,
1620 (S'" Cecilia et Bibl. du Vatican). La partition se trouve également à la Bibl. du
Conservatoire de Paris (Rcsenr).
3. C'était le fils de Cjiulio Caccini qui, entant, avait accompagné sa tamille en
France, en i6o>:. Il était non seulement un décorateur habile, mais aussi un excellent
chanteur. Qans l'opéra, il tenait le rôle du fleuve Alphée. On trouvera dans la prélace
de VAretiisa d'intéressants détails sur la représentation, la mise en scène et l'interpré-
tation.
.j. J.-B. Doni cite X'it'.oii parmi ceux qui sont sortis de la bonne escole de l'io-
<>

rence » et nous apprend que le chanteur avait « esté en sa jeunesse nourri » chez, un sien
cousin à Florence. —
Deux l'i aidés de Musique du selg'' J. B. Doul. (Bibl. Xat.,ms. Ir.
1906), f" 183 v<-'.J
L OPERA SOUS URBAIN VIII 5

tinct à la tragédie musicale des Monteverde et des Mttori, plus


accessible au goût français, épris de naturel et de clarté, que
les inventions géniales et extravagantes des Luigi Rossi et des
Cavalli.
En 1626, la du compositeur Mazzocchi
Calcna d\-liIoiie
'

affirme la volonté des musiciens romains d'utiliser à leur pro-


fit la révolution dramatique de Florence. Le récitatif qui chez

Péri, Caccini ou Gagliano, était fessentiel. se trouve rejeté


au second plan. On sent que fauteur fécrit avec ennui -. Il
s'efforce de le réduire au strict minimum, de le faire accepter

au spectateur par petits fragments, de l'égayer, d'en rompre


l'uniformité en le coupant d'airs, de chansons, de ritournelles,
de danses et surtout de chœurs très fouillés et très intrigués
qu'il emploie avec un rare bonheur \ C'est la revanche de la
musique sur la poésie à laquelle les Florentins l'avaient
asservie. Par réaction contre les doctrines trop littéraires de la

Caïucrata, les compositeurs romains ne verront bientôt plus


dans le livret qu'un prétexte à expressions musicales variées, un
thème à déclamation, un simple canevas sur lequel ils brode-
ront des fleurs magnifiques. Il va en résulter cette étonnante
confusion de récits pathétiques, de chansons bouffonnes, d'airs
grandiloquents, de duetti spirituels et de dialogues burlesques,
qui caractérisera l'opéra italien de la fin du xyii*^ siècle. Délais-
sant l'idéal florentin de noble beauté et de raison, les poètes et
les musiciens de Rome chercheront surtout à flatter les sens
d'un public avide de jouissances.

1. Domcnico Mazzocchi est un partisan décidé de


l'école polyphonique, il s'excuse
presque d'écrire des opéras madrigalesque « Il piu ingegnoso studio,
et célèbre le stvle :

che habbia la Musica, è quello de' Madrigali ma pochi hoggidi se ne compongono, e


;

meno se ne cantano, vedendosi per loro disavventura dall' Accademie poco nien che
banditi. » Dédicace des Madrigali a / voci, citée par R. Rolland, L'opéra en Europe,

P- 130-
2. Lui-même l'avoue dans la préface de la Cateua cVAdouc : « Vi sono molt' altre
mezz' Arie sparse per l'opéra, che rompono il tedio del recitativo. »

3. Les chœurs tiennent une place considérable dans On en trouvera


la partition.
des fragments dans l'ouvrage cité de M. Goldschmidt, Les danses sont
p. i)j-i73.
généralement chantées (Acte le"", se. 3 et Acte III, se. 4). Mazzocchi fait grand usage de
l'air strophique dont les divers couplets sont séparés par une brève ritournelle. La

musique instrumentale ne joue qu'un rôle tout à fait effacé dans l'opéra.
6 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

Le danger apparaît déjà dans Calcua d'Adoue'. La pièce,


la

dont le sujet est tiré de la fameuse Prigiouc d'Adoiic du Cava-


lier Marino", est fort éloignée par l'esprit, comme par la

forme, des tragédies florentines. Un sens symbolique s'attache


à l'action romanesque et lui prête tout au moins l'apparence de
la profondeur '. On voit défiler dans cette œuvre un grand
nombre de scènes déjà familières aux librettistes du temps et
qui seront répétées durant plus d'un siècle dans tous les
opéras représentés en Europe ': Jardins enchantés où des voix
invisibles charment le héros, Antre de \'ulcain où des Cyclopes
chantent en battant l'enclume, Forêt où l'écho
profonde
répond à l'amant qui se désespère. Les décors prennent une
importance qu'ils n'avaient pas à Florence >; ils vont bientôt
accaparer l'attention au détriment de musique. Enfin, su- la

bissant l'influence du marinisme ambiant, le poète use volon-


tiers de certains procédés que les substitutions de person-
tels

nages, qui seront la ressource suprême de tous les librettistes


à court d'expédients.
La CalciuuTAdo)ic est le premier opéra qui porte l'empreinte
du génie romain. Dans quelques années va surgir une autre

1. Ld (Aliéna irAdoiic poslii in iinisica dit Doiiioiicho Ma:^:^occhi cou priviîe^io. lu Venc-
lia uppirsso Alcssainlro Viuû'uli, MDCXXVI.
(B. S'-' Cccilia, C. S. 02., F.' 16.)
2. Le l'œuvre du poète Ottavio Tronsarelli. Le marinisme règne alors
livret était

sur la poésie de cour tn Italie comme la préciosité sur la poésie française du même
temps. Le goût dans les deux pa\s subit une crise analogue sans qu'il soit possible
d'en rendre responsable Tune ou l'autre nation. V. Hauvette, Littérature italieuue.
-Arm. Colin, in-S"^, p. ^01.
3. Alles^oriii délia jaivla « FaLirena da Arsete consigliata al bene, ma da Idonia
:

persuosa al maie, è l'anima consigliata dalla Ragione, ma persuasa dalla concupi-


scenza. L come Falsirena a Idonia faciimente cède, cosi mostra ch'ogni aftetlo è dal
senso agevolmente superato », etc., etc..
en particulier en F'rance. Dans l'ensemble, la (lateiia d'Adoue, avec ses .scènes
4. Et
infernales et pastorales, la galanterie du poème, les machines et les chœurs, se rap-
proche beaucoup par sa structure de l'opéra lulliste.
5. La mise en scènemachinerie étaient arrivées à cette époque à une grande
et la
perfection en Italie. \'. e Marhiue ue' teatri... In
.Sabattini, Pratica di fabricar sceue
Ravcnna, 1638 (in-4"). Pourtant les procédés employés restaient assez simples. Pour
changer la scène, on se contente en général d'ouvrir le fond du théâtre de manière à
découvrir en perspective un second décor qu'on a préparé à loisir et qui représente
la bocca dluferuo ou la caverne des vents. On lit dans la Cateiia d'Adone des
indications de ce genre : « S'apre la prospettiva, et si muta nella grotta di Vulcano
dove si scorgono i ciclopi... La grotta si chiude e ritorna la prospettiva con aspetto
boschereccio ».
L OPERA SOUS URBAIN VIH 7

œuvre où s'exprimera, d'une manière presque symbolique, la


lutte qui se livre dans la conscience de certains artistes entre
l'idéal de vertu religieuse qui les inspire et la nécessité de se
conformer aux goûts d'une aristocratie mondaine et libertine,

en quête de jouissances sensuelles. Cette œuvre, le San Akssio,


vase produire au monde sous le patronage des Barberini, c'est-
à-dire de ceux qui vont le plus contribuer à asservir le drame
musical à la loi du plaisir.

Bien qu'Urbain VIII occupât le trône pontifical depuis 1623,


et que ses neveux fussent pourvus de hautes situations poli-
tiques et diplomatiques ', les Barberini n'avaient pas encore
exercé d'influence personnelle sur l'opéra. Ils s'intéressaient
pourtant aux mélodrames qui se donnaient à Rome, chaque
année, à l'occasion de fêtes particulières ou vers le temps du
Carnaval. LaSircini du poète Tronsarelli avait été chantée, en
1629, au mariage de Don Taddeo Barberini, préfetdeRome,*avec
Donna Anna Colonna". et, la même année, la Diaiut schcruita
de Cornachioli avait été dédiée à ce prince \ Mais jusque-là les

Barberini ne faisaient que tenir leur rang dans la lutte magni-


fique que se livraient les grandes familles de Rome, car toutes
organisaient, avec plus ou moins d'éclat, des représentations
d'opéra "".

Au point de vue de l'histoire dramatique, mécénat des


le

Barberini ne commence vraiment qu'après l'achèvement du


fastueux théâtre qu'ils ont fait élever à grands frais et son
inauguration solennelle en 1632 \ A dater de ce jour, les

1. Don Taddeo était préfet de Rome. Le cardinal ,\ntonio avait été légat en France
en 1625 et le cardinal Francesco légat en Espagne. — Mafleo Barberini (Urbain VIII)
mourut au mois de juillet 1644.
2. M. Ademollo assure que ce fut seulement une sorte de cantate de circonstance.

(leatri di Ronia, p. 9 et 10). La Sirena figure pourtant dans les Draniiiii luusicuh
d'Ottavio Tronsarelli. Roma, Corbelletti, 1652.
3. La pièce finissait par une apothéose des Barberini. Diane pleure Endymion, Pan,
pour la consoler, métamorphose le corps de son amant en un lys jaune sur lequel
viennent se poser trois abeilles d'or. « Alludendo ail" Arma de' felicissimi Barberini ».
— La partition imprimée se trouve à la S^a Cecilia (C. S. 02. F. 22).
4. L'Arefiisa est dédiée au card. Borghèse et la Cateiia d'Adoiie au duc Odoardo
Farnese.
5. M. Romain Rolland a, le premier, grâce au Journal de J. J. Bouchard, déterminé
la date de la première représentation du San Alessio qu'on plaçait ordinairement entre
1633 et 1634. V. Revue d'histoire et de critique musicales, 1902, p. 29.
I, OPERA ITALIIX EX TRAXCE

Barberini vont, durant un quart de siècle, exercer sur l'opéra


une influence constante. Prenant à leurs gages compositeurs,
librettistes, machinistes et chanteurs, ils leur imposeront leurs
idées et leurs goûts personnels. Epris de somptuosité, ils crée-
ront à leur usage une forme dramatique nouvelle, seulement
ébauchée par les Florentins : l'opéra à machines'. C'est sous
leur mécénat que la tragédie lyrique en pleine décadence, et
cédant chaque jour davantage à l'envahissement de la musique
pure et de la mise en scène, devint Vopcrci, le plus sensuel
et le plus pompeux des spectacles.
Le théâtre des Barberini ouvrit ses portes, le 23 février 1632,
en plein Carnaval. Une foule immense l'assiégea. Plus de trois
mille personnes purent pénétrer dans la vaste salle « tendue
de satin rouge, bleuet jaune » et couverte d'un dais gigan-
tesque . Les Barberini faisaient honneurs de leur
les théâtre,
se tenant à l'entrée pour faire admettre leurs amis ou les per-
sonnages considérables qu'ils reconnaissaient ; ils les accom-
pagnaient eux-mêmes dans la salle et s'efforçaient de les placer

de leur mieux \ Le cardinal Francesco eno-açeait courtoise-


sèment les spectateurs à se serrer pour permettre aux nouveaux
arrivants de s'asseoir. Son frère, le cardinal Antonio, petit
bossu, tour à tour affable et violent ^ maintenait l'ordre dans
l'assistance et recourait volontiers aux movens extrêmes. Un

1. Les essais de comédie::s comme G. B. Andreini n'ont pas moins contribué à la

création de l'opéra à machines que les quelques pastorales avec mise en scène com-
pliquée chantés vers le même temps sur les théâtres de Mantoue et de Florence. La
Sant' Orsolt! et la Flora de Gagliano ne demandent pas de décorations plus difficiles
à réaliser que la Cenlaiira d'Andreini dont nous avons parlé au chapitre précédent.
2. V. le J. J. Bouchard (publié partiellement par R. Rolland dans la
Journal de
Revue iPhisLel de critique musicales, 1902, p. 29 et suiv. et par Lucien Marcheix, Un
Parisien à Rome et à Xaplcs en 16^2). Le manuscrit original est à la Bibl. des Beaux-
Arts (ms. 401).
3. Nous empruntons ces détails au Diario de Thoniaso Ame\-den dont s'est servi
Ademollo dans ses Teatri di Ronni (V. le chap. II).
4. L'ambassadeur vénitien Gio. Pesaro parle en termes très flatteurs du cardinal
Antonio en 1650 et l'oppose à son frère Il cardinal l'rancesco Barberini, écrit-il,
:

« è di natura cupo, melanconico, collerico, appassionato, facilmente si ofïcnde e


difficilmente pardona »... « Il cardinal Antonio, secundo nipote è più giovane,...
è più gentile e più soave; volentieri obbliga le personc e sostenta quello che pro-
mette... non è senza collera... Ha liberalit.'i et risente miglior educatione ». Amhassa-
fadenrs veuil.'ciis, série III. Roma, I, n. 531 et 33-),
L OPERA SOUS URBAIX VIII

diplomate rapporte l'avoir vu rosser d'importance et jeter

dehors à coups de bâton un de ses invités qui lui avait paru


manquer de politesse. Cette rude discipline n'était pas inutile
avec un public surexcité par les libations et les excès de toutes
sortes auxquels engageait la menace du Carême. La salle
était remplie de gens d'Eglise qui n'avaient pas fCté moins

joyeusement que les autres l'avènement du Carnaval. Aussi


leur tenue manquait-elle de recueillement. Les porporali pous-
saient des exclamations d'admiration passionnée en contem-
plant les « jeunes pages ou chastrés di capella '
», tous « beaux
en perfection » auxquels étaient confiés les rôles de femmes
et d'anges. Car la pièce qui mettait de si belle humeur les
hôtes des Barberini, n'était pas tirée, comme on pourrait croire,
de quelque fable licencieuse de l'Antiquité, — à la manière de
cette Diana scberuita représentée peu d'années auparavant et

où abondaient les situations scabreuses -, — mais de la vie édi-

fiante de Saint Alexis, dont elle contait les épreuves et la

gloire.
Voulant se consacrera Dieu, Alexis fuit le monde. 11 revêt
la robe de bure d'un moine et, ainsi caché, dans son propre
palais, subit la cruelle épreuve de voir ses parents et sa femme
pleurer sa perte. Il Va succomber à la tentation et se montrer,
quand Dieu lui fait la grcke de le rappeler à lui.

Le sujet était beau et riche en situations dramatiques, neuves


et fortes. Il monotonie et
rompait avec la la grâce apprêtée
des pastorales mythologiques auxquelles se plaisaient les dis-
ciples des Florentins, hantés par le souvenir de l'Antiquité
grecque. En vain Marco daOagliano avait-il tenté de sortir des
voies frayées en portant à la scène l'histoire de Sainte Ursule ',

1. Journal de J. J. Bouchard : « L'on entendoit que soupirs sourds par la salle que
l'admiration et le désir faisoient eschapper da i petti inipavoua:^:;^aii. Car pour les
rouges, ayant plus d'autorité, ils se comportoient aussi plus librement jusques là que
les cardinaux San Giorgio et Aldobrandin proteusis labriset crebris soiiorisqiw piipisiiiati-
hus gîabros bas ludiivies ad siiavia iiivilabaiit >>.

2. V. Romain Rolland, L'opéra en Europe, p. 158.


3. La Rappresentalioiie di S. Orsola vergiiie donnée à Florence à la fm
e niartire fut
de l'année 1624; la partition en est perdue. Le livret était l'œuvre de Salvadori. \\ la
belle étude de Vogel {Vierteljarhschrift fi'ir Miisikiuissenschaft, i!
10 I, OPERA ITALIEN EN FRANCE

les Florentins n'avaient pas paru comprendre le parti que


l'opéra pouvait tirer de sujets historiques, religieux et natio-
naux. Pourtantla Légende Dorée était encore plus populaire

dans du xvir" siècle


ritalie que les amours des divinités '

païennes ou que certains faits de l'histoire ancienne dont


allaient hientôt s'emparer les librettistes vénitiens. Monsei-
gneur Rospigliosi, dont la plume poème élégante avait écrit le
du San Alessio \ avait repris la tentative de xMarco da Gagliano.
11 avait eu le bonheur de rencontrer en Stefano Landi un musi-

cien capable de comprendre et d'exprimer tout ce que le sujet


contenait de religieux et d'humain.
Stefano Landi présente le type accompli du musicien
''

romain. Formé, comme Domenico Mazzocchi, à la rude disci-

pline du contrepoint figuré, il accepte le style récitatif sans


délaisser pour cela les ressources de l'art madrigalesque dont
il connaît les secrets ^ On peut lui reprocher justement une
certaine sécheresse, une forme souvent anguleuse, un récitatif
parfois monotone et inexpressif, on ne saurait nier que ses
œuvres décèlent une foi et une élévation de pensée qu'on cher-
cherait en vain dans les compositions frémissantes de

1. Il suffit pour s'en convaincre de voir le succès populaire des drames religieux

que représentaient des troupes de comédiens ou des moines. En 1632, nous trouvons
une tragédie avec intermèdes et chœurs chantés intitulée Barbara Sacra et dédiée aux
Barberini par l'auteur Fra Bernardino Turamini. (Viterbe, 1652, in-80. Coll. de livrets
de la S'« Cecilia.) Il serait important de savoir si le San Ahonâio prête composé en 1625
par Mazzocchi n'a pas servi de modèle aux auteurs du S. Alessio.
2. L'indication du titre du San Alessio « Dramma musicale dall' Eminent"'o sig.
:

card. Barberino n a fait croire que le cardinal Antonio était l'auteur du poème. Cela
signifie seulement que l'opéra fut représenté par son ordre et à ses frais. Le San Alessio
figure sur la liste des œuvres du cardinal Rospigliosi. V. Ademollo, Teatri cli Ronni,
ciiap. VIII.

3. Né vers 1390 et au service des Borghese vers 1620, il fut reçu, le 29


nov. 1629,
au collège des chapelains chantres de la chapelle pontificale. Il était castrat et ^riian-
tait la partie d'alto. V. Adami da Bolsena, Osserva~ioiii per hen regolare il coro Jci

caniori délia cappella pontificale. Roma, 171 1 (p. 197). En 1632, il était clerc bénéficié

de S'-Picrre.
4. "V. Goldschmidt, op. cit., p. 47 et suiv. On peut cependant se demander si Landi
exerça vraiment une très grosse influence personnelle ou s'il ne fut pas plutôt un per-
sonnage représentatif des idées et des principes de l'école romaine. Il est à remarquer
que le nom de Stefano Landi est fort rarement cité par les contemporains. Le vrai
chef d'école à cette époque à Rome est Domenico Mazzocchi, quelques années plus
tard ce sera Luigi Rossi.
l'opéra sous URBAIX VIII II

vie et d'une plastique si parfaite, des Luigi Rossi et des


Cesti.
La technique de Stefano Landi n est point négligeable et
constitue un progrès manifeste sur celle des Florentins. On
trouve pour la première fois peut-être, dans le San .-llfssio, un
air régulier à deux parties, un duetto bien mené. Les chœurs

sont traités avec une entente remarquable de l'effet dramatique


et l'orchestre exécute de vastes symphonies d'un grand effet

décoratif. La musique du San AJessio a (c de l'énergie, un senti-


ment simple et profond, un caractère vraiment chrétien '
».

C'étaient là des qualités peu faites pour être appréciées par


la foule enfiévrée et joyeuse qui remplissait Le libret- la salle.

tiste en avait eu l'intuition, et, pour mettre un peu de gaîté


dans ce drame austère, il avait écrit le rôle bouffon du page
Martio, introduit un ballet de paysans et donné au décorateur
mainte occasion de déployer ses talents ^ Malgré ces précau-
tions, le public laissa sans doute paraître quelque ennui à
l'audition de cet opéra édifiant, puisque le cardinal Antonio
décida d'en renforcer l'élément pittoresque.
Au Carnaval de 1633 de 1634, on vit reparaître le
et à celui
San Alcssio complètement transformé. Un second page, Curtio,
venait y faire assaut de lazzi avec Martio. Le Diable, pour
tourmenter Alexis, se livrait à mille facéties et prenait la forme
d'un ours afin d'épouvanter le saint homme récalcitrant. Enfin
le Bernin, qui s'était chargé des machines et des décors ',

avait opéré de tels prodiges que le drame religieux d'antan


avait fait place à une sorte de féerie à grand spectacle. Sous

1. Romain Rolland, U opéra en Europe, p. 135.


2.Bouchard nous apprend que la pièce comportait quatre « scènes » c'est-à-dire —
quatre décors —
et décrit ceux de la ville de Rome, de l'Enfer et du Paradis. V. Ro-
main Rolland, op. cit.', Revue îVbist. et décrit, mus., 1902, p. 29 et suiv.
3. « In oennaro nel 1634 venue a Roma un fratello del Re di Polonia, Principe
Alessandro Carlo per onor' del quale, tra le altre cose, fu dal card. Antonio Barberino
fatta rappresentare la Istoria di S. Alessio da Musici excellentissimi, et con scène mara-
vigliose, ideate ed eseguite dal Bernini, le quali si, mutorno più volte comparendo
Angeli che parlando volavano per aria
Palazzi, Giardini, Selve, Inferno, et ftnal- ;

mente si vidde una gran Nuvola calare a basso che aprendosi mostrô la gloria del
Paradiso ». Diario G igli ché par M. Fraschetti dans son ouvrage sur le Bernin.
(Milano, Hœpli, 1900, in-4°.)
12 I. OPERA ITALIEN EN FRANCE

cetteforme nouvelle, le San .-^Irssio eut un succès retentissant '.


Chanté au mois de janvier 1634, en présence d'un prince de
Pologne, il remporta un tel triomphe que les Barberini se
résolurent à commémorer cet événement en faisant luxueuse-
ment éditer la partition qui se répandit à travers le monde .
La formule de l'opéra romain était trouvée, on allait s'y

tenir durant une dizaine d'années '. Les sujets religieux per-
mettaient de multiplier les scènes surnaturelles et fantastiques.
Les miracles, les apparitions, les interventions célestes, qui
abondaient dans la Légende Dorée,
aux se prêtaient à merveille

machines surprenantes imaginées par les architectes du temps.


Il suffit de lire les compte-rendus contemporains des représen-

tations du San .-Jlrssio et dch Util ili Saula Tcodora (1635


et 1636)' pour constater que, dés cette époque, les décors, les

vols, les changements de scènes, les costumes et les ballets

constituaient aux veux des Romains le principal attrait des


opéras. En 1637. yi'^i'i'ii'iid -'»'"/ (jionlciiio '
consacra le triomphe
de la conception niélodramatique des Barberini.
On peut dire que le véritable auteur de VJiniiinla ne fut ni
Monseigneur Rospigliosi qui en écrivit le livret, ni

Michel Angelo Rossi qui en composa la musique, mais l'archi-


tecte Giutti de Ferrare que les Barberini chargèrent du soin de

1. y. la lettre imprimée entête du SlIii Ah's.u'o. On s'y extasie sur les machines,
les décors, les costumes. On parle à peine de la musique et du livret.

2. // S. Alessio Draiiniia Musicale daW l:iii'uicnt™° et Reverend'^''° S'ignore Card. Bar-


herino fatto rappreseiilare al Ser"^" Preiicipe Alessaiulro Carlo di Pohnia. Dedicato a Sua
Eminen^a, E posto iu iinisica da Slcfaiio Lundi Roiiiaiio, Miisico délia cappella di N. S. e

cherico heneficiato iwlla Inisilicii di S. Piefro. lu Kouia, appresso Paolo Masotti , 1634. —
C'est le seul opéra romain imprimé de cette époque qui ne soit pas d'une rareté
excessive. On le trouve dans la plupart des bibliothèques de l'Europe. L'exemplaire de
la Bibl. Nat. {Réserve Vm4/8) est orné de belles gravures de Collignon représentant les
diverses décorations de l'opéra.
3. Jusqu'au triomphe de l'opéra romano-napolitain dont le Pala-:^o d'Atlaute, en
1642, offre le tvpe le plus caractéristique.

4. Le livret était l'œuvre du card. Rospigliosi, la musique a disparu. La vie de la


Sainte était illustrée de « vaghissimi intermedii... balli, combattimenli, mutatione

délie scène. » (V. Avvisi di Rovia, cités par Ademollo, op. cil., p. 20 et suiv.) Comme
le S. Alessio, la 5'« Teodora fut donnée deux ans de suite; le 15 février 1636, Ferra-
galli écrit à Mazarin : « Il sig"" di Montagù giunse a Roma in gli ultimi giorni di car-
nevale, in tempo di veder anch'esso la Rappresentatione di S'-' Teodora. » Bibl. Vat.,
Barh. lat. 8044, fol. 180.
5. La partition imprimée est au Vatican. Bach, slauip. X. XIII, 200.
l'opéra SOfS URBAIN VIII I3

brosser les décors et d'inventer les machines '. La pièce est une
succession de tableaux très courts qui ravissent les yeux,
occupent l'esprit et laissent à peine le temps au spectateur
d'écouter la musique. Celle-ci est d'ailleurs fort pauvre. Cavalli

et Lulli sauront se servir de l'orchestre pour compléter l'illu-

sion du décor, et, suivant les nécessités de l'action, écriront

des svmphonies infernales, pastorales ou marines; Michel


Angelo Rossi laisse passer sans commentaire les prestigieuses
fantasmagories du livret -. Armide peut invoquer les furies et
les déchaîner sur le camp des chrétiens, une pluie de grêle

s'abattre sur la scène \ l'enfer s'ouvrir et laisser voir ses démons


et ses spectres ^, l'orchestre se tait. Comme l'observe fort juste-
ment M. Romain Rolland, « Michel Angelo Rossi disparaît der-
rière ses machines, il leur doit son succès » '.

La J lie! de SanUi Tcodoni avait été le dernier drame religieux


représenté sur le théâtre des Barberini. L'opéra avant guigné les

1. V. la lettre imprimée en tête de la partition. Passeri attribue pourtant ces décors


au peintre Camassei : « In occasione clie li sig" Barberini solevano nel pontificato di
Urbano drammi musicali con apparati superbi, scène ingegnose, e
far recitare alcuni
capricciose machine, Camassei ebbe la cura un anno di formare un teatro per le vacanze
carnevalesche nel quale con moite mutazioni di scène, e di varie apparenza diede
gran gusto, e vi dipinse paesi, prospettive ed apparati di régie superbe, fece vedere
su l'alto nuvole con deità, nel basso aperture d'infe-rno, e Regno di Plutone con
il

tutto quello che fu necessario per grintermezzi, e pel prologo. Fu questa l'Erminia
sulGiordano, opéra di Monsignor Rospigliosi che fu poi cardinale, e dopo Papa,
musica di Michel Angelo de Rossi del Violino. {Vita de Pittori, Rome, 1772, i.i-Ho,
p. 161.)
2. Non que M. A. Rossi fut un mauvais musicien, il fait preuve de beaucoup de
talent dans ses œuvres d'orgue et de clavecin. (V. les Toccate et les Corrcnti publ. par
Torchi. L'Aiic iiinsiùile i,i Ilalia, tome III), mais il était aussi dépour\-u que possible
dir tempéranient dramatique. Il n'v a que les chœurs qui présentent quelque intérêt
dans la partition de VEniiiiiia.

3. Il S'oscura il cielo e cade horribil piogge con grandine, e con vento. »

(Acte III, se. 3.)


4. Les machines sont longuement décrites dans la lettre imprimée avec la parti-
tion : « I piacevoli inganni délie machine e délie volubili scène, impercettibilmente

lecero apparire, hora annichilarsi una gran rupe e comparirne una grotta, et un
fiume... hora da non so quai voragine di Averno far sortita piacevolmente horribile i

Demonii in compagnia di Furie, le quali insieme danzando et assise poscia in carri


infernali per l'ariase ne sparissero... Une fort belle planche gravée représente ce
>>

ballet infernaldans la partition delà Vaticane. (A/r/;. statiip. N. XIII, 200.) On trouve
aussi cette estampe avec d'autres décors de VEniiiiiia dans un recueil de la Bibl. Xat.
Réserve \ t. > 5"57-
). L'opi'rd en Eiiicpc, p. 137.
14 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

C(Hi\cnls et les Pdilri iiiiiiisiri (l(\o]l liifcniii avant donne avec


succCis une SitiiUt \4arici MitiIddh'iKi \ Urbain VIII avait décidé
de réserver aux moines les rapprcsenla:iloiii spiritiiali et de
choisir pour son théâtre Dès lors, des sujets moins austères.
c'est le Tasse, l'Arioste, et surtout Marini qui sont mis au

pillage par les poètes romains. En même temps apparaît la


couicdic musicale, dans laquelle va triompher Marco Marazzoli",
compositeur attitré des Barberini. Nous n'avons pas à entrer
dans le détail de ces œuvres, notre dessein n étant pas de retracer
l'histoire de l'opéra italien, mais de montrer comment se
constitua l'esthétique de l'opéra à machines que Mazarin devait
s'eft'orcer de faire triompher en France.

II

L'influence de l'aristocratie romaine que nous avons vue


s exercer sur la mise en scène de jour en jour plus fastueuse et

plus compliquée, sur les livrets dont les épisodes fantastiques


et burlesques se multiplient au détriment de l'intérêt drama-
tique et de la raison, agit encore plus manifestement sur l'évo-

lution de la musique pure. Le triomphe de l'opéra eut pour


ell'et Rome une véritable folie de musique \
de déchaîner dans
« Notre siècle qui a connu les anciens délires de la salle

Ventadour et les pèlerinages récents en Bavière, se fait à peine


l'idée de la fureur musicale de ces temps, où la puissance de

la nouveauté s'ajoutait au charme irrésistible de la musique

7 '('(///
1. Adcniollo, ; (//' Roii/it, p. 23.
2. Nous retrouverons Mara/.zoli la cour de France. Hn 1639, la comédie Chi soff're
.\

spcri de Mons. Rospiijliosi mise en musique par Mara//.oli et \'iri^ilio Ma/.zocchi


rempoi'ta lui succès triomphal. (\ . Romain Rolland, op. r/7., p. 160, et Golsclunidt,
op. cit.)

3. Il en sera de même à Paris quelque trente ans plus tard.


" Depuis les opéras, l.i r.i>ic de musique
.S'est mise dans Paris, tout le monde s'en jiique »,

déclare un personnage d'une comédie de Baron (Crispiii Diiisicien) et .Saint-Evremond


dans sa méchante comédie des Opéras, nous montre une famille rendue ioUe par la
passion de la musique.
L OPERA SOUS URBAIN" VIII I5

sur des esprits raffinés, alanguis et voluptueux '


». On chante
partout : au théâtre, à l'égHse, dans les salons, à table, en pro-
menade. La Signora Leonora Baroni attire en sa maison une
foule d'admirateurs enthousiastes de sa voix '. Le cavalier
Loreto Mttori plonge ceux qui l'écoutent dans un état d'exalta-
tion à peine croyable : certains suffoqués par l'émotion doivent
écarter leurs vêtements pour pouvoir respirer'. Sa renommée
est si grande qu'un jour le peuple, alin de l'entendre, brise les

portes du palais où il chante et, pénétrant dans la salle du con-


cert, en expulse cardinaux, nobles et prélats, afin de prendre
leurs places.
C'est surtout au temps du Carnaval que la musique sévit à
Rome. Des chars, remplis de chanteurs et d'instrumentistes,

parcourent les rues et la foule les suit avidement "^.


On se

presse dans les couvents où des religieuses aux voix enchan-


teressescharment les :;uditeurs. Les uns prétendent que la
Verovia du Spirito Santo est toujours sans rivale, d'autres lui
préfèrent la religieuse de Santa Lucia in Silice. Les nones de
San Silvestro, celles de Santa Chiara et celles de Monte Magua-
poli s(jnt renommées pour leurs chants harmonieux \ Les
représentations d'opéra des Pcuiri iiiliiislri di\!^li in fer ml sont aussi
fort courues. Ces moines chantent et iouent avec non moins

1. Romain Rolland, L'opéra eu Europe, p. 149.


Maugars, edit. Thoiuau.
2. —
Nous aurons l'occasion de parler longuement de la
Leonora au chapitre suivant. C'est sans doute en pensant à elle que Saivator Rosa
écrit dans la satire sur la Musique :

((Chiania iii Roma più geiitc alhi sua udiciiza


L'arpa d'una Licisca cantatrice
Che la campana délia Sapienza... »

3. Xicias Ervthraeus, Piiuuollieca Luui'^iiuiui iUustriuui... Cologne, 1642, tome II,

p. 217. Bibl. Nat. Réserve G. 2604.


4. Le premier char de ce genre dont il soit tait mention est le carro di Jeclellà
d'Auiore du musicien Quagliati, en 161 1. La partition se trouve à la S'» Cecilia. Pietro
délia Valle en parle dans sa fameuse lettre à Doni (publ. par Solerti, Origine del
uielûdrauniia, p. r62). On trouvera dans le même ouvrage, page 182, le livret de ce
divertissement musical.
En 1646, le vovageur Evelvn vit plusieurs chars semblables dans les rues de Rome
au carnaval.
>. Pietro délia Valle, Délia Musica dell' età uostra che non è puuto iuferiore, an~i è

niiijliore di ouella dell' età passata (1640), dans les Tratlali di Musica di Gio. Bail.
Doni. Tome II, p- 249, édit. de 1763.
l6 l'opéra ITALIEN' EN FRANCE

d'aplomb que des professionnels '. Seuls quelques L^ens austères


se plaignent de la corruption qu'engendre ce cabotinage.
Lorsque le pape, ému des excès commis par les pères, se verra

contraint de dissoudre la congrégation, il ne manquera pas


de gens pour s'indignerde cette décision rigoureuse *.

La passion de l'opéra, dans la Ville Eternelle, prend Taspect


d'une véritable maladie. Elle atteint tout le monde depuis le

pape jusqu'au dernier de ses sujets. Les castrats illustres se


voient comblés d'honneurs. Loreto Vittori devient chevalier de
Jésus-Christ par la volonté expresse d'Urbain VIIL Marc'
Antonio Pasqualini, chanoine de Sainte-Marie Majeure, est
l'objet de luttes et de convoitises entre les grandes familles de
Rome. Cependant des protestations s'élèvent de divers côtés
contre la corruption des mœurs musicales. Salvator Rosa qui
seulement un grand peintre, mais aussi un poète et
n'est pas

un compositeur de talent \ dénonce, dans une de ses satires"^,


le mal que font à la musique ses interprètes indignes >.I1 s'en

prend surtout aux castrats dont il raille en termes fort crus les

moeurs infâmes, à « cette engeance vicieuse et servile, cette

engeance sans pudeur et sans foi, source de toute luxure et de


tout déshonneur ». Il se plaint de les entendre à l'église chan-
ter sur la lyre un iiiisrrcrc avec les mêmes accents, les mêmes
gestes auxquels ils auraient recours pour interpréter un rôle

1. Adcniollc), Tcdlii di Koli.ii, p. 25 et sui\'.


2. lin dépit des lois lornicllcs de rEi^lisc, des castrats se font admettre dans les

ordres; ainsi nous N'errcnis le révérend Don L'ilippo Melani, Père Servite de l'Annon-
ciade, venir à Paris, en 1659, chanter dans le Xerse de Cavalli le rôle de la reine
Amestris !

3. Burney jui;e aiiiM un recueil de cantates de Salvator Rosa qu'il a eu entre les
mains « (^es compositions ne .'ont pas seulement étonnantes pour des œuvres d'un
:

amateiu-, mais au ret;ardde la mélodie, elles surpassent encore celles de la plupart des
maîtres de ce temps ». (Iciu-nil bislorv of Miisik, 1789, tome l\ p. 165. ,

4. La satire /..; Mi:sicii .uirait été composée suivant M. Cesareo entre 1658 et 16.10.

5. 1; 1.1 niiisic.i iitlicni.i iiKic;;ii.i c vile


l'crchc Ir.m.it.i c sol cou ari'of^.uiza
D.i j;ciitL' vi/iosissini,i, c survilu
(jciiti; d'.illuTgo, d'.ibbobrio c d'ignor.uiza
Sorciid.i torcini.inii.i (.11 luxiiri.i

(iciitc sciiz.i rossor, sunz.i crc.mz.i...

Salvator continue longuement sur ce ton et injurie avec une particulière véhémence
les castrats qu'il semble avoir en haine.
L OPERA SOUS URBAIN VIII I7

de théâtre A dire vrai, Tallure mondaine des œuvres autori-


'.

saitun peu ce déploiement de moyens extérieurs.


Dès cette époque, on peut observer un profond changement
dans l'esprit des musiciens. Alors que Monteverde ou Dome-
nico Mazzocchi s'efforçaient de traduire musicalement des
textes intéressants par eux-mêmes % les Carissimi, les Luigi
Rossi, les Cesti se montrent indifférents à la qualité des vers.
Ilscomposent d'amirables mélodies sur des livrets et des
poèmes insipides.
On s'est longtemps représenté Carissimi comme une sorte
de préraphaélite de la musique. Homme pieux, austère, on se

le figurait composant avec recueillement, à l'ombre d'un cloître,


ses oratorios d'une foi robuste et naïve. Supposer de la naïveté
créatrice chez un contemporain de Salvator Rosa, c'était bien
mal connaître l'époque. Quant à la foi, elle se manifestait
sous des formes exaltées et morbides dont la Sainte Thérèse '

du Bernin est infiniment plus représentative que les toiles


d'un Fra Angelico. En lait Carissimi, dont l'influence fut im-
mense et qui attira à son école des musiciens de l'Europe
entière ^, donna le dernier coup à l'art palestrinien dont les
maîtrises de Rome avaient conservé pieusement la tradition.
Plus que tout autre, Carissimi contribua donner un caractère
à

mondain à la musique religieuse. Certes on trouve parfois


dans ses Histoires Sacrées' des accents d'une rare intensité

1. K ... Ogn'uu si scandalizza, etedi.i


Cantare in sulh; cctra il Miserere
E cou stili da sfarsi, e da comedia
E gighe, e sarabande alla distesa. »

Il est iimusant de comparer à ces invectives les plaintes anières de Lecerf de la


Viéville, cinquante ans plus tard, sur la tenue des chanteurs dans les églises de France.
Comparaison de la )nusique italienne... Bruxelles, 1705.
2. V. les Dialof^hi e Sonetti posti in niusica da Donienico Ma::^~occhi. Rome, 1638
(Liceo Musicale de Bologne) où l'on trouve des fragments de l'Enéide et de la Jérusa-
lem délivrée mis en musique. La même année 1638, Monteverde publiait ses admi-
rables Madrii^ali guerrier! el aiuorosi.

3. Filippo Acciajoli, poète, musicien, machiniste, peintre, mathématicien, etc., se


retiredeux fois l'an dans la montagne pour vivre en ermite, pleurant sur ses péchés et
se donnant la discipline. V. Romain Rolland, op. cit., p. 151.
4. Son influence fut surtout sensible en Allemagne et en France. Son disciple
Marc-Antoine Charpentier répandit et popularisa ses oeuvres dans notre pays.
5. V. Michel Brenet, les Oratoires de Carissimi, Kivista Musicale (III^ année). —
l8 l'opéra italien E\ FRANCE

dramatique, des pages d'une majestueuse et sombre puissance,


mais trop souvent on sent chez lui le métier, un manque de
sincérité et d'enthousiasme qui rend pénible l'étude prolongée
de ses œuvres, en dépit de l'habileté technique qu'elles mani-
festent. Carissimi ne fut d'ailleurs pas exclusivement un
musicien d'église, il composa des opéras et d'innombrables
cantates profanes qui lui valurent une réputation européenne '.

La cantate triomphe dans les salons romains, vers 1640 -.


C'est une courte scène dramatique qui permet à un ou plusieurs
virtuoses de faire admirer la souplesse et la beauté de leur
voix. Elle se compose de plusieurs morceaux, de rythmes et de
mouvements diiférents, soudés adroitement ensemble par de
courts récitatifs. Les sujets sont variés, C'est souvent un petit
tableau une magicienne évoque les divinités infernales', le
:

Dédain, déa;uisé en charlatan, vend aux chalands des remèdes


contre l'Amour *. C'est aussi parfois tout un petit drame psy-
chologique un amant rebuté se lamente sur la cruauté de sa
:

dame, il veut se tuer, mais la raison se fait dans son cœur : il

brise ses fers et célèbre la liberté reconquise.


Ces poèmes sont en général d'une extrême mièvrerie, mais
prêtent à l'expression des sentiments les plus divers. La cantate
devient, au siècle de l'opéra, l'équivalent de ce qu'était le madri-
gal dans l'art polyphonique du xvi^ siècle. Ce n'est pas un
genre plus faux, ni moins légitime que celui-là. Lisupportable
fadaise quand il est traité par un musicien sans talent, il peut
donner des chefs-d'œuvre entre les mains d'un homme de
génie. On oublie alors les paroles médiocres, les idées rebat-

Quittard, introduction à l'édition des Histoires Saciccs de la Scholti CanloniDi. —


Schering, Znr Gcschichle des Ilaliciiisclicii Orotoriinus iiii ly Jahriviinlcrt. Jabibini] der
Miisikbihliolhek Pelers, /yo;. — Pasquetti, l'Chulorio iiiiisieale iu Italia.

1. Après avoir été l'objet de louanges immodérées, Carissimi est en ce moment tort
décrié. Malgré ses défauts, on ne saurait oublier pourtant l'importance de son rôle
comme vulgarisateur de la forme de VIjisloirc Siicrcc et de la cantate-. En France il est
longtemps avec Luigi Rossi le seul musicien italien dont on connaisse les oeuvres et
dont on cite le nom.
2. M. Wotquenne réunit avec une inlassable activité au (Conservatoire de Bruxelles

des copies des plus importants recueils de cantates de l'Europe. C'est à Bruxelles
qu'on peut aujourd'hui étudier le mieux cette intéressante forme musicale.
3. La Slrega de Salvator Rosa, musique de Cesti.

4. // Ciaiiataiw de Carissimi (publ. par Torchi. T. \ ).


L OPERA SOUS URBAIN VIII I9

tues, pour ne plus songer qu'à la musique expressive, vivante,


et d'une forme achevée. La cantate, c'est le triomphe de la

musique pure, de la mélodie aux belles lignes sur le récitatif


assujetti aux exigences du texte. Au reste, il ny a pas que des
phrases toutes faites dans les cantates, il y a aussi l'expression
des sentiments les plus naturels et les plus vrais du cœur
humain : le désir, l'espérance, la détresse, la joie, le désespoir '.

La vosue de la cantate allait avoir une influence consi-


dérable sur le développement de la musique dramatique. Une
nouvelle génération de musiciens entre en scène qui rompt
plus ou moins avec les sévères traditions polyphoniques de
l'école romaine. Si Carissimi, maître incontesté de l'oratorio et

de la cantate, se rattache à l'école des Mazzocchi et des Stefano


Landi, ses compatriotes -, un petit groupe de compositeurs,
napolitains pour la plupart, revendiquent les droits de la

mélodie. Ils rejettent au second plan le récitatif, réduit au rôle


du lien, indispensable mais fâcheux, qui doit retenir entre eux
airs, ariettes, duos et chœurs. Pour eux le livret n'est plus
qu'un simple prétexte à beaux discours sonores. La mélodie
s'épanche en phrases harmonieusement cadencées, en souples
vocalises où la voix du chanteur se déploie librement. L'esthé-
tique de l'opéra napolitain s'élabore. On peut, dès 1640, pré-
voir la venue prochaine de Provenzale, de Stradella et d'Ales-

sandro Scarlatti.

Ce fut à Rome, dans de petits cénacles d'artistes provin-

1. M. Romain Rolland, en se plaçant à un point de vue de morale artistique, a fait

éloquemment le procès de la cantate « La victoire de la cantate, genre faux où la


:

forme compte plus que le fond —


victoire de la scène chantée indépendamment de
tout drame, de toute action et bientôt de tout sens, — victoire d'un stvle de salon, —
a compromis définitivement l'avenir de l'opéra italien » {Musiciens d'autrefois, p. 77).
|e ne suis pas de cet avis quand la vogue de la cantate commence, vers 1635, les
;

machines ont en quelque sorte banni la musique de l'opéra. A Rome, comme à Flo-
rence, on ne chante plus que d'insipides récitatifs. La cantate fut une revanche de la
musique pure elle permit aux formes mélodiques de s'organiser avant de prendre
;

possession du théâtre. A tout prendre, je préfère les débauches mélodiques d'un Luigi
Rossi, d'un Stradella, voire d'un Scarlatti aux mornes récitatifs d'un Filippo Vitali ou
d'un Stefano Landi. Si le stvle de cantate a triomphé, c'est que le récitatif était déjà
mort. Dès 1630, il est aisé de voir que personne n'y croit plus.
2. Carissimi, tout en contribuant à donner à la cantate une forme quasi définitive,
reste fidèle à la tradition récitative moins par conviction que par pauvreté d'invention
mélodique et sécheresse d'esprit.
20 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

ciaux, que commencèrent à se manifester les tendances nou-


velles. Les Napolitains y formaient — comme les Gascons à
Paris vers le même temps — une colonie fort importante.
La domination espagnole et la pauvreté de leur pays les

poussaient à s'exiler. Beaucoup d'entre eux détenaient des


charges importantes et protégeaient leurs compatriotes mal-
heureux'. Le plus illustre d'entre les Napolitains fixés à
Rome était certainement le Bernin, dont le génie inégal et
tourmenté plaisait particulièrement à Urbain VIII Ml dispensait
aux artistes les places et les commandes, était entouré d"une
véritable cour et vivait en grand seigneur magnifique. Il

aimait et pratiquait la musique. Evelyn conte qu'un jour il fit

représenter un opéra dont il avait peint les décors, sculpté les


statues, inventé les machines, composé la musique, écrit le

livret. Il avait, bien entendu, construit le théâtre où fut chantée


cette œuvre '.

Salvator Rosa, lui aussi, était musicien et poète '^. Il joignait


à ces talents celui d'acteur qui avait attiré sur lui Tattention

publique avant que sa peinture fût encore estimée. On l'avait

vu, au Carnaval de 1638, qui fut un des plus fous du siècle,

parcourir les rues déguisé en saltimbanque et exciter par sa


verve et ses discours satyriques la curiosité de la foule. Au
printemps de cette même année, il s'était installé dans une

1. Salvator Rosa se rend à Rome en 1653 sur l'invitation de son compatriote


Mercurio, maestro di casa du cardinal Brancaccio. Salvator loge au palais du cardinal
et l'accompagne en voyage. V. Cesareo, Poésie di Salvator Rosa, p. 13.
2. V. Fraschetti, Il Beniini, Milano, Hœpli, 1900. — Marcel Revmond, Le Beriiin
(Coll. des Maîtres de l'Art).

3. « little before mv coming to the Citt\-, gave a publiq opéra (for so


Bernini a
they shews ot" that kind) where in he paiuted the scènes, eut the statues, invented
call

the engines, composed the musiq, writ the comedy and built the théâtre ». Memoirs
of John Evelyn. London, 1827 (in-8"), t. I, p. 1H9.
4. Sur Salvator Rosa, voir l'ouvrage définitif de M. Cesareo Poésie e lettere inédite :

di Salvator Rosa (KapoW, 1892, 2 vol. in-4") et le livre du Dr. Leandro Ozzola, Vita
e Opère di Salvator Rosa. (Strassburg, Hertz, 1908 (in-80). —
Sur Salvator Rosa musi-
cien, on pourra aussi consulter un article de M. Nicola d'Arieuzo dans le tome I^^ de
la Rivista Musicale. L'ouvrage fameux de lady Morgan est plutôt un roman qu'une

étude critique, on ne saurait trop s'en défier. L'ouvrage de M. Cesareo manque dans
toutes les grandes bibliothèques parisiennes, on le trouvera pourtant à la Bibliothèque
d'art et d'archéologie {16, rue Spontini), si hospitalièrement ouverte par M. Doucet
à tous les travailleurs.
L OPERA SOUS URBAIX VIII 21

maison de la Ma del Babbuino '


où il recevait un grand
nombre d'artistes, de lettrés et de musiciens, parmi lesquels
nous trouvons un homme appelé à jouer un rôle considérable
dans rhistoire de Fopéra en France : Luigi Rossi.
Luigi était né, en i)9cS, dans le royaume de Xaples, à Torre
Maggiore-, pauvre bourg du diocèse de San Severo, sans cesse
ravagé par les épidémies et les tremblements de terre. Il était,

semble-t-il, l'aîné d'une famille de sept enfants \ Son frère


cadet, Giovan-Carlo, de quelque vingt ans plus jeune que lui,

devait se consacrer également à la musique et s'illustrer par


son talent de harpiste •*.
Xous aurons souvent l'occasion de
reparler de lui dans la suite.
Luigi n'avait sans doute pas dépassé la quinzième année
quand il se rendit à Naples pour étudier le noble art de
musique sous la discipline du vieux maître Jean de Macque'.
En ces premières années du wir siècle, l'art polyphonique
brillait à Naples d'un vif éclat, Pomponio Xenna et le célèbre

prince de A^enosa vivaient encore et leurs madrigaux étaient


chantés dans toute l'Italie. Le flamand Jean de Macque, élève
de Filippo da Monte '\ jouissait également d'une grande célé-

1. Suivant MM. Cesareo et Ozzola, Salvator s'installa Via del Babbuino au printemps
de 1638 et partit pour la Toscane en 1640 où il demeura jusqu'en 1649. C'est à Flo-
rence qu'il fit la connaissance de Cestiet deBandini. Quanta Cavalli, il ne semble pas
l'avoirconnu il n'v a rien de commun en effet entre le musicien vénitien et le
:

Padre Cavallo, ami de Ricciardi, dont il est souvent question dans la correspondance
de Salvator Rosa.
2. V. Henry Pruniéres, Xotes sur Li vie de Luigi Rossi (Saninielhande der I. M. G.

1910. XII Jahr. Heft I, p. 12 et suiv.)


3. Le testament de Luigi Rossi. découvert et publié par M. Cametti (Saninielbcinde
der I. M. G. 191 2, XIV Jahr. Heft I), donne les noms des enfants de Donato Rossi :

Luigi, Dionisio, Giovan-Tommaso, Giulio-Cesare, Felice-Anlonio, Giuseppina,


Giovan-Carlo.
4. Giovan Carlo fut lié intimement avec Salvator Rosa comme en témoigne ce pas-
sage de Passeri : « lo per mio deporto ascesi verso la sera sopra il monte délia Trinità,
e lo trovai (Salvator), che stava passeggiando insieme col sig. Gio. Carlo de Rossi,
famoso sonatore di Arpa a tre registri, fratello di quel virtuoso Luigi, noto a tutto il
Mondo perla sua perfezzione nella musica. » (P^ita de pittori... Roma, 1772, p. 434.)
5. Luigi dit lui-même qu'il fut l'élève de Jean de Macque dans une note autographe
placée en tête d'un recueil de can:{oni fraiicesi conservé au British Muséum
(Add. 30491). M. Edw. Dent a le premier signalé cette intéressante note écrite en
cryptographie.
6. Pitoni, Xoti:^ie dei contrappuiitistie coiiposifori di musica. Xouv. acq., ms. fr. 266,
p. 29.
22 I. OPERA ITALIEN EX FRANCE

brité '. Il n'était pas moins fameux comme organiste que comme
compositeur et Ton citait son nom avec ceux de Claudio da
Corregio, de Luzzascho Luzzaschi et de Gabriel! lorsqu'on
voulait désigner les plus illustres suonatori de l'époque -.

Luigi Rossi fut donc formé à la même école qu'un iMonte-


verde ou qu'un Mazzocchi. A défaut de ce renseignement
biographique, l'examen de ses œuvres suffirait à le faire
supposer. Les dissonances hardies, le chromatisme et les modu-

lations imprévues de sa musique trahissent l'influence exer-


cée sur lui par le prince de Venosa. D'autre part, le ton spi-
rituel et enjoué de ses cini~oiiell(' évoque le souvenir des
malicieuses et alertes ViJhuicJIc Xapoleianc qui se chantaient
à voix seule avec accompagnement de luth ou de guitare \
C'est dans ces œuvres d'un caractère populaire qu'on trouve
le forme mélodique de Luigi Rossi, plus chan-
secret de la
tante, plus souple, aux contours plus arrondis que celle des
compositeurs florentins et romains du même temps.
A l'école de Jean de Macque, Luigi Rossi apprit la compo-
sition, le chant et l'accompagnement au clavecin. Il était,
quand il partit pour Rome, vers 1620, un virtuose accompli.
Ses talents le firent entrer au service du prince de Sulmona,
Marc' Antonio Borghese, neveu du feu Pape Paul V et grand
protecteur des arts ^ La princesse Donna Camilla Orsini
Borghese avait alors pour harpiste favorite la Signora Costanza
de Ponte que le français Maugars devait entendre avec ravisse-
ment quelques années plus tard >. Luigi Rossi s'éprit de la

1. Heiurich Scliùlz écrit le 23 avril 1632 pour bire venird'Italie des œuvres de
l'école napolitaine. Il n'a garde d'oublier dans sa liste les œuvres de Giovan Macque.
(La Mara, Miisikerhn'efc, I Band, p. 72.)
2. V. Pietro délia Valle, Délia tinisica delF ctà iiostra, publ. par Solerti. Oris^ine del
melodrnmnia, p. 157.
3. Giustiniani Vinceuzo, dans son Discours sur la musique (de 1628), atteste limpor-
tance de ce genre de composition. Dans les écoles de musique où il fit son éducation,

on étudiait les œuvres des grands madrigalistes « e per cantare con una voce scia
sopra alcuno stromento prevalesse il gusto délie \'illanelle Napoletane, ad imitazione
délie quali se ne componevano anche in Roma... » (Solerti, Orii^iue del luelodraniina,
p. 106.)
4. V. Cametti, Alruiii docuiuenli iucdili su la vita di Luioi Rossi... (Siiiuui. dcr I. M. G.
191 2, XI Ve Jahr., i).
5. Maugars, Kesponce à un cuiieux (éd. Tlioinan), p. 32.
L OPERA SOUS URBAIN VIII 23

charmante musicienne et l'épousa, le 5 juillet 1627'. A la

dilTérence de la plupart des virtuoses romains, Luigi paraît


avoir été un homme aux vertus familiales. Il continua d'habiter
avec ses beaux-parents une maison de la Piazza Borghese
, et, toute sa vie, entretint avec eux et avec ses trois beaux-
frères -
les rapports les plus affectueux. Nous le verrons, au
lendemain du triomphe de VOrfeo à Paris, demander à la
reine pour seule récompense l'octroi d'une faveur à Marc'
Antonio de Ponte, un des frères de sa défunte femme "\

Vers 1630, Luigi commence à faire parler de lui. Un magni-


fique recueil manuscrit de la bibliothèque de Bologne, dédié au
seigneur Filippo del Xero ^ renferme une cctii~o)ie de Luigi de
Rossi di Borghese \ nombreuses compositions de
parmi de
Jacopo Péri, Domenico Mazzocchi, Orazio dell' Arpa et autres
musiciens de la même époque. En 1640, Luigi est célèbre.
Severo Bonini, dans son discours sur la musique'', donne pour
successeurs à Rome
Monteverde à Venise,
Mazzocchi à et à
Luigi Rossi et Cavalli. Pietro délia Valle, dans sa lettre sur
la musique de son temps, datée du 16 janvier 1640, vante,

dans le genre sérieux, la Caiir^onetta de Luigi Or ebe Ja notfe

del sileii~io aiiiica '


et G. B. Doni, si hostile pourtant aux musi-
ciens contemporains, daigne reconnaître la valeur du compo-
siteur napolitain \ La cantate où Luigi Rossi pleure la mort de

1. Cametti, op. cit.


2. Paolo de Ponte, l'un des trois beaux-frères de Luigi, était comme sa sœur, har-
piste émérite. Il quitta Rome
bonne heure, car on le trouve à Vienne à la
d'assez
chapelle impériale de 1637 à 1645. Son nom reparaît sur les états de la HofkapeJJe
en 1652 et de 1663 à 1664. Ce détail a échappé à M. Cametti. V. Kochel, Die
Kaiserl. Hof-MiisikkapeUe in IVien von iJ4^-iS6j. Wien, Beck, 1869 (p. 61).
3. Aff. Etr., Roiiif, 102, fol. 213.
4. C'est à ce seigneur que G. B. Doni dédie le Trallato secoiido sopni gV insiniuienti
di tasti de saLyra Barberiiia, 1, 324.
5. C'est la canzonetta lo ero pargoletta que j'ai publiée dans le supplément du

Monde Musical du 30 février 191 3.


Le catalogue de la Bibl. de Bologne reproduit l'indication Luigi Rossi di Borghese :

pour toutes les œuvres de Luigi, alors qu'elle ne se trouve réellement qu'en tète de ce
seul morceau.
6. Publié par Solerti, Origine del nielodramnia, p. 13g.
7. G. B. Doni, Trattali di Musica, 1763, t. II, p. 258.
8. « È vero che l'Eredia, Luigi Rossi, il signor Pietro délia Valle e qualch' un' altro
hanno composto qualche cosa e assai sforzato... » G. B. Doni, Conivierciuiu littera-
riuvi. Florentia;, 1754, col. 225 (in-f"). — B. N., K. 616.
24 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

Gustave Adolphe : U)i fcvilo Cavalière, se répand dans le monde


entier. Au mois d août 1641, le musicien poète Ottaviano Ca-
stelli en adresse une copie à Richelieu et entretient Mazarin du
succès de cette œuvre '.

Le cardinal Antonio Barberini qui désirait avoir les meilleurs


musiciens d'Italie, prit Luigi à son service, dans le courant
de l'année 1641. A peine celui-ci avait-il eu temps de jouir de le

la faveur du généreux prélat qu'il tomba gravement malade et


faillit mourir. Cet événement déplorable contrista Rome et
l'agent diplomatique Elpidio Benedetti en touche un mot à
Mazarin dans une lettre du 17 novembre 1641 «Le Signor :

Luigi, autrefois au service des Borghese, et à présent très cher


au Cardinal Antoine, a été presque abandonné par les méde-
cins, et n'est pas encore hors de danger » '

Luigi se croyant perdu fit appeler un notaire, le 14 no-


vembre, et lui dicta son testament'. Cet acte nous fait péné-
trer dans la vie intime du musicien. Il laisse toute sa fortune à
sa « femme bien aimée » sous réserve d'un certain nombre de
legs à des parents et amis. A
Giovan Carlo qui son jeune frère
l'a depuis peu rejoint à Rome \ il donne un diamant, une
grosse émeraude, une bague et un clavecin à deux claviers ;

à son très cher ami D. Marc' Antonio Pasqualini, le fameux


castrat de la chapelle pontificale, plusieurs tableaux dont un
du Guerchin la S'\ Anna Maria Manfroni une guitare
; à.

espagnole, à ses frères, à ses beaux parents, à tous ses amis,


parmi lesquels est nommé le poète Giovanni Lotti, des
sommes d'argent et de petits souvenirs. Quant à ses manus-
crits musicaux, il les laisse à son patron, le cardinal Anto-

nio Barberini, qu'il supplie de veiller sur son jeune frère et


sur sa femme.
Luigi triompha de la maladie. Le i^"" janvier 1642, il figure
aux côtés du cavalier Loreto \'ittori, de Marc' Antonio Pasqua-

1. Aff. Etr. Corr. diploiii. Rome, 74, fol. 448.


2. Ronii\ 7), fol. 259 V». — \'. H. Prunières, Les Représeutalions du Pa}a:^~o
d'Atlaute en 1642. Saïuuielbdudc der J. M. G. 191 3, XIV, II.

5. M. Cametti en a donné une an.iKsc dans son intéressante étude. Sannii. der
I. M. G. 1912, XIV, I.
4. Giovan Carlo Rossi était né, suivant M. Cametti, vers 1622, à Torre Maggiore.
L OPÉRA SOUS URBAIN VIII 2$

Uni, de Filippo \'itali et de Marco Marazzoli sur la liste

des musiciens du cardinal Antonio '. Luigi, à cette époque,


est véritablement l'homme du jour. Son talent de chanteur
est non moins prisé que ses dons de compositeur et il n'y a
pas de fête où il ne soit convié. On en peut juger par une
curieuse lettre où le Padre Michèle Mazarini décrit à son frère
avec amertume les réjouissances sans nombre qui se font à
Rome au Carnaval de 1642. La vie s'y passe en festins, en spec-
tacles, en bals, en concerts. Une folie de plaisir s'est emparée de
la Ville Eternelle. Ce qu'il y a de pire, c'est que les grands

donnent l'exemple et ne savent même pas garder leur rang.


Ainsi, l'autre jour à un banquet donné par les Sacchetti au Lan-
grave et à quelques nobles romains, on avait convié aussi M. le

Cardinal Antonio. Celui-ci étant arrivé en compagnie du Cava-


lier Panico, de Marc' Antonio Pasqualini et de Luigi le musi-
cien, ne les a-t-il pas fait asseoir tous les trois à la même table
que le prince, les comtes et les marquis duel exemple A '? !

coup sûr, Mazarin dut sourire en lisant la lettre de son frère.


Il n'était pas homme à partager son indignation. Ami person-

nel du musicien poète Ottaviano Castelli, ami, sinon amant,


de la divine Leonora Baroni, il connaissait fort bien le monde
des chanteurs et des compositeurs de Rome et n'eut éprouvé
aucune humiliation à s'asseoir au milieu d'eux à la table d'un

î. Voici la liste des cappeUani et iiiiisici extraite des « Ruoli degli sahirii et conipa-
natici délia famiglia dell' Emmo S. card. Antonio Barberini ». Tome XIV (1657-1643).
Arch. Barberini à la Bibliothèque du Vatican. — • 10 gennaio 1642.
D. Vincenzo del Giglio. 36 scudi.
D. Oratio Spigarelli. —
D. Filippo Vitali. —
D. Marino. —
Marc' Antonio Pasqualini. —
Cav. Loreto Vittori. —
Lorenzo Sanci. —
Marco Marazzoli. —
Girolamo Navara. —
Frano Blanchi. —
Luigi de Rossi. —
2. « L'altro giorno ad un banchetto che tecero i Sri Sacchetti al Principe Langravio,
al marchese di Pomaro (?) al conte di Rovellara, ai Marchesi Girolamo e Luigi
Mattei et al conte Csrpegna, al quai pranzo, essendosi invitati, anco il S. Card'e vi
andô, conil cavalier Panico, con Marc' Antonio e con Luigi musico, e tutti tre i'ec^
seder alla medesima tavola. » Atf. Etr., Ro7iie, 80, fol. 18.
26 l'opéra italien en FRANCE

banquet. 11 est vrai qu'il n'était pas si bien né que les Sac-
chctti, les Barberini ou les Mattei !

Luigi Rossi devait être, à ce moment, dans tout le feu de


la composition de son opéra // PaJar^r^o Incanlato cF Atlante

dont Monseigneur Giulio Rospigliosi avait écrit le libretto '.

Depuis la construction du théâtre des quattro joutam\ le futur


pape Clément IX n'avait cessé de fournir de poèmes religieux,
mvthologiques ou comiques les compositeurs au service des
Barberini. Il avait, en dernier, abordé avec un grand succès
le genre de la comédie musicale'. Mais comprenant sans doute

que le tempérament lyrique et élégiaque de Luigi Rossi s'ac-


commoderait mieux d'une action romanesque que de scènes
tirées de la vie populaire, il prit pour sujet de son nouvel

opéra malheurs d'Angélique, retenue prisonnière dans le


les

palais enchanté d'Atlante, et les efforts des chevaliers chrétiens


pour la délivrer '.
Le cardinal Antonio Barberini tint à honneur de monter
l'œuvre de son nouveau favori avec un luxe inoui. Le ii jan-
vier, Ottaviano Castelli écrit à Mazarin que le cardinal con-
sacre tout son temps aux préparatifs de l'opéra et y dépense
des sommes folles \ Rien qu'en bois pour faire les modèles
des machines et des décors on a gaspillé plus de 800 écus.
Le 23, il note qu'on travaille avec fureur aux costumes. Le

1. J'ai trouvé à Florence, à la Bibl. Na/.ionale, un livret manuscrit de cet opéra


sans indication d'auteur (ms. II, Palano d'Atlante incantato.
XI, 66), sous le titre :

2. Avec l'opéra Chi soffir speri, musique de Virgilio Mazzocchi et Marco Marazzoli,
représenté au carnaval de 1639. En février 1641, une lettre de Castelli nous apprend
qu'on joue chez le cardinal Barberini un opéra « musica di Mazzocchi e poesia di
Mons. Giulio Rospigliosi, distributia ai 21 ragazzi e recitata in una rimessa di car-
rozze, intitolata yi)iiiocenia difcsa, recitata già tre volte sin hora (ler février)... )->(Ron!c,
75, fol. 187 et 188). L'existence de cet opéra était jusqu'à ce jour
inconnu.
3. Si M. Kretzschmar avait réfléchi un instant au sujet de
l'opéra de Rossi, il se fût
moins hâté d'affirmer, dans son article sur l'opéra vénitien, que les rôles antagonistes
d'Angélique et à' Atlante étaient tenus par le même acteur : I.oreto 'Vittori. En l'espèce,

M. Kretzschmar a confondu le cavalier Loreto Vittori, chargé du rôle d'Angélique,


avec Loreto Sances qui représentait Atlante.
le castrat

-1. « IlGard. Antonio tutto il giorno spende nella direttione délia sua comedia
Si-

CCD spese indicibili et inutili essendosi sin' hora speso in legno per far modelli più di
Otto cento scudi, in modo che tutta la corte se ne maraviglia, et S. Em. è tanto fissa
in questo negotio che tralascia ben spcsso d'andar dal Papa. S' é già provata e riesce,
dicono, longa e lacrimevole... » Aff. Etr., Rome, 80, fol. 56.
l'opéra sous urbain VIII 27

bruit court qu'ils seront les plus beaux qu'on ait encore vus
sous le pontificat d'Urbain Mil'. Quant aux chanteurs, ce
sont les meilleurs de Rome, mais ils ne paraissent pas fort
satisfaits de leurs rôles. La musique de Luigi manque de
variété, elle est douloureuse et mélancolique depuis la pre-

mière mesure jusqu'à la dernière, et le spectacle durera sept


heures! Quel accueil recevra cet opéra si grave, d'un public
mis en joveuse humeur par le Carnaval et plus disposé à
rire qu'à pleurer "
?

Ces craintes étaient fondées et ni les réelles beautés de la


musique, ni les voix enchanteresses de Loreto Mttori, de Marc'
Antonio Pasqualini, de Mario Savioni, de Francesco Blanchi,
ni les costumes somptueux, ni les machines surprenantes'
n'empêchèrent le public de se morfondre et de regretter les
comédies musicales que données les années précé-
lui avaient

dentes Virgilio Mazzocchi Marco Marazzoli. Le 27 février,


et

M. de Lionne exprimait l'avis unanime en écrivant à Mazarin '


:

a Nous fûmes hier à la Comédie de M. le Cardinal Antoine le :

sujet est le Palazzo d'Atlante de l'Arioste. La despence en est


belle et la pièce est merveilleusement bien chantée, mais elle

ne laisse pas d'être extrêmement ennuyeuse parce qu'elle est


toute sérieuse et il n'y a rien d'entremeslé comme dans celle
du Maréchal d'Estrée '
». La critique assurément est juste du
point de vue théâtral et dramatique. En pur musicien, Luigi
Rossi n'a pas songé qu'il importait de ménager des contrastes
dans son œuvre. Il n'a pas su, comme le fera si adroitement
Lulli, trente ans plus tard, délasser par des airs joyeux, des
danses animées, l'esprit des auditeurs, fatigués d'entendre des
amants malheureux se plaindre de la rigueur du sort. Il

1. Rome, 80, fol. 177.


2. V. Henry Prunières, Les reprêsenhitions du Pald'io Ll'Atlttnlc à Rome, en 1(142.
(Sammelbâiide der I. M. G. I9I2,XIV, 2.)
3. M. Fraschetti les attribue au Bernin dans son ouvrage sur l'illustre napolitain.

(// Beniiui. Milano, Hœpli, 1900, in-40, p. 266.) Castelli, dans sa lettre du 23, dit
formellement que l'auteur en était Andréa Sacchi et qu'il réussit fort mal.
4. Aft'. Etr., Rome, 80, fol. 201-202.
5. Allusion à l'opéra d'Ottaviano Castelli « Drama Boscareccio musicale intilolato
:
:

Mi feci quel cJie non ero. Per esser quel cbe souo » représenté à l'ambassade de France
durant le carnaval de 1642. (Rome, 80, fol. 87.)
28 l'opéra italien en FRANCE

s'exhale de la partition du Pc}la::^io lïAiJciiUc une infinie tris-

tesse. Luigi, quand il l'écrivit, gardait-il de sa lutte avec la

maladie et de ses souffrances passées une invincible mélancolie,


ou bien son génie était-il naturellement porté à l'expression de
sentiments élégiaques et douloureux ? Il semble bien que cet
homme aflable, d'une politesse raffinée, fut un triste. Ses c^w-
:^oncUc les plus gaies ont je ne sais quoi de voilé et de lan-
guissant. Jamais on ne trouve chez Luigi de ces morceaux de
franche bouffonnerie qui égayent les opéras d'un Francesco
Cavalli '. Il sourit parfois, mais ne rit guère aux éclats. C'est

dans les situations les plus pathétiques qu'il donne sa


mesure.
Si l'on examine la partition du
au seul PaJa::;^o d'Atlante-

point de vue musical, on est surpris par nouveauté des ten- la

dances qui s'y manifestent. La mélodie, que l'abus des machines


et des décorations avait réduite au rôle ingrat d'une déclama-
tion aride et sans grâce, triomphe du récitatif Les musiciens
ont pris, au concert, pleine conscience de sa' puissance émotive.
Ils savent qu'elle peut toucher le cœur des auditeurs par la

seule vertu de sa beauté. Dès lors, ils cessent de l'unir à la


poésie et la laissent fleurir à côté d'elle. Luigi n'ose rompre
ouvertement avec le récitatif, mais il s'efforce d'en restreindre
l'usage et lui donne, en certains endroits particulièrement
pathétiques, une forme mélodique très accentuée '. On sent
bien qu'il le supporte avec impatience ^ Luigi n'est vraiment
lui-même que lorsqu'il peut traiter toute une scène à la
manière d'une vaste cantate, en enchaînant des airs déses-
pérés, des duos amoureux, des ariettes gracieuses par de
courtes phrases récitatives. L'opéra gagne ainsi en beauté plas-

1. Dans VOrfco il \- a des airs bouffes, mais les paroles seules sont vraiment
joyeuses.
2. On la trouve à laBibl. Chigi(Q.. V. 30), au Vatican (fonds Barberini), à Londres,

Conservatoire (no 1867), au Liceo Musicale de Bologne, et en copie au Conservatoire


de Bruxelles. La partition de Bologne est la seule où l'orchestre soit noté à cinq
parties.

3. Ainsi les beaux cris dWngélique captive Liissa ! chi nie soccorrc ! (L i).
:

4. V. par exemple le morne et ennuyeux récitatit de Ruggiero (I, 9), Fennati, Bra-

dcinnnite, ove l'im'oli !


l'opéra sous urbain VIII 29

lique ce qu'il perd en intérêt dramatique '. L'influence de la

virtuosité vocale se fait aussi très fortement sentir. Pourtant,


le désir de mettre en valeur les voix des chanteurs n'entraîne
pas encore le musicien à abuser des roulades et des traits.

Les ornements et les vocalises ont toujours un caractère

expressif, ce ne sont jamais de simples exercices d'acrobatie.


Enfin l'orchestre, qui jusque-là ne jouait qu'un rôle exté-
rieur -, intervient maintenant pour renforcer ou compléter
l'impression dramatique. Il peint la fuite incessante de Tonde ',

coupe de traits plaintifs les lamentations des amants.


Par ses qualités comme par ses défauts, le Pahi:;^o lÏA-

llantc est le prototype des opéras de Provenzale et de Scarlatti.


Il est première manifestation de l'esthétique napolitaine^.
la

On ne saurait trop attribuer d'importance à cette œuvre qui


marque l'avènement d'une école nouvelle, celle des cantatistes
romano-napolitains, plus épris de beauté formelle que de
vérité dramatique, plus préoccupés de pureté mélodique que
d'exacte déclamation lyrique. Luigi Rossi sera regardé comme
un maître par tous les compositeurs de cantates qui commen-
cent à faire parler d'eux, vers 1640. Il sera l'interprète du nou-
vel idéal qui va bientôt se répandre à travers l'Italie et l'Eu-

rope '.

Le rôle personnel de Luigi dans la création et la diffusion

1. M. C. Hubert Parry, après avoir exprimé son admiration pour certaines scènes

dramatiques du Pald:^:^o d'Athiiite, ajoute « This side of Rossi's musical character is


:

much less important than the conspicuous manner in which he illustrâtes the ten-
dencv of the âge among the Italians in the direction of organization or form, and
suavitv of stvle in writing for solo voices. » The Oxford History of Music. Vol. III. Tbc
Music of the seventeenth Ccntttry. Oxford, 1902 (p. 155).
2. Dans le Sa)i Alessio, il se borne à exécuter de grandes symphonies (ouvertures,

ritournelles et danses) qui n'ont rien de dramatique.


3. V. le magnifique air de la Pif tu ru dans le prologue, accompagné par
tout l'or-
chestre (publ. par Goldschmidt, Ihilieuische Ojvr..., p. 385).
4. Il est à noter que dès cette époque des troupes de musiciens napolitains donnent
des représentations d'opéras dans toute l'Italie. En 1646, le voyageur Evelyn en ren-

contre une à Milan : « This afternoon we were wholly taken up in seeing an opéra
represented by some Neapolitani, performed ail in excellent music with rare sceanes,
in which there acted a celebrated beauty ». Meiuotrs, 1827, t. I, p. 363.
5. En 1688, dans la dédicace de ses Cantate Morali e spirituali, Giacomo Antonio
Pertj déclare : « Ho procurato di seguiré alla meglio che ho saputo i tre maggiori
lumi délia nostra Professione : Rossi, Carissimi e Cesti. »
30 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

du Style de la cantate fut considérable. Xon moins célèbre


comme chanteur que comme auteur, il tenait dans sa maison
une sorte d'Académie musicale où fréquentaient, au témoi-
gnage d'un contemporain, les meilleurs virtuoses de Rome'.
Ses amis, Marc' Antonio Pasqualini, Marco Marazzoli, Loreto
Vittori, Mario Savioni, s'y retrouvaient et y chantaient leurs
compositions. Ces concerts devaient être d'un puissant inté-
rêt, car le Rome pour y étu-
jeune castrat Atto Melani, venu à
dier la musique
admis par Luigi à assister aux séances de
et

l'Académie, écrit à un prince de Toscane qu'il y a plus appris


en quelques séances qu'il n'a fait durant tout le temps qu'il est
demeuré à Rome jusqu'à ce jour. Dés lors, on comprend
mieux l'influence exercée par Luigi sur ses contemporains.
"
Des cénacles ont toujours préparé les révolutions artistiques
et celui de Luigi Rossi paraît avoir été un des plus actifs

et des plus féconds dont l'histoire musicale ait conservé le

souvenir.
Luigi écrivit époque une multitude de cantates, de
à cette

chansons et d'ariettes que nous trouvons disséminées dans les


recueils manuscrits du temps avec les compositions de ses '

émules ou de ses disciples Marazzoli, Carissimi, Tenaglia, :

Marc' Antonio Pasqualini, Mario Savioni, Cesti et surtout Carlo


Caproli del Violino, grand artiste dont nous aurons tout par-
ticulièrement à nous occuper par la suite.
Ce fut sans doute aussi avant son voyage en France que

1. « Arrivato qui in Roma il Siij,. Liiii^i e Sig. Marc' Antonio, i più bravi virtuosi
chc mai io abbia conosciuto ; et in vcro ci c da inipararc assai. Supplice l'A. \.
adesso che sono nel pei-rectionarmi, volcrnii lassar star tutta qucsta instate (sic) a
Ronia perché non havevo scntito il buono, et il sig. Luigi fa una Accademia in sua
casa questa state dove vi sarà tutti i meglio virtuosi di Roma, e mi ha per sua gratia
messo in questo numcro ; c gli assicuro chc sentirô più in uno di que' giorni che in

tutto il tempo che sono Roma... « Lettre d'Atto Melani au prince Mathias en
stato a
date du 4 juin 1644 (par Ademollo, Faiifiilla dclla Doiiieiiica, \v< ^2).
2. Ainsi à Florence à la fin du xvi^^ siècle la camerala Hardi d'oi\ partit le mouve-

ment mélo dramatique.


3. W'otquenne, liliidc biblio^^iitphitjuc sur le ioniposili'iu luipo/ihiiii Li<io;i Kossi.
jiruxelles, M. W'otquenne prépare une seconde édition très augmentée de
1909, in-iS".

ce catalogue thématique. —
J'ai publié dans le bulletin mensuel de 17. M. 6.
(XIV^' Jahr. 4 Hcft) mi inventaire thématique des ccMiipositions de Rossi au Conserva-
toire de Xaples.
L OPÉRA SOUS URBAIN VIII 3I

Luigi composa un nouveau alors, des


oratorio dans le genre,
Histoires Sacrées '. Giiiscppc Figlio di Giacohhe eut un très grand
succès dans Rome et fit de son auteur, pour un temps, le
rival de Carissimi, dont la glorieuse carrière commençait seule-
ment'. Cette faveur était méritée, et l'œuvre de Luigi témoi-
gnait de qualités musicales dont les maîtres romains étaient
en général assez dépourvus. L'abondance des idées mélodiques,
la souplesse du récitatif expressif et chantant, contrastaient
avec la sécheresse et la raideur des récits de Landi, de Mazzoc-
chi,ou même de Carissimi. Le poème était l'œuvre d'un per-
sonnage qui jouera un grand rôle dans la suite de cette étude ;

l'abbé Buti, protonotaire apostolique, docteur en droit canon


et l'un des principaux secrétaires du Cardinal Antonio Bar-
berini '.

Malgré leurs succès auprès du grand public, peu d'œaivres


de Luigi Rossi furent livrées à l'impression de son vivant. On
trouve pourtant des airs spirituels de sa composition dans un
recueil publié par Blanchi en 1640^ et, en 1646, quelques can-
tates dans les Ariette di Musica raccolte da Florido de Silvestris '.

Lorsque ce dernier ouvrage parut, Luigi Rossi se préparait à

passer en France où l'appelait son protecteur le cardinal Anto-


nio Barberini, contraint de s'exiler pour échapper aux persécu-
tions d'Innocent X.

J'ai retrouvé à la Bibliothèque Barberini la partition qu'on croyait perdue. (Btirb.


1.

lat. 4194-4193.) V. Noies sur la vie de Luigi Rossi (Stniiiiiellninde dcr I. M. G.


:

Xllejahr. I Heft).
2. Bien que Carissimi fut installé au Collège Germanique depuis 1630 (Haberl,
Kird'eiiiiiusikalisches Jabrhuib, 1893), il n'était pas encore très connu en 1640. Pietro
délia Valle, qui parle d'une messe entendue au Collège Germanique, dit ignorer le
nom du maître de chapelle.
3. V. Mandosio, Bihlioleca roiiiana... Romit, M.DCXCII, t. II, p. 44 et suiv. (Bibl.

Nat., Q. 575.) Buti à cette époque était fort connu à Rome comme poète. V. l'ode
écrite à sa louange par G. Porti, vers 1640. British. Muséum. Mss. Ital. 24.215, fo 120.

4. Rihxolta d'Arie spiritiiali a uiia, due e tre voci di diversi excellent issimi autori, Rac-
colte e date in hice da Vinceii:^o Biauchi. lu Roiua appresso Vistesso Vinceii^o Biauchi,
1Ô40, ded. Mousig. Vinceu^o Costaguala. Roma (25 sept. 1640), in-f», Bibl. Santa
Nous avons publié l'air spirituel Diva,
Cecilia. 03. F/6. tu che in trono assisa, dans le
supplément du Monde Musical du 28 février 191 3.
). Seul exemplaire connu à la B. Laurentiana de Florence.
32 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

III

Nous avons vu comment la pastorale florentine, inventée


par des artistes épris de raison non moins que de beauté, est
peu à peu devenue, au contact de la société romaine, une orgie

sensuelle où les compositeurs dépensent les inépuisables res-


sources de leur génie. La musique crée une atmosphère vo-
luptueuse autour de l'action romanesque et fantastique, tandis

que les décors et les machines transportent le spectateur dans


un monde irréel et enchanteur. Nous allons observer à Venise
une évolution analogue à celle qui emporte lopéra romain
vers l'esthétique napolitaine, mais cependant le milieu et les
conditions toutes différentes d'exécution, ne tarderont pas à
donner à l'opéra de Venise des traits originaux et caractéris-

tiques '. Dans quelques années, nous verrons successivement


triompher à Paris le style romano-napolitain et le style véni-
tien ; montrer très brièvement en quoi ces
aussi importe-t-il de
formes musicales, issues toutes deux de l'opéra romain des
Mazzocchi et des Landi, diffèrent l'une de l'autre, bien que
soumises également à la loi du plaisir.
C'est en 1637 ^^^^ ^^'^ romains Francesco Mannelli et Bene-
detto Ferrari étaient venus à Venise ouvrir presque coup sur
coup deux théâtres publics d'opéra. Les salles du San Cassiano
et du San Giovaiuii c PaoJo avaient été inaugurées avec des œu-

vres de leur composition ", mais ils avaient trouvé bientôt


parmi les musiciens fixés à Venise, de précieux auxiliaires. Dès
1639, 1*-' gr^nid Monteverde, qui dirigeait la chapelle ducale,
avait fait représenter l'opéra d'Jdoiif et, la même année, le

1. Sur Topera vénitien, voir Krt't/.schmar, Die Veiietianiscbe Oper. (Fierti'ljiihrsschrijf


fur Miisikivisseiisclktjl Brcitkopi, 1892.) Goldschmidt, Cuvai li al s d rainai ischer Koiit-
.

poiiisl. {Moiiatshcftc fi'ir Musik-Geschichte. 1893, n<'^ 3, 4, >.) Romain Rolland,


Uopi'ra eu Europe, p. 167 et suiv.

2. Le5(;;/ Cassiano ouvrit ses portes en 1637 et donna VAiidruiueila, poi:n\e de


l'errari, musique de Mannelli. Le San Giovanni e Paolo fut inauguré l'année suivante
avec V Ami Ida, poème et musique de Ferrari. V. Galvani, I tealri niusicali di Vene~ia
nel secolo XVII. Ricordi.
L OPERA SOUS URBAIX VIII 33

théâtre Scui Cassiauo avait donné les No:^:^c di PeJeo e cil TiiL
première œuvre dramatique du jeune Francesco Cavalli '.

Pier Francesco Caletti Bruni était né à Crema, ville sujette de


Venise, le 14 février 1602 ". Enfant, son admirable voix avait
attiré sur lui l'attention du Podestà de la province, le riche
patricien Federigo Cavalli. Celui-ci s'était intéressé au jeune
garçon et Tavait fait entrer, en 16 17, à la chapelle ducale de
Venise que dirigeait le grand Monteverde K Francesco Caletti
était là à bonne école. Il sut si bien profiter des leçons de son
maître qu'en 1640 il fut nommé organiste en titre de la cha-
pelle \ C'est alors qu'il renonça à son nom véritable pour
adopter, suivant une curieuse coutume du temps, celui de son
généreux protecteur.
En 1643, la mort de Monteverde mit Francesco Cavalli à la

tête du mouvement musical à Venise. Il devait, toute sa vie,


conserver cette haute situation et ne se la voir disputer que
par le seul Cesti. Ce fut véritablement un chef d'école. C'est
lui qui donna à l'opéra vénitien son caractère original, qui
mit à la portée des foules une forme d'art dont, seule, une
élite raffinée et curieuse de sensations rares avait fait ses délices

jusqu'alors.
A Rome comme à Florence, l'opéra avait été un divertisse-
ment princier. Seuls des monarques et des grands seigneurs
étaient assez riches pour pouvoir se donner ce plaisir fastueux.
Musiciens, chanteurs, librettistes et machinistes dépendaient
du mécène qui les faisait travailler. A \'enise, il en est autre-
ment. Le premier bourgeois venu peut, en payant sa place,
s'installer au parterre, acclamer ou conspuer l'auteur. Il ne
s'agira donc plus de plaire à un petit nombre de dilettantes

1. La partition est à San Marco (Codd. CC.CXV), le livret d'Oratio Persiani égale-
ment (Libretti Couiiucâic 1127).
2. Taddeo W'iel, Fiaiiccsco Cavalli. Cette substantielle notice a paru dans le
numéro d'octobre 191 2 de la revue The Musical A)iliqiiary.
:

3. V. Vogel, Claudio Monteverde (Fierteljahrsschri/t, 3. Jhrg. (1887) p. 360J.


4. Pour les détails de la vie de Cavalli, nous renvovons au fameux ouvrage du
Padre Caffi, Sloria délia iiiusica sacra. Le 18 février 16 17, Cavalli touche 50 ducats
comme chanteur de la chapelle ducale, le i'^'^ février 1628, il est mentionné comme
tenore, le ler janvier 1633, >1 touche 100 ducats et, le 22 janvier 1640, il est nommé
organiste.

3
34 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

avertis ', mais de séduire et fasciner une foule sans cesse renou-
velée, à l'humeur changeante, moins sensible aux délicatesses
de la forme qu'aux grands effets dramatiques et aux folles

bouffonneries.
Les premiers dramaturges de Venise, Ferrari et Monteverde,
se préoccupèrent assez peu de ces conditions nouvelles, ils

écrivirent leurs opéras comme s'ils eussent dû être représentés


sur une scène princière de Rome ou de Florence. Après
quelques tâtonnements, Cavalli comprit vite ce qui convenait
au public vénitien et le lui donna : des sujets en apparence
historiques, mais exposant en réalité des événements de la vie

journalière : luttes intestines, intrigues politiques, assassinats,


fêtes, triomphes, tout ce qui pouvait passionner un citoyen de
Venise au xvii^ siècle. Le peuple adorait les décorations somp-
tueuses -
; Cavalli demanda à ses librettistes' d'innombrables
changements de scènes, des descentes de divinités, des vols,
des apparitions, des invocations infernales avec tempête, grêle
et éclairs, des batailles rangées avec de nombreux cavaliers. Le
peuple prisait peu les chœurs ; Cavalli en vint vite à les sup-
primer. Le peuple n'aimait pas être trop longtemps ému ; il fit

comiques et les scènes dramatiques. Ainsi très


alterner les airs
rapidement, entre les mains de Cavalli, l'opéra prit un carac-

tère populaire qu'il n'avait jamais eu jusqu'alors. Le musicien


cesse de chérir les sujets élégiaques et poétiques, il ne cherche
plus qu'à traduire avec intensité les intrigues compliquées où

1. L'art n'en sera pas plus libre pour cela, car la tvrannle de la foule remplacera
celle d'une élite — ni plus sain, car le peuple de Venise est peut-être moins raffiné,
mais tout aussi sensuel et débauché que la société aristocratique de Rome.
2. Les machines surtout tiennent une place énorme dans l'opéra vénitien. En
1645, Evelyn décrit en ces termes la représentation de VErcole in Lidia de Rovetta :

« This night, having with mv Lord Bruce taken our places before, \ve went to the

opéra, where comédies and other plavs are represented in recitative Musiq b}- the
most excellent musicians, vocal and instrumental, with varietv of sceanes painted
and contrived with no lesse art of perspective, and machines for flying in the aire,
and other wonderfull motions taken together it is one of the most magnificent and
:

expensive diversions the wit of man can invent. The histor\- was Hercules in Lydia ;

the sceanes changed thirtcntimes... » Mémoire, t. I, p. 524, VErcole in Lidia ayant


été représenté au Teiilro Noz'issiiiio, il est probable que Torelli était l'auteur des
maciiines. L'opéra était chanté par Anna Rencia et la fameuse basse // dv/ot'^i'.
5. Busenello, Oratio Persiani, Giovanni Laustini, Giulio Cesare Sorentino, Xicolo

Minato, Andréa Cicognini, etc.^ etc.


LOFERA SOUS URBAIN VIII 35

se plaît l'âme vénitienne. Ce ne sont que « chasses à l'héritage


ou à la couronne, mariages d'état, enlèvements ou substitu-
tions déniants, conspirations, massacres, travestissements...
L'ensemble est informe, mais il vit '. »

Cavalli ne trouva pas sa voie du premier coup. Si le livret

des Aa;~t' di Pelco e di Teti est déjà un prodige de mauvais

goût, la musique ne témoigne pas encore de cette force drama-


tique qui, par la suite, transfigurera les sujets les plus insigni-
fiants ". Les décors et les machines passent visiblement avant
la poésie et la musique. Cette conception va triompher avec
les i^>.^Y^ /^rt^ra//' représentées au cours des années suivantes :

Finta Pa:^^i, BeUerofonîc, J\iicrc gcJosa. Dans ces pièces, le

poète et le musicien '


ne jouent qu'un bien piètre rôle auprès de
l'illustre architecte Jacomo Torelli dont les machines surpre-
nantes font courir la foule au Teatro Xovissimo. Ilsemble na-
turel à tout le monde que, seul, son nom s'étale en lettres ma-
juscules sur les titres des livrets et que celui du compositeur
Sacrati ne soit même pas mentionné^.
Cavalli, dans sa Didom' {i64i),sq montre encore fidèle à la
tradition de Monteverde >
; mais, dès 1642, le livret insipide de
YEgisto est pour lui un prétexte à pratiquer avec adresse le style

de cantate '\ On a prétendu que YHgislo, composé pour la cour


de Vienne, en 1642, et monté au San Cassiano, en 1643, avait été
représenté à Rome dès l'année suivante '. Cela est possible,

1. Romain WoWand, L'opéra eu Europe, p. 167, 161S. Les pages, auxquelles nous
empruntons ces dernières lignes, évoquent de manière frappante Tesprit de l'opéra
vénitien au xviie siècle.
2. Les symphonies sont pourtant fort intéressantes. Les ballets, alertes et bien
rythmés, tiennent une place importante dans la partition. La Symphonie infernale du
1er acte est d'uu effet saisissant. A noter aussi une curieuse « sinfoiiia di viole » à

l'acte IL

3. La musique de toutes ces pièces était de Sacrati, musicien dont l'œuvre a presque

totalement disparu. V. Ademollo, Priiiii fasti della iiiusica italiana a Paric;i. Ricordi,
p. 95 et suiv.
4. V. le titre du Bellerofonte. Venise, 1642. (Bibl. Xat. Réserve Yd. 55.)
,

5. Surtout dans le beau récit de Didon abandonnée, d'une déclamation si juste, d'un
art si sobre et si puissant. Le livret de Busenello est Pourquoi faut-il
bien construit.
qu'un dénouement ridicule gâte tout Didon désespérée se console en épousant
:

larbas ! !La partition est à la Marciana C9879), le livret également (Coiiiniedie 1 1 28).
6. Cet opéra sera représenté à Paris au carnaval de 1646.
7. V. Ademollo, Teatri di Ronia, p. 51.
3 l'opéra italien en frange

mais ne prouverait point que Topera vénitien exerçât déjà avec


force son influence sur les musiciens italiens, cdvYEgislo relève
directement de l'esthétique romano-napolitaine. Dans quelques
années seulement, Cavalli écrira des œuvres où se manifestera
dans sa plénitude l'originalité de son génie. Jusqu'alors, il

s'est souvenu de son maître, Monteverde, dans les grands

récits dramatiques et a profité des trouvailles mélodiques


et rythmiques de l'école romano-napolitaine '
pour ses airs,
ses duos, ses ariettes et ses chansons. Sa technique n'est
pas foncièrement originale, mais l'emploi qu'il en fait lui est

personnel. Comme les peintres de son pays, Cavalli voit grand.


Il ne s'attache pas au petit détail, mais considère l'ensemble.
11 composer une scène ou un acte avec un sens merveilleux
sait

de dramatique. Enfin, il emploie l'orchestre'' d'une ma-


l'effet

nière toute nouvelle pour commenter les événements qui se


déroulent sur le théâtre et pour substituer au décor peint un
véritable décor sonore. Il brosse de vastes fresques la mer qui :

s'agite', les soldats qui se ruent à l'assaut ^ les hordes infer-


nales '... Cavalli est un coloriste, et en cela encore il rappelle
le Tintoret ou Véronèse. Il est d'ailleurs comme eux parfaite-
ment indifférent aux sujets qu'il traite et ne leur demande que
d'abondantes suggestions musicales ^
Ainsi, tandis qu'à Rome l'opéra aristocratique trouvait en
Luigi Rossi son plus parfait représentant, un art dramatique
nouveau commençait à fleurir à Venise, moins parfait certes

1. Hn revanche, il semble dédaigner les recherches harmoniques, c'est un point


qu'il a de commun avec Lulli. Il tire des efl'ets saisissants d'accords d'une simplicité
extrême.
2. V. Heuss, Die Vciieliaiiischcii Opci a-Siitfouicu. Saiiniiellniink lier I. M. G.
Tome IV, 3.

5. Didoiie, i64i.ActeII, se. 5. Sinjonia Navale.


4. Didoiie, Acte l^^, se. 3.
5. N0:^:^1' di Pi'Ieo e di Tcti. Coiuilio Injciiialc. Acte I^i, se. i.

6. Faut-il rappeler à nouveau l'aventure si caractéristique qui lui arrive en travaillant


à l'opéra de CaJisto ? Il oublie que trois personnages sont eu scène et écrit bravement un
duo ; il s'aperçoit de son erreur seulement lorsque sa composition est presque ter-
minée, il rature alors ce qu'il vient de faire et recommence un trio. (V. Kretzschmar,
op. cit.) — M. Romain Rolland cite aussi le duo de larbas et de Didon et celui d'Elio-
gabale où il applique une musique gaie à une situation triste. {L'opéra en Europe,
p. 172.)
l'opéra sous urbain viit 37

et moins riche que celui-là, mais plus libre, plus vivant et plus
robuste. Nous trouverons ces deux esthétiques aux prises à la

cour de Louis XI\' où elles se produiront sous les auspices de


Mazarin.
CHAPTTRF, TT

LES PRli.MIliRS OPliRAS RHPRHSENTÉS A PARIS


(1643-1646)

I. Mazarin et la musique. — Ses relations avec le monde du théâtre à Rome. —


La Leonora Baroni. — Visées politiques de Mazarin sur l'opéra.
II. Premières tentatives de représentations lyriques à Paris. — Voyage de Marco
Marazzoli et de la Leonora. — L'opéra inconnu du Carnaval de 1645.
IL La Fiiita Pa~~a. — Hostilité des comédiens italiens contre les musiciens. — Leurs
démêlés avec Jacomo Torelli. — Succès de la Fiiila Pd'ia.
IV. Le Grand haîiet du duc d'EiioJjicn. — U]:gisto de Cavalli au Carnaval de 1646. —
Arrivée des Barberini à Paris.

Mazarin avait gardé de sa jeunesse un goût très vif pour la


musique. Sa première enfance s'était passée chez les pères de
l'oratoire de Saint Philippe de Xéri ', dont les concerts et les
offices étaient célèbres par toute Tltalie. A sept ans, il était

entré au collège Romain où la musique n'était pas moins en


honneur. Chez les Jésuites, il se lia avec les enfants du conné-
table Colonna, et, avant soutenu ses thèses, en 1618, il fut dési-

gné pour accompagner un de ces princes en Espagne. Quand il

en revint, en 1622, il trouva Rome en proie à la passion des


opéras. Le succès de VAretiisa avait engagé les grands seigneurs
à monter avec faste des drames musicaux. Les Jésuites, tou-
jours épris de somptuosité, ne voulurent pas être en reste et
firent jouer par les élèves du CoUegio roiiiiino une pièce à grand
spectacle mettant en scène la vie et les actes de saint Ignace de
Loyola et de saint François-Xavier '. La musique était l'œuvre

1. V. Victor Cousin, La jeimesse de Ma:{arin.


2. La partition manuscrite se trouve à la Hofbihliothek de Vienne, ms. 16013.
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 39

de Joh. Hieronymus Kapsbcrgcr '


qui remportait alors de
grands succès mondains. Le jeune Mazarin devait témoigner
de rares dispositions pour le chant et la comédie, car ce fut à

lui que s'adressèrent ses anciens maîtres pour tenir le rôle de

Saint Ignace. Si l'on en croit un de ses biographes, il s'acquitta


de cette tâche le mieux du monde et mérita des applaudisse-

ments unanimes -.
Mazarin neut plus guère l'occasion de faire admirer ses
talents de chanteur. 11 mena dès lors une vie fort agitée :

capitaine d'infanterie dans un régiment pontiiical, il prit part


aux opérations de la \'alteline sous les ordres d'un Colonna,
puis il entra au service du cardinal Antonio Barberini et '

l'accompagna en Lombardie, en qualité de secrétaire de la léga-


tion chargée par Urbain Mil de régler la succession du duché
de Aiantoue. On sait que ce fut grâce à l'habileté et à la déci-
sion de Mazarin que fut signée la paix de Cherasco, le
6 avril 163 1. De retour à Rome, à l'automne de 1652, Mazarin
devint l'intendant général du cardinal Antonio Barberini. Il se

trouva donc à bonne école pour connaître et apprécier le mou-


vement mélodramatique. Il seconda sans doute son patron
dans l'organisation des fastueuses représentations du San AJcssio
qui firent les délices de Rome aux carnavals de 1633 et de 1634.
Chez le cardinal Antonio, Mazarin put voir défiler les plus
illustres musiciens du temps. Mrgilio Mazzocchi, Frescobaldi et
Girolamo Kapsberger touchaient une pension du magnifique

composa uu nombre considérable de tablatures, de motets,


i.J. H. Kapsberger
de chœurs, où l'on peut remarquer un sens assez hardi de l'harmonie (V. les
d'airs,
exemples cités par Kircher dans le livre \'II de la Miisiiigia Uiirversalis). Kapsberger
futau début du pontificat d'Urbain VIII le compositeur officiel des Barberini. Il mit
en musique les vers latins du pape et composa un chœur nuptial pour le mariage de
don Taddeo Barberini avec donna Anna Colonna (V. Allatius, Apes Urhaiix. Romit,
1635 p. 1 59 (B. N. K 9543). Un peu plus tard, sans faire partie de la maison du cardinal
Antonio, il reçut de lui une pension mensuelle de 36 giuli, comme Frescobaldi et le
vieux Virgilio Mazzocchi. (Comptes de la luaison d'Antonio Barberini (1637-1642), à la
Bibl. du Vatican.)
2. Elpidio Benedetti, Raccolta di diverse inemorie per scrivere la vita de! cardinale
Giulio Ma~~arii!i Roniano. Lyon (in-40, s. d.). ^ Bibl. Nat., Lbî7/2285.
3. Brienne raconte que ce fut sur la présentation du cardinal Bentivoglio {Mémoires,
éd. Barrière, I, p. 284). Nous verrons plus loin que la chanteuse Leonora Baroni
n'avait peut-être pas été étrangère à l'entrée de Mazarin au service du cardinal
Antonio.
40 I. OPERA ITALIEN EN FRANCE

prélat '
; D. Filippo Vitali, le Cavalier Loreto Vittori, Marc'
Antonio Pasqualini nombreux artistes, célèbres pour
et de
leurs talents de compositeurs ou de chanteurs, faisaient offi-
ciellement partie de sa maison. A en juger par le portrait tracé

par Brienne, qui ne connu que vers


l'a la fin de sa vie, Maza-
rin, à trente ans, devait être l'homme
le plus séduisant du

monde. « Il était de belle taille... Il avait le teint vif et beau,


les yeux pleins de feu... Il avait grand soin de ses mains qui

étaient belles et propres... Il avait du cœur, on ne peut le nier...


Il aimait les spectacles et la comédie, les ballets et les fêtes,

mais le jeu surtout \.. » \'ers 1630, Mazarin jouait avec empor-
tement et menait une vie fort dissipée. Il était très répandu
dans le monde du théâtre et fréquentait assidûment les Aca-
démies de musique qui se tenaient dans les maisons des artistes

en vogue. On assurait qu'il était l'amant d'une des cantatrices


les plus fameuses de Rome : la Leonora Baroni.
La Leonora était fille de la hcIFAdviaiia dont les charmes
avaient été célébrés, durant de longues années, par les seigneurs
et les poètes de la cour de Mantoue où elle brillait '. Née dans

cette ville, la Leonora était venue se fixer à Rome où sa voix


merveilleuse et son esprit l'avaient bientôt fait connaître. Elle
avait acquis dans les cours princières où elle avait été élevée,

une distinction dans ses manières et ses propos, un usage du


monde qui faisaient rechercher sa société par les plus grands
personnages de Rome. Les poètes publiaient des recueils de
vers à sa louange ^ Milton l'aima et la chanta'. Le cardinal
Rospigliosi — le futur pape Clément IX — la célébra dans un

1. Archives Barbcrini à la Bibl. du Vatican, Siilurii c Coiiipainiiici dcl card. Antonio


Bai'bcriiii. Tome XXVII (ancien inventaire).
2. Mémoires de Loiiiàiîe de Brienne, édit. Barrière, 1828 (in-80), t. II, p. 14 et 17.
3. V. Ademollo, La bell' Adriana. Fanfulla délia Donieniea, n" 52. Année 1881.
4. Applaasi poelici aile glorie délia sif^nora Leonora Jlaroni. Roma, 1639 et 1641.
5. Il la compare à la Leonora du Tasse :

Ad Lcononini Rom:r Canoitcin


Altéra Torquatum Leonora poetam
cepit
Cujus ab in.sano cessit amore furens
Ah miser : ille tuo quanto t'clicius oevo
Perditus, et propter te, Leonora, toret.

V. Ademollo, La Leonora di Millon. Fanfulla délia Donu'iiica, n"4). Année 1883.


Opinione, 1879, nos 227, 228, 230, 232.
LES PREMIERS OPÉRAS A PARIS 4I

sonnet enthousiaste. Le français Maugars qui assista à l'un des


concerts qu'elle donnait dans sa maison, oubliait en l'écoutant
sa condition mortelle et croyait « l'stre ilcsjù piiniiy les anges,

jouissant des anitoiteineus des bienheureux '


». Ces concerts étaient
fort courus, et les mélomanes de Rome se pressaientdans la
salle où elle chantait, tantôt seule en s'accompagnant sur un
théorbe, tantôt en trio avec sa mère, qui touchait de la lyre, et

sa sœur, qui jouait de la harpe. Maugars nous a tracé de cette


artiste un portrait enchanteur: « Je croirois icy faire tort à la

vertu de cette illustre Leonora, si je ne vous faisois mention


d'elle d'une merveille du monde... Je me contenterai
comme
seulement de vous dire qu'elle est douée d'un bel esprit, qu'elle
a jugement fort bon pour discerner la mauvaise d'avec la
le

bonne musique, qu'elle l'entend parfaitement bien, voire mesme


qu'elle y compose ce qui fait qu'elle possède absolument ce
:

qu'elle chante et qu'elle prononce et exprime parfaitement bien


le sens des paroles »... Le violiste Maugars eût été assuré-

ment bien étonné si on lui eût dit que, cinq ans plus tard, il
pourrait entendre à Paris cette musicienne accomplie.
Mazarin —
qu'il fût l'amant ou simplement l'ami de la Leo-

nora — ne laissa pas de profiter de son intimité avec la célèbre


cantatrice pour se pousser dans le monde. Le souple diplomate
méprisait les femmes, mais savait à merveille les faire agir au
mieux de ses intérêts et de son ambition. Il garda toujours à
la Leonora une reconnaissance attendrie de ce qu'elle avait fait

pour lui. La lettre qu'il lui écrivit de Turin, le 12 janvier 1641,


pour la féliciter de son mariage avec Giulio Castellani, obscur
secrétaire du cardinal Francesco Barberini, en est un précieux
témoignage. « \i l'éloignement, proteste-t-il, ni aucune autre
cause ne pourra m'arracher de la mémoire les raisons que j'ai de
demeurer toujours votre serviteur très dévoué et de prendre
ma part de tout ce qui pourrait vous arriver dans l'avenir -.»
1. Maugarj, Responcc faite à un curieux..., éd. Thoinan, p. 56. Pietro délia Valle,

dans sa lettre sur la musique de son temps (janvier 1640), s'écrie de même Chi : •

non va fuor di se sentendo cantar la signora Leonora col suo archileuto cosi franca-
mente et bizzarramente toccato ». (Doni, Lira Barberina, t. II, p. 256).
2. Voici le texte de cette lettre encore inédite « Non vi è punitione, che non
:

meriti chi per tanti rispetti si professa, come taccio io, partialissimo servitore di V. S.,
42 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Quel était ce service mystérieux rendu par la Leonora à Maza-


rin ? En pleine Fronde, le curé de Saint-Roch accusa le cardi-
nal, dans un pamphlet, de s'être mis dans les bonnes grâces

d'Antonio Barberini par l'entremise d'une « comédienne chan-


teuse », « une infâme qu'il avait débauchée à Rome' ». Cette
« infâme » est évidemment la divine Leonora. Faut-il supposer
que Mazarin dut à l'intervention de la chanteuse ses premières
charges à la cour d'Urbain Mil? L'hypothèse est vraisem-
blable. La Leonora jouait déjà à cette époque un grand
rcMe dans la société romaine, elle était adulée et courtisée par
les princes de l'Eglise et les plus grands seigneurs de l'Italie.

Dès lors, rien d'étonnant à ce qu'elle ait usé de son influence


pour intriguer en faveur d'un jeune homme qui était peut-être
son amant. L'accusation du curé de Saint-Roch trouve un sin-
gulier fondement dans les attentions que, toute sa vie, Mazarin
ne cessa de prodiguer à la cantatrice. Avant son arrivée au pou-
voir, il lui envoie des dentelles d'Angleterre, des rubans de
soie, des bijoux -. Devenu premier ministre et maître du cœur
de la reine, i-1 la ûiit venir en France, lui prodigue les honneurs
et les présents et la renvoie avec une pension considérable
qu'elle touchera jusqu'à sa mort.
Nommé, en 1634, vice-légat d'Avignon, Mazarin dut quitter
la Leonora et les délices de la vie romaine pour se consacrer à

et ha sin'hora tardato a rallegrarsi délia conclusione del suo matrimonio. Mi consolo


perô sapendo che, pcr grande che mancaniento, sarà sempre maggiore la sua
sia il

humanità alla quale appelle per il pcrdono. Se le lettere di V. S. mi sono capitale


in Picmonte, doppo havere la prima fatto il giro délia Francia, dove, sperando di
essere ogni giorno di ritorno, attenderô a sodisfare di coIà aile mie obligationi per
accompagnare la risposta con qualche galanteria di quelle parti. Hor' veda V. S., se
questa è buona testa Ma intanto benchè rimetta Tadempimento délia seconda parte
!

giunto che io sia alla corte, non voglio diHFerire più ad assicurarla che la lontananza,
ne alcun' altro accidente havrà mai forza di togliermi délia memoria le ragioni che
ho di essere sempre devotissmio servitore di V. S. e prendere parte in ogni suo avve-
nimento. La prego di assicurare il sig. Giulio del mio affetto, rimettendomi nel
rimanente ail' eshibitore di questa, che sarà il mio segretario, etc. « Aff. Etr.,
France, 259, f" 232.
1. Lettre d'un religieux envo\ée à Monseigneur le prince de Condé à Saint-
Germain-en-Laye, contenant la vérité de la vie et des mœurs du cardinal Mazarin
(Ciniber et Daujou, Arcb. curieuses de Plnsloire de France, t. VII, p. 434).
2. Lettres d'Elpidio Benedctti de l'année 16^1 (Rome, 74, f" 235 vo et f" 309. —
Rome, 75, fo 105, fo 240).
LES PREMIERS OPÉRAS A PARIS 43

la diplomatie. Il fut, peu après, envoyé à Paris en qualité de


nonce et n'en revint qu'en 1637, à temps pour assister aux
magnificences du Carnaval. Il put ainsi entendre les opéras du
cardinal Antonio II FaJconc, Eruùnia suJ Giordano, Chi soffre
'
:

speri, la GaJatca. Mais tous les plaisirs de Rome ne pouvaient


étoufier en lui l'ambition : il sollicita sa naturalisation fran-
çaise, et, l'ayant obtenue, il partit pour Paris où il ne devait
pas tarder à se rendre indispensable.
Avant son départ, il avait, en 1639, fait représenter à l'ambas-
sade de France un opéra de son ami Ottaviano Castelli dont le

livret, dédié cà Richelieu, exaltait les vertus du roi de France et

de son puissant favori -. Ainsi Alazarin, tout en satisfaisant sa


passion pour la musique et le théâtre, ne perdait pas de vue son
intérêt et faisait adroitement sa cour au ministre.
M. Romain Rolland a fort bien mis en lumière le but poli-
tique visé par Mazarin en introduisant l'opéra en France.
Ily voyait un merveilleux instrument de séduction et de
domination. Pour gagner à sa cause les seigneurs hostiles
qu'agitait déjà un souffle de Fronde, pour les détourner des
affaires publiques, il crut qu'il suffirait de les amuser mieux
qu'on n'avait encore fait jusqu'alors. Fort de sa devise « qui a
le cœur, a tout », il espéra se les concilier en leur offrant le plus
magnifique des divertissements. Il connaissait également l'effet

des spectacles sur le peuple et crut apaiser les plaintes dos


bourgeois, écrasés d'impôts, en leur donnant des fêtes. Autant
eût valu jeter un os à un chien affimé !

Les visées politiques de Mazarin sur l'opéra peuvent sembler

1. Le nom de Giulio Mazzarini ouvre la liste des officiers domestiques du cardinal

Antonio Barberini pour l'année 1637 (tome XIV de l'ancien inventaire des archives
Barherini (fo i). Ce fait me semble avoir été ignoré des historiens. Cette année-là, les
musiciens de la maison du cardinal étaient Filippo Vitali, Marc' Antonio Pasqualini,
Loreto Vittori, Lorenzo Sancez et Marco Marazzoli (encore dénommé aiutaiitc di :

Caméra). Mazarin figure aussi en tête des officiers d'Antonio Barberini sur les comptes
de 1638 et 1639.
2. La Siiicerità trioiifaiile, ovcro l'Erculeo Ardire favola hoscareccia. Dedicata al-
l'Einr^o et Revmo Sig. Card. di Riscigliii et rappresentaia ml Palano deJl' 111^" et
Ecc^°
sig.Marchese di Coure Marescial di Frauda, Awhasciatore... Composta del sicr. Otta-
viano Castelli da Spoleti, Doltor di legge
e diMediciua et posta iu musica dal si^. Cecchiui.

Musico del sig. Dura di Bracciano. Roma,M.DCXL (Bibl, Xat., Yd. 706. La première
édition de 1639 se trouve aussi à la Bibl. Nat., Yd. 705, in-40.)
44 L OPERA ITALIEN EN FTANCE

d'un machiavélisme puéril à qui ignore le rôle joué par la

musique dans la société romaine du xvii^ siècle. C'était un fait


connu de tous que les princes italiens avaient encouragé son
développement par intérêt politique, par raison d'état. Le com-
positeur Kuhnau le constatait non sans amertume dans son
Charlatan iiiiisica] ' ."
« La Musique, écrivait-il, fait diversion aux
pensées du peuple, elle l'empêche de regarder les cartes des
gouvernants'. L'Italie en est un exemple; ses princes et ses

ministres l'ont laissé infecter par les musiciens afin de n'être


point troublés dans leurs affaires \ »

On ne saurait mettre en doute l'importance que Mazarin


attachait à la réalisation de ses desseins sur l'opéra. Au début
de la Fronde, nous verrons la police informer sous main
contre ceux qui parlent mal de l'opéra et embastiller des poètes
soupçonnés d'avoir exercé leur verve satirique aux dépens de
VOrfeo. Mais toutes ces raisons d'ordre politique ne suffisent
pas à nous expliquer l'enthousiasme de Mazarin pour l'opéra
et la ténacité qu'il déploya jusqu'à son dernier jour pour

l'imposer à l'admiration des Français.


A peine revenu d'exil, il oublie les reproches sanglants qu'on
lui fit naguère des dépenses excessives de YOrfio et monte avec
somptuosité les No;{^e ili PcJco c di Tcli. Il multiplie les lettres
à ses ambassadeurs pour leur
correspondants étrangers et à ses

demander des musiciens. Il entremêle les instructions diploma-


tiques les plus graves de recommandations au sujet d'un castrat
ou d'une virtuosa qu'il désire attirer en France. Les répétitions
de l'opéra sont-elles commencées, il consigne sa porte et sus-

pend les affaires en cours pour y assister. Il stimule le zèle des

machinistes, donne son avis sur la musique, le livret, la mise


en scène. Il ne quitte plus le théâtre jusqu'au jour de la pre-

mière où il écoute la pièce avec autant d'émotion peut-être que


s'il en était l'auteur.

1. Dey Musicalisclk' Ouach-Salhcr. Leipzig, 1700, cli. 43.


2. Passage cité et traduit par Romain Rolland. Le premier opéra joué à Paris. Miisi
cieiis d'Autrefois, p. 60.
3. C'est là un lieu commun au xviK siècle : « J'avois bien entendu dire sur le théâtre
que la politique avoit besoin de la musique... » déclare un personnage des dialogues
de Bordelon. Les Malades eu l>el Ijiiuieiir. 1(396, p. 35.
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 4 5

Ce sont là mœurs italiennes. A Rome, le patron de Mazarin,


le cardinal Antonio Barberini, n'agissait pas autrement et, lors-

qu'un opéra se préparait, ne voulait plus entendre parler d'autre


affaire '. Le jeune Mazarin, lorsqu'il contemplait dans la vaste
salle des Quattro Fontaiie les magnificences scéniques du San
Alcssio ou de YEnuinia, devait rêver au jour où, lui aussi, il pour-
rait ordonner de semblables merveilles. Certes Mazarin sut fort
à propos se servir de la musique et de l'opéra pour séduire la

reine et pour apaiser les récriminations des courtisans, mais au


fond, en montant YOrfeo, il ne fit que sacrifier à l'idéal qu'il
s'était formé au temps où jeune, libertin et joueur, il s'amusait

en compagnie d'artistes, de chanteurs, de poètes et de musi-


ciens, rencontrés dans les Académies et les tripots de la Ville
Eternelle.

II

A la cour de France, Mazarin n'eut pas à dissimuler sa


passion pour la musique et sa réputation de connaisseur ne
put auprès de Louis XIII et de Richelieu, tous deux
lui nuire

o^rands mélomanes. Louis XIII, en ses dernières années, consa-


crait à la musique la majeure partie de son temps. Il vivait

reclus, entouré de ses chantres et de ses valets de chambre


auxquels il faisait interpréter des motets de sa composition -.
C'était là, maintenant que la maladie le privait de la chasse,
son seul plaisir. Richelieu se piquait lui aussi d'aimer la mu-
sique \ Il versait des larmes en écoutant Madame de Saint-

1. Lorsqu'il prépare les représentations du A//i;:;;^o </'.:///(;«/(', il néglige même d'aller


voir lePape. Rome, 80, t" 56.
2. Rien de plus curieux à cet égard que le récit Mémoire fidèle
de Dubois intitulé :

des choses qui se sont passées à la mort de Louis XIII... (Fiance, Le roi (S48, 1° 56). —
reçoit l'extrême-onction le jeudi 23. « Le vendredi 24... il commanda à M. de Niel,
premier vallet de garde robbe d'aller prendre son luth et chanta des louanges à Dieu :

Lauda anima mea dominum et fist aussv chanter Sainct Martin, Cambefort et Ferdi-
nant qui chantèrent en partie des airs que le Rov avoit faict sur les paraphrases des
pseaumes de David par le sieur Godeau et ne feut chanté que des airs de dévotion et
mesme le Roy chanta quelques-unes des basses avec le Maréchal de Schomberg... «

3. Deloche, La Maison du cardinal de Richelieu. Paris, Champion, 1912.


/\6 l'opéra italien en FRANCE

'J'homas lui chanter des airs italiens '


et se délectait à ouïr
André Maugars jouer de la viole. Mazarin trouva donc en
arrivant en France à c]ui parler. Il ne perdit pas une si belle
occasion de faire sa cour au ministre et écrivit à ses amis d'Italie

de envoyer régulièrement des ariettes et des chansons. En


lui

i6|i, Ottaviano Castelli voulant remercier Richelieu de la


charge qu'il lui avait octroyée de iiiaitrc des postes françaises,
sempressa de lui adresser un recueil, précieusement relié en
maroquin ciselé et doré, contenant des airs et des cantates de
Luigi Rossi, Carissimi, Mario Savioni, Carlo Caproli et autres
musiciens excellents \ Ce présent fut sans doute accueilli avec
satisfaction, car dés lors, il est rare que le poète écrive à Maza-
rin sans joindre à sa lettre quelque eaii:^onetfa nouvelle pour

1. \'oir dans le Kiriii-il Jcs cpilics en vers htiilesques de //'' Scarrou et d'antres
aitthenrs, sur ce qui s'est passé de plus reiiiarijuable en Vaiince i6) ) Paris, Lesselin,
MDCLVI. » (B. de l'Arsenal, B. L. 9523, in-40.) la description d'un festin que font
ensemble Scarron, Louis de MoUier, sa femme, sa fille et Colletet chez d'Anglerre.
La Saint-Thomas \' chante :

« La Saint Thomas toute clianiiantc


Avecque s.i voix excellente
Fit les escoutans larmoyer
Tant elle sçait bien employer
Sa voix et sa belle manière.
Le Teorbe du cher Molliére
En ce rencontre fit des mieux,
J'e eus deux fois l'a larme aux yeux.
Armand en faisoit davantage,
Q.uoique cent l'ois plus que moy sage.
Lorsque ravy, lorsque charmé
Far un languissant Ohimé
D'une clianst)n italienne,
C).u"avec sa \oix magicienne
Fort souvent elle luy cliantoit
Contraint de pleurer il estoit. »

(P. 47)-

de Castelli à Ma/.arin en date du 11 août 164 1


2. \'. la lettre « Con l'ord" passato :

inviai a V. S. Ill"'* un libro dorato pieno d'Ariette scelte per donarlo, se cosi parera
alla sua prudenza, al S. Card. Risvegliu {sic) e per il medesimo una canzone fatta
sopra la morte del Re la c]uale essendo stata stimata molto sopra la mia
di Svetia,

credenza presi ardire mandarla ». (Rome, 74, f" 448.) Je suis persuadé que le livre
di

en question n'est autre que le Recueil Réserve \mi 59 de la Bibliothèque Nationale


:

où se trouvent réunies les œuvres de l'école des cantatistes romains vers 1640. On y
relève 15 airs de Luigi Rossi, de Marco Marazzoli, 12 de Mario Savioni, 3 de Caris-
t,

simi, ) de Carlo (Caproli, ! de Trancesco Boccalini, i d'Orazio dell'-Arpa, i de


Virgilio Mazzocchi, etc. Les poètes nommés Monsignor Rospigliosi, Domenico
sont :

IkMiigni, Francesco Buti, Baldini, Melosio, Giustiniani etc. Quant à la canzone sur la
mort de Gustave Adolphe, il s'agit de la cantate de Luigi Rossi, L'ii Jerito cavaiiere.
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 47

Richelieu. 11 n'a garde d'oublier non plus de lui envoyer les par-

titions et les livrets des opéras qu'il compose, à chaque carna-


val, pour être représentés au palais Farnèse chez l'ambassadeur
de France. Nous sommes moins exactement renseignés sur les
rapports artistiques de Mazarin avec le monarque, mais à coup
sûr Louis XIII connaissait bien l'amour du cardinal pour la

musique voulant lui être agréable au lendemain de la


:

mort de Richelieu, il envoie quérir à Saint-Germain l'excellent


chantre et compositeur Jean de Cambefort pour le donner
de sa main au nouveau ministre d'état.
Mazarin savait faire montre d'une folle prodigalité quand
son intérêt le commandait. Plus d'une fois, il avait étonné
Louis XIII et Anne d'Autriche par sa générosité et sa magnifi-
cence. Il pour plaire aux souverains, de leur donner le
résolut,
plaisir d'une comédie musicale à la mode italienne. A cette fin,
il écrivit à Rome à son agent l'abbé Elpidio Benedetti de s'em-
plover à réunir une troupe d'opéra et d'engager le fameux com-
positeur Marco Marazzoli à passer les monts '. Sur ces entre-
faites, Richelieu mourut. Mazarin, sentant qu'il importait plus
que jamais de se mettre dans les bonnes grâces du roi et de la

reine, pressa Benedetti d'envoyer les chanteurs et celui-ci lui


répondit, le 7 mai : a On fera diligence pour trouver les musi-
ciens que désire Votre Eminence et j'en ai déjà entretenu le

Signor Marco Marazzoli qui a presque complètement perdu


l'espoir de pouvoir faire ce voyage. Pour les castrats, le meil-
leur serait Giuseppe qui servait D. Taddeo % mais je crois qu'il
ne voudrait pas à moins de vingt écus par mois de gages et
d'un cadeau pour le voyage '. »

Cette troupe d'opéra qu'on s'occupait si activement de réunir

1. Lettre d'Elpidio Benedetti à Mazarin du 4 janvier 1643 • " ^^ ^''- Marco del-
l'Arpa, richiestone da me, va' spesso a trattenerlo e, se gli fosse permesso dal S. Gard.
Antonio, volentieri anco nel viaggio nel suo ritorno alla Corte. lo cerco
lo servirebbe
di servire il quanto vai^lio et essendo stato appunto questa mattina a
dette Sig"". in
vederlo, ho trovato ch' era con due archittetti tVancesi, che pigliavaoo le misure di
tutto il Palazo et mi ha detto faceva fare per curiosità » (Ronw, 81, f" 16 v).
2. Il s'agit de Giuseppe Blanchi au service du préfet de Rome don Taddeo Bar-

berinl.

3. « .Si farà ogni diligcnza per trovare 11 musici che V. Em'-^ desiderarebbe e di
glà ne ho parlato al s. Marco Marazzoli, che ha quasi affatto perduta la speranza di
48 l'opéra italien en FRANCE

à Rome, était-ce bien pour égayer le monarque moribond que


Ma/arin l'appelait à Paris? On en peut douter. Dès cette époque,
il cherchait à se faire bien venir de la reine sans attirer les
soupçons de Louis XIII et la faisait assurer par Monseigneur
de Beauvais de son entier dévouement à ses intérêts. Il savait
Anne d'Autriche follement éprise de comédie et de musique,
aussi peut-on croire que ces apprêts n'avaient d'autre but que de
plaire à la future régente. Lorsque la réponse d'Elpidio Bene-
detti fut remise à Mazarin, le roi venait de mourir, et bien
qu'assuré de la sympathie de la reine, le cardinal se trouvait
dans une situation des plus précaires. Les courtisans voyaient
en une créature de Richelieu et s'efforçaient de le faire
lui
disgracier.Il « crut que les choses étant en ceste situation, il

n'avoit point d'autre parti à prendre que de demander à la


reine la permission de se retirer en Italie ». Anne d'Au-
triche n'était pas sans avoir déjà subi le charme du séduisant
causeur, de l'homme élégant et rafliné qu'était Mazarin : elle

protesta de l'estime qu'elle avait pour lui. L'orage était conjuré,


mais, pour être sûr de l'avenir, Mazarin devait posséder la con-
fiance de la reine : c'est à quoi il s'employa dés lors avec une
rare adresse.
Le deuil de la reine mettait le cardinal dans l'impossibilité
de déployer à ses yeux les séductions de l'opéra italien. La
musique restait pourtant un sûr moyen de toucher son cœur.
11 écrivit à lîlpidio Benedetti de multiplier les démarches pour
faire venir à Paris l'illustre Marco Marazzoli et une troupe de
musiciens italiens.

Auteur de quelques-uns des opéras les plus fameux repré-


sentés à Rome au cours des dernières années, Marco Marazzoli
était aussi un chanteur excellent et un joueur de harpe '
si

potcr lare questo viaggio. De' castrati il nieglio sarebbe Giuseppe, che serviva
D. Taddeo, ma credo che non verrebbe nieno di veiiti scudi il mese di provisione et
un regalo per il viaggio ». (Rome, 82, f" 174.)
I. V. Adami da HoLsena, (^ 201. c Marco Marazzoli, tenore, 23 maggio 1637,
ottinio compositore d'Oralori, che nel suo tempo furono molto applauditi'ed io stesso
gli ho sentiti cantar più voltc in chiesa Nuova. Vu eccellcnte Suonatore d'Arpa,
lascio al nostro collegio un'annuo Anniversario, ed un altro al collegio de' Benehziati
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 49

célèbre qu'on l'avait surnommé : le Signor Marco delT Arpa.


Depuis 1637, il émargeait au budget de la maison du cardinal
Antonio Barberini et faisait partie de la chapelle pontificale. Il
était donc nécessaire pour qu'il pût venir en France, d'obtenir

d'Urbain VIII et de son neveu le congé du chanteur. Ce n'était


point là chose facile nous étions alors en froid avec la cour
;

pontificale, à la suite de difiierends diplomatiques ayant trait à

la succession de xMantoue. Le 19 août 1643, Benedetti écrit à


Mazarin pour le mettre au courant de sa démarche. « Je me
suis finalement décidé à supplier le cardinal Barberini d'accorder
le coni^é Marco Marazzoli, et m'en étant ouvert au
du si2;nor
cardinal Poli, il m'a témoigné avoir grand désir de plaire à
Votre Eminence. L'affaire en était là quand arriva chez moi le
Signor Marco pour m'annoncer qu'il était libre de faire le
voyage et qu'il comptait se mettre en route au premier
jour '. »

Une semaine plus tard, Benedetti envoyait à Mazarin une


lettre désolée : « Que
dira \Y)tre Kminence en apprenant que
le projet de voyagedu Signor Marco Marazzoli ne peut se
réaliser ? Après avoir obtenu l'autorisation du cardinal Poli et
être allé prendre congé de Sa Sainteté et du cardinal Barberini,
on lui a fait entendre que Sa Sainteté ne voulait pas qu'il
abandonnât la chapelle. Il a eu beau alléguer de nombreux
précédents et son propre exemple, puisqu'il a passé à \"enisL
huit ou dix mois, on lui a enlevé tout espoir ... » Mazarin,

1. Mi risolvei finalmente di supplicare


t' S. Card. Barb. pcr il la licenza pcr il sig''

Marco Marazzoli et havcndomi riniesso al S. Card. Poli, S. Em. si niostro m'" incli-
nato a compiacere V. Em. et in qto punto arriva da me il S. Marco a partcciparnii
come è in libertà di tare il viaggio, e pensa di mettersi m esso quanto prima. »

(Rome, 82, fo 312.)


2. « Che dira V. Em^^ in sentire svanito il viaggio del S^ Marco Marazzoli? Dopo
haverne questi ottenuta la licenza dal Sig. Card. Poli, et esser stato a licentiarsi da
S. S''i e dal S. Card. Harberino, gli fu fatto intendere che S. S'-' non voleva che
ahbandonasse la cappella. Ne giovô l'allegare esempii in persona d'altri e sua, mcntre
era stato a Venetia 8, o lo mesi, togliendo, se lieve, affatto ogni speranza. Mi dice il
s' Marco, che S'' S'i si dolse seco de' Francesi, che voglino sempre continuare ad
assistere il duca di Parma, che ben pensano a stare allegramente e iar feste con las-
sare in mille afflittioni sede apostolicae cose simili, che riflette poi nell' impressione
la

del Papa e viene habbino fatto revocare la licenza di partire. Il pover' huomo si
che gl'

è acquietato con la speranza che pur un giorno sia per siiccedergji d'havere questa
buona fortuna, convenendo ancor' egli che trattanto non se ne faccia altro tentativo
50 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

quoi qu'il n'en laissât rien paraître, fut sensible à cet affront.
Il y a de Tamertume dans ces lignes qu'il écrit, le 20 novembre
1643, au cardinal Bichi « La seule revanche que j'ay prise de
;

ce que Monsieur le Cardinal Harberini n'a pas voulu laisser


venir en France Marco de la Harpa pour la seule raison que je
l'avois désiré, c'a esté que j'ay facilité les moyens d'envoier
le Sr. Petit, ini2;énieur, au service de Sa Sainteté '
». Entre
temps, Antonio Harberini était revenu de Bologne et Elpidio
Benedetti lui ayant demandé pourquoi il s'était refusé à laisser

partir Marazzoli \ il s'était excusé prétextant qu'il avait été


froissé de ce que Mazarin ne lui avait pas écrit directement
pour lui demander ce service. En réalité, au mois d'août, la
situation du cardinal était encore chancelante; en novembre, on
sentait en Europe que Richelieu avait un digne successeur.
Marco Marazzoli reçut donc l'autorisation tant convoitée et '

se mit aussitôt en route pour Paris où il arriva vers le milieu


de décembre. Le 18 décembre, Mazarin écrivait à son frère :

c<Je rends encore très humblement grâce au cardinal Antonio


de la permission qu'il a donnée à Marco dell' Arpa de venir pour
quelque temps à cette cour » '.

C'était là pour Mazarin un premier succès, mais bien peu de


chose encore au regard de ce qu'il méditait. Il s'était mis en

fssendo troppo manifesta la contraria volontà di S. S'-'. Alcuni ne sono rimasti grand"=
maravigliati, stimando cItc si potesse in gratia di V. Em. targli questa gratia, che si è
côncessa a tant! altri. » Lctlrc du 2/ août 1(^4^. Rouie, 82, t^^ 313.
1. Ronu\ 81, f" 483.
2. Lettre d'Elpidio Benedetti du 15 nov. 16/] 3. II espère que Maraz/.oli recevra son
congé « liavendo penetrato la causa, che glielo ha sin'
hora ritardato. Era parso al
S.Gard. Antonio che, desiderando V. Em. il sud'o, havesse potuto scrivergliene un
motto e per questo, 4ion dichiarandosi bene S. Em. con Poli, se gli era poi fatto inten-
dere che non partisse. Hora che il S'' Gard. Antonio, con l'occasione délia sua verruta
in Roma, n'é stato pregato da me in voce pei- parte di V. Em. non
e fatto scusa s'ella
gliene haveva scritto, ha condisceso a permettergli che parta e mi sono veramente
chiarito che il sig. card. Barberino non vi haveva colpa alcuna. Di che ne riceverà
avviso più certo col seguente ord"o. Rodw, 82, f" 394.
Le 27 novembre le lihro âel piiiiii de la chapelle pontificale annonce
3. « Il sig. :

Marco Marazzoli ha ottenuto licenza dalli Padroni d'andare in Francia questa mattina :

ne ha dato parte alli nostri compagni et ha detto di partire domani ». Bibl. Vaticane.
Capp. Sistina. Diarl, 62.
4. 'Rendo ancora humiliss'"'; gratie al Sig. (_".ardi^' Antonio della perniissione, che
>i<

ha data a Marco dell' Arpa di venire per qualche tempo a questa corte ». (Bibl. Maza-
rine, ms. 2217, f" 200 v".)
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 5I

tête de faire venir à Paris son ancienne amie, la Leonora Baroni.


dont il appréciait, non moins que le talent de chanteuse, les
qualités d'intrigue et l'habileté diplomatique. Il lui semblait
que cette femme, entièrement gagnée à ses intérêts, saurait
plaider sa cause auprès de la reine et seconder ses desseins.
Malheureusement tout en gardant de Mazarin un tendre sou-
venir, et tout en se montrant sensible aux attentions que lui
témoignait à distance le cardinal ministre, la Leonora hésitait à
se mette en route. Depuis son mariage avec GiuLio Castellani,
un des secrétaires du cardinal Francesco Barberini, elle jouissait
à Rome d'une situation mondaine vraiment extraordinaire.

Le jeune prince Camillo Pamphili l'aimait avec passion et les '

plus grandes dames se flattaient d'être ses amies. Lorsqu'au


printemps de 1643 Elpidio Benedetti la pressentit pour savoir
si elle consentirait à se rendre en France, elle manifesta un vif

enthousiasme % mais, à la réflexion, le projet lui parut moins


tentant et la lettre qu'Flpidio écrit à Mazarin, le 15 novembre,
de la chanteuse \
reflète les hésitations

«La Signora Leonora l'autre jour, avant de partir pour


Albano, m'a dit qu'elle ferait connaître à \V)tre Eminence
dans ses lettres sa volonté au sujet du vovage. Quelques
sérieuses considérations la poussent à agir en cette afl"aire avec
prudence. Son désir serait d'avoir le bonheur de venir présen-
ter ses hommages à Votre Eminence, à la cour de France, mais
elle voudrait, à ce qu'il m'a semblé, que ce désir s'accordât
avec son intérêt et son honneur. Sur le premier point, elle

n'a pas à avoir d'inquiétude, venant sous la généreuse pro-

1. V. Adcniollo, La Leonora di Milloii iici lihri e nci iloiiiinciili. FaiifnUa délia


Doiiienica, ICS83, n'J43.
2. Rome, 82, fo 173 vo. (Lettre du 7 mai 1643.)
3.« La sior^ Leonora l'altro giorno, prima che partisse per Albano, nii disse che
liavcrcbbe significata a V. Em. in sue lettere la sua volontà in proposito del viaggio.
Alcune degne considerationi la fanno procedere in questo negotio pesatamente. Il suo
desiderio sarebbe di havere questa fortuna di riverire V. Em. in cotesta corte, ma
vorrebbe, per quanto mi accorgo, che seguisse con suo utile e reputatione. Xel primo
non ha perô da dubitare venendo sotto la protettione délia generosità di V. Em. et al
secondo si sodisfarebbe col farla domandare dalla Regina. Havendo anche suo marito
dependenza dal card. Barberino, desiderarebbe che il tutto seguisse con buona licenza
di S. Em. la quale non ricusarà d'accordargliela prontamente ad ogni cenno del
TEm. V. » {Rome, 82, fo 393 v".)
52 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

tection de \'otre Eminence et, pour mettre son honneur en


repos, il sulfirait qu'elle fut demandée par la reine. Son mari
étant au service du cardinal Barberini, elle désirerait que tout
se passât consentement du cardinal qui s'empres-
avec le

sera d'acquiescer à la moindre demande de \^otre Eminence. »


La Leonora craignait fort, en venant en Erance retrouver
celui qu'on disait son amant, de provoquer un scandale à la
cour aussi tenait-elle à être appelée par la reine, soit que
;

celle-ci lui écrivît directement, soit quelle lui lît exprimer par
l'ambassadeur son désir de la voir à Paris. Elle avait, en outre,
de grosses exigences et posait ses conditions en personne à qui
l'on n'a rien à refuser. Cette grave affaire nécessita une volu-
mineuse correspondance '
et l'intervention de plusieurs diplo-
mates. Enfin l'abbé Bentivoglio réussit à obtenir de la piiï vir-

fîiosci Dama dltaHa la promesse de se mettre en route dés que


l'hiver se montrerait plus clément. La reine de Erance, dont
Mazarin avait su apparemment exciter la curiosité, écrivit au
marquis de Eontenay, notre ambassadeur à Rome, d'inviter la
Leonora à se rendre en Erance et de lui oftVir mille pistoles
pour les frais du voyage et autant pour la pension d'une
année '.
Le 3 février 1644, Hencdetti écrit à Mazarin « La Signora :

Leonora est prête à partir au premier jour, encore que les


lamentations et les dames
plaintes qu'en font les plus grandes
puissent engager à demeurer davantage. \'raiment on a vu
1

en cette rencontre combien cette Signcjra est universellement


aimée et combien ses aimables qualités la rendent chère à
chacun, sans parler de son talent de chanteuse qui, depuis
son mariage, cède presque le pas à ses autres dons naturels si

charmants '
».

La Leonora était hère du pouvoir de séduction que dégageait


sa personne. Une lettre de Wignozzi à ALizarin en donne un

1. Rouie, 82, f" 411 (Lettre d'Hlp. Bencdeti du 25 nov.) — Rûiuc, 83, 1° 25 \o
(Lettre du même, 7 janvier 1643). — Roiiu', 83, f" 153 v" (Lettre du même,
5 février 1644). —
Rome, 83, fo 3V0 (Lettre de l'ambassadeur du 28 janvier -1644.
1
1

2. V. Diaiio d'Anieydeii, dans Ademollo, Priiiii fasti délia Musiea ilaUdiia a Parigi,
p. 10.

3. Rome, 83, t" 133 v".


LES PREMIERS OPERAS A PARIS 53

curieux témoignage. « Leonora, qui est appelée en France, dit


qu'il lui prend envie de donner à la reine de l'amour pour la

Marquise de Santo \'ito et qu'elle la veut faire appeler à la

cour '. » Quelle est la grande Dame française qui eût osé tenir
un pareil langage Ce ne sera pas pour les courtisans un
?

médiocre sujet d'étonnement que l'intimité affectueuse de la


reine avec la cantatrice étrangère.
La Leonora se décida enfin à quitter Rome ; elle confia,

avant de partir, ses papiers et tout ce qu'elle avait de plus pré-


cieux à son amant, Camillo Pamphili, et se mit en route en
même temps marquis de Fontenay qui regagnait la
que le

France. A Florence, la Leonora fut royalement traitée par les


souverains de Toscane qui lui prodiguèrent les honneurs et
s'extasièrent sur la beauté de sa voix .
L'arrivée à Paris de la Leonora fit sensation. Qu'était donc

cette étrangère à laquelle on témoignait tant d'égards, que le


cardinal faisait servir par ses propres officiers '
et présentait à la

reine comme une grande dame? Dans une lettre confidentielle

écrite par un agent diplomatique, le sieur Gaudin, à M. Servien


on lit, à la date du 30 avril « La Signora Leonora entre en
;

crédit et la Reyne la fait passer pour dame de haute vertu, on

croit que les soeurs de M. le Cardinal ALizarin viendront


après ^ ». Tout de suite la reine en fut férue. Elle lui accorda
l'entrée de ses appartements à toute heure, l'admit parmi ses
femmes de chambre, la couvrit de bijoux, la combla de pré-
sents et d'honneurs. Elle la faisait chanter sans cesse et ne
pouvait se lasser de l'entendre. La cour fit d'abord grise mine à

l'étrangère dont on redoutait l'ascendant sur l'esprit de la reine.

1. Lettre de Vagnozzi à Mazarin du 6 février 1644 « Leonora, clie è chia:v.ata in:

Fraucia, dice che gli innamorare la Regina délia Marchesa di Santo


dà l'animo di tare

Vito e di farla chiamare alla corte. Questa crede che Leonora sarà guadagnarsi gli
animi di tutti con le sue virtuose qualità ». Rome, 83, fo 157.
2. Lettre du marquis de Fontenay à Mazarin, de Florence, le 15 mars 1644 « La :

signora Leonora est arrivée ic\- en fort bonne santé et a ravy le Grand Duc et la
Grande Duchesse. J'espère que nous achèverons le vovage fort heureusement. » Aft.
Etr., Toscane, 4, f" loS.
3. V. Romain Rolland, Musiciens d'Auîicjois, p. 58 note 5, et Ademollo, Priiui
fasti, p. 13.
4. Fmuce, 849, î° 198,
54 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

On critiqua sa « manière de chanter » qu'on disait bizarre et


rude, sa voix qu'on trouvait perçante et mieux faite pour
l'église ou le théâtre que pour l.i chambre'. Habitués aux
nuances délicates, aux finesses de nos chanteurs. De Xvert, Ber-
thod ou Lambert, les courtisans s'étonnèrent des élans pas-
'

sionnés et des cris de l'Italienne; mais tout le mal qu'on pût


penser ou dire de la Leonora n'empêcha pas Anne d'Autriche
de lui accorder sa faveur. Quant à Mazarin, son attitude fut
assez singulière, il répandit le bruit qu'il avait appelé en France
la Leonora dans un dessein diplomatique, pour savoir ce qui
se tramait contre la France dans la faction espagnole où elle
était reçue et fêtée. La mauvaise santé et le grand âge du pape

qui faisaient présager un prochain conclave, rendaient ce pré-


texte assez vraisemblable. Précisément Urbain VIII mourut le

29 juillet et la nouvelle arriva en France comme la cour se


trouvait à Rueil, dans le château de hi duchesse d'Aiguillon
où les ombrages épais et les eaux courantes tempéraient un
peu les rigueurs d'un été torride. La reine ne se hasardait guère
à sortir qu'après le coucher du soleil et se plaisait à entendre la

voix pure de la Leonora s'élever dans le grand silence de la

nuit '.

En apprenant la mort d'Urbain Mil, la Leonora fut fort


troublée. Les deux successeurs possibles au trône de Saint-
Pierre étaient le cardinal Sacchetti soutenu par la France, et le

cardinal Pamphili, candidat de la faction espagnole. Si ce der-


nier était élu, l'amant de hi Leonora, Camillo Pamphili, deve-
nait cardinalc-ncpolc tout-puissant. Les maladresses d'Antonio
Barberini et de notre ambassadeur à Rome, Saint-Chamond,
furent cause du triomphe de l'ennemi de la F'rance. Lorsque
la Leonora fut informée de l'élection d'Innocent X, elle supplia
la reine de la laisser partir, mais Anne d'Autriche ne pouvait
se décider à se séparer de la cantatrice, et, de mois en mois,
réussit â la faire patienter jusqu'au lo avril 1643. ^^^^ ^^ i- '^^'^^-

vembre 1644, Gandin mandait de Paris à M. Servien ; « La

1. V. la lettre de Fabbé Scaglia citée par Ademollo, p. 15.


2. Herthod, le seul castrat français dont il soit parlé à cette époque à Paris.
3. Madame de Motteville, Mémoires, éd. Riuux I, 181.
LES PREMIERS OPÉRAS A PARIS 55

Signora Leonora est sur son retour à Rome où elle a esté ap-
pelée depuis la création du pape qui la considère. M. le Car-
dinal Mazarin ne Tavoit fait venir que pour découvrir les

intrigues de la Cour de Rome, après la mort du Pape. Mais


ladite Dame avoit toujours protesté de s"en retourner si le

Cardinal Pamphilio étoit fait pape. On ne sera pas non plus


fasché qu'elle retourne à la Cour de Rome pour qu'elle y con-
trarie les Cardinaux Pansirolo et Palotta, grands confidents de
Sa Sainteté et grands ennemis de Son Eminence '
».

Une cantatrice capable de balancer l'influence de deux car-


dinaux à la cour pontificale! A^oilà qui peut paraître invrai-
semblable à qui ne connaît pas les mœurs politiques de l'Italie

du xvii'-' siècle. Pourtant le sieur Caudin présente à M. Ser-


vien la chose comme fort naturelle. Saurait-on s'étonner après
cela d'entendre, Atto Me-
quelques années plus tard, le castrat
lani se vanter d'avoir fait, à lui du pape Clé- seul, l'élection
ment IX? Les Italiens ne se scandalisaient pas pour si peu, et'\
-

nous allons voir Mazarin employer constamment des musi-


ciens et des chanteurs comme espions et agents diplomatiques. ,

La Leonora lui rendra de grands services à Rome et les ambas-


sadeurs en parlant de sa propagande efficace en faveur du parti
français ne tariront pas en éloges sur son compte. A coup sûr,
Mazarin n'eût pas à se repentir d'avoir appelé à Paris son intel-
ligente amie. Elle dut profiter de son
ascendant sur la Reine
pour encourager par des paroles complaisantes, par d'habiles
confidences et surtout par des chants passionnés, l'amour nais-
sant d'Anne d'Autriche pour le cardinal. Lorsqu'elle quitta la
France, ce n'était plus un mystère pour personne à la cour que
la reine était éperdu ment éprise du subtil Italien.

1. Aff. Etr., France, 850, f" 148 vo.


2. Ademollo, Faiifulla ddia Domcnica, no 52 (1883). La Leonora Baroni aura
d'ailleurs, elle aussi, quelque part à l'élection au trône pontifical de monsignor Rospi-
gliosi en 1667.
56 l'opéra italien en frange

III

Mazarin voyant le goût qu'Anne d'Autriche prenait à la


musique italienne et le succès à la cour de la Leonora et de
Marco Marazzoli, décida de donner une représentation d'opéra
dès que le deuil de la reine n'y ferait plus obstacle. Déjà
celle-ci descendait de temps à autre à la Comédie italienne

qu'elle écoutait dissimulée au fond d'une loge. On pouvait


appeler une troupe d'opéra. Depuis l'automne de l'année 1642,
les agents diplomatiques en Italie avaient mission de recruter
des chanteurs, mais ces derniers hésitaient à entreprendre un
voyage long et pénible sans avoir la certitude d'être bien
récompensés de leurs peines. En 1643 ', Elpidio Benedetti
n'avait trouvé à Rome qu'un seul castrat de bonne volonté,
Giuseppe Bianchi Au début de
'. l'année 1644, le cardinal
Bichi qui s'efforçait de servir de médiateur au nom de la

France entre le duc de Parme et le Saint-Siège, fut prié par


Mazarin de envoyer quelques chanteurs \ Le 9 mars il écri-
lui

vait de Venise au ministre « Pour ce qui est des musiciens.


:

Votre Eminence aura appris du S'' Elpidio comme nous avons


disposé Domenico à faire le voyage et comme nous n'avons pu
y gaigner l'esprit de Bonaventure, de quoy je suis fasché à tel
point que je voudrais ne l'avoir jamais eu à mon service'. »
Ce « Bonaventure » qui se dérobait si obstinément aux sol-
licitations le fameux sopraniste
du cardinal Bichi devait être
Bonaventura Argenti, de Pérouse, qui, l'année suivante, fut

1. V. la lettre du 17 septembre 1645 où il engage Mazarin à


d'Ivlpidio Ik'ncdctti
recruter ses musiciens plutôt dans nord de l'Italie qu'à Rome pour raison d'écono-
le

mie... Il ajoute « Ail' avvenire non mancaro pero di eseguire quanto V. Em. m'or-
:

dina in questo proposito, e cosi cominciaro dai musici sifatti, da Gioseppe che ha
dato intentione di venire e se ne trovarà qui alcun" altro al proposito ^j. Rome, 82,
f" 356.
2. Le 2X nov. 1645, Teodoro Ame\den notait dans son Diitiio « Tordine de! car-
dinal Mazzarino di condurre in Francia musici di Roma per una comedia o dramma
musicale et in particolare alcuni délia cappella de! Papa ». AdenioUo, 0^. cit., p. 10,
3. Venise, 53, fo 228,
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 57

admis parmi les chantres de la chapelle pontificale'. Quanta


Domenico, il serait téméraire de former la moindre hypothèse
sur l'obscur possesseur d'un nom si répandu.
Brusquement, vers le milieu de l'année 1644, un mouvement
se dessina dans les centres musicaux de l'Italie en faveur du
voyage en France. Sans doute des amis de la Leonora pu-
bliaient les bienfaits dont elle était comblée à la cour
d'Anne d'Autriche. Dés lors le ministre reçut de nombreuses
offres de service. La lettre que lui transmit son père Pietro
Mazzarini, au mois d'août 1644, peut passer pour un modèle du
genre ". Elle émanait d'une chanteuse qui, ayant été engagée
par un virtuose à se rendre en France pour interpréter devant
la reine des opéras en musique, écrit à Pietro Mazzarini, le

priant de la recommander au cardinal et d'attester que la

description qu'elle donne de ses talents et de sa personne est


bien exacte. Xo'ici le portrait que traçait d'elle-même la jeune

V. Adami da Bolsena, Osserva-ioni, p. 205. En 165), Christine de Suède, par-


1.

lantmusique, s'extasie sur la voix de Bonaventura et le proclame Uiiico. Galeazzo


Gualdo Priorato, Rclatioiti de' Govenii, e Stati... 1674, p. 118. V. aussi, ibid., p. 234.
(Cité par André Pirro, Biixlebude. Paris, 191 3, p. 68.)
2. Cette lettre est insérée dans une lettre de Pietro Mazzarini à son fils en date du
7 août 1644. Pietro prie son fils d'v répondre. (Roiiie, 84, fos 135-137.)
« Illmo Sigre,

« Luisa Sances devotissima serva di V. S. Illm» l'espone di Venetia esser scritto da


un virtuoso di volerandare a servire in recitarc opère in musica la Sacra Maesni délia
Regina di Francia, ma, essendo in Roma V. S. Illma^ ha giudicato nieglio insinuarla a
lei questa supplica. La V. S 111™" restarà servita scriverlo ail' Emmo Sig. Cardinale suo

figliuolo, che l'attrice è pronta andare a quel servitio giudicandola atta conforme la
relatione si degnarà pigliare del discorso, che se gli dà.

Luisa Sances è giovane di dicotto anni in circa, nata in Napoli e di quattr' anni
«
dalla madré condotta in Roma, ivi educata et instrutta nella musica e sonare cimbalo,
chitarra, e qualche principio d'archiliuto, ne'quali istrumenti, l'opère tutte che se li
danno in musica da valent' huomini, dateli una suona da se.
vista prima, le canta e
E di buona preseuza, di carne olivastra è zitella modesta di buon costumi et,
(f
;

oltre la lingua, vi canta anco alla spangnola. È di buona memoria, che cantate tre o
quattro volte l'opère musicali, le ritiene a mente, si che per recitare opre musicali si
giudica proportionata.
« Si puô pigliare intbrmatione délia sua attitudine, e voce di petto, e di altre qua-
lità a questa virtù pertinente da un Emr-io Card'^ délia tattione et affettionato alla
corona di Francia che l'ha fatto la carità di pagar' li maestri, corne anco dal Ecc^'û
Sig""' Duce di Bracciano e Sforza che l'hanno scntita più volte e giudicata per buona
virtuosa.
<i Tra li altri maestri, che l'hanno vantaggiata alla detta virtù è il sig. Mario, musico
di cappella e per insignare ciô primato nella Corte, «
58 l'opéra italien en FRANCE

cantatrice : « Luisa Sancescst àgcc de dix-huit ans environ. Née


à Naples, sa mère, à quatre ans, Ta conduite à Rome où elle a

été élevée et instruite dans l'art du chant. Elle a appris à jouer du


clavecin et de la guitare et a reçu quelques principes d'archiluth.
Tous les morceaux de musique quedonnent les illustres lui

de la profession, elle les chante à première vue en s'accom-


pagnant sur ces instruments. Klle est de bonne mine, le teint
olivâtre. C'est une hlle modeste et de bonnes moeurs. Elle ne
chante pas seulement en sa langue maternelle, mais aussi en
espagnol. Elle a bonne mémoire si elle chante trois ou quatre :

fois un ouvrage, elle le sait par cœur, aussi se croit-elle fort

capable de réciter des opéras en musique. On peut prendre des


renseignements sur ses dispositi(jns, sur sa voix et sur les
autres qualités nécessaires à son art en s'adressant à un car-
dinal de la faction française, très affectionné à la couronne ',
qui a eu la bonté de faire les frais de son éducation musicale,
ainsi qu'à leurs Excellences les ducs de Bracciano et Sforza
qui l'ont entendue plusieurs fois et l'ont jugée bonne virtuose.
Parmi les musiciens qui ont formé son talent, on peut nom-
mer le Signor Mario '
de la chapelle pontificale, le meilleur
maître de chant de Rome ».

A dater de ce jour, les demandes d'emplois se multiplient :

un certain Giulio Cesare Burtio, se disant gentilhomme de


Parme et facteur d'orgues, se propose comme ingénieur expert
en l'art de fabriquer des machines de théâtre'. Des chanteurs,
des instrumentistes vantent leurs mérites. Mazarin, ne sachant
auquel entendre et désireux d'avoir une troupe d'opéra au
complet pour le Carnaval, écrivit aux princes de Toscane pour

1. En marge « Iiiteitde dcl sig, cardinal Thcodoh ».


:

2. Le fameux contralto Mario Savioni, auteur de nombreuses cantates, «uonio sin-


golare nel concerto da caméra » au jugement de Pitoni. Noti:(ie dei coinposilori di
Miisica. Ms. fr., nouv. acq. n" 266. V. aussi Adami da Bolsena, Osscrvaiioiii per hen
rcgcdare il coro délia cappella Poiilificia, 171:, in-4", p. 202. On y trouvera un beau
portrait de Mario Savioni.
3. Post-scriptum à la lettre de Pietro Ma/./.arini citée plus haut :

« Con questa occasione si propone un tal Giulio Cesare Burtio gentilhuomo di


Parma, compare madré délia giovanne, compositor d'organi, che fu mandato
già délia
dal Padre di questo a comporre un' organo al Padre del présente Imperatore,
Duca
che è ingegniero espcrto per comporre macchine movibili per theatri. »
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 59

leur demander quelques-uns de leurs musiciens préférés. Il ne


pouvait s'adresser au cardinal Antonio à qui l'on venait de
retirer solennellement le titre de protecteur de la France à

Rome à la suite de l'élection d'Innocent X, ni à plus forte


raison au pape qui eut été trop heureux de cette occasion de
lui faire affront. Au contraire, les princes de Toscane dont la

politique était énergiquement appuyée par la France, n'avaient


rien à lui refuser.
Bien que l'hégémonie mélodramatique lui eût été ravie par
Rome depuis une dizaine d'années, Florence était encore, à cette

époque, un des principaux centres artistiques de la péninsule.


Les Medici aimaient passionnément la musique et ne reculaient
devant aucun sacrifice pour attirer à leur cour les meilleurs
chanteurs et compositeurs d'Italie'. Le prince Mathias avait
précisément à son service depuis peu un jeune castrat de Pis-
toia dont la voix s'annonçait magnifique. Il l'avait produit avec
honneur à la cour de Toscane, mais, estimant son éducation
musicale encore imparfaite, il l'avait envoyé à Rome pour y

être initiéaux derniers secrets de son art. Là, le jeune homme


"
avait fréquenté TAcadéniie du fameux compositeur Luigi Rossi
et y avait acquis une prodigieuse virtuosité. Signalé par
Elpidio Benedetti à Mazarin qui le demanda au prince Mathias,
il reçut, à l'automne de l'année 1644, l'ordre de quitter Rome
pour se rendre en France.
Atto Melani était fils d'un modeste sonneur de cloches de
Pistoia. Né le 3 1 mars 1626 \ il n'avait que dix-huit ans quand
il se mit en route, le 3 octohre, en compagnie de Don Ales-

1. V, la correspondance du compositeur Sacrati chargé par les Medici de recruter


des chanteurs à Rome pour la cour de Toscane. (Appendice à la brochure d'Ademollo :

Priiiii fasti, p. 9) et suiv.)


2. Ademollo, Un cavipaïuiio c la sim fiviiiolia. Faufidhi délia Douienica, n" 52
(1883). ^

3. M. l'abbé Simonati a eu l'amabilité de faire rechercher pour moi, dans les Archives
de la cathédrale de Pistoia, les actes de baptême d'Atto Melani et de ses frères.
Voici le texte de l'acte baptistaire d'Atto Melani :

Martedi a di 31 marzo di 1626, Atto, figlio di Domenico Melani; e diMaCammilla,


«
Cappella del Duomo, si battezzô q° di sop". Fù compare l'Il'"'- Sigre Cavree Cap° Giro-
lamo Sozzifanti e Com^ la Sig" Aless-^ del Cav^ Ulisse Pappagalli. » Filza, 1620- 1628,
V. n» 16.
6o l'opéra italien ex FRANCE

sandro Fabri, secrétaire de Mazarin qui s'en retournait à Paris,

après le conclave '. Les voyageurs passèrent par Florence où un


frère du jeune castrat, Jacopo Melani, et la Signora Anna Fran-
cesca Costa, cantatrice au service du prince G. Carlo Medici,
les attendaient pour se joindre à eux. Les musiciens s'embar-
quèrent à Gênes, le 19 octobre, '
et après un voyage qu'Atto,
dans une de ses lettres, qualifie d'extravagant, ils arrivèrent à
Paris, au début de novembre, et s'en furent aussitôt présenter
leurs hommages à la reine et au cardinal'.
Anne d'Autriche raffola tout de suite du jeune castrat, au
point même de délaisser un peu sa chère Leonora. De Paris,
Atto Melani écrit à son maître des lettres où éclatent sa joie
et sa fatuité : la reine ne saurait se passer de l'entendre, elle
lui fait mille honneurs. Presque chaque soir, il y a concert au
Palais Royal et pendant quatre heures de suite, ce sont de
véritables orgies de musique. Bien entendu, il éclipse tous les

autres chanteurs; la Leonora est jalouse de lui et furieuse


d'avoir un rival. Au reste, il est l'idole de la cour et il croit
a être au Paradis allant chaque jour chez la Reine où se voient

des visages angéliques ^ ».

Malheureusement pour nous, si Atto prodigue dans ses


lettres les détails concernant ses faits et gestes, il ne daigne
nous donner la moindre indication ni sur les autres chanteurs
italiens qui se trouvaient à la cour, ni sur les préparatifs de

1. Lettre d'Elpidio Benedetti à Mazarin du 24 octobre 1644 » Suppongo a questa :

hora arrivato Atto con D. Alessandro e nii sarà grato sentire che habbia incontrato
il gusto di S. Maestà e di V. Em^a. » Rome, 86, f" 421. — Don Alessandro Fabri
avait quitté Rome le 5 octobre. V. Ro)iii\ 85, f"^ 19 et 88 Rome, 86, fos 559 et 566. Il ;

reçut en 1645 le prieuré de Villiers. France, 849, t" 770.


2. Aff. Etr. Gi'ties, a, (" 177.
5. Lettre d'Atto Melani du 22 novembre publ. sans références par Ademollo,
p. 15-16. Archivio Stato di Firenze. Mediceo, 5453, f° 240.
di

4. Lettre du 15 janvier 1645 partiellement citée par Ademollo, p. 16. Voici le texte
complet de cette lettre « Con l'occasione che S. E^a mi ha dato l'inclusa per V. A.
:

vengho mia osservanza e ratificarla la mia fideltà. Qui in Parigi tanto


a ricordarli la
S. Mtà, quanto tutti questi Cavalieri mi fanno mill' honori e gratie, et a me par essere
in Paradiso essendo ogni giorno dalla Regina dove si vede visi angelici. Non mi
mancha se non il goder délia presenza di V. A. ch' allora sarei abbondante di tutte le
félicita che potessi desiderare, preghoV. A. mantenermi la sua gratia mentre le faccio

humilissima Reverenza. Parigi, li 13 gennaio 1645. HunT^° et fed^io S, Atto Me- —


lani». {Mediceo, 5435, f° 329.)
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 6î

l'opéra qui fut chanté vers la fin du Carnaval de Tannée 1645.


La lettre du 10 mars où il parle de la représentation est d'une
sécheresse désespérante : « On a enfin récité l'opéra qui a été
très beau et S. M. le veut entendre de nouveau, dimanche pro-
chain. Chacun s est bien acquitté de son rôle moi, pour faire ;

honneur à V. A., je me suis efforcé de n'être pas le dernier, et


j'ai, grâce à Dieu, réussi au-delà de mes désirs. La Signora
Checca s'est comportée aussi bien qu'il était en son pouvoir de
le faire '. »

L'opéra inconnu dont il est question dans cette lettre fut


chanté dans la salle du Palais Royal, construite par Richelieu

pour les représentations de Miraiih-, devant une assistance


brillante, mais peu nombreuse. Le public ordinaire des ballets
et comédies en fut apparemment exclu, car on ne trouve dans
les correspondances des ambassadeurs et résidents étrangers,
dans lesmémoires des contemporains, aucune allusion à ce
spectacle dont la nouveauté aurait dû pourtant frapper les
esprits \ La fête eut un caractère tout à fait privé. Seuls
quelques grands seigneurs et ce qu'on appelait k fainiHer de la
cour y furent conviés, en sorte que la Ville ignora complète-
ment ce petit événement. La giLieltc, qui en rend compte par
ouï-dire, ne parleque d'une comédie « Le 28 (février) le Roy :

donna à disner à la Reine d'Angleterre, à la Reine, à Mon-


sieur le Duc d'Anjou, à Monseigneur le Duc d'Orléans, oncle
de Sa Majesté et à Mademoiselle. Sur le soir il y eut une comé-
die italienne dans la Grande Salle et un ballet dansé par plu-
sieurs seigneurs de la Cour. Après lequel la Reine donna à
souper dans son grand cabinet à la Reine d'Angleterre et à Son
Altesse Rovale ». '

1. La lettre a été publiée sans références par Adeniollo, p. 19. lillc se trouve dans
le fonds Mi'i/ùvc 5425, f° 221.
2. La seule allusion à cet opéra que j'aie pu découvrir se trouve dans la correspon-

dance diplomatique de M. Gaudin et de M. Servien. Le 23 décembre 1645, Gaudin


écrit « Pour suite nous commencerons par le Palais Roval où M^ le Cardinal a fait
:

jouer sa belle comédie à l'italienne... » Il ne peut s'agir ici de la Fi 11 ta Pfl;^;^a donnée


au Petit Bourbon. C'est certainement à l'opéra inconnu de 1645 que ce passage fait
allusion. Il ne dut pas déplaire à la cour puisque Gaudin, peu favorable à Maznrin,
qualifie de « belle » cette représentation. (Fniiice, 852, f^ 223.)
3. Galette de France, 4 mars 1645.
62 l'opéra italien en FRANCE

Quelle était cette pièce chantée devant une si noble assis-


tance par une troupe florentine? M. Ademollo qui a, le

premier, publié la lettre d'Atto Melani a cru qu'il s'agissait de


la Fiiifa Pa:(;((L 11 n'en est rien, la bliila Pa:^r^a, comme nous le

verrons, sera représentée pour la première fois, le 14 décembre


de la même année, avec les seules ressources d'une troupe de
comédiens italiens. Si nous manquons de preuves nous permet-
tant d'identifier avec certitude cet opéra inconnu, nous pouvons
néanmoins former à ce sujet quelques hypothèses assez vrai-
semblables.
Un libretto, que nous avons découvert à la Bibliothèque
Nationale, pourrait bien nous donner la clef du mystère. Il
figure sur l'ancien catalogue royal sous le titre de Xicandro e

Fileno, en réalité il s'intitule Poemetto dramatico per musica \


Bien que cette plaquette ne porte ni date, ni nom d'imprimeur,
l'examen des caractères et des bois permet de reconnaître un
ou\ rage sorti des presses de Robert Ballard entre 1640 et 1630
environ. Sans nul doute, ce livret fut distribué aux spectateurs
d'un opéra donné à la cour, car il porte, imprimés en regard,
le texte italien et la traduction en prose française, afin de per-
mettre à ceux qui n'entendaient pas le sens des paroles de
suivre l'action théâtrale. On peut affirmer aussi qu'il servit à
une représentation privée et qu'il ne fut pas mis dans le com-
merce, car si le grand public avait été admis à cette fête comme
il l'était par exemple aux ballets royaux, le titre eût mentionné
le nom de l'éditeur chez qui on pouvait se procurer l'ouvrage '.

Enfin nous connaissons assez exactement les opéras qui, par la

suite, furent représentés à cour de France, pour avoir la


la

quasi certitude que la pièce en question ne put être donnée,


passé Carna\al de l'année 1645.
le

L'étude du livret nous confirme dans l'opinion que c'est

bien là le texte de l'opéra auquel fait allusion la lettre d'Atto


Melani. Ma/arin ne disposait à cette époque que d'un tout
petit nombre de chanteurs : Atto et Jacopo Melani, Marco

1. Bibl. Xat., Vd. 670.


2. 11 en est ainsi pdur tous les ballets de cour. Ces ouvrages étaient lort recherchés
et, lorsqu'ils paraissaient, des vendeurs les criaient pur les rues.
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 63

Marazzoli, peut-être nommé Domenico, dont parlait le car-


le

dinal Bichi, et Giuseppe Bianchi Comme actrices, la Checca '.

Costa, et peut-être la Luisa Sauces dont nous avons vu les

offres de service. Quant à la Leonora il semble douteux


qu'elle ait pris part à la représentation ; elle s'estimait trop

grande Dame pour monter sur les planches. 11 est possible


pourtant qu'elle y ait consenti pour plaire à la reine, car elle
s'en retourna à Rome avec Marazzoli à la fin seulement des
fêtes du Carnaval. Qiioi qu'il en soit, le livret en question ne
met en scène que six personnages, quatre hommes et deux
femmes ', c'est-à-dire à peu près le nombre d'artistes qui se
trouvaient réunis à la cour de France à cette époque.
La pièce une pastorale banale dont le seul intérêt est
est
d'avoir peut-être servi de modèle aux essais de Beys et de
Perrin. En voici l'argument: (c Nicandre et Filène se proposent
l'un à l'autre le mariage de leurs filles, mais elles s'excusent
sous différens prétextes de faire la volonté de leurs pères.
Toutes deux aiment Lidio, le jeune amant volage qui court
après toutes les femmes ; et, après difterens accidens,
Fillis épouse Lidio et Cloris, pour se venger de ses infidélités,

se marie avec Eurille ' ».

Cette pastorale avait sans doute été mise en musique par

Si Bianchi prit part à la représentation, il dut s'en retourner en même temps que
1.

la Leonora et Marazzoli le lo avril, car le 29 mai Elpidio écrit de Rome « Capitando :

Giuseppe Musico gli amministraro li dieci scudi il mese conforme vostro ordine.
Vorrei ben' sapere se devo continuarglieli in caso che s'accomodasse al servitio
d'altri. « (Rome, 90, f" 321 v".) Cette pension payée à Bianchi devait récompenser les

services rendus durant le Carnaval.


2. En voici la liste :

Nicaniro. Pastore, Padre di FilU. — FilH. Figlia di Nicandro, Amante di Lidio.


— Fileno. Pastore, Padre di Clori. — Clori. Figlia di Fileno, Amante d'Eurillo. —
Eurlllo. Pastore, Amante capriccioso. — Choro di Pastori.

3. La pièce en trois actes commence par une scène entre Nicandro et Fileno :

Nie. — Che cura molesta !

Fil. — Che noi.i niordace !

Elle finit par un ensemble


Tutti in Coro :

Content béate il cuore


i

Venite ne l'aima mia,


Eterna la fede sia
A gloria del Dio d'Amore.

Peut-être cette indication permettra-t-elle d'identifier cette œuvre?


64 l'opéra ITALIEN' EN FRANCE

Marco Marazzoli. Célèbre comme compositeur d'opéras, d'ora-


torios et de cantates, cet artiste ne jouissait pas d'une réputa-
tion de chanteur assez éclatante pour que le seul désir de le

faire entendre à Anne d'Autriche eût incité Mazarin à l'appeler


en France. L'intention du évidemment d'avoir
cardinal était

sous la main un compositeur capable d'écrire un opéra, d'en


diriger les répétitions et les représentations. Nous ne trouvons
d'ailleurs aucun musicien italien disj^ne de rivaliser avec Maraz-
zoli en France à cette époque.
Jacopo Melani, le futur auteur de la Timcia et de Xlircolc ///

Tchi\ avait bien accompagné son frère Atto dans son voyage,
mais, né en 1625 ', que vingt-deux ans et débu-
il n'avait alors
tait dans la carrière musicale. Une lettre de son frère au prince

Mathias, en date du 16 mars 1645, nous apprend qu'il avait une


charge dans la musique du grand duc et qu'il craignait qu'on
n'en disposât en son absence -.

Les représentations terminées, il y eut encore quelques


concerts de musique italienne dans lesappartements de la
reine, puis la petite troupe se dispersa. Marco Marazzoli reprit
la route de Rome, le 10 avril, en compagnie de la Leonora et de
son époux \ La Leonora emportait avec elle, comme autant de
trophées, des jovaux magnifiques : colliers de perles, pendants
d'oreilles, bagues de diamants, ainsi qu'un brevet de pension de
mille écus. On estimait que son court séjour en France lui

1. Voici son acte de baptême transcrit sur les registres des archives de la cathé-
drale de Pistoia :

« Giovedi a di 6 d" (Luglio 1625). Jacopo e R^' tiglio di Domenico di Santi Melani
e di M<* Caiiiilla sua nioglie, cap» de! Duomo si batt" a di do. Compte l'Ill. Sig. Pro-
posto Cellesi. Com^ Mad^a Laura del Sig. Cav. Francesco Rospigliosi » (Fil~a 1620-
1628, V. no i6a"0.
N. B. l'abréviation R" signifie Roniolo, nom du patron de Pistoia qui se donne à
tous les enfants de cette ville.

2. Lettre d'Atto au Prince Mathias, le 15 mars 1645. «S. Mtà vuol la Conimedia

fatto Pasqua. pero sarebbe necessario che V. A. oprasse a favore di mio fratello
Che
cosi il suplico, accio non li sia levato il suo loco. Supplico V. A. se pero lo stima
bene, a favorirlo in quella maniera che più placera a V. A... » Mcclicco 5425, fo 223.
3. Tous les résidents et ambassadeurs étrangers en avertissent leurs gouvernements.
Priardi écrit au duc de Mantoue » Parti l'altro giorno da questa corte la S^^ Leonora
:

Italiana eccellente cantatrice regalata et don;;ta regiamente da queste Maestà et Em^'''».


Se ne va a dirittLu-a a 'l'orino e di la passer.! a Mantova ». (Arcli. (ïonzaga. Eslenii
679). La lettre est datée du 2 avril.
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 6$

avait rapporté quarante mille livres et sans doute davantage '.

La cantatrice avait hâte de rentrer à Rome, se réjouissant de


trouver son amant Camillo Pamfili dans toute la gloire de sa
situation de cardinal ncpotc. Mais une lettre qu'elle avait impru-
demment écrite au cours du conclave au cardinal Sacchetti,
adversaire et rival du cardinal Pamfili, était tombée aux mains
de son amant. Aussi quand la Leonora se trouva en sa pré-
sence, il la traita avec mépris. Donna Olympia, la fameuse
maîtresse d'Innocent X, lui fit publiquement affront : « Je sais
bien, lui cria-t-elle, quel était votre pape, et de quel côté vous
penchiez. Il est bien inutile de dissimuler davantage ». '

La pauvre Leonora, bouleversée par cet accueil qu'elle était


loin de prévoir, tomba malade gravement. Sa seule consolation
dans son malheur était de lire les lettres affectueuses que lui
envoyaient la reine de France, Madame Rovale de Savoie et '

quelques-uns des princes et seigneurs les plus illustres de l'Italie.

« Maintenant que vous avez ravagé les cœuis de la grande


cour de France, emmenant à
les votre suite prisonniers en
Italie, lui écrit de Modène le (>av. l'ulvio Festi, il est juste que
vous preniez le Capitole comme théâtre de vos exploits '... »

On voit que la Leonora n'était pas en peine de trouver des


adorateurs. Si elle ne put reconquérir sa brillante situation
mondaine du vivant d'Innocent X, elle prit sa revanche un
peu plus tard, et Ton peut dire que Clément IX, qui la nom-
mait une « douce sirène », fut vraiment son pape'. Anne d'Au-
triche tenta à plusieurs reprises de revoir la Leonora dont elle
avait gardé le plus délicieux souvenir, mais les circonstances ne
s'y prêtèrent pas et jamais la cantatrice ne revint en France.
Au contraire, Atto Melani et la Checca Costa vont, plusieurs

1. V. la lettre de l'abbé Scaglia publiée par AdemoUo. Elle se trouve à l'Archivio


Reale di Toriao. Lettere iiiinistri. Francia (Mazzo. 48).

2. (( S6 ben io quai' era il vostro Papa e dove pendevate, che perô è vano adesso
simulare » V. AdemoUo, La Leonora di Mil fou nei lH'ri e iwi docuiucnti FanfitUa dclla
.

Domoiica, 1883, n" 4;.


3. AdemoUo. Priuii (asti, p. 14.
4.Arch. de Modène. Caiiloii e Siioiiatori Baroiii. V. les lettres du Cav. Fulvio
.

Fcsti et la réponse de la Leonora du 16 septembre 1645 où elle parle de sa maladie.


). AdemoUo. La Leonora di Miltou c di Clémente IX. Ediz. Ricordi).
66 l'opéra italien en frange

années durant, être continuellement sur la route de Florence


à Paris.

Attoprit congé de la reine, le lo mai, et s'en retourna servir


le prince Mathias auquel Ma/arin avait écrit une lettre de cha-
leureux remerciements pour avoir consenti à se séparer de son
virtuose favori '.

IV

Anne d'Autriche avait pris de tout temps un plaisir extrême


à la comédie italienne. Les pièces d'Andreini la ravissaient et

elle accordait sa protection aux acteurs de la troupe ultra-


montaine. Les dévots s'en irritaient et, par tous les moyens,
s'efforçaient de la faire renoncer à un passe-temps si condam-
nable; mais, sur ce chapitre, la reine ne voulait rien entendre.
Louis XIII mort depuis un an que déjà elle se rendait
n'était pas
secrètement à la Comédie. Mazarin était le complice de cette
infraction au protocole du deuil royal et, dès le début de 1644,
il notait sur son carnet « Va'irc poser des jalousies pour que
:

la Reine puisse voir la Comédie ^


». De sa loge grillée, Anne
d'Autriche se délectait à ouïr les lazzi des Italiens et s'amusait
de leurs postures burlesques.
Au
début de 1645, la troupe comptait parmi ses membres
quelques-uns des acteurs les plus illustres de la péninsule :

Giulio Cesare Blanchi, Brighella, G. 11 Andreini, Scaramuccia


et la S" Aurélia. La venue des chanteurs italiens, appelés par
Mazarin, ne laissa pas de les inquiéter. Ils axaient eu trop à
souMrir en leur pavs de la concurrence de l'opéra pour ne pas
voir sans déplaisir une troupe chantante s'installer dans les

bonnes grâces de la reine et du ministre. Bianchi, Brighella


et Aurélia s'indignèrent de l'ingratitude de la cour et expri-
mèrent le désir de s'en retourner'. Les autres acteurs, à linsti-

1. Adcmollo. Priini ftisli, p. 20 et 21.


2. « iMettcr gclosic pcr chu S. M. veda la Conicdia ». Quelques pages après il note :

« (iran rumor alla coniedia. S. M. ha dato ordine chc non si faccia sen/a su'o ordine. »
(^opie de la Bill. Victor Cousin, 57, p. 102 (259 v"), p. 109 (262).
3. Lettre de Carlo Cantù de Paris du 8 juin 16/15 au Marquis (lautVedi à Parme.
Archives de Nuples. Fascio 191, fascicolo 4°. (Carte Farnesiane).
LES PREMIERS OPÉRAS A PARIS 6j

gation peut-être d'Andreini, cherchèrent un moyen de triom-


pher des musiciens vis-à-vis du public, et crurent l'avoir

trouvé en montant une frsf a théâtrale, une de ces pièces qui, à


Venise, balançaient la vogue des opéras et en lesquelles la

musique, la danse, les machineries et les décorations tenaient


une place considérable. Ils s'en furent trouver Anne d'Autriche,
au lendemain des représentations d'opéras à la cour, et la sup-
plièrent de demander au duc de Parme un machiniste et un
maître de ballets. La reine acquiesça à leur prière et, le 12 mars,
écrivit au duc Farnèse la lettre suivante :

« Mon cousin, la trouppe des Comédiens Italiens estant


retenue en France et entretenue par le Roy, Monsieur mon fils,

ne se trouve pas si complette que l'on n'aye besoing de quel-


ques acteurs qui sont dans vos états. C'est ce qui m'oblige à
vous faire ce billey pour vous prier de vouloir permettre au
nommé BufFette de venir en France avec Anjuline, femme de
Fabricio, napolitain ; et si elle ne pouvait venir Ipolita ou
Diana pourront prendre la place. Je vous demande aussi Jean
Baptiste Balbi ditTasquin, danseur et un décorateur de Téatre
appelé Camillo, et comme c'est chose que je désire avec pas-
sicMT, vous me ferez plaisir de leur accorder cette permission
à ma prière, ce que me promettant de votre courtoisie, je

prieray Dieu qu'il vous ayt mon cousin en sa sainte et digne


garde. Escript à Paris, le I2^' jour de mars 164^ —
Anne '
».

Le duc Farnèse se montra ravi de cette occasion de témoi-


gner à la reine sa reconnaissance pour les bons offices que lui
rendait alors notre diplomatie. Il dépêcha à Paris Carlo Cantù
dit Biijfelo, Pietro Paolo Leoni et la femme de ce dernier, la

fameuse Giulia Gabrielli dite Diana. Ces trois artistes prirent


les places de Giuseppe Blanchi (^capitano Spe7,;aferro), d'Aurclia

et de Brighella dans la troupe royale '.

1. R. Archivio di Stato di Napoli. Carte Farnesiane. Fascio 190, fascicolo 4".


La lettre est d'une lecture difficile et certains mots sont douteux.
2. Nous nous réservons d'étudier ailleurs diverses lettres des comédiens
inédites
qui nous donnent ces détails. Maurice Sand et Campardon
trompent absolument
se
dans leurs ouvrages sur la composition delà troupe italienne en 1645.
68 l'opéra italien ex frange

Le chorégraphe G. B. Balbi se trouvait à Florence lorsque le


duc de Parme reçut la lettre d'Anne d'Autriche il lui fut ;

ordonné de prendre au plus tôt congé du grand duc et de


partir en poste pour la France ". Apparemment le décorateur
Camillo était occupé à quelque entreprise qui ne souffrait
aucun retard ou le duc de Parme craignait qu'il ne lui tît pas
suffisamment honneur, car il résolut d'envoyer en France
Jacomo Torelli en personne, le plus illustre machiniste de
l'Italie, celui dont les fcslc thcitl rai i donnes sur le Iheafro novis-
5////0 de Venise ^
avaient émerveillé par leur magniiiccncc les
juges les plus difficiles.

Né à F\mo en i60(S, Torelli était fils de Messire Gandolfo,


chevalier Torelli '. Mathématicien, peintre, architecte, poète,
mécanicien, Jacomo était, en son art, une manière d'homme de
i^énie. On lui attribuait l'invention d'un inijénieux svstème de
contrepoids et de leviers qui permettait de changer d'un seul
coup et presque instantanément toute la scène ^. La hardiesse
de ses machines faisait crier au miracle et les décorations qu'il
imaginait pour les spectacles vénitiens étaient si originales que
les planches gravées qui les reproduisaient se répandaient dans
toute l'Furope modèle aux autres architectes
et servaient de
de théâtre. Tour Pa^a, le Bellerojontc'' et la
à tour, la bluta
Venere gelosa avaient rendu son nom célèbre par le monde.
Torelli arriva à Paris au début du mois de juin. Le résident
du duc de Parme, M. de X'illeré, se mit très obligeamment à

1. Balbi le dit lui-même dans la Préface des « Ballelli il'Iiiiï'iiiioin' nclUi Finta
Paiia... » (Bibl. Nat., Réserve V. 2. 566). c Le Duc de l'arme avant reçeu ordre de
leurs Majestez me fist partir en poste de Florence (où je servois le grand Duc) pour
me rendre en France le plus tost que je pourrois ».
2. Galvani. / Tcttlii niiis'uuU di ]'ciic~iii. FÀiix. Ricordi.

3. Jacomo Torelli avait pour neveu le chanteur Giulio Torelli. F-n 1654, il fit

intervenir Mazarin auprès des cardinaux Antonio Barberini et d'Esté pour tirer Giulio
Torelli de la prison de Tor di Nona où il était détenu à Rome. .\fT. Ftr. France 270,
i" 41 v».
4. Francesco Milizia. Mcuiorie dc^li architetti Aiilichi < Moderui. Parma, 1781.
Tome II, p. 213. « Fu nel Teatro SS. Giovanni e Venezia ch' inventé la
Paolo in
machina di miitar
bella in un tratio tutte le scène per mezzo di leva o di argano
mosso da un peso ».
5. Les planches représentant les décors du licllcrofontc se trouvent à la Bibl. Nat.
Réserve \ A. 55. (Ed. de 1642).
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 69

sa disposition pour le présenter ainsi que Balbi à la reine, à


M. de Lionne, M. de Souvré', gouverneur du roi. iMalheu-
à

reusement,dès début de ses rapports avec la cour, il s'aper-


le

çut d'un grave malentendu. 11 croyait être venu en France


pour servir la reine, mais on lui lit entendre qu'il était aux
ordres et à la solde des comédiens aussi son amour-propre ;

se révolta. Dans une lettre au secrétaire du duc de Parme,


en date du ii juin % il proteste que « servir les comédiens est
chose contraire à son génie et à ses habitudes », qu'il veut
« dépendre de Sa Majesté et de nul autre », qu'il est inad-

missible qu'un homme « exerçant une profession aussi


honorable et relevée que la sienne soit aux gages d'une troupe
d'acteurs ».

Le duc de Parme, qui recevait en même temps les doléances


des comédiens contre Torelli et les réclamations de Diana et

de Leoni '
qui accusaient Biijffeto d'avoir gardé pour lui seul

tout l'argent destiné au voyage, observa un silence prudent et


les laissa vider entre eux ces diverses querelles. Torelli, qui
s'attendait à être reçu à la cour en triomphateur, demeurait
dans l'inaction, exaspéré de voir que nul ne s'en émouvait et

que la reine commandait à d'autres les décorations des bal-


lets dansés à la cour. Le ii septembre, il se plaint au marquis
Gaufredi de ce qu'on laisse ses missives sans réponse ^. « Je

vous ai déjà écrit trois ou quatre


que le Résident s'est lettres,

chargé de vous envoyer, dans lesquelles je vous faisais part de


ce qui était arrivé et je n'ai encore reçu aucune réponse. Un
nouvel accident m'oblige à vous déranger et à vous prier de
vouloir bien m'assister en cette circonstance. J'ai appris de
bonne source qu'on va donner, dans la Grande Salle de la Reine,
un ballet avec théâtre et machines et que le travail sera exé-
cuté par leurs ouvriers et non par moi. Je resterais tellement
humilié d'une telle atteinte, non à mes intérêts dont je me

1. Le Commandeur Jacques de Souvré, qui fut grand prieur de France.


2. V. Pièces justificatives I, n" i.

3. Lettres de Pietro Paolo Leoni et de Giulia Gabrielli d" Diana du 21 juillet 1645.
Carte Faniesiaiie 191, fasc. 4". (Naples).
4. Pièces justificatives, I, no 2,
yO l'opéra italien en FRANCE

soucie peu, mais à mon honneur, que sans aucun doute je

retournerais sur l'heure en Itahe, puisqu'on me voudrait faire


un si grand alTront, en dépit de hi promesse de servir Sa
Majesté, sur la foi de laquelle je me suis décidé à quitter
Venise, ainsi du reste que je l'ai annoncé à tout le monde en
partant. On verrait dans ce fait la preuve que je suis bien asso-

cié aux comédiens comme le bruit en court ;


pourtant, bien
qu'il là-dedans un fond de vérité, on ne peut nier que j'aie
y ait

agi avecun grand souci de ma dignité puisque je n'ai aucune


part aux bénéhces, ni aux recettes des pièces comiques, mais
seulement des œuvres qui se doivent donner avec grand éclat
et qui comportent de la musique, comme par exemple la J'iiiUi

Pa:^::^a, néanmoins je ne puis empêcher les gens de présenter la

chose à leur manière et je ne pourrais échapper à leur médisance


qu'en travaillant à un ouvrage pour Sa Majesté. Si l'on m'en
empêche, il ne me restera qu'à retourner en Italie dés que
j'aurai achevé le premier ouvrage que j'ai entrepris, et à mon-
trer au monde que j'ai pour ne point manquer à Mon-
agi ainsi
seigneur le Duc, qui m'a envoyé en France, et pour montrer que
S. A. n'a pas fait un mauvais choix en me désignant. Je sup-

plie Son Altesse de me protéger en cette occasion par l'inter-


médiaire du Résident, M. de Villeré, et de M. de Lionne, puis-
qu'il voit que j'ai sacrifié tous les intérêts, pourtant si considé-
rables que pour voler exécuter ses ordres... »
j'ai à \'enise.
La lettre est amusante et peint au naturel l'humeur de
Torelli, infatué de sa dignité de gentilhomme, dédaigneux
et méprisant pour les comédiens. On croirait à lire ses

doléances y avait déshonneur à être l'associé d'acteurs


qu'il

traités avec estime par les plus grands princes de la terre. Balbi,

dans une lettre du 2 octobre, prétend même qu'on blâme, à

Venise, Torelli et lui de s'être accointés avec les comédiens'.


Il est intéressant d'entendre l'autre son de cloche.
Une lettre de BulTetto au marquis Gaufredi donne les véri-

tables raisons de ce différend et met en relief l'antagonisme


de la troupe comique et de la troupe d'opéra.

I. Pièces iustilicativcs I, 11° 6.


LES PREMIERS OPERAS A PARIS 7I

(( Lorsqu'arriva à Paris avec nous le Signor Torelli et que,


dans l'espoir de gagner de l'argent, nous lui donnâmes une part
dans l'entreprise de nos représentations, afin qu'il construisît
un théâtre avec machines, comme nous avons fait, tout alla
d'abord fort bien ; mais lorsque nous comprîmes qu'il rougis-

sait d'être l'associé des comédiens, tout en tirant bénéfice de nos


fatigues, et qu'il intriguait auprès du cardinal Mazarin et de
M. de Lionne, son ami dévoué, dans le dessein d'aménager un
nouveau théâtre pour des musiciens, nous fûmes dégoûtés de
lui et notre ressentiment s'accrut lorsqu'on nous dit que M. de

Lionne faisait venir des chanteurs et leur avait avancé de sa '

poche deux mille écus qui lui seraient remboursés après les pre-
mières représentations. Nous allâmes trouver la Reine qui,
après avoir entendu nos explications et comment on avait fait
venir Torelli spécialement pour nous, voulut voir en quels
termes le secrétaire Agra avait écrit au sujet de Torelli, et,

constatant qu'il l'appelait un ingénieur machiniste et Balbi un


maître de ballets etque tous deux étaient venus pour nous,
ainsi que le lui remémoraient les comédiens qui étaient en
France avant notre arrivée. Sa Majesté demanda à Torelli pour-
quoi il se refusait à travailler pour nous. Torelli protesta qu'il

était gentilhomme et prêt à exécuter n'importe quel travail,


mais qu'il voulait recevoir de Sa Majesté l'ordre exprès de
s'associer avec les honneur de
comédiens et qu'il tiendrait à
faire merveille en toute autre circonstance qu'avec les comé-

diens. Nous lui répondîmes en chœur: « nous vous avons fait


venir ici pour nous et la preuve que vous êtes notre associé
c'est que vous touchez votre part des recettes de chaque repré-
sentation que nous donnons ». Il invoqua alors son honneur de
gentilhomme et déclara qu'il rembourserait ses parts de béné-
fice. La Reine se prit à rire et entra dans le cabinet d'où sortit

bientôt le Commandeur de Souvré qui déclara en propres

I. Il est certain que, durant Tété de 164), des pourparlers étaient engagés pour faire

venir des chanteurs de Florence. Le 19 juillet 1645, Salvator Rosa écrit à Giulio Maf-
fei: Il Sig>' Bandini havea da andare in
(' Francia, ma la sua fortuna non ha
voluto. » Œuvres édit. Cesareo, tome II, p. 9. Ce Bandini mit en musique diverses

compositions de Salvator Rosa notamment un laiitento (Burnev, op. cil, IV, 157).
Salvator Rosa se brouilla avec lui en mai 1646. (Edit. Cesareo, II, p. 13.)
72 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

termes: Monsieur Torelli, Sa Majesté la Reine dit que vous


«

êtes venu pour la troupe italienne sur la requête qu'elle en


présenta à Sa Majesté et que vous devez travailler pour elle ou
ne travailler nulle part, afin de ne pas porter préjudice à la

troupe ».

« Là dessus nous fîmes accomodement avec le Signor Torelli


en échangeant de bonnes paroles et nous convînmes qu'il ne

serait plus question de l'argent qu'il avait pu toucher jusqu'à ce


jour, mais qu'à chaque représentation d'opéra qui se donnerait,
il deux parts de bénéfices. Nous avons traité de la sorte
recevrait
du gré de tout le monde, et maintenant nous n'avons plus la
moindre difficulté avec le Signor Torelli et sommes même tout
à fait satisfaits de lui, car il exécute des choses merveilleuses,
au grand dépit de M. de Lionne qui annonce qu'il fait venir les

chanteurs avec un autre machiniste mais, quand ; ils arriveront,


nous aun)ns déjà fait voir avant eux tout ce qu'ils peuvent
faire à l'exception du chant, encore les surpassons nous sur ce
point dans le genre bouffe. \\)ici, contée parle menu à V. S.,

l'affaire du Signor Torelli. Je sais que vous comprendrez mieux


que je ne puis vous l'expliquer que si Torelli nous avait
quittés pour tirer de son côté et si les chanteurs étaient arrivés
sur ces entrefaites, notre ruine était inévitable "... »

Torelli, ayant signé la paix avec les comédiens, s'était mis à

Tcxiuvre sans plus attendre. Mazarin lui ayant permis de s'ins-

taller dans la vaste salle du Petit Bourbon % il y aménagea un


théâtre pourvu d'une machinerie compliquée et brossa de
splendides décors. Le 4 octobre, il annonce au duc de Parme
le prochain envoi d'un livre décrivant les magnificences scé-

niques qu'il a inventées "\


Déjà les dessins sont terminés et on
travaille à les graver en taille douce. Le 2 octobre. Balbi déclare
dans une de ses lettres qu'on espère donner l'opéra à la fin du

1. Arcllivio cii stato di Parma. Carteggio Farnesc, Musici e Tcatro.


Voir le texte original de la lettre aux Pièces justificatives I, no 7.

2. Mazarin note sur un de ses carnets en octobre « Far il Balletto al Petit Bour-
:

bon ». Mss de la Bibl. Victor Cousin, 57.


Le Théâtre de 15ourbon était situé rue des Poulies, vis-à-vis le cloître Saint-Ger-
main-l'Auxerrois, sur l'emplacement dune partie de la colonnade actuelle,
3. Pièces justificatives, I, u" 3.
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 73

mois, avec des décors, des machines et des habits dont s'émer-
veilleront les Français.« La curiosité est grande, ajoute-t-il, et

nous escomptons de belles recettes ». '

La l'Intel P^/~-^/ de Giulio Strozzi qui avait servi à inau-


gurer le Tcatro novissimo àt Y tmst, en 1 641, et dont Torelli
avait déjà une première fois les décorations, était
exécuté
la pièce que les comédiens avaient choisie pour révéler aux

Parisiens le faste des spectacles italiens -. Cette œuvre


témoignait du goût le plus bizarre et le plus extravagant.
L'intrigue, empruntée à la légende d'Achille dans l'ile de
Scyros, met en scène le héros déguisé en femme et cherchant
à fuir pour ne pas épouser la princesse Déidamie qu'il a

séduite. Celle-ci, après mille épreuves, parvient à attendrir


son amant en simulant la folie. Balbi avait imaginé pour
cette pièce des intermèdes comiques et surprenants qu'il avait
rattachés au sujet non sans adresse. Comme la Finta Parj^a
devait être jouée d'abord en présence de la cour, il s'était efforcé

de rencontrer « le goust du Roy, qui, comme petit, vraysem-


blablement demandoit des choses proportionnées à son aage »,

et avait réglé un ballet de Singes, d'Ours et d'Eunuques, un


ballet d'Autruches qui, par un mécanisme ingénieux, allon-
geaient leurs longs cous pour boire à la fontaine; enfin un
ballet d'Indiens faisant voler des perroquets \

1. Pièces justificatives I, n° 6.
2. Sur la représentation de la Fiiita Pa~:;^d à Venise. V. // Caiinocchiale per la Finta
Pfl^~(/, Draina dello 5//o^^/, delineato da M. B. C. di G. In Venetia. M.DC.XXXXI.

Bibl. Marciana (Venise) (Cotiimedie 128). On y trouve l'éloge des auteurs et des
principaux interprètes « La musica è stata del Sig. Francesco Sacrati da Parma ch'à
:

saputo con summo stupore accopiar l'harmonia dei concerti alla Musa ». « La Si-
gnora Anna Renzi Romana, giovine cosi valorosa nell' attione, corne eccelente nella
musica... » En lisant cette description on se rend compte que les svmphonies des-
criptives jouaient un grand rôle dans la pièce et l'on ne peut que déplorer la dispa-
rition de la partition de Sacrati. Il y est fait mention aussi d'un « giovinetto quai era
un valorosissimo cantarino da Pistoia « qui est sans doute un des frères Melani, peut-
être le jeune Atto, puisque des enfants de 13 à 14 ans chantaient dans les opéras à
cette époque.
Il est dit dans la préface de la uFiiita Pa;^:(a, Draina di Giulio Stro~;;i. Venetia 1641 »,
que la pièce avec les machines de Torelli « fece stupire una Venetia ». — (Bibl. Mar-
ciana. Coininedie 1151, in-[2.)
3. V. les « Balletti d'Iiiveii:^ione nella Finta Pa;~d di Giovamhatta Balbi », qui con-
tiennent les gravures de Valerio Spada montrant les diverses figures du ballet et une
curieuse préface de Balbi (Réserve V. 2566),
74 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

On ignore le nom du compositeur, mais il est permis de


supposer que les comédiens se servirent de la partition écrite

par Sacrati pour les représentations de \^cnise en se contentant


d'y faire ajouter, par quelque musicien de
leurs amis ', un
prologue à la du jeune Louis. Peut-être
louange de la Reine et

Andreini écrivit-il les vers et la musique? Mais ce n'est là


qu'une hypothèse hasardée". La musique jouait dans la pièce
un rtMe épisodique. Il y avait non seulement des airs, des duos,
des trios, mais même des scènes entières en style récitatif %
qui permirent aux comédiennes MargaritaBartollotti, Gabriella
Locatelli et Giulia Gabrielli de déployer les séductions de leurs
voix.
La
Finta Paz_^a fut représentée, pour la première, fois le
14 décembre 1645. La Galette rendit compte en ces termes de
cette solennité: « Le 14 de ce mois, la Reine avec une grande
partie de la Cour se trouva à la comédie que la Compagnie
des Italiens représenta sous le titre de la luiiUi /-'^l;^^/ de Jullio
Strozzi, dans la grande Sale du Petit Bourbon, toute l'assis-

tance n'estant pas moins ravie des récits de la poésie et de la


musique, qu'elle l'estoit de la décoration du théâtre, de Tarti-
fice de ses machines et de ses admirables changemens de

1 .A moins que Sacrati ne soit venu avec Torelli, ce qui paraît improbable puis-
qu'aucun document ne fait mention de son passage à Paris.
2. Andreini était alors certainement à Paris. V. Picot Gli ultimi anni di Andreini :

(Rassee[iia hihlioo^rafica dell lettere Haliaiie, tome IX, p. 66). Ce qui a trait dans cette
excellente étude à la composition de la troupe italienne est malheureusement en
grande partie erronée.
3. V. Feste Tbeatmli per la Fiiila Pd;::{d, Dtaiiia del S'' Giiilio Stro:(:;[i, Rappresentate
ne] piccolo Borhonc in Puri^^i qiicst' anno MDCXLX et da Giacoino Torelli de Fano
Inventore Dedîcate a Anna D'Austria Kegina Di Fraiiciu Régnante. — Cet ouvrage ren-
ferme une description de la représentation par Giulio Cesare Blanchi de Turin, chef
de la troupe, qui ne se trouvait pourtant pas à Paris à cette époque. On y lit à propos
du prologue « et fu recitato in musica dalla non abastanza lodata Signera Margherita
Bartolotti, rappresentante l'Aurora, che col suo gra/.ioso canto attrasse talmeute
granimi tutti, che fu confessata per vera Margherita, e unica gemma di si bel arte.

Flora fu rappresentata dalla gentile e leggiadra Signora Ludovica Gabrielli Locatelli


detta Lucilla, che con la sua vivacità fè conoscere ch'ell'era una vera luce dell' armo-
nia » Acte I, se. 2. (p. 10). « Questa scena fu esquisitamente tutta cantata et in parti-
colare Tetide, che fu sostenuta dalla S''^ Giulia Gabricli detta Diana, che si al vivo
espresse gl'affetti di passione e d'ira »

Pour la scène i (p. 7) ou lisait cette indication : « duesta scena fu recitata senza
musica, ma si bene che quasi fece scordare la suavità délia preceduta armonia ».
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 75

scènes, jusques à présent inconnus à la France et qui ne


transportent pas moins les yeux de l'esprit que ceux du corps
par des mouvemens imperceptibles invention du sieur Jacques :

Torelli de mesme nation qui furent suivis debalets fort indus-


:

trieux et récréatifs, inventez par le sieur Jean Baptiste Balbi : dont


vous verrez ailleurs le détail ». '

Ce compte rendu permet d'apprécier à sa juste valeur le rôle

historique de la FiiiUi Pa~7^a. Ce n'est pas un opéra ;


la musique
n'excite aucune surprise parmi le public accoutumé à entendre
les comédies -àXQc intermèdes de l'Andreini et ne produit pas

une impression de nouveauté ; le livret passe inaperçu ; toute


l'attention se concentre sur les machines « jusques à présent
inconnues Ce n'est qu'au point de vue de l'histoire
à la France ».

de la mise en scène que la FiiiUi Pa:;p:a peut nous intéresser,


son importance au point de vue musical est nulle. Il suf-

fit pour s'en convaincre de lire les quelques lignes en les-

quelles Lefévre d'Ormesson résume ses impressions au sortir


du Petit-Bourbon: « Le mercredy 27 décembre, j'allai, après le
disner, avec M. de Fourcy à la comédie italienne, où je vis cinq
faces de théâtre diflférentes, l'une représentant trois allées de
cvprès, longues à perte de vue l'autre, le port de Chio, où le;

Pont-Neuf et la place Dauphine estoient représentés admira-


blement la troisième, une ville
-
; la quatrième, un palais où ;

vous voyez des appartemens infinis la cinquième, un jardin ;

avec de beaux pilastres. En toutes ces faces différentes, la pers-


pective estoit si bien observée, que toutes ces allées paroissoient
à perte de vue, quoyque le théâtre n'eust que quatre ou cinq
pieds de profondeur. Parmi la pièce qui estoit la Descouverfe
d'Achille par les Grecs, ils dansoient un ballet d'ours et de
singes, un ballet d'autruches et de nains, et un ballet d'Éthio-
piens et de perroquets. D'abord, l'Aurore s'élevoit de terre sur
un char insensiblement et traversoit ensuite le théâtre avec une
vitesse merveilleuse. Quatre zéphirs estoient enlevés au ciel

1. Ga~ette, 1645, p. 1180.


Ces anachronismes étaient tort goûtés. Torelli
2. avait peint pour le BeJlerotcute, en
1642, un décor représentant la place Saint-Marc et le Campanile en perspective. V.
Bellero fonte. Kes. Yd. 55.
76 l'opéra italien en FRANCE

de mesme, quatre descendoient du ciel et remontoient avec


mesme vitesse. Ces machines méritoient estre vues '
».

Les poètes de la cour exercèrent leur veine sur le thème de


« la comédie des machines '
», Maynard le premier composa un
sonnet :

Jule, nos curieux ne peuvent concevoir


Les subits cliangemens de la nouvelle scène.
Sans effort, et sans temps, l'art qui l'a fait mouvoir.
D'un bois fait une ville et d'un mont une plene.

11 change un antre obscur en un palais doré ;

Où les poissons nageoient, il fait naistre des rozes !

Quel siècle fabuleux a jamais admiré,


En si peu de momens tant de métamorphozes ?

\'oiture, piqué d émulation, écrivit sur le même sujet un


autre sonnet qui, durant quelques semaines, fit grand bruit dans
Paris \
Quelle docte Circé, quelle nouvelle Armide
Fait paroistre à nos veux ces miracles divers,
¥a depuis quand les corps par le vague des airs

Sçavent-ils s'eslever d'un mouvement rapide ?

Où l'on voioit l'azur de la campagne humide.


Naissent des fleurs sans nombre et des ombrages vers,

Des globes estoillez les palais sont ouvers

Va les gouffres profonds de l'empire liquide.

Dedans un mesme temps nous voions mille lieux.

Des ports, des ponts, des tours, des jardins spacieux.


Ht dans un mesme lieu, cent scènes différentes.

i. joiiy liai d'Olivier Lcfivie (.VOniicisoii. Edit. Chérucl I, 540.


2. Ces deux sonnets sont généralement regardés comme décrivant les magnficences
de ïOrfeo 1647). Or, Mavnard meurt en décembre 1646 et son sonnet est imprimé
(

dans le recueil de ses œuvres qui sortit des presses le 5 juin 1646. Il ne peut donc se 1

rapporter qu'à la Fiiila Pa:ii(i. \ Les Œuvres de Maynard A Paris chez Augustin
.

Courbé... M.DCXLVI, page 8 A Son Eminence sur les machines de la Comédie


: <(

Italienne... » (Bibl. Nat. Ye 1081). Voir aussi la feuille volante sur laquelle fut im-
primé le sonnet pour être offert à Mazarin. (Ms. fr. 24447, f" 33).
3. Talleniant conte à ce sujet l'anecdote suivante :Costar « avoit une telle bas-
sesse, en faisant la cour à Voiture, qu'il lui rapportoit tout ce qu'on disoit de lui. Il
arriva que M. de Montausier dit qu'il faudroit changer quelque chose à ce sonnet
qu'il a fait sur les machines des comédiens italiens. Costar alla dire à son ami que le
Marquis avoit dit que pour raccommoder ce sonnet il ne falloit refaire que
quatorze vers >>.,. Historiettes. 3e édit, (Monmerqué) édit. Garniçr, tome VII, p. 6.
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 77

Quels honneurs te sont deus, grand et divin Prélat,


Qui que désormais tant de faces changeantes
fais

Sont dessus le théâtre, et non pas dans l'Estat ? '

Ainsi poètes et chroniqueurs célèbrent à l'envi la hardiesse


des machines, la beauté des décors, la richesse des costumes,
mais aucun ne paraît se soucier de la musique, ni de la pièce.

Le véritable triomphateur, ce n'est ni Giulio Strozzi, ni

Sacrati, mais celui que le peuple parisien surnomme déjà le

Grand Sorcier, Jacomo Torelli'. Une admirable fête des yeux,


voilà ce que fut la J-iiila Pa~7,a, pour les spectateurs fran-
Ce
çais. fut elle cependant qui décida la reine et Mazarin à
monter le premier grand opéra représenté en France : VOrfco.
L'expérience de la Finta P(i:;;^a les convainquit de la néces-
sité d'associer la séduction des machines et des décorations à
celle de la musique, s'ils voulaient que les Français prissent
intérêt à des œuvres si peu conformes à leur idéal dramatique.

Les représentations de la rhita PaT^^a n'étaient pas encore


terminées que le résident de Savoie mandait à Madame Royale,
le 22 décembre 1645 '
• ^^ Les machines, qui ont été jugées

1. Les Œuvres lie Moiisieiti de l'oituic. Paris, Courbé, MDCL (Poésies), (in-4fj
p. II). « A Monseigneur le Cardinal Ma/.arin... sur la Comédie des Machines ».
(Bibl. Xat. Réserve 1 1124.
2. Il se considère si bien comme l'auteur de la pièce que c'est lui qui dédie la ma-
gnifique édition de la Fiiita Pa:^:^ii, ornée de planches gravées, à .Vnne d'Autriche
(à la datedu 24 novembre 1645).
L'ouvrage est rare. L'exemplaire de la Nationale est difficile à consulter, car il est
exposé. Celui de l'Arsenal est magnifique et n'est même pas classé à la Réserve !
(Théâtre Ancien 6.2) i, in-f*^). Le Conservatoire possède un exemplaire incomplet
des planches.
3. Le Macchine che si sono credute bellissime alla comedia che si recita da gl'
«

Italiani inmusica, ha dato molivo alla Reglna per volerne anch' essa ad una festa
che farà sul fine del Carnevale. A principio fu detto che la Maestà Sua non intendeva
di spendervi quando più di 10.000 scudi ma pian piano subentrano divers! habiti di
;

balletti che saranno di gran costo. Onde già si dice che la spesa arrivarà a 100.000 livre.
Il sr Cardinale Mazzarino ne prende un particolare pensiere ; corne che le macchine
78 l'opéra italien en France

admirables à la comédie que la troupe italienne récite en ce


moment, ont engagé la Reine à en employer, elle aussi, dans
une nouvelle fête qu'elle donnera sur la fin du prochain
Carnaval. Au début. Ton dit que Sa Majesté n'entendait
pas y consacrer plus de lo.ooo écus, mais petit à petit sont
entrés en compte divers costumes de ballets qui coûteront
lort cher. On annonce déjà que la dépense montera à
100.000 livres. Le Cardinal Mazarin prend un soin particulier
de cette affaire. Les machines sont l'œuvre d'un Italien et le
duc d'Enghien, surintendant des ballets, devant en être, la cour
estime qu'on aura point vu de chose plus singulière, ni de plus
grande dépense depuis bien des années ». Le 23 décembre,
M. Caudin confirme à M. Servien cette importante nouvelle:
« Par suite nous commencerons par le Palais Royal où M. le
cardinal a fait jouer sa belle comédie à l'italienne ', et M. le duc
d'Anguyen donnera bientost un beau ballet à la Reyne. Pour
cet effet, il a envoyé des billets à une trentaine de personnes
de condition qui tairont une despence de chacun quatre
mil livres en sorte que le ballet reviendra à plus de 40.000
escus '
».

Le 26 janvier marquis Caufredi que le


i6_i6, Torelli avise le
duc d'Enghien lui a commandé
machines de son oramlls- les

siiiio haUcIto. « On devrait le donner après Pâques, écrit-il, mais

je crois qu'à cause du grand nombre des acteurs on ne pourra

le représenter que Thiver prochain ». La prédiction devait se

réaliser et une lettre de Torelli, en date du 22 novembre 1646,


nous apprend qu'il travaille toujours aux préparatifs du grand
ballet du duc d'Enghien au Palais Royal ', cependant qu'un
avis du Nonce à Paris nous avertit qu'à l'occasion du prochain
carnaval on croit qu'il se fera un « un superbe ballet avec

sono d'opcni d'un Itali.ino e Sigr. Duci d'Anguicn, sovraintcndc a


il ballctti, i

dovcndo lui csscrnc, queuta cortc si là CDUto chc non liavra più vcduto cosa più
curiosa, né di niaggior costo da parccchi anni in quà ». Lettre de l'abbé Scaglia rési-
dent de i'iéniout .'i Paris, à S. A. R. — Arcliivio di l'oiino. 1-niiiciii, Icllere iiiiiiislri
M(i~io, 48).
1. Allusion à l'opéra du (Lu-naval de 1643.
2. AflF. Etr. France, (S 5 2, b> 223.
3. Pièces justificatives I, n" 4 et 5.
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 79

diverses machines, auquel les ducs d'Orléans et d'Enghien auront


grande part '
».

Qu'était donc ce mystérieux luilhl du duc dl:uobicu pour


lequel se faisaient de si grands apprêts et qui ne fut jamais
représenté, du moins sous ce nom ? A n'en pas douter, il s'agit

d'un avant-projet de YOrfco qu'une troupe italienne allait

chanter, au carnaval de 1647, sur le théâtre du Palais Royal,


aménagé par Torelli. La reine et le duc d'Enghien, conseillés
par Mazarin et sous l'impression des prodigieuses machines de
la Finta Par^^a avaient sans doute songé à donner un grand ballet

à l'italiennedont Balbi eût ingénieusement réglé les danses',


Torelli inventé les décorations, et une troupe de chanteurs ita-
liens interprété les scènes en musique récitative, mais, pour
une cause restée inconnue, ce projet fut abandonné et l'on

arrêta de faire composer par Luigi Rossi et l'abbé Buti, qui se


trouvaient en France, un opéra où seraient utilisées les ma-
chines, déjà commencées, de Jacomo Torelli \ condition qui
explique dans une certaine mesure l'incohérence de l'action
dramatique de YOrfeo.
Si le nom du duc d'Enghien ne fut pas associé au triomphe
de VOrfco, c'est que le vainqueur de Rocroi avait perdu son
père, Henri de Bourbon, le 26 décembre 1646, et ne pouvait se
mêler qu'avec discrétion aux fêtes du carnavals Enfin si l'appel-
lation Grand Balhi du duc dEughicn subsista jusqu'au mois
:

de décembre environ alors que l'opéra de Luigi était déjà sans

1. c( Parigi, 30 nov. 1646... Con occasionc dcl prossimo Carucvale, chc sarà lungo,
si creda sia per farsiun superbo ballo con diverse macchinc nel quai li Sg" Duclii
d'Orliens c d'Anghien haveranno gran parte per trattenimento dclla nobiltà. » Arch.
du Vatican. Kun:(iatiira di Frciiiciu, 93.
2. Balbi semblait annoncer cette occasion de se distinguer dans la préface de ses
Bitllctli d'iiivcn^ioiie iiclla Fiiita Pa~~a : « ... si tu ne trouves pas icv des choses au
dessus du commun et qui portent la peine de me tirer de mon pays,... attends de voir
mon petit talent, lorsque leurs Majestez... me donneront les moyens d'agir avec un
libre génie en entreprise de plus haulte conséquence ». (^Réserve. V. 2566).
3. Et peut-être les ballets de Balbi. Il ne faut pas oublier que VOrfeo comportera
huit ballets de genre varié.
4. Mademoiselle d'Orléans dans ses mémoires le dit expressément « M. le Duc :

d'Enghien n'eut aucune part aux divertissements de eet hiver-là, parce que, dès le
commencement, M. le Prince son père mourut ». Edit. Cheruel, I, p. 140.
8o l'opéra italien en FRANCE

doute fort avancé, c'est qu'on avait pris l'habitude de désigner


ainsi à la cour le projet de représentation qui faisait les frais de
toutes les conversations. C'est aussi qu'on avait coutume de
nommer /'(///r/.v les spectacles lyriques qui se donnaient au car-
naval. Les Xo:^:if di Peleo dl Thcll, en 1634, et Y Ercolc Amante,
en 1662, seront encore appelés /?^///^'/,v royaux çay les gazetiers et

les chroniqueurs.
I:n sommecomédiens n'avaient pas fait un bon calcul en
les

exhibant aux yeux des Parisiens émerveillés « la superbe avec


laquelle on a coutume d'élever en Italie l'appareil des comé-
dies en musique ». Loin de détourner la reine et Mazarin de
'

donner à la cour des opéras, ils les avaient bien involontaire-


ment engagés dans cette voie. Sans doute Mazarin n'avait pas
attendu le succès de la Finta Fa7^::a pour appeler en France des
chanteurs, mais il ne se fût peut-être pas hasardé à monter
une œuvre aussi fastueuse que YOrfeo, si les machines de
Torelli ne lui avaient paru capables de fasciner les esprits des
Français au cas où la musique les laisserait indifférents. Après
les représentations de YOrfeo, les comédiens n'auront plus
qu'à reprendre la route de l'Italie avec le regret au cœur d'avoir,
par leur initiative inconsidérée, provoqué ce que précisément
ils pensaient conjurer.
Cependant, la troupe d'opéra, dont les compagnons de
Biiffelo redoutaient tant la venue, était arrivée à Paris. Mon-
sieur de Lionne avait-il joué en cette circonstance le rôle qu'on
lui prétait ? Avait-il, en son nom, appelé les chanteurs et

leur avait-il avancé de sa poche l'argent nécessaire au voyage?


On en peut douter. De Lionne était alors l'homme de con-
fiance de Mazarin et il semble bien en cette affaire avoir agi
sur son ordre. Le cardinal craignait qu'on l'accusât de vouloir
italianiser la cour et, s'il ne laissait à personne le soin d'écrire
à Ivome ou à Florence pour se procurer des musiciens, il

s'arrangeait pour que le public n'en sût rien. Les personnes


bien informées attribuaient d'ailleurs à lui seul la venue des
chanteurs italiens. « Xous ne vîmes alors, écrit Madame de

1. Préface tic 15albi dci.'i citcc.


LES PREMIERS OPERAS A PARIS 8l

Motteville dans un passage de sesmémoires pour l'année 1646^


que d'agréables effets de la faveur du ministre. Pour divertir
la Reine et toute la cour, il fit faire des machines à la mode
d'Italie, et en fit venir des comédiens qui chantoient leurs
comédies en musique '
». Après nous avoir donné son impres-
sion personnelle sur cette pratique étrangère et nous avoir
averti qu'elle la prisait fort peu. Madame de Motteville nous
décrit avec verve une des représentations de la troupe d'opéra
appelée par Mazarin.
« Le Mardi gras de année [1646], la Reine fit représenter
cette
une de ces comédies en musique, dans la petite salle du
Palais Royal, où il n'y avoit que le Roi, la Reine, le Cardinal
et le familier de la cour, parce que la grosse troupe des courti-

sans étoit chez Monsieur qui donnoit à souper au duc d'En-


ghien -. Nous
que vingt ou trente personnes dans ce
n'étions
lieu et nous y pensâmes mourir d'ennui et de froid. Les diver-
tissemens de cette nature demandent du monde et la solitude
n'a pas de rapport avec les théâtres ».

Assurément Madame de Motteville n'aimait pas l'opéra, sans


quoi, au lieu de nous parler de la morne soirée du 1 3 février,
elle nous eût décrit la brillante assistance qui, peu de jours

auparavant, s'était pressée dans la salle du Palais Royal pour


ouïr r£i//5/o de Francesco Cavalli. Par bonheur le résident de
Toscane qui se trouvait à cette fête se montra moins indiffè-
rent aux beautés du spectacle et prit plaisir à en entretenir
le grand duc dans une lettre du 16 février' « La même :

1. Màiioircs (cd. Riaux, I, 265).


2. Cu détail est /.; G^/^t'/Zc (Année 1646, p. 124.)
confirme par « Le 11 Février :

(dernier du Carnaval) Madame, en la présence de Monseigneur le Duc d'Orléans,


*

donna le bal dans Luxembourg à Mademoiselle, au Duc et à la Duchesse d'Enguyen,


à la Princesse de Carignan, à la princesse Louise sa fille et à plusieurs autres Princes,
seigneurs et dames de cette cour ».
5. Di Parigi li 16 Febbraio 1646. Nella niedesinia settimana, la nuova compagnia
u

di Musici venuta ultimo d'Italia rappresentô in niusica l'opéra intitolata Eoristo alla
presenza délie Régine di Francia et d'Inghilterra, del Sigr. Duca D'Orléans, del Prin-
cipe di Conde Tommaso, havendo tutti gl'attori traspassato con l'es-
e del Principe
quisitezza musica et col loro modo di recitare l'opinione ch' havevano
délia fran- i

cesi di essi, et la Chccca Costa tra tutti gl'altri tu celebrata dall' L. M, e applaudita da
tutti gl'altri assistanti » Arch. di Firenze. Mediceo 4631.

• Li/ Galette in\X erreur le mardi-gras 1646 tombait le et non le février.


:
1 5 1 1
8'2 l'opéra italien en FRANCE

semaine, la nouvelle troupe de chanteurs, fraîchement arrivée


d'Italie, a représenté en musique l'opéra intitulé Egislo en pré-
sence des Reines de France et d'Angleterre, du duc d'Orléans,
du prince de Condé, du prince Thomas '
et des cardinaux Anto-
nio' et Mazarin ; tous les acteurs ayant par leur excellence et
leur manière de réciter surpassé l'opinion que se formaient
d'eux les Français. Par dessus tous, la Checca Costa fut fêtée par
Leurs Majestés et applaudie partons les autres assistants ».

La Sig" Anna l^ancesca Costa, qui avait, aux côtés d'Atto


Melani, chanté l'opéra à Paris, au carnaval de 1645, ètnh reve-
nue à la lin de l'automne sur la demande de Mazarin '. Les repré-

sentations terminées, elle reprit le chemin de Florence où la

réclamait son patron, le cardinal Gian Carlo Medici. Le résident


de Toscane nous assure qu'elle quitta Paris très satisfaite de
l'accueil qu'elle y avait reçu ^. Ses compagnons, dont nous
ignorons les noms, ne tardèrent pas à l'imiter, car, le 9 mars,
M. de Villeré écrit au duc de Parme « Les musiciens italiens :

qui estoient venus icy, après avoir chanté trois ou quatre fois
devant Leurs Majestés, s'en sont retournés '
». Quelques
semaines auparavant, plusieurs comédiens, parmi lesquels se
trouvait la fameuse Dimia, avaient aussi pris la route d'Italie '^.

1. Thomas de Savoie qui se trouvait à Paris depuis le 7 février et devait repartir le


22 mars.
2. Le cardinal Antonio Barberini, exilé, qui venait d'arriver à la cour.

3. Lettre du Prince Gio. Carlo Médici à Mazarin :

« Eminenti"'^' et Rev""> Sig'e Mio. Oss"'".


La Signora Anna Francesca Costa che viene a cotesta corte è molto bene accom-
pagnata dalle sue virtuose qualità ; ma perché col raccommandarla alla favorevole pro-
te/.ione di V. 1:. Rev. mi dà l'occasione d'haver ad esser inaggiormente obbligato
allasua cortesia dalla quale spero qualchc comandamento et affettuosamente bacio
a V. H. Rni" la mano. Da Castello a 29 di Xov. 1645. » (AIT. Etr. Toscane 5, fo 85).
4. Mazarin dans une au cardinal Gian Carlo Medici exprime la satisfaction,
lettre

que lui a donnée la Checca Costa n la maestà délia Regina e tutta la corte sono re-
:

stati con piena sodisfattione délie vinù di detta Sig'-'. Di Parigi le X di Marzo 1646. »

Arch. di Firenze. Mediceo 3312 1" iiS^.

Le 2 3 février 1646 le Résident Barducci écrit que la Checca « se ne torna consolatissima


di questi paesi per servire a cotesta S. Alt. conform' alT obligo con che se ne parti da
l'irenze». (Mediceo, 4651). La Checca flâna en route, car elle n'arriva qu'au mois
d'août à Florence. (Mediceo, 5393, f° 174).
). La lettre est rongée par l'humidité en cet endroit. Je crois lire à la suite « avec fort

peu »... disparu. Arch. de Parme. Cartegio Farnesiano. Fnincia, 1644-1684.


le reste a

6. La de Villeré en informe le duc Parnèse. La reine voudrait avoir Brin-


lettre
guelle et quelques autres acteurs pour remplacer ceux qui vienueut de partir.
LÉS PREMIERS OPERAS A PARIS 83

Le dépit de voir les chanteurs dans les bonnes grâces de la reine


et des plus grands seigneurs de la cour n'avait peut-être pas

été étranger à ce départ.


L'Egisto, qui venait d'être représenté devant la cour, avait
été composé par Cavalli, en 1642, pour être chanté à \'ienne.
L'année suivante, à W'nise, sur la scène du San Cassiano, il

avait remporté un succès triomphal '. L'œuvre n'était pourtant


pas très représentative de la manière du maître vénitien. On n'y
voit sa fougue prodigieuse et sa puissance dramatique que par
éclairs ". Certainement, lorsqu'il l'écrivit, Cavalli était sous l'in-

fluence du style de cantate et de l'esthétique romano-napoli-


taine qui, la même année, donnait à Rome un chef-d'œuvre :

le Pa}a:^:^o lÏ Atlante de Luigi Rossi.


Le sentiment qui domine dans cet opéra une langueur
est

voluptueuse et mélancolique dont les autres œuvres de Cavalli


n'oflVent guère d'exemples.
L'Egisto est déjà un opéra
à soli '. La pastorale un peu
niaise de Faustini semble au compositeur un prétexte à
"^

multiplier les airs et les duos qu'enchaîne un récitatif écrit

sans plaisir. 11 dépense d'ailleurs sans compter des trésors d'in-


ventions mélodiques et la reine de France qui aimait les airs
tristes '
dut verser des larmes en entendant la plainte de Cli-
mène : Piangctc, occbi dolent i^\
L'Egisto ne paraît pas avoir fait grande sensation à la cour

1. Galwmi. / Tcalri di Vciiciia. Taddco Wiel. / coiliii miisiùili coutiiriniain,


p. 58-39. La pièce fut aussi chantée à Bolosi;ne. (C. Ricci. Tcatri di Bologiia, p. 530)
et peut-être à Rome. (Ademollo, Tcatri di Rouia, p. j ). i

2. L'Egisto, Favola dramatiat Musicale di Giovanni Faustini. Venetia, MDCXLIII.


Bibl. Marciane, ms. 9935. La Bibl. de l'Arsenal possède une édition du livret de 1644
(B. L. 6193)-
3. Cf. Kretzschmar. Die l'cnetianisc/je Opcr unddie IVcikc Cavalli's und Cesli's. Fier-
fcijahrsscljri/t Jur Musikicissciisclhiff. Februar 1892. (Breitkopf).
4. La liste des personnaa;es nous donne en même temps le secret de l'intrigue :

« Lidio. amante di Clori, Clori innaniorata di Lidio. Egisto acceso di Clon. Climene
intiammatodi Lidio ». Il est évident que les deux amants malheureux après de cruelles
vicissitudes doivent finir par se consoler mutuellement.
V. la lettre d'Atto Melani citée par Ademollo, Prinii fasti, p. lô « Chi disse a
5. :

V. A. che non piacevano arie allègre li disse poco la verità, perché a S. M. non gustano
se non le malinconiche e queste son le sue favorite » (Mcdiceo 5433, f° 240).
6. Acte II, se. 6. La plainte se déroule au-dessus d'une basse chromatique obstinée,
V. Appendice musical.
84 L*OPÉRA ITALIEN EN FRANCE

de France. Monté sans doute à peu de frais, sans mise en


scène compliquée ni machines', chanté devant un pubHc très
restreint qui savait déjà ce que c'était qu'un opéra par les

représentations de l'année précédente, Y]:glslo ne dut charmer


que les seuls amateurs de musique italienne \ La majeure par-
tie des spectateurs trouva sans doute avec Madame de Motte-
ville « que les vers répétés naïvement représentent plus aisé-
ment la conversation et touchent plus les esprits que le chant

ne délecte les oreilles » et « que la longueur du spectacle en


diminue fort le plaisir » surtout lorsqu'il fait aussi froid que '

le soir mémorable du mardi gras 1646.

Parmi les invités de marque dont le résident de Toscane


énumére complaisamment les noms, en rendant compte de
la représentation de VEgislo à la cour, se trouvait un personnage

dont nous avons eu à parler en étudiant l'évolution de l'opéra


à Rome le cardinal Antonio Barberini. Ce grand seigneur
:

qui, durant plus de quinze ans, avait libéralement dispensé aux


artistes places et pt.'nsions, ce Mécène fameux auquel musi-
ciens, poètes, peintres, sculpteurs, architectes, venaient dédier
leurs œuvres \ était à cette heure bien déchu de son ancienne
splendeur. Après avoir contribué avec une légèreté et une
maladresse insignes à élever au pontificat le cardinal Pamfili,
candidat de la faction espagnole, il se vovagait persécuté par
celui dont il avait assuré le triomphe. Innocent X, à peine au
pouvoir, s'était mis en tète de faire rendre gorge aux Barberini.

1 . A Venise la représentation avait été fastueuse Faustini dans sa préface décla-


:

rait : « I teatri vogliono apparat! per destare la maraviglia e il diletto, e tal volta i
belletti, gl" ori, e le porpore ingannano gP occhi, e fanno parère belli li oggetti de-
fornii )>. A dire vrai des machines pouvaient aisément être supprimées et les décors
sont ceux de toutes les pastorales du ternps : bocage, forêt, village, palais.
2. Pourtant une lettre de l'ambassadeur de Venise, en date du 5 mars, donne à
penser que les représentations furent plus niagniliques que ne veut bien le dire Ma-
dame de Motteville : << Non ho potuto in questi due ultimi giorni del Carnevale veder
alcuni ministri, perclié li balli e le Commedie pompose ch' ha fatto rappresentar la

Regina hann' imposto silentio agi' affari ». Arch. Veneto. Sciuilo III. Sécréta F. a.
3. Madame
de Motteville. Mt'iiioircs, édit. Riaux, I, 262.
4. G. B. Doni lui dédie la Lira Baibciiiia, Torelli la décoration du Bcllerofontc,
Stefano Landi, Ma/.zocchi, Mara/.zoli, etc., leurs opéras. On peut compter les livrets
d'opéras ou les partitions imprimées entre 1653 et 1643 4^11 ne portent pas le nom
d'Antonio Barberini sur leurs titres.
LES PREMIERS OPERAS A PARIS 85

Sommes de se justifier de leurs exactions financières, ruinés


par une guerre qui s'éternisait contre le duc de Parme, sous
le coup d'une arrestation, les trois frères s'enfuirent des Etats

pontificaux en grand désarroi. Antonio Barberini arriva en


France le premier, au mois d'octobre 1643, et dépêcha aussitôt
à Mazarin son secrétaire, l'abbé Buti, le futur librettiste de
VOrfe'o, pour solliciter sa protection. Buti prit la poste mais,
épuisé par les fatigues du voyage, tomba malade Lyon
à '.

Quelques semaines plus tard, il reprenait la route de Paris où


il ne tarda pas à gagner la cause qu'il était chargé de plaider.
Mazarin avait solennellement rompu avec le cardinal Anto-
nio après l'élection du pape et lui avait fait enlever le titre de
protecteur de la France à Rome, mais il gardait un fond
d'affection et de reconnaissance à celui qui avait protégé ses
débuts dans la diplomatie et auquel il était en partie rede-
vable de son éclatante fortune. Il n'était pas fâché non plus
d'avoir une si belle occasion de se déclarer contre le pape qui
faisait le jeu de l'Espagne contre la France. Toute la cour se
porta au devant d'Antonio Barberini qui fit une entrée triom-
phale à Paris, le 11 janvier 1646 ', et s'en fut loger au palais
du cardinal Mazarin. Quelques mois plus tard, ses frères Don
Taddeo et Don Francesco le rejoignaient '. Le Parlement
cassa les bulles contre les proscrits Mazarin menaça le pape ;

de le faire déposer par un concile et porta résolument en Italie


la guerre contre l'Espagne. Il faudra les prises de Porto-Longone

et de Piombino pour faire capituler Innocent X. Le séjour en


France des Barberini est un fait notable pour l'histoire du théâtre
lyrique. Fanatique de musique, le cardinal x\ntonio ne pourra
se passer longtemps de ses virtuoses favoris et les fera venir
d'Italie.LOrfeo sera le fruit de la collaboration du poète Fran-
cesco Buti et du compositeur Luigi Rossi, l'un secrétaire parti-
culier et l'autre iiiusiro da cauicra du neveu d'Urbain VIII.

1. Lettre de Mazarin du 29 octobre. Bibl. Mazarine. Ms. 1719. Tome IV, f" 277,
2. Il était arrivé à Paris incognito le 7 janvier et avait été reçu très affectueusement
par Mazarin.
5. La Galette publie un avis de Marseille du 24 janvier comme quoi Francesco et

D. Taddeo ont débarqué à Cannes {Ga~ettc, 1646, p. 88).


CHAPITRE HT

L ORFEO

I. Le recrutement des chanteurs en Italie. — Luigi Rossi et Marc" Antonio Pasqun-


lini. — Les musiciens des souverains de Toscane et de Modène. — Le voyage.
iL L'abbé Buti et Luigi Rossi à la Cour de France. — Les concerts chez la reine. —
Les répétitions de VOrfeo.
IIL Les représentations de l'opéra au carnaval de 1647. — Le public, le spectacle. —
Succès de VOrfeo.
IV. Le livret. — La musique. — Les ballets et la mise en scène.
V. Les dernières représentations de ÏOrfco. — Triomphe de Luigi Rossi. — Disper-
sion de la troupe.
VI. La politique et VOrfeo. — Les artistes italiens à Paris durant la Fronde.

Le cardinal Antonio Barbcrini ayant pris sa part des réjouis-

sances du carnaval et s'étant concerté avec Mazarin sur la con-


duite qu'il aurait à tenir durant son exil, quitta Paris dans les
premiers jours de mars pour se rendre en Provence. Peut-être
croisa-t-il sur la route de Lyon le train du chevalier de Guise
qui s'en revenait de Malte, ramenant parmi ses gens un garçon
à mine au service de Mademoiselle d'Or-
éveillée qu'il destinait
léans, sa cousine Ce jeune enfant, auquel nul ne songeait
'.

encore à prêter attention, était lils d'un meunier florentin-,


jouait passablement du violon et se nommait Giambattista
Lulli.
Arrivé à Aix, Antonio Barberini se rencontra avec Michel
Mazarin sur le point de quitter son archevêché pour se rendre
à Rome. 11 profita de l'occasion pour lui confier diverses

1, H. Vrimièvci, Noies sur la ji'init'ssc (le LiiUy, Rii'islii Miisii-iih', 19 10, lasc. i.

2. IL Prunières, Lullx, fils Je meunier. S. I. M., juin 1912.


l'orfeo 87

lettres adressées à ses amis et partisans. Une de ces missives


destinée au Signor G. B. Bonghi ', concernait la venue en
France des deux musiciens préférés du cardinal : le castrat

Marc" Antonio Pasqualini et TiMustre compositeur Luigi Rossi.


Le S". Bonghi était averti qu'il recevrait des mains de l'arche-
vêque d'Aix un billet de cinq cents écus payable à son nom
c( Je vous recommandait Antonio Barberini, d'en remettre
prie,

trois cents à Marc" Antonio, pour les gages que j'ai accou-
tumé de lui donner chaque année quant aux deux cents ;

écus demeurant, je désirerais que vous en donnassiez la moi-


tié à Luigi pour venir en hYance et Tautre moitié à Marc'

Antonio en cas qu'il veuille accompagner Luigi ». 11 le priait


au surplus de ne parler pour le moment que des deux
cents écus et de garder en réserve le reste de la somme pour
faire subsister la famille Pasqualini, durant l'absence de Marc

Antonio ', si celui-ci se décidait à partir. Enfin il était indispen-

sable de tenir bien secrète toute cette afïitire.

On peut se demander si, en écrivant cette lettre, Antonio


Barberini cédait seulement à l'envie d'avoir auprès de lui ses
virtuoses préférés, ou s'il n"agissait pas à linstigation de Maza-

1. Bibl. Vaticane. Burh. lai. 8806, fo 25.


« Al. Sig. Gio. Batt'» Bonghi.
« Molt. Illmo Sigi". — Piglio
sicurtà di mandar a V. S. una polizza di cinque cento
scudi di Monsigr Aix pagabili a lei med"io conie vedrà dall' istessa. La prego
Archo di
a darne trecento a Marc' Antonio per quello che importano le provisioni da me solite
darsigli in un anno, gl' altri ducento desidero che V. S. ne dia la meta a Luigi per
venir in Francia e Taltra meta a Marc' Antonio, se vorrà venire con Luigi, et apresso mi
faccia tavore non far sapere che delli ducento scudi, cioè cento per uno per il viaggio
et incarichi a Marc' Antonio che per hora non si sappia costi delli trecento, havendo

voluto rimediare in tal modo a quello che é seguito contro mio ordine con lui, sin che
per altra strada lo rimedii ancora con gl' altri, che allora poi si potrà sapere di tutti
insieme. Con ogn' altro prego V. S. favorirmi di tener il tutto con sommo segreto,
havendo voluto rimediare che si M. Anto vol venirsene, lasci per qualche tempo pro-
visti i suoi. Del resto la mia confidenza con lei serva per arra di quanto potrà V. S.

sempre ripromettersi di me per valerseue sempre che mi conosca bono a servirla et Dio
la prosperi.
Di Aix H marzo 1646.
Di V. S. — AfF'"o di cuore,
Antonio Barberini. »
Il card.
2. Sur l'état de la maison du cardinal Antonio, on relève les noms de deux proches

parents du chanteur Giovanni-Antonio et Pietro-Paolo Pasqualini. Il sont serviteurs


:

du cardinal et touchent parfois le traitement de Marc' Antonio par procuration.


Archives Barberini au Vatican.
88 l'opéra italien en prance

rin, désireux d'attirer en France les deux célèbres musiciens.


Hypothèse fort vraisemblable puisque Luigi Rossi, au lieu
d'aller retrcuiver en Provence le cardinal Antonio, se rendit à

Paris directement, muni d'une lettre d'introductiow adressée


à Mazarin par le cardinal d'Esté, protecteur de France auprès du
Saint-Siège. « Le Sr. Luigi de Rossi, écrivait celui-ci, est sujet

de talent si qualifié et de tel mérite qu'il peut s'estimer digne de


la protection dont l'honorera \'otre Imminence'... » Luigi
eût-il témoigné autant d'empressement à aller retrouver le
cardinal Antonio dans un exil sans gloire qu'à venir briller à
cette cour de France dont son amie la Leonora Baroni lui '

avait chanté les louanges? On en peut douter.


De Paris, où il arriva vers le milieu de juin, Luigi dirigea
le recrutement des chanteurs nécessaires à l'opéra. Les agents
diplomatiques de Mazarin reçurent des instructions en vue
d'obtenir le congé des meilleurs virtuoses d'Italie. A Rome,
Elpidio Benedetti, secondé par Marco Marazzoli, qui touchait
une assez forte pension de l'ambassade de France en récom-
pense de ses services passés \ fit merveille. Il décida au voyage
Pamfilo Miccinello, castrat à voix de contralto du sémi-
naire romain, serviteur du cardinal Colonna "*,
et le virtuose

1. Lettre du cardinal d'Esté à Mazarin (Koiiie, 96, l" 512) :

« Enimt) e Revni° sig. mio oss"i",

« Se ne viene in cof: parti il sig"" Luigi Rossi soggetto dl cosi qualificati talenti e
virtù, che puù stimarsi degnogoder l'honore délia protez" di V. Em^a. lo pero l'ac-
di

compagno tanto più volontieri conquesta mia, quanto che nel medo tempo, ch' egli mi
porge occasione di supplicarla délie sue gratie, ho insieme campo di rassignare a
V. Em^a la rnia obligat"'^ osservanza. Negli efFetti di benignità, ch' ella si compiacerà
di fargli provare nelle sue occorenze, io riconoscero multiplicati debiti délia mia
i

seryitù verso di lei, e favorita singolarmente la mia intercessione, si come stimerô


eccessi d'humanità l'occasioni che mi darà di servirla ai suoi comandam''. E bacio a
V. Em'-i le mani. Di Roma, li 15 maggio 1646. »
2. Celle-ci aimait la musique de Luigi comme en témoigne une lettre du 25 sep-

tembre 64 5 adressée à Madame Royale de Savoie où elle déclare « Mando à V. A. R.


1 :

due canzoni del Sigr Luigi Rossi nove fatte adesso e credo le piaceranno perché vera-
mente sono belle ». Archivio di Stato di Torino. Lctlcic Particolari (Baroni).
3. Ivn 1660, Marazzoli reçoit encore une pension de .000 livres de l'ambassade. i

Rome, 141, 1" 171.


4. .\ son départ de Rome, le cardinal Coloima lui remit la lettre suivante pour
Mazarin :

« Eni'"o et Rev'"" Signore mio o'"",

« Venendo Pamfilo Miccinello chiamato in altre parti per Topra che e per rappre-
l'orfeo 89

Marc' Antonio Pasqualini. Ce dernier avait succédé à Loreto


Vittori dans la faveur de la foule. Appartenant à la chapelle
pontificale depuis 1630', il avait bien vite conquis les bonnes
grâces du cardinal Antonio qui lavait attaché à son service.
En 1637, on lit son nom à côté de ceux de Mtali, de Marazzoli
et de Mttori, non loin de celui de Giulo Mazzarini sur
la liste des « Snlarii c couipauatici deW Emiii"'<\ card. An-
tonio Barlwrinl '
y>. Dès lors, sa gloire n'avait fait que grandir.
Antonio une véritable passion et le traitait en
avait pour lui

favori, ce qui beaucoup jaser les mauvaises langues.


faisait

En 1642, une lettre de Lionne nous le montre jouant au maître


de maison à la porte du théâtre où va se représenter le P^//rt-~o
d' Allante', 11 arriva brouillerie à la comédie de Mr. le card.
(c

Antoine entre le comte de Bury, fils du marquis de Rostain


et Marc' Antonio. Le comte va un peu vite comme se sentant

appuyé de la faveur et de l'amitié que luy porte M. l'Ambassa-


deur. Il vouloit faire entrer des Français, Marc' Antonio d'un
autre costé voulust faire le patron di casa. Ils en vinrent aux
paroles et presque aux mains, ayant tenu à peu qu'ils ne se pré-
cipitassent l'un l'autre d'une élévation où ils estoient. Le comte
de Bury toucha la grosse corde et luy dict l'injure qui le pou-
voit le plus oflfenser et son maître \ L'autre fut appeler Don
Paolo Sforza qui menaça le comte de Bury de le maltraiter.
On fit les holà et le cardinal les fit embrasser ». Il eut fallu
voir en France qu'un chanteur osât tenir tête à un grand
seigneur, il fût mort sous le bâton. En Italie, il n'en allait pas

sentarsi et essendo egli Musico di questo seniinario Romano e suddito délia mia casa,
lo raccommando al benigno aflfetto di V. E. supplicandola accompatirli le sue
gratie... Roma, 7 décembre 1646. » (Rome, 98, fo 343.)
1. V. Adami da Bolsena, o/j. cit., et Celani, I ccuitori délia cappella pontificia. Rlvista

Musicale italiaiia, 1907, p. 785. Pasqualini était né à Rome en 1614. Dans beau- — •

coup de mémoires du temps on le nomme indifféremment Malagigi et Pasqualini.


M. Cametti, dans son étude sur Luigi Rossi, a cru qu'il s'agissait de deux personnes
distinctes. Il n'en est rien.
2. la Bibl. du Vatican.
Archives Barberini à
3. V. Henry Prunières, Les représentations du Pala:{io d'Atlante à Rouie eu 1Ô42.
(Bulletin trimestriel de la Soc. lut. de Musique. Janvier 1912 (XI\', 2).
4. Sur les moeurs du cardinal Antonio, voir l'anecdote rapportée par Goulas,
Mémoires, S. H. F., II, 118.
90 l'opéra italien en FRANCE

de même nous avons déjà eu l'occasion de montrer Marc'


et

Antonio et Luigi Rossi prenant place à la table d'un banquet


aux côtés de cardinaux et d'illustres gentilshommes romains.
Il y avait bien, de temps à autre, des protestations, mais elles

étaient vaines. En 1641, le cardinal Antonio ayant voulu


obliger des gentilshommes à jouer la comédie en compagnie
de Marc' Antonio déguisé en femme, il avait essuvé un refus
sous prétexte que le castrat n'était pas leur égal mais l'année '
;

suivante, la proposition avait été acceptée sans opposition et le


cardinal,pour garantir la vertu de son favori, avait brigué pour
lui un canonicat à St^-^ Maria Maggiore \

A peine arrivé en hYance, Antonio Barberini écrivit la lettre


que nous avons citée pour faire venir auprès de lui son chan-
teur préféré, Marc' Antonio pourtant ne se pressa pas de
répondre à cet appel, il laissa partir seul Luigi Rossi. C'est
alors que Mazarin, qui désirait vivement avoir Marc' Antonio
comme protagoniste du nouvel opéra, multiplia les démarches
pour le décider à quitter Rome et pour obtenir du pape son
congé de la chapelle pontiiicale. Le 26 novembre 1646, Elpidio
Benedetti mande à Mazarin '
; « En exécution de l'ordre du
cardinal Grimaldi, j'ai demandé à Monseigneur le Majordome
de S. A. S. le congé de Marc' Antonio, voyant par les lettres du
Signor Luigi le besoin pressant que l'on a de sa personne par
delà. J'ai dit à Sa Sainteté qu'étant appelé pour réciter dans un
opéra qui se doit faire par ordre de la Reine, il ne voulait pas
partir sans sa ». Le pape qui commençait à se repen-
permission
tir aveuglément suivi les conseils de la faction
d'avoir trop
espagnole, se montra fort empressé à accorder cette grâce à Maza-
rin et Elpidio Benedetti, après avoir compté cinquante écus à
^

1. RoiiK-, 80, (^ 59.

2. Roinc, 79, fo 37.


3. « In esecutione delT ordinc dcl Sig. Grimaldi doniandai a Monsgr. Mag-
Card.
giordomo di S. A. S. la liccnza pcr Marc' Antonio vedcndo dalle Icttcre dcl S'' Luigi la
premura chc costi si havcva per la sua persona. Dissi a Sua Bcatitudinc che venendo
desidcrato per rccitare in un opcra, che si deve tare per compiaciniento délia Regina,
egli non voleva partire seuza la suddetta licenza. » Roii/e, 98, 1° 325 vo.
.4. Le résident à Rome du duc de Mantoue écrit le T'' décembre 1646 « Dovendo ;

partire per Francia Malagigi, famoso musico e favorito del S^e Carde Antonio, è stato
l'orfeo 9 1

Marc' Antonio et autant à Pamfilo Miccinello pour leur habil-


lement et leur avoir donné vingt doublons en sus pour leurs
frais de route \ les fit partir en compagnie du cavalier Orsino
pourLivourne où ils devaient joindre les chanteurs venant de
Florence et s'embarquer avec eux pour la France.
Le marquis Bentivoglio avait reçu mission de Mazarin de
former une troupe d'opéra avec les meilleurs éléments dont il

pourrait disposer. Il s'était adressé aux princes amis et alliés


de la France : Mathias de Toscane s'était séparé de son cher
Atto Melani et de la S'-^ Rosina ', le prince Leopold avait
prêté la S»"^' Anna Francesca Costa, le grand duc le musicien
Jacopo Melani et le duc de Modène un excellent chanteur et
compositeur, W'nanzio Leopardi, ainsi que deux pulll Domi- :

nichino et Marc' Antonio. Le rapport qui décida le duc de


Modène à prendre ces derniers à son service nous a été con-

servé'. donne de précieux renseignements biographiques sur


Il

ces artistes peu connus et sur Giuseppe Blanchi dont nous


avons eu déjà l'occasion de nous occuper, aussi ce document
mérite-t-il d'être cité ici ce n'est pas son moindre intérêt de
:

nous apprendre comment s'opérait le recrutement des chan-


teurs au xvi^' siècle en Italie.

a licentiarsi da S. B. per essere Musico délia Capp'-» Pontificia e la S'a Sua li ha usato

moite cortesie incaricando di dover dire al Gard»; Antonio che in avvenire deve restar
sicuro del molto affetto che gli porta, e che le sarà cara ogni occasionc che se le pré-
sentera di fargli délie gratie et altri esibitioni di molta benignità. » Arch. Gonzaga.
Kotna, 1040 (Lettre de G. A. Piazza).
1. Lettre d'Elpidio Benedetti de Rome le 10 décembre 1646 « Parti tre giornisono :

M. Antonio Pasqualino e un' altro castrato che ha voce di contralto datomi per
ministerio da Marco Marazzoli. Li accompagnarno col cav^ Orsino al quale li ho
raccomandati. Al sudd'o contralto chiamato Pamfilo Miccinelli ho dato 50 scudi per
vestirsi come feci con Taltri e di più 20 dobloni per le spese del viaggio per renderne
;

conto costi. Quando il S"" Marchese Bentivogli mi mandarà il conto délie spese fatte
da lui per la medesima causa, ne inviarô poi a V. Em. un ristretto di tutte per suo
avviso. » (Ro)iie, 98, (° 364 vo.)
2. La signera Rosina Martini. \'. Ademollo, Prinii fasti délia Musitu ilaliaini in
Par loi.
3. Archives de Modène. Voir Pièces justificatives IL
On trouve dans le même dossier (Canlori c Soiiatoi-l
B-> 2-^ Musica) un rapport ^
non mais sans doute de quelques années postérieur, concernant divers musi-
daté,
ciens Notta de' iiiusici ca^lrati
: (( Nell' Apollinare Giuseppe Torelli, fiorentino,
: ;

protetto dal Sig. Marchese de Buffano, non vuole in modo alcuno uscire di Roma ;

haverà anni 18... —


Rafaelle... da Pistoia... — Franceschino Romano... Felice... —
da Treviso, etc.
92 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Relatkix d'auciixs musiciens.

Michel Aiigelo Pellegrini Anconitain... est chantre à rApt)lHnaire ;

revint y a quelques mois d'Allemagne où il servait l'Empereur.


il

Dominichino de Sainte Marie Majeure, qui habite en la maison de


l'Abbatini, maître de cette chapelle âgé de 13 ou 14 ans, chante bien ;

.^ et promet beaucoup. Un de ses frères est au service du duc de Gal-


^ licano, c'est-à-dire que ce garçon est obligé de servir son maître encore

^ un an et denii.
"§ Giuseppe Blanchi qui se trouve à Gênes se rendant à Rome a d'abord
"^ servi le préfet ' et a été surnuméraire à la chapelle -. Il revient à présent
'^ d'Allemagne où il a servi divers princes >, est jeune homme de bonnes
manières et a une très belle voix.

Marc' Antonio cieflo il Boloiyiicsc, reste à présent à l'Apollinaire,

âgé de 13 ou 14 ans, chante bien, est de bonne école, beaucoup de


grâce, une voix puissante pour son jeune âge, ira loin dans le monde.
Venanzio Leopardi da Camerino a servi longtemps le cardinal Colonna à
Bologne et au dehors comme musicien et valet de chambre, est contralto et
tenore, touche bien le clavecin et le théorbe, compose en musique aussi bien

pour l'église que pour le théâtre et la chambre. Jeune homme de bonne


mine, a été en Allemagne où il a servi un grand nombre de princes.

Le duc de Modène, éclairé par ce rapport, engagea Venanzio


Leopardi et les deux enfants qui lui étaient recommandés et les

envoya à Florence, où se rassemblait la troupe d'opéra.


Ce n'était pas une petite affaire que de passer tout ce monde
en iTance et la question préoccupait yiyement Mazarin. Dès
le 29 septembre, il mandait à l'intendant Brachet « Monsieur, :

— La Reine ayant désiré qu'on luy fit yenir d'Italie quelques


musiciens dont partie doit estre envoyée de Florence par les
soins de M. le Marquis Bentivoglio et l'autre de Rome par ceux
du S' Pilpidio Benedetti et ayant esté avisée que ce seroit le
;

plus commode tant pour les hommes que pour les femmes

1. Don Taddco Barberini.


2. Il figure en effet sur la liste donnée par Adam! da Bolsena à la date du 24 no-
vembre 1637. (^-V'' P- 201.)
'""'•>

3. Giuseppe Blanchi devait par la suite \- retourner. On le trouve en 1658 parmi


les musiciens de la chapelle impériale de Vienne. V. Kôchel, Die Kaiscrlidh' Hof-
Miisiklcalvlli' iii H'it'i/..., p. 63.
L ORFEO 93

dont cette trouppe sera composée de profiter de la jonction du


retour de l'armée navale pour les faire passer en deçà, je vous
en donne avis par ces lignes afin que vous concertiez avec
ledit Marquis et le même Benedetti, le jour et le lieu auquels
ils se trouveront pour prendre embarquement. Surtout je

vous recommande d'avoir un soin particulier qu'ils soient bien

placés et bien traittés durant leur passage, me chargeant de la

despence qu'il faudra faire pour cet effet. Je souhaiterois qu'il


s'offrît quelque bonne commodité pour leur faire achever le

voyage en compagnie de quelque personne de connaissance


qui prist leur conduitte jusqu'à Paris, et en ce cas vous n'au-
riez qu'à lui consigner l'argent que vous jugeriez à peu près
nécesssaire pour le deffrayer par les chemins ou bien je luy
ferai rendre à son arrivée ce qu'il auroit avancé, mais au détaut
de cela vous les ferez passer droict à Marseille sur quelqu'une
des galères avec un mot d'adresse au sieur Cardon, banquier
en la mesme ville, auquel j'enverray par avance les ordres
qu'il aura à suivre. Si lesdits musiciens se trouvent prests à
partir avant le retour de l'Armée, vous pourrez vous servir
pour le passage de quelqu'une des flottes qui vont et viendront
ou bien de quelque autre commodité encore meilleure s'il s'en
présente » '.

Si la grosse troupe des chanteurs ne s'embarqua à Livourne


que dans les premiers jours de décembre, quelques artistes pour-
tant étaient, à cette époque, déjà rendus à Paris. Le 9 novembre,
le résidentBarducci écritau prince Leopold- ; « Monseigneur,
La Signora Francesca Costa arriva ici sur la fin de la semaine

1. France, 261, f^ 211. Nuitter et Thoinan dans leur ouvrugt; sur Lci 0//';,'//u'5 (/f

/'( )/i('/ (7 //(///û; /.s, tont allusion à cette lettre dont ils ne connaissaient que le résumé
publié dans l'édition des Lettres deMazarinde l'Imprimerie Nationale.
Archives de Florence. Cartci^t^io del Résidente Barducci a Pari;^i col P. Leopoldo.
2.

Mcdiceo 5)75 1er, 9 novembre 1646.


« Ser"!'-' mio Sig^e,

Comparve quà la Sig''» Francesca Costa sul fine


« dclla settimana passata et, consi-
gliata dal Sig"" Commendatore di Giarres, si valse di questa mia casa dove ho procurato
mercoledi sera ch' ella volse ritirarsi ail' alloggio destinatole per
di servirla sin' a
ordine délia Regina et del Sig"" Gard. Mazzarini. M' é stata gratissima quest' occasione
di potergli mostrare in quai devozione io ricevo commandi di V. A. nella lettera
i

presentatami dalla med" sig™ Francesca alla quale andro servendo dove le occorra
durante la dimora ch' ella farà qui. »
94 L OPÉRA ITALIEN EN FRANCE

passée et sur le conseil du commandeur de Giarres est descen-


due dans ma maison où je lui ai offert Thospitalité jusqu'à mer-
credi soir, date à laquelle elle voulut habiter logement pré- le

paré pour elle par ordre de la Reine et du cardinal Mazarin ».

La Signora Francesca Costa allait être une des protagonistes


deVOrfco cl la reine qui l'avait déjà entendue, aux carnavals de
1645 ^t 1646, lui témoignait beaucoup d'estime.
\'enanzio Leopardi, qui semble avoir fait route avec les
autres musiciens, donne sur son voyage quelques nouvelles
au duc de Modène dans une lettre envoyée de Lyon le 17 dé-
cembre '. Il s'excuse de n'avoir pas écrit plus tôt et en rejette la
faute sur la mer qui a « retenu sa plume ». « A Florence,
ajoute-t-il, nous fûmes appelés chez les princes Mathias et
Leopold chez qui l'on fit de la musique. Les enfants étaient en
voix et se comportèrent bien. Les princes témoignèrent en
être fort satisfaits. Embarqués à Livourne, en huit jours nous
fûmes à Toulon et grâce à Dieu nous voilà à Lyon, tous en
bonne santé, espérant être dans huit jours à Paris ».

Le voyage fut plus long que ne le pensait Leopardi la :

troupe arriva dans la capitale au commencement de janvier,


exactement trente-quatre jours après avoir quitté Florence '.

A Paris, les auteurs de YOrfco attendaient les chanteurs en


grande impatience. Le librettiste, l'rancesco Buti, avait accom-
pagné en France le cardinal Antonio Barberini, dont il était le

secrétaire, à l'automne de l'année 164^ Très vite il avait su


inspirer confiance à Mazarin qui, dans une lettre adressée au
cardinal Grimaldi, en janvier 1646, l'estimait « très bonne per-
sonne et déjà très bien informé de cette cour '
». Diplomate

1 . Nous publions aux Pièces justilicativcs (III) les lettres écrites par Venanzio Leopardi
au duc de Modène d'après les autographes conservés dans les .Archives de Modène.
2. \'. la lettre d'Atto Melani publiée par Ademollo, p. 28.
3. Lettre du 12 janvier 1646 : << Circa il pensiero del S. (lard. Barberinoi/) di nian-

(i) Le c.irdiii.il l'r.uiccsco Barbcrini.


L ORFEO 95

avisé, fin lettré, causeur séduisant, toujours prêt à rimer une


pièce de circonstance en l'honneur de ses protecteurs, Buti ne
devait pas tarder à se créer à la cour de France une situation
privilégiée. Il aura charge de veiller sur les artistes italiens

vivant à Paris. Il dispensera aux peintres, aux architectes, aux


sculpteurs, aux musiciens et aux comédiens les emplois et les
gratifications. Il gouvernera assez despotiquement tout ce
monde et servira à Mazarin d'intendant des menus-plaisirs.
Collaborateur nécessaire des compositeurs ultramontains ap-
pelés en France, il écrira VOrfeo pour Luigi Rossi, les No:;^::ie di

PeJco c di Tbeti pour Carlo Caproli, VErcoJe auuinte pour Fran-


cesco Cavalli. Bien qu'en 1646 Buti ne fût pas encore à la

cour un personnage d'importance, il ne fut peut-être pas étran-


ger à l'abandon du projet de Ballet du duc d'Eugbieu, puisqu'on
lui commanda le poème de l'opéra à représenter au carnaval
de 1647. Ce fut lui sans doute qui conseilla à Mazarin de faire
venir de Rome Luigi Rossi, qui avait déjà mis en musique son
poème d'ovAtono Giusi'ppe figlio di Giacohhc\ quelques années
auparavant.
Luigi Rossi était arrivé à Paris au milieu de juin 1646 et, le

mois suivant, accompagné la cour à Fontainebleau où


avait
elle s'était installée pour passer les chaleurs. On s'y réjouissait

fort « les violons et les comédiens y étoient, et l'on en avoit


:

le divertissement presque tous les jours ». Au mois d'août, la -

réception de Li Reine d'Angleterre et du Prince de Galles fut


l'occasion de nouvelles fêtes ', ballets, comédies, et concerts où
Luigi fit sans doute admirer la beauté de sa voix.
Le compositeur napolitain prit contact, à Fontainebleau,
avec les musiciens français. Homme d'une exquise politesse, il

désarmait leur hostilité par ses compliments et ses louanges

dare un suo gentilhuomo qui, c rimesso a S. Em^^a di far quelle chc sarù di maggior
suo gusto, et quanto a me lo crederei solamente necessario in caso che il card. Anto-
nio riconduca seco il Buti, che mi pare assai buona persona e lo riconosco già molto
bene informato di questaCorte. » {France, 260, f" 9.)
1. V. Henry Prunières, iVoto 5(i/- Lui i^i Rossi. BuUctin trinwst. Je la Soc. lut. de
Musique, 19 10, 4e fasc.
2. Mémoires de Mademoiselle de Moiilpeiisier, éd. Chéruel, I, p. 129.
3. Galette, 1646, p. 765.
96 l'opéra italien en frange

pour tout ce qu'on lui laisait entendre. Saint-l:vremond, qui


semble l'avoir personnellement connu, assure qu'il faisait peu
de cas de nos compositeurs, à l'exception d'Antoine Boesset
pour lequel il professait une admiration très vive '. Rien
d'étonnant d'ailleurs à ce que l'auteur du mélancolique et
voluptueux Pcihi:^~() (FJflaiiie se soit plu à ouïr les mélodies
élégiaques et langoureuses, du vieux Boesset. Ce qui le charma
surtout, ce fut le chant français tel que de Nyert 1 avait réfor-
mé après son voyage à Rome. Il apprécia en fin connaisseur
l'intelligence de la diction, des nuances et des la délicatesse

ornements; il pour rendre une musique


proclama que «

agréable, il falloit des airs italiens, dans la bouche des Fran-


çois ». M. de Nyert, qui était à la cour le champion de la
'

musique italienne et excellait à la chanter, lui inspirait le plus


grand enthousiasme. Il « pleuroit de joye de luy entendre
exécuter ses airs. Que dis-je exécuter ?... s'écrie Bacilly, les

orner et mesme y changer par cy par là des notes pour mieux

quadrer aux paroles italiennes' ». Luigi, loin de s'étonner d'être


venu en France pour y apprendre comment se devait déclamer
l'italien, s'extasiait sur la manière dont Lambert, Mademoiselle
Hilaire,Mademoiselle La Varenne ou Mademoiselle de La Barre '

interprétaient ses compositions. Il fit aussi grand cas de nos


instrumentistes, trouva fort beaux nos concerts de violes, nos
clavecins, nos orgues, et apprécia « la tendresse du toucher et
la propreté de la manière » des exécutants français'.
Luigi Rossi n'était pas un inconnu pour les compositeurs
de la cour. Ses airs et ses cantates se trouvaient dans la plu-
part des recueils manuscrits qui circulaient ah)rs, et, dès 1643,
Atto Mclani, qui était son disciple, et la Leonora, qui était son

1. Saint-I'lvrcniond, Oùn'res. Londres, 171 i, t. \', p. 202.


2. Saint- l'A'rcmond, (Envies. Londres, 171 1, t. IIL p. 206.
^. 15acill\', l\runir(j/h:s nii iciiH-s .un F.lil dr J<ifii tlnuiler, 1670, p. 10.
,].
\'. Saint-l->vrcnioiui, (lîinrrs. Londres, 17:1, t. IIL p. 2oh. Le ténioi.t;nat;e de

Saint-lvvreniond est conlirmé par \c joiniitil dit de M. de (Ihantelou.


uii'tilicr InTiiiii

Hernin. en 1(163, éconte ciianter iMl'i-' La \'arenne exprime son admiration, l'abbé
et

P>nti lui dit alors « que feu Luigi disoit qu'il n'avoit jamais entendu personne chanter
si bien qu'elle » (édit. Lalanne. Paris, iiStS), in-iS", p. 1 14).

3. Saint-l'lvremond. loc. cil.


LORFEO 97

amie', avaient dû révéler ses cûiir^oni aux musiciens français.


Ceux-ci ne témoignaient plus la même indifférence que par le

passé aux œuvres étrangères. La voix des virtuoses italiens les


avait tirés de leur torpeur. Ils considéraient les airs et les mo-
tets d'Italie avec un singulier mélange d'admiration et d'effroi.

Cette musique violente, vibrante, frémissante, leur paraissait


redoutable en ce qu'elle s'adressait aux sens plutôt qu'à la rai-

son -. Tout en louant l'essai que faisaient les Italiens de « plu-


sieurs belles chordes et dissonances », ils refusaient d'ad-
mettre les libertés harmoniques d'un Prince de Venosa ou d'un
Monteverde. Ils accordaient qu'il y avait « beaucoup de belles
et bonnes choses dans plusieurs airs de différents autheurs »
'. Mais ils n'en restaient
qui vivaient par delà pas moins férus
de contrepoint dogmatique, invoquant hors de saison l'auto-
rité de Zarlino, prêchant le respect des règles et ne voulant pas
convenir que l'art madrigalesque fût mort.
Ces préjugés ne les empêchèrent pas d'accueillir courtoise-
ment Luigi Rossi et de lui soumettre leurs compositions. Go-
bert, le 17 octobre 1646, adresse à Constantin Huygens des
airs que Luigi lui a remis dès le temps de Fontainebleau ^.
«Je
luy ai fait veoir vos psaumes, ajoute-t-il, qu'il a trouvés fort
beaux. Il désire vous envover d'autres airs et avoir l'honneur

1. Le 25 septembre 1645, 1-^ Leonora envoie de Rome à Madame Rovale à Turin

des airs de Luigi Rossi dont elle parle avec enthousiasme. Arch. di Stato di Torino.
Lcttere particolari (Baroni).
Constantin Huyghens juge en ces termes un niotft de Luigi Rossi que lui a
2.

donné Gobert « Je vous envoyerai le motet du collègue de Monsieur Gobert, nous


:

l'avons essayé et trouvé faire beau bruict, à quoy je croy bien que ces Messieurs
luttent uniquement; aille de la parole comme il plaist a Dieu, et ainsi tout trépigne
ou galoppe, qui est une étrange sorte de dévotion et peut estre touchera plus les cœurs
du S. P. Q.. R. que les nostres, mais pour tout cela l'auteur témoigne entendre bien
son mestier et que s'il vouloit s'y appliquer d'une autre sorte (qui peut estre n'est pas
aujourd'huy de la mode) il le feroit en perfection, car véritablement l'harmonie en

est belle. » Œuvres coiiipKles de Christian Hiiv^bens. La Haye, 1891 (in-40), tome II,
555> 55^^-

3. V. la curieuse correspondance de Thomas Gobert avec le Hollandais Constantin


Huyghens, publ. par Jonckbloet et Land, Musique et Musieieus tiu Xl'Ih siècle. Levdc,
1882, in-40.
4. Le seign'- Louiggy m'a chargé dès Fonteinebleau des presens airs italiens pour
(t

vous les envoyer avec ses très humbles baises-mains. » (Corresp. de Conslaulin
Huyghens, p. ccxvii), dans Musique et Musiciens...
98 l'opéra italien en FRANCE

de votre bienveillance, espérant aller en Hollande et veoir ce


pays en ayant grande passion '. Si vous luy faites l'honneur de
luy escrire quelques mots en sa langue, il s'en tiendra beau-
coup honoré -. »

Luigi, tout en s'initiant à la vie musicale française et en fra-

ternisant avec des artistes italianisants comme de Nyert ou


Dassoucy, ne négligeait point pour cela la composition de son
opéra. LOrfco devait être déjà fort avancé quand une aflVeuse
nouvelle lui parvint : sa femme, la charmante joueuse de
harpe Costanza, qui avait fait les délices de Rome et de Flo-
rence', était morte presque subitement. Ce fut un billet de
l'abbé Elpidio Benedetti, en date du i^*" décembre 1646, qui en
informa Mazarin « En peu de jours
: de maladie est passée à
l'autre vie la femme du Signor Luigi, sans avoir fait de testa-
ment ». Le coup semble avoir été vivement ressenti. Seule
*

une grande douleur a pu inspirer au compositeur les plaintes


déchirantes d'Orphée et d'Aristée se lamentant sur la mort
d'Eurydice. Ainsi le grand Monteverde avait écrit, lui aussi,
son Orfeo en pleurant la lente agonie de la douce Claudia...
Luigi dut se faire violence en même temps que la fatale :

nouvelle, les virtuoses arrivèrent à Paris et il fallut, sans


perdre un moment, distribuer les rôles et commencer les répé-

titions.
Le II janvier, Atto Melani écrit à son patron, le Prince Ma-
thias '
: « Ici l'on répète une très belle comédie intitulée YOrfeo,

1. 11 ne paraît pas que Luigi ait jamais mis ce projet à exécution.


2. En réponse à Huvghens écrit le 26 novembre 1646
cette lettre, Constantin :

« Je vais tout présentement escrire au sieur Luiggi en sa langue comme vous le


desirez, mais je doibs cstre esclairé de ses qualité/, et s'il \- faut iiiolt ilhistre ou davan-
tage, je vous prie que ce soit au plus tost. (liiivres conipUia de Christian HiiVi^beiis,
>i

t. II, p. 332.
3. En 1635, Costanza avait été appelée à la cour de Toscane. V. Cametti, Docti-
iiienli su la vila di Luii;i Rossi. .Saiiiiiie/lh'iiide der I. M. G. 191 2. Jahr. XIV, I, p. 5 et 6.

4. RoDii', 98, f" 413 y". — « In pochi giorni di malatia è passata ail' altra vita la
moglie del S"" Luigi senza fare testamento. » M. Cametti a publié l'acte de décès de k
harpiste qui est en date du 27 décembre. Il \' a certainement une erreur puisque
Ik-nedettiannonce à Mazarin la mort de (iostan/.a le décembre. 11 i^^^'' l.uit sans doute

lire 27 novembre.

3. M. Ademollo a publié le te.xle italien de cette lettre dans sa pl.iquettc : Priiui


Jasli délia iiiiisiùi ilaliaiia a Pariai, p. 28.
l'orfeo 9^

paroles du Signor Buti et musique du Signor Luigi. Les chan-


teurs qui la représentent, \^otre Altesse sait déjà qui ils sont.
La Signora Rosina ', grâce à la lettre de recommandation que
vous lui avez donnée pour le Cardinal Mazarin, a reçu un rôle
dans cette pièce et fait \Y'nus la Signora Checca % Eurydice ; ;

le Signor Marc' Antonio ', Aristée le castrat des Bentivoglio, ;

une vieille et moi, Orphée. Avant peu, l'opéra sera représenté,


;

car Sa Majesté a la plus grande impatience de l'entendre et tel


est le goût qu'Elle montre pour ces comédies, qu'on prépare
encore une autre pièce pour la donner aussitôt après VOrfeo.
J'ai été déjà six fois chanter chez la Reine, au grand dépit des

autres qui, depuis la dernière fois, n'ont plus été appelés... »

Les courtisans français disputaient fort entre eux sur les

mérites des chanteurs étrangers, mais s'accordaient à leur re-

connaître de« belles qualités comme en témoigne ce passage »

du Grand Cvr/z^de Mademoiselle de Scudery, écrit aux environs


de 1647 ^ : « Il se trouva qu'il y avoit alors à Sardis grand
nombre de musiciens de Phrygie et comme vous sçavez que la :

musique lydienne et la phrygienne passent pour les plus admi-


rables de toute l'Asie et mesme de toute la terre; ceux qui
avoient entendu les uns et les autres avoient des sentiments dif-
férens, selon la conformité qu'il y avoit de leurs inclinations à
ces diverses harmonies. Ceux qui estoient mélancoliques, ou
qui avoient l'âme passionnée donnoient le prix aux Lydiens ;

et ceux de qui le tempérament estoit plus gav, le donnoient


aux Phrygiens ; les uns et les autres tomboient toutesfois d'ac-
cord qu'ils méritoient tous beaucoup de louanges. »

Plusieurs lettres adressées par Venanzio Leopardi au duc de


Modène nous donnent d'intéressants détails sur les concerts
du Palais Royal où la reine, en attendant les représentations
de l'opéra, se délectait à ouïr les voix mélodieuses que le car-

dinal Mazarin avait assemblées pour lui plaire. Le 18 janvier,

1. La S" Rosina Martini.


2. Surnom de la Sig^a Anna Francesca Costa.
3.Le fameux castrat Marc' Antonio Pasqualini, nommé aussi parfois Maldi^i'oi dans
les mémoires et correspondances du temps.

4. Le Grand Cynis. Tome X, p. 127.


tOO L OPBRA ITALIEN EN FRANCE

Lcopardi conte à son patron les péripéties de sa réception à la


cour '. « Le cardinal Mazarin, après que nous lui eûmes fait la

révérence, nous accueillit avec une extrême courtoisie, mon- se


trant curieux de savoir si V. A. se trouvait à Rome en bonne
santé et sur le champ, S. Em. donna ordre au Sig. Ondedei
(auquel j'ai présenté la lettre de Y. A.) de veiller à ce que
nous fussions bien traités, ce qui fut exécuté. Trois jours
après, nous fûmes invités à aller chanter chez la Reine et, arri-
vés à l'entrée des appartements, nous pénétrâmes avec les autres
virtuoses italiens venus ici. Sa Majesté de sa propre bouche (sic)
demanda aussitôt où et quels étaient les musiciens de V. A.
Nous nous avançâmes et fûmes alors menés en présence de
Sa Majesté devant laquelle était posé un instrument et, les "^
;

premiers, nous reçûmes l'ordre de chanter, ce que nous fîmes.


Qiiand ce fut hni, S. M. témoigna être satisfaite des enfants
serviteurs de V. A. et tous deux se trouvant en voix firent en
elfet très bien leur partie, au jugement des auditeurs. Pour

l'heure, nous travaillons l'opéra de YOrfeo où ils ont tous deux


occasion de se distinguer sur la scène. Pour moi je ne manque
pas, comme c'est mon devoir de bon serviteur de V. A., de
les faire travailler et de leur faire observer le régime au
moyen duquel jusqu'à ce jour, grâce â Dieu, nous allons à
merveille... »

Les lettres de Lcopardi nous entretiennent de lespoir, tou-


jours déçu, dune prochaine représentation de VOr/co et du
mécontentement de la reine devant ces retards. Elle se con-
sole en organisant sans cesse des concerts dans ses apparte-
ments : « J'espère, écrit-il que dans peu de jours
le 8 février >,

Sa Majesté entendra quelques-unes des œuvres musicales que


j'ai composées ici «, et la semaine suivante il décrit la soirée

où il lui a été donné de briller en compagnie de ses deux pu-


pilles. « je croirais mal faire de ne pas informer Y. A. de l'hon-

neur que nous a fait la Reine, nous avant avant-hier soir fait
appeler afin d'entendre pour la seconde fois les deux enfants

1. Pièces justificatives III, n" 2.

2. Un clavecin évidemment.
3. Pièces justificatives III, n" 5.
L ORFEO lOI

serviteurs de V. A. J'ai déjà rendu compte de la première en-


trevue à V. A. Je vais lui décrire par le menu la seconde. Nous
entrâmes dans le cabinet où se trouvaient la Reine, M. le car-
dinal, duc d'Enghien. Le prmce de Galles, fils
M. le unique de
la était assis aux côtés de la Reine,
Reine d'Angleterre,
M. le Cardinal, M. le prince de Condé, comme on l'appelle
maintenant', et les autres maréchaux étaient debout. Je com-
mençai par chanter un air à quatre voix avec Atto de M. le

prince Mathias et les deux putti de V. A. et, aussitôt après, la

Reine et M. le Cardinal demandèrent que les enfants chantassent


seuls, ce qu'ils firent pour l'agrément de toute l'assistance et
vraiment ils triomphèrent de l'émotion de la première soirée et

chantèrent beaucoup mieux. La Reine demanda si ces enfants


parlaient français. Le Signor Luigi de Rossi '
lui répondit,
d'après mes que V. A. leur avait ordonné à tous
indications,
deux de ne pas revenir à Rome à moins qu'ils ne parlassent
français, ce qui fit sourire la Reine. Les deux castrats du car-
dinal Antonio et du prince Mathias chantèrent alors, mais les "'

deux enfants de V. A. furent de nouveau réclamés parles cour-


tisans, par le duc d'Enghien et par la Reine. Appelé aussi, je
m'avançai et leur accompagnai un air qui fut, cette fois encore,
accueilli par des applaudissements unanimes... L'air étant
chanté, arrivèrent le Mademoiselle qui écoutèrent un
Roi et j

moment et l'on chanta encore un air espagnol où les deux ;

enfants tinrent leur partie.


Dans deux jours, nous irons pour la troisième fois chez
la Reine afin de lui faire entendre un morceau à quatre
voix, composé par moi à sa louange, et je profiterai de l'occa-
sion pour lui dédier, avec l'assentiment de M. le Cardinal, une
messe à six voix avec acccompagnement de six violes, dans
l'espoir que Sa Majesté donnera l'ordre de la faire exécuter. On
presse les préparatifs de l'opéra VOrfro et ces enfants ont eu

1. Il « M. le duc d'Enghien », il se reprend.


vient de dire :

2. On que Luigi Rossi présidait à ces concerts. Il portait peut-être le titre de


voit
« Maître de la Musique du cabinet du Rov » qui, en 1634, fut dévolu à Carlo
Caproli, mais il n'est pas certain que la troupe italienne du Cabinet fût dès lors
régulièrement constituée.
3. Marc' Antonio Pasqualini et Atto Melani.
102 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

quelques succès pour leur jeu ; on croit qu'à la représentation


ils ne seront pas des derniers. Cet opéra sera chose qui n'aura
jamais été encore vue en France pour la variété du sujet et la
'
richesse des habits... »
De fait, on ne s'entretenait à Paris que des préparatifs de
VOrfeo. A l'avance, les ennemis de Mazarin s'indignaient des
dépenses que cette représentation allait entraîner et les dévots
fulminaient contre « cette attache aux saletés du théâtre" ».

Mazarin affectait de tout ignorer de ces rumeurs et ne paraissait


songer qu'à la parfaite mise au point du spectacle. « ^Monsieur
le Cardinal Mazarin, écrit le i'' mars le résident Barducci \
outre les affaires d'importance dont il a ordinairement à s'oc-

cuper, a été tellement appliqué à obtenir la perfection de la


grande comédie en musique, tant désirée par S. M. la Reine,
qu'il a voulu assister plusieurs fois aux répétitions qui en
furent faites et que bien souvent il est allé inspecter les ma-
chines et presser qui pourtant sont cause que jus-
les ouvriers,

qu'à présent pu être l'eprésentée. Cette occupation


la pièce n'a
de S. Em. a empêché son chambellan de lui demander audience
pour qui que ce fût ». Le nonce Bagni, à la même date, confir-
mait au pape cette nouvelle et s'excusait de n'avoir pu encore
présenter les brefs du Saint-Père à la Reine de France trop
occupée par les répétitions de l'opéra'. Mgr Bagni s'inté-
ressait visiblement aux préparatifs de YOrfeo, car il tient
le pape au courant de tout ce qui se dit à ce sujet. Le 22 février,

il lui annonce que la première répétition avec costumes aura


lieu le dimanche suivant et, le i"' mars, il écrit « La pièce :

d'Orphée avec machines, que des musiciens italiens vont


réciter au Palais Royal, est fort louée de ceux qui ont assisté à la

1. Pièces justificatives III, n" 5.

2. Guy-Joli, Mémoires, éd. Micliaud, II, 6.

3. Arch. di Stato di Fircnze. Mcdiceo 4653. Nous donnons cette lettre aux Pièces
justificatives I\'.

4. Lettre du \^' mars au secrétaire du pape : « Hssendo queste M. Mt-' e la corte


tutta occupata nelle recreationi solite del carnevale et in particolare in un;L comedia
che rappresenta nel PaJa^-o Rdile da Musici Italiani con diverse macchine, non atten-
si

desi adalcun negotio. Sono necessitato dilerire sino alla prima o seconda settimana
di quaresima di presentare li brevi di S. S'^i portatimi dal sig'' di Bido. (.\rch. du ->

Vatican. Nun:^ialiirii di Fi\iiu'/ii, 95.^


L ORFEO 103

répétition. On l'estime pour la mise en scène, les costumes et le

reste, être digne en tous points du théâtre où elle sera chantée


et de la présence de Leurs Majestés '
».

Annonçant la première, ou plus exactement la répétition


générale de VOrfiv pour le 23 février, \'enanzio Leopardi
écrivait au duc de Modène, à la date du 22 : « On représentera
YOrfco dans trois jours et ce sera un opéra qui pour la richesse
des habits, la musique et les machines, sera le plus beau qu'ait
encore vu la France ; mais ce qui plait le plus, c'est qu'un
maître de ballets italien a réglé huit ballets de caractères variés,
dansés par les douze meilleurs maîtres de Paris. La Reine, sans
vouloir comprendre la difficulté qu'il y a à cela, veut que

tout soit prêt dans quatre jours bien que tous les rôles ne
soient pas encore distribués. On travaille aux répétitions jour
et nuit. Les enfants serviteurs de \ . A. jouent six rôles chacun
et plaisent à tous les cavaliers de la cour, et moi-même, j'ai

quelque chose à chanter dans l'opéra. On que la hâte de


dit

Sa Majesté, vient de ce que Messieurs les Maréchaux et Géné-


raux vont avant peu se disperser de différents côtés pour la pro-
chaine campagne et que Sa Majesté veut leur faire entendre
cet opéra en musique » \
Le prince de Condé avait en effet fixé au 12 mars son départ
pour l'armée d'Espagne et le maréchal de Gramont, qui se
disait idolâtre de musique italienne, devait quitter Paris dès
le 6. Enfin le carême tout proche invitait les organisateurs
à se hâter ; mais, malgré leurs efforts, on ne put être prêt pour
le 26 comme on l'avait espéré, et la date de la première fut fixée
au samedi 3 mars. Le i'^'', Leopardi mande au duc de Modène :

« On représentera l'Orfeo dans deux jours et cette nuit nous


allons répéter au Palais Royal en présence de la Reine ».

On peut être surpris de retards semblables pour une œuvre


concertée si longtemps à l'avance. Le résident de Toscane, Bar-

1. « La favola ôiOrfeo con machine, che sarà recitata da Musici italiani nel Palazzo

Reale vieu grandemente lodata da chi ne ha veduto la prova, stimandola per l'appa-
rato, per gl' habiti et per ogn' altro conto degna di quel teatro e délia presenza délie
Loro Mtà. » Lettre du i'-'" mars. Xiuiiiatiira di Fiaiicia, 95.
2. Pièces justificatives III, u» 6.
104 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

ducci, en rend responsables les machinistes ;


pourtant les déco-
rations du draihl Ballet du Ducd'Iînghieti avaient été commandées
à Torelli dès de l'année 1643. Il est vrai que la destination
la fin

première de ce spectacle avait changé, mais cela devait importer


peu à Torelli. Descentes de divinités sur des nuages, appari-
tions,enlèvements de personnages par des zéphyrs, palais aux
imposantes colonnades, forêts en perspective, paysages marins,
toute la mise en scène de cette époque gardait un caractère
impersonnel et c'était au librettiste de trouver l'occasion d'em-
ployer à propos du machiniste'. Si
les diverses inventions
le projet du Ballet du Duc d' linghien différait beaucoup du plan

de VOrfeo et s'il fallait accommoder une intrigue nouvelle aux


nécessités d'une mise en scène déjà partiellement exécutée, le

mérite de cette adaptation revient à Francesco Buti, non à


Torelli '. La tâche de celui-ci était d'ailleurs suffisamment dif-

ficile sans qu'on la lui compliquât encore à plaisir. L'obligation


de se surpasser lui-même et de faire oublier les magnificences
scéniques de la l-iiila Par,7,a n'était pas pour l'inquiéter. Il se

sentait de force à éblouir Paris par les prodiges de son art.

Mais il lui fallait, mesure du pos-


tout en respectant dans la

sible la salle du Palais Royal, construite par Richelieu pour les


représentations de Miranic, jeter à bas le théâtre ', éventrer les
murs latéraux de la scène, de manière à gagner en largeur et en
profondeur la place qui lui manquait pour installer les jeux de
machinerie qu'il avait inventés ^ Un travail de ce genre était

fort délicat, car une maladresse pouvait ruiner la salle de fond

1. Cela est si vrai que i\-/;/(//-o/;/('(/(' de Corneille sera composée pour utiliser les

décors de ï()r/co.
2. Il V eut sans doute simple adaptation de l'opéra au ballet. Un ai'visodi Roma du
9 mars annonce « nel Palazzo regio di Parigi per il carnevale travagliano 200 operarij
per il balletto che vi si bave va da fare insieme con la Rappresentat. délia favola di
Orfeo et Euridice da recitarsi dalli musici.italiani, con macchine et apparat! molto
superbi essendo la compositione stata fatta dal sig. Francesco Buti gentilhuomo del
sig. card»; Ant" Barberini. »
3. Pendant la Fronde on fera Mazarin de cette transformation de la salle du
grief à
Palais RoN'al. On lui fait démolir le théâtre construit par Richelieu
reprochera d'avoir
<<pour donner place aux immenses machines de cette ennm'euse comédie ». Im
Vcrilé toute \'uc... Choix de Mii^di i/nules S. IL /". Il, 411.
4. V. Celler. Les décors, les eosl unies el lii mise eu scène au xvii': siècle. Paris, 1869,

P- 75.
l'orfeo 105

en comble. Heureusement, pour l'exécution des décors, Torelli


trouva un collaborateur précieux en la personne de Charles
Errard qui, aidé de ses élèves, de Sève et Covpel, brossa les
toiles de fond et les praticables '. Malgré ce secours, il fut

impossible à Torelli d'être prêt au jour dit.

Les chanteurs étaient d'ailleurs fort en retard, eux aussi.


Le 22 février, quelques rôles n'avaient pas encore été distri-

bués. La reine finit par se fâcher. La cabale des dévots deve-


nait menaçante, on ne pouvait songer à donner VOrfeo pendant
le carême et, si Ton ne précipitait les choses, le carnaval allait

se passer sans qu'on eût vu l'opéra. La reine déclara que,


prêt ou non, VOrfeo serait représenté pour la première fois en
public le samedi 2 mars 1647, veille du dimanche gras.

III

Lorsqu'on sut à Paris que YOrfco, dont on parlait depuis si

longtemps, allait enfin être représenté, on ne cessa d'intriguer


auprès des gens en place pour obtenir la faveur d'assister à ce
spectacle.La salle du Palais Royal étant bien trop petite
pour contenir tous les postulants, Mazarin donna des ordres
sévères pour qu'on ne laissât pénétrer que les personnages
d'importance. Les ambassadeurs et le nonce furent priés de
n'amener avec eux qu'un gentilhomme et les résidents de
venir seuls". L'impossibilité de faire régner un ordre parfait
au milieu d'une telle presse avait engagé le maître des céré-
monies, M. Giraud, à demander aux résidents étrangers de vou-
loir bien prendre place sans obser\'er les règles du protocole et

1. « M. le Cardinal de Mazarin employa (en 1646) M. Errard pour toutes les déco-
rations d'un opéra italien qui avait pour sujet les Amours d'Orphée et Euridice et qui
parut dans la même salle où se fait aujourd'hui l'Opéra. M. Errard fut produit pour
cetouvrage par M. de Ratabon, premier commis dans la surintendance des bâtiments...
Ce fut à l'ouvrage de cette salle que M. Coypel qui n'était alors âgé que de 1 5 à
16 ans, commença à travailler pour M. Errard, qui le mit à rehausser d'or une grande
frise de rinceaux ou ornements de qui se dessinait en perspective... »
feuillages
Notice sur Charles Errard, par de Saint-Georges.
Guillet —
Mémoires inédits sur
la vie et les ouvrages des membres de TAcad. Roy. de peinture et sculpture. 1854. Paris.
2, V. la lettre du résident 3arduçci en date du 8 mars. Pièces justificatives IV.
I06 l'opéra italien en FRANCE

sans faire valoir leurs droits de préséance à l'entrée et à la sortie

de la salle, mais les résidents de Brandebourg, du Palatinat et


de Pologne refusèrent de céder le pas à ceux de Florence et

du Portugal, en sorte qu'on dut les inviter en deux troupes, la


première pour le dimanche mars, la seconde pour le mardi
>

gras.
Le samedi soir, la foule assiégeait les portes. Pour entrer,
si l'on n'avait pas reçu d'invitation expresse, il fallait con-
naître t]uelqu"un des ofliciers des gardes chargés de mainte-
nir l'ordreou quelque grand seigneur qui vous faisait pénétrer
à sa suite. Olivier Lefèvre d'Ormesson dut attendre une heure
et demie avant d'être admis grâce à l'intervention de M. de La
Alothe'. Barducci, sur la recommandation de la Checca Costa,
put entrer par une porte dérobée et trouver place dans la
loge du Commandeur de Giarres où déjà se pressaient une
dizaine de seigneurs florentins".
Tout la cour se trouvait réunie dans la salle, illuminée
par une profusion de llambeaux de cire blanche : la reine,
deux entants, attirait tous les regards. Auprès
assise entre ses
d'elle sele duc d'Orléans, Mademoiselle, le prince
tenaient
de Condé et ALtzarin. Le cardinal Antonio, demeuré en
Provence, manquait à cette fête qu'il avait contribué à orga-
niser '.

Circulant à travers l'assistance, des exempts distribuaient


des livrets contenant l'argument de la pièce. On avait cru pré-

1. « Le de Sevigné chez Bataille et du Verger...


s;imed\- 2 mars... je tus avec M>-'

après au Palais Ro\'al pour voir la la grande


représentation de comédie, où, après
avoir attendu une heure et demie, j'entrai par le moyen de M. de la Mothe. C'est
l'histoire d'Orphée et d'Eurvdiçe qui se représente en chantant. Les voix sont belles,
mais la langue italienne que l'on n'entendoit pas aisément estoit ennuyeuse. » Journal
de Lefîvre d'Ormesson édit. Chéruel, I, 377.
V. Lettre de Barducci du 8 mars, Pièces justificatives IV.
2.

3. On a d'ailleurs un peu exagéré le rôle des Barberini eu cette affaire. Mazarin,

ancien intendant: général de la maison du cardinal Antonio, connaissait personnelle-


ment Luigi Rossi, Marc' Antonio Pasqualini, Marco Marazzoli et les autres musiciens
du cardinal. Antonio Barberini fut demeuré à Rome que sans doute Mazarin eût
appelé Luigi Rossi à Paris et il faut remarquer que les chanteurs et musiciens vinrent
en France sans seulement aller rendre visite au cardinal .Antonio. Ce n'est qu'en
1649, à son second voyage en France, que Luigi Rossi ira retrouver son patron
à Lyon.
'

l'orfeo 107

férahle de ne pas publier lui-même pour laisser au


le texte

spectateur la surprise des brusques changements de décors '.


Un grand désordre régnait à l'entrée de la salle et le bruit était
tel qu'on ne pouvait commencer. La reine en était fort
irritée. Devant communier le lendemain matin, elle a\ait pro-

mis aux dévots de son entourage, qui la chapitraient, de se reti-


rer de bonne heure et elle enrageait de ne pouvoir assister à toute
la représentation, bien qu'elle eût déjà vu les répétitions et

qu'elle eût souvent entendu chanter chez elle les airs princi-

paux -.

Enfin on fit silence '


et la pièce commença. La scène représen-
tait une forteresse à laquelle une troupe de guerriers donnait
l'assaut. Un
pan de muraille s'étant écroulé, ceux-ci pénétrèrent
par la brèche en poussant des cris de triomphe. Au même
instant la Mctoire descendit du ciel et chanta des vers en
l'honneur des armes du Roy et de la sage conduite de la

Reyne sa mère. Xul ne pouvait comprendre comment elle et


son char triomphant pouvaient demeurer aussi longtemps
suspendus ^. Ce n'était pourtant là que le prologue et la
pièce elle-même comportait des prodiges de machinerie autre-
ment surprenants.
Mazarin avait été bien inspiré en faisant distribuer aux spec-
tateurs une analyse de la pièce, scène par scène, car la langue
italienne n'était pas comprise de la majeure partie du public '

1. Orphée \
Tragi \
Coniédie \
eu uiiisiquc \
A Paris \
cbe^ Sébastien Craiiioisy, Impri-
meur I
ordinaire du Roy \
M.DCXLVII.
(29 p. in-40), B. N, Yf 946. (Avis) au lec-
teur : « On a creu que les spectateurs auroient beaucoup plus de plaisir d'estre surpris
par les machines et par les diverses décorations dont cette pièce est enrichie, que de
les sçavoir avant que de les avoir on s'est contenté de mettre
veues. C'est pourquoy
simplement dans cet abrégé, ce que l'on a jugé nécessaire pour conduire leur atten-
tion par une légère idée du discours et de l'action de chaque personnage, laissant au
théâtre à faire le reste ».

2. Voir le récit tendancieux de Madame de Motteville, Mémoires, édit. Riaux, I, 313.


3. on en juge par la description du résident de Mantoue,
Silence relatif d'ailleurs si

Priardi, qui se plaint du désordre et du bruit causé par l'affluence des spectateurs.
Arch. Storico Gonzaga. Eslenii. Fraiicia 680 (8 mars).
4. Ga:^ctte au 8 mars 1647 « La Représentation nagnlres faite devant Leurs Majeste:^^
:

dans le Palais Royal de la Tragi-Comédie d'Orphée en musique et vers italiens.


(Année 1647, (n° 27, p. 202.)
5. \. Journal de Lefèvre (/'O/vz/cam'//, édit. Chéruel I, 378 et Madame de Motteville,
loc. cit.
'

I08 l'opéra italien en FRANCE

et l'intrigue était fort embrouillée. Au premier acte, apparais-

sait un bocage « dont l'estenduë et la profondeur sembloit sur-


passer plus de cent fois l'espace du théâtre ». Endymion y
consultait un augure sur la destinée de sa fille Eurydice,
promise au poète Orphée, fils d'Apollon. L'oracle ayant été
défavorable, le vieil Endymion se désolait et Eurydice se mon-
trait vaillante. Orphée survenait et chantait avec Eurydice un
tendre duo d'amour. A partir de ce moment, il devenait
difficile de suivre fils de Bacchus et
le fil de l'action. Aristée,
rival malheureux d'Orphée, un satyre, en bouf-
se lamentait,

fon nant, cherchait à le consoler et Vénus, descendue du ciel,


lui promettait son appui. Les noces d'Orphée et d'Eurydice
étaient célébrées en grande pompe, Momus chantait mille face
ties et des nymphes dansaient un ballet en agitant des torches.

Soudain celles-ci s'éteignaient et l'assemblée, effrayée du pré-


sage, invoquait les dieux. Dans un palais magnifique, sous de
vastes portiques, Vénus, déguisée en vieille, cherchait à
triompher de la vertu d'Eurydice et lui conseillait de quitter
Orphée pour Aristée. Au milieu de décors féeriques, il y eut
entre les dieux de longs conciliabules et l'on comprenait seu-
lement que les uns tenaient pour Vénus et les autres pour

Junon, protectrice d'Orphée. Dans les jardins du Soleil,


Eurydice dansait en compagnie des nymphes en faisant sonner
des castagnettes soudain Aristée et le satyre cherchaient à l'en-
;

lever et comme elle s'enfuyait, un serpent la mordait à la

jambe ; elle mourait, après avoir maudit Aristée. Apollon


et nymphes, pleurant longuement ce trépas, arrachèrent
les

des larmes aux spectateurs, « tant estoit puissante... la force de


cette musique vocale jointe à celle des instrumens qui tiroyent
l'âme par les oreilles de tous leurs auditeurs ! » L'acte finissait

par l'arrivée du Soleil, porté dans un char fiambovant, éclairé


d'or, d'escarboucles et de brillants.
L'attention de la salle était extrême. La plupart des spec-
tateurs ne comprenaient pas grand' chose à ce qui se disait,
mais le jeu expressif des acteurs et le livret imprimé leur

I. Gazette du <S mars,


LORFEO 109

permettaient de suivre le développement de Tintrigue. Beau-


coup, peu familiarisés avec les beautés de la musique italienne,

s'émerveillaient que des gens qui parlaient en chantant, signe


habituel de l'allégresse, pussent traduire des sentiments si

pathétiques'. Les machines surtout émerveillaient, encore


qu'elles ne fussent pas bien réglées et que les changements
de scène ne se fissent pas avec promptitude désirable ^
la

La reine, en quittant sa loge pour obéir à son confesseur,


détourna seule un instant l'attention des courtisans. On chu-
chota que le Mazarin devait en être fort irrité, charitable pen-
sée qui fut « une grande douceur pour un grand nombre
d'hommes ' ».

Cependant le troisième acte était commencé et l'on voyait


« un désert affreux, des cavernes, des rochers avec un antre

en forme d'allée au bout desquels à travers l'obscurité se décou-


vroit un peu de jour ». Orphée y suppliait en vain les Parques
intiexibles. Après lui, Aristée se venait lamenter dans ce sombre
décor; soudain l'ombre d'Eurydice lui apparaissait et le ren-

dait fou. Les chants du pasteur remplissaient de terreur


toute cette scène. Les horreurs infernales se dévoilèrent et

Orphée, ayant franchi le Styx, réussit à émouvoir le Roi


des Ombres^. Au son de la lyre divine, tous les monstres
d'enfer formèrent un ballet extravagant, interrompu parla nou-
velle qu'Orphée avait manqué à sa promesse. Dans les déserts

de Scythie, Orphée vint traîner sa peine mortelle, il « fit part


de sa douleur aux arbres et aux animaux », qui se mirent en

1. ce Ce n"a pas esté la moindre merveille de cette action que tout \- estant récité
en chantant, qui est le si^ne ordinaire de l'allégresse, la musique v estoit si bien
appropriée aux choses, qu'elle n'exprimoit pas moins que les vers toutes les affections
de ceux qui Renaudot. Gii:{elle du 8 mars.
les récitovent ».
2. Lettre de Monsieur de Villeré du cS mars 1647. Arch. de Parme. Carlegîiio Fanw-
siiJiio, Francia, 1644- 1682.
3. Madame de Motteville, édit. Riaux, p. 515.
4. La scène de une impression profonde. Maître Claude, con-
l'Enter produisit
cierge de l'hôtel de Rambouillet, dont Tallemant nous a rapporté les bévues, avait
assisté à la représentation d'Oz/co. « Il racontoit un jour la comédie d'Eiiridicc que le
cardinal avoit fait jouer en musique, et il disoit à une femme de chambre " Vous :

voyez l'enfer, et là vous vovez venir Plutaiijut'. —


Plutarquc ? reprit cette fille ne ;

seroit-ce pas Pluton ? —


Pluton ou Pliiliuquc, dit maître Claude, qu'importe « {His- !

toriettes, publ. par Monmerqué (3^ édit.j, tome IV, p. 121.


IIO L OPERA ITALIEN EN FRANCE

mouvement el dansèrent en cadence, mais les Bacchantes ayant


appris le trépas d'Aristée, le fils de leur dieu, elles se ruèrent
sur « le chantre Thracien », et le mirent en pièces. Jupiter
parut dans les airs et décerna à Orphée l'immortalité ; « sur
quoi les acteurs firent retentir le théâtre d\in hymne mélodieux
dont le sens estoit que la vertu parfaite se doit entièrement
détacher de la terre et n'attendre sa récompense que du Ciel '
».

Les applaudissements éclatèrent, et par toute la salle on


n'entendit plus « que les exclamations de ceux qui en louoient
extraordinairement ce qui avait fait le plus d'impression sur
leurs esprits -
». Les courtisans hostiles à Mazarin demeuraient
seuls silencieux ou faisaient observer que « la langue italienne
que Ton n'entendoit pas aisément estoit ennuyeuse ». En '

revanche, les amateurs de musique italienne exultaient. « Le


maréchal de (iramont, éloquent, spirituel. Gascon et hardi
à trop louer, mettoit comédie au-dessus des merveilles
cette
du monde le duc de Mortemart, grand amateur de la musique
;

et grand courtisan, paroissoit enchanté au seul nom du moindre

des acteurs '


».

Le lendemain, dimanche gras, YOrfco nouveau chanté fut de


et, cette fois, les machines fonctionnèrent sans accroc. La
reine assista à toute la représentation avec le jeune Louis et

parut enchantée. Le lundi il y eut un bal qui fit époque sur le

théâtre du Palais Roval '. Torelli avait jeté un plancher entre


la scène et la salle. Les violons étaient portés sur une machine ^
Le superbe décor d'une salle d'apparat qui avait servi pour les
noces d'Orphée et d'Eurydice prêta son cadre à cette fête. Tous
les ornements de cette « salle feinte » étaient rehaussés d'or et

1. Gaicttt' du 8 mars.
2. Naudé. Jif^eiiicnt de toiil ce nui a c.^tc iiiipriiiic coiitie le Caidiiial Muyiuin, p. 372.
11 X. Lb 57/26'.

5. Lefèvre d'Orniesson, édit. (^hériicl, I, 178.


4. Madame
de Motteville. édit. Riaux, p. 31 ^
5. V. Mémoires île Mademoiselle de Moi/lpeiisier, éd. Chéruel, I, p. 138 et 139. —
Madame de .Motteville, /('(. cil. la Gd^ette, etc. —
6. (I Descendit du ciel au milieu de la salle entre le théâtre et icelle, uiie machine
sur laquelle cstoient les 24 violons jouans, laquelle machine servit de pont pourvenir
de la platte forme où cstoient Leurs Majesté/ sur le théâtre... » (Cèiémoitial). ,\ft. Htr.
France, 1831, I" 27.
L ORFEO m
ce dans le lambris qui était composé d'architecture, on voyait
plusieurs tableaux que M. de Sève l'aîné avait peints et finis
d'après des dessins de M. Errard '
». Sur un trône et sous un
dais magnifique siégeait Mademoiselle, parée des mains de la

reine, des plus riches bijoux de la couronne. Le jeune Louis


dansa, et ce bal demeura dans la mémoire des courtisans
comme le plus magnilique qu'on eût jamais vu en France. Le
mardi gras, ÏOrfeo triompha pour la dernière fois, la reine
n'ayant osé le faire représenter durant le carême comme l'en

priaient le duc d'Orléans et Mazarin, si on en croit ALidame de


Alotteville'.
Le succès de VOrfeo fut immense et l'on ne saurait ajouter foi
aux Mazarinades qui, quelques années plus tard, prétendirent
que tout le monde y avait dormi
ALidame de Motteville, qui '.

n'aimait pourtant ni les opéras, ni Mazarin, convient que la


comédie fut belle, et les ambassadeurs étrangers, dont l'impar-
tialité ne saurait être mise en doute, sont unanimes à déclarer

le succès de YOrfeo. Le nonce Bagni ^, les résidents Priardi (de

ALmtoue) et Barducci (de Florence) ^ s'accordent à dire que


'

la pièce fut « fort louée de tout le monde », qu'elle a paru « tout


à fait belle », et « curieuse par sa diversité et par l'invention
des machines, des décors et des riches costumes. » Ils insistent
sur l'affluence de la noblesse et sur la foule qui se pressait dans
la salle. Seul le résident de Parme, AL de A'illeré, (//// ir\ assIsUiil

pas à cause de son deuil, dénigre la musique « longue et


ennuyeuse » et les machines de Torelli ALiis ce témoignage •.

est suspect. Villeré, ami et protecteur des comédiens du duc

I. Xotice sur Charles Errarâ, par Guillet de Saint-Georges (citée par R. Rolland,
Musiciens d'Atilrefois, p. 93).

3. ^ . la Mazarinade du
11 mars 1651, citée par Celler Les décors..., p. 75. :

du 8 mars 1647. Xuniiatura di Fraiicia, <)"). (Vatican). V. appendice III.


4. Lettre
5. Lettre du 8 mars. Arch. Gonzaga. Frauda, 680. V. appendice III.

6. Med. 4653. V. Pièces justi6catives IV.

7. Lettre du 8 mars « Si è rappresentata questi giorni passati nel Palazzo Reale la


:

comedia in musica d'Orl'eo e d'Euridice. Le macchine furno latte dal S, Torelli, cosa
riusci molto maie, la music.i longa e noiosa, le macchine impertette. Vi furno tra gli

ministri, da me in poi, chi non volse intervenire per causa del mio duolo. » {Ciirteggio
Farnesiaiio, Frauda, 1644-1682. .\rch. de Parme).
112 L OPERA ITALIEN EX 1 RANGE

de Parme, ne pouvait applaudir au succès d'une œuvre qui les \


désespérait et était bien aise de desservir auprès du duc la

cause de Torelli qui avait abandonné les acteurs pour les musi-
ciens.
La GiiT^dtc de Renaudot donna de la pièce un compte rendu

rédigé en termes hyperboliques, où transparait à tout moment


le souci de ménager les susceptibilités des dévots. La compagnie
du Saint-Sacrement était alors très puissante '. Elle n'avait sans
doute pas été étrangère à la campagne menée peu auparavant
contre Mazarin sous couleur de blâmer les plaisirs de la comé-
die '. Mais la reine, pourtant si docile aux suggestions des
dévots, avait compris contre qui le coup était dirigé et avait
tenu bon. Des docteurs en Sorbonne avaient eu beau se décla-
rer pour le curé de Saint-Germain' et proclamer solennelle-
ment que la comédie ne pouvait être fréquentée sans pécher
par les chrétiens et que les princes devaient chasser les comé-
diens de leurs Etats, Anne d'Autriche avait trouvé d'autres
docteurs plus complaisants '
pour certifier que la comédie était

bonne et licite aux princes. Quant à Mazarin, il s'était tenu coi


et avait paru se désintéresser absolument de cette querelle '.

Il redoutait l'influence des dévots sur la reine, et en particulier de


M Vincent, qui était intervenu à cette occasion. Il craignait
l'accusation d'irréligion à laquelle son dilettantisme et son
scepticisme bien connus ne donnaient que trop de prise, aussi

V. Raoul Allier La Ciihale des di'vots. Colin, 1902, p. 522 et suiv.


1. :

V. Romuin Rolland Musiciens d'Autrefois, p. 81-84.


2. :

3. « Le curé de Saint-Germain vit une affiche des comédiens italiens, où il trouva

de quov le beaucoup scandaliser, si bien qu'inférant que sur le théâtre il se disoit et


taisoit des choses à intéresser les bonnes mcxurs, il va trouver des docteurs et des

curés de ses amis et leur proposant ses doutes, ils conviennent et signent tous que la
comédie ne peut estre fréquentée sans pécher par les chrestiens et que les princes
doivent chasser les comédiens de leurs ostats. lien parle à Monsieur Vincent... et
M. Vincent se charge de le porter à Sa Majesté. Il le lui présente au Val de Grâce
sans en dire rien à Monsieur le Cardinal... » Mémoires de Goulus S. H. F., tome II,
202.
4. Ce lut Hardouin de Beaumont de Péréfixe qui rassura la reine et trouva des
théologiens de bonne volonté.
5. « Monsieur le Cardinal que cette affaire regardoit en quelque façon par le plaisir
qu'il prenoit à la Comédie italienne principalement, jugea à propos de ne rien dire,
sachant qu'il avoit assez de complaisants à la Cour et de gens de passe-temps qui
soutiendroient son intérêt en cette rencontre. « (Coulas, ilnd.).
L ORFEO I I
3

dcsirait-il éviter une nouvelle tempête à propos de YOr/iv. Bien


chapitré par lui, le gazetier chargé du compte rendu de l'opéra

eut soin d'insister à tout propos sur la haute moralité de


l'œuvre. « Ce qui rend cette pièce plus considérable, s'écrie-

t-il, approuver des plus rudes censeurs de la comé-


et Ta fait

die, est que la vertu l'emporte tousjours au dessus du vice,


nonobstant les traverses qui s'y oposent Orphée et Eury- :

dice... n'avans pas seulement esté constans dans leurs chastes


amours, malgré tous les efforts de \'énus et de Bacchus, les
plus puissans autheurs des débauches mais l'Amour mesme :

avant résisté à sa mère pour ne les vouloir pas induire à faus-


ser la fidélité conjugale. Aussi, ne falloit-il pas atendre autre
chose que des moralitéz honnestes et instructives au bien,
d'une action qui a esté honorée de la présence d'une si sage et si

pieuse Reine qu'est la nostre '


».

En dépit de ces précautions oratoires, « les dévots en


murmurèrent, nous dit Madame de Motteville ; et tous cens
qui par un esprit déréglé blâment tout ce qui se fait, ne man-
quèrent pas à leur ordinaire d'empoisonner ces plaisirs, parce

qu'ils ne respirent pas l'air sans chagrin et sans rage -


».

Bientôt la Eronde allait permettre aux dévots d'élever la voix


et d'imputer à crime au ministre les représentations de
YOrfeo. On dénoncera alors l'immoralité du spectacle, la

prodigalité de Mazarin, les défauts de l'œuvre. Au lende-


main des premières, on ne trouve aucune trace pourtant
de critiques « YOrfeo a été joué, écrit Leopardi au duc de
:

Modène, et a si bien réussi qu'il a remporté des applaudisse-


ments universels. La reine, le roi et le petit Monsieur avec
toute la cour sont venus, les trois soirs qu'il a été donné, et
sont restés jusqu'à la fin bien qu'il durât six heures ^
».

Le grand public fut surtout frappé de la hardiesse des


machines, de la rapidité des changements de scène, et de la
richesse des décors ^ On n'avait encore rien vu de pareil en

1. Galette, p. 212.
2. Mémoires, édit. Riaux, p. 312.
3.
\'. Pièces justificatives III, n" 12.
4. On trouve trace de l'impression produite dans le public par \'0)j'co en un curieux

8
ÏI4 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

France, si l'on excepte la J^liifa PuT^a. Les comédiens de


l'hôtel de Bourgogne ne disposaient à cette époque que de
moyens tout à fait primitifs pour la mise en scène des
pièces qu'ils représentaient '. Les trucs de machineries qu'ils
employaient, étaient presque aussi grossiers que ceux des mys-
tères du moyen-âge. Torelli révélait à tous un art nouveau,
somptueux, enchanteur. Il transportait les esprits dans un
monde féerique, créait autour de l'action une atmosphère sur-
naturelle, procurait aux spectateurs de délicieuses illusions'.
Les poètes de la cour célébraient tous à l'envi les magnifi-
cences de YOrfeo et, comme de juste, en faisaient honneur
à Mazarin. Un Macedo, composa
cordelier espagnol, le R. P.
même un long et pédantesque poème en vers latins à la louange
de YOrfeo et la Signora Margherita Costa consacra, dans sa
'

Troniba cli Paiiiasso, de nombreux sonnets aux auteurs, aux


interprètes et même aux principaux admirateurs de l'opéra^.

IV

Le succès de YOrfeo, au carnaval de 1647, ne saurait être mis


en doute, mais les viciuoircs du temps témoignent que les
applaudissements allèrent surtout aux chanteurs, au\ machi-
nistes, aux danseurs, et que, seuls, quelques amateurs éclairés

ballet public peu après. Il s'iniitulc << Le Biillri tics Miicl.uiws reprcsetilaiit le V<^ acle de
la Morl tl'Orphee et iPEiiridice y^ (puhl. par Lacroix, liallds cl Mascarades de Cour.
Turin, Gav, 1870, in-12 (Tome VI, p. 225).
1. V. R'igal. Le tbédlre français aviiiil la fn-iioilc classujuc. Paris, Hachette, 1901,
p. 255 et suiv. — Alexandre Hard\ cl le llk'dtrc français... Paris, Hachette, 1890, in-80.
— Marsan, la Pastorale dranujliijue (reproductions de décors d'après le registre de
Mahelot, en appendice).
2. « La Machine... augmente et embellit la fiction, soutient dans les spectateurs cette

douce illusion qui est tout le plaisir du théâtre, où elle jette encore le merveilleux....
Le propre de ce spectacle (l'opéra) est de tenir les esprits, les veux et les oreilles dans
un égal enchantement. » La Bruyère. Les Caractères {Des ouvrages de l'esprit).
3. Kaudé. Jugement de loul ce qui a esté iinprinié contre le Cardinal, 1649, p. 572 et

suiv. (B. K. Lb 37/26).

4. Tromha di Parnasso. Paris, Cramoisy, 1647, in-f" (B. N. Yc. 2041). On v trouve
des vers pour Luigi Rossi, Buti, Marc" .\ntonio Pasqualini, le Maréchal de Gramont,
le Duc de Mortemart, etc.
l'orfeo 115

saisirent la beauté et la nouveauté de l'opéra de Luigi Rossi.


Pourtant VOrfeo n'est pas un opéra comme il s'en représentait
vingt, chaque année, en mais un chef-d'œuvre et l'une
Italie,

des créations les plus puissantes et les plus originales de l'art

mélodramatique au xvir' siècle '

; au reste, par ses qualités


comme par ses défauts, œuvre si foncièrement italienne, si

peu accessible à la mentalité française, que le grand public est

excusable de n'y avoir rien compris.


Le poème' de l'abbé Francesco Buti est d'une incohérence
et d'une bizarrerie surprenantes. Si nous n'avions déjà rencon-
tré sur notre chemin les pièces de l'Andreini, nous devrions
insister sur l'étrange orientation du théâtre italien à cette épo-

que. On a rompu avec la tradition antique, on ne se préoccupe


aucunement de vraisemblance pour les situations, ni de vérité
pour les caractères. On vise à la singularité, à l'effet. On consi-
dère l'extravagance comme une qualité précieuse et les inven-
tions les plus bizarres sont louées pour leur nouveauté \ Le
goût italien a besoin, selon l'expression de Boileau, « d'épices
et de poivre s'accommode mal d'un idéal de beauté simple
», il

et nue. Mais il est trop facile de condamner, au nom de la raison


et du bon sens, le théâtre italien de cette époque, mieux .

vaut cherchera découvrir ce qu'il renferme d'intéressant. Il v


a du génie au milieu des divagations de G. B. Andreini. Sans
YAdaïuo, Milton n'eût sans doute jamais écrit son PariuUsc Lost
et c'est à une tragédie sacrée de Girolamo Bartolommei que

Corneille semble avoir emprunté le sujet dePolyeucte'^.


L'esthétique théâtrale italienne, à côté de graves défauts,
avait l'avantage de se prêter à une véhémence et à une variété

1. Nous préparons actuellement une édition du texte intégral de VOrfeo d'après le

manuscrit de la Bibliothèque Chigi, à Rome.


2. Une copie manuscrite du livret se trouve à la Bibl. Barberini au Vatican ;

LOrfco, Tragicoiiediii per iniisica (cod. hsLrh. 3803). La pièce ne fut jamais imprimée,
on se contenta, comme nous l'avons dit, de publier une analvse de la pièce : Orpl)ce
tragi-comédie eu musique, à Paris chez Sébastien Cramoisv... MDCXLVII (29 p.
in-40). Bibl. Nat. Yf. 946.
3. V. préface de la Ceutaura d' Andreini.
la

H. Hauvette. Uu précurseur ila/ieu Je Corueille. Grenoble, 1897.


4. Cf.
Dans les Dramuii luusicali (1656) de Girol. Bartolommei on trouve une Cerere
raccoiisoltili! dédiée à Mazarin.
Îî6 l'opéra italien en FRANCE

d'expression extraordinaires et par là convenait fort bien à la

musique. Ces livrets où le rire alternait sans cesse avec les


larmes, où des personnages s'égayaient tandis que d'autres se
lamentaient, où les passions étaient portées à leur paroxysme,
permettaient à un grand musicien de manifester son génie
dans les genres lesplus divers. La magie des sons transfigurait
les vers médiocres, faisait passer l'invraisemblance des situa-
tions. On oubliait les personnages, on oubliait le sujet et
l'intrigue, on riait, on pleurait, on se laissait agiter de senti-
ments contraires, au gré de l'artiste, maître des cœurs et des
âmes. Pour comprendre cette esthétique dramatique si diffé-

rente de celle qui provoquait alors en France l'éclosion des


chefs-d'œuvre de Corneille, il faut se rappeler la sensualité des
contemporains du Bernin. La musique les ravissait parce
qu'elle s'adressait à leurs sens plus encore que les arts plas-
tiques. Ils en attendaient de puissantes impressions plutôt que
des enseignements. De même que le Bernin en sculptant le

corps jeune qui semble défaillir sous les caresses d'un invisi-
ble amant, se préoccupait peu d'évoquer la vie édifiante de la

bienheureuse Ludovica Albertone, de même les librettistes


romains ne voyaient dans Thistoire de Saint Alexis ou dans la

légende d'Orphée qu'un prétexte à d'ingénieux développements.


L'abbé Buti ne songe pas à conserver au mythe antique
sa noble simplicité : une foule d'incidents surgissent au
moment où l'on s'y attend le moins. Aristée, fou d'amour,
se désespère de mort d'Eurydice
la ()/'/ rs-tii ? Pourquoi '
:

fuir? gémit-il. Soudain arrivent les deux bouffons de la pièce,


le Satyre et Môme, qui chantent gaiement. Ils raillent Aristée
qui se lamente et divague. entonne alors un air
Le fou
de bravoure que le Satyre et Môme
accompagnent en imi-
tant la trompette et le tambour'. Aristée déclame sur un
rythme guerrier : « Aux armes, mon cœur |
et contre la

rigueur |
de beauté avare |
tesarmes prépare Or sus sus |
! !

I
Cuerre, Cuerre, Ah Ah ! ! Ah l-erme, L^Tme, Ferme
!
|
qui |

1. Acte III, se. 4.


2. La fin de ce trio a été publiée par (ioldsciimidt. Sludicu :;iir ilaJieiiisclieu Oper.,
tome I, p. 306.
l'orfeo 117

est hardi |
ne perd jamais |
'
! Tandis que les bouffons hurlent
de belliqueuses onomatopées: Tarara, Tappata...
Cette scène ne résisterait pas à la lecture, mais, par la variété
des sentiments qui y sont exprimés, elle convient à la musi-
que. C'est d'ailleurs une exception et, trop souvent, les scènes
comiques que le librettiste fait alterner avec les épisodes dra-
matiques sont du plus mauvais goût \^énus engage Aristée à :

être plus soigneux de sa personne s'il veut plaire au beau sexe


et le fait coiffer et parer par les Grâces -. Le Satyre aussitôt
demande à être, lui aussi, « accomodé » de la même manière.
Les Grâces frisent ses crins rudes et lui font endurer mille
maux. Molière écrira une scène semblable dans la Pastorale
Comique \ mais elle sera du moins à sa place. Les tragiques
amours d'Orphée deviennent, sous la plume de l'abbé Buti,
l'histoire d'un mariage entre un brave homme de poète et une
jeune fille de bonne famille. Endymion, le père de la fiancée,
est un vieux bourgeois ridicule qui tremble que sa fille ne soit

pas heureuse en ménage \ Des situations tragiques deviennent


presque burlesques à force de mauvais goût. Eurydice pré-
fère mourir plutôt que de laisser Aristée détacher de sa
jambe le serpent qui la tue \ Excès de pruderie qui fait
songer à la mort de l'héroïne de Bernardin de Saint-Pierre !

L'ombre irritée d'Eurydice apparaît à Aristée et lui souhaite une


longue vie pour n'avoir à souffrir de sa présence aux Enfers
que le plus tard possible '\ Proserpine est jalouse des atten-
tions que Pluton témoigne à la belle morte et intervient pour

1. « Air armi, niio core,


E contro il rigore
D'av.ira beltà
Tue forze prépara.
Sù dunque su, su !

Guerra, guerra, ah, ah, ali !

Serra, Serra
Serra, serra s'ardito sei tu
Non perdi mai più tu, tu, tu...

2. Acte I, se. 4.

3. Se. I. Edition Grands Ecrivains, tome VI, p. 192.


îles

4. V. la longue analyse de la pièce dans Menestrier {Des représentations en musique,

p. 195 et SLiiv.) où les ridicules de l'intrigue apparaissent particulièrement criants.


). Acte II, se. 9.

6. Acte III, se. 3.


Il8 l'opéra italien en FRANCE

qu'elle soit rendue à Orphée '. A chaque instant, le désir de


paraître ingénieux entraîne l'abbé Buti à des aberrations de ce
genre et Ton ne finirait pas si on les voulait toutes rechercher...
L'abbé Buti — et ce détail a été trop négligé par les histo-
riens du théâtre — a pourtant un mérite : celui d'avoir imposé
à l'admiration des Français un certain nombre de formes lyri-

ques que l'opéra lulliste devait rendre populaires : prologues


où sont célébrées les vertus du souverain et la gloire de la
France, scènes de sommeil, de sacrilices, d'oracles, combats,
visions infernales, cérémonies funèbres. Certes Buti n'a rien
inventé de tout cela. La plupart de ces formes dramatiques
étaient depuis longtemps déjà passées de la pastorale dans
l'opéra, mais il les a révélées au public parisien et en a systé-
matisé l'emploi. Quinault, dans une vingtaine d'années,
n'oubliera pas les leçons de l'abbé Buti et fera son profit des
opéras représentés en France sous le ministère de Mazarin.
Le prologue d'Or/W) est construit comme la plupart de ceux
qui ouvrent les opéras luUistes. Le Père Menestrier observe
justement forme une pièce détachée sans rapport avec le
qu'il

sujet du drame '. Des chœurs guerriers commencent la scène,


puis la \'ictoire entonne un hymne triomphal en l'honneur de
la F'rance « Me voici et quand, invincibles armées de la
: !

Gaule, vous ai-je jamais fait défaut ? Je marche avec ces dra-
peaux ; ces lis d'or qui flamboient sont mes propres caractères
qui disent clairement : que tout ccôii au Monarque Français !

Me voici ! ai reçu votre Roi sur un berceau de


C'est moi qui
trophées, et qui penché sur son front mille palmes. C'est
ai

moi qui fais trembler sous son empire les deux Hémisphères,
et qui ai posé pour lui un frein sur l'immense océan '... » La
Mctoire célèbre alors la grande Anne « dont les belles mains
tiennent le sceptre et lancent la foudre ». Les chœurs de nou-

1. Acte III, se. 5 et 7.

2. « Ce prologue n'étoit pas de l'action d'Orphée, il iaisoit une pièce détachée, ce


que les Italiens se sont permis assez souvent... » Des représcnlatioiis en )iuisiqiic. Paris,
René Guignard, MDCLXXXI, p. 196.

3. Passage traduit et cité par M. Romain Rolland, Musiciens d' Aiilrefois, p. 91,
note 3.
LORFEO 119

veau éclatent et terminent cette scène qui annonce déjà les

prologues patriotiques à\-lJccste et de Thésée.


L'abbé Buti sait son métier de librettiste. Il excelle à souder
entre eux des duetti et des ariettes. Il n'est pas rare de voir les

personnages de VOrfeo dialoguer au moyen de petits airs

alternés '
et l'on comprend comment certains poètes français,
spectateurs de l'opéra, s'imaginèrent trouver une solution au
problème mélodramatique en juxtaposant des chansons sans
pour se conformer au goût du
faire intervenir le récitatif. Buti,

musicien, évite le récitatif et s'efforce d'amener le plus grand


nombre d'airs possible dans le cours du dialogue. La manière
dont certains airs sont introduits est laborieuse. Le public est
averti que le chanteur va faire entendre un morceau digne
d'attention. Ainsi lorsque \Ymius, déguisée en vieille, cherche
à séduire Eurydice et à lui faire rompre son union avec Orphée,
le dialogue suivant s'engage :

Eurydice. — Ah ! tu ne sais pas ce que chante mon cœur tout le jour !

La Vieille. — Non, si je ne l'entends.


Eurydice. — Mon bien... (Je parle à Orphée).
La — N'y pense donc pas
Vieille. !

Eurydice. — (Aria).

Mon bien, avec toi le tourment


Me paraîtrait plus doux
Q.ue le plaisir avec un autre.
Toute douceur est là seulement où tu te trouves
Et pour moi Amour concentre
Dans l'éclair de ton regard
Tout mon bonheur.

1. V. en particulier la scène 2 de l'acte I.

2. Acte II, se. 2. Aristeo, Vecchia, Euridicc, Xiitrice.

Eiir. — O tu non sai quel ch' io canto ad' ogn' hor.


Vfc. — No, s'ionon sento.
Eur. — Mio ben... (parlo ad Orteo)
Vec. — Già non pensarci.
Eur. — Mio ben, teco il tormento
Più dolce io troverei
Clhe con altri il contento.
Ogni dolcezza è sol dove tu sei
E par me Amor aduna
Nel girar de' tuoi sguardi
o^ni fortuna.
120 L OPERA ITALIEN E\ FRANCE

Nous sommes loin de la tragédie récitative de Rinuccini,

Chiabrera, ou Striggio. Le solo triomphe et la musique pure


opprime la poésie. Alors que les opéras florentins eussent vic-

torieusement supporté l'épreuve d'être récités sans musique,


l'œuvre de l'abbé Buti n'est qu'un prétexte aux variations bril-
lantes du musicien ; le poète disparaît derrière le composi-
teur.
On ne saurait déplorer que le pâle abbé Buti ait été sacrifié
au grand Luigi Rossi, au contraire on peut regretter qu'il ne
l'ait pas été davantage. 11 y a encore trop de scènes récitatives

dans YOrfeo et surtout il y a trop de scènes dont les paroles


ont été visiblement mises en musique avec dégoût par le
compositeur. Ainsi le long et ennuyeux discours de l'ombre
d'Eurydice à Aristée ', ainsi les interminables conciliabules des
dieux de l'Olympe, ainsi surtout les facéties insipides du Satyre
ou de la Nourrice. Le poème de VOrfeo, à ce point de vue, ne
convenait pas au tempérament de Luigi. Nous avons déjà noté,
à propos du Pa}a:^zsi d'Atlanlc, le caractère élégiaque de son
génie. Il excelle à traduire les sentiments délicats et mélanco-
liques, il témoigne à l'occasion d'un aimable enjouement, mais
la bouffonnerie lui est étrangère. Or l'abbé Buti, comme la

plupart des librettistes romains et vénitiens du temps, fait à

tout moment intervenir, dans son opéra, des personnages


comiques. Epris de contraste, il accompagne le triste Aristée du
joveux Satvre qui le raille, débite cent aphorismes plaisants
contre l'amour. La Nourrice ', gaillarde, trop pitoyable aux
amants, suit partout les pas de la douce Eurydice. Ces rôles
bouffes inspirent médiocrement le compositeur. Là où triom-
pherait Francesco Cavalli, Luigi est terne. Il manque de verve
et d'émotion. 11 n'a même pas cet esprit railleur et gouailleur
qui anime les comédies musicales, pourtant bien aristocra-
tiques, elles aussi, de Marco Marazzoli. Il imite froidement les
récits burlesques des opéras vénitiens. Dans le genre comique,
le meilleur rcMe de la partition est encore celui de Môme :

1. Acte III, se. 3.


2. V. Romain Rolland. L'opéra eu Europe, p. 179.
L ORFEO 121

l'ariette où le dieu médit des femmes, au banquet des noces


d'Orphée et d'Eurydice, est assez spirituelle '.

Les rôles dramatiques mieux sont de beaucoup les

réussis. Celui d'Aristée, écrit pour le castrat Marc" Antonio


Pasqualini, est d'un bout à l'autre admirable. Les scènes où
l'amant malheureux gémit sur son sort et implore la pitié du
ciel dégagent une émotion poignante. Le rôle d'Orphée, écrit

aussi pour voix de soprano, est d'une étonnante variété. On y


trouve exprimées toutes les nuances de l'amour, depuis la

confiance heureuse jusqu'au désespoir mortel. Le rôle d'Eury-


dice, confié à un soprano féminin, reflète une voluptueuse
mélancolie.
Le Recitativo sccco de Luigi est peu intéressant. C'est celui de
tous les opéras du temps : interminables séries de croches se
succédant au-dessus des longues tenues de la basse. On sent à
la lecture que le musicien l'écrivait sans aucun goût. La médio-
crité du récitatif de XOrfco n'avait pas échappé à Saint-Evre-
mond : « J'avoue, écrit-il. que j'ai trouvé des choses inimitables
dans l'opéra de Luigi, et pour l'expression des sentimens et
pour le charme de la musique mais le Récitatif ennuyoit
;

beaucoup; en sorte que les IlaJinis mêmes attendoient avec


impatience les beaux endroits qui venoient, à leur opinion,
trop rarement - ».
La critique est sévère, il ne faut jamais attendre bien long-
temps pour rencontrer un bel air qui fasse oublier la mono-
tonie du récit. D'ailleurs, à côté de ce que Saint-Evremond
appelle le « récitatif ordinaire », Luigi emploie, particulière-
ment dans les situations dramatiques, un récitatif de forme
très mélodique et d'un effet pathétique. Le chant se plaît aux

intervalles diminués, aux accidents chromatiques. La diction


est intelligemment nuancée, entrecoupée d'exclamations dou-
loureuses et de brusques arrêts. Enfin, Luigi excelle à
placer au milieu du récit, des phrases mélodiques très accusées,
sortes de demi-airs qui se détachent sur la grisaille du fond.

1. M. Goldschmidt (op. cit. I, 299) en cite un très court fragment.


2. Saint-Evremond . Sur les opéras.(Œuvres. Londres. M.DCCXI, III, p. 204).
122 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Luigi emploie plusieurs sortes d'airs. Il fait grand usage de


Varia da capo '
et de la caii-ouc à refrain dont on trouve d'ailleurs

de nombreux exemples dans ses compositions de musique de


chambre '. 11 se sert aussi de l'air en deux parties (en forme de
cavatine) coupé par un bref épisode instrumental et de l'air '

strophique, où le retour d'une belle phrase musicale partage le


récitatif en périodes égales \
En dehors de ces airs à formes fixes, Luigi use des combi-
naisons les plus variées. L'air Mio hcii, ieco il loniiciilo '
se

déroule d'abord au-dessus d'une basse obstinée qui donne à la

mélodie, par les dissonances qu'elle provoque, un caractère


tendrement douloureux ; la seconde partie, qui s'enchaîne
sans interruption avec la précédente, est accompagnée d'une
basse absolument libre. Ce qui frappe dans tous les airs de
YOrfc'O, c'est la pureté, le prohl classique de la phrase, le moder-
nisme de la forme. La mélodie est déjà « dessinée chez Rossi
telle qu'on la trouve ensuite chez Alessandro Scarlatti et chez
Haendel ^"
». C'est pour cela qu'au xviii^' siècle Luigi Rossi
sera l'un des seuls musiciens du siècle précédent dont on
chantera encore les œuvres '.

Les compositions à plusieurs voix de Luigi : duos, trios,

quatuors, ne sont pas moins intéressantes que les morceaux


monodiques. Luigi a de l'harmonie un sens raffiné et l'emploie '-

avec une extrême élégance pour renforcer l'expression mélo-


dique. Il use surtout, pour provoquer les dissonances,

1. Par exemple l'air d'Kuridice : Otiiiiido un rore iiniiiioralo, publié par Goldsclimidt,

pp. cit., I, 298.


2. Cf. Wotquenne. Jîliulc hibUogriipl)it]in' sur Liiioi Kossi. Bruxelles, 1909, in-80. —
H. Prunières. Notes hiblioi^'niphiqiws sur les cantates de J.uif::i Rossi au Conservatoire de

NapJes. {Zeitischrift der I. M. G. 191 3, p. 109).


3.Ainsi le bel air Fugace e labile è ht Bel ta. Acte II, se. 2.
:

4. V. l'air d'Orphée Lasciate d'Averno (III, 10), publié par Romaiu


:
Rolland en
appendice des Musiciens d'Autrefois.
5. Acte II, se. 2 (publié par Goldsclimidt).

6. Romain Rolland. Musiciens d'Autrefois, p. 97.


7. V. Burney. General History, l\\ p. 152 et suiv.
8. On en peut juger par une curieuse Passacaille pour le clavecin, composée sans
doute durant le séjour de Luigi Rossi en France, et qui se trouve dans le recueil de
la Bibl. Nat. Vmv, 1852, {" 60 v. On v trouve d'étonnantes suites de septièmes et, à

la fin, une triple pédale dissonante de l'elTet le plus moderne. Nous avons publié cette

belle pièce dans le Supplément du Monde Musical (15 décembre 1912).


L ORFEO 123

des anticipations, des retards, des pédales, mais il se sert

aussi avec hardiesse des accords de septième et de neuvième '.

Il a une prédilection pour le plaintif accord de septième


diminuée qu'il présente surtout sous la forme de quinte
diminuée et sixte. Il module avec un sens délicat de la

tonalité et tire des effets saisissants des contrastes modaux.


L'exquis trio des Drvades, dans la scène du sommeil d'Eu-
rydice, offre des exemples admirables de la sensualité har-
monique de Luigi Rossi y trouve de moelleuses dis-
'. On
sonances, des frottements de seconde mineure, des modulations
assez simples, mais d'un grand effet musical. Luigi Rossi
excelle dans la forme du trio « où les voix s'appellent, s'en-
trelacent, jouent entre elles, répondent aux instruments avec
une vive et spirituelle élégance ".
» Il y en a un grand
nombre dans VOrfco et du genre le plus différent. Le trio

des Grâces : Pastor gcnliJc \ celui des Dryades que nous


venons de citer, celui de la folie d'Aristée \ celui que chantent
le Soupçon, Ja Jalousie et Proserpine^, bien d'autres encore sont
de pures merveilles et des modèles du genre. Bien que moins
originaux, les duos de Luigi témoignent des mêmes qualités
de beauté mélodique, d'invention harmonique et rvthmique.
Dans forme du quatuor vocal, le Januiito des Muses appa-
la

raît comme une des pages les plus puissantes de VOrfeo '. La
technique en est à dessein d'une extrême simplicité : de grands
accords coupent comme des cris de douleur « la trame austère
et imposante du lamento "
». Peu de chromatisme, peu de
dissonances ; de longues successions d'harmonies conson-
nantes donnent à Toeuvre un caractère archaïque qui con-
traste avec le style précieux et raffiné des autres morceaux à
plusieux voix.

1. Burney cite quelques exemples intéressants des licences harmoniques de Luigi


Rossi dans son Histoire de la Musique, tome IV, p. 157.

2. Acte III, se. 9, publié par Goldschmidt, I, p. 303.

3. Romain Rolland. Musiciens iF Autrefois, p. 98.


4. Acte II, se. 5.

5. Acte III, se. 4.

6. Acte III, se. 7.

7. Acte III, se. 9. Goldschmidt, p. 305.


8. Romain Rolland. Musiciens cV Autrefois, p. 98.
124 L OPERA ITALIEN EX FRANXE

La technique des chœurs est infiniment variée tantôt les ;

harmonies se dressent verticalement en masses imposantes,


tantôt le style fugué fait dialoguer les voix entre elles. Les trois
chœurs du Prologue lancent l'un après l'autre, sur un rythme
impétueux en 6/8, le cri de guerre Jlf assalto, alï assaJto. Le :

seul accord de mi bémol majeur scande vigoureusement chaque


syllabe de cet appel et la mélodie, qui se meut sur les trois

notes de l'accord, évoque une sonnerie de trompette. Chaque


chœ'ur forme une masse indépendante et compacte. Ils

alternent d'abord régulièrement, puis se superposent et, vers


la fin, les rythmes que l'ensemble cesse
se contrarient sans
un seul instant de demeurer harmonique. La diction svllabique
est rigoureusement observée, on peut seulement remarquer
quelques vocalises triomphales sur le mot Vittoria » qui ce

termine le chœair.
Dans la scène des noces d'Eurydice et d'Orphée, une troupe
de Nymphes chante un gracieux air d'hyménée sur un rythme
de danse à trois temps où la diction syllabique est exactement
observée '. Il est utile d'insister sur ces chœurs aux harmonies
verticales, car nous les retrouverons chez Lulli à une époque
où les chœ'urs auront disparu de l'opéra italien et où la fugue
aura reconquis musique d'église.
la 11 semble bien que ce soit
dans les œ^uvres de Luigi, pour qui il professait la plus vive
admiration, que Lulli ait appris l'art d'échafauder les grands
ensembles vocaux. Le triple chœur qui termine le prologue
diOrfeo : Qiuiiil' erhc c fiori \
Ha il iiioinJo in se... est une mer-
veille au point de vue polyphonique '. Les douze voix réelles
s'y superposent par instant en gardant chacune une liberté de
mouvement étonnante et sans que la diction perde quoi que
ce soit en clarté. On sent, en lisant une telle œuvre, que Luigi
formé à l'école des madrigalistes flamands et
a été l'on reste

confondu devant une telle aisance à se jouer des difficultés,

devant un tel atTranchissement des contraintes scholastiques.


Le pédantisme, si criant chez Stefano Landi et même parfois

1. Acte I, se. ).
2. Goldschmidt en a publié quelques mesures p. 295,
L ORFEO I 2 5

chez Mazzocchi et chez Carissimi, ne paraît pas un seul instant.


Lorsque Luigi use des ressources de la fugue et du canon, il le
fait avec une liberté si grande qu'on oublie la rigueur habituelle

de ces formes.
Un contemporain, décrivant les écoles musicales de son
temps, répartit les compositeurs en deux classes : ceux qui
savent les règles et s'y conforment rigoureusement et ceux qui,
n"avant que la pratique sans théorie, écrivent d'instinct'. Luigi
doit trouver place entre ces deux catégories. Il a l'érudition,

la maîtrise parfaite des musiciens élevés dans le culte des


polvphonistes du xvi'^ siècle. Il connaît tous les secrets de son
art. D"autre part, virtuose célèbre, il ne méprise point les

trouvailles instinctives des chanteurs ses camarades. Son génie


lui permet d'assimiler ce qui lui semble bon dans toutes les
écoles c'est un éclectique, mais il ne se borne pas à tirer
;

parti du passé, ni même du présent; il devance en quelque sorte


raxcnir. Ses œuvres sont d'une technique très supérieure à

celle de son temps. Luigi façonna, polit et cisela les formes


encore imparfaites inventées par ses prédécesseurs et ses con-
temporains". De la cantate de Mannelli, genre à peine dégagé
encore du madrigal dramatique dont il était issu, il ht un
admirable instrument d'expression lyrique. Certes Luigi ne
fut pas seul à travailler au perfectionnement des formes musi-
cales. Il fut secondé par une phalange active de compositeurs
napolitains, romains et vénitiens, mais il n'en fut pas moins
l'âme de ce groupe de réformateurs et c'est à lui qu'on peut
attribuer l'honneur d'avoir réalisé le premier les cantates les

plus parfaites, les opéras à soli les plus caractérisés, d'avoir


employé sous leur forme la plus moderne et la plus achevée

1. Coiit!-dslo \
Miisiio I
opcra ililcttcvole del Sif;iior Gralioso Uhcrli da Ccsciia. Roma,
Grignani, MDCXXX (parte settiiiui).
2. « Burney détinit ainsi le rôle musical
de Luigi Rossi « He seems to hâve :

which afierwards became common


started several flimsy divisions, and indeed, it ;

appears from his cantatas, that as soon as secular Music had diverted itself of the
pedantry of perpétuai canons, fugues and multiplied parts, another vice crept into
the art, by the fréquent and excessive use of divisions Luigi in songs for a single
voice, has some of this kind as long as those in modem bravura-airs... » Tome IV,
p. 1)5.
126 l'opéra italien en FRANCE

Varia da capo, ariette, le trio dramatique et bien d'autres


1

combinaisons lyriques, avant lui encore hésitantes et amor-


phes.
Luigi sait à l'occasion faire intervenir l'orchestre dans le

drame de manière saisissante. Ainsi lorsqu'Hurydice refuse


d'abandonner Orphée, malgré les menaces de Vénus, et qu'elle
proclame :

Fugace c labile

È la beltà.

Ma semprc stabile,

Mia fc sarà.

Sol di tal gloria


Ritien menioria
L'Eternità.

l'orchestre accompagne cette strophe dïine symphonie triom-


phale : il semble que soudain l'avenir déchire ses voiles devant
Eurydice et que ce soit, l'âme affermie par une vision d'éternité,
qu'elle professe sa foi au milieu des fanfares prometteuses
de gloire. Comme en extase, Eurydice répète deux fois YElcr-

m'Ià pendant que les instruments reprennent l'hymne en-


thousiaste.
Un tel emploi de l'orchestre est d'ailleurs exceptionnel chez
Luigi et il ne semble pas qu'il ait été tenté de se servir de la

symphonie pour renforcer l'intérêt dramatique, comme s'y


essayait à la même époque Erancesco Cavalli. En dehors des
ritournelles et des ouvertures, l'orchestre ne sert guère qu'aux
ballets. Cette partie de l'oeuvre de Luigi n'est d'ailleurs pas
négligeable; visiblement le maître s'est efforcé de tenir compte
du goût français". Les thèmes de ces danses s'apparentent à

ceux des ballets de cour et diffèrent beaucoup par le rythme et

la mélodie àcsJiaJIclli du Pala7^~o d\-illaiilc. L'arrangement har-


monique trahit seul une main italienne. Les quatre parties
clianlent mieux, sont plus correctement écrites que si elles

étaient l'œuvre d'un des « vingt-quatre violons du Roy » \

1. V. acte I, se. 5, le elianiiant Ballet, à 5 temps, an rythme saccadé.


2. Ceux-ci ne dédaignaient d'ailleurs pas la musique de Luigi Kossi puisqu'ils ins-
crivirent à leur répertoire la symphonie chromatique qui commente le désespoir
LORFEO 127

Il est d'ailleurs possible que Luigi n'ait pas composé lui-

même tous les ballets nécessaires à la représentation de YOrfeo.


On n'en trouve en effet qu'un petit nombre dans la partition.
La place des autres est laissée en blanc et on lit cette seule
indication : a quiva la dan:{ct ». Les compositeurs français ont
sans doute écrit les intermèdes qui manquent. Il en sera ainsi
par la suite : chaque foisun opéra
qu'on chantera à Paris
italien, les musiciens de la cour seront chargés de composer

le ballet qui y sera intercalé. Cette habitude nous fournit


même une explication de l'esthétique de l'opéra-ballet qui
triomphera en France dans quelques années. Habitués à voir
toujours des danses associées aux opéras, les Français ne s'ima-
gineront pas qu'il en puisse être autrement et c'est pour se
conformer à cet usage que Lulli fera si large place aux ballets
dans ses tragédies en musique.
De la chorégraphie de ces ballets, nous ne savons pas grand'-
chose. Ils avaient été sans doute réglés par Balbi '
qui avait
déserté avec Torelli la troupe comique, mais ils étaient dansés
par des baladins français-. A côté des ballets « sérieux »

de Nymphes, de Dryades, de Bacchantes, il y avait des ballets


burlesques comme celui des monstres d'Enfer qui parurent
« sous la forme de bucentaures, de hiboux, de tortues, d'escar-
gos, et de plusieurs austres animaux estranges et monstres les
plus hideux » et dansèrent « au son des cornets à bouquin,
avec des pas extravagans et une musique de mesme » \ Sans
doute ce ballet, pour l'invention et même pour la musique,
était l'œuvre des artistes français-^, car il demeurait tout cà fait

dans la tradition des divertissements infernaux placés, depuis


plus de quarante ans, dans les ballets de cour». En Italie,

d'Orphée. On la trouve sous le titre Fantaisie. Les pleur i d'Orplk-e ayant perdu sa
:

femme, dans le manuscrit de Cassel publié par M. Ecorcheville Vino^t suites d'orchestre
:

du XVII<^ siècle français. Paris, 1906, p. 195.


1. Balbi dut seulement quitter la France au moment de la Fronde. En 1655, il est
à Venise et dédie à M. de Gremonville, un arrangement de la J'eren/onda de Cavalli.
V. Galvani. Teatri Musicali di Vene:^ia. Ricordi, p. 33.
2. Lettre de Venauzio Leopardi. V. Pièces justificatives III.

3. Gûy^elte de Renaudot du 8 mars.

4. Il est à noter qu'on ne le trouve pas dans la partition de Luigi.

5. Ainsi dans le Ballet de la Délivrance de Renaud (16 17), les démons, serviteurs
128 l'opéra ITALIEN' EN FRANCE

on était plus raHinc et les visions d'Enfer, insérées dans cer-


tains opéras, comme VEriniiiia su] Gioniaiio, nous montrent
des démons gambadant avec agilité au milieu des
sautant et

feux d'artifice qui simulentles flammes éternelles'. La scène

où les rochers, les arbres et les animaux s'émouvaient aux


accents de la lyre d'Orphée eut un grand succès' en attendant
d'être burlesquement parodiée par les Mii~ciriii(ides :

Tout dancc au son de ce concert...

Ces vieux pins à branches pourries


Veulent danccr les cannaries,

Aussi dancent les arbrisseaux


Les taillis hallent par faisceaux.

Et vous, champignons, potirons.


Qui sautez sur un pié tous ronds.
Venez, vous paver en gambades
Ce ravissant donneur d'aubades 3.

Sur l'heure, nul ne s'était avisé de critiquer cette scène d'un


goût douteux. On peut même dire qu'elle avait paru à beau-
coup de spectateurs une des inventions les plus divertissantes
de la soirée.

La mise en scène avait nous l'avons dit, le principal élé-


été,

ment de succès de YOrfco. La L'rance, écrit Renaudot, sem-


«

bloit avoir élevé en nos jours la dignité du Théâtre au dernier


point... par la force et la beauté de ses vers... mais elle se lais-
soit vaincre à la pompe et décoration des scènes estrangères ».

d'Arniidc, paraissent sous forme d'écrevisses, de tortues et de limaçons. Dans VAvcii-


liirc de laucvldc en la foresl eiichauièe (i6[9) on voit un de monstres « estranges
ballet

et affreux avec t!;riffes et dents et les testes de formes confuses ou grotesques,


armez au reste du corps ». Ils font «des pas endiablez et des grimaces du tout extra-
vagantes )'.

1. V. les belles planches gravées qui décorent Tcxemplaire de la Hibl. du Vatican.


2. « Orphée s'entretient de plusieurs airs lugubres sur sa hre, qu'il touche si mélo-

dieusement qu'à son arnionie jointe à la douceur de sa voix, il fait mouvoir les

rochers, danser les arbres et les animaux les pkis firouches, de sorte que l'on vit des
lions, des panthères, d'autres bétes turieuses venir sauter sur le théâtre .'i l'entour de
lui... » Ga-elle de Reinuidol.
3. L'OrpLn'e i^role.ujiie nvee le Inil rusHiiiie en vers l>nrles(/iies. Paris, Sébastien Martin,
16.19.
L ORI-EO I 29

Cela n'est plus et la preuve en a été vue au Palais Royal.


Nous ne connaissons des magnificences de YOrfeo que ce
que nous apprennent les relations du temps. Les décors en effet
n'en furent pas popularisés par la gravure, comme l'avaient été
ceux de la Finta Pa:;:^ii, comme l'allaient être ceux des No:^7^e di

PcJco c di Tht'll. Aussi, dans l'ignorance où nous sommes de


leurs particularités techniques, les machines de VOrfeo nous
paraissent-elles en tout semblables à celles que décrit Nicolô
Sabbattini dans son curieux traité d'architecture théâtrale de
1638 '.Nous avons d'ailleurs suffisamment évoqué les déco-
rations de YOrfeo en parlant de la représentation, pour qu'il
soit inutile d'insister sur ce sujet.
En résumé : un livretmélange singulier de
extravagant,
situations dramatiques une musique d'une
et burlesques,
grande beauté plastique, succession de morceaux indépendants
reliés entre eux par le fil du récitatif et mieux ûiits pour être

goûtés dans un concert qu'au théâtre des ballets animés et ;

pittoresques, des machines hardies, des décors enchanteurs,


voilà en quoi consistait cet Orfco qui, durant de longs mois,
avait tenu et allait encore tenir en éveil la curiosité des Pari-
siens.

Les représentations de XOrfco, interrompues par le carême,


furent reprises après Pâques. On se souvient qu'il était ques-
tion, dans la lettre écrite par Atto Melani au prince Mathias,
le 12 janvier 1647, d'un second opéra qui devait être chanté
aussitôt après le premier. Les retards des machinistes, en
empêchant YOrfeo d'être exécuté avant la fin du carnaval,
avaient mis à néant ce dessein. On ignore d'ailleurs à quelle
œuvre Atto Melani voulait faire allusion. Peut-être à la
FcrindiU car le 28 mars 1647, G. B. Andreini présentait à Maza-

I. Prafiai di fahricar scciic c iiuirbiiu' ;/(' /('(///•/ <// Xicolo Sahaltiiii da Pcsaro... In
Ravenna, 1638.
La Bibl. Mazarine possède un exemplaire de ce rare ouvrage.
130 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

rin un magnifique exemplaire calligraphié de cette pièce' avec


l'espoir manifeste qu'elle serait revêtue de musique par ordre
du ministre; maïs le cardinal ne semble pas avoir pris cette
offre en considération.
La SignoraMargherita Costa n'avait pas été plus heureuse avec
un projet de Fcsta Rcale pcr baUetto a CavalJo » -. Il s'agissait,
(f

non d'un simple carrousel, mais d'une sorte de ballet de cour,


où les cavaliers eussent remplacé les danseurs, comme cela se
faisait souvent en Italie. Sur un théâtre dressé à l'extrémité de

la salle, des divinités portées dans des machines eussent chanté

des airs au milieu de décors magnifiques, tandis que les « esqua-


drons » de cavaliers somptueusement costumés eussent évolué
au pied de la scène et tracé d'ingénieuses figures. Le sujet de
ce divertissement était empreint d'un symbolisme galant et
mettait en action toutes les affections de l'âme et tous les dieux
du paganisme \
Mazarin estima avec sagesse que ÏOrfco coûtait assez cher et
était une œuvre assez importante pour suffire au divertisse-
ment de la cour durant deux mois, et la reine fut d'accord
avec lui pour ordonner la reprise de la pièce après Pâques. On
avait eu quelque peine à empêcher la dislocation de la troupe,
car la plupart des engagements expiraient avec le carnaval.
Antonio Barberini, toujours à Avignon, réclamait son secré-
taire, l'abbé Buti, mais Mazarin se refusait à le laisser partir.
« Il y a déjà longtemps, écrivait-il mars au cardinal
le 20
Antonio \ que Buti me demande instamment d'aller vous

1. La \
Fciiiida \
Draiinimticit coiiiposi'ioiw \
AIT I:miiicii~a rosi ni |
Revcremlis"^^
Di'diùita I
Ailloli' I
Gioviin BaU'nta Aiulrciiii j
//(/ coiiiia \
delio Lclio Fcdcle \
. (La
dédicace est datée du 28 mars 1647). B. Xat., Ms. ital. 108S.
2. Troiiiha di Puniiisso. Pour le texte de ce divertissement \'. Ademollo. Priiiii

ftisti, p. 108.
3. La Signera Margherita Costa Romaine qui avoit du génie et du talent pour la
(<

poésie, prépara pour le Roy une Fête à cheval en forme de Carrousel et de Ballet, le
sujet de cette Fête étoit un défi d'Apollon et de Mars. Le théâtre devoit représenter
un grand Arc de triomphe sur lequel étoit un Autel consacré à l'Honneur... »
« L'exécution de ce dessein avant paru trop difficile on lui préféra VOrphéc qui fut

représenté l'an 1647. ^^" '^*-' '«lissa pas de faire imprimer cette Fête de la Signora Costa
avec d'autres poésies qu'elle dédia au (Cardinal Mazarin ». Menestrier. Des représeii ta-

lions ou ii/iisiijiu'. p. 233-235.


4. « SoDO )iiolti giorni che il Buti faceva istanza di potcr venire a ritrovar
L ORFEO I 3 I

retrouver en alléguant l'ordre qu'il a reçu de vous et qu'il m'a


fait voir dans une lettre qu'il m'a présentée en votre nom. Mais
de même qu'il ne pouvait laisser imparfait l'opéra à'Orfco
auquel on n'a cessé de travailler durant tout ce carnaval, et
qu'on a pu à peine représenter pendant les derniers jours gras,
de même la reine ayant résolu de le faire jouer après Pâques,
il est encore nécessaire qu'il demeure ici jusqu'cà cette époque
pour donner ses soins à l'opéra, tâche en laquelle personne ne
le saurait suppléer ».

Le 2) avril, l'opéra fut repris pour la première fois. Le len-


demain, \"enanzio Leopardi en envoyait la nouvelle au duc de
Modène « Cette nuit, on a représenté de nouveau YOrfeo au
'
:

Palais Royal, en présence de la Reine, du Roi, de Monsieur le

Cardinal, de Mademoiselle et de toutes les princesses. La pièce


fut jouée comme
coutume sans accidents, et S. M. veut qu'on
de
la récite encore deux fois pour la reine d'Angleterre, pour la

nombreuse noblesse de Paris, dévouée à la cour, et les tami-


liers... Cette nuit. Son Eminence dans la salle du théâtre, a

régalé la reine de sucreries et autres friandises qui furent


offertes au Roi, à Monsieur et à toutes les dames. La repré-
sentation a duré jusqu'à quatre heures du matin ». On com-
prend que le pauvre Venanzio Leopardi fût fatigué, il s'en

excuse d'ailleurs dans ce billet écrit, le même jour, au


secrétaire du duc : « Excusez-moi si j'écris brièvement car je-

dors encore et excusez-moi aussi pour ma lettre à S. A. Je l'ai

mal écrite parce que, cette nuit, on a chanté de nouveau VOrfco


pour la première fois et. trois autres nuits précédemment,
nous l'avions répété en demeurant neuf heures sur les planches
à chaque fois, aussi sommes-nous tous rompus ».
Les reprises de YOrffo furent brillantes. Lefèvre d'Ormesson,

V. Em-^a- sccondo 1" ordine che egli diceva di havernc, c che in cffctto mi ha fatto appa-
rire con uua lettera che nii ha presentata in nome dell' Em'--' Vr-», ma si corne era
impossibile che egli lasciasse imperfetta Topera deil' Orjcv per tutto Carnevale che
non pena si è potuta provare,
é stata intieramente finita e negl' ultimi giorni di esso a
cosi, havendo la Regina risoluto di farla rappresentare dopo Pasqua, é anco neces-
sario che egli si trattenga sino a quel tempo per dar quell' assistenza ail' opéra, che
non puô haversi da altri che da lui ;). Bibl. du Vatican, Barb. lut. 8043.
I. V. Pièces jusificatives III, n"^ 10 et 11.
132 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

peu suspect de partialité à l'égard des opéras, déclare qu'il


trouva (.( la pièce plus belle que la première fois, tout estant
bien mieux concerté '
». De fait, les résidents et ambassadeurs
étrangers s'extasiaient eux aussi sur la parfaite exécution de
l'opéra et le fonctionnement irréprochable des machines.
Priardi, qui fut invité officiellement à la soirée du 2 mai, écrit

que l'opéra lui parut véritablement admirable sous le rapport


des machines, musique et des costumes \
des voix, de la

L'ambassadeur extraordinaire de Danemark et sa femme qui


assistèrent à la représentation du 6 mai, donnée en leur hon-
neur, ne ménagèrent pas les louanges à YOrjco et trouvèrent les
machines merveilleuses \ La pièce devait être chantée pour la
dernière fois, le lundi 6 mai, mais
la duchesse de Longueville,

revenue de Munster, ayant été privée, par une indisposition,


du plaisir de l'entendre on donna encore une fois VOrfco, sur sa
prière, le mercredi 8 mai *... Bien que ce fût la huitième repré-
sentation de l'opéra, il fallait encore de hautes protections
pour pénétrer dans la salle. « La défense d'y faire entrer per-
sonne estoit si précise, conte d'Ormesson, qu'après avoir pailé
à M. de Charrost, et ensuite à M. de Tresme, il fallut que M. de
Tresme le demandast à la Reyne qui le trouva bon et nous y
mena ». V!Orjeo finit donc en pleine gloire et non, comme le
'

donnent à entendre certains auteurs de mazarinades, devant


une salle indifférente et ennuvée '\

1. Journal du lundi 6 mai, édit. Chéruel, I, 282.


2. Lettre du 3 mai 1657 :

« Hieri il Pozzi et io fummo invitati per parte regia a vederla et riusci veramente
mirabile par le macchine, le voci, Arch. de Mantoue. Arch. Stor.
niusiche et habiti i--. (

Gonzaga. Eslenii Fraiicia, 680.


3. Lettre du Nonce Bagni du 10 mai » L'ambas'e di Dauemarca con l'Ambascia-
:

trice sua moglie hanno sentito a recitare la favola lïOrfco da' Musici italiani con
gran' Iode di essi eddle macchine che niirabilmente hanno in essa operate. » .\rch.
du Vatican. \uu:^iatiira di Frih.cia, 95.
4. Lettre du Résident de Toscane Barducci du 10 mai 1647 " Prima di partira da •

Parigi le med'"e M. volsero Lunedi sera regalare la Sig™ Duchessa di Longavilla délia
commedia in musica, ma perché S. .\. non vi è potuta intervenire, essendosi trovata
indisposata, tu rappresentata di nuovo a requisitione sua il Mercoledi. »' (Florence.
Mediceo 4.653). V. aussi la Galette de Roiatidol et Madame de Motteville.
>. /o//r/i(i/ (du mercredi 8 mai). I, 282.

6. Naudé s'indigne de ces accusations dans son Jui^citieiil de loul ce qui a esié iiii-

piniic coulfe le Cardi)uil... : d Reste donc l.i Comédie d'Orpliée représentée par des
I. ORFEO 133

Le triomphe de Luigi Rossi fut tel qu'il le pouvait désirer.


Ignoré du vulgaire, il fut fêté par les courtisans dilettantes et
les musiciens. Dassoucy le célèbre dans un sonnet délirant

d'enthousiasme '.

A Monsieur De Liiigf;x.

Divin maistre des sons, Prince de l'harmonie,


Rov des chants, Rovdes cœurs, Rov des affections.
Fils des filles du Ciel, race des Amphions,
De qui toute la terre adore le génie.

Ange qui nous ravis, Dieu de la Simphonie,


Père des doux accords dont les inventions
Font gouster à nos sens tendres aux passions
Des délices du Ciel la douceur infinie.

Je ne m'estonne point de voir à tes beaux airs


Soumettre les démons, les monstres, les enfers,

Xv de leur fier tvran l'implacable furie.

Le chantre Thracien dans ces lieux pleins d'effrov


Jadis en fit autant, mais de charmer l'envie,
Luigg}', c'est un art qui n'appartient qu'à tov.

La poétesse romaine ALirgherita Costa qui se trouvait à


Paris et qui, en qualité de cantatrice, avait peut-être pris part
aux représentations de VOrfco\ adressa dans sa Troiuha di Par-

Italiens//; stilo, comme ils rappellent, rccitativo, devant la Revne et, j'ose dire, quasi

en présence de toute la France, avec l'approbation voire mesme le transport et l'ad-


miration de tous ceux qui faisoient profession de s'\' cognoistre... » (p. 572).
1. Œuvres vtesUi's de M'' Dassoiicw Piîces héroiqucs. Satiriques et Burlesques. Paris.
Loyson, MDCLIII, in-12, p. 66.
2. Un compte du 7 janvier 1645, cité par AdemoUo, l'appelle « Musica di caméra »

de Madame Royale à Turin. (Frimi fasti, p. 38). On trouve dans les « Lettere Aiiio-
rose dedicate al Seren^° Principe G. Carlo di Toscana (In Venezia, 1639, in-40), un
sonnet où « Il signer D. Alphonse de Oviedo Spinoza, loda la Signora .Margherita
Costa di Poesia e di Musica :

O se spieghi talhor voce canora,


O se tratti talhor penna immortale.
Sempre il tuo ingegno al Ciel s'inalza e sale
Sempre la tua armonia l'aime inamora.

Non fu di te Donna più saggia ancora.


Ne sia, dolce scrivendo, altra mai taie.
Non scioglie.il canto al tuo bel canto eguak
Cigno che lieto in sul Me.mdro mora.
134 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

iiasso deux sonnets « .-7//' Slonor Jjiii^i Rossi pcr II siio Orfco
nippresentalo lu Miisica alla Maeslà délia Rcggina di Francia » ;

Diramate gV Allori, e qui correte.


Muse, ad' ordire a un dotto crin corona ;

Poichè tuffo le labbia in Elicona


Il gran Luigi e vi smorzo la sete.

Novo Cigno del Tcbro in voi godete


Mentre de le sue note ei v' incorona,
Cio che toglie la man suo stil vi dona,
E per un fior mille da lui ne havete.

Superbo alza Parnaso hor le tue cime


Mentre d'Orfeo l'opre famose e conte
Col nome di Luigi il canto esprime.

Già de l'invidia, e de la morte ad' onte


\'anta ApoUo di note si sublime
Fregiarsi il pletro ed ingemmarsi il tronte '.

La reine et Mazarin n'avaient pas attendu la fin des repré-


sentations pour témoigner à Luigi leur satisfaction. Literrogé

Cosi Donna gentile, se scrivi ocaiiti,


La tua voce, il tuo stil, con doppi honori
Del tuo nome famoso eterna vanti, i

Cosi di Pindo i gloriosi allori


Correr vedro al tuo crine, e tatti ainanti,
Correr vedro, via pii'i, clie i Lauri, i Cori.
CBlbl. Nat. Z. 3325).
I. Troniba di Paniasso, p. (S6. (Bibl. Nat. Vc. 2041). A la suite est imprimé un
second sonnet :

Al Mecicsiino

Fecondi Auiplessi cntro canori accenti


De l'Kuridice un' Euterpe esprinic
H su la Senna, dolci canti imprime i

Che de la Gloria al (^iel sen vauno ardenti.


Forma di note armouici conceuti
' "' , Sublimi si cW ogni valore opprime
Ond' è, che sovra a le Pierie Cime
Sien dal suo Sole i raggi altrui già spenti.

Mira Luigi sceso in Fliiicona


E fra l'Aonio Coro ecco lo cliiama
Liceo ch' ornai gl' appresta Aurea Corona.

Di sua virtude impoverire, ah brama


La terra, ch' al suo nome eccëlso dona
Suono l'Etcrnità, Triimba la tania.
(Ibid. p. 87).
l'orfeo 155

sur la grâce qu'il pouvait désirer, Luigi, désintéressé et bon,


demanda pour son beau-frère, Marc'Antonio de Ponte le béné-
fice de la chapelle Sainte-Pétronille à Saint-Pierre, qui dépen-
dait de la France '. Aussitôt Mazarin écrivit lui-même à M. Guef-
fier à Rome la lettre suivante, en date du 13 mars 1647 :

« Monsieur, le sieur Luigi de Rossi a obtenu de Sa Majesté


la chapelle de Sainte-Pétronille dans l'église de Saint-Pierre à
Rome pour le Sieur Marc'Antonio Ponti, son beau-frére. Et
comme ledit Luiggi est une personne de mérite dont Sa Majesté
est fort satisfaite et que j'atfectionneaussy beaucoup en mon par-
ticulier, je vous escris ces lignes à sa considération pour vous
prier instamment de faire au plutost toutes les choses néces-
saires affinque ce sien allié jouysse pleinement de la grâce que
Sa Majesté luy a accordée. Et je prendray part aux faveurs que
vous lui ferez en ce rencontre pour m'en revancher aux occa-
sions qui s'offriront de vous témoigner que je suis. Mon-
sieur-... » etc.
Le lendemain de la dernière représentation de YOrfeo, la
reine quitta Paris, pour se rendre à Amiens ', emmenant avec
elle le castrat Atto Melani et, sans doute, plusieurs autres
musiciens dont elle n'avait pas consenti à se séparer; les autres
prirent la route d'Italie, récompensés par de riches présents ^
Buti put enfin aller rejoindre son patron qui l'attendait en
grande impatience. Mazarin, dans une du 15 mai au ciir- lettre

dinal Antonio, s'excuse de l'avoir si longtemps privé de son


secrétaire '. « Le sienor Francesco Buti s'en retourne à Avignon

1. Au sujet d'un litige relatif à la chapelle Sainte-Pétronille, voir Aff. lîtr. Corr. dipl.
Rome, 94, 1" 1)6.
2. Aff. Etr. Rovie, 102, Le 14 avril 1647, M. Gueffier répond à Ma-
1° 213.
zarin qu'il V a dans la rédaction du brevet en faveur du « S"" Ponti, beau-frère du
S'' Luiggi de Rossi » un vice de forme qui a obligé le chapitre de Saint-Pierre à le
refuser. 11 faut en faire un autre. Ro7)ie, 99, 1° 228.
3. V. la lettre de Leopardi. Pièces justificatives IH, n" 13.

4. Le résident de Mantoue écrit le 10 mai « E stato l'altr' hieri


: banchetto regiak
da S. Em. et qu»' Musici Italiani dopo finite le loro rappresentationi dell' Oifeo se ne
vanno con ricchi presenti ». (Arch. Gonzaga. Estenii. Frauda, 680).
5. « Il Signor Francesco Buti se ne ritorna in Avignone, carico di gloria, e di ap-
plausi e son certo che l'Em^-^ Vostra volentieri havrà condonato a me l'ardire di farlo
dimorar qui sin' hora, mentre ciô è seguito con tanto gusto e sodisfattione délia
Maestà délia Regina. » Bibl. du Vatican. Barb. lat., 8043.
1^6 l'opéra italien ex FRANCE

couvert de gloire et de louanges '


et je suis certain que Votre
Eminence m'aura pardonné de bon cœur de TaNoir demeu-
fait

rer ici jusqu'à ce jour, puisque tout cela a été fait pour le grand
plaisir et la satisfaction de Sa Majesté la Reine ».

Marc' Antonio Pasqualini reçut des marques éclatantes de


la générosité royale et s'en retourna à Rome dès la fin des
représentations. Il fit route en compagnie sans doute de son
cher ami Luigi Rossi Le 29 juin 1647, i^ reprit son service à
-.

la chapelle pontificale et chanta à Saint-Pierre à la grande


joie de ses admirateurs \
Venanzio Leopardi n'emmena avec lui qu'un seul des deux
enfants qui lui avaient été confiés ; le jeune Marc' Antonio
était entré au service de la reine. Leopardi annonce cette nou-
velle au duc de Modène dans une longue lettre, intéressante
pour l'histoire de la vie musicale au xvii^' siècle^ :

« Monseigneur, cette lettre sera la dernière que j'enverrai de

Paris à Votre Altesse pour la faire souvenir de son humble


serviteur, car, l'avant dernière nuit, on a représenté YOrfi'o pour
la huitième et dernière fois et nous avons accompli jusqu'au
bout notre tâche, conservant jusqu'à la fin notre bonne santé...

1. Buti, lui .uissi, s'était vu décerner rimmortalité par la poétesse Margherita Costa.
« Al Siii;noi- Huti, per il suo Orteo rapresentato alla Maestà délia Regina di Francia » :

Buti, anch' io cerco i riveriti Allori,


E'I volante destrier tal' liora sprono.
Ma scarso a me de le suc 2;ratie il dono
Pc il dotto Rc de lucidi splcndori.

Tu beu dai spirto a zeffiri canori


Con la vaga armonia del dolcc suono,
H applaude a te da li) stellante trono
La saggia !)iva de' Palladij honori.

E ben in Pindo, ove han le Muse il uido,


Godi cigno beato aura fcHce
l'oi che le glorie tue niormora il lido.

Né men che un novo Orteo questa pendice,


Potea far' risonar con nobil grido
De la fcdele c misera lùiridice.
Troiiilni di Pannisso, p. 90.
2. Luigi Rossi dut quitter en effet Paris vers cette date puisqu'il rédigea, au mois de
décembre 1647, ^'^'' testament avant de repartir pour la France. Il est peu probable
qu'il eut fait un si pénible voyage pour demeurer à Rome moins de six mois.
S. V. les extraits des (//(/;/ de la chapelle Sixtine cités par Cametti : Doninwiili su
Luigi Rossi. Saiiimdhaiide dcr I. M. G. i9n, p. 15, iio/c j.
4. \'. le texte original, Pièces justificatives IIP n" 13,
LORFEO 137

Hier matin à sept mis en route avec une


heures, le Roi s'est

partie de la cour pour Amiens... La Reine partit six ou sept


heures après lui. Sa Majesté a voulu nous voir tous et nous a
remerciés avec d'aimables paroles du bon service que nous lui
avions rendu. Se tournant vers nous, Sa Majesté dit à Dome-
nico de saluer Votre Altesse de sa part, ce que tous nous pro-
mîmes de faire, et lui ayant fait la révérence de bonne grâce,
nous prîmes congé d'elle. Ce soir nous sommes appelés chez
M. le Cardinal pour recevoir notre congé définitif. Son Emi-
nence devant partir, à ce qu'on dit, demain matin pour Amiens.
Comme j'avais été avisé de la part de Votre Altesse d'avoir à
me conformer aux ordres de la Reine et de Son Eminence et
qu'ils ont fait choix pour leur service de Marc' Antonio, le plus
jeune des piitti de Votre Altesse, j'ai cru agir avec le gré et
selon l'intention de \'otre Altesse non moins que selon celui
de la Reine, en engageant l'enfant à prendre le parti que
V. A. désire, bien que l'enfant ait éprouvé quelque peine à

quitter pour l'heure \^otre Altesse, son premier Maître, et à


demeurer loin de \^ous. Il s'est pourtant consolé et s'est déclaré
prêt à obéir à vos volontés. Ce soir j'en avertirai Son Eminence
pour que l'enfant soit pourvu de quelqu'un qui en prenne soin.
J'espère qu'on demeurera ici sous le charme de son esprit qu'il
a bien montré en cette occasion, La Reine éprouvait quelque
scrupule à l'enlever à \7)tre Altesse, mais on lui déclara
qu'elle pouvait disposer de celui d'entre nous qu'elle désirerait
et que ce serait toujours avec le gré de Votre Altesse.

Ainsi donc, à moins d'ordre contraire, et avec la permission


de Votre Altesse, nous nous mettrons en route mardi pour
l'Italie afin d'y aller recevoir vos ordres, sur quoi je prie Dieu...
Paris, le 10 mai 1647' ^^•

Les départs des chanteurs s'échelonnèrent durant tout le mois

I. Il n'est plus de Venanzio Leopardi par la suite. Le 30 sep-


guère question
tembre 1655, au duc de Modène pour lui demander de rentrera son ser-
il écrit
vice « Si corne hebbi tbrtuna di prestare a V.
: A. personalmente l'humilissima
servitù che sempre ho professato alla sua incomparabil grandezza e particolarmente
air ora che V. A. si degnô honorarmi de impiego et aggradimento di musica in
Francia, cosi è sempre restato in vivissinio il desiderio di rimettermi sotto la sua
Protettione in attual servitio, a che ricevendo ora proportionato stimolo dall' universal
138 l'opéra italien en FRANCE

de mai. Mazarin remit à chacun une lettre de compliments

pour le seigneur qui les avait envoyés en France. La signora


Checca Costa, qui venait de remporter un éclatant succès dans
le rôle d'Eurydice, lui ayant manifesté son intention de ne
retourner à Florence que pour peu de mois et de se rendre
ensuite à Rome, il écrivit sur-le-champ à notre ambassadeur en
cette ville, M. le marquis de hOntenay, une lettre qui témoigne
du cas qu'il faisait de la cantatrice :

« Monsieur, cette lettre vous sera présentée par la Signora


Anna iM^ancesca Costa qui a, sans flatterie, donné telle satisfac-

tion à la Reyne et à toute la cour dans la représentation qui


fut faicte ce carnaval de la comédie en musique d'Orphée, que
je ne puis la laisser partir et sçavoir qu'elle doibt se rendre à
Rome après les chaleurs sans vous la recommander et sans la

mettre sous votre protection particulière durant le séjour que


vous y ferez. Je scay qu'il y a mille rencontres où la seule
ombre de votre autorité luy peult extrêmement servir : c'est

pourquoy je vous prie de l'en favoriser aussi souvent qu'elle y


recourra et qu'il ne se présente point d'occasion qu'elle ne
ressente des efl'ets de ma recommandation. Cependant je vous
assure que je mettray fort volontiers sur mon propre compte
toutes les grâces que vous lui aurez départies "... »

En cette circonstance, Mazarin montrait qu'il n'était pas


ingrat et voulait récompenser la Checca des services qu'elle lui
avait rendus en chantant l'opéra aux trois carnavals de 1645,
1646 et 1647. II ne ménagea pas non plus sa protection à la
poétesse et cantatrice Margherita Costa qu'il avait sans doute
autrefois connue à Rome. Il écrivit plusieurs lettres pour la

jcclamatione a Roma e dal trovarmi libero c senz' impegno


délia sua venuta
alcuno... » (Arch. de Modène. Canton' e Sonatoii. Leopardi).
La plupart des œuvres de Leopardi sont perdues. Eitner signale seulement de lui
la can/one « Voi voleté ch" io canti » (Ms. 17765. Hojbibliothek. Vienne) et la
:

cantate : Disperato an.ante que nous publions en appendice d'après le manuscrit de


Modène.
I. Bibl. Nat. Ms. Diipiiy, 775, 1" cSo.
En 1650, Checca (-osta quitta Rome, où elle n'avait pas réussi, pour aller se
la

fixer à Florence. L'ambassadeur de France à Rome, le Bailly de \'alancay, écrivit


à cette occasion une lettre de chaudes recommandations au grand duc Ferdinand IL
— Mediceu 1006, fo 552.
l'orfeo 139

recommander au grand duc de Toscane '


et au cardinal d'Esté,
protecteur de France auprès du Saint-Siège'. Cette sollicitude
envers une femme, non moins célèbre pour ses talents poéti-
ques et musicaux que pour ses déportements \ donne à penser
qu'elle avait été fort bien reçue à la cour de France et qu'elle
était peut-être Théroïne de l'aventure rapportée par Coulas -^
:

l'une des chanteuses italiennes, conte-t-il, « ayant eu réputation


de vendre sa beauté en Italie, ne laissa pas d'estre reçue chez la

Reyne et jusques dans le Cabinet. L'on dit qu'un jour, comme


la Revne demanda à la femme du préfet Barberin, si elle ne la

vovoit pas souvent quand elle étoit à Rome et ne la faisoit pas


venir chez elle, chantant si bien et ayant tant d'esprit, cette
femme superbe, qui était filledu connétable Colonne, ne luy
répondit rien d'abord, et. Sa Majesté la pressant, elle échappa
et dit : « Si elle v fut venue, je l'aurois fait jeter par les fenes-
Reyne et l'obligea de changer de
tres », ce qui surprit fort la
propos. La Margherita Costa passait à Rome pour faire
»

commerce de ses charmes \ elle avait beaucoup d'esprit,


chantait délicieusement et avait même tenu avec succès plu-
sieurs rôles dans des opéras \ le récit de Coulas s'applique
donc fort vraisemblablement à elle. Xous ignorons si la

Margherita Costa et la Francesca Costa étaient sœurs, comme


pourrait le faire croire l'identité des noms. Il est en tout
cas certain qu'elles quittèrent Paris vers la même date, se ren-
dirent également à Florence d'abord, puis à Rome après les
chaleurs.
Les deux femmes voyagèrent sans doute en compagnie de
la Rosina Martini et de Jacopo Melani qui s'en retournaient

1. Voir la lettre du grand duc de Toscane du 23 juillet 1647 à Mazarin. Aff. Etr.
Toscane, 5, fo 346.
2. Lettre du cardinal d'Esté, en date du 21 mars 1650, à Mazarin pour le remercier
de la lettre que luiSig™ Margherita Costa « che V. E. per le virtù che in
apporte la

lei risplendono, stima digna di suoi favori ». Rome, 123, f" 147.

3. Magliabecchi dans une lettre citée par Ademollo {op. cit. p. jS, note i) déclare :

K È vero che per qualche tempo esercitô l'arte meretricia. »

4. Coulas, Mémoires, S. H. F. II, 212, 3.


5. « Margherita Costa famosa non più per Farte del canto, quanto per turpi i

costumi », dit l'Eritreo dans sa biographie citée par Ademollo. Teatri Ji Roma, p. 19.
6. Elle avait chanté dans la Catena d'Adone. V. Ademollo. Teatri di Roma, p. 9.
140 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

servir le prince Mathias de Toscane. Une lettre de Mazarin


écrite, du grand duc, atteste que
peu après leur départ, au frère
ces musiciens avaient eu bonne part du succès de l'Or^'c; '. Jacopo
Melani, à cette époque, n'avait que vingt-quatre ans et n'était
pas encore célèbre comme compositeur, mais Mazarin qui
l'avait déjà entendu, au carnaval de 1645, avait tout de suite
reconnu en lui un sujet d'élite et l'avait chaudement recom-

mandé au grand duc de Toscane. On peut juger par la réponse


de celui-ci que les éloges de Mazarin avaient été pris en consi-
dération '. « Jacopo Melani a bien raison de profiter de la faveur
de \'otre Eminence pour obtenir de moi des avantages, car
sachant le cas que je fais du goût et du jugement de Votre
Eminence, il ne pouvait trouver meilleur moyen de me bien
disposera son égard. Au demeurant, en toutes les occasions qui
se rencontreront pour lui, je saurai me souvenir de votre
recommandation et en cela comme en toute autre chose, je

ferai paraître le pouvoir qu'exerce X'otre Eminence dans notre


maison. Sur ce, vous témoignant mon grand désir de vous
servir, je mains de Votre Eminence de tout mon
baise les

cœur. » Cette donne à penser que


lettre, datée du 17 mars 1647,
Jacopo Melani fut bien reçu par le grand duc à son retour de
France et que la protection de Mazarin ne fut pas étrangère à
l'éclatante fortune de l'auteur du Podcsta di Cologiiole et de
YBrcoIc iii Trbr.

1. Lettre du 10 juillet 16.17 ^^^ prince Mathias, publiée par Adeniollo. Prliiii fnsti,

P- 5 3-

AdemoUo a interprété fort mal cette lettre. Il a cru que c la partenza del Melani »
signifiait le départ d'Atto, alors que tout le reste de la lettre montre fort bien qu'il
s'agit de Jacopo Melani.
2. Lettre du 17 mars 1647 à Mazarin :

Emmo e Rivm» Monsig. mio Col"'"',

A ragione Jacopo Melani è ricorso a favori di Y . Em'-'" per haver vantaggi da me,
perché, sapendo quanta stima io faccio del gusto e dell' inclinazione dell' Em'-i Vrà,
non poteva trovar mezzo megliore per disponirmi. Nelle occasioni pero che sipresen-
teranno proporzionate per lui, non haverô part-» memoria e in questo, e in ogn' altra
faro apparire sempre l'autorità che V. Em^-» ha in questa casa, et confermandole in

tanto il mio vero acceso desiderio di servirla, bacio ail' Em^'"» Vrà con tutto l'animo le

Mani.
Di V. Emza
Gran Duca di Toscana,
Aff. Etr. Tosùint\ 5, f" 291,
LORIEO 141

Ainsi, par petits groupes, les chanteurs qui avaient interprété


VOrfco, se dispersèrent. Il ne resta bientôt plus à la cour que
le seul Atto Melani. La reine n'avait pas eu le courage de le

renvover en Italie. « Mon cousin, écrivait-elle le 23 mai au


prince Mathias, je me plais si fort à la musique italienne depuis
qu'on me la fait entendre dans sa perfection que je vous
advoue franchement que vous m'avez fait plaisir de permettre à
Atto de venir icv ; et comme il n'y en avoit point de tous ceux
qu'on m'a envovés d'Italie qui eust si belle voix que luy, ny
dont le chant me plust davantage, je l'ay retenu près de moy
dans la créance que j'ay eue que vous le trouveriez bon '
».

VI

LOrfco avait à peine cessé d'être représenté que, de toutes


parts, des protestations s'élevèrent. On ne contestait pas encore
la beauté de l'œuvre mais on accusait Alazarin de ruiner la

France, de dilapider le trésor royal en montant des spectacles


fastueux pour son plaisir personnel. L'argument touchait fort
le peuple qui gémissait sous le faix des impots. Les Parlemen-
taires ne dédaignèrent pas une si belle arme pour combattre
Mazarin qu'ils haïssaient. « La comédie en musique, écrit Guv
Joli", qui coûta plus de cinq cent mille écus, fit aussi faire
beaucoup de réflexions à tout le monde, mais particulièrement
à ceux des compagnies souveraines qu'on tourmentoit et qui
voyoient bien, par cette dépense excessive et superflue, que
les besoins de l'Etat n'étoient pas si pressans qu'on ne les

eût bien épargnés si l'on eût voulu ». VOrfeo fut un admirable


prétexte pour exciter le peuple de Paris contre Mazarin. C'était
le cardinal qui, avec les Italiens, ses créatures, pillait et grugeait
le pauvre monde. C'était pour payer des chanteurs et des châ-
trés qu'on créait sans cesse de nouveaux impôts. Bref, c'était

de l'opéra que venait tout le mal. Cette explication fut tout

1. Publié (avec quelques erreurs orthographiques que nous avons rectifiées sur
l'original) par Ademollo. Primi fasli, p. 5 1 et 52.
2. Mémoires. Edit. Micliaud et Poujoulat.
142 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

de suite adoptée par la foule. « La comédie de M. le Cardinal,


conte Goulas', causa tant de bruit et de vacarme parmi le

peuple » qu'il ne songea plus qu'à cela... « Chacun s'acharna


sur l'horrible dépense des machines et des musiciens italiens qui
étoient venus de Rome et d'ailleurs à grands frais, parce qu'il
les fallut payer pour partir, venir et s'entretenir en France ».

On répète partout queVOrJcoà coûté de 400.000 a 500.000 écus


et les partisans du cardinal qui prétendent qu'on n'a dépensé

que 300.000 écus ne sont pas écoutés. Naudé, l'apologiste de


Mazarin, s'élève contre ces exagérations « L'on a fait un :

crime de voir une seule comédie de respect pendant la Régence,


au lieu qu'auparavant, c'estoit galanterie d'en voir toutes les
années et de jouer des ballets dont la despense estoit quasi
toujours plus grande que n'a esté celle de comédie d'Or^M'"" ». la

C'était là le langage du bon sens, mais dans les époques de


révolution, les arguments les moins sérieux sont ceux qui
portent le mieux sur les foules. Le contraste des dépenses de
Mazarin pour l'opéra et de l'effroyable misère publique était
trop frappant pour ne pas agir puissamment sur les esprits '.
A ces raisons morales de décrier VOrfco s'ajoutèrent bientôt
des raisons d'ordre patriotique. Que venaient faire en France
tous ces Italiens ? Q.u'avions-nous besoin de leur théâtre, de
leurs musique ? N'avions-nous pas les œuvres
comédies en
jde Corneille, de Rotrou, du jeune Q.uinault, de Scudery à
opposer à toutes ces productions étrangères ? Des pièces sati-
riques coururent sous le manteau où l'on raillait :

Ce beau mais inalhciircux Orphée


Ou, pour mieux parler, ce Morphée
Puisque tout le numde y dormit 1.

1. Mciiioirc.^. S. H. K, II, 212.


2. Naudé. Jti;^eiiic)it de loiil ce (jiii a esié inipriii/e eoiilre le Ciirdiiial Ma-nriii. 1649,
p. 572 et suiv. )

3. Lorsque Mazarin quitte Paris une Ma/arinade léte son départ en ces ternies :

AdicLi ni.iiliL- des l'rivcliiis.

Adieu L;r,iiul hiiscLir de ni.icliiiies.

Adieu cuise tie nos ruines.

(/,(' passe-porl et l'Aiiieu de Ma^^triii dans le Choix de Mii~ariii(ides, pub), par


Moreau, S. H. I, /•'.
p. 99.

4. Mazarinade du i i mars 163 1. V. Choix de Mu^oriiKules par Moreau, II, 343.


L ORFEO 143

De divers côtés parurent des parodies de l'œuvre de Luigi.


Des scènes de l'opéra y étaient ridiculisées. Orphée faisait dan-
ser au son de sa lyre tous les objets de la nature. Certes, s'il
s'était avisé
De les faire danser en foire,
Il auroit plus gagné de sous
Qu'Aubcrvilliers ne vend de chous '.

Après avoir burlesquement réclamé aux enfers leur proie,


Orphée se tait enfin lorsqu'il

Eust plus geint et plus soupire


QjLi'un vieux soufflet d'orgue ou de forge.

Critiques et pamphlets énervaient Mazarin. II se résolut à


sévir. Le 7 juillet 1647, d'Ormesson nous apprend
Lefèvre
que l'on « informoit sous main de ceux qui parloient mal du
gouvernement sur le sujet des Flandres, de la comédie, etc. ».
Sarazin, désigné à la colère du ministre comme l'auteur d'une
pièce satirique contre VOrfco, fut mis à la Bastille ~ où il
demeura plusieurs semaines, malgré les lettres pressantes
adressées à Mazarin par le magistrat chargé de l'enquête et
persuadé de son innocence'. Les mesures répressives furent
sans effet sur les Parisiens. On continua à s'indigner des folles
dépenses de Mazarin et à railler la comédie italienne. Durant

1. L'Orphée grotesque dvcc Je haï rustique en vers burlesques, première partie. Paris,
Sébastien Martin, 1649, '-''^> Suite de VOrpliée avec les Bacchautes ou les rudes joueuses.
2. a Sarrazin tut mis à la Bastille... parce qu'on le soupçonnoit d'avoir fait de
méchants vers contre le Roi, à l'occasion des machines des comédiens italiens. On
lui faisoit tort, il ne les eût pas fait si mauvais ». Tallemant des Réaux. Historiettes,
3e édit. Garnier, tome VII, p. 89.
5. Monsieur d'Hemer}^ écrit à Mazarin, le 24 juillet 1647 : « Monseigneur... Sarrasin
m'a veu... à la Bastille, il paroist en ses escuses fort innocent. Je n'av point encores
veu son beau frère qui dict estre le calomniateur afin de prendre pour luy le mal, si
il y en a, j'escriray à V. E. ce que j'aurav reconeu après mestre bien esclairci. » (Aff.
Etr. France, 858, fo 246).
Quelques jours plus tard D'Hemcrv écrit de nouveau
Monseigneur, J'ay veu
: « —
M. D'Esfontaines, beau-frère de Sarrazin qui est son ennemi,
il n'a nulle cornoissance

que les vers soient faiis par Sarrasin c'est une médisance si sotte et si mal"
; e qu'elle
ne sent point le stile de Sarrasin et après avoir bien tout examiné, je suis obligé.
;

Monseigneur, de vous escrire que je ne croids pas qu'il en soit l'autlieur. V. E. me


mandera ce qu'Elle veut que l'on fasse là dessus. » (Fiance, 858, fo 254).
I-J4 LIIPERA ITALIEN E\ l-RANCE

toute la Fronde, le thème de YOrfeo


aux auteurs de servira
Mazarinades qui broderont dessus cent remarques mordantes.
Peu à peu, la légende s'accréditera de Tinsuccès de VOrfco. Pour
expliquer que la reine y ait trouvé du plaisir, on insinuera
qu'elle s'ennuyait, comme tout le monde, mais n'osait le
laisser voir depeur de déplaire à Mazarin. Montglat, dans ses
mémoires, rédigés assez longtemps après les événements, donne
de la représentation d'Orphée un récit tendancieux qu'il est
amusant de rapprocher des descriptions enthousiastes des pre-
miers spectateurs de l'opéra '
: « La prospérité des affaires de
France causa une grande joie dans la cour et pour cette raison
tout l'hiver se passa en réjouissance, et comme celui qui gou-
vernoit étoil Italien, tout le monde se conformoit tellement à
son humeur, que depuis les plus petits jusqu'aux plus grands,
on n'avoit que des plaisirs italiens. On ht venir de Rome une
Signora Leonora pour chanter devant un Signor la Reine et

Torelli pour faire des machines avec des changemens de


théâtre en perspective ; et Ton manda des comédiens, qui repré-
sentèrent en musique la pièce d'Orphée dont les machines
coûtèrent plus de quatre cent mille livres. Cette comédie
duroit plus de six heures, et étoit fort belle à voir pour une
fois, tant les changemens de décorations étoient surprenans :

mais la grande longueur ennuyoit saiis qu'on l'osât témoi-


gner, et tel n'entendoit pas l'italien qui n'en bougeoit et
l'admiroit par complaisance. La Reine même ne perdoit pas
une fois sa représentation laquelle se lit trois fois la semaine
deux mois durant, tant elle prenoit soin de plaire au cardinal
Mazarin, et par la crainte qu'elle avoit de le fâcher ».

Cette version d'un public ennuyé mais attentif à ne pas


s'attirer la haine du ministre est en contradiction avec les

faits. Les philistins ont toujours supposé des mobiles inté-

ressés à ceux qui admirent une œuvre qu'eux ne comprennent


pas. En réalité, YOr/ro obtint un gros succès qui ne se démen-
tit pas durant le cours des représentations. un petit
Seul,
groupe de courtisans hostiles à Mazarin et aux coutumes ita-

1. Mi'iiioircs de Moiii^'ldl, cdit. Micluuki. page 176.


L ORI-EO 145

Hennés que le ministre s'efforçait d'introduire en France,


bouda VOrfi'o. Les parlementaires grondèrent contre les
dépenses et la populace déchira l'œuvre qu'elle ne connaissait
pas. y eut certainement alors un revirement chez beaucoup
Il

de seigneurs redoutant d'être accusés de « Mazarinisme ». Le


souvenir de cette opposition à VOrfco se conserva longtemps
et, en 1677, La Fontaine dans son épître à M. de \vert',
l'ami de Luigi Rossi, y faisait encore allusion :

Toi qui sais mieux qu'aucun le succès que jadis


Les pièces de musique eurent dedans Paris,
due dis-tu de l'ardeur dont la cour échauffée
l-rondoit en ce temps-là les grands concerts d'Orphée,
Les longs passages d'Atto et de Leonora
Et ce déchaînement qu'on a pour l'opéra ?

Luigi Rossi avait quitté Paris au lendemain du triomphe


y revint au commencement de 1648, juste à temps
d'OrJi'o. 11

pour voir déchirer et vilipender son œuvre par des polémistes


indignes d'en sentir les beautés. De santé délicate, il avait,
avant de quitter Rome, dicté à son notaire un nouveau tes-
tament : (c Au nom de Notre Seigneur Dieu, de la Sainte \'ierge
et de tous les Saints. Si, dans le vovage que j'entreprends en
France et durant le temps que j'y demeurerai, il plaît à Dieu
de me rappeler à lui, je déclare que ma dernière volonté est
que le peu de biens que je laisse à Rome soient divisés de la
manière suivante... » Il avantageait fortement son jeune frère,
le harpiste Gio. Carlo, auquel l'unissait l'affection la plus

vive. Ses allaires étant en ordre et son testament rédigé en


bonne et due forme, le 9 décembre 1647, Luigi Rossi se mit en
route pour Paris '.

Pourquoi Luigi revenait-il en b'rance ? Mazarin songeait-il à


faire représenter un nouvel opéra ? On était pourtant à ce

1. Œuvres, édit. Molaiid, tome VII, p. 121.


2. M. Cametti qui a publié le testament de Luigi Rossi dans son article des
Saiiniielbniide der I. M. G. déjà cité, atifirme que Luigi ne revint jamais en France.
Nous allons voir le contraire.
146 l'opéra italien ex IRAXCE

moment tout aux préparatifs de X Andromède de Corneille, qui


devait utiliser la mise en scène de ÏOrfeo '.

Il ya là un point fort obscur. Ce qui est certain, c'est que, le


16 février 1648, Mazarin s'excusait auprès d'Antonio Barberini
de retenir Luigi à la Cour. « La Reine a désiré avec telle passion

s'attacher Luigi Rossi pour sa valeur insigne et ses rares qua-


lités, qu'il s'est résolu à venir servir Sa Majesté, sans avoir pour
cela l'intention de quitter le service de Votre Eminence et je

vous prie de vouloir bien lui conserver votre affection et votre


faveur ^ »

Durant la première partie de la Fronde, Luigi demeura auprès


de la reine. Il s'enfuit sans doute de Paris, le 6 janvier 1649,
avec la cour et eut à supporter à Saint-Germain les misères
de la vie d'exil. On couchait dans les carrosses, on manquait
de vivres, on ne savait comment se protéger contre le froid.
Mais Luigi, craignant sans doute de tomber entre les mains des
Frondeurs, n'osa pas quitter la cour. Il attendit que la paix
de Rueil eût momentanément suspendu les hostillités pour
demander son congé. Le 17 septembre 1649, il quitta Paris
pour aller retrouver en Provence le cardinal Antonio. Celui-
ci s'était installé, au commencement de l'été, dans une mai-
son de campagne appartenant à la maréchale de Villeroy et
située à quelques lieues de Lyon '\
Il accueillit avec joie le
retour de son. musicien favori et remercia par lettre Mazarin
de le lui avoir envoyé, en protestant de son désir de lui être
agréable ainsi qu'à la reine '. On ne sait si Luigi demeura

1. V. plus loin chapitre VII.


2. Lettre datée de Paris, le 16 lévrier 1648 :

« Luigi Rossi è stato desiderato con tal passione dalla Regina per la sua insigne
virtù e buone qualità, che egli si è risoluto di venire a servir Sua Maestà, non inten-
dendo pcr questo di lasciare il servitio di V. Em'-', la quale prego a volergli conti-
nuare il suc affetto, e la sua buona gratia »... (Aff. Htr. France, 262, 1° 87).
3. Rome, 163, fo 2. C'était le château de Myon.

4. c< Da Luigi Rossi mi è stata resala benig"ia di V. E. del 17 caduto per l'honor
délia quale render debbo infinité gratie. La suplico a creder sempre uor di ogni dubbio f

che apparirà il gusto délia Mt-i délia Regina e di S. Em^a^ io


clV in tutto quello in
saro sempre obedientissimo in conformità délie mie obligationi immense e délia niia
eterna devozione con la quai bacio per fin' ail' Em. V. humbl« le mani.
De M\'on il primo H^re 1649.
(.\tr. E.tr. Rovie, 113, 1° 254).
L ORFEO 147

longtemps encore auprès d'Antonio Barberini qui mena une


vie errante, en attendant l'heure de revenir dans Rome et de
conclure la paix avec le Pape. Les Barberini et les Pamphili
scellèrent, en 1633, leur accord par un mariage entre leurs
familles et, à partir de cette date, le cardinal Antonio redevint
le puissant mécène qu'il avait été quelques années auparavant.
Luigi ne put se ressentir de l'éclatante fortune de son
protecteur, il mourut, le 20 février 1653, et fut enseveli en
l'église Santa-Maria-in-via-Lata '. Son frère, Gio. Carlo Rossi,
l'excellent joueur de harpe, pleura sa mort et composa pour
lui cette épitaphe :

Aloysio de Rubeis Neapolitano


Phon'asco toto orbe celeberrimo
JaM regibusque koto
S.\TIS REGN'IS

ad tumulum
Cl'jus
Har.moxia orphaxa viduaql'e Amicitia
Eterxum ploraxt
JoAxxis Carolus de Rubeis
Ibi Fratri amaxtissimo
Cui COR PERSOLVIT IX I.ACRIMAS

Sepui.chrum posuit Axxo


MDLIII^

Atto Melani, qui avait partagé avec Luigi rigueurs du les


séjour à Saint-Germain ', profita, du retour de la
lui aussi,
régente dans Paris, le 18 août 1649, pour demander son
congé sous prétexte de graves affaires de famille à régler à
Florence. Dupe ou non de cette excuse, Mazarin le laissa par-

1. Nous avons découvert et publié, en 1910, l'acte de décès du grand musicien. Ce


document a permis de déterminer la date et le lieu de naissance de Luigi Rossi. \'.
H. Prunières. Notes sur la Vie de Luiç^i Rossi. Sammelbande der I. M. G., 1910,
Jahrg, XII hefi i .
'

2. Cette épitaphe se lit encore sur la pierre tombale en Téglise S'^ Maria-in-via
Lata.
5. Comme nous l'avons vu plus haut. Ademollo a cru que la lettre de Mazarin con-
cernant le départ de Jacopo Melani, le 10 juillet1647, s'appliquait à Atto Melani.
Cette conviction déterminé à changer la
l'a date d'une lettre d'Atto Melani au prince
Mathias : au
de 2/ Liiglio il a écrit 2j Giitiriio. Singulier historien qui acconmiode
lieu
les documents selon les nécessités de son récit! V. Ademollo. Piiiui fusti, p. 32. La
lettre en question porte la cote Med. 5442. f" 26. ( Arch. de Florence).
:
148 l'opéra italien en FRANCE

tir, le 21 septembre 1649, et lui remit une lettre pour le prince


Mathias de Toscane où il exprima toute la satisfaction que
la reine et lui avaient ressentie de gardera la cour un si excel-
lent musicien '. A dire vrai, le cardinal ne prisait pas seule-
ment en Atto Melani le talent du chanteur, mais aussi l'intel-

ligence et la finesse de l'homme. La profession d'Atto lui ouvrait


toutes les portes, sa voix enchanteresse lui gagnait les cœurs;
il pouvait écouter, observer et au besoin agir selon les instruc-

tions reçues. Il présentait donc toutes les qualités requises pour


être un excellent agent secret et Mazarin ne tarda pas à s'en
convaincre. Atto avait d'ailleurs un goût naturel pour les

intrigues de cour et, dans toute sa correspondance, il est plus

question de politique et de diplomatie que de musique. Maza-


rin employa sans doute Atto à quelque mission délicate durant
la Fronde, car il semble avoir contracté envers lui une dette de
reconnaissance. « Où que vous soyez, lui écrit-il le 25 avril 1653,
vous pouvez compter sur mes bonnes dispositions à votre
égard et sur ma faveur' ». Atto en quittant Paris se rendit à

Florence, puis, au cours des années suivantes, il voyagea en


Allemagne et dans la Péninsule. Si Ton excepte un court séjour
en France, en 1653, il ne revint à la cour d'Anne d'Autriche
qu'en 1637. Nous verrons à cette date quels services il rendit
à Mazarin.
A on Paris, faisait la \ie dure aux Italiens. Le peuple
voyait en eux les auteurs responsables de sa misère et les

haïssait étrangement. Les castrats surtout étaient raillés d'un


chacun. Une Mazarinade du 19 février 1649 : La PJaiulc du Car-
naval cl de la l'oirc Sainl-Lauroil '
s'indigne que Mazarin ait fait

... icy venir de si loin,

A force d'argent et de soin.

1. La lettre a été publiée par Ademollo, op. cil., p. 54.


2. « Al. Sig. Atto Mflani. l'ircnze. —
Gradisco l'esprcssionc, chc mi t'a de' suoi
afTettuosi sentiment!, e godo che se le presentiuo sempre occasioni da palesar la sua
virtù. In ogni luogo dove sarà, si deve promettere délia mia dispostissima volontà in
suo favore e qui le prego dal Ciel ogni prosperità. Parigi, 2j Aprile 1635. Mazarini. »
Bibl. Mazarine, Mss. 2218, p. 80.
^ .\ Paris, Claude Huot. 1649. l\ibl. dans le Choix de Ma~aii)iadcs. S. H. F.,
tome I, p. 273.
L ORFEO 149

De ridicules personnages
Avec de lascives images...

Ces lascives images, c'étaient les merveilleux tableaux et

les statues que le cardinal se faisait envoyer d'Italie par ses


agents diplomatiques. Durant la Fronde, tout ce qui est ita-

lien est proscrit. Les protégés de Mazarin sont persécutés :

Ceux qui restent de vostre cour


Sont cachez icy tout le jour ;

Et pas un n'ose plus parestre


De crainte dVstre pris pour traistre.

déclare à Mazarin une lettre versifiée du 4 mars 1649 '. Sans


doute le grand Luigi Rossi et Atto Melani furent-ils quelque
temps réduits à cette extrémité heureux encore d'en être ;

quittes à si bon compte. L'admirable artiste Délia Bella


faillit être massacré par une populace imbécile et n'échappa
que grâce à la piésence d'esprit d'un spectateur qui protesta
que Délia Bella n'était pas italien, mais florentin Trait d'au- !

dace qui convainquit la foule ignorante. Torelli, l'auteur


acclamé des machines de la Fiiita Pa::^:{(i et de VOrfeo, fut
ruiné par la Fronde et endura mille maux '. Comme la plu-
part de ses compatriotes, il chercha à dissimuler sa nationalité
en francisant son nom :

Les sieurs Miletti, Torelli,


Aussi bien que toute la trouppe,
N'osent plus avoir 1 en crouppe ;

Et, de peur d'estre criminel,


Torelli se nomme Torel'...

vaine précaution qui n'empêcha pas l'infortuné d'être empri-


sonné de longs mois.

i. Lettre à Monsieur le Cardinal huilesqiic (du l'abbé de Laffemas). V. Choix de


Ma-arinades, tome I, p. 510.
2. « Quandje songe, écrit Torelli dans la Préface du Recueil des décorations de
en 1654, que les persécutions, les emprisonnemens et la perte de tout
Thetis et Pelée
mon bien, ont esté les témoignages de mon zèle, et que la gloire de souffrir pour
Vostre Excellence m'a paru plus chère et plus précieuse que ma propre vie, il me
semble qu'en cette occasion je ne tais rien pour elle d.
3. Choix de Ma:iarinades , I, p, 311.
1)0 l'opéra italien en FRANCE

La réaction anti-italienne est si violente que les divertisse-


ments ultramontains sont proscrits comme les ultramontains
eux-mêmes'. La reine, humiliée, semble céder aux objurga-
tions de son confesseur et laisse croire à Monsieur Vincent
qu'il a réussi à la Mais elle garde vivace
dégoûter des opéras -.

au fond de son cœur la passion de la musique. C'est par un


nouvel opéra qu'elle célébrera, en 1654, la défaite des Fron-
deurs et le retour triomphal de Ma/arin. Le succès des Xor^r^e
di PeJco c di 'ri.nii fera justice des attaques véhémentes dirigées
contre le mélodrame italien par des polémistes à gages.

1. Quelques obscurs musiciens italiens demeurent pourtant Evelyn qui passe :

par Paris, en 1650, note dans son journal, à la date du 6 février « In the evening, :

came Sigi" Alessandro, one of v" Gard'. Mazarin's musitians, and a person of greate
name for his knovvledge in gt art, to visite my wife, and sung before divers persons
of quality in niy chamber )>. Il m'a été impossible d'identifier ce mystérieux Siguor
Alessandro.
2. Lettre de Conrart à Félibien du 20 décembre 1647 « Depuis la guérison du
:

Roi, M. Vincent a dégousté la Reine de ces divertissemens (des opéras) en sorte que
tous les ouvrages ont cessé. ». Leitres fauiiJicres de M^ Coiirard, Paris, Billaine,

jMDCLXXXI, p. no.
CHAPITRE I\'

OPÉRAS, CONCERTS ET BALLETS ITALIEXS A LA COUR


(165 3- 1659)

l. Venue à Paris de Carlo Caproli et de sa troupe. — Les No{:ie di Peleo e di Thcti.

L'interprétation. Le succès.
IL Le troupe italienne de 1655 à 1659 Un moine virtuose. OtîVes de
:
— service. —
La Signera Anna Bergerotti, Francesco Tagliavacca, Atto Melani.
III. Lulli et les ballets italiens : Psvrbé, La Galanterie du temps, VAduv iiialato,

Alcidiane, la Raillerie.

Mazarin rentra dans Paris le 5 février 1633. La Fronde était


vaincue, les factieux en déroute, les princes rebelles en exil ou
en prison, on pouvait s'amuser en paix. Le Carnaval fut l'occa-
sion de folles prodigalités. Le Ballcl de lu Xiiil, orné des
machines de Torelli, ne dut pas coûter moins que YOrfeo\
Pourtant, cette fois, personne ne murmura il ne s'agissait plus :

d'un spectacle étranger, mais d'un divertissement national et


dès lors il convenait de fermer les yeux sur la dépense.
Le succès fut immense et l'on put croire que l'opéra, dépouillé
par le Ballet de cour de ses parures les plus belles, ne reparaî-
trait plus en France*. Mais Mazarin restait fidèle au spectacle
dont sa jeunesse avait été charmée et la Reine, en dépit des dis-
cours de M. Vincent, gardait un exquis souvenir de YOrfeo. A
peine réinstallé à Paris, Mazarin écrivit à l'abbé Buti, qui se

1. Cf. Henry Prunières et La Laurencie, La Jeunesse de LuUx. S. I. M. 1909, p. 330.


Sur la musique du Ballet de la Xuit, cf. H. Prunières, leau de Canibefort. Anm'e luiisi-

caîe ICI 2, Alcan, 191 3 (in-S").


2. V. au chapitre VII les essais de tragédies de machines et de ballets à grand
spectacle destinés à faire concurrence aux opéras italiens.
1)2 LOFERA ITALIEN EX FRANCE

trouvait à Rome, pour le prier de réunir une nouvelle troupe


de chanteurs '. Comme le poète tardait à revenir, le cardinal le

réclama Antonio Barberlni avec insistance: « Le roi, assure-


à

t-il à la date du 25 septembre 1653, désire le retour ici du

signor Buti et m'a donné l'ordre de prier Votre Eminence en


son nom de bien vouloir le faire partir au plus tôt . »
A Rome, Buti n'était pas resté inactif, il avait écrit le livret du
futur opéra : les \o~~e di Pclco c di Tl.nii et l'avait remis à
son collaborateur, l'excellent musicien Carlo Caproli, dit Carlo

de] viollno.
Le cardinal Antonio Barberini voulut bien avancer aux musi-
ciens l'argent nécessaire au voyage. Le 5 novembre, Mazarin lui
écrit « Le signor Buti me donnant avis que Votre Eminence
^'

aura la bonté de f^tire payer là-bas une somme au signor Carlo


del Violino et aux musiciens qui doivent l'accompagner pour
leur donner facilité de faire le voyage en cette cour, je prends
la liberté de prier Votre Eminence de leur compter quatre cents

doublons que je ferai payer à Paris à la personne que voudra


bien désigner Votre Eminence. »

Carlo Caproli était attaché au service du prince Ludovisio,


neveu du pape Innocent X, l'un des chefs de la faction espa-
gnole. Il avait épousé une cantatrice, la signora Mttoria, et avait
pour frère un compositeur de cantates estimé le padre Jacopo :

1 . Buti avant proposé à Mazarin un certain nombre de musiciens pour Topera, le


Cardinal lui répond, le 29 août 16), « ...Approvo il parer di V. S. circa
: musici i

ma, come gl' affari délia campagna et i preparamenti per sacrare il Re in questo mese
di settembre occupano per hora tutti i pensieri, se le mandaranno l'ultime résolution!,
subito che il Re sarà di ritorno a Parigi e frattanto resto con desiderio d'ogni sua pro-
sperità. Parigi 29 Agosto 1655... » Bibl. Maz., Mss. 2218, p. 188.
2. « Il Re desidera il ritorno quà del Sig. Buti e mi ha commandato di pregarne
in suo nome V. Fm. la quale, se cosi li place, sarà servita di farlo partire subito... »
Bibl. Maz., Mss. 2218, p. 220.
Buti se préparait d'ailleurs à partir au premier jour comme en témoigne une lettre

de r.\mbassadeur, en date du 6 octobre lôsî- (Rome, 122, f^ 411).


5. Post-scriptum d'une lettre écrite de Châlons au Cardinal Antonio le 5 no-

vembre 1655 « .Àccennandomi il Sr Buti che V. Em'-^ havrebbe la bontà difarpagare


:

costi una sonuna al Carlo del Violino et alli Musici che devono accompagnarlo per
.S""

dar loro commodit.'i di far il viaggio a questa corte, prendo la libertà di supplicar

Y. Em.
somministrar loro quattrocento doble che faro pagare in Parigi alla per-
a
sona che placera ail' Em'-a Vr. di ordinare. Bibl. du Vatican, Barb. hit. 8043, ^^ )>

Bibl. Maz., Ms.'22i8, p. 262.


OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 153

Caproli '. Carlo del \'iolino, aujourd'hui complètement oublié,


jouissait au xvii^ siècle d'une véritable célébrité. Berardi, dont
les jugements sont empreints de la plus grande équité, le

nomme avant Carissimi, Luigi Rossi et Tenaglia parmi les


auteurs de cantates les plus renommés de son temps'. Il appar-
tenait d'ailleurs à la même école que Luigi Rossi dont il devait
être le disciple et Tenaglia dont il était l'émule \ Comme ces

deux grands Maîtres, il moins de découvrir de nou-


s'inquiétait
velles combinaisons contrapontiques que de créer des airs d'une
plastique parfaite. Artiste merveilleusement doué, inventeur
de rvthmes subtils, de mélodies expressives et caressantes, il

était par excellence un musicien aristocratique et ses œuvres^


s'adressaient à une élite assez raffinée pour en sentir les délicates

beautés. Ces qualités, il faut l'avouer, n'étaient pas de nature à


gagner un public aussi peu cultivé que celui de France à la
cause de la musique italienne. Il eût fallu choisir un auteur
avant la veine populaire '
ou capable de sacrifier au goût
des Français qui ne voyaient point de salut pour la musique
hors les ballets et les petites chansons. Mais l'abbé Buti

1. En tête d'un recueil du Conservatoire de Xaples {Can-oni di diversi aittovi i2).)


on lit ce titre : VillaneUe spirituali et altri Recitativi a iina voie del P. Jac-^ Caproli
Roiinmo, et plus loin : Un' lUtinia che dispre~ia il tjioiido del P. hicopo Caproli Romano
1646. Par Jacopo Caproli vivra à Rome avec son frère. On trouve dans les
la suite

comptes du Cardinal Antonio dans les Archives Barberini (à la Bibl. du Vatican) des
billets autographes classés aux années 1657-1664 conçus en ces termes « Al Sig"" :

Gasparo Marchaccione mio Signore e Pron Oss">o. Sig"" Mio e Padrone Sig. — —
Prego la cortesia di V. S. farnii gratia di dare al présente Padre Jacopo Caproli, mio
fratello, li soliti denari che Sua Em^a pfôn mi fé gratia per il mese di Novembre
prossimo passato. Il medesimo Padre a voce renderà a V. S. quelle gratie che con
tanta cortesia mi ha compartito, sperando, se place a Dio di guardarmi da nuovi acci-
denti, di poterlo far di persona. Fra tanto confessandomeliobligat"^", sono e sarô sem-
pre di V. S. Mio Sig^ Dcvot. et oblig. Servir Carlo Caproli. >
2. V. Berardi, Ragionavienti musicali, 1681 (p. 136). B. N. Réserve V. 2477.

3. Il avait composé, aux environs de 1645, une magnifique cantate profane sur un

poème de l'abbé Buti. Elle se trouve dans le recueil du Conservatoire de Naples dont
nous avons parlé plus haut « Contro i pensieri inquiet i. Poesia del Sig'' Francesco Buti,
:

Musica del Sig'^ Carlo Capioli Roinauo ». Caproli appartenait donc à ce groupe des amis
de Buti dont nous avons déjà maintes fois rencontré les noms : Luigi Rossi, Marco
Marazzoli, Marc' Antonio Pasqualini, Gio. Carlo Rossi, etc.
4. On trouvera aux Pièces justificatives (\^I) une bibliographie de ses œuvres. Le
Quellen Lexikoii de Eitner ne donne que des indications trop incomplètes à ce sujet.
5. Comme le vénitien Cavalli.
154 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

désirait pour collaborateur un romain comme lui '. Aussi


s'adressa-t-il à Caproli qui lui semblait, avec raison, un des
compositeurs les plus fins et le plus séduisants de Rome.
Buti n'attendit pas que la troupe d'opéra fût en état de
partir pour se mettre en route -. Le 6 Décembre, le gazetier
Loret avise le grand public de son retour à Paris :

Une nuize docte et polie


Vient tout fraîchement d'Italie

Pour agir au balet royal


Qu'on doit danser au Carnaval,
Où l'on espère que ses veilles
Produirttnt de rares merveilles.
Ce poëte, de Rome party,
Est le mesme Monsieur Bouty
Dont l'esprit s'aquit maint trophée
Dans l'excellent poëme d'Orphée,
Qui fut devant Sa Majesté
En muzique reprézenté.
Avec pluzieurs machines telles
Qu'on n'en vid jamais de si belles '.

Carlo Caproli quitta Rome, à la fin de novembre, avec les

chanteurs qui devaient interpréter l'opéra. La nouvelle de son


départ n'avait pas été bien accueillie du prince Ludovisio,
furieux de voir son serviteur s'en aller à la cour de France.

Caproli en gardait une grande mélancolie, comme en témoigne


une longue lettre qu'il écrivit de Lyon au cardinal Antonio
Barberini, le 3
janvier 1634 *.

1. Sur le désir de Buti d'avoir affaire à des « romaneschi ». V. une lettre d'Atto
Mclani publiée par Adcmollo, Piimifasli délia Miisica ital. a Parigi, p. 70.
2. Le 19 décembre 1655. Mazarin remercie le Signer Garopoli d'un recueil d'airs
que Buti lui a remis de sa part. Bibl. Maz., Ms. 2218, deuxième partie, 1° 309.
5. Mu::^e historique, édit. Ravenel, tome I, p. 439.
4. Nous avons eu la bonne fortune de découvrir cette letttre à la Bibliothèque Na-
tionale dans un Recueil de lettres adressées au Cardinal Antonio Barberini récem-
ment acquis. Il est probable que cette correspondance s'est échappée par aventure des

Archives Barberini, maintenant transférées à la Bibl. du Vatican. Voici le texte ori-


ginal de cette lettre :

Emin"'" et Rev"'" Sig^ et mio Pron'^ C^olend",

Da Monsieur Seveno V. E. bavera intesa per una mia da Marseglia l'infortunii et


li patimenti del mare. Il p° giorno dell' anno giungemmo in Lione, A Valenza c'in-
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR I55

Votre Eminence aura appris par Monsieur Seveno, d'après


ma lettre de Marseille, les infortunes et les souffrances que
nous a causées l'état de la mer. Le premier jour de l'année nous
sommes arrivés à Lyon. A Valence nous fîmes la rencontre de

contrammo nel S^ Prenez di Conti quale mi fece chiamare per voler saperc che genti
crano e di dove venivamo et dove andavamo li dissi chi siamo, chi ci ha dimandati
;

e chi ci inviava. Mi tenne più d'un' hora con grad« cortesia, dimandomi délie salute
di V. E. e délie cose di Roma. Mi licenziô con tarsi promettere di andarlo a visitare
la sera Vienna et poi a Lione et poi a Parigi.
a
La Vienna ci fui, et condussi questi musici dalla mia moglie in poi, et li
sera a
focemmo un poco di musica, quale con grad» benignità mostro di gradirla et lo
dimostrô con un honorevole regalo che forzatamente vuolse farci. Lo sentimmo
anchora a Lione dove ci vi siamo trattenuti quattro giorni per riposo, essendocene
grande bisogno, ma le spese di questi paesi che sono grandissime ci premono a par-
tirsi et sarà di mattinasei del corrente. Il Sigr Cenami ci ha fatto eccessi di cortesia,
li

et ho promesso V. K. da parte di quelli Sig" Cenami, quali veramente adorano


riverir i

il nome di V. E. Hanno sempre assistito a mia moglie et l'hanno condotta a spasso


con il maggior amore et cortesia del mondo. Circa alla littera di tre mila franchi che
V. E. m' ha fatto gratia, la présentai et il mercante mi voleva contare il danaro, ma li
feci istanza che mi volesse farne una littera per Parigi, et perché mi disse non haver
rincontro in Parigi, li ha pagati al S"" Federico Cenami, et esso mi ha fatto una
polica* di cambio per Parigi quale al mio arrivo la faro premettere et la terrô intatta,
et non ne prendero un soldo senza un' estrema nécessita et consenso del Buti.

Resto con suplicar la benignità di V. E. a conservarmi la sua stimatissima prote-


tione chè tornando in farsetto da Francia, sono contentissimo haver fatto questo
viaggio, né haver altro premio che la protetione e la sers'itù con V. E.
Non resto di recordare a V. E. che in ogni occasione procuri mantenermi la ser-
vitù mia con il S"" Prencipe Ludovisio, mio caro Padrone. Se bene credo che saranno
parole al vento, poichè offerte dell' aiuto di corte et délia polica di cambio per
le

Parigi sono svanite; anzi non ha volute permettere che mia moglie habbia mai più
messo piede in casa sua, da che fu venuta la littera del Re e che V. E. li parla a
Ponterosso et con tutto che ci habbia fotto discorsi con molto sentimento, non ha
;

voluto che ne meno nell' andar via sia mia moglie andata a far riverenza alla S'» Prin-
cipessa. Et questa cosa che l'ho sentita grandemente, ho rossore di scriverlo a V. E.
ma conoscendo che ho gran bisogno di aiuto appresso S. Sig^ia et per questo prendo
ardire di ricordarlo a V. E. come anche per farli sapere in che blivio mi trovo ;

et altra fermezza et consolatione non ho che la memoria délie parole di V. E. Non


manchero sentitamente pregar S. D. M« per la prosperità et félicita di V. E. al quale
con ogni umiltà facio profond^e riverenze.
Lione li 5 Gennaio 1654.
Di V. E.
Suplico anchora V. E. sprouare il sig' Lotti a maudarmi délie ariette corte di versi
poichè cosi le vogliono, ut io non ho altra speranza che nel loro valore, et hora che
ho quasi finito l'opéra, mi metterô a fare l'opère che sua Sigf'» mi ha dato.
Humnio Devmo et Vol"io Servitore
Carlo Caproli.
(B. Nat., Koiiv. acq.fr., 21 11 3, f" 191).

* Nous respectons autant que possible l'orthogiaphe du nuisicien. Il écrit ijolini pour /lo//--!;.
hlivio pour hivic, etc.
156 l'opéra italien ex FRANCE

Monsieur le Prince de Conti qui me fit appeler pour savoir


quels gens nous étions, d'où nous venions et où nous allions.
Je lui dis qui nous étions, qui nous avait mandés et qui nous
envoyait ici. Il me garda plus d'une heure avec beaucoup de
politesse, me demandant des nouvelles de Votre Eminence et
des affaires de Rome. Il me renvoya en me faisant promettre de
l'aller voir le Lvon et puis à Paris. Le
soir à X'ienne, puis à
soir à \'ienne j'y allai et lui menai les chanteurs avec ma
femme; nous lui fîmes un peu de musique dont il témoigna,
avec beaucoup de bonté, être satisfait et nous le prouva par un
présent qu'il nous contraignit à accepter. Nous l'avons vu
encore à Lyon où nous nous sommes arrêtés quatre jours afin
de nous reposer, en ayant grand besoin. Mais les prix de ce
pays qui sont très élevés nous engagent à partir, ce que nous
ferons le 6 du courant au matin.
Le Signor Cenami a fait avec nous assaut de courtoisie et
'

j'ai promis de présentera \\ H. les respects des Signori Cenami

qui, en vérité, adorent le nom de \. H. Ils ont tout le temps été


fort assidus auprès de ma femme et l'ont conduite à la prome-
nade avec la plus grande amabilité et la plus grande politesse
du monde. Qiiant à la lettre de trois mille francs que \^otre
Eminence m'a donnée, je l'ai présentée et le négociant m'en
voulait verser le de bien vouloir me
montant, mais je le priai

taire une lettre sur Paris et comme


me disait qu'il n'avait pas il

de correspondant à Paris, a remis la somme au sieur Federico


il

Cenami qui m'a donné une lettre de change sur Paris. A mon
arrivée je la ferai mettre en compte et la garderai intacte sans
en prendre un sou à moins d'extrême nécessité et avec le con-
sentement de Buti.
Il me reste à implorer la bienveillance de \\)tre Eminence
pour qu'elle me conserve sa protection qui m'est très précieuse.
Dussai-je revenir en chemise de France, je serai encore très
heureux d'avoir fait ce voyage sans avoir d'autre récompense
que la protection et le service de Votre Eminence. Je me
permets de rappeler à W 1:. qu'en toute occasion, elle doit

I. Grand b.mquier italien li.xé à L\on.


OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 1)7

essayer de me conserver ma charade chez le Prince Ludovisio,


mon cher maître. Aussi bien je crois que ce seront paroles au
vent, puisque les promesses de gratifications et de lettre de
change pour Paris se sont évanouies. Bien plus, il n'a pas
voulu permettre à ma femme de remettre les pieds en sa maison
après que fut arrivée la lettre du Roi et que \'otre Eminence
lui eût parlé à Ponterosso et, malgré ses grandes démonstrations
de bon vouloir, il n"a même pas voulu qu'avant son départ ma
femme allât faire la révérence à Madame la Princesse. Et cet
affront que j'ai vivement ressenti, je rougis d'en avertir \'. E.

mais, sachant que j'ai grand besoin d'aide auprès de Sa Sei-


gneurie, je prends l'audace de le rappeler à Y. E. comme aussi
de lui faire savoir en quel embarras je me trouve. Je n'ai d'autre
réconfort et d'autre consolation que le souvenir des paroles de
V. E. Je ne manquerai pas de prier très dévotement Notre-
Dame Marie pour la prospérité et la félicité de Y . E. à laquelle

en toute humilité je fais une profonde révérence.

Lvon, le 5
janvier 1634.

Je supplie encore \. E. de presser le Signor Lotti '


de
m'envoyer des ariettes en petits vers puisqu'ils les veulent ainsi
et je mets toute mon espérance dans leur mérite et mainte-
nant que j'ai presque terminé l'opéra, je \ais me mettre à tra-

vailler aux ouvrages que Sa Seigneurie m'a commandés.


De \'. !:. le très humble, très dévoué et très obéissant servi-
teur.

Carlo Caproli.

Quelques semaines plus tard, la troupe débarqua à Paris


excitant un grand mouvement de curiosité, car depuis plusieurs

I. Lf poète Giovanni Lotti, au service du Cardinal Antonio, auteur d'un grand


nombre de paroles de canzoni, de cantates et même d'opéras et d'oratorios. Il avait été
pourvu d'un bénéfice à S'-> Maria Maggiore en 1641. (V. Rome, 7), i° 240). En 1646,
Elpidio Benedetti mandait à Mazarin que Lotti avait grand désir de venir en France.
{Koiiie, 96). Une lettre de Mazarin du 6 février 1654 remercie Lotti de l'envoi de ses
oeuvres qu'il promet d'essaver de faire éditer à Paris. {France, 270, f" 46).
158 l'opéra italien en FRANCE

années, on n'avait plus vu de castrats italiens. Loret annonce à


ses lecteurs la nouvelle du jour, le ]i janvier.

J'apris hier, en mangeant ma soupe,


Qu'une belle et gaillarde trempe
De très-rares comédiens,
Et mesmes grands muziciens,
Ariva lundv de Mantouë,
Naples, Turin, Rome et Padouë,
Pour être du halet roval
Qu'on doit danser au Carnaval.
On dit que ce seront merveilles.
Et que les yeux et les oreilles

Des spectateurs tous ébaudis


Feront illec leur paradis '.

Carlo Caproli fut accueilli parle cardinal Mazarin avec beau-


coup d'honneur pourvu de la charge de Maistre de lu
et

Musique du Cabinet du Roy' c'est-à-dire de l'intendance et de


la direction de la troupe italienne. Aussitôt arrivé, il se mit à
l'œuvre et distribua les rôles de son opéra entre les musiciens
italiens qui servaient de protai^onistes et quelques chanteurs
français qui faisaient leur partie dans les chœurs. Apparem-
ment Torelli fut une fois de plus en retard, car on ne put être
prêt pour le carnaval et l'on dut improviser le ballet des proverbes'

pour divertir la cour durant les jours gras. Depuis de longues


années on n'avait pas vu, à Paris, tant de réjouissances. Ce
n'était partout que bals, comédies, ballets et concerts. Scarron
s'en émerveillait :

1. Mii::e hisloriquc, cdit. Ravcncl, I, 461.


2. Une copie du brevet de la charge de M" de
Musique du Cabinet attribuée à
la

Caproli se trouve dans les Rci^isircs de du Roi à la Bibl. Nat., Ms. Jr.
la Secretaircric

102 2, p. 147. Kn voici le teNte rédigé en termes flatteurs pour Caproli


) » Aujour- :

d'hui... 1634, le Rov, estant à Paris, ayant creu ne pouvoir donner au s'' Charles Ca-
prole un tesmoignage plus particulier de l'estime qu'il fait de son mérite et de la con-
fiance qu'il a en son affection et en son expérience qu'en le retenant pour servir au-
près de sa personne. Sa Majesté pour ces considérations luv a donné la charge de
^U de la Musique de son Cabinet, i'our par led. s»" Caprole désormais exercer et jouir
et user aux honneurs et autres prérogatives, gages et droictz qui luy seront ordonnez
par ses Kstats en vertu du présent brevet qu'Elle a signé. »
3. Dansé le 17 février. \'. la ]cuiu'sse de LuUy, S. I. M.. 1909, p. 531 et 332.
OPERAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR I59

Cette année est fertile en masques


Autant que la Biscaye en basques '.

Mais toutes ces fêtes ne faisaient pas oublier aux courtisans


le Grand ballet royal dont on annonçait la représentation après
Pâques.
Le 3 avril, Ercole Manzieri écrit au duc de Modène qu'aussi-
tôt après les fêtes on donnera à la cour le plaisir du grand ballet
auquel on travaille depuis tant de mois' et, le 2, la gazette
rimée de Loret répand la nouvelle à travers Paris.

Enfin le grand Balct Royal


Qui n'a jamais eu son égal,
Soit pour l'apareil magnifique,
Pour la danse ou pour la muzique.
Inventé par le sieur Bouty
Lequel n'est pas un aprentv.
Mais un homme sublime et rare,

Qu'aux plus beaux esprits l'on compare


Tant du prézent que du passé
Sera, dit-on, Lundy dansé... >

Le lundi tombait un 13; est-ce pour cette raison supersti-


tieuse ou pour une autre cause que la première n'eut lieu
que le mardi ? nous lignorons. Le roi était revenu de Saint-
Germain à Paris, le mercredi 8, afin de prendre part aux répé-
titions du 9 et du II avril ^. Il devait être le béros de la fête et

1. Recueil des épitres en vers burlesques de M" Scar rouet d'autres autbeurs sur ce (jui

s'est passé de plus remarquable en l'aum'e 16) j. Paris, Lessclin, MDCLVI (Bibl. de
l'Arsenal, B. L. 9323, in-4«, p. 29.)
2. « Passât! i giorni délie prossime teste si darà la corte alla festa del Gran Balletto

per CLii si travaglia già niolti niesi sono, per sortire poi immediataniente dopo in
campagna ». Arch. de Modène. Frauda. Lettere del Résidente Ercole Manzini.
(3 Aprile 1654.)
3. Mu:^e liistorique, éd. Ravenel, I, 484.
4.Le 10 avril, le résident de Toscane, Bardiicci, écrit « ... a San Gerniano, dove :

S. M. si trattenne sin' al Mercoledi seguente, essendo poi venuta quà per provare il
suo gran' Balletto et la commedia in musica, conie segui ieri et doverà provarsi anche
domani, havendo S. M. risoluto di rappresentare l'un e l'altro Lunedi prossimo per la
prima volta con tutte le macchine inventate da Torelii ». (Arch.de Florence, Mediceo
46)8.) Le même jour, le Nonce écrit au Pape « Nella seguente settimana si tara la
:

testa in corte del Ballo del Re con macchine e Musiche di Musici venuti per que-
st'etfetto d'Italia ». (Xiin:^iaturu di Frauda, 108. Arch. du Vatican).
l60 l'opéra italien ex FRANCE

danser six entrées sous costumes les plus divers: Apollon,


les

Drvade, Furie, Indien etc.. Mazarin et la reine avaient saisi


cette occasion de le faire acclamer par son peuple, comptant
sur la grâce et la prestance du noble baladin pour lui gagner
tous les cœurs. La salle du Palais-Royal leur avait paru trop
petite '
pour contenir la foule que ne manquerait pas d'attirer
l'annonce d'un pareil spectacle et ils avaient décidé de faire
représenter l'opéra dans la salle du Petit-Bourbon, capable de
contenir plusieurs milliers de spectateurs'.
Nous avons de la représentation divers comptes rendus qui
attestent le succès éclatant des A^o~,;<' di Pcico c di Theti. Le
gazetier Loret, invité par ordre de la reine, assistait à la pre-

mière. On voit par son récit que le scrvicf d'ordre avait été

mieux réglé que pour VOrùo. Les invités étaient l'objet de


nombreuses attentions :

duclqu'un m'aporla de quoy vivre,


Bdiitenips me fit prczent d'un livre,
De la bougie on nie donna '...

Cette dernière précaution n'était pas inutile : la salle

n'était pas si bien éclairée que la scène, et la bougie était

nécessaire pour suivre sur le livret les paroles chantées et les


péripéties de l'intrigue'. Comme de juste, Loret célèbre
d'abord Torelli âonl l'art surpasse les prodiges des plus fameux
magiciens, puis il vante la Musique.

Jamais dans le Nague des airs

On iTouit de si doux concers.


Soit de luts, soit de voix humaines.
Qui du moins étoient deux douzaines).

1. j-llc était d'ailleurs en iort mauvais état et avait besoin d'importantes répa-
rations.
2. V. la description de la salle dans Le Ballet de Cour en Fiance avaiil Lully.
Cliap. 1\'.

5. llp. (//., 1, p. 4''iv

4. 11 en sera longtemps encore ainsi à l'opéra. i'A. Lecerl de La \ iéville. Compa-


raison de la Musique italienne et de la Musii/ue françoise. Bruxelles. 1703, p. 42.
-). Op. cit., p. 486.
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR l6l

Il s'enthousiasme au souvenir des entrées de ballet, du com-


bat à la barrière, de tout ce qu'il a vu et Dieu sait ce qu'il a
vu « sur ce théâtre merveilleux» :

On y vid chanter des Xnvades,


On V vid danser des Drvades, •

Des monstres et des péroquets


(Mais sans jargons et sans caquets) ;

On V vid des dieux la demeure

On y vid la Paix et la Guerre,


l'Air, la Mer, l'Enfer et la Terre.

Loret, gazetier à gages, pourrait être suspect de partialité si

son témoignage ne nous était confirmé par celui des Ambas-


sadeurs italiens présents à la représentation, tous gens désin-
téressés et dilettantes avertis.
« Le grand ballet royal et la Comédie en musique, écrit Bar-
ducci, le 17 avril ', ont été représentés mardi soir pour la pre-

mière fois et hier soir pour la seconde et la nombreuse assis-


tance demeura entièrement charmée par la suavité de la mu-
sique, la beauté des entrées de ballet, la variété et la richesse
des décors et des machines, mais, par dessus tout, fut admirée
l'élégancedu Roi qui ne parut pas fatigué malgré le grand
nombre d'entrées qu'il eût à danser dans le Ballet.
Monsieur le
Cardinal Mazarin n'a pu avoir le plaisir de la première, ni de
la seconde représentation, Son Eminence étant travaillée de

douleurs néphrétiques.... » Le nonce Bagni mandait au pape


le même jour un compte rendu analogue « Le ballet et la '
:

1. Lettre du 17 avril 1654: « Il gran Balletto Reale et la commedia in musica


lurno rappresentati Martedi sera per la prima voila et ier sera per la seconda et il gran

numéro degli assistent! restô interamente appagato dell'esquisitezza délia musica,


délia vaghezza dell' ingressi de' halli et délia varietà et ricchczza délie scène e délie
macchiue, ma sopra tutto fu' ammirata la leggiadria del Re che si mostrô anche
indefesso nella frequenza dell' ingressi che S. M. fece nel Balletto. Il Sig"- Cardinale
Mazzarini non ha potuto godere né délia prima, né délia seconda rapprescntazione,
trovandosi tutta via TEm^^ S. travagliata da dolori nefritici de' quali procura
di sollevarsi con continui rimedii... » (Mediceo 4658.)
2. Arch. du Vatican. Xiin:^i(!tiira di Fiancia 108, Arm. II u Pu provato il Ballo e :

lesta in musica del Re, sabbato li 11, e dopo fu fatto per la prima volta in publico con
l'intervento délia Regina et Ambasciatori che furono invitati in nome di S. Mtà con
lé2 l'opéra italien EX FRANCE

fête en musique du Roi ont été répétés le samedi 1 1 et ensuite

ont été représentés publiquement, la première fois, en présence


de la Reine des ambassadeurs qui y furent invités de la part
et

de S. M. ainsi que d'un grand concours de peuple. Le tout,


parut magnifique et fut loué universellement. Les représen-
tations vont continuer, à ce qu'on dit, encore une dizaine de
fois, pour l'avantage et le plaisir de tout le monde ». Autant

qu'on peut conjecturer d'une autre lettre du résident Bar-


ducci, la mise au point des machines n'était pas encore par-
faite puisqu'on l'améliora par la suite : « Son Eminence étant
délivrée à présent de ses douleurs néphrétiques, écrit-il le

24 avril ', assista mardi soir à la quatrième représentation du


Grand Ballet royal et de la Comédie en musique, qui eurent
un merveilleux succès, car on a remédié aux défauts qui
avaient été notés lors des représentations antérieures. Le Roi
y prend un tel plaisir qu'il a voulu qu'on donnât hier soir la
pièce de nouveau et qu'il a résolu de continuer à la faire jouer
encore cinq fois pour que tout le monde pût en avoir le plai-

sir : les ambassadeurs et autres ministres des Princes, la Magis-


trature de la ville, le Parlement et les membres des autres tri-

bunaux ayant été déjà invités ».

Loret, dans sa gazette du 23 avril, nous confirme le succès


enregistré au lendemain de la première :

Notre monarque prend la peine


De danser trois fois la semaine
Son balet, qu'on nomme en maints lieux
Le charmant paradis des veux -.

gran concorso di Popolo, essendo il tutto riuscito con magnificenza e Iode universale.
E si rapprescntarà, per quanto dicono, altre dieci voltc ancora per magg"" commodità
e sodisfattione di tutti. »
1. Arch. de Florence. Mcdicco 4638. « ... restando al présente S. M. libéra da i suoi
dolori nefritici, et Martedi sera intervenne per la prima volta alla 4'-' rappreseutazione
del Grau Balletto reale et délia Commedia iu Musica che riuscirno maravigliosa-
niente, essendosi rimediato a che si erano osservati nelle antécédent! rappre-
'i difetti
sentationi et con tanto gusto del Re, che S. M. volse t'arla di nuovo icr sera et ha
risoluto di continuarla per altre cinque volte, anche perché ciascuno ne possa godere,
essendosi di già stati invitât! li Ambas" et altri Ministri di Principi, il Magistrato délia
C^ittà et il Parlaniento et l'istesso seguito dell! altri tribunali. »
2. Op. cil., I, p. 489. V. encore sur le ballet des Noces ilc Thélis les gazettes riniées
des 2, 16 et 23 mai.
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR léj

Les représentations ne prirent fin que vers le 20 mai. Aux deux


dernières on laissa pénétrer la foule librement « Sa Majesté par
une bonté particulière voulant que tout le peuple pût avoir sa
part de ce rare divertissement '
».

nous devions nous faire une idée des Xor^'c ili Peleo c di
Si

Tbt'ti d'après les seuls témoignages contemporains nous serions

fort embarrassés Oirétait au juste cette pièce où chantaient


!

des virtuoses italiens, où dansaient des seigneurs français, que


les uns appellent une Comédie, les autres un Ballet ? Le titre de

la pièce imprimée définit assez exactement cette festa in iiiiisica :

« Comédie italienne en musique entremeslée d'un ballet sur le

mesme sujet ». L'Orfeo avait été un véritable opéra


^
les ;

ballets qui s y trouvaient n'avaient qu'un rôle en quelque sorte


décoratif et étaient dansés par des professionnels. Au contraire
dans Les No:^::^e di Peleo e di Tbeti la fusion de l'opéra italien et
du ballet de Cour français est aussi complète que possible. Le
ballet, au lieu de se suffire à lui-même, tire sa raison d'être de
la « comédie » et celle-ci fait participer le ballet à l'action dra-
matique.
ALizarin, nous dit le livret \ avait pris soin « de former
lui-même le dessein de ce grand ballet et de cette superbe
comédie ». On reconnaît bien, dans cet ingénieux compromis,
la main de l'astucieux Cardinal. \'oulant aider l'opéra à prendre

racine sur le sol français, il lui donne pour appui le genre


national du ballet de Cour.

1. Galette, 1654, p. 428.


2. Les I
Nopces \
de Pelce \
et Thetis \
coiuédie italieniie en musique \
entrenwslée d'un
ballet sur le \
nusnie sujet dansé par |
Sa Majesté \
A Paris | chez Robert Ballard, seul
imprimeur |
du Roy pour la Musique MDCLIV. — Le AX\'' ''' ^'"'"'t' '^ '^' Theti
— — Comme on
| |
I

I
Co.\îMEDL\ I
Bibl. Nat., Réserve Vf. 1460. voit, ce recueil com-
prend deux livrets distincts : le ballet et l'opéra italien. du Ballet onA la fin lit : « Ce

qui suit est la comédie italienne traduite en vers français par un autre que par celui qui
a fait le ballet. »

3. Description particulière du grand Ballet et Conu'die des Xopces de Pelée et de Thetis


avec les machines, changemens de seine, habits et tout ce qui a fait admirer ces merveilleuses

Dédié à Monsieur
représentations... le Comte de S. Aignan, Premier ge)itilhomnu' de la

Chambre du Roy. Robert Ballard MDCLIV. (Ce troisième livret relatif à l'opéra de
Caproli est d'une rareté excessive. Il n'avait encore jamais été signalé. On le trouve
relié à la suite des deux premiers dans un superbe exemplaire in-folio (rel. en maro-
quin) à la Réserve du Conservatoire.
164 l'opéra italien en 1-
range

Chaque scène de la comédie « donne occasion » à une


entrée de ballet. L'opéra est ainsi formé de deux parties juxta-
posées, mais séparément composées. Tandis que l'abbé Buti
écrit en vers italiens le livret et que Carlo Caproli le met en
musique, le comte de Saint-Aignan, aidé des chorégraphes de
la Cour, régie les danses, les musiciens français en composent
les airs et Benserade, de sa plume malicieuse, émaille de traits

piquants les vers pour les personnages du baJIel \


La partition des Na;^^ cli Peleo a disparu, il ne nous reste, en
fait de musique, que les airs du ballet français recueillis par

Philidor'. On ne saurait le regretter assez les œuvres de :

musique de chambre et les oratorios de Carlo Caproli attes- '

tent un musicien de race, délicat et raffiné, un des maîtres les


mieux doués de l'école romano-napolitaine.
Pour le livret, nous sommes à même d'en apprécier la
valeur, Mazarin ayant pris soin de le taire imprimera II
n'est ni meilleur, ni pire que celui de YOrfeo. A lire l'argu-

ment, l'action semble assez simple : « Pelée, Roy de Thessalie,


amoureux de Thétis et traversé de deux puissants rivaux,
Jupiter et Neptune, fait en sorte, par les conseils de Chiron et

par le secours de Prométhée, que l'un et l'autre sont à la fin

exclus de leur prétention. Neptune s'en désiste à cause de sa


vieillesse et Jupiter encore plus vieux, mais aussi beaucoup
plus considérable, y renonce de luy-mesme pour son propre
intérêt. Ainsi Thétis, plainement persuadée de la constance et

de la lidélité de son amant, consent à l'épouser et l'on célèbre


le mariage où se fait un grand concours de Dieux et de
Déesses ». Suivant son habitude, Buti complique cette intrigue
d'une foule d'incidents baroques et réussit à la rendre aussi
incohérente et bizarre qu'il se peut imaginer.

1. Sur le genre poétique des « Vers pour les personnages du Ballet «. Cf. H. Pru-
nicres., Le Ballet de cour en France, chap. V. —
Victor Fournel, Contemporains de
Molitre, tome II, p. 190 et suiv.

2. Collection Pbilidor z\\ Conservatoire. Tome IV. Les airs sont très sommairement
notés pour dessus et basse seulement.
3. En particulier son oratorio Davide prevaricanle e poi pentito que possède la Hot-
bibliothek de Vienne.
4. B. N., Réserve Vf. 1460 et Réserve du Conservatoire.
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR lé)

Après un Prologue où le Roi, figurant Apollon, descend du


Parnasse, salué par les chants des Fleuves et des Néréides,
commence la comédie proprement dite. Le théâtre représente
la grotte du centaure Chiron, faite de rochers affreux et

« ouverte des deux côtés '


» Pelée confie sa peine au Sage.
Celui-ci lui conseille d'aller consulter Prométhée, enchaîné sui
le Caucase, et évoque quatre sorciers et quatre sorcières qui font
« un charme en dançant » et enlèvent Pelée « dans un char
volant ». A cette sombre vision succède un agréable paysage

maritime. Thétis paraît « sur une grande coquille conduite par


un demy dieu marin et toute environnée d'une belle troupe de
pécheurs de corail ». Elle se rencontre avec Neptune, « tiré par
des chevaux marins », qui lui déclare sa flamme et, furieux
d'être repoussé, frappe la mer de son trident pour déchaîner une
terrible tempête. Thétis se réfugie à terre et les pêcheurs font
« entre eux une dance pour tascher de La scène
la divertir ».

suivante montre les efforts infructueux de Jupiter pour séduire


Thétis. Le roi des dieux recourt à la force et enlève Thétis
dans un nuage, quand, jalouse, Junon accourt. Elle appelle à
son aide les Furies qui sortent de la gueule d'un monstre ;

Jupiter s'enfuit sur son aigle, tandis que les Furies, « toutes
glorieuses d'avoir utilement servi au ressentiment de la déesse »

exécutent une danse de caractère.


Au deuxième acte, Prométhée converse avec Pelée « Hélas : !

gémit le Titan, trop audacieux, j'ai ravi le feu du soleil »,


« Et moi, proteste Pelée, j'ai brûlé mon âme aux flammes des

yeux de Thétis ^
». Prométhée
que Jupiter se désistera prédit
par ambition et extrêmement consolé » pen-
le roi le quitte a
dant que des Sauvages se livrent à une danse bizarre en agitant
leurs massues. La scène suivante nous montre l'accomplisse-

1. V. DécorationsMachines aprestées aux Nopces de Tetis ; Ballet Royal repn'seritê


et

en la salle du par Jacques Torelli inventeur (in fo) Rob. Ballard.


Petit Bourbon,
MDCLIV. Ce volume, le quatrième a\-ant pour objet la représentation des Xo^yC di
Peleo, fut édité avec grand luxe et contient un grand nombre de planches gravées par
Silvestre montrant les divers décors de Torelli. Une description du spectacle accom-
pagne ces estampes. B. Nat. Yf. (° Sy-
2. Prom. « Dal Sole, ahi troppo audace, il toco io presi.
:

Peleo :

Et io di Theti a rai l'anima accesi. » i
î66 l'opéra italien en frange

ment de la prédiction de Prométhée. Jupiter apprend de Mer-


cure que le fils qui naîtra de Thétis sera plus puissant que son
Dieu renonce à son amour
père. Craignant le sort de Saturne, le
et ordonne aux Dryades de danser pour célébrer sa liberté recon-
quise.
Driadi belle, testeggiate
La mia nova libertà.

La troisième scène n"a qu'un rapport éloigné avec l'action.

On assiste à une fête guerrière en l'honneur du Dieu Mars. Les


chevaliers de Thessalie, après avoir longuement défilé, com-
battent à la pique et à l'épée. Les sacrificateurs séparent les
adversaires. Le Dieu rend alors son oracle : Tonia il Rc di Tbes-
saiiJia al fin' contculo. L'acte se termine sur un chœur d'allégresse
et sur les danses des chevaliers et des courtisans.

L'acte III fait paraître le portique du l^alais de Thétis. Chi-


ron engage Pelée à aller trouver la déesse et les « académistes »

du Sage, « habillés en Indiens», dansent pour se réjouir du


retour du Roi de Thessalie.
La scène II nous fait assister à d'étonnants prodiges Pelée :

déclare sa flamme à Thétis, celle-ci pour l'éprouver se change


tour à tour en lion, en monstre, en rocher, mais Pelée ne
cesse de protester de son amour. Tant de constance triomphe
de la résistance de Thétis qui accorde sa main au roi de Thes-
salie '. Après un tendre duo d'amour, on assiste aux noces de

I . En ces termes :

Amor, difendere
Da te quest'alma
lo più non sô.
Né più contendere
A te la Palina
Non voglio no ;

X'anta più tu
Supcrbo Arcier
Ira le tue glorie
Mia servitù.
Clic solo in ver
Da tue vittorie
Salvo sen va
i.Wi cor non lia

Troppo il tuo ardore e la tua te poteo


Hcco nii tua, Peleo...

Ce fragment donne une idée de la banalité et de la faiblesse des vers de Buti.


OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 1 67

Thctis et de Pelée, célébrées par tous les dieux de l'Olympe :

« Thétis et Pelée paroissent assis sur un haut throsne dont le

dessus se change en une perspective du firmament où sont les

amours ; et l'autre partie de la Scène se forme en une nuée


au travers de laquelle brillent toutes les déités accourues aux
nopces. Hercule y amène Prométhée délivré par ordre de
Jupiter. Cependant Junon et Hyménée, accompagnés des
Intelligences qui composent l'harmonie céleste descendent
dans une grande machine, et tout cela s'estant joint aux Arts
libéraux et méchaniques de l'invention de Prométhée qui les
a conduits en ce lieu, il se fait un grand ballet à terre, tan-
dis que les petits amours en font un austre au plus haut du
ciel ».

Le librettiste, comme on en peut juger, s'était efforcé de


tenir la balance égale entre le ballet de Cour et l'opéra, mais,
à la représentation, l'équilibre fut certainement rompu à
l'avantage du premier genre '. A coup sûr les spectateurs
français furent moins charmés des conseils du centaure Chi-
ron à Pelée que de la fête indienne qui suivit, où l'on vit
le gros M. Hesselin, juché sur un chameau, présider aux ébats

des Académistes vêtus de costumes bariolés de plumes trico-


lores et frappant en cadence « de petits tambours faits en
forme de miroirs ». Parmi ces indiens figurait le jeune Louis
'

et à ses côtés un baladin dont on admirait fort l'agilité :

Baptiste Lulli depuis un an au service du Roi \


Nous sommes assez bien renseignés sur l'interprétation de
l'opéra. Les chanteurs français de la Chambre v parurent aux

1. Marolles parle de la représentation comme s'il s'agissait d'un ballet. Mémoires.


Amsterdam, MDCCLV (in-80), tome III, p. 122-125.
2. V. les descriptions du gazetier Loret qui est surtout attentif aux ballets. La
bibliothèque de l'Institut possède un précieux recueil contenant les dessins colo-
riés des costumes du ballet des Noces de Thétis et de Pelée. (Desctiption particulière
du graud Ballet et Comédie des Nopces de Pelée et de Thétis^. N. 196. Nous avons publié
deux reproductions de ces dessins dans l'étude déjà citée sur la Jeunesse de Lullv et
une autre dans notre volume sur Lullv, de la Collect. Laurens, p. 16.
5. Suivant l'habitude du temps, les entrées difficiles à exécuter étaient réservées à

un petit nombre de Seigneurs renommés pour leur adresse qu'entouraient des dan-
seurs professionnels. Les entrées nobles et majestueuses étaient réservées aux dames
et aux courtisans dont les talents chorégraphiques étaient moins prisés.
i68 l'opéra italien en- ekance

côtés des italiens du Cabinet du Roi. Ce fait prouve que nos


artistes connaissaient et pratiquaient la musique italienne puis-
qu'ils étaient capables de la chanter. C'est là un symptôme
nouveau d'italianisme, car, en 1647, il ne semble pas qu'aucun
musicien français ait pris part à la représentation de VOrfeo.
Ajoutons pourtant que les étrangers, comme il est naturel,
demeurèrent les protagonistes des Xo"cdi Peleo et que les Fran-
çais ne tinrent que des rôles épisodiques. \'oici la distri-

bution de la pièce telle que nous avons pu l'établir approxi-


mativement '.

Personnages du prologue :

Antonio d'Imola I fleuve.


Le sieur Valié / fleuve.

Girolamo Pignani, Thomas Stafford,


Cambetort, Hédouin, Beaumont . .
'
Clnriir des Néréides.
Coulon (page) t

Personnages du drame :

Signora Vittoria Caproli Thétis.

Signor Giuseppe da Torino Pelée.

Girolamo Pis;nani Junoii, Mercure.


Filiberto Ghigof (?) Chiron.
Antonio d'Imola Neptune, Jupiter.
Ribera Un Eunuque.
Thomas Stafford Protnéthée.
Cambefort, Beaumont /
Chœur des Sirènes.
Coulon, Le Lorain (pages) . . . . ^

L'Alleman, Hédouin, \'a]ié. Le \'erd. . Chœur des Triions.


Cambefort, LAlIeman, Hédouin, Iknui-
mont. S' Stafford, Antonio d'Lnola, Chœur des Sacrificateurs.
Girolamo Pignani, Coulon (page). *

Les musiciens français dont les noms sont cités ici appar-
tiennent tous à la musique du Roi '. Le plus illustre d'entre

1. D'après les divers livrets cités plus haut.


2. Le fameux claveciniste (^lambonnières paraissait aussi sur le théâtre, mais il

remplissait un rôle muet un héiaull.


:
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 169

eux, Jean de Cambefort, protégé de Mazarin, allait avant peu


passer surintendant de la musique de la chambre et s'était '

déjà distingué en composant les airs du balu'i de la Xiiit (1653).

Nous sommes moins bien renseignés sur les artistes italiens


desquels seuls nous avons à nous occuper ici. Girolamo
Pignani nous est connu par deux remarquables cantates de sa
composition insérées avec des œuvres de Carlo Caproli et de
Luigi Rossi dans le recueil de Playtbrd de 1679 '. De sa
vie, nous ne savons pas grand' chose on le retrouve à la :

Cour de Copenhague, vers 1661. Il y travaille à un opéra de


Cadmiis, en 1663, en collaboration, semble-t-il, avec Forster '.

A Copenhague, à la même époque, nous trouvons un musicien


italien nommé Giuseppe Petrucci. Est-ce là le Signor Giuseppe
di Torino qui chantait dans ou doit-on iden-
le No~~e di Peleo,
tifier celui-ci avec le castrat Giuseppe Blanchi qui par deux '

fois était déjà venu de Rome à Paris r Qui est Antonio '

d'Imolarquel nom estropié cache celui de « PhilibertoGhigof » ?

Autant de questions auxquelles nous ne saurions répondre.


On croirait pouvoir expliquer la présence de l'anglais Thomas
Stafford parmi ces artistes ultramontains en rappelant que
''

la Reine d'Angleterre, le duc d'York, son fils, et une partie de

leur Cour assistaient aux Xo:{7^c di Peleo e di Theti. Mais, en


réalité, Thomas Stafford arrivait directement de Rome avec

1. Cf. Henry Prunières, Jean de Cambefort, Surintendant de la Musique du Roi


( -1661). Année musicale 1^12. Alcan, 1913,111-80.
2. Ce sont les canzoni : Dite che far poss'io et Lidia in vano. Il n'existe que deux
exemplaires connus du recueil de Playford : Scella di can:^onetle ilaliane de pin autori,
Dedicale açli Amatori délia Musica. Prlnted at London, 1679, by A Godbid and
J. Playford, in little-Britain. ivol. 8° (British Muséum et B. Barbcrini au Vatican ;

copie au Conservatoire de Bruxelles). Il est à noter que la dédicace au lecteur est


signée du nom de Pignani. Ce volume est précieux, car il contient des œuvres de
Luigi Rossi, Carissimi, Caproli, Cesîi, Pasquini, Stradella. Tous ces auteurs appar-
tiennent à la même école et Fart de Stradella continue logiquement celui de Luigi
Rossi.
3. Pirro, Buxtebiide. Paris, Fischbacher, 191 3 (in-80), pp. 69 etjo.
4. Il est plus probable que c'était en réalité un certain Giuseppe Schiavetti qui se
trouvait à Rome
en 1653.
5. Il est que Giuseppe Bianchi parait, pendant quelques mois, en 1658, sur
à noter
la liste des chanteurs de la Hof-Musikkapelle de \'ienne. Kôchel, op. cit., p. 63.

6. On trouve dans les recueils de Playford divers airs et chansons de cet auteur.

Cf. Choice Ayres and dialogues, London, 1675. .Wtc'.4vr« and dialogues, London, 1678.
IJO L OPERA ITALIEN EN FRANCE

la iroupe de Caproli. Il s'était sans doute rendu en Italie


pour y étudier le chant sous la discipline du grand Luigi
Rossi, car nous le ^•oyons, le 23 février 1633, assistera Tou-
verture du testament du musicien aux côtés de l'auteur de la

Diana scbcniila, C^ornachioli, et de quelques inconnus : Giu-


seppe Schiavetti, Lubiani, Panatini, etc '.

Torelli, pcnir célébrer l'éclatant succès des Xo7j,c di Pcleo,


donna une grande fête à laquelle il convia les auteurs et les

interprètes de l'Opéra \ On tira un superbe feu d'artifice et à


la table du festin prirent place gaiement, autour du maître du
lieu, l^'ancesco Buti, (^arlo Caproli, et toutes les divinités de
l'Olympe dépouillées de leurs attributs encombrants. Le jeune
garçon qui avait servià figurer la croupe du C.entaure Chiron '

versait à boire aux convives. Le cavalier Amalteo* déclama au


milieu des applaudissements une pièce de circonstance où il

louait a\ec esprit tous ceux qui avaient eu part à la réussite

de l'œuvre et badinait agréablement sur la réconciliation de


Jupiter et de Neptune représentés par le seul Antonio d'Imola.
Mazarin, enchanté du succès des No~~c di Pelco, qui le con-
solait des critiques naguère adressées à VOrfro, résolut d'éter-
niser le souvenir de cette représentation en faisant imprimer
non seulement le livret et les vers pour les personnages du
mais encore une minutieuse description du
ballet, spectacle,
accompagnée de planches gravées qui reproduisaient les décors
et les machines'. Cette dernière publicatic^i fut dédiée à M. Le

Comte de Saint Aignan, premier gentilhomme de la chambre


du Roi, qui avait pris une part active aux préparatifs de
l'opéra : « On sait bien Monseigneur, disait Ballard, dans sa

1. Cametti, Dociiriienti iiiedili su la vila Ji Liiii^i Rossi. SiUiiuiclhibide des I. M. G.


1913, p. 17.
2. \'. aux Pièces justificatives (V) le poème du cavalier Amalteo : << Fer la ricrea-
rjoiie e fuoco di Gioia falti dal Siotior Giacomo Torelli, iiioegnere di Sua Maestà christia-
nissiiiia Ai Sigiiori, Musici e Personaggi délie No^'e di Thetide e Peleo per la felice

riuscila deir opéra ».

3. Un dessin du recueil de costumes de ballets de la collection James de Rothschild


montre le dispositif employé pour cet effet scénique (fo 39 v").
4. Ce poète était déjà en France en 1652 à cette date,
: il reçoit un don de
300 livres de la Reine. (Bihl. Nat., Mss. Ciuq cents Colbert, 106, f" 303 vo).
5. V. l'exemplaire déjà cité de la Réserve du Conservatoire.
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR I7I

dédicace, que Son Eminence qui s'intéresse jusque dans les


moindres choses qui regardent la grandeur et la réputation du
Royaume avec ce même génie qui agit si bien dans les plus
importantes aifaires, s'est donné la peine de former luy-mesme
le dessein de ce grand ballet et de cette superbe comédie, que
Monsieur Bouty, beaux esprits de ce temps, a fait
l'un des plus
les vers la Musique, que M. de Bense-
qui ont esté chantez par
rade, toujours admirable en ses productions, a fait les Argu-
ments et les W'rs du ballet et que le Seigneur Torel en a
inventé les superbes machines, mais, Monseigneur, la richesse
des habits, le choix des Airs et des Pas et l'assortiment merveil-
leux de tant de différentes pièces qui ont composé cet admira-
ble tout, ne sont dus qu'à vous seul. »

La GiV^ctlc chantait, à cette occasion, les louanges de Maza-

rin, le véritable la pièce aux yeux du public: « La


auteur de
France, proclamait-elle pompeusement, n'est pas moins obligée
de ses plus beaux divertissemens à Son Eminence qui fait
venir de si excellens hommes d'Italie, que du bon succès de ses
affaires'. » Mazarin ne ménagea pas les témoignages de sa
gratitude aux auteurs de l'opéra. Il procura à Erancesco Buti la

naturalisation française et, à l'automne de cette même année,


il lui accorda une pension de 2000 livres sur l'évêché de Car-
cassonne". A dater de ce jour, Buti devient une sorte de
ministre des Beaux-Arts et d'Intendant des menus plaisirs \

C'est un personnage d'importance qui s'occupe du recrutement


delà troupe italienne du Cabinet du Roi et organise la plupart
des fêtes qui se donnent à la Cour.
Carlo Caproli et la Signora Mttoria quittèrent la Erance,
au mois de Juin^ emportant avec eux une lettre chaleureuse

1. Ga:;ette de France. Avril 1654, p. 404.


2. V. Léon Mirot, Le Bernin en France. (Mémoires de la Sociélc de l'Hisloire de Paris,
XXXI, p. 168, note).
3. A dire vrai, il personne de Ma;^arin, mais, se-
n'est officiellement attaché qu'à la
crétaire du ministre, il se trouve investi par là même
d'une grosse puissance à la cour.
4. M. Ecorcheville se fondant sur ce qu'un « sieur Carlo » figurait, en 1658, parmi
les chantres de Gaston d'Orléans (Bibl. de l'Arsenal, Ms. 3)53, f° 344) a affirmé que
Caproli était passé au service de ce prince et était demeuré en France. On verra qu'il
n'en est rien. (Ecorcheville, l'iiit;! suites d'orchestre du XI' IF siicJe français. Paris,
Fortin, p. 25, note).
172 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

écrite par Mazarin au Cardinal Barbcrini en leur faveur' :

« Monseigneur, Carlo Caproli et sa femme se sont si bien


acquittés de leur tâche, Tun en composant, l'autre en chantant
l'opéra en musique qui s'est représenté à l'entière satisfaction
de Leurs ^Majestés, que, retournant à Rome, je les ai voulu
accompagner de cette lettre à XotrQ Eminence par le moyen et

l'autorité de laquelle ils ont pu faire ce voyage, afin qu'Elle


veuille bien leur continuer ses faveurs, après le service qu'ils
ont rendu à Leurs Majestés très chrétiennes qui apprendront
avec joie et satisfaction les avantages que recevront ces virtuo-
ses. Et s'il m'est permis d'ajouter un autre motif à cette consi-

dération, je supplie personnellement \'otre Eminence. pour


satisfaire en quelque façon à l'affection que je leur porte, de
les aimer et de les protéger et de croire que j'en garderai une
reconnaissance particulière à Votre Eminence Reims, le

II Juin 1634. »

Antonio Barberini prit cette lettre en considération, mais


avant d'engager Carlo Caproli à son service, il chercha d'abord
à le réconcilier avec son patron le Prince Ludovisio. « Monsieur
le Cardinal Antonio, écrit Benedetti à Mazarin, le 6 Juillet % me
disait qu'il jugeait fort à propos qu'à l'occasion du retour de
Carlo del Molino, on pensât par delà à remercier Monsieur le

Prince Ludovisio qui a témoigné tant d'empressement à servir

1. Al Sig. Card« AntOuio Barberini. Roma.


Carlo Caproli e sua moglie hanno adempito le loro parti cosi bene, Tuno nel
comporre e l'altro col cantare nell' opéra musicale, che si è rappresentata con intiera
sodisfattione délie Chr. M'a Loro, che, ritornaudosene a Roma, ho voluto accompagnar-
gli con questa mia V. Em^^' acciô ella, col cui mezzo et autorità hanno faito
lettera a
questo viaggio, si di continuar loro il suo favore doppo il servitio,
compiaccia anco
che hanno reso aile loro Chr. M'a le quali sentirannocon gusto le sodisfattioni et van-
taggi de detti virtuosi. E se è lecito di aggiungere altro motivo a questa considera-
tione, io, ancora per sodisfare in qualche parte alF affetto che ho per loro, supplico
V. Em^a ad amargli e protteggerli, et a credere che ne restaro con obligo particolare
a V. Emza alla quale... Rheinis, ii Giugno 1654. — Aff. Etr., France, 270, f» 169.
2. Aff. Etr., Rome. Corr. diplomatique, 125, 270 v. « Mi diceva il S. Card. An-
f'^

tonio che giudicarcbbe assai a proposito, che col ritorno di Carlo del Violino si

fosse pensato costi di ringratiarne il mostro tanlo pronto


S. Principe Ludovisio che si

a servirne S. M'^ e che quando non si fosse tatto, si facesse per correspondere con
maniera nobile et obligante, e, per quanto mi accorgo, anco per impegnar cosi il
Principe a ripiglarlo al suo servitio, dove altrimente restarebbe a carico di S»
Ynx''^ la quale gli promise d'haverne il pensiero quando per detta causa havesse per-
duto il Padrone. »
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR I73

S. M. et que si cela n'avait pas été fait encore, cela se devait


faire pour répondre à ce procédé de façon noble et obligeante

et aussi, à ce que je pense, pour engager le Prince à le

(Caproli) reprendre à son service. Autrement il demeurerait à


charge à Son Eminence qui lui a promis d'y songer lorsque,
pour l'affaire en question, il eut perdu son patron. »
Antonio Barberini prit pourtant à son service Carlo Caproli
et l'y garda jusque vers 1665 '. Le musicien passa alors à l'Aca-

démie de Santa Cecilia où il remplit les fonctions de « gctr-

diiuio dcUa scT^ione degli stnimentisti- «puis, en 1667, grâce à


la protection de Lionne et de l'abbé Benedetti, il fut admis à
partager avec G. E. Bernarbei la maîtrise de Saint Louis des
Français'. De la Signora Mttoria Caproli il n'est plus question
par la suite, sinon pour un motif fort peu musical ; elle avait

offert à la Reine de France des gants fort beaux et, durant de


longues années, Anne d'Autriche fait demander à l'abbé Bene-
detti de prier Caproli de lui en procurer de semblables, ce que
s'empresse de faire le iMusicien *. Carlo del Violino vivait

encore en 1685, date à laquelle il composa un oratorio : Davide


prcvaricantc c poi pciitito, dont la partition est conservée à laHol-
bibliothek de Menne '.

1. Carlo Caproli recevait du Cardinal Antonio une pension mensuelle de 15 é^us.


Arch. Barberini à la Bibl. du Vatican. Fainiglia d'Antonio Barberini. Tome XXVII
(ancienne cote). On pour 1657, que le Padre Jacopo Ca-
voit sur le registre des reçus
proli touchait parfois à la place Jacopo Caproli ho ricevuto per
de son frère : « lo

Carlo del Violino, mio fratello, scudi quindici e sono per la mesata di Novembre
(1658). En 1664, son neveu Antonio Caproli touche à sa place.
2. CtJlalo^o dci Macstri Cotiiposilori, dei Professori di iniisica c dei socii di onorc dclla
co}ign'iia::Jone ed uccadeinia di Santa Cecilia... Roma,
1845, p. 104.
3. Nous comptons publier prochainement d'après des documents du Ministère des
Affaires Etrangères la correspondance relative à cette nomination.
4. Mazarin écrit, le 4 décembre 1654, à Elpidio Benedetti à Rome « La Moglie di :

Carlo Caproli porto quà alcuni guanti che diede alla Regina, di quelli che fa tare in
casa sua la S" Principessa di Nerola, li quali sono piacciuti assai a S. M'^, onde vorrei
che voi provaste destramente di haverne, se è possibile, una dozzina di pari ». France,
270, fo 403. V. une lettre de Vagnozzi sur le même sujet du 3 janvier 1662. Rome,
144, fo 26.
5. Oratorio a' cinquc di David' Preiaricante e poi pentito. Poesia delF Ecc'i'o Sig^e D.
Lelio Orsini, Musicadi Carlo Caproli del Violino, 1683 (en 2 parties) Ms. 16272, in-fo.
La Hofbibliothek de Vienne a consenti à m'envoyer cet ouvrage en communication
à la Bibliothèque Nationale. J'adresse ici tousmes remerciements à M. le Professeur
174 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

II

Aussitôt après la fin des représentations des .Vo:^^^' di Peleoe


ili Thrti, les chanteurs italiens s'en retournèrent en leur pays.
De tels voyages étaient ruineux pour le Trésor royal et don-
naient à Mazarin une peine iniinie. Chaque automne, il lui

fallait multiplier les instructions aux agents diplomatiques en


vue du recrutement des musiciens. Tant deti'orts, tant d'argent

dépensé servaient au divertissement de la Cour durant deux


ou trois mois au plus, après quoi tout était à recommencer.
Le Cardinal résolut de remédier à cet état de choses et d'en-
tretenir à la Cour une troupe permanente de musiciens italiens.
Il songea d'abord à s'assurer le concours d'un frère d'Atto
Melani dt)nt celui-ci lui disait grand bien. Mais ce projet ren-
contra de grosses dilhcultés : le chanteur en eifet, bien que
castrat, était moine ! N'importe, Mazarin se mit en tête de faire
sortir du couvent le Padre Don Filippo Melani, et écrivit à ce
sujet au Cardinal Antonio une lettre où il lui exposait la

situation sans précautions oratoires '.

« Kminence a pu juger par elle-même comme Atto


^'otre
Melani s'est bien comporté dans YOrfco, qui a été représenté

Guido Adlcr qui a bien voulu solliciter le Directeur de la Hofbibliothek en ma


faveur.
La partition contient des pages charmantes, d'une naïveté un peu apprêtée, elle
manque de puissance dramatique. C'est une œuvre élégante, agréable et fitcile.
I. Lettre du 5 avril i6).| « Al Sig'' Cardée Antonio Barberini. Roma.
:

V. Hmza pu6 essere a se medesima sufficientc testinionio di quanto bene servisse


Atto Melani nell' Orfeo, che qui si rappresentô anni sono et, havendo anche doppo
conservata una devotione particolare et un' cordial' affetto a questa corona, mérita
d'esser benignamente protetto ; e, perché mi prega con una sua d'interporre appresso
l'Kmza Vra i miei riverenti uffitii per disporhi ad impicgare la sua autorità per il
Padre Don Filippo suo fratello, accio possà ottcner la licenza d'uscirc dalla sua Re-
ligione de' Serviti ritenendo Thabito di prête, mi sono volentieri preso questa libertà
di supplicarnc vivaniente V. |-"ni'->, e tanto più. quanio che il niedesimo, ottenuta la

gratia che dimanda, se risolverabbe di venir al servitio dcl Re, essendo musico molto
buono e molto a proposito per questo modo di cantare per quanto mi té supporre.
So che V. Em^^ non ha bisogno di preghiere dove puo assicurarmi délia sua stima-
tissima gratia, ma io in questa occasione glicle porgo caldissime affiiiché ella scorga
quanto mi preme le sodisfattioni di questo giovine e qui a V. Em'-» etc. Parigi
3 .\prile i6) |. ». MX. iùr., F'dmc, 270, t"" 114 et suiv.
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 17)

ici y a quelques années d'aulre part, comme il a depuis


il ;

conservé une dévotion particulière et une cordiale atlection à


cette couronne, il mérite d'être protégé avec bienveillance.
Aussi, comme il me prie dans une de ses lettres d'employer
auprès de \oUc Eminence mes respectueux offices pour Ten-
sager à user de son influence en faveur de son frère, le Père
Don Filippo, afin qu'il obtienne l'autorisation de quitter
l'ordre des Servîtes en conservant l'habit religieux ;
je prends
de bon cœur la liberté de le demander insta'mment à \'otre
Eminence, d'autant plus que si ce personnage obtient la grâce
qu'il demande, il a l'intention d'entrer au service du Roi, car

c'est un musicien excellent et fort capable en ce genre de chant,

à ce qu'il me donne à penser. Je sais que Votre Eminence n'a


pas besoin de mes prières et que je puis compter sur sa faveur
précieuse : néanmoins j'ai voulu, en cette occasion lui en
adresser de très chaleureuses pour qu'Elle sente bien quelle
part je prends aux intérêts de ce jeune homme. »

Antonio Barberini comprit mieux que Mazarin la difficulté


qu'il V aurait à arracher un moine virtuose au couvent dont il
devait être la gloire et l'ornement.
« \^otre Eminence sait bien, répondit-il à Mazarin ', quelles
sont mes obligations envers Elle et combien vif est mon désir

d'exécuter ses ordres, aussi sans m'attarder à protester davan-


tage du sentiment de respectueuse soumission avec lequel j'ai
reçu le commandement que me fait \^otre Eminence de pro-
curer au frère d'Atto xMelani l'autorisation de sortir de l'Ordre
des Servîtes, je dirai seulement que je vais faire tout ce qui

I. Lettre du 2) mai 1654 : « Ben sa V. Em^a quanto grandi siano le mie obliga-

tioni e vivi i miei desiderii di eseguiere i suoi ceuni e perciô, tralasciaudo ogn' altra

espressione di questo sincero sentimento del mio ossequio intorno al comandamento


che mi fa di procurare al fratello di Atto Melani la licenza di uscire dalla Religione
de' Servit!, diro solo ch' esser per tare tutte quelle parti che possano da me dipendere
in sodisfat'ie di lui e ne terro particolar discorsi col Cardinale Sacchetti, protettore
deirOrdine. È ben vero, che s'egli non darà il motivo délia invalidità délia profes-
sione, o vero altro fondamento, a cui possa in qualche modo appogiarsi la istanza da
tarsi, tin d" hora non saperei conie potesse accertarsi la condotta di questo negotio,

mentre lo sperar cio in gratia dal Papa sarebbe contro le sperienze di questi tempi.
Xondimeno puo V. l£m. rimaner sicura dell" applicatione mia, che sarà sempre la
medesima in tutti li occorsi di ubedirla e le baccio umilissimamente le mani. Roma,
25 Maggio 1657. " ^ff- Etr.. Ronw, 125, f" 18).
176 l'opéra italien ex 1-RANXE

pourra dépendre de moi pour qu'il obtienne satisfaction et que


j'en parlerai expressément au Cardinal Sacchetti, protecteur
de l'Ordre '. A dire vrai, s'il ne donne pas un bon motif
pour justiiier l'annulation des vœux ou quelqu'autre raison
sur laquelle pourra se fonder la requête à faire, je ne puis
aucunement prévoir l'issue de cette démarche, car espérer
quelque chose de la bienveillance du Pape serait contraire à
l'expérience de ces temps '. Néanmoins Votre Eminence peut
être assurée de mon zèle qui sera toujours le même en toute
occasion qui s'offrira de lui obéir et je lui baise très hum-
blement les mains. »

Don Filippo Melani était né à Pistoia, le 3 Novembre 1628,


et avait reçu au baptême le prénom de Francesco-Maria \ Ce
n'est qu'en entrant dans les ordres qu'il avait adopté celui de
Filippo qu'il devait illustrer quelque temps. Par quelle singu-
lière fortune le admis dans un monas-
jeune castrat avait-il été

tère ? on ne sait La plupart des couvents romains s'enorgueil-


'.

lissaient de leurs concerts spirituels et, pour en rehausser


l'éclat, toléraient la présence sous divers prétextes de sopra-
nistes connus pour leur virtuosité. Les Servîtes durent s'op-
poser avec véhémence au départ du Padre Don Filippo, car le
Cardinal Antonio n'obtint gain de cause que quelques années
plus tard. Le moine quitta le monastère en conservant,
comme il le désirait, l'habit religieux et, au lieu d'aller

trouver Mazarin, il s'en fut servir l'Archiduc Sigismond D'Au-

1. Le cardinal Sacchetti était l'un des chefs de la l'action française. Mazarin avait
cherché à le pousser au pontificat durant le conclave de 1644.
2. Innocent X, malgré ses concessions à la France, demeurait entre les mains de la

faction espagnole et continuait à blesser Ma/.arin et nos diplomates par son attitude
aggressive et hostile.
Voici de l'acte baptistaire du futur moine chanteur d'opéra
le texte « Dome-
3. :

nica a di 5 (Novembre 1628). Francesco Maria figliolo di Domenico di Santi Melani


d"
e délia Cammilla sua moglie, cappo délia Cathédrale, si batt. q'" di sop'". Fu compare
il Cave Jacopo Baldinotti e comare la Sig™ Lessandra di Sigr Filippo Soz/.ifanti. »
Archives de Cathédrale de Pistoia 1628-1659, ^'o'-
la '^" ^7- ''-•

4. Il suffit d'ailleurs de parcourir la liste des chanteurs de la chapelle pontificale


pour voir qu'un grand nombre de castrats étaient des religieux, ainsi Rev. Santi :

Xaldino... contralto... (.Monaco Silvestrino). Fra Francesco Strisevio, soprano. Rev.


Padre Santi Casata, soprano, Padre Girolamo Rosini Perugino, etc. V.Adami da
Bolsena, Osserva-ioni... 171 i, p. i8q et suivantes.
OPERAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR I77

triche '. Nous le reverrons en France, en 1660. C'est lui qui


interprétera, dans l'opéra de Cavalli, le rôle de la Reine Ames-
amoureuse de Xerxès et travestie en homme.
tris,

Cependant l'abbé Hlpidio Benedetti, chargé de recruter


des chanteurs à Rome, s'était mis en quête et le 26 Oc-
tobre 1654, il mandait à Mazarin qu'il avait découvert de véri-
tables perles" :

« Je ne puis taire à \'otre Hminence, un divertissement que

I. D. Filippo M»;lani était en Autriche en 1657. H' était fort connu dans les cours

allemandes. Le 14 septembre 1657, Johann Kaspar Kerl, maître de la chapelle du Duc


de Bavière, écrivant à Bartolommeo Melani, lui parle de son frère en termes aftec-
tueux « ... aviso ciô ancora al Sig. D. Filippo suo fratello, mentre ho havuto
:

qualche correspondanza con lui per via di lettere et è mio carissimo amico... « Publ.
par Sandberger. Œuvres de J. K. Kerl, tome I, p. xvn (en note) Denkiiulkr der
Tonkunst in Bayerii.
1. Non posso taccre a
;< \'. lim. una ricreatione c" hebbi hieri sera, percliè vera-
mente era degna di teste coronatc. Fui col S. Ambasciatore di Venetia in casa di quella
Sig^Augela dettala Pollarola, tanto célèbre cantatrice, dove perservire S. Ecc^a venue
il lira et il Tanaglia a toccare il cimbalo.
Boccalini con la sua L'armonia dclli due
suoni voce tu tanto angclica, che ci rapi alla contemplatione di quella
et di quella
del Paradiso e concordemente dicemmo che credevamo non potesse essere più soave.
lo mi figurai ancora soggetto da essere invidiato da coteste M'-»^ e non dubito che, se
V. Yaw-^ potesse concepire, o, per dir meglio, potessi io rappresentarle al vivol'esqui-
sitezza di quella melodia, vorrebbe S. Em. assolumente farne un regalo al Re et
alla Regina. Non parlo délie altre qualità di qucsti soggetti perché bisognarebbe tes-
sere un panegirico, essendo in tutti tre di bontà, di modestia e di humilità straordi-
naria e tanto più amirabili, quanto più che non si sogliono trovare troppo spesso in
virtuosi di questa sorte.
La Angela mostra sempre poca dispositione ad uscir di Ronia, dove vi è hono-
Sigra
rata e stimata dalle principali Dame c Personaggi. Pure crederei di guadagnarla col-
l'honore di servire si gran Monarchi e, come altre volte ho scritto, non si haverehbe a
farla passare nella riga délia Sig^» Leonora et in consequenza la spesa sarebbe molto
rimessa, et io son certo che la Regina ne goderebbe, stô per dire, quanto délia Sig™
Leonora stessa.
Li due huomini, et ambcdue compongono cccellent«^ et suonano a maraviglia l'uno
di tasti e di liuto, l'altro di lira, d'arpa, di violino, di viola, di chitarra, ma in eccel-
Icnza, ambirebbono essere chiamati a cotesto real servit! o. Ho voluto darne questo
cenno a V. Em^;' acciô le servi di notitia, ne aspetti che assaggi la musica délie Coc-
chine come Cardinale Orsino, perché io sono huomo che non
desiderarebbe il Sig""

mi lasso trasportare da passione e voglio uscire con honore di quelle cose che intra-
prendo e si assecuri pure V. Em., et io non sono capace d'inganarla, che è stato
:

parto di nera maligniià quello che alcuno possi liaver detto costi contro i costumi
délia detta Angela, essendo in efletto taie di nome e di costumi. oltre che non é di
bellezza da persuadere il contrario. E qui a \'. lùn. profond^ minchino. Roma,
26 ottobre 1654. —
Il .Sigr Balv di Valancé et il Sig. Abb. di Monbason possono dar

ragguaglio dell'Angela, del Tenaglia et mi dispiace che non habbino sentito il Boc-
calini. questo realmente è .soggetto da Re ».
Aff. Etr., Ronw, 125, f^ 522 v^.
'
178 l'opéra italien en FRANCE

j'eus hier au soir, parce qu'en vérité il était digne de têtes cou-
ronnées. Je fus, avec Monsieur l'Ambassadeur de WMiise, en la
maison de la Signora Angela dite la Pollarola, la célèbre canta-
trice, où pour servir Son Excellence vinrent Boccalini avec sa

lyre et Tanaglia pour toucher le clavecin. L'harmonie des deux


instruments et de cette voix fut tellement angélique qu'elle
nous ravit à la contemplation de celle du Paradis et que nous
déclarâmes ensemble que celle-ci ne pouvait être plus suave.
Je me suis figuré encore que c'était là un divertissement digne
de faire envie à Leurs Majestés et je ne doute pas que si Votre
Eminence pouvait concevoir, ou, pour mieux dire, si je pouvais
lui représenter au naturel, les délices de cette mélodie. Elle vou-
drait absolument en donner l'agrément au Roi et à la Reine.
Je ne parle pas des autres qualités de ces sujets, parce qu'il serait
alors nécessaire d'écrire un panégyrique, tous trois étant d'une
bonté, d'une modestie, d'une humilité extraordinaires et d'au-
tant plus admirables qu'on n'est point accoutumé à les rencon-
trer souvent chez des virtuoses de cette sorte. La Signora Angela

paraît toujours peu disposée à sortir de Rome où elle est


honorée et tenue en haute estime par les plus illustres Dames et
Personnages. Pourtant je croirais bien pouvoir l'v décider en
faisant valoir l'honneur qu'il y aurait pour elle à servir de si

grands monarques, et,comme autrefois je l'ai écrit, n'y aurait il

pas lieu de la traiter sur le même pied que la Signora Leonora,


par conséquent la dépense serait beaucoup moins forte et je
suis persuadé que la Reine n'en recevrait pas moins d'agrément
que de la Signora Leonora elle-même.
Les deux hommes, qui composent tous deux excellemment
et jouent à merveille l'un du clavecin et du luth, l'autre de
la lyre, de la harpe, du violon, de la viole, de hi guitare, le

tout en perfection, ambitionnent d'être appelés au service


du Roi. J'en ai voulu donner avis à votre Eminence pour
qu'elle en prenne bonne note et n'attende pas de faire l'essai
de la musique des Cocrbiiw comme le désirerait le Cardinal
Orsino, car je ne suis pas homme à me laisser aveugler par
la passion et je veux sortir avec honneur des affaires que
j'entreprends. Aussi \'otre Eminence peut être assurée — et je
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR I79

suis incapable de la tromper —


qu'il a agi par noire méchanceté

celui qui a pu dire quelque chose là-bas contre la vertu de le


Signora Angela, car son nom est en rapport avec la pureté de
ses mœurs, outre qu'elle n'est pas d'une beauté à faire croire le
contraire Monsieur le Bailly de Valançay et Monsieur l'abbé
de Montbason peuvent témoigner de la valeur de la Signora
Angela et de Tanaglia. Je regrette qu'ils n'aient pas entendu
Boccalini, car il est vraiment digne du service du Roi. »
Quelques jours plus tard, Hlpidio Benedetti revenait à la

charge '
: « la Signora Angela, disait-il, a une sœur qui chante
la partie de contralto, mais non en perfection, car il n'y a pas
longtemps qu'elle étudie. Elle a sa mère qui est une très bonne
dame et un frère qui est un jeune homme très tranquille qui
leur tiendrait lieu de serviteur. Pour les conditions, je croirais
bien qu'on ne saurait leur donner moins de 150 ou 200 écus
par mois et le seul logement, sans prévoir rien d'autre ; et, pour
le voyage et la gratification, au moins un millier d'écus. Je
dis cela d'après ce que je crois, car j'ignore leurs prétentions
pour n'avoir pas eu l'occasion de leur en parler en particulier...
Quant aux deux virtuoses, si l'on pouvait avoir Boccalini,

I. Lettre du 2 novembre i6)4 c Q,uando che V. Em. applicasse alli soggetti per
:

musica propostili con le antecedenti sarebbe necessario darmene qualche ordine


per potere trattare con essi... Non bisognarebbe perdere l'occasione di farli venire,
servendo queste Signore parenti di V. Em. che pensa far passare a cotesta volta.
La Signora Angela... ha una sorella che canta il contralto, ma non in isquisitezza,
non essendo gran' tempo che impara. Ha la madré ch' è una buonissima Donna et
un fratello ch' è un quietissimo giovane, che le servirebbe in luoco di servitore. Per le
conditioni, crederei che non se gli potesse dare menodi 1 50 o ducento scudi il mese e
la comodità sola délia casa senza pensare ad altro, e per il viaggio et aiuto di costà
almeno un migliaro de scudi. Dico questo ciô da me medesimo, non sapendo le loro
pretentioni per non haver havuto occasione di parlargliene individualmente e
quando si accordassero alli scudi, vi riconoscerei magg" avantaggi per il Re che per
loro.
In quanto alli due virtuosi, potendosi havere il Boccalini, preferirei sempre questo
al Tanaglia, se ben'questo, per accompagnare col cimbalo, non ha paro e passa di
longa mano il povero S. Luigi. .Ma il primo compone bene quanto l'altro e quel
sapere suonare tanti instrumenti mi pare che lo rende più singolare, et in essi cre-
derei che aile M'a délia estremo il suono délia lira ch' è in
Regina fosse per gustare in
sommo grado patetico et affettuoso. A questo crederei che non si potesse dare meno
di 60 D. il Mese di provisione con 200 Dobl. per il viaggio e, per essere servitore del
S'' Card. Colonna, meritarebbe tanto più ogni più honorevole tratamento, et è huomo

di qualità amabilissime e modestiss^. » Rome 126, f" 262.


l8o l'opéra italien en FRANCE

je le préférerais assurément à Tanaglia bien que ce dernier,


pour accompagner au clavecin, n"ait pas d"égal et passe de bien
loin le pauvre signor Luigi. Mais le premier compose aussi

bien que l'autre et le fait de jouer de tant d'instruments me


le fait paraître plus précieux encore. Je crois que S. M. la reine
goûterait surtout à l'extrême le son de la lyre qui est au' plus
haut point pathétique émouvant. A celui-ci, je crois qu'on
et

ne peut donner moins de 60 doublons par mois de gages


avec 200 doublons pour le voyage. Il est au service du cardinal
Colonna et mériterait pour cela un traitement d'autant plus
honorable; il a un caractère tout à fait aimable et modeste. »
Mazarin n'en crut pas sur parole Elpidio Benedetti et, le
20 novembre, il lui manda a Monsieur de Lionne qui a le :

goût et l'intelligence de la Musique, entendra ces merveilles


dont vous me parlez et si elles sont telles qu'elles puissent
réussir même en France, je m'en occuperai volontiers'. » Le
rapport de Lionne fut-il défavorable, ou les prétentions des
musiciens furent-elles jugées excessives? toujours est-il que ni
La Pollarola, ni Tenaglia, ni Boccalini ne firent pour lors le
voyage la Pollarola mourut peu après
: Tenaglia continua, à '
;

Rome, sa glorieuse carrière; seul, Boccalini, quelques années


plus tard, vint en France pour prendre part à l'exécution de
VErcolc Awantc de Cavalli.
Mazarin que nous avions vu jusqu'alors si empressé à appe-
ler d'Italie les musiciens qu'on lui signalait, fit preuve en cette
rencontre d'une singulière indifférence. En réalité, le cardinal

n'était plus seul maître des plaisirs de la cour et devait compter


avec le jeune Louis XIW
beaucoup la musique
Celui-ci aimait
Italienne —
un contemporain nous le montre fredonnant du
matin au soir un air ultramontain — mais les longues comé- ^

dies en musique lui plaisaient moins que les ballets où il payait

1. « Monsieur de I.ionnc chc ha t^usto et intelligentia délia musica, sentira quei


niiracoli che voi nii dite e, se saranno tali che possino riiiscire anche in l-'rancia, io mi
applichero volentieri. » l-'iaiicc 270, /i' ;.S'2.

2. Elpidio Benedetti fait allusion à sa mort dans une lettre du 22 décembre 1659 :

« Hora ch' è morta la Pollarola... » Rome )S, [^ 2/;.


1

5. Lettre de 'l'agliavacca citée plus loin p. i<S^.


OPERAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR loi

de sa personne ', Mazarin comprit qu'il devait avant tout se


conformer aux goûts de Louis et, jusqu'aux fêtes du mariage
royal, dont il prit en main la direction, il se désintéressa quel-
que peu des spectacles donnés à la cour.
Durant les cinq années qui séparent les X(hi~c di PcJco c di
Theti des réjouissances du mariage royal, nous ne trouvons en
France qu'un tout petit nombre d'artistes italiens qui prennent
part à l'exécution des ballets composés par le florentin Giam-
battista Lulli. Nous verrons en étudiant ces ballets qu'une large
place y était faite à la musique italienne, mais, pour la chan-
ter, il n'était point nécessaire de faire passer les Alpes à des
virtuosi : nous avions en France plusieurs artistes fort capables
d'interpréter des airs italiens: .\F''=^ Anne de la Barre qui avait
brillé à la cour de Suède', M""' Hilaire Dupuys, la belle-sœur
du fameux Lambert, M"'-'^ La \^trenne et Raymon. Toutes ces
musiciennes avaient été formées par AL de Xvert ou se ratta-
chaient à son école. Les meilleurs chanteurs que nous eussions
alors, pour la musique italienne, étaient Meusnier Saint-Elme
et Le Gros.
Si l'on excepte quelques chanteurs obscurs, nous ne trouvons
à la cour de France, entre 1634 et 1659, que deux artistes
italiens dignes d'attention la signora Anna Bergerotti et le
:

signor Francesco Tagliavacca.

1. Le Journal de la Santé du Roi, écrit par Vallot D'Aquin et Fagon (pubL par M. Le
Roi, 1862, in-80) montre avec quelle ardeur jeune Louis se
livrait au plaisir de Ja
le

danse: «Vers la fin du même mois Roi s'étant très échauffé à


(février 1653), le

répéter un ballet {R. de la Xiiit), fut incommodé d'un rhume... » « Peu de temps
après, le roi s'étant échaufie à danser et répéter son ballet, fut saisi le huitième jour
de mars après avoir soupe, de frissons partout le corps, suivi d'un accès de fièvre... »
« Sur la fin de mars de la présente année, après plusieurs fatigues durant un ballet
dansé à plusieurs reprises par S. M
» etc., etc.

2. Mademoiselle de la Barre, fille de l'organiste du Rov, avait été invitée à se


rendre en Suède dès 1648. Son vovage fut différé jusqu'en 1653. V. la correspondance
de Constantin Huyghens, qui la reçut à son passage à la Hâve et entretint avec elle
et avec son père des relations épistolaires (éd. Jonckhlœt et Land. 1882, p. cxlvi
et suiv.). Mademoiselle de la Barre était l'ornement des concerts qui se donnaient
en la maison de son père et dont Jacques de Gouy nous a révélé les délices dans la
préface de ses airs à quatre parties (publiée récemment dans le précieux recueil de
M. J. G. Prod'homme, Ecrits de Musiciens (Paris, Mercure de France, 19 12).
V. aussi Mic)iel Brenet, Les Concerts en France, p. 55. Le gazetier Loret célèbre le
retour de Mademoiselle de la Barre dans sa Mu;e historique du 11 décembre 1655.
Fd. Livet, II, 152,
l82 l'opéra italien en FRANCE

Anna Bergerotti était romaine, elle arriva à Paris en 1653


et pkit tout de suite au public, l.oret ne tarit pas sur le

compte de <( ce trésor venu d'Italie ». Elle semble avoir débuté


à la cour, le 2 mai de cette année, en interprétant avec Meus-
nier Saint-Elme :

Dans la chambre de notre Reine


Oui de gens clioizis étoit pleine '...

un charmant dialogue » italien de (jiambattista Lulli à qui


«

la Fortune commençait à sourire'. Quelques mois plus tard,

nous la trouvons au Palais du cardinal Mazarin qui festoie


magnifiquement le Prince de Mantoue. M"'^ la \^irenne y
chante d'abord « mieux qu une svreine » affirme Loret.

f.a Signora Anne d'autrepart


A l'assistance aussi, fit part
Des merveilles dont elle enchante.
Quand elle parle, ou qu'elle chante >.

Ce dernier vers fait allusion au charme de la conversation


d'Anna Bergerotti qui lui valait la considération de tous les
courtisans. Constantin Huyghens, qui vint à Paris quelques
années plus tard, fut enchanté de son esprit non moins que de
son talent. Il continua par la suite à correspondre avec elle pour
lui demander son avis sur certaines questions musicales qui le
préoccupaient, ou pour se procurer copie d'airs qu'il lui avait

entendu chanter '. Nous savons par lui que l'illustre signora
Anna domiait, dans sa maison, des séances musicales qui
étaient fort courues. Le duc de (îramont était l'un de ses
familiers. F'emme de beaucoup de goût, elle fut du petit nombre
de ceux qui firent bon accueil au grand Froberger lorsqu'il
vint à Paris et qui se rendirent compte de la valeur du compo-

1. Muie Instar ii/ne du mai 163). lùL Livet. Tome II,


.S p. 47.
2. V. Prunières et La Laurencie, La jeunesse de Liilly — S. I. M. 1909, p. 335.
3. Mu~e hisloricjue du 18 septembre 165). Hil. Livel, II, p. 97 et suiv.

4. JonckbUvt et l.aiid, Musiijiie et Musiciens an A7VA' siicle. Levde, 1882, in-4",


p. CL et passim.
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 183

siteur allemand '. Jusqu'en 1668, date probable de son départ


pour Rome, la signora Anna prit part à toutes les représen-
tations de ballets ou d'opéras à la cour de France. Elle ne
quitta Paris qu'après le triomphe définitif de Lulli et lit une
fin en épousant un marquis italien.

Gio. Francesco Tagliavacca, de Gênes, avait longtemps brillé


à la cour de Mantoue en qualité de Miisico di Canicnu puis de
maître de chapelle du duc. Ce n'était pas seulement un excel-
lent chanteur, mais aussi un remarquable compositeur qui
avait déjà cueilli maints lauriers. En 163 1, son maître l'avait
envoyé en Bavière". De là, il était venu en France, sans doute
au printemps de 163 ), en compagnie de Charles Gonzague '

qui l'avait autorisé à demeurer au service du roi. C'était, en


1633, un homme d'âge mûr. Son fils, qui passait pour un poète
distingué et un bel esprit, vint le rejoindre à Paris et servit de
correspondant au duc de Mantoue.
Les lettres que le musicien envoie à son patron sont extrê-
mement intéressantes et nous révèlent quantité de détails sin-
guliers sur Mazarin et le jeune roi.

Monseigneur —
écrit-il le 21 avril 1636 ^ L'ordre de vous —
écrire que j'ai reçu de \\ A. S. par l'intermédiaire de mon
fils, m'engage à vous envoyer respectueusement les deux
chansons favorites de S. M. et qu'Elle goûte extrêmement,
surtout « Jiiiar per penare » que le Roi mon maître, fait
entendre sans cesse. La poésie de la seconde est l'œuvre du
cardinal Mazarin. Elles sont faites à la manière des Français
et ont été pour moi l'occasion de me conformer, autant que
j'ai pu, à leur goût pour la facilité. Telles qu'elles sont.

1. V. Huvghens à la princesse de Montbéliard « L'illustre Signora


la lettre de :

Anna Romaine, Roy Très Chrestien et a mieux entendu et plus gousté le


qui est au
profond scavoir de feu M. Froberger que personne ici... » Ibid, p. 44.
2. Bertolotti, La Miisica iii Maiitova, p. 104 et lO).

3. Alphonse d'Esté vint aussi à Paris en 1655 pour épouser la nièce de Mazarin, Laure
Martinozzi. Le mariage fut célébré le 50 mai 1655. Au cours des fêtes données à cette
occasion, on fit entendre au duc beaucoup de musique française et italienne. Anna
Bergerotti, Mesdemoiselles La Varenne et Hilaire eurent à se surpasser.
4. Nous ne donnons pas le texte italien de cette lettre qui a été publiée par
Bertolotti, la Mitsica in Ma>itova, p. 105. L'original se trouve à Mantoue, Archivio
Gonzaga. Francia 685. — 1656, Diveisi.
l8_) l'opéra italien en FRANCE

daigne \\ A. les agréer et croire que je les voudrais plus belles,

pour être plus dignes de paraître en présence d'un Prince si


grand et si passionné pour l'harmonie. Je travaille maintenant
à quelques autres. Si W
A. désire que je les lui envoie, je le
ferai avec diligence, voulant par tous les faibles moyens dont je

dispose, témoigner au monde que je suis toujours le fidèle ser-


viteur de mon très respecté Prince et Patron.
Mon fils est, grâce à Dieu, arrivé ici, comblé des fiiveurs de
Votre Altesse, en sorte que notre famille pour la grande pro-

tection que vous lui avez accordée (et que nous vous supplions
de conserver aux débris de notre pauvre maison demeurés là-
bas) est tenue de se montrer très humblement dévouée à votre
personne et de prier N. S. D. pour votre félicité et votre pros-
périté. Sur quoi, avec une profonde révérence, je salue V. A. S.

dont je demeure le très humble, très dévoué et très obéissant


serviteur. Gio. Francesco Tagliavacca.
Dans ses lettres, Tagliavacca parle souvent d'airs et de chan-
sons de sa façon qu'il adresse au Duc de Mantoue '. Le fait a

son importance : on a jusqu'à ce jour passé sous silence la

présence à Paris de Tagliavacca. Or il paraît certain qu'il prit


une part active à la composition des grands ballets représentés
à cette époque et qu'il collabora avec Lulli. Le 2 mars 1638, il
écrit au duc^ Sérénissime Seigneur, l'occasion qui se présente
:

à moi de vous saluer, me permet de vous offrir respectueuse-


ment une de mes compositions: c'est un Prologue de comédie

1. Il lui envoie aussi des livrets de dansés à la cour et des poésies, par
ballets
exemple : « un componimento fatto dal Sig. Cav. Amalteo per le Stanze délia Regina
Nuova dipinte dal S. Romanelli. » (Lettre du 12 septembre. Avch. Gonzaga. Frauda
685. Dkrrsi, 1656).
2. Voici le texte de cette lettre négligée par Bertolotti :

« Serenmo Sig'',

L'opportunità elle mi si rappresenta d'inchinarmi a Y. \. mi ha somministrato


mezzo riverentemente appresentare una mia composizione d'un Prologo di Comedia
di

che spero possa esser grato. K variato da sonate, ritornelli et altro, che avendo
V. .\. S. piacere di sentirlo, Torse non se spiaccerà. Serenissimo, con profondissima
reverenza inchinato. l'assicuro et sono il sempre costante ail' A. \'. S.

ilum'"" Dévot"'" et Ob"'" Servitore


Gio. l'ranc. Tagliavacca,
Parigi, 2 Marzo i63(S.
Arch. Gonzaga. Fraiiiia 6Sj. £)/'irr.w'i65iS,
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 185

qui, je l'espère, vous sera agréable. Il est varié de symphonies,


de ritournelles et d'autres choses qui, si \\ A. S. les veut
entendre ne lui déplairont peut-être pas. » Or, nous trouvons
justement dans Alcidiiuic. représentée à cette date, une scène
en musique italienne qui répond très exactement à cette des-
cription.
Les lettres de Tagliavacca nous donnent aussi parfois
d'amusants détails sur la vie des artistes italiens à la (^our de
France: le 12 septembre 1657, il écrit de Rethel qu'on vient de
fondera Paris « dans la maison de M. l'Ambassadeur de Venise
une académie italienne qui fait grand honneur et grande répu-
tation à la Nation pour les hommes considérables et de talent
qui la composent. »' Son fils est un des fondateurs". Cette
académie, si l'on s'en rapporte à Loret qui célèbre sa naissance,
ne semble pas avoir fait dans ses travaux grande place à la

musique '.

Le 28 septembre 165 7, Tagliavacca envoie de Metz au Duc


de Mantoue, une lettre où il donne pêle-mêle des nouvelles du
monde artistique, politique et diplomatique-* :

« Sérénissime Seigneur,

Il temps de payer la dette que j'ai contractée envers vous;


est
voici donc une chanson qui pourra convenir à la voix dont vous

1. Ce fragment a été publié par Bertolotti, op. cit., p. 105.


2. « Taliavaque est Trésorier » dit Loret. Les principales lumières de ce cénacle
étaient : le cavalier Amalteo, Corbinelli, M. de Salerne, etc.
Alessandro Contarini,
3. Miiyt' du 6 octore 1657, éd. Livet, II, p. 388.
historique
4. Bertolotti a seulement mentionné l'existence de cette lettre sans en analvser le

contenu (op. cit., p. 105).


Serennio Sig^-e,

È dovere ch' io non prolonghi il mio debito di quanto a V. A. promisi. Ecco una
canzone che potrebbe accomodarsi alla voce, ch' ella alcuna fiata prende piacere
d'usare in passando l'ore dopo i grandissimi affari. Mi sarà stato gran fortuna
l'havere inviato cosa, che al suo Sovrano gusto aggradisca. Si è veduto poi un'
altra lettera in francese in proposito dell'elezlone dell'Imperatore, quale unitamente
invio air A. V. S. t gionto alla corte Monsig. Xoncio del Papa et Sig. Ambasc. di
Veuezia, si dice, per renovare i trattati di pace.

Siamo a Metz et é incertezza délia partenza. Il Sig. in Alemagna; la


Atto è andato
Sigri» Anna andô da Parigi ai bagni di Borbon per guarire un maie apoplectico che
di
le aveva torta la bocca, avendo ritirato la carne nel centro délia guancia. A un basso
detto Pietro Reggio, o per dir meglio baritono, che era genovese e valeva poco, gli
i86 l'opéra italien en frange

prenez parfois plaisir à vous servir pour passer letemps après


lesgraves aftaires. Ce me serait une grande joie d'avoir envové
quelque chose qui fût du goût de mon Souverain.
Il a paru une autre lettre en français sur le sujet de Télection

de l'Empereur que j'envoie en même temps à W A. S. — Mon-


sieur le Nonce du Pape est arrivé à la Cour ainsi que
M. l'Ambassadeur de Venise ; on dit que c'est pour renouveler
les traites de paix.
Nous sommes à Metz et dans l'incertitude du départ. Le
Signor Atto est allé en Allemagne, la Signora Anna est allé de
Paris aux eaux de Bourbon pour se guérir d'un mal apoplec-
tique qui lui a tordu la bouche, en faisant remonter les chairs

au centre de la joue. A une basse nommé Pietro Reggio, ou


pour mieux dire à un baryton qui était génois et valait peu de
chose ', j'ai écrit hier sur Tordre des Patrons qu'il n'ait plus à
suivre la (^our, qu'il est inutile et qu'il ait à se pourvoir
d'autres maîtres. On l'a déjà congédié une fois, mais il a tant

fait qu'il est parvenu à rester. Ainsi je suis demeuré seul, mais
les deux premiers, s'il plaît à Dieu, reviendront.
Je vais m'appliquer avec tout le soin imaginable à faire en
sorte que V. A. sache bien que je vis à sa dévotion, priant le
ciel de m'accorder la grâce de recevoir un ordre d'Elle pour

pouvoir témoigner au monde en l'exécutant avec promptitude

lio Padroni, che non sta più a seguir la Corte, che è frusta-
scritto icTi, d'ordine dei
torio et che provegga d'altro servizio iu licenziato un altra volta, ma fece tanto
si ;

che si è riattacato. Cosi sono rimasto solo, due primi riveranno, piacendo a Dio. lo
i

nii studierô con ogni immaginabile di tare in sorte che V. A. conosca ch'io non vivo

che alla di lei devozione, pregando il cielo mi concéda la sorte di qualche suo cenno
per potere testimoniare al mondo, colla prontezza délia ufabidientissi» essecuzione,
che sono sempre con immutabil proposito, e profondissimo inchino all'A. V. S.
Humiliss" Devotisso et oblig" Servitore
Gio. Franc" Tagliavacca.
Metz H 24 septembre 1657.
.\rchivio Gonzaga. Fraiicia 6cS5. Diversi 1657.
I. Tagliavacca parle bien dédaigneusement d'un artiste de grand mérite. En 1653,
le bassiste Pietro Francesco Reggio était à Stockholm au service de la reine de Suède*.
Après l'abdication de Christine, il vint en France et entra au service du Roi. Par la
suite il passa en Angleterre et s'v illustra comme maître de chant et luthiste. Il a
laissé plusieurs caiiioni et une méthode « A trealise lo sino ivell aiiy sonor ivhatsoever.
:

O.xford, 1677. I) Il mourut le 23 juillet 1683.

*
V. l'ttat des musiciens italiens Je Cliristine. cilé par Pirro. Biixtchude, p. 31.
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 187

et obéissance que je suis toujours... de V. A. S. le très humble


et très dévoué serviteur. »

Comme on voit, la troupe italienne se réduisait, en 1657, à


trois musiciens : Tagliavacca, la signora Anna Bergerotti et
l'étonnant castrat Atto Melani que, cette année même, Mazarin
faisait débuter dans le rôle d'agent diplomatique.
Atto Melani avait eu de bonne heure le goût des intrigues.
Dans les lettres qu'il écrit dés 1650 au prince Mathias de Tos-
cane, à Madame Royale de Savoie, au duc de Mantoue ou à

Mazarin, il est plus souvent question d'affaires politiques,


de traités et de guerres que de musique, et, à les lire, on ne
s'imaginerait jamais que celui qui les a rédigées était un simple
virtuose,non un diplomate". Atto avait quitté la France, en
1649, pour n'y revenir qu'en 1633. Au mois de juillet de cette
année, il envovait à Madame de Savoie diverses canT^oncile de sa
façon -
et lui mandait "•
: « Je suis demeuré à la Fère pour servir
Sa Majesté la Reine, qui n'a pas de plus grand divertissement
que la musique italienne. » Son séjour en France n'avait pas
été de longue durée ; il s'était rendu en Bavière où il avait été

accueilli avec enthousiasme par l'Electrice Henriette-Adélaïde


de Savoie *
qui l'avait déjà applaudi à Turin '
et qui ne le laissa

1. V. en particulier la longue lettre qu'Atto écrit, en 1650, de Florence à Mazarin

pour l'entretenir de la guerre, des Espagnols etc. Aff. Etr., Toscane 6, f» 435.
2. Atto avait un réel talent de compositeur. Les caii'oni qu'il nous a laissées sont
remarquables par la beauté de la ligne mélodique et l'élégance de l'harmonie.
3. Alla Fera li 20 Luglio 1655. —
k Mi son fatto mandare da Firenze quelle parole

del gioco del cocconetto, che mai non seppi dire a V. A. R. nel tempo che hebbi
l'honore di servirla a Moncalé, onde qui congiunte le invio ail' A. R. V. con due
altre canzonette che ho fatto quà. Mi parvero cosi belle quelle del libro di V. A. R.
a tre voci, che se' il mio non fosse troppo ardire, riveremente supplicherei l'A. V. R.
ordinarne una copia per un suo humilissimo et fedelissimo servitore, poichè non so'
scordarmele e la riconoscerei per gratia e tavore singolariss^e. Sono restato alla Fera
per servire alla M
ta délia Regiria, che non ha maggior divertimento délia
Musica
Italiana » Archivio di stato di Torino. {Lellerc particohri Melani). —
4. Cf. Claretta. Adélaïde di Savoia, Duchessa di Baviera e i suoi teinpi. Torino 1877.
5. A
son retour à Florence, il écrit, le 13 novembre 1653, à Madame Royale pour
lui donner des nouvelles de l'Electrice qui fait l'admiration de « tutta la corte
cesarea », il Hebbi io fortuna d'esser in quel tempo a servire alla M'^ del-
ajoute : «
rimperatore, la quale si compiacque di farmi cantare per il desiderio che hebbero di
sentirmi quelle Altezze di Baviera, e non fu senza aggradimento per la parte délia
Serenma Principessa Elettrice quelle felici memorie di quando mi udi in Torino,
quando di Francia me ne tornai in Italia, che con eccessi di prodigalità fui fatto digno
i88 l'opéra italien en frange

partir que comblé d'honneurs et de présents. Atto, après des


pérégrinations diverses, revint àla Gourde France, au début de

Tannée 1657, ^^ reprit sa place dans la musique du Cabinet du


roi. Le 4 janvier, Mazarin remercie le prince Mathias de Tavoir

laissé partir. « V. A. ne pouvait faire un régal plus agréable et


plus précieux à leurs Majestés qu'en leur envoyant Atto Melani
qui a été reçu à cette Cour avec un plaisir particulier'... »
Au printemps, l'empereur d'Allemagne mourut et tout de
suite on songea à dépêcher par delà le Rhin M. de Lionne, les

Ducs de Longueville et de Gramontpour soutenir les intérêts


de la France, mais l'avis de M. Servien prévalut qu'on ne devait
pas se hâter, car les Allemands étaient fort capables « d'embar-
quer la France », dans une mauvaise affaire \ Mazarin pensa
alors à se servir d'Atto que chérissait l'Flectrice de Bavière,
pour la décider à pousser son mari à l'Empire. Les voyages
d'Atto à Munich n'attireraient pas l'attention des diplomates,
car ils seraient motivés par des raisons d'ordre artistique et le

séduisant castrat aurait quelque chance de persuader Henriette-


Adélaïde.

dalla gciicrosiss'ii'i mano di V. A. R. d'infiniti l'avori e gratie Non dispcro di


poter essere anche questo inverno a Parigi, havcndo destinato di far il niio viaggio
per cotesta parte... » (Arch. di Torino. — Lettere particolare. Melani). Le 25 décembre
1655, au duc de Mantoue une lettre où il se félicite d'avoir quitté Innsbruck. Il
il écrit
rappelle la promesse que le Duc lui a faite de lui envover une copie de l'opéra
représenté l'année précédente (Archivio Gonzaga. Fnuicia 1655 Diverst). Les —
lettres des années 1654, 165) et 16)6 sont datées de Florence. En 1655 Atto fait un
court voyage à Rome.
1 . « Serennio Sig^e mio osser'"". —
Non poteva V. A. fare regalo più caro e più stimato
a queste MM'*' che Atto Melani, ch'è stato ricevuto in qu«a Corte con parti-
la persona di

colare gusto, ed io l'ho riveduto anco plu volonticri d'ogn'altro non solo per la sua
virtù, ma perché mi porta il favore délia lettera di V. A. e la certezza délia continua-
zione délia sua gratia, ch'io stimo infinitamente. Questi rispetti m'obligaranno sempre a
tenir cura particolare di qu'" virtuoso et a compartirli il mio patrocinio in tutte le

occorenze suo vantaggio tanto più, ch'essendo stato già sentito dalle loro MM'à, lo
di
hanno ritrovato intieramente di loro sodisfatt"e. La maggior ch'io potrô ricevere sarà
d'incontrare spesso le occassioni di servire V. A. e di attestarli con veri affetti la mia
osservanza. E qui le bacio di vero cuore le mani... —
Di Parigi 4 Gen" 1657. « Arch.
de llorence, Mediceo, 5465, fo 855.
2. V. la lettre d'Atto Melani à Madame Royale du 27 avril 1637, de Paris. Il décrit la

joie de la cour en apprenant la mort de l'Empereur etc. « Ha prevalso l'opinione di


M. Servicnt che sia bene non precipitarsi tanto, poichè la qualità dei Tedeschi, esser
capace d'iniDarcar la Francia a moite cose... » Arch. de Turin. Lettere particolari,
Melani,
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 189

Durant plusieurs mois, Atto fut sans cesse sur la route de


Munich à Paris. Le 2 septembre 1657, Mazarin écrit au Maré-
chal de Cirammont « J'ay permis au sieur Atto d'aller faire
:

un voyage à Frankfort. C'est de luy que je me suis servy


assez utilement pour le commencement de la négociation
avec la Bavière... J'ay cru d'ailleurs que vous ne seriez pas
faschez de le voir et de pouvoir régaler vos amis du plaisir
d'entendre chanter des airs italiens par une si belle voix '. »
Dans ses mémoires, Grammont parle ainsi du castrat diplo-
mate « Le Cardinal Mazarin avoit fait faire deux voyages à
:

Munich à un certain castrat, musicien italien nommé Atto,


drôle qui ne manquoit pas d'intelligence et qui connaissoit
particulièrement l'Electrice '. » Atto, dans les lettres qu'il envoie
d'Allemagne, témoigne toujours d'une confiance illimitée ;

Mazarin ne s'en laisse pas imposer. « \"ous n'avez pas grande


expérience du monde, lui écrit-il, le 23 septembre 1657, et
prenez une bonne intention pour une affaire faite ; vous chan-
tez triomphe avant la victoire '. w Atto s'acquitta pourtant
fort bien de sa mission et rendit de grands services à notre
diplomatie^; le roi l'en récompensa en le nommant gentil-
homme de la Chambre et en lui accordant peu après le revenu
de l'abbaye de Beauhé en Normandie \ C'étaient là de bien
grands honneurs pour hls du sonneur de cloches de Pistoia,
le

mais, en ces temps, musique et les intrigues menaient à


la

tout.... Le 16 août 1658, dans une lettre à Madame Rovale,

1. Lcllics lie Mti:^iiiiu. linpr. Xat. Tonif \'II, p. 141.


2. Mciiioircs du Marcchal de Graiiioiit, èdil. M'uJiaiid (5e série, tome \'II), p. 294.
Sur les négociations d'Atto, v. p. 293.
3. « Voi non havete grand" espericn/.a negl' affari del monde e percio prendete
una buona intentions per il negotio già fatto e cantate triout'o avanti la vittoria ».
Aff. }ùr., France 273, 1° 440. V. aussi //'/(/. f" 846.

4. V. Xei^^ociafi del Atto Melaiii nnisico appresso Velettrice di Bavieia di piiiie del Re
A';'"". Aff. Etr., Bavière, Corr. dipl. 2, p. 363. (V. aussi ihid., p. 373 et 39(S). L'abbé
Buti prit aussi part à ces Le 8 décembre 1637, Atto écrit à Ma-
négociations.
dame Rovale qu'il est revenu de Bavière avec une réponse satisfaisante. Il lui raconte
que le Prince Mathias, mécontent de ce qu'il ne lui faisait pas de confidences diploma-
tiques, l'a tait ravcr des états de sa maison. Il demande à devenir serviteur de Ma-
dame Ro\ale. (Arch. di Torino. Letlere purlicohiri. Melani.)
3. .Vff. lùr., France 935, f' 21 v».
190 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

Atto se vante avec fatuité de la haute situation qu'il occupe '


:

« Je suis devenu parfait courtisan, j"ai la confiance des princi-


paux ministres et mes entrées à la Cour à toute heure, grâce
à Thonneur que m'a fait le Roi de m'admettre parmi ses gen-
tilshommes ordinaires. » Dans le même temps, le frère d'Atto,
Bartolommeo Melani, accusé de servir d'intermédaire entre
l'Electrice et le Cardinal Mazarin, était retenu prisonnier à
Munich La fortune souriait inégalement à ces deux frères, éga-
'!

lement musiciens de profession et diplomates amateurs.


On voit par ces exemples quels singuliers personnages
Mazarin, en important l'opéra en France, y avait du même
coup attirés. Quel scandale dans le monde dévot dut produire
ce Don Filippo moine et chanteur d'opéras amoureux! Quelle
indignation dut soulever à la Cour l'admission parmi les gen-
tilshommes ordinaires de cet Atto Melani, castrat de mœurs
douteuses, en ces temps et en un pays où les corps des comé-
diens étaient jugés indignes de l'ensevelissement en terre sainte,
où le bourreau mutilait et torturait comme en plein moyen-
âge « les jureurs et blasphémateurs '
», où la Compagnie du
Saint-Sacrement étendait sa puissance occulte sur le Parlement,
la Cour et THglise *
! Sans aucun doute, l'opéra italien tut en

grande partie victime de l'impopularité et du mépris qui s'atta-

chaient à ses interprètes. Les castrats étaient, à la \'ille, un


objet de risée et la verve populaire ne tarissait pas sur eux.
Lulli le comprit bien et mit tout en oeuvre pour se débar-

1 .
(' Parigi il i6 Agosto 1658. Se ^^ A. R. mi pcrmettcrà chcnell' assenzadelsig. Abatc,
(le résident de Savoie à Paris)
io le port;a tutti raguagli che verranno a mia notitia,i

io mi stimaro fortunatissimo di poterla servire.. essendo divenuto perfettissimo cor-


tc'giano et havendo la conlidenza dei principal! ministri et l'intiera entrata in corte ad
ogni hora e tempo che sia per l'honore che si è compiaciuto farmi il Re, doppo risa-
nato, in dichiararmi une dei gentil' luiomini ordinarii délia sua caméra, et a Com-
piegne solamente sono stato ricevuto. » .\rch. de Turin. Lclterc paiticolaii. Melani.
2. Bartolonmieo Melani était né le 6 mars 1634 à Pistoia (Acte haptislaire aux

Archives de la Cathédrale. 1628-1659. vol. 1, n° 17.) II était entré le 18 décembre 1637


comme chanteur à la chapelle royale de Munich. Soupçonné de prêter la main à

l'échange de lettres entre l'électrice de Bavière et Ma/.arin, il fut arrêté. V. Ademollo,


Un caiiipautu'o e la sua faiiiiirlia. Fanfulla dclla Doinenka, n» 52. .\nno 1883. Rudhart
GeMhichie dcr Oper aiii llofc :;ii Miinrhcii. Freising, 1865, in-8", p. 68.

3. Les gazettes du temps sont remplies du récit d'atroces exécutions de blasphé-


mateurs.
4. Ci. i^aoul .\llier, La Cabale des drivls.
OPERAS ET BALLETS ITALIEN'S A LA COUR I9I

rasser des virtuoses, ses compatriotes, qui compromettaient


à ses yeux la cause de la musique dramatique en France.

III

Giamhatttista Lulli était né à Florence le 29 novembre 1632.


Son père, Lorenzo, était meunier d'un moulin situé sur les
berges de l'Arno, au Porto degl' Ognissanti '. Si Ton en croit
La Viéville, un cordelier fut son premier maître. « Lulli s'en
souvenoit souvent, assure-t-il, et il témoignoit de la reconnais-
sance pour ce bon moine qui lui donna le premier quelques
leçons de musique et qui lui apprit à jouer de la guitare". »
Il dut aussi, dés son enfance, s'adonner au violon, car sa
virtuosité sur cet instrumentdemeura longtemps proverbiale,
duel hasard mit en présence, en 1646, Roger de Lorraine, qui
s'en revenait de guerroyer les infidèles sur les galères de Malte,
et le jeune garçon? c'est ce qu'il est impossible de dire avec
certitude. Peut-être Giambattista faisait-il partie de la musique
de quelque prince florentin en qualité de chanteur ou de violon
et le Chevalier de Guise fut-il frappé de son talent naissant,
non moins que de la vivacité de son esprit? Ce qui est certain,
c'est qu'il l'emmena avec l'intention de le donner à sa nièce l

Mademoiselle d'Orléans « Je l'avois prié de m'amener un


:

Italien pour que je puisse parler avec lui. l'apprenant lors »,


explique cette princesse dans ses Mémoires \ Au ww^ siècle,
on recherchait volontiers, pour le service de la Chambre, des
jeunes gens a\'ant quelque disposition pour la musique. On
se félicitait d'avoir un valet de chambre qui eût de la voix ou
qui sût jouer du luth ^, aussi peut-on croire que le talent de
Lulli ne laissa pas d'influencer le choix du chevalier de Guise.

1. Henry Prunières : Lullv fih de Meunier, S. I. M., 1912 (juin), p. 57 et


suiv. Recherches sur les années de jeunesse deJ.-B. Lully. Rivista Musicale, tome XVII,
fasc. 3, 19 10.
2. Co)uparaisoii de la Musiijue italienne et de la Musique J'raitcoisc. Bruxelles, 1705,
p. 183.
3. Edil. Cheruel. Tome III, p. 348.
4. V. plus loin, p. 247.
192 L OPÉRA ITALIEN E\ FRANCE

Lulli arri\a à Paris vers le milieu du mois de mars 1^6^ et


fui admis parmi les officiers domestiques de Mademoiselle avec
la charge de garçon de la chambre et 150 livres de gages '. Il
avait alors treize ans et demi, l'âge des putfi du Duc de Modène
qui, peu de mois plus tard, allaient chanter dans YOrfeo. Chez
Mademoiselle, Baptiste se perfectionna dans Tart du violon et

acquit un talent véritable de baladin. La fille de Gaston


d'Orléans raffolait de la danse et donnait sans cesse, aux Tui-
leries, des ballets improvisés ou luxueusement montés. Elle
goûtait aussi le charme des belles voix et pensionnait Made-
moiselle Hilaire et le fameux Michel Lambert ', dont le Flo-

rentin devait un jour épouser la fille.

Lulli étudia les règles de son art sous la discipline des


compositeurs Metru, Roberday et Gigault ', mais s'il reçut de
ces doctes maîtres quelques principes de contrepoint et de
fugue, il ne subit aucunementrinfluence de leur style pédan-
tesque. Il dut se former surtout lui-même en écrivant des
danses pour les ballets de Mademoiselle et, pour les concerts,
des cantates, des duos et des airs italiens dans la manière de
Luigi Rossi et de Carissimi. Lorsque la iM-onde prit fin, il était

en possession d'un triple talent de violoniste, de compositeur


et de baladin.
L'entrée de l'armée royale dans Paris obligea Mademoiselle
à s'exiler. Reléguée par ordre de la Reine dans le vieux château
de Saint-L'argeau, â l'automne de Tannée 1652, elle appela
auprès d'elle tous ses gens. Lulli était trop ambitieux pour
partager longtemps la retraite forcée de l'imprudente prin-
cesse. « 11 ne Noulul pas demeurer à hi campagne, raconte-t-

1. H. PrunitTcs ut I.a Laurencie La Jeunesse de Lull\\ S. I. A/., 1909. J'avais eu la


:

bonne tbitune de découvrir aux Archives Nationales, en 1909, un état de la maison


de Mademoiselle pour l'année 1652 sur lequel figurait Lulli [Cour îles aides. Z'-' 523),
ce n'était qu'une copie. J'ai retrouvé depuis l'acteoriginal dans le ionds des Ciiuj
Cents Colhert à la Bibl. Nationale « Estât gihièral des officiers delà Maison de Made-
:

moiselle, fille de Moiiseioiieiir le Due d'Orléans et des ga^^es dont ils jouissent en la pré-
sente année mil six cens cinquante deus. « A Jean Baptiste Lully garçon de la chambre...
sept vingt dix livres -) (Mss. 500 Colhert 54, f" 394)-
2. Lorct, Mu^e historique du i'^'' janvier 1651, édit, I.ivet.
I, p. 79,

3. Raisons qui prouvent... que les compositeurs de musique... ne peuvent être de la com-
munauté... des un'néiriers, 1693, p. 53.
OPERAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR I93

clic dans ses Mcmoircs, il me demanda son congé ;


je le lui

donnai et depuis il a fait fortune, car c'est un grand baladin '. »

C'est en effet comme baladin que Lulli brilla d'abord à la

Cour de France. Il prit part à la représentation du Grand Ballet


de la Xuit, donné pour la première fois, le 23 février 1655, au
Petit Bourbon avec les machines de Torelli et y parut aux côtés
des danseurs les plus renommés pour leur grâce et leur agilité \
Baptiste, à vingt ans, n'était pas encore le petit homme ventru
qu'il allait devenir. ne devait pas manquer
Souple et léger, il

d'une certaine beauté plastique puisqu'on lui confia le person-


nage d'une des trois grâces dans la scène des noces de Pelée '.

Il avait sans doute écrit quelques airs de ballet pour cette


représentation somptueuse, car le Roi, averti de ses mérites,
lui accorda, le 16 mars, la charge de compositeur de la

musique instrumentale de la chambre, vacante par suite du


^.
décès de l'italien Lazzarini
Il est question, pour la première fois, d'une oeuvre musicale
de Lulli, au mois de mai 16)3. La gazette de Loret nous vante

.... Un charmant dialogue


De la Guerre avecquc la Paix
Un des beaux qu'on chantât jamais
Et dont l'air, presqu'à l'improviste.
Fut noté par le sieur Baptiste >.

Ce dialogue ayant été chanté chez Monsieur, frère du Roi,


par la Signora Anna Bergerotti et Saint-Elme '\ il est évident

1. Mémoires, cdit. Chcruel, III, p. 348.


2. V. La Jeunesse de Lullx, déjà citée S. I. M., 1909, p. 530 et 33 1.
3 Rappelons que les acteurs des ballets dramatiques étaient masqués, ce qui atté-
nuait la bizarrerie des travestis.
4. Arch. Nat., O't, fo 165.
5. Mii^e historique du 8 mai 16)), ('(/. Livel. Tome II, p. 47.
Saint-Elme était neveu du tameux castrat français Berthod. Scarron
6. le célèbre
dans sa gazette burlesque de 1635 :

(• C'esi S;iint Helme de qui l'estime


Suit de prés, ou bien peu s'en taut.
Celle de son oncle Berthod.
Berthod dont la voix angélique
Est de la rovalle musique
Toute la <?loire et l'ornement.
194 LOFERA ITALIEN EX FRANCE

qu'il s'agit d'une composition en langue italienne. Dès lors vont


apparaître à intervalles réguliers, dans les ballets de Cour, des
airs, des dialogues, des trios, des chœurs mis en musique par
Lulli. Les paroles de ces diverses compositions seront d'abord
exclusivement italiennes, puis peu à peu quelques vers fran-
çais s'y mêleront. Lulli « intendant de la musique instrumen-
pour ne pas sortir de ses attributions, se bor-
tale » aurait dû,
symphonies et des danses, laissant le domaine
ner à écrire des
de la musique vocale à Cambefort ', à Boesset ou à Lambert.
Mais Anne d'Autriche et Mazarin raffolaient de musique ita-
lienne et seuls, depuis le départ de Luigi Rossi, Lulli et Taglia-
vacca étaient capables d'en composer pour les fêtes de Cour.
Ces divertissements italiens, intercalés dans les ballets, étaient

d'ailleurs les seules occasions qu'on eût d'utiliser les talents des

virtuoses ultramontains.
Le 50 mai 1655, dans le JniUct des Bienvenus représenté à Com-
piègne pour célébrer le mariage du fils du Duc de Modène,
Alphonse d'F.ste, avec Laure Martinozzi, nièce de Mazarin,
Lulli débita lui-même avec force postures bouffonnes « un
récyt crotesque italien, partie de voix, partie d'instrumens )),de
sa composition '.

Au mois de janN'ier 16)6, il prit prétexte du BaUel de


Psyebè pour faire exécuter une longue scène en musique ita-

lienne : « Un antre s'ouvre. Plu ton parest sur son trône,


environné de démons Soupçon, le Désespoir
; la Crainte, le

et la Jalousie font un concert italien, soustenu de divers ins-

trumens, composez par le sieur Baptiste '. » Le « Cboro di


passioiii aulorose » commence par se lamenter puis chacune des

passions d'amour chante une strophe à la fin de laquelle le

chœur reprend :

Le feu roy qui si i'meniciit


Se conii.iissoit eu mélodie
lin \n\ ch.irnié durant sa vie...

('BibL de FArscnal, 15. L. 952^, in-4". p. 55).

1. \'. Henry Prunicrcs, /ci/// de Cainbcfort. Jiiiire Miisicali' nju.


2. Livret du Grand Ballet des Bienvenus. Paris, Robert Ballard, 1655, p. 6.
3. Batlel de Psvché
I
ou De la Pitisssance De F Amour. Danse par
\ \ \ \
sa Majesté le

16. Jour I
de Janvier 16)6. \
A Paris |
l'ar Robert 13allard. MDCLVI (p. 55 et suiv.).
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR I^$

Ne si dît

Magffior coutenio
Clf il iornu'ufo

Onaiido iii crioic si disfà,

La Gdosia était représentée par la Sii^nora Anna Bergerotti, //

Sospeito par le Signor Tondi, hi JJi.sperdrJoiie par le Signor


Tagliavacca et // Tiiiioir musique
par Meusnier Saint-Elme. La
de cet intermède a disparu, mais poème, écrit sans doute
le

par l'abbé Buti, suffit à témoigner combien LuUi, à cette époque,

était influencé par l'Italie. On ne trouve rien de semblable à

cette scène dans la littérature musicale française du temps et

on la croirait tirée de quelqu'un des opéras qui se représen-


taient de l'autre côté des Alpes. Le Biilhi de Psvcbc eut un
grand succès et le résident Barducci, dans une lettre écrite au
Duc de Toscane, vante la magnificence et l'ingéniosité du
spectacle '

Au mêmeCarnaval de 1656, Mazarin voulant traiter magni-


fiquement la Reine, le Roi et toute la Cour, ordonna une
mascarade, la Galaiilcvic du Temps, où Lulli iît merveille :

Et l'inventeur le sieur Baptiste


Se montra si parfait copiste
De Trivelin et de ses tours
Qu'on tint de luv cent beaux discours -.

Lulli, secondé par Beauchamp pour les danses, avait écrit la

musique de ce petit ballet improvisé. Il avait composé plu-


sieurs récits italiens qui ont disparu mais dont le livret

. imprimé nous révèle l'existence. \'énus ouvrait la mascarade


en chantant un grand air :

\'enere io son che vô cercando il riso...

Puis les entrées se succédaient et une sérénade italienne dialo-

1. Lettre du 21 janvier 1656. Meâiceo. Le ballet fut magnifique, déclare-t-il, le

théâtre était « arrichito délia varatione délie Machine state inventate dal Torelli >k
2. Mii^e historique du 5 mars 1656, écl. Livet, II, 157.
196 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

guée donnait lieu à la Sisinora Anna Bcrsjerotti '


et à Made-
moiselle de La Barre de faire admirer leurs voix enchante-
resses. L'illustre guitariste italien Francesco Corbetti -
brillait,

dans l'accompagnement de ce concert vocal, à la tête de quel-


ques joueurs de guitare, soutenus par la bande des Petits Vio-
lons.
On a beaucoup parlé de ces piiils violons dont l'existence a
paru fort mystérieuse à certains historiens '. Suivant une tra-

dition que rien ne nous autorise à mettre en doute, le Roi,


désireux de placer Lulli « à la tête d'une bande de violons
qu'il pût conduire à sa fantaisie, en créa exprès une nouvelle
qu'on nomma
les Petits Violons et qui, en peu de temps, sur-

passa fameuse bande des Mngt-Qiiatre ». Il est certain que


la *

le jeune florentin entretenait de fort mauvais rapports avec les

Vingt-Quatre. Il en « faisait si peu de cas qu'il les traitait de


maîtres aliborons et de maîtres ignorants '. » Autoritaire et
despote par tempérament, il ne pouvait souffrir ces instru-
mentistes infatués de leurs mérites, entêtés de leurs traditions,
orgueilleux de leurs privilèges, qu'il ne pouvait conduire à son
gré. Se conformant
une habitude fort ancienne, ils ornaient
à

la mélodie de broderies et de diminutions qui en déformaient


la ligne mais faisaient valoir leur virtuosité individuelle. Lulli,

1. Loret la célèbre à cette occasion :

I'Lu Signor.i J5ergcrot.i


Vers Li tîn es cœurs encliant;i
AvLint d.ins la douce harmonie
L'ii r.irc et ravissant génie. »

2. be livret de la Temps que nous avons retrouvé à la Rcserve du


Githnitcric dti

Conservatoire (et que nous ignorions en écrivant avec M. de La Laurencie notre article
sur la Jeunesse de Lulli), mentionne formellement la présence de Corbette parmi les
instrumentistes qui accompagnent 'e duo chanté par Mademoiselle de La Barre et la
Sig'i' Anna « Corbette, les 2 La Barre frîres et les petits violons ». Ce détail confirme
:

l'exactitude des faits relatés par C^.orbetti dans la Préface de La Gitilarre Kovalle, Dédiée
au Roy de la Grande Hretaoïie. Paris, 1670 —
... un livre que j'avois laissé à Paris,
: <.<

après l'avoir dédié au Roy


de France à l'occasion d'un Balet composé par le très
fameux Auteur Jean-Baptisle Lulli, Maistre de la Musique du Roy, en 1656, où je fus
admis par sa Majesté à faire une entrée de plusieurs guitares. »
3. Kcorcheville, Fint^^t Sicile^; d'orchestre du XV 11^ siècle français. Paris, 1906, p. 25.
4. Lecerf de La Vieville, Comparaison de la Musique italie)ine et de la Musique fran-
çaise, (seconde partie). Bruxelles, 1705, p. 186.
5. Raisons qui prouvent, etc., p. 32.
OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR I97

comme les italiens de son temps, ne pouvait comprendre ce j

goût singulier et voulait que les exécutants jouassent ce qui


était noté sans rien ajouter de leur cru '. Il eut grand mal à
détourner les pratique. Beauderon de
musiciens de cette
Sénécé s'en est souvenu dans un curieux pamphlet. Lulli
arrive aux Enfers, porté en triomphe, au son d'une symphonie
de divers instruments. « Un violon du feu Roi, qui s'étoit
joint à la bande, croïant se signaler par dessus les autres,

joua certain endroit de sa partie avec beaucoup de diminu-


tions et de roulemens, s'imaginant, suivant les principes de
son temps, que cette méthode donnoit beaucoup de grâce à
son jeu et que c'étoit là le plus exquis ralinement de son art.

Alors la patience échapant à Lulli, il tira de son brancard une


des plus grosses branches qu"il pût arracher et lui en donna
cinq ou six coups sur les oreilles; eh! morbleu, coquin,
lui dit-il, ôte-toi d'ici. va-t"en àxac ta broderie faire danser
les servantes des cabarets... et ne viens point, par tes con-

tretemps, me défigurer les meilleurs accords de ma simpho-


nie \ »

Lulli dut plus d'une fois tenir semblable langage aux ins-
trumentistes qu'il dirigeait et casser, pour le même motif,
plus d'un violon sur le dos des musiciens opiniâtres. Quoi-
qu'il en soit, il arriva rapidement à dresser les petits violons

suivant ses idées. La plupart de ces artistes entreront plus


tard dans l'orchestre de l'Académie Royale de Musique, cet
orchestre fameux qui s'attirera les louanges de toute l'Europe.
On célébrera la précision rythmique et la netteté du jeu lui-

liste comme une qualité proprement française, sans songer que


les Vingt-Quatre étaient renommés sous Louis XIII pour l'im-

précision même de leur exécution, pour leurs broderies et leurs

1. Il est à noter que la mode des diminutions instrumentales avait sévi en Italie au
xvie siècle comme
en fait foi notamment l'ouvrage de Bassano « Ricercate, passagi... :

per exercitarsi nel diminuire tenninatamotte con ogni sorte d'Istniiueuti. Venezia, 1595
(in-fo). Bibl. Naz. de Florence. Mus. iS.
***
2. Lettre de Clément Marot à Monsieur De touchant ce qui s'est passé à V arrivée de
Jean Baptiste De Lulli, aux Champs Elisêes, A Cologne, chez Pierre Marteau,
MDCLXXXVII, p. 25 et 26.
198 L OPÉRA ITALIEN EN FRANCE

ornements qui suspendaient longuement le sens de la phrase.


En réalité Tinduence de l'Italie est évidente en cette ré-
forme '.
Lulli, jusqu'à la mort de Alazarin, se révèle à nous comme
un compositeur italien. Les divertissements vocaux qu'il place
dans les ballets sont écrits dans le style de Luigi Rossi et de
ses disciples. Si, dans les œuvres instrumentales, se montre il

respectueux de la tradition française, si les mélodies nous en


sont familières, si les thèmes de ses danses rappellent ceux de
nos vieux ballets de Cour et de nos chansons à danser, le style

n'en trahit pas moins un musicien formé à une autre école que
les Dumanoir, les Mazuel et les Vincent. Il est curieux de les

comparer aux airs de ballet de l'O/'/ro, à ceux du moins qui


semblent composés par Luigi Kossi. On trouve chez Lulli
cette lluidité de l'harmonie inconnue à nos maîtres français.
Chaque voix se meut avec aisance et chante librement sans
contrecarrer sa voisine, tandis que les diverses parties, chez
Dumanoir et ses compagnons, se croisent, se heurtent, s'entre-

choquent dans un chaos bizarre bien que non dénué d'agré-


ment '. Clue l'on compare les danses et les symphonies des
premiers ballets de Lulli à celles des Irles de Bacchus, par
exemple, qui ne leur sont guère antérieures (163 1) et l'on
aura la sensation d'un art tout dii'férent : les archaïsmes ont
disparu, l'écriture est élégante, les harmonies correctes, et l'on

sentla main d'un musicien singulièrement plus habile et

mieux doué qu'un Mazuel ou qu'un N'erprè.


Le ballet italien d'Jiiior nuihilo, représenté en la (irande
Salle 17 janvier 1637, ouvre la liste des ballets
du Louvre, le

qui peuvent être attribués à Lulli et qui nous ont été partiel-
lement conservés. Cette fois, ce n'est pas seulement une scène
de musique italienne qu'il glisse dans le ballet, c'est toute une
petite comédie qu'il traite en style récitatif. Le Temps et le

1. Vers 1660, l'u-sagc des diminutions, si en vogue au WK siècle, était complète-


ment passé de mode dans la Péninsule.
2. On peut en juger par les SiiiU's d'orclk'slre publiées par M. Hcorcheville, d'après

un.Mss. de labibl. de Cassel et par les recueils de vieux ballets copiés par Philidor.
Tome III de la Collection Philidor à la Bibl. du Conservatoire.
OPERAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 199

Dédain soignent l'Jiiiour makide, assisté de Ui Kdisoii'. La Riii-

soji expose le sujet de la pièce en plusieurs couplets d une


chanson dont la musique est perdue :

Non fate rumore,


Chè poco discosto,
Offeso nel core
Sen giace indisposto
Ilpovero Amore.
Non fate rumore.

Il Tempo e lo Sdegno
Son Medici suoi.
Ma il maie è tal segno
Che temo ambi doi
\'i perdan l'honore.
Non fate rumore-.

Les deux médecins se présentent et questionnent la Raison


sur l'état du malade

// Tempo : Non mangia ?

La Ragionc : Ben poco.


La Sdegiw : Non dorme ?
La Ragionc ; Non mai "'.

et les consultants de conclure ensemble:

1. Amour malade \
Ballet du Ro\ \
Dansé par sa Majesté, le ïj^ jour de janvier i6)j.
A Paris |
Par Robert Ballard. MDCLVII Vers du Ballet du Roy
(25 pages). — \ \

(21 pages a la suite). — La Bibl.du Conservatoire possède un superbe exemplaire pet.


in-f" de ce ballet, relié au.\ armes du Roi, avec le livret des Aof« de Thétis et de Pelée.
L'exemplaire de la Bibl. de l'Arsenal contient à la suite les thèses de Scara mouche
(B. L. 9773).
2. Ne laites pas de bruit, car non loin d'ici, blessé au cœur, est couché malade, le

pauvre Amour. Ne faites pas de bruit. Le Temps et le Dédain sont ses médecins.
Mais le mal est si grave que je crains que tous deux n'y perdent leurs peines. Ne
faites pas de bruit !

3. Le Temps : Mange-t-il ?

La Raison : Bien peu.


Le Dédain : Dort-il ?

La Raison : Jamais.
200 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Gran maie per certo


H il maie d'Amore ;

Ma credi ail' esperto :

Di cin non si muore '.

Après avoir plaisamment interrogé le pauvre Amour couché


dans son lit, le Temps rédige son ordonnance :

Rccipe di spropositi un Ballctto -

Con un poco di Musica meschiato


Se ne faccia uno svario a dar diletto,
E si prendc quai' hor sia preparato î.

Un trio plein d'entrain termine cette sorte de prologue et le


balletcommence. Il est ingénieusement soudé à la scène pré-
cédente La Raison,
: le Temps et le Dédain demeurent sur le

théâtre et, à tour de rcMe, chantent à la lin de chaque entrée


un petit air italien commentant galamment ce qui vient d'être
représenté.
La V*-' entrée du ballet eut un incroyable succès.
y voyait On
une assemblée de médecins présidée par Lulli, vêtu en Scara-
mouche, qui accueillait gravement un âne et lui conférait le

titre de Docteur en ânerie. Les thèses de l'âne postulant étaient,


comme il seyait, dédiées à Scaramouche \ Lulli s'acquittait de
son rôle avec une verve si endiablée que Benserade lui adres-
sait ces vers :

1. C'est un grand mal assurément que le mal d'Amour mais crois en l'expérience,
;

on n'en meurt pas.


2. Ce vers permet d'identifier le Ballet de VAinour Malade avec le mystérieux
« Ballelto delli spropositi », que Mandosio énumère, entre Teti e Peleo et VHreole
Amante, parmi les œuvres théâtrales de l'abbé Buti. Bihlioleca roiihuia — Rom;v,
MDCXCII, Tome II, p. 44 et suiv.

3. « Recipe un ballet de grotesques mélangé avec un peu de musique. Qu'on entasse

un mélange pour donner du plaisir et qu'on l'administre, aussitôt préparé ».


4. Rappelons à ce propos que le grand comédien italien Scaramuccia était à Paris ù
cette époque et v excitait un vif enthousiasme. Le 19 janvier 1657 l'abbé P. Bonsi,
mande au secrétaire du grand duc de Toscane « Scaramuccia invia questo piego sepa-
:

raio a V. S. Ill'"« con il balletto di S. M. et concluzioni, io lo mandarô per appagar


ancora la curiosità di \'. S. 111"'^, ma per non multiplicare, mi conteuto di transmettere
quello di Scaramuccia ». Arch. de Florence. Mediceo 4660. Le 16 février, le secrétaire
du grand duc répond que l'adresse et le livre de Scaramuccia sont bien arrivés et ont
fait grand plaisir au souverain de Toscane,
OPERAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 201

Aux plus savans docteurs je scav faire la lov.


Ma grimace vaut mieux que tout leur préambule,
Scaramouche en effet n'est pas si ridicule
Xi si Scaramouche que mov '.

Les médecins saluaient la nomination de leur confrère à


longues oreilles par un chœur qui a fort bien pu suggérer à
Molière l'idée de la cérémonie du Malade hiuii^'uniirc :

Oh bene, oh bene, oh bene !

S'incoroni su, su !

E che potea dir più


Un filosofo di Athene ?

Oh bene, oh bene, oh bene !

Dans la X"' un chœur de villageois se faisait aussi


entrée,
entendre et, dans la W"" entrée, où Ton vovait « quatre braves
galants » se battre pour des coquettes, les suivantes de celles-
ci chantaient un air qui nous a été conservé -
: E che sarehhc
ainor sii}~a cachette. On trouve aussi dans la partition un air
irançais de Lulli « (Jiie les jaloux sont iiiiportinis » qui paraît
avoir été introduit à la représentation, car il ne figure pas
dans le livret de l'abbé Buti. C'était en effet au fécond auteur
de VOrfeo et des Ao-.;^' di PeJeo que Mazarin avait eu recours
pour ce ballet italien.
Les dix entrées étant dansées, l'Amour se déclarait guéri et
entonnait avec ses médecins et sa garde-malade un joveux
quatuor \
Ecco il remedio vero
Che contre Amor prévale :

Disvezzare il pensiero
Di pensar al suo maie.
Fiamme, strali, catene
Non son poi che parole ;

1. Les Œuvres de Moiisieiu- de Benserade. Paris, de Sercv, MDCXCVIII. Tome II,

p. 159.
2. La musique du Ballet de F Amour malade se trouve dans divers recueils à la Bibl.
Nat. : Tome I de la colkct. Vm 61 (in-f"), au Conservatoire Tome XV de la coUect. :

Philidor, à la Bibl. de l'Arsenal, à yersaillçs, à Stuttgart,


5. P. )2, note I,
202 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Dair amorose pêne


Si risana chi vole '.

U Amour uniJadc eut un immense succès. Il y a peu de mé-


moires de cette époque qui ny fassent allusion'. De Villers,

dans le journal de son voyage à Paris ', décrit ainsi la repré-


sentation à laquelle il assista. « Les vers du ballet nous ser-

virent d'amusement en attendant que le Roy vînt, ce qui fut


assez tard, car, bien que nous y fussions entrés dès les trois
heures, on ne commença à danser que sur les neuf. Nous y
vismes toute la Cour et tout ce qui est de plus beau dans
Paris. La grande salle où on le dansa fut si bien esclairée par
de grands lustres de cristal qu'on y voyoit comme en plein
jour depuis un bout jusques à l'autre. Il fut de dix entrées dont
le Rov dansa la première à trois reprises '. On avoit pour suject
X Amour malade et la pièce fut si bien diversifiée qu'elle peut
passer pour un ambigu de ballet, de comédie et de tarce. » Le
Résident de Toscane, le 19 janvier 1637, écrivait au Grand
Duc' : (( Le Balhi d'Amour malade que Sa Majesté avait dessein
de faire représenter sur la fin du Carnaval a été récité cette

semaine pour contenter le désir de son Altesse de Modène, tout


s'étant passé à sa pleine satisfaction comme à celle de toute la

Cour. Sa Majesté a dansé à son habitude mieux que tous les

autres et musique la italienne a réussi


» merveilleusement bien.
Le succès de la musique italienne était chose surprenante et
nouvelle. Lulli, avec un sens très pénétrant de ce qui pouvait

1 Voilà le vrai remède qui contre Amour prévaut


.
détourner l'esprit de penser à
:

son mal. Flammes, morts, chaines ne sont plus que des mots, de l'amoureuse peine
guérit qui le veut.
2. de Motteville conte dans ses Mémoires que ce fut au sortir de la repré-
Madame
sentation que Ma/.arin apprit la mort de sa nièce Madame de Merccx^ur (p. 455).

3. De Villers, Journal d'un voyage à Paris, édit. Faugère.

4 Le Roi représentait « Le Divertissement, accompagné de ses suivaus qui composent


une musique d'inst rumens ». Parmi les concertants on relève le nom de Couperiu, qui
paraissait déjàdans le ballet de Psyché, en 1656.
5. d'Anwre amalato che S. Maestà disegnava di far rappresentare verso
« // Ballet to

l'ultimo di carnovale, è stato recitato questa settimana per incontrare il gusto del
Ser'"o di Modena, essendo il tutto seguito con piena sua sodisfattione, corne di tutta
la corte, havendo S. M. ballato al solito, cioè meglio di tutti, c la musica italiana

riuscita a meraviglia bene ». Arch. de l'iorcnce, Mediceo 4660.


OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 2O3

plaire aux Français, avait su mettre l'art italien à la portée de


son public. Aussi tous les spectateurs, en quittant le Louvre,
devaient-ils penser comme Loret :

Que Batiste en toute façon


Est un admirable garçon.

Le gazetier a malheureusement oublié de nous dire quels

étaient les chanteurs qui remplissaient les rôles de la comédie.


Il se contente de cette trop vague indication :

Là, s'entendent des harmonies


Dont les douceurs presque infinies.

Procèdent des acors charmans


De plus de soixante instrumens
Avec les voix rares et belles
De trois mâles et trois femelles... '.

Nous savons seulement que le castrat Atto Melani chantait


le rôle de TAmour. « On se prépare, écrivait-il, le 26 jan-
vier au prince ALuhias', à donner le ballet de S. AL qui
sera représenté dimanche et mercredi et jamais il ne me sera
arrivé de voir une fête avec autant de commodité, car représen-
tant rx\mour malade je reste au lit du commencement jus-
'

qu'à la fin. » Qiielques jours auparavant, il mandait à Madame


Royale: « On dansera au Carnaval un très beau ballet en mu-
sique italienne, car le Roi l'aime avec passion ^ o) Précieux
témoignage qui montre le cas que faisait de LuUi un connais-
seur aussi raffiné qu'Atto Melani.
UAiJiour malade fut dansé durant tout le Carnaval avec la

même faveur. Le 26 janvier, le Résident llorentm écrivait' :

1. Mu:^e historique du 20 janvier 1657, édit. Livet, II, p. 290, 291.


2. La lettre a été publiée par Ademollo Primi Fasti deîla luiisicaitaliaiia a Parigi,
:

P- )9-
3. « Amore infermo ».

4. Arch. de Turin. Lettere particohiri. — Melani.


5 u È stato di nuovo rappresentato con concorso de' più quaiificati
il Balletto Reale
délia città, grand^^ sodistattione d'ogn'uno si per l'esquisita e ben
riuscendo a
concertata musica, corne per la magnificenza délie scène cbe ben danuo con ammi-
ratione a conoscere essere opéra di Re »; Mediceo 4660.
204 '- OPERA ITALIEN E\ FRANCE

« On a de nomcau représenté le Ballet Royal en présence des


personnes les plus qualifiées de la ville. Il a réussi à l'entière
satisfaction d'un chacun aussi bien p(nir le charme et la par-

faite musique, que pour


exécution de la la magnificence des
décors qui donnent bien à connaître que c'est là un opéra de
Roi. »

Le triomphe de \'A})ior uuihilo ne fut pas du goût de tout le

monde. Les poètes, les musiciens et les baladins français qui,


jusque-là, avaient eu le privilège de travailler aux ballets,
trouvèrent fort mauvais que Lulli et Lrancesco Buti, deux
étrangers, se fussent acquittés de cette tâche à la satisfaction
générale '. Ils convainquirent le Duc de Guise et quelques gen-

tilshommes de monter à la Cour un ballet somptueux auquel


des Français seuls seraient employés. Il fallait prouver que
l'antique ballet dramatique, avec ses récits et ses entrées, valait
mieux que les comédies-ballets italiennes avec leurs scènes
récitatives. Louis de Mollier fut chargé d'écrire la musique et
Beauchamp de régler les danses de ce Divertissement '.

Le ballet des Plaisirs Troubles fut dansé le 1 1 février. Le Duc


de Guise n'avait pas ménagé l'argent pour en faire un spectacle
magnifique et s"était assuré le concours d'excellents chanteurs.
Il ne réussit pourtant pas à faire oublier XAnior iiiahito. Le
Résident Bonsi s'en éiîaie en une lettre du i6 février':

1. Marolles tout en louant VJi)iour Malade explique qu'on aurair dû traiter d'une
toute autre manière le sujet, c'est-à-dire suivant les formules du vieux ballet de cour
français. Cf. Metnoires, Amsterdam, MD(XLX, in-8o, tome III, p. 121, 122.
2. Loret célèbre leurs mérites dans la Mu-e historique du 10 lévrier 1637 :

Tous les airs estoient de Molicre


qui d'une si belle manière
prit phusir à les composer
qu'on ne le sçauroit trop priser...

Quant à Beauchamp,
" Il fut proclamé ce jour là
j'ar toute la noble assistance

l^our le meilleur danseur de France ».

{VA. Livet, tome II, p. 299). V. aussi p. 301.


5. « Il Signe Guisa ha fatto rappresentare il suo Balletto di maggior spese
Duca di
e bellezza in parte a quello del Re, et in moite cose inferiore, nel Louvre in presenza
di tutta la corte, essendo stato impegnato a farlo da certi invidiosi che non potevano
soffrire che il Re si servisse d'Italiani per la condotta del suo, acciô, vedendone
un'altro, venisse S. M. ad impiegare i medesinii soggetti. Inianto li spenditori dçl
OPERAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 20)

« Monsieur le Duc de Guise a fait représenter son ballet au

Louvre en présence de toute la Cour. Il est en un point de


plus grande dépense et plus beau que celui du Roi, mais, en
beaucoup d'autres choses, il lui est très inférieur. Monsieur le
Duc y a été poussé par certains envieux qui ne peuvent souf-
frir que le Roi se serve d'Italiens pour la conduite de son

ballet, espérant que le Roi, en voyant représenter un autre


de leur façon, fera appel à leurs talents. Cependant les Inten-
dants de Monsieur le Duc ne veulent plus donner l'argent
nécessaire à la dépense de maison depuis les gros débours du
Ballet, y ayant été emplovées les sommes destinées à des choses
plus nécessaires, ce qui donne sujet à la Cour de jaser et
rire. »

Le Duc de Guise échoua donc en sa tentative d'exclure de


la composition et de l'exécution des ballets royaux l'abbé Buti,

Lulli et les Mrtuosi du Cabinet. On tint compte pourtant de


ses plaintes, car on ne vit plus paraître à la Cour un seul ballet
entièrement italien comme X Aiiior maJato. Jusqu'à la mort de
Mazarin, on s'efforça de tenir la balance égale entre la mu-
sique française et la musique italienne. Cette préoccupation
est très visible dans le i^niiiil haUct JAJcidiiuic cl Pohwaiulrc

représenté avec un faste extraordinaire pendant le Carnaval de


i6)8 '. Le Roi y dansa plusieurs entrées et la Reine de France,
Christine de Suède, la princesse d'Angleterre, Mazarin et les
plus grands seigneurs de la Cour firent leurs délices de ce spec-
tacle durant plusieurs semaines'.
Lulli était vraiment l'âme de ce ballet. Il n'avait laissé

au Surintendant Boesset que le soin d'écrire deux Récits et

lietto Sig' Duca non vogliono più fornirc al solito per il sostetamcnto délia spesa
délia casa doppo il grosso sborso del balletto, essendo stato impiegato in esso il
dcnaro destinato aile cose più necessarie, il che dà niateria di t'avcllarc c di ridere
alla corte. » Arch. de Florence Mediceo, 4660.
1. A ce même Carnaval on put admirer une pièce italienne la Rosaura montée avec

un faste inouï sur la scène du Petit-Bourbon. La pièce était jouée par des comédiens
italiens. Torelli s'était chargé de la mise en scène. Loret nous apprend que la pièce
était entremêlée de quatre ballets et de scènes musicales. On voit que cette pièce
était tout à fait conçue dans le goût de la Finta Pa:[ia de 1645. (Cf. Loret, Mu~e his-
torique du 23 mars 1658, ('</. Livet, tome II, p. 438.)
2. La Jciuicsse de Lidly. S. I. A/., 1909, p. 559 et suiv.
206 l'opéra italien en FRANCE

avait composé toutes les symphonies et les danses, les airs


italiens et français du « concert à la Cour d'Alcidiane » et le
grand divertissement final italien '. Il dansait lui-même trois
entrées ;
jouait de la guitare, déguisé en maure, pour accom-
pagner la chaconc de la Princesse de Mauritanie et avait d'une
ftiçon généraleordonné tout le spectacle. De La
réglé et
Porte conte d'après une anecdote qu'il rapporte à
le Mv/L'/i^'/V///^/

la représentation d\-^lclillaiif et qui montre l'autorité et la '

puissance de Lulli à la Cour, non moins que la hardiesse de


son caractère. Le Roi « alors dans sa plus grande jeunesse
s'étoit rendu au lieu où ce ballet devoit se représenter et

n'ayant pas trouvé toutes choses prêtes, envoyoit incessam-


ment des à Lulli pour savoir quand on com-
valets de pied
menceroit pour le presser. Mais voyant que rien n'avan-
et

çoit. le Roy envoya un valet de Garde Robe pour lui dire qu'il

se lassoit d'attendre et qu'il vouloit absolument que Ton com-


mençât ce valet de garde robe dit à Lulli que le Roy étoit
:

dans une grande colère et qu'il ne pouvoit plus attendre. Lulli,


songeant moins aux ordres pressans qu'on luy apportoit de la
part du Roy qu'à ce qu'il avoit encore à faire, répondit d'un
sang-troid capable de pousser la plus grande patience à
bout : « Le Roy est le maître, il peut attendre tant qu'il lui

plaira '
».

Lulli, en un grand personnage. Benserade


i65cS, était déjà

laisait exception en la règle qui réservait aux


sa faveur à
illustres gentilshommes les épigrammes qu'on imprimait avec le
livret. Comme Lulli paraissait sur la scène déguisé en capitaine,
il lui prêtait ce langage:

Au lieu de ni'empoi'ier, j'aurois meilleure grâce

D'estre modeste sur ce point


Sans me vanter ici que le siècle n'a point
De capitaine qui me passe.

1. La musique du Ihilict d' AUiJ'unic se Uc)u\'e dans le recueil \\w i de la Bild. Xal.
(Tome dans le tome \dJl de
1), la (^ollect. l'hilidor et dans divers recueils de la Bibl.

de l'Arsenal, de Versadles, etc.


2. Aiici'ilolcs ihiiiiiiilii/N('s. Paris, DucJTesne, 1773 {Alcidiniic).
3. Mi-lhV^hlIltl, 17I), IV, p. II.
OPERAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 207

Mais rendons-nous justice et voyons après tout


Qui peut mieux mériter des louanges parfaites,

Les choses dont je viens à bout


César même les eùt-il faites ' ?

Le gazetier Loret exultait en décrivant les prodiges accom-


plis par Lulli dans JJcidictuc :

Et certes pour l'art muzical


Je serois un franc athéiste
Si je ne croyois que Baptiste,
Nonobstant les vieilles chansons,
Est un des célèbres garçons
Pour la rare et grande harmonie
-
QjLi'ait jamais produit l'Ausonie. {Vltalic)

On voit que, contrairement à l'opinion commune, Lulli était

célèbre bien avant d'avoir produit des comédies-ballets et des


opéras. Or, en 1638, ses principaux titres de gloire étaient ses
danses, ses svmphonies et ses scènes en music]ue italienne.
On le connaissait si peu comme compositeur d'airs français

que Loret attribue à Louis de Mollier et à Boesset ceux iXAlci-


diaiie\ alors que le beau récit Oiir volve empire. Amour, est :

un eruel empire est de Lulli ainsi que les deux suivants. Un


duo : Cède iil ivstro vcdore, chanté par la Signora Anna Berge-
rotti et x\Lidemoiselle De la Barre, terminait AJeidiaiw '. Huit
guitaristes l'accompagnaient sur leurs instruments et une
« symphonie » de deux clavecins, quatre théorbes et cinq
violles, était chargée de la réalisation de la basse chilTrée.
Au point de vue instrumental, Lulli avait fait merveille.

1. Benserade. Œuvres, 1698, tome II, p. 170.


2. Mu^c historique, édit. Livet, II, 444.

3. Mu:^e historique, éd. Livet, II, p. 446.


4. Voici, d'après le livret, les noms des interprètes de ce divertissement :

'.( Daiiu's maures qui chantent :


M"e de la Barre, la Signora Anna Bergerotti.
Esclai'es luaures jouant de la Guitarre : les Sieurs Piesche, Toury, Chabut, Clément,
le Gris, Caron, Emmanuel, Quarante.
Sxnipljonie :

Claiessins :Mes. de la Barre Taisnè et Lambert.


Tuorhes : Mes. de la Barre le cadet, Vincent, Ravneval et Grenerin.
Violles : Mes. le Febvre, Alissan, Gigot, Richard et Ribou. »
208 l'opéra italien en FRANCE

Il avait, à cette occasion, inventé la forme classique de Fouvcr-


iiirc frau(aisc (in deux parties '
et écrit un grand nombre d'entrées
d'une grâce et d'une variété prodigieuses.
Le Ballet de la Raillerie, représenté au Carnaval de l'année sui-

vante % atteste la maîtrise de Lulli à pratiquer le style italien

et le stvle français. Après un récit de la Poésie française,


chanté par Mademoiselle Hilaire, le rideau s'ouvre et laisse
voir un palais devant lequel sont assises la Raillerie (Made-
moiselle De La Barre), la Sagesse (Mademoiselle Hilaire), et

la Uolie (Signora Anna Bergerotti) \ Ces trois personnages


chantent tantôt séparément, tantôt deux à deux, tantôt en trio,

un long prologue italien qui nous a été conservé ^. La tech-


nique en mais on y relève pourtant çà et
est très italienne,
là certaines tournures, certaines phrases mélodiques, cer-
taines cadences qui sentent l'influence française et qu'on ne
trouverait pas chez un Luigi Rossi ou un Carlo Caproli. C'est
de la musique italienne écrite pour un public français par un
habile homme, désireux de se concilier les suffrages de tout le

monde. Il est possible cependant que Lulli fût très sincère.

On ne compose pas avec une telle sûreté des airs français


comme la chanson J'os beaux veux embrasent mon eanir ou la
:

Sarabande : /:";///// je vous revov ebarnniiite Cour % sans s'exposer


à des réminiscences lorsqu'on aura à mettre en musique des
paroles italiennes. \'isiblement Lulli oscille, en 1639, entre l'art

français et l'art ultramontain. Il ne tardera plus à prendre


parti.

Le ballet de la Radlerie renferme un curieux témoignage de


l'éclectisme de Lulli. lintre la W et la \'IL entrée du ballet

s'intercale un intermède de la musique italienne et de la

musique française qu'interprètent la Signora Anna Bergerotti

1. i]\. llenr\- l'runicrcs. Soles sur les ()rii^iiu's de l\)iivcih(ie J')aii(iiis('. Saniiiiel-

Kiiidc lier lut. Miisiki^'esellsehafl I2 Jahrg. IV Heft. V. aussi : Repoii of Ihc foiiith Con-
i^rrcss of Ihe I iitenialioinil Minieal Society. I.ondon, Novcllo, 191 2, p. 149 et suiv.

2. 19 IV'N lier t6^9.


3. du l'mllet de l.u Ruillei le. R. Ballard. HilM. Xat., V 605.1.
Livret
Vni 61, tome I.
4. H. N., —
Colleel. Philidor, tome XIX.

5. Ces airs sont assurément de I.ulli. Bacillv dans le livre II de


son RecKell des plus

beaux irrs mis eu chaiil lui en attribue formellement la com}iosition.


OPÉRAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 209

etMademoiselle De La Barre Les deux musiques '. se raillent

mutuellement chacune en sa langue :

La Miisiijiw Ilaliciuic :

Gentil Musica francese


Il mio canto in che t'oftese ?

La Miiiiijiic Française :

En ce que souvent tes chants


Me semblent languissants.

La Musique Italiciuic :

Tu formai' altro non sai

Che languenti e mesti lai.

La Musique Française :

Et crois-tu qu'on aime mieux


Tes longs frétions ennuveux ?

Les deux musiques continuent longtemps à se critiquer de la

sorte. Lulli accuse les intentions du texte, il souligne de


longues roulades les « fredons ennuyeux », multiplie les
accidents chromatiques quand lltalienne proclame

Chi rissente un mal di morte


Più che puo grida mercé.

En un mot, il parodie une souplesse et


les deux styles avec i^

une vérité étonnantes. On sent qu'il les possède tous les deux
parfaitement, qu'il en voit les défauts et les qualités. La
musique française lui paraît un art de demi teinte, propre à
traduire des sentiments tendres et délicats ; l'italienne lui

semble susceptible d'expressions plus variées et plus véhé-


mentes. Au reste ces sœurs rivales ne sont pas à ses yeux
irréconciliables :

Le cœur qui chante et celuv qui soupire


Peuvent s'accorder aisément.

Le haJlci de la Raillerie finissait par un épilogue dont la musi-


que est perdue et qui était peut-être de la composition de

!.. Nous le publions en appendice, n^ 5 {16-1S).

14
210 LOPERA ITALIEN EN FRANCE

Tagliavacca '. Le J^alcllo se présentait à ses juges : ht Criticci,

Ici Modd, 1(1 Cotilrarlrlci, lo SvooHdlo et leur demandait leur avis.

« Tu es un ramassis de vieilles inxentions » protestait hi Cri-

tique, « les idées que tu exposes datent de l'autre monde » décla-

rait In Mo(J(\ « jamais au son des instruments il fut dansé plus


mal » raillait Iti (AMilraricic, « j'attendais mieux de si bons
maîtres » soupirait le ilcoaùlc. « Ah ! c'est ainsi, déclarait le

hallel, c'est ainsi que vous me raillez, chacun se renfrogne, eh


bien, par un moi aussi je me moque de vous-
juste retour, ! »

et tous ensemble célébraient l'Amour Auiov, lu sol non erri. :

Cette singulière conclusion donnerait à penser que le ballet

de Cour ne satisfaisait plus tout le monde, qu'on attendait,


qu'on réclamait autre chose. Mais quoi ? Nul n'osait le dire.
Pourtant, comme nous le verrons en étudiant le contre coup
des représentations d'opéras sur notre musique et notre

1. V. plus haut, p. 185. Au reste, la musique de ce divertissement ne figure pas


dans les JhiUcls </<• /-/////.

2. lipiloi^nc : Il Ixilcllo, la Crilica, la Moilit, la Conlidiuià, lo Siv^^liato :

liiilrllo : Clic dite di 111c ?

lo sono il Baletto
Che qualche diletto
Pur lior.i vi dié.

Che dite di me ?

* Scusate il ditetto
Ch' ong' uno ha in se,

E anche in etletto
La hretta nii lé

Che dite di nie ?

Criluit : D'antiche inventioni


Un misto sei tu.
Mocld : L'idée che tu esponi
Non usan qui si'i.

Conlraiiclà : Mai peggio ci>' i suoiii


Danzato non fu.
Svoi;lialo : Da niastri si buoni
Speravo di pii'i.

Btilrllo : Ah, ah. cosi late ?

Cosi mi betlate ?

Ogn" un sa far celTo


Ht a buon camhio anch' io di voi mi heffo.
Tu/Il : Anior, tu sol non erri
Se bellarti prcsumi
De' niortali et de' Nuini,
Ch' ad un sol colpo oi^n' alterez/a atterri,
H s'alcun di te ride
Tu, con armi homicide,
Llsi punirnc a doppio il toile ardire ;

Sol si belii di te chi sa fuggire.


OPERAS ET BALLETS ITALIENS A LA COUR 211

théâtre, poètes et compositeurs étaient sur la voie du mélo-


drame français. Les tragédies de machines, comme les pasto-
rales en musique, les y conduisaient insensiblement. Malheu-
reusement, trop peu confiants en leurs forces, ils n'osaient
aborder franchement le problème du récitatif et prétendaient
esquiver la difficulté en excluant de leurs pièces tout élément
dramatique, en soudant tant bien que mal entre elles des
chansons insipides.
Si médiocres que fussent ces essais, ils provoquaient un
réveil de l'amour-propre national, las d'entendre proclamer la
supériorité musicale des Italiens. On raillait fort en certains
cénacles les œuvres ultramontaines, et Perrin dans la lettre
qu'il adressait, le 30 avril 1659, à l'abbé délia Rovere ', ne crai-
gnait pas de les traiter de « pleins-chants et airs de cloistre, que
nous appelons des chansons de vielleur ou du ricochet... une
musique de gouttières », faisant ainsi bon marché des chefs-
'

d'œuvre d'un Luigi Rossi, d'un Carissimi ou d'un Cavalli !

Le parti anti-italianisant, réduit à l'impuissance après la


Fronde, se reformait. Lulli, à la Cour, était bien applaudi,
mais sa musique était pleine de concessions au goût fran-
çais et surtout elle était bien rarement interprétée par des voix
italiennes. Si l'on excepte la Signora Anna Bergerotti qui jouis-
sait de la faveur générale, on ne rencontre sur les livrets d'Jl-
ciiliiiiic et de la Raillerie que les noms de Mademoiselle De La
Barre, de Mademoiselle Hilaire, de Meusnier Saint-Elme et de
Le (iros. Lulli partageait sans doute l'opinion de Luigi sui-
vant laquelle il fallait des airs italiens dans la bouche des
Français '.

Mazarin s'intéressait à l'éveil mélodramatique de la France,


il encourageait les tentatives de La Guerre et de Cambert^ mais

n'y attachait pas grande importance. A ses yeux, seul l'opéra

1. Celui-ci n'était adcunenicnt évéquc do Turin, comme le prétend Perrin dans la

lettre qu'il ne fit sans doute jamais parvenir à son destinataire. \". plus loin p. 348.
2. Lt'S Œuvres de Poésie de M^ Perrin, conteiiaiil les Jeux de Poésie, Diverses poésies
galantes. Des paroles de Musique... Paris, Estienne Lovson, i6_6i, p. 282.
3. Saint-Evremond, loc. cil.
4. Nuitter et Thoinan, Les origines de l'Opéra Jrançais, Paris, Pion, 1886, p. 54
et 55.
il2 l'oI'ÉRA iTALtEX EN 1- RANGE

italien comptait. Aussi, lorsqu'en cette année 1659 la joyeuse


nouvelle de la Paix des Pyrénées et du mariage royal mit
la France enliesse, il crut ne pouvoir fêter plus dignement

ces glorieux événements qu'en organisant une représentation


d'opéra qui laisserait loin derrière elle le souvenir des magni-
ficences de YOrfeo.
Sur le champ il se mit à l'œuvre et appela, des quatre coins
de l'Europe, une armée de chanteurs, d'instrumentistes, de
machinistes et de décorateurs, sans entendre les grondements
précurseurs de forage qui allait chasser hors de France les
musiciens italiens.
CHAPITRE \'

LRS FHTRS DU MARIAGE ROYAL


(i6)9-i66î)

I. Gaspare Vigarani et la construction du tlicàtre des Tuileries. — Les machines,


la salle.

II. Négociations relatives au voyage de Francesco Cavalli à Paris.


III. Recrutement de la troupe d'opéra. — Démêlés entre Atto Melani et l'abbé
Buti. — Offres de service. — Domestiques virtuoses.
IV. Le Xerse de Cavalli. — La représentation. — L'interprétation. — L'œuvre.
V. Ballet de r Impatience.

Le traité de Paris, signé le 9 Juin 1659 par Mazarin et Piman-


tel, pose les bases sur lesquelles, cinq mois plus tard, va se
conclure la paix des Pyrénées '. Le Cardinal est déjà sûr de la

Pendant qu'à Madrid on délibère encore sur le projet


victoire.
d'union entre l'Infanteet Louis XIV, il se préoccupe des fêtes

qui devront célébrer ce glorieux événement. On ne doit pas


regarder à jeier Targcut par les feuctres en de telles occasions,
explique-t-il à la Reine dans une lettre du 8 Juillet ', il faut
éblouir l'Europe.
Dès cette époque, il commande à Buti un livret d'opéra, fait

appel au grand compositeur Francesco Cavalli, écrit à ses cor-


respondants de Rome, Turin, Florence, \^enise, \^ienne de lui

envoyer des musiciens.


Mazarin se demande pourtant, non sans inquiétude, où
pourront se déployer les magnificences scéniques qu'il pro-

1. Henri Vast, Les grands traités du Règne de Louis XIV (Tome I,


P- 8 5 et suiv.).

Paris, Picard, 1899.


2. Lettres relatives à la Paix des Pyrénées. Tome I, p. 39. Analysée dans — la

grande édition des Lettres de Mazarin. Imprimerie Nationale, tome IX, p. 801.
214 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

jette. La salle du Palais-Royal est trop exiguë et trop délabrée '


;

celledu Petit-Bourbon va être démolie faut de toute nécessité '. Il

élever un nouveau théâtre, digne de l'opéra qui servira à


l'inaugurer. Mazarin se met sans tarder en quête d'un archi-
tecte et, dès la fin de juin, arrive à Paris le fameux Gaspare
Vigarani, porteur, pour le Cardinal, d'une lettre d'introduction
que lui a donnée la duchesse de Modène, Laure Martinozzi,
nièce de Son Eminence \
Né en 1588, Gaspare \'igarani avait donc 71 ans lorsqu'il
se rendit à Paris avec ses fils Lodovico et Carlo, tous deux
experts en l'art d'inventer les machines de théâtre. Gaspare
s'était illustré en élevant maints édifices religieux et profanes
dans toute l'Italie. Récemment encore, en 1654, il avait
triomphé en donnant les plans du splendide Teatro Ducale de
Modéne qui contenait près de trois mille personnes ^. En 165 i,

le duc de Mantoue lui avait fait construire une magnifique


salle de spectacle et quelques années plus tard il avait exécuté
avec succès des travaux du même ordre à Carpi.
Appelé par Mazarin, le vieillard s'était mis en route dans
les premiers jours de Juin 1659 et, à la l\n du même mois,
Colbert envoyait au Cardinal la nouvelle de sa venue '
:

« Monsieur \'igarani est arrivé de Modène hier au soir en cette


ville. Je luy ay fait donner, suyvant l'ordre que Votre Emi-
nence me donna avant son départ, trois mille livres pour son
voyage et cinq cents livres pour sa subsistance du premier
mois »
On peut être surpris que Mazarin ait cru nécessaire de faire

1. Voir dans le registre de La Grange la description de l'état lamentable où se

trouvait la salle du Palais Royal, en 1660, quand la troupe de Molière en reçut la jouis-
sance :« Il V avoit trois poutres de la charpente pouries et estavées et la moitié de la

salle descouverte et en ruine. » Ri\i;islre de La Grange. Paris, Cla\-e, 1S76, in-4",


p. 26.
2. Le premier coup de pioche sera donné le 11 octobre 1660.
3. V. Cjabriel Rouchès, Inventaire des lettres et papiers vuinuscrits de Gaspare, Carlo
et Lodovico Vigarani. Paris, Champion, 191 3
(in-S"), Introduction.
4. Gandini, Cronisloria dei Teatri di Modena, 1873, in-12.
). Lettre du 30 juin 1659. Pi^pie'rs Baluze (B. N.). Vol. 332, f" i. — Cette lettre
ou plutôt ce brouillon de lettre de (Colbert est presque illisible. Plusieurs mots,
d'importance secondaire d'ailleurs, sont douteux.
LES FETES DU MARIAGE ROYAL 215

venir \'igarani dont le mérite ne lui était connu que par ouï
dire, quand il avait à sa disposition Torelli qui avait tait ses
preuves en plus d'une occasion. Torelli, tout à la dévotion du
Surintendant Fouquet, s'entendait mal avec l'ombrageux Col-
bert. Il y avait eu aussi quelque pique entre lui et l'abbé Buti.
Pour ces raisons plus ou moins mesquines, le triomphateur de
VOrfeo et des \or^:^r cil Pclco fut tenu à l'écart de la construction
de la nouvelle salle. Mazarin, en appelant \'igarani, n'avait pas
songé un instant à refuser à Torelli de participer aux travaux
projetés mais Colbert et Buti en disposèrent autrement,
;

(cJ'avois cru, écrit Mazarin à ce dernier, le 8 Août, que vous


donneriez quelque petite chose à faire à Torelli qui n'eut rien
de commun avec ce que le sieur Mgarani feroit'. » Mais Buti
s'étant expliqué sur les raisons qui l'avaient « obligé à ne don-
ner aucune part à Torelli » en cet ouvrage, Mazarin l'approuva
pleinement '. Le 27 Septembre, il lui enjoint même de ne pas se
« mettre en peine de toutes les plaintes que pourra faire Torel
sur ce qu'il n'est pas employé \ »

Mazarin, nous apprend De Pure ^ « en partant de Paris pour


aller travailler à la Paix sur la frontière, avoit prétendu de faire
un théâtre de bois dans la place qui est derrière son palais.
L'espace estoit, à la vérité, assez grand, mais le Sr. \'igarani ne
le trouva ny assez propre, ny assez commode soit pour la
durée, pour soit la majesté, soit pour le mouvement des
grandes machines qu'il avoit projetées. Comme il estoit aussi
judicieux qu'inventif, il proposa de bastir une Sale grande et

spacieuse dans les alignemens du dessein du Louvre, dont les

dehors symétriques avec le reste de la façade l'affranchiroient


de toute ruine et de tout changement. » L'idée était ingénieuse;
Mazarin avait entrepris d'achever le Louvre et de le réunir aux

1. Lettres de Maiarin. Imprimerie Nat. Tome IX, p. 224.


2. « Addition de la main de Monseigneur à la lettre de M. Tabbé Buti du 27 août
1659 " '^'^- Etr., Friiiice, 280, 1° 228.

3. France, 281, f'^ 75 \^. —Torelli semble s'être vengé en publiant un libelle : Rifles-
sioiie sopra la fabbrica de! iiiioi'o tealro, dont Vigarani se plaint dans une de ses
lettres. Correspondance, p. 14.
4. Idée des spectacles anciens et noui'eaux. Paris, MDCLVIII (in-12) — Bibl. Xat. J.
15416 —, p. 311.
21 l'opéra italien en FRANCE

Tuileries Pour réaliser ce dessein glorieux, Le Vau élevait les


'.

pavillons du Louvre et prolongeait par un corps de logis les Tui-


leries vers le nord. C'est dans ce nouveau bâtiment qu'allait

trouver place le théâtre, ou, plus exactement, la scène seule ;

la salle des spectateurs devant être édifiée à l'intérieur de

l'ancien Pavillon Nord construit sous Catherine de Médicis.


Mgarani proposa d'abord « de faire ce théâtre de bois.... avec
l'intention d'en faire un de pierre à l'entour dans quelque
temps". »

Ce projet fut vite abandonné et Ton décida de construire tout


de suite l'édifice en pierre. Il y eut encore quelques contestations
entre \'igarani et Le Vau au sujet de la forme du théâtre. «Je

vov, écrit Mazarin à Buti, le i8 Août, la différence d'advis qui


est entre le sieur \'igarani et le sieur Le Xau sur la longueur
du théâtre et il me semble que sy, par raison d'architecture et

pour le faire plus beau, il faut qu'il soit et plus long et plus
large, il n'v a considération qui doive empescher de le faire à
la perfection, quand même la maison de M. le Tilliers en de-
vroit estre incommodée \ » Mazarin donne d'ailleurs tout son
appui à Vigarani. « J'escris au sieur Colbert, déclare-t-il le

15 Novembre, de dire de ma
Ratabon que l'in- part au sieur
tention du Roy conforme ponctuellement en
est que l'on se

ce qui regarde la construction du théâtre à ce que le sieur


Mgarani dira.... quelque chose que les autres architectes puis-
sent alléguer au contraire ^ » Le Cardinal ne lui ménage pas
davantage l'argent, et Dieu sait ce que dut coûter la construc-
tion du Théâtre des Tuileries. « M. Ratabon me demande
pendant cet esté pour la salle des comédies cent vingt mille
livres sans la despence des machines qui montera encore aune
somme assez considérable et 16.000 livres pour les fondations
du gros pavillon attaché à la dite salle des comédies » écrit

1. V. raniclc très documenté de M. RabL'au dans le Bulletin de la Société de l'His-

1894-1895, p. 130.
toire de Fiiris,
2. Lettre de Mazarin du 8 août. \'. aux Pièces justificatives (VIII) la correspondance
de Mazarin avec l'abhè Buti et Colbert en 1639 et 1660.
3. .\tT. Etr., France, 280, f" 105.

4. France, 281, fo 442,


LES FKTES DV MARIAGE ROYAL llj

Colbert, le 9 un premier formidable devis avait


Avril 1660 ', et

été déjà accepté au mois de Janvier précédent. Ce ne fut donc


pas la faute de Mazarin, si le théâtre des Tuileries ne fut pas
mieux réussi.
Gaspare Mgarani commença par faire preuve d'une extraor-
dinaire incapacité de prévision. Il n'y avait pas deux mois
qu'on avait commencé les fondations, qu'il annonçait l'inau-
guration du théâtre pour le printemps suivant. Le froid vint
arrêter les travaux, mais son optimisme ne se démentit pas.
Son fils Lodovico déclare dans une lettre du 23 juillet 1660
que, le 10 août, tout sera terminé. Or le théâtre ne put, à grand
peine, ouvrir ses portes qu'au carnaval de 1662 !

On ne saurait pourtant accuser les Vigarani de paresse;


aussitôt arrivés, ils s'étaient mis à l'ouvrai^e et menaient de
front la construction de la salle et celle des machines d'après les
indications de l'abbé Buti. « Je suis bien ayse, écrivait Mazarin
à son secrétaire, le 8 août 1659, que vous ayez donné au sieur
Vigarani le comédie du grand ballet afin qu'il puisse
sujet de la
commencer aux modèles des machines qu'il faudra
à travailler

faire » et, le 19 septembre, Gaspare Vigarani mandait au Duc


;
-

de Modène « on n'a pas encore commencé de choses d'impor-


:

tance et déjà, dans ce pays, on s'émerveille de la grandeur des


machines. Sa Majesté et Monseigneur le Duc d'Anjou applau-
dirent avant leur départ à l'idée de faire une machine (qui sera
du genre du Palais du Soleil au théâtre de \^otre Altesse) spé-
cialement pour leur ballet qui est déjà commencé et en bonne
voie. Notre principal bonheur a été la bonne grâce de l'abbé
Buti qui s'est prêté à tous mes désirs en ce qui concerne la dis-
tribution et l'invention des machines, scènes, ballets et vols qui
sont en grand nombre '. »

A cette époque, les Vigarani ne tarissent pas d'éloges sur le

compte de l'abbé Buti, « leur ami particulier, l'auteur excellent


du futur opéra. » Il est amusant de comparer à ces louanges
la lettre du 23 octobre 1665 où Carlo Mgarani se plaint amère-

1. Aff. Etr., France, 910, f» 165.


2. Lettres de Ma:(arin. Impr. Nat., tome IX, p. 224.
5. Communiqué par M. Rouchès,
2l8 l'opéra italien en FRANCE

ment « d'un certain homme très méchant, l'abbé Buti, romain,


mon perpétuel ennemi et celui de la mémoire de mon père qui
savait son peu de mérite. »

Le 10 octobre 1659, Lodovico décrit


les machines de Topera

dont ni le texte musique ne sont encore termi-


poétique, ni la

nés; elles sont fort nombreuses, il y en aura « une pour Vénus,


une pour Junon, une pour Hercule, une pour les Etoiles, une
pour les hifluences et une pour les Planètes outre les vols —
et les accessoires qui resservent plusieurs fois. » Le 20 novem-

bre, il entre dans des détails plus circonstanciés. « Nous avons


donné ordre pour 2000 brasses de gaze d'argent pour faire la
mer dont on peut diminuer la grandeur. La machine de Vénus
est déjà achevée, à l'exception de l'argenture' » Le paon de

Junon a dix-sept brasses de long et autant de hauteur avec une


grande queue qu'il déploie en marchant, grâce à un mécanisme
intérieur! « Ce matin, écrit-il le 27 novembre, on a commencé
la machine de la Lune. Cette lune, placée au milieu de la
scène, s'ouvrira et montrera dans son intérieur une grande
grotte argentée afin de figurer les crevasses qu'on voit dans la
neige \ Le 19 mars 1660, Gaspare Vigarani prend lui-même
»

laplume « On s'applique peu en ce moment à la machinerie,


:

ayant déjà été fait presque tout ce qu'on peut laire en dehors
de la salle ; à savoir les très grandes assises de l'échafaudage, les

accessoires mobiles, les décors et carcasses de machines dont


les peintres tant d'architecture que de paysages maritimes et
autres ont déjà fait le principal. » Une lettre du 2 avril donne
quelques détails techniques intéressants' : « les nouvelles que

1. Correspoiiihuice des Vigiirani, p. i8.


2. //'/(/., p. 19.

3. Voici le texte de cette lettre dont M. Rouchès donne seulement une brève
analyse, op. cit., p. 25 :

« Le che gioia ho da scrivere a V. A. intorno a' mei aftari sono che di


particolarità
già le pitture avanzano, come d'un giardino, d'un vestibulo, d'un tempio, di certi
scoglii per la maritima, d'arbori per la campagna, con pensiero di sopraggiungere
pittori a quelli che di présente si ritrovono, per la grande quantità degli tellarri che vi
sono da dipingere al numéro di 144, di niaggior lunghezx.a B. 15, di médiocre B. 10,
d'infima 7 (senza gli ori/.zonti), e délie scène, et délie machine e senza gli tellari
per le mutationi di sotto il palco fino ail' ultinio di detto palco è un numéro infinito...
etc. » Arch. di Modena. Letteredi Lodovico Vi£[arani, filza 122.
LES FÊTES DU MARIAGE ROYAL 219

j'ai le plaisir de donner à Y. A. en ce qui regarde mes travaux


sont que déjà les peintures avancent (ainsi celles d'un jardin,
d'un vestibule de Temple, de quelques écueils pour la marine,
d'arbres pour la campagne) — et que j'ai l'intention d'adjoindre
d'autres peintres à ceux qui travaillent maintenant, en raison
de la grande quantité de toiles de fond qu'il y a à brosser et qui
sont au nombre de 144 sans compter les horizons; les plus
grandes avant 15 brasses, les moyennes 10 brasses, les petites 7,
et du grand nombre des scènes et des machines, sans parler des

changements qui sont en nombre infini


châssis nécessaires aux
tant en dessous qu'en dessus du plancher. » La semaine sui-
vante, Lodovico confirme que la colonnade du temple, les
rochers, les bosquets, le jardin commencent à prendre tour-
nure. « Le très beau décor des Enfers est déjà livré, c'est

l'œuvre du Signor Armanio, jeune que nous avons homme


retrouvé ici à Paris". » Les autres lettres nous entretiennent
des progrès réalisés dans les diverses machines. Le 16 sep-
tembre 1661, Lodovico en donne la liste L Scène maritime : :

l'aurore se lève pendant que la lune décline à l'horizon. —


IL Machine de Vénus qui porte, outre la déesse, les trois
grâces et un chœur d'amour. Paon — articulé de Junon.
— IIL Un Palais Royal. — IV. La grotte de Junon. Ballet
des Songes. — Y. \Y"nus, Jardins, Mercure. — Scène mari-
time, barque. — Apothéose, etc "...

Nous reparlerons de ces décorations en décrivant la repré-


sentation de XErcolc Awantc; elles paraissent avoir été fort
belles ; mais furent elles supérieures à celles de ÏOrfeo et des
No:{;:ie di PcJco ? On en peut douter à voir l'empressement que
mit Gaspare Vigarani à taire disparaître tout vestige des magni-
ficences réalisées par Torelli. Le 11 octobre 1660, en effet, la
troupe de Molière, qui jouait en la salle de Bourbon, fut bru-
talement délogée par une équipe de démolisseurs. Elle obtint
du roi la jouissance de la salle du Palais Royal et la permission
d'emporter les loges « et autres choses nécessaires pour son nou-

1. Lettre analysée par M. Rouchès, op. cit., p. 26.


2. Correspomiance des Vigarani, p. 62-65.
220 I. OPERA ITALIEN EN FRANCE

vel établissement » à la réserve des « décorations que le Sr. de


\'igarani, (machiniste du Roy, nouvellement arrivé à Paris, se
réserva sous prétexte de les faire servir au pallais des Tuilleries,
mais il les fist brusler jusquesà la dernière, afin qu'il ne restast
rien de l'invention de son prédécesseur qui estoit le Sieur
Torelli dont il vouloit ensevelir la mémoire '
».

Au
début l'enthousiasme fut grand dans Paris pour l'œuvre
de Gaspare Vigarani et, de fait, on n'avait jamais vu théâtre si
magnifique. La salle pouvait contenir sept mille spectateurs', la

scène supporter des machines élevant dans les airs près de cent
personnages à la fois. Michel de Pure, dans son Idée des Spec-
tacles, décrit ainsi le théâtre de Vigarani '
: « le corps de la Salle

est partagé en deux parties inégales. La première comprend le

théâtre et ses accompagnemens. La seconde contient le par-


terre, les corridors et loges, qui font face au théâtre et qui
occupent le reste du Salon de trois cotez, l'un qui regarde la

Court, l'autre le jardin et le troisième le corps du Palais des


Thuileries. » Le théâtre « a de profondeur vingt-deux toises. Son
ouverture est de trente-deux pieds sur la largeur ou entre les
corridors et châssis qui régnent des deux costez. La hauteur ou
celle des châssis est de vingt-quatre pieds jusques aux nuages.
Par-dessus les nuages, jusqu'au tiran du comble, pour la retraite

ou pour le mouvement des machines, il y a 37 pieds. Sous le

plancher ou parquet du théâtre, pour les Enfers ou pour les

changemens des Mers, il y a quinze pieds de profond. » ... *

La seconde partie ou celle du Parterre qui est du costé de


((

l'apartement des Thuileries a de largeur entre les deux murs


63 pieds, entre les corridors 49. Sa profondeur ... est de 93
pieds. Chaque corridor est de six pieds et la hauteur du par-

1. Rci^n'stie de La Granae, p. 27.


2. Sauvai. Aiitiquitcs... Livre XIV, p. 47.

5. Idée des spectacles aiiiieiiui nouveaux. Paris, MDCLXVIII, in-i2(B. Xat. J 1^416),
page 31 et suiv.
4. Sauvai dans les Autiquilès de la ville de Paris donne les proportions suivantes :

« Le théâtre des Tuilleries... a quarante deux toises de long sur douze de large. Il

peut tenir jusqu'à sept mille personnes. Ses dehors d'un côté sont enrichis de deux
ordonnances de colonnes doriques et ioniques, de l'autre d'un seul ordre de pilastres
corinthiens qui régnent du haut en bas de l'édifice par devant il est entouré de bal-
;

cons et divers ordres de colonnes, orné de grands çscaliers... » Livre XIV, p. 47,
LES FÊTES DU MARlACÎE ROYAL 22 1

terrejusqu'au plafond est de 49 pieds. » Ce plafond, nous


apprend De Pure, est en carton « mais composé et pétry d'une
manière si particulière qu'il est rendu aussi dur que la pierre. »

« Le hauteur jusqu'au comble où sont les rouages et


reste de la
les mouvements, est de 62 pieds. » Le théâtre comporte enfin

des galeries secrètes par où le Roy, après avoir dansé, peut se


((

retirer dans sa loge pratiquée au fond de la sale et au point de


veùe du Théâtre Reine peut passer directement des Tuil-
» et la

leries dans sa loge grillée. Il y a aussi « de grandes salles, de

belles chambres avec les escaliers dégagez, où le Roy, les Princes


et les Dames peuvent s'habiller et se coefter séparément. »
Comme on voit, la magnificence de l'édifice n'en excluait pas
le confortable. Mais un seul défaut effaçait tant de beautés :

L'acoustique y était déplorable. La voix des chanteurs ne parve-


nait pas à se faire entendre dans la vaste salle. Il faudra, après
plusieurs tentatives malheureuses, abandonner le théâtre défi-
nitivement.

II

Mazarin, de Saint-Jean de Luz où il s'était installé au mois


d'août 1639, trouvait le temps, entre deux entrevues avec Don
Luis de Haro, d'écrire à Buti pour hâter les préparatifs de
l'opéra. que Mgarani aurait terminé sa tâche pour
Il espérait
le carnaval de 1660, « A Paris... cet hiver, annonce Atto Melani

au Duc de Mantoue, le 4 septembre ', se fera un très beau ballet


avec machines et un drame, le manque de temps ne permettant
pas d'en faire davantage. Nous ne savons même pas si X'ighe-
rano f.s/V) qui a entrepris de construire un nouveau théâtre des
plus beaux qui se soient encore vus, l'aura sufiisamment
avancé pour qu'on puisse s'en servir. »
Atto Melani s'intéressait vivement à ce projet et donnait à

I. « A un btUissinio Ballctto con Macchine et un


Parigi, in quest'inverno, si farà
Dramma, non permettendo la tempo che si possa far di più, anzi non
strettezza del
sappiamo se Vigherano che ha intrapreso di tare un nuovo teatro dei più belli che si
siano ancor veduti, l'haverà tanto avanzato che vi si possi operare ». .\rchivio Gbnzaga.
Frauda 685 (1659) Diversi.
222 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Alazarin des conseils sur le choix des musiciens. L'abbé Buti


eût désiré appeler de Rome une troupe toute formée qu'il eût
pu mènera sa guise, mais Atto en détourna Mazarin' : il lui
vanta le génie de Francesco Cavalli dont il avait déjà chanté
plusieurs opéras '.

Dès le début d'août, Mazarin était bien décidé à appeler


Cavalli à Paris. « Pour ce qui est de faire venir Cavalli de
Venise, écrit-il le 8 à Buti, les difficultez qui s'y rencontrent et
tout ce qui regarde cette matière, j'approuve ce que vous me
proposez et me remets entièrement à ce que vous résoudrez...
On que quand mesme vous accorderez tout au Cavalli,
m"a dit
il ne pourra pas venir sans permission dela République au ser-

vice de laquelle il est engagé; c'est pourquoi il fiiudroit que


vous écrivissiez à M. l'Ambassadeur de Venise de ma part afin
qu'il priast ses supérieurs de luy donner congé de venir en

France et luy conserver même pour quelque temps les émolu-


mens de la charge qu'il a à \'enise '. » La semaine suivante, il
renouvelle ses instructions « J'espère que suivant la faculté
:

que je vous ai donnée, vous pourrez aisément résoudre le Sr.


Cavalli de venir servir le Roy que quand ce ne seroit que pour
un an ou dix-huit mois et je m'asseure que si vous avez recours,
comme je vous ai escrit, à l'Ambassadeur de Venise afin qu'il
en escrive au Sénat, le dit Sr. Cavalli recevra non seulement
la permission de venir, mais un ordre exprès de le faire. Enfin

il se faut appliquer à avoir absolument cet homme-là, car


pour faire venir le frère de Luiggi et sa femme, je n'en suis
aucunement d'avis'. »
L'abbé Buti, moins soucieux, scmble-t-il, de voir un grand

1. Lettre d'Atto au Prince Matliias, du i^i- mars 1660: « L'ahate Buti è quello che

ha composta la poesia del Ballctto e commedia che si deve tare, essendoperô una scia
lesta. Costui ha pensato di far venire una compagnia di Romaneschi, per esserne il
capo, o per governarli a modo suo, ma perché non ne seguiva il scrvitio di S. M.,
proposi il signor Cavalli per Compositore, il signor Gio. Carlo per sonar l'arpa et
altri virtuosi, creduti da me i megliori, i quali sono stati preferiti a quelli che pensava
di lar venire... » Ademollo Priiiii fasli..., p. 70.
2. A Paris VI:i;isto, en 1646, à Florence le .V('/.sy, en i654(.Vdemollo, op. cit., p. 70,
note i).

3. Pièces justificatives VIII, n" i.

4. Lettre du iH août 1639. Pièces justilicatives \'IIL n'-' 2.


LES FETES DU MARIAGE ROYAL 223

artiste composer la musique de son opéra, que d'avoir à Paris

un compositeur tout à sa dévotion, voulait appeler le frère de


Luigi Gio. Carlo Rossi, fameux comme joueur de harpe et
:

assez estimé comme auteur de cantates '. Mazarin, mis en garde


par Atto Melani, s'v refusa longtemps : « je suis persuadé que
sy le Cavallo vient de Venise comme je l'espère, nous aurons
assez de luy pour tout ce qu'il y aura à faire », écrit-il le
27 août'. Buti prétendait en effet que Cavalli trouverait en
Gio. Carlo Rossi un habile second qui lui rendrait de grands
services. A la fin, Mazarin céda : « J"ay reçu votre lettre du
2/'-' d'Août, j'attends avec impatience de sçavoir la résolution
que le sieur Cavalli aura prise, je ne manqueray pas lorsque je

seray à Bordeaux d'en dire M. l'Ambassadeur de un mot à


Venise, afin que s'il y a encore quelque difficulté au voyage
du dit sieur Cavalli, elle puisse estre surmontée par ce que le
dit Ambassadeur en escrira\ Si vous croyez absolument néces-

saire de faire venir le frère du feu sieur Luigi, je remets à vous


de faire ce que vous voudrez et je consens aux cent escus par
mois que vous proposez de luy donner, mais je ne croy pas
que vous vous deviez haster de l'appeler parce que peut-estre
il ne sera pas nécessaire qu'il vienne sy tost, sur quoy je pren-

dray le soin de vous faire informer assez à temps de ce qu'il y


aura à faire '. »

Cavalli n'accueillit pas avec l'empressement qu'on pourrait


croire l'offre de venir servir le Roi Très Chrétien à l'occasion de
ses noces. Il occupait à W^nise une haute situation et se sou-
ciait peu, à soixante ans, d'exposer sa santé chancelante en
courant les grands chemins. Tout d'abord, pressenti par quel-

que correspondant de Mazarin qui avait fait miroiter à ses


yeux l'appât d'une magnifique récompense, il avait accepté ;

mais ensuite la lettre de Buti qui fixait beaucoup plus bas le

1. On trouve des can^oni et des cantates de Gio. Carlo Rossi dans divers recueils
du temps : A Venise la canzoue « Dio, cotiie devo Jare » » (Codici Contarini 116). A
Paris, à la Bibl. S'e-Geneviève Oii mi : soccorc, obiiiie ! A Rome, à la Bibl. Chigi :

E\os'i dolce la peiia cb'io sento et Tair à 5 voix Xo)i ho che penler pin (Q. 1\', 16 et 18).
2. Pièces justificatives VIII, n" 3.

3. Mazarin revient sur ce point, le 27 septembre. V. Pièces justificatives VIII, n° 5.

4. Pièces ^'ustificatives Mil, n° 4.


224 LOFERA ITALIEN EX FRANCE

chillVc de hi somme promise, l'avait détourné d'entreprendre


un si long voyage pour un bénéfice médiocre. Dans ces dispo-
sitions, le 22 août 1639, il prit la plume pour répondre à l'abbé
Buti et rédigea une lettre assez embrouillée, où sous les for-

mules de politesse, apparaît fort nettement sa préoccupation.


un document précieux qui nous révèle sous un jour
C'est là
nouveau la personnalité et le caractère du grand dramaturge '.

Très illustre, très révéré Seigneur et Protecteur très


honoré.

Ma plume ne connaît pas de termes qui soient assez forts


pour exprimer le sentiment respectueux avec lequel j'ai noté
en mon cœur la bienveillance avec laquelle Son Eminence le

Cardinal Mazarin s'intéresse à ma gloire et veut m'élever à la


félicité de servir une si grande couronne; et, d'autre part, je me
reconnais impuissant à rendre à Votre Seigneurie les grâces
qui lui sont dues puisque c'est Elle qui a pris à cœur de me
persuader de venir tenter une telle fortune. Son Eminence peut
être persuadée que mon âme conservera de son très auguste
mérite un respect aussi éternel qu'elle-même et V. S. peut être
assurée de mon entière dévotion jusqu'à mon dernier jour.
Ce n'est ni l'appas des mille doublons, ni les autres offres
qui m'ont engagé, V. S. peut m'en croire, à changer mon exis-

tence pour passer par delà, mais la conscience de la très glo-

rieuse occasion qui s'offrait à moi. \\ S. peut croire comme


l'Evangile qu'après avoir écrit, à mieux considérer et mon âge,
et ma santé et mon accoutumance à ce climat, je me suis

repenti, ne pou\ais pour l'heure me dédire. Le


l'outelois je

Ciel qui conduit tout pour le mieux par des voies inconnues,

même lorsque nous ne le savons pas, a fait que, les conditions


qui me furent proposées n'étant ni celles qui m'avaient été pro-
mises, ni celles que j'avais demandées, j'ai pu reprendre ma
parole. J'assure V. S. sur mon honneur que ce n'est pas la dimi-
nution des offres qui m'a détourné de partir; c'est la cons-

I. NoLis avons eu la bonne fortune de découvrir, absolument par hasard, cette


lettre dans le fonds Rome où elle était égarée. Nous donnons le texte original de

cette lettre aux Pièces justificatives \'I (Afï. Etr. , Corresp. dipl. Roiiu' 157, f" 263).
LES FETES DU MARIAGE ROYAL 22)

cicncc d'avoir une complexion trop débile pour résister à ce

voyage et m'acquitter de la tâche due, qui m'a fait accueillir

l'occasion, que je souhaitais, de revenir sur mes pas après m'étre


laissé entraîner par le désir de servir de si grands Princes et un
Roi si fameux ; aussi bien, mon impuissance m'eût dû empê-
cher d'agir ainsi.
J"ai une santé naturellement très débile, encore aggravée par
l'âge, par l'étude et par mes occupations. Je compose seulement
lorsque m'en prend la fantaisie et suis si peu résistant à la

fatigue que une heure seulement de plus que de


si je travaille
coutume, je tombe que V. S. considère
aussitôt malade. Ainsi,
si je suis en état de m'exposer aux dangers du voyage et si je

puis ensuite servir comme je le devrais. En vérité ce serait


aller chercher la mort.
Pour ce qui est de mes affaires, depuis la rupture des
engagements, je les ai reprises. Je suis retenu ici par le service
des Grands, par des charges très importantes et par les théâtres
qui me procurent de gros bénéfices. Tous ces avantages
dont je jouis ici où je possède une maison commode à sou-
haits, je n'ai guère envie de les abandonner pour m'en aller à

rencontre d'incommodités évidentes et de dangers divers, au


risque de tout perdre et de me perdre moi-même. De tout ce
que je Son Hminence est maîtresse et je prie X. S.
puis faire ici,

de recevoir aujourd'hui pour toujours l'hommage de ma dévo-


tion. Bien que les Royaumes nous séparent, S. peut être W
assurée que la reconnaissance que j'éprouve pour l'estime qu'on
veut bien témoigner à ma faiblesse, m'enchaîne là-bas avec
respect. Je consacre ma plume au service de Son Eminence,
puisque je ne puis me prosterner moi-même à ses pieds et tout
ce que je puis valoir est entièrement à ses ordres. Puisque je

ne puis passer par delà, du moins j'envoie mon cœur plein


d'humilité et mon âme respectueuse qui, durant l'éternité, sera
l'esclave de Son Eminence et je demeurerai toujours de V. S.
très illustre et très respectée
Le très dévoué et très obéissant serviteur,
Franccsco Cavalli.
De \'enise, le 22 Août 1659.
226 l'opéra italien en FRANCE

Mazarin, en lisant cette lettre que lui transmettait Tabbé Buti,


crut que tout espoir de décider Cavalli était perdu. Le 20 octobre
1659, il mande à son secrétaire: ... « Puisqu'on ne peut pas
s'attendre au sieur Cavallo, qui déclare ne pouvoir venir en
aucune façon, il faudra songer à quelqu'autre. Et celuy mesme
d'Inspruck que vous proposez, si vous continuez à avoir de
bonnes relations de sa suflisance mais il y a du temps, car les ;

resjouissances pour le mariage du Roy ne debvront estre laites


qu'à la fin de l'année prochaine. Il me semble qu'il ne faut pas
se haster à faire le choix d'un maistre de capelle et des autres
musiciens qu'il faudra prendre afin de ne choisir rien qui ne
soit bon et qui ne puisse bien servir '. »
Il semble que le musicien d'Innsbruck, recommandé par Buti,

n'était autre que le fameux Cesti, celui que Salvator Rosa appe-

lait dans une lettre à Giulio Maffei, « la gloire et l'illustration

des scènes profanes." » Né vers 1620, il avait commencé par


être frère minime dans un couvent de \'olterra; il s'était révélé à

Venise avec ÏOrDiili'ct, en 1649, et n'avait pas tardé à devenir


célèbre: «J'ai des nouvelles de notre Padre Cesti; — écrivait

Salvator Rosa, le 30 novembre 1652, — à Venise, il est devenu


immortel et on l'estime le premier de ceux qui composent

1. AfF. Etr., France 281, fo 227.


2. Salvator Rosa écrit à
Giulio Maft'ci, qui est à Florence, le 3 juillet 1650 « Se :

mai con quel Sigr Cesti, che una volta in Volterra era frate et al présente
vi abbattete
gloria e splendore délie scène secolari, fatcli una raccommandatione da mia parte
e diteli che studi nelle materie délia musica, chè si far.'i un grand'huomo. Con patto
perô che la.sci star l'Anna Maria la quai corne donna dà canzoni a can/.onette ».
Poésie e lellcvc alite e inédite di Salvator Rosa publirale criticaiiieiite per cura di

G. A. Cesareo. Napoli 1S1/2. Tome II, page )i.


Dans une lettre du 24 août 1650, SalvatcM' l'ait allusion à une aventure qui avait
sans doute déterminé le départ de Florence du compositeur « Ma parliamo di cose :

malinconiche. Corne è andata la cromatica cantata a B. duro del nostro povero P.


Cesti? Per Dio, che me ne dispiace, ma cosi interviene a chi vuol dimostrare di non
csser né Frate, né Secolare. Mi dispiace che in lui si siano veriticati miei versi délia i

Satira délia Musica, quali dicono in un luogo :

Poi cliL- sovcnti si)iio

c.ihimità del Icgiu), c ilcl rasoio.

(ibid., II, 56).


De Rome, Salvator écrit à Maffei,le 30 novembre 1652 « Ho nuove del nostro
P. (".esti che inVenetia è divenuto Imortale e stiinato il prinit) huomo che oggi
componga in musica, alla barba del Basso che li voleva dar di naso in c.o (II, loi)
V. aussi p. 130.
LES FETES DU MARIAGE ROYAL 227

aujourd'hui en musique. » La cour autrichienne faisait alors


appel pour ses divertissements aux compositeurs et chanteurs
Il est donc probable que, dès cette époque,
des théâtres vénitiens.
Cesticommençait à faire de fréquents séjours à Innsbruck et à
Vienne. Au mois de décembre 1659, il se rendit à Rome et se fit
admettre parmi les chanteurs pontificaux ', mais il était demeuré
en rapport avec les souverains autrichiens puisqu'il composa, en
1661, 1(1 Dori sur l'ordre de l'archiduc Ferdinand-Charles. Cet
opéra, représenté aux noces de Côme de Médicis et de Margue-
rite-Louise d'Orléans, soulevaun si grand enthousiasme dans
toute qu'Adami da Bolsena l'a pu proclamer « la splen-
l'Italie

deur suprême du style théâtral » ". On voit que Alazarin était


fort exactement renseigné sur le mouvement musical en Italie,

puisqu'à défaut du grand Cavalli il songeait à faire \enir son


rival le plus glorieux.

Cavalli, après avoir envoyé sa lettre, reçut de l'abbé Buti des


offres si engageantes que, brusquement, oubliant son âge, sa
santé chancelante et les devoirs de ses charges, il se résolut à

partir. Il n'avait pourtant pas menti en parlant des gros intérêts


qu'il sacrifiait en s'en allant. En 1638, il avait signé avec le

directeur du San Cassiano un traité aux termes duquel il s'enga-


geait à lui fournir durant trois chaque hiver, un opéra
ans,
nouveau et à en diriger l'exécution, moyennant un traitement
fixe de quatre cents ducats par saison'. Il dut être obligé de

1. Cf. Celani, / Cantori délia Cappella Poiitificia iiei secoli XVI-XVIII, Rivlsta iiiiis:-

cale 1909. Il cnlra en fonctions le 21 décembre 1659. En février 1662, il est fait men-
tion sur le registre Dei Piiiitalori du signer Giovanni Ricchi qui touche le traitement
de Cesti » hoggi assentato dal servitio per ordine di X. S., havendone Sua Maestà
Cesarea supplicato délia licenza S. S. per detto Cesti ». En 1662, Cesti fit en effet
représenter à Innsbruck la Magiianimità d'Alessancho
2. Ossen'aiio)ii..., p. 205. Sur les représentations de la Dori à Florence, voir Baldi-
nucci, Xotiiie de' professori del disegiio. Florence, 1728, p. 588.
En 1664, Cesti est dénommé « musico del Sereniss. Ferdinando Carlo, Arciduca
d'Austria » dans le livret de l'opéra : Jlessandro il Vincitordi se stesso. Cf. \\'otquenne.
Libre! ti... p. 11.
Cesti, le i"'r janvier 1666, devint Vice-KapeUineister de la chapelle de l'empereur
Leopold I, qu'il servit jusqu'à sa mort, survenue à Venise en 1669. V. Kôchel Die :

Kaiserliche Hof-Musikkapelle ini IFieii. Wien, 1869, in-8" (p. 106 et passim).
3. Kretzschmar, Jahrhiich Peters 1907. Il que M. Kretzschmar ait jugé
est regrettable
inutile depublierle texteoriginal des précieux documentsdécouvertsparM. Taddeo W'iel.
228 l'opéra italien ex FRANCE

paver un dédit considérable au directeur, qui se vit dans l'obli-

gation de fermer son théâtre durant toute la durée de l'absence


du compositeur '.

Mazarin témoigna un vif contentement en recevant la nou-


velle du revirement de Cavalli « J'ay esté bien aise, écrit-il le
:

i6 novembre 1639 a Buti, d'apprendre que le sieur Cavalli ayt


pris la résolution de venir servir le Roy dans les festes qu'il

faudra faire pour son mariage. Mais comme ledit sieur Colbert
me doit venir trouver à Noël et que je luy mande de vous
amener avec luy, l'ayant jugé tout à fait nécessaire pour con-
férer et prendre résolution de ce qu'il faudra faire après vous
avoir entretenu, je remets pour alors à examiner tout ce qu'il

y aura à faire à l'égard dudit sieur Cavalli et des cinq personnes


qu'il doit amener avec luy ". »

Cavalli, avant de quitter \"enise, eut l'occasion de mettre son


talent au service de la France. Les ambassadeurs du Roi Très
Chrétien célébrèrent fastueusement dans toute l'Europe la nou-

velle de la glorieuse Paix des Pvrénées. L'archevêque d'Embrun,


qui représentait la France à Venise, ne voulut pas être des der-
niers et donna une fête superbe. « Monsieur l'Archevesque
d'Embrun, Ambassadeur \ alla dimanche au matin, ly du mois
de Janvier 1660, dire la Messe en action de grâces à Dieu dans
l'église des Jacobins des Sts. Pierre et Paul, une des plus belles

de la ville et ensuitte, environ une heure après, il fist chanter un


Te Dciiui et une Crande Messe par les religieux du couvent avec
une musique solennelle en deux chœurs diftérens sur des Pal-
ques ou Tribunes portatives, composées de trente voix des
meilleures de la chapelle de St. Marc et de celles des plus célè-
bres musiciens qui sont venus icy pour chanter dans les opéras
ce Carnaval et de quinze instrumens violes, violons, cornets et
certaines trompettes ajustées à la musique, de l'ordre de
M. Cavalli, le premier homme d'Italie dans son art. » Relatant
cette cérémonie à Mazarin, l'archevêque d'Embrun déclarait

1. Galvani, Teatri di Vene~ia, p. 22.


2. Pièces justificatives VIII, no <S.
5. << Relation des festes qini fait foire Mous. J'Arclievesque d'Aïubniii, Aiiihassadeur
extiiiordiiiiiire du Koy à l'eiiise ». AH. Htr., /'ch/.çi', corrcsp. diploni. 80, I" 31 et siiiv.
LES FÊTES DU MARIAGE ROYAL 229

fièrement' La musique du Te Deiiin et de la Messe que j"ay


: «

fait chanter a esté si excellente que j'ay bien du déplaisir que

le Rov n'en puisse avoir une égalle en France,- parce qu'il y

faudroit mener non seulement M. Cavalli, maître de musique


estimé au dernier point dans son art, mais aussi tous les vir-
tuosi qui sont venus ici pour chanter dans les opéras et cela
n'est point possible . »

M. l'archevêque d'Embrun dut être fort étonné quelques jours


plus tard en recevant de Mazarin la lettre suivante qui s'était

croisée avec la sienne: « Monsieur, le sieur de Fonsampierre de


Lvon vous remettra par mon ordre sept cent cinquante pis-
tolles à \'enise. Je vous prie d'en donner six cens au sieur
Cavalli, organiste de St. Marc, que le Roy fait venir en Franc^
pour servir Sa Majesté dans la solennité de ses noces, afin
qu'il en prenne mille escus pour ce qu'il distribue le surplus
entre les quatre et le copiste qui le doivent accompagner dans
son vovage ; et quant aux autres cinquante pistoles restant,

vous les délivrerez s'il vous plaît au sieur Jean-Paul Bonelly,


italien, dit le Carpani. quy chante la taille et est parti de

Vienne, où il estoit au service de l'Empereur, exprés pour


venir avec toute sa famille servir le Roy.
« \'ous pourrez en outre asseurer ledit sieur Cavalli en telle
forme qu'il s'en retournera quassy aussitost la feste et solem-
nité des dites noces achevées. Il sera libre de s'en retourner
avec tout son monde on luy donnera alors
et que. pour cet effet,

encore six cens pistolles pour estre partagées ainsy que dessus
et en outre un régale raisonnable pour lui et pour chacun des

austres et Sa Majesté désire que vous fassiez de sa part les ins-


tances nécessaires pour faire accorder au dit Cavalli permission
de venir servir le Roy dans l'occasion de son mariage et' pour
luv faire conserver durant son absence les employs qu'il a de
là et les gages et émolumens quy y appartiennent. Je suis etc.

— à Aix le 2) janvier 1660 \ »


1. Lettre du 31 janvier 1660. Aff. Etr., Venise, corr. dipl. 80, f" 27.

2. Ason retour en France, l'archevêque d'Anibrun reçut une somme de 6.000 livres
« pour les despences qu'il a faites pour les resjouissances de la paix ». B. Nat., Mss.
Cinq-Cents Colbert 106, f" 630 v".

3. Aff. Etr., Venise 80, f° i).


230 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Il convenu que Cavalli n'arriverait à Paris que pour


avait été
la Samt-Jean (23 ou 24 juin 1660'). L'archevêque d'Embrun

avait donc tout le temps voulu pour les démarches. Il com-


mença par faire tenir à Cavalli la somme envoyée par jVIaza-
rin' et attendit le mois de mars pour se rendre à l'audience
du collège et demander le congé de Cavalli qui lui fut
accordé, sous condition que le musicien reprendrait son service
aussitôt après la célébration du mariage royal'. Les Jtti de'
procuralori nous ont conservé le texte de la délibération qui
s'engagea à ce sujet: Dcniaïulc : « Sa Majesté voulant faire de
magnifiques démonstrations d'allégresse à la solennité de ses
noces avec S. A. S" l'Infante d'Espagne, recherche de tous côtés
les personnes les plus célèbres dans toutes les professions et
ayant appris que le Sig. Francesco Cavalli, organiste de St.

Marc, est un homme excellent pour la composition des opéras


en musique, Elle m'a commandé de supplier Votre Sérénité
de lui accorder la permission de faire un voyage en France afin

de faire usage de ses talents en cette occasion ; mais ne devant


l'employer que peu de temps, Sa Majesté désirerait que Votre
Sérénité daignât lui conserver sa charge avec ses émoluments
durant le temps qu'il la servira en cette solennité. »

Le Priiiee Séréiiissiiiie dit :« C'est une affaire de peu de consé-

quence. Il sera facile de vous accorder satisfaction. Ces mes-


sieurs vont réfléchir et tout se fera à la satisfaction de Sa
Majesté Très Chrétienne, par égard aussi à l'intervention de
votre Seigneurie, que nous aimons extrêmement *. » Cavalli,

1. Lettre cr.Vtto Melani tlu 2(S février 1660, publiée par Adcmollo, Pn'iiii fasli,
n" 68.
2. Lettre du 2(S février 1660 de l'Arch. d'Anibrun à Mazarin « S'il plaisoit à\^ E. :

de donner ordre pour me faire tenir une lettre de change par la voye de Lyon ainsy
que j'ay receu celle des sept cent cinquante pistolles pour M"" Cavalli et un autre musi-
cien, qui seront payez la sepmaine prochaine ainsy que j'en escris plus particulière-
ment à M. l'abbé Boutti... » Venise 80, f" 55.
3. Une lettre date du 6 avril doit être la réponse
adressée ù l'ambassadeur en
officieuse du Prince « Per quello riguarda la istanza del Cavalli, organista délia
:

chiesa nostra di San Marco, si danno gli ordini necessarii a fine possi passarsene al
Servltio di S. M'a per la vicina occasione dcUe nozze. Ben certi che, terminata la
funtione istessa, sarà egli per ricondursi di quà alla continuatione del suo impiego non
meno necessario, che accettô ». Venise 80, fo 79.
4. On trouvera le texte original de cette délibération dans Cafil, Storia dclla Mitsica
sacra. Tome 1, p. 278 et 279.
LES FETES DU MARIAGE ROYAL 23 1

libéré de ses obligations professionnelles envers laRépublique


par un décret du 1 1 avril 1660, se mit en route pour la France
'

en compagnie de son copiste et de trois musiciens'. Il arriva à


Paris, au mois de juillet, et tout de suite commença à revêtir de
musique le livret de Buti Vlirrok Aiuautc, attendant avec impa-
:

tience le retour de Mazarin.

111

La construction du théâtre des Tuileries et le vovage en


France de Cavalli donnèrent moins de peines et de tracas à
Mazarin que le recrutement de la troupe italienne. Le cardinal
prend tellement à cœur la réussite de son entreprise qu'il ne
peut se résoudre à laisser à Buti l'initiative d'engager des chan-
teurs et des instrumentistes. Il écrit lui-même à ses corres-
pondants étrangers pour avoir des renseignements sur leurs
mérites et, chaque semaine, expédie à Buti de longues missives
pleines de conseils et de recommandations:
vous prie, lui « Je
mande-t-il le 8 août 1659, de vouloir bien examiner les per-
sonnes qu'on prendra tant pour chanter que pour jouer des
violons et autres instrumens; car ils faut qu'ils soyent chacun
exécutant en son mestier afin de former un corps de musique
duquel il n'y ayt pas lieu de se moquer, car vous savez bien
que les François y sont assez disposez. C'est pourquoi je vou-
drois avoir plustost des personnes insignes et augmenter la
despence que non pas des personnes d'un talent ordinaire et à
bon marché. » ^'isiblement Mazarin s'attend à livrer bataille à
^

un public moqueur et hostile, il veut avoir dans son jeu tous


les atouts.

1. Décréta délia Magistralitia de'procuyatoriiicIT ii Aprilc 1660. Sia concesso a <<

Domino Francesco Cavalli, organista, che parla per la Francia, quando sarà per dette
Sig. Ambasciatore rieSrcato per la solennità del matrimonio del Re Cristal" et ivi si trat
tenga fino al fine di dette solennità, con sicurezza che gli sarà risérvato il luoco ed
emolumento suo fino al suo ritorno in questa città. Côsi anche essendo la publica
intentione dcll' Eccm" Senato », cité par Caffi.
2. Parmi eux étaient 2 musiciens de la chapelle ducale : le sopraniste Giovanni
Calegari et le teuor Giannagostino Poucelli. (//'/</., 1, p. 279).
3. Pièces justificatives, VIII, no i.
232 LOFERA ITAI.IEX EX FRANCE

Le premier chanteur que le cardinal résolut d'appeler en


France fut Giovanni Paolo Bonelli, ténor de la chapelle de
Menne'. C^et artiste, se rendant en Piémont, était passé par
Paris et y avait eu du succès. Mazarin lui fit écrire à Turin,
mais dans l'intervalle il était reparti pour Vienne. « Je voy,
écrit le cardinal le 8 août', que le musicien que nous atten-
dions du Piedmont s'en est allé servir l'Empereur. Comme il

estoit excellent et qu'il avoit fort plu à Paris, je suis marry


que nous l'ayons perdu et il faudroit voir si en luy faisant
escrire à Vienne, on le pourroit obliger de s'en venir à Paris,
l'assurant qu'il ne recevra pas seulement bon traitement, mais
qu'on le garantira de tout ce qu'il pourroit appréhender du
costé du Piedmont. Je vous prie donc d'y songer et de faire
vos diligences pour cela en luy faisant mesme offrir un bon
adjudo di cosia pour le voyage. » Buti écrivit aussitôt à Bonelli
pour lui proposer une assez forte somme s'il voulait servir le

roi avec sa femme la Signora Camilla Bonelli; celle-ci était en


effet une virtuose renommée et avait rempli, en 1650, avec
grand succès, le rôle d'Angélique dans la Bradaiiniiitr de Cavalli
au théâtre Grimano de \YMiise'. Buti ne paraissait pourtant
pas très sûr de son mérite, car Mazarin lui écrit, le 21 octobre :

« puisque vous avez encore affaire d'une femme et que celle

de Bonelli qui est à \'ienne ne peut servir, il ne faut pas songer


à mon advis à la faire venir '. » On a vu pourtant que la lettre

adressée à l'archevêque d'Embrun, en janvier 1660, pour le

vovage de Cavalli, fait mention du a sieur Jean Paul Bonelli


italien dit le Carpani qui chante la taille et est parti de Vienne

exprès pour venir avec toute sa famille servir le Roi. » Bonelli


hésita-t-il au dernier moment et revint-il à Vienne ? Ce qui est

certain, c'est qu'il ne parut ni dans le AVnr, ni dans Flircole

Aiiiaiilc '

1. Il était entré à la Ho/kupelle le i<^<- juillet 1657. V. Kochel, Die Kdiserl. Hof-
Miisikiipellf ni li'iiii ivii )4^-iS6j... W'ien, Heck (p. 62).
i

2. Pièces justificatives, \'III. no i.


3. Ckilvani, Ti'iilii Miisicali di Viiic-ia, p. 33.
4. Pièces justificatives, VJII, n" 7.
5 Kochel ne mentionne pas ses absences de la chapelle impériale. Ce qui donne à
penser qu'il ne demeura pas longtemps éloigné de \'ienne. Il fit partie de la
LES FÊTES DU MARIAGE ROYAL 233

En dehors du ménage Bonelli, Mazarin ne songea d'abord à


engager que deux virtuoses seulement. « Je ne voudrois pas,
expliquait-il à Buti, que nous nous chargeassions insensible-
ment de gens qui ne chantassent parfaitement bien et vous
savez qu'il n'y a rien de si rare qu'un bon musicien Je
voudrois seulement qu'on continuât pour faire les diligences

venir le frère d'Atto qui est au service de l'archiduc Sigismond


et la Basse qui est au service du duc de Bavière et sy pour '
;

les faire venir il faut eslargir la main et leur donner quelque

chose de plus pour leur voyage, je me conformeray volontiers


à que vous résoudrez là-dessus ". » Ce frère d'Atto dont
ce
il est ici question n'est autre que le Padre D. Filippo Melani,
le singulier personnage dont nous avons déjà parlé et qui, tout
à la fois moine et castrat, avait obtenu l'autorisation de quitter
son couvent et d'aller par le monde chanter l'opéra '. Il arriva
à Paris à la fin de 1639, et nous savons, par les lettres de son
frère, qu'il ne s'y plut pas beaucoup \
A l'appel de Mazarin, les chanteurs ne tardèrent pas à affluer \
Buti s'empressa d'organiser des concerts dans le palais du cardi-
nal, auxquels voulurent assister tous les mélomanes de la

cour. L'amour de la musique italienne n'était pourtant pas


assez fort pour empêcher les courtisans de converser entre eux
à haute voix et même de se disputer bruyamment, à la grande

Kofkdpelle jusqu'en 17 12 et mourut en 17 18 (le 10 décembre). Sa veuve, Camilla Bo-


nelli, touchait une pension de l'empereur en 1719. V. Die Kaiser!. Hof-\tiisikkape!Ie
in IVien (p. 62).
1. Sans doute le chanteur Assalone.
2. Pièces justiticatives, VIII, n" 2.

5. Ilau service de l'archiduc Sigismond d'Autriche et avait, comme son frère, un


était
goût si prononcé pour les intrigues diplomatiques et l'espionnage que les Espagnols
exigèrent de l'archiduc, au début de 1659, l^-^''^ ^^ l'amenât pas avec lui dans les
Flandres. V. AdemoUo, Un Cainpanajo e la sua faniif^lia —
FanfitUa délia Dontenica,
no 52 (1883).
4. « D. Filippo mio tratello è restato consolatissimo in vedere quanto \'. A. lo
consideri, et accerto l'A. V. che anche egli vive impatiente d'inchinarsele, e non le

place punto la Francia e meno la città di Parigi. » Lettre au prince Mathias, du


22 octobre 1660, publ. par AdemoUo, Pritiii fasti, p. 76.
5. Le 15 novembre, Colbert écrit de Paris à Mazarin: « Nous avons icv quatre
musiciens auxquels j'av fait payer leur voyage suivant le mémoire qui m'a été donné
par l'abbé Butv dont j'envoye copie à V. E... » Ms. de la Bibl. Nat., Pap. Balii;e,
vol. 532, fo 60 Vf.
234 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

indignation des véritables dilcttanti. L'évcquc de Coutances,


dans une lettre à Mazarin en date du ^o novembre, décrit

une scène de ce genre « cet après midy, entre trois et quatre


:

heures, M. l'abbé Bouty ayant fait faire la répétition d'un


concert de symphonie et de musique italienne en une
chambre du palais de \\ IL, il s'y est trouvé plusieurs per-
sonnes de condition de l'un et l'autre sexe entre lesquelles le
Marquis de Linas et M. de Perigny '
ont eu quelques parolles
au subject d'une galenterie que le dit sieur de Perigny disoit
à une damoiselle de condition qui estoit à côlù de luv. »
Des mots on en était venu aux coups et l'on avait eu grand'-
peine à mettre fin à cette algarade. « Je crois, ajoutait le

que Messieurs les chanteurs et symphonistes ne se com-


prélat,
mettront pas une aultre fois pour estre aussy mal à propos
interrompus de gens qui ont si impertinemment troublé leur
belle harmonie, dont tout le monde sortoit avec admiration
sans cet inconvénient qui a gasté la feste et de laquelle ledit
sieur Bouty m'estoit venu prier, n'en ayant pris connaissance
un quart d'heure auparavant'.... »

Mazarin estima qu'il était dommage de faire venir à si grands


frais des virtuoses d'Italie pour les hiisser à Paris, quand toute
la cour se trouvait dans le midi. Il pressa donc Buti de lui
envoyer des chanteurs : « comme il y a apparence que le

Roy ne retournera pas à Paris que l'aftaire de son mariage n'ayt


esté exécutée je crois qu'à mesure qu'arriveront les musiciens
;

que vous attendez de divers endroits vous les pourrez faire


partir pour joindre les autres qui sont icy auprès de moy afin
de ne les laisser pas oisifs à Paris \ » Mazarin ne s'était pas
séparé en efi'et de ses chanteurs favoris. Il avait emmené avec
lui Atto Melani, la Signora Anna Bergerotti et sans doute
Tagliavacca. De son côté, le roi avait fait partir à sa suite la
bande des Petits Vioh)ns '
et une troupe de comédiens. Avec

1 . Le président Perigny qui faisait assaut d'esprit avec Benserade et composait des
vers pour les ballets et des paroles de chansonnettes,
2. Aff. lùr., France, 281, f" 442.
3. Lettre du 27 septembre 1659. Fniiice, 281, f" 75 v".
4. de Bordt'aux, le 29 septembre 1659, à Mazarin « Le valet de
Barthet écrit :

chambre de M. Don Louis Cde Haro) aura bien des choses à dire, il a veu souper le
LES FÊTES DU MARIAGE ROYAL 235

de tels éléments on pouvait se divertir. Le jeune monarque ne


cédait qu'avec une peine infinie à la raison d'Etat qui lui
ordonnait d'abandonner Mademoiselle Mancini pour épouser
l'Infante d'Espagne' et s'étourdissait en jouant un jeu d'enfer,
perdant en une soirée « 2.000 pistoles avec un médiocre mal-
heur', n

Colhcrt ditTéra durant près de deux mois l'envoi des chan-


teurs réclamés par le Cardinal : « Je n'ay pu encore faire partir

les musiciens, expliquait-il, parce que je ne suis pas encore


informé si \ . E. demeurera à Toulouse ou sy Elle ira en
Provence, j'attends la nouvelle de cette résolution pour prendre
mes mesures, soit pour envoyer lesdits musiciens, soit pour
mon voyage'.... » « Je vous prie, ordonnait Mazarin, de faire

partir sans délai les musiciens, bien entendu que leurs femmes
demeureront en quelque lieu ^ » « Si j'avois sceu, répondait
Colbert, quelle route on auroit peu prendre pour joindre la
Cour, j'aurois envoyé dès il y a longtemps les musiciens ita-
liens qui sont icy. Le sieur Sillori, ajoutait-il, m'a dit que \\ E.
agréeroit que j'envoyasse soulz son addresse un livre de musique
pour la Signora Anna'. » Enfin, le 30 novembre, il annonçait
à Mazarin que ses vœux allaient être exaucés « M. Ratabon par- :

Roy, la Reyne et Monsieur en famille... Il vit arriver le Roy avec la Reyne et Mon-
sieur suivis, sans mentir, de cinq cents personnes, il fut si estonné de ce mangé en
particulier qu'il ne sçavoit quel jugement en faire. Les petits violons jouoient qu'il trouve
admirable. » Aff. Etr., France, 908, fo 151.
1. En octobre 1659, il envoie à M'I^ Mancini un des petits chiens de sa chienne

favorite, Friponne, (France, 908, fo 86 vo).


2. Lettre de Barthet à Mazarin du
5 octobre 1659 ^^ Bordeaux :

« La Cour du matin par la cruauté de la marée pour aller à Cadillac.


part à 6 heures
Je veux dire le Roy, la Reyne, Monsieur et toutes les dames avec les principaux

officiers les comédiens qui suyvent la Cour y seront. Il v a un jeu de billard et des
:

violons de ceste ville, en voylà presque assez avec le soupe pour


y passer le temps
sans ennui depuis trois heures après-midi jusqu'à minuit... » (France, 908, f" 191).
Comme on voit, le voyage se passa fort gaiement le 14 septembre, Barthet écrivait ;

de Bordeaux Mademoiselle donna hier au soir chez elle le Bal, la Comédie et lin
: «
Ambigu à 2 heures du matin. Monsieur y estoit et je crois Bourdeaux tout entier. Le
Roy n'y fut pas. Monsieur a donné la comédie chez lui à l'archevesché... » Dans
toute la correspondance de Barthet il n'est question que de fêtes semblables (ihid.,
fo85>
3. Aff. Etr., France, 908, ï<> 386.
4. Bibl. Nât., Pap. Baluie, 328, f" 65 vo.
5. Atl". Etr., France, 908, fo 397.
236 l'opéra italien en FRANCE

tira dans quatre ou cinq jours et mènera avec luy l'abbé Buti et
les quatre musiciens italiens '. »

Buti Ratabon venaient rendre compte à Mazarin, l'un de


et

la marche des préparatifs du grand opéra", l'autre des travaux

du théâtre des Tuileries \ L'abbé Buti avait déjà complètement


terminé le poème de Yllrcolc Awaiilc. 11 en donna lecture à
Mazarin, lui fit part de ses projets de distribution des rôles et
enfin lui montra les dessins de machines et de costumes que
lui avait confiés Gaspare Vigarani^. Le cardinal donna son
approbation sans cacher pourtant sa surprise de voir les
castrats exclus du drame et relégués dans les emplois acces-
soires. Atto Melani, qui s'attendait à être le héros de la fête,

prit fort mal la chose et se brouilla avec l'abbé Buti. Au reste,


l'histoire de cette querelle vaut d'être contée.
Atto avait accompagné Mazarin à Saint-Jean de Luz et lui ser-
vait de secrétaire dans les c(^nférences avec Don Louis de Haro.
Il était donc fort bien placé pour conseiller le ministre sur le

choix des chanteurs et des musiciens. Il ne faut pourtant pas


le croire sur parole lorsqu'il prétend que ce fut lui qui décida
Mazarin à appeler en France « le Signor Cavalli comme com-
positeur et le Signor Gio. Carlo (Rossi) pour sonner la harpe '
»,

car nous avons vu avec quelle ténacité Buti s'était employé à

1. Bibl. Nat., Pap. Balii-e, 328, 1" 99 v".


2. Vigarani, dans une lettre du 2 janvier 1660, annonce le départ de Paris de
« Rataboni sopraintendente aile fabriche régie e il S. abbate Buti, compositore del-
l'opera, che se ne vanno alla corte chiamati da S. » Arch. de Modène. Lettere di Em.
Lodovico Vigarani, filz. 122. M. Rouchés
manière inexacte le passage de
a traduit de
cette lettre relatif à Buti « Buti, librettiste de l'opéra de Serse qu'on va jouer. »
:

Il s'agit ici de Vlùcolr Aiuaiitc qui seul préoccupe sérieusement les Vigarani à cette

époque. \u reste l'auteur de Sersc est Xicolo Minato (Correspoiidaiicc des J'igarani,
P- 21).
3. (' J'envove, écrit Colbert le 9 janvier 1660, à V. E. le mémoire de tous les

pavemens que j'ay faicts cette année pour


du Louvre, salle des comédies
les bâtiniens

et dépense des machines, afin qu'elle en puisse être informée lorsque M. Ratabon

arrivera prés d'elle. » En marge Mazarin a écrit « J'av trouvé cela fort bien et j'ay :

déjà entretenu le S^ Ratabon sur les bâtiments du Louvre qu'il faut continuer avec
grand soin. » Bibl. Nat., Pap. Balu:;e, 328, i° 92.
4. Le I
I
novembre 1659, au duc de Modène « In caso che
t!arlo Vigarani écrivait :

S. Eminen/.a nel suo ritorno volesse vedere li nostri disegni, habbiamo determinato
di postarli presso il S'' .^.bbate Buti, persona cara a S. Em., nostro singolare amico e
compositore eccellente délia futura opéra. »

5. Lettre publiée par .\dcmollo, Priiiii fasti, p. yo,


LES FETES DU MARIAGE ROYAL 237'

obtenir le congé de Cavalli et avec quelle ardeur il avait de-


mandé à Mazarin la permission de faire venir Gio. Carlo
Rossi. Il est fort possible que Buti, très jaloux de ses préroga-
tives et de son autorité, détestât cordialement Atto Melani qui
affectait de traiter tout le monde de son haut depuis qu'il était
gentilhomme de la chambre correspondait familière- et qu'il

ment avec les plus grands princes de la Chrétienté. Mais on


peut douter que Buti ait privé tous les sopranistes des pre-
miers rôles, à seule lin d'être désagréable à Atto Melani. En
réalité, Buti qui se trouvait en contact permanent avec les

poètes, les musiciens et les hommes de lettres français, se


rendait compte de l'impression de répugnance moqueuse pro-
duite sur le public parisien par les « hommes sans barbes. »

Il comprenait fort bien que, cette fois, l'art italien allait livrer

une bataille décisive et qu'il ne fallait rien négliger pour s'as-

surer la victoire. Il se souvenait des mazarinades contre VOrfeo


et des traits dont les frondeurs avaient accablé les castrats gro-
tesques et odieux. Il résolut d'éviter le ridicule de guerriers et
de héros à voix féminine. Aussi, lorsqu'à Saint-Jean de Luz,
Atto Melani lui demanda quel rôle il lui destinait, Buti répon-
dit « que pour son Opéra, il n'avait besoin que de six protago-
nistes deux femmes, une basse pour représenter Hercule
:
;

un contralto pour faire une vieille et deux ténors pour les


fils d'Hercule qu'il y avait un grand nombre de divinités qui
;

paraissaient dans les machines et qu'Atto pourrait choisir le


rôle qu'il voudrait. » « Il serait trop long, conte le chanteur
au Prince xVIathias', de narrer à V. A. le reste de notre entre-
tien vous dirai seulement que ma conclusion fut qu'il
: je

n'était qu'un méchant, un ignorant, indigne que je chantasse

ses vers infâmes. » Buti, furieux, quitta la place. Dès lors ce


fut entre eux la guerre déclarée. Atto protestait qu'il n'accep-
terait jamais l'humiliation de paraître dans une machine
confondu dans la foule des divinités, ou de se déguiser en
iemme. Buti jurait de s'en retourner à Rome plutôt que de
céder. Tous deux affectaient de ne point se voir pour n'avoir

I. Lettre du i'-' mars 1660. Adcniollo, Piiii/i fasti, p. 71.


238 l'opéra italien en FRANCE

pas à se saluer'. Mazarin s'efforça, mais en vain, de leur faire


entendre raison ; les deux adversaires demeurèrent irréducti-
bles. Atto eût pris sur-le-champ la route d'Italie, si Tespoir
dune forte pension sur l'évêché de Béziers ne l'avait retenu".
11demeura donc à la cour, de fort méchante humeur, atten^
dant que le Saint-Siège eût confirmé les bulles de l'évéque de
Béziers et que la formalité indispensable de sa naturalisation
'

française eût été accomplie *.

Atto Melani comptait prendre avant peu une revanche mo-


rale sur Tabbé Buti. L'importance des préparatifs de YErcole
Amante ne permettant pas d'espérer que l'opéra pût être au
point avant le Carnaval de 1661, Mazarin avait résolu de
donner auparavant une autre pièce, et son choix s'était porté
sur le Xerse de Francesco Cavalli, représenté pour la première
fois à Venise, en 1654. Atto connaissait bien cette œuvre qu'il

avait interprétée lui-même avec grand succès ; aussi désirait-il


vivement y paraître. « Les fêtes qui se feront pour les noces
royales, écrit-il le 28 février au Prince Mathias', ne pourront
être prêtes avant l'hiver prochain. Cet été on donnera, à
Fontainebleau je pense, l'opéra en musique qui devait être
représenté ici en Provence et qu'on n'a pu jouer faute de temps.
En cette pièce, je tiens un des rôles principaux et à moins
de prendre un faux prétexte, on ne pourra m'empêcher de le

jouer. »

Comme on voit, si Colbert avait mis un peu plus d'em-


pressement à exécuter les ordres de Mazarin, on eût pu repré-
senter le Xersc en Provence durant le Carnaval ou les fêtes de
Pâques, mais les chanteurs arrivèrent trop tard de Paris pour

1. V. les lettres d'Atto au pri-ice Mathias. AdenioUo, op. cil., p. 71 et suiv.

2. Hn 1659, '1 '^^''''^ '^^'^ pourvu du bénétke de l'abbaye de Beauhé en Normandie


qui lui rapportait 1800 livres de revenu. Aff. Etr., France, 953, f" 21 v".
3. « lo spero che in questo mentre saranno spedite a Roma le bolle del Vescovado
di Béziers, nelle quali deve essere dichiarata la mia pensione. Mi devo far naturalizzare
per poterla tencrc, e questo lo faro subito che sij a Parigi. » Lettre du i^r mars. Ade-
mollo, op. cit., p. 72.

4. Les lettres de naturalité furent octroyées à « Atto Melani de Pistoie, gentil-


homme de la chambre « au mois de décembre 1660. Bibliothèque de la chambre des

Députés. Mss. 340, f" 219.


). Ademollo, op. cit., p. 67 et 68.'
LES FETES DU MARIAGE ROYAL 239

Il y eut du moins de nom-


qu'on pût persévérer dans cette idée.
breux concerts donnés à la cour par les virtuoses italiens qui
dédommagèrent ainsi Mazarin de la peine qu'il avait prise pour
les faire venir auprès de lui.

La correspondance de Mazarin atteste l'extraordinaire acti-

vité déplovée par le cardinal pour réunir les musiciens néces-


saires à l'opéra projeté '. Il est d'ailleurs bien secondé par
Buti malheureusement celui-ci a maille à partir avec tout
;

le monde. Après Atto, c'est Colbert qu'il mécontente. Dans une


lettre à Mazarin, ce dernier se plaint amèrement de ce que

Buti « domestique de V. E. et fort bien auprès d'Elle » abuse


de cette protection. S'il continue « il nous gastera plus d'af-

faires en deux heures de temps que nous n'en pourrons esta-


blir en six mois. » Il raconte que Buti, voulant faire venir à
Paris une femme « de Luzy », s'est querellé avec Berrier, secré-
taire de Colbert, et a colporté sur son compte diverses médi-
sances".... Mazarin n'a cure de tout cela. Il veut que ses secré-
taires s'entendent pour mener à bien l'entreprise : « je vous
prie, ordonne-t-il à Colbert, de ne faire pas difficulté qu'il
(Buti) puisse cognoistre qu'il ne vous reste rien dans le cœur
contre luy, car il s'en va à Paris et y doibt travailler aux pré-
paratifs de la comédie '. »

Buti communiquait à Mazarin toutes les offres de service qui


lui étaient faites et le cardinal donnait son avis après avoir
ordonné une enquête sur la valeur des sujets qu'on lui propo-
sait, tant pour chanter que pour jouer des violons et autres

instruments. Cette fois, en effet, Mazarin ne se contentait pas


des artistes de la Chambre pour former l'orchestre de l'opéra, il
faisait appel à des musiciens du dehors. « Je vous prie de vous

informer le plus exactement que vous pourrez de la qualité des


violons que vous me proposez qu'on pourra prendre à
Bruxelles », écrit-il à Buti le 20 octobre 1639^. Les instrumen-
tistes étrangers n'ont pas laissé grande trace de leur séjour à

1. V. Pièces justificatives, VIII.


2. Atï. Etr., France, 910, f" 156.

3. Pièces justificatives VIII, no 9.


4. Pièces justificatives VIII, n» 6.
240 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Paris, nous savons seulement qu'un violoniste virtuose, D. Sal-


vatore ', se trouvait à la cour, en 1660, et qu'il donnait à Buti
des conseils sur les chanteurs à faire venir d'Italie. Elpidio
Benedetti, qui avait charge de contrôler, à Rome, les rensei-

gnements envoyés de divers côtés à Buti, le tenait en piètre


estime : « Buti m'a écrit d'entendre une certaine jeune chan-
teuse que lui propose le susdit D. Salvatore, mande-t-il ci Maza-
rin, le 22 décemhre 16^9 '
; ce dernier ou bien n'a pas d'oreilles,

ou bien n"a pas l'intention de bien servir le Roi pour proposer


sujet de telle sorte. Maintenant qu'est morte la Pollarola, il ne
reste plus d'excellent que la Signora Anna, dite del Valerio ',

qui vit honorablement avec son mari qui a une voix de ténor
et joue du violon. Elle vient d'être appelée à Parme avec beau-
coup d'insistance. Celle-ci serait la meilleure de toutes; elle a

une forte voix, virile, mais un soprano qui monte très délicate,

aux étoiles et qu'elle soutient admirablement bien. Elle n'est


pas trop jeune, mais elle a apparence de faire bon elTet sur les
planches. En second lieu, il y a cette Signora Eelice Rosetti
au sujet de laquelle je crois avoir écrit autrefois à Votre Emi-
nence. Celle-ci est plus jeune et a un physique plus agréable.
Elle a grande voix et un jeu admirable, mais elle ne chante pas
si délicatement que l'autre. » (iio. Carlo Rossi patronnait de son

1. Un certain « Beniardino Salvatore, sonatore da violonc, trcntino » est men-


tionné sur les listes d'étrangers liabitant Rome, en 1658. V. Bertolotti, Lu Miisica iii

Ma II te va, p. 108.
2. « ... Il Ruti mi scriveva di sentire una certa giovane cantarina propostagli dal d"
D. Salvatore che, o non intende, o non ha fine di servir benc il Re, proponendo
soggctto di questa sorte. Hora ch'é morta la Pollarola, non vi resta d'eccellente che la
Sig™ Anna, detta del \'alerio, che vive honora'^ con suo marito, che ancor' egli canta
il tenorc e suona il violino, e viene hora chiamata a Parma con grand' istanza. Questa

sarebhe la meg'io de tutti. Havendo una vociona virile, ma delicatiss'"", un soprano


che va aile stelle, e la porta eccellcne bene. Non é troppo giovane, ma ha presenza
e t'accia da comparire bene su' un teatro. In secondo luogo vi è quella sig™ Police
Rosetti délia quale parmi haver scritto altre volte a \'. P"m. Questa è più giovane et
ha più grata presen/.a, ha gran voce, mirabil gesto, ma non canta con tanta esquisi-
tezza come l'altra. Ancor ella da molti anni in quà vive con m<^ reputatione. Ho
voluto darne qu'o poco ragguaglio a V. Em. per suo avviso... n Rome 158, f" 213.
3. La cantatrice Anna Valerio, à son déclin en 1660, avait remporté vingt ans plus

tôt de véritables triomphes au théâtre. Plie avait été la rivale de la fameuse Anna
Renzi et avait chanté avec elle dans la Fiiita Pana de Sacrati au Tealro Novissinio de
Venise, en 1 64 1 et dans la Fiiila Savia (de 1 64 3) au Teatro SS. Guyvanni e Paolo.Y. Adc-
,

mollo, Tealri di Koiiia, p. 32 et 33. Galvani, 'Jhitii Musicali di Veue^ia, p. 31.


LÈS FÊTÉS bi: Mariage royal 24 ï

côté une autre chanteuse dont nous ignorons le nom. Au moiï

d'octobre 1639, Buti ayant besoin d'une femme pour un rcMe


de VErcoJe, Mazarin l'engageait à " escrire à Rome pour celle

de laquelle vous escrit du feu sieur Luigi si advantageu-


le frère

sement car je ne suis aucunement d'advis pour celle qui


;

s'appelle Felicette '. Ce qui me faict peine, c'est d'estre obligé à


faire venir le père, mais en tous cas, il faut voir ce qu'on lui

donnera et convenir de tout auparavant... Je vous dis la même


chose pour ce garçon de quinze ans que vous me mandez qui
pourra aussy faire son personnage dans la comédie que vous
avez préparée. Il est juste de luy donner quelque chose pour
son entretien et lorsque je Tauray entendu j'en donneray
l'ordre '. »

Au bout de quelque temps, Mazarin s'étant convaincu de la

y avait à régler par correspondance toutes ces


difficulté qu'il
questions avait ordonné à Buti de le venir retrouver en Pro-
vence afin d"e.\aminer tout ce qu'il y aurait à faire « à l'égard

dudict sieur Cavalli et de cinq personnes qu'il doit amener avec


luy, comme aussi des autres musiciens que vous jugez à pro-
pos de faire venir et particulièrement de celuv que Monsieur
le Cardinal Antonio a pris depuis peu à son service'. »Ce
dernier était le castrat Giuseppe Melone que le cardinal Antonio
Barberini tenait en grande estime"^. Il reçut l'ordre de partir
pour la France et se 16 février'. Quant aux
mit en route le

chanteurs que Cavalli amena avec nous ne connaissons que lui,

les noms du sopraniste Giovanni Calegari et du ténor Gianna-

gostino Poncelli, faisant tous deux partie de la chapelle ducale


de ^'enise^

1. Sans doute kl Signora Fclicc Robctti dont il est question dans la lettre d'Elpidio
Benedetti, citée ci-dessus.
2. France 281, 1° 234.
5. Atf. Etr., France 281, f" 442.
4. Il est porté sur le Rôle des serviteurs du cardinal Antonio. .Vrch. Barberini.
Fainiglid delV Eiiiin"^o. S. Caret. Ant. Tome XXVII. En 1660 durant son séjour en
France, Melone continue à toucher ses gages par procuration.
5. Lettre d'Elpidio Benedetti du 17 février 1660 à Mazarin : « 11 Melone castrato
parti hieri per Livorno, ovc pensa imbarcarsi ». Aff. Etr., Rouie 138, 1° 377.
6. Caffi, Sloria délia Miisica Sitcra dcUa Ducal Cal^pella dl S. Marco. Tome I,

p. 279.
16
242 l'opéra italien en FRANCE

Cependant les offres de service continuaient à affluer de tous


côtés. Le 14 juin, Elpidio Benedetti prenait la plume en faveur
de Boccalini qu'il s'était, quelques années auparavant, efforcé
de faire venir à Paris avec Tenaglia. « Il y a ici un nommé
Francesco Boccalini, vieux serviteur delà maison Colonna, vir-

tuose singulier en fart de musique. Il excelle à accompagner


sur le clavecin ou sur le théorbe au théâtre ; à la chambre il

est unique et miraculeux sur la lyre, faisant de cet instrument


(que personne ici ne joue comme
un concert de Paradis, lui)
particulièrement dans les passages pathétiques. J'en ai voulu

donner avis à V. E. principalement parce que c'est un homme


paisible, discret, humble et d'aimable qualité '. » Ce panégy-
rique n'émut pas Mazarin, mais l'entêté abbé Benedetti réussit
à faire venir son protégé à Paris quelques mois après la mort

du cardinal.
Enfin on ne saurait passer sous silence les lignes suivantes
tirées d'une lettre du Père Duneau: « nous avons ici au sémi-
naire romain un ancien Maistre de Musique dont la composi-
tion est excellente pour les comédies et les ballets, en quoy il
ne cède point au Carissimi de l'Apollinaire. Je le trouve dis-
posé à aller servir Y. E. si elle en a besoin". » Il est vraiment
regrettableque nous ne sachions pas le nom de ce rival

inconnu de Carissimi en fart de composer pour le théâtre '. On


voit que la réputation de (Carissimi n'était point limitée au

1. « Vi ù qui un Francesco Boccalini, vccchio servitore de casa Colonna, virtuoso


tal

singolare di niusica, cccellentissimo pcraccompagnare o col Cembalo, o col la Tiorba


nel Teatro, mapoi, incarnera, unico c miracoloso conlalira. laccndo qu" instrumento
(che qui non è sonato da altri conic da Uii) un con:crto di Paradiso particolarmente
nelle cose patetiche. Lo deduco a notitia di V. l:m. niassiniamcnte pcr csser' egli un
huomo quieto, discrète, humilc c di qualità aniabili.ssima ». Lettre du 14 juin 1660.
Kome 139, fo 202 V".
2. Atr. Etr., Rotiie 140, t'^ 139.
3. Carlo Cecchelli de musique au Séminaire llomain, vers 1647, comme
était inaitre
en témoigne le /?(((ro//i/ /6'/-^(( sceJla (di Motlclli)... Di canonico D. Florido de Sil-
vestris... Romae, 1-647 (Bit>l. de Bologne), où se trouvent diverses œuvres imprimées de

Carlo Cecchelli « M^o di cappella de Gesù e Seminario Romano ». Par la suite


:

on trouve Cecchelli au Latran et à la cathédrale de Lorette. Il semble bien qu'en 1660


il n'était plus depuis longtemps M" de Musique au Séminaire l^omain (V. Gaspari,
Caltilooue de la Bibl. de Bologne, II, 361 et 362). Cependant il est à noter qu'en 1661,
de Lionne demandera à Benedetti de lui envoyer à Paris le fils du musicien Cecchelli
pour chanter dans VErcole Amante. V. plus loin, p. 276.
LES FETES DU MARIAGE ROYAL 243

domaine de la musique religieuse et qu'il n'était pas moins


célèbre pour ses cantates, ses opéras, voire pour ses ballets, que
pour ses Histoires Sacrées.
Buti, de retour à Paris après son voyage en Provence, poussa
activement les préparatifs de l'opéra. Il n'avait pas seulement à

régler la question des chanteurs, il devait aussi se procurer


certains instruments nécessaires à l'opéra. \os clavecins, excel-
lents pour la chambre, n'étaient pas assez puissants pour sou-
tenir la voix des récitants dans un vaste théâtre. Il commanda
donc à Rome deux grands clavecins que Benedetti lui expédia,
au mois de juin ', et fit venir un ouvrier expert en l'art de
fabriquer ces instruments, afin de les entretenir en état et sans
doute d'en construire d'autres à Paris. Cet ouvrier, nommé
Girolamo demeura plusieurs années en France \
Zanti.
Le poème de YErcole Amante étant depuis longtemps terminé,
l'abbé Buti avait grande hâte de voir arriver à Paris son colla-
borateur : « je sais, écrivait Atto au prince Mathias le i"-' mars,
qu'aussitôt que Cavalli sera ici, les rôles seront distribués
afin qu'il puisse les écrire pour les voix de ceux qui chante-
ront '. » Le compositeur parvint au terme de son voyage en
compagnie de son copiste et de trois chanteurs, au mois de
juillet 1660.Le 14, Colbert annonçait à Mazarin « j'ay déjà fait :

donner 800 livres à Monsieur l'abbé Buti à comte de la subsis-


tance du Signor Cavallo, je luy feray donner aujourd'huy les
200 livres restant » Le musicien dut se morfondre en atten-
'.

dant le retour de Mazarin à Paris. Le mariage royal avait été


célébré sans grand apparat à Saint-Jean de Luz, le 9 juin, et la

Aff. Etr., Rome 139, t" 202, v".


1.

M. de Lionne écrit l'ambassadeur de France à Rome, le 4 septembre 1661


2. ii :

<(Un certain ouvrier de Rome nommé Girolamo Zanti qui fait des clavessins, a un
contrat avec le prince Pamfîlio de lu\' taire une orgue dans un certain temps qui est
prés d'espirer,, sous peine de payer unesomme considérableà son esgard et comme ;

la grande Comédie et le Grand Ballet pour la resjouissance des nopces du Roy a esté
différé au Carneval prochain, et que S. M'é a encore besoin icypour cette feste dudit
Girolamo Zanti, elle désire que vous priez à son nom ledict Prince de luy acccorder
pour ce peu de temps la permission de demeurer de ça, sans le soubmettre à la peine
où il Ta engagé, Tasseurant qu'aussitôt après il se rendra à Rome pour achever
l'orgue ». Roue 143, f« 279.
3. Adcmollo, Pritiii fasti delhi jutisica ilaUana a Parigi, p. 71.
4. Aff. Etr., France 910, f" 249.
^44 L OPERA ITALIEN EN ERANCE

cour s'acheminait vers la capitale à petites journées. Le roi


s'arrêta à Fontainebleau quelques jours, puis à Berny chez de
Lionne ', enfin s'en fut à \'aux où le surintendant Fouquet le
traita magnifiquement. Mazarin, souft'rant, revint directement

à Vincennes et y tomba gravement malade ". Cet accident con-


trista fort Buti, Cavalli et tous les chanteurs, car on n'osait

rien décider sans l'avis du cardinal. Le 13 août, Atto Melani


écrivait: « le Signor Cavalli, venu ici de \'enise, n'a pas encore
vu Son Eminence, aussi n'a-t-on encore pris aucune résolution
au sujet des fêtes qui se doivent faire cet hiver '. »

Le castrat Antonio Rivani ^ était arrivé de Florence à peu


près en même temps que (.avalli. Buti, désireux sans doute
d'avoir sous la main un sopraniste qu'il pût opposer à Atto et à
F'ilippo Melani le cas échéant, l'avait fait venir à l'insu de Maza-
rin. Aussi Rivani se désespérait-il, dépensant à Paris tout son
avoir, sans même être assuré d'être agréé du cardinal quand
celui-ci serait en état de le recevoir. « Le signor Antonio, écrit

Atto, le 13 août, au prince Mathias, est bien affligé d'avoir jus-


qu'à ce jour déboursé de sa poche 1 30 doublons et de dépenser
encore pour son entretien quarante-deux écus par mois tant
pour sa nourriture que pour avoir une chambre. 11 n'a pas
encore chanté à la cour, maisSon Imminence l'entendra dès

1. Le 18 mai 1659, '^^ Lionne donne en son cliàteau de Berny « un régale à Leurs
Majestés ». On y danse le ballet Chacun fait le met ter d'aittnii entremêlé d'airs, de
:

récits et de dialogues en musique italienne. V. Ga:^ette 1659, p. 493 et suiv. Le livret


fort rare de ce ballet Clniciiu fait le Mcstier iFautnix, Ballet danse à Berny pour le
:

divertissement de la Revue... Paris, Ballard, 1659... se trouve au Conservatoire.


2. (( Il revint à petites journées de la frontière toujours couché dans son carosse,
sur un matelas qu'il y faisoit mettre tous les matins et on le portoit pnr les
sur lequel
quatre coins dans son lit.. .» Mémoires de Brieuue, édit. Barrière, p. 110.

3. Ademollo, op. cit., 74.

4. (".arlo Medici. Le 6 février 1653,


.Vntonio Rivani était au service du cardinal (iian
ce dernier écrit au duc de Mantoue pour le prier de lui rendre son chanteur qui a
quitté la cour sans permission à la suite d'un conllit entre musiciens « Mosso da :

alcunc leggerezze e garre che sogliono bene spesso seguire fra musici et forse daltimore i

di certa contumacia, nella (]uale poteva credere di essere appresso di me, si è


partito di quà .Antonio Riwuii, niio castrato, senza mio contento né saputa e se n' è
venuto a cotesta volta, etc ». Mantoue. .Arch. Ciouzaga. Florence 16'^'^.
Antonio Rivani rentra à Florence et l'ut un des protagonistes de la troupe du 'l'eatro

délia Peri^ola. V. Ademollo, / Primi (asti del 'l'eatro di Jla délia Pergola in l'iren:;^e

1657-1661. Ricordi.
LES FETES DU MARIAGE ROYAL 245

qu'lillc aura repris quelques forces La haine de Buti pour


'. »

Atto était si forte qu'il déclara publiquement aux virtuoses ita-


liensque ceux d'entre eux qui continueraient à frayer avec Atto
Melani ne seraient plus de ses amis, et personne ne pouvait se
méprendre sur le sens de cet euphémisme !

Antonio Rivani avait chanté à Florence plusieurs opéras de


Jacopo Melani '
sur le théâtre de la via délia Pergola et con-
naissait fort bien Atto et ses frères''. La menace de Buti le

désola. Il était obligé de se cacher pour aller voir Atto. Celui-ci


finit par le supplier, dans son intérêt, de cesser des visites qui
pouvaient le perdre dans les bonnes grâces du tout puissant
Buti. Ces divers sujets d'inquiétude ne tardèrent pas à aiïecter
la santé de Rivani. Il tomba malade d'une fièvre continue qui
le consuma au point de le rendre étique.+ Il guérit pourtant et
nous le verrons bientôt briller au premier rang de la troupe ita-

lienne dans le ballcl de Fljupatieuce et YErcok Aiuauie.


Mazarin lentement. Le 9 septembre, il donna, pour
se rétablit
fêter sa guérison, au roi, aux reines et à toute la cour, un régal

magnifique. Les invités s'extasièrent longuement sur la splen-


deur des appartements où s'entassaient comme en un musée :

objets d'art, tableaux, statues, curiosités de toute espèce, tapis-


series, étoffes brodées, joyaux d'un prix inestimable. « Waiment,
écrit l'ambassadeur vénitien Nani, le palais du Cardinal, en

1. AdemoUo, Primi fasti âella Musica Uni. a Parigi, p. 73.


2. En 1657, le Potestâ di Colognole en 1658, \ le Pa~:^o per for:^a en 1659, ^^ Vecchio
;

hiirlalo; en 1660, la Serra uohil en dernier, VEicole in Tehe. Dans ce dernier opéra
et,

il chantait le rôle dV/o, fils d'Hercule. V. Ademollo, Teatro délia Via délia Pergola,
p. 26.
5. Surtout Bartolommeo qui chantait avec lui dans les opéras de Jacopo Melani.
Bartolommeo Melani semble avoir quitté Florence, à l'automne de 1657, pour se
rendre à Munich. Kerl, le Maître de Musique du Duc de Bavière, lui écrit en eftet, le

II septembre 1657, pour lui dire que ses conditions sont acceptées « Hebbi ordine :

da S. A. S. di scrivere a V. S., havendo S. A. S. inteso lodare la sua Virtù, che


volendo venire in questo servitio, V. S, havrà li cent' Ongari, conforme sono stati
dati ad altri, et il salario parimente che ha il Signor Cavagna et altri si che V. S. ;

m'avvisa quanto prima la sua intentione, etc.. ». Publié par M. Sandberger dans sa
notice sur Kaspar Kerl placée en tète du tome I (p. xvii) des œuvres de Kerl
(Denkmàler der Toiikiuist in Bayern. Breitkopf und Hiirtel).
4. Lettre d'Atto Melani du 24 septembre II signor Antonio Rivani doppo
: ce

molti giorni di malattia ha una febbretta continuata che pare !o porti ail' etico ».
Ademollo, op. cit., p. 75,
246 T.'OPÉRA ITALIEN EN FRANCE

meubles, en objets précieux, en statues, en peintures, outre


une quantité prodigieuse de bijoux et d'argenterie, surpasse
celui du plus grand Roi '. » Personne ne songeait à s'indigner

de cette fortune scandaleuse du mot un peu fort de ; on riait

l'abbé Buti un Roy dit je


: « Le Ministre dit
: vole mes sujets. :

Je vole le Roy. Le tailleur dit je vole le ministre. Le soldat: :

je les vole l'un et l'autre. Le confesseur: je les absous tous

quatre, et le diable dit: je les emporte tous cinq'. » Mais la


peur du diable n'était pas assez forte chez Mazarin pourTempê-
cher de s'enrichir aux dépens du Trésor!
Le nonce, Monsignor Celso Piccolomini, écrivait au Pape,
le lendemain de la fête « hier. Monsieur le Cardinal Mazarin,
'
:

après un superbe régal, a donné au Roi, aux deux Reines de


France, à la Reine et à la Princesse d'Angleterre, à M. le Duc
d'Anjou et à toutes les dames de la Cour le divertissement de
la musique italienne et ensuite de la comédie espagnole, à la

fin de laquelle il fit encore servir à Leurs Majestés un très somp-

tueux repas en son palais qui a été entièrement décoré de nou-


velles tapisseries... » Le gazetier Loret assistait, lui aussi, à la
réception et nous confirme que la musique y jouait un grand
rcMe :

Enfin cette feste fut belle,


La joye y fut universelle :

Les tons et fredons plus qu'humains


De quinze ou vingt chantres romains,

1. Auihinsiuh'urs l'àiiticui. Rel. vcu. Série II, vol. III, p. 23 et suiv. u Vcramente
il palaz/.o del Cardinale in suppelletteli, in rarità, in statue, in pitture, oltre un capitale
imnienso di gioije e di argenti, sorpassa quello d'ogni gran Re ».
2. Rapporté par Perrault, Mêwoircs de imi vie, éd. Bonnefon. Laurens (in-S"), p. 78.

M. de (^hantelou dans lu Jouniul du Coviilier Bcniiu raconte autrement les faits.


Buti n'aurait fait que décrire un tableau symbolique où chaque personnage était
censé prononcer les paroles en question. (Probablement un tableau de primitif sur
lequel les personnages sont peints avec des banderolles portant écrit leur langage
supposé).
5. Lettre du 10 septembre 1660 : « Hieri, il s»- card. Mazzarino dopo' una lau-
tiss'iw colatione, diede al Re, aile due Regme francesi, et aile Ser'"'; Regina e Principessa
d'Inghilterra, S'*^ Duca d'Anjou et tutte le Dame del Seguito, divertimento délia il

Musica Italiana, et poi délia Comedia Spagnola, nel fine délia quale 'ÎQC^ ancora trovare
aile M. M. loro apparecchiata una suntuosissima cena nel suo Palazzo che fu fiitto
comparire tutto parato di nuove tapessarie con doppie credenze di superba et
ricchiss'iia argentaria ». Arch. du Vatican, Fraiicin 117.
LES FÊTES DU MARIAGE ROYAL 247

Y tirent une mélodie,

Généralement aplaudie '...

« duinze ou vingt » le nombre n'est certainement pas exa-


géré. Dans ces solennités, aux virtuoses de la troupe italienne
se joignaient sans doute les serviteurs du cardinal ayant
quelque talent pour le chant. C'est là un détail qui ne manque
pas d'intérêt et sur lequel la correspondance de Mazarin avec
Elpidio Benedetti jette une y est, à tout moment,
vive lumière. Il

question de jeunes gens, excellents musiciens, qui briguent


l'honneur de servir le cardinal en qualité de garçons ou de
valets de chambre. Ainsi, le 4 août 1659, Benedetti vante à
Mazarin le mérite d'un jeune homme qui aspire à être admis
parmi ses domestiques": il est de bonne fomille, bien fait de
sa personne, « chante de fort bonne grâce, avec une voix qui
pour être de contralto ne laisse pas d'être délicieuse. » Un
autre sonne admirablement du violon, c'est un
postulant «

élève du fameux Michel Angelo'. » Il ne peint pas mal non


plus et a fréquenté l'atelier d'Andréa Sacchi. « Il joue cent fois
mieux du violon qu'un certain 1). Salvatore qui est à Paris »
présentement^. Ainsi parmi les serviteurs de Mazarin se trou-
vaient des artistes capables de rivaliser avec les professionnels
et parfois de les surpasser. Il en était de même dans la plupart
des grandes maisons princières : Lulli lui-même avait servi
plusieurs années Mademoiselle d'Orléans comme garçon de la

1. Lettres du 11 sept. 1660, édit. Livet, tome III, p. 251.


2. « È tornato di fuori quel giovane che io proposi a V. Em. per servirla alla

caméra, e resto sempre piu' sodisfatto délie sue qualità. Egli é alto di statura, di

modesta Di buon paese e di buona nascita, essendo délie famiglie


e grata presenza.
piu civili di Bertinoro. Canta con assai buona gratia di contralto, ma con voce soave
et ha assai buon carattere... Vi sarebbe anco un altro giovane, che suona mirabil-

mente di violino, allievo del famoso Michel' Angelo e che savio è anco mediocre-
mente di piltura, havendo studiato sotto Andréa Sacchi..., giovane quietoc tutto appli-
cato alla virtù ». Aff. Etr., Rome 136, 1° 317.
3. Michel Angelo Rossi appelé aussi Michel Angelo del violino, l'auteur de
YEnniiiia. V. Aiiibros. Geschiclite tler Miisilc, IV, 340.
4. Lettre du 22 décembre 1659 « Quel giovane che dipinge e suona il violino non
:

si è poi mai risoluto di partire, volendo prima sapere come deve essere trattato. Da
quel délia proffessione sono assecurato che suona cento vohe meglio di un tal D. Sal-
vatoie ch'è a Parigi, trattenuto con la solita provisione di cento scudi il mese, e poi,
quello ch' assai stimo, è di una natura modestissima e angelica ». Rome 138, f" 213.
248 l'opéra italien ex I'RANCE

chaïuhre. Grandes Dames comptaient parmi


Les Reines et les

leurs filles de chambre d'excellentes musiciennes '. Le 8 no-


vembre 1660, le Père Duneau écrit de Rome à Mazarin :

Monseigneur,

Il y a quelques jours qu'une fille nommée Anna-Vittoria


Pardi, âgée de vingt-quatre ans, laquelle servait la Princesse de
Rossano, s'est retirée au monastère de S^^-Claire auprès d'une
sienne tante qui en est abbesse, parce que la Princesse qui est
mal avec son mari a eu soubçon qu'elle luy faisoit des rap-
ports. Cette fille chante divinement et marie sa voix avec
Tespinette, la guitarre et la viole ; elle compose fort bien des

airs et entend parfaitement la musique. Elle escrit admirable-


ment, elle travaille des mieux en broderie d'or et de soie, en un
mot elle a de belles qualités. Elle n'est ni belle, ni laide, mais
elle a beaucoup d'esprit et d'addresse. J'ay creu en devoir don-
ner avis a \\ E. me fiusant fort de luy persuader d'aller en
France si A\ li. le désire; auquel cas il luy faudroit faire enten-
dre que c'est pour estre au service de la Reyne, parce qu'elle
ne voudroit pas passer pour cantarine (.«V), estant sage,
modeste et un frère bien
vertueuse. Elle a encore sa mère et
fait, âgé de vingt ans, qui est domestique de Monseigneur Bon-

compagno, Archevesque de Bologne et Maggiordome. Par le


moyen de ce frère, qui est mon ami, et de sa tante l'abbesse,
je feray ce que je voudray pourveu que la chose demeure
secrète, parce que la Princesse de Rossano, qui l'a eslevée
dcHize ans tasche de la faire retourner chez elle et sa tante

voudroit qu'elle se fît religieuse. Au


où \'. \l. trouve bon de
cas
l'appeler en France, il faut donner ordre pour la commodité du

I. Déjà t;n Rome à Chavi<i;ny pour l'engager à faire


1642, de Lionne écrivait de
entrer au service de Reine une excellente joueuse de harpe qu'il nommait la petite
la

Catherine. Cette jeune fille, qui était attachée à la personne de la maréchale d'Estrée,.
avait été courtisée par le Maréchal, d'où fureur de sa maîtresse qui lui voulait crever les
veux et l'avait reléguée à Lorette. Si elle venait en France, la Reine a coup sûr en
raffolerait. « Elle saitsans doute autant ou plus de musique que les meilleurs maîtres
de France, joue de la harpe parfaitement bien, du violon, de la lire, de la guitare et
de l'espinette ». Aff. Etr., Rome (So, f'^ 274. Voir aussi f'^ 283 la suite de l'histoire qui
tourne au roman d'aventures.
LES FÊTES DU MARIAGE ROYAL 249

voyage, ne pouvant aller qu'accompagnée de son frère et peut-


être de sa mère "... »
Quelques jours plus tard le Père Duneau revenait à la
charge « Par ma despèche du 8 novembre, je donnay avis à
:

V. E. d'une fille nommée Anna Mttoria Pardi et de ses qua-


lités. }e fus hier dire la messe au monastère de Sainte Claire

où elle s'est retirée auprès de sa tante qui en est abbesse. Elle


chanta un mottet premièrement sur l'orgue, puis sur la viole,

maniant extrêmement bien ces instrumens. Sa voix est excel-


lente et ceque je prise beaucoup, elle sçait en perfection la
musique. Je luy parlay ensuite et trouvay son esprit fort agréa-
ble. Je croirois qu'elle pourroit rendre de grands services à V. E.
estant auprès de la Reine, mais cette affaire doit estre maniée
secrettement et délicatement, sa tante désirant la retenir, si
elle peut, et toutes les religieuses, au nombre de quatre-vingt ;

outre l'affection que luy porte la Princesse de Rossano qui la va


voir deux ou trois fois la semaine. Jattendrav sur ce des ordres
de y . E. ". » Il ne semble pas que Mazarin ait mis à l'épreuve
les talents diplomatiques du Père Duneau pour enlever au
couvent la jeune musicienne, mais il nous a paru intéres-
sant de citer cette lettre qui nous dispensera de parler de vingt
épîtres semblables, rencontrées par nous dans la correspon-
dance de Mazarin.
Ainsi les préparatifs du grand opéra mettaient en émoi le

monde du théâtre et de la musique dans l'Europe entière.


Ambassadeurs, moines, agents diplomatiques, grands sei-
gneurs, prélats s'entremettaient pour procurer aux chanteurs
et aux instrumentistes qu'ils protégeaient des engagements
avantageux. Mazarin ne savait plus auquel entendre et exhor-
tait Buti à ne pas se montrer trop généreux envers les artistes

qui offraient leurs services : « Je suis obligé de vous dire, écri-


vait-il déjà en octobre 1639, qu'il faut aller bride en main,
non pas tant pour mesnager la despence qui commence à
monter bien haut, mais parce qu'il n'est pas juste de traiter

1. Roine, 140, fo 139.


2, Rome, 140, 1" 188,
250 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

tout le monde de la même


que d'ailleurs vous pouvez façon et

scavoir qu'on ne donne pas en Allemagne la moitié de ce que


nous nous sommes engagez à donner icy '. » A cette époque,
Mazarin pouvait espérer qu'en quelques mois tout serait ter-
miné, mais lorsqu'il revint à Paris et qu'il trouva le théâtre
des Tuileries inachevé, il commença à regretter d'avoir appelé
si vite tant de musiciens inutiles.
Pour faire patienter la C.our, il résolut de donner, sans
plus attendre, l'opéra qu'il avait eu l'intention de faire repré-
senter en Provence. Le 24 septembre, Atto Melani mande au
prince Mathias : « on ne parle pas pour le moment de l'ordon-
nance des grandes fêtes et l'on prépare le Xerse\ »

IV

« Il est douteux, écrit Carlo \'igarani au duc de Modène, le

22 octobre 1660 \ que notre grand opéra soit en état d'être


représenté à ce Carnaval, par la faute de celui qui aurait dû
nous livrer le bâtiment achevé et couvert, au jour dit. On est

sur le point de dresser un autre petit théâtre provisoire dans


la haute galerie des Peintures, proche des appartements de
Son Eminence. On y chantera le célèbre Xersf de Cicognini •^

1. Aff. Etr., France, 281, f'^234.


2. « Non
si parla per anche dclla disposizionc délie Teste grandi e si prépara il

Xerse. »Ademollo, op. cit., p. 75.


Nous adoptons l'orthographe Xerse (au lieu de Serse qui est la forme régulière du
nom) parce que l'opéra de Minato est presque toujours appelé ainsi dans les relations
du temps.
5.Lettre de Carlo Vigarani au duc de Modène :

«Per questo carnevale, dubitandosi che la nostra grand' opéra non possa esser in
ordiue per colpa di chi doveva darne la labrica tornita e coperta per il tempo pro-
messe, si è sul punto di stabilire un' altro piccol thealro per modo di provisione nel-
l'alta Galleria délie Pitture, prossima agli appartamenti di S. Em. dove si cantarà il

rinomato Xerse del Cicognini cou la Musica del Sig. Cavalli, ridotto in stato di reci-
tarlo in scenamobile che da noi sarà tatta di tapezzerie (come proponiamo per
brigarla presto) rappresenîante un Atrio e Sala di parata. A quest' effetto dcvo tro-
varmi di mattina agi' appartamenti del S. Car'*; e di là portarmi al desinare del Re... »
Archives de Modène, Archilelti B« 2". L'existence de cette lettre m'avait été signalée
par M. Rouchès, je profitai de mon séjour à Modène pour en relever le texte.
4. Vigarani fait erreur le Xerse n'est pas de Cicognini, mais de Nicolo Minato.
:
LES FETES DU MARIAGE ROYAL 25 1

avec musique du Seigneur Cavalli, arrangé de manière à


la

pouvoir être récité sur une scène mobile, que nous décore-
rons de tapisseries ainsi que nous l'avons proposé pour—
gagner du temps —
de manière à figurer un Atrium et une
Salle de parade. Je dois, à ce sujet, me trouver [demain] matin
dans les appartements de M. le Cardinal et de là je me rendrai
au diner du Roi. »

En dépit de l'activité déployée par les \'igarani, qui peinè-


rent nuit et jour pour transformer en salle de spectacle la Galerie
du Louvre', le théâtre ne fut prêt qu'au bout d'un mois. Ca-
valli dut abandonner la composition de YErcoIe Amante pour

se consacrer aux répétitions du Xerse et aux remaniements


nécessités par les nouvelles conditions d'exécution. Lulli fut
chargé d'intercaler entre les actes de la tragédie lyrique des
entrées de ballet, mais, pressé par le temps, il se servit sans
doute de quelque composition antérieure : les danses ne se
rattachent en aucune façon à l'intrigue dramatique et for-
ment même avec le sujet du Xerse un contraste d'un goût dou-
teux '.

Le choix de Mazarin était heureux : le Xerse était célèbre par


toute l'Italie et jouissait presque de la popularité du Giasoiie.

Il avait été chanté pour la première fois à Venise, sur le

théâtre S. S. Giovanni e Paolo, en 1654 ', et ensuite à Florence,


à Bologne ^ et dans les principales villes de la péninsule avec
un égal succès. C'est de cet opéra sans doute que parle Atto

1. Lettres de Vigarani au duc de Modène des 2(S octobre, 12 et 25 novembre.


V. Rouchès, Inventaire de la correspondance des Vigarini; pp. 39-44.
2. i'"'^ entrée : Des basques moitié François, moitié Espagnol... »
«
2e entrée : « Des paysans et paysannes, chantans et dansans à l'espagnol. »
5e entrée : « Scaramouche au milieu de deux docteurs déguisez, est reconnu par
ses compagnons et despouillé par eux. »
4e entrée : «Un patron de vaisseau avec des esclaves portans des singes habillez
en tagotins et des matelots jouans de la trompette marine. »
5e entrée : « Matassins... »
6e entrée
Bacchus et sa suite. »
: «
Lulli dansait dans ces six entrées et y tenait les premiers rôles. V. le livret du
Xerse (B. N. Yt 850. —
Nous ne connaissions pas encore ce livret en écrivant avec
M. de La Laurencie notre article sur la Jeunesse de Lulli).
3. Galvani, Teatri di Vene:^ia, p. 34.
4. Ricci, Teatri di Bologna, p. 333.
252 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Melani dans une lettre écrite de Florence, le 27 septembre 1654,


au prince Mathias : « le premier acte est arrivé de Venise et
vraiment cette musique est miraculeuse... Tous ceux qui Font
entendue ne pouvaient trouver d'expression assez forte pour la

louer tant elle est belle'. » Quelques jours plus tard, Atto
chantait la CouiciUa devant Gio. Carlo Medici et jurait au prince
Mathias après la représentation que « c'était là musique de
Paradis et telle qu'on n'en saurait ouïr de plus belle. » On peut
supposer après cela que l'opinion d'Atto n'avait pas laissé d'in-

fluencer fortement le choix de Mazarin.

Le Xerse donné au Louvre, pour la première fois, dans


fut
la grande Galerie des Peintures, le 22 novembre 1660, devant

une assistance des plus brillantes. Du côté français nous n'avons


que deux comptes rendus de cette fête. La Giv^ctlc mentionne
« une comédie en Musique, qui parut un divertissement d'au-

tant plus digne de notre monarque, que le sujet en est tiré de


l'histoire d'un grand Roy et que rien n"a manqué à la pompe

du théâtre où estoient les plus belles tapisseries de la Couronne,


non plus qu'à l'exécution qui s'en fist par les plus belles voix
de l'Italie et les meilleurs symphonistes. Cette magnifique
représentation lut aussi accompagnée, dans les Entr'actes, de six
Entrées de Ballet des plus habiles danseurs de France, en
sorte qu'elle donna une satisfaction merveilleuse à toute l'as-

semblée où estoyent Monsieur, Mademoiselle, les trois Prin-


cesses ses sœurs, le Prince et la Princesse de Condé et toute la
Cour, outre quantité de peuple '. »

Loret se plaint dans sa Miir^e historique à.t n'avoir pu assister


aux premières représentations c'est seulement le 11 décembre ;

qu'il s'écrie :

GraudrCoiiirdir m Hnfïll, jc l'av VÙ le Xei'XCS ^

scntceau Loiivn: Q.^'^' )^' trouvay long, par cxccs ;

Mes yeux pourtant, et mes oreilles

Y remarquèrent cent merveilles,


Sans compter mille autres apas
Lesquels je ne comprenois pas,

1. V. Ademollo, Primi ftisti..., p. 70, note i,

2. Gaietie, 1660, p. 1177.


LES FETES DU MARIAGE ROYAL •

253

N'entendant que la langue mienne,


Et, point du tout, l'Italienne :

Mais i'étois près de quelques-uns


Qui n'étoient pas des Gens communs,
Oûy bien d'esprit et de naissance.
Qui montroient, à leur contenance,
Par joyeux aplaudissemens.
Quels étoient leurs ravissemens.
Chaque danse étoit merveilleuze,
La Muziquc miraculeuse,

Des acteurs, les divers talens.

Furent jugez très-excellens ;

Leurs grâces, concerts et mélanges


Atiroient cent et cent louanges :

Mais, entre tous, on en donna


A l'aimable Ségnore Anna,...

Enfin, il laut que je le die.

Les Balets Comédie


et la

Se pouvoient nommer, sur ma-fov,


Un divertissement de Roy :

Mais, à parler en conscience,


J'ùs bien bezoin de patience :

Car mov, qui suis Monsieur Loret,


Fus sur un siège assez duret.
Sans aliment et sans brùvage.
Plus d'huit heures et davantase '.

On s'est fondé sur ces derniers vers pour affirmer que le

AVrs(' avait été fort du public français. Loret


mal accueilli
pourtant n'incrimine que la longueur du spectacle et rend
justice à la beauté de la musique et aux talents des chanteurs.
11 se plamt uniquement d'être resté huit heures mal assis
« sans aliment et sans breuvage. » Assurément si on lui eut
donné « de quoi vivre », comme aux A7)-~^ ili Pclco, ou deux
oranges, comme à la Pastorale d'Issy, il n'eût eu que des louan-
ges pour l'opéra de Cavalli.
Il ne semble pourtant pas que le Xcrsc ait remporté un

I. Lettre du II décembre 1660, éd. Livel, IH, p. 290.


254 l'opéra italien en FRANCE

grand succès. Tous les résidents et ambassadeurs italiens s\'ibs-

tiennent de donner leur avis sur la musique de Cavalli '

; au
contraire ils sont unanimes à vanter les ballets de Lulli. Le
résident de Toscane écrit au grand Duc, le 26 novembre' :

« Leurs Majestés sont revenues de Vincennes, le 20 du cou-

rant, pour voir représenter au Louvre la Comédie de Xerses


en musique italienne avec divers ballets très beaux, en
attendant que le magnifique théâtre que l'on prépare en dili-

gence soit terminé pour y représenter, ce Carnaval, le lameux


opéra d'Ercole. » « Leurs Majestés très chrétiennes et M. le Car-
dinal sont revenus dimanche soir du Bois de Vincennes, raconte
Mgr Celso Piccolomini au Pape', chassés par la rigueur du
temps, qui commence à se faire sentir très froid, et, cette se-

maine, ils ont fait réciter quelquefois privément en leur pré-


sence, par des chanteurs italiens, l'opéra intitulé // Xcrse, qui,

demain soir, à ce qu'on dit, commencera à être donné publique-


ment pour le divertissement de la Cour, tandis qu'on prépare
le Grand Ballet. » Des Avvisi manuscrits insérés dans une lettre

du 3 décembre donnent au Pape quelques détails complémen-


taires « Samedi, le Roi ht inviter M. le Xonce et les autres
^
:

ambassadeurs et ministres des Princes, à l'opéra de Xerse récité

1. Christian aussi à décrire longuement le théâtre et la


Huv^hcns se borne lui

salle : « Il lalloit deu\ heures devant que le Rov vint, à savoir


attendre là plus de
depuis 4 jusqu'à 7, mais le temps ne m"ennu\'oit point. » De la musique pas un mot.
(Œuvra aviipictes, III, 199, 200). Il dit ailleurs « J'ay veu il y a deux mois une :

comédie italienne avec des entrées de ballet et Monsieur le Premier m'avoit si bien
placé que je fus assis tout proche des trois niepces de Monsieur le Cardinal...
(Tome III, 252).
Tornorno le LL.MM. da \'ip.cennes
2. li 20 del corrente per vedere rapresentare nel
Louvre la Comedia del Xerses in musica con diversi balli assai vaghi, aspet-
italiana
tando ch' il magnitîco tcatro, che si va mettendo ail' ordine in diligenza, sia finito
questo carnovale per rapresentarci Topera fanuT-a dell' Jircole. » Arch. de Florence,
Mcilicco, 4661.
3. Lettre du 26 novembre 1660 Ritornorno Donienica sera queste M. M. X"ic'
: <•

et il S. Carie del Bosco di Vincenna richiamati dal rigor del tempo che comincia a
iarsi scntirc assai freddo et in qucsta settimana lianno fatto recitare alcune volte
privatamente avanti di loro, da' Musici Italiani, l'opéra intitolata II Xerse, che dimani
sera, dicono, dovrà cominciare a recitar' in publico per divertimento délia Corte,
hnianto che si prépara il gran balletto. » .\rch. du \'atican, Xiiniinliiiii di Francio,

4. (' .Sabbato il Re lece invitare M'' \u)itio e li altri S.S'' Ambasc" e Ministri dei
Prencipi ail' Opéra di Xerse, recitata da Musici Italiani, con intermezzi di bellissimi
LES FETES DU MARIAGE ROYAL 255

par des musiciens italiens, avec intermèdes de très beaux bal-


lets, qui dure jusqu'à onze heures du soir.... » L'ambassadeur
vénitien Grimani n"est pas moins réservé sur la valeur de la
musique' : « ici le Roi se met en frais de donner à la Reine
toutes sortes de divertissements, festins, comédies, ballets, etc. ;

comme le théâtre pour le grand opéra d'Ercole qui se prépare ne


pourra être achevé à temps, il a fait apprêter à l'improviste, dans
une vaste salle, de magnifiques tapisseries brodées d'or et, d'ar-

gent, drapées avec grand art et y a fait réciter musicalement


Xerse^. »
On ne saurait toutefois s'étonner de ne trouver, dans ces
lettres, aucune description de la pièce. Le Xersc était en Italie

si populaire qu'il suffisait de le nommer pour que le lecteur sût


aussitôt de quoi il s'agissait. Il est plus singulier de n'y ren-
contrer aucune mention de l'accueil fait à Topera, "ni de l'inter-

prétation qui devait être pourtant fort brillante. Il est évident


que les ministres étrangers n'attachaient que peu d'importance
à cette représentation dénuée d'apparat, simple spectacle d'at-
tente destiné à faire patienter les courtisans jusqu'à ce que le
théâtre des Tuileries fût en état. Il paraît probable que l'exces-
sive longueur de la pièce, entrecoupée d'entrées de ballet, nuisit
au succès de l'œuvre. L'accueil dut être tiède, à en juger par la

réserve des témoignages contemporains. Au reste le Xersc ne


fournit pas une longue carrière. Après quelques représenta-
tions devant un public des plus restreints, par suite de l'exi-

ballctti, chc duro sino alli XI hore délia notre, e la Domenica sera fu nelle camere
reali tenuto gran ballo, dove pcr la prima volta la Regina ballô alla francese. » Fraii-
ciu, 117.
1. Lettre de Grimani à Giacomo Querini, ambassadeur de Venise en Espagne, en
date du 8 décembre :

« Va qui il Re procurando li divertimenti alla Regina con t"e-


di dar tutti
stini, comédie, balleiti et altro, et, mentre
Theatro per la grand' opéra dell' Ercole
il

che si prépara non potrà esser fornito si presto, ha fatto apprestar ail' improvise in
certa sala spatiosa, de suoi ricchissimi addobbi ricamati d'oro et d'argento, appli-
cati con gran maestria, e recitare musicalmente in essa Xerse. » B. Nat., Ms. ital.,

2022, p. 277 (Copie).


2. Vigarani rend compte en deux lignes au duc de Modène de la représentation :

« Il Lunedi, li 22 corrente, si rappresentô davanti questa Maestà, Card'^ Mazzarino

e la magi'e parti délia nobiltà di Francia in conformità délia capacità del luogo al-
quanto augusto, et riusci assai di loro gusto ». Lettre du 25 novembre.
2)6 l'opéra italien ex FRANCE

guïtc de la salle, le Xcrsc cessa d'être joué au Louvre, le 5 dé-


cembre. Il fut chanté encore une fois dans le palais deMazarin,
au mois de janvier, et la fatigue que le cardinal ressentit de
cette soirée ne fut pas sans incommoder gravement sa santé
chancelante. « M. le Cardinal, écrit l'ambassadeur Grimani le

II janvier', voulut, donner un festin


le soir de l'Hpiphanie,

en son palais beaucoup de grandes dames.


à leurs Majestés et à

Outre les divertissements qu'on a coutume de donner ici, ce


soir là on eut encore la représentation en musique du Xerse
dans sa chambre. Le Cardinal a ressenti quelque incommode-
ment et quelque malaise de tout cela et s'est vu dans l'obliga-
tion de prendre certain petit remède.... » Deux mois plus tard,
Mazarin avait cessé de vivre.
Nous connaissons fort exactement la distribution de la pièce
par le livret imprimé "
et la magnifique copie de bipartition
exécutée par Fossard, l'un des conservateurs de la Bibliothèque
Musicale du Roi, en 1695 '.

I.l'S ACn-UKS DANS LE PROLOGUE :

Une Nymphe française (soprano). M"*-' Anne (La Sigiiora Aima Bcrgcrolli).

Une Nymphe espagnole (.s'()/i/-(///()). Le Sieur Melone (Gimeppc Melonc).


Xerxès (Xcnc), roy de Perse (Basso). Le S'' Bordigan (Paolo Bordigoiie).

Arsamène (Arsaiiiene\ frère de Xerxès (Contralto). Le Sieur Atto (Jlto


Mclani).
Ariodate (Ariodatc)., Prince d'Ahide, favory de Xerxès et général de ses
armées (Tciiorc). Le Sieur Taillavacca (Fraiicesco Tagliavaù-a).

Kcmiilde (Rt>iinlila), Sop. sct'urs, iiUes d'Ario- W^' Anni\ {Anna Bcrgcrolli).
\ date, toutes deux /

I
amoureuses d'Ar- i

Adelante (Jihilanlii), Sop. samène. , S'' Mi:lonc ((jinsippc Melonc).

I. Cite par Aclemollo, l'iiiui ftisli, \i. (S2. Arch. de Venise, h'niiiciii, fil^a, 126.
1. Xcrxi's coiiicihc \
en iiiiisi(jiii' \
de! Sii;iior Fraiiccsco Cavatli \
avec six eiilre'es ilc
I

Ballet ijui servent \


dluteiiiièdes à la comédie... Paris, Kobert Ballard, MDCLX, in-40
(15ibl. Nat., Yf 850). On lit sur le titre : H,rc quoque vniuera pacis.
5. AV;-.V(".s-
I
olh'ra italien I orné d'entrées de ballet, représenté dans ta Grande Gatlcrie des

peiutnies du l.oavre Rov après son inaria<;e ai'ec Marie-Tt.'érèse d'Antriclje,


deviint te

infante d'Espagne, l'an i()(w. Le Seigneur Franceseo Cavalli en a fait la musique et les
airs de ballet ont esté composés par Jean-Baptiste de LulK surintendant delà Musique .

de la (Chambre. — Recueillv par le S'' l'ossard, ordinaire de la Musique du Ro}-


l'an 1695. — Bibl. Xat., in-l" de 336 P'i.ges. Vm 42.
LES FÊTES DU MARfAGE ROYAL 1)7

Eumènes (Euiuene) Capitaine des gardes de Xerxès et son confident


(Soprano). Le Sieur Zannetto.
Elvire (Elviro), Domestique d'Arsamene (CoiilraJio). Le Sieur Chiarino
(Cbiariiii).

Amastris (Aiiunlra), l'ille du Rov de Susie, amoureuse de Xer\ès et tra-

vestie en honune (Soprano). Le Sieur Pliilippe, frère du Sieur Atto {Padrc


Don Filipo Mclaiii).
Ariston (AristoHc), escuyer d'Amastris (BassoJ. Le Sieur Ahsalon (Assa-
loiic).

Periarée (Pcriarco), ambassadeur d'Ottave, Rov de Susie (Basse). Le Sieur


Pichini (Picciiii ?) '.

Cliton (Clito), « Page de Romilde qui ne parle point » (!!) (Soprano).

Ton compare cette distribution à celle du AVr.sr, en 165^,


Si

à Venise," on constate que quelques modifications ont été


apportées à la version originale La pièce qui primitivement :

était en trois actes a été divisée en cinq actes. De nombreux pas-


sages ont été remaniés ou coupés '. Les rcMes des mages Sesostre
et Scitalce ont été supprimés ainsi que les nombreux choeurs
de la partition de 1634': (>hori di Spiriti, di Marinari, di Per-
siani,Damigelle, Soldati', Paggi, Indiani, Greci... En revanche,
des ballets ont été ajoutés dans les entr'actes du drame; ils

n'ont aucun rapport avec l'action et se rattacheraient plutôt au


prologue. Ce prologue consiste en un dialogue italien entre
une Nymphe française et une Nymphe espagnole, qui s'ac-

cordent à célébrer les vertus des monarques. La musique en

1. Un certain Vincenzo Piccini chanta, en 1664, dans Topera de Cesti : Jlcsstiiulro


il Vincitor di rcMe d'Aristotile. CA. W'otqucnne, Libiclli. p. 11.
se sti'sso, le

2. V. Taddeo W'icl, / i('(//V/' iiiiisicali coiilariiiiani dcl uro/o XIAl iiclhi R. Bibliolcca
di Sau Marco in Venc^ia. Vcnezia, 1888, in-8<\ p. 2^. La partition porte la cote : Ms.
Marciani, 9898, à la Bibl. Saint-Marc.
3. A Paris, l'acte I comprend les scènes I IX inclus. L'acte IL les scènes X à
XIX. L'acte III, les scènes I-XIII de l'acte IL L'acte IV, les scènes XIV-XVI de
l'acte II et LX de l'acte III. Enfin l'acte V, les scènes X-XX du IIL' acte de la version
originale.
4. A Venise, l'air de Xerse Oinhro iinii Ju est chanté aussitôt après la brève sym-
:

phonie qui sert d'ouverture. A Paris le beau récit Kinmiiti oiiiica piaula le prépare :

en quelque sorte et l'annonce. —


La scène II du second acte a été supprimée au con- ;

traire la scène \' de l'acte II de la version de Paris (air de Romilda) manque à


Venise.
). Le « Coro de Soldati Addieiro l'il caïun^iia » est transformé en un trio chanté
:

par Romilda, Amastre et Lumenes (Acte IV, se. 3).


258 l'opéra italien en FRANCE

est perdue. Etait-elle de Ciivalli ou de Lulli? on peut se le

demander. Des intermèdes de Lulli, il ne nous reste que les


danses alertes, bien rythmées '
et une magnifique ouverture
française, un des premiers modèles du genre". Lulli avait écrit
également quelques airs italiens pour ces divertissements,
mais ils ont disparu. La deuxième entrée mettait en scène des
« paysans et paysannes, chantant et dansant à l'Espagnol ». La
sii^nora Anna Beri^ferotti, Atto Melani et Paolo Bordii2;one
paraissaient sous un déguisement rustique et entonnaient un
trio, tandis que les danseurs, entraînés par l'agile Baptiste,
gambadaient folâtrement '. Lulli se prodiguait, comme baladin,
au cours de la soirée et, tour à tour, figurant un basque, un
paysan, Scaramouche, un patron de vaisseau, un matassin et

Bacchus, prenait part aux six entrées, entouré des meilleurs


danseurs professionnels de la cour^ : Beauchamp, Tartan, Le
Il est incontestable que les grimaces de Lulli-Sca-
\^icher, etc.
ramouche, déguisé en docteur, captivèrent beaucoup plus le
public que les tendres plaintes d'Adalanta, jalouse de sa sœur
Romilda.
« Il y avait dans le Xi'rsf de Cavalli, assure M. Romain Rol-
land, de quoi légitimer peut-être plus que de l'indiflerence. La
pièce est fastidieuse ; et malgré quelques jolis airs, calmes, un
peu mélancoliques et précieux, la musique ne rachète pas
Tinsipide longueur de l'opéra '. » Le jugement est sévère il y :

a des pages admirables dans la partition, mais il faut avouer


que la niaiserie du texte rend pénible la lecture de l\x:uvre de
Cavalli : Xerxès et son frère Arsamène aiment la princesse
Romilda. Romilda et Adalanta sa sœur aiment toutes deux
Arsamène. Jalouse et méchante, Adalanta multiplie les embû-

1. Dans les recueils des b.illcts de l.ulli à la Bibl. Xat., Vni. 61, au Conservatoire
(Coll. Philidor), etc.
2. V. Henry Prunières, Notes sur ronverliire frciiiçaisc. SaDtiiiclbandi' dcr lut. Miisik-
geselhchaft, 12 Jahrg, IV heft (191 1), p. 582 et 583.
Ces intermèdes impressionnèrent vivement Christian Ihu'ghens qui ne souffle
3.

mot de la musique de Cavalli « La Signera Anna chanta. Monsieur La Barre


:

joua du theorbe devant le théâtre où estoit toute la musique ». Œuvres complètes de


Christian Huxgheiis. Tome III, 199-200, note 10.
4. \'. le livret déjà cité. Bibl. Nat., Vf 850.
j. L'Opéra eu liurope, p. 252.
LES FETES UU MARIAGE ROYAL 2)9

ches SOUS les pas des amants. Un malentendu va précipiter le

dénouement: le père des deux jeunes filles, Ariodate, favori de


Xerxès, croit comprendre, aux discours du roi, que celui-ci
souhaite l'union de Romilda et d'Arsamène et il s'empresse de
combler les vœux des amants. Xerxès, à cette nouvelle, entre
en fureur et veut les faire tous périr, quand une femme se jette

à ses pieds et implorela mort à la place des coupables,


c'est

Amastris, la filledu roy de Susie, promise à Xerxès dès son


jeune âge et amoureuse de lui elle a suivi, sous un travestisse-
;

ment viril, toutes les péripéties de faction et s'eftbrce d'apaiser


la colère du roi. Xerxès, ému, pardonne et épouse Amastris. Il

est probable que le public français, qui n'avait pour le guider


qu'une brève analyse de la pièce, ne dut pas démêler grand'-
chose à cette intrigue compliquée. L'emploi des castrats, aussi

bien pour les rôles d'honmies que pour les rôles de femmes, et
la situation singulière du R. P. Filippo Aielani, travesti en
homme pour représenter la princesse Amastris, ne laissèrent
sans doute pas de surprendre les auditeurs.

Comment le fougueux Cavalli put-il s'accommoder d'un tel


sujet? Comment put-il écrire, sur un poème aussi fade, une
partition qui fut célèbre et chantée dans toute l'Italie? c'est ce
que nous avons peine à comprendre aujourd'hui. On ne trouve
rien, dans le Xrrsc\ de ce qui fait l'illustration et la gloin.- de
Cavalli ni grandes scènes dramatiques, ni vastes fresques sym-
:

phoniques. Cavalli s'est essayé à un genre pour lequel il n'était


point fait, mais qui exerçait sur lui une sorte de fascination :

le style de cantate. Déjà, avec lligislo, il avait tenté cette voie


et poursuivi l'idéal de beauté plastique qui guidait les efforts de
l'école romano-napolitainc. Cavalli, dans le Xersc, épanche des
fiots de mélodie. S'il n'a pas la distinction aristocratique, la

suprême élégance d'un Luigi Rossi, il surpasse presque celui-ci


par la plénitude des formes, par l'ampleur de la mélodie. Même
lorsqu'il veut écrire de la musique raffinée et aristocratique,
Cavalli conserve ses défauts et ses qualités de musicien popu-
laire.

Le récitatif, noté avec négligence, ne manque pourtant pas


de souplesse. Il est moins sec et plus chantant que dans VOrfeo.
2é0 l'opéra ITALIEN' EN FRANCE

La mélodie s'en dégage tout naturellement, comme chez Lulli,


sans donner cette impression de brisure, parfois si désagréable
dans les œuvres de l'école romano-napolitaine. En général, le
récit est écrit à deux ou quatre temps et Varia part à 3/2. Cette
alternance des mesures binaires et ternaires paraîtra aux étran-
gers la caractéristique de l'opéra lulliste ; pourtant il suffit de
jeter les yeux sur la partition du Xcrsc pour voir que Cavalli a
abusé véritablement de ces contrastes rythmiques. Il fera d'ail-
leurs de même dans Ylivcolc AunuUc. Par plus d'un détail le

Xcrsc annonce l'esthétique de l'opéra français. Qjuinault se


plaira aux mêmes complications amoureuses, aux travestis, aux
malentendus tragiques qui forment la trame du poème de
Minato. Lulli aura plus de respect que (^axalli pour le récitatif,

mais cherchera, comme le \énitien, à lui donner une forme


il

mélodique et à y fondre en quelque sorte l'^r/aso. Enfin, il aura


une conception du rôle descriptif de l'orchestre analogue à celle
de Cavalli. Bien qu'on ne trouve point, dans le Xcrsc, de ces
fresques symphoniques qui servent de décors sonores aux
grandes scènes du Giasoiic, de La DoricJca ou de YErcolc Atuantc,
la musique instrumentale, réduite à l'emploi de brèves ritour-

nelles, garde son caractère descriptif. Romilda évoque-t-elle la

passion de Xerxès pour son platane, la ritournelle qui précède


l'air: di raiiii froinhsl semble la plainte des feuilles agitées par
le vent '.

Le rôle de Xerxès est fort beau '. Le récitatif et l'air du pre-


mier acte où le roi célèbre la beauté de son arbre chéri : Ombra
mai Jii, Vd\r Bcato cl.)i piio l\uc l'édition Cevaert a popularisé,
enfin la scène où le roi désespéré appelle la mort: Lasciafciiii
morir, .s"/<7/<' peuvent prendre place parmi les plus belles créations

1. Ily a de beaux exemples accompagnés dans le AV/.V(', par exemple .à


d'airs
l'acte V, scène 4, l'air d'Aristone Lu Douta cadiila in huci d' Aiiioic. Une gracieuse
:

ritournelle précède la canzonetta du page A si\ mi ftite ridcre (Acte II, se. 7). Le bel
:

air d'Adelanta à l'acte IV Vibra pur ii^iiado Arcicro est accompagné de manière
:

expressive par deux violons. Les tendances descriptives sont manifestes aussi bien
dans les accompagnements que dans les chants. \'., par exemple, à l'acte II, l'^ii''
d'Ariodate (rid la Ironilui où la voix simule une sonnerie de tre)mpette, tandis que
:

la basse semble un roulement de tambour.

2. A Venise, il est noté pour voix de contralto (clef d'ut 5^ ligne), à Paris il est
écrit en clef de fa.
LES FÊTES DU MARIAGE ROYAL 26 1

de Cavalli. Le rôle de Romilda est aussi très émouvant et

abonde en trouvailles mélodiques d'un charme élégiaque et


pénétrant. Chaque scène du Xerse prise séparément est admi-
rable et l'on comprend qu'Atto Melani proclamât cette musi-
que vraiment digne du Paradis », mais l'ensemble est languis^
(c

sant et monotone. C'est un défaut commun à beaucoup d'opé-


ras du temps, témoin le PaJaT^-o d'Atlante qui, malgré ses mer-
veilleuses beautés, ne laissa pas d'ennuyer extrêmement les
invités du cardinal Antonio Barberini '. Comme le remarque
M. Romain Rolland, le Xcrsc est d'une incroyable « monochro-
mie de sentiments et d'expression ». Le compositeur, et surtout
le librettiste, n'ont pas su ménager dans leur œuvre des con-

trastes de lumière et d'ombre. Tout se déroule dans un perpé-


tuel clair obscur. On souftre à la fin de ce manque de couleurs
tranches, de ce parti pris de sfiimato. Tel air qui, chanté isolé-
ment, eût soulevé l'enthousiasme, entendu après un nombre
infini de morceaux exprimant de manière semblable des senti-
ments semblables, devait fatalement passer inaperçu ou agacer
les nerfs d'un public fatigué par une audition de huit longues

heures dans une salle inhospitalière.

Le théâtre des Tuileries ne pouvant être prêt pour le carna-


val, on se préoccupa d'un spectacle qui fît patienter le public
jusqu'aux représentations de VErcoJe Aiucuitc' Reprendre AVnr, .

il n'v fallait point songer. Le succès en avait été médiocre et

la pièce oftmit au jeune roi trop peu d'occasions de faire

admirer son adresse de danseur et de mime. On tomba d'accord

1. Cf. Henrv Prunières, Les repir'seutiUiotis du Piila~~o (V Atlante à Rome. Siuinii. der
I. M. G. 191 3, fasc. 2û.

2. Vers la fin de décembre on donna dans l'appartement de la Reine un petit ballet

imprimé au cours duquel Lulli débita un récit tnrquesque qui remporta un grand
succès. V. Henrv Prunières et La Laurencie. Li Jeunesse de Lully. S. I. M. IQ09, avril-
inai.
262 l'opéra italien en FRANCE

pour donner un ballet mi-français, mi-italien, où les danseurs


de la cour et les chanteurs ultramontains pourraient également
déployer leurs talents. L'ahbé Buti et Renserade se mirent à
l'œuvre et écrivirent, pour le BdJlrl de ïlnipaticiicc \ le premier,
un prologue et un épilogue en vers italiens, le second, quel-
ques gracieuses chansons et les vers pour h's personnages du
halJei. Le tout fut rapidement terminé.

Vigarani avait déjà fait démolir le théâtre qui avait servi aux
représentations du \erse et enlevé les tapisseries, quand il reçut
l'ordre de dresser une autre scène en la même salle. Pendant
qu'il s'ingéniait à construire un théâtre dans le style « gro-
tesque » "
avec des rocailles et des coquilles argentées, on
répétait activement. Déjà on annonçait la première pour la

semaine suivante, quand un terrible incendie éclata au Louvre,


le 6 février, et réduisit en cendres la galerie des peintures' et
les apprêts de la fête. 11 fallut, en toute hâte, remédier à ce
désastre et dresser une nouvelle scène sur laquelle fut dansé
le Ballet de Flmpalieiiee, le 19 février 1661, « en présence des
Revues, de Monsieur, des Ambassadeurs et de tous les Sei-
gneurs et Dames de la Cour à qui ce divertissement parut des ^

plus agréables, tant par la beauté des récits, l'excellence de la

svmphonie, les superbes décorations et la richesse des habits


que par l'invention du sujet et l'exécution qui en fut admi-

Vigarani donne à ce ballet le titre de /,(( sniohi irAiiiorc dans une lettre du
1.

2.4décembre 1660 (Corrcspoiuhiinc, p. 4^).


2. Lettre de Vigarani du 21 janvier 1661 « Queste Maestà si vanno trattenendo
:

con balletti e iVa pochi giorni danseranno sul palco délia nuova scena grottesca già
linita,attendendosi in questo nientre si iinischino gli habiti di iattura grande e di
gran spesa... » Dans la lettre du 24 décembre, Carlo Vigarani décrit longuement les
décors (CorrespoinUiHce, p. 43.) Brienne dans ses Mémoires parle d" « un superbe ballet
dont la décoration devoit être de colonnes de brocatelles d'or à fond vert et rouge... »
{èdil. Barrihr, II, \o). i

3. Par bonheur, on en avait retiré quelques jours auparavant les tableaux qui gar-
nissaient les murs. V. (ht^i'IU-, 1601. p. 131 et Mu;i' bisloritjiie, édit. Livet, tome III,

p. 318. — La populace accusa les Italiens d'avoir mis le feu au Louvre (V. Corjcs-
poiuhiiicc des Vigarani, p. 48).
La presse estoit grande, écrit Christian Iluyghens, le 27 février 1661, parce
4. «
que la Sale ne l'est guère le feu... avant emporté la galerie des Peintures où l'on
;

avoit basti un beau théâtre pour \- faire dancer ce mesme ballet. » Œuvres coDiplètes,
m, 252.
LES FÊTES DU MAR' \GE ROYAL 263

rable '. » Mazarin, gravement malade à Mncenncs ne put jouir


de ce spectacle'.
La structure du BuJhi de Fliiipuliciicr est à peu près la même
que celle à\4Jcidia}h' ou de La Raillerie. Un long prologue
chanté, en vers italiens, met en scène l'Amour qui « enseigne la
Patience en son escole » '. Tour à tour, il modère l'amant sen-
suel, l'amant jaloux, Tamant capricieux, avec l'assistance des
vertus : Constance, Humilité, Prudence et Fidélité... Le ballet

commence alors. Une sérénade, donnée par un Grand à une


dame, en fait l'ouverture. Lulli avait écrit, pour les vers de
Benserade, une exquise mélodie dont se fût glorifié le meilleur
des musiciens français de la cour^ Au reste, il attestait, dans
tout ce ballet, la variété incroyable de ses talents. Comme le

disait le gazetier Loret, il avait « sur tout plein de tons divers


composé presque tous les airs » '
italiens ou français, pour les

voix comme pour les instruments.


Suivant l'usage, chaque partie du ballet commençait par un
récit. La IV^ s'ouvrait par un « récit crotesque italien » des plus

amusants et la représentation finissait par un épilogue en style


récitatif: l'Amour y dialoguait avec la Patience, l'Lnpatience et

le chœur des amants. La musique de l'épilogue et du prologue

ne se trouve pas dans les recueils de ballets de Lulli. Faut-il en


conclure qu'elle n'était pas l'œuvre du Florentin, mais de
Cavalli ou de quelque autre maître italien? La question est

douteuse, il est fort possible pourtant qu'à vingt ou trente


ans de distance, Lulli, devenu absolument français de cœur et

d'esprit, ait méprisé ces fragments récitatifs italiens et ne les ait

pas admis à figurer dans les recueils manuscrits qui se vendaient

1. Galette, 1661, p. 204.


2. Le 28 février, son état est considéré comme désespéré. On t\iit des prières
publiques pour sa guérison. (V. la Galette). L'incendie qui avait pris tout à côté de
ses appartements et l'avait obligé à partir pour Vincennes, l'avait vivement trappe.
V. Brienne, Mémoires, éd. Barrière, tome II, p. iio.
3. Ballet de riinpatieiice danse par Sii Majesté le k) février 1661 Ballard,
MDCLXI.
4. C'est l'air « Sommes-nous pas trop heureux » qui resta longtemps populaire. La
musique du Ballet de riinpalieiicenous a été conservée (Bibl. Xat., Vm. 6/1 (tome I),
colh'it. Philidor, etc.).
5. Mu^e historique, éd. Livet, III, p. 326.
264 l'opéra n •.LII-N EN FRANCE

chez marchands de musique du royaume; quoi-


les éditeurs et

qu'il en soit, nous ne pouvons plus juger du talent de Lulli

pour la musique italienne, en 1661, à la veille de se consacrer


à l'art français, que par le seul récit des Preneurs de tabac.

Ce divertissement, d'une bouffonnerie prodigieuse, annonce


les meilleurs intermèdes de Monsieur de Pourceaugnac ou du

Boiirocois ociitilhonniir. Lulii était sans doute l'auteur des paroles


car elles ne se retrouvent pas dans le livret imprimé de l'abbé
Buti. // Mih'slro di niiisicd débite « son récit crotesque » où
il vante le tabac, et dans un jargon, mi-italien, mi-latin de
cuisine, exhorte ses écoliers à s'en garnir les narines. Le chœur
des scoJari coupe de refrains joyeux les discours du maître.
Le style de Lulli est déjà très reconnaissable dans ce divertis-
sement '.Nous trouverons des tournures mélodiques et rythr
miques identiques dans les récits de basse du Magicien dans
Je Mariage foreé, du Pédant Barbacola dans les \oees de 111-
hige, du Mufti dans le Bourgeois gentilboiiiiiie, d'Arbas dans
Cadiirus et Heriiiione. Cet intermède fut interprété par le signor
Assalone (Maestro di xMusica) et les signori Bordigone, Melone,
Piccini, Gio. Agostino Poncelli et Chiarini, formant le ehoro
di seolari. Lulli en personne accompagnait les voix en grattant
de la guitare, aux côtés des deux théorbistes La Barre et Vin-
cent et de l'excellent violiste Itier.

Le du Balhi de ÏBupatieuee nous fournit l'état de la


livret

troupe italienne à la veille de la mort de Mazarin. Elle était


^
composée de douze chanteurs trois sopranistes (Melone, :

Antonio Rivani, Filippo Melani), trois contralti (Atto Melani,


Zannetto et Chiarini), deux ténors (Tagliavacca et Gio. Agost.
Poncelli), trois barvtons et basses (Assalone, Bordigone,
Piccini). Une seule cantatrice, la signora Anna Bergerotti
(soprano), figurait dans cette troupe.

1. Nous le publions en appendice (n" \'I, pp. 19-26).


2. Melone était tenu en haute estime à Rome.
.Vu mois de septembre 1661,
Elpidio Benedetti rend Lionne d'ime sérénade qu'il a donnée à
compte .1 de
Marie Mancini, la nouvelle connétable (x)lonna, et lui en envoie la musique en ajou-
tant « Le mando ancli' la musica di due belle ariette di essa sperando sieno per pia-
:

cere a S. M"» sentendole da M. Melone. »


Aff. Etr., Rome, 142, 1" 88 v°. —
V. ayssi Rome, 141, {'^ 585,
LES FÊTES DU MARIAGE ROYAL 265

Il semble, à lire les comptes rendus de Loret, que les Ita-

liens remportèrent cette fois les suffrages des auditeurs pari-


siens.
« L'harmonie v fit des miracles,
Car les divers Muziciens,
Tant de la Cour, qu'italiens,
Si parfaitement réussirent,
Qii'ils délectèrent, qu'ils ravirent.

O que l'on fut bien divertv

Par l'aimable Bergérotv,


Dont la voix est mignonne et claire '... »

« Les huit récits furent fort beaux.


Animez par des airs nouveaux.
Et par les voix incomparables
De divers chantres admirables
Qui firent d'excellens débuts.
Tant les barbus que non barbus -. »

Le public parisien goûtait cent fois plus la musique ita-

lienne de Lulli, pleine de concessions à la sensibilité française,

que l'œuvre originale et foncièrement italienne de Cavalli dont


la hardiesse et la véhémence expressive lui semblaient un atten-

tat au bon goût et à la raison. Aucune gazette, aucun mémoire

ne fait mention de la présence à la cour de l'illustre Cavalli.


Tous sont pleins, au contraire, des faits et gestes de finimitable
Baptiste'. Par un singulier caprice du sort, on oublie même sa
nationalité; et, lorsqu'après la mort de Mazarin, se formera la

cabale des musiciens français contre les italiens, nul ne songera


à s'ébahir de voir Lulli en prendre la direction avec impudence.

1. MiiyC historique, cdit. Livet, III, 522.


2. Ibid., III, 325.
5. Une réflexion de Carlo Vigarani à propos du Ballet de l'Impatience est à noter :

« Bisogna noi cedere a la Francia in materia di vestimenti, e di balletti, e di siioiii. »


Il s'agit évidemment des airs de danse de Lulli (Correspondance, p. 51).
CHAPITRE VI

LIÎRCOLIi AMANTE I^F LA CABALE AXTI-ITALIEXNE

I. Mort de Mazarin. — Lulli, surintendant de la Musique. — BaJIcl des Saisons. —


Disgrâce de Torelli et d'Atto Melani.
IL Derniers préparatifs de VErcole Aviaiile. — • Arrivée de nouveaux musiciens. —
Les répétitions. — La représentation.
IIL UEicole A>iiaiitc : Le livret, la musique, les ballets et la mise en scène.
IV. Chute de l'opéra de Cavalli. — Ses causes. — Départ de Cavalli.
V. Triomphe de Lulli. — Licenciement de la troupe italienne. — Les derniers
italianisants.

Depuis plusieurs mois Mazarin languissait en son château de


\'incennes. La fête magnifique qu'il avait donnée au roi et à la
cour, cette fêteoù il avait fait chanter le Xerse de CavalH, l'avait
épuisé. Il était retombé malade et, depuis cette date, voyait
avec une force d'âme et une résignation singulières la mort
approcher à grands pas'. On se préparait à lui donner à Vin-
cennes le divertissement du BaUci de Tluipaticuce quand il '

expira, le 9 mars 1661. Cet événement eut une inlkience con-


sidérable sur les destinées de notre musique dramatique.
Les chanteurs italiens n'avaient jamais été populaires à la

cour. Nous avons eu maintes fois l'occasion de rappeler le

1. Quatre jours avant sa mort Mazarin se fit farder et sortit en chaise. V. Loménie

de Brienne, Mémoires, êdit. Barrière, tome II, p. 124 et 128.


2. Loret écrit le 3 mars dans sa Mic^e historique :

« Sur la fin de cette semaine.


On devoit, encor, dans Vinceine,
Danccr ce balet, ni.iis le mal
De Monseigneur le (^.irdinal.
Dont la Cour est plus qu'angoissée,
Leur a fait changer de pensée. »
lidil. Liz'et, III, p. 327.
l'ercole amante et la cabale anti-italienne 267

mépris qu'inspiraient les « chastrez, l'horreur des Dames et la

risée des hommes '


». L'art dont ils étaient les interprètes auprès
du public français charmait un petit nombre de dilettantes
avertis et de musiciens mais laissait la masse indifférente. On
reprochait aux opéras d'Italie leur longueur et surtout on se
plaignait de ne pas comprendre le sens des paroles. Ce dernier
argument était si fort que Tabbé Buti. si Ion en croit Perrin,
aurait maintes fois conseillé à Mazarin ce de les faire tourner et

chanter en françois ». A cela Mazarin aurait répondu qu'il « ne


choses tant pour le public que pour le divertis-
faisoit pas ces
sement de Leurs Majestés et pour le sien, et qu'ils aymoient
mieux les verset la musique italienne que la françoise '. »
Vraie ou fausse, cette anecdote dépeint bien la situation. Le
goût personnel de Mazarin est la seule raison d'être des repré-
sentations d'opéras. Fruit d'une civilisation très différente de la
nôtre, ce genre théâtral ne répond aucunement aux aspirations
de notre génie. Sa conception même est en désaccord avec
notre tradition dramatique '. Il ne satisfait en France aucun
besoin de ou du cœur. Le succès de VOrfeo ou des
l'esprit

Xo:^r^e di PcJeo beaucoup moins par l'enthousiasme


s'explique
d'un petit groupe de dilettantes italianisants que par l'attrait
de la nouveauté, la beauté des ballets, la magnificence du spec-
table et les nécessités de la politique : il était dangereux de
mal parler de l'opéra, le cardinal ne pardonnant pas ce genre
d'offense. Seuls, de grands seigneurs comme le duc de Guise
pouvaient se permettre quelques critiques. Mazarin mort, cha-
cun reprend courage et crie à tue-tête ce murmurait
que l'on
tout bas. Perrin publie sa lettre à « l'archevêque de Turin » +

pleine de fanfaronnades ridicules et de calomnies absurdes

1. Perrin. Lettre à l'Archevesque de Turin. Œuvres de poésie, 1661, p. 287. La


haine des chanteurs italiens n'était pas particuHère aux Français. En Suède on leur
jetait des pierres dans les rues. V. André Pirro, Dietrich Buxtehude. Paris, Fischbacher,

1913, in-80, p. 32 et 33.


2. Œuvres de poésie, p. 285.
3. Au moyen, âge les mystères sont entremêlés de chant mais non déclamés musi-
calement d'un bout à l'autre comme la plupart des Sacre rappreseiita^ioui italiennes.
4. Le Signor délia Rovere, résident de Savoie à Paris et qui ne tut jamais arche-
vêque. V. page 348.
268 l'opéra ITAI.IEX en FRANCE

contre la musique récitativc. Les courtisans, par haine des


créatures du feu cardinal, font chorus avec les compositeurs et
les poètes, jalou'x de la faveur dont jouissent les ultramon-
tains. Louis XIV, bien qu'à l'origine grand amateur de musique
italienne ', ne demande qu'à croire à la supériorité artistique
des Français et désire se passer le plus possible des étrangers
aussi bien dans ses plaisirs que dans ses affaires.
11 semble que ce mouvement national eût dû contrarier la

fortune du florentin Lulli; au contraire, il la servit. Lulli, nous


Tavons vu, s'était fait connaître autant par ses compositions
instrumentales que par ses airs italiens et français. Il n'avait
jamais appartenu à la musique du cabinet du roi, où s'étaient
groupés les musiciens ultramontains, mais dépendait de l'admi-
nistration de la Chambre, où étaient réunis les Français. Son
attitude était donc assez équivoque. A coup sûr les Italiens
devaient le considérer comme un transfuge, les Français comme
un intrus. Au point de vue matériel, sa situation n'était pas
moins singulière: Lulli, favori du roi, seul musicien vraiment
célèbre et populaire à la cour; Lulli, à qui incombait le soin
d'organiser toutes les fêtes et de composer la musique des
ballets, n'était titulaire, en 1660, que d'une fonction insigni-
fiante. Oflîiciellement, il en 1653, «Inten-
était encore, comme
dant de la Musique Instrumentale»; en fait, ses pouvoirs
étaient illimités, il éclipsait Cambefort et Boesset, les surin-
tendants de la musique, et par dessus leur tête faisait ce qu'il

lui plaisait avec fassentiment et la constante protection du


roi '.

La mort de A4azarin marque les débuts de la brillante car-


rière oflicielle de Lulli. Le vieux (Cambefort étant décédé fort à
propos, au début de mai ', le Florentin fut pourvu de la surin-

1. Ses airs favoris durant sa jeunesse sont tous italiens. V. la lettre de Tagliavacca
citée plus haut, p. 183. Louis XIV jouait de la guitare. L'n manuscrit de tablature de
guitare de la Bibl. Nat. contient « La Sarabande du Rov Non voglio ^uarire 11'il :

»iioma! curare ^
più loslo iiiorirc —
chc mai non amarc. » Vmy/éy), p. 37.
2. IL Prunières, I.iilly, I.aurcns édit., 1910 (in-8")- L- de La Laurencie, LiiIIv.

Alcan édit. (in-8"), 191 i.


3. V. Henrv Prunières, Jean de Canihefort, siiiintenihinl de Ja Musique du Roi. Année

Musicale i(^i3- (Alcan, 191 3).


l'ercole amante et la cabale anti-italienne 269

tendance, du même mois.' De ce jour, il se campe en


le 19
champion de la musique française. Il rompt les derniers liens
qui l'attachent à l'Italie, il sollicite des lettres de naturalisation,
qui lui seront délivrées, au mois de décembre, avec des atten-
dus fort élogieux pour « sa suffisance et capacité dans la musi-
que en toute manière, notamment en plusieurs beaux airs de
balets et de chants par luy composés en toutes sortes de
langues. ' »

Les intentions du nouveau surintendant apparaissent claire-


ment dans la partition du Ballfl des Sciisons représenté à Fontai-

nebleau, le 2 juillet 1661, un théâtre mouvant, imaginé


sur
par Mgarani'. On ny trouve pas un seul air italien. C'est un
divertissement de pure tradition française. Le récit de la Nym-
phe : Bois, ruisseaux, aimable verdure \ témoigne par sa grâce
mélodique que LuUi pratique notre style avec
et sa délicatesse

plus de naturel et d'adresse que les Français eux-mêmes.


L'habitude du récitatif italien lui donne une liberté d'expression,
une aisance que n'ont pas les autres compositeurs de la cour,
toujours un peu guindés et gauches, même dans leurs meil-
leures compositions.
Au mois d'août, la cour se rendit à Wuix, où le surintendant
Fouquet reçut le roi avec une magnificence inouïe. Lulli, peut-
être averti par Colbert, prit garde de se compromettre à cette

occasion. Il laissa Beauchamp, son camarade, composer la

musique des intermèdes des Fdeheux et ne se mêla de rien '. Il

était pourtant si populaire que Molière ne manqua pas de faire


passer son nom dans la comédie:

1. La Gii;clle relate en ces termes cette nomination c Le Koy voulant conserver sa


:

musique dans la réputation qu'elle a d"estre des plus excellentes par le choix des
personnes capables d'en remplir les charges, a gratifié le sieur Baptiste Lulli, gentil-
liomme florentin, de celle de Surintendant et compositeur de la Musique de la
Chambre. » Ga:ettc. Fontainebleau, 19 mai 1661, p. 480. V. aussi Ms. tr., 7651,
h> 9 vo.
2. V. Henrv Prunières et La Laurencie, la Jeunesse de Liilly, S. I. M., 1909,
P- 547-
3. V. la description de cette machine dans la lettre de Vigarani du 28 juillet 1661.
Correspondatice, pp. 59 et 60.
4. Bibl. Nat., Ballets de Lulli. Vm6 i, tome IL
5. La Musique de Beauchamp se trouve dans la collection Philidor au Conser-
vatoire.
270 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

« . . . . Baptiste k- très cher


N'a pas vu ma courante et je le vais chercher
Nous avons pour les Airs de grandes sympathies
Et je veux le prier d'v faire des parties. »

déclare le courtisan Eraste, mélomane fâcheux '.

Le machiniste 7'orelli, qui ne se consolait pas d'avoir été


supplanté par les Vigarani et exclu de la préparation des fêtes
du mariage une revanche éclatante. Il
royal, avait pris à \'aux
ne devait pas tarder à s'en repentir. Son triomphe fut de courte
durée. Le 22 août, La Fontaine dans sa lettre à Maucroix
raconte '
:

Deux enchanteurs pleins de savoir


Firent tant par leur imposture
Qu'on crut qu'ils avoient le pouvoir
De commander à la Nature ;

L'un de ces enchanteurs est le sieur Torelli,

Magicien expert et faiseur de miracles,


Et l'autre c'est Lebrun...

Quelques semaines plus tard, Fouquet était arrêté et Torelli


recevait Tordre de quitter le royaume au plus vite. Il n'en
avait aucun désir, car il avait épousé une noble parisienne.
Madame de Sué \ et avait pris goût à la vie de la cour française.
Il invoqua, pour demeurer, son état de santé. On trouve dans
les archives des Affaires étrangères une curieuse attestation
médicale dont voici la teneur : « Je soussigné Docteur de la
Faculté de Médecine de Paris certifie à tous qu'il appartiendra,
que le Sr. lacques 'Lorelli est tombé malade, dés son retour de
\'aux-le-Vicomte à Paris, d'une lièvre tierce, double tierce et

quarte et qu'il lui est impossible de sortir pareil sans intéres-


ser sa santé et courir risque de sa vie '. l'ait à Paris, le vingt

sixième Septembre mil six cent soixante et un. Li' Vasseur '. »

1. Edition des Grtnids Ikrii'tiins, tome III, 50.


2. Edition Moland, tome VII, p. 520.
3. V. l'rancesco Mili/.ia, ('/'. cil., II, 213.
[. /•'/-,(//((', 912, fo i2(S. Autre attestation de rapotliicaire Uassieo en date du 2S.
(//'/(/, f- 129).
5. Si on en croit 1-rancesco Mili/ia, Louis XIV regrettant peut-être son injustice
l'ercole amante et la cabale anti-italienne 271

A la fin, Torelli découragé se retira en son pays, laissant son


rival triompher en paix.
La disgrâce de Fouquet fit une autre victime dans le monde
de l'opéra En cherchant dans les papiers de l'accusé, on trouva
:

une volumineuse correspondance, fort compromettante pour


Atto Melani. Le castrat diplomate était déjà assez mal en cour,
à la suite d'intrigues auxquelles il s'était imprudemment mêlé.
Confident très intime des sœurs Mancini — on l'accusait en
riant d'en être amoureux '
— , il avait été désolé du départ pour
Rome de Marie Mancini, mariée, le 11 avril 166 1, au comman-
deur Colonna. « L'Eunuque qui demeuroit sans crédit !par
son absence et par la mort de M. le Cardinal (conte la
Duchesse de Mazarin dans ses Mémoires}, entreprit de se rendre
nécessaire auprès de moy. Mais outre que mon inclination
m'éloignoit fort de toute sorte d'intrigues, M"" AL me taisoit '

observer trop soigneusement. Enragé de cet obstacle, il résolut


de s'en veno;er sur M' Mazarin même. Cet homme avoit conservé
un accez assez libre auprès du Roy depuis le temps qu'il étoit
confident de ma sœur. Il luy va faire de grandes plaintes de la

rigueur avec laquelle M"" M. me traitoit... que M. Mazarin étoit

jaloux de tout le monde et surtout de S. M.... qu'au reste, il tran-


choit du Crand Ministre et qu'il avoit menacé de faire sortir tous
les Italiens de Paris... Ce qu'il y avoit de véritable dans ce rap-

port est que M. Mazarin avant apris quelque chose des intrigues
de l'Eunuque, avoit menacé de le chasser du Palais Mazarin où
il logeoit \ » Le roi ne prit sans doute pas fort bien cette inter-

envers Torelli, songeait à le faire revenir, vers 1670, pour construire le théâtre de
Versailles. Op. cit.. Il, 215.
1. « Ce ne personne (le Duc Mazarin) à qui j'eus le malheur de
fut pas la seule
plaire. Un Eunuque musicien de Mons. le Cardinal, homme de beaucoup
italien,
d'esprit, fut accusé de la même chose mais il est vray que c'étoit également pour
;

mes sœurs et pour mo\\ On luy faisoit même la guerre qu'il étoit encore amoureux
des belles statues du Palais Mazarin ». Mémoires D. M. L. D. M. (Duchesse de Ma-
zarin), A Cologne, chez Pierre du Marteau, 1675, p. 7. On a attribué la rédaction de
ces mémoires à Saint- Evremond, et à Saint-Real, en tous cas, la duchesse avait fourni
elle-même tous les documents nécessaires à leur confection. Les faits rapportés sont
tort exacts.
son époux. Le duc de
2. A/'" A/i;^i;r///, la Meillerave avait, en épousant Hortense
Mancini, le28 février 1660, changé son titre en celui de duc de Mazarin.
3. Mémoires, p. 40 et suiv.
272 L OPERA ITALIEN- EX FRANCE

vention d'Atto Melani, car le castrat partit pour peu de


l'Italie

temps après. De Rome, il se plaint, le 8 août, à M. de Lionne


de la suspicion où on le tient'. «Jugez un peu si je puis
m'hazarder et si je ne serai pas bien malheureux que tant de
gens qui ont vendu et trahi le Roy soient devant lui tous les
jours et que seulement l'injustice et le caprice de M. Mazarin
m'aie à faire demeurer éloigné de mon Maistre... Je vous con-
jure de repprésenter encore un peu au Roy les services que je
lui ai rendus en Allemagne et que les Autrichiens n'y vouloient

pas même souffrir mes frères pour estre moy en service du Roy
et pour avoir veu de la manière que j'ay exécuté les choses que
feu mon maistre m'avoit ordonnées. Enfin si je suis suspect
icy, je n'ai plus un lieu de retraite '. »

De Lionne avait sans doute réussi à empêcher le roi de dis-

gracier Atto, quand l'afiaire Fouquet éclata. L'imprudent Atto,


confiant dans la fortune du surintendant comptant sur lui
et

pour le défendre contre ses ennemis, lui avait envové réguliè-


rement des copies de toutes les lettres diplomatiques qu'il

adressait au roi et à ses secrétaires d'Etat. Louis Xl\', irrité,

ordonna à de Lionne de cesser tous rapports avec Atto. La


fatale nouvelle parvint au musicien comme il se trouvait à
Rome'. Il en ressentit une peine extrême: « Je ne suis plus
reconnaissable, écrit-il à de Lionne, le 25 octobre-^, et je

puis plus voir personne et d'entendre seulement nommer la

Cour me donne de l'horreur. » Le 31, il adressait au ministre


une lettre pitoyable '
: « Vous me mandez... que le mal est
sans remède et que le Roy est toujours irrité contre moy.
C'est l'arrêt de ma mort que vous m'avez tracé en m'écri-
vant cela... mon ànie n'est pas assez forte pour résister à un
malheur si grand... Sachez... qu'il n'y a pas une seule âme qui
le sache icy de ma bouche et qu'à force de dissimuler je me

suis détruit le cœur et l'âme. Je pleure le jour et la nuit comme


1. Par exception il écrit cette lettre en français, sans doute avec l'espoir qu'elle
sera montrée au roi.

2. Aff. Etr., Konie, 141, f" 302.


3. Lettre d'Elpidio Benedetti du 8 novembre 1661. Ati". lùr., Ronn', 142, f" 251.
4. Koiiie, 142, 1" 216.
5. Koiiii', 142, t"" 227.
L ERCOLE AMAXTE ET LA CABALE ANTI-ITALIEXXE 273

quand on a perdu sa maîtresse ', mais bientôt je me retirerai


dans un lieu de campagne chez moy où je ne verrai plus per-
sonne. Je pars demain pour cela et vous serez toujours avec
moy. Si le bon Dieu ne fait en sorte que j'oublie le Roy, le mal
sera incurable et je mourrai bientôt. »
Cette sinistre prédiction n'empêcha heureusement pas Atto
de vivre jusqu'à quatre-vingt-sept ans. Le roi fut long à lui par-
donner. En 1664, Atto n'était pas encore rentré en grâce mais
continuait à correspondre régulièrement avec de Lionne '
;

pour plus de sécurité il ne signait pas ses lettres. Le


24 août 1663, il écrit de Florence' que l'archiduc Sigismond
témoigne beaucoup de méfiance à l'égard de son frère. Don
Filippo Melani, depuis que ce dernier est allé en France. Le
prince a même fait saisir des lettres qu'il lui adressait.
On voit que dans cette étonnante famille des Melani l'espion-
nage la musique. Don Filippo était d'ail-
était inséparable de
leurs depuis longtemps suspect aux ennemis de la FVance,
puisqu'en 1639 les Espagnols s'étaient opposés à ce que l'archi-
duc Sigismond l'emmenât avec lui en Flandre par crainte de
trahison, ce qui avait déterminé la venue de D. Filippo à
Paris. Les autres frères d'Atto, les compositeurs Bartolommeo
et Alessandro Melani, n'aimaient pas moins les intrigues.
Alessandro Melani rendit, même dans les dernières années du
siècle, de si importants services au roi de Pologne que celui-ci

songea sérieusement à le choisir pour résident ofliciel. Alessan-


dro était à cette époque titulaire, depuis 1672, de la charge
de maître de chapelle de Saint-Louis des Français à laquelle
l'avait sans doute fait nommer son frère Atto. rentré en grâce
auprès de Louis XI\'.

1. Une main (celle de Lionne peut-être) a souligné ironiquement cette phrase du


malheureux castrat.
2. Celui-ci lui avait toujours conservé son estime. Il l'appelle « Notre ami Atto »

dans une lettre à Rome. Roue, 151, fo 118.


l'ambassadeur à
3. AfF. Etr., Toscane, ^,(0 109 « Dopo che D. Filippo, mio tVatello, ritorno da
:

Parigi a Innsbruck, l'Arciduca Sigismondo, suo Padrone, non lo vidde con quella con-
fidenza di prima et essendo poi divenuto régnante, non faceva altro che addimandare
se egli scriveva in Francia et li furno trattenute alcune lettere che egli scriveva a me,
per vedere se non scriveva le nuove di quella Corte. »

18
274 l'opéra italien en FRANCE

A cette date, Atto jouissait de nouveau d'un immense crédit


dans les milieux diplomatiques. Il avait joué un rôle important
lors du conclave de 1667 et se vantait d'avoir fliit élire son
compatriote Giulio Rospigliosi de Pistoia, l'ancien librettiste
de l'opéra Barberini. Durant le court pontificat de Clément IX,
Atto mène grand bruit à la cour papale. « Il fait l'important,
rapporte un diplomate, il vitupère, discourt et tempête. Il

entre et sort avec la liberté d'un Cardinal nepote... Il menace de


partir, s'imaginant mettre ainsi martel en tête au Pape'... »

Il conserva tard sa belle voix. En mars 1668, il se fait enten-


dre encore dans un concert chez les Rospigliosi. Mais, à cette
époque, on sait à peine qu'il a débuté comme chanteur d'opéra.
I:n 1700, il est chargé d'arbitrer une querelle de préséance entre
la République de \'enise et la ville de Lucques. On le trouve
souvent en France durant les dernières années de sa vie. Il fait

à Paris de fréquents séjours, de 1679 à 1714, date de sa mort.


Malheureusement, dans ses lettres, il ne parle plus que
d'affaires politiques et diplomatiques et l'on peut désespérer
savoir jamais ce que le vieux musicien, qui avait intimement
connu Luigi Rossi, Cavalli et sans doute aussi Carissimi et

Cesti, pensait de l'opéra français de Lulli, de Campra, de Des-


touches. A partir de 1661, Atto disparaît de l'histoire musi-
cale. Lorsqu'en 1677, La h\)ntaine remémore à M. de Xvert*:

Les longs passages d'Atto et de Léonora...

il semble qu'il parle de faits dont le souvenir se perde dans la

nuit des temps.

11

Lorsque la construction du théâtre des Tuileries fut assez


avancée pour qu'on pût songer à distribuer les rcMes de

1. Adcmollo, Un campanaio c la sua FamîgJia. Faiifulla Jclla Doincnica, 11° 52.


2. lipitre sur l'Opem. Ed. Molanâ, VII, 122.
LERCOLE AMANTE ET LA CABALE AXTI-ITALIEXXE 275

l'opéra, la troupe ne comptait plus que huit chanteurs. Atto


était parti pour Rome, Don Filippo Melani pour Innsbruck
et Assalone pour la Bavière '. Or VErcoIe comportait dix-huit
rôles ! On eut beau recourir à Mademoiselle Hylaire et à

Mademoiselle Anne de la Barre, qui chantaient en italien,

on dut reconnaître qu"il manquait encore trois cantatrices,


un ténor et un enfant sopraniste. Le grand-duc de Toscane
envoya à Paris la Signora Eleonora Ballerini qui s'était acquis
une grande réputation en chantant, sur le théâtre de la Per-
gola, Xlpcvuiiit'stni de Cavalli, en 1658, et, plus récemment,
le rôle de Megera dans VErcoIe in Tebc de Jacopo Melani ( 1 66 1 ) '

On fit aussi venir d'Italie les Signore Bordoni et Ribera ainsi


que le ténor \\ilpio \
Elpidio Benedetti s'était, une fois de plus, mis en cam-
pagne pour trouver des chanteurs. 11 suivait de loin, avec
un intérêt passionné, les préparatifs de VErcoIe Jiiiaiile. «J'avoue,
écrivait-il à de Lionne le 23 octobre 1661 ', que j'aurais
grand désir d'être un des spectateurs d'une fête si rovale, en
laquelle j'ai croyance que le sieur Buti s'immortalisera ; mais
il n'est pas convenable que je me montre aussi curieux ». Il

dut, au dernier moment, trouver un jeune chanteur pour

I. Il semble qu'on puisse eu effet identifier la basse Absalone ou Assalone ave^' la

basse Gabriele Ansalone de Naples que nous trouvons, en 1663, au service des princes
de Neubourg. V. Einstein, Italieiiische Mitsihcr aiii Hofe âer Neiibiii^^er Wittelsbacher.
Saiiniu'Ihdiide der I. M. G. 1907-1908, p.564 et suiv.
Ce Gabriele Ansalone était entré, la musique de la chapelle dt
le 26 juillet i6)7, à
Munich. (Eitner, Quellen Lexikon, I, 164). On se rappelle que dans une de ses lettres
Mazarin parlait de faire venir « la basse du duc de Bavière ». V. Pièces justificatives,
VIII, no 2.
Ademollo, Tealio in Via délia Peroola. Ricordi, page 2i et suiv.
2-

Gio. Battista Vulpio da Piedelugo est porté comme contralto sur le catalogue des
3.

chanteurs de la chapelle pontificale où il entra le 26 juin 1656. V. Adenii de Bolsena,


op. cit., p. 204 et Celani. / canton délia Cappella Pontificia. Rivisla Musicale,
1907-1909. Eitner cite quelques airs de ce musicien. Quellen Lexikon, X, 192.
4. Dans cette lettre, il accuse d'abord réception de l'ordre que le Roi lui a envo\é
« di mandargli un certo Musico per la gran comedia ». (Sans doute le chanteur
Vulpio de la chapelle pontificale). Il ajoute « come spero che seguirà quanto
:

prima, e ne ragguaglio S. M. inviandogli la lettera per l'istessa strada che mi è stata


mandata cioè di Me
Rosa, che l'ha cortesemente accompagnata. Coniesso il vero
ch'averei gran prurito d'essere uno dei spettatori de si regia festa, nella quale con-
fido che il nostro sig'' Buti s'immortalarà, ma non mi conviene di mostrarmi al
mondo cosi curioso... » Rome, 142, fo 205.
l-jd l'opéra italien E\ FRANCE

tenir remploi du page. De Lionne, le 26 novembre, écrit à


M. d'Aubeville, notre ambassadeur à Rome « le Roy vient de :

me commander de vous escrire de luy envoyer un petit gar-


çon, qui a la voix fort bonne, fils d'un nommé Cecchelli,
pour faire un petit page dans sa comédie en musique. Il

faut qu'il soit icy au plus tard vers le 10 janvier. M. Colbert


a escrit à Lyon pour faire remettre 200 escus au sieur Elpi-
dio pour son voyage et de celuy qui l'accompagnera. Cela
est fort pressé et que si celuy là ne pouvoit
si nécessaire
venir, par maladie ou autre empeschement, il faudroit en
envoyer quelque autre, avec la veue qu'il doit représenter
un petit page ». Le 27 décembre, Elpidio Benedetti lui
répond' « nous avons reçu le 23 de ce mois les lettres
:

qui nous donnent Tordre denxover par delà au plus tôt un


enfant pour cbanter et aujourd'bui que nous sommes le 27,
nous pouvons dire que nous avons trouvé quelqu'un à la
place de celui qui nous était demandé et qui se trouve à
W'uise. Ce ne sera pourtant point chose facile que de faire
partir en si peu de temps, et par une saison si rigoureuse,
ces chantres douillets, élevés dans du coton. Si nous ne déci-
dons pas le fils d'un musicien qui viendrait avec lui, nous
enverrons le sieur Hartolomeo A'irgilii qui pourra rendre
quelques services à M. le Duc de Crequi ».
Le 3 janvier, lilpidio annonçait à de Lionne qu'il avait
réussi dans sa mission. « L'enfant qui va remplir le rôle
d'un petit page est parti avec son maître Boccalini, j'espère
qu'il arrivera à temps pour passer la mer avec Madame d'An-
goulème ". En tout cas, je lui ai donné toutes les instruc-

j. Afl'. Rtr., A'cwc, 143, f" 504 v". « Ricc\cninio alli 23 dcl cadentc le lettcrc che

ci portorno l'ordine di mandare costà speditamente un figliolo per cantare et oggi che
sianio ail' 27, potiimo dire di haverlo provisto in luoco di quello, che si domandava
che si trova a Venetia. Non sarà pero poco in cosi brève tempo et in una staggione
cosi un longo viaggio questi ni' pancotti, avezzi nella bam-
rigorosa far mettere in
bace. E se un tiglio di un niusico che andarebbe seco, mandaremo
non risolviamo in
il sr Baroloni" Virgilii che potrà rcndcre qualche buon servitio al Sig"" Duca di
Crequi. » Aff. Ktr., Rome, 142, f" 394.
2. Madame d'Angoulème revenait de Florence où elle avait rendu visité à la

princesse Marguerite-Louise d'Orléans, mariée au (ils du grand duc de Toscane. Cf.


Rodocanachi, Les iutorhiiws iFiiiie pelile-fllîc iV Henri II'.
L ERCOLE AMANTE ET LA CABALE ANTI-ITALIENXE 2",']

tions nécessaires pour qu'il voyage rapidement '. » On voit


par cette lettre qu'Elpidio Benedetti était enfin parvenu à
envoyer en France son ami le musicien Francesco Bocca-
lini dont il avait si souvent vanté les mérites à Mazarin.
Boccalini d'ailleurs ne dut pas rester oisif durant les repré
sentations de YErcole. Il était fameux comme accompagnateur,
au clavecin et jouait fort bien du théorhe. Il prit sans doute
place dans l'orchestre dirigé par Cavalli.
On ne confiait pas le soin de réaliser le t'oiiliinio sur le cla-

vecin, les théorhes et la harpe à des artistes médiocres. Les


violes n'avaient à jouer que ce qui était noté, mais les ins-
truments d'harmonie se concertaient pour improviser sur la

basse chiffrée un accompagnement qui soutînt heureusement


les accents de la voix. On exigeait surtout du harpiste une

grande virtuosité et le choix de ce dernier était aussi impor-


tant, pour la réussite d'une pièce, que celui d'un protagoniste.
En 1639, lorsque Mazarin avait demandé conseil à Atto Melani
sur les musiciens qu'il devait appeler en France, celui-ci avait
indiqué Cavalli pour la composition et Gio. Carlo (Rossi)
pour toucher la harpe, mettant ainsi presque sur le même
plan un des plus grands musiciens de l'Italie et l'habile vir-

tuose, frère de Luigi Rossi.


Gio. Carlo Rossi vint à Paris, en 1661, et fut pourvu
d'un gros traitement. Il devait y demeurer plusieurs années
jusqu'au licenciement de la troupe italienne. Un autre instru-
mentiste fameux dut également à l'exécution
prendre part
de VErcolc Aiuaiiic Angelo Michèle Bartolotti.
: le Signor
Ce musicien, que le chanoine Ouvrard appelle dans une
de ses lettres « le plus habile sans doute pour le tuorbe
:

et principalement pour jouer sur la partie, que nous ayons

en France et en Italie '


», s'était fait d'abord connaître,
en 1640. par la publication de pièces pour la guitare espa-

1 . « Parti poi il putto, che viene per fare la parte d'un Paggetto con suo padrone
Boccalini. Spero che sarà giunto in tempo da passare il mare con Mad» d'Angolême.
In ogni caso gli ho dati tutti i recapiti per il di lui spedito viaggio. » Aff. Etr. , Rome,
144, 1° 24.

2. Bibl. Xat., Ms.fr., 9360, fo 6,


278 l'opéra italien ex FRANCE

gnole '. Puis il avait voyage en Europe et, en 1653, on le


trouve, en compagnie de quelques musiciens italiens, au
service de la reine Christine de Suède*. En 1662, il est à

Paris et se fait entendre dans les concerts qui se donnent


chez la SignoraAnna' duc et que fréquentent assidûment le

de Mortemart, le duc de Gramont, de Nyert, M. de Lionne


et d'illustres étrangers de passage, comme Constantin Huyghens.

En 1664, il figurera encore aux côtés de Gio. Carlo Rossi,


sur la liste des musiciens du cabinet du roi il est donc '
;

probable que cet artiste fut chargé, comme Gio. Carlo et

Boccalini, de la réalisation de la basse.

La troupe d opéra se trouvant au complet, les rôles furent


ainsi distribués :
'

Prologue

CixTHL\ Giuseppe Meloiie {castrai soprano).

Drame

Ercolk Piccini (hasso).

Vexere Mademoiselle Hylairc {sopi-aiio).

GiuxoxE Antonio Rivani (caslral soprano).

Hyllo, tiglio d'Hrcole .... Gio. Agostino Poncelli Qeiiorc).


loLE, iiglia del rè Kutyro . . . Signora Anna Bergerotti {soprano).
Paggio ? {castrat soprano).

Dejaxira, moglie d'Ercole. . . Signera Leonora Ballerini {soprano).

Licco, suo servo Chiarini {castrat contralto).


Pasithea, moglie del Sonno . . Signora j^ordoni {soprano).
SoNXO, personaggio muto .

Mercurio (Tagliavacca r) {tcnorc).

Nettuxxo \
.

^ „ Bordigone {l>asso).
Ombra del re hutvi'o, padredPTlole
,
, , j 1 . v
' ^

Ombra di Bussiride Zannetto {castrat contralto).

Ombra di Laomedoute rè di Troïa. \'ulpio {tcnorc).


Ombra di Clerica Regina . . \.
,, , ,, , 1 ,-, ^ u \
, ^ " Mademoiselle de la Barre {soprano).
La Beile/za '

1. Libro di chitarra spagnuola di Ani!,i()lo Micliclc Bartolotti Dcdicato alF 111'"" e


Hcc"'" Sig. Duca Salviati... (Dédicace du 9 août 1640). liitner, Oiietten Lcxitcon, I, 3)<S.

2. .Vndré Pirro, Dielrid) JSiixh'IjiiiiiIc. Paris, 191 5, p. p.


3. lonckbloct et I.and, Coi rc^poinliiiicr di' (^.oiisldiiliu Huyi^ljciis, )i. 53.
4. Arcli. X.it., KI\. 215, r» 13\".
5. La distribution est donnée par le livret imprimé de la pièce.
l'ercole amante et la cabale anti-italienne 279

Coro musico délie tre Grazie. Sig" Ribera. Sig. Melone e Zannetto.
Coro musico de' fiumi.
Coro musico d'Aure e Ruscelli.
Coro musico de' Sacrificanti al sepolcro d'Eutvro.
Coro musico d'Animé infernali.
Coro musico di Sacerdoti di Giunone pronuba.
Coro Armonico di' Tritoni e Sirène.
Coro muto di Damigelle d'Iole.

Nous ignorons quelle fut l'exacte composition des chœurs.


Sans doute eut-on recours, comme pour les Xo~~e di Pcleo c

di Tlh'fi, aux musiciens français de la Chambre auxquels on


adjoignit quelques Italiens disponibles.
Cavalli assurément conduisit lui-même l'orchestre aux répé-
titions et aux représentations. Pour être sûr de se faire entendre
des instrumentistes français, il avait pris la précaution de
noter de sa grosse écriture, en divers endroits de la partition,

des recommandations en notre langue. « Toudouxemans » —


« Bien fort, messieurs » '.

Pendant que la troupe se préparait avec activité à repré-


senter l'opéra de Cavalli, les architectes et machinistes ne
chômaient point. Le 14 janvier, Lodovico Mgarani écrit au
duc de Modène que les décorations sont terminées et qu'elles
sont admirables le 21, il raconte que les deux reines sont
;

venues regarder les machines qui ont fonctionné à mer-


veille. Loret n'avait pas manqué de se faufiler dans la salle,

à la suite des reines, et avait réussi à voir :

Les machines du grand ballet


Dont on essaya quelques unes
Mais telles et si peu communes
Qu'en extaze je fus ravy
De trois seulement que je vy -.

Les témoignages des résidents étrangers sont moins enthou-


siastes et montrent que la mise en scène à laquelle on

1. La partition autographe de « L'Eirole \


per la Macs ta di Luigi Xiiii |
Ré di Fraii-
cia, uelle sue m\:^e |
In Parigi l'anno MDCLXII Di | Fra)i'=° CavaJly >i est conservée à
la BibL San Marco de Venise (Man. 9883), (in-4", obL).
2. Edition Ltvet, III, 558.
28o l'opéra italien en FRANCE

travaillait, depuis près de trois ans, était encore loin d'être


parfaite. On s'inquiétait fort aussi de ce que Vigarani avait

eu la hardiesse de faire paraître, dans lapothéose finale, toute


la famille rovale portée dans une machine l'on se deman- ;

dait avec terreur ce qu'il adviendrait si quelque câble se rom-

pait '. Le 3 février 1662, le résident Marucelli mande au duc


de Toscane '
: « On prépare le Grand Ballet et la Comédie

pour la semaine prochaine. On redoute surtout le danger


du feu, car, aux répétitions, il s'est toujours déclaré en quel-
que endroit. On a pris toutes les sûretés en hommes et
en eau et les Reines ont fait poser une galerie de fer qui
part de leur place pour aboutir à une porte du théâtre, afin
de pouvoir sortir plus vite et plus rapidement en cas d'acci-
dent ».

Une dépêche de Grimani, du 31 janvier 1662, nous


montre que la cour quelques regrets de
l'on témoignait à

voir tant d'argent dépensé en une fête de cette sorte \ « On

presse en ce moment les apprêts du grand opéra àllrcole qui


depuis si lontemps et à si grands frais se prépare ; et avant
peu de jours on le recitera afin que Don Christoforo puisse
le voir. Il est d'ailleurs certain qu'à cette heure, si tout n'était
pas si avancé, on ne donnerait plus un pareil opéra parce
que la dépense empêche maintenant de faire des choses qui
pour n'être pas de théâtre n'en sont pas moins importantes
et essentielles ».

Le 10 février, le résident Marucelli donne au grand-duc

1. \'. De Pure. îih'c (h's spCiithles iUicici.!; et nouveaux, Paris, MDCLXVIII, p. 313
(Bibl. Xat., J., 15416).
2. " Si va preparando il gran balletto c la commedia per la futura scttimana.
S'apprende notabilmente i! pericolo del fuoco, mentre nelle prove s'è sempre applcato
in qualchc parte. Si sono prese tutte le cautele d'huomini e d'acqua et hanno le
Régine Huto erigere un balaustro di ferro, che, spicandosi dalla loro Residenza, va a
terminare ad una porta del teatro per uscir più prontamente e spedite in ogno acci-
dente. )) Arcli. de Florence, M^'i/ùvo, 4662.
3. « Si soUecita di présente ad allestire la grand' Opéra dell' Ercole, che di si longo
tempo, e cou tanto dispendio si prépara e tVa pochi giorni si récitera, a ciô lo stesso

Don (^.hristoCoro possi vcderla. Certo pero é che hora qui, se non fosse cosi innanzi,
più non si iarebbe taie opra, perché la spesa ritiene di présente che non se ne fanno

di moite, non da teatro, ma importanti et essentiali... » Dépèche du 31 janvier 1662


(Bibl. Nat., \U. liai., uS^i. co[^ie).
l'ercole amante et la cabale axti-italiexne 281

d'intéressants détails sur les répétitions' : « la Signora Leonora


Ballerini est arrivée et a cru qu'il était de son intérêt que je

la présentasse à Mademoiselle et à Mesdemoiselles d'Alençon


et de \\ilois, avant de paraître sur le théâtre, espérant que
1 éclat de leur protection réduirait en fumée la cabale de ses
rivales '.
Je ne me suis pas refusé à exaucer un souhait si
raisonnable et Leurs Altesses lui ont témoigné beaucoup
d'intérêt, la taisant chanter et la louant pour sa belle et
puissante voix, car pour ce qui est de la prononciation des
paroles, elles nen sauraient bien juger. La répétition du Grand
Ballet n'a pas fait grand bruit à cause des troubles infinis qui
se sont produits dans le fonctionnement des machines. Ce
désordre est attribué, partie à l'ivrognerie, partie à la malveil-

lance de gens soudoyés. Cela servira de leçon pour qu'on


prenne mieux les mesures nécessaires quand la pièce se don-
nera pour de bon, c'est-à-dire mardi '. »

Le roi tenait si fort à voir enfin aboutir les préparatifs de


l'opéra qu'on murmurait tout bas qu'il avait étouffé la nou-
velle de la mort du roi d'Espagne, son beau-père, pour n'être
pas obligé de surseoir aux représentations de YErcoIc Auiaiite^
bruit sans aucun fondement d'ailleurs. Louis XIV s'irrita
à la fin de voir sans cesse différer la date de la première

1. « Hebbe giunta
e credè suo vantaggio la Sigr» Leonora Ballerini c\\ io la pre-
sentassi a Madamoiselle e a Madamoiselles d'Alençon et Valois, prima di comparire
su'l teatro, sperando ch" il fulgore délia lor protezione dovesse risolvere in fumo le
cabale délie rivali né io répugnai a si ragionevole desiderio, e le testimoniorno
;

le A. A. m. ogni benignità, facendola cantare e laudandola di bella e sonora voce,

già che poco intendevano l'anicolatione délie parole. La prova del gran Balletto non
ha fatto gran strepito, essendo seguiti infiniti disordini nel movimento délie machine,
sconcerto attribuito parte ad ubriachezza, parte a malignitâ di gente corrotta. Servira
cio per prender meglio le sue misure quando si récitera da vero, che sarà Martedi. »
Arch. de Florence, Meâiceo, 4662.
2. La Sig" Ballerini devait avoir pour les princesses d'Orléans une lettre de leur

sœur mariée au prince héritier de Toscane, Margherite Louise d'Orléans.


3. Cependant le 10 février, le résident de Toscane écrit « Si è dato principio alla
:

rappresentazione del Gran Balletto, che sorprende in ogni sua parte, nésidesider' altro
che qualche facilita maggiore nel moto délie machine, che si vanno per ciô ripu-
lendo. » Mediceo, 4662.
4. Lettre du résident de Modéne Manzieri du 10 février 1662 « Qui si sussurra la
:

morte del Re d'Espagna e s'é sparsa voce che il Re habbia soppressa questa nuova
per far prima vedere il Balletto nel teatro Vigarani. » .A.rch. de Modène. Francia.
282 l'opéra italien en FRANCE

et donna l'ordre exprès de jouer l'opéra le mardi 7 février


'.

Au jour dit, YErcolc Auutulc fut chanté en présence d'une


foule immense qui remplissait la vaste salle élevée par Gas-
pare Vigarani. Le spectacle dura six heures ; on admira la

magniiicence du théâtre, la hardiesse des machines, la

richesse des costumes ; on s'extasia sur les entrées de ballet


où le roi et la reine firent valoir leur adresse de danseurs
au milieu des plus illustres représentants de la noblesse
française, parmi lesquels on se montrait le prince de Condé%
rentré en grâce depuis peu. Quant à la musique, on l'enten-

dit à peine, et, seuls, quelques clilclhiiili y prêtèrent atten-


tion....

III

C'est un pauvre poème que celui de Xllrcolc Auiantc. Buti

en vieillissant a perdu ses qualités d'invention dramatique ;

son imagination n'a plus les audaces heureuses qu'elle se


permettait dans XOrfco. On ne peut rien concevoir de plus
plat, de plus niaisement compliqué que l'intrigue de YErcolc.
Le livret a pourtant exercé une influence indiscutable sur les
créateurs de l'opéra français. Imprimé, chez Ballard, avec
une traduction française versifiée en regard du texte italien ',
il fut tiré à un grand nombre d'exemplaires et Qiiinault l'a cer-

tainement lu et relu, car il s'est plus d'une fois souvenu de


certaines situations de YErcolc en écrivant ses tragédies
Ivriques. Aussi est-il nécessaire de l'étudier avec soin.

1. Bibl. Nat. M.s. ilal. 185 1. Lettre du 14 février 1662 de l'ambass. de Venise.

2. Benserade dans ses vers: « Four Moiisi\'iir le Prince represeiitaiit Alexaiidie » fait
allusion en termes voilés à sa passagère trahison. V. Vers du Ballet royal danse par
Leurs Majesle:^ cuire les aeles de la oraiide traoédie de l'Hercule .-/h/oh/v//.v. Paris, Ballard,
MDCLXII. in-4'>, p. 35.
3. Ercole |
Amante Traoedia Rappreseutata per le \h\ie délie Maestà Cbristiauuis-
\ |
\

sinie I
Hercule \
Amoureux Traoèdie Représentée pour les Nopces de leurs Majesté^
\ \ \

trcs-cbreslienues \
Par Robert Ballard... MDCLXII (in-4", 137 p.). Le com-
A Paris |

mentaire du i'rt)looue (Généalogie de la famille royale) était de l'Italien

Camillo Lilli qui se trouvait en France depuis 1654 environ (Aff. Etr., France, 270,
f" 118 V" et 271, f" 337 vo). On lui attribue généralement la mauvaise traduction en

alexandrins français des vers de Buti.


l'ercole amante et la cabale anti-italienne 283

Comme les Xo:^~e di Peleo, YErcoJe Jimnifc pourrait être


appelé un opéra-ballet de cour. Chaque acte finit par une
entrée, dansée par des courtisans'. Cette forme dramatique,
née d'une sorte de compromis entre le goût de Mazarin pour
l'opéra et goût des Français pour le ballet traditionnel, a,
le

vers 1660, acquis une manière de personnalité. Ainsi, à Flo-


rence, où de longue date on connaît les ballets de cour et où
Ton donne rarement un opéra sans Tentremêler de quelque
divertissement chorégraphique, on accueille, en 1661, comme
une nouveauté singulière, la représentation de VErcolc in Tchi\

écrit par le poète Monaglia, pour plaire à la princesse d'Or-


léans, modèle des fêtes musicales de l'abbé Buti \
sur le

Cette fusion en un genre nouveau du ballet de cour et de


l'opéra explique, pour une bonne part, la structure si
curieuse de hv tragédie musicale de Lulli, où les intermèdes
et les danses ne sont pas des divertissements superflus, mais
font véritablement corps avec l'action.
Après un prologue pompeux, où l'on entend célébrer par
le choeur des Fleuves et par Cinthia l'union de la Maison
de France avec celle d'Espagne, l'opéra commence. Hercule
se plaint de l'amour que lui inspire lole, la fille de sa victime,
le roi Eutvre, qu'il a tué dans un moment de fureur. Avenus
descend du ciel et lui promet son appui, mais Junon, parais-
sant dans les airs, jure de contrarier leurs desseins, puis
déchaîne un orage qui sert de prétexte à un ballet animé de
vents et de tempêtes.
Au IF' acte, Hyllus, fils d'Hercule, et la princesse lole se
jurent une foi éternelle, quand un page survient qui donne
à lole, de la part d'Hercule, un rendez-vous d'amour. Appré-
hendant la jalousie du héros redoutable, lole accepte et calme
de son mieux les craintes de son amant.

1 . Il est amusant de voir M. Kretzschmar affirmer doctoralement que le librettiste


de VErcoh Amante ne devait pas goût des Français pour les danses
connaître le

(Fierteljaihrssihrifl... 1892, Februar.), si l'on songe que l'abbé Butti était fixé en
France depuis 1645 et était l'inventeur de la forme de l'opéra-ballet de cour. On a pu
voir par la correspondance de Mazarin que, dès le premier jour, il a\-ait été convenu
que VErcole Alliante serait entremêlé d'un ballet sur le même sujet.
2. Ademollo, Teatro in Via délia Pergola, p. 23 et suiv.
284 l'opéra italien en erance

Comme le page demeuré seul se demande ce qu'est


l'Amour, Déjanire, suivie de son serviteur Licco, personnage
bouffon, arrive sous un travesti champêtre. Adroitement Licco
se fait conter par le page tout ce qui se passe '.

Licco. — Bonjour, gentil entant !

Lh Pagk. — Bonsoir.
Licco. Mais où donc vas-tu si vite ?

Lh Pagh. — Faire le grand messager.


Licco. Attends un peu, attends ; oh ! je sais bien ce que peut avoir à

faire un page.
Lh Page. — Rh quoi ? tu sais qu'lole à Hercule...

Licco. — T'envoie...
Le Page.— Oui-da m'envoie.
Licco. — Lui dire...

Le Page. --- C'est vrai pour lui dire...

Ensemble. — Qu'au jardin des fleurs elle viendra comme il le désire.

On peut juger, par cet exemple, du tour familier du dialogue


que Cavalli avait à revêtir de musique.
Déjanire, en apprenant les événements qui se déroulent, se

désespère : L'épouse souffre d'être trahie et la mère craint pour


la vie de son fils Hyllus.
La scène change et l'on voit l'antre du Sommeil où Pasithea
convie le chœur des Zéphirs et des Ruisseaux à bercer le repos
de son époux'. Junon survient, elle emmène le Sommeil dans
son char et les Songes dansent une entrée.
Le IIL acte se déroule dans le jardin où Hercule attend la

princesse lole. \Y'nus fait surgir du sol un siège enchanté et

1. Scène IV, p. 42-43 :

\a(a:o. — liuoii d'i, t^cntil fanciiillo !

1'a(;c}I0. — E buoiui iiotte.


Licco. — Ma dove in tanta frett.i ?

1'a(. c.H). — A far da gran messao;gii).


Licco. — Aspetta un poco, aspetta,
che so quai possa haver facccnde un paggio.
Paggio. — H che tu Ch'Iole ad Ercole...
sai ?

Licco. — T'invia.
Paggio. — m'invia.
Si, art'c

Licco. — A dirgli.,.

I'aggio. — vero I: a dirgli...


A2. — (".h'al giardino de' tîori ella si rendent corn' ci desia,

2. V. Appendice Musical, n° VII, pp. 27-32.


l'ercole amante et la cabale anti-italienne 285

avertit le héros que, si lole sy repose, elle s'éprendra de lui.

De fait, lole survient avec Hyllus ; elle repousse d'abord les

avances d'Hercule, meurtrier de son père, puis, s'étant assise à


la place magique, elle crie tout à coup son amour pour
Hercule. Hyllus, désespéré, laisse parler sa passion et son père
le chasse. lole va succomber, quand Junon arrive dans son char
volant. Le Sommeil touche Hercule qui tombe endormi. La
déesse exhorte alors la princesse à tuer le héros sans défense,
lole s'apprête à suivre ce conseil quand Hyllus reparaît et lui
arrache le poignard des mains. Hercule, réveillé par Mercure,
croit que son fils s'apprête à le frapper et veut le faire périr.

Déjanire se précipite pour sauver Hyllus, mais Hercule furieux


va tous deux les massacrer, quand lole se dévoue et jure de se
donner à lui, s'il pardonne. Hercule, rasséréné, bannit Déjanire
et fait enfermer son fils. En écrivant la scène des adieux
d'Hyllus et de sa mère ', Buti obéit à des préoccupations pure-
ment musicales. Il impose à l'avance au compositeur la forme
et la coupe de ses airs. On en peut juger par cet exemple :

Dkjaxike. — Mon fils, toi, prist)niiicr - !

Hyllus. - Toi, ma nicrc, bannie !

Dejaxiki-:. - - Quoi dans le sein d'un père bat un ccvur si barbare !

Hyi.i.us. - (^uoi le cœur d'un époux reniernie tant d'ingratitude !

Dejaxirk. Mon tils, toi, prisonnier !

Hyllus. — Toi, ma mère, bannie !

Dhjan'irk. Sans sa cruauté envers toi, je lui pardonnerais son infidélité.

Hyllus. --
Sans son infidélité envers toi, je trouverais faible sa cruauté.
Ensemble. Si je n'espère pitié pour toi, que pour moi le Destin soit
toujours sans pitié !

Dhjaxike. Mon fils, toi, prisonnier !

I. Acte IX, p. 96-97.


III, se.
2. Dhjanira. —
Figlio, tu prigionicio 1

Hyllo. —
Madré, tu discacciata !

Dejanira. —
E vive in scn di Padre un cor b'i ticro !

Hyllo. —
Et in cor di niarito aima si ingrata !

Dejanira. —
Figlio, tu prigioniero !

Hyllo. —
Madré, tu discacciata !

Dejanira. —
Non Cosse a te crudele,
E gli pardonarei l'infedeltà.
Hyllo. — Non fosse a te infedele,
E lieve trovarei sua crudeltà.
A2. S'a — te pietà non spero, ogni sorte a me sia senipre spietata.
Dejanira. — Figlio, tu prigioniero !
286 l'opéra italien en FRANCE

Hyllus. — Toi, ma mère, bannie !

Dejaxire.— Mon fils !

Hyllus. — Ma mère !

Ensemble. — Chaque jour tu me donnes j


de ton amour pour moi des
preuves plus sensibles. '

Ah ! veuille le ciel que ces embrassements |


ne
soient pas les derniers qui nous unissent.

Cependant le page et Licco restent seuls à converser et, pour


atténuer l'impression des scènes cruelles qui viennent de se
dérouler, chantent des airs joyeux. Les statues, animées par les
Esprits qui sortent du siège enchanté, se mettent à danser.
Hyllus, prisonnier au haut d'une tour cernée par les flots,

se lamente au W" acte ; soudain une barque s'approche, c'est

le page qui vient en messager d'Iole : la Princesse va céder à


Hercule pour sauver la vie de celui qu'elle aime. Hyllus
s'abandonne au désespoir. Un orage éclate, la mer se soulève
et engloutit la barque du page. Hyllus se jette dans les flots.

Junon paraît dans les airs, elle appelle Neptune qui sort de
l'onde dans son char marin et ramène Hyllus sain et sauf.
Junon console l'amant malheureux et les Zéphirs forment une
danse pour fêter le retour du Soleil.

La scène change brusquement et Ton voit un cimetière


planté de cyprès. Déjanire y fait part à Licco de sa peine mor-
telle et ce dernier seflbrce de ranimer en elle le i2;oût de la vie

par des apliorismes plaisants. Le cortège funèbre, conduit par


lole, débouche à ce moment. Le chœur des Sacrificateurs
invoque le mort et L)le, se prosternant devant le mausolée,

supplie soPi père de lui pardonner son union sacrilège. Mais


l'ombre irritée d'iiutyre apparaît. LUe s'indigne qu'Iole songe
à se donner à Hercule. En vain la princesse cherche à s'excuser,
l'ombre profère des menaces redoutables. Déjanire se montre
alors et annonce à L)le la mort d'Hyllus. l^utyre continue ses
imprécations contre Hercule et disparaît.

HvLi.o. M.idic, tu disc.icci.ii.i!

DiijANiRA. Figiio !

Ihi.i.o. -- Madrc !

.^2. — Ogn'or ilcsii

A nie dcW amor Uio scgni più cspressi.


Ali, voglia il (^icl cliu questi
Non siaii gli iiltinii ainplessi.
l'ercole amante et la cabale anti-italienne 287

Pendant qu'Iole pleure la mort de son hien-aimé. Licco


engage Déjanire à se servir de la tunique que lui a remise

autrefois le Centaure Nessus ; cette tunique, lui a-t-on dit,

rendrait Hercule à l'amour de sa femme. Soudain des spectres


sortent des tombeaux et épouvantent les suivantes d"Iole qui,
en s'enfuyant, forment des groupes animés '.

Le début du V^^^ acte découvre les horreurs de fenfer où


toutes les victimes d'Hercule crient vengeance contre le héros
et jurent de lui faire expier ses crimes.
La scène change et Ion assiste aux noces d'Hercule et d'iole.

Hercule reçoit des mains de la princessela tunique fatale. A


peine l'a-t-il revêtue qu'il ressent d'atroces souffrances, fait ses

adieux au monde et court se jeter dans les Hammes. Licco


trouve cette catastrophe fort plaisante % et pendant que
Déjanire et lole demeurent atterrées, se félicite de voir dispa-
raître un amant tyrannique et un époux infidèle. Hyllus
revient à ce moment on l'accueille avec des transports d'allé- ;

gresse, puis, par convenance, on verse quelques larmes sur le


trépas d'Hercule. Mais Junon apparaît, elle proclame qu'Alcide
devenu immortel est marié dans l'Olympe à la Beauté. Le ciel
s'ouvre Apothéose d'Hercule qui chante avec la Beauté, en
:

l'honneur du couple royal, un duo auquel les choeurs répon-


dent triomphalement. Les Influences célestes descendent sur

I. C'est la VIT' entrée du Ballet. Benserade, la commente ainsi ;

« Pour les Faiitoiuics cl DeinoiscUcs


Mtttcz moy d'un costé quatre spectres d'Eufer,
De l'autre nombre ég.il d'antiques Demoiselles
De celles que l'on croit faites par Lucifer
Pour la Damnation des jeunes et des belles,

Soignez bien ce troupeau dont je vous fais le plan


Je le donne au plus fin qui soit dans le Ro\Mume
De pouvoir déniesler en l'espace d'un an
Quelle est la Demoiselle, ou quel est le Fantosmc «.

Vers I
Du I Balet Dansé par leurs Majesté:^ entre les
|
Royid \ |
actes de la grande
tragédie |
de l'Hercule Amoureux Avec la traduction du Prologue et des \
arguruens de
chaque acte. A Paris, par Robert Ballard... MDCLXII, p. 28.
2. Licco: Ciie dite? il niio non tu rimedio tardo ;

Ma un poco più (ch" io non credea) gagliardo.


Pur ciascuna di voi di già rimira
penoso destin per se finito
Il

D'un Amante importun, d'un reo niarito...

(p. 145J.
288 l'opéra italien en FRANCE

la scène et commencent un ballet... L'opéra est terminé.


Comme on meuvent dans le drame
voit, les personnai^es se

comme des pantins dont l'auteur tient les fils. Nul essai de
psychologie. Hercule est une brute malfaisante, Déjanire une
épouse ennuyeuse et jalouse, Hyllus et lole deux amants
bien insignifiants. Seul le valet Licco, robuste canaille
échappée des ruelles deXaples, a un semblant de personnalité.
A la longue, les plaisanteries et les bons mots qu'il prodigue

au cours des scènes les plus dramatiques ne laissent pas


d'être exaspérants. Lorsque Déjanire arrive, la nuit, dans le

cimetière et, après avoir donné tout son bien à Licco, le prie
de lui ouvrir la porte d'un sépulcre pour qu'elle y puisse
mourir en paix, le valet s'écrie : « Ah ! Déjanire, je ne suis
pas assez intelligent pour te servir dignement, en cumulant
les charges de trésorier et de croque-mort '
! » Un peu plus
loin, ses longs discours à Déjanire pour l'engager à se servir

de la tunique du Centaure Xessus, détruisent tout l'effet

dramatique des sinistres imprécations de l'ombre d'Eutyre.


Ajoutons, pour être juste, que l'abbé Buti connaît bien son
métier de librettiste et de « parolier », que ses vers sont cou-
lants et chantants, qu'il ménage avec adresse dans le dialogue
la place de quantité d'airs et de chansons, enfin, qu'il construit
ses scènes avec l'expérience d'un homme de théâtre qui sait

faire alterner les récits, les airs, les duos, les chœurs, de
manière à éviter la monotonie. Ce sont là des qualités pure-

ment techniques. Le pauvre abbé Buti a perdu, avec l'âge, les


quelques dons d'imagination que la nature lui avait octroyés,

sa un tissu d'intrigues stupides et de situations


pièce est
extravagantes ou rebattues. C'est pourtant sur un tel poème
que Cavalli a composé une de ses œuvres les plus saisis-
santes.
Xous avons noté déjà la prodigieuse indifierence de Cavalli
à l'égard des livrets qui lui sont fournis. Il ne voit en eux

I. LiLc;o ; Ah, Dcj.iiiir.i, in non son t.into .iccorto

(^lic poss.i in si i,'ian c.iriclii scrvirti

l)i TcsoriLTc insicnif, c lîcccaniorto !

p. 1 !8.
l'ercole aMante et la cabale axti-italiexxe 289

que « des thèmes offerts à sa fantaisie '


». Comme le Tintoret
brossant ses vastes fresques après une sommaire mise en place,
Cavalli n'a pas besoin qu'un sujet soit fort exactement dessiné
pour lemusique. Des caractères indécis, des situa-
revêtir de
tions à peine ébauchées ne sont pas pour lui déplaire il ;

demeure plus libre de leur donner la signification et l'impor-


tance musicales qui leur conviennent à ses yeux. Son génie ne
peut s'assujettir à rendre toutes les intentions du poète. Il

traite le sujet à son caprice et ne craint pas au besoin de faire

le contraire de ce que demande le librettiste. Cavalli qui a


« d'instinct le don de la vie » va doter d'une âme et d'une per-
sonnalité les pantins pitoyables de l'abbé Buti.
Au point de vue dramatique, Cavalli importe seul. Sa musi-
que traduit avec intensité les sentiments les plus faiblement
exprimés par Buti. Elle recouvre le livret à la manière dont le

prestigieux coloris d'un peintre vénitien fait oublier le dessin


sur lequel il s'applique. En revanche, au point de vue stricte-

ment musical et technique, le livret de l'abbé Buti explique en


grande partie les changements de manière que les historiens de
Cavalli ont tous signalés dans XErcoJe Amanlc. Cavalli, élève
et disciple de Monteverde, accorde au récitatif une importance
que lui dénient Luigi Hossi et ses émules de lecole romano-
napolitaine. Excepté dans deux ou trois opéras, comme YEgisto,
où il subit l'influence de la cantate, Cavalli s'applique à rendre
le récitatif expressif, naturel et émouvant. Les can~oni et les

morceaux à forme fixe s'en déijagent tout naturelle-


différents
ment sans donner l'impression de n'être rattachés à l'action
que par un lien factice. Les librettistes ordinaires de Cavalli :

Cicognini, Eaustini, Busenello, Minato, le fournissaient de


poèmes dont l'action ne comportait qu'un nombre limité de
cauT^oiictlc et de iiitulrii^iili. Buti, au contraire, ancien collabora-
teur des maîtres de l'école de la cantate : Luigi Kossi ou Carlo
Caproli, cherche à faire naître, à tout instant, les prétextes à

1. Komain Rolland, rOpcra eu liuiopc, ji. 172.


2. Kretzschmar, Die Venetianische Opcr innl tlic ll'erkc Cavalli's iiiid Ccsli'i. Viciicl-
jahrsschi ift fi'ir Musikivissensclmft. Breitkopf... 1892... Fcbruar. — Hugo Goldschmidt,
Cavalli dlsdrauiatisclier Kiviipoiiisl. MoiiatsJ:eftL'fur \tiisilc. Geschichlc... XXVJahrg. 1897,
pages 46- III.
19
290 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

airs, duos, trios... Il construit des scènes avec la constante


préoccupation de la traduction musicale et, par la coupe et la

disposition de ses vers, oblige le compositeur à écrire, ici un


air à da capo, là des stances coupées de ritournelles, là une
ariette ou une chanson. Si le récitatif tient moins de place dans
VErcole Amanic que dans les autres opéras du maître vénitien,
c'est donc au seul Buti qu'il faut imputer ce changement. Il en

va de même pour l'emploi des chœurs. Cavalli les avait aban-


donnés, depuis 1650 environ, pour une raison toute matérielle:
ils occasionnaient trop de frais aux directeurs de théâtres et ne

plaisaient que médiocrement au public, épris de virtuosité


individuelle. Buti, qui avait à sa disposition toute la musique
royale, introduisit de nombreux chœurs dans sa pièce et Cavalli
les mit en musique sans intention délibérée de sacrifier ainsi

au iioût français '.

I. M. Kretzschmar tient lort peu compte des librettistes et parle des opéras de
Cavalli comme si le travail du musicien avait en quelque sorte précédé celui des poètes
qui le fournissaient de livrets.

Les historiens allemands, qui ont parlé de l'opéra vénitien, ont singulièrement
exagéré l'influence du ballet de cour sur le .stvle de VEicole Amante. Cette influence
se traduit à leurs yeux par l'abus, dans la musique vocale, de rythmes dansants et
l'emploi de mesures binaires et ternaires alternant entre elles. Pourtant, si on
excepte les chansons à daiiscr, dont on trouve d'ailleurs peu d'exemples dans les ballets
de ce temps, les airs français sont, en général, construits sur des rvthmes aussi peu
réguliers que possible. On pourrait même leur reprocher leur excessive indécision
métrique. On voit mal comment ils auraient pu influencer en quoi que ce soit la
création des airs vigoureusement scandés de Cavalli. L'erreur vient de ce que plus
si

tard LuUi emploiera dans ses opéras beaucoup de mélodies à rvthme de danse, mais
en étudiant VErcole AuniiiL', écrit entre 1660 et 1662, on ne saurait taire état des opéras
composés par le Florentin quelque dix ans plus tard. La remarque relative à l'alter-
nance des mesures binaires et ternaires est mieux londée. Li est certain qu'en France
l'habitude des entrées de ballets, souvent divisées en deux parties, la première à 2/4,
la seconde à 5 temps, engendrait le goût de ces oppositions rythmiques. Il convient

toutefois d'être fort circonspect en cette matière. Longtemps avant de venir en France,
Cavalli se plaisait à envelopper un air à quatre temps d'une ritournelle à 3/2 et, dans
son AVnt', faisait à tout moment alterner les mesures binaires et ternaires *. Dès lors,
on peut se demander si ces contrastes r\thniiques sont l'effet d'un dessein prémédité
ou dune simple rencontre.
' \'oir aussi, dans la Doriclni de 1645, ''*''' '^^ Mclloe Voglio provar anch' io che cosn è
:

Auior où une brève mélodie à 4 temps enveloppe une phrase à 3/2 (Acte III, se. IV) et le
fameux air du soldat qui se déroule sur une mesure à 4 temps pour finir par un refrain à 3/2
comme l.n ritournelle. (Acte I, se. IV). (Bibl. Marciana, Mss. 9880). Les exemples de change-
ments de rythmes semblables';'» ceux de VIîicvlc Jinaiih- sont fréquents dans toute l'œuvre de
C'avalli. V. notamment la belle scène de sommeil dans Vl:<;isio (1642). Bibl. .Marciana, 9935
(pages 2() et suiv.).
l'ercole amante et la cabale axti-italiexxe 291

Le récitatif de YErcoIc Aniantt' est d'une grande beauté plasti-


que. Cavalli l'a écrit nuançant selon
avec un soin extrême, le

les intentions du dialogue. Les grands accompagnés de récits,

tout l'orchestre, ont une puissance un peu emphatique qui


annonce déjà Gluck. Au moment où l'omhre d'Hutyre apparaît,
l'orchestre scande impérieusement l'accord de mi mineur sur la
formule rythmique ^ ^\ c> &\ o ^ P^^^^ s'arrête pour laisser
la voix s'élever sur un rythme ample à deux temps le chant se '
:

meut d'abord sur trois degrés, descendant de la dominante à


la tonique après un arrêt sur la médiante. L^ntre chaque phrase

du récit, l'orchestre répète la menace tragique sur le même


rvthme ternaire, en modulant aux tons voisins. La déclama-
tion est imposante et majestueuse, comme sera plus tard celle
de Lulli dans les scènes semblables, mais le tour mélodique
est diftérent. Lulli termine presque toutes ses phrases sur la

tonique, précédée généralement de la sensible ou de la domi-


nante ; Cavalli évite les cadences et laisse le plus souvent la

mélodie en suspens.
Dans cette scène funèbre, l'orchestre garde son indépendance
et son individualité. Il entrecoupe le récit d'accords plaqués et
laisse toujours la voix à découvert. Au contraire, les instru-
ments à cordes tissent d'harmonieux dessins mélodiques autour
delà plainte douloureux chromatisme contraste
d'Iole, dont le

avec rigoureusement tonal de l'ombre d'Eutyre. Le


le récit

récitatif de (>avalli dans les scènes de la vie quotidienne

est d'une extrême souplesse. Le dialogue du page et de


Licco en offre de charmants exemples. Pourtant, malgré son
extrême liberté, le récitatif conserve toujours une forme plasti-
que ; ce n'est plus, comme chez Luigi Rossi, une succession
interminable de croches sur le même degré. Toute analogie de
mélodie mise à part, la manière dont Cavalli traite le récitatit

dans X'Ercolc Aiuanlc fait comprendre le rôle que lui assignera


Lulli un peu plus tard dans ses opéras.

I .Le dispositif de cette scène rappelle tout à fait celui des Incantations magiques de
Médée, dans le Giasoiie de 1659. Cf. Piihlihalîoii Aellerer Prahtischer uni] Theorcliscbcr
Musil-n'crke. —
XII. Band. — Die Oper 2. theil (pp. 79-81).
292 L OPÉRA ITALIEN EN FRANCE

Justement parce que Ca\alli sait rendre le récitatif expressif


et émouvant, il est moins tenté de recourir, comme Luigi

Rossi, aux airs et aux iirlosi pour traduire sa pensée. On trouve


peu, dans X'Ercolc Amante, de ces demi-airs qui enrichissent
la partition de YOvfco. Lorsque C^avalli abandonne le récit,

c'est pour écrire résolument des caiLioni et des can:{onetie au


rythme décidé, aux contours définis. La plus charmante peut-
être de CCS cdiL^oiirlIc est celle que fait entendre Pasithea pour
bercer le repos de son époux le Sommeil L'exquise mélodie '.

semble le gazouillis des oiseaux dans les branches, le murmure


du ruisseau et le souflle du zéphir elle coule légèrement en ;

longues périodes de croches, jointes deux à deux pour porter


chaque syllabe. Ce morceau à quatre temps, d'un rythme volon-
tairement imprécis, encadre, grâce au ilii cctpn, un air à trois
temps d'une allure dansante '.
Les caii~()iil et les airs à voix seule de Cavalli se distinguent
des compositions semblables de Luigi Rossi et de Caproli, par
leur vigueur rythmique et leur ampleur. L'art de Cavalli est
un peu gros, il ne se plaît pas, comme celui des maîtres canta-
tistes, à de subtiles recherches harmoniques. Il n'a ni la distinc-

tion, ni la pureté du style de Luigi Rossi, mais il a, en revan-


che, une plénitude, une fougue qui font oublier sa simplicité
parfois un peu vulgaire.
Il est curieux de comparer les trios et les quatuors vocaux

de \l:rcolr Alliante à ceux de YOrjco. C^es derniers étaient, pour


le musicien, des prétextes à exquis raihnements contraponti-
ques rythmiques. Luigi Rossi y prodiguait les chatoyantes
et

dissonances, les curieux elTets de sonorité. C>avalli ne connaît


point ces préoccupations. Il traduit la situation dramatique
avec force et sobriété. Le choeur en trio des Zéphirs et des Ruis-
seaux déroule, sur un gracieux motif mélodique, de longues
guirlandes de tierces. Aucun des accords étranges et inatten-

1. V. celte scùiic en appendice p|\ 27-52.


2. Notons en passant cjne les Français de ce temps n'employaient plus guère la

chanson à reprise, si usitée au wi^ siècle, et ne s'avisaient pas d'enfermer, comme


(-avalli, un chant à 3/2 entre le refrain à 44 et sa reprise. On serait donc mal londé

à voir dans ce morceau une preuve de l'inlluence française sur l'ojuvre de Cavalli.
LERCOLE AMANTE ET LA CABALE ANTI-ITALIENNE 293

dus, chers à Luigi, ne vient frapper Toreille. La mélodie se


suffit à elle-même, elle est si chantante que, dès les premières
mesures, l'esprit développement qualité précieuse
en prévoit le ;

pour une musique destinée à plaire, non à un petit nombre


d'amateurs difficiles et blasés, mais à un public immense où les
délicats sont en bien petit nombre.
C'est volontairement et non par ignorance que Cavalli laisse
de côté les raffinements harmoniques. Il a parfois, dans le
passé, pratiqué avec assez de talent le style de cantate pour
qu'on puisse n'en pas douter'. Il semble penser, comme Lulli,
que les harmonies recherchées agissent plutôt sur les nerfs que
sur le cœur et l'esprit des auditeurs. Il écrit les pages les plus
émouvantes, les plus majestueuses de sa partition, sans se
permettre moindre complication harmonique. Le quatuor
la

DdlF Occaso a gFlioi en offre un exemple saisissant '. L'analvse


ne révèle en ce morceau aucun détail pittoresque, aucune
hardiesse de style. Les voix exposent tour à tour en imitation
les divers motifs ou s'unissent deux à deux pour faire entendre
des suites de tierces. Les accords parfaits se succèdent logique-
ment... et pourtant cette page, écrite avec tant d'austérité, est
d'une rare beauté. La mort d'Hercule y est pleurée avec une
grandeur tragique qui fait songer à certains chœurs funèbres

des drames antiques. Cette leçon sera comprise de Lulli. Lui


du contrepoint et les subtilités
aussi ne verra dans les artifices
harmoniques, qu'un moyen négligeable de traduire sa pensée.
Musicien populaire comme Cavalli, il s'exprimera avec moins
d'abondance et de fougue que le maître vénitien, mais souvent
avec autant de grandeur et de puissance sans s'embarrasser, plus
que lui, de vaines recherches.
LlircoJr Auiauic est le meilleur des opéras avec chœ'urs de
Cavalli. Ces chœairs sont d'une extraordinaire variété. Tantôt
ils constituent une sorte de fond sonore sur lequel se déta-
chent en relief les voix des solistes, tantôt ils concentrent sur

1. V. à l'appendice musical (pp. 5-7), le magnifique lamento de Climène dont la

basse obstinément chromatique provoque des dissonnanccs d'une hardiesse étonnante.


2. Il a été publié par M. Goldsclimidt en appendice à sa belle étude : CaviiUi ah
draviutiscber KoDiponist, p. lOi.
294 ^' OPERA ITALIEN EN FRANCE

eux l'intérêt musical et dramatique. Le prologue de YErcole


Amante, construit sur le même plan que ceux des No::;7^edi Peleo

et de VOrfeo, annonce de manière frappante les grands prologues


allégoriques et patriotiques de Lulli. Cest la même opposition
mêmes chœurs, notés en
des soli et des ensembles, ce sont les
harmonies verticales ou en style fugué d'une extrême simpli-
cité, opposant leurs masses l'une à l'autre avant de les unir

pour un formidable finale. Dans la scène infernale, le chœur


des victimes d'Hercule fait entendre son cri de vengeance :

Fera, mont il crudck après que chaque personnage a exposé ses


griefs personnels contre le héros. Au iV acte, le chœair des sacri-

ficateurs ouvre la scène funèbreoù lole implore l'ombre de son


père Eutyre. Il contribue à donner à ce tableau une teinte mys-
térieuse et lugubre. Le chœ'ur des prêtres de Junon aux noces
d'Hercule et dlole ', invoque la déesse sur un rythme lent à
trois temps :

Pronuba e casta dea


L'almc de nuovi sposi,
Con lacci avvcnturosi
Annoda, c bca -.

Chaque voix reprend en imitation la phrase initiale et, par


intervalle, les violons font entendre, au-dessus du chant grave
et religieux, un hymne triomphal.

E quitta c gioconda
Da' lor Nestorea vita
E gTamplessi féconda
Con progenie infinita.

1. M. Goldschmidt l'a publié. ('/'. cil., p. lO).


2. La traduction française iniprinicc en regard interprète pompeusement ce texte si

simple :

(c tjraïuis Uicux, qui présidez au joyeux Ilyménùc


Joignez les cœurs de ces époux
D'un lien si ferme et sidoux
Qu'il f.isse pcuir jaunis l'heur de leurs destinées,
l-'aitcs que dans la paix et les contentemens
Us demeurent longtemps au monde
Qu'une postérité féconde
Naisse de leurs embrassemens. "

(p. 145 et 143).


LERCOLE AMANTE ET LA CABALE ANTI-ITALIEXNE 295

prie le chœur avec confiance. Aux entrées fuguées, aux imita-


tions succèdent alors de larges accords au-dessus desquels plane
librement la voix des violons.
L'orchestre, dans toute la partition de XErcolc, assume une
tâche considérable. Il accompagne les récits dramatiques, les

airs, les chœurs, il exécute aussi des symphonies du plus grand


intérêt. On a voulu trouver en celles-ci des analogies frappantes
avec les compositions instrumentales françaises de la même
époque. C'est pure imagination ! Que Ton compare la sympho-
nie qui précède VErcoJe aux ouvertures que LuUi composait à
la même époque pour les ballets royaux', les dilTérences sont
frappantes. Non seulement le plan de l'œuvre est tout autre,
mais il n'y a rien de commun entre les rythmes impétueux, les
lourdes masses bondissantes, symétriquement répétésles traits

de Torchestre de Cavalli, et musique élégante, gracieuse, la

souple, spirituelle de Lulli et des maîtres français, ses contem-


porains. L'inspiration et la technique de ces œuvres sont aussi
dissemblables que possible.
Cavalli, dans YErcoIc Auiaiilc, semble renoncer aux svmpho-
nies descriptives qui peignaient si bien, dans les opéras anté-
rieurs, la fureur des ventsou le murmure des Bots -. La Sinfonia
Infernale du IX'' acte a un caractère nettement dramatique et
l'exquise ritournelle de la scène du Sommeil ne fait que ré-
péter la mélodie exposée et développée par les voix. Ce n'est
donc pas dansYErcole que Lulli a pu prendre la première idée de
ses vastes décors sonores.
Les ballets de VErcole Amante ne sont pas de Cavalli mais
de Lulli \ Celui-ci écrivit deux, entrées fort majestueuses pour
faire danser, à la hn du prologue, le Roi, la Reine et les plus
grands princes, seigneurs et dames de la cour. Puis, pour

accompagner les divers ballets ménagés à la fin de chaque acte

1. Henry Prunières, Xoles sur les orii^iiies île F Ouverture française. I. M. G., 191 1.

2. V. Heuss, /.)/(' renetiaiiisclhvi Openi-Siufoiiieii. Sannuelbdiule der J. M. G.,


tome IV, 13.
5. Ils nous ont été conservés dans les divers recueils de Ballets de Lulli (Vm6/i,
tome II) à la Bibl. Nat. ; Collect. Philidor au Conservatoire Ballets de Lulli à l'Arse-
;

nal, etc.
296 l'opéra ITAI.IKX EN TKANCE

par l'abbé l^uti, il inventa des airs étonnamment variés et des-


criptifs.Tous ces morceaux sont écrits avec une élégance et
une précision rythmique bien personnelles à Lulli, mais dans
un esprit tout à fait conforme à la pure tradition du ballet dra-
matique'. Les traits saccadés et rapides, les arrêts brusques,
peignent la démarche précipitée et mystérieuse des ombres
infernales. Les tourbillons de croches, les doubles croches
s'abattant brusquement sur des blanches, à intervalles de sep-
tième, traduisent musicalement la course précipitée des vents
et les bonds des foudres.

Nous avons vu qu'un IniUrl îles sepi phiniies terminait llireole


Aiuiinle. Lulli écrivit, à cette occasion, une partition considé-

rable ne comportant pas moins de vingt-six entrées et danses.


Au milieu, pour que la musique française ne perdît pas ses
droits, il plaça un concert instrumental précédant le charmant
récit de ^'énus Plaisirs, -veiie- en foule et un chœur de Plaisirs.
:

Le ballet hnissait par l'entrée des étoiles, représentées par de


gracieuses fillettes qui dansaient une Sarabande et une (lail-

iarde.
On a vu l'importance de la machinerie et de la mise en scène
dans VEreole Anuinle. Il est difficile de se rendre compte en quoi
les décors des Vigarani surpassaient ceux de VOrfeo ou des No:{:;^e

cli PeJeo. C'e sont toujours les mêmes effets de perspective, les

mêmes sujets représentés : mer en éloignement avec « des ro-


chers aux deux costez », enfer iLuiiboyant, bocages verts, ports
de mer, grottes sombres, jardins à colonnades, portiques, tem-
ples, etc. Ce sont toujours aussi les mêmes machines servant à
descendre les personnages du ciel ou à les y élever. Pourtant,
à lire la description de la représentation, il semble que Viga-
rani ait eu plus de hardiesse queTorelli. Ce dernier se conten-
tait de faire porter par une machine volante quatre ou cinq
personnages'. \'igarani enferme dans un globe représentant
« le ciel de la lune » quinze nobles figurants et les fait ainsi

descendre sur la scène. Durant toute la pièce, de véritables

1. \'. lîcnrv Prunicres, Le Biillel de Cour, chap. \'.

2. \'. d'autre part les prodiges de machinerie accomplis p.ir l'rancini dans les ballets
mélodramatiques (1615-1020). /.( IntUfl ilc (^.oin l'ii t'iaïuc, chap. l\
L ERCOLE AMANTE ET LA CABALE ANTI-ITALIENNE 297

cortèges défilent à travers les airs : les Zéphirs dansent sur


la machine de Junon qui remonte au ciel. Les influences des
Planètes, qui descendent pour le ballet final, forment des
groupes de douze à seize danseurs. Ces diverses machines sont
remarquables moins par leur nouveauté que par leurs dimen-
sions 11 V en a pourtant de fort ingénieuses, tel le paon
'.

gigantesque qui tire le char de Junon. Ce paon est articulé et


remue les pattes et la tête en marchant. Il faut aussi men-
tionner la barque, ballottée par la tempête et engloutie avec
le page qui la monte, au W'' acte '.

Il est indéniable que la mise en scène de VErcoIe Amante parut


magnifique et extraordinaire à un public qui commençait pour-
tant à devenir difficile en pareille matière. Certains décors,
celui notamment de l'Enfer, furent longtemps célèbres. On
assure même que ce fut pour les utiliser qu'en 1670 le roi com-
manda à .Molière et à Pierre Corneille la tragi-comédie de
Psyché \
\.l:rcoJe donc tout pour plaire une musique
Amante avait :

plus accessible au goût français que celle de Rossi ou de


Caproli, moins compliquée, plus populaire, plus dramatique;
des ballets alertes, des machines surprenantes, des décors et des
costumes somptueux. Pour l'interpréter, on avait réuni les
meilleurs chanteurs et instrumentistes de l'Europe. On peut
affirmer que, monté quelques années plus tôt, l'opéra eût
obtenu un immense succès. Mais les temps avaient changé.
Llircole Amante tomba, victime de l'hostilité du public contre
l'art italien.

1. ... Le S'' Charles Vigarany outre plusieurs autres surprenantes


" machines, en
a marcher une de 60 pieds de profondeur sur 45 de largeur et a eu la hardiesse
t'ait

d'y porter toute la Maison Royalle et pour le moins soixante autres personnes tout à
la fois. » Michel de Pure, Idée des spectacles, p. 313.
2. Si Sabbattini ne noua donne pas
l'explication de cet effet de mise en scène, il
nous apprend en revanche la manière de rendre l'agitation des flots au mo\en de
grands rouleaux torses qu'on tourne sous une gaze argentée de faire tout à coup ;

changer la couleur de l'onde, de feindre une tempête, etc. Sabbattini, Pnitica di


fahricar sceiie e mact)ine ne teutri... Ravenne, 1638, in-4'\ p. 107 et suivants. Ce rare
ouvrage se trouve à Paris à la Bibl. Mazarine (A. 11 786) et depuis peu à la Bibl. des
Beaux-Arts.
3. Celler, Les décors, les costiiiiies et la Niise en scène au XVII<i siècle. Paris, Liep-
mannssohn, 1869 (in- 12).
2 9 (S l'opéra italien en FRANCE

III

Il semblerait, à lire superliciellement les comptes rendus des


gazctiers français, que YllrcoJc Auutulc remporta un triomphe.
La G\/~/7/r décrit en ces termes la représentation : ce Le 7 février,

le Ballet royal, aux apprêts duquel on travailloit depuis si

longtemps pour en faire un divertissement digne d'une Cour


que la victoire et la paix oiU rendue la plus éclatante et la
plus glorieuse de l'Europe, fut dansé par Leurs Majestez et
les principaux Seigneurs Dames, en présence de la Reyne
et

mère et de tous les Ambassadeurs et Ministres estrangers, qui


ne furent pas moins surpris que les autres spectateurs d'y voir
tant de pompe et de magnificence'. » Ces deux mots revien-
nent à tout moment sous la plume du nou\elliste. Tous
les détails du ballet, les pas, les costumes, les machines, sont

longuement et minutieusement décrits, mais c'est à peine s'il


est fait mention de l'opéra de Cavalli « Il y a seize entrées éga- :

lement charmantes tant par les choses qui s'y exécutent, que
par la richesse des habits, la grâce des danseurs, la beauté des
machines, les changemens de théâtre, la douceur des concerts,
la magnificence des lieux les plus superbes qui se puissent voir,
le tout faisant les agréables entr'actes du Mariage d'Hercule
avec la Beauté, aussi des mieux choisis pour représenter celuy
de notre incomparable monarque. » Il est visible que pour le
gazetier les entr'actes seuls ont un intérêt. Quelques jours plus
tard, la (ui'etlc proclame que « ce beau spectacle éface tout ce
qu'ont eu de plus rare en ce genre l'ancienne Rome et la

Créce '
» mais ne parle guère que de la mise en scène : « on ne
sauroit voir qu'avec un ravissement extraordinaire la sale... qui
semble un palais enchanté par son architecture et sa richesse;

et l'on n'est pas moins surpris de tant de changemens soudains


et imperceptibles de Palais, de Bois et de Mers d'une estendue

1. Ga^etU' du ii tovricr 1662, p. 147,


2. Ga:[ellc 1662, p. 170.
l'ercole amante et la cabale an'Ti-italiexxe 299

immense, sur un théâtre de vingt-cinq toises de profondeur.


On ne peut non plus voir sans le dernier estonnement un
grand nombre de machines descendre avec tant d'artifice et
quelques unes, par où Ton peut juger de leur grandeur, avec
non moins d'hommes qu'en contenoit celle du cheval de
Trove... » C'est seidement d'une manière incidente que le chro-
niqueur mentionne les instruments de la musique « dont le
merveilleux nombre produit encor, en ce divertissement, tant
de rares merveilles, avec les meilleures voix de France et

d'Italie, que rien n'est comparable à ces excellens concerts... »

Comme on le voit, la seule allusion à la musique que le

gazetier se permette n'a trait qu'à la valeur des exécutants et à


leur nombre '. Du compositeur et de son œuvre, pas un mot.
En 1647, Renaudot ne nommait pas davantage Luigi Rossi
dans son compte rendu de VOrfco, mais du moins célébrait-il
avec enthousiasme les airs, les duos, les chœurs qui l'avaient
charmé. Sur ce chapitre le bon Loret est aussi réservé. 11 con-
sacre deux cents vers de sa Mii~c historique à décrire les entrées
et les machines, à s'extasier sur la bonne grâce des danseurs et

sur la perruque du Roi qui figure le Soleil, mais il fait à peine


mention de l'opéra proprement dit '.

Le 7 du mois, mardv passé.


Le balet du rov fut dansé,
Mêlé d'un Poëme tragique.
Chanté tout du long, en inuzique
Par des gens toscans et romains
La plupart légers de deux grains...

1. L'ambassadeur vénitien n'insiste guère non plus sur la beauté de la musique :

« Sua Maestâ, vedendo la lunghezza con clie si procedeva nell' allestire il gran
Baletto et opéra musicale dell' Ercole ha, con risoluto comando voluto Luned'i si
rappresentasse per la prima volta, et si repplichcrà questo CarnevaJe mohe altre, in
questa quadragesima non inclinando la Regina si rappresenti. Dopo Pasqua forse
potrebbe ancora farsi, tuttavia la spesa non piacc. La richezza e la magnificenza non
puo esser maggiore, oltre tutte l'altre cose il Rc e la Regina, Monsiu, duca d'An-
ghien, Madamisella, le Prencipesse sue sorelle, e altri délia corte comparendo in una

machina con quella pompa et Maestà, che rappresentano al naturale e una leggiadria
la più bella, con la quale danzano poi nella scena medesima. Non astenendosi la
Regina dal ballare, benché si creda certamente gravida, ma essendo cosi sana e
mentre havendo patito l'altra volta, non vuole osservare mohe riserve « (Copie B.
Xat., Ms. ïlal. 1851. 14 février 1662).
2. Mii^e Historique, édit. Livet, tome III, p. 465.
300 l'opéra italien en FRANCE

L'auteur de ce fameux ouvrage [M. Boutij


Hst un excellent Personnage
Avant en cour, à ce qu'on dit,

Réputation et crédit.

Je ne dis rien dudit poème,


D'autant qu'à mon regret extrême
Son langage mignard et doux
Ne tut onc entendu de nous.
Pour le reste c'est autre chose...

Ht, de fait, Lorct se met à célébrer sur le mode lyrique « les

dix -huit grandes Entrées » sans plus se soucier de la musique


de Cavalli et des vers de Buti. Le 25 février, il parle de nou-
veau de la représentation, mais cette fois ne s'occupe que du
ballet de Lulli '. L'entrée du dieu Mars, accompagnée d'une
musique guerrière et de trompettes « qui rézonnoient terrible-
ment », l'a transporté.
Mais le passe-temps le plus doux.
Selon l'opinion de tous
Furent quinze estoiles dansantes.
Quinze fillettes ravissantes
Dont, certes les jeunes appas,
La gaye humeur et les beaux pas.
Les grâces et les gentillesses

Pourroient charmer Dieux et Déesses-...

Après quatre représentations, le Carême arrêta les fêtes.

Le Ballet du plus grand des Rois


Hùt été dansé plus de fois.

Mais à la requête et prière

De la pieuze Revne-Mère
Le Carême étant survenu
l'av sceu du discours ingénu

1. Lulli n'avait pas seulement composé la musique du ballet, il avait pris une part
active à l'organisation matérielle du spectacle comme en fait foi une pièce de notre col-
lection : (' Par devant les Notaires soussignez Jean Baptiste de Lullv, surintendant de
laMusique de la chambre du Rov, a confessé avoir reçu comptant de noble homme.
M. Pierre Caulv, conseiller du Rov et trésorier général de son argenterie, la
somme de... cent soixante seize livres pour son remboursement de louage de carosse
pour le Ballet d'Hercule... » (L'an 1664, le é"" d'octobre).
2. Edit. Livet, III, p, 471. Voir aussi p. 467 et 470,
LERCOLE AMANTE ET LA CABALE AXTI-ITALIEXXE 30I

D'un de mes voisins nommé Jasques


Qu'on l'a salé pour après Pâques.
Mais d'austres gens mieux esclairez
Prétendans en estre assurez
En discourent d une autre sorte
Et dizoient mardv, sur ma porte,
Que ce Balet étant cassé,
Ne seroit jamais plus dansé.

La prédiction était fausse et l'opéra devait être encore joué


après Pâques '.

Il ressort de ces divers extraits qu'aux yeux du public la tra-

gédie musicale de Cavalli ne comptait pas. « On dansa pendant


l'hiver un joli ballet », écrira un peu plus tard Madame de
Lafayette% faisant ainsi allusion à la colossale entreprise qui,
durant trois années, avait sollicité l'attention et les soins de
Mazarin, de Colbert, de Lionne, de Buti, du Roi même, qui
avait englouti des millions et tenu en haleine une petite armée
de chanteurs, d'instrumentistes, de décorateurs et de machi-
nistes !

duelles étaient les raisons de cette indifférence des h'rançais


pour YErcolc .-Inianlc? Les lettres des résidents étrangers appor-
tent quelques précisions à ce sujet. Un membre de la légation
vénitienne indique une cause toute matérielle: les
d'abord
défauts acoustiques de la nouvelle salle '. « La musique, écri^-il,

était fort belle et bien appropriée. Malheureusement on ne put

en jouir à cause des dimensions excessives du théâtre. Elle avait


pourtant toujours très bien réussi aux répétitions qui s'en
étaient faites au Palais Mazarin et à la satisfaction du roi et de
toute la cour. » Le nouveau théâtre était, en elfet. très défec-
tueux sous le rapport de l'acoustique. Ahilgré les prières de
l'abbé Buti, \'igarani avait entassé colonnades sur colonnades,
multiplié les balustres, les galeries, les moulures, les ornements,

1. Gii;ettc de 1662, p. 400.


2. Histoire de Madavie Hetirietle d'Aii'^lelei
le, édition Michaud, p. 195.

V La musica era molto bella et appropriata et se bene per l'ampiezza de! theatro
('

non potè esser goduta nelle prove pcro che si feccro ncl Palazzo Maz/arino,
;

riusci sempre benissimo con intera soddisfatioiic del Re et délia cortc )>. Cité par
Caffi, op. cil.^ p. 280.
302 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

redoutables écueils sur lesquels se venait briser la vague des


sons. Trois ans plus tard, le Cavalier Bernin, s'entretenant
avec Buti et M. de Chantelou, dénonçait les graves défauts du
théâtre des Tuileries qu'il venait de visiter : à son avis « il
y
avoit deux ou trois fois trop de place au théâtre en profondeur
et deux fois moins qu'il ne faut en largeur, » le plancher aurait

dû « aller en baissant pour ramener la voix »... « personne n'y


pouvoit voir et entendre '. »

Pour comble, les nombreux spectateurs qui ne comprenaient


point Titalien, se désintéressaient de l'intrigue et ne cessaient
de bavarder entre eux à haute voix, ce qui n'était point pour
faciliter Taudition de la musique aux rares amateurs venus
pour l'entendre. Le résident de Toscane s'en plaint amèrement
dans une lettre du 17 février- : « Le Ballet réussit en excitant
l'admiration pour la richesse de la salle, l'harmonie des cos-
tumes somptueux, les décors magnifiques, les machines
immenses et les ballets gracieux au possible, mais la musique
qui était la raison même de la fête, se perd toute entière au
milieu du vacarme de ceux qui ne comprennent point et ce

sont les trois quarts. »

A ces causes d'insuccès, il faut ajouter aussi l'hostilité d'une


partie du public contre tout ce qui était étranger. Nous avons
déjà signalé l'éveil de ce mouvement anti-italianisant aux envi-
rons de 16^9. Les ministres de Louis Xl\', tous gens sortis de
vieilles familles bourgeoises ou parlementaires, tous gens de
sens rassis et profondément traditionalistes, n'aiment guère les
plaisirs étrangers. Seul, de Lionne demeure fidèle à la musi-

1. Lalannc. y<i///7/i;/ du ivycii^i' dit Ciiviilici- Hcniiii eu Friiuce. P.iris, Gaxettc des
Ik'aux-Aits 210
i.SSj; (in-cS"), pa^;(.'

2. » Rapprt-Mitanddsi adcsso consccutivamcnlc il Balletto di S. M. o^ni due giorni,


non occorrc in quel di riposo pcnsarc .1 vedcre né Madainoiselle, ne la casa d'il

Sicrrc p,-encipc di (londc, ^ià chc, opcrandovi le dette AA. e consummandovi quasi
tutta la notte, si ristoranci in quella !j;iornata di niezzo dal disagio e sonno perduto.

Riusci il Balletto stupcndci per la ricclie//.a della sala, per il concerto degl' abiti

suntuosi, per scène vaghissime, machine vaste e balleli leggiadri al possibile, ma


le

la musica ch'era il nervo principale della testa si perde tutta, atteso lo strepito di clii

non intende, che sono tre quarti. Sotto sopra vi si spende bene una mezza notte ».
i

Arch. de Florence, Mcdiceo 4662.


L ERCOLE AMANTE ET LA CABALE ANTI-ITALIENNE 303

que italienne '. Il est visible que Colbert préfère aux Italiens les
compositeurs de la cour, Lambert, Boesset et surtout Lulli,
depuis que celui-ci s'est fait naturaliser et a pris parti pour la
cause française^ ». A l'opéra de Cavalli, aux chanteurs italiens,
on oppose le ballet de Lulli, les danseurs français. L'entrée des
étoiles, représentées par de gracieuses jeunes filles, n'est-elle

pas plus agréable à voir que les visages flétris, les têtes équi-
voques des vieilles cantatrices et des castrats? Une épigramme
traduisit avec force ce que chacun pensait:

Air de ballet, sur le ballet des iiiaebiiies

Vive l'entrée de petites filles du Ballet


Rien n'est si mignon, rien n'est si follet

Non pas ces grands concerts de ces vieilles Laures


De Signores
Et ces non siiut qui chantent leur libéra
Pour la mémoire de leurs et cœtera >...

Ceux qui fredonnent ce couplet se soucient peu que Cavalli


ait prodigué les traits de génie dans son opéra. Ils n'ont pas
même pris la peine de l'écouter, mais ils ne veulent plus voir
les eunuques ultramontains dont ils liaïssent l'outrecuidance et
raillent les mœurs infâmes. Ils trouvent que nos chanteurs ont
meilleur air et débitent avec plus de naturel et de dignité les

récits de Lulli ou de Lambert, dont au moins on comprend les

paroles.
Ces critiques étaient fort désagréables à Louis XIA^ ; l'ambas-
sadeur vénitien Grimani, en rendant compte de la représenta-
tion, fait une curieuse remarque à ce sujet: « le Roi aime à

entendre bien parler de l'opéra qui lui revient si cher et qui a


été fait pour lui, mais le génie et le goût français sont si indé-

1. Le 1 mai 1667, il écrit encore à M. de Chaulnes à Rome « Je n'avois point de


1 :

doute que vous ne vous déclarassiez pour la musique d'Italie contre la notre ». Aff.
Etr., Rome 182, fo 22.
2. Colbert signe avec sa femme le contrat de mariage de Lulli.
3. Bib. Xat., Ms.fr. 24357, f" 122. Ce couplet est d'ailleurs l'œuvre du poète Perrin
qui ne devait pas voir sans jalousie le retour offensif de l'opéra italien. Il fut mis en
musique par Sablières, le futur compétiteur de Lulli au privilège de l'opéra. — Perrin,
KeLiiL'il des Paroles de Musique. Bib. Xat., Ms. fr. 2208, f" 30 \°.
304 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

pendants que tout le monde ne veut pas le louer entièrement '. »

Il était dit que tout ce qui venait d'Italie devait être proscrit :

une autre cabale se forma contre les Vigarani. Elle était fort
agissante et résolue puisqu'elle parvint à arrêter le fonctionne-
ment des machines, le jour de la répétition générale, au moyen
de quelques ouvriers soudoyés. Au profit de qui opérait-elle?
on ne sait. Torelli avait quitté la iTance ; peut-être le marquis
de Sourdeac, auteur des ingénieuses machines de Ici Toison
irOr, qui était alors représentée sur le théâtre du Marais, n'était-il

pas étranger à ces manœuvres; mais


ce n'est qu'une hypothèse.
Ce qui que les Vigarani eurent grand'peine à
est certain, c'est

en triompher. Le 5 mars, Lodovico écrit au duc de Modène que


le roi a donné ordre de publier des estampes reproduisant les

décors de YUrcoJc Aimiiiic. Il a pris cette mesure « de son propre


mouvement et ainsi a dispersé la cabale dirigée contre les
machines et changé les dispositions » hostiles'.

Le roi hésitait à faire reprendre l'opéra après Pâques : les

frais énormes qu'entraînait chaque représentation lui don-


naient à penser. Mais pouvait-on se contenter de jouer cinq fois
une œuvre dont les préparatifs avaient demandé trois ans de
travail continu '
? Louis XIV se décida à faire représenter encore
six fois Xlircnlc .4iucuilc après les fêtes de Pâques.
Le 18 avril, l'œ'uvre de Cavalli fut de nouveau chantée aux
Tuileries. Le roi était tout exprès revenu de Saint-Germain. La
grossesse de la reine étant tort a\ancée, Madame avait pris sa

I. Lettre citée [\ir Ademollo, Pi inii fusIi, p. (S6.

2. Lettre de Lodovico Vigarani au duc de Modène : " Xell' ultima rappreientationc


che si penidtimo ij;iorno
lece, il di carnevale, dove tutto passo felicissimamente, si

compiacque S. Maestà d'ordinare a \L Geisse clie desi!a;nasse le machitie c le scène c


che poi le lacesse impriniere e tutto fu di moto proprio di S. M-' cosi ch" ha estinto la
congiura contro le machine e cangiato le inclinazioni... » Il ne semble pas que ce
projet ait été réalisé. Xous ne connaissons pas de planches reproduisant les décors de
rr.icoli' Amai/lc. Le dessinatetn' Henr\- de Gissey auquel le roi s'était adressé, porte

sur les comptes de J664, le titre de « Concierge de la salle des machines i>, titre qu'il

partage avec Pierre Glinchamp. Arch. Nat., KK. 2i],f"4 fV. aussi Aff. Etr.,
France, 1594, 1" 93.
3. Nous ignorons à combien se monta la dépense totale des représentations de
V [ircole Aiiuvih'. On
trouve dans V Hslat par abréfic des reci'ptes, dcpotses cl iiianieniettts
de finances de i6ù2 «7700 cette simple mention .\rgeiiterie pour le ballet d'Hercule,
:

S<S. 700 livres. Arch. Xat., KK. 35).


LERCOLE AMANTË ET LA CABALE ANTI-ITALIENNE 305

place dans y faisait admirer sa grâce incomparable.


le ballet et

Deux semaines durant, tout Paris défila dans l'immense salle et


admira le ballet.

Etant abondant en miracles


Ht l'un des plus pompeux spectacles
C^ui dans mille éfets éclatans
Ait paru depuis cinquante ans "...

Le 6 mai, les représentations prirent fin et aussittôt Cavalli

quitta la France dans un état de vive irritation, jurant même de


ne plus écrire d'opéra de sa vie '. On conçoit la colère du grand
musicien. A soixante-deux ans, quand on porte un nom glo-
rieux, voir bafouer et déchirer par une foule ignorante et hostile
une œuvre en laquelle on a mis tout son génie assister au ;

triomphe d'un jeune rival, qui n'a encore donné d'autres preuves
de son talent que d'aimables airs de ballet, quand soi-même on
est l'auteur de plus de trente opéras, célèbres dans toute
l'Europe, ce sont là des humiliations dont l'orgueil de Cavalli
dut cruellement Heureusement il ne tint pas son ser-
souffrir.

ment de ne plus composer de musique dramatique; à peine de


retour à Venise, le 8 août 1662, il fait part à Faustini de son
revirement et lui propose de monter, pour commencer, XErcolc
Jnnnile, puis un opéra qu'il \a écrire '. Ce projet n'eut d'ailleurs

1. Mii.sf bishiri(jiie, éd. Livet, III, 492, w ausii p. 499.


2. Il avait pourtant été bien récon)pcnsé par leRoi de ses peines si on en croit une
lettre d'un membre de la légation vénitienne, citée par Caffi
« Francesco Cavalli...
:

ha poscia riportato (dal Re christianno) honori e premi con aggradimento délia sua
ben conosciuta virtù », op. cit., p. 280.
^. Cette lettre adressée à Faustini a été découverte par .M. W'icI qui Ta communiquée

à M. Kretzschmar. Celui-ci, suivant sa fâcheuse habitude, b."est borné à résumer cette


lettre dans un article du Jahrbnrch Pcters 1907 Bcitriigc :^ur Gescbichte der Veiietia-
:

)nscben Oper, p. 76, et s'est bien gardé de donner la cote de ce document précieux.
Par bonheur M. W'iel en avait gardé une copie et il a eu l'extrême obligeance de nous
la conmiuniquer au moment où nous désespérions de retrouver la lettre originale.

Voici le passage qui a trait au séjour en France de Ca\-alli « Sono ritornato di


:

Francia con fermissimo proponimento di non affaticarmi più in oppere teatrali aile ;

sue instanze pero e quelle (a nome suo) fattemi dall" Ecc"" Minato non ho potuto
resistere, onde ho condisceso a compiacerla e servirla col porle in musica loppera, si
conie ho sempre fatto, se bene havevo stabilito di non prendere più questo impaccio ;

ma a quest" affettuosa rissolutione vi s'interpone un intoppo posto per<'i da


V. Ecc™a e non da me, perché ella vorrebbe due opère et io per il poco tempo non
30é l'opéra italien en FRANCE

pas de suite et VErcoJe Amanie ne se releva jamais de sa chute


imméritée. Cavalli, malgré la faiblesse de sa constitution sur
laquelle il s'efforçait d'apitoyer Mazarin, vécut encore de longues
années jusqu'à sa mort, survenue le 14 janvier 1676, des
et créa

œuvres aussi fortes et vigoureuses qu'au temps de sa jeunesse.


La troupe des chanteurs se dispersa aussitôt que les repré-
sentations eurent pris fin les castrats Rivani ', GiuseppeMelone
:

et Zanetto, les sic;nore Ballcrini, Bordoni et Ribera, le ténor

Vulpio, la basse Piccini, regagnèrent l'Italie ou les cours alle-


mandes d'où ils étaient venus \ Seuls restèrent à Paris: Bordi-
gone, Chiarini, le vieux Tagliavacca, l'exquise signora Anna
Bergerotti et le ténor Gio. Agostino Poncelli. Ce dernier était
venu de ^YM^ise avec Cavalli et faisait partie de la chapelle
ducale. Le 29 août 1662, l'ambassadeur Grimani écrivit au
Prince sérénissime pour lui mander que le roi l'avait fait aver-
tir par leduc de Mortemart qu'il désirait conserver à son ser-
vice le chanteur Gio. Agostino Poncelli et que ce dernier sup-
pliait qu'on lui réservât sa place parmi les chanteurs de San
Marco K La précaution n'était pas inutile: moins de quatre ans
plus tard, Poncelli allait reprendre avec ses compagnons la
nnite d'Italie.

Le départ de Cavalli laissait Lulli maître de la situation.


Très habilement, il résolut de resserrer encore les liens qui
l'unissaient aux musiciens français en épousant la fille du
plus célèbre et surtout du plus populaire d'entre eux : Michel

posso promcttcrt;licle, havcndo aiico altri mici intcicssi proprii,chc mi tcngono occu-
pato. lo ho tradito la niia volontà pcr ivndcrla .scr\ita Ici sta k'rnia c salda in volcrc
;

compiaccrc in tnttci a se stcssa. (jli ho fatto csibirc pcr seconda Toppcra Régla iatta
in Francia, stiniando clie iosse pcr aggradirla \-olontici'i, si conic sono sicurrissimo
clic tutta la città concorcrcbbc cui'iosa a \cdcrla c sentirla, ma di qucsta neanco
s'appaga... » .\rchi\'io di Stato in \'enc/.ia. Sciiola oraiule di S. 3f orro, Busta i88.
1. Antonio Rivani entra au service de Christine de Suède. WFhro. Biixtehutie,p. 68.
2. Boccalini quitta aussi la l-Vance. De 1670 à 1672, il remplit à Rome les fonctions
de « (iuardiano délia sezione degli organisti » à r.'\cademie Santa Cccilia. Cf. Calit-
loi^o ilei Maeslri... Roma, 1845, p. 100.
3. Ademollo, Priiiii fasli..., p. 90.
L ERCOLE AMAN'TE ET LA CABALE ANTI-ITALIEXXE 3O7

Lambert. Ce mariage fut im véritable événement. Le 14 juil-


let 1662, le contrat fut présenté au roi à Saint-Germain.

Louis XI\', Anne d'Autriche et Marie-Thérèse, les ducs de


Mortemart et de Rochechouart, Colbert, Pierre de \yert, Louis
Hesselin et de nombreux seigneurs y apposèrent leur signa-
ture'.Sur ce document, LuUi, dont le père était un humble
meunier de Florence, n'avait pas craint de se targuer d'ori-
gines nobiliaires, prétention qui allait exciter la verve
railleuse de ses nombreux ennemis. ALiis LuUi se moquait de
tout cela. Il jouissait de l'estime et de la faveur du roi. il

savait pouvoir compter sur l'amitié de Colbert, enfin il avait


pleine conscience de sa valeur ;
que lui importaient les épi-

grammes et les satires?

Le talent de Lulli s'imposait d'ailleurs à l'admiration de


tous ; sa musique de danse, ses airs de ballet surtout, exci-
taient un vif enthousiasme, même chez les partisans les plus
résolus de l'opéra italien. -\L de Lionne, dont on con-
naît la passion pour musique ultramontaine, rend un
la

curieux hommage dans une lettre du 27 octobre 1662,


à Lulli,
où il décrit au duc de Créquy. ambassadeur à Rome, la répé-
tition d'une entrée du Ballcl ths ^-Irfs qui devait être dansé
au début de l'année suivante « On prépare un petit ballet
:

avec des récits françois de Lambert, qui sera le plus galant du


monde, et pour vous donner un peu d'envie sur la différence
de vostre séjour au nostre, je vous diray qu'au sortir du con-
seil, je me suis arresté une heure dans la chambre du Roy

à voir répéter une entrée dont Baptiste a fait l'air et \'erpré


les pas, où tous deux se sont surpassés eux-mêmes vous ;

protestant que je n'ay jamais veu un ballet qui en appro-


chast. C'est une entrée de Bergers où le Roy dansera au milieu
de Rassan et de Rénal et de deux autres de cette force-. »
Ce Ballet dt's Arts, qui eut un succès prodigieux, niarque
le triomphe définitif de la musique française sur la musique

italienne à la cour de Louis Xn\ Depuis le Bcillrl de la

1. Minutes Ader. V. la Jeunesse de Lut!)'.


2. Aff. Etr., Koiiie, 150, t" 315.
3o8 l'opéra italien en France

A///7(1655) on n'avait plus vu à Paris un seul grand ballet


sans intermèdes lyriques sur des paroles italiennes. Le BiiUel des
Avis contient autant de récits ou de dialogues que d'entrées
et toute cette musique vocale, qui donne au ballet l'allure

d'un petit opéra, est composée par Lambert et par Lulli sur
des vers charmants de Benserade'.
Lulli, à partir de cette époque, s'applique visiblement à
enrichir la langue musicale française de formules empruntées
au récitatif italien. Le récit de basse du Magicien, pour le

Miiriagt' force, en 1664, et la fameuse scène du donneur de «

livres », pour le Bourireois GeiifiJboiiiiin\ en 1670, marquent res-


pectivement les premiers essais et l'aboutissement des efforts
de Lulli pour créer un style bouffe français. Toutefois il

continue à composer de temps à autre des divertissements


comiques sur des paroles italiennes. Au mois d'octobre 1663,
il imagine pour la Maseurade des Xoees de JllJitge, l'entrée et
les discours burlesques du magister Barbacola et de ses écoliers '.

Quelques années plus tard, en 1669, il compose pour le 7-*6>//r-


eeiiiigiuie de Molière, des intermèdes italiens dune extrême
drôlerie. Lulli croyait-il que, seule, la langue italienne pouvait
se prêter à l'expression musicale de scènes aussi éperdument
bouffonnes? C'est possible, mais il ne faut pas oublier qu'en
même temps il écrivait sur des vers de Molière des mor-
ceaux d'une verve endiablée la scène des deux avocats par
:

exemple dans Pourceangiuie ou, l'année suivante, celle du


« donneur de livres de ballet », qui est peut-être le chef-d'œuvre

du comique musical en France. La raison pour laquelle


Lulli continua, longtemps après être devenu le plus français
de nos musiciens, à pratiquer le style boulfe italien est peut-
être beaucoup plus simple. 11 est à remarquer que tous les
airs burlesques italiens, composés par lui après 1662, sont

1. Le Dialogue de la Paix cl ilr Li Fclicitî', le Rccil de 'l'l>êtis, les Dialooiies d'Apelle


cl de Zeu~is, de Mars et de Helloiie soin de Lambert. Les beaux récits de Junon et
d'iisculape sont de Lulli (V. Bacillv, Recueil des plus beaux vers mis eu chaut, tiolsiéme
partie. —
Lambert, airs à L H, III et IV parties).
BibL Nat.,
2. Vm
6/i, tome IH. Plus tard, Lulli utilisa cette scène dans la Masca-
rade du Caruai'al (1675).
L ERCOLE AMANTE ET LA CABALE AXTI-ITALIEXXE 3O9

notés pour voix de basse et furent chantés par lui. Or il est


sans exemple que Lull-i ait jamais débité dans un ballet un
seul récit français. Le Florentin n'avait sans doute jamais pu
se débarrasser de l'accent de son pays natal et ne se hasardait
à chanter que des paroles italiennes ou « turquesques ». Lulli
paraît avoir renoncé à Kart italien plus par politique que par
conviction. Il conserva longtemps des doutes sur le pouvoir
expressif de la musique française, car à deux reprises, en 1667
et en 1670, c'est au stvle italien qu'il eut recours pour traduire
des situations particulièrement pathétiques. Le cri de douleur
d'Armide abandonnée ? et la sublime
: .7/;, Ri'iialilo, r ilovr srl '

plainte italienne de Psvcbc atteignent à une puissance drama-


tique que Lulli ne pourra égaler dans ses œuvres françaises,
avant les dernières années de sa vie. Si donc Lulli abandonna
l'art italien c'est, qu'avant tout, il entendait se passer des chan-
teurs ultramontains.
Les raisons de cette hostilité du 1-lorentin à l'égard de ses
compatriotes sont complexes et obscures. 11 redoutait sans
doute la venue d'un rival italien qui eût balancé la laveur
dont il jouissait auprès du roi. Il devait craindre d'autre part
de lier sa cause à celle des chanteurs étrangers dont il

constatait l'impopularité grandissante. Peut-être avait-il aussi


des motifs personnels de haine contre les musiciens du Cabi-
net. Ceux-ci ne devaient pas ménager au Surintendant les

railleries sur sa noblesse prétendue dont ils connaissaient le

peu de fondement.... Pour ces raisons ou pour d'autres que


nous ne savons pas, Lulli s'appliqua à empêcher les ultra-
montains de se faire entendre du roi. Depuis les représenta-
tions de YErcoJc Amante jusqu'au départ de la troupe, en 1666,
on ne trouve mention dans les ballets que d'un seul air italien
chanté par une voix italienne, en dehors des récits débités
par Lulli en personne c'est la scène d'Armide abandonnée
;

dans le Ballet des Auiouvs déguisés, en 1664. Encore la canta-


trice à laquelle fut distribué ce rôle, était-elle la fameuse

I. Les Amours déi^ntise::^, ballet du Rov dansé par Sa Majesté au mois de février 1664.
Paris, Robert Ballard... MDCLXIV, in-40 (p. 37).
3IO T. OPERA ITALIEN EN I-RANCE

Signora Anna Bcrgerotti qui avait réussi à se concilier tous


les suffrages, même ceux des amateurs les moins enclins à
goûter l'art d'Italie". Qiiant aux autres musiciens du Cabinet,
ils ne parurent plus qu'une seule fois devant le roi et encore
ce fut dans un divertissement espagnol'.
Malgré l'hostilité du surintendant LuUi, la troupe italienne
continua quelques années encore à faire parler d'elle dans les
milieux musicaux de Paris. Le roi ne l'entendait plus guère
et le grand public ignorait son existence, mais les dUellanii

et amateurs se retrouvaient chez la Signora Anna Berge-


les

rottioù l'on exécutait d'excellente musique. De grands per-


sonnages fréquentaient la maison. On y voyait le duc de
Mortemart, M. de Lionne, le duc de Granront, Pierre de
Nyert et les illustres étrangers de passage ne manquaient
;

pas de s y faire conduire. Le 7 septembre 1663, après dîner,


le cavalier Bernin se rend avec l'abbé Buti « chez la Signora

Anna Bergerotti » et v retrouve l'abbé Bentivoglio. « On y


chanta longtemps, nous conte M. de Chantelou, à deux, à trois

et à quatre parties. Il v avoit nombre d'Italiens. Le Cavalier


y a récité plusieurs endroits de ses comédies agréablement, à
son ordinaire '. »

Toute la troupe italienne devait être là. Les comptes pour

1. \'. on particulier les éloges dont la comble Loret qui ignore les noms des autres
chanteurs de la troupe italienne.
2. Dans la Vi-' entrée du Mar'un^e force (i"64). ce (Joncert espagnol chanté par :

La Signora Anna Bergerotti,


Bordigoni,
Chiarini.
Ion. Agustin (Gi\iiii!<^osliuo PoiicclU),
Taillavaca ('J'iii^lidz'dud),

Angelo Michaél {Aui^elo Micbclc Btiriolctti)


Diego nie tieiies. Bel i sa... »

V. Œuvres de Molière (Gniiiils errii'tiius), tome IV, p. 84, et p. 82, note i. La


musique de ce divertissement manque dans tous les recueils de Ballets du temps. —
Christian Hu\-ghens, dans une lettre à son frère Lodewigk, décrit en ces termes la
représentation « Dimanche dernier je vis au Louvre le petit balet qui fut dansé dans
:

le salon de la Reine .Mère, c'est une petite comédie de Molière fort plaisante qui a

nom : Le Ma riaoe forcé, entremeslé avec des entrées de ballet et quelques récits de
musique desquels sont Mademoiselle Hilaire et la Signora Anna. » Œirvres de Cbris-

liaii Utixoheiis, tome V, p. 25.


3. Journal du Cavalier Bernin, éd. Lalanue, p. 146.
L ERCOLE AMANTE ET LA CABALE ANTI-ITALIENNE 3II

l'année 1664, qui ont survécu à la destruction des archives


sous la Révolution, nous donne la composition exacte de la

musique du Cabinet à cette date '.

Drspciircs iwirdoriliiiaircs :

A Anne Bergerotte, musicienne italienne du Cabinet de Sa Majesté, tant


pour ses gages que logement pendant le quartier de Jan\ier, l'évrier

et Mars de la dite année 1150 livres.

A Jean Carlo, autre musicien italien du Cabinet de Sa


Majesté, pour ses gages et appointements durant le

quartier de Janvier 900 livres.

A Jean François Tagliavacca, autre musicien italien du


Cabinet, pour ses gages durant le dit quartier ... 750 livres.

A Paul Bordigone 750 livres.

A Joseph Chiarigny 750 livres.

A Jean Augustin (Poncelli) 750 livres.

A Marc Foliman 450 livres.

A Charles-André Bergerot 450 livres.

A Ange Michel Bartelotte. 450 livres.

Comme on voit, la troupe était réduite à une cantatrice


« étoile », la Signora Anna Bergerotti, qui touchait par an
4.600 livres ; au compositeur et virtuose Gio. Carlo Rossi,
qui devait porter le titre de « Maître de Musique du Cabinet »
la

et recevait 3.600 livres ; au vieux ténor et compositeur Gian

Francesco Tagliavacca, qui n'était payé que 3.000 livres, ainsi


que les trois autres chanteurs Paolo Bordigone (basse), :

Giuseppe Chiarini (castrat contralto) et (iian Agostino Pon-


celli (ténor). Des trois artistes suivants qui ne touchent que

2.000 livres, nous ne connaissons que Angelo Michèle Bar-


tolotti, théorbiste fameux dont nous avons déjà eu l'occasion

déparier les deux autres, Marc Foliman (?) et Carlo Andréa


;

Bergerotti, devaient être des instrumentistes.


Tant que cette petite troupe demeura en France, Paris
restaun centre d'italianisme musical en Europe. La corres-
pondance de Constantin Huyghens est fort significative à cet
égard. On y trouve quantité de lettres qu'il adresse de

I. Arch. Nat., KK. 213, f" 13 vo et suiv.


^512 L OPKRA ITALIEN R\ HKAN'CE

Hollande à la Signora Bergcrotti ou à des amateurs français


de musique italienne. Le 9 novembre 1663, il mande au duc
de (iramont « Monseigneur, si vous n'avez pas perdu le
:

goût des beaux et sçavants motets, je vous prie de vous en


faire chanter une pièce pour l'amour de moy chez la chère

Signora Anna, où y a ces parolesil siispendimus orgaiia :

venu et je m'asseure qu'après l'avoir entendue une fois avec


attention, vous serez bien ayse de vous la faire rechanter
souvent pour l'amour de vous-même. Il ne se peut rien voir
de plus touchant. — J'en attends une copie de la faveur de
la Signora '.... » C'est un échange perpétuel de musique ;

M. de Xyert adresse des airs de Luigi Rossi et des


pièces de théorbe d'Angelo Michèle Bartolotti à Huyghens
qui lui en envoie d'autres de sa façon. de Huyghens, Une lettre

du r"^ mai 1670, à du cénacle qui


de Xyert montre l'activité

tenait ses assises chez la Signora Anna quelques années aupa-


ravant.... « Les pièces, Monsieur, dont vous venez de me gra-

tifier, sont en effet les plus belles qu'on puisse veoir et je me


souviens de vous les avoir entendu rendre encore meilleures
qu'elles n'estoyenl main de leurs auteurs. Mais
parties de la
vous ne vous estes pas souvenu que celle d elle parole infide
est en mon pouvoir, de vostre grâce, y a justement six ans, il

et mesme à deux dessus... Pour Aniwe, la célèbre production

du Sr. Luiggi, il v a bien plus longtemps que nous la pos-


sédons. /;' coiiie lui polulo crcdcrc J'. S. che fin ddesso hahhiaiuo
viviito seiLiti anime .^... J'ay apperceu d'abord que les pièces pour
la téorbe sentoyent le stile du Sr. Angelo Michèle et suis
marri d'a\()ir négligé de luy en demander durant le temps que

j'av eu le bien de le converser chez la Signora Anna' »

11 n'y avait pas que des étrangers qui prissent intérêt aux
concerts de la Signora Anna. Beaucoup d'amateurs et de com-
positeurs français se passionnaient pour les œuvres qui y
étaient exécutées. Xous connaissons malheureusement fort

mal les idées des musiciens italianisants de cette époque et

1. lonckbloft et Land, Musique cl luusitieiis nu XI'l l' siùle. Conespoiidaiice de Cons-


tantin Huyohois, p. 40.
2. Corresp. de Coustiuitiii Huri^hens, p. 54.
l'ercole a.maxte et la cabale anti-italienne 313

nous les ignorerions même complètement sans quelques


lettres échangées entre René Ouvrard, maître de musique de
laSainte Chapelle du Palais et Tahbé Xicaise, de Dijon. Les
deux amis sont également fanatiques de musique italienne.
Ouvrard est allé à Rome et y a entendu avec enthousiasme les
oeuvres de Carissimi. L'abbé Xicaise est en rapports épisto-
laires suivis avec de nombreux compositeurs de la péninsule et

va leur rendre visite de temps à autre. Aussi Ouvrard ne


manque-t-il pas de lui demander à loccasion de soumettre ses
compositions à l'appréciation des « Illustres » italiens. Musicien
d'éi^lise, Ouvrard subit surtout l'influence de Carissimi. Il

compose comme lui des Histoires Sacrées. Une lettre du


12 mai 1663 nous apprend qu'il travaille à « une guerre en
musique » dont le Cardinal Antonio Barberini a approuvé
l'idée et qu'il rêve de faire exécuter devant le roi '
: « Le
combat que j'ai préparé est celui des Macabées et, hors les

canons temps là, j'ay fait entrer et


qu'ils n'avoient pas de ce
mis en œuvre toutes les machines de guerre du temps passé,
sans pourtant tirer d'autres coups que de la langue, ayant été
obligé de retrancher beaucoup de choses pour éviter la lon-
gueur ». Cette œuvre l'occupa longtemps il ne l'envoya à :

l'abbé Nicaise que le 10 janvier 1667 : « Je me contenteray


pour le présent de vous envoyer en imprimé le dessein et la

lettre de lavous ay préparée il y a longtemps.


pièce que je

\'ous y verrez la conduite d'une guerre, dont autrefois je vous


ay entretenu, et si vous le jugez à propos, vous ferez part de
la musique à vos amvs d'Italie, où, s'ils ne trouvent pas tout à

fait leur génie, ils approuveront peut-être l'effort de ma petite

imagination -. »

D'autres lettres d'Ouvrard nous montrent qu'il possédait


une importante collection d'œuvres italiennes. Il les prétait
volontiers à ses amis qui lui rendaient cette politesse. Le
16 juillet 1666, il fait porter à l'abbé Xicaise un ouvrage
manuscrit du Signor Angelo Michèle Bartolotti. C'est « un

I. Bibl. Nat., Mss.fr., 9360, fo 22.


}, Ms. fr. . 9360, {09. i5 et 17,
^14 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

thrésor dont il a fait part à un amy qui me Ta preste pour


vous l'envoyer que nous pourrez garder tant qu'il
et vous
plaira. J'avois commencé
à le faire copier, mais c'est la mer à

boire » Des
'
imprimés et des manuscrits musicaux ita-

liens circulent continuellement dans ce cercle d'amateurs.


Parfois quelqu'un ne se presse pas de restituer l'ouvrage qui
lui a été confié. Alors tout le monde s'émeut : « Je prends
la liberté de vous prier, écrit Ouvrard à Tabbé Nicaise', pour
un de mes amis, grand amateur de la symphonie et qui en
ceste qualité a l'honneur d'estre connu de vos Illustres. Il

a preste à Monsieur de La Croix, de votre ville, un livre de


partitions de musique italienne qu'il estime comme la prunelle
de ses yeux. Il avoit prié Monsieur Maleteste, de s'employer
pour le faire revenir, il luy a escrit luy-mesme et n'en a eu
nv réponse, M. Maleteste dont il
ni livre... » est ici ques-
tion, était conseiller au Parlement de Dijon et adorait la

musique italienne. Dans quelques années il en fera chanter


régulièrement chez lui, chaque semaine, et conviera à ces
concerts « tout ce qu'il y a dans la ville d'officiers, de dames
de qualité, de gens habiles et connoisseurs soit pour écouter,

soitpour V tenir quelque partie \ » On y exécutera des frag-


ments d'opéras que le maître de céans fera venir d'Italie à ses
dépens.
Ouvrard se tient au courant de tout ce qui passe à Rome.
Il écrit, le 24 février 1663 ^ : « On m'a voulu faire croire que
le pape d'aujourd'hui avoit, depuis deux ans, interdit les his-

toires en musique, ne voulant pas qu'on fît rien chanter dans


l'église qui ne fût contenu dans l'Ecriture Sainte ou dans le

Bréviaire, mot pour mot. Ce seroit avoir coupé les aisles à


l'ange de la Musique... Un homme, arrivé depuis deux mois de
ce pays là, m'a dit davantage : que le Sr. Carissimi n'avoit
pas obtenu permission de faire imprimer celles qu'il a com-
posées, ce que je ne puis croire. J'espère, Monsieur, qu'à votre

1. Ms. iV., 9560, fcs 6 et 7.


2. Lettre du lo janvier 1667 (//'/</., p. 17).

3. Mercure galant, i6d,o, Jiiillel, page 158.


4. Ms. fr., 9360, fo 24 et suiv.
l'ercole amante et la cabale anti-italienne 315

retour vous vous informerez de ces choses et d'autant mesmes


que je m'attends que vous acheviez l'ouvrage que vous aviez
commencé, de persuader à Mr Carissimi de donner toutes
ses œuvres au puhHc, sans restriction. J'ay du respect pour
tout ce qu'il fait depuis tout ce que jay ouy de luy pendant
mon séjour à Rome, où j'estois son auditeur ordinaire toutes
les festcs et dimanches. »

Précisément à la date où René Ouvrard écrit cette lettre,

Carissimi compte parmi ses disciples à Rome le jeune parisien


Marc-Antoine Charpentier'. Celui-ci se pénètre si bien, à
cette école, de la supériorité de l'art italien sur l'art français
que, de retour à Paris dans quelques années, il va se poser
en champion de la musique italienne en face du Florentin,
défenseur acharné des traditions françaises '
! L'histoire mu-
sicale de ce temps est remplie de contrastes aussi inattendus :

le drame lyrique français, créé par Lulli sur le plan à peine


modifié des opéras ultramontains, apparaît à tous comme
l'expression du génie de la race, tandis que l'on dénonce avec
indignation les plus faibles traces d'italianisme relevées dans
des motets ou des messes. Il faut d'ailleurs reconnaître que
Lulli, au moins dans la seconde partie de sa vie, incarnait
véritablement l'esprit de la musique française, tandis que les

Ouvrard, les Charpentier, les Brossard, s'efforçaient ouverte-


ment vers un idéal italien '.

1. Sur Marc-Antoine Charpentier, consulter Michel Brenet : Les Musineiis de la

Sainte Chapelle du Palais. Paris, Picard, 1910, p. 353 et suiv. — M. A. Char-


pentier, Tribune de Saint-Gervais, I\', p. 65 et suiv.
2. A que de nos jours qu'on a songé à opposer Charpentier au
dire vrai ce n'est
grand Les contemporains ne n'en seraient pas avisés. Il est curieux de lire à
Lulli.
ce sujet la lettre écrite, en 1672, par Dassoucv à Molière pour lui reprocher de s'être
adressé à Charpentier et non pas à lui pour composer la musique d'une « pièce à
machines » (le Malade Imaginaire, le Mariage Forcé ou plutôt Psyché) « Aujour- :

d'hui, écrit-il, que perdant M. de Lully, vous ne scauriez tomber que de bien haut,
possible que vous ne tomberiez pas au moins du ciel en terre... » A en croire Das-
souc}-, Charpentier n'est pas « un fol à lyer, mais un fol à plaindre, et qui, avant
eu dans Rome besoin de mon pain et de ma pitié, n'est guères plus sensible à mes
grâces que tant de vipères que j'ay nourries dans mon sein... » Rimes redoublées...
Cl. Xego, s. d., p. 121. B. N., Réserve, R, 1956. —
La première édition des Rimes ;t-
f/oî<Wt'«, Claude Nego, M. DC.LXXI, in- 12, ne contient pas cette lettre. Réserve,
Ye, 3489.
3. C'est ce que comprend fort bien Lecerf de La Viéville qui attaque violemment
3i6 l'opéra italien en frange

L'influence de Luigi Rossi domine tout le mouvement ita-

lianisant qui aboutit à la fondation de l'opéra. Celle de


Carissimi pèse sur les destinées de la musique religieuse fran-
çaise à partir de 1660'.
Les maîtres de chapelle sont les plus iidéles défenseurs de
l'art étranger. Beaucoup d'entre eux sont gens d'église. Ils ont,
comme Ouvrard, comme le chanoine Nicaise, [comme plus
tard l'abbé Raguenet '], fait le voyage de Rome. Là-bas ils ont
été séduits et fascinés par la musique qu'ils ont entendue. De
retour en France, ils font exécuter par leurs maîtrises des
motets et des oratorios dont ils ont rapporté des copies. Ils

seront, durant le long règne de Lulli, les gardiens de la tra-

dition italianisante. Ce sera un prêtre, M. Mathieu, curé de


Saint-André des Arts, qui aura l'idée de fonder des concerts
hebdomadaires dans sa maison où on ne chantera que « de la
musique latine composée en Italie par les grands maîtres qui
y brillaient depuis 1650, savoir : Luigi Rossi, Cavalli, (^azzati,
Carissimi à Rome, Legrenzi à Venise, Colonna à Bologne,
Alessandro Melani à Rome, Stradella à Cènes et Bassani à
Ferrare \.. » Ces concerts exerceront une iniluence décisive
sur l'évolution du goût français.
Ainsi, tandis que la foule se désintéressait de plus en plus

Charpentier et Brossard et leur reproche leur italianisme V. Comparaison de la Mu-


:

sique italteiiih' et de la Musique françoise (réimprimée dans Bourdelot. Histoire de la


musique, tome III, 272, IV, 122, 127, 141, 175, etc.
Louis de Mollier lui-même ne paraissait pas exempt d'italianisme aux veux des
contemporains. Le Mercure galant le loue d'avoir « toujours pris soin de mêler ce
que la musique françoise a de plus doux, avec le profond de la science des Italiens ».
(juillet tome V, p. 77).
1677,
1. Il remarquer que les deux noms de Luigi et de (Carissimi reviennent sou-
est à

vent et même accompagnés de commentaires élogieux sous la plume d'un écrivain


aussi entêté que Lecerf de La Viéville de la supériorité musicale des Français sur les
Italiens.
2. Parallèle des Italiens et des I-^rançois en ce qui rci^arde l.i Musique et les C^nras.
Paris, Jean Moreau, MDCCII.
Sur la première querelle de l'Italianisme. V. Henry Pruniêres, Lecerf de La Viéville
et le classicisme musical, -V. /. M., 1908, (pages 619-654).
5. Les Dons des enfants de Latone : la Musique et la Chasse du Cerf, poiines dédiés an

Roy (parSéré de Rieux), 1734, p. 112 (note). Cette intéressante note ne se retrouve
pas dans l'édition séparée de la Musique, poème divisé eu IV chants etc. La Haye chez
Abraham Henry, MDCCXXXVII.
LERCOLE AMANTE ET LA CABALE ANTI-ITALIENNE 317

des manifestations musicales italiennes et semblait n'avoir plus


d'oreilles que pour les ballets et les divertissements de Lulli,
les airs et les dialogues de Lambert et de Cambert, les petites
chansons de Mollier et de Le Camus, des amateurs plus nom-
breux qu'on ne pourrait croire se passionnaient encore pour
les œuvres de Luigi Rossi, de Cavalli, de Carissimi, de Cesti,

en échangeaient entre eux des copies et se réunissaient pour


les entendre chanter. Des cénacles italianisants subsistaient
non seulement à Paris, mais aussi dans diverses villes du
royaume.
Lulli entendait gouverner seul et selon son bon plaisir
l'empire de la musique française. Il s'irrita de cette résistance
à sa politique anti-italienne. Xe pouvant empêcher les diJctianii

de cultiver l'art qui les séduisait le plus, il résolut du moins


d'extirper de la cour, autant qu'il lui serait possible, le goût
de la musique ultramontaine. Avant tout il fallait éviter que
le roi ne se reprît à chérir les airs dont son enfance avait
été charmée. Il fallait éloigner de sa personne tout ce qui
pouvait entretenir en lui l'amour des chants italiens. Tant
qu'une troupe étrangère subsistait à la cour, il suffisait d'un
caprice du souverain pour provoquer la venue à Paris d'un
compositeur romain ou vénitien dont les succès pouvaient faire
pâlir la gloiredu Surintendant'. Il fallait que Louis XI\' ne
fût plus jamais tenté de monter à Paris un opéra italien. C'est
pourquoi Lulli s'appliqua, durant quatre années, à empêcher la
troupe du Cabinet d'être entendue du roi. Après quoi, il ht
sans doute observer que son entretien était bien coûteux pour
le peu d'agrément que le monarque en retirait et il obtint le

licenciement tant souhaité.

I. Il est curieux de voir combien Louis XI\' l'ut vite musique d'église
conquis a la
italienne lorsque Paolo Lorenzani vint à Paris. empêcher ce rival
Lulli sut d'ailleurs
dangereux d'aborder la musique dramatique et paraît lui avoir fait la vie dure. Dans la
h'itie de Clànent Marot... louchant ce qui s'est passé à V arrivée de J.-B^^ Lulli aux Champs

i:7«tV5 (Cologne, MDCLXXXVn, p. 3 V), l'ombre de Cambert s'écrie: c Je t'atteste


encore quoique vivant, célèbre Loren/.ain, à qui un mérite connu de toute l'Europe
n"a servi qu'à blesser les yeux du jaloux Lulli par un éclat odieux, et qui aurois
depuis long-temps occupé les preniières places de ta profession, si tu ne les avois trop
bien méritées. »
3i8 l'opéra italien en frange

Cette nouvelle consterna le parti italianisant. Ouvrard


l'annonce en ces termes à Xicaise, dans une lettre du i6 juil-
let 1666 : « Cependant, Monsieur, vous scaurez par occasion
que le Roy a congédié sa musique italienne depuis quinze
jours et qu'ainsi ils s'en retournent en leur pays, hors peut-
estre la signora Anna. Le Roy y perd moins que nous, parce
qu'il ne les entendoit jamais et l'on s'estoit elforcé de les luy
rendre inutiles. Nous en avions quelquefois le plaisir et je
croyois qu'il estoit de la Grandeur du Roy de les garder, du

moins comme l'on fait des lyons, des tigres et des aigles dans
pour
les Tuileries les faire voir à ceux qui ne peuvent pas
aller dans le pays où naissent ces animaux. Quand il seroit
vrai (quod non) que leur musique, ny leur manière de chan-
ter ne fût pas agréable, je ne laisserois pas si j'estois de ce
sentiment de souhaiter de les entendre quelquefois '. »

Quelques mois plus tard, \^igarani confirmait au duc de


Modène le renvoi des chanteurs : « les musiciens italiens ont
reçu leur congé et sont déjà partis de Paris, après y être
demeurés quatre ans sans avoir été appelés à la cour-. »
La petite troupe se dispersa aux quatre coins de l'Europe :

G. Agostino Poncelli qui n'avait sans doute pas obtenu qu'on


lui réservât sa place à la chapelle ducale de \'enise, s'en fut à
Vienne où il servit cinq années l'empereur, puis rentra en
Italie'. Le vieux Tau;liavacca rei2;a"'na sans doute ALintoue, sa

patrie. La Signora Anna Bergerotti se iixa à Rome et y fit une


fin glorieuse en épousant un marquis. Le 10 juillet 1670,
Constantin Huyghens mande à son neveu qui voyageait en
Italie « Surtout je souhaitte que vous
: vous informiez de
nostre Signora Anna Bergcrotii, que vous avez connue à Paris.
1:11e est mariée à quelque marquis, à ce qu'on dit. Dieu sçait

de quel gros marquisat il est souverain ! ne manquez pas de

1. ,\Is. Ir., 9560, t" 7. Des iVat^nicnts de ce pasba^c ont été cités en note d'ui:c
manière un peu inexacte par M. lîcorcheville dans son li\'re : J'i/it^'! sitilcs iVorchesIrc du
XV n<^ siècle fraiiçois, p. 25.

2. Lettre de Carlo \'igarani du 18 mars 1667 au cardinal Ixinaldo d'Esté « I Mu- :

sici italiani hanno ricevuto la da Parigi dopo 4 anni che


licen/.a e son' partiti di già

non erano stati chiamati a la Corte. » .\rchives de Modène.


5. Bertolotti, lu Miri\.. iii Manlovii. Ricordi, p. i i i
L ERCOLE AMAXTE ET LA CABALE AXTI-ITALIEXNE 319

la chercher, pour luy faire mes baise-mains, et sçavoir bien exac-


tement en quel s'il y aura moyen d'entretenir
estât elle est et
encore avec quelque correspondance par lettres. Cela me
elle

viendroit à point pour quelque commerce musical dont j"ay


besoin en ce pais là'.... »

Gio. Carlo Rossi s'en retourna à Rome. En 1663, il


y perdit
sa femme la Signora Francesca Campana '. Les divers actes
notariés, dressés à cette occasion, nous prouvent qu'il jouissait

d'une petite fortune. Sa maison était décorée de tableaux de


prix une Flore de Léonard de Mnci, une Madone de
:

Raphaël, des toiles de son ami Salvator Rosa, etc. Il possédait


une belle bibliothèque et une véritable collection d'instru-
ments de musique quatre clavecins, signés des meilleurs fac-
:

teurs de l'époque et richement décorés, trois épinettes, une


guitare et une harpe... Gio. Carlo n'avait pas d'enfant, il
s'attacha à un de ses neveux, Francesco Rossi, poète et érudit
latiniste, secrétaire du cardinal Paluzzo Altieri, qu'il eut la

douleur de perdre dans des conditions tragiques Le 28 mars :

168), Francesco Rossi fut assassiné par un serviteur qui vou-


lait le voler. Le vieux Gio. Carlo survécut de plusieurs années
à ce drame
mourut, le 12 juin 1692, âgé d'environ 70 ans.
et

Il fut enseveli auprès du corps de son frère bien-aimé, le grand

Luigi Rossi, dans le tombeau qu'il lui avait fait construire


en l'église Santa Maria in via Lata.
Xous ignorons ceque devinrent les autres artistes de la
troupe italienne. Angelo Michèle Bartolotti ne dut pas quitter
la France avec ses compagnons, car il publia chez Ballard,
en 1669, une « Table pour apprendre facilement à toucher
parfaitement le théorbe », sans doute le manuscrit que le
^

1. CorycspondaiiCL', p. 56.
V. Cametti, Docuiiiciiti su ht v'ita di Liti<^i Rossi. Saiiiiiidbande der I. M. G.,
2.

1912 (p. 22 à 26).


3. Table pour apprendre facilement à toucher le thcorhe sur la Basse continue
\
\ | | \
|

composée par Angelo Michèle Bartolomi (sic) Bolognese. A Paris Par Robert Ballard...
\ |

M.DC.LXIX. (In-40 obi., sans préface). Exemplaire aux armes de Louis XIV. Bibl.
Nat. Vm8. 3. —
On trouve dans un recueil de tablatures de guitare de la Bibl. Nat.
Vm7'675 une Sarabande et une Allemande cVAngelo Mikielo (p. 72 et 79) qui voi-
sinent avec des airs de Lulli, Gautier, Hofman et une sarabande de Luigi Rossi
(p. m).
320 L OPKRA ITALIEN- EX FRANCE

chanoine Ouvrard recommandait si chaleureusement à Tatten-

tion de son ami Nicaise. Son talent de théorbiste ne pouvait


causer aucune inquiétude à Lulli il demeura donc sans doute
;

à Paris quelques années encore \


L'opéra était exilé de la cour de France avec ses
italien
interprètes. Désormais Lulli règne seul sur les destinées de. la
musique dramatique. Si des amateurs regrettent le temps
d'Atto et de Leonora, si de Lionne, si de Nvert ou le duc de
Mortemart demeurent fidèles au culte de Luigi Rossi et de
la musique italienne, les fêtes de la cour ne se ressentent

pas de ce goût d'une élite. Durant plus de dix ans, il ne sera


plus question à Paris, ni à A'ersailles de chanteurs ultramon-
tains. Si, dans les vingt dernières années du siècle, un mou-
vement italianisant se manifeste avec force dans la musique
d'église, si Paolo Lorenzani s'attire les bonnes grâces du roi,

s'il fait entrer à la chapelle quelques voix italiennes", l'omni-

potence et la popularité de Lulli n'en souffrent aucunement.


L'opéra français est son œuvre, sa chose. Les Parisiens ont
déjà oublié les beaux jours de VOrfeo, des No~~c di PeJeo, de
Xlivcolc Jiiniiih' : ils semblent croire que l'opéra est sorti tout

armé, tout paré, du cerveau de Lulli et ne doit rien à l'Italie.

Les adversaires du Florentin en attribuent l'invention à Perrin


et Cambert et ne se montrent pas plus équitables envers les

œuvres italiennes auxquelles l'opéra français doit cependant


la vie.

1. Fctis assure qu'il entra au service du prince de Condé, nous ignorons sur quoi
il se fonde.
2. En particulier les chanteurs Antonio Favalli et Antonio Baguera. (V. Ms. Clair.,

814, p. 500, MacKic 1687, janvier, p. 2(S2, 1700, février, p. 184. Arch.
i^iilanl, Nat.,
Z'ï'y^Sé). ((kiuiniuniqué par M. Micliel Brenet).
CHAPITPvE MI

IXFLUi:XCH DHS OPÉRAS ITALIENS SUR Ll, Tlll-AIRI-:

ET LA MUSiaUK liX FRAXCH

I. Les tragédies de Machines. — Andromède (1650). — La Coiiicdie Siiiis comédie

(1654). — Les Aiiionrs de Jupiter et de Semélé (1666).

II. Les Pastorales en Musique. — Les Autours d'Apollon et de Daphnc (1650). —


Le Triomphe de V Amour (1657). — La Pastorale d'Iss\ (1659). — Les Pastorales
de LuUi (1664- 1668).
III. Les Ballets à grand spectacle. — Les Comédies-Ballets. — Floie (1669). —
Psyché (1670).
IV. L'Opéra français. — Solution par LuUi du problème récitatif.

Ce ne fut pas en vain que Mazarin, durant plus de quinze


années, déploya aux yeux des Parisiens les séductions des opé-
ras. Les poètes, surpris par l'étrangeté des drames italiens,

rêvèrent d'intrigues mettant en jeu toutes les puissances divi-


nes et infernales les musiciens s'ingénièrent à trouver « une
;

manière nouvelle de réciter en chantant » le grand public, :

fasciné par les changements de scènes, les décors et les ma-


chines de Torelli et de \'igarani, réclama des magnificences
semblables aux entrepreneurs de spectacles. Durant vingt ans,
ce goût nouveau fut exploité sur le théâtre du Marais par
d'habiles imprésarios. Le public applaudit des pièces singu-
lièresoù la qualité des vers importait peu, où le rôle de la
musique se réduisait à quelques chansons, quelques airs, quel-
ques danses, mais dont les machines et les décors faisaient
tout l'attrait. Ces pièces étaient de véritables opéras sans
musique récitative.
Ainsi que l'observe justement Mctor Fournel, « la nature
des sujets et des divertissements mêlés à l'action, autant que
L OPERA ITALIEN EX FRANCE

la pompe du spectacle, justifie ce rapprochement. Comme les

ballets, les pièces à machines ont contribué à l'avènement de


l'opéra, et le théâtre du Marais pourrait être considéré comme
le berceau de l'Académie Royale de Musique '. »

Il ne faudrait pas s'exagérer l'importance de ces pièces au


point de vue musical on n'v rencontre rien qui ne se trouve
;

déjà dans cour antérieurs. L'habitude d'inter-


les ballets de
caler des chansons et même des danses^ dans les comédies
remonte fort haut et sur ce point YOrfco ne détermina aucune
innovation. En revanche, l'inliuence des opéras italiens est
manifeste au point de vue dramatique. Ce sont les mêmes
sujets, les mêmes interventions de divinités rivales dans l'in-

trigue amoureuse, les mêmes procédés pour provoquer l'emploi


des machines. De temps en temps, dans une circonstance
pathétique ou joyeuse, un personnage chante. Qu'on remplace
les lourds alexandrins par des vers plus souples, qu'on traite
en récitatifles dialogues et les monologues, et ces tragédies

de machines deviendront des opéras. Les compositeurs n'ap-


prendront pas grand'chose à cette école, mais c'est au Marais
que les futurs librettistes de l'opéra lulliste vont faire leur
apprentissage.
Les pièces à grand spectacle représentées avant l'arrivée de
Torelli à Paris offraient de piètres sujets d'admiration à ceux
qui avaient pu voir, à W'nise ou à Rome, les magnificences
scèniques des architectes italiens. En 1640, la troupe royale
avait joué ht de s cuit c ilOvpbcc aux Jiii/rrs de Chapoton \ Cette

Les conlcDipora'ms de Molit're. Paris, Didot, 1875 (iii-80), tome III, p. xxn'.
1.

V. en particulier Les Nopces de Vaii;^irard ou les Naifvete:^ champestres. Pastoralle


2.

dédiée à ceux qui veulenl rire, par L. C. D. A Paris, chez Jean Guignard MDCXXXVIII.

A la scène IV « On joue des hautbois. » » Les violons jouent un bransle pendant
:

que Polvdas parle et que les conviez dancent. » —


« On joue la gaillarde, » etc.. A

Facte II, se. 3, Pancrace donne une sérénade à sa maîtresse en jouant de la flûte et du
tambour. Si dans cette pièce la musique instrumentale tient une grande place, en
revanche il est impossible d"v trouver un seul air chanté. M. Jules Marsan nous
paraît donc avoir singulièrement exagéré l'intérêt de cette pièce en voyant en elle une
sorte de prototype de notre opéra-comique. (La Pastorale dramatique en France. Paris,
Hachette, 1905). V. aussi La Laurencie Les Pastorales en musique au Xl'^Ih siècle,
:

Report of tJ}e 4^^^' congress of the L M. S. London, Novello, 191 2 (in-S"), p. 143.
3. Lti Descente d'Orphce aux pji fers. Trai^cdie. Paris, Toussaint Quinet, i64o(in-4o),
Hibl. Xat. Réserve, Yf 1467.
INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS :>->

tragédie comprenait plusieurs vols de divinités, à peine moins


grossiers que ceux dont les spectateurs des Mystères du
xv^ siècle faisaient leurs délices. L'année suivante, le cardinal
de Richelieu inaugura le superbe théâtre qu'il avait fait cons-
truire avec la tragi-comédie de Miraiiic. Les contemporains criè-

rent au miracle et s'extasièrent sur la mise en scène. Pourtant la


pièce était jouée devantun seul décor à l'italienne représentant
un parterre encadré de colonnades, avec la mer à l'horizon '.Les

machines consistaient en quelques vols et en un lever de soleil ;

elles eussent paru bien insignifiantes aux spectateurs de


Venise... On comprend dès lors l'enthousiasme des Parisiens
pour les changements à vue réalisés par Torelli, pour ses
machines portant à la fois dans les airs trente ou quarante
personnages, pour ses décors variés et magnifiques.
Les comédiens du ALirais virent dans le succès de YOrfeo
une occasion d'attirer Ils foule à leur théâtre.
reprirent
la

Y Orphée de Chapoton. La pièce parut, en 1648, avec un titre


nouveau La gvandc journée des niachines ou le Mariage d'Orphée
:

et d'Eurydiee'. Un habile architecte. Denis Buffequin, s'était

chargé de construire des machines à l'italienne'. La pièce, pré-


sentée de la sorte comme une imitation de VOrfeo, alors
qu'elle lui était de sept années antérieure, eut un gros succès
et ceux qui n'avaient pu pénétrer dans la salle, jalousement
défendue, du Palais-Royal, se consolèrent en regardant au
ALirais les machines du Mariage d'Orphée que le livret procla-
mait « les plus belles et les plus extraordinaires que l'artifice

des siècles présents et passés puisse inventer ». En 1640, la


pièce de (Chapoton comportait déjà quelques airs : Orphée
chantait pour fiéchir la rigueur des divinités infernales ^ Les

1. V. Michel de MaroUes, Mémoires. 'Amsterdam, MDCCLV, tome I, p. 235-257.


2. Bibl. Xat., Réserve, Yf 205.
L'argument de la pièce avait été publié quelques mois auparavant sous ce litre :

((Dessein du pointe et des superbes machines du Mariage d'Orphée et d'Euridice qui se


représentera sur le théâtre du Marais, par les comédiens entretenus par Leurs Majestés.
René Baudry, 1647.
3. Sur Georges et Denis Buffequin voir la substantielle notice biograpliique de Jal.
Dictionnaire critique... et Rigal. Le tljédtre français... pp. 512-513.
4. Il chantait une chanson à Caron et une autre à Pluton.
324 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

comédiens composer plusieurs morceaux nouveaux pour


lircnt
la reprise :comme inventeur de la musique » fit
le Soleil «
entendre « un air fait exprès dont les tons miraculeux, les
réflexions hardies et les traits doux et perçans » ravirent les
oreilles des auditeurs.
La pièce fut représentée jusqu'au Carnaval de 1648 avec
succès petits comédiens du Marais,
: « les écrit dans son —
journal, Dubuisson-Aubenay ', jouèrent aussi avec leurs —
machines leur pièce d'Orphée qui est une belle chose, et ne
prennent plus que vingt sous au parterre et quelqu'écu aux
loges où premièrement ils prenoient demi-pistole ». Cette
diminution du prix des places donne à penser qu'à cette date
les recettes fléchissaient. C'est pourtant à XOrphcc de Chapo-

ton que les comédiens du Marais auront de nouveau recours,


en 1662, pour faire concurrence à Xllrcolc Aiminle donné aux
Tuileries.
Est-ce l'accueil fait à cette tragédie de luachines qui engagea
Anne d'Autriche et Ma/arin à commander à Corneille Andvo-
iiicJe pour le on ne sait et la question est
carnaval suivant ?

des plus obscures. Si l'on songe que Perrin, dans sa lettre à


l'abbé délia Rovere, affirme que Buti avait conseillé à Maza-
rin de faire traduire en français ses opéras, on peut se deman-
der s'il ne fut pas question un moment de charger Corneille
d'une adaptation française de VOrfco, destinée à être chantée
au carnaval de i64(S. l:n tout cas, si ce projet exista, il fut
vite abandonné et l'on arrêta de laisser toute liberté à Cor-
neille pour le choix du sujet, à condition que les machines
et les décors de VOrlcii trouveraient leur emploi dans la nou-
velle pièce.
Le 6 juillet d'Ormesson note dans son jour-
1647, Lele\ re

nal ; « Monsieur lenous confirma le bruit...


Surintendant...
c]u"il tra\ailloit au dessein dune nouvelle comédie Jiuho- :

uicdc el Pcrséc' » A l'automne, le jeune roi fut atteint delà


.

petite vérole et l'inquiétude fut si grande que tous les prépa-

I. Joiinuil, tome 1, p. (S (lu 1 5 l'cvricr 1648).


1. Jouiiuil d'Olivier Li'fvie d'Onucsson , cdit. ChénicI,!, 386.
IXFLUENXE DES OPÉRAS ITALIENS 325

ratifs de fêtes furent interrompus. Le 20 décembre, Conrart


écrit à Félibien ; « On préparoit force machines au Palais Car-
dinal, pour représenter ce Carnaval une comédie en musique,
dont M. Corneille a fait les paroles. Il avoit pris Andromède
pour sujet et je crois qu'il l'eût mieux traité à notre mode
que les Italiens mais, depuis la guérison du Roi, M. \^incent
;

a dégoûté la Reine de ces divertissemens, en sorte que tous


les ouvrages sont cessez '. »

En réalité, Mazarin se montrait assez mal disposé envers


cette pièce dont les adversaires de VOrfco célébraient à l'avance

les beautés. Il si elle remportait un grand


craignait sans doute,
succès, de ne plus pouvoir donner d'opéras à Paris. Il invoqua
la raison d'argent et s'efforça de faire abandonner le projet. On

crut généralement à un effet de la jalousie du ministre.


« Monsieur de Lezeau m'apprit l'après-disnée, conte d'Ormes-

son, que la comédie à machines avoit estée rompue par la


jalousie de Monsieur le Cardinal, parce que M. le Surinten-
dant prenoit le soin des inventions que M. Incelin donnoit "
;

qu'il les avoit fait voir à la Reyne sans luv monstrer et qu'il

lesavoit de M. Incelin » quoiqu'il en soit de ce ragot, l'aban-


'
;

don diAndrouicde est confirmé, le 2 janvier 1648, par le journal


de Dubuisson-Aubenay « l'affaire de la comédie françoise
'
:

à\4)idromcde, pour l'advancement de laquelle le sieur CorneilTe


avoit reçu deux mille quatre cents livres et le sieur Torelli,
gouverneur des Machines de la pièce dî Orphée, ajustandes à
celles-ci, plus de douze mille livres, a esté derechef rompue ou

intermise après avoir naguères esté remise sus. » Enfin, le

21 janvier, Dubuisson-Aubenay' nous donne un curieux


renseignement dans un langage difficilement intelligible :

« Un des jours suivans, la comédie à'Orphée et Eurydice, jouée

au Palais-Royal tout l'hiver passé, avec machines, se fait fran-

çoise par le sieur Corneille qui pour cela a reçu deux mille

1. Lettres de Courait, p. iio.


2. Louis Treslou Cauchon dit Hesselin, véritable intendant des fêtes de la cour.
3. Journal du IQ février 1648.
4. Tome I, p. 2.

). Journal, I, p. 6.
32é l'opéra italien en FRANCE

quatre cents livres d'avance, et Torclli, conducteur des machi-


ou quatorze mille livres pour les raccom-
nes, plus de treize
moder. La maladie du J^oi survenant a rompu tout le dessein,
qui en est demeuré d'en par là mais les petits comédiens du ;

Marais ont joué la pièce à'Aiidromède et Pcrsée, la Délivrance,


un mois ou plus à présent expirant, avec machines imitées de
celles de YOrphée des Italiens. »

Il semble bien qu'il faille interpréter ainsi ce passage : la

pièce de Corneille avait fait par avance beaucoup de bruit,


les comédiens du Marais en profitèrent pour représenter une
autre pièce intitulée également : Aihlrn}}icdc cl Pcrsée, espérant

que la similitude des sujets attirerait les curieux en grand


nombre.
Corneille ne se tint pas pour battu ; en 1649, profitant de
la rentrée du roi dans la capitale, il obtint, le 12 octobre,
un privilège pour la publication de sa pièce '
et, au Carnaval
de i6)0, la fit représenter par la troupe royale. Le samedi
26 février, la reine et le jeune roi allèrent « voir la comédie
d'Andromède, jouée avec machines très belles dans la salle du

Petit Bourbon » '


.

Nous ignorons ce que Mazarin pensa de la pièce, mais elle

ne dut lui plaire que médiocrement. Androuicdc est comme la

réponse du génie dramatique français à la glorieuse manifes-


tation italienne de YOrfco. Corneille, en quelques mots, rabat
les prétentions de la musique qui lui semblent extravagantes.
« Je ne l'ai employée, déclare-t-il dans sa préface, qu'à satis-

faire les oreilles tandis que les yeux sont arrestés à voir des-
cendre ou remonter les machines, ou s'attachent à quelque chose
qui les empêche de prêter attention à ce que pourroient dire
les acteurs... mais je me suis bien gardé de rien faire chanter
qui fût nécessaire à l'intelligence de la pièce, parce que com-
munément les paroles qui se chantent estant mal entendues
des auditeurs pour la confusion des voix qui lesprononcent
ensemble, elles auroient fait une grande obscurité dans

1. Dessein \
de la tragédie \
d'Aiidromlde \
représeiiti'e sur le Ihédtre \
Roxal de Bourbon.
Rouen, 1650 (in-40), (Bibl. Nat., Réserve, Vf 3866).
2. Joui-ntil de Dubuissoii Auhciiay, t. II, p. 10.
INFLUENCE DES OPÉRAS ITALIENS 327

le corps de l'ouvrage si elles avoient eu à instruire l'auditeur


de quelque chose d'important. » On ne rencontre dans la

tragédie de Corneille que des chœurs, des airs, et des dialo-


gues sans intérêt dramatique '
; ces divers morceaux étaient
l'œuvre du musicien poète Dassoucy, grand admirateur et

ami de Luigi Rossi. Malheureusement il ne nous en reste

que des fragments mutilés % tout à fait insuffisants pour


permettre de juger les mérites de la partition.

une solution éminemment française du


L' J}idroniècIe 'p^ésenle

problème mélodramatique. La pièce ne réclame le secours de la


musique que dans les instants où l'attention des spectateurs
n'est pas occupée par le développement de l'intrigue la musique ;

est un divertissement de l'oreille comme les machines sont une


fête pour les yeux, mais, seule, la poésie a le droit de parler
au cœur. En réalité, les spectateurs écoutèrent distraitement
les vers de Corneille et s'enthousiasmèrent pour les machines
de Torelli. LaGa:[cttc du i8 février ne tarit pas en éloges sur

leschangements de scènes, les vols de divinités, le combat de


Persée et du monstre, la tempête et autres merveilles.
La tragédie de Corneille, si elle n'eût été écrite en alexan-
drins, eût un excellent livret d'opéra
pu faire Q.uinault, ;

avec un penchant moins marqué pour les situations héroïques,


n'eût pas traité le sujet très différemment. La scène de sacrifice
à ^Y'nus, l'apparition de la déesse assise au milieu de son
étoile, la tempête au cours de laquelle Andromède est emportée
par les vents, la scène du combat de Persée et du monstre,
commentée par les chœ'urs, l'apothéose et les noces de Persée
et d'Andromède forment autant d'épisodes qui semblent déta-

chés d'un opéra '.

1 . L'un d'eux édité séparément


fut « Air chanté aux grandes machines d'Andro-
:

mède, à la de nostre Monarque, par Pierre Corneille. » Catalogue delà hihlio-


gloire
thl que James de Rothschild, par Em. Picot, tome I, p. 51.

2. V. les parties de Taille et de Basse des Airs à quatre parties de Dassoucy. Ballard,

1653 (Bibl. Nat., Réserve, 7/275). Vm


Dassoucy se vante quelques années plus tard d'avoir « donné l'âme aux vers de

l'Andromède de M. de Corneille. » Ai'eiitures burlesques de Dassoucy, publ. par


Colombev, Paris, 1858. Introductiou, p. xxv.
3. On trouvera une description très complète d'Andromède dans l'intéressante bro-

chure de M. Ecorcheville Corneille et la Musique. Paris, 1906, in-40.


:
328 l'opéra ITALIEN' EX 1-RA\'CE

Corneille, avec un art consommé, parvint à utiliser les


machines de YOr/ro. Comme il le remarque lui-même dans sa
préface, elles « ne sont pas dans cette tragédie comme des agré-
ments détachés elles en font en quelque sorte le nœud et le
;

dénouement et y sont si nécessaires que vous n'en sauriez


retrancher aucune que vous ne fassiez tomber tout l'édifice. •»

Audrouh'dc allait servir de modèle aux nombreuses pièces à


grand spectacle montées sur le théâtre du Marais. Ulysse dans
File de Circc de Boyer ', représenté la même année (\\\ Andro-

mède, témoigne des mêmes tendances les machines sont la :

raison d'être du drame et la musique n'y joue qu'un rôle


extérieur et décoratif'. Pourtant Boyer semble avoir eu plus
confiance que Corneille dans le pouvoir expressif de la musi-
que : Circé, délaissée par Ulysse, chante des stances désolées' :

Rare présent des cieux, merveilleuse puissance


Qui m'a fait consentir une si dure absence.
Redonne Ulvsse à mon amour.

Kt i'attans seulement la fin de mon supplice,


De ma mort ou de son retour.

puis, sans interruption, déclame :

Son seul retardement fait obstacle à ma flamme... etc.

Il ne manque que de convertir en rccilaiivn stcco ces vers


parlés pour avoir une véritable scène d'opéra.
A mesure que les années passent, la musique prend tou-
jours plus d'importance dans le drame. On peut, en 1634,
mesurer le chemin parcouru depuis Andromède, en jetant les
veux sur lii comédie sons comédie de Quinault '.

1. Ulysse I
dans Fisle de (yiicc \
on |
liiiri/orhe \
foiulroxc |
'rraoiconu'die \
Reprc-
Sfitti'e sur le tliùilre des Machines du Marais. \
Dédiée à Mouseii^nenr \
le Prince deContx
I
A Paris |
chez 'l'oussainct Quinct..., MDCL (in-4'^J.
2. \'. par exemple à l'acte I, se. <S, la « clianson des S\-rènes )>.

V Acte \\\ se. 6, p. 86.


,|. Le ihédlre de Monsieur Ouinanll. l\iris, MDCCXXXIX, tome I, p. 360 et suiv.
M. Victor Fournel a publié des fragments de cette pièce dans ses Contemporains de
Moliire, tome lil, p. 73 et suiv.
IXFLUEN'CE DES OPÉRAS ITALIEXS 329

La troupe du Marais s'était une fois de plus dissoute, puis


reconstituée ; désireuse de prouver aux Parisiens de quoi elle
était capable, elle commanda à Cluinault ce qu'on appelait
alors un ambigu de comédie, de pastorale et de tragi-comé-
die. Le prologue donne la clef de cette pièce singulière. Les

acteurs Hauteroche et La Roque, amoureux des filles du mar-


chand La Fleur, oftVent à ce dernier de lui prouver leurs mérites
en se montrant à lui dans les rôles les plus divers. Ils lui
jouent donc successivement la pastorale de Cloiuire, la tragé-
:

die de Clorinde, la comédie du Docteur deverre et la tragi-comé-


die d\4riiiidc et de Renaud.
Comme dans la plupart des comédies du temps, le prologue
renferme quelques airs. Le valet Jodelet chante burlesquement

et les amants célèbrent leur amour par un charmant duo, mais


rien dans tout cela n'est nouveau en revanche, la tragi-comé-
;

die est fort curieuse on peut la considérer comme l'esquisse


;

du IL acte d\-lniiiih\ le dernier opéra de Quinault (1686).


Dans le Prologue, La Roque annonçait ainsi ce spectacle :

Enfin sur ces essais notre troupe enhardie


Fera voir un sujet de Tragi-Coniedie
Où nous pourrons encore mesler pour ornemens
Des machines en l'air et des concerts charmans.

Le programme sera exécuté de point en point et permettra


au spectateur non seulement d'apprécier la variété des talents
de la troupe mais aussi d'admirer le génie de Quinault et l'art

avec lequel il traite les sujets pastoraux. Les vers fluides et


voluptueux de la tragi-comédie Armide et Renaud annoncent
déjà l'auteur à'Atxs et à\4iuadis.
La pièce commence d'originale façon. Armide apparaît tout
à coup dans les airs et ordonne à ses démons de préparer la

scène. Aussitôt « le théâtre se change en une isle délicieuse où


l'on peut passer par un pont magnifique et Armide descend en
mesme temps. » La magicienne évoque lombre d'Hvdraotqui
sort de terre.
Renaud, enfermé dans ce l'isle enchantée » se laisse aller à une
douce songerie :
330 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Ce gazon que cette eau vient baiser doucement


Semble ici m'inviter à rêver un moment.

Un triton et une sirène s'approchent en nageant et lui vien-

nent chanter de tendres exhortations :

11 taut aimer
C'est un destin inévitable
11 n'est point de cœur indomptable
Qiie l'Amour ne puisse enchaîner.

Bercé par ce chant harmonieux « Renaud s'endort et le triton


et la sirène continuent à chanter :

Que de plaisir
Amour fait trouver dans ses chaînes...

Armide survient, elle va frapper Renaud quand l'Amour pa-


raît : il arrête son bras, lui prédit qu'elle aimera celui qu'elle
veut tuer, lui décoche une Hèche et s'envole. Renaud en rêvant
parle d'Armide.La magicienne s'avoue vaincue, elle ordonne à
Cupidon de les emporter tous deux. « Qiiatre petits amours
descendent sur le théâtre et deux ayant pris Renaud et les deux
autres Armide, ils les enlèvent sous la conduite de l'Amour. »

Sous l'influence des opéras et des ballets italiens représentés


à la cour entre 1654 et 1662, la musique envahit les tragédies
de machines. Les essais de pastorales, que nous étudierons
plus loin, donnent aux compositeurs conhance en leurs forces
et, rapidement, les symphonies et les chants, que Corneille
voulait reléguer dans un rôle subalterne, prennent le pas sur
la poésie. C'est peut-être pour protester contre cette tendance
que le vieux (Corneille, en écrivant la Toison ifOr, accorda
moins de place encore à la musique que dans Andromède. On
sait comment, à l'occasion des fêtes du mariage royal, le mar-

quis de Rieux de Sourdeac ht représenter, en son château du


Neubourg, près d'Evreux, la pièce de Corneille par les comé-
diens du Marais, à l'automne de l'année 1660 '. Sourdeac avait

I. Sur les représentations de la Toison iFOr au Neubourg on peut lire un cliarmant


article plein de détails inédits de V. et M. Delavignc Un gniiid Sciguenr au XVII'^ siècle.
:

Le Marquis de Sourdea(. Revue lIchdo))iadaiit', 191 1, 25 novembre. — Je me permets


IXFLUENCE DES OPÉRAS ITALIENS 33 1

fabriqué lui-même les décors et les machines qui étaient magni-


fiques. Il en fit don aux comédiens qui, de retour à Paris, don-
nèrent la pièce avec un succès éclatant auquel la musique n'eût
presque aucune part '.

Quelques années plus tard, en i6é6, les Auiours de Jupiter et


de SéméJé' de Boyer marquent l'avènement tout proche de
l'opéra français. Des symphonies accompagnent et commen-
tent les jeux de machinerie. Des trompettes et des clairons
saluent l'arrivée de Melpomène « Thalie descend du Par- —
nasse sur une nue en jouant du tambour de basque auquel se
mesle le concert des violons. » Des musettes et des hautboys
sonnent « un air fait exprès pour la pastorale » pendant qu'Eu-
terpe descend du Parnasse. Les airs naissent au milieu du
récit.

Thalie : C'est sur ce digne espoir, grand Dieu, que je commence


Et je prends pour ma gloire une entière assurance.
Chmisou pour TJnilie

Sur le lut et sur la musette... etc.

Toutes Muses chantent ainsi à tour de rôle puis Mel-


les ;

pomène évoque les fureurs poétiques « qui dansent une


entrée de ballet ». C'est là un véritable prologue d'opéra lui-
liste, il n'y manque que le récitatif. L'acte I commence par

un concert de voix et d'instruments, les Heures chantent à Sé-


mélé :

\"oici la brillante déesse

Q.ui vous vient annoncer la naissance du jour.


Princesse, un jeune cœur, tout enflammé d'amour.
Peut-il avoir tant de paresse !

Chaque scène de cet opéra déclamé contient des chants, des


dialogues, des chœurs. A tout moment les airs et les sympho-
nies surgissent au cours de l'action. Il y a assurément autant,

seulement d'v relever une petite erreur la musique n'était certainement pas l'œuvre
:

de LuUi.
1. V. le compte rendu enthousiaste de Loret dans la Mii:^e historique du 19 fé-
vrier 1661, éd. Livet, III, p. 523.
2. Imprimé chez Toussaint Quinet (in-S"). (Bibl. Nat., Yf 3730).
:>:>- L OPHRA ITALIEN E\ I-RAXCE

sinon plus de musique, dans cette « tragédie' », que dans les

pastorales de Perrin et de Cambert. Comme il était fort diffi-

cile aux comédiens du Marais de trouver dans leur troupe assez


d'acteurs capables de chanter les fragments musicaux que com-
portait la pièce, ils s'étaient avisés de lexpédient suivant : ar-

rivé au passage qui devait être chanté, l'acteur se taisait et se


contentait de mimer son rôle, tandis qu'un musicien dans la

coulisse faisait entendre l'air à sa place \


Au point de vue de l'histoire du théâtre lyrique, les pièces

de Boyer et de ses émules sont beaucoup plus intéressantes


que les comédies-ballets de Molière. Celui-ci fait seulement
intervenir les chants, les danses et les symphonies dans les

ou bien explique de façon naturelle leur introduction


entr'actes
dans Au contraire, dans les tragédies de machines, le
l'action.

discours d'un personnage s'interrompt pour faire place à un


air ou à une chanson. Que la déclamation parlée devienne

déclamation chantée et l'opéra français prendra vie \

II

Pendant que les poètes dramatiques fournissaient les comé-


diens du Marais d'imitationsplus ou moins réussies des opéras

1. Le ne nomme pas l'auteur de la partition, il dit seulement


livret « La compo- :

sition de la musique faite par un des plus grands génies du Rovaume. » C'était^
semble-t-il, Louis de Mollier qui par la suite composa la musique de plusieurs tragé-
dies de machines notamment celle du Maiiaf;e de Barcbiis et d'Arhvie représenté au
;

Marais en janvier 1672. ^^ Mcrcuir Galant, 1672, tome L p. 10. 1

2. Ainsi à la fin de la pièce Jupiter c :, avance sur le milieu du théâtre pendant


qu'on chante ces paroles :

Ne craignez plus un Dieu dont l'éclat dangereux


\'ient d'embraser un objet plein de charmes. »

Après quoi « Jupitei" ordonne en parlant à la Renommée d'aller publier le destin


de Sémélé » afin
" que tonte autre mortelle
Porte envie aux lionneurs d'une si belle mort »

3. Nous n'avons pas cru devoir continuer l'étude des tragédies de machines, les

pièces de De Visé : Les Amours du Soleil (1671) ou le Maria^n' de Baccbus (1672) ne


nous apprenant rien de nouveau etsubissant elles-mêmes l'influence des comédies
ballets de .Molière. Sur ces pièces voir Victor Fournel, op. cit.
INFLUEN'CE DES OPERAS ITALIENS

italiens et faisaient leur apprentissage de librettistes, quelques


musiciens cherchaient le secret de composer des opéras sur des
paroles françaises. Si Ton en croit le Père Ménestrier, dès 1646,
à Carpentras, Tabbé Mailly, secrétaire du cardinal Bichi,
aurait écrit « quelques scènes en musique récitative pour une
tragédie à'Achchar. roi du MogoV » ; mais il ne s'agit ici que
d'intermèdes lyriques pour la représentation d'une tragédie et
non d'un véritable opéra.
La première coiucdic en musique que nous rencontrons est de
quelques mois postérieure aux représentations de YOrfeo-.
Elle est l'œuvre d'un artiste qui, tout à la fois poète et compo-
siteur, versé également dans la connaissance des musiques ita-
liennes et françaises, était tout désigné pour mener à bonne
hn une telle entreprise : Dassoucy.
Charles Coypeau, sieur Dassoucy, jouissait à cette époque
d'une grande renommée. On lui faisait partager avec Scarron
le titre d'Empereur du Burlesque et son luth charmait les

oreilles des Grands'. Louis XIII avait aimé ses airs et, parla
suite, Madame Royale de Savoie, musicienne accomplie, le

couvrit de sa protection. Il était fort estimé de tout le monde


pour son talent de compositeur et c'est à lui qu'on s'adressa,
en 1648 ou 1649, pour mettre en musique les intermèdes de
X Androuicdc de Corneille. Dassoucy s'était dès l'abord rangé
parmi les admirateurs de YOrfeo et l'on a vu quel sonnet
enthousiaste il avait adressé à Luigi Rossi.
Sans doute, cette représentation fit sur lui grande impres-
sion, car il composa et publia, en pleine Fronde, chez l'éditeur
Antoine de Rafflé, les Amours d\lpolIo}i cl de Diiphné, comédie

1. Des Kt'préicntiitious en Mnsiijiif, p. 177.


2. Si on accepte la date de 1650 écrite sur le seul exemplaire que nous avons pu
découvrir à la Bibl. de l'Arsenal. 11 est à noter que Beauchamp et La Vallière
donnent cette même date, sans l'ournir d'ailleurs de références. Recherches sur les

MDCCXXXV, in-f", II, 191. Ballets, opéra, et autres oui-ra^'es


théâtres de France. Paris,
lyriques, MDCCLX, (in-80), p. 67. — Comme nous le verrons plus loin, tout nous porte
à croire que cette date est exacte.
5. On Colombev, prcjace aux Aventures de Dassoucy.
peut consulter sur Dassouc}- :

Paris, Delahaye, 1858, in-80. Beauchamp, op. cit., p. 192 et suiv.


J'ai découvert une très curieuse correspondance de Dassoucvque je me propose de
publier prochainement.
334 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

eu musique dédiée au RovWl ne fut récompensé de sa peine que


trois ans plus tard lorsque le Roi fut rentré dans Paris'.
Encore est-il fort douteux que la pièce ait jamais été jouée,
mais l'essentiel Dassoucy ait présenté une
est que, dès 1630,
solution du problème qui commençait à préoccuper les esprits ;

cette solution est tout simplement celle de l'opéra-comique.


Un Prologue pour le Roi ouvre la pièce. Il est écrit sur le ton
emphatique des récits à la louange des monarques qu'on trouve
dans tous les ballets de cour du temps.

Arrestc beau soleil ta course vagabonde,


Fixe-toi dans les cieux.
Un astre bien plus beau pour la gloire du monde
Nous luit en ces bas lieux

La comédie proprement dite est entièrement traitée en style


burlesque. Apollon et l'Amour se disputent, au premier
acte, sur un ton aigre-doux. Cupidon nargue le fils de La-
tone :

Depuis quand iMonsieur Apollon


Portez-vous ce grand espadon
Et ce beau poignard à coquille

Avec ce superbe hoqueton ?

\'ous seriez plus meschant qu'Achille


Si vous aviez une jambe de bille >,

Un bras de fer et du poil au menton.


Apollon . \'ovez un peu cette chenille...

1. Les Aiiionrs \
lï Apollon \
cl de Diifiio |
Coiin'du' en iiiiisûiiie |
Dédiée au Koy par le

sie/ir Dassoiier. A Paris De rin/pnii/erîe d'Aiiloine de Rajflé, rue du Pelit-ponl, au


— La date de 1650
|

Chaudron, (in-i2). IVibl. de TArsenal, Réserve, 10951. B. L.) écrite

anciennement sur ce livret rarissime est tout à fait probable. Il est à noter que la

première édition de Vih'ide en belle humeur est de 1630 (Privilège du 18 février)


(Coll. H. Prunières) Dassouc\- qui venait de composer la musique d'Andromède, se trou-
vait donc en plein mouvement mélodramatique. Il est aussi à noter que la comédie
en musique de Dassouc\- est visiblement tirée du poème burlesque les Amours :

d'Apollon et de Daphné de VOvide humeur (p. 90 et suiv.).


en belle
2. Comptes royaux. Année 1653. « Au sieur Dassoucy la somme de 300 1. dont le
llov lu\- a faict don. « B. Nat., Ciiuj Cents Colberi, 106, f» 472 vo.

3. Comparer avec VOvide m Belle lluuieur, p. yi (Amours d'Apollon et de Daphné} :

(I
11 lie ni.nK]uoil plus .'1 cl- Dieu
Qu'une cmpl.istrc noire sur l'ycu,
Avec une jambe de bille.
Pour cstre plus mefch.uu qu'Acliille »
INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 335

Bien entendu ces vers sont déclamés. De la sorte Dassoucy


tourne le problème du récitatif français, il ne fait chanter que
les airs, les dialogues et les chansons dont il émaille sa pièce
et qui surgissent, çà et là, comme dans les opéras-comiques du
xviir siècle.
L'Amour menace Apollon puis « se retire et Apollon chante
cette chanson » :

Je me ris de tes traits.

Je me ris de les charmes,


Je ne crains pas tes armes,
Pauvre dieu des attraits,

Je me ris de tes charmes,


Je me ris de tes traits

Daphné entre alors en chantant :

Fv de l'amour et de ses lois


Ce tvran dans mon cœur n'aura jamais de place
Je n'aime que la chasse...

Apollon, à cette vue, est saisi d'amour et monologue pendant


que Daphné continue à chanter. L'acte finit par un air de
l'Amour :

Mortels ne suivez pas ce dieu de la lumière


\'ous teriez un faux pas

Le deuxième acte commence par un long dialogue entre


Apollon et l'Aurore. Apollon sort pour se parer et Cupidon se
moque de lui en chantant. Le dieu revient superbement vêtu et
se fait admirer de l'Aurore qui lui affirme qu'il peut risquer sa
demande Daphné. Celle-ci
à paraît à ce moment. Alors s'engage
un dialogue en musique.

(( Apollon dhuiic : Où courez-vous, belle nvmphe ! arrestez,

Je suis le grand dieu des clartez


Q.ui vous apporte la lumière.
Arrestez un moment.
Le Dieu qui tout éclaire
Ne demande à vos yeux qu'un regard seulement.
33é l'opéra italien ex IRANCE

Diiphiic clhiitlc : Ik-au dieu que je révère


Pour contcnipler un soleil si brillant
Trop foible est ma paupière ;

Comme un Icare téméraire


Je me pourrois brusler à votre éclat charmant ».

Le dialogue musical se poursuit assez longtemps sur ce ton :

Apollon déclare sa Hamme en un air de cour des plus pathé-


tiques « Absent de vous je ne puis vivre » mais Daphné s'en-
:

fuit. Désolé, Apollon « poursuit sans chanter » :

1:11c tuit la cruelle


O mortelle douleur !...

et quitte la place, salué par les railleries de l'Amour qui


chante :

Grille, grille,
Brusle, pétille
Ht grésille dans tes draps.
Poste, poste.
Tracasse et trotte.

Tu perds ton temps et tes pas.

L'acte 111 débute comme les précédents par un dialogue parlé


entre Apollon et le fleuve Pénée, père de Daphné, puis laNymphe
entre en scène en chantant :

Amant que ta poursuite est vaine


Tu perds ton temps et ton loisir,

Tu ne pouvois plus mal choisir


Car la chasse est tout mon plaisir

Quand le plaisir passe la peine.


/:"//(' ;/(' clniiilc plus.

Je suis lasse et cette fontaine


M\)i1re un beau lieu tout à propos
Poiu' \' prendre un peu de repos.

Elle s'endort. Survient un satyre qui, voyant la belle sans

défense, se met en dexoir de prendre « aux crins l'occasion' »,

I. Prétexte pour l)asscHic\' à tirades obscènes ! On se demande comment Dassouc\'


osait se permettre de telles licences dans une pièce dédiée au jeune roi.
INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 3:)/

mais il entend venir Apollon et s'enfuit. Le dieu chante aux


échos son amour malheureux. 11 aperçoit la Nymphe, s'appro-
che d'elle et berce son sommeil d'un air italien '.

Dormite, belli occhi,


Dormitc, dormite,
Ma non dormite più, stclle crudcii !

Mirate, miratc
Le mie ferite.

Daphné s'éveille et le repousse. Apollon se fait pressant,


elle invoque son père Penée et est changée en laurier. Le
dieu exhale son désespoir en un monologue qui finit par une
« chanson » :

O douleur, o iureur
\'iens vanger en mon cœur
Daphné trop longtemps poursuivie !

Toy qui me l'as ravve,


Ingrat Amour,
Cruel, perdant le jour
Ne puis-je perdre la vie !

Daphné, bien que changée en laurier, lui prodigue en chan-


tant les consolations, mais Apollon désespéré reprend l'air ci-

dessus, puis déclare :

Mais les dieux ne peuvent mourir


Il faut pleurer, il faut soutfrir.

Je t'aimerai pourtant sous cette ccorce dure


De l'arbre de mon cœur tendrement adoré.
Autant que dureront les Dieux et la Nature
D'un verd obscur ton chef sera paré.
Sans que le chaud, ni la Iroidure
Puissent jamais flétrir la chevelure
De ton beau front à Phébus consacré.

L'Amour conclut par la chanson qui linissait déjà l'acte I

I. Rappelons qu'il y avait des scènes de sommeil dans ÏHo;isto de 1646 et dans
VOrfeo de 1647.
338 l'opéra italien en FRANCE

Mortels, ne suivez pas ce dieu de la lumière


\'()us feriez un iaux pas ;

\'ous êtes les enfants de mes charmants appas,


Ne méprisez pas vostre père
L'Amour dans sa colère
\'ous pourroit donner le trépas.

Nous avons longuement décrit cette petite pièce, parce


qu'elle est la première en date que nous rencontrions, parce
qu'elle n'a jamais encore été étudiée ', enfin parce qu'elle
présente une solution originale du problème mélodramatique.
La langue française avec ses syllabes muettes, son faible
accent tonique, ses qualités de précision et de fermeté, se
prête assez mal à la déclamation lyrique. Dassoucy, en interca-
lant des airs dans le dialogue parlé, ne fait que revenir d'instinct
à la pure tradition française, à la conception qui, au xiii^' siècle,

inspira le Jeu de Robin et de Marion, et qui, au waV^ siècle,

va faire éclore les chefs-d'œuvre des Philidor, des Grétry,


des Dauvergne... L'influence de l'opéra italien sur cette pre-
mière tentative est évidente. Dassoucy se cache si peu d'imiter
les ultramontains qu'il insère un air de sommeil sur des
paroles italiennes au milieu de sa pastorale.
Les musiciens et les poètes qui, au cours des années sui-
vantes, s'efforcèrent de composer des comédies lyriques,
n'osèrent aborder franchement le problème du récitatif. Péné-

trés de cette idée que la musique ne saurait narrer et vou-


lant, d'autre part, « créer quelque chose qui donnât l'illusion
d'être un drame » lyrique -, ils imaginèrent de former des
pièces en cousant bout à bout des airs, des chansons et des
dialogues. Ce travail donnait plus de i)eine au librettiste

qu'au musicien. Ce dernier n'avait pas à faire (\juvre de


novateur, il mettait en musique une série de couplets sem-
blables à ceux qu'il prenait ordinairement pour sujet de ses
compositions et, si ces di\ers morceaux prenaient une signifi-

1. Bcauchamp et La Vallièrc en donnent le titre (très approxiniatit) sans décrire


la pièce et aucun histcMicn du théâtre lvrit]uc ne semble v avoir prêté attention.
2. Quittard, LaI pieiiiiirc- coiiicdic jiaïuaiic en ii/iisi(jiic-, S. I. M., 1909, mai et
iuin.
INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 339

cation dramatique, k- mérite n'en revenait pas à lui mais


au poète qui avait su les assembler ingénieusement.
Les poètes se trouvaient fort bien préparés à ce genre de
travail par une mode singulière qui sévissait vers le même
temps. On fabriquait laborieusement des comédies de pro-
verbes ', où tirades et dialogues étaient faits de proverbes
ajustés bout à bout, des comédies de chansons où il n'y avait
(( pas un mot qui ne fût un vers ou un couplet de quelque
chanson^». Justement c'est un auteur de pièces semblables
qui est le librettiste de la première pastorale entièrement
chantée que nous connaissions : Le Triomphe de T Amour de
Charles de Beys et La Guerre '.

Charles de Beys, poète famélique « qui n'eût jamais valant


un Jacobus », grand ivrogne au demeurant, n'était pas dé-
^

pourvu de talent. Il connaissait assurément Dassoucy qui


aimait comme lui à fréquenter les cabarets et les tripots. De
Bevs devait être encore sous l'impression de la lecture des
Amours d'Apollon et de Daphm\ quand il écrivit sa pièce à la

demande du musicien Michel de La Guerre. Ce dernier était

organiste à la Sainte Chapelle, luthiste fort prisé dans le

monde et auteur de quelque renom. Il prenait une part active


aux concerts qui se donnaient en la maison de Pierre de la
Barre, « oriraniste du Rov et o-rand homme en son mcsticr '
»

1. V. l.d I
comédie \
de \
Proverbes. Pilce eoinique (par Montluc) A Troyes chez
\ | |

Nicolas Oudot | {y édition), MDCLIV, Yth 3699.


Bibl. Nat., La première édition —
est de 1653. — Montluc est le pseudonyme du fameux comte de Cramail, grand ama-
teur de théâtre et de ballets.
2. La 1
comédie A Paris chez Toussaint Quinet 1640, in-12
\
de \
chansons \ | |

4089). Avertissement aux lecteurs sur la comédie de cliaiisoiis.


(Bibl. Nat., Réserve, Yf,
Cet ouvrage est ordinairement attribué à Charles de Bevs, mais il semble prouvé que
Sorel en est le véritable auteur. V. Emile Ro\-, La vie et l'œuvre de Charles Sorel.
Paris, 1891, p. 422.
3. M. Quittard a publié le texte de cette petite pastorale avec un intéressant com-

mentaire dans les numéros de mai et juin 1909 de la Revue S. L M. M. Quittard pen-
sait avoir découvert, le premier, l'existence de cette pièce. En réalité Beauchamp avait

déjà non seulement donné le titre complet de l'édition de 1657, mais, à la date de
16) 5, signalé le passage de la Ga:[ette relatant l'exécution de cette œuvre au Louvre
(Recherches 64 et 65). Enfin Nuitter et Thoinan dans leur ouvrage
(in-fo), III, p.

sur les VOpéra Jrançais avaient fait mention de cette représentation


Orii^^ines de
d'après un passage du Ms. fr. 25465 de la Bibl. Nat. (page ui, note i).
4. Epitaphe de Charles de Beys par Loret, Mu:ie historique du 4 octobre 1659.
5. Michel Brenet, Les concerts en France, p. 59.
340 L OPERA ITALIEK E\ FRANCE

OÙ il italiens par la fameuse


devait entendre chanter des airs
cantatrice Mademoiselle Anne de La Barre, la fille du maître
de céans'. A ces concerts, La Guerre rencontrait aussi le com-
positeur (iranouillet, sieur de la Sablière, artiste fort médiocre
mais qui fut des premiers à écrire des pastorales lyriques et
qui de\ait, par la suite, disputer à Lulli le privilège de
Topera.
Li' 'l'riouipbc de rjiiioiir sur des brrorrs et bergères fut chanté,

le 22 janvier 1655, au Lou\re, dans l'appartement du cardi-

nal Ma/arin, par la musique du roi « en présence de Leurs


Majestez, de Monsieur et de son Eminence ». "

Il semble bien que cette idylle fort peu dramatique fut


exécutée en concert et non jouée sur un théâtre La pièce'.

ne fait intervenir que cinq personnages : Cupidon, deux ber-


gers et deux bergères. On peut résumer ainsi l'argument de
la pastorale. « (^limène mesprise Lysis qui Taime ; Philandre
mesprise Climène qui l'ayme. Cloris aime Lysis ; Lysis la
méprise. Philandre ayme Cloris, Cloris mesprise Philandre ».

Survient Cupidon qui d'un coup de ses flesches » change ces


«

dispositions contraires. et Climène s'accordent amou-


Lysis
reusement ainsi que Cloris et Philandre. « l:t chacun après
concluent séparément et tous ensemble de demeurer à jamais
sous l'empire d'Amour ».

Cette idylle suit dans son plan le dispositif le plus simple


des pastorales depuis Y .-liiiiiUa. Nous avons déjà rencontré
sur notre chemin une comédie musicale construite sur une
intrigue amoureuse presque aussi rudimentaire, c'est l'opéra

Xicdiidro et Idleiio chanté, au carnaval de 1645, à la cour de


France. Toutefois dans cette pièce on trouvait des discussions
des raisonnements, autre chose que des chansons ajustées
bout à bout.

1. 11 est à noter que l)as,souc\- était lui aussi en rapport avec les de La Barre.
Quelques années plus tard les his de I.a Barre recueillirent Dassoucv sortant de prison
et lui vinrent généreusement en aide. \'. I.d prison île .A/. Dassoiicy publ. dans l'édition

Colombey des Aventures burlcs^jucs, p. 456 et 439.


2. Guyetle de janvier 1655, p. 127.
•5. I.oret, dans sa Mu:ic historique du 23 janvier, parle expressément du u Concert
du Sieur La Guerre ».
INFLUENCE DES OPÉRAS ITALIENS 34 1

Charles de Beys s'est acquitté de sa tache avec adresse et es*


arrivé à joindre les petits airs et les dialogues de manière à

donner au tout un semblant d'action dramatique'. Ce qui


frappe d'abord dans cette petite pastorale de cent trente vers,
c'est la rigueur de la symétrie. Les quatre premières scènes
sont exactement construites sur le même plan ; en sorte que
la même musique pouvait servir à ces quatre dialogues qui
forment à peu près la moitié de la petite pièce.

Se. I.

Climùh', Lysis.

CI. Hé quov, Lvsis, ne veux-tu pas


Cesser de me poursuivre ?

L. Il hiut pour quitter tes appas,

Que je cesse de vivre.


Cl. Tu me fiâtes en vain, de grâce, laisse-mov.
L. O Dieux ! puis-je obéir à cette dure loy !

Cl. Apres tant de froideur, après tant de refus,

L\'sis, à mon amour en vain tu dois prétendre.


Je te chasse, en trois mots : mon cœur est à Philandre.

Je ne sçaurois changer, va-t'en, n'espère plus.


L. Son cœur est à Philandre ; ô dangereux rival !

De mon plus grand bonheur, tu m'ostes l'espérance.


Tu fais périr le fruit de ma persévérance.
Tu ravis tout le bien et tu laisses le mal.

Se. II.

Cliuhiie, Philainlre.

CI. Je ne sçaurois plus te celer

.Mon amoureux martvre.


F!.'. Tu le devrois dissimuler,
Et souffrir sans le dire.

Cl. Ingrat, és-tu fâché mon cœur ?


si je t'ouvre
Pb. Non, mais je ne puis pas soulager ta langueur.
CI. Le malheureux Lvsis tous les jours suit mes pas.
Et ne scauroit jamais rien avoir de Climéne.

I. En 1661, l'auteur de Luicoiistant \


vaincu \
Pastorale 1 en \
chansons |
A Paris,
chez Jean Guignard beaucoup plus adroit encore, il composera une petite pièce
|
sera
assez mouvementée avec des vers empruntés à des chansons et des airs en vogue.
Ce livret rappellera étonnamment les pastorales de Beys et de Perrin, il aurait pu
aisément être mis en musique par le premier compositeur venu (Bibl. Xat., Yf 6847),
342 I. OPERA ITALIEN EN FRANCE

J'éprouve en mesme temps son amour et ta haine,

II me donne la mort, tu causes mon trépas.


Ph. Après avoir cent fois enduré le mespris,
Tu devrois apporter du remède à ta peine,

Climène fuit Lysis et L\-sis suit Climène,


Moy je laisse (Climène et je cherche Cloris.

Se. 111.

Cloris, Pbilaiiilrc.

Cl. Je suis lasse de tes .soupirs,


Ta passion m'ortense.
Ph. Dois-tu condamner mes désirs,

Blasmes-tu ma constance ?

Cl. Av-je sujet d'aymer ton importunité ?

Ph. Cruelle tu fais tort à ma fidélité.

Cl. Philandre, pour t'aimer, en vain tu me choisis,

De tes soins importuns je me sça\' bien détendre,


Philandre fuit Climène et je laisse Philandre,
Tasche de te guérir, mon cœur est .\ L\sis.

PI.K Son cœur est à Lysis, que je suis malheureux !

Tu suis Cloris, Philandre, et tu laisses Climène,


A qui te. veux du bien, tu portes de la haine;
lit qui te veux du mal rend ton cœ'ur amoureux !

Se. IV.

(Cloris, L\sis.

Cl. N'est-ce pas assez que mes veux


Te découvrent ma flàme ?

/-. Tes paroles m'apprendront mieux


Les ardeurs de ton âme.
Cl. je t'adore, L\-sis, tu fais naistre mes feux.
L. (iherclie un autre berger à qui donner tes \-œ'ux.

(.7. Que je clierche un berger à qui donner mes \cvux ;

Après t'avoir suivv, Lysis, je n'en puis prendre;


Afin de te chérir, j'av mesprisé Philandre,
Je brusle de ta flàme, il brusle de mes feux.

,, L. Q.ue l'amour fait ic\' de contraires effets,

,Si l'on ne t'aime jxts, Lx'sis en est de mesnie;


Climène fuit Lysis et cependant il l'aime,
Allons prier l'Amour qu'il nous donne la Paix '.

Le reste de ridylle est traité suivant les mè'mes principes


de balancement symétrique. A la rigueur, le compositeur

I. Le Truviiphe de V Amour (1657) (pp. )-8j B. N. Rcs., Vf. 12 19.


INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 343

n'eut à mettre en musique que le principal couplet du pro-


logue (6 vers), un dialogue (14 vers), un chœur (4 vers),
un récit (4 vers), un dialogue (8 vers) et un chœur (6 vers),
c'est-à-dire à dépenser moins d'imagination créatrice que dans

la moindre scène musicale à plusieurs personnages d'un ballet

de cour. Il est même curieux de voir Charles de Beys,


comme plus tard Perrin, s'ingénier ainsi à épargner au com-
positeur la peine de mettre en musique les textes d'un inté-
rêt tant soit peu dramatique, alors que, dans les ballets du
temps, on rencontre des récits et des dialogues d'une forme
expressive et faisant déjà pressentir le récitatif lulliste '.

Le mérite de La Guerre est donc fort mince. Au reste tous


les musiciens contemporains Cambert, Boesset, Lambert,
:

Sablière, s'exerçaient comme lui à composer sinon des idylles


développées, du moins des scènes de bergers et des dialogues
amoureux. L'intérêt de ces petits morceaux est médiocre. Il

est visible pourtant que la forme s'assouplit, qu'elle devient


plus mélodique, plus nuancée, plus expressive. Comme le

note fort bien le Père Ménestrier


y a plusieurs dialogues: « il

de Lambert, de Martin, de Perdigal, de Boesset et de Cambert


qui ont servi pour ainsi dire d'ébauche et de prélude à cette
musique que l'on cherchoit et qu'on n'a pas d'abord trou-
vée ". »

Le Triomphe de f.^iiiour fut bien accueilli à la cour. Deux


ans plus tard, on le reprit et, cette fois, il fut chanté sur une
scène. Deux personnages nouveaux, Tirsis et Philis, vinrent
renforcer les ensembles, sans rien changer à l'action primi-
tive. Nous ne savons rien de cette représentation du
26 mars 1657, que le grand public semble avoir toujours ignorée.
Les musiciens français ne laissèrent pourtant pas de s'y inté-
resser. Robert Cambert, organiste lui aussi, et qui appartenait
au même groupe artistique que La Guerre, chercha à l'imi-
ter. Il se garde bien d'ailleurs de l'avouer lorsqu'il raconte
ses propres recherches dans la voie de la pastorale en mu-

1. V. en particulier les récits de Cambeiort pour le bulkt de la Xuil, en 1653. Nous

en avons publié quelques-uns dans notre étude sur Canibefort. Aiihcl' musicale ii)i2.
2. Des représentations en musique, p. 178.
344 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

sique Avant toujours eu pensée d'introduire les comédies


: «

en musique comme on en faisoit en Italie, je commençay


en 1638, à faire une élégie à trois voix différentes en espèce
de dialogue, et l'on venoit en entendre les concerts, et cette
élégie s'apeloit ht Miicilc lugralc... cette pièce... réussissoit
avec succès et... n'ennuyoit point quoiqu'elle durât, tant
en svmphonies qu'en récits, trois bons quarts d'heure '. »

Le poète Pierre Perrin, dont le nom est demeuré attaché à

l'histoire de la fondation de l'opéra français, assistait aux con-


certs et « prit de là envie decomposer une petite pastorale ».
Il n'était encore connu que par une fort ridicule traduction
de YEncide en vers français, un petit recueil de poésies et une
description rimée de la Chartreuse. Il était, à cette époque de
sa moins famélique que par le passé, ayant réussi, par
vie,

ruse, à épouser une riche veuve de soixante-deux ans, avec


l'argent de laquelle il avait acquis une charge d'introduc-
teur des ambassades auprès du duc d'Orléans. Perrin s'inté-
ressa fort aux essais de Dassoucy, de La Guerre et de Cam-
bert il s'imagina qu'il était l'homme nécessaire de la
;

réforme mélodramatique française. 11 composa donc une


pastorale qu'il fit imprimer chez Ha! lard sous ce titre Prc- :

uiicre Couiéciie françoisc eu lunsiqiic rcprcscnicc cii France '


et

cria bien haut qu'il était l'inventeur d'un nouveau genre


de poésie dramatique. « Le dessein de l'Autheur de cette
pièce, proclamait-il dans l'Avertissement, est d'essayer si la

comédie en musique peut réussir sur le théâtre François,


estant réduite aux lois de bonne musique, et au goust de la

la nation. » Perrin faisait ainsi bon marché des comédies en


musique de Dassoucy et de La (luerre, mais, pas plus que
ceux-ci, ne songeait à nier que sa pièce fût « un essai d'opéra
entièrement français, fait à l'imitation des pièces en musique
italienne ». Il semblera plus tard, à l'entendre, qu'il ait

inventé l'opéra !

Il est inexact de dire que la pastorale de Perrin n'est qu'un

1. Lettre de dimbcrt conservée aux archives Je la Comédie-Française, citée par


Xuitter et Tiioinan, Orioines Je l'opcra fiiuicnis. p. 53,
2. V. Nuitter et Thoinan, ojk cil., p. .^9,
INFLUENCE DES OPÉRAS ITALIENS 345

plagiat de celle de Charles de Beys '


; elle lui est très supérieure.

La forme est plus libre, plus souple. Le dialogue brise les vers,

les tirades cessent d'alterner leurs couplets symétriques, quel-

ques airs de basse semblent même appeler une forme musicale


un peu récitative, à la façon de certains récits de ballets du
même temps :

Le Satyre : Qii'il est fâcheux d'aimer quand on n'est point aymable !

On languit sans espoir, jaloux et misérable,


Et l'on voit tous les jours un moins fidèle amant
Posséder à ses veux l'objet de son tourment -.

On sent que Perrin est plus au courant que de Beys des


procédés de la poésie lyrique :

P])iHs et Tyrsis : On verra tout changer


Tvrsis : Le jour
Phiiis : En nuit
Tyrsis : Et la nuit
Euseiiihle : Et la nuit en lumière.
Pl.tilis : Lorsque Phiiis quittera son berger,
7vr,s7.s" ; Lorsque Tvrsis quittera sa bergère >...

Malheureusement l'action n'est guère plus animée que dans


la pastorale de Charles de Beys. « Les bergers et les bergères
chantent ou se taisent, paraissent ou disparaissent, on ne
sait trop pourquoi; ne prennent part à aucune espèce
ils

d'intrigue, gaie ou bonne ou mauvaise; c'est d'une insuf-


triste,

fisance parfaite, d'une monotonie désespérante ^ » Tircis et


Phiiis s'aiment, Alcidor brûle pour l'inconstante Silvie et Phi-
landre pour l'insensible Diane. Le satyre poursuit en vain toutes
les femmes. A la fin, sans qu'on sache pourquoi, Diane se

1. M. Quittard appelle Perrin à cette occasion « plagiaire éliontc » S. I. M.,


1909, p. 502.
Acte I, se. I. (Œuvres de Poésie île M. Perrin, 1661, p. 293).
2.

3.Acte IV, se. 2. (Op. cit., p. 307).


4. Nuitter et Thoinan, Origines de l'opéra français, p. 38 et 39. Nuitter et Thoinan
ont apprécié avec une extrême équité les talents de Perrin et de Cambert. Au con-
traire, M. Pougin dans son Ii\Tc sur Les l'niis créateurs de Vopcra français. Perrin et
Canihert. (Paris, 1881) se live à une continuelle apologie de ses héros, les traite en
hommes de génie et parait absolument ignorer que, depuis 1656, Lulli était célèbre
et qu'il composait des œuvres remarquables longtemps avant d'aborder l'opéra,
346 l'opéra italien en FRANCE

laisse fléchir et Silvie promet de demeurer fidèle. La pièce est


divisée en cinq actes et quatorze scènes « qui ne sont que qua-
torze chansons qu'on avoit liées ensemble, comme on avoit
voulu, sans s'assujettir à d'autres lois qu'à celle d'exprimer en
beaux vers et en musique les divers mouvements de l'âme qui
peuvent paraître sur le théâtre '. » On peut, en lisant cette
phrase, se demander si le Père Ménestrier a jamais examiné la

pastorale et s'il n'en juge pas sur le témoignage de Perrin


seul
dont la modestie est assurément la moindre vertu « J'ai com- !

posé ma pastorale toute de pathétique et d'expressions d'amour,


de joye, de tristesse, de jalousie, de désespoir », déclare-t-il

avec fatuité; il ajoute naïvement : « j'en av banny tous les

raisonnements graves et mesme toute l'intrigue -. »

Perrin avait pourtant tenté, quelques années auparavant, de


résoudre le problème récitatif. Dédiant, en 1667, un recueil de
ses poésies à Colbert, il écrit : « Vous trouverez en suite de cet
ouvrage un recueil de grands composez pour plusieurs récits

chants liés, premièrement pratiquez par les Italiens et que j'ai


aussi, le premier, introduit en France; le premier qui y ait été

chanté est celuy que vous verrez icy de PoJipbcuic jaloux, (\\xq. j'ay

tiré d'un récit italien sur un pareil sujet et mis en musique par
le sieur Moulinié, et le second, la Mort de Tbishc, mis en musi-
que par M. de Sablière, et tiré aussi de l'italien \ » Apparem-

1. Des représentai ions en musique, p. 209.


2. Œuvres de Poésie de M. Peniii, p. 2X2.
3. Bibl. Nat., ms. fr. 2208. Ava ni -propos. Ce tVagmcnt du Polxpljèine jaloux donnera
une idée du .stvle tragique de Perrin :

L'amant géant sur la rive écartée


De loin vit assis
Le Berger Acis
Et Galathée
Q.ui tour à tour 1

Se faisoieut l'amour.

(Le géant furieux profère de terril^les menaces :)

Je changeray ses ris en pleurs


Sa voix en cris, ses plaisirs en douleurs,
lit ses délices
Hn supplices.
Je le creveray,
Je le briseray^
INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 347

ment les musiciens n'avaient pas fort bien réussi en leur tenta-
tive d'adaptation au génie français d'un genre étranger, car
Perrin v renonça pour le reste de sa vie et, par la suite, chercha
toujours à supprimer dans ses pièces tout raisonnement, toute
discussion, toute intrigue.
La pastorale de Perrin etCambert fut chantée à Issy, au mois
d'avril 1659, devant un public assez restreint que Loret évalue

à trois cents personnes. Les témoignages contemporains sont


favorables, mais non enthousiastes. Loret vante les spectatrices,
les auteurs, les acteurs, le jardin du maître de maison et les

oranges qu'on lui donna, mais ne souffle mot de la pièce.


Perrault, qui n'aime pas Lulli et qui est très sympathique à
Cambert, en parle ainsi: ce « petit opéra... fut chanté d'abord
au village d'issi, dans la maison d'un orfèvre, où il réussit beau-
coup. On m'y mena à la première représentation qui fut très
agréable '. » Quant à Saint-Hvremond, il s'exprime en termes
vagues : « ce fut comme un essay d'opéra qui eut l'agrément de
la nouveauté ;
mais ce qu'il y eut de meilleur encore, c'est qu'on
y entendit des concerts de flûtes, ce qu'on n'avoit pas entendu
sur aucun théâtre depuis les Grecs et les Romains. » La musi-
que instrumentale devait en effet jouer un rôle important dans
cette pièce chaque acte s'ouvrait et se fermait par une sym-
;

phonie. Cambert avait eu la peine d'organiser les représenta-


tions son collaborateur, Perrin, avait été arrêté pour dettes et
:

gémissait alors entre les murs de la prison de Saint-Germain-


des-Prés.
La pastorale d'issy eut un certain retentissement: le roi la

voulut entendre et la fit représenter devant lui à \'incennes,


au mois de mai 1639 \ Alazarin, qui avait déjà encouragé la
tentative de La Guerre, applaudit la pastorale de Cambert et
Perrin et les exhorta à en « faire une autre plus grande. »

Je suceray le sang
De son flanc.

Je mangeray sa chair et ses entrailles nues


Et pileray ses os comme cendres menues...

,,, . ,., ^ . (P- 35)-


Mcnwires de ma vie, edit. Bonncton, p. 127.
,

1.

2. Pour tous les détails de cette représent.ttion voir l'ouvrage déjà cité de Nuitter
et Thoinan.
348 l'opéra italien en FRANCE

Pcrrin se mit à l'œuvre et écrivit coup sur coup deux autres


pièces. Le livret à\4rianc et Bacchiis '
nous montre que si Per-
rin adonné plus de développement à cette pièce qu'à sa pasto-
rale « il a continué à suivre les mêmes errements : pas d'action ;

des mots, des phrases sans grand rapport entre elles". » On en


peut dire autant de la Mort J Adonis, composée peu après et

mise en musique par Jean-Baptiste Boesset '. Des fragments en


furent chantés au petit coucher du roi. Ils ne paraissent pas
avoir eu de succès, bien que le roi ait « eu la bonté de prendre
sa deffense contre toute la cabale du petit coucher, qui taschoit de
Tabismer par des motifs particuliers d'intérests et de passion. »

Qui était à la tête de cette cabale? Lulli, a-t-on prétendu ; cela

semble douteux, car, précisément à cette époque, le Florentin


choisissait des poésies de Perrin pour les mettre en musique •.

Il est fort possible qu'il n'y ait eu de cabale que dans l'imagina-
tion de Perrin et que les seuls défauts de la poésie et de la musi-
que aient suffi à provoquer cet échec.

Perrin, sans cesse en prison, toujours sous le coup de pour-


suites nouvelles pour les actes indélicats qu'il commettait, le

plus souvent sans en avoir conscience, est visiblement atteint


de la folie des grandeurs. Il se croit un génie ; les moindres
succès l'enivrent, il les célèbre comme des triomphes. En 1661,
il publie dans un recueil de ses poésies une lettre à « l'Arche-
vêque de Turin '•,
» qu'il antidate de deux années et où il

1. BibL Nat., nis. fr. 2208 et nis. fr., 24352, p. icS2.

2. Nuittcr et Tluiinan, <'/'. r//., p. 65.


3. Ms. iV. 220(S et ms. Ir. 24352, p. 77.

4. Ms. fr. 220S : Qui les scaiini mes secrettes aiiioiirs (f» 20 v").
(}niiid Dieu des enfers (t" 27).
Viens mou itiuuil'le l'eroère (f>' 29).

Tous les jours ceul jeunes ber obères


Le jviiilemps, ainuihJe Silvie (f" 32).

). Il est à noter que jamais Tabbé G. délia Rovere, ambassadeur du duc de Savoie
à Paris, de 1656 à 1659, "•-' ''•'^ archevêque de Turin. Voici ce que m'a écrit à ce sujet

M. Gian Carlo Buragt!;i, archiviste de l'Archivio di Stato à Turin, qui, avec une extrême
obligeance, a bien xoulu taire quelques recherches pour moi sur ce personnage :

(( Girolamo Délia Rovere


... nel 1620 ki creato abate di S. Genuario (Crescentino).
Appartenue senz.i dubbio ail" illustre famiglia torinese dei Délia Ro\'ere, che diede
parecchi vescovi alla chiesa di Torino. Ma si deve assolutamente escludere che il

nostro abate sia stato rivestito anch' egli di quella dignità. I Délia Rovere diventati
vescovi di Torino sono i seguenti ; Cristofor (1467). Domenico (1480). Gio. Ludo-
INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 349

vante en termes hyperboliques la hardiesse et la nouveauté de


sa pastorale. Bien entendu, il ne mentionne ni la comédie en
musique de Dassoucy, pour lors errant en Italie, ni celle de
Charles de Beys, décédé depuis peu, ni Ja Miicltc Inorair de son
collaborateur Cambert. Il considère le succès de sa pastorale
comme une véritable révolution dans l'histoire du théâtre. A
ses yeux, cette insignifiante bergerie surpasse de cent coudées
tous les opéras composés jusque-là. L'opéra italien n'est « qu'un
caprice de musiciens, habiles hommes en leur art mais tout à
faitignorans en la poésie, assez mal conceu et mal exécuté
premièrement à Venise, puis à Rome, à Florence et ailleurs'. »
Nous avons déjà fait mention des injures ridicules qu'il pro-
digue au style récitatif. Il espérait sans doute qu'après la mort
de Mazarin aucun opéra italien ne serait plus chanté en France
et qu'on ferait appel à ses talents pour les divertissements de
la cour'. Il raisonnait mal. La mort du cardinal le priva d'un
puissant protecteur et le roi ne renonça pas d'abord aux opéras

d'Italiepour leur substituer des opéras français; il se contenta


de revenir au ballet dramatique. Il avait d'ailleurs trop de goût
pour priser les vers du pauvre Perrin et préférait commander
les livrets poétiques des fêtes de la cour à Bcnserade ou à
iMolière.
Nous verrons comment Lulli enrichit le ballet des dépouilles
de l'opéra italien, comment il développa peu à peu l'élément
musical au détriment de la danse, comment il fit abandonner
ce genre désuet pour la comédie et la tragédie-ballet, et, par
d'insensibles progrès, en vint à découvrir la formule de l'opéra
français. On n'a pas assez remarqué que Lulli, lui aussi, com-
posa des pastorales en musique.
En 1664, Molière et Lulli écrivent, pour le cinquième inter-
mède de la Princesse i/'I:liih\ un dialogue de bergères d'une aima-
ble inspiration. Deux ans plus tard, le 2 décembre 1666, on joue

t'iœ (1499)- Gio. Franccsco (1510). Girolamo (i 564-1 392). La sua notizia chc
Tabate Délia Rovere sia divenuto vcscovo di Torino dériva certamente dall'avcr con-
luso Tabate del sec. XVII con il suo omonimo del sec. XVI. Certo c invcce che nessun
Délia Rovere lu presule di Torino nel sec. XVII. »
1. Les Œuvres de Poésie de M. Perrin, Paris, Loyson, 1661, in-12 (p. 273 et suiv.).
2. Nous avons vu l'épigranuiie méchante qu'il décoche à VErcole A'iiaiile (p. 303).
j)' L OPERA ITALIEN E\ FRANCE

pour la première fois la Paslorctlc Couiiquc qui forme la troi-


sième entrée du Ballcl des Muscs représenté à Saint-Germain.
La forme en est originale. Pressé par le temps, Molière s'est

contenté d'écrire les vers chantés et a laissé aux acteurs le soin


d'improviser d'après son scénario les récits en prose qui relie-

ront les divers morceaux. Comme le dit le livret, ce n'est


qu'une espèce d'impromptu, mêlé de scènes récitées et de
«

scènes en musique, avec des divertissements et des entrées de


ballet. » Malgré son aspect inachevé, cette œuvre est d'un réel

intérêt musical. L'évocation burlesque des démons par les


magiciens — parodie évidente des scènes magiques chères aux
librettistes vénitiens romains — montre
et conservant de Lulli
la pratique du style italien une aisance, une adresse d'écriture,
une facilité surtout que n'ont pas ses rivaux français. Détail
curieux: tandis que le florentin Lulli écrit avec maestria des
airs bouffes français, le parisien ('ambert compose pour une
comédie de Brécourt: le Jaloux Invisible (1666) un trio italien '

burlesque Boii di, hou di Cariselli qu'on ne manquera pas, par


la suite, d'attribuer à Lulli lui-même'.
Les intermèdes de comédie de (ieorges Dandin (1668)
la

sont visiblement empruntés à quelque divertissement anté-


rieur '. Ils forment une sorte de pastorale dont l'action est assez
décousue. Les bergères Climène et Cloris repoussent leurs
amants Tircis et Philène qui s'en vont se jeter à l'eau de déses-
poir. La bergère (>loris regrette sa cruauté et pleure le trépas de
son amant '. Mais Tircis et Philène ont été sauvés, ils reviennent
se réjouir avec les bergères et célébrer l'Amour. Leur cortège ren-

1. L'édition orii^inalc de cette comédie contient la musique notée de ce divertis-


sement a\'ec cette indication : l'iio ilalicii l'iirli'S(jiit\ ùviiposé par le sieur Caiiiberl,
luiii.slre tie lu Mnsiijiie delà fei'ie Reviie-iiière.

2. Il kit publié, en 1702, dans « l'rai^nnens de M. de Lully >\


la partition intitulée
Le trio réimprimé
de Cariselli a été plusieurs dans Tédition Delsarte, dans la
fois :

(Chronique Musicale a\ec un accompai^nement de M. W'eckeriin (n" du i) no-


\-embre iiSyé), enfin par M. Poupin en a)"ii"iendice à son li\re Les vrais crùileiirs de :

l'opéra français.

3. Peut-être à cette « pastorale nou\-elle » dont la Gabelle de Dulain-ens annonce la

représentation à \'ersailles, en novembre 1667. et qui lut cli.uitée en concert chez la

Reine novembre.
d'.Vni^leterre le i ]

.]. « La (Claris » demeura lonL;tenips célèbre, on la trouve dans un grand nombre


de recueils n^iuuiscrits du wii'-' et du .wiii'^' siècle.
INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 35 1

contrela troiipedes suivants deBacchusqui disputent avec eux la

question de savoir qui doit l'emporter de l'Amour ou deBacchus.


Cette dernière scèneestun véritablefinaled'opéra d'une ampleur
extraordinaire et qui annonce déjà les grands ensembles des
futures tragédies en musique. Les contemporains se rendirent
bien compte de la hardiesse et de la nouveauté de cette scène où
les chœurs sont traités de manière dramatique comme faisaient
les Italiens en leurs opéras. Si l'on regarde la musique, écrit l'éli-

bien, il n'y a rien qui n'exprime parfaitement toutes les passions


et qui ne ravisse l'esprit des auditeurs. Mais ce qui n'a jamais été
vu, c'est ... cette harmonie de voix si agréable, cette symphonie
d'instruments, cette belle union de différents chœurs, ces douces
chansonnettes, ces dialogues si tendres et si amoureux, ces
échos et enfin cette conduite admirable dans toutes les parties,

où, depuis les premiers récits, on a vu toujours que la musique


s'est augmentée et qu'enlin, après avoir commencé par une
seule voix, elle a fini par un concert de plus de cent personnes,
que l'on a vues toutes à la fois sur un mesme théâtre joindre
ensemble leurs instruments, leurs voix et leurs pas dans un
accord et une cadence qui linit la pièce en laissant tout le

monde dans une admiration qu'on ne peut assez exprimer '. »

Ce goût de Lulli pour les ensembles, qui donnera plus tard


un caractère si particulier à ses opéras, se manifeste avec force,
vers le même temps, dans la musique de ses comédies-ballets.
Les pastorales avec leur action ténue, leurs dialogues pleins
d'afféterie, se prêtaient mal à l'intervention des grandes masses
chorales. Lulli fit pourtant exécuter en la Grotte de VersaiUcs,
l'année 1668, une églogue qui n'est en somme qu'une suite de
chœurs entrecoupés de soli. On ne saurait d'ailleurs conférer
à cette œuvre de concert une valeur dramatique". Au contraire,
la pastorale des Amants Miiirnifiqucs est en son genre un chef-

d'œuvre et l'imitation la plus réussie que nous ayons encore

1. Relation de la Fête de Versailles, publ. dans TEdition de Molière des Grands Ecri-
vains, tome yil, p. 624.
2. Lulli devait Fainier cependant puisqu'il la ht imprimer, en 1685, avec Vldvlle de

Sceaux : Idylle sur la Paix avec l'Eglogne de Versailles et plusieurs piices de Symphonie
mises en nnisiqtie par Monsieur de LuUv, escuxer. Conseiller, Secrétaire du Rox... Paris,
Ballard, MDCLXXXV, in-f".
3)2 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

vue en iM-ancc des petites pastorales lyriques d'Italie. Molière a


rompu avec la ou triples amours, simul-
tradition des doubles
tanés et contraires les uns aux autres. Le berger Tircis aime la
bergère Caliste. Il confie sa peine à son ami Lycaste tous deux ;

se retirent en voyant arriver Caliste. Celle-ci se plaint de ce que


la sévère loi de l'honneur l'oblige à se faire violence et à repous-
ser les avances de Tircis. Elle s'étend sur le gazon et s'endort.

Tircis revient avec ses amis Lycaste et Ménandre et, suivant la

tradition des pastorales italiennes, invite la nature entière à


bercer de son murmure le sommeil de sa bien-aimée. Caliste
s'éveille et cède aux prières de son amant. Deux satyres sur-
viennent alors et s'indignent de voir que Caliste leur a préféré
Tircis, mais ils jurent de se consoler avec la bouteille. Un chœur
développé clôt la pastorale après un ballet et une scène
« petite

de dépit amoureux » entre un berger et une bergère '.


Nous n'avons pas à insister ici sur la beauté mélodique des

chants de cette pastorale, mais il est nécessaire de signaler


l'apparition du style récitatif. Nombreux sont les passages dont
la forme est purement récitative. La déclamation lyrique a déjà

la même fermeté, la même précision que dans les opéras de

Lulli. Nous ne possédons pas les premières pastorales de La


(iuerre et de Cambert, mais il est certain qu'il ny a rien de
commun entre la forme musicale d'un dialogue comme celui
qui suit le réveil de (Caliste et les dialogues que nous connais-
sons de Lambert et de ses contemporains. On peut même dire
que Cambert dans Poiiioiu\ postérieure pourtant de deux années
à la pastorale des Anutuis Miu^nifiqucs. n'emploiera pas un réci-

tatif aussi moderne que celui de Lulli dans cette œuvre. Il

semble qu'en écrivant la scène du sommeil de (Caliste, Lulli se


soit souvenu du trio de Cavalli dans ïlircoh' Amante: Dormi,
cloniii. Assurément la phrase mélodique n'a pas l'ampleur de

celle de (>a\alli, mais les deux dessins ne sont pas sans ana-

logie et le rythme est identique.


Il est évident que Lulli, dès 1670, est capable de com-

I. I.LiIli remaniera cette pastorale et rincorporera dans Tactinn des Ft'tes de l' Amour
cl (le Uiteel.uis.
INFLUENCE DES OPÉRAS ITALIENS 35^

poser des pastorales infiniment plus variées que celles de


Cambert et d'aborder le genre de l'opéra. S'il ne le fait pas,
c'est que les circonstances ne s'y prêtent pas ; c'est que Per-
rin, le devançant, vient d'obtenir, le 28 juin 1669, le privilège
d'une Académie « pour y représenter et chanter en public
des Opéras et Représentations en Musique et en vers fran-
çois, pareils et semblables à ceux d'Italie ». C'est surtout que
Lulli compose à l'occasion de petites pastorales pour suivre
la mode, mais qu'en réalité il ne s'intéresse pas à ce genre

étriqué et rêve d'œuvres plus puissantes et plus drama-


tiques.

III

Lorsque l'opéra italien fit ses débuts à Paris sous les aus-

pices de Mazarin, le ballet de cour avait, un quart de siècle


auparavant, trouvé en France sa forme classique et n'avait,

depuis cette époque, cessé de décliner'. Durant les dernières


années du règne de Louis XIII, les récits qui, vers 1613,
donnaient au ballet l'apparence d'un petit opéra, avaient
perdu peu à peu tout intérêt dramatique. La veine des poètes
et des musiciens semblait tarie, toutes les culrccs se copiaient,
se répétaient indéfiniment. Il semblait que le genre tombât
en décrépitude. Une seule représentation, vers ce temps, fit

un peu de bruit, ce fut celle du BaUei de la Prospcrifc des


Anucs de brance donnée au Palais Cardinal, le 7 février 1640.
Richelieu l'avait fait composer pour utiliser les décors et
les machines de Miraine, jouée quelques semaines auparavant.
Mais, si l'on en croit Marolle, « ce qu'il y eut de plus exquis
furent les sauts périlleux d'un certain Italien appelé Cardelin
qui représentoit la Victoire, en dansant sur une corde cachée
d'un nuage, et parut s'envoler au ciel ~
».

De tels plaisirs paraissaient bien grossiers à Mazarin auprès


des splendeurs de l'opéra romain. Aussi dès qu'il fut au pou-

1. V. Hcnr\- Prunicrcs, Le Ballet de Cour eu France aiwiil Ihviserade et Liillv.


Chap. IIL "

2. Mémoires de Marolles, Amsterdam, MDCCLV, tome I, p. 239.


354 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

voir s'emprcssa-t-il de remplacer par des « comédies en


musique les grands ballets royaux qui se dan-
italienne »
saient au Louvre
chaque carnaval. Cependant, en 1648,
à
les protestations véhémentes des parlementaires contre les

dépenses de VOrJeo obligèrent Mazarin à renoncer provi-


soirement aux coûteux opéras d'Italie. Il s'en vengea à sa
manière en prônant à son tour l'économie quand on voulut
monter un ballet dont le sujet allégorique faisait allusion aux
diUicultés de l'heure présente : le ilcrcighinciil des Piissioiis

lie fliiU'i'i'sl, ili' f .-liiiDiir c'I lit' ht (iJoirc. Un sonnet, imprimé en


tête du livret, présentait les excuses du ballet aux specta-
teurs ;

Je pcnsois te taire un regale


De mille spectacles divers,
Mais les machines à l'envers
Rendent ma douleur sans esgale.
Diane chasse en une salle,

Jason ne va pas sur les mers


Va l'on ne voit point dans les Airs
\'oler Icare, n\- Dédale

Ceux des Parisiens auxquels la haine de tout ce qui venait


d'Italie n'avait pas fait oublier les enchantements de la Innta
Pit~:{(i et de YOr/i'o, durent trtniver bien misérable un tel

spectacle. L'hiver suivant, la cour, réfugiée à Saint-Ger-


main, passa un lugubre carnaval. De retour à Paris, en 1650,
la reine lui donna le divertissement de X Aiiilyoïiicdc de Cor-
neille, ornée de machines de Torelli. ]:n mars 165 1, le jeune
roi dansa pour la première fois en public le Ikillcl de Cils-

suiidri', qui, au dire de Loret, n'était

<( pas trop magnifique


en dessein, dépense et musique. »

Deux mois plus on monta avec plus de faste h's Fêtes


tard,
de Biieehiis livelvn admira les danseurs aux
dont l'Anglais
riches costumes. (>es deux ballets étaient de la forme la
plus Iraditioiuielle, composés d'entrées successives formant
INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 355

plusieurs parties, précédées chacune d'un récit '. Au contraire,


le Ballet Royal delà Xiiit, en 1633, la déroute
qui servit à fêter,

des Frondeurs et le retour au pouvoir de Mazarin, est le pre-


mier de ces ballets à grand spectacle que suscita en France
l'imitation des opéras italiens. On assiste à une véritable
résurrection du ballet de cour. Ce genre, qui agonisait depuis
de longues années, apparaît rajeuni par le prestige des orne-
ments dont Torelli le pare. (Chaque entrée se déroule de\ant
un décor nouveau. Les divinités descendent du ciel dans
de surprenantes machines. L'œil ravi a peine à reconnaître
dans ce fastueux spectacle l'antique ballet de déchu
cour,
depuis longtemps de sa première splendeur. Désormais tous
les ballets ro\'aux se danseront au milieu d'une semblable
atmosphère de féerie.

L'influence de l'opéra ne s'exerce pas seulement sur le ballet

de cette manière superficielle mais vient en bouleverser la

structure et l'économie intérieure. Le une ou plusieurs récit, à

voix, qui ouvrait la représentation, un prologue où fait place à


des soli et des chœurs célèbrent longuement les vertus du
monarque. La musique vocale envahit le ballet au détriment
de la danse. Fn dehors des récits qui commencent chaque
partie, ou même parfois (comme dans le ballel (les .7/7,s')

chaque entrée, surgissent des divertissements musicaux qui


semblent de petites scènes tirées d'un opéra.
Cambefort, le premier, reprit la tentative de (iuédron pour
rendre le ballet plus musical '. Dans le hallrl île la .V///7, il

s'efllorce vers un idéal de déchunation h'rique. Ses récits,

malgré leur lourdeur, annoncent, par leur tournure mélodique


et rythmique, le récitatif de Lulli. ALiis Cambefort, comme
ses confrères français, n'a pas assez confiance dans le pouvoir
expressif de la musique pour mener lui-même à terme la

rétorme entreprise. 11 manque de soutiie et surtout de vir-

tuosité.Capable d'échafauder doctement, comme Henri Du


Mont, de massifs motets polyphoniques, ou de composer,

1. Toutefois ils se dansaient sur le théâtre du Palais Royal, ce qui leur donnait un
caractère assez accusé de représentations dramatiques.
2. Henry Prunières, Ji^itii de Ciiinhcfoil. Année Musicale ic/12. (Alcan, 1915).
3)6 l'opéra italien en frange

comme Boesset, des airs de cour d'une noble inspiration, il

ne saurait écrire avec élégance et rapidité, comme ferait le

moindre compositeur italien du temps, des suites d'airs


pathétiques ou joyeux. Lulli, formé à l'école de l'opéra, saura
profiter des essais gauches et pédantesques de Cambefort, des
trouvailles précieuses et délicates de Lambert et réussira à
créer un style récitatif français parfaitement adapté à nos goûts
et à nos idées.
Mazarin, nous l'avons vu, avait emprunté au ballet de cour
ce que ce genre avait de plus caractéristique : les entrées —
où les pas et les gestes des pantomimes musicalement
étaient
traduits de manière descriptive — pour en former les inter-
mèdes des opéras représentés à Paris. Il avait, en retour, enrichi
le ballet de scènes récitatives, d'airs, de dialogues et de chœurs
composés par des artistes italiens : le ballet avait ainsi revêtu
l'aspect d'une sorte d'opéra, quand la réaction nationale fit

bannir de l'rance les divertissements étrangers. Mais l'ha-

bitude d'associer musique vocale aux airs de danse était prise


la

et l'on se trouva ainsi amené à substituer aux intermèdes italiens

des œuvres françaises équivalentes.


Lulli qui, sept ans durant, avait écrit la musique italienne
des ballets, entreprit bravement cette tâche à laquelle l'avait
préparé la composition d'innombrables chansons et airs de cour
français. Doué d'une belle intelligence et d'une surprenante
taculté d'assimilation, Lulli n'eut pas de peine à se pénétrer du
caractère et des tendances de l'art français. Il comprit, ce que
Cambert, Sablière ou La Guerre s'obstinaient à ne point voir,
que ce n'était pas résoudre le problème mélodramatique qu'évi-
ter l'emploi d'un style proprement théâtral dans les comédies en
musique. Tout en composant, â l'occasion, de charmantes
pastorales lyriques, plus ou moins dépourvues d'action, il

s'exerce, dès 1661, à déclamer en chantant, â conformer la


ligne mélodique au rythme du vers, â adapter le récitatif italien
aux exigences de notre oreille. Suivant l'exemple des maîtres
français, qui recherchent les cadences, il termine volontiers ses
phrases par la tonique précédée de la sensible, il fait, comme
eux, alterner sans cesse les mesures binaires et ternaires, mais,
IXPLUENXE DES OPERAS ITALIENS 357

plus hardi, il emploie avec bonheur certains intervalles mélo-


diques, les quintes et les septièmes diminuées en particulier',
dont n'usaient qu'avec circonspection les musiciens de la cour.
Lulli forge ainsi un récitatif expressif, encore que trop souvent
exagérément emphatique. Il semble que le Florentin ait pris
pour modèle la déclamation des acteurs de l'Hôtel de Bour-
gogne, tant raillés par Molière, car il accuse avec une insistance
excessive la césure et la rime'. C'ambefort d'ailleurs scandait
ainsi les vers qu'il mettait en musique et, comme Lulli, se
plaisait aux rythmes dactyliques.
On sent fort bien en lisant certains récits des ballets de
Lulli : Rochfrs, vous clés sourds '
ou Jb ! quelle cruauté de iw pou-
voir mourir^, que, dès 1665 environ, le Florentin eût été capable
d'écrire un opéra en langue française. Il paraît pourtant
hésiter à s'engager plus avant dans la voie de la tragédie
lyrique, bien que la forme du ballet de cour ne puisse plus
le contenter. Fn
1669. il écrit son dernier ballet' où il fait
couler à flots musique Prologue, Intermèdes, Récits, Duos
la :

et Finale immense où alternent, puis s'unissent, un quatuor

de voix féminines et la masse des chœurs soutenue par


les trompettes, les hautbois, les violons et les flûtes. Lulli
subit alors l'influence de Molière, il doute encore du succès des
longs récitatifs en langue française, nécessaires pour rendre
intelligible une intrigue un peu compliquée il préfère à ;

l'opéra français, dont l'esthétique est encore confuse dans son


esprit, et au ballet de cour, dont l'incohérence blesse tout le

monde, la comédie-ballet, conforme aux traditions drama-


tiques des Français.
Molière lui-même raconte dans quelles conditions il inventa
la forme de la comédie-ballet. Fouquet lui avait commandé
une pièce pour les fêtes de \'aux, en 1661 : « le dessein étoit

1. Voir la Plainte de Vénus sur la Mort tV Adonis dans Je Ballet de Flore. (Bibl. Xat.
Vm6/i).
2. Cf. Romain Rolland, Xotes sur Lully, S. I.M., 1908, no i.
3. Plainte d'Ariane dans le Ballet Royal de la Naissance de Féfius (166)).
4. Ballet de Flore {i66g).
5. Ballet Royal de Flore. Bensérade prend congé des Dames dans le livret et annonce
son intention de ne plus travailler aux ballets : <.(
Je suis trop las de joïier ce rolet... »
358 L OPÉRA ITALIEN EN FRANCE

de donner un ballet aussi; et comme il n'y avoit quïin petit

nombre choisi de danseurs excellents, on fut contraint de


séparer les entrées de ce ballet, et l'avis fut de les jeter dans les
entractes de la comédie, afin que ces intervalles donnassent
aux mêmes baladins de revenir sous d'autres habits de :

sorte que pour ne point rompre aussi le fil de la pièce par


ces manières d'intermèdes, on s'avisa de les coudre au sujet
du mieux que Ton put et de ne faire qu'une seule chose du
ballet et de la comédie' ». Il est fort probable que l'exemple
des opéras de Huti ne laissa pas d'inspirer à Molière l'idée
de cette solution élégante, car eux aussi comportaient des
ballets adroitement reliés à l'intrigue. Les Jùicbcnx ne faisaient
intervenir que des danses, mais ce n'était là qu'un essai et

Molière, dès cette époque, pressentait le parti qu'il pourrait


tirer de la nouvelle combinaison : « c'est un mélange qui est

nouveau pour nos théâtres, écrivait-il, et dont on pourroit


chercher quelques autorités dans l'antiquité et comme tout le

monde l'a trouvé agréable, il peut servir d'idée à d'autres


choses qui pourroient estre méditées avec plus de loisir ».

Molière et Lulli, h's ilnix oiiiiuls Baplisfcs, comme on les

appelait, perfectionnèrent, au cours des années suivantes, le

genre de la comédie - ballet. Ils rattachèrent à l'action

non seulement des danses, mais aussi des récits, des chan-
sons, des chœurs, jusqu'à des pastorales lyriques. Bientôt
tous les éléments du ballet de cour trouvèrent leur emploi
dans la comédie. Ainsi furent unies deux formes drama-
tiques, nationales et traditionnelles, en un genre nouveau
qu'on chercha à opposer à l'opéra italien ; on oubliait que
sans les représentations des opéras-ballets de Buti, Molière
ne se fût sans doute jamais avisé de son invention et que ni

Lulli, ni C.ambert, n'eussent cherclié à faire réciter une comé-


die en chantant.
Nous n'av(ms pas ici à retracer l'histoire des comédies-
ballets de Lulli et Molière. Rappelons seulement que, très

rapidement, la musique prit le pas sur la poésie. Habitués à

I. Aveiiissctiieiit. Edil. des Giaiiih Ecrivaim, III, p. 29 et 30.


INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 3)9

voir jouer aujourd'hui ces pièces sans les intermèdes pour


lesquels elles étaient composées, nous avons peine à nous

faire une idée exacte de la part que prenait la musique


au succès de ces représentations. Monsieur de Pourccaiio^mic
et le Bourcrcois veux des contem-
Gcutilhoiuiiic furent, aux
porains, de grands ballets de cour au milieu desquels on
récita quelques actes de comédie. Dans ces œuvres, la
musique vocale se déploie avec une liberté toujours plus
grande. Les récits bouffons des Avocats dans Pourceituo]iac\
la scène du Douueuv de Livres dans Je Bourgeois Geidilljoiiiiiie

attestent la maîtrise de Lulli à cette époque. Il sait mainte-


nant traduire a\ec une étonnante vérité d'accent toutes les
nuances des sentiments suggérés par les paroles. Ses per-
sonnages sont vivants, ce ne sont pas des fantoches comme
les héros des pastorales de Perrin et Cambert. Lulli esquisse

en quelques traits le t}-pe du vieux bourgeois grondeur,


du gascon vantard, de l'avocat babillard. Il n'a pas seule-
ment le don de la caricature, il sait émouvoir. Ariane aban-
donnée, \^énus pleurant la mort d'Adonis, Cloris se lamen-
tant nous touchent profondément.
Lulli excelle surtout dans les ensembles où les chœurs et
les instruments dialoguent et se soutiennent. Celui qui ter-

mine Amauis Magnifiques, en 1670, a une grandeur


les

héroïque et guerrière qui annonce déjà les plus beaux finales


des futurs opéras de Lulli. 11 demeurera longtemps popu-
laire.

Lulli, en 1669, a abandonné la forme du ballet de cour ;

deux ans plus tard, il écrira sa dernière comédie-ballet. Tout


le pousse vers l'opéra : ses dons de dramaturge (supérieurs
peut-être à ses dons de musicien), et aussi la conscience qu'il
pourra réussir en un genre où les autres s'évertuent en vain.
Quand on voit avec quel talent Lulli, dès 1668, sait composer
une scène, en graduer les effets dramatiques et la conclure par
une sorte d'apothéose sonore, on se demande pourquoi il laissa
à des artistes, qui lui étaient si inférieurs, l'honneur de fonder
à Paris l'Académie Royale de Musique. Lulli paraît s'être défié

du public français et avoir redouté un échec qui eût compro-


360 l'opéra italien E\ FRANCE

mis sa situation à la cour. Mais le souvenir des opéras repré-


sentés à Paris le hantait visiblement. Il ne manque à Psyché quQ
la déclamation récitative pour être un opéra : Un prologue
majestueux et longuement développé ouvre la pièce. Les
intermèdes ; Plainte Italienne, Vulcain et les Cvclopes, le

dialogue d'Amour et des Zéphirs, forment autant de scènes


d'opéras, enfin le grandiose divertissement qui sert de conclu-
sion, avec les récits d'Apollon, de Bacchus, de Momus et de
Mars, les chœurs, symphonies joyeuses ou guerrières, peut
les

soutenir la comparaison avec les plus beaux finales des opéras


italiens du temps. Il leur est même supérieur par l'ardeur
martiale qui l'anime et la joie juvénile dont il rayonne. Dans
sa gazette rimée. Robinet décrit ainsi l'aspect de cette dernière

scène pour laquelle dut servir le décor de l'apothéose de


VJircolc A tu nui c :

Lors tous ces dieux et leurs escortes,

Qiii sont de nombreuses coliortes.

Des deitez jusqu'à trois cents

Dans ces cohortes paressans,


Sur de grands et brillants nuages
Disposez à triples étages.
Célèbrent par de beaux concerts,
Par des danses et par des airs,

La solennité de la Noce.

Psvrbc ressemble tellement à un opéra que beaucoup s'y

trompent et la nomment ainsi. Lulli, dans quelques années,


leur donnera raison. Il fera transformer par Thomas Corneille
les longs alexandrins en vers irréguliers et, en trois semaines,
les habillera de musique récitative. Les divertissements et les

intermèdes lyriques de la première version s'intercaleront tout


naturellement dans l'œuvre nouvelle.
Psyché fut représentée, pour la première fois, dans la salle

des Tuileries, le 17 janvier 167 1. Le 3 mars, l'Académie de


Musique ouvrit ses portes avec la Poino)ic de Cambert. Pour
goûter la langueur délicate de la musique de Cambert, il faut
oublier les que
œ'uvres Lulli écrivait à la même époque.
Si Cambert, vers 1639, fut peut-être en avance sur les autres
INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 3^1

musiciens de son temps, il est, en 167 1, bien en retard. Il

n'ose encore qu'avec timidité pratiquer le style récitatif et écrit


des chœurs dépourvus d'intérêt dramatique, quand Lulli a

déjà multiplié les exemples de récitatif, sérieux ou bouBon, a

déjà composé les formidables finales de Psyché, des Amaiiis


Miii^iii/iques et de Georges Daudin. Perrin et C^ambert n'ont
pas progressé depuis la Pastorale dlssy, ils semblent ignorer
que la langue musicale s'est enrichie, depuis dix ans, de nou-
veaux moyens d'expression.
Malgré ces défauts, malgré les paroles qu'on « entendoit avec
dégoût '. », tout Paris courut voir le nouveau spectacle. Une
fièvre de musique s'empara de la ville. Il fallutque tous les
théâtres représentassent des tragédies de machines ou des
comédies-ballets pour faire concurrence à l'œuvre de Perrin
et Cambert. Piqué d'émulation, le musicien Sablière composa
une pastorale sur un livret d'Henri Guichard et la fit repré-
senter,aux noces du duc d'Orléans, au mois d'octobre 167 1,
puis, devant le roi à Saint-Ciermain, en février 1672'. Cette
pièce était d'ailleurs aussi dépourvue d'action que Poiiioiie.

Lulli fut frappé de l'enthousiasme qui accueillit l'apparition


de l'Académie de Musique : au mois de décembre 1671, il

donna pour spectacle à la cour une sorte de sélection


des scènes musicales les plus réussies qu'il avait composées :

le Prologue, la Plainte Italienne, les Forges de Wilcain et le

finale de Psvebé entremêlés de la scène magique, tirée de la

PasIoniJe Comique, de la dispute des partisans de l'Amour contre


ceux de Bacchus, extraite de Georges Damliji, et de la cérémo-
nie turque du Bourgeois Gentilhonnue \
Ayant ainsi fait, en quelque sorte, l'essai de ses forces et
donné au roi une juste idée de son talent pour la musique
dramatique, Lulli attendit que l'occasion s'offrit à lui de
prendre la direction de l'Académie de Musique. Nous n'avons

Saint-Hvremond, Les Opéra, comédie. Œiii'ies, Londres, 171 1, tome III, p. 247.
1.

Le Triomphe De F Amour opéra ou pastorale en musique imitée des Amours de


2. \ | \ \

Diane et d'Eudimiou dii'isée en trois parties ; meslées de deux intermides... A Paris,


\

par Robert Ballard... MDCLXXII (in-40).


3. Le tout forme Le BaUet des Ballets.
362 l'opéra italien F.N FRANCE

pas à narrer ici comment il racheta à Perrin son privilège et


(It consacrer par le roi, le 13 mars 1672, cette transaction
grâce à laquelle il lui devenait possible de faire représenter
à Paris des opéras « composés tant en vers françois qu'austres
langues étrangères, pareils et semblables aux Académies
d'Italie '
».

]\

Lulli avait sans doute beaucoup médité sur Topera avant


de prendre la direction de TAcadémie de Musique, car sa
première œuvre dramatique, G/<//////,v el Ihiiiiioiic {16"]}), ne
porte dans sa structure aucune trace d'indécision ou de tâton-
nement. Du premier coup, Lulli forge le type de la tragédie
en musique auquel il va demeurer fidèle toute sa vie. Assuré-
ment l'opéra français évoluera, le récitatif deviendra plus
souple et plus chantant, l'orchestre se développera et prendra
dans l'action une importance croissante, mais, dans ses grandes
lignes, l'architecture de la tragédie en musique, dont Qhliiiiis esi

le premier modèle, ne variera pas.


Lulli ne cherche pas à perfectionner le genre des pastorales
en chansons auquel sacriiient ses rivaux, Cambert, Sablière
ou Ëbesset, il le rejette délibérément. Lorsque La Fontaine
écrira, quelques années plus tard, ;i son intention le livret de
J)(ipbiu\ le Florentin le refusera en déclarant bien haut qu'il

ne veut plus de bergeries. Il veut mettre en musique des tra-

gédies où trouvent à s'exprimer les sentiments et les passions


qui bouleversent l'âme humaine : l'amour, sous toutes ses
formes, depuis la galanterie jusqu'aux transports de la jalousie,
l'ambition, le désir de la gloire, le courage guerrier. IaiIH
veut que ses personnages aient une réalité psychologique
et que l'intrigue soit assez compliquée et émouvante pour
que le spectateur puisse prendre plaisir à en suivre les péri-

péties et â en attendre le dénouement. Cadmus, le héros de son

I. V. Henry Pninièrcs, Li/lly (collccl. Lanrens, 1910). La I.aurcncic, LuU\ (collect.

Alcdii, 191 1), Xuittcr et Thoinaii, Ihioiiw.ule l'opéra français, icS86.


INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 36J

premier opéra, aime Hcrmione, fille de Mars, promise au


terrible géant Draco. Pour la conquérir, Cadmus s'expose à
la Mars et doit accomplir des exploits surhumains
colère de :

combattre un dragon, le tuer, semer ses dents dans des sil-


lons et externiiner les guerriers qui sortent tout armés de la
terre. Minerve le pl'otége contre les embûches de Junon, qui

soutient Draco son rival Q_uantité d'épisodes sérieux ou bur-


lesques trouvent place dans cette action. Certes, un tel sujet
n'a rien de commun avec les amourettes de bergers chères à

Perrin, il ne pourrait être exposé au moyen de chansons mises


bout à bout, il rend nécessaire l'intervention du style récitatif.

On a exagéré l'originalité de l'architecture du drame luUiste.


Aux yeux de Lecerf de la \'iéville, elle serait l'expression
naturelle du génie français et ne devrait rien à l'Italie. L'erreur

s'explique aisément. W'rs 1700, lorsque La Viéville écrivait


sa coiuparaisou ', les opéras d'Alessandro Scarlatti et de Bonon-
cini ne ressemblaient plus guère à ceux de Monteverde, de
Mazzochi, de Cavalli, ni même de Luigi Rossi. Les chœurs
avaient disparu, le récitatif était réduit à un rôle subalterne et
semblait n'exister que pour mettre en valeur et relier entre
eux les airs et les ensembles. Tout cela était fort éloigné de
l'esprit de la tragédie lulliste. ALiis Lulli en écrivant ses opé-
ras se souciait fort peu des œuvres qui naissaient en
Italie à la même époque, il tournait ses regards vers le passé.
C'est l'opéra à machines des Barberini qui fut le modèle de
l'opéra français, du moins en ce qui concerne son plan, sa
structure interne. Lulli s'inspira-t-il directement des originaux
de l'opéra romain ? C>e n'est pas impossible. Les partitions
imprimées de la Gahilni, de la Catena iTJdoni\ du Scui Alcssio
ou de VEnuiiiia devaient circuler dans le milieu tout italien
où Baptiste passa les trente premières années de sa vie. L'abbé
Buti, AI. de Nyert, la Signora Anna les devaient posséder
et purent les lui montrer'. Mais Lulli eût-il ignoré ces

1. Comparaison de la uiusiqiie italicinic cl de la iiiiiiiqiic fraiicoise... A Bruxelles 1705


(in-80).
2. Lulli, comme surintendant de la musique du mi, avait certainement l'accès de
la bibliothèque royale et pouvait }• lire les opéras qui \- étaient conservés.
3^4 l'opéra italien en erance

opéras, que ceux de l'abbé Buli eussent suffi à lui donner une
idée exacte de la conception mélodramatique qui avait pré-
valu à Rome, vers 1630.
Les livrets de YOrfco, des Xor^r^e ili Prleo, de MlrcoJc Aiiianlc
nous donnent la clef de l'esthétique lulliste. Cette opinion
peut, à première vue, sembler paradoxale. On se souvient des
étonnants imbroglios au milieu desquels se débattent les per-

sonnages de Tabbé Buti, les imaginations extravagantes de cet


auteur, la complication des intrigues, la confuse multiplicité
des incidents. Dans les opéras de Quinault, au contraire, on ne
perd jamais le fil de l'action. Les intrigues des personnages
secondaires, les épisodes ne viennent jamais l'embrouiller sans
raison tient, tout est logiquement coor-
dramatique. Tout se
donné. Buti aux situations bizarres, aux passions déchaî-
se plaît
nées, aux contrastes du rire et des larmes Quinault est l'inter- ;

prète des sentiments élégiaques et tendres, il traduit rarement


avec force les excès de la passion. Mais ces difl'érences procèdent
de la tempéraments individuels au fond Qjai-
diversité des ;

nault — (ou plus exactement Lulli, car Quinault ne fut jamais

que l'interprète des idées du Florentin) se sert dans ses opé- —


ras du même mécanisme dramatique que l'abbé Buti '. Qu'on se
rappelle YOrfco ou MlrcoJc, il s'agit toujours d'un couple
d'amants « traversés » par la jalousie d'un rival, aimé d'une
divinité.Orphée et Euridice, Hyllus et lole s'adorent, mais
Aristée ou Hercule, protégé par \'énus, vient troubler leurs
amours. D'autres divinités prennent parti pour les amants et
des intrigues célestes se superposent aux intrigues terrestres.
De même, Cadmus aime Hermione mais doit lutter contre le

fâcheux Draco que défend Mars. Atys est persécuté par Cybèle,
jalouse de son amour pour Sangaride. Bellerophon et Phi-
lonoé sont en butte aux maléfices de Sténobée. Lorsque les

divinités ne se mêlent point à l'action, des magiciennes,


Médée ou Armide, bouleversent le ciel et la terre et rendent
ainsi vraisemblable l'emploi de toute la machinerie de l'opéra

I. On en peut dire autant de poètes comme Rcn'er ou De Visé qui dans leurs tra-

gédies de maclunes s'inspirent des intrigues de Topera italien,


INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 365

italien. En fait, c'est la nécessité d'utiliser un certain nombre


d'effets scéniques et de décors, devenus classiques en Italie,

qui impose à Quinault, comme avant lui à Rospigliosi ou


à Buti, l'obligation de placer dans chaque opéra quelques
tableaux toujours les mêmes : antres du Sommeil, cavernes
de sorcières, jardins enchantés, mers aux flots courroucés,
palais élyséens, enfers flamboyants'.
Lulli s'inspire évidemment des opéras de Buti et des libret-
tistes romains et vénitiens antérieurs à 1660, sans quoi il eût
préféré les Spicion, les Jules César, les Pompée aux héros de la
fable; il n'eût pas réservé une place considérable aux chœurs,
qui avaient été depuis longtemps exclus des opéras vénitiens et
napolitains ; il n'eût pas introduit dans l'action des ballets si

développés.
On a voulu expliquer l'esthétique de l'opéra français par le

ballet de cour sans tenir compte des opéras italiens représentés


à la cour d'Anne d'Autriche. Il est certain que, même dans la

Catcna d' Adouc ou le P(dii~~o d\'ilhmU\ les danses n'intervenaient,


à Rome, que d'une manière épisodique, elles n'étaient pas si

étroitement liées à l'action que celles de la tragédie lulliste ;

mais, à Paris, dans les opéras de l'abbé Buti, il n'en allait pas
de même. Ceux-ci étaient, suivant l'expression consacrée,
« entremêlés d'un ballet sur le même sujet ».

Dans les \o:^7^e di Peleo, par exemple, la scène de l'oracle du


dieu Mars était le prétexte de joutes, de danses et de chœurs
belliqueux semblables à ceux qui accompagnent, dans Cadiiius
et dans Thcsà\ les sacriflces aux divinités guerrières. Dans
ÏErcole Aiiniiile, les Foudres et les Vents exécutaient des pas de
caractère durant la tempête déchaînée par Junon. Après l'appa-
rition de l'ombre d'Eutyre, des spectres sortaient des tombeaux
pour épouvanter les suivantes de la princesse lole... Ainsi
depuis longtemps, en Erance, le ballet de cour s'était trouvé
incorporé à l'opéra, quand Lulli commença à composer ses
tragédies en musique. En associant l'élément chorégraphique à

I. Déjà rimitation de la mise en sccnc italienne avait amené les antenrs drama-
tiques du théâtre du Marais à composer des pièces à intri2;ues nuthologiques, sem-
blables à celles d'un Buti ou d'un Quinault.
éé l'opéra italien en FRANCE

l'action dramatique, Lulli ne fit donc que suivre lexemple de


Tabbé Buti.
Ce sont aussi les opéras italiens représentés à Paris qui ont
fourni à Lulli le plan des majestueux prologues qui servent
comme de propylées à ses tragédies. Buti, contrairement à l'usage
habituel en Italie ', leur conférait une complète indépendance
à regard du sujet de la pièce. Ils formaient des scènes « déta-
chées », à la gloire du
indépendantes, entièrement consacrées
souverain. Dans on assistait à la prise d'une ville et la
YOrfeo,
\'ictoire célébrait les armes françaises et les vertus de la reine;
dans YErcoJc AiiiaïUc, les chœurs des Fleuves se réjouissaient des
noces royales et prédisaient mille prospérités aux nouveaux
époux. Un ballet concluait cette scène. Lulli ne changera pres-
que rien à la structure des prologues de Buti, il se contentera
d'y ajouter un élément pastoral. Les dialogues et les chansons
de bergers qu'il a proscrits dans ses tragédies, trouveront là leur
emploi et permettront d'agréables eifets de contrastes avec les

entrées de combattants et les chœurs guerriers indispensables


à tout prologue patriotique.
Dans l'ensemble, lorsqu'après avoir lu les livrets de Buti, on
parcourt les poèmes sur lesquels Lulli a composé ses opéras, on
demeure frappé de leur évidente parenté même plan pour le :

prologue, même architecture générale pour la pièce, mêmes


scènes de sommeil, de sacrifices, d'invocations, de combats,
même mécanisme dramatique et psychologique, enfin, parfois,
même façon de torturer une légende consacrée pour en tirer
un poème d'opéra. Avec plus de mauvais goût dans le détail,
Buti n'aurait sans doute pas traité autrement que Qiiinault le
sujet d'. llccslt'.

Si, au contraire, on jette les \eux sur les partitions de Lulli.


après avoir lu celles de Luigi Rossi et de Cavalli, la première
impression est que le llorentin ne doit rien à ces grands artistes.
Luigi Rossi sacrifie tout à la mélodie qui s'épanche et ruisselle
largement. Au contraire, la forme de Liilli garde une austérité

1. Les cxciuplcs de pi'oloii,Lies .ibsoluiiieiit indépendaiit.s de raetiuii de l'opéra, sont


rares en Italie. On en trouve quelques-uns cependant : Menestrier en cite notamment
un dans un opéra vénitien dWurelio Aureli, Da Représeiilalioiis, p. 196.
INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 367

toute récitative. Lulli, revenant d'instinct à la conception mélo-


dramatique des Florentins, ses compatriotes, s'attache surtout à
l'exactitude et au naturel de la déclamation lyrique. Chez lui,

les airs eux-mêmes ne sont, à proprement parler, que des récits

plus chantants. A côté des amples périodes d'un Cavalli, des


lignes harmonieuses d'un Luigi Rossi, le style de Lulli paraît
si nu, qu'on voit mal en quoi le créateur de l'opéra français
pourrait avoir subi l'influence de ces fougueux génies. Au
XVII'-' siècle, on ne pensait pas ainsi ; dans la h'Ilrc de CIciucul
Maroi touclnmt ce qui sesl passé à Tarrivée de /. B. de Lulli aux
Cbaiiips-Elysées, on voit Luigi Rossi intervenir en ces termes au

jugement du Florentin: « Si l'on condamne ses ouvrages... je


demande auparavant que l'on en sépare ce qu'il peut avoir pris
des miens, ahn que l'innocent ne soit point confondu dans la
punition du coupable. » « Je ne suis pas de votre sentiment,
dit alors Carissimi, et j'abandonne au bras séculier plusieurs de
mes basses, dont il a trouvé bon de s'emparer '... »

Les accusations de plagiat sont mal fondées ; le stvie de


Lulli est trop caractérisé, trop personnel, pour pouvoir se
prêter à de tels procédés. Le plus banal des airs de Luigi Rossi
ou de Cavalli détonnerait singulièrement au milieu de récitatifs
ou de symphonies de Lulli, mais il est indéniable que la tech-
nique de Lulli relève plus de l'Italie que de la France. Le Flo-
rentin construit ses chœurs dramatiques par grandes masses
verticales à la manière de ('arissimi, il agence ses trios avec
moins de sensibilité harmonique qu'un Luigi Rossi mais sui-
vant le même plan. Dans ses récits de basse, on sent l'influence
exercée sur lui par Carissimi et par Cavalli. Tel rcMe boulïon,
celui d'Lirbas par exemple dans Caduius, est, tout entier, écrit
dans une forme très italienne. C'est là d'ailleurs l'exception, car
si le métier de Lulli trahit l'influence des grands maîtres
romains, napolitains et vénitiens, la forme mélodique est éton-
namment française.
Lulli a adapté le récitatif florentin aux habitudes de l'oreille
française, il a fondu en lui toutes les tournures favorites, toutes

I. Lcllir de Clciiieiit Marol, p. 62.


3^8 l'opéra italien en frange

les phrases, tous les lieux communs mélodiques des Boesset,


des Cambefort, des Lambert. Dans ses compositions instrumen-
tales, il a développé et harmonisé, avec une élégance et une
fluidité très italiennes, les thèmes traditionnels et comme popu-
laires des ballets en a respecté les rythmes saccadés,
de cour. 11

les fréquents changements de mesure, les alternances de rvthmes


binaires et ternaires.
L'opéra deLulli. qui doit tant à l'Italie, est purement français
au point de vue mélodique. Rien de plus curieux que de com-
parer une scène de sommeil ou une incantation magique,
tirée d'un opéra italien du temps, avec une scène semblable,
prise au hasard dans un opéra français. Les dessins peuvent
concorder, les couleurs qui les recouvrent sont si différentes
qu'on a peine à se rendre compte de la ressemblance initiale
des deux tableaux. La mélodie italienne, qu'elle soit vocale ou
instrumentale, cherche sa fin en elle-même et exprime l'idée

générale qui domine la situation dramatique plutôt que la


lettredu texte. Au contraire, les airs et les symphonies lullistes
ont également des tendances descriptives. Le récitatif traduit
toutes les nuances de la déclamation oratoire, il fait un sort à
chaque mot. Les symphonies, d'autre part, forment un vaste
décor sonore devant lequel l'action se déroule; elles visent,
comme tout fart français de cette époque, à « l'imitation de la

nature ». Cavalli avait bien brossé, avant Lulli, d'admirables


fresques musicales, mais, chez lui, le procédé n'avait rien de
systématique. Nombreux sont les opéras du maître vénitien où
l'on ne trouve aucune symphonie descriptive. Au contraire,
chez Lulli, les moindres ritournelles, les danses même accusent
des intentions d'ordre pictural. Lulli, en cela, ne fait que sui-
vre la tradition française, illustrée au xvr' siècle par les madri-
gaux d'un (élément jannequin et, au xvir, par les entrées des
ballets de cour dont la musique traduisait de manière objective
le caractère plastique '. Ainsi l'esprit de la musique lulliste

est aussi français que l'ordonnance de l'opéra est foncièrement


italienne.

1. IlcniA' Prunicres, Le Ballel de C.our eu Fniiiù\ chap. V.


INFLUENCE DES OPERAS ITALIENS 369

Pourquoi dès lors fut-ce un florentin qui créa Topera fran-


çais et non un Cambert ou un Boesset ? c'est que le drame musi-
cal n'était possible qu'avec le récitatif; or, le principe de la

déclamation lyrique était si peu accessible à des esprits qui


jugeaient tout au nom de la raison et du bon sens, que jamais
un artiste français n'aurait eu le courage d'aborder de front ce
problème. « Il y a une... chose dans les opéras, tellement contre
la nature, que mon imagination en est blessée ; c'est de faire
chanter toute la pièce depuis le commencement jusqu'à la fin,

comme si les personnes qu'on représente s'étaient ridicule-


ment ajustées pour traiter en musique et les plus communes
et les plus importantes affaires de leur vie'. » Saint-Evremond
n'est pas seul à faire cette réflexion cent exemples nous attes- ;

tent que un lieu commun, une opinion générale-


c'était alors

ment partagée. Cambert et Dassoucy, avec des moyens difl'é-


rents, s'étaient efTorcés vainement d'éluder le problème. Molière
et LuUi eux-mêmes s'y étaient aussi essayés et il est certain que

la comédie-ballet, leur création, était de beaucoup la plus


intéressante et la plus viable de toutes les tentatives mélodra-
matiques provoquées en France par l'influence des opéras
Sans Lulli, nous aurions vu longtemps encore de
italiens.

magnifiques fêtes de cour, mêlées d'intermèdes de chant et


de danse, nous n'aurions peut-être jamais connu la tragédie
en musique.
C'est à un idéal purement italien qu'obéissait Lulli en créant
son récitatif. Il le comprit et eut soin de « l'habillera la fran-
çoise. » Il sut lui donner une forme si bien adaptée à notre
langue qu'il lui concilia d'emblée de nombreux suffrages et ne
tarda pas à le rendre populaire. Durant un siècle, le récitatif

lulliste va demeurer intangible : Rameau l'adorera et Gluck


lui-même sera obligé d'y sacrifier avant de le renverser.
Née de l'union de l'opéra et du ballet de cour, la tragédie
lulliste doit au ballet les formes mélodiques de sa musique

vocale et instrumentale, elle dcjit à l'opéra son architecture


générale et le principe même de son existence : le récitatif. Dès

I. Saint-Evrcmond, Lettres sur les Opéra. Œuvres, 171 1, III, p. 199.

^4
370 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

lors, le véritable créateur de l'opéra français n'cst-il pas le cardi-

nal Mazarin ? lui, qui lutta, durant vingt années, pour acclima-
ter chez nous ce genre étranger; lui, qui multiplia les encou-
ragements aux poètes et aux musiciens en quête d'inno-
vations mélodramatiques ? Certes, Mazarin ne songeait qu'à
rendre populaires en France les opéras italiens qui faisaient
déjà les délices des cours allemandes. Sur ce point, il échoua.
Mais s'il avait pu assister à l'admirable floraison de l'opéra
lulliste, résultat inattendu de ses efforts, il n'aurait regretté sans
doute ni les peines qu'il avait prises, ni les injures que lui avait

valu sa passion pour la musique et les opéras.


PIECES JUSTIFICATIVES

LETTRES DE TORELLI, BALBI ET BUFFETTO


AU MARQUIS GAUFREDI, SECRÉTAIRE DU DUC DE PARME

I.

jjmu Sio_ Sig. et Pnm mio Col'"".

Sono, Iddio lodato, arrivato in Parigi dovc ho trovato l'Il'"" Sig. di \'illci'c

Résidente di S. x\lt^^ molto cortese, poichè si è moltis'"° voluto incomodare


per presentare et il Sig. Balbi co' me al Monsù di Souré, il Marescial
d'Ré, a Monsù di Liona et alla Regina. Dagli mercè
Sig', l'efficaci

raccomand"' di \'. S. 11™^ et del ser'"" Sig. Duca, portatc con grand'i'io

affetto dal sud" Sig. \'illeré, spero col sud" Sig. Balbi riportarnii et
utili et honori. \'oglio dunq. con q'-' ringraziare di buon cuore l'Al'^'"

Ser'"-» et \'. S. Il'"-' d'ogni favore, ricevendo ogni bene che havro dalla Beni-
gnità inimita di S. A. S'™, et dalle vivaci espressioni di V. S. ll"^-' et anco
supplicarla a reiterar le mie raccomand' al sud. Sig. \'illerc, poichè saranno
di gran tVutto et anco a quelli altri S. S., soggiungendo io che trovo il negozio,
ma la diflc'i'enza da quanto mi ero supposto, essendo venuto da Yen" da Sua
Alt^-"^ servir la Regina di Francia, dove trovo di haver a servir li comedianti,
cosa contro mio genio e costume. Con tutto cio, essendo questo comando
il

délia Regina, io non mi allontanero da suoi comandi, sapendo essermi honor


grande l'eseguire gl'ordini di Sua Maestà ma mi pare il giusto che, per mia ;

riputazione, la Regina mi provvisioni a parte, poichè in questa maniera io saro


tenuto al suo particolare servizio e potro mostrare a ciascheduno che volesse
in Italia mancamcnto, che ioho havuto dipendenzada questa
rimproverarmi di

Maestà e non da altri, oltre che non è dovere che un mestiere cosi honorato
et stimato com'è il mio si parangoni, in stipendio, con questo di un semplice

comediante, poichè di questi se ne trovano assaissimi, che del mio mestiere


ve ne sono pochi.
372 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Supplico pcr tmito y . S. Il"'-' a iar rivcrcnza al Screnissimo a mio nome,


ringraziando dell' operato et supplicarlo délia continovazione accio, si corne
io sono stato prontissimo esecutore dei suoi comandi, conie saro anco per
ravvenire, non sia Sua Al. detraudata coH' havermi mandato in Francia, dove
io havessi a ricevere poca sodisfazione et honore. W S. Il™-'' è benignissima et
Sua Alt^-'^ generosissima, onde supplico la sua magnanimità a ricever in
benc questa mia richicsta et, se li paresse chc io havessi il torto,melo dichi,
poichè io dcsistero da ogni trattato et mi confermaro col volere et hordine di
Sua Altezza, intendendo parlare in questa Icttere con ogni humiltà e riverenza.

Se y . S. 111'"-' stiniasse proprio scrivcre una lettera alla Regina sopra questo
mio interesse, credo sarebbe etiicacis™-' ;
pure rimetto il tutto nella infinita
bontà di Sua Alt. Ser™-' alla quale faccio profond™''^ riverenza et a Lei di core

mi inchino.
Da Parigi li ii giugno 164).
Di \'. S. 111™^'
Humilis'"° servOvo vero
Jacomo ToRELLi.

llmo j^io_ Sig. et i^nm mio Col""\

Ho di già scritto a \\ S. Il™-' trc o quattro lettere inviatelc per il sig.

Résidente, nelle quali li da^o parte delli accidenti che vertevano, ne mai ho
hauto di alcuna risposta. Altro accidente novo mi storza a darli disturbo et la

supplico in questo caso non mancare di aiutarmi. Et questo è che ho inteso


per cosa certa, che si farà in salone délia Regina un ballo con scène e

macchine et dai loro opérai, et non io ; onde io, non per l'intéresse, che meno
Io stimo, ma per la riputazione restarei tanto mortiticato, che senza alcun
fallo io tornerei subito in Italia, poichè cio mi sarebbe grand>"° scorno, stante
che io sia stato levato da Venezia con promissione di servir Sua Maestà et

taie dichiarazione ho fatta nella mia partenza con tutti ; onde questo sarebbe
il sioillo di far dire che io mi sono entrato in compaonia con li comedianti,
come hora si vociféra, et se bcne cio è in parte vero, pero io l'ho tatto con la

maggior riputazione chc ho potuto, poichè io non entro nelle loro provision!,

ne nelli interessi délie loro comédie ridicole, ma solo nelle opère che si

faranno con grand'"'^ riputazione et parti in musica, come sono laFinta Pazza,
et alloranon resta più che le genti non vogliano parlare a loro modo. A questo
dunque non trovaro altro ritugio clie il salvarmi con un opéra che io
io

etiettivamente facessi per Sua Maestà, il che se mi viene levato, non ho altra
dichiarazione se non. come ho tatto la prima opéra, tornarmene subito in

Italia et mostrare al mondo che io ho cio fattopcrnon mancare al Ser"'" Sig.


Duca che pero mi ha mandato, et per mostrare che Sua Altezza non ha fatto
cattiva elettione délia mia persona. Sua Altezza in questo caso vien da me
supplicata a proteggermi et col S. Résidente et con Monsù di Souré et con
PIECES JUSTIFICATIVES 373

Monsù di Lione, poichè ha veduto che io ho trahisciato tutti H miei interessi

di non poca importanza in \'enetia, et che quasi volando sono venuto a suoi
comandi. K stata verso di me si generosa e benigna Sua Altezza che vogHo
attendermi il frutto da me tanto desiderato cou la sua protettione et stima.

A. \'. S. 11"^ faccio riverenza.


Da Parigi li ii Settembre 1645
Di V. S. 11"'^

Dev™° Servo
Jacomo ToREi.Li
Al ni"" Sig. et Pron C"'".
Marchese GautVedi, Segretario
di S. A. Sere"^^^
(F ARM a).

Il"' Sig. et Pi'On mio Col""\

Q.uanto io debba essere obbligato alla Sua benignità ben lo dimostrano le


infinité et continovate grazie che da lei ricevo onde non posso che pregar
;

Iddio che di bene in meglio auguramenti le sue grandezze. Ricevo la sua nella
quale vedo la grande et inesplicabile magnanimità di Sua Altezza quale di
tanti honori humilis'"^ ringratio, assicurandola che non sarà cosa tanto difficile
ettravagliosa che io non intraprenda per ben servire Sua Altezza. Quando sarô
honorato di suoi graziosi comandam'', non manco far il mio debito per ben
servire Sua Maestà et s'assicuri che 16 tali fatiche di mente, che mai più sono
da me state usate et tutto ciô per mettere, come si suoi dire, il carro avanti li

buoi, poichè per lo présente bisogna far avanti ciô che si dovrebbe far dopo
e cosi bisogna riportar tutto dalla piccola planta alla grande. Con tutto cio

spero, servendo una Maestà cosi magnanima, essere riconosciuto et cio io


stimaro più per la riputazione, che per l'intéresse. Credo ad ultimo del
présente o al principio del venturo essere a segno. AUora poi, con mandar a

sua Alt^-'^un libro di quelli apparati che faccio hora intagliare, daro più minuto
ragguaglio dell'esito et delli accid'' et con assicurare \\ S. 11™-' chenonpre-
serviro mai dalli ordini suoi et di Sua .\Itezza, faccio protond™-' riverenza.

Di Parigi li 4 Ottobre 1643.


Di V. S. Il'"^
Humilis""' et ob"'" servo
Jacomo ToRELLi.
4-

111"'° Sig. e Pr^n Col'"".

Finalmente, dopo haver travagliato molti mesi per servire sua Maestà et il

Sig. Duca Odoardo mio Sig., ho condotto a perfetf"^ l'opéra incominciata.


374 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Non dico pcr la qualità, ma pcr l'effetto, et conosco il niio meritoper la indi-
cibilc benignità di Sua M*^^ cd di altri Principi et SS'. che si sono degnati
vederla. Ho ricevuti applausi tali, che mi sono arrosito di tanto honore. Hora
mi è stato ordinato l'operare al palazzo Reale in un balletto del Sig. Duca
d'Anghino da rappresentare [r] per dopo Pasqua ma credo per la quantità ;

delli attori, non possi essere che al venturo invcrno. Mi pare pero si vadi
molto spesso ne' miei interessi, poichè in dicci niesi che sono partito di Yen"
per q'° servicio non ho avuto cosa alcuna. ma ha convenuto, che io vivi et mi
mantenghi di mia borsa. Ho dimandato, ma sempre buone parole; non so
quale sarà q'" line. Io tengo scolpito nel corc l'ordine datomi da \'. S.
Il'"' come di Sua Altezza, et quello non preserviro ancorchè non ricevessi
alcuna rimunerazione, et assai mi conoscero avantaggiato quando havro
eseguito i comandi di Sua Altezza alla q'^ mi conosco et benignis'"*^ oblationi

et altri infmiti obblighi venuti délia vita. Mando a Y . S. 111™^ per il Sig.
Disburè due libri, uno per Sua Altezza et Taltro per Y . S. 111™^, délie decora-

zioni fatte e dell'opera rappresentata. Supplico per tanto Sua Altezza ricevere
cou questo picciol dono un riverentis'"" ossequio délia mia devotiss"'» servitù
etY S. 111™^ degnasi
. con le mie particolariss""^ sev"" espressioni riverenti.
Me le inchino.
Di Parigi H 22 gennaio 1646.
Di V. S^Ill^-^
Riverendiss. Serv^.

jacomo ToRELLi.

5-

111'"" Sig. e Pn)n mio Col"'°.

Si pu(') immaginare il disgusto ch'io ho sentitoper la morte del Ser'^Q Pron


stante l'obbligatione che io li dovevo, si per li obblighi di benefici ricevuti, come
per l'estimazione che l'Ill'"" mi fece a suo nome délia sua protez"«^, onde infi-

nitam"^ me ne condolgo seco come cosa che mérita per tutti li rispetti

Travaglio gagliardamente per un grandis'"" balletti) del Sig. Duca d'Anghino


al Palazzo Reale et a suo tempo le ne daro parte. Mandai a W S. 111™''' per
Butfetto un tagotto con dentro un libro ilelle decorazioni che hanno fatte in

Parigi accio capitasse a Parma.


Non ho ancora la ricevuta.
Cosi le faccio profonda riverenza. A Parigi li 20 Nov^'"" 1646.
Jacomo ToRELLi.

R. .\rchivio di Stato di Xapoli


C.Ltilf Farneiiane.
Fascio 191. — Fascicolo 4".
PIECES JUSTIFICATIVES 375

6.

111'"° Siff. et Pron mio Col'"".

Ecco che mi harrivano le mie robe tanto a me care quanto giuntemi in


tempo ch'io maggiorm"^ le desidcravo con qualche duhbio di averle smarrite.
Rinsrazio Y. S. 111"" del favore che mi ha tatto corne riverentemente resta
la mia divozione obbligata alla Generosità di S. A. S. che non bastandogli di

havermi onorato che io giunga a Parigi sotto la sua protezione, ch'anco m'ha
graziato mandarmi me e le mie robe a sue spese. L'Ill"'" sig. Résidente
di

non manca di eseguire comandi di S. A. nelfarmi ogni grazia ed impiegarsi


i

perfarmi provecciare presso S. M. Ma io riservo suoi favori quando S. M. i

habbia veduta l'opéra ch'allora potremo addimandare quello che si appartiene


al farmi conoscere servitore di S. M.

Il Sig. Giacomo et io haviamo nuove di Venetia che ci rimprovcra di


essersi accostati a comici, et io in particolare ho letto che il sig. Manelli in
Piazza di S. Marco a Venezia ha pubblicato questo, ond'io com'il Sig. Jacomo
restiamo molto mal soddisfatti di lui. Speriamo che alla fine del mese si farà

l'opéra con scène macchine et habiti non più veduti in paesi (?) francesi. La
curiosità è grande, onde si spera utili grandissimi. Prego il Signore d'incon-
trarebuona fortuna, la quale io riconoscero ogni mio havanzamento dalla
buona grazia di S. A. S. mentre a \\ S. 111™-'' unitamente la faccio ricevuta.
Parigi 2 ott. 1645.
Div. s.

M. D.
GioBatta Balbi.
All'Ill'"" Siff. Marchese Gaufredi.
R. Archivio di Napoli.
Carte Farnesiane fascio 191 f° 4°

Ilhr"° Sig'' mio Sig'''^ et Prone Colen'"".

Mentre arrivoin Parigi con noi el Sig. Torelli et che li daremo la sua parte

délie nostrecomédie spettando di procurar denari a interesse per formar el


teatro con machine come abbiamo fatto, non ci fu disgusto nissuno, ma
quando intesemo che lui si vergognava di essere con comici, e pure tirava la
parte délie nostre latiche et che procurava di far novo teatro per museci, —
consigliando a cio el Sig'' Cardinale Mazarino et Monsù di Leone, suo
parciale amico, — ci fu disgusto tanto piu, avendo inteso che Monsù di Leone
fa venire li Museci con imprestanza di 2.000 scudi de la sua Borsaper farseli
rimborsare a le loro prime fatiche. Fusemo da sua M'^ la quale intese le

nostre ragioni ciové ch'el Torelli era fatto venire per noi, volse vedere dal
376 l'opéra italien en FRANCE

scci'ctario Agra lu' scrissc pur dette Torelli et vedendo che


in clie maniera
ciamava un ingeniero machine et il Balbi ballarino et che erano ciamati
di

per noi, corne li ramentorno a S. M'^ li comici ch'erano in Francia, S. M^^ disse
perché non aftaticava con noi. Il Torelli respose che lui era gentilomo
et che era pronto per affaticare in ogni loco, ma che voleva el comando da
S. M'^ che s'unisse con Comici, che non li pareva di suo honore obbligato
a far meraviglie in ogn'altro loco che con comici. Tutti noi rcsposemo : noi
vi avemo tatto venire per noi, e che sia vero che voi siate con noi, voi tirate

la vostra parte délie nostre tatiche ogni giorno che si recita ; lui replico la
cossa del Geiitiloiiio et che renderebbe le parte ; la maestà délia Regina rise et

entro ncl (jabinetto ; da li a poco venue fuora el Comendatore di Sovre et disse

cossi : Sig'' Torelli, presentemente la M'^ délia Regina dice che voi siete

veuuto per la truppa italiana che cossi loro pregono sua Maestà, et che dobbiate
travagliare con loro, o che non travagliate in nessun loco per non portare
danno alla sua truppa ; dove che s'agiustasemo con bone parole con il detto
S'' Torelli et l'agiustamento iu cossi : le parte che aveva tirato sino a l'hora non
se ne parlasse, ma che ogni volta che si faccia l'opéra vole duc parte et cossi

siamo agiustati con gusto de tutti et non ci é desgusto nisuno con detto
S'' Torelli, anzi gusto grande, perché lui fa cosse bell""= ad onta, hora, di
Monsù di Lione, il quale dice che ta venire li musici con altro ingeniero ; ma
quando saranno harrivati, noi haveremo digià dato principio, facendoli tutto
quello che loro poseno fare da le voce in poi, le quali superiamo con el

redicolo. Kcco scritto a \'. S. Ill'"-'» minutamente la cossa del Sig"" Torelli,
so che lei intenderà più de quello ch'io scrivo, perché, privati dal Torelli
quai tirava la sua parte et venendo li musici, era la nostra rovina dove che,
stante il nostro interesse di ciascheduno, il lasto faceva il suo effetto. Lapregho
dunque a compatire, tanto più ch'el detto Torelli da tutti vien honorato, in
particulare da me, causa li suoi meriti, e peii lui me compatisse me stante il

travaglio in cui mi trovo per la mia moglie per la quale io non so più che
rispondere a S. M'-'non vedendola comparire, et perché mia moglie mi scrive
da Milano che Scaramuzza, stante l'intéresse de sua moglie Marinetta, ha fatto
uthcio che mia moglie non viene, cio non lo credo per havere havuto l'ordine
per la sua venuta il Ser'"" Sig. Duca di Parma, ma per consolare in parte la

mia cara moglie ho procurato novo passaporto per non solo S. M'-' laquale
lei me compatisse ma tutta la corte, vedendomi tanto dolorato per la mia
cara moglie la quale io non doveva mai abbandonarla ovvero menarla con
me
10 oct. 1645 Da Fontana bel Aqua, ma di partenza per Parigi perla
venuta de li ambasciatori Polachi venuti per pigliare la sposa regina di Polonia.

Carlo Cantù detto Buffetto.

Archivio Reale di Parma


Carteggio Farnese (Miisiai e Tetitro),
PIECES JUSTIFICATIVES 377

II

REI.ATIOXE d'alCUNI MUSICI

(1646)

Michel Angelo Pellegrini Anconitano habita di présente et è musico


air Apollinare, venue i mesi addietro da Germania ove servi ail' Impe-
ratore.
Dominichino di Santa Maria Maggiore, che habita in casa dell' Abba-
^ tini, Mf'o di quella capella, giovine di 13 in 14 anni, canta bene et è di
^ mag^ espett"''. Un suo fratello serve al sig"" S'"" Gallicano, s'intende che
2 d° fig'° sia obbligato perô ancora al sud° Mfo per un' anno e mezzo.
,^ Gioseppe Blanchi, che si trova in Genova per venirsene a Roma ; ha
^ p^ servito qui il Prencipe Prefetto et è stato soprasurnumerario in
^ Cappella; adesso ritorna de Germania dove ha servito alcuni Principi ;

è giovine de buona presenza et ha bell™-'' voce.


Marc' Antonio detto il Bolognese, sta di présente ail' Apollinari, d'età
di 13 in 14 anni, canta bene e di buona scuola e garbo suavo, ha molta
voce per esser di poca età, tara riuscita grande essendo sveggiatissimo
et intende nte.

\'enanzio Lupardi da Camerino ha servito longo tempo el sig'' Card^


Colonna in Bologna e fuori di musico et aiutante di caméra ; è contralto e
tenore ; sona di cimbalo e di tiorba bene ; è compositore di musica tanto da
chiesa qu'° da theatro e da caméra. Giovine di buon aspetto, è stato in
Germania dove ha servito a m'' Principi.

R. Archivio di Modena.
Elenchi di suonatori et cantori. Mmiai R' z'.
378 l'opéra italien en FRANCE

III

LETTRES DE VENANZIO LEOPARDI AU DUC DE MODKXE.

Supplico \'. A. scusare !a mia tardanza cagionata dal mare, il quale ha


ritcnuto la penna che ïo ncni habbia con queste rozze righe ricordata a V. A.
riiumilissima servitù che li professo ove la mia devotione mi spinge con
ogni riverenza venire ad augurarli felicissime queste sanct'"^ feste Natalitic e
per sempre prospero buon capo d'anno, signiticando a V. A. corne in
il

Firenze fossimo chiamati dalli Sig" Principi Mattias c Leopoldo si canto et ;

i putti si poi'tono bene e con buona voce e mostrorno quel Principi gradi-
mento. A Livorno imbarcati, in otto giormi fummo in Tolone et ora, per
gratia d'Iddio, siamo a Lione e tutti con buona salute, sperando in otto
giorni esser a Parigi dove saro sempre prontissimo alli cenni di V. A. al
quale, assieme con questi putti, io faccio .Hum™'^ Riverenza. — Lione li

17 X^re 1646

(Dcl Lcopardi Miisico, Sua iiilroilu:^ioin' c de Castrat'uii


alla i\ftà ^l^,lJ^l Rcgiua).

Sercn"'"'^ Signore,

Non isdegni V. A. ch'io venga di nuovo riverente a ricordarle l'humilis-


sima mia servitù da Lione, ma si presento occasione del tempo Natalitio il

quale augurai a V. A. felicissimo, come anco per darle parte del nostro sano
arrivo in quella parte. Cio non feci giunto in Parigi fin che non erimo stat^

dalla Maestà délia Regina, ora mi spinge la mia devotione (como suo
inlinio, ma fidelissimo servitore) significarle come fummo introdotti dal-
l'Em"'" Mazarino, il quai Sig""*^, dopo fattoli riverenza, ci accolse con ogni
cortesia, geloso di sapere come V. A. si trovava in Roma con buona salute,

e subito diede S. iùii'-' ordine al Sig'' Ondedei (al quale présentai la lettera

che Y . A. me gratio) che si trattasse bene si come fece. In tre giorni poi,

fummo chiamati andare a cantare dalla Regina e, giunti alli gabinetti,


entrando noi con altri X'irtuosi Italiani qui venuti, Sua Maestà di sua bocca
disse subito : dove e quali erano li Musici di X. A. Facendoci avanti,
funuiio guidati avanti S. M., dove era un' istromento e per li primi ci

comandorno di cantare, si come obedimmo, 'Xoxc finito, mostroS. M. gra-


PIÈCES JUSTIFICATIVES 379

dire questi putti servitori di V.A. et amhi trovandosi bene in voce fecero bene
(oiudicati da altri) la loro parte. Ora si studia per l'opéra dell' Orfeo,
havendo tutti noi occasione di farsi honore nella scena. lo non resto, corne
devo per servir bene V. A., di farli studiare e mantenerli con qualche regola
con la quale, fino a quest'ora, per gratia d'Iddio, stanno sanissimi. Assicu-
rando V. A. per il tempo destinato non mancare al mio debito con che,

mentre pregoli dal Sig'''-' prospéra sainte a V.A. Ser"^, faccio Hum™a Rive-
renza.
Parigi li 18 Gennaio 1647.

Serenissimo Signore,

Spero sian giunte aile mani di V. A. le due lettere che da Parigi li ho in-

viato, e nello passato ordinario non mancai eseguire i cenni cheV. A. mi


fece gratia ordinarmi. Si corne dal Sig' Lazzaro '
le ne sarà stata data noti-

tia, questi putti ser""' di \'. A. et io siamo benissino ; si attende a studiare per
VOrfeo. Impatiente la Regina d'aspetar tanto, per tanto si sta servendo S. M.
con qualche concerto di caméra ; spero in pochi giorni sentira S. M. alcune
mie fatiche musical! qui composte. Supplico X. A. compiacersi far ordinare
al Signor Ondedei voglia con un poco più di calore proteggere et aiutare

questi putti e tutti noi in qucllo che a lui appartiene per servir V. A. chè per
le strade ordinarie délia virtù c' incaminamo da noi senza scorta. Servii

V. A. la passata settimana d'alcune particolarità che qui in questa corte suc-


cedono, si corne honora comandarmi, et ora non altro succède se non quel

che sentira, supplicandola non mi voglia mai tener otioso a' suoi comandi.
Hieri l'altro la sera la Regina stette in Ictto un poco risentita et anco
hier mattina, ma doppo pranzo S. .M. miglioro d'cgni indispositione e fu alla

comedia Italiana —
Si cominciano qui le maschere e a far feste in Palazzo e fra pochi giorni
li balli nella semblea con intervento di Dame e Cavalieri délia Corte, con
tutti li Principi e le corone. Si va da molti voci ferando la Pace.
Parigi 8 Febbraio 1647.

Stupisco come, havendomi honoratode suoi saluti inunad el nostro Dome-


nichino, \'. S. dica non haver ricevuta che una lettera da me da che sono in
Parigi. Questa non solo è la prima, ma è la décima lettera che a A. S. ho

I. Lazzaro Bonnicini, secrétaire du duc de Modéne.


380 l'opéra italien en FRANCE

scritto cominciiindo da Acqua Pendcnte, Fiorenza, Tolone, Lione c quattro


di Parigi acconipagnandole semprc con quelle del Sig. Preincipe Cardinale.
Dopo havcrla servita con i Padri Teatini, si corne V. S. desidera, e con il

Sig. Lazzaro, mio Sig''^, non farrei tali mancamenti a \'. S. Vedrà il collaro
desiderato dalla S" Eugenia per il primo ci^-ricro che verra....

Si stà nelle occupation! delT Opéra, pero non sarà distante

Non mi par bene restar di dar parte a V. A. degli honori che ci fa la

Regina havendoci hiersera l'altra fatti chiamare per sentire la seconda


volta questi due figlioli servitori di V. A. Délia prima volta n'informai V. A.,
délia seconda li darô minuto ragguaglio. Si cntro nel gabinetto dove era la

Regina, il Sig'' Cardinale, il Sig'^ Duca p. d'Anguien. Il figlio unico Prin-


cipe di Gales d'Inghilterra sede\a dirimpetto délia Regina. Il Sig"^ Cardinale
et il Sig"" ora chiamato Principe di Condc et altri Sig" Marescialli in piedi.
Si comincio a cantare un' aria a quattro con Atto del Sig'" Prenc'"^ Mattias et
li due di \'. A. e subito la Regina e monsieur le Cardinale dimandorno che
cantassero li nostri corne fecero, con gradimento di tutti e veramente sve-
lorno la tema délia prima sera e cantorno assai meglio. Dimando la Regina
se questi putti parlavano francese, li rispose S"" Luigi de Rossi per mia saputa
che V. A. li haveva ad ambi ordinato che non tornassero a Roma se non
parlavano Francese, del che la Regina sorrise.

Cantorno li due altri del Sig'''^ Card'<^ Antonio e S''*' PrenC-'*^ Mattias, ma
dalli Cavalieri, dal Sig. Duca d'Anguien e dalla Regina furno di nuovo
commandati e desiderati li due di X. A. et io, chiamato, m'avanzai e li
accompagnai un' aria la quale di nuovo fu gradita con applauso di tutto lo
spirito di questi figlioli, e veramente non posso di meno di non signiticare
a V. A. (sentendosi in bocca de molti Sig''' spesso noiuar \'. A. in moite
occasioni) da tutti è acclamata et amata, e questi honori che ci fanno sono
effetti délia sua grandezza.
Finita l'aria, venue il Re e Madamizella e sentirono un poco e si cantô un'
aria spagnola dove intervennero li due putti, e fra due sere andremo la terza
volta dalla Regina a cantare a S. M. una cosa in sua Iode a quattro voci da
me composta e con questa occasione dedicaro alla Regina una mia messa a

6 voci con sei viole per consenso del Sig'" Cardinale, sperando S. M. la

faccia cantare a sua richiesta. Fra tanto si va stringendo l'Opéra del-


l'Orfeo e questi putti hanno nel gestire qualche acclamatione e si crede nel
PIÈCES JUSTIFICATIVES 38 1

l'atto non saran degl' ultimi. Sarà quest' opéra cosa non più vista nella

Francia, ne fatta per la copia delli soggetti e per la richezza degl'abiti

13 febraio 1647.

Seren^^o Sigr_

Si rappresentarà TOrfeo fra tre giorni e sarà opéra, si per la richezza degli
abiti, délia musica e macchine, la più bella che habbia vista la Francia e, quel
che più sono da un Maestro Ballarino Italiano composti otto bal-
diletta, vi

letti d'ogni génère ballati da dodici maestri principali di Parigi. La Regina,

senza voler sentire difficoltà, la vuole in quattro giorni, benchè ancora non
son date tutte le parti. Si fotica nelle prove giorno e notte. Li putti servitori

di \'. A. fanno sei parti ciascuno e piacciono a tutti questi Cavalieri délia

Corte ; io ancora sono impiegato in qualche cosa da recitarc. Dicesi, questa


fretta di S. M. sia perché in brève siano di partenza questi Sig'"' Marescialli

e Generali per la futura campagna in diverse parti e percio S. M. li vol tar


vedcre questa opéra musicale. Diedi parte a \'. A. nell' ordinario passato
corne fossimo la seconda volta chianiati dalla Regina e mostra S. M. gradire,

si corne ho significato a Y. A.

(M. de Grawout et le duc d'Eughieii voni partir le 6 et le 12 mars pour la

guerre. Le marquis de Beutivogho îc mettra en route dans 6' jours pour l'Italie.)

22 Febraio 1647.

... Non havendo da signiticarli altro se non che in due giorni si rappresen-
tarà rOrfeo, e questa notte con la presenza délia Regina andaremo a provare
al Palazzo Reale, poi Domenica, dopo finita l'opéra, vuole S. M. nell' istesso

luoco si raduni l'assemblée e si tara il Ballo Reale, corne si sole ogn'anno,


e la Regina ha prcparato cose superbe di gioïe inestimabili per adornarne
Madamoisella. Ballerà al solito il Re, S"" Duca D'Angnicn con tutte questc
principcsse
Li putti servitori di \'. A. sono, benchè in stagione cattiva, sanissimi in
voce e siamo pronti tutti per andare a servire in questa opéra che si Lu'à in

due giorni per ordine cspresso délia Regina c Sig'' Cardinale Mazzarini.
I" Marzo.

Serenissimo Signore.

Do parte a \'. A. corne Sabbato domenica e martedi si è rappresentato


l'opéra intitolata l'Orfeo sempre con l'assistenz:. dcl Re, délia Regina,
:)"-^ L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Monsieur picciolo c grande con Madamoisella et due volte la Regina d'Inghil-


tcrra, e pare che corra voce sia con viniversale piacimento stata gustata da
tutta qucsta nobiltà e Principi. Li putti servitori di \\ A., mi pare, habbino
fatto lionestamentc benc le loro parti, si corne ne protrebbe da altri haverne
\". A. relatione. Invio a W A. l'argomento, e, perché uscirà una intiera
relatione di tutte queste feste, non nii dilongo a raguargiiarle a V. A.
In distretto nell' istesso teatro, fatto divenir sala Reale con Baldacchino, si

fece la grande Assemblea ; noi, fatti invitare dalla Regina, fummo spettatori

di si superba lesta.

(Longue description de la fête. Mademoiselle avait sur elle pour six niilUons de

joyaux, on dansa jusqu'à une heure du matin) u al suono di trenta Mole del
Re e Regina ».

Dicesi la Regina dopo Pasqua sia per andare a Lione e in Picardia poi a
Fontainebleau ; dicesi si farà un altr'opera, noi staremo qui pronti a i cenni
di V. A
(S mars 164J.)

9-

Description du « Superbissimo corso fatto dalla Regina Madré »...


Altro non ho da significarc a V. A. se non che quindici giorni dopo
Pasqua recitata l'opéra di nuovo tre volte

(2<S' mars i64J-)

Questa notte si è rappresentato di nuovo l'Orfeo nel Palazzo reale con


l'assistenza délia Regina e Re, con il Sig''^ Cardinale, Madamoisella e tutte le

Prencipesse, riuscita al solito senza intoppo e S. M. vole si reciti ancora due


volte per la Regina d'Inghilterra e per la numerosa nobiltà di Parigi devota
alla Corte e familiari. (On attend la venue du Cardinal Antonio Barherini qui est

à Aii'gnon. Craihle dévotion de Lonis XIV)...


QjLiesta notte S. Em. dentro al teatro regalava la Regina di canditi et altre

cose di zuccheri le quali erano presentate al Re et a Monsù et a tutte altre

dame. \\ durata Topera sino aile quatro ore délia iu)tte. Dicesi la partenza délia
Corte sia diferita alli quindici.

Li putti Servitori di \'. A. hannofatta la loro parte et ora sono per ordine
di V. A. ambi \estiti di tlrappo tino d'OIanda leonato, colore ora usato in
C^orte e di questone ha pigliata la cura il Sig'' Ondedei havendogli io provisli

d'altri abigliamenti aile loro persoiie...


(26 Avril i^->4J.)
PIÈCES JUSTIFICATIVES 383

ÇAii secrétaire du Dui\)

Scusi se scrivo poco perché dormo ancora e mi scusi per gfa con S. A. Le
ho scritto maie, perché questa notte si è fatto di novo per la prima volta
rOrfeo et tre altre notti avanti habbiamo provato con star nove ore nel teatro
per volta e cosi siamo tutti stracchi ; all'altro ordinario li daro compita
relatione del tutto

12.

{Description du bal de la Reine.)

Si è fatto rOrfeo et è passato cosi bene che ha hanto l'applauso universale


e la Regina, il Re con il picciolo Monsù e con tutta la Corte, tre volte che si è
fatto, sono venuti e stati, benchè durasse 6 ore. Questi putti si sono portati
come da altri ne haverà relatione e tutti siamo stati in voce per gratia d'Iddio.

Domenico e M. Antonio la supplicano non pigliarsi alcuno incomodo


délie loro incluse mentre li loro verranno a pigliarle a casa sua, ovvero si

compiaccia darle al Sig"" C. Calcagni il quale li darà alla madré e fratello in


mano propria, mentre le loro lettere capitano maie ; ne li dia quella di
Domenico, se non la viene a pigliare la Madré propria, e tutti doi cantaranno
canzoni francesi.
(S Mars.)

13-
Serenm° Sig''^.

Sarà questa l'ultima Icttera con la qualc da Parigi ricordero a \'. A.


Sercn™-"* l'humilissima mia servitù, mentre la notte antécédente si fini di

rappresentare l'Orfeo l'ottava volta essendo noi giunti al fine délie nostre

divote fatiche sempre con buona salute...


{Grand bal sur le théâtre pour fêter la princesse de Palestrina qui s'en

retourne.)

Hieri mattina aile sett'ore parti il Re con parte délia Corte verso Amiens...
Hieri mattina parti la Regina ; sei ore o sette dopo ci volse veder tutti S. M.
havendoci con parole gentili ringratiati del buon servitio prestatoli, voltan-
dosi a noi S. M. disse a Domenico che salutasse V. A. in suo nome, con che
tutti promettessimo farlo ; e facendoli riverenza con buona gratia ci licentio.

Questa sera siamo chiamati d'andare da! Sig"" Cardinale per ricevere l'ultima
384 l'opéra italien en FRANCE

liccnza c sperditionc duvciKid S. Em. domattina (pcr qiuinto si dicc) partir


pcr Amiens.
Si conic mi c statt) accennato d'ordinc di V . A. circa eseguirc i comandi
délia Regina e S. H., cosi è succcsso mentre hanno eletto per loro servitio
Marcantonio Serv'^ di \\ A. il più piccolo, credendosi che ci sia con S. M.
il piacimento e gustt) di \'. A. Non ho mancato esortarc il putto ad ahbrac-
ciarc quello clie \'. A. dispone, bcnchè il giovine ha sentito qualche rammarico
di perdere per ora et allontanarsi da V. A. suo primo Signore. Perù, conso-
latosi, si mostra prontissimo uhbidire a suoi cenni e si come questa sera
significhero a S. K. purchè al putto si dia chi lo custodisca qui Spero
resteranno qui gustati del suo spirito che ha mostrato in questa occasione,
c la Regina haveva qualche resisten/.a in levarlo a \'. A., ma li fu significato
a S. M. che di quai si voglia di noi disponesse, chè sarehbe stato gusto di
V. A. e cosi, non havcndo noi altro ordine, con huonagratia di \'. A. Martedi
(s'altro non succède) ci metteremo in viaggio per Italia a venire a godere
de' suoi cenni con che, mentre io prego dal Sig'*^ felicissimi eventi a V. A.
Scren™^, faccio hum""^ Riverenze.
Parigi li 10 Maggio 1647.
Di V. A. Se™'-^

Rev™° et Dev^o Serv. per sempre


\'enanzio Leopardi.

Archivio di Stato di Modena.


l'niiin'ii Aiiih. Jili lot).
PIÈCES JUSTIFICATIVES 38'

IV

LETTRES DU RÉSIDENT BAKDUCCI « AI.L ILL™" SIGR"" SEXATORE


BALI GONDI »

fi'" Mars 164'/ )


Il Sig'' Cardinale Mazzarino, oltrc le suc occupationi ordinarie dci ncgozii
più importanti, è stato talmente applicato a soUecitare la perfezionc dclla
gran Comedia inniusica, sommamente desiderata dalla M*^ délia Regii;!a, che
S. E. ha voluto assistere piu volte aile prove che se ne sono fatte, e ben
spesso è andato a rivedere le macchine et ad atfrettare i lavoranti, che pure
sono cagione che sin'hora non s'è potuta recitare. Questo impiccio di S. E.

ha ritenuto il suo Maestro di caméra di domandargli audienze per chi


si sia...

{8 Mars 1647.)

Quà s'è finito il carnavale con la bellissima comedia in musica fatta fare
dal Sig"" Card'<= Mazzarini, che ci s'è atfatticato fuor di modo. È stata rappre-
sentata tre volte con li habiti et il Martedi seguente. La prima voltav'interven-
neroLL.MM.,il Sig'' Duca d'Orléans, il Sig'' Principe di Condéetgeneralmente
tuttala Corte et vi fu anco il Sig"" Cardinale Mazzarini. 11 Sig'^ Commendatore
di Giarres, ad istanza anche délia Signora Anna Francesca Costa, mi fece
avvertire che io vi haverei havuto luogo con tutti i Sig''' fiorentini ch'erano
qui, si che tra questi et qualch'altro mio amico io feci il numéro d'undici et
il Sig'' Commendatore med'^'" c'introdusse per le porte più privilegiate et ci
alloggiô comodissimamente. Io già cro stato invitato da Mon'' Giro d'ordine
di LL. MM. per i giorni destinati alli Ambasciatori et alli altri Ministri
forestieri, \unzio et li Amb''' non menerebbono ch'un
con condizione ch'il

solo gentilhuomo et Residenti anderebbono soli. M'insinuô anco di più il


i

med""^ Mons. Giro, che non si pretendeva di dar luogo ad alcun di cssi et che
ciascuno si sarebbe messo come havesse potuto sopra banchi riservati a i

i ministri, et che nelle uscire tutti dalla sala dovc conveniva radunarsi, o
neir entrare nel Salone délia Com média, non si sarebbe osservato rango, et

ch'io non Io doveva pretendere, perché vi erano i Residenti di due elettori


Palatino e Brandeburgh che non m'haverebbono ceduto, et anche qualche
altro, volendo egli intendere, a mio giudizio, i Resid^'-' di Mantova et di
Parma tutti due scioccamente ostinati in questa pretentione. Iomi dichiarai
che non sarei mai stato il primo a far disordine, et che se gli altri si tbssero
messi indifterentemente in ogni luogo, io ancora haverei fatto il simile,
riservandomi pero a occupare il mio, o pure, nell' entrare del detto salone, di

procurare qualche luogo accanto d'una Dama di mia conoscenza o altro mio

25
386 l'opéra italien en FRANCE

amico et hencliù, quando Mons'' Giro venne a invitarmi, fosse stato risoluto
di far vcderc la commedia a tutti i Ministri foresticri in una volta, essendosi
prcvisto di non potcrc sfuggirc niolte ditïercnze tra cssi, perché anco il

Résidente di Polonia si dichiarava di non voler cedere a quello di Portogallo,


fu risoluto d'invitarli in due truppe, cioè, una parte la Dom'^''^ et l'altra il

Martedi. Mons'' Giro cli'haveva creduto che la Commedia si rappresentarebbe


il Martedi di Berliqcaccio, era venuto a invitarmi la Doni<^"'^ innanzi pregan-
domi a scusarlo se non fosse tornato da me per dirmi precisamente il giorno,
caso non fosse stata rappresentata il detto Martedi et ch' io mandassi da lui,
corne feci più volte, perché ogni giorno la Regina la voleva vedere, ma tu
nccessario che S. M. sidesse patienza sin' a che le macchine tossero in ordine,

il che non potè seguire sin' al Sabato anche a mala fatica...

R. Archivio di Stato di Firenze


Mcdiceo 46^^.
PIÈCES JUSTIFICATIVES 387

Pcr la rkrca:^ione e fiioco di Gioia, falti dal sif^norGiacowo Torclli, lucreoucre di


sua Maesfà cbristianissinia. Ai Sio^iiori, Miisici, r persomiagi dcllc No:^ie di

Tl.h'lidc c Peleo per la fclicc riiiscila dclTopcra.

Già dal Regio theatro i bei splendori


Del Franco Apollo e délie patrie muse
Havean feriti i sguardi e avvinti i cori,
Rese l'idée per gran placer confuse ;

Già pien d'applausi ogn'un, pien di stupori

Di tant'arte dicea l'arti diffuse ;

Più che contento ogn'un, Parigi tutto


In un secolo d'or parea ridutto.

Chi stupiva in narrar corne prodotte

Havesse tante pompe una sol scena,

Chi più chiara del di dicea la notte,

Chi spiegata l'havea fastosa e amena :

Campagne, monti, mari, arbori e grotte, Le dh ci- se Mutu-^hloin


D'ogni nube del Ciel la terra piena ;
^id Tcativ.

Ville, città, teatri, e tetti d'oro


Havea prodotto lor dotto lavoro.

Industri danze e bellicosi assalti IbalhUi, chi hir-icni.


Haveano col terror misto il piacere ;

Concerti armoniosi hor' bassi, hor' alti L'Opcm inuiici.lc.

Fatta havean delTudir pompa il vedere ;

Ricchi e varii ornamenti e trigii smalti LaxhiiU-ià c lichciia de


Veduti havean vestir le squadre intiere, vatiti.

Si che ogn'uno dicea con stil giocondo :

Sol puô far tante il più gran Re del mondo.

Ma che manco puô fare, o puô dir meno


Un popol dal placer vinto e rapito ?

Miglior memoria e celebrata a pieno


Di cotanti stupor fece un convito ; u cena dd Signor l'orelh.
Ivi di puro cor ciglio sereno
Mostrô il Genio più dolce e piu gradito,

Mentre che in scintillante e vivo gioco


Ta! gioia publicar lingue di foco
388 L OPÉRA ITALIEN EN FRANCE

Tosto volaro al Ciel mille foccllc il f^w di gioia.

Cou si vcloci luminosi suoni, L-

Che ogni raggio perderono le stelle,


E l'aria si trovo piena di tuoni :

Parea che il foco in lucide lacelle


Del ciel dicesse all'alte regioni,
Che i suoi fulmini ancor la terra havea
Poichè li Numi più grandi ella accolgea.

Egli a pUntO, che diè moto e figura // .u^nor Toirlli, ln-;cgncie c

couvitatitc.
Dell' apparato agli artitïzii industri,
Senz' artifizio alcun tra amiche mura
Accolse i Dei nella grand'opra illustri ;

Indi bandita ogn'importuna cura


Propizii s'obligar correre i lustri

Per il Franco Monarca, e in puri voti

I cristalli restar d'ambrosia vuoti. pHi voltc bt-vntosi alla saluic di

sua Macilà.

L'istesso illustre Autor d'opre si rare il ù^nor Francaco Bull autoïc


Co' i Dei, fatti da lui, lieto trovossi, '' iinvuiorc ddV Opéra.

H dopo ranti imbrogli e tante gare


II testino iiuzial qui celebrossi ;

Benchè Peleo, fornito da cenare


Con un buon prc') gli foccia indi levossi,

Scena e cena per lui furo tutt' uno,


Che di Theti il lasciar sempre digiuno.

Giove e Nettun non più rivali, o irati, // iign. Aaloii. d'Liwla.

Non più acerba Giunon, non più gelosa // sio„. Gcvolauic Pignani.

Sedeano a mensa e bene accompagnati,


Trovar Theti pudica e no« ritrosa ;
La Slg" Viiioria CaproU.

Ivi a Peleo suoi vanti ogn'hor beat! // sigu' Giuscppe.

Di cillenio dicea lingua pomposa ;

H per vendetta d'un destin rubello


Prometheo lacero più d'un uccello. // sigiv Tomaso siajjordo.

Chiron, deposta la meta animale, // sigir l'ilihcri" Ghigof.

(Che di coppiere gli servi in quel giorno) // Raga-^^o rhc faccva la

Consigliava a Peleo con stil gioviale /""/' postn-hrc di Chinwc

Di spesso ber de' suoi rivali a scorno; // sciviva a bcic.

Si ch' ogn'uno di lor trovossi maie


Per tante sanità, che andaro attorno ;

H dei sesso, che beve o poco, o niente


Theti, ma non Giunon si vide esente.
PIÈCES JUSTIFICATIVES 38*5

Quegli, che in dolci e armoniosi modi // siguor dirlo Cupivli

Fè cantar su'l teatro il bel congresso, i-ompositor délia inmica.

Degno ivi pur di non volgari lodi


Con esso lor si concerto ben spesso :

Ma perché deve tra cotanti prodi


Chi tavella di lor tacer se SteSSO ? // Cavalk,- Amalleo compoùlore

S'io feci il mio dover conviene il dica : '''


H""'' ;''''<'•

Del canto osn'hor fu la cantina arnica.

^Extrait de l'ouvrage intitulé : Dkoralidii et machines npreslées inix Xopces


de Télis, Ballet Royal ; représenté en la salle du Petit Bourbon, par Jacques
Torelli, inventeur. Dédiées à l'Emminentissime Prince Cardinal Ma\:;arin.
MDCLIV. Bibl. Nat., RéserveXL 53 (in-f).
390 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

VI

BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES CONNUES DE CARLO CAPROLI

B. B. : Bibliothèque du Liceo Musicale de Bologne.


C. B. : Conservatoire de Bruxelles.
B. M. : Bihliott'ca Xci;ioiiule de Modène.
B. N. : Bibliothèque Nationale de Paris.
C. N. : Conservatoire San Pietro a Majella à Naples.
B. V. : Bibl. du Vatican.
B. W. : Hofhiblwlhek de Vienne.
Br. Mus. : British Muséum.
N. B. — Les compositions marquées d'un astérisque sont douteuses.

Canioni c cantate

Amor con dolci vczzi. . a 2 'oci

Amor deggio servir .

* Anime voi che sictc dalle furie


d'Ahisso '
. . . . » 3 »

Chi non sa quai torniento


Chi puo Nina mi rare . / voce

Chi sempre disse nd .

Chi vuol esser amante . » »

Conoscer quandu inganna » / voce

Corrcte, correte amanti . l'oci

DalU) strale d'.\nu)r .


>•>
2 voci

*De la tiranna mia » » »

Di iïià Lilla identité » / voce

Dite che far poss' io

Di sua bellezza altéra »

Dolce pace del cor mio.


E dove Eurillo, il passd, diali'oo.
Hra condotto alla morte, laiiiciilo

(Ici Kc (l'Iiiobillcrra
* Hra l'alba vicina
* Era la notte e con horror profonde)
PIECES JUSTIFICATIVES 39 1

È un gran foco.
Fate largo alla speranza

Frondosi e verdi hoschi .

Già languide le stelle

Il cor sempre costante .

lo che tra niuti (^screiiata. 1662


Le note ove son chiusi .

Lidia in vano presumi

Lilla con gran ragione .

Mondo non mi chiama .

Morto voi mi hramate


Navicella che a bel vento
Non si puo piu spcrare .

Non ti fidamio core .

Non voglio far altro .

Occhi audaci che fate

Occhi miei non parlate.

O da me adorata ....
O desio di saper ....
Oppresso un cor da mille pêne
O questa si ch'è bella .

Or che il ciel di stelle è adorno


Or che il gelido rigore .

Perché il cor me lo dica.

Per l'Egeo di spuma .

Poichè dal petto mio.

* Pur che lo sappi tu . .

Quella luce che s'indora.


Quietatevi pensieri (^caiifata)
S' al seren di tua beltà .

Se in me talor volgete .

Se lo voleté ditelo

Sempre son quel che lui


Sempre vostro sarô .

Se non è quel cieco Dio.


s 92 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Sentitc un caso bcllo a 2 l'Oii B. \V. (Ms. 17765).


Se cdlci che adoro » / voce B. N. (Vm 7/1, f" 127).
Si, è stato dette) . » » « C. N. (Rac. 128/I, 143).
S'io non dico ch'ù di toco » 2 vori B. B. (Q. 14).
Speranzo non partitc. » i « B. B. (a 44).
Speratc, o voi ch'avete . » 2 » B. M. (F. 1265).
Stravaganza d'amanti. . . . B. W. (Ms. 17765).
Su, su, sdegno c furor . » i voci B. B. (a 46).
Su tornisi » / voce B. X. (Rés. \'m 7/59, f" 149).
"*'
Tal' c la sorte mia . « » « C. N. (Rac. 128).

\
B. B.(Q.46).Anon.Br. Mus.
1 u mancavi a tormentarmi "
'
C. B. (No 588).
''
I

Un cor impiagato. » i
Un tiranno dolore
\'anne pur lungi speranza
Voi dcl sole che piangete
\'oglio morte e voglio vita

*\'ogiio ridere pur di core


PIÈCES JUSTIFICATIVES 393

VI

LETTRE DE ER.WCESCO CAVALLI A 1. ABBE BUT!

Il]mo e Rmo Sr S"" C P-TMl OnO"io.

Non ha modi la mia penna chc siano sufficienti per esprimere quali siano
i sentimenti délia rivercnza con la quale rcgistro nel cuore la benignità, con
chc cotesto Em"^° S"" Cardinale Mazarino inclina aile mie glorie et a subli-

marmi alla félicita di servirc a si gran Corona ; et in oltre mi conosco inha-


bile a i dovuti rendim'i di gratie verso di V. S. 111™^ che si di cuore intra-
prende il persuadermi a venire ad incontrartantaFortuna. Puo sicuro credere
S. Em. che l'anima conservera verso il di lui augustissimo merito, con l'im-
mortalità propria, immortale l'ossequio ; e \'. S. 111™=^ puô assicurarsi di tutta

la mia divotione per tutti i momcnti del mio vivere. Creda \'. S. Ill™a-

che non l'eccitamento délie mille doble e d'altre ofterte, ma la conoscenza


che ho di quanto sia gloriosa la Fortuna, che mi s'incontro, mi iecero pie-
gare lutto il mio stato a venir costà ; e creda corne Evangelio, che dopo
scritto, a migliori riflessi délia mia età, délia mia complessione, e del mio
costume a quest' aria, ero pentito : tuttavia io non mi potevo ail' hora rimo-
vere. Il Cielo, che dirige per vie ignote il meglio, se bene noi non lo cono-
sciamo, fece che l'essermi mancate le conditioni, che m'erano state promesse,
non che queste che havevo richieste, mi diede modo di ritirarmi et assicuro :

V. S. 111™=* délia mia fede, che non la diminutione délie promesse mi disvio,
ma la conoscenza dell' havere una complessione impotente a questo viaggio
et alla servitù che si doverebbe prestare, mi fece incontrare l'occasione, che

bramavo, di ritirarmi da passi a' quali il desiderio di servire a si Gran Pren-


cipi et a Re si famoso, m'haveva condotto, se bene l'inabilità mi doveva rite-

nere dal farli.

Io ho una complessione debolissima per natura, aggravata dall' età e dallo

studio tatto, indi dallo escercitio. Compongo solo ail' hora che me ne prende
la fantasia, e sono si poco resistente alla fatica, che, se un hora di più del mio
uso m'affatico, sono subito amalato. Hor che V. S. 111™=* consideri se sono da
pormi a questo pericolo di viaggio e se potrô poi servire corne doverei. In
vero sarebbe un venire a comprarmi la morte. Quanto poi aile cose mie, dopo
disciolti i passati trattati, li ho qui raffermati. Sono obligato a Cavalieri
Grandi, ad impieghi utilissimi et a teatri, con stipendio rilevante, cose tutte

che non mi giova abbandonarle, mentre che ho qui in casa comodi a mio
talento, per andar incontro ad incomodi évident!, a rischi diversi et a

cimenti di perdere il tutto con me medesimo.


394 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

Di tutto quello ch'io possa di qui, S. Em. è Padrone e V. S. 111™^ hora per
sempre riceva la mia divozione e, se ci disgiongono i Regni, si assicuri che

mi legano ad esser costà con l'ossequio, le ohligationi che devo alla stima che
conosco farsi délia mia debolezza. Consacro a S. Em. la mia penna, mentre
non posso a piedi inchinarmeli con lo individuo e tutto cio ch'io vaglia
havro sempre debito di corrisponderlo ad ogni suo cenno, e se costà non
posso venire, mando il cuore humiliato, e l'anima riverente che in eterno
sarà schiava di S. Em. e mi conservera sempre.
Di \'. S. IIH^' et R'.
Dévot'"" et oblig™'' Serv^

Fran*^" Cavalli
Di Vena li 22 Ag*" 1659.
Ministère des Affaires Etrangères
Reine 137, (" 263
PIÈCES JUSTIFICATIVES 395

VIII

LETTRES DE MAZARIX

Lettre à l'Abbé Biiti.


S'. Jean de Luz
8 Août 1659.

Bibl. \at. Màlaiigrs CoJhcrt, T. 52 B. f' 161.

Pour ce qui est de faire venir Cavalli de \'enise, les difficultez qui s'y

rencontrent et de tout ce qui regarde cette matière, j'approuve ce que vous


me proposez et me remets entièrement à ce que vous résoudrez, ne doutant
point que vous preniez bien vos mesures et que vous ne fassiez tout le

mesnage que vous pourrez, afin que vous modériez les despenses qu'il faudra
faire. \'ous aurez recours au Sr. Colbert pour ce qui sera nécessaire de
payer, et, en cas qu'il soit besoin de luv envoyer de nouveaux ordres, je ne
manqueray pas de le faire, en me donnant advis des pavemens qu'il faudra

qu'il fasse. Je vous prie seulement de vouloir bien examiner les personnes
qu'on prendra tant pour chanter que pour jouer des violons et autres instru-

mens ; car il faut qu'ils soyent chacun exécutant en son mestier, afin de
former un corps de musique duquel il n'y ayt pas lieu de se moquer ; car
vous scavez bien que François y sont assez disposez. C'est pourquoy je
les

voudrois avoir plustost des personnes insignes et augmenter la despense que


non pas des personnes d'vm talent ordinaire et à bon marché.
On m'a dict que quand mesme vous accorderez tout au Cavalli, il ne
pourra pas venir sans permission de la République au service de laquelle il

est engagé. C'est pourquov il faudroit que vous écrivissiez à M. L'ambassa-


deur de Venise, de ma part, afin qu'il priast ses supérieurs de luy donner
congé de venir en France et luy conserver mesme pour quelque temps les

émolumens de la charge qu'il a à \'enise.

Je vous prie de me mander quelle despense il taudroit faire pour le théâtre


de bois, ainsy que le Sr. \'igarani propose. J'aurav soin de vous faire scavoir

la résolution qu'on prendra lorsque j'auray eu l'honneur de voir le Roy à

Bordeaux, où j'espère de me rendre dans peu de temps ; mais il seroit bien


que le Sr. \'igarani coniérast avec le Sr. Ratabon en vostre présence sur le

projet qu'il a faict de faire ce théâtre de bois en l'endroit que vous me mar-
quez avec l'intention d'en faire un de pierre à l'entour dans quelque temps ;

afin que la chose soit solide et à demeurer tousjours.


396 l'opéra italien en FRANCE

Je suis bien avse que vous ayez donné au Sr. Vigarani le sujet de la Comé-
die du grand balet afin qu'il puisse commencer à travailler aux modèles des
machines qu'il faudra faire ; mais j'avois cru que vous donneriez quelque
petite chose à faire à Torclli, qui n'eût rien de commun avec ce que le

Sr. Vigarani feroit.

Je voy comme le musicien que nous attendions de Piedmont s'en est allé

servir l'Empereur. Comme il estoit excellent et qu'il avoit fort plu à Paris, je
suis marry que nous l'avons perdu et ; il faudroit voir si en luy faisant
escrire à \'ienne, on le pourrait obliger de s'en venir à Paris, l'asseurant qu'il

ne recevra pas seulement bon traitement, mais qu'on le garantira de tout ce


qu'il pourroit appréhender du costé du Piedmont. Je vous prie donc d'y
songer et de faire vos diligences pour cela en luv faisant mesme ofrir un

bon adjudo di costa pour le voyage.


Mandez-moi ce que vous croyez qu'il faille donner aux deux personnes
que le Sr. \'igarani a menées avec luv et je donnera\' ordre qu'on le tasse

Jii niniir.

Du 18 Août 1659
De S'. Jean de Luz.

Aff. Ftr. Fiaïue 2.S0, f" 104.

J'ay receu presque en mesme temps vos deux lettres du 2 et du 10 du


courant. Je vous diray en response que j'approuve ce que vous avez offert au
musicien qui est présentement au service de l'Empereur et à sa femme et, sy
vous jugez qu'il faille donner quelque chose de plus pour son voyage, j'en

suis d'accord.
Pour ce qui est de faire venir d'autres musiciens, je vous confirme ce que
je vous ay escrit en dernier lieu que je ne voudrais pas que nous nous chargeas-
sions insensiblement de gens qui ne chantassent parfaitement bien, et vous
scavez qu'il n'v a rien de sy rare qu'un bon musicien. Je me remets donc à ce

que je vous av escrit là-dessus. Je voudrois seulement qu'on continuât les

diligences pour faire venir le frère d'Atto, qui est au service de l'Archiduc
Sigismond, et la basse qui est au service du Duc de Bavière, et sy pour les
faire venir, il faut eslargir la donner quelque chose de plus pour
main et leur

leur voyage, je me conformerav vollontiers à ce que vous résoudrez là-dessus.


Au reste, j'espère que suivant la faculté que je \-ous ay donnée, vous pourrez
aisément faire résoudre le sieur Cavally de venir servir le Roy, que quand ce
ne seroit que pour un an ou dix huit mois, et je m'asseure que sy vous avez
recours, comme je vous av escrit, à l'ambassadeur de \"enise, aflin qu'il en
PIECES JUSTIFICATIVES 397
cscrive au Sénat, le dit sieur Cavally recevera non seulement la permission
de venir, mais un ordre précis de le faire.

Enfin il se faut apliquer à avoir absolument cet honmie-là, car pour faire
venir le frère de Luiggi et sa femme, je n'en suis aucunement d'avis et vous
devez faire votre comte que sy vous retirez du service de l'Empereur Bonelly
et sa femme avec les deux autres marquez cy-dessus, nous aurons plus de

musiciens qu'il ne faudra, car, outre les quatre qui sont icy avec moy, il y en
aura encore cinq ou six autres à Paris qui pourront fort bien servir.

Jevov la différence d'advis qui est entre le sieur Vigarani et le sieur Leveau
sur la longueur du théâtre et il me semble que sv par raison d'architecture et
pour le faire plus beau, il faut qu'il soit et plus long et plus large, il n'v a
considération qui doive empescher de le faire à la quand mesme
perfection,
la Maison de Monsieur le Tilliers en devroit estre incommodée. Je ne doute
pas que le sieur Ratabon ne soit le premier à donner les ordres nécessaires

là-dessus, chacun devant avoir pour but le plus grand service du Roy auquel
celuv des particuliers doit céder.

3-

An DICIIIC-.

De S'. Jean de Luz


Le 27 Août 1659.
Aff. Etr. France 280, t° 228.

J'av receu vostre lettre du 16'^ du couraiit, mais, comme vous aurez veu, par
les deux miennes et par les autres que j'av données au sieur Colbert, mes
sentimens sur touttes les choses dont vous m'avez escrit, je n'auray pas
grande réplique à faire à cette dernière lettre, me remettant à ce que je vous
av déjà mandé et vous confirmant les mesmes choses.
Je ne suis nullement d'avis, comme je vous av escrit, défaire venir le frère

de Louis, car je suis persuadé que sy le Cavallv vient de \'enise, comme je

l'espère, nous aurons assez de luv pour tout ce qu'il y aura à faire.

Ad il ion (le la ma ni tic Mi^r. ît la lettre de Mr. l'abbé Bnix dti 27 Aoiisl i(^)').

Ibid.. r 229.

J'av receu encore vostre lettre du 10 du courant à laquelle je n'av austre


chose à répliquer sy ce n'est que je persiste en ce que je vous av escrit à
398 l'opéra italien en 1-RANCE

l'esgar de faire venir de Rome le frère de Luiy;oi, ne le croyant pas néces-


saire ;
que j'approuve les raisons qui vous ont obligé à ne donner aucune
part à Torelli dans l'ouvrage auquel le sieur \'igarani travaille ;
que j'avois

entendu, quand je vous ay escrit de parler à l'Ambassadeur de \"enise afin

d'escrire de taire donner congé de la République au sieur Cavalli, l'Ambas-


sadeur qui est à Paris. C'est pourquoi je vous prie de luy en faire instance

de ma part et servira aussy ce que vous avez écrit à M. D'Ambruin. Je vous


dirai aussi que les émolumens que vous avez accordés — alli Caporatv (?)

sont un peu forts, car vous leur donnez plus à proportion qu'au sieur

Ail iiu'iiic.

De S'. Jean de Luz


Le 7e Septembre 1659.

AH". Etr. Fnincc 280, (° 564.

J'ay receu vostre lettre du 27^ d'Aoust. J'attends avec impatience de sca-
voir la résolution que le manqueraypas lorsque
sieur Cavalli aura prise. Je ne
je serav à Bordeaux d'en dire un mot à Mons' l'Ambassadeur de Venise, affin

que y a
s'il encore quelque difficulté au voyage dudit sieur Cavalli, elle puisse

estre surmontée par ce que ledit Ambassadeur en escrira.

Si vous croyez absolument nécessaire de faire venir le irère du teu sieur


Luigi, je remets à vous de faire ce que vous voudrez et je consens aux cent
escus par mois que vous proposez de luv donner, mais je ne croy pas que
vous vous deviez baster de l'appeller, parce que peut-estre il ne sera pas
nécessaire qu'il vienne sv tost, sur quov je prcndrav le soing de vous faire
informer assez à temps de ce qu'il v aura à faire...

Jii iiicinc.

De S'. Jean de Luz


Le 27 Septembre 1659.]

Aff. Etr. France 281, t" 75 v".

J'ay receu deux de vos lettres du 15 et du 17 du courant, lesquelles ne


m'obligent pas à grande réponse. Je vous diray seulement que vous ne devez
pas vous mettre en peine de toutes les plainctes que pourra faire Torel sur ce
qu'il n'est pas employé.

I. Illitiiblc. Viti-irani r
'

PIÈCES JUSTIFICATIVES 399

Pour ce qui est du s'' Cavalli, nous verrons si ce que vous luv avez
escrit avec les instances que fera M. l'Archevesque d'Ambrun le pourront
obliger à venir. Et en cas qu'il s'v rencontre encore quelque difHculté, j'en
parleray tortement à M. l'Ambassadeur de \'enise, qui est présentement à
Bordeaux.
Comme il v a apparence que le Roy ne retournera pas à Paris que l'atiaire
de son mariage n'ayt esté exécutée, mesure qu'arriveront les
je crois qu'à
musiciens que vous attendez de divers endroits, vous les pourriez faire partir
pour joindre les autres qui sont icy auprès de moy afin de ne les laisser pas
oisifs à Paris, au surplus je vous prie d'estre tousjours asseuré que personne
n'a plus d'affection pour vous que etc..

6.

Au nié II le.

De S'. Jean de I.uz


20 Octobre 1659.

Aft'. Etr. Fnincc 281, 1""


227.

J'ay receu vos deux lettres du 20 Septembre et 8 du courant, et, puisqu'on


ne peut pas s'attendre au s'' Cavallo qui déclare ne pouvoir venir en
aucune façon, il faudra songer à quelque autre. Et celuy mesme d'Inspruk
que vous proposez, si vous continuez à avoir de bonnes relations de sa suffi-
sance, mais il v a du temps, car les resjouissances pour le mariage du Roy ne
debvront estre faictes qu'à la fin de l'année prochaine. 11 me semble qu'il ne
faut pas se haster à faire le choix d'un maistre de capelle et des autres musi-
ciens qu'il faudra prendre, afin de ne choisir rien qui ne soit bon et qui ne
puisse bien servir.
Je vous prie donc de vous informer le plus exactement que vous pourrez
de la qualité des violons que vous me proposez qu'on pourra prendre à
Bruxelles, comme aussi de ce musicien d'Inspruk et lorsque vous me ferez
scavoir vos sentimens sur tout cela, je vous manderay mes dernières résolu-
tions.
Cependant je suis bien aise que le théâtre s'advance et j'espère que lorsqu'on
s'en voudra servir, il sera en sa perfection, puisque j'escris au s"" Colbert de
faire fournir tout ce qui sera nécessaire pour cela...
400 L OPERA ITALIEN EN l'RANCE

Ail iiicnic.

De S'. Jean de Luz


2 1 Octobre 1659.

Aff. Etr. Fiance 2S1, f" 234 v".

Puisque vous avez encore affaire d'une femme et que celle du s'Bonnelly,
qui est à \'ienne, ne peut servir, il ne faut pas songer, à mon advis, à la faire
venir, et vous pourriez plustost escrire à Rome pour celle de laquelle vous
escrit le [frère du] sieur Luiggi si avantageusement ; car je ne suis aucune-
ment d'advis pour celle qui s'appelle Felicctte. Ce qui me faict peine, c'est

d'estre obligé à faire venir le père, mais en tout cas, il faut voir ce qu'on lui
donnera et convenir de tout auparavant afin qu'on n'ayt rien a disputer lors-
qu'ils seront en France, sur quoy je suis obligé de vous dire qu'il faut aller
bride en main non pas tant pour mesnager la dépense, qui commencera à
monter bien haut, mais parce qu'il n'est pas juste de traicter tout le monde
de la mesme façon et que d'ailleurs vous pouvez sçavoir qu'on ne donne pas
en Allemagne la moitié de ce que nous nous sommes engagez de donner icy.

Je vous dis la mesme ch(^se pour ce garçon de quinze ans que vous me
mandez qui pourra aussv faire son personnage dans la comédie que vous avez
préparée. Il est juste de lu\' donner quelque clK)se pour son entretien, et

lorsque je Fauray entendu, j'en donncrav l'ordre.

Au iiicnic.

De Dax le 16 Nov. 1659.

Art'. Etr. l'niiicc 281, F 442.

]e dois réponse à trois de vos lettres, deux du 2^ du passé et la dernière du


2^ du courant. J'escris au sieur Colbert de dire de ma part au sieur de Ratta-

bon que rintention du Ro\- est que l'on se conlorme ponctuellement en ce


qui regarde la construction du théâtre à ce que le sieur Vigarane dira et ;

vous devrez estre asseuré que la chose sera ainsv exécutée, prenez seulement
le soingde bien inft)rmer ledict sieur Colbert de toutes choses et il ne manquera
pas de bien soustenir ledit X'igarane. quelque chose que les autres architectes
puissent alléguer au contraire.
J'av esté bien aise d'apprendre que le sieur Ca\alli avt pris la résolution de

venir servir le Ro\' dans les festes qu'il faudra taire pour son mariage. Mais
PIECES JUSTIFICATIVES 40I

comme ledict sieur Colbert me doit venir trouver à Noël et que je luy mande
de vous amener avec luv l'ayant jugé tout à fait nécessaire pour conférer et
prendre resolution de ce qu'il foudra faire après vous avoir entretenu, je

remets alors à examiner tout ce qu'il y aura à faire à l'égard dudict sieur
Cavalli et des cinq personnes qu'il doit amener avec luy, comme aussi des
autres musiciens que vous jugez à propos de faire venir, et particulièrement ed
celuy que Monsieur le Cardinal Antoine a pris depuis peu à son service.
Je vous prie donc de vous donner cette peine et de croire qu'il n'v aura
aucun temps perdu, puisque vous vous en pourrez retourner en diligence
avec ledict s' Colhert.

9.

A J.-B. Colbert.

D'Aix le 16 Mars 1660.

B. N.it. Bcilir^r 528, f° 157.

L'Abbé Bouti m'a firict voir avec grande douleur une lettre que vous lui
avez escrite, ne crovant pas avoir mérité un traitement sv rude apprès avoir
recherché avec zèle les moyens de paroistre vostre serviteur. Je lui av dict
que vous n'estiez pas accoustumé de vous emporter et que asseurément vous
deviez avoir raison de l'estre en ce rencontre ; il m'a répliqué que je pourrois
juger de son intention lorsque je voyerois la lettre qui faict son crime, et
comme il s'en va à Paris et y doibt travailler aux préparatifs de la comédie,
je vous prie de ne faire pas difficulté qu'il puisse connoistrc qu'il ne vous
reste rien dans le cœur contre luv.

26
BIBLIOGRAPHIE

Jvertisseiiiein : Nous excluons de la présente bibliographie les livres et les documents


que nous avons utilisés pour que les livrets et les
écrire V Introduction, ainsi
partitions d'opéras l'index alphabétique devant permettre de retrouver rapidement
;

la description et la cote des ouvrages dramatiques cités.


^

F RI: M Œ RI: PARTIE

SOURCES MA\'USCRITES

I. — Archives du Mixistéki-; des Affaires Ktraxgéres.

.\ . H. — Nous marquons d'un astcrisque les recueils les plus souvent cités.

Concipoihhuicc tliploiiiiiliijiic '.

Rome 75 (1640)-- 79, iio {164?)


74*, 75 (1641)—
Hi, 82* (164^) ~ ^
83*, 84, 83, 86 {1644) —
90 (164)) -- 94, 06, 98* (1646) 99*, —
102* {1(^47)^ 115 (iC^4'^) —
123 (i6)())'- i2y\. 126 (i6j4) ~ 136,
137', i38'-(/6;9) — 140* (1660) —
141, 142', 14-^(1661) -' 144(1662)
— 150(7^^2-/^^;)-- 1^1 {166 j-1664) — 182 (/6Vj7),

I . Les recueils de correspondance diplomatique se présentent sous l'aspect de gros


volumes in-fo où sont reliées, tantôt par ordre chronologique, tantôt pèle-méle, toutes

les lettres reçues d'un pays durant un trimestre, un semestre, une ou plusieurs années.
Il n'y a aucun classement et le même volume contient les documents les plus dispa-
rates. Aussi devons-nous renoncer à décrire ici les divers recueils dont nous nous
sommes servis. Nous nous bornons à en indiquer sommairement les dates, car les
indications du catalogue manuscrit sont souvent inexactes.
404 L*OPÉRA ITALIEN EN FRANCE

Toscane 4 {1644) — 5 (164/) — 6 {i64cj-i6)(>) — 8 (166^-1664).


Venisk 80* (i6)^-i66n).
Gènes 4 (1644-1646).
Bavière 2 (i64/-i6)ij).

Mémoires et Dociiiiiei/ls.

France 259 (1641). Lettres de Mazarin.


— 261 Lettres de Mazarin.
(^1646).
— 262 I1648). —
— 270 (16)4). —
— 273 (i6)6-)-j). —
— 280, 28i*(/6;y) --
— 849, 850, 852. Lettres de Gaudin Servien. — Divers (1644-165 à 9).
— 858. Affaire Sarasin (1647).
- — 908, 9'o, 912. Lettres de Colbert, de Barthet. — Divers — (1659-1661).
— 933. Secretairerie du Roi.
— 846, 848. Testamentde Louis XIIL Mémoires de Dubois. — Divers ('1643).
— 1594- Divers: Brevets,
Lettres, etc.

— 1834. CérémiiniaL
IL - BiBiiorHÈQUE Nationale [B. N.].

Manuscrits kuançais 9360. Correspondance d'Ouvrard.


— 1906). Deux de Musique de G.
traités Doni (1640). B.
— 10252. Secretairerie du Roi.
— 2208. Paroles de Musique, de Pierre Perrin.
— 7651. Journal des du Roi 660-1 700;.
bienfaits (i

— 24552-24357. Li\rets d'opéras, de ballets, etc.

Nouv. AcQ. I-R. 266. Pitt)ni. Nt)lizie dei contrappuntisti e compositori di

nuisica.
— 6204-5. Correspondance de G. \i. Doni et de Mersenne.
— - 21 1 13. Lettres adressées au Cardinal Antonio Barbernii.
Manuscrits Itai.it:xs 185 i. Ambassadeurs vénitiens.
— 2022. Ambassadeurs vénitiens.
— 1088. Livret de la Feriiida dédié à Mazarin (1647).
Cinq. Cents Colbert 106. Comptes royaux. Pièces diverses.
— 54. Etat de la Maison de Mademoiselle d'Orléans ('1652).

Papiers Baluze 328. Minutes de lettres de Mazarin.


332. Minutes de lettres de Colbert.
Manuscrits Dupuv 775. Lettre de Mazarin au Marquis de Pontenay (1647J.
Mélances Coi.iii'RT 52. B. Minutes des lettres de .\Lizarin (1659).
BIBLIOGRAPHIE 405

III. — Archives Natioxai.es.

K. K. 213. Comptes des Menus plaisirs (1664).


K. K. 355. Etat des receptes, dépenses... (1662-1700/
O. 17. Brevet deCompositeur de laMusique instrumentale pour Lulli (1653).
Z'-'' 523. Cour des Aides. Etat de la maison de Mademoiselle d'Orléans.

I\'. — Bibliothèque Mazarixe.

Mss. 2214 (1642-4)). Lettres françaises de Ma/.arin.


— 2215 (164^- J2J. —
— 2216 (l6j2-^^).
— 2217 (1642-4)). Lettres italiennes de Mazarin.
— 2218 (16) i-)-^). —

y. — Bibliothèque \'ictor Cousin.


Mss. 57. Copie des carnets de Mazarin.

VI. — Bibliothèque de la Chambre des Députés.

Mss. 340. Lettres de naturalité pour Atto .Melani.

VIL — Bibliothèque des Beaux-Arts.


Mss. 401. Journal de J. L Bouchard.

\'1II. — Bibliothèque de Tours.


Mss. 822-823. René Ouvrard. /.(/ Musique rctahlic depuis sou orii^'iue et l'his-

toire (les progrès qui s'y sont faits jusqu'à notre temps.

IX. — R. Archivio di Stato di Firexze.

Mediceo 5425, 5453, 5435, 5442. Lettres d'Atto Melani.


— 4651-4662. Correspondance des résidents florentins à Paris (Barducci,
Bonsi et Marucelli) avec leur gouvernement fi 646-1 662).
-
— 5312, 5463. Lettres de Mazarin.
4o6 l'opéra italien en frange

Mediceo 5593. Lettres du prince Léopold.


-
— 5573 "^^ Correspondance du résident Barducci avec le prince Léopold

(1646).
— roo6. Correspondance du Grand Duc Ferdinand IIL

X. — R. Archivio di Stato di Ve\e;^ia.

Senato m. Sfcicla F. a. Ambassadeurs vénitiens.


Francia. Filza 126. Correspondance diplomatique (1660).
ScuoLA GRANDE DI San Marco. Husta i(S(S. Lettres de Cavalli.

XL — R. Archivio di Stato di Tokino.

Lettere Ministri. traiicia. Mazzo 48. Lettres du résident Scaglia.


Lettere particoi.ari. Baroiii. Lettres de la Signora Leonora Baroni.
— Mchvii. Lettres d'Atto Melani.

XII. — R. Archivio di Mantova (Archivio Storico Gonzaga).

Hsterni. Francia 685. (Divcrù 1636-1658^. Lettres de Tagliavacca.


— 1653 Lettres d'Atto Melani.
— Francia 679-680 (1645-1647). Lettres du Résident Priardi.

685 (1659) —
— Roma 1040 (1646). Lettres du Résident G. A. Piazza.
— Firenze(i65 3). Lettre du cardinal Gian. Carlo Medici au duc de Mantoue.

XIII. — R. Archivio di Stato di Modena.

MusiCA. Cantori e Suonatori. - ~ Baroiii. Lettres de la Sig''-' Leonora Baroni.


— Leopanli. Lettres.

Francia. Anihasciatori {16^4). Lettres du résident Frcole Manzieri.


— : —
(Filza 109). Correspondance de \"enanzio Leopardi.
— (Filza 122). Lettres de Lodovico \'igarani.
Architetti B*' 2^ Lettres de Carlo Vigarani.

XIV. — R. Archivio di Stato di Parma.

CarIeggio Farnesiano. Miisiii c Tcaho. Lettre ducomédien Butletto (1645).


— Francia. 1644-1684. Lettre du résident à Paris, M. de X'illeré.
BIBLIOGRAPHIE 4O7

X\'. — R. Archivio di Stato di Napoli.

Carte farnesiane. Fuscio ic)o et fascio /y/, f" 4°. Lettres de Torelli et Balbi

(1645-1647).
— Fascio icji. Lettres des comédiens Carlo Cantù, Pietro Paolo Leoui, Giulia
Gabrielli, etc.

X\'L — Archives du Vatican.


NuxziATURA DI Fkanxia 93 (1646). Lettres écrites au Pape par le Nonce.
— 93 (1647)-
— ~
— 108 (1654). — —
* — 117 (1660). — —
XVII. BiBIOTHÈaUE DU \'aTICAX.

Archivio Barrerixi. RitoU dcoH salarii ci coiiipaiiatici dcUa Jaiiii^lia dcl-


l'Eiiimo Canl'^ A)ito)iio Barhcriiii.

Cappella Sistina : Diari 62.


Barb. lat. 8806. Lettres du Cardinal Antonio Barberini (1646^.
— 8044. Lettres de Ferragalli Mazarin. à
— 8043. Lettres de Mazarin Antonio Barberini (1647).
à

Archives de la Cathédrale de Pistoia.

Duplicati de' battezzatti. Filza 1620- 1628. V. n° 16. Actes de baptême des
Melani (Jifo, Jacopo).
— Filza 1628-1639. Z. n° 17. Actes de baptême des Melani {Frau" Maria,
Bartolomeo, Alcssandro).

British Muséum.

Add. 30491. Lihro di can~^oni fraucesi del Sigiior Giovanni Deinaqque. Recueil
de pièces d'orgue et de clavecin avant appartenu à Luigi Rossi et
portant de curieuses notes autographes du maître napolitain.
4o8 l'opéra italien en frange

DEUXIEME PARTIE

SOURCES IMPRIMEES

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in Veue\ia dal i^^jS al iJ<)J. \'cnezia, 18)4-1855 (2 vol. in-8").

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Chantelou. Journal du Cavalier Bernin. lulit. Ealanne. Paris, 1885 (in-8").
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Moland (Tome \'I1).

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La Vallière. Ballets, opéra et autres ouvrages lyriques. Paris, MDCCLX (in-8").
Lecerf de la Viéville. Comparaison de la Musique italienne et de la Musique
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Lefèvre d'Ormesson (Olivier). Journal. Edit. Chéruel (2 vol. in-80). (Coll.
de documents inédits sur l'Histoire de France).
Loret. MiCyP- historique. Edit. Livet et Ravenel (4 vol. in-4").

Mandosio. Bibliotheca Ronuma. Rouku, MDCXCII.


Marolles (Michel de). Ménudres. Amsterdam, MDCCLX (3 vol. in-12).

Maugars. Response faite à un curieux sur le sentiment de la Musique d'Italie.

Edit. Thoinan. Paris, 1865 (in-8").


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Menagiana. Paris, 1715 (Tome I\').
Ménestrier. Des représentationsen musique. Paris, René Guignard, MDCLXXXI.
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Montglat. Mémoires. Edit. Michaud.
Montpensier (M*="^). Mémoires. Edit. Chéruel (Tome I).

Motteville (Madame de). Mémoires. Edit. Riaux.

Naudé. Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le Cardinal Ma:{arin. Paris,
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Perrault. Ménudres de ma vie. Edit. Bonnefon. Paris. 1908 (in-8°).
410 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

PcTi'in. Les Œuvres de Poésie de M'' Pcrriii, coule iiaiil les Jeux de Poésie, Diverses

poésies giihnites. Des paroles de uiusiijue. Paris, Lovson, 1661.


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(in-12).

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(2 vol. in-4").

Sabbattini. Pratica di fahricar scène e luacbiiw ne' tcatri. Ravenna 1658 (in-4").

Saint-Hvremond. Œuvres. Londres, 171 1 (Tomes III et V).


Sauvai. Histoire... des Antiquités de la Villede Paris. Paris, 1724 (3 voh in-fol.).

Scarroii. Recueil des épitrcs eu vers burlesques de Af'' Scarrou et d'autres autheurs

sur ce qui s\'st passé de plus remarquable eu l'année 16^). Paris, i6 56(in-4").
ScLldery (M'^"'^ de). Le grand Cyrus (Tome V).
Clément Marot Monsieur De ***, tombant
Senecé (De). Lettre de à ce

qui s'est passé ti l'arrivée de J.-B. de Lulli, aux Chanips-Elisées. Cologne,


MDCLXXXVII (in-12).
Tallemant des Réaux. Historiettes, publ. par Monmerqué. 3^ édit. Garnier
(10 vol. in-12).

\'a]le(Pietro délia). Délia Musica delF ctà iu)stra che non è punto liiferiore awj è
migliore di quella delP età passata. (Dans la L\ra Harberina de G.-B. Doni.
Tome II, p. 249).
\'oiture. Œuvres. Paris, Courbé, MDCL (in-40).

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— Un campanaio e la sua fainiglia. FakfULla dei.la Domexica, n" 52,
année 1883.
— La Leonora di Milto)i. Opixioxe, n»^ 227, 232 (1879).
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Prunières (Henry). Lully, Paris, Laurens, i9io(in-8").


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— Notes sur la vie de Luigi Rossi. Sammelbande der I. M. G. (i9io)-XII
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in-8°).

Wiel (Taddeo). / Codici imisicall contariniaiii dcl sec. XVll iiella R. Bibl. di S.
Marco, Venezia, 1888.
— Franccsco Cavalli. The Musical Antiquarv, 191 2 (octobre).
Wotquenne (Alfred). Etude bibliographique sur le compositeur luipolitaiii Luigi
Rossi, Bruxelles, 1909 (in-8").
— Catalogue de la Bibliothèque du Conservatoire Royal de Musique de Bruxelles,
Bruxelles, 1898-1901.
— Libretfi d'opéras et d'oratorios italiens du xviF siècle, 1901 (in-4"). [Annexe
au catalogue].
INDEX ALPHABÉTIQUE

AVERTISSEMENT
Les titres d'ouvrages dramatiques sont imprimés en italique.
Les noms de théâtres en petites majuscules, les surnoms de comédiens en caractères
espacés.
Les auteurs cités en référence ne figurent pas dans le présent index.
Les noms de musiciens compositeurs, chanteurs, instrumentistes,
: etc.. sont précédés
d'un astérisque.

Acciajoli (Filippo), 17. Amours du Soleil, 332.

Achehtr, roi du Mogol , 355. Andreini (Francesco), xxx\


* Adami da Bolsena, 92, 227. Andreini (Giambattista), XXXVI-XLII,
* Ademollo, VII, viii, 7, 8, 33, 62, 98, 8, 66, 67, 74, 73, 113, 129-130.
133. 147- Andreini (Isabella), xxxvi.
* Andreini (Virginia), xxxvir.
Adler (Guido), 174.
Ailouc, 32. Andromeda, i, 52.
* Adriana, 40. Aiuhomcdc, 104, 146, 324, 323, 327, 328,
Agra, 71. 33O; 333' 534' 3)4-
Akeste, 366. Andromcde et Persée, 326.

Akidiauc, 183, 205-207, 211. * Angela (Sigra), 178, 179, 180, 240.

Aldobrandino, cardinal, 3, 9. Angoulême (M*; d'), 276.

Alençon (M'ied'), 281. Anjou (Philippe, duc d'), 106, 113, 193,
Alessandro Carlo, prince de Pologne, 1 1 217, 246. Cf. Orléans (Philippe d').

12. Anne d'Autriche, XLii, 47, 48, 54, 56, 37,


* Alissan, 207. 60, 64-68, 71, 72, 74, 77-83, 90 94, 99-
Altieri, Teatro, i 107, 109-113, 118, 130-139, 144, 146,
Amalteo, 170, 183. 148, 130, 131, 160, 162, 173, 187, 192,
Aiiitiilis, 329. 194, 193, 203, 213, 233, 243, 246, 262,
Aiiuiiits iiuigiiifiqiies, 531, 332, 3^9, 361. 279, 307, 324-326, 365.
* Amati, xvi. *
Ansalone. Cf. Assalone.
Ameyden, 8, 36.
* Aquila (Marco delF), xvii.
AniÏHta, XLii, 340. Aretino (Pietro), xviii.
Aiiior Miihito, 198-205. Aretusa, xliii, 4, 7, 38.

A ni or nello speccbio, xxxix. * Argeuti (Bonaventura), 56, 37.


Amours d'ApoUoii et de Dapbiié, 333-339. Ariaua, xxxvil, XL, i.

Amours déguisés, 309. Ariane et Bacchus, 348.


Amours de Jupiter et de Sémclt_ 331. Armanio, 219.
4i6 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

A nu nia, 52. Barthet, 234, 235.


Annide, 529. * Bartolonieo da Firenze, xiv.
* Arpa (Marco (JelT). Cf. Mara/./oli. Bartolommei (Girol.), 113.
* Arpa (Orazio dell'), 23, 46. * Bartolotti (Angelo Michèle), 277-278,
Ails {Ballet des), 307, 308, 355. 310-313, 319.
* Assalonc, 233, 257, 264, 283. * Bartollotti (Margarita), 74, 277.
* Bassani, 16.
.-//_)'5, 329. 3

Aubevillc (D'), 276. * Bataille (Gabriel), xxvi, xxxiii.

Augc-CIiiquet, xxii. Bavière, Duc de. Cf. Ferdinand-Marie.


Aurclla (S^^), 66, 67. * Beauchamp, 195, 204, 258, 269.
Aurcli (Aurclio), 366. Beauchamps, x, 333, 338, 339.
* Beaujoyeulx, XXIV-XXV.
* Bacilly (Bénigne de). xi.i\-, 96, 20(S. Beaulieu (Mlle de), xxxvi.
Bagnera (Ant.). 320. *Beaumont, 168.
Bagni, nonce, 102, iii, 132, 161. Beaumont de Péréfixe, 112.

Baïf, XVIII, XIX, XXII, xxiii, xxvi. Bellegarde. Duc de, xxvii.

Bailly de Valençay, 138, 179. BeUerofoiite, 33,68, 75.


Balbi (G. B.), 68-75, 7), 79, 127. Benedetti (Elpidio), 24, 39, 47-51, 36 , 59,
Baldini, 46. 60,63, ^^^> 90"93) 9'^' 157» 173. 177,
Baldinotti (Jacopo), 176. 179, 180, 240-243, 247, 264, 273- 277.
* Ballard (/(;//////(), xviii,62, 170, 199, 282, Benigni, 46.

319, 344- Benserade, 171, 200, 206, 234, 261, 263,


* Ballerini (Eleonora), 275, 278, 281, 306. 282, 287, 308, 349, 337.
Ballet comique de la Relue, xxiv-xxv. Bentivoglio, abbé, 310.
Ballet du Duc d'Hu^hleii, 79, 9), 104. Bentivoglio. marquis, 39, 32, 91, 92, 93,
* Balta/.arini. CA'. Beaujo\-culx. 99.
* Bandini, 21, 71 Berardi, 133.
* Baptiste. Cf. Lulli. * Bergerotti (Anna), 181-183, 186-187, 195,
Barberini (/<(//////('), Ni.iv, 7-8, 12, 14, 84, 193-196,207-208, 211, 234-235, 256-
8j, 106, i,:i7. 363. 258, 264-263, 278, 306, 309, 311- 312,
Barberini (.\ntonio), cardinal, 7-11, 24 27, 518, 363.
* Bergerotti ((^arlo Andréa), 311.
31, 39, .12,43, 4j, .17, .i9-)2, )4, 59,

68.82,84-91, q-], 95, 104, 11)6, 130, '


Ik'rnabei (G. F.), 173.
135, 146, I-I7, ')', >)3, 1)1. '37' Bernini, 11, 17, 20, 27, 96, 116, ;o2,

172-176. 241, 313. 310.


Barberini (Francesco), 7, 8. 41, )i, 83. 13errier, 239.
]5arberini(Mafieo). Cf. Urbain Mil. * Berthod, 34, 193.
Barberini (Taddeo), Don, 7, 39, 47, 48, 13ertolotti, 183-183.
8), 92> I39- Bevilacqua, xxxvi, xxxix, XLii.
* Bardi, xxiii, 2, 30. Beys (Charles de), 63, 339, 341, 343,
Bardiicci, résident de l'oscane, 81 , 82, 84, 345, 349-
93, 102, 104, 106, III, 132,159, 161, * Bianchi (Fran"), 25, 27.
162, 195. Bianchi (Giul. Cesare), 66, 74.
Baron, 14. * Bianchi (Gins.), 47, 56, 63, 91, 92, 169.
* Baroni (Léonora), XLVii, 15, 23, 39, 40- 13ianchi (C), 67.
42. 51-57, 60, 63, 65, 88, 96, 97, 144, 13ianchi (Vinc), 31.
143, 178, 320. Bibbiena, xx.
Barradas (M<-- de), xi.iii. 15ichi, cardinal. 30, 36, 63, 333.
IXDEX ALPHABETIQUE 4^7
Bienvenus (Ballet des), 194. Burtio (Giulio Cesare), 38.
* Boccalini (Francesco), 46, 178, 179, 242, Busenello, 34, 33, 289.
276-278, 506. Burv, Comte de, 89.
* Boesset (Antoine), xxvi, xxxiii, xlv, 96, Buti (Francesco), xxxvii, 31, 46, 79, 83,
556, 368, 369. 94-96, 99, 104, H4-120, 130, 133,
* Boesset (Jean-Baptiste), 194, 205, 207, 136, 151, 133, 134, 156, 159, 164, 166,
268, 503, 343, 348, 362. 170, 171, 189, 195, 200, 201, 204, 203,
Boileau, 115. 213, 213-218, 221-228, 230-234, 236-
Boncompagno (Mgr), 248. 241, 243-246, 249, 261, 264, 267,
* Bonelli (Camilla), 232. 273, 282-290, 296, 300-302, 310, 324,
* Bonelli (Gian Paolo), 229, 232, 233. 3)^> 363-366.
Bonghi (G.-B.), 87.
Bouini (Severo), 23. * Caccini (Francesca), xxx, xxxi.
* Bonnières (Alexandre de), xxxv. * Caccini (Giulio), xxvi, xxvii, XXVIII-
* Bononcini, 363. XXXIV, XLII, XLV, 3, 4, 3.

Bonsi, résid. de Toscane, 200, * Caccini (Margherita), xxx.


202, 205,
204, 254. * Caccini (Pompeo), xxxi, 4.

Bontemps, 160. * Caccini (Settimia), xxx.'


* Bordigone (Paolo). 236, 258, 264, 278, Cadnius, 169.
306, 310, 311. Cadnius et Herniione, 264, 362, 363, 367.
*Bordoni (Sig"), 273, 278, 306. Cafti, 33.

Borghese (Camilla Orsini), 22. Calandra, XX-XXII.


Borghese, cardinal, * Calegari (Giov), 251.
2, 4, 7.

Borghese (Marc' Antonio), 22. Calisto, 36.


Bouchard (J. ].), 7, 1 1. Camassei, 1 3.

Bourbon (Henri de), 79.


* Cambefort, 43, 47, 168, 169, 194, 268,
Bourgeois Gentilhomme, 264, 308, 359. 343) 355-3)7» y^"^-
Boyer, 328, 331, 352, 364. * Cambert, XL\-, 211, 317, 320, 332, 343-
Bracciano, Duc de, 57, 58. 345, 347, 349> 350, 552, 3)3, 336, 338-
Bracesco (Virgilio), xxiv. 362, 369.
Brachet, 92. Cametti, 21, 23, 24, 89, 98, 143.
Bradan/ante, 232. Camillo, 67-68.
Brancaccio, cardinal, 20. Campardon, 67.
Brantôme, xxi, xxiv. *Campra, XLvi, 274.
Brécourt, 330. C.WAL Regio, Teatro di, i.

Brenet (Michel), xviii. * Canonna (Francesco da), x\ii.


Brienne, 39, 40. Cantù (Carlo), 66, 67, 69, 70, 80.
Brighella, 66, 67, 82. Capitan Rinoceronte, xxxviii.
Brissac (de,), xv. Caproli (Antonio), 173.
* Brossard, XLiii, Caproli (Carlo), vu,
313, 316. *
30, 46, 95, ici,
* Bruni (Pier Francesco Caletti), Cf. Ca- 152-154, 137, 138, 164, 169-173, 208,
valli. 289, 292, 297.
Buffano, Marquis de, 91. * Caproli (Jacopo), 133, 173.
Buffequin (Denis), 323. *
Caproli (Vittoria). 1^2. 168, 171. 172,
Buftequin (Georges), 323. 175-
Buffeto. Cf. Cantù Carlo. Cardelin, 333.
Buraggi (Gian Carlo), xi, 348. Cardon, 93.
Burnev, 16, 123. Carignan, Princesse de, 81.
4ii LOFERA ITALIEN EN LRANCE

* Carissiiiii, xlv, 17-19, 29-31,46, 125, Chavigny, 248.


153,169,192,211, 242, 274, 313-317, Checchini, xi.
Chiabrera, xxvii, 3, 120.
367.
* Chiarini,
Carnaval (Le), 308. 257, 264, 278, 306, 310, 311.
* Caron, 207. Chiesa (Délia), xxxvi.

Carro di fedeltà (fJniore, i). CM sofre speri, 14,43.


Cassa II dre(B. de), 354. Chouquet, vu, vin.
Castellani (Giiilio, 41, 51. Christine de Suède, 46, 57, 186, 205,
* Castclli (Ottaviano), 24, 2j, 26, 27, 278, 306.
Christoforo (Don), 280.
43, 46.
Castil-Blazc, vu, vin. Cicognini, 34, 250, 289.

Catena d'Adoiie, 5-6, 7, 159, 363? S^)'- Cillé. Cf. Biillel comique de lu Reine.

Catherine de Medicis, xv, xxi, xxii, xxiv, Claude, Maître, 109.

217. Clément, vu.


Cavagna, 245.
* Clément, 207.
* Cavalière (Emilio del), xxvi, xxxii, 2. Clément IX. Cf. Rospigliosi (Giulio).
* Cavalli (Francesco). vu, xi, xlv, 16, Clinchamp (Pierre), 304.

21, 23, 27, 33-36, Xi, <S3, 95, 120, Colbert, 214-217, 228, 233, 235, 236, 238,

126, 127, 133, 177, i<So, 211, 215, 222- 239,248, 269, 276,301, 302, 307, 346.
232, 236-238, 241, 243, 244, 251, Colletet, 46.

253, 256, 257-260, 263, 26), 274, 275, * Colonna, 316.


277, 279, 284, 288-293, 295, 298, 300, Colonna, cardinal, 88, 92, 180.
301, 303-306, 316, 317, 352, 363, 366- Colonna, connétable, 38, 59, 139.

368. Colonna (Anna), Donna, 7, 39.


Cavallo, padre, 2 1 Colonna (Marie). Cf. Mancini (iMarie).
* Cazzati, 316. Comédie de cijaiisoiis, ^59.
* Cecchelli (Carlo), 242, 276. Comédie de Proverbes, 339.
* Cecchini, 43. Comédie sans Comédie, 328.
Cenami, 1 56. Concini, xxxi.
CeiiUttiia, xxxvii, xxxviii, XXXIX-XLII,8. Condé, Prince de, 82, ici, 103, 106,
Cerere, XL. 282. Cf. Enghieii, Duc d\
Ceiere racconsolata, 115. Conrart, 1 50, 325.
* Certon (Pierre), xix. (à)ntarini, 185.

Cesareo, 16, 21. Conti, Prince de, 156.


* * Corbetti (Francesco), 196.
Cesti, 17, 21, 29, 30, 35, 169, 226, 227,

274, 317. Corbinelli, 185.


* Cornachioli,
Chabut, 207. 7, 170.
Chacun jail le iiieslier d'aiilriiy, 244. Corneille (Pierre), 104, 116, 142, 146,
* Champaigne (Augustin), xi\'. 297, 324-328, 330, 3 54-
Chantelou (de), 246, 302, 310. Corneille (Thomas), 360.
* Corregio (Claudio da), 22.
Chapelain, i

Chapoton, 322, 323, 324. Corsini (Ottavio), XLiii, 4.


Charles VIII, xiv. * Costa (Anna Francesca), 60, 61, 63, 65,
Charles IX, xxiv. 81, 82, 91, 93, 94, 99, 106, 138, 139.
Charles-Quint, xvii. * Costa (Margherita), 114, 130, 133, 136,
* Charpentier (Marc-Antoine), 17, 315,316. 138,139.
Charost, 132. Costar, 76.
Chaulnes (de), 303. * Costeley, xix.
INDEX ALPHABETIQUE 419
* Coulon, 168. * Dumanoir, 198.
* CoLipcrin, 202. * Du Mont (Henry), xlv, 355.
Coypel, 105. Duneau, 242, 248, 249.
Cramail, Comte de, 539. Duo Leli simili, Li, xxxix.
Crémieux, xi. * Dupuys (Hilaire), 96, 181, 183, 192,
Créquv, Maréchal df, XLiv, 276, 307. 208, 211, 275, 278, 310.
Cristoforo da Piaceuza, xiv. Ecorchevillc, 127, 171, 198, 318, 327.
Egisto, 35, 36, 81-84, 259, 289, 293, 337.
Du/ne, XXVII, XL, 3. Ehrle, x.
* Dalbi, XVI. Eitner, 273.
Daphiic, 362. Elisabeth d'Angleterre, xxxi.
* Darlione, xv. Embrun, Archevêque de, 228-230.
* Dascoli (Auriallio ?j, xvi. *Emmanuel, 207.
* Dassoucy, 98, 133,315, 328,333-340, Enghien, Duc d', 78, 79, 81. Cf. Condé.
344, 349> 369- Ercole Amante, vu, viii, 80, 95, 180, 200,
* Dauvergne, 338. 219, 231, 232, 236, 258, 241-243, 245,
Delavigne (V. et M.), 330. 251, 235, 260, 261, 275, 277. 280-306,
* Delfîno (CfsareJ, xv. 309, 320, 324, 349, 3)2, 360, 364-366.
* Delfinone (Batesta), xv, xxxv. Ercole in Lidia, 34.
* Delfinone (Pierluigi), xxxv. Ercole in Tehe, 64, 140, 273, 283.
* Delinet (Nicolas), xvi. Erniinia sul Giordano, 12-13, 43, 45, 363.
Délivrance de Renaud, 127. Errard (Charles), 103, iii.
Delsarte, 350. Espinas, xii.
Dent, XI, 21. Este, cardinal d', 68, 88, 138, 139, 318.
Dérèglement des Passions, 354. Este (Alphonse IV), 91, 92, 94, 99, 103,
Descartes, i. 113, 131, 136, 137, 159, 182, 192, 194,
Descente d'Orphée aux Enfers, 3 22- 3 24. 202.
Desfontaines, 143. Este (Francesco II), 217, 236, 230, 255,
* Destouches, xlvi, 274. 279, 304, 318.
Diana. Cf. Gabrielli (Giulia). Este (Hippolyte d'), xx.
Diana schernita, 7. 8, 170. Estrée (la Maréchale d'), 248.
Diane de Poitiers, xx. Eunielio, 2.
Didone, 33, 36. Euridice, xxvii, xxviii.
Diobono (Porapeo), xv, xxiv. Evelyn (John), 15, 20, 29, 34, 150, 354.
* Dispendriteno, xv. Expert (Henry), xii, xviii, xxii.
Dodge (Janet), xix.
* Domenico, 56, 57, 63. Fabri (Alessandro), 60.
* Domenico da Lucca, xv. Fâcheux (Les), 269, 358.
* Dominichino, 91, 92, ici, 137. Ealcone, 43.
Doni (G. B.), xliii, 4, 23, 84. Farnese (Odoardo), 7, 36, 67-82, 85.
Dori {La), iij. Farnese (Ranuce II), 112.
Doriclea (La), 260, 290. Faustini, 54, 83,84, 289, 305.
Doucet (Jacques), 20. * Favalli, 320.
Drei, xi. Fedeli, comédiens, xxxvii, xxxviii, xm.
Dubois, 45. Felibien, 130, 523, 331.
Dubuisson-Aubenay, 324, 32). * Felice da Trcviso, 91.
* Du Caurroy, xxiii.
Ferdinand III, empereur, 188.
Dulaurens, 350. Ferdinand-Charles, archiduc, 227.
420 L OPERA ITALIEN EX FRANCE

Ferdinand-Marie, duc de Bavière, 177, 245. Gasperini, xi.


* Ferdinant, 45. Gaudin, 33-33, 61, 78.
Ferinda, XXXIX-XL, XLii, 129. Gaufredi, marquis, 66, 69, 70.
Ferragalli, 12. * Gautier, 319.
* Ferrari, Gelosi, comédiens, xxxv, xxxvii.
1, 52, 34.
Festi (Fulvio), 65. Georges Daiidiii, 530, 361.
Fêtes lie r Amour el de Bi.icchiis, 332. * Gesualdo, XLV, 21, 22, 97.
Fêles de Baccbiis (B. des), 198, 334. * Ghigof (Filiberto), 168, 169.
Fétis, 520. Giarres, Commandeur de, 93, 94, 106.
Filangieri, comte Riccardo, xi. Giasone, 231, 260, 291.
Finld P<(^,i/, VIII, XXXVII, 33, 61, 62, 68, * Gigault, 192, 207.
70, 73. 74, 75' 76, 77, 79. 80, 104, Giglio (Vincen/.o del), 23.
114, 129, 149, 203, 240, 334. (iiraud, 103.
Finta Savia, 240. Gissey (Henry de), 304.
Flora (la), 8. * Giuseppe. Cf. Bianchi (Gius).
Flore (Ballet de), 337. * Giuseppe da Torino, 168.
Florinda (La), xxxviii. Giuseppe Figlio di Giacobbe, 5 1

* Foliman (Marc), 311. Giustiniani, 46.


Fonsampierre, 229. Giutti da Ferrara, 12.
Fontenav, marquis de, 52, 33, 158. * Gluck, XLVi, 291, 369.
* Fôrster, 169. * Gobert, xlv, 97.
Fossard, 236. Godeau, 43.
Fouquet, 213, 244, 269-272, 337. Goldschmidt, viil, 116, 124,293.
F'ourcv, 73. Gonzaga (Carlo II), 64, 183-183, 187-188,
* Fournel (Victor), 321, 328, 332. 214-221, 244.
* Franceschino Romano, 91. Gonzaga (Francesco), xxxvii.
* Francesco da Birago, xiv. Gonzaga (Viucenzo), xxxiv.
* Francesco da Cremona, xiv. Goulas, 139, 142.
* Francesco da Milano, xvi. * Gouv (Jacques de), 181.
Franchini, xi. Gramont, maréchal de, 103, iio, 114,
Francini, 296. 182, 188, 278, 3 10, 312.
François F^, xiv, xvii. * Grenerin, 207.
Frangipane, xxx\". Gremonvillc, 127.
Fraschetti, 11, 27. * Grétrv, 338.
* Frescobaldi, xl\-, xlvii, 39. Grimaldi, cardinal, 90, 94.
* Froberger, 182. (jrimani, 233, 236, 280, 303, 306.
Grimano, Teatro, 232.
* Gabrieli, 22. Grotte de Versailles, 331.
* Gabrielli ((jiulia), 67, 69, 74, 82. * Guédron, xxvi, xxviii, xlv, 333.
* Gagliano, xxviii, xxxii, 8-10. Guefiîer, 133.
5, 3,

Galanterie du Temps, 193, 196. Guerchin, 24.


(nihilea, 4,45, 363. (iuise. Chevalier de, 86, 191.

Galin (J. P.), xxiv. Guise, Duc de, 204, 205, 267.
Galles, Prince de, 93, loi.
Gallicano, Duc de, 92. * Haendel, 122.
Gandolfi, xi, xxx. Harlequin. Cl. Martinelli.
Garopoli, 134. Haro (Luis de), 221, 234, 236.
* Gaspar, xv. *
lledouin, 168.
INDEX ALPHABETIQUE 421

Hennery (d'), surintendant, 143, 524, 325. * La Guerre, 211, 339, 340, 343, 344,
Henri II, xvii, xx, xxii. 347' 552, 356.
Henri III, xxiv. Lalanne, xv.
Henri IV, xxvii à xxxn, xxxv. La Laurencie, 251.
Henriette d'Angleterre, 246, 305. * L'AUeman, 168.
Henriette de France, Si, 95, 131, 169, * Lambert (Michel), xliv, xlv, 54, 96,
246. 181, 192, 194, 207, 303, 307, 308, 317,
Hesselin, 167, 307, 325. 343, 352, 356.
* Hilaire (M'ie). Cf. Dupuys (Hilaire). La Meilleray, Duc de, 271.
*Hotman, 519. Lancellotti, Cardinal, 3.

Huygens (Christian), 254, 258, 262, 310. * Landi (Stefano), 2-3, 10-11, 19. 31, 32,

Huygens (Constantin), 97, 98, 182, 278, 84, 124.


311, 312, 318. La Porte (De), 206.
La Vallière, Duc de, 333, 338.
*
IJvIle de Sceaux, 351. La Varenne (Mlle), 96, 181, 182, 183.
*
* Imola (Antonio d'), 168, 169. 170. Lazzarini, 193.
Impatience (Ballet deV), 245, 262-265, 266. Lebrun, 270.
Ingrate (Ballo dellej, xxxvii. * Le Camus, 317.
Innocent X, 31, 54, 55, 59, 65,84, 85, Lecerfdela Vieville, 17, 191, 315. 316,
152, 176. 363.
Ipermnestra, 275. * Le Febvre, 207.
* Isabel, senora, xxxi. Lefèvre d'Ormesson, 75, 76, 106, 131,
* Itier, 132, 143, 324, 325.
264.
* Legrenzi, 316,
*
Ja (Carlo da), xv.
* Le Gris, 207.
Jacques I^r, xlvi. * Le Gros, 181, 211.
Jaloux Invisible {Le), 350. * Le Jeune (Claude), xix. xxii, xxiii,
*
Janequin, xix, xxiii, 368. XXVI.
Jodelle, xxn. * Le Loraiu, 168.
Joli (Gu\-), 141. Leoni(Pietro-Paoloi, 67, 69.
* Leonora (La). Cf. Baroni.
* Kapsberger (Joh. Hieronynius), 39.
* Leopardi(Venanzio), 91, 92,94, 99, 100,
* Kerl (Johann Kaspar), 177, 243. 103, II 130, 136-138.
3,

Kôchel, 232. * Le Rov (Adrien), xviii, xix.

Kretzschmar, 26, 227. 283, 290, 305. Leva (Gennaro de), xi.
*Le Vacher, 258.
* Kuhnau, 44.
Le Vau, 216.
*
* La Barre (Anne de), 96, 181, 196, 207, Le Verd, 168.
208, 209, 211,275, 278, 340. Levi (Gino), xi.
* La Barre (Pierre de), 339. Levi-Malvano, xi.
* La Barre l'Aisne fde), 207 Lezeau, 325.
* La Barre le Cadet (de), 207, 258 (?), Lihera:{^ione di Ruggiero, xxx.
264 (?). Lilli (Camillo), 282.
La Bella (Del), 149. Linas, Marquis de, 234.
La Croix (De), 314. Lionne (De), 27, 69-72, 80, 89, 173, 180,
La Fayette (M^ de), 301. 188, 243, 244, 248, 264, 272, 273, 275,
La Fontaine, 145, 270, 274, 362. 276, 278, 301, 302, 307, 310, 320.
*
La Grange, 214. Locatelli (Gabriella), 74.
422 L OPHRA ITALIEN' EX FRANCE

Longuevillc, Duc de, iSS. Mancini (Marie), 235, 264, 271.


Longueville (Me de), xi.iii, 132. Mandosio, 200.
*Lorenzani (Paolo), 317, 320. Manfroni (Anna Maria), 24.
Loret, \-iii, 154, 158-162, 167, 181, 182, ''

Mannelli, i, 32, 123.

185, 193, 196, 203-203, 207, 246, 2)2, Mantica, xi, 2.

253, 263, 264, 266, 279, 299. 300, 310, Mantoue, Ducs de. Cf. Gonzaga.
331, 340, 347, 354- Manzieri, rés. de Modéne, 159, 281.
Lorraine (Cardinal de), xiv. Makais, Théâtre du, 321-324, 326, 328,
Lorraine (Roger de). CÂ. Guise, Chevalier 3^9. 365.
de. * Marazzoli (Marco), 14, 25-27, 30, 43, 46-
Lotti (Giovanni), 24, 1)7. 50, 56, 63, 64, 84, 88, 89, 91, 106, 120,
Louis XIII, xxxxiii, XLiv, 4), 47, 4(S, ')3-
66, 194, 197, 333, 353. Marchaccione (Gasparo), 153.
Louis XIV, XLiv, 37, 61, 73, 74, 81, loi, * Marc' Antonio detto il Bolognese, 91,
106, IIO, III, 113, 131, 137, 143, I )0, 92, loi, 1 36, 1 37.
1)2, 1)7-1)9, 161-164, 167, 175, 180, Mariage de Bacchns et d'Ariane, 332.
181, 183, 193, 195,, 196, 199, 202, 203, Mariage Forcé, 264, 308, 310.
205, 206, 213, 221, 229, 234, 233, 244- Miuiiioc d'Orphée. Cf. Descente d'Orphée.
246, 251, 253, 268, 272, 273, 281, 303- Marie-Thérèse, 230, 235, 245, 246, 248,
303, 307, 317, 323, 326. 249, 2)), 261, 262, 279, 307.
Louvre, Salle du, 198. Marie de Médicis, xxviii-xxxii, xxxviii,
Lubiani, 170. XLII.

Ludovisio, Prince, 152, 134, 157, 172. Marie Stuart, xxiv.


* Lugharo (Gio. Maria), xxxiv. Mari no, 6, 23.
* Luigi. Cf. Rossi (Luigi). MaroUes, 167, 204, 353.
* Lulli (Giambattista) viii, ix, xx, XLVi, Marot (Clément), xviii, xxiii.
27, 36, 86, 124, 167, 181-184, 190,191- .Marsan, 322.

212, 247, 2)1, 2)4, 256-261, 263-263, * Martin, XLV.


* Martin, 343.
268-270, 274, 291, 293, 2^)^, 296, 300,
* Martinelli (Caterinuccia), xxxvii.
303,306,307-310, 313-317, 319, -l".
545,347-352, 333, 355^356-369. Martinelli (Tristano), xxxv, xxxviii.
Lulli (Loren/.o), 191. '
Martini (Rosina), 91, 99, 139.
Luzio (Alessandro), xi. Martinozzi (Laure), 185, 194,214.
* Luzzaschi (Luzzasco), 22. Marucelli, rés. de Toscane, 280, 281.
'
Masone da Milano, xi\'.

Macedo, Rév. Père, 114. Mathieu, abbé, 3 16.

Machines (BliIIi'I tics), 114. .Maucroix, 270.


* Macque (Jean de), 21, 22. Mauduit (Jacques), xxiii, xxvi, xxxiii.
MadaJcna, XaXVIIi, xxxix. *
Maugars (André), xlvi, xlvii, 22, 41,
Madame. Cf. Henriette d'Angleterre. 46."

Madame Royale, (^f. Savoie, Duchesse de. Ma\'nard, 76.


Mademoiselle. Cf. Orléans (Louise d'). .Mazarin, cardinal. Cf. Mazarini (Giulio).
Maffei (Giulio). 71, 226. Mazarin, Duc de. Cf. La Meilleraye.
Magliabecchi, * Mazarini, xv.
1 39.
*MailIy, 3 33- Mazarini (Cnulio), cardinal, Vlll, IX, XXXVII,
* Malagigi. Cf. Pasqualini (Marc" Ant.). xivii, 12, 14, 24-27, 37-56, 58-62, 64,
Maleteste, 314. 66, 68, 71, 72, 76-106, 109, III, 112,
Mancini fHortense), 271. 114, 118, 129-131, 134-150, 131, 132,
INDEX ALPHABETIQUE 423

* Micinello (Pamfilo), 88, 91.


154, 157, 1)8, 160, 161, 165, 169-171,
* Milleville, xv.
174-177, 180-183, :87-i90, 194, 195,
198,201,202, 20), 211, 213-217, 221- Milton, XXXVIII, 40, 115.
224, 226, 227-256, 262, 264-268, 271, Minato (Nicolô), 34, 236, 250, 260, 289.

272, 277, 283, 301, 306, 321, 324-326, Mi rame, 61, 104, 323, 533.

540, 347, 349, 353-356, 370. Molière, XXXIX, 117, 201,214, 219, 269,
Mazarini (Michèle), Padre, 25, 86. 297,308, 315, 332, 349, 350-352, 357,
Mazarini (Pietro), 57, 58. 358, 369.
*Mazuel, 198. Modène, Duchesse do. Cf. Martinozzi
* Mazzocchi (Domenico), 10. (Laure).
3, 6, 17, 19.
* Mollicr (Louis de), 204,
22,23, 3i> 32, 84, 125, 363. 46, 207, 316,
* Mazzochi (\'irgilio), 14, 26, 27, 39, 46. 317, 352.
Medici (Cosimo), 227. Monaglia, 283.
Medici (Ferdinando II), xxvii. Monsieur. Cf. Orléans (Gaston d"), Anjou
Medici (Ferdinando III), 91, 138, 140, 195, (Philippe d'), Orléans (Philippe d').

200, 202, 254, 275, 280. Monsieur de Pourceaiignac, 264, 308, 359.
Medici (G. Carlo), 60, 82, 244, 252. Montausier (De), 76.
Medici (Leopoldo), 91, 93, 94. Montbason, Abbé de, 179.
Medici (Mattias), 30, 59, 64, 66, 91, 94,
* Monte (Filippo da), 21.

98, loi, 129, 139-141, 147, 148, 187- * Monteverde, vu, xxviii, XXXII, XXXVTI,

189, 203, 222, 237, 238, 243, 244, 230, XLII, XLV, 3, 4, 17, 22 23, 32-36, 97>
252. 98, 289, 363.
Medicis.Cf. Catherine, Marie, Medici. Monlglat, 144.
Melani (famille), xi, 176, 245. Montluc. Cf. Cramail, Comte de.
* Melani (Alessandro), 273, 316. * Morlaye (Guillaume), xvii, xviii, xix.
* Melani (Atto), VIII, 30, 55, 59, 60, 62, Mort d'Adonis, 348.
64-66, 73, 82, 91, 96, 98, 99, loi, 129, Morte lOrfeo {La), 2-3.
135, 141, 145, i47-i49> 174, 17). 186- Mortemart, Duc de, no, 114, 278, 306,
190, 203, 221-223, 233, 234, 236-238, 307, 310, 320.
243-245, 250, 252, 256, 258, 261, 264, Mothe (De la), 106.

271-275, 277, 519. Motteville (De), vu, 81, 84, ni, 113,
* Melani (Bartolomeo), 177, 190, 245, 273. 202.
* Melani (Domenico), 59. * Moulinié, 346.
* Melani (Filippo), Muette Ingrate (La), 344, 549.
16, 174-177, 190,233,
245, 257, 259, 264, 273, 275. Muses (Ballet des), 330.
* Melani (Jacopo), 60, 62, 64, 91, 139,
140, 147, 245, 275. * Nadreini, xv.
* Melone (Gius.), 241, 256, 264, 278, 279, Naissance de Vénus (Ballet de la), 537.
306. Nani, ambass. de Venise, 245.
Melosio, 46. Nanuccio, xxi.
Ménage, xxviii. * Nardini (Gabriello), xv.
Menestrier, VII, XLV, 117, 118, 333, 343, Naudé (Gabriel), 152, 142.

346, 366. * Navara (Girolamo), 23.


Mercœur (M^ de), 202. * Negri (Cesare), xxiv.
Mersenne, xxxii, xliii, xlv, xlvi. Nemours, Duc de, xxxvi.
* Merulo (Claudio), xxxv. * Nenna (Pomponio), 21.

* Metru, 192. Xero (Filippo del). 23.


* MeusnierSt-Elme, 181, 182, 193, 195, 211. Xerola, Princesse, 173.
424 1. OPERA ITALIEN EN FRANCE

Nicaise, abbé, 313, 314, 316, 318, 319. P.\L.\is Ro\AL, Théâtre du, 79, 81, 104,
Nicandro e Filetw, 62, 65, 340. 105, iio, III, 129, 131, 160, 214, 219,
* Niel (de). Cf. Nyert (Pierre de). 325, 325, 355-
Noces du Village (Mascarade des), 308. Pala:i{o d'Atlante, 12, 26-29, 45, 83,89,
* Noli, XVI. 96, 120, 126, 261, 365.
Nopccs de Vatigirard, 322. Palotta, Cardinal, 55.

Noi:(e di Peleo e di Theti, vu, XLiii, 44, Paluzzo Altieri, 319,


80, 95, 129, ijo, 1)2, 158-171, 173, Pamphili, famille, 147.
174, 181, 199-201, 215, 219, 253, Pamphili, Cardinal. Ct. Innocent X.
267, 279, 283, 294, 296, 320, 364, 36). Pamphili (Camilloj Prince, 51, 53, 54,65,
No:(:;^e di Peleo e di Tefi, 33-36. 243.
Niiil (Ballel de la), 151, 169, 193, 508, Panatini, 170.

545> 3)5- Pansirolo, Cardinal, 55.


Nuitter, vu, viii, 93, 339, 344, 345. * Pardi (Anna Vittoria), 248, 249.
* Nyert (Pierre de), xliv, 45, 54, 96, 98, Parme, Duc de. Cf. Farnese (Odoardo et

145, 181, 274, 278, 307, 310, 312, 320, Ranuce).


363. Parrv (Hubert), 29.
Pasqualini (Giov. Ant.), 87.
Olympia (Donna), 65.
''
Pasqualini (Marc' Antonio), viii, xlvii,
Ondedei, Cardinal, 100. 16, 24, 25, 27, 30, 40, 43, 87, 89-91,
Orfeo (de Monleverde), XL, 98. 99, ICI, 106, 114, 121, 136, 153.
Orfeo (de L. Rossi), vu, viii, xxxvii, Pasqualini (Pietro Paolo), 87.
xxvviii, XLii, XLUi, 23, 28, 44, 4), 77, * Pasquini, 169.
*
79, 80, 85, 94, 95, 98-105, 107-110, Passeri, 13, 21.
III, 113, 114, 115-136, 138, 1^0-145, Pastorale comique, 117, 350.

149, 151, 160, 163, 164, 168, 170, 17-^, Pastorale d'Issy, 253, 344, 347.
192, 198, 201,211,215, 219, 237, 259, Pastor Fido, XLii.
* Pellegrini (Michel Angelo), 92.
267, 282, 292, 294, 296, 299, 320-326,
* Perdigal, xi.v, 343.
328, 333, 337, 354, 364, 366.
Orléans (Gaston d'), 79, 81, 82, 96, iii, Pergol.'^, Teatro délia, 244, 245, 275.
* Péri (Jacopo), xxvi, xxvii, xxviii,
131,235, 344. 5,
Orléans (Louise d"), 79, 81, 86, loi, 23.
106, III, 131, 191, 192, 235, 247, 252, Perrault, 347.
281. Perrin (Pierre), vu, 63, 211, 267, 303,
Orléans (Marg. Louise d'), 227, 276, 281, 320, 324, 332, 341, 343-349, 353. 359?
283. 361-363.
Orléans (Philippe d'), 252, 262. Cf. Anjou Persiani (Oratio), 33, 34.
(Philippe d'). * Perti (Giacomo Antonio), 29.
Oroiitea, 226. Pesaro (Gio.), 8.

Orphée el liiirydice, 325. Petit, 50.


Orsini (Cav.), 91. Petit-Bouri!On, Théâtre du, 72, 74, 75,
Orsini (Lelio), 173. 160, 193, 205, 214, 219, 326.
Orsini (Virginie), Cardinal, 178. * Petrucci, xix.
* Ouvrard, xxxiii, 313-316, 318, 319. * Petrucci (Giuseppe), 169.
Oviedo Spinoza (.Mphonso de), 133. * Philidor, 198, 338.
Oz/.ola, 21. Piazza, rés. de Mantoue, 91.
* Piccini, 257, 264, 278, 506.
* Pagano (PietroJ, xiv. Piccolomini, nonce, 246, 254.
INDEX ALPHABETIQTJE 425

* Piesche, 207. Raphaël, 3:9.


* Pignani (Girolammo), 168, 169. Rapimento di Cefalo, xxvii.
Pimantel, 213. Rappresentaiione di anima e di corpo, 2.

Pirro (André), xxxix, XLiii. Rassan, 307.


Pitoni, 58. Ratabon, 105, 217, 233, 236.
Plaisirs troubles (B. des), 204. * Raynion (M'ie), 181.

*Plavford, 169. * Rayneval, 207.


Poâestd de Cologtiole, 140. * Reggio (Pietro), 186.
Poenietto dranialico per luusica. Cf. Xicuiulro Rénal, 307.
e Fileiio. Renaudot, viii, 112, 128,299.
Poli, Cardinal, 49, 50. * Renzi (Signora Anna), 73, 240.
* PoUarola. Cf. Angela. * Ribera, 168, 275, 279, 306.
Poiiioiie, 3)2, 360. Ribou, 207.
* Poncelli, 251, 241, 264, 278, 306, 510, Ricchi (Giovanni), 227.
311, 318. Ricciardi, 21.
* Ponte (Costanza de), 22, 98. * Richard, 207.
* Ponte (Marc' Antonio de), 23, 135. Richelieu, xliii, xlvi, 24, 43, 4)-48, 50,
* Ponte (Paolo de), 23. 61, 104, 323.
* Porchi, XVI. Rinuccini (G. P.), xxix.
Porti, 31. Rinuccini (Ottavio), XXVI-XXX, xxxviii,
Potier, évêque de Beauvais, 48. 3, 120.
Pougin, 345, 350. Rinuccini (Signora), xxix.
Pozzi, 132. * Rippe (Alberto), xvii-xix.
Priardi, rés. de Mantoue, 64, 107, iii, * Rivani (Antonio), 244, 245, 264, 278,
132, 135. 306.
Princesse d'Elide, 349. * Roberdav, 192.
Prospérité des armes de France, 333. Robinet, 360.
* Provenzale, 19, 29. Robin et Marion (feu de), 338.
Proi'erbes (Ballet des), 158. Rochechouart, Duc de, 307.
Psiche, XL. Rolland (Romain), vu, viii,xxvii, xxviii,
Psyché (Ballet de), 194, 195, 202. 2, 7, II, 15, 19, 35, 36, 43, 258, 261.
Psyché, 297, 309, 360, 361. * Romano (Giulio). Cf. Caccini.
Pure, Abbé de, 215, 220, 221. Ronsard, xviii, xix, xxii, xxiii.
Rosa (Antonio), xii.

Quagliati, 15. Rosa (Salvator), 15, 16-17, -O' 21, 71,


* Qiiarante, 207. 226, 519.
QuATTRO-FoNTANE, Teatro, xi.iv, 7-9, 26. Rosaura (La), 205.
Querini (Giac), 255. * Rosetti (Félice), 240. 241.
Quinault, 118, * Rosini (Girolamo), Padre, 176.
142, 260, 282, 327, 329,
364, 365, 367. Rospigliosi (Franc), 64.
Quittard, 339, 345. Rospigliosi (Giulio), 10, 12-14, -6, 40, 46,

5 5, 65, 274, 365.


* Rafaelle da Pistoia, 91. Rossano (Princesse de), 248, 249.
RafBé (Antoine de), 333. * Rossi (Costanza). Cf. Ponte (Costanza de).
Raguenet, Abbé, XLVi, 316. Rossi (Dionisio), 21.
Raillerie (Ballet de la), 208-211, 263. Rossi (Donato), 21.
* Rameau, xlvi, 369. Rossi (Felice Antonio), 21.
* Ramponi (Virginia), xxxvii. Rossi (Francesco), 319.
426 L OPERA ITALIEN EN FRANCE

* Rossi (Gio. Carlo), 21,24, I45)^47)i5 3)


* Sanci (Lorenzo ou Loreto), 25, 43.
222, 223, 256, 237, 240, 277, 278, 311, Sand (Maurice), 67.
319- Sandberger, 245.
Rossi (Giovan. Tommaso), 21. * Sandrier (Mlle), xLiii.
Rossi (Giuseppina), 21. San Fantino, Teatro, i.

* Rossi (Luigi), vu, xxxii, XLii, xlv, San Giorgio, Cardinal,


10, 9.
II, 17-19, 21, 22-31, 36, 46, 59, 79, San Giovanni Crisostomo, Teatro, i

S), 87, 88, 90, 95-99, 101, 106, 114, S.\n Moïse, Teatro, i.

II), 120-126. 155, 155, 136, 143, San Salvatore, Teatro, i.

145-147, 149, 1)3, 169, 170, 180, 192, Sant'Angf.lo, Teatro, i.

194, 198, 208, 211, 222, 259, 274, 277, Maria Maddalena, 14.
Sa)ita

289, 291-293, 297, 299, 312, 316, 317, Santa Marina Teatro, i
319, 320, 327, 333, 363, 366, 367. Santi Apostoli, Teatro, i.

* Rossi (Michel Angelo), 12-43, 247. * Santi Casata, 176.


Rostain, Marquis de, 89. Santi Giovanni e Paolo, Teatro, i, 32,
Rothschild (James de), 170. 240, 251.
Rotrou, 142. * Santi Naldino, 176.
Rouchez, XII, 218, 236. Sauf Orsola, 8, 9.
Rovere (délia) Abbé, 211, 267, 324, 348. Santo Vito, Marquise de, 53.
Sarasin, 143.
Sabbattini (Nicolô^, 129, 297. Sauvai, 220.
* Sablières, 303, * Savioni (Mario), 27, 30, 46, 57, 58.
340, 343, 346, 356, 362.
Sacchetti, Cardinal, 25, 54, 65, 176. Savoie (Christine de France), Duchesse de,
Sacchi (Andréa), 27, 247. 6), 77. 88, 97, 133, 187, 189, 203,
* Sacrati (Francesco), 35, 59, 73, 74, 77, 233.
240. Savoie (Henriette Adélaïde de), 187, 188,
* Sai (Lodovico), xv. 190.
Saint-Aignan, 170. Savoie (Thomas de). Prince, 81, 82.

Saint-Chamond, 54. Scaglia, 54, 78.


* Saint-Elme. Cf. Meusuier. Scala (Flaminio), xxxvii.
Saint-Evremond, vu, 14, 96, 121, 271, Scaranniccia, 66, 200.
* Scarlatti (Alessandro), 19, 29, 122, 363.
347> 369-
* Saint-Gelais (Mellin de), xviii. Scarron, 46, 158, 193, 333.
* Saint Martin, 45. Schiavetti (Gius.), 169, 170.
Saint Real, 271. Schomberg (Maréchal de), 45.
* Saint Thomas (Me de), 46. * Schûlz (Heinrich), 22.
Saisons (]ia]h'l des), 269. Scuderv, 142.
Salerne (Ml- de), 185. Scudery (MUe de), 99.
Saloni, Teatro di, i. Scuola d'Amore (La). Cf. luipatieiice (B.
Salvadori, 9. de /').

* Salvatore, 240, 247. Senecé, de, 197.


San Akssio. xi.iii, 7. 9-12, 29, 45, 116, * Sermisy (Claudin de), xv, xxiii.

363. Serre (Francesco délia), xxiv.


San Apollinare, Teatro, i Serse. Cf. Xerse.

San Cassiano, Teatro, i, 32, 33, 3), 83, Servien, 53-55, 61, 78, 188.

227. Sève (de), 105, m.


* Sances (Luisa), 57, 58, 63. Scveno, 155.
* Sancez (Loreto). Cf. Sanci (Loreto). Sévigué, Marquise de, 106.
INDEX ALPHABETiaUE 427

Sforza (Mario), Duc, 57, 38. Toison d'Or (La), 330.


* Tondi, 195.
Sforza (D. Paolo). 89.
Sigismond, Archiduc, 176, 253, 273. Torchi, xxxiii.
Silhi, XL. Torelli (Gandolfo), 68.
* Torelli (Giulio), 68,
Sillori, 235.
* Torelli (Giuseppe), 91.
Silvestre (Israël), 163.
Simeoni (Gabriele), xviii. Torelli (Jacomo), xi, xxi, 35, 68-75. 77-
Simonatti, Abbé, xi, 39. 80, 84, 104, 103, iio, III, 114, 127,
* Simone da Piacenza, xiv. 144, 149, 131, 138, 160, 165, 170, 193,
Sincerità trioiifaiite, 43. 193, 203, 213, 219, 220, 270, 271, 296,
Sireihi (La), 7. 304, 321-323, 523-327, 334, 335.
Solerti, xxvi, xxxiii, xxxviii. Toscane, Grand duc de. Cf. Medici, Fer-

Sorel, 339. dinando (II), Ferdinando (III).

Sorentino (Giulio Cesare), 34. * Toury, 207.


Sourdeac (Marquis de), 304, 330. Tresme (de), 132.

Souvré ide), 69, 71. Triomphe de F Amour, 339, 340-343.


Sozzitanti (Lessandra), 176. Tronsarelli (Ottavio), 6, 7.

Spada (Valerio), 73. Tuileries, Théâtre des, 216-221, 231, 230,


Spigarelli (Oratio), 23. 261, 274, 304, 324, 360.
* Stafford (Thomas), 168, 169. Turamini (Fra Bernardino), 10.

* Stradella, 19, 169, 316.


Striggio, 120. Ulysse dans l'île de Circé, 328.

Strisevio (Franc), 176. Urbain VIII, i, 7, 14, 16, 20, 27, 39, 42,
Strozzi (Giulio), XLii, 73, 74, 77. 49. 54-
Sully, XXXV.
Sulmona, Prince de. Cf. Borghese (Marc' Vagnozzi, 32, 33, 173.
Antonio). * Valerio (Anna), 240.

SiiJfana (La), xxxix. * Valié, 168.


Valle (Pietro délia), 13, 23, 31.
* Tagliavacca, 181, 183, 183-187, 194, Valois (Mlle de), 28:.
195, 210, 234, 236, 264, 278, 306, 310, Vatielli, xi.

311, 318. Venere Gelosa, 33, 68.


Tallemant des Réaux, xliv, 76, 109. * Venosa, Prince de. Cf. Gesualdo.
* Tanaglia. Cf. Tenaglia. Veremonda, 127.
Taiicia, 64. Verger (Du), 106.
Taiicrcde en la forest eiiclmntée, 128. * Verovia (La Signora), 1 3

Tartan, 238. * Verpré, 198, 507.


Tasso (Torquato), 40. Vidal, XVI.
Tausserat-Radel, xii. Vigarani (Carlo), 214, 217, 236, 230, 263,
Tf.atro Novissimo, i, 35, 68, 73, 240. 269,297, 304, 318.
Tellier(Le), 216. Vigarani (Gaspare), 214-221, 236, 262,
'''

Tenaglia, 30, 133, 178-180, 242. 280,282,296, 301, 304, 321.


Tetoni (Bernardo), xxiv. Vigarani (Lodovico), 214, 217-219, 236,
Thésée, 363. 253, 279, 304.
Thoinan, vu, viii, xlvi, 93, 339, 544, Villeré (De), rés. de Parme, 68, 70, 82,
345- 109, III.
Tiersot (Julien), xii. Villerov, La Maréchale de, 146.
Tintoretto, 280. Villers (De), 202.
428 I. OPERA ITALIEN EN FRANCE
*
Vincent, 198, 207, 264. Weckerlin, 330.
Vincent de Paul, 112,150, 151, 525. Wiel, XI, 33, 227, 305.
Vincenzo (Giustiniani), 22. Wotquenne, xi, 2, 18, 30.
Vinci (Léonard de), 319.
Violino (Carlo del). Cf. Caproli (Carlo)
Xerse, vu, viii, 16, 232, 236, 238, 250-
Virgilii(BartoIomeo), 276.
262, 266, 290.
Visé (De), 332, 564.
Fi ta di Santa Teodora, 12, 13.
* Vitali (Fiiippo), xi.iii, 4, 19, 25, 40. 43, York, Duc d\ 169.
<S9.

* Viterbo, xv.
* Vittori (Loreto), 4, * Zannetto, 257, 264,278, 279, 306.
5, 15, 16, 24, 25, 30,

40, 43, 89. Zanobi, xxi.


Vogel, * Zanti (Girolamo), 243.
9, 33.
Voiture, i, 76. Zarlino, vu, 97.
* Vulpio, 275, 278, 306. Zattere, Teatro aile, i.
ERRATA

Page X ligne 2)

XXVII
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156 : Signori lire Sii^iiore.

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la Contrariété lire la Contradiction


1 :
9 Juin lire 4 Jnin.
Anihrnii lire Embrun.
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TABLE DES MATIERES

Pages.

Avant- Propos . ... vu

IXTRODCCTIOK.

I. L'Ilaliaiiisiiie iiiusical ait xvie s'ùcle xiii

Instrumentistes italiens au service des rois de France. — Représentation


de la Calandra à Lyon. — Influence de sur les reclierches poé-
l'Italie

tico-musicales de la Pléiade. — Divertissements italiens à cour la

des Valois.

II. Initiation âe la France à Tari niclodranuitique xxvi


Les tètes du mariage d'Henri IV et de Marie de Médicis. — Rinuccini à
Paris. — Séjour de Giulio Caccini et sa tamille à la cour d'Henri IV.

III. Les coiiiàiiens italiens en France xxxiv


Rôle de la Musique dans le théâtre italien du WW siècle. — G. B.
Andreini et ses comédies.

IV. Le goût de la iHusique Italienne sous Louis XIII XLiu


Concerts italiens à Paris. — De Nyert et la réforme du chant. —
Indifférence des compositeurs pour l'opéra. — Opinions de .Mersenne '

et de Maugars.

Chapitre Premier. — L'Opéra en Italie sous le pontificat d'Urbain VIII


(162 5- 1644).

I. L'opéra et la société romaine au xviie siècle. — Evolution de l'opéra à


Rome de 1620 à 1640. — Les Barberini. — L'opéra à machines i

IL La vie musicale à Rome. — Ecole de la cantate. — Luigi Rossi. — Les


représentations du Pa/ij^^o d'Atlante ... 14

III. L'opéra à Venise. — Influence du milieu. — Fraucesco Cavalli 52

Chapitre IL — Les premiers opéras représentes ii P(;;/5 (1643-1646)

I. Mazarin et la — Ses relations avec monde du théâtre Rome.


musique. le à

La Leonora Baroni. — Visées politiques de Mazarin sur l'opéra 38

IL Premières tentatives de représentations lyriques Paris. — Voyage de à

Marco Marazzoli et de la Leonora. — L'opéra inconnu du carnaval de 1645. 45

111. La Finta Pai:{a. — Hostilité des comédiens italiens contre les musiciens.
Leurs démêlés avec Jacomo Torelli. — Succès de la Finlii Pa-~a j6
430 TABLE DES MATIERES

IV. Le Gidihl haUet du duc tVEngbien. — L'Hgislo de Cavalli au carnaval de


1646. — Arrivée des Barberini à Paris 66

Chapitre III. — UOrfco.

I. Le recrutement des chanteurs en Italie. — Luigi Rossi et Marc' Antonio


Pasqualini. — Les musiciens des souverains de Toscane et de Modène. —
Le voyage 86

IL L'abbé Buti et Luigi Rossi à la cour de France. — Les concerts chez la

reine. — Les répétitions de VOrfeo 94


III. Les représentations de l'opéra au carnaval de 1647. — Le public, le spec-
tacle. — Succès de \ Or/eo 105

IV. Le livret. — La musique. — Les ballets et la mise en scène... . 114

V. Les dernières représentations de ÏOrfeo. — Triomphe de Luigi Rossi. —


Dispersion de la troupe 1
29
VI. La politique et VOrfeo. — Les artistes italiens à Paris durant la Fronde... 141

Chapitre IV. — Opéras, concerts et ballets italiens à la ro/n- (1653-1659).

I. Venue à Paris de Carlo Caproli et de sa troupe. — Les A^o;^^^ di Peleo e di


Theli. — L'inter'prétation. Le succès 131

IL La troupe italienne de 16)5 à 1659 : L'n moine virtuose. — Offres de


service. — La Signora Anna Bergerotti, Francesco Tagliavacca, Atto
iMelani 174
III. Lulli et les ballets italiens : Psyché, La Galanterie du temps, VAmor
nialalo, Alcidiane, la Raillerie 191

Chapitre V. — Les fêles du iiuiriage royal (1659- 1661)

1. Gaspare Vigarani et la construction du théâtre des Tuileries. — Les


machines, la salle 215

IL Négociations relatives au vo\-age de Francesco Cavalli à Paris 221

III. Recrutement de la troupe d'opéra. — Démêlés entre Atto Melani et


l'abbé Buti. — • Offres de service. — Domestiques virtuoses 231

IV. Le Xerse de Cavalli. — La représentation. — L'interprétation. —


L'œuvre 250
V. Ballet de V Inipalieuce 261

Chapitre VI. — UErcole Amante et la cabale ant, -italienne.

I. Mort de Mazarin. — I.ulli, surintendant de la musique. —- Ballet des Saisons. —


Disgrâce de Torelli et d'Atto Melani 266

II. Derniers préparatifs à*: VLrcole Amante. — Arrivée de nouveau.x musiciens.


TABLE DES MATIERES 43 I

— Les répétitions. — La représentation 274


in. L'Ercole Amante : Le livret, la musique, les ballets et la mise en scène. . . 282
IV. Chute de l'opéra de Cavalli. — Ses causes. — Départ de Cavalli 298
V. Triomphe de LuUi. ^ Licenciement de la troupe itahenne. — Les derniers
italianisants 306

Chapitre VIL — Influence des opéras italiens sur le théâtre et la musique


en France.

I. Les tragédies de machines. — Andromède Çi6)0). — La Comédie sans comédie

(1654). — Les Amours de Jupiter et de Sèmélé (1666) 321

IL Les pastorales en musique. — Les Anu^urs d'Apollon et de Daphnc (1650).


Le Triomphe de l'Amour (1657). — La Pastorale d'Issy (1659). — Les
Pastorales de Lulli (1664-1668) 332
III. Les ballets à grand spectacle. — Les comédies-ballets. — Flore (1669). —
Psyché (1670) 3)3

IV. L'opéra français. — Solution par Lulli du problème récitatif 362

Pièces justificatives 371

Bibliographie 405

ixdex alphabétiq.ue . 4i 5

Abbeville. — Imprimerie F. Paillart.


APPENDICE MUSICAL

I. Marazzoli. Canzone : che seiiipre tocchi a me l

II. Cavalli. Lamento de Climene. {Egisto II, fi).

III. Leopardi. Cantata : Disperato Amante.

IV. Caproli. Canzone : Chi pub, Nina, mi rare...

V. LuLLi. Dialogue de la Musique italienne et de la Musique fran-

çaise. {Ballet de la Raillerie).

VI. LuLLi. Récit des preneurs de tabac. {B. de l'Impatience)!

VII. Cavalli. Scène de l'Antre du Sommeil. {Ereole Amante).


AVLiRTISSEMENr

Nous aurions voulu donner ici comme un écliantillon du style de chacun


des artistes dont nous avons entretenu le lecteur. Mais le manque de place
nous a contraints de nous limiter à quelques noms seulement. On ne
trouvera donc ici aucune composition du grand Luigi Rossi. UOrfeo va être,

avant peu de mois, publié par nos soins et les nombreuses cantates et chan-
sons mises au jour par MM. Gevaert ', Goldschmidt -, Landshoff', Hugo
Riemann 4, Torchi >, \'atielli '\.. et par nous-mêmes : permettent déjà de se
faireune idée du génie du maître napolitain.
Nous avons choisi, pour représenter l'œuvre de Cavalli, deux morceaux
qui semblent avoir impressionné particulièrement les musiciens de la Cour
irançaise : le La/ju-iilo de VEgislo et la scène de l'antre du sommeil de VErcok
Aiiunilc.

De Lulli, nous donnons deux scènes très représentatives de son style vers
1660, lorsqu'il hésitait entre la manière italienne et la manière française et

s'efforçait de les concilier toutes deux.


Du charmant Marazzoli, dont la présence à Paris semble être passée
inaperçue, nous publions seulement une cniiioiic enjouée. Il en va de même
pour Carlo Caproli dont nous espérons mettre au jour avant peu quelques
airs admirables. Enfin on lira avec intérêt une cantate de Vincenzo Leopardi,
ce musicien obscur dont il a été si souvent question au chapitre de VOrfeo.
Nos recherches pour retrouver quelque composition de Tagliavacca ont
été vaines. Enfin la place nous a fait défaut pour une admirable cantate
d'Atto Melani : Scrivclc occbi doloili, ainsi que pour plusieurs cair^o}ii de
Boccalini et de Pignani. Nous gardons l'espoir de les publier un jour en un
recueil de musique vocale de chambre du xvii'= siècle.

Ee lecteur pourra être surpris de certaines bizarreries d'écriture, nous


n'avons rien voulu changer aux textes originaux, nous bornant à indiquer
entre crochets les accidents oubliés *'.

1. Les glaires de l'Italie. Paris, 1868 (in-f°).


2. Shidien :;tir Geschichte der italieuischen Opev. Leipzig, 1901 (iii-8"), toniL' I.

5. Aile Mcisier des Bel Canlo. Peters, Leipzig, 1912 (111-4").

4. Kaiitaten-FriibUng n6^^-i682). Siegel, Leipzig (191 3), tome L


5. L'arte iinisiaile in Ittilia. Ricordi edit., tome V.
6. Antichc cantate d'anioie. iîologna, Bongiovainii edit. 'l'onie IlL
7. VI Airs
et une Pnssaraille de Liiigi Rossi. Paris, Senart édit., 1915.

iS. convient d'ailleurs de faire remarquer que les diverses copies anciennes que nous
Il

possédons d'une même œuvre (par exemple du Récit des preneurs de tabac) concordent sur les
points douteux et présentent les mêmes étrangetés harmoniques, qu'on serait tenté de corriger.
CANZONE
Cofls: San PielroiiMaiella(Naples'
(Bac. 127 p 33.) Marco Marazzoli

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LAMENTO DE GLIMENE
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Mss._99.35 Cavalli

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III

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BihlioleCdJ.slense (Modene)
Venant io Leopaidi
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13
IV

GANZONE
BiH.Nal.K<s.TVt'
CarlodelVioIino
Vm/'59 p.l3 5

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DIALOGUE DE LA MUSIQUE ITALIENNE
ET DE LA MUSIQUE FRANÇAISE
(Ballet de lu Raillerie)

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KiM.\a(.Vmyi Tomel p.63.65. -^659-
Lulli

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RECIT DES PRENEURS DE TABAC


( Ballet de l ' Impati.nr,}
C^ llec. Philid.r TomeX Lulli-
IL MAESTRO
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Oh eh'immensainipazienza dicantarmi
Llî^Ll^
salta algozzo
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fn mi stroz i zo se non canto af_ if. fè _ zo

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sel na_i,i an cor sian buo m a ser.

cor siau buoni a ser M> da troin buo ni

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a ser _ vir da trom.buo m a ser . \ir

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.vir na trom buo m a ser

a ser \ir da trom buo ni a ser _ vir a ser.


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niis_t() niaccle'_ ro ni.co o zuc_che.ro sui struf. fo _li

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SCÈNE DE L'ANTRE DU SOMMEIL


iPasifhtn -Il sonnojy^t'j d^iu/f^e Huieflh' )

EicJe AmanltfAftjIIjSce) Cavalli


Kill.MarciauaMaDu.9H83

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LIBRAIRIE ANCIENNE EDOUARD CHAMPION
5, Quai Malaq.uais, PARIS

Arbeau (T.) (J.


Tabourot). Orchésographie et iratcté en forme de dialogue par lequel toutes per-
sonnes peuvent facilement apprendre et practiquer l'honneste exercice des dances. Réimpression
précédée d'une notice sur les danses du xV siècle, par L. Fonta. 1888, in-4, papier vergé
teinté 30 fr.

Champion (Pierre). François Villon, sa vie et son temps. 2 volumes grand in-8°. avec 49 planches
hors texte. Prix des deux volumes ensemble 20 fr.

Il a été tiré 25 exemplaires sur papier de Hollande à 75 francs.

— La vie de Charles d'Orléans (1394-1465). 1911, fort vol. in-8°, avec phototypies.

Correspondance générale de Chateaubriand, publiée avec introduction, indication des sources,


notes et tables doubles, par L. Thomas. Tomes I (avec un portrait inédit), II, III (avec un
portrait inédit) et IV (avec un portrait inédit). in-8°, de chacun 400 pages. Chaque. 10 fr.

Cohen (Gustave). Histoire de la mise en scène dans le théâtre religieux français du moyen âge.
In-8. avec planches., 15 fr.

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Faral (Ed.). Mimes français du XIII" siècle, contribution à l'histoire comique au moyen âge.
1910, in-8, de xv-i 50 pages 5 fr.

— Courtois d'Arras, jeu du xiii' siècle. Un volume in-8° de vi-54 pages o fr. 80

GoFFLOT (L. V.). Le théâtre au collège du moyen âge à nos jours, avec bibliographie et appendices.

Le cercle français de l'université Harvard. Préface de Jules Claretie. 1907, in-8°,

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Couronné par l'Académie française.

GoNTAUT (A. L. de), duc de Lauzun. Le Ton de Paris, ouïes amans de bonne compagnie. Comédie
en 2 actes, en prose. Publiée avec une notice sur M. Le Tesier, lecteur et comédien de
société du xviii" siècle, par Aug. Rondel et Th. Lascaris. 191 i, in-8°, xxi-54 pages,
fac-sim. (Ext.) 2 fr. 50

Hautecœur (J.). Le Théâtre de Mœurs russes des origines à Ostrovski (1672-1850). In-8°,

154 pages 5 fr. 50

Louis Eunius ou le Purgatoire de Saint -Patrice, mystère breton en deux journées, publié avec
introduction, traduction et notes par G. Dottin. 1910. Fort vol. in-8, 500 p 10 fr.

MoREL Fatio (A.). La Comedia espagnole du xvii° siècle. Cours de langues et littératures de

l'Europe méridionale au Collège de France. Leçon d'ouverture. 1885, in-8 i fr. 50


Mystère de saint Crespin et saint Crespinien, publié pour la première fois, d'après un manus-
crit conservé aux archives du royaume, par L. Dessalles et P. Chabaille. 1856, gr. in-8,

pap. vélin, fac-sim 14 fr.

François Villon, Œuvres, édit. par un ancien archiviste [Auguste LongnonJ. Un volume
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In-8°, xxiv-26o pages. Prix 7 fr- So

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Introduction FEtudes sur les sources\ Texte breton et traduction française.


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5, Q.UAI Malaquais, PARIS

Œuvres de François Rabelais, édition critique publiée par Abel Lefranc, professeur au Collège
de France, Jacques Boulenger, Henri Clouzot, Paul Dorveaux, Jean Plattard et Lazare
Sainéan. Tome premier. Gargantua : Prologue Chapitres I-XXII. Avec une introduction,
une carte et un portrait. Beau volume in-4 de CLVi-214 pages. — Tome second. Cha-
pitres XXIII-LVIII (et dernier). Volume in-4 J^ 45^ pages 10 fr.

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On souscrit à tout l'ouvrage (8 vol. environ).

Œuvres complètes de Stendhal, ^ubMhes sous la direction d'Edouard Champion, en volumes


in-8 écu auquel on souscrit, avec illustrations documentaires.

Edition réalisée avec le précieux concours de Charles Maurras (Rome, Naples, Florence);
Rémy DE Gourmont (De l'Amour); J.-J. Tharaud (Armance); Gabriele d'Annunzio
(Promenades dans Rome) ; Henry Roujon (Mélanges d'Art) ; Miss Gunnell et E. Henriot,
Notes sur la littérature et la société (inédit J, etc., pour n'en citer que quelques-uns et suivant
l'ordre de publication. MM. Anatole France et Maurice Barrés présenteront VAhhesse de
Casti-o et la Chartreuse de Parme (avec des variantes inédites).

dix exemplaires sur papier de Chine numérotés de i à


Il est tiré 10, contenant une double
suite des planches hors texte tirées sur velin et sur Japon Impérial. — i disponible à 35 fr.

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Vingt-cinq exemplaires sur papier des manufactures impériales du Japon, numérotés de i à
35, contenant une double suite des planches hors texte tirées sur vélin et sur Japon Impérial.
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Cent exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 36 à 135. Quelques-uns disponibles —
à 20 francs le volume.
Onze cents exemplaires sur papier vélin pur fil des Papeteries de Voiron, numérotés i36 à
à 1236, à 7 fr. 50 le volume. 4 volumes ^ar an. —
Vie de Henri Brulard publiée intégralement pour la première fois d'après les manuscrits de la

ville de Grenoble, par Henry Débraye, ancien élève de l'Ecole des Chartes, archiviste de la

ville de Grenoble.

Tome premier : Avec Note de l'Editeur, introduction et 5 planches hors texte, xLvni-?i8p.

Tome second : Avec annexes, appendices, tables et 5 planches hors texte, 420 pages.

Vies de Haydn, de Mox_art et de Métastase publiées avec notes et appendices, par Daniel Muller
(Préface de Romain Rolland), i vol. de LXxvi-466 p., avec portrait hors texte et fac-

similé du titre de l'édition originale.

Bibliographie Stendhalieiine, par Henri Cordier, membre de l'Institut, i vol. de xiv-416 p., avec

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Hn préparation : Journal, publié par Henry Débraye, ancien élève de l'École des Chartes,
archiviste de la ville de Grenoble. (3 vol. au moins.)

La vie littéraire de Stendhal, documents inédits publiés par A. Paupe. i vol. de viii-228 p. (Ap-
pendice aux Œuvres complètes.)

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vers le milieu du xv° siècle. In-8 6 fr.

Vey (Eugène). Le ballet forèsien de 160^, suivi d'extraits en prose de la Galette française, en
dialecte de Saint-Etienne. In-8, 113 pages 4 fr.

ABBEVILLE. — IMPRIMERIE F. PAILLART.

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