Criminologie Et Psychiatrie
Criminologie Et Psychiatrie
Criminologie Et Psychiatrie
37-906-A-10
Criminologie et psychiatrie
M Bénézech
P Le Bihan
ML Bourgeois
Résumé. – La dangerosité criminelle est souvent associée à des troubles mentaux. Les études récentes
utilisant des instruments diagnostiques standardisés confirment les données anciennes. Le taux
d’arrestations des patients sortant d’institutions psychiatriques est significativement plus élevé. Les
personnes incarcérées souffrent davantage de troubles mentaux que la population générale. Les troubles
psychotiques, en particulier schizophrénie, idées délirantes et hallucinations, le trouble de la personnalité
antisociale, les addictions augmentent le risque de commettre un homicide. Les études épidémiologiques dans
la population générale confirment que divers troubles mentaux des axes I et II (DSM IV) accroissent
nettement la prévalence du comportement violent. Plus la comorbidité psychiatrique est élevée, plus les
risques de conduite agressive et de suicide sont importants. Les troubles mentaux générateurs d’actes
criminels, ainsi que les principales catégories d’infractions médicolégales sont rapidement décrits. Enfin, les
bases psychobiologiques des comportements violents, en particulier la dysrégulation sérotoninergique,
commencent à être élucidées.
© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Bénézech M, Le Bihan P et Bourgeois ML. Criminologie et psychiatrie. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Psychiatrie,
37-906-A-10, 2002, 15 p.
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autrui commis par des malades mentaux dans les 2 semaines PRÉVALENCE DES TROUBLES MENTAUX
précédant leur hospitalisation varie de 10 à 40 % selon les études [30, PARMI LES AUTEURS D’HOMICIDES
80, 84, 123]
. De 25 à 30 % des malades hommes, présentant au moins un Les recherches, essentiellement scandinaves, montrent un odds-
antécédent de violence, commettent un nouvel acte de violence dans ratio (OR) relativement élevé, en particulier pour la schizophrénie,
l’année qui suit leur sortie de l’hôpital [56, 57]. la personnalité antisociale et l’alcoolisme parmi les meurtriers [34, 35,
L’abus d’alcool ou de substances paraît être davantage associé à une
39, 110, 111]
. Du fait qu’en Finlande, environ 95 % des homicides sont
plus grande fréquence d’arrestations sur la vie entière que l’existence élucidés et que les auteurs d’homicides sont soumis à une évaluation
d’une schizophrénie, d’un trouble de la personnalité ou d’un trouble de psychiatrie légale intensive et approfondie, il a été possible
affectif majeur [53]. Pour Harry et Steadman, le seul prédicteur valable d’examiner les données de 693 des 994 meurtriers répertoriés sur
pour l’arrestation dans l’année reste toutefois le diagnostic de une période de 8 ans [34]. La prévalence des troubles psychiatriques
lors de l’acte criminel a été utilisée pour calculer les OR pour
personnalité antisociale [48]. Des biais méthodologiques de sélection
l’augmentation statistique du risque associé à certains troubles
sont cependant possibles dans cette catégorie d’études, un
mentaux spécifiques par comparaison avec la population générale.
comportement de violence étant notamment un critère
L’existence d’une schizophrénie augmente l’OR de violence
d’hospitalisation et le comportement inadapté des malades mentaux
homicide de huit fois chez les hommes et de six fois et demie chez
les exposant à être plus souvent arrêtés que les sujets normaux [80, les femmes. Les auteurs précisent cependant que tous les
112]
. schizophrènes ne devraient pas être considérés comme dangereux,
seuls les sujets paranoïdes avec abus de substances présentant un
risque de violence élevé. Une personnalité antisociale ou un
ÉTUDES PORTANT SUR DES POPULATIONS
DE DÉTENUS alcoolisme augmentent cet OR de plus de dix fois chez les hommes.
Le risque apparaît également considérablement plus important,
Des travaux portant sur des échantillons représentatifs de détenus jusqu’à 40 ou 50 fois supérieur, pour les femmes souffrant
aux États-Unis et au Canada montrent une prévalence supérieure d’alcoolisme ou d’une personnalité antisociale. Les comportements
de troubles mentaux graves, comme la schizophrénie ou les troubles homicides, dans un pays présentant un taux de criminalité
affectifs majeurs, par comparaison avec la population générale [51, 106, relativement bas, montrent ainsi une association statistiquement
107, 108]
. La plupart de ces troubles psychiatriques majeurs étaient significative avec plusieurs catégories de troubles mentaux selon les
présents avant la période d’incarcération. Lamb et Weinberger [61], critères du DSM III-R [3].
dans une revue récente de la littérature internationale portant sur La prévalence de la schizophrénie chez les auteurs d’homicide est
110 études parues depuis 30 ans, mettent en évidence que 6 à 15 % relativement importante, entre 8 et 15 %, dans une revue de cinq
des prévenus et 10 à 15 % des condamnés présentent des affections études récentes [105]. Gottlieb et al [39] retrouvent une proportion plus
psychiatriques sévères, aiguës ou chroniques. La morbidité forte en recensant l’ensemble des homicides survenus entre 1955 et
psychiatrique touche en réalité 25 à 60 % de la population pénale en 1983 à Copenhague. Ils mettent en évidence que 23 % des crimes
fonction des études et de l’accent mis sur les troubles de la étaient le fait de psychotiques (schizophrènes et déprimés), la
personnalité [61, 71]. plupart des victimes appartenant à la même famille, contrairement
En considérant les pathologies graves, une des recherches récentes aux homicides commis par des sujets indemnes de psychose.
parmi les plus complètes a été réalisée par Teplin [106]. Elle concerne
728 hommes incarcérés aux États-Unis et révèle que 6,4 % ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
présentaient une schizophrénie, un trouble bipolaire de l’humeur EN POPULATION GÉNÉRALE
ou un trouble dépressif majeur. Cette étude a utilisé le Diagnostic
Les recherches dans des échantillons de population générale sont
Interview Schedule (DIS) permettant ainsi une comparaison avec les
particulièrement intéressantes puisqu’elles évitent la plupart des
données de l’enquête Epidemiologic Catchment Area (ECA) [94] biais de sélection ou de traitement liés à une hospitalisation [80].
portant sur des échantillons de personnes dans la population L’étude de Swanson et al [102] reprend les données de trois sites de
générale. Dans cette recherche, la fréquence de la schizophrénie l’étude ECA [94] portant sur des échantillons représentatifs de plus
apparaît multipliée par trois, la dépression majeure par 3,5, la manie de 10 000 personnes évaluées par l’entretien structuré (Diagnostic
ou le trouble bipolaire par 14 chez les détenus en comparaison avec Interview Schedule) du DSM III [3]. Cette étude montre que, en
la population générale. La prévalence de l’ensemble des troubles comparaison avec les personnes n’ayant pas de diagnostic de trouble
mentaux graves était au moins deux à trois fois plus élevée chez les mental, la prévalence de la violence est cinq fois plus élevée pour
détenus que dans la population générale [106]. Pour le seul diagnostic les individus recevant un diagnostic sur l’axe I. Les prévalences des
de psychose, les études varient entre 3 et 5 % de l’ensemble des comportements de violence dans l’année écoulée pour les personnes
détenus, comme dans l’enquête menée récemment en France dans atteintes d’une schizophrénie, d’une dépression majeure, d’une
26 SMPR par l’association des secteurs de psychiatrie en milieu manie ou d’un trouble bipolaire apparaissent remarquablement
pénitentiaire [71]. proches les unes des autres dans ces groupes diagnostiques (10 à
Teplin et al [107], dans une étude longitudinale, montrent que les 12 %), supérieures à celles des sujets indemnes de troubles (2 %). La
détenus hommes présentant des troubles mentaux sévères prévalence apparaît douze fois plus importante pour les sujets
présentant un abus d’alcool (24,6 %), et seize fois supérieure pour
(schizophrénie, trouble affectif majeur), des conduites addictives
ceux abusant de substances (34,7 %), même après contrôle des
(alcool, drogues) ou une symptomatologie psychiatrique positive
facteurs sociodémographiques [102].
(délire, hallucination) ont un risque de récidive élevé puisque 50 %
d’entre eux sont réincarcérés pour un acte criminel au cours des Link et al [68] ont comparé le taux d’arrestations et de violences
6 années suivantes. Ce risque en cas de symptomatologie autorapportées sur une période de 5 ans dans un échantillon de près
psychotique (délire, hallucinations) apparaît légèrement supérieur de 400 sujets adultes, sans antécédents d’hospitalisation ou de
en matière de crimes violents. consultation psychiatrique, avec le taux de violence dans des
échantillons de malades mentaux hospitalisés ou ambulatoires. Un
La prévalence des troubles mentaux chez les femmes incarcérées est grand nombre de facteurs a été contrôlé, en particulier le niveau
également importante à considérer. Dans un échantillon non socioéconomique, les données démographiques et ethniques ou le
sélectionné de 1 272 femmes détenues, respectivement 80 et 70 % taux d’homicides dans la communauté. Bien que certains facteurs
réunissaient les critères d’un trouble psychiatrique sur la vie entière démographiques comme le sexe masculin, un bas niveau
ou au cours des 6 derniers mois [108]. L’ensemble des troubles était d’éducation ou le fait de résider dans une région ayant un taux
significativement plus fréquent que dans la population générale de d’homicide élevé soient corrélés au risque de commettre un acte
l’étude ECA, à l’exception de la schizophrénie et du trouble panique. violent, le groupe des patients était davantage à risque que celui des
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non-patients. Lorsque la présence de symptômes psychotiques était (5,4 %). Les OR étaient respectivement de 3,1 pour les patients
contrôlée (exclusion des personnes aux idées psychotiques des deux schizophrènes, 5,1 pour les troubles schizoaffectifs, 6,3 pour les
groupes), plus aucune différence n’était observée pour les troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques ou pour les
antécédents de comportements violents récents entre malades et paranoïas et autres psychoses, 42,2 pour les troubles mentaux
non-malades. Ce résultat se maintenait même après contrôle des organiques. Tous les sujets avec un diagnostic de trouble organique
données concernant l’abus d’alcool ou de substances (exclusion des et ayant commis une infraction présentaient des psychoses induites
toxicomanes des deux groupes). En conclusion, la différence dans par l’alcool et étaient en réalité alcooliques. La comparaison des OR
les taux de violence entre malades mentaux et sujets n’ayant jamais pour les infractions violentes et pour l’ensemble des infractions
consulté est liée à la présence de symptômes psychotiques. suggérait une association de la schizophrénie (OR = 7) et des
troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques (OR = 8,8) à un
risque majoré d’infractions violentes. La prévalence la plus élevée
ÉTUDES PORTANT SUR DES COHORTES d’infractions était observée pour les hommes présentant des
DE NAISSANCES
psychoses induites par l’alcool ou les schizophrènes avec abus
Pour examiner la relation entre pathologie mentale et crime, la d’alcool, plus de la moitié des schizophrènes délinquants ayant de
méthode de recherche présentant le moins de faiblesses fait également un problème d’alcool. Le risque d’infraction
méthodologiques est de réaliser des études longitudinales criminelle était quatre fois supérieur pour les hommes schizophrènes
prospectives de cohortes de naissances non sélectionnées. avec abus d’alcool versus les hommes schizophrènes sans abus
L’existence de registres centralisés, rassemblant l’ensemble des d’alcool. Sept pour cent des sujets ayant commis un crime violent
données des dossiers criminels et des dossiers d’hospitalisation avaient un diagnostic de psychose. Les hommes schizophrènes
psychiatrique, a permis dans les pays scandinaves des études de avaient un risque modérément élevé pour les infractions violentes,
prévalence de la criminalité. mais le risque pour les autres catégories de crimes n’était pas
Une étude de référence a été réalisée en Suède sur les 15 117 significativement augmenté.
personnes nées à Stockholm en 1953 et suivies jusqu’à l’âge de 30 Dans cette étude, les OR pour les comportements criminels ont pu
ans [50]. Dans ce follow-up sur 30 ans, l’association entre troubles être ajustés en fonction des variables concernant le statut
mentaux et criminalité était étudiée en utilisant pour la première socioéconomique de la famille dans l’enfance. Ils se sont avérés être
fois un échantillon de grande taille, exhaustif, et des méthodes comparables ou légèrement inférieurs aux OR bruts pour l’ensemble
statistiques et épidémiologiques précises permettant de calculer les des troubles mentaux majeurs, à l’exception des schizophrénies et
risques relatifs avec intervalle de confiance pour chaque groupe des troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques, en ce qui
diagnostique. Les hommes présentant un trouble mental majeur concerne les infractions violentes. Le risque criminel apparaît donc
avaient un risque multiplié par deux et demi d’être recensés pour significativement plus important pour les sujets souffrant de troubles
une infraction criminelle et par quatre pour une infraction violente psychotiques, le risque le plus élevé de comportements violents
par rapport aux hommes sans maladie psychiatrique ni déficience étant associé à des psychoses induites par l’alcool et des
intellectuelle. Les femmes souffrant d’un trouble mental majeur schizophrénies avec abus de substances. Les auteurs de cette
avaient un risque cinq fois supérieur d’être condamnées en recherche insistent sur le rôle de l’alcool, les effets de la comorbidité
comparaison avec les femmes indemnes de trouble mental majeur avec l’abus d’alcool devant nécessairement être pris en compte avant
ou de déficience intellectuelle, le risque d’une condamnation pour de conclure sur une association entre troubles mentaux majeurs et
une infraction violente étant vingt-sept fois supérieur. Il est à noter comportements criminels [112].
que le comportement criminel des sujets développant ultérieurement
un trouble psychiatrique majeur apparaissait souvent dès la prime
PRÉVALENCE DES AGRESSIONS CRIMINELLES
adolescence, bien avant que la maladie ne soit diagnostiquée. Les CHEZ LES PATIENTS PSYCHIATRIQUES AMBULATOIRES
hommes présentant un abus ou une dépendance à une ou plusieurs
substances avaient un risque quinze fois supérieur d’infractions Une étude de la prévalence des comportements violents chez les
violentes que les hommes sans trouble mental ni déficience malades mentaux ambulatoires a été réalisée par Asnis et al [5]. Parmi
intellectuelle, ce taux s’élevant à cinquante-quatre pour les femmes. 517 des malades ayant rempli des instruments d’autoévaluation, la
Les personnes de l’étude ayant été condamnées pour un crime prévalence des idées et tentatives d’homicides était respectivement
avaient également, de façon significative, davantage d’antécédents de 22 et 4 %, ce dernier chiffre étant comparable à celui – 3 % –
d’abus de substances dans l’enfance. La comorbidité est importante retrouvé dans une étude précédente [104]. Dans cette recherche, les
à souligner puisque parmi les auteurs d’infractions criminelles idées et comportements homicides n’apparaissent pas associés de
présentant un trouble mental majeur, respectivement 48,7 et 42,9 % façon spécifique à certaines catégories diagnostiques particulières,
des hommes et des femmes avaient également un diagnostic l’abus d’alcool ou de substances et la schizophrénie étant cependant
secondaire d’abus et/ou de dépendance à l’alcool ou à d’autres davantage représentés. L’intensité des symptômes évalués par la
substances [50]. Symptom Checklist-90-R (SCL-90-R) est apparue comme un facteur
plus important pour les patients à tendances homicides,
Dans la plus importante cohorte de naissances menée à ce jour, soit
spécialement en ce qui concerne l’hostilité, l’idéation paranoïde et la
324 401 individus suivis au Danemark jusqu’à l’âge de 43 ans (ie.
sensitivité interpersonnelle (sentiment d’inadéquation et
au-delà de la tranche d’âge où le risque est le plus élevé aussi bien
d’infériorité). Ces patients avaient des scores notamment élevés sur
pour la violence que pour les troubles mentaux les plus graves), les
l’échelle d’hostilité (agressivité, irritabilité, rage et ressentiment). La
personnes ayant des antécédents d’hospitalisation psychiatrique
prédictivité d’un comportement homicide apparaissait ainsi mieux
avaient de trois à onze fois plus de probabilité d’avoir été reconnues
assurée par une approche dimensionnelle que catégorielle.
coupables d’un crime que les personnes jamais hospitalisées.
Presque tous les groupes diagnostiques étaient associés à cette
augmentation du risque et pour tous les types d’infractions CONCLUSION DES ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
criminelles, que celles-ci soient violentes on non [52]. L’ensemble de ces travaux suggère donc l’existence d’une relation
Un autre travail scandinave [112] s’est intéressé à l’étude du risque positive entre trouble mental majeur, comorbidité psychiatrique et
relatif de comportement criminel associé à des troubles mentaux criminalité, association apparaissant d’autant plus forte qu’il s’agit
spécifiques selon la classification du DSM-III-R [3]. Cette étude, d’un homme schizophrène avec un diagnostic d’abus ou de
portant sur une cohorte de naissances non sélectionnées de 12 058 dépendance à une substance, en particulier l’alcool, et davantage
sujets nés en 1966 dans le nord de la Finlande, a été menée de façon pour les crimes violents que non violents [5, 17, 23]. Il est cependant
prospective avec suivi jusqu’à l’âge de 26 ans. Parmi les 503 hommes nécessaire de souligner que la violence n’intéresse pas tous les
ayant commis une infraction, 116 (23 %) avaient un diagnostic patients et que la criminalité des malades mentaux ne représente
psychiatrique, un trouble mental majeur étant recensé dans 27 cas qu’une faible proportion de la criminalité générale [1, 102, 105]. Swanson
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de l’impulsivité par des échelles dimensionnelles comme la Barratt préjudice ou de persécution. Le malade se vit comme une victime,
Impulsiveness Scale [7] , la Buss-Durkee Hostility Inventory [54] cherchant à se faire justice. Le crime est considéré comme juste et
évaluant colère et hostilité, l’Overt Agression Scale [125] évaluant les mérité, ayant valeur de châtiment et d’exemple. Il peut apaiser
comportements agressifs ou l’échelle d’impulsivité de Lecrubier et momentanément la symptomatologie délirante. Le mécanisme
al (European Psychiatry, 1995, 10, 331-338). Elle doit cependant être psychopathologique est la projection, le patient persécuté tuant pour
complétée par d’autres sources en raison du manque d’insight de éviter d’être lui-même victime. La dangerosité est proportionnelle à
ces patients et de possibles biais intentionnels dans les réponses. l’hyperthymie, à l’exaltation passionnelle, mais également à la
Ces échelles ne prédisent pas la violence mais peuvent être utilisées dépression. Pour le malade, l’agression correspond à une réaction
comme des mesures du changement dans le temps, particulièrement de légitime défense. Elle n’est ainsi presque jamais suivie d’un
après traitement. sentiment de regret ou de culpabilité. Les attitudes de l’entourage,
La dimension suicidaire est également importante à considérer. avec parfois dérision ou hostilité, augmentent le risque d’agressivité
Asnis et al [5] ont souligné la fréquence des idées et antécédents de violente.
tentatives d’homicides parmi les patients ambulatoires ainsi que les Les infractions sont souvent graves et généralement précédées
relations étroites entre homicide et suicide. Dans leur étude, 91 % d’agressions verbales ou physiques qui doivent faire redouter une
des auteurs de tentatives d’homicides avaient des antécédents de escalade vers un passage à l’acte majeur. Les victimes sont le
tentatives de suicides et 86 % des idéations homicides conjoint et/ou le rival dans le délire de jalousie, le voisinage dans le
s’accompagnaient d’idées suicidaires. En définitive, l’étude de la délire de relation, le ou les persécuteurs, le médecin dans la rare
personnalité, de traits dimensionnels comme l’impulsivité, de hypocondrie délirante. Les atteintes contre les biens consistent en
symptômes actifs comme la présence d’hallucinations, d’un délire, dégradations ou coups de feu souvent perpétrés de façon préparée
d’idées suicidaires ou d’accès de colère incontrôlable est et dissimulée sur une période volontiers prolongée. Les moments
probablement plus intéressante en matière de comportements privilégiés pour les troubles médicolégaux du comportement sont
violents que celle des catégories diagnostiques spécifiques [5, 68, 74, 99]. les épisodes féconds du délire, les périodes d’alcoolisation et de
dépression. Parmi les éléments cliniques devant faire craindre une
SCHIZOPHRÉNIE agression figurent la conviction délirante inébranlable et l’existence
Les schizophrénies sont considérées comme les maladies mentales d’un persécuteur désigné.
statistiquement les plus criminogènes. Lindqvist et Allebeck [67] ont
réalisé une étude longitudinale sur une période de 14 ans, portant
sur 644 schizophrènes (critères DSM III) hospitalisés à Stockholm et PERSONNALITÉS PATHOLOGIQUES
(TROUBLES DE LA PERSONNALITÉ AXE II)
nés entre 1920 et 1959. Ce travail met en évidence un risque relatif
d’infraction criminelle de 1,2 pour les hommes et de 2,2 pour les Les personnalités antisociales et borderline sont les plus représentées
femmes par comparaison à la population générale en Suède. Ces dans les comportements déviants et antisociaux. Toutes les études
malades avaient commis quatre fois plus d’infractions violentes que montrent une prévalence de la personnalité antisociale en prison
la population générale. Une étude longitudinale portant sur des considérablement plus élevée – 60 % – que dans la population
hommes schizophrènes à Londres retrouve un rate-ratio à 3,1 générale (2 à 3 %) [82]. Les personnalités antisociales sont caractérisées
d’infractions violentes plus élevé que les autres troubles par l’agressivité, l’impulsivité, l’instabilité, l’intolérance à la
mentaux [122]. En France, les schizophrènes représentent actuellement frustration, la tendance au passage à l’acte. Les antécédents de
de 40 à 50 % des admissions en unité pour malades difficiles. carences affectives dans l’enfance sont fréquents et s’accompagnent
Le passage à l’acte, en particulier homicide, inaugurant la maladie du sentiment d’être victime de la société avec désir de revanche. Un
est classique. Il peut être en fait un mode de révélation de troubles mécanisme de défense à type de projection est souvent rencontré.
anciens passés inaperçus ou dissimulés par le malade et son Les comportements auto- et hétéroagressifs émaillent la biographie
entourage. Les violences envers les personnes concernent de ces patients. Ils sont volontiers réalisés de façon impulsive et sans
principalement les proches, les homicides étant commis de façon préméditation, étant favorisés par l’abus d’alcool ou de substances
préférentielle envers les parents. Plus rarement, il s’agit de pour lesquels ces personnes ont une appétence particulière. Ces
l’agression d’un inconnu. L’acte se caractérise classiquement par sa actes peuvent également résulter d’une complication psychiatrique,
gravité, avec acharnement sur la victime, souvent au moyen d’une spécialement un état délirant ou dépressif. Les atteintes contre les
arme blanche. Les formes paranoïdes et héboïdophréniques sont biens sont fréquentes (vols, escroqueries, dégradations). L’absence
fréquemment en cause. Les thèmes délirants de persécution et de sens moral ou éthique est signalée, ces psychosociopathes
d’influence avec idées d’emprise et de contrôle idéique sont les plus n’éprouvant pas de culpabilité ou de remords, rejetant la
criminogènes [69], ainsi que les délires mystiques. L’agression peut responsabilité de leur violence sur la victime.
être soudaine, immotivée, irrationnelle, sans signe annonciateur ou, Une étude de Coid [29], portant sur 260 sujets des deux sexes placés
à l’inverse, survenir dans un contexte clinique bruyant au cours dans des hôpitaux de sécurité maximale en Grande-Bretagne après
d’une phase productive de la maladie. L’absence de culpabilité, la un comportement criminel majeur, retrouve une prévalence élevée
froideur et l’indifférence caractérisent parfois les crimes perpétrés de troubles de la personnalité sur l’axe II du DSM III, avec des
par les hébéphrènes. diagnostics souvent multiples et associés à des troubles de l’axe I.
Aucun délit n’est spécifique de la maladie. Un schizophrène peut, Cette prévalence était respectivement de 69 % pour la personnalité
par ailleurs, avoir un comportement violent en rapport avec un limite, 55 % pour la personnalité antisociale, 48 % pour la
trouble de l’humeur, une intolérance aux frustrations, les effets personnalité narcissique, 47 % pour la personnalité paranoïaque, les
secondaires de son traitement neuroleptique (akathisie) ou un abus autres troubles de la personnalité se situant entre 7 et 31 % [29]. Des
de substances [99, 103]. Il peut également commettre une infraction en meurtres de masse peuvent être commis par des individus ayant
toute conscience, de façon non liée directement à sa pathologie. Les des traits de personnalité paranoïaque et/ou narcissique et se
motivations de l’acte rejoignent alors celles des délinquants sentant offensés [75].
ordinaires : utilitaires ou en rapport avec des facteurs non Stone [101] insiste pour que soit conservé le trouble personnalité
psychiatriques. Notons la fréquence des fantasmes agressifs et sadique malgré sa disparition actuelle dans le DSM IV. Cet auteur a
pervers chez les schizophrènes, auteurs non exceptionnels de repris 297 biographies de meurtriers parues dans des ouvrages
violences sexuelles [11, 100]. destinés au grand public. L’analyse de ces biographies lui a permis
d’établir que 196 de ces sujets réunissaient les critères de la
PSYCHOSE PARANOÏAQUE personnalité sadique (71 % des hommes et 41 % des femmes). Parmi
Les délires paranoïaques ont une réputation classique de les tueurs en série, 92 % recevaient un diagnostic de personnalité
dangerosité. Le passage à l’acte est volontiers prémédité et organisé, sadique et 96 % avaient un score significativement élevé à l’échelle
s’inscrivant dans une démarche paralogique de revendication, de de psychopathie de Hare. Le sadisme sexuel (critères DSM IV) était
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retrouvé chez 95 % des hommes meurtriers en série. Les Les relations entre dépression et agressivité, idées de meurtre et de
personnalités sadiques, antisociales et schizoïdes apparaissent suicide sont décrites depuis longtemps par les psychanalystes. La
comme une constellation fréquente dans la population des auteurs colère, l’hostilité et l’irritabilité sont fréquentes dans les états
d’homicides sexuels en série [101]. dépressifs unipolaires [36]. Dans l’étude de Swanson et al (1990) [102],
la proportion de déprimés rapportant un comportement de violence
dans l’année écoulée – 12 % – était équivalente à celle de sujets
DÉFICIENCE INTELLECTUELLE
présentant une schizophrénie ou un trouble schizophréniforme. Les
De nombreux travaux statistiques révèlent que les populations de idées et comportements homicides et suicides paraissent également
délinquants incarcérés ont un quotient intellectuel moindre que les fortement corrélés [5]. Les mouvements dépressifs et suicidaires
populations non délinquantes. Des études longitudinales semblent s’inscrire parmi les meilleurs prédicteurs de dangerosité à
prospectives ont montré que les enfants possédant un QI inférieur à court terme, en particulier en cas d’association à une situation de
la normale sont à risque supérieur de délinquance. Dans la recherche crise existentielle (séparation de couple, épisode passionnel), une
de Hodgins en 1992 [50], les hommes présentant une déficience pathologie psychotique, un trouble de la personnalité, un abus
intellectuelle ont un risque trois fois plus élevé d’infractions d’alcool ou de substances [12].
criminelles que les hommes indemnes de trouble mental et de
déficience intellectuelle et un risque cinq fois supérieur d’infractions ¶ Épisode maniaque
violentes. De même, les femmes déficientes intellectuelles ont
presque quatre fois plus de risque d’infractions que les femmes Dans l’accès maniaque, les actes antisociaux sont de moindre gravité
indemnes de trouble mental ou de déficience intellectuelle et vingt- que dans la dépression : outrages, vols, escroqueries, grivèleries,
cinq fois plus de probabilité d’infractions violentes. La fréquence de abus de confiance, violences légères, destructions d’objets,
la déficience intellectuelle dans les actes de criminalité a cependant exhibitionnisme et gestes impudiques, conduite automobile
pu être attribuée à des biais. Ces handicapés mentaux se font en dangereuse. Ces patients sont souvent victimes de délits sexuels du
effet plus facilement arrêter et avouent facilement même s’ils sont fait de la libération instinctuelle au cours des accès. Les actes de
innocents. violence physique envers autrui sont possibles si le maniaque est
Davantage que le déficit intellectuel qui altère le discernement, les heurté de front ou se sent victime d’une humiliation ou de
perturbations affectives sont au premier plan dans les troubles du moqueries auxquelles son comportement l’expose. Le sentiment de
comportement. La déficience intellectuelle peut également être toute-puissance peut amener à des affrontements avec les personnes
associée à une autre pathologie mentale (délire, personnalité représentant l’autorité (policier, médecin). La préméditation est
antisociale avec impulsivité, perversité, psychose infantile) réalisant classiquement absente du fait de la fuite des idées et de l’agitation
une déficience mentale dysharmonique, ces troubles associés désordonnée favorisant peu les actes de violence élaborée. Les accès
favorisant le passage à l’acte médicolégal. Le rôle de l’humiliation d’hypomanie paraissent davantage pourvoyeurs de comportements
ou du sentiment d’être offensé a été souligné avec une criminalité violents que les épisodes maniaques francs [99]. Il en est de même
vengeresse par incendie ou homicide. Les violences envers les des états mixtes. La présence d’idées délirantes (persécution), non
personnes peuvent être des coups et blessures, un homicide pour congruentes à l’humeur, augmente la dangerosité, d’autant qu’il y a
un motif dérisoire, absurde ou puéril, une agression sexuelle. Les un persécuteur désigné. L’alcoolisation accroît la dangerosité.
atteintes contre les biens consistent en dégradations, vols et L’accès de manie furieuse avec violence extrême est classique mais
incendies. L’alcoolisation, la participation à un groupe favorisent la rare.
délinquance. Il est à souligner que le déficient intellectuel peut lui-
même être victime des autres. ÉPISODES PSYCHOTIQUES AIGUS
Les classiques bouffées délirantes et épisodes confusodélirants aigus
TROUBLES DE L’HUMEUR se caractérisent par un vécu délusoire intense avec bouleversement
de la vie émotionnelle et sentiment de déréalisation, l’altération de
¶ Dépression
la conscience pouvant s’accompagner d’hallucinations visuelles
L’homicide « altruiste » du mélancolique s’inscrivant dans un effrayantes. Les thèmes délirants sont volontiers mystiques et/ou
contexte de suicide élargi ou étendu aux proches est classique de persécution. Le patient peut commettre une agression en
quoique rare en pratique [116]. Les thématiques délirantes sont des cherchant à se défendre contre ses persécuteurs imaginaires, sous
idées de ruine, de culpabilité, de persécution, mystiques ou l’emprise d’hallucinations auditives impératives ou d’un syndrome
hypocondriaques. La préméditation avant le crime est habituelle et d’influence lui intimant ou suggérant l’ordre de tuer. Le passage à
dissimulée, comme pour le suicide. L’homicide est essentiellement l’acte est violent, soudain, impulsif et non prémédité. Les atteintes
un filicide ou un meurtre du conjoint. Plusieurs études récentes contre les biens consistent en dégradations, vols, incendies.
révèlent une proportion relativement importante – entre 16 et 28 %
– de pathologies dépressives avant les faits dans des séries d’auteurs
d’homicides ou d’actes de violences graves [12] . L’association TROUBLES DU CONTRÔLE DES IMPULSIONS
d’éléments dépressifs et d’idées délirantes de nature paranoïde Ces troubles se définissent comme une incapacité à résister à
paraît être un facteur de risque homicide à court terme chez les l’impulsion ou à la tentation de commettre un acte dangereux pour
psychotiques. Il est probable que le potentiel criminogène de la le sujet ou pour autrui. Le sujet éprouve une sensation de
dépression et des idées suicidaires est sous-estimé par les cliniciens soulagement ou de satisfaction lorsqu’il cède à l’impulsion. Parmi
et dans les expertises [12, 96]. Le suicide ou sa tentative chez les les catégories définies dans le DSM IV [3] figurent le trouble explosif
meurtriers est un phénomène courant puisque sa fréquence varie de intermittent, la pyromanie, le jeu pathologique, la kleptomanie et le
2 à 6 % aux États-Unis jusqu’à 42 % au Danemark [75, 124]. Ces trouble du contrôle des impulsions non spécifié. Les trois premiers
meurtres-suicides intéressent surtout des criminels passionnels sont retrouvés plus fréquemment chez les hommes que chez les
présentant une jalousie pathologique, des mères dépressives auteurs femmes. Parfois, des anomalies électroencéphalographiques ou des
de libéricides, des pères de famille ou des couples âgés et déprimés signes neurologiques discrets sont possibles. L’alcool diminue les
souffrant d’affections physiques invalidantes ou douloureuses, des capacités de contrôle du patient par désinhibition. Le diagnostic
meurtiers de masse [75]. La proportion de déprimés dans les meurtres différentiel doit se faire avec une épilepsie temporale, un
suivis de suicides est importante, allant de 36 à 75 % selon les traumatisme crânien, une personnalité antisociale ou borderline, un
études [63, 96, 124]. La fréquence de la dépression est également élevée trouble bipolaire (épisode maniaque), un trouble lié à une substance
dans les pactes suicidaires, accord mutuel entre deux personnes (alcool, drogues), une affection médicale (trouble organique, tumeur
décidant de mourir ensemble, en particulier pour l’instigateur du cérébrale, maladie dégénérative ou endocrinienne), une
double suicide [25, 95]. schizophrénie [3].
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TROUBLES ANXIEUX
¶ Abus de substances
Les troubles névrotiques sont rarement à l’origine d’un passage à
l’acte médicolégal grave. Ce dernier est alors classiquement associé De nombreuses études montrent une association entre abus de
à une dimension de souffrance avec culpabilité et recherche substances psychoactives et criminalité [34, 35, 39, 50, 102, 112] . La
inconsciente d’une punition. Des idées obsédantes ou des obsessions toxicomanie est particulièrement fréquente parmi les délinquants
impulsives concernant un acte d’agressivité envers autrui ne sont incarcérés. L’abus de substances et la dépendance peuvent être à
pas rares. L’obsessionnel compulsif ne réalise cependant l’origine d’une délinquance économique ou utilitaire par besoin de
qu’exceptionnellement un tel acte lors d’une dynamique se procurer le ou les produits : vols s’accompagnant de violences,
d’épuisement psychique après lutte intérieure incessante avec recours à la prostitution. Certaines substances entraînent des
symptomatologie dépressive. De fausses hétéro-accusations manifestations psychiatriques favorisant des comportements
d’agressions sexuelles sont classiquement décrites dans l’hystérie. criminels ou violents [93]. Un effet confusiogène peut être observé
avec de nombreux produits, particulièrement avec l’association
cannabis-alcool ou en cas d’abus de cannabis. Des épisodes
CONDUITES ADDICTIVES paranoïdes violents sont possibles en cas d’utilisation de
L’alcool et l’usage ou l’abus d’autres substances psychoactives psychostimulants (amphétamines, ecstasy, cocaïne, crack), de
augmentent la criminalité et les comportements agressifs pour les phencyclidine (PCP ou « poussière d’ange »), de barbituriques
malades mentaux comme pour les sujets indemnes de troubles [102]. d’action rapide.
La prévalence des troubles abus et/ou dépendance à ces produits Un effet désinhibiteur avec libération instinctuelle est quelquefois
est également plus élevée parmi les personnes souffrant d’autres observé avec la prise d’alcool, de cannabis, de tranquillisants. Les
troubles psychiatriques [91]. Dans l’étude de Hodgins et al en 1996 [52], benzodiazépines entraînent parfois des états d’obnubilation avec
une proportion significativement élevée de sujets ayant un euphorie, ébriété, sentiment d’invincibilité, levée des inhibitions,
diagnostic primaire de dépendance à l’alcool ou d’autres substances agressivité, manifestations antisociales, le passage à l’acte étant suivi
avaient commis des infractions violentes, respectivement 10 % d’une phase d’endormissement avec amnésie antérograde. Ce
(alcool) et 13 % (autres substances) pour les hommes et deux fois le tableau est potentialisé par l’alcool [93]. Les substances psychoactives
même taux de 1,6 % pour les femmes. Dans les travaux portant sur sont habituellement associées entre elles, la consommation
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grande majorité (90 %), ils sont commis par les fils prenant leur père et de l’abus de substances, n’apparaît pas plus importante que dans
pour victime [13]. Les adolescents parricides agissent habituellement la population générale de niveau socioéconomique équivalent [6]. Les
dans un contexte non psychotique, le meurtre étant perpétré au sujets souffrant de troubles mentaux avérés ne représentent en effet
cours d’un explosion coléreuse faisant suite à des abus répétés et à qu’une faible proportion des auteurs de crimes ou délits sexuels [109].
la violence intrafamiliale du père. Le souci de protéger la mère ou Les questionnaires de personnalité et les épreuves projectives ne
les autres membres de la fratrie est le mobile le plus souvent permettent pas de distinguer un agresseur sexuel d’un non-
exprimé [83]. agresseur sexuel. Il n’existe pas de profil psychologique
La proportion de troubles psychotiques parmi les adultes auteurs spécifique [77].
de parricide est plus importante. Ces crimes représentent une La majorité des auteurs d’infractions sexuelles sont des hommes,
proportion non négligeable des homicides commis par des patients une faible proportion de femmes étant également retrouvée aux
psychotiques (20 à 30 %). Contrairement à l’ensemble des parricides États-Unis (10 %) [109] . Les adolescents sont de plus en plus
dont la victime est préférentiellement le père, les patients souffrant fréquemment impliqués, en particulier dans les viols commis à
de psychoses tuent préférentiellement leur mère, la schizophrénie plusieurs : 50 % des agresseurs sexuels adultes rapportent avoir
étant de fait le diagnostic le plus fréquent [13, 78]. Si le passage à l’acte commis leur premier délit sexuel dans l’adolescence [20]. On estime
est habituellement décrit comme survenant dans un contexte que les adolescents sont responsables de 25 % des viols et de 40 à
paroxystique et soudain, beaucoup d’auteurs de parricides 50 % des autres agressions sexuelles sur les enfants [20]. Entre 20 et
expriment un sentiment ancien d’impasse relationnelle, 30 % des viols de femmes adultes sont également le fait
d’étouffement, d’échec de toutes les tentatives de prise de distance. d’adolescents [6].
Ils peuvent être confrontés à l’idée parricide depuis une longue
période, essayant souvent d’obtenir une aide psychiatrique avant le ¶ Exhibitionnisme
drame [78].
L’exhibitionnisme est la paraphilie la plus fréquente, la
prédominance masculine étant écrasante. La signification
INFANTICIDE ET LIBÉRICIDE inconsciente de ce comportement a été rapportée à une angoisse de
L’annuaire statistique de la justice en France recense actuellement castration, le sujet cherchant à se rassurer sur le fait qu’il a bien un
de 50 à 100 infanticides ou libéricides par an, ce qui correspond à pénis. Une dimension compulsive a pu être évoquée. Une faible
environ 5 % des homicides volontaires. L’infanticide est le meurtre estime de soi avec tendance à la dévalorisation, un déficit d’habiletés
ou l’assassinat d’un nouveau-né. La libéralisation de la contraception sociales et de connaissances sexuelles sont des caractéristiques
et de l’interruption volontaire de grossesse ont probablement usuelles. La symptomatologie débute souvent dans l’adolescence,
beaucoup contribué à diminuer sa fréquence. Les auteurs une apparition tardive devant faire suspecter une étiologie médicale
d’infanticides sont presque exclusivement des mères indemnes de ou psychiatrique (confusion, démence, délire, manie). Des
pathologie psychiatrique avérée et invoquant le non-désir d’enfant. comportements exhibitionnistes sont décrits dans certaines affections
Le pic de prévalence se situe à 20-25 ans et le milieu socioculturel neurologiques : maladie de Parkinson postencéphalitique, syndrome
est souvent modeste, une activité professionnelle n’étant que frontal, chorée de Huntington, épilepsie, encéphalopathie post-
rarement exercée. On observe chez ces criminelles une personnalité traumatique [86]. Il est nécessaire de rechercher d’autres paraphilies
immature, des difficultés à communiquer, une grande solitude associées [86, 109]. Certains meurtriers ou violeurs en série ont des
affective, le déni d’une grossesse souvent cachée à l’entourage et antécédents d’exhibitionnisme dans l’adolescence avec une escalade
l’illégitimité de l’enfant. dans la gravité des comportements médicolégaux. Le taux de
récidive légale est un des plus importants des paraphilies, les
Les libéricides, qui concernent les enfants plus âgés, apparaissent
chiffres variant de 19 à 41 % [6].
davantage pathologiques. Les parents sont fréquemment en cause.
Pour les victimes très jeunes, les auteurs sont plus souvent leurs
mères que leurs pères, ce rapport tendant à s’inverser quand l’enfant ¶ Viol
progresse en âge [92]. Les agresseurs souffrent de troubles dépressifs Le viol est défini par l’article 222-23 du Code pénal français comme
et d’idées suicidaires préexistants au passage à l’acte [24, 92]. De 16 à étant « tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature que ce
29 % des mères et de 40 à 60 % des pères se suicident soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte,
immédiatement après le meurtre de leurs enfants [75]. La mélancolie, menace ou surprise ».
les psychoses du post-partum, les pathologies délirantes aiguës ou
chroniques peuvent également être en cause. Les complications de Typologie des violeurs
l’alcoolisme sont encore à l’origine de violences et de sévices mortels
envers les enfants. Citons pour mémoire le syndrome de Depuis les travaux de Groth (1979) [42], de nouvelles typologies
Münchhausen par procuration. d’auteurs de viols ont été établies avec une rigueur méthodologique
utilisant des méthodes statistiques (analyses de clusters) permettant
d’identifier des groupes de sujets homogènes. Des facteurs tels que
AGRESSION SEXUELLE l’alcoolisme, l’abus de substances, la psychose, les troubles
Les agressions sexuelles sont particulièrement graves par leur organiques ou la déficience intellectuelle n’apparaissent pas comme
fréquence, leur tendance à la récidive et la qualité des victimes. Deux des critères de classification mais seulement comme pouvant
lois (n° 94-88 du 1er février 1994 et n° 98-468 du 17 juin 1998) sont influencer ceux-ci [77]. Une personnalité antisociale est souvent
venues renforcer récemment le droit répressif français en matière de invoquée. Seuls 10 % des auteurs de viol réunissent les critères du
criminalité sexuelle. La plus récente, relative à la prévention et à la « sadisme sexuel » où la souffrance de la victime est l’unique source
répression des infractions sexuelles, ainsi qu’à la protection des d’excitation sexuelle chez l’agresseur [3, 109] . Quatre grandes
mineurs, a institué un suivi sociojudiciaire pouvant comprendre une catégories (opportunisme, rage indifférenciée, motivation sexuelle et
injonction de soins [115]. Les auteurs d’agressions sexuelles sont motivation vindicative) sont ainsi proposées dans la classification
maintenant la catégorie pénale la plus importante dans l’institution de Knight (1990) [59]. La typologie la plus récente des viols, en
pénitentiaire française, représentant 20 % des 51 961 personnes fonction des motivations et du comportement de l’agresseur, est la
détenues au 1er janvier 1999. Près de 50 % des affaires jugées en suivante [55, 114].
cours d’assises concernent des crimes sexuels dont la moitié se
rapportent à un viol sur mineur commis en milieu familial par un • Recherche de réassurance ou compensation
proche (statistiques du ministère de la Justice). (« power-reassurance rape »)
L’incidence des affections psychiatriques parmi les délinquants L’agression a une fonction de réassurance pour un violeur au vécu
sexuels, à l’exception des troubles de la personnalité, de l’alcoolisme marqué par un manque de confiance en soi, un sentiment
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intellectuelle, trouble délirant (épisode délirant aigu, schizophrénie), commis [22, 65]. Il s’agit d’un « trait » génétiquement transmis. Il est
trouble bipolaire (épisode dépressif majeur, hypomanie ou manie), très probable que des facteurs épigénétiques potentialisent ces
état confusionnel, trouble obsessionnel-compulsif (collectionnisme), facteurs de risque : maltraitance et carences parentales pendant
trouble dissociatif, conduite addictive, personnalité antisociale. Des l’enfance. Les recherches de la génétique ont essentiellement porté
vols sont également possibles dans le fétichisme (sous-vêtements sur l’existence d’un chromosome X ou Y supplémentaire, un risque
féminins). de criminalité plus élevé pouvant cependant passer par d’autres
La kleptomanie est une entité nosographique considérée comme un facteurs : faible niveau intellectuel, mutation ponctuelle rare d’un
trouble du contrôle des impulsions dans le DSM-IV [3]. Il résulte des gène lié à l’X sans anomalie du nombre de chromosomes. Les études
recherches actuelles que cette « compulsion au vol » paraît plutôt sur les jumeaux et les adoptés sont en faveur de l’intervention à la
associée à des troubles anxieux ou de l’humeur qu’aux troubles fois de facteurs de risque génétiques et d’environnement [26]. Nous
obsessionnels-compulsifs, entrant préférentiellement dans le cadre ne devrions plus nous contenter d’une évaluation purement clinique
des troubles affectifs (affective spectrum disorder) [38, 76]. Elle serait ou actuarielle des comportements criminels les plus graves. Des
également à inclure dans le spectre des conduites addictives à examens complémentaires d’exploration du système nerveux central
l’exemple de l’alcoolisme, la toxicomanie, la boulimie, le jeu ou les (imagerie cérébrale) et biologiques sont maintenant justifiés [23, 103].
achats pathologiques, toutes addictions comportementales pouvant
alterner ou se superposer, renforçant ainsi la validité du concept
d’addiction, de trouble multi-impulsif [9, 16].
Évaluation et expertise
Nous avons depuis longtemps souligné les évidentes insuffisances
de l’expertise psychiatrique en matière d’appréciation de la
Aspects neurobiologiques dangerosité et de la stratégie thérapeutique. La brièveté de
l’expertise actuelle, son caractère souvent tardif par rapport aux
Les recherches sur la neurobiologie de la violence tentent de faits, la difficulté d’appréciation de l’état mental et du comportement
découvrir des marqueurs (anatomiques, biochimiques, génétiques) au cours d’un entretien souvent unique, le secret médical auquel
permettant une meilleure compréhension de ses causes et sont astreints les médecins traitants, l’absence de renseignements
mécanismes intrinsèques. Ces études tentent également de trouver provenant des proches, la fréquente dissimulation et/ou
des molécules pouvant agir sur les voies nerveuses qui sursimulation des troubles font qu’il existe une différence notable
fonctionneraient anormalement chez les personnes présentant des entre les diagnostics et pronostics portés par les experts et ceux des
troubles mentaux et des accès récurrents de violence [74]. psychiatres exerçant en milieu pénitentiaire ou en unités pour
De nombreuses structures cérébrales sont impliquées dans malades difficiles [18, 97].
l’agressivité dont l’aire septale, l’hippocampe, l’amygdale, le noyau À la différence d’autres systèmes judiciaires étrangers [87], la France
caudé, le thalamus, l’hypothalamus ventromédian, le mésencéphale, ne dispose pas de procédures d’évaluation permettant la mise en
le tegmentum, le pont ou les noyaux du raphé. La participation du évidence et la quantification d’indicateurs concrets de dangerosité
cervelet a également été invoquée. Le cortex préfrontal apparaît criminologique et psychiatrique. Un effort certain doit être accompli
comme un régulateur [ 3 2 , 3 3 ] . Parmi les neuromédiateurs, la en matière d’expertise pour évaluer de façon satisfaisante et
sérotonine, l’acide c-aminobutyrique (GABA), la noradrénaline régulière le risque de récidive. Bien sûr, prédiction ne veut pas dire
interviendraient dans l’inhibition des comportements agressifs, la certitude, le comportement humain étant infiniment complexe et ne
dopamine et le glutamate ayant à l’inverse un rôle excitateur [23]. Des pouvant se réduire à un bilan clinique, instrumental et biologique,
modèles animaux d’agressivité sont décrits depuis longtemps en même répété. Nous sommes dans le domaine des seules probabilités
relation avec une altération de la transmission de la sérotonine liée à statistiques. Les prévisions les plus sérieuses sur l’état dangereux et
une mutation d’un gène, à des lésions de voies nerveuses spécifiques les résultats de sa prise en charge laissent obligatoirement une place
ou à l’administration de substances inhibitrices. aux impondérables en matière d’activité humaine et de circonstances
qui représentent une variable aléatoire, un élément conjoncturel.
Les premières études montrant une association entre une faible
Pour autant, la recherche et l’évaluation des prédicteurs de violence
concentration d’acide 5-hydroxyindoléacétique (5-HIAA), principal
criminelle, des besoins individuels et des apprentissages nécessaires,
métabolite de la sérotonine dans le liquide céphalorachidien (LCR),
des facteurs pouvant favoriser une réinsertion et des possibilités
et des comportements suicidaires de nature impulsive et violente
thérapeutiques sont à même d’orienter au mieux vers des mesures
ont été largement reproduites dans plusieurs pays [22]. Un certain
préventives et curatives susceptibles de réduire les risques majeurs
nombre de recherches ont également montré que des délinquants
de violence [17, 87].
violents impulsifs ont des concentrations en 5-HIAA dans le LCR
significativement plus basses que les sujets contrôles [28, 64, 65, 66, 70, 117, La création de centres régionaux d’évaluation et d’expertise
118]
. Linnoila et al [70] retrouvent cette différence en comparant des criminologique pour les auteurs d’infractions graves, complexes ou
auteurs d’infractions violentes, impulsives et non impulsives. Des récidivantes nous paraît en ce sens intéressante. La mission
concentrations basses en 5-HIAA dans le LCR ont par ailleurs été d’expertise pourrait être confiée à une équipe pluridisciplinaire
constatées chez des incendiaires et des meurtriers récidivistes [117, 118]. utilisant l’examen clinique mais également des méthodes et échelles
Pour les hommes alcooliques violents ou incendiaires, ce trait a été quantitatives d’évaluation des comportements et de la personnalité.
retrouvé associé à des antécédents familiaux de violence paternelle L’observation médicopsychologique prolongée permettrait au
et d’alcoolisme [119]. Les délinquants violents présentant ce trait psychiatre expert de mieux apprécier la responsabilité pénale et la
biologique ont davantage d’antécédents suicidaires et un taux de dangerosité avant condamnation ou libération. De telles structures
récidive criminelle plus élevé [117, 118]. Ce caractère biologique a médicolégales pourraient également permettre de mieux évaluer le
également été observé chez des auteurs de libéricides ou de pronostic et d’élaborer un programme individualisé de traitement [17,
tentatives de libéricides ayant ensuite tenté de se suicider [64]. Des
18]
. On éviterait peut-être ainsi la concentration anormale de malades
facteurs familiaux ont été observés dans des études longitudinales, mentaux graves, tout spécialement psychotiques, dans les
l’agressivité précoce étant un prédicteur de comportements établissements pénitentiaires ou du moins on pourrait espérer qu’ils
antisociaux et criminels, cette agressivité se retrouvant sur plusieurs y soient mieux soignés et réinsérés [61, 71].
générations [65].
L’ensemble des travaux concernant la sérotonine montrent qu’une Profilage criminel
certaine forme d’impulsivité, une agressivité excessive ou une
incapacité à contrôler les pulsions agressives sont les variables Cette technique, utilisée dans les pays anglo-saxons, peut être utile
comportementales associées à de faibles concentrations de 5-HIAA dans certaines infractions violentes (incendie volontaire, agression
dans le LCR, indépendamment du groupe diagnostique et de l’acte sexuelle, homicide) lorsque l’auteur des faits reste inconnu [55, 113, 114].
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L’établissement du profil possible de personnalité du coupable démographiques et socioéconomiques [74, 80]. Cette association paraît plus
permet en effet quelquefois de faciliter son arrestation en orientant importante en cas de troubles mentaux sévères, en particulier
les recherches vers le ou les suspects les plus probables, venant en psychotiques, le risque augmentant avec l’usage ou l’abus d’alcool et/ou
complément des méthodes classiques de l’enquête policière. de substances psychoactives. L’importance de cette association, bien que
En cas d’homicide, divers aspects de la scène du crime sont statistiquement significative, reste cependant modeste en comparaison
intéressants à considérer : organisation ou désorganisation du mode d’autres éléments comme l’âge, le sexe, l’environnement familial, les
opératoire, signature, dépersonnalisation, mise en scène, conduite niveaux d’éducation ou socioéconomique [74, 80, 102, 105]. La violence et les
de réparation, trophées ou souvenirs, fantasmes criminels. Une visite crimes pouvant être exclusivement attribués à la maladie mentale ne
sur les lieux après la phase de l’enquête initiale est indispensable représentent en réalité qu’une faible proportion de la criminalité
afin d’apprécier l’environnement et les circonstances du crime. Il est générale. Il est également nécessaire de souligner que la plupart des
également nécessaire de disposer de l’ensemble des éléments du personnes souffrant de troubles mentaux ne commettront jamais
dossier de l’enquête. La méthode du profilage doit maintenant d’infractions graves et seront plus probablement les victimes d’autrui.
trouver sa place en France à côté des investigations traditionnelles Les violences des malades et handicapés mentaux concernent enfin le
des services enquêteurs et des techniques modernes de la police plus souvent leurs proches, à l’opposé des clichés véhiculés par la
scientifique. télévision, le cinéma ou la littérature.
Les psychiatres sont sollicités de façon croissante dans le cadre
Conclusion d’expertises psychopathologiques pour éclairer la justice, évaluer la
dangerosité et mettre en œuvre des protocoles de soins et de
Contrairement aux idées antérieures, la plupart des auteurs réhabilitation (injonction thérapeutique). Pour cela, ils devraient
s’intéressant à la question de la dangerosité criminelle reconnaissent s’aider d’instruments validés et, dans leurs conclusions, s’en tenir
actuellement l’existence d’un lien entre violence, homicide et maladie prudemment aux données issues des études empiriques ayant isolé les
mentale, lien persistant même après contrôle des données principaux facteurs de risque en matière de récidive.
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