Criminologie Et Psychiatrie

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Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-906-A-10

37-906-A-10

Criminologie et psychiatrie
M Bénézech
P Le Bihan
ML Bourgeois
Résumé. – La dangerosité criminelle est souvent associée à des troubles mentaux. Les études récentes
utilisant des instruments diagnostiques standardisés confirment les données anciennes. Le taux
d’arrestations des patients sortant d’institutions psychiatriques est significativement plus élevé. Les
personnes incarcérées souffrent davantage de troubles mentaux que la population générale. Les troubles
psychotiques, en particulier schizophrénie, idées délirantes et hallucinations, le trouble de la personnalité
antisociale, les addictions augmentent le risque de commettre un homicide. Les études épidémiologiques dans
la population générale confirment que divers troubles mentaux des axes I et II (DSM IV) accroissent
nettement la prévalence du comportement violent. Plus la comorbidité psychiatrique est élevée, plus les
risques de conduite agressive et de suicide sont importants. Les troubles mentaux générateurs d’actes
criminels, ainsi que les principales catégories d’infractions médicolégales sont rapidement décrits. Enfin, les
bases psychobiologiques des comportements violents, en particulier la dysrégulation sérotoninergique,
commencent à être élucidées.
© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : criminologie, psychiatrie, dangerosité, détenu, comorbidité psychiatrique, crime, facteurs de


risques criminels, agressions sexuelles.

Introduction Études épidémiologiques


L’existence d’une relation entre pathologie mentale et violence est
La criminologie peut être définie comme l’étude scientifique du
connue depuis longtemps dans le grand public [5, 80]. Les législations
crime et du criminel. Elle vise à comprendre et expliquer le de la plupart des pays du monde reconnaissent d’ailleurs cette
phénomène criminel. Elle est principalement née au XIXe siècle avec association. L’image du fou commettant un crime violent sans raison
les travaux de l’école positiviste italienne. Cette science se situe à apparente est largement entretenue par les médias qui reprennent
l’interface de plusieurs disciplines : droit pénal, sociologie, médecine quelques faits divers spectaculaires. Cependant, jusqu’à récemment,
légale, psychiatrie, psychologie, neurobiologie, génétique... beaucoup d’auteurs n’acceptaient pas le fait qu’il puisse exister une
Le Code pénal de 1810, envisageant dans son article 64 corrélation positive entre violence et troubles mentaux, argumentant
l’irresponsabilité des malades mentaux, a officiellement donné que l’utilisation de groupes contrôles statistiquement appropriés
naissance à l’expertise psychiatrique pénale. Les personnes pour les variables sociodémographiques faisait disparaître ce lien
reconnues irresponsables en raison de leur aliénation mentale apparent [80] . Depuis que les méthodes épidémiologiques ont
passaient du champ judiciaire au champ médical. La psychiatrie, progressé, des données récentes, plus fiables et scientifiquement
avec la loi du 30 juin 1838 sur l’internement des aliénés, est née valides, sur une association possible entre violence et maladie
précisément dans ce contexte puisqu’il s’agissait non plus de punir, mentale ont été établies. Les évidences se sont ainsi accumulées que
les personnes présentant des troubles mentaux ont une
mais de soigner. En fait, les points de contact entre psychiatrie et
augmentation du risque de criminalité et plus particulièrement de
droit se sont multipliés depuis cette époque, mais nous nous
criminalité violente.
limiterons ici à l’approche psychopathologique du phénomène
criminel. Précisons que cet article a été rédigé dans un esprit
essentiellement scientifique, pragmatique et actuel. Il omet PRÉVALENCE DES COMPORTEMENTS VIOLENTS
volontairement les considérations psychodynamiques incertaines et OU CRIMINELS CHEZ LES MALADES MENTAUX
inopérantes qui encombrent nombre de travaux sur le sujet. Plusieurs recherches de suivi de malades après leur sortie de
services de psychiatrie ont été menées récemment, notamment aux
États-Unis et dans les pays scandinaves. Ces travaux ont montré de
façon concordante que, toute proportion gardée, davantage de ces
patients sont auteurs d’infractions par rapport aux personnes ne
présentant pas de troubles mentaux et vivant dans le même
Michel Bénézech : Professeur associé de droit privé, praticien hospitalier, chef de service, service environnement [68]. Link et al [68], dans une revue de la littérature
médicopsychologique régional, maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan, BP 109, 33173 Gradignan cedex,
France. portant sur 13 études, mettent ainsi en évidence un risque
Patrick Le Bihan : Praticien hospitalier, unité pour malades difficiles, centre hospitalier, 33410 Cadillac, d’arrestation trois fois supérieur à celui de la population générale.
France.
Marc-Louis Bourgeois : Professeur, université Victor Ségalen Bordeaux 2, IPSO, institut Pitres et Régis,
Ces recherches montrent en outre des taux élevés de comportements
centre hospitalier Charles Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux cedex, France. violents [68, 88]. De surcroît, la fréquence des actes violents envers

Toute référence à cet article doit porter la mention : Bénézech M, Le Bihan P et Bourgeois ML. Criminologie et psychiatrie. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Psychiatrie,
37-906-A-10, 2002, 15 p.
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autrui commis par des malades mentaux dans les 2 semaines PRÉVALENCE DES TROUBLES MENTAUX
précédant leur hospitalisation varie de 10 à 40 % selon les études [30, PARMI LES AUTEURS D’HOMICIDES
80, 84, 123]
. De 25 à 30 % des malades hommes, présentant au moins un Les recherches, essentiellement scandinaves, montrent un odds-
antécédent de violence, commettent un nouvel acte de violence dans ratio (OR) relativement élevé, en particulier pour la schizophrénie,
l’année qui suit leur sortie de l’hôpital [56, 57]. la personnalité antisociale et l’alcoolisme parmi les meurtriers [34, 35,
L’abus d’alcool ou de substances paraît être davantage associé à une
39, 110, 111]
. Du fait qu’en Finlande, environ 95 % des homicides sont
plus grande fréquence d’arrestations sur la vie entière que l’existence élucidés et que les auteurs d’homicides sont soumis à une évaluation
d’une schizophrénie, d’un trouble de la personnalité ou d’un trouble de psychiatrie légale intensive et approfondie, il a été possible
affectif majeur [53]. Pour Harry et Steadman, le seul prédicteur valable d’examiner les données de 693 des 994 meurtriers répertoriés sur
pour l’arrestation dans l’année reste toutefois le diagnostic de une période de 8 ans [34]. La prévalence des troubles psychiatriques
lors de l’acte criminel a été utilisée pour calculer les OR pour
personnalité antisociale [48]. Des biais méthodologiques de sélection
l’augmentation statistique du risque associé à certains troubles
sont cependant possibles dans cette catégorie d’études, un
mentaux spécifiques par comparaison avec la population générale.
comportement de violence étant notamment un critère
L’existence d’une schizophrénie augmente l’OR de violence
d’hospitalisation et le comportement inadapté des malades mentaux
homicide de huit fois chez les hommes et de six fois et demie chez
les exposant à être plus souvent arrêtés que les sujets normaux [80, les femmes. Les auteurs précisent cependant que tous les
112]
. schizophrènes ne devraient pas être considérés comme dangereux,
seuls les sujets paranoïdes avec abus de substances présentant un
risque de violence élevé. Une personnalité antisociale ou un
ÉTUDES PORTANT SUR DES POPULATIONS
DE DÉTENUS alcoolisme augmentent cet OR de plus de dix fois chez les hommes.
Le risque apparaît également considérablement plus important,
Des travaux portant sur des échantillons représentatifs de détenus jusqu’à 40 ou 50 fois supérieur, pour les femmes souffrant
aux États-Unis et au Canada montrent une prévalence supérieure d’alcoolisme ou d’une personnalité antisociale. Les comportements
de troubles mentaux graves, comme la schizophrénie ou les troubles homicides, dans un pays présentant un taux de criminalité
affectifs majeurs, par comparaison avec la population générale [51, 106, relativement bas, montrent ainsi une association statistiquement
107, 108]
. La plupart de ces troubles psychiatriques majeurs étaient significative avec plusieurs catégories de troubles mentaux selon les
présents avant la période d’incarcération. Lamb et Weinberger [61], critères du DSM III-R [3].
dans une revue récente de la littérature internationale portant sur La prévalence de la schizophrénie chez les auteurs d’homicide est
110 études parues depuis 30 ans, mettent en évidence que 6 à 15 % relativement importante, entre 8 et 15 %, dans une revue de cinq
des prévenus et 10 à 15 % des condamnés présentent des affections études récentes [105]. Gottlieb et al [39] retrouvent une proportion plus
psychiatriques sévères, aiguës ou chroniques. La morbidité forte en recensant l’ensemble des homicides survenus entre 1955 et
psychiatrique touche en réalité 25 à 60 % de la population pénale en 1983 à Copenhague. Ils mettent en évidence que 23 % des crimes
fonction des études et de l’accent mis sur les troubles de la étaient le fait de psychotiques (schizophrènes et déprimés), la
personnalité [61, 71]. plupart des victimes appartenant à la même famille, contrairement
En considérant les pathologies graves, une des recherches récentes aux homicides commis par des sujets indemnes de psychose.
parmi les plus complètes a été réalisée par Teplin [106]. Elle concerne
728 hommes incarcérés aux États-Unis et révèle que 6,4 % ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
présentaient une schizophrénie, un trouble bipolaire de l’humeur EN POPULATION GÉNÉRALE
ou un trouble dépressif majeur. Cette étude a utilisé le Diagnostic
Les recherches dans des échantillons de population générale sont
Interview Schedule (DIS) permettant ainsi une comparaison avec les
particulièrement intéressantes puisqu’elles évitent la plupart des
données de l’enquête Epidemiologic Catchment Area (ECA) [94] biais de sélection ou de traitement liés à une hospitalisation [80].
portant sur des échantillons de personnes dans la population L’étude de Swanson et al [102] reprend les données de trois sites de
générale. Dans cette recherche, la fréquence de la schizophrénie l’étude ECA [94] portant sur des échantillons représentatifs de plus
apparaît multipliée par trois, la dépression majeure par 3,5, la manie de 10 000 personnes évaluées par l’entretien structuré (Diagnostic
ou le trouble bipolaire par 14 chez les détenus en comparaison avec Interview Schedule) du DSM III [3]. Cette étude montre que, en
la population générale. La prévalence de l’ensemble des troubles comparaison avec les personnes n’ayant pas de diagnostic de trouble
mentaux graves était au moins deux à trois fois plus élevée chez les mental, la prévalence de la violence est cinq fois plus élevée pour
détenus que dans la population générale [106]. Pour le seul diagnostic les individus recevant un diagnostic sur l’axe I. Les prévalences des
de psychose, les études varient entre 3 et 5 % de l’ensemble des comportements de violence dans l’année écoulée pour les personnes
détenus, comme dans l’enquête menée récemment en France dans atteintes d’une schizophrénie, d’une dépression majeure, d’une
26 SMPR par l’association des secteurs de psychiatrie en milieu manie ou d’un trouble bipolaire apparaissent remarquablement
pénitentiaire [71]. proches les unes des autres dans ces groupes diagnostiques (10 à
Teplin et al [107], dans une étude longitudinale, montrent que les 12 %), supérieures à celles des sujets indemnes de troubles (2 %). La
détenus hommes présentant des troubles mentaux sévères prévalence apparaît douze fois plus importante pour les sujets
présentant un abus d’alcool (24,6 %), et seize fois supérieure pour
(schizophrénie, trouble affectif majeur), des conduites addictives
ceux abusant de substances (34,7 %), même après contrôle des
(alcool, drogues) ou une symptomatologie psychiatrique positive
facteurs sociodémographiques [102].
(délire, hallucination) ont un risque de récidive élevé puisque 50 %
d’entre eux sont réincarcérés pour un acte criminel au cours des Link et al [68] ont comparé le taux d’arrestations et de violences
6 années suivantes. Ce risque en cas de symptomatologie autorapportées sur une période de 5 ans dans un échantillon de près
psychotique (délire, hallucinations) apparaît légèrement supérieur de 400 sujets adultes, sans antécédents d’hospitalisation ou de
en matière de crimes violents. consultation psychiatrique, avec le taux de violence dans des
échantillons de malades mentaux hospitalisés ou ambulatoires. Un
La prévalence des troubles mentaux chez les femmes incarcérées est grand nombre de facteurs a été contrôlé, en particulier le niveau
également importante à considérer. Dans un échantillon non socioéconomique, les données démographiques et ethniques ou le
sélectionné de 1 272 femmes détenues, respectivement 80 et 70 % taux d’homicides dans la communauté. Bien que certains facteurs
réunissaient les critères d’un trouble psychiatrique sur la vie entière démographiques comme le sexe masculin, un bas niveau
ou au cours des 6 derniers mois [108]. L’ensemble des troubles était d’éducation ou le fait de résider dans une région ayant un taux
significativement plus fréquent que dans la population générale de d’homicide élevé soient corrélés au risque de commettre un acte
l’étude ECA, à l’exception de la schizophrénie et du trouble panique. violent, le groupe des patients était davantage à risque que celui des

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non-patients. Lorsque la présence de symptômes psychotiques était (5,4 %). Les OR étaient respectivement de 3,1 pour les patients
contrôlée (exclusion des personnes aux idées psychotiques des deux schizophrènes, 5,1 pour les troubles schizoaffectifs, 6,3 pour les
groupes), plus aucune différence n’était observée pour les troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques ou pour les
antécédents de comportements violents récents entre malades et paranoïas et autres psychoses, 42,2 pour les troubles mentaux
non-malades. Ce résultat se maintenait même après contrôle des organiques. Tous les sujets avec un diagnostic de trouble organique
données concernant l’abus d’alcool ou de substances (exclusion des et ayant commis une infraction présentaient des psychoses induites
toxicomanes des deux groupes). En conclusion, la différence dans par l’alcool et étaient en réalité alcooliques. La comparaison des OR
les taux de violence entre malades mentaux et sujets n’ayant jamais pour les infractions violentes et pour l’ensemble des infractions
consulté est liée à la présence de symptômes psychotiques. suggérait une association de la schizophrénie (OR = 7) et des
troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques (OR = 8,8) à un
risque majoré d’infractions violentes. La prévalence la plus élevée
ÉTUDES PORTANT SUR DES COHORTES d’infractions était observée pour les hommes présentant des
DE NAISSANCES
psychoses induites par l’alcool ou les schizophrènes avec abus
Pour examiner la relation entre pathologie mentale et crime, la d’alcool, plus de la moitié des schizophrènes délinquants ayant de
méthode de recherche présentant le moins de faiblesses fait également un problème d’alcool. Le risque d’infraction
méthodologiques est de réaliser des études longitudinales criminelle était quatre fois supérieur pour les hommes schizophrènes
prospectives de cohortes de naissances non sélectionnées. avec abus d’alcool versus les hommes schizophrènes sans abus
L’existence de registres centralisés, rassemblant l’ensemble des d’alcool. Sept pour cent des sujets ayant commis un crime violent
données des dossiers criminels et des dossiers d’hospitalisation avaient un diagnostic de psychose. Les hommes schizophrènes
psychiatrique, a permis dans les pays scandinaves des études de avaient un risque modérément élevé pour les infractions violentes,
prévalence de la criminalité. mais le risque pour les autres catégories de crimes n’était pas
Une étude de référence a été réalisée en Suède sur les 15 117 significativement augmenté.
personnes nées à Stockholm en 1953 et suivies jusqu’à l’âge de 30 Dans cette étude, les OR pour les comportements criminels ont pu
ans [50]. Dans ce follow-up sur 30 ans, l’association entre troubles être ajustés en fonction des variables concernant le statut
mentaux et criminalité était étudiée en utilisant pour la première socioéconomique de la famille dans l’enfance. Ils se sont avérés être
fois un échantillon de grande taille, exhaustif, et des méthodes comparables ou légèrement inférieurs aux OR bruts pour l’ensemble
statistiques et épidémiologiques précises permettant de calculer les des troubles mentaux majeurs, à l’exception des schizophrénies et
risques relatifs avec intervalle de confiance pour chaque groupe des troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques, en ce qui
diagnostique. Les hommes présentant un trouble mental majeur concerne les infractions violentes. Le risque criminel apparaît donc
avaient un risque multiplié par deux et demi d’être recensés pour significativement plus important pour les sujets souffrant de troubles
une infraction criminelle et par quatre pour une infraction violente psychotiques, le risque le plus élevé de comportements violents
par rapport aux hommes sans maladie psychiatrique ni déficience étant associé à des psychoses induites par l’alcool et des
intellectuelle. Les femmes souffrant d’un trouble mental majeur schizophrénies avec abus de substances. Les auteurs de cette
avaient un risque cinq fois supérieur d’être condamnées en recherche insistent sur le rôle de l’alcool, les effets de la comorbidité
comparaison avec les femmes indemnes de trouble mental majeur avec l’abus d’alcool devant nécessairement être pris en compte avant
ou de déficience intellectuelle, le risque d’une condamnation pour de conclure sur une association entre troubles mentaux majeurs et
une infraction violente étant vingt-sept fois supérieur. Il est à noter comportements criminels [112].
que le comportement criminel des sujets développant ultérieurement
un trouble psychiatrique majeur apparaissait souvent dès la prime
PRÉVALENCE DES AGRESSIONS CRIMINELLES
adolescence, bien avant que la maladie ne soit diagnostiquée. Les CHEZ LES PATIENTS PSYCHIATRIQUES AMBULATOIRES
hommes présentant un abus ou une dépendance à une ou plusieurs
substances avaient un risque quinze fois supérieur d’infractions Une étude de la prévalence des comportements violents chez les
violentes que les hommes sans trouble mental ni déficience malades mentaux ambulatoires a été réalisée par Asnis et al [5]. Parmi
intellectuelle, ce taux s’élevant à cinquante-quatre pour les femmes. 517 des malades ayant rempli des instruments d’autoévaluation, la
Les personnes de l’étude ayant été condamnées pour un crime prévalence des idées et tentatives d’homicides était respectivement
avaient également, de façon significative, davantage d’antécédents de 22 et 4 %, ce dernier chiffre étant comparable à celui – 3 % –
d’abus de substances dans l’enfance. La comorbidité est importante retrouvé dans une étude précédente [104]. Dans cette recherche, les
à souligner puisque parmi les auteurs d’infractions criminelles idées et comportements homicides n’apparaissent pas associés de
présentant un trouble mental majeur, respectivement 48,7 et 42,9 % façon spécifique à certaines catégories diagnostiques particulières,
des hommes et des femmes avaient également un diagnostic l’abus d’alcool ou de substances et la schizophrénie étant cependant
secondaire d’abus et/ou de dépendance à l’alcool ou à d’autres davantage représentés. L’intensité des symptômes évalués par la
substances [50]. Symptom Checklist-90-R (SCL-90-R) est apparue comme un facteur
plus important pour les patients à tendances homicides,
Dans la plus importante cohorte de naissances menée à ce jour, soit
spécialement en ce qui concerne l’hostilité, l’idéation paranoïde et la
324 401 individus suivis au Danemark jusqu’à l’âge de 43 ans (ie.
sensitivité interpersonnelle (sentiment d’inadéquation et
au-delà de la tranche d’âge où le risque est le plus élevé aussi bien
d’infériorité). Ces patients avaient des scores notamment élevés sur
pour la violence que pour les troubles mentaux les plus graves), les
l’échelle d’hostilité (agressivité, irritabilité, rage et ressentiment). La
personnes ayant des antécédents d’hospitalisation psychiatrique
prédictivité d’un comportement homicide apparaissait ainsi mieux
avaient de trois à onze fois plus de probabilité d’avoir été reconnues
assurée par une approche dimensionnelle que catégorielle.
coupables d’un crime que les personnes jamais hospitalisées.
Presque tous les groupes diagnostiques étaient associés à cette
augmentation du risque et pour tous les types d’infractions CONCLUSION DES ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
criminelles, que celles-ci soient violentes on non [52]. L’ensemble de ces travaux suggère donc l’existence d’une relation
Un autre travail scandinave [112] s’est intéressé à l’étude du risque positive entre trouble mental majeur, comorbidité psychiatrique et
relatif de comportement criminel associé à des troubles mentaux criminalité, association apparaissant d’autant plus forte qu’il s’agit
spécifiques selon la classification du DSM-III-R [3]. Cette étude, d’un homme schizophrène avec un diagnostic d’abus ou de
portant sur une cohorte de naissances non sélectionnées de 12 058 dépendance à une substance, en particulier l’alcool, et davantage
sujets nés en 1966 dans le nord de la Finlande, a été menée de façon pour les crimes violents que non violents [5, 17, 23]. Il est cependant
prospective avec suivi jusqu’à l’âge de 26 ans. Parmi les 503 hommes nécessaire de souligner que la violence n’intéresse pas tous les
ayant commis une infraction, 116 (23 %) avaient un diagnostic patients et que la criminalité des malades mentaux ne représente
psychiatrique, un trouble mental majeur étant recensé dans 27 cas qu’une faible proportion de la criminalité générale [1, 102, 105]. Swanson

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et al [ 1 0 2 ] , tout en constatant la fréquence supérieure de Prédicteurs liés à l’état mental


comportements de violence en cas de troubles psychiatriques, Les prédicteurs sont :
soulignent que la criminalité des personnes présentant des troubles
schizophréniques ne représente que 3 % de la violence en général, – immaturité psychologique, intellectuelle et morale ;
l’alcoolisme étant responsable à lui seul de davantage de violences – mentalisation et verbalisation déficientes ;
que les autres troubles mentaux réunis. En France, sur 2000
homicides environ chaque année, seule une centaine (5 %) est en – introspection difficile ;
réalité le fait de personnes souffrant d’une pathologie mentale grave, – incapacité à communiquer avec autrui ;
psychose schizophrénique ou paranoïaque dans la moitié des cas [1]. – caractère extraverti avec anxiété ;
– personnalité psychopathique-limite ;
Dangerosité – troubles psychotiques ;
– conduites addictives ;
Nous en proposons la définition suivante : « État, situation ou action
dans lesquels une personne ou un groupe de personnes font courir – impulsivité pathologique, perte de contrôle ;
à autrui ou aux biens un risque important de violence, de dommage – automutilations ;
ou de destruction » [17]. La dangerosité peut se rencontrer dans toutes
– fantasmes déviants agressifs, sexuels, incendiaires, sadiques ;
les pathologies. Elle est évolutive, transitoire ou durable, imminente
parfois, fluctuant fréquemment avec le temps et les circonstances. – comportement imprévisible, irrationnel ;
Le risque peut être auto- et/ou hétéroagressif. La valeur scientifique – colère, hostilité ou ressentiment chroniques ;
de cette notion de dangerosité est parfois contestée, l’ensemble des
études de méthodologie satisfaisante concluant à la faible valeur – égoïsme, absence de compassion, inaffectivité ;
prédictive de ce concept. Le passage à l’acte survient dans un – hyperémotivité, instabilité émotionnelle ;
contexte situationnel donné, à un moment particulier, intéressant un – fanatisme politique, religieux.
agresseur et une victime donnés. L’accent est mis actuellement sur
l’interaction d’un sujet et d’un environnement, la dangerosité devant Prédicteurs liés au mode de vie et aux attitudes sociales
être considérée en termes de dynamique de dangerosité
particulière [99]. Pour une personne à nouveau confrontée à une Ce sont :
situation dans laquelle elle est passée à l’acte, le risque de récidive – inadaptation sociofamiliale ;
est plus important.
– absence d’emploi ;
– marginalité, toxicomanie, prostitution ;
Facteurs de risque criminel – port d’arme, accès à des instruments de violence ;
– conduite automobile dangereuse, autres conduites à risques ;
Certaines variables en relation avec la dangerosité pour autrui sont
fréquemment mises en évidence dans les travaux portant sur la – fréquentation des délinquants ;
violence et le risque de récidive [12, 17, 19, 37, 47, 81, 85, 87, 99]. En France, il – attitude de victime, vécu d’injustice, critique de la société ;
est habituel de différencier les facteurs de dangerosité psychiatrique
– négation ou minimisation des actes violents passés.
de ceux proprement criminogènes (dangerosité criminologique). Les
relations statistiques entre trouble mental et crime violent rendent Prédicteurs liés à la situation précriminelle
cette dichotomie volontiers arbitraire et peu pragmatique en
pratique médicolégale. Outre l’âge –15 à 30 ans – et le sexe masculin, Ce sont :
nous classerons ici l’ensemble de ces indicateurs pronostiques selon – situation de crise ;
un plan différent, plus adapté à l’évaluation d’un individu
susceptible de commettre une agression contre autrui ou de – état de stress ;
récidiver. – apparition d’un état dépressif ;
– idées de suicide ou d’homicide ;
Prédicteurs liés à l’enfance du sujet
– abus d’alcool et de stupéfiants ;
Les prédicteurs sont :
– activité et intensité des symptômes psychiatriques ;
– milieu familial brisé et abusif ;
– épisode fécond délirant ;
– brutalités parentales, événements traumatiques ; – forte intentionnalité de faire mal ;
– perte précoce d’un parent ; – plan concret d’agression.
– éducation froide, hostile, permissive ;
Prédicteurs liés à la victime virtuelle
– manque de supervision des parents ;
Les prédicteurs sont :
– placements familiaux ou institutionnels ;
– proximité affective et géographique de la victime ;
– tendances incendiaires, énurésie et cruauté envers les animaux ;
– menaces de mort à l’endroit de la victime ;
– échec scolaire.
– désignation nominale d’un persécuteur ;
Prédicteurs liés aux antécédents criminels – victime hostile, provocatrice, dépendante, imprudente, jeune, de
Ce sont : sexe féminin, handicapée, malade mentale, privée de liberté.

– précocité de la délinquance violente ; Prédicteurs liés à la prise en charge


– multiplicité et gravité des infractions ; Il s’agit :
– condamnations pour violences physiques ou sexuelles ; – d’échec répété des tentatives de réinsertion ;
– non-lieux pour troubles mentaux. – d’absence de projets d’avenir réalistes ;

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Récemment, Hare et al [46] ont élaboré la Revised Psychopathy


Tableau I. – Facteurs du HCR-20 (Webster et al, 1997) [121]. Checklist (PCL-R) très utilisée actuellement dans les pays anglo-
Historiques Cliniques Gestion du risque saxons et au Canada. Le PCL-R comporte deux facteurs : un facteur
(passé) (présent) (futur) 1 concernant les aspects relationnels : égocentrisme, manipulation,
H1. Violence antérieure C1. Introspection difficile R1. Plans irréalisables rudesse, absence de remords (caractéristique psychopathique
H2. Premier acte de C2. Attitudes négatives R2. Exposition à des nucléaire) ; le facteur 2 concerne l’impulsivité, l’instabilité et un style
violence commis durant facteurs déstabilisants de vie marqué par l’irresponsabilité. Des scores élevés au PCL-R sont
la jeunesse corrélés avec un récidivisme important d’agressions violentes [47, 85].
H3. Instabilité des C3. Symptômes actifs de R3. Manque de soutien
relations intimes maladie mentale grave personnel Il existe une traduction française : l’échelle de psychopathie de
H4. Problèmes d’emploi C4. Impulsivité R4. Inobservance Hare [85]. La prédiction de la violence par les cliniciens se traduit
des mesures curatives cependant par une proportion importante – 65 à 86 % – de faux
H5. Problèmes de C5. Résistance au R5. Stress positifs avec une surestimation du risque individuel, ce qui pose
toxicomanie traitement
H6. Maladie mentale
d’évidents problèmes éthiques [56, 80] . Une voie de recherche
grave intéressante pourrait être l’étude des facteurs protecteurs de la
H7. Psychopathie récidive en s’intéressant aux délinquants ne récidivant pas.
H8. Inadaptation durant
la jeunesse
H9. Troubles de la
personnalité Approche clinique
H10. Échec antérieur
de la surveillance La démarche consistant à concevoir un crime uniquement à partir
de la psychopathologie de son auteur et du diagnostic est
certainement réductrice [99]. Si les crimes commis par les malades
– d’attitude négative à l’égard des interventions ; mentaux s’inscrivent dans une dynamique criminogène propre au
– du manque de référents médical et social ; patient – processus plus ou moins long jalonné de drames
existentiels et de situations frustrantes – l’étude d’un passage à l’acte
– de mauvaises relations avec l’entourage personnel et soignant ;
criminel doit prendre en considération les facteurs situationnels ainsi
– d’absence, refus, inefficacité du traitement psychiatrique. que ceux liés à la victime.
L’analyse de ces prédicteurs et leur association peuvent donner une Comme nous l’avons vu, la comorbidité est également importante à
bonne indication de l’importance du risque statistique théorique de considérer [23, 102]. Dans l’étude de Swanson et al [102], menée avec une
passage à l’acte violent et de récidive. Le reste est affaire d’éléments méthode rigoureuse, la fréquence de la violence augmente avec le
circonstanciels, situationnels ou tenant à la nature et à l’attitude de nombre de diagnostics catégoriels pour un même patient. Cette
la future victime. Parmi ces prédicteurs de dangerosité, les comorbidité, qu’elle soit diagnostique catégorielle ou
traumatismes physiques et sexuels dans l’enfance, la délinquance dimensionnelle, augmente considérablement le risque de violence,
précoce, l’échec scolaire, l’immaturité, l’inadaptation professionnelle, d’hétéro- et/ou autoagression [5, 23, 102]. La comorbidité entre un
les conduites addictives et les troubles mentaux tiennent une place trouble mental (schizophrénie) et un abus de substances est
importante. Le meilleur indicateur du risque de récidive criminelle particulièrement associée à un risque accru de comportement
reste cependant la fréquence et le type des antécédents judiciaires, violent [50, 102, 112, 120] . Une comorbidité avec des pathologies
la probabilité qu’une personne commette des actes de violence étant neurologiques ou médicales est également possible, leur recherche
considérablement plus forte si celle-ci a déjà été violente par le passé. devant faire partie du bilan organique systématique, comme
Les troubles des conduites dans l’enfance, le trouble déficitaire de d’ailleurs les examens de laboratoire [23, 65, 103]. Les facteurs organiques
l’attention avec hyperactivité exposent à un risque plus élevé de pouvant être associés à l’agressivité violente et impulsive sont les
comportements antisociaux graves ou criminels à l’adolescence et à démences, la maladie de Huntington, le syndrome psycho-
l’âge adulte [60, 98]. organique, les lésions cérébrales, le syndrome de Korsakoff, certaines
Malgré l’intérêt clinique et épidémiologique de ces paramètres déficiences intellectuelles, plus exceptionnellement, une
corrélés à la dangerosité et à la récidive, il nous faut insister sur hypoglycémie ou une hyperthyroïdie [23, 103].
l’incertitude du pronostic d’un passage à l’acte violent. Les L’approche diagnostique catégorielle en psychopathologie est
prévisions doivent en effet laisser une place à l’inattendu en matière actuellement complétée par une approche dimensionnelle,
d’activités humaines et aux circonstances, ces dernières étant une transnosographique [23]. En effet, l’approche catégorielle seule est
variable aléatoire, un élément conjoncturel. Il est cependant possible insuffisante à la compréhension des mécanismes conduisant un
de prévoir qu’un individu se trouve dans une situation à risque de patient à commettre un acte violent. La plupart des patients pour
violence, surtout si ses antécédents sont connus. L’estimation de la qui le même diagnostic est posé ne passent en réalité jamais à l’acte.
probabilité d’une violence ultérieure passe par l’utilisation L’impulsivité est une dimension intéressante en matière de
d’instruments ou de guides permettant au praticien de ne rien comportements violents et criminels dans l’appréciation du risque
oublier d’essentiel et complétant les données objectives et subjectives de récidive [23, 31, 99]. Elle peut être définie comme une tendance à
de l’examen clinique. Ces instruments statistiques d’évaluation du l’action avant la réflexion, tendance s’accompagnant d’un manque
risque ont bien entendu leurs limites [23]. Plusieurs tests et échelles d’anticipation ou d’une mauvaise estimation des conséquences avec
ont été proposés mais le protocole d’évaluation HCR-20 paraît avoir facilité du recours au passage à l’acte [10]. On peut en rapprocher
actuellement la faveur de la majorité des professionnels, en l’incapacité à différer un comportement, à contrôler ses émotions
particulier au Canada (tableau I). sexuelles et agressives, la recherche de la nouveauté, l’incapacité à
Les principaux prédicteurs de récidive générale ont été résumés retarder une récompense [10]. L’impulsivité est parfois considérée
récemment dans une importante méta-analyse [37]. Les facteurs comme un tempérament lorsque cette dernière notion est comprise
statiques sont par ordre d’importance décroissante les antécédents comme un trait biologiquement déterminé, un dysfonctionnement
criminels, l’âge, les méthodes d’éducation parentale, les antécédents sérotoninergique et une vulnérabilité héréditaire étant souvent
de comportement antisocial dans l’enfance ou l’adolescence, évoqués. Elle pourrait être la cible privilégiée de certains traitements
l’ethnicité, la structure familiale, le sexe masculin, le fonctionnement sérotoninergiques. C’est une dimension fréquente dans des entités
intellectuel, le statut socioéconomique. Les facteurs dynamiques sont nosographiques variées : psychoses, troubles bipolaires, personnalité
l’existence d’une personnalité antisociale, la fréquentation des antisociale ou borderline, abus de substances, paraphilies, pathologies
délinquants, les comportements antisociaux, un conflit cérébrales organiques, troubles des conduites, troubles du contrôle
interpersonnel, l’absence de réussite sociale, l’abus de substances, la des impulsions, trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité
détresse personnelle [37]. chez l’enfant [10, 54]. L’approche psychométrique permet une mesure

5
37-906-A-10 Criminologie et psychiatrie Psychiatrie

de l’impulsivité par des échelles dimensionnelles comme la Barratt préjudice ou de persécution. Le malade se vit comme une victime,
Impulsiveness Scale [7] , la Buss-Durkee Hostility Inventory [54] cherchant à se faire justice. Le crime est considéré comme juste et
évaluant colère et hostilité, l’Overt Agression Scale [125] évaluant les mérité, ayant valeur de châtiment et d’exemple. Il peut apaiser
comportements agressifs ou l’échelle d’impulsivité de Lecrubier et momentanément la symptomatologie délirante. Le mécanisme
al (European Psychiatry, 1995, 10, 331-338). Elle doit cependant être psychopathologique est la projection, le patient persécuté tuant pour
complétée par d’autres sources en raison du manque d’insight de éviter d’être lui-même victime. La dangerosité est proportionnelle à
ces patients et de possibles biais intentionnels dans les réponses. l’hyperthymie, à l’exaltation passionnelle, mais également à la
Ces échelles ne prédisent pas la violence mais peuvent être utilisées dépression. Pour le malade, l’agression correspond à une réaction
comme des mesures du changement dans le temps, particulièrement de légitime défense. Elle n’est ainsi presque jamais suivie d’un
après traitement. sentiment de regret ou de culpabilité. Les attitudes de l’entourage,
La dimension suicidaire est également importante à considérer. avec parfois dérision ou hostilité, augmentent le risque d’agressivité
Asnis et al [5] ont souligné la fréquence des idées et antécédents de violente.
tentatives d’homicides parmi les patients ambulatoires ainsi que les Les infractions sont souvent graves et généralement précédées
relations étroites entre homicide et suicide. Dans leur étude, 91 % d’agressions verbales ou physiques qui doivent faire redouter une
des auteurs de tentatives d’homicides avaient des antécédents de escalade vers un passage à l’acte majeur. Les victimes sont le
tentatives de suicides et 86 % des idéations homicides conjoint et/ou le rival dans le délire de jalousie, le voisinage dans le
s’accompagnaient d’idées suicidaires. En définitive, l’étude de la délire de relation, le ou les persécuteurs, le médecin dans la rare
personnalité, de traits dimensionnels comme l’impulsivité, de hypocondrie délirante. Les atteintes contre les biens consistent en
symptômes actifs comme la présence d’hallucinations, d’un délire, dégradations ou coups de feu souvent perpétrés de façon préparée
d’idées suicidaires ou d’accès de colère incontrôlable est et dissimulée sur une période volontiers prolongée. Les moments
probablement plus intéressante en matière de comportements privilégiés pour les troubles médicolégaux du comportement sont
violents que celle des catégories diagnostiques spécifiques [5, 68, 74, 99]. les épisodes féconds du délire, les périodes d’alcoolisation et de
dépression. Parmi les éléments cliniques devant faire craindre une
SCHIZOPHRÉNIE agression figurent la conviction délirante inébranlable et l’existence
Les schizophrénies sont considérées comme les maladies mentales d’un persécuteur désigné.
statistiquement les plus criminogènes. Lindqvist et Allebeck [67] ont
réalisé une étude longitudinale sur une période de 14 ans, portant
sur 644 schizophrènes (critères DSM III) hospitalisés à Stockholm et PERSONNALITÉS PATHOLOGIQUES
(TROUBLES DE LA PERSONNALITÉ AXE II)
nés entre 1920 et 1959. Ce travail met en évidence un risque relatif
d’infraction criminelle de 1,2 pour les hommes et de 2,2 pour les Les personnalités antisociales et borderline sont les plus représentées
femmes par comparaison à la population générale en Suède. Ces dans les comportements déviants et antisociaux. Toutes les études
malades avaient commis quatre fois plus d’infractions violentes que montrent une prévalence de la personnalité antisociale en prison
la population générale. Une étude longitudinale portant sur des considérablement plus élevée – 60 % – que dans la population
hommes schizophrènes à Londres retrouve un rate-ratio à 3,1 générale (2 à 3 %) [82]. Les personnalités antisociales sont caractérisées
d’infractions violentes plus élevé que les autres troubles par l’agressivité, l’impulsivité, l’instabilité, l’intolérance à la
mentaux [122]. En France, les schizophrènes représentent actuellement frustration, la tendance au passage à l’acte. Les antécédents de
de 40 à 50 % des admissions en unité pour malades difficiles. carences affectives dans l’enfance sont fréquents et s’accompagnent
Le passage à l’acte, en particulier homicide, inaugurant la maladie du sentiment d’être victime de la société avec désir de revanche. Un
est classique. Il peut être en fait un mode de révélation de troubles mécanisme de défense à type de projection est souvent rencontré.
anciens passés inaperçus ou dissimulés par le malade et son Les comportements auto- et hétéroagressifs émaillent la biographie
entourage. Les violences envers les personnes concernent de ces patients. Ils sont volontiers réalisés de façon impulsive et sans
principalement les proches, les homicides étant commis de façon préméditation, étant favorisés par l’abus d’alcool ou de substances
préférentielle envers les parents. Plus rarement, il s’agit de pour lesquels ces personnes ont une appétence particulière. Ces
l’agression d’un inconnu. L’acte se caractérise classiquement par sa actes peuvent également résulter d’une complication psychiatrique,
gravité, avec acharnement sur la victime, souvent au moyen d’une spécialement un état délirant ou dépressif. Les atteintes contre les
arme blanche. Les formes paranoïdes et héboïdophréniques sont biens sont fréquentes (vols, escroqueries, dégradations). L’absence
fréquemment en cause. Les thèmes délirants de persécution et de sens moral ou éthique est signalée, ces psychosociopathes
d’influence avec idées d’emprise et de contrôle idéique sont les plus n’éprouvant pas de culpabilité ou de remords, rejetant la
criminogènes [69], ainsi que les délires mystiques. L’agression peut responsabilité de leur violence sur la victime.
être soudaine, immotivée, irrationnelle, sans signe annonciateur ou, Une étude de Coid [29], portant sur 260 sujets des deux sexes placés
à l’inverse, survenir dans un contexte clinique bruyant au cours dans des hôpitaux de sécurité maximale en Grande-Bretagne après
d’une phase productive de la maladie. L’absence de culpabilité, la un comportement criminel majeur, retrouve une prévalence élevée
froideur et l’indifférence caractérisent parfois les crimes perpétrés de troubles de la personnalité sur l’axe II du DSM III, avec des
par les hébéphrènes. diagnostics souvent multiples et associés à des troubles de l’axe I.
Aucun délit n’est spécifique de la maladie. Un schizophrène peut, Cette prévalence était respectivement de 69 % pour la personnalité
par ailleurs, avoir un comportement violent en rapport avec un limite, 55 % pour la personnalité antisociale, 48 % pour la
trouble de l’humeur, une intolérance aux frustrations, les effets personnalité narcissique, 47 % pour la personnalité paranoïaque, les
secondaires de son traitement neuroleptique (akathisie) ou un abus autres troubles de la personnalité se situant entre 7 et 31 % [29]. Des
de substances [99, 103]. Il peut également commettre une infraction en meurtres de masse peuvent être commis par des individus ayant
toute conscience, de façon non liée directement à sa pathologie. Les des traits de personnalité paranoïaque et/ou narcissique et se
motivations de l’acte rejoignent alors celles des délinquants sentant offensés [75].
ordinaires : utilitaires ou en rapport avec des facteurs non Stone [101] insiste pour que soit conservé le trouble personnalité
psychiatriques. Notons la fréquence des fantasmes agressifs et sadique malgré sa disparition actuelle dans le DSM IV. Cet auteur a
pervers chez les schizophrènes, auteurs non exceptionnels de repris 297 biographies de meurtriers parues dans des ouvrages
violences sexuelles [11, 100]. destinés au grand public. L’analyse de ces biographies lui a permis
d’établir que 196 de ces sujets réunissaient les critères de la
PSYCHOSE PARANOÏAQUE personnalité sadique (71 % des hommes et 41 % des femmes). Parmi
Les délires paranoïaques ont une réputation classique de les tueurs en série, 92 % recevaient un diagnostic de personnalité
dangerosité. Le passage à l’acte est volontiers prémédité et organisé, sadique et 96 % avaient un score significativement élevé à l’échelle
s’inscrivant dans une démarche paralogique de revendication, de de psychopathie de Hare. Le sadisme sexuel (critères DSM IV) était

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Psychiatrie Criminologie et psychiatrie 37-906-A-10

retrouvé chez 95 % des hommes meurtriers en série. Les Les relations entre dépression et agressivité, idées de meurtre et de
personnalités sadiques, antisociales et schizoïdes apparaissent suicide sont décrites depuis longtemps par les psychanalystes. La
comme une constellation fréquente dans la population des auteurs colère, l’hostilité et l’irritabilité sont fréquentes dans les états
d’homicides sexuels en série [101]. dépressifs unipolaires [36]. Dans l’étude de Swanson et al (1990) [102],
la proportion de déprimés rapportant un comportement de violence
dans l’année écoulée – 12 % – était équivalente à celle de sujets
DÉFICIENCE INTELLECTUELLE
présentant une schizophrénie ou un trouble schizophréniforme. Les
De nombreux travaux statistiques révèlent que les populations de idées et comportements homicides et suicides paraissent également
délinquants incarcérés ont un quotient intellectuel moindre que les fortement corrélés [5]. Les mouvements dépressifs et suicidaires
populations non délinquantes. Des études longitudinales semblent s’inscrire parmi les meilleurs prédicteurs de dangerosité à
prospectives ont montré que les enfants possédant un QI inférieur à court terme, en particulier en cas d’association à une situation de
la normale sont à risque supérieur de délinquance. Dans la recherche crise existentielle (séparation de couple, épisode passionnel), une
de Hodgins en 1992 [50], les hommes présentant une déficience pathologie psychotique, un trouble de la personnalité, un abus
intellectuelle ont un risque trois fois plus élevé d’infractions d’alcool ou de substances [12].
criminelles que les hommes indemnes de trouble mental et de
déficience intellectuelle et un risque cinq fois supérieur d’infractions ¶ Épisode maniaque
violentes. De même, les femmes déficientes intellectuelles ont
presque quatre fois plus de risque d’infractions que les femmes Dans l’accès maniaque, les actes antisociaux sont de moindre gravité
indemnes de trouble mental ou de déficience intellectuelle et vingt- que dans la dépression : outrages, vols, escroqueries, grivèleries,
cinq fois plus de probabilité d’infractions violentes. La fréquence de abus de confiance, violences légères, destructions d’objets,
la déficience intellectuelle dans les actes de criminalité a cependant exhibitionnisme et gestes impudiques, conduite automobile
pu être attribuée à des biais. Ces handicapés mentaux se font en dangereuse. Ces patients sont souvent victimes de délits sexuels du
effet plus facilement arrêter et avouent facilement même s’ils sont fait de la libération instinctuelle au cours des accès. Les actes de
innocents. violence physique envers autrui sont possibles si le maniaque est
Davantage que le déficit intellectuel qui altère le discernement, les heurté de front ou se sent victime d’une humiliation ou de
perturbations affectives sont au premier plan dans les troubles du moqueries auxquelles son comportement l’expose. Le sentiment de
comportement. La déficience intellectuelle peut également être toute-puissance peut amener à des affrontements avec les personnes
associée à une autre pathologie mentale (délire, personnalité représentant l’autorité (policier, médecin). La préméditation est
antisociale avec impulsivité, perversité, psychose infantile) réalisant classiquement absente du fait de la fuite des idées et de l’agitation
une déficience mentale dysharmonique, ces troubles associés désordonnée favorisant peu les actes de violence élaborée. Les accès
favorisant le passage à l’acte médicolégal. Le rôle de l’humiliation d’hypomanie paraissent davantage pourvoyeurs de comportements
ou du sentiment d’être offensé a été souligné avec une criminalité violents que les épisodes maniaques francs [99]. Il en est de même
vengeresse par incendie ou homicide. Les violences envers les des états mixtes. La présence d’idées délirantes (persécution), non
personnes peuvent être des coups et blessures, un homicide pour congruentes à l’humeur, augmente la dangerosité, d’autant qu’il y a
un motif dérisoire, absurde ou puéril, une agression sexuelle. Les un persécuteur désigné. L’alcoolisation accroît la dangerosité.
atteintes contre les biens consistent en dégradations, vols et L’accès de manie furieuse avec violence extrême est classique mais
incendies. L’alcoolisation, la participation à un groupe favorisent la rare.
délinquance. Il est à souligner que le déficient intellectuel peut lui-
même être victime des autres. ÉPISODES PSYCHOTIQUES AIGUS
Les classiques bouffées délirantes et épisodes confusodélirants aigus
TROUBLES DE L’HUMEUR se caractérisent par un vécu délusoire intense avec bouleversement
de la vie émotionnelle et sentiment de déréalisation, l’altération de
¶ Dépression
la conscience pouvant s’accompagner d’hallucinations visuelles
L’homicide « altruiste » du mélancolique s’inscrivant dans un effrayantes. Les thèmes délirants sont volontiers mystiques et/ou
contexte de suicide élargi ou étendu aux proches est classique de persécution. Le patient peut commettre une agression en
quoique rare en pratique [116]. Les thématiques délirantes sont des cherchant à se défendre contre ses persécuteurs imaginaires, sous
idées de ruine, de culpabilité, de persécution, mystiques ou l’emprise d’hallucinations auditives impératives ou d’un syndrome
hypocondriaques. La préméditation avant le crime est habituelle et d’influence lui intimant ou suggérant l’ordre de tuer. Le passage à
dissimulée, comme pour le suicide. L’homicide est essentiellement l’acte est violent, soudain, impulsif et non prémédité. Les atteintes
un filicide ou un meurtre du conjoint. Plusieurs études récentes contre les biens consistent en dégradations, vols, incendies.
révèlent une proportion relativement importante – entre 16 et 28 %
– de pathologies dépressives avant les faits dans des séries d’auteurs
d’homicides ou d’actes de violences graves [12] . L’association TROUBLES DU CONTRÔLE DES IMPULSIONS
d’éléments dépressifs et d’idées délirantes de nature paranoïde Ces troubles se définissent comme une incapacité à résister à
paraît être un facteur de risque homicide à court terme chez les l’impulsion ou à la tentation de commettre un acte dangereux pour
psychotiques. Il est probable que le potentiel criminogène de la le sujet ou pour autrui. Le sujet éprouve une sensation de
dépression et des idées suicidaires est sous-estimé par les cliniciens soulagement ou de satisfaction lorsqu’il cède à l’impulsion. Parmi
et dans les expertises [12, 96]. Le suicide ou sa tentative chez les les catégories définies dans le DSM IV [3] figurent le trouble explosif
meurtriers est un phénomène courant puisque sa fréquence varie de intermittent, la pyromanie, le jeu pathologique, la kleptomanie et le
2 à 6 % aux États-Unis jusqu’à 42 % au Danemark [75, 124]. Ces trouble du contrôle des impulsions non spécifié. Les trois premiers
meurtres-suicides intéressent surtout des criminels passionnels sont retrouvés plus fréquemment chez les hommes que chez les
présentant une jalousie pathologique, des mères dépressives auteurs femmes. Parfois, des anomalies électroencéphalographiques ou des
de libéricides, des pères de famille ou des couples âgés et déprimés signes neurologiques discrets sont possibles. L’alcool diminue les
souffrant d’affections physiques invalidantes ou douloureuses, des capacités de contrôle du patient par désinhibition. Le diagnostic
meurtiers de masse [75]. La proportion de déprimés dans les meurtres différentiel doit se faire avec une épilepsie temporale, un
suivis de suicides est importante, allant de 36 à 75 % selon les traumatisme crânien, une personnalité antisociale ou borderline, un
études [63, 96, 124]. La fréquence de la dépression est également élevée trouble bipolaire (épisode maniaque), un trouble lié à une substance
dans les pactes suicidaires, accord mutuel entre deux personnes (alcool, drogues), une affection médicale (trouble organique, tumeur
décidant de mourir ensemble, en particulier pour l’instigateur du cérébrale, maladie dégénérative ou endocrinienne), une
double suicide [25, 95]. schizophrénie [3].

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37-906-A-10 Criminologie et psychiatrie Psychiatrie

DÉMENCE des cohortes de naissance non biaisées ou des échantillons d’auteurs


Les actes médicolégaux dans la démence sont relativement rares. Ils d’homicides, des antécédents d’abus de substances et d’intoxication
sont liés à la détérioration intellectuelle, la perte du jugement, ont été retrouvés comme majorant le risque de comportement
l’agressivité, les troubles du caractère, une complication criminel, violent ou non [34, 35, 39, 50, 52]. Dans une récente recherche
psychiatrique. Des idées délirantes de préjudice, de persécution et menée en Finlande [ 3 5 ] sur 1 423 auteurs d’homicides, les
de jalousie peuvent être associées. Il n’existe généralement pas de schizophrènes avaient un risque relatif d’homicide respectivement
préméditation, les infractions étant exécutées avec maladresse et de sept et cinq fois supérieur pour les hommes et les femmes non
sans précaution [99]. Il s’agit de coups et blessures, d’agressions alcooliques en comparaison avec des sujets indemnes de troubles,
sexuelles, de vols ou dégradations matérielles diverses. À l’exemple ce risque s’élevant respectivement à 17 et 80 fois plus en cas de
des débiles mentaux et des maniaques, les personnes démentes sont diagnostic secondaire de trouble lié à l’usage d’alcool. Les mêmes
en réalité infiniment plus souvent victimes qu’auteurs de délits ou conclusions ressortissent de l’analyse des données de l’étude ECA
de crimes. aux États-Unis sur les comportements agressifs rapportés par les
sujets : les troubles mentaux majeurs augmentent la fréquence de
ces agressions, le risque s’accentuant encore en cas d’association à
ÉPILEPSIE un usage de substances [91, 102].
La maladie épileptique paraît prédisposer légèrement à la
criminalité, la prévalence de l’épilepsie paraissant plus élevée en ¶ Alcool
prison que dans la population générale. La forme temporale semble
plus volontiers à l’origine de comportements violents [33]. En réalité, L’association entre alcool et crime violent a été démontrée de façon
il est nécessaire de ne pas sous-estimer l’importance des troubles extensive [34, 39, 50, 52, 79, 112]. L’alcool favorise toutes les violences, en
intellectuels et affectifs associés à l’épilepsie. La violence peut être particulier domestiques. Les mécanismes invoqués sont une
ainsi corrélée à des perturbations caractérielles intercritiques et à une désinhibition, l’impulsivité, la perte de contrôle. Les états d’ivresse
éventuelle détérioration intellectuelle, le tout aggravé par un abus aiguë peuvent ainsi entraîner un passage à l’acte médicolégal
d’alcool ou de substances. Les troubles mentaux, notamment pouvant aller jusqu’à l’homicide. Les variétés cliniques d’ivresses
délirants, sont également plus nombreux chez les épileptiques. pathologiques violentes (excitomotrices en pratique), accompagnées
L’agressivité est ainsi en relation avec l’existence de ces d’amnésie consécutive, sont souvent en cause. Dans l’alcoolisme
manifestations pathologiques associées plutôt qu’avec la crise chronique, les troubles du caractère ou la détérioration intellectuelle
épileptique elle-même. peuvent également favoriser un acte criminel. L’alcoolisme facilite
également l’apparition de psychoses délirantes chroniques à thèmes
de persécution ou de jalousie. Le delirium tremens provoque parfois
DYSSOMNIES ET PARASOMNIES un passage à l’acte violent avec amnésie lacunaire et idée fixe
Les violences pendant le sommeil sont rares. Elles peuvent survenir postonirique. L’alcoolisme favorise également les agressions
lors de la confusion qui suit un réveil soudain, au cours d’un sexuelles intra- ou extrafamiliales. La prise d’autres substances est
épisode de somnambulisme ou être corrélées au contenu d’un rêve parfois associée. Indépendamment de toute pathologie, l’alcool est
angoissant [4, 49, 72]. Le rôle des apnées du sommeil, d’un abus d’alcool quelquefois consommé volontairement en faible quantité dans un
a pu être souligné. Certaines maladies neurologiques (démence, but anxiolytique pour se donner le courage de passer à l’acte.
maladie de Parkinson, atrophie olivo-ponto-cérébelleuse) peuvent L’association d’une dépendance sévère à l’alcool et d’une
favoriser des agressions pendant une phase de sommeil personnalité antisociale augmente nettement le risque
paradoxal [4] . Le diagnostic de ces parasomnies nécessite un d’homicide [34]. De nombreux patients présentant une personnalité
enregistrement polygraphique du sommeil. Elles sont à différencier antisociale ont également un alcoolisme de type 2. Ce type
des actes de violence accomplis en pleine conscience après une d’alcoolisme génétique se caractérise par un alcoolisme des parents
longue rumination au cours d’une insomnie nocturne favorisant de sexe masculin, un début précoce avec consommation d’alcools
angoisse et désinhibition. forts (avant l’âge de 25 ans), une faible dépendance, des
comportements violents répétés en cas d’ivresse [27].

TROUBLES ANXIEUX
¶ Abus de substances
Les troubles névrotiques sont rarement à l’origine d’un passage à
l’acte médicolégal grave. Ce dernier est alors classiquement associé De nombreuses études montrent une association entre abus de
à une dimension de souffrance avec culpabilité et recherche substances psychoactives et criminalité [34, 35, 39, 50, 102, 112] . La
inconsciente d’une punition. Des idées obsédantes ou des obsessions toxicomanie est particulièrement fréquente parmi les délinquants
impulsives concernant un acte d’agressivité envers autrui ne sont incarcérés. L’abus de substances et la dépendance peuvent être à
pas rares. L’obsessionnel compulsif ne réalise cependant l’origine d’une délinquance économique ou utilitaire par besoin de
qu’exceptionnellement un tel acte lors d’une dynamique se procurer le ou les produits : vols s’accompagnant de violences,
d’épuisement psychique après lutte intérieure incessante avec recours à la prostitution. Certaines substances entraînent des
symptomatologie dépressive. De fausses hétéro-accusations manifestations psychiatriques favorisant des comportements
d’agressions sexuelles sont classiquement décrites dans l’hystérie. criminels ou violents [93]. Un effet confusiogène peut être observé
avec de nombreux produits, particulièrement avec l’association
cannabis-alcool ou en cas d’abus de cannabis. Des épisodes
CONDUITES ADDICTIVES paranoïdes violents sont possibles en cas d’utilisation de
L’alcool et l’usage ou l’abus d’autres substances psychoactives psychostimulants (amphétamines, ecstasy, cocaïne, crack), de
augmentent la criminalité et les comportements agressifs pour les phencyclidine (PCP ou « poussière d’ange »), de barbituriques
malades mentaux comme pour les sujets indemnes de troubles [102]. d’action rapide.
La prévalence des troubles abus et/ou dépendance à ces produits Un effet désinhibiteur avec libération instinctuelle est quelquefois
est également plus élevée parmi les personnes souffrant d’autres observé avec la prise d’alcool, de cannabis, de tranquillisants. Les
troubles psychiatriques [91]. Dans l’étude de Hodgins et al en 1996 [52], benzodiazépines entraînent parfois des états d’obnubilation avec
une proportion significativement élevée de sujets ayant un euphorie, ébriété, sentiment d’invincibilité, levée des inhibitions,
diagnostic primaire de dépendance à l’alcool ou d’autres substances agressivité, manifestations antisociales, le passage à l’acte étant suivi
avaient commis des infractions violentes, respectivement 10 % d’une phase d’endormissement avec amnésie antérograde. Ce
(alcool) et 13 % (autres substances) pour les hommes et deux fois le tableau est potentialisé par l’alcool [93]. Les substances psychoactives
même taux de 1,6 % pour les femmes. Dans les travaux portant sur sont habituellement associées entre elles, la consommation

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Psychiatrie Criminologie et psychiatrie 37-906-A-10

intolérable à l’origine d’un processus émotionnel et dépressif


Tableau II. – Comportement lors du crime de deux grandes catégories meurtre-suicide. La victime est le plus souvent le ou la partenaire
de meurtriers (Bénézech, 1994 [14]).
comme le sont parfois les enfants du couple ;
Comportement Criminel Criminel – l’homicide sexuel. Son auteur agit avant tout soit pour dominer la
criminel psychopathe psychotique
victime, soit par colère (haine envers les femmes ou haine
Antécédents pénaux psychiatriques indifférenciée), soit par plaisir (sadisme). Le crime est d’autant moins
Agressivité fréquente rare planifié et organisé que l’agresseur est jeune, inexpérimenté, sous
Relation extravertie introvertie
Motivation rationnelle délirante
l’influence de la drogue ou de l’alcool, ou présente des troubles
Arme souvent préparée improvisée mentaux. La scène du crime reflète alors la nature spontanée et
Crime organisé désorganisé désordonnée du passage à l’acte. La victime est généralement
Violence variable souvent grande inconnue du meurtrier. Elle est sélectionnée en cas de crime organisé
Victime connue ou de rencontre entourage proche ou simplement ciblée (victime aléatoire d’opportunité) en cas de
Complices fréquents agit seul crime désorganisé.
Suicide rare fréquent
Relation à la justice cherche à s’échapper se dénonce ou se laisse arrêter – l’homicide dépressif. Son auteur présente une pathologie
névrotique, une personnalité limite, une psychose
maniacodépressive ou autre qui va entraîner ses proches dans la
polytoxicomaniaque étant de règle. Les manifestations de sevrage mort au cours d’un moment émotionnel de niveau mélancolique ou
peuvent enfin s’accompagner de troubles graves du comportement mélancoliforme. La régression fusionnelle avec la victime
(alcool, héroïne, crack). s’accompagne de culpabilité et de douleur morale intenses. La
victime est quelquefois consentante en cas de « pacte suicidaire ».
La motivation de l’agresseur se veut altruiste ou possessive ;
Infractions médicolégales – l’homicide psychotique non délirant. Son auteur souffre soit de
schizophrénie de type hébéphrénocatatonique ou héboïdophrénique,
soit de séquelles de psychose infantile sous forme de dysharmonie
HOMICIDE évolutive. La motivation est d’ordre intellectuel plus qu’émotionnel.
L’homicide franchement pathologique est réalisé par un agresseur Le crime se produit parfois pour des causes insignifiantes dans un
unique, sans signes de participation de complices éventuels. La contexte de réaction impulsive brutale échappant à tout contrôle.
scène du crime témoigne d’un comportement désorganisé et violent, Parents et personnes proches sont les victimes les plus exposées ;
le mobile paraissant inexistant ou illogique. La victime présente des – l’homicide psychotique délirant. Son auteur est atteint d’un état
blessures multiples, témoignant d’un acharnement excessif et ne délirant aigu ou chronique en période féconde provoquant une
touchant pas spécifiquement les organes vitaux. Il y a de fréquentes altération importante des rapports avec la réalité. Le passage à l’acte
lésions du visage (défiguration). Des actes sexuels ante- et post- survient habituellement dans un état émotionnel intense
mortem sont possibles. Une arme d’opportunité est en général s’accompagnant parfois d’un niveau de conscience abaissé et d’une
utilisée : pieds, mains, objet contondant, arme blanche ou à feu, lien. désorganisation de la personnalité. C’est la projection délirante sur
Le meurtre est réalisé de près et d’ordre confrontationnel, la victime qui est à l’origine des sentiments de peur, de jalousie et
l’étranglement étant fréquent, ainsi que les blessures de défense sur de persécution motivant la réaction meurtrière défensive de
la victime. Il n’y a pas de mise en scène, de maquillage du crime, le l’agresseur. Là encore, les proches parents ont un risque
cadavre étant abandonné sans précautions. La victime est souvent victimologique élevé ;
connue ou de proximité. Un homicide de masse est possible.
L’arrestation de cette catégorie de meurtrier pathologique est – l’homicide de cause organique. Son auteur est soit sous l’emprise
habituellement facile car il reste sur la scène du crime ou dans son d’un ou plusieurs toxiques, soit porteur d’un pathologie somatique
voisinage immédiat ou laisse de nombreuses traces permettant de susceptible de provoquer des perturbations émotionnelles
l’identifier aisément. Il se dénonce ou se laisse arrêter sans criminogènes : trouble métabolique, tumeur cérébrale, démence,
résistance, sans chercher à échapper à la police. Une tentative de trouble du sommeil. Le meurtre est réalisé souvent au cours d’un
suicide après le meurtre (meurtre-suicide) n’est pas rare [14]. Un tel état d’excitation confusodélirant aigu par perception erronée de
type d’homicide peut être commis par un grand psychotique, mais l’environnement avec vécu onirique persécutoire. Parmi ces troubles
également par un sadique sexuel passagèrement incontrôlé, un sujet mentaux organiques, il faut citer les ivresses alcooliques
traversant une crise passionnelle, existentielle, coléreuse, émotive, pathologiques et les syndromes induits par d’autres substances
liée à des difficultés familiales, professionnelles ou sociales. Nous psychoactives : stupéfiants, antidépresseurs, stéroïdes anabolisants ;
proposons schématiquement de différencier l’homicide commis par – l’homicide non classable ailleurs. Ce dernier groupe comprend une
un psychotique de celui réalisé par un sujet présentant une grande variété de crimes pathologiques, depuis le meurtre compulsif
personnalité antisociale (tableau II). de motivation névrotique jusqu’au meurtre passagèrement
Nous avons établi une classification originale des homicides psychotique, en passant par le meurtre réalisé par une personne
pathologiques [15]. Les auteurs de ces crimes souffrent d’anomalies souffrant d’hyperémotivité, de sentiment d’infériorité, de traits de
psychiques plus ou moins importantes à l’origine de leur personnalité passive-agressive.
comportement médicolégal. Ils se différencient des délinquants dotés Une telle classification est bien entendu réductrice. Un homicide
d’une personnalité sensiblement normale ou présentant des traits passionnel a presque toujours une connotation dépressive, comme
caractériels à un niveau non pathologique commettant des meurtres d’ailleurs certains meurtres impulsifs, sexuels ou psychotiques.
perpétrés librement et lucidement et dont la motivation est Notre classement, fondé pour l’essentiel sur l’état mental des
rationnelle et utilitaire (règlement de comptes, homicide crapuleux, meurtriers et leur motivation éventuelle, nous paraît cependant
par intérêt, par vengeance, euthanasique, etc) : correspondre à la réalité clinique des homicides pathologiques.
– l’homicide impulsif en cas de troubles intellectuels (déficience
légère) et/ou de la personnalité (antisociale ou borderline), souvent PARRICIDE
commis en état d’ivresse avec colère pathologique lors d’un conflit,
Les auteurs de crimes familiaux sont souvent perturbés
d’une frustration ou d’une crise. La victime peut être un proche ou
psychologiquement selon deux pôles dominants : un versant
une personne inconnue de l’agresseur ;
psychotique/vengeur pour le parricide et le fratricide, un versant
– l’homicide passionnel par incapacité à supporter une séparation ou passionnel/dépressif pour l’uxoricide et le filicide [15]. Les parricides
une menace de rupture. La perte de l’objet entraîne une souffrance représentent 3 à 6 % de l’ensemble des homicides [78]. Dans leur

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37-906-A-10 Criminologie et psychiatrie Psychiatrie

grande majorité (90 %), ils sont commis par les fils prenant leur père et de l’abus de substances, n’apparaît pas plus importante que dans
pour victime [13]. Les adolescents parricides agissent habituellement la population générale de niveau socioéconomique équivalent [6]. Les
dans un contexte non psychotique, le meurtre étant perpétré au sujets souffrant de troubles mentaux avérés ne représentent en effet
cours d’un explosion coléreuse faisant suite à des abus répétés et à qu’une faible proportion des auteurs de crimes ou délits sexuels [109].
la violence intrafamiliale du père. Le souci de protéger la mère ou Les questionnaires de personnalité et les épreuves projectives ne
les autres membres de la fratrie est le mobile le plus souvent permettent pas de distinguer un agresseur sexuel d’un non-
exprimé [83]. agresseur sexuel. Il n’existe pas de profil psychologique
La proportion de troubles psychotiques parmi les adultes auteurs spécifique [77].
de parricide est plus importante. Ces crimes représentent une La majorité des auteurs d’infractions sexuelles sont des hommes,
proportion non négligeable des homicides commis par des patients une faible proportion de femmes étant également retrouvée aux
psychotiques (20 à 30 %). Contrairement à l’ensemble des parricides États-Unis (10 %) [109] . Les adolescents sont de plus en plus
dont la victime est préférentiellement le père, les patients souffrant fréquemment impliqués, en particulier dans les viols commis à
de psychoses tuent préférentiellement leur mère, la schizophrénie plusieurs : 50 % des agresseurs sexuels adultes rapportent avoir
étant de fait le diagnostic le plus fréquent [13, 78]. Si le passage à l’acte commis leur premier délit sexuel dans l’adolescence [20]. On estime
est habituellement décrit comme survenant dans un contexte que les adolescents sont responsables de 25 % des viols et de 40 à
paroxystique et soudain, beaucoup d’auteurs de parricides 50 % des autres agressions sexuelles sur les enfants [20]. Entre 20 et
expriment un sentiment ancien d’impasse relationnelle, 30 % des viols de femmes adultes sont également le fait
d’étouffement, d’échec de toutes les tentatives de prise de distance. d’adolescents [6].
Ils peuvent être confrontés à l’idée parricide depuis une longue
période, essayant souvent d’obtenir une aide psychiatrique avant le ¶ Exhibitionnisme
drame [78].
L’exhibitionnisme est la paraphilie la plus fréquente, la
prédominance masculine étant écrasante. La signification
INFANTICIDE ET LIBÉRICIDE inconsciente de ce comportement a été rapportée à une angoisse de
L’annuaire statistique de la justice en France recense actuellement castration, le sujet cherchant à se rassurer sur le fait qu’il a bien un
de 50 à 100 infanticides ou libéricides par an, ce qui correspond à pénis. Une dimension compulsive a pu être évoquée. Une faible
environ 5 % des homicides volontaires. L’infanticide est le meurtre estime de soi avec tendance à la dévalorisation, un déficit d’habiletés
ou l’assassinat d’un nouveau-né. La libéralisation de la contraception sociales et de connaissances sexuelles sont des caractéristiques
et de l’interruption volontaire de grossesse ont probablement usuelles. La symptomatologie débute souvent dans l’adolescence,
beaucoup contribué à diminuer sa fréquence. Les auteurs une apparition tardive devant faire suspecter une étiologie médicale
d’infanticides sont presque exclusivement des mères indemnes de ou psychiatrique (confusion, démence, délire, manie). Des
pathologie psychiatrique avérée et invoquant le non-désir d’enfant. comportements exhibitionnistes sont décrits dans certaines affections
Le pic de prévalence se situe à 20-25 ans et le milieu socioculturel neurologiques : maladie de Parkinson postencéphalitique, syndrome
est souvent modeste, une activité professionnelle n’étant que frontal, chorée de Huntington, épilepsie, encéphalopathie post-
rarement exercée. On observe chez ces criminelles une personnalité traumatique [86]. Il est nécessaire de rechercher d’autres paraphilies
immature, des difficultés à communiquer, une grande solitude associées [86, 109]. Certains meurtriers ou violeurs en série ont des
affective, le déni d’une grossesse souvent cachée à l’entourage et antécédents d’exhibitionnisme dans l’adolescence avec une escalade
l’illégitimité de l’enfant. dans la gravité des comportements médicolégaux. Le taux de
récidive légale est un des plus importants des paraphilies, les
Les libéricides, qui concernent les enfants plus âgés, apparaissent
chiffres variant de 19 à 41 % [6].
davantage pathologiques. Les parents sont fréquemment en cause.
Pour les victimes très jeunes, les auteurs sont plus souvent leurs
mères que leurs pères, ce rapport tendant à s’inverser quand l’enfant ¶ Viol
progresse en âge [92]. Les agresseurs souffrent de troubles dépressifs Le viol est défini par l’article 222-23 du Code pénal français comme
et d’idées suicidaires préexistants au passage à l’acte [24, 92]. De 16 à étant « tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature que ce
29 % des mères et de 40 à 60 % des pères se suicident soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte,
immédiatement après le meurtre de leurs enfants [75]. La mélancolie, menace ou surprise ».
les psychoses du post-partum, les pathologies délirantes aiguës ou
chroniques peuvent également être en cause. Les complications de Typologie des violeurs
l’alcoolisme sont encore à l’origine de violences et de sévices mortels
envers les enfants. Citons pour mémoire le syndrome de Depuis les travaux de Groth (1979) [42], de nouvelles typologies
Münchhausen par procuration. d’auteurs de viols ont été établies avec une rigueur méthodologique
utilisant des méthodes statistiques (analyses de clusters) permettant
d’identifier des groupes de sujets homogènes. Des facteurs tels que
AGRESSION SEXUELLE l’alcoolisme, l’abus de substances, la psychose, les troubles
Les agressions sexuelles sont particulièrement graves par leur organiques ou la déficience intellectuelle n’apparaissent pas comme
fréquence, leur tendance à la récidive et la qualité des victimes. Deux des critères de classification mais seulement comme pouvant
lois (n° 94-88 du 1er février 1994 et n° 98-468 du 17 juin 1998) sont influencer ceux-ci [77]. Une personnalité antisociale est souvent
venues renforcer récemment le droit répressif français en matière de invoquée. Seuls 10 % des auteurs de viol réunissent les critères du
criminalité sexuelle. La plus récente, relative à la prévention et à la « sadisme sexuel » où la souffrance de la victime est l’unique source
répression des infractions sexuelles, ainsi qu’à la protection des d’excitation sexuelle chez l’agresseur [3, 109] . Quatre grandes
mineurs, a institué un suivi sociojudiciaire pouvant comprendre une catégories (opportunisme, rage indifférenciée, motivation sexuelle et
injonction de soins [115]. Les auteurs d’agressions sexuelles sont motivation vindicative) sont ainsi proposées dans la classification
maintenant la catégorie pénale la plus importante dans l’institution de Knight (1990) [59]. La typologie la plus récente des viols, en
pénitentiaire française, représentant 20 % des 51 961 personnes fonction des motivations et du comportement de l’agresseur, est la
détenues au 1er janvier 1999. Près de 50 % des affaires jugées en suivante [55, 114].
cours d’assises concernent des crimes sexuels dont la moitié se
rapportent à un viol sur mineur commis en milieu familial par un • Recherche de réassurance ou compensation
proche (statistiques du ministère de la Justice). (« power-reassurance rape »)
L’incidence des affections psychiatriques parmi les délinquants L’agression a une fonction de réassurance pour un violeur au vécu
sexuels, à l’exception des troubles de la personnalité, de l’alcoolisme marqué par un manque de confiance en soi, un sentiment

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Psychiatrie Criminologie et psychiatrie 37-906-A-10

d’inadéquation personnelle, des doutes sur une virilité perçue


comme défaillante. Il s’agit souvent d’hommes se sentant inadaptés Tableau III. – Typologie des pédophiles (adapté de Knight, Carter
et Prentky, 1989 [6, 58, 77]).
dans la vie en général et envers les femmes tout particulièrement,
présentant des difficultés à initier ou entretenir une relation, menant - Axe I : Degré de fixation
une vie solitaire. La victime est sélectionnée dans le voisinage et son
- Axe II : Fréquence du contact avec les enfants
approche a lieu essentiellement par surprise. Le violeur utilise le
minimum de force nécessaire, ne voulant pas la blesser, renonçant - Grande quantité de contacts
en cas de résistance. Il tend à rassurer sa victime, s’enquérant de ses Signification du contact sexuel :
Type I : Signification interpersonnelle : l’enfant que l’adulte connaissait parfois
désirs et recherchant sa participation. Il peut reprendre contact avec depuis longtemps est perçu comme un objet d’affection, voire d’amour. L’activité
elle après l’agression, pensant que celle-ci a été appréciée et que sa sexuelle, non génitale, se limite à des caresses, des étreintes ou une masturbation
victime éprouve un sentiment pour lui. de la victime par le sujet.
Type II : Signification narcissique : l’enfant est considéré comme un objet destiné à
assouvir des pulsions avec recherche d’orgasme du sujet. La victime est le plus
• Recherche de pouvoir ou expression d’un sentiment de domination souvent inconnue de l’auteur de l’agression, le délit étant peu planifié, impulsif.
(« power-assertive rape »)
- Faible quantité de contacts
Ces violeurs ont souvent une insertion sociale plus satisfaisante. • Violence réduite : absence de blessures de la victime
L’égocentrisme et l’importance qu’ils attachent à leur image « virile » Type III : Non sadique : le sujet agit par séduction ou persuasion, sans érotisation
de l’agression ou de la peur suscitée chez la victime.
les caractérisent avec le sentiment d’avoir le droit d’agresser
Type IV : Sadique : l’agresseur prend plaisir à faire mal ou à provoquer de la peur
sexuellement comme expression de leur domination masculine et chez l’enfant, avec introduction de corps étranger, sodomie, actes sadiques réalisés
de leur supériorité. La victime est sélectionnée ou d’opportunité, selon un rituel précis.
choisie pour une vulnérabilité particulière. Le viol a lieu avec une • Violence élevée
violence importante qui augmente avec la résistance de la victime. Type V : Non sadique agressif : l’agression est liée à un sentiment de colère et de
La recherche du contrôle, de la maîtrise et d’une humiliation de la rage envers la victime, un de ses parents, sa classe sociale, les femmes. Le senti-
victime, considérée comme un objet pour les fantasmes sexuels du ment de rage est prédominant, sans érotisation évidente.
Type VI : Sadique : érotisation de l’agression avec plaisir à faire mal ou effrayer la
violeur, est au premier plan. victime. Les comportements sont ritualisés et/ou étranges allant au-delà d’une
relation sexuelle normale (sodomie agressive, mutilation des organes génitaux...).
• Rage (colère, vengeance ou déplacement, « anger-retaliatory rape »)
L’agression est brutale, souvent impulsive et spontanée, ayant pour
l’enfance ou l’adolescence, la moitié avant l’âge de 12 ans. Les
but de dégrader et de détruire la victime. Le viol apparaît comme
auteurs de ces violences sexuelles sont quasi exclusivement des
une extension de l’agression physique, les contacts sexuels étant une
hommes, 20 à 30 % des enfants victimes étant des garçons [21]. La
façon de plus d’humilier, de blesser et dégrader la victime. Un
pédophilie appartient au groupe des paraphilies telles qu’elles ont
événement déclenchant est souvent évoqué dans les heures
été définies dans les classifications internationales actuelles. Il est
précédant l’infraction (dispute avec famille, conjoint ou
nécessaire de distinguer la pédophilie primaire, dite encore
employeur...), un sentiment de rage et de colère étant davantage
d’élection ou chronique, forme la plus fréquente qui commence à
ressenti par ces agresseurs qu’une véritable excitation sexuelle
l’adolescence, de la pédophilie réactionnelle ou transitoire, par
rattachable à des fantaisies déviantes. La victime n’a pas de
remplacement ou compensation. La pédophilie peut rarement être
caractéristiques particulièrement recherchées par son violeur : elle
secondaire à une affection mentale : schizophrénie, démence,
est souvent inconnue, représentative des objets de haine. Elle
déficience intellectuelle. Selon la nature de la relation affective entre
apparaît comme un substitut permettant le déplacement de la rage
l’adulte et l’enfant, il est classique de décrire une pédophilie de type
et du ressentiment envers les femmes, comme le réceptacle des
« amoureux » (victime connue, activité non génitale) et une
pulsions agressives.
pédophilie de type narcissique-pervers (victime inconnue, actes
génitalisés).
• Sadisme (« anger-excitation rape »)
Les viols sont préparés et planifiés selon un imaginaire érotique Typologies des pédophiles
violent. Ils font l’objet d’un rituel prolongé avec une érotisation des Groth et al (1982) [43] ont élaboré un modèle de classification en
mauvais traitements infligés à la victime. L’acte sexuel et l’agression fonction du niveau de violence de l’agresseur sexuel, différenciant
sont comme fusionnés. Les victimes sont le plus souvent inconnues d’une part l’atteinte à la pudeur avec séduction, persuasion et
du violeur mais sont sélectionnées, choisies en raison de recherche d’une réciprocité avec l’enfant et d’autre part le viol où
caractéristiques particulières (âge, apparence, vêtements, statut menaces, intimidation et force physique sont utilisés. Dans ce second
social, vulnérabilité spéciale). Des objets (liens, instruments de cas, la victime apparaît comme le réceptacle de l’hostilité du sujet
torture) sont souvent apportés par l’agresseur. Les tortures ou de son désir de domination, étant investie de façon négative,
impliquent de façon privilégiée les organes génitaux qui peuvent dépersonnalisée, humiliée. Ces auteurs différencient « l’attentat à la
être l’objet de mutilations particulières. Les violences sont également pudeur » en deux types selon que la fixation (préférence sexuelle
psychologiques, le violeur prenant plaisir à terroriser sa victime en ancienne pour les enfants datant souvent de l’adolescence) ou la
la menaçant de mort, en suscitant un sentiment de désespoir, en régression est prédominante. Knight, Carter et Prentky (1989) [58] ont
simulant une exécution. Il tue parfois sa victime pour ne pas être proposé un modèle de classification plus récent, aux critères
dénoncé et garde des souvenirs ou trophées de ses agressions. diagnostiques opérationnels, en utilisant des méthodes statistiques
Le taux de récidive est de 20 à 36 % pour les violeurs de femmes modernes. Leur classification comprend un axe I intéressant le degré
adultes ayant absorbé de l’alcool avant l’infraction ou commis des de fixation, faible ou forte, selon l’intensité des intérêts envers les
actes de violence physique lors de celle-ci [6]. La probabilité de enfants, et le niveau de compétence sociale. L’axe II évalue la
récidive sexuelle augmente avec le nombre de délits sexuels fréquence du contact avec les enfants (tableau III).
antérieurs, d’antécédents de comportements violents et
d’incarcérations. ¶ Inceste

¶ Pédophilie Contrairement à une opinion répandue, la proportion d’adultes


auteurs d’agressions sexuelles sur des enfants inconnus est faible,
Les abus sexuels sur des mineurs prépubères sont fréquents, l’inceste étant beaucoup plus courant. De nombreuses études
concernant un peu moins de 10 % des personnes interrogées lors confirment par ailleurs la fréquence des abus sexuels dans l’enfance
d’enquêtes dans la population générale préservant l’anonymat [1]. des agresseurs sexuels incarcérés (un tiers des cas), ce qui pose la
Près de 20 % des femmes auraient été victimes d’abus sexuels dans question de la transmission transgénérationnelle de la maltraitance.

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37-906-A-10 Criminologie et psychiatrie Psychiatrie

Dans 90 % des cas, la relation incestueuse est de type père/fille ou


beau-père/belle-fille avec le plus souvent une complicité plus ou Prédicteurs de dangerosité sexuelle potentielle
moins consciente et un silence implicite de la mère. Les incestes – Syndrome d’alcoolisme fœtal
mère/fils, mère/fille, entre membres de la fratrie ou commis par un – Antécédents de sévices sexuels dans l’enfance
autre parent sont plus rares. Il est possible de distinguer quatre – Jeunesse de l’agresseur
catégories d’inceste : avec échange affectif (sans violence, recherche – Personnalité antisociale, sadisme
d’affection, de chaleur, de contact et d’intimité avec l’enfant), – Importance de la comorbidité psychiatrique
érotique, agressif, furieux. La relation incestueuse peut se prolonger – Nombre et gravité des infractions sexuelles antérieures
sur plusieurs années, la révélation étant tardive ou absente. L’inceste – Antécédents de comportements violents et d’incarcérations
se rencontre dans tous les milieux mais paraît prédominer dans les – Adhésion à des croyances sexuelles déviantes
familles défavorisées. La confusion des générations, l’absence de – Préférences sexuelles déviantes, enfant prépubères victimes
repères entre parents et enfants sont souvent invoquées. – Alcoolisation avant les faits
L’alcoolisme paternel est fréquent, comme les antécédents de – Agression sexuelle avec violence physique, viol
carences affectives et d’abus sexuels des parents. Une psychorigidité, – Agression sexuelle extrafamiliale
un égocentrisme et une tendance autoritaire sont les traits de – Multiplicité des victimes
personnalité les plus souvent rencontrés chez les pères incestueux – Agression des fillettes avec coït
avec souci d’un conformisme social de façade. Par rapport à la – Pédophilie primaire (d’élection ou chronique)
pédophilie, les récidives sont moins fréquentes dans les agressions – Pédophilie homosexuelle
incestueuses (0 à 11 %) [6]. – Conduite exhibitionniste
– Usage de la pornographie
¶ Récidivisme – Traitement absent ou incomplet d’un agresseur sexuel à risque
élevé
Les facteurs pouvant favoriser l’émergence d’une activité
fantasmatique sexuelle déviante ou d’une réaction coléreuse
INCENDIE CRIMINEL
sexualisée chez les violeurs sont les situations de rejet ou de conflit
avec les femmes, les déceptions face à un idéal de soi trop élevé, les L’incendie volontaire est une infraction grave et fréquente.
problèmes liés à l’image corporelle. Les conflits avec des adultes L’incendiaire primaire « type » est le plus souvent un homme jeune,
d’une trentaine d’années, célibataire, sans antécédents
perçus comme injustes ou menaçants, avec des personnes en
psychiatriques ni judiciaires. Des carences éducatives dans l’enfance,
situation d’autorité, ainsi que des situations de solitude et
un isolement social et affectif, une inhibition, un niveau intellectuel
d’abandon joueraient ce même rôle chez les pédophiles [77]. Au-delà
faible, une immaturité sont souvent décrits. La vengeance, la pulsion
de ces facteurs favorisants, une humeur générale négative apparaît et l’attirance par le feu sont les trois motivations essentielles des
comme étant la variable la plus fortement associée à l’émergence incendiaires, un sentiment de colère ou de désespoir étant également
d’une activité imaginaire déviante. Les délinquants sexuels fréquemment observé [62]. Les conduites incendiaires ne sont pas
présentent souvent des déficits relationnels dans la confiance spécifiques d’une affection mentale particulière, la majorité de leurs
éprouvée envers les autres [6]. auteurs ne présentant pas de pathologie avérée [ 8 , 6 2 ] . Une
La motivation d’un agresseur à entreprendre un traitement a personnalité antisociale, une déficience intellectuelle ou un
initialement un caractère utilitaire : éviter une incarcération, se alcoolisme sont des troubles souvent rencontrés en expertise. La
présenter sous un jour favorable devant le magistrat, atténuer une fréquence des affects dépressifs et suicidaires chez les incendiaires a
peine [6]. La demande de soins est presque toujours fluctuante, été soulignée. Le véritable pyromane est rare, sinon exceptionnel [8,
nécessitant un encadrement légal attentif, tout spécialement en début
62]
. La pyromanie est considérée comme un trouble du contrôle des
de traitement. Les délinquants sexuels ont par ailleurs tendance à impulsions dans les classifications internationales actuelles
minimiser leur problématique sexuelle, rejetant la responsabilité sur (DSM-IV) [3].
l’agressé, cherchant à se donner un rôle de victime. Il est donc Laxenaire [62] dresse le portrait de l’incendiaire récidiviste : homme
essentiel de recueillir des renseignements émanant de différentes jeune dans 90 % des cas – entre 15 et 25 ans – ayant subi des carences
sources, telles que rapports de police, déclarations de la victime ou sévères dans l’enfance et présentant une schizophrénie ou un
contacts avec l’entourage. La consultation du dossier judiciaire alcoolisme grave. Ses antécédents comporteraient des contacts
complet est indispensable à une bonne évaluation diagnostique, répétés ou intenses avec le feu, en particulier des actes incendiaires
ou des brûlures par imprudence dans l’enfance. Il existerait de fait
pronostique et thérapeutique. L’analyse de la carrière criminelle, la
une corrélation entre une fascination pathologique pour le feu chez
description exacte et détaillée des antécédents pénaux sont
les jeunes de 5 à 10 ans et son utilisation à l’âge adulte lors de
également fondamentaux, le principal prédicteur du récidivisme
situations conflictuelles. Pour ces récidivistes, les motivations les
étant le nombre et la gravité des antécédents criminels.
plus fréquentes sont la pulsion et l’attirance par le feu, la vengeance
Certaines variables sont décrites comme des indicateurs d’un risque et la dimension utilitaire passant au second plan. Une ou plusieurs
prévisible de récidive [6, 17, 40, 44, 45, 89]. Elles sont résumées dans tentatives de suicides antérieures sont un prédicteur important de
l’encadré qui suit. récidive [31]. Les incendies prennent alors souvent une ampleur
La comorbidité psychiatrique est importante à considérer dans le croissante.
risque de récidive : existence d’un trouble anxieux ou de l’humeur,
usage de substances psychoactives, présence d’une autre paraphilie, VOLS PATHOLOGIQUES
insuffisance du désir sexuel et de l’érection [90]. On estime que de 15 Les vols pathologiques sont à différencier des vols utilitaires,
à 60 % des agresseurs sexuels non soignés récidivent sur une période conscients et organisés. Pathologiques ou le plus fréquemment
de quelques années. Un traitement adapté est considéré comme utilitaires, les vols représentent une proportion importante des
pouvant faire diminuer de 20 à 30 % le risque de récidive et donc infractions commises par les sujets à la personnalité antisociale et
protéger les victimes potentielles [2, 41, 73, 109]. Il existe une sous- peuvent alors s’accompagner de violences envers autrui. Des vols
estimation du récidivisme réel, la plupart des études évaluant utilitaires ou par nécessité sont également réalisés par des personnes
l’efficacité des programmes de traitement étant fondées sur la seule souffrant de troubles mentaux graves sans être nécessairement reliés
récidive légale [ 6 ] . L’hormonothérapie, les thérapies à leur pathologie.
cognitivocomportementales, les antidépresseurs sérotoninergiques Les vols pathologiques peuvent être observés au cours de
paraissent particulièrement intéressants [73, 109]. nombreuses affections : état démentiel (vols absurdes), déficience

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Psychiatrie Criminologie et psychiatrie 37-906-A-10

intellectuelle, trouble délirant (épisode délirant aigu, schizophrénie), commis [22, 65]. Il s’agit d’un « trait » génétiquement transmis. Il est
trouble bipolaire (épisode dépressif majeur, hypomanie ou manie), très probable que des facteurs épigénétiques potentialisent ces
état confusionnel, trouble obsessionnel-compulsif (collectionnisme), facteurs de risque : maltraitance et carences parentales pendant
trouble dissociatif, conduite addictive, personnalité antisociale. Des l’enfance. Les recherches de la génétique ont essentiellement porté
vols sont également possibles dans le fétichisme (sous-vêtements sur l’existence d’un chromosome X ou Y supplémentaire, un risque
féminins). de criminalité plus élevé pouvant cependant passer par d’autres
La kleptomanie est une entité nosographique considérée comme un facteurs : faible niveau intellectuel, mutation ponctuelle rare d’un
trouble du contrôle des impulsions dans le DSM-IV [3]. Il résulte des gène lié à l’X sans anomalie du nombre de chromosomes. Les études
recherches actuelles que cette « compulsion au vol » paraît plutôt sur les jumeaux et les adoptés sont en faveur de l’intervention à la
associée à des troubles anxieux ou de l’humeur qu’aux troubles fois de facteurs de risque génétiques et d’environnement [26]. Nous
obsessionnels-compulsifs, entrant préférentiellement dans le cadre ne devrions plus nous contenter d’une évaluation purement clinique
des troubles affectifs (affective spectrum disorder) [38, 76]. Elle serait ou actuarielle des comportements criminels les plus graves. Des
également à inclure dans le spectre des conduites addictives à examens complémentaires d’exploration du système nerveux central
l’exemple de l’alcoolisme, la toxicomanie, la boulimie, le jeu ou les (imagerie cérébrale) et biologiques sont maintenant justifiés [23, 103].
achats pathologiques, toutes addictions comportementales pouvant
alterner ou se superposer, renforçant ainsi la validité du concept
d’addiction, de trouble multi-impulsif [9, 16].
Évaluation et expertise
Nous avons depuis longtemps souligné les évidentes insuffisances
de l’expertise psychiatrique en matière d’appréciation de la
Aspects neurobiologiques dangerosité et de la stratégie thérapeutique. La brièveté de
l’expertise actuelle, son caractère souvent tardif par rapport aux
Les recherches sur la neurobiologie de la violence tentent de faits, la difficulté d’appréciation de l’état mental et du comportement
découvrir des marqueurs (anatomiques, biochimiques, génétiques) au cours d’un entretien souvent unique, le secret médical auquel
permettant une meilleure compréhension de ses causes et sont astreints les médecins traitants, l’absence de renseignements
mécanismes intrinsèques. Ces études tentent également de trouver provenant des proches, la fréquente dissimulation et/ou
des molécules pouvant agir sur les voies nerveuses qui sursimulation des troubles font qu’il existe une différence notable
fonctionneraient anormalement chez les personnes présentant des entre les diagnostics et pronostics portés par les experts et ceux des
troubles mentaux et des accès récurrents de violence [74]. psychiatres exerçant en milieu pénitentiaire ou en unités pour
De nombreuses structures cérébrales sont impliquées dans malades difficiles [18, 97].
l’agressivité dont l’aire septale, l’hippocampe, l’amygdale, le noyau À la différence d’autres systèmes judiciaires étrangers [87], la France
caudé, le thalamus, l’hypothalamus ventromédian, le mésencéphale, ne dispose pas de procédures d’évaluation permettant la mise en
le tegmentum, le pont ou les noyaux du raphé. La participation du évidence et la quantification d’indicateurs concrets de dangerosité
cervelet a également été invoquée. Le cortex préfrontal apparaît criminologique et psychiatrique. Un effort certain doit être accompli
comme un régulateur [ 3 2 , 3 3 ] . Parmi les neuromédiateurs, la en matière d’expertise pour évaluer de façon satisfaisante et
sérotonine, l’acide c-aminobutyrique (GABA), la noradrénaline régulière le risque de récidive. Bien sûr, prédiction ne veut pas dire
interviendraient dans l’inhibition des comportements agressifs, la certitude, le comportement humain étant infiniment complexe et ne
dopamine et le glutamate ayant à l’inverse un rôle excitateur [23]. Des pouvant se réduire à un bilan clinique, instrumental et biologique,
modèles animaux d’agressivité sont décrits depuis longtemps en même répété. Nous sommes dans le domaine des seules probabilités
relation avec une altération de la transmission de la sérotonine liée à statistiques. Les prévisions les plus sérieuses sur l’état dangereux et
une mutation d’un gène, à des lésions de voies nerveuses spécifiques les résultats de sa prise en charge laissent obligatoirement une place
ou à l’administration de substances inhibitrices. aux impondérables en matière d’activité humaine et de circonstances
qui représentent une variable aléatoire, un élément conjoncturel.
Les premières études montrant une association entre une faible
Pour autant, la recherche et l’évaluation des prédicteurs de violence
concentration d’acide 5-hydroxyindoléacétique (5-HIAA), principal
criminelle, des besoins individuels et des apprentissages nécessaires,
métabolite de la sérotonine dans le liquide céphalorachidien (LCR),
des facteurs pouvant favoriser une réinsertion et des possibilités
et des comportements suicidaires de nature impulsive et violente
thérapeutiques sont à même d’orienter au mieux vers des mesures
ont été largement reproduites dans plusieurs pays [22]. Un certain
préventives et curatives susceptibles de réduire les risques majeurs
nombre de recherches ont également montré que des délinquants
de violence [17, 87].
violents impulsifs ont des concentrations en 5-HIAA dans le LCR
significativement plus basses que les sujets contrôles [28, 64, 65, 66, 70, 117, La création de centres régionaux d’évaluation et d’expertise
118]
. Linnoila et al [70] retrouvent cette différence en comparant des criminologique pour les auteurs d’infractions graves, complexes ou
auteurs d’infractions violentes, impulsives et non impulsives. Des récidivantes nous paraît en ce sens intéressante. La mission
concentrations basses en 5-HIAA dans le LCR ont par ailleurs été d’expertise pourrait être confiée à une équipe pluridisciplinaire
constatées chez des incendiaires et des meurtriers récidivistes [117, 118]. utilisant l’examen clinique mais également des méthodes et échelles
Pour les hommes alcooliques violents ou incendiaires, ce trait a été quantitatives d’évaluation des comportements et de la personnalité.
retrouvé associé à des antécédents familiaux de violence paternelle L’observation médicopsychologique prolongée permettrait au
et d’alcoolisme [119]. Les délinquants violents présentant ce trait psychiatre expert de mieux apprécier la responsabilité pénale et la
biologique ont davantage d’antécédents suicidaires et un taux de dangerosité avant condamnation ou libération. De telles structures
récidive criminelle plus élevé [117, 118]. Ce caractère biologique a médicolégales pourraient également permettre de mieux évaluer le
également été observé chez des auteurs de libéricides ou de pronostic et d’élaborer un programme individualisé de traitement [17,
tentatives de libéricides ayant ensuite tenté de se suicider [64]. Des
18]
. On éviterait peut-être ainsi la concentration anormale de malades
facteurs familiaux ont été observés dans des études longitudinales, mentaux graves, tout spécialement psychotiques, dans les
l’agressivité précoce étant un prédicteur de comportements établissements pénitentiaires ou du moins on pourrait espérer qu’ils
antisociaux et criminels, cette agressivité se retrouvant sur plusieurs y soient mieux soignés et réinsérés [61, 71].
générations [65].
L’ensemble des travaux concernant la sérotonine montrent qu’une Profilage criminel
certaine forme d’impulsivité, une agressivité excessive ou une
incapacité à contrôler les pulsions agressives sont les variables Cette technique, utilisée dans les pays anglo-saxons, peut être utile
comportementales associées à de faibles concentrations de 5-HIAA dans certaines infractions violentes (incendie volontaire, agression
dans le LCR, indépendamment du groupe diagnostique et de l’acte sexuelle, homicide) lorsque l’auteur des faits reste inconnu [55, 113, 114].

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L’établissement du profil possible de personnalité du coupable démographiques et socioéconomiques [74, 80]. Cette association paraît plus
permet en effet quelquefois de faciliter son arrestation en orientant importante en cas de troubles mentaux sévères, en particulier
les recherches vers le ou les suspects les plus probables, venant en psychotiques, le risque augmentant avec l’usage ou l’abus d’alcool et/ou
complément des méthodes classiques de l’enquête policière. de substances psychoactives. L’importance de cette association, bien que
En cas d’homicide, divers aspects de la scène du crime sont statistiquement significative, reste cependant modeste en comparaison
intéressants à considérer : organisation ou désorganisation du mode d’autres éléments comme l’âge, le sexe, l’environnement familial, les
opératoire, signature, dépersonnalisation, mise en scène, conduite niveaux d’éducation ou socioéconomique [74, 80, 102, 105]. La violence et les
de réparation, trophées ou souvenirs, fantasmes criminels. Une visite crimes pouvant être exclusivement attribués à la maladie mentale ne
sur les lieux après la phase de l’enquête initiale est indispensable représentent en réalité qu’une faible proportion de la criminalité
afin d’apprécier l’environnement et les circonstances du crime. Il est générale. Il est également nécessaire de souligner que la plupart des
également nécessaire de disposer de l’ensemble des éléments du personnes souffrant de troubles mentaux ne commettront jamais
dossier de l’enquête. La méthode du profilage doit maintenant d’infractions graves et seront plus probablement les victimes d’autrui.
trouver sa place en France à côté des investigations traditionnelles Les violences des malades et handicapés mentaux concernent enfin le
des services enquêteurs et des techniques modernes de la police plus souvent leurs proches, à l’opposé des clichés véhiculés par la
scientifique. télévision, le cinéma ou la littérature.
Les psychiatres sont sollicités de façon croissante dans le cadre
Conclusion d’expertises psychopathologiques pour éclairer la justice, évaluer la
dangerosité et mettre en œuvre des protocoles de soins et de
Contrairement aux idées antérieures, la plupart des auteurs réhabilitation (injonction thérapeutique). Pour cela, ils devraient
s’intéressant à la question de la dangerosité criminelle reconnaissent s’aider d’instruments validés et, dans leurs conclusions, s’en tenir
actuellement l’existence d’un lien entre violence, homicide et maladie prudemment aux données issues des études empiriques ayant isolé les
mentale, lien persistant même après contrôle des données principaux facteurs de risque en matière de récidive.

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