Cours de Méthodes Des Sciences Sociales
Cours de Méthodes Des Sciences Sociales
Cours de Méthodes Des Sciences Sociales
Editions 2019
(En chantier)
1
Sommaire
Introduction
Conclusion
Bibliographie
Introduction
2
Pourquoi un cours de MTSS ?
L’Université enseigne des connaissances, des auteurs, des mots, des idées, des
concepts, théories et croyances, visions et perceptions du monde. Ces enseignements
n’expliquent pas toujours les méthodes par lesquelles on accède à ces
connaissances et donc à la connaissance. C’est comme si le souci de la transmission
reléguait à une moindre importance le souci de l’initiation à la recherche et à la
pédagogie universitaire. Pourtant la science est bien une méthode et non une
accumulation de connaissances. Cette méthode procède par :
- une observation des faits ;
- une déduction des faits par d’autres faits observables ;
- une explication rationnelle et logique ;
L’Université enseigne des connaissances qui ne sont pas toujours mises à jour,
mais remises à l’ordre du jour et intactes de tout déblayage. La répétition, certes
pédagogique, constitue ainsi l’une des pires obstructions à la découverte de nouvelles
vérités méritant d’être sues. « La connaissance d’un objet nécessite une recherche
préalable sur les conditions de production de cette connaissance » (Pierre
Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984). Ces conditions renvoient à la
question des méthodes d’investigation scientifique. L’objet représente toute
chose que nous pouvons chercher à comprendre et expliquer.
L’université enseigne aussi des certitudes qui peuvent sur la durée se révéler
vaines, illusoires et peu fiables. Les erreurs sont possibles d’autant plus que les
enseignements restent marqués par une surabondance de savoirs séparés et
dispersés, partiaux et partiels. (cf. Edgar Morin, Enseigner à vivre. Manifeste pour
changer l’éducation, Actes Sud, Play bac, 2014.)
3
corriger une erreur, c’est en précipiter une autre. » (Jacques Derrida, Sur parole,
Editions de l’Aube, 2005, p. 5). Ce qu’on demande en science c’est de prouver ce
qu’on avance, d’en faire la démonstration. C’est la raison pour laquelle Norbert
Elias identifie le chercheur en sciences sociales comme un chasseur de mythes.
(Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ? Paris, Editions de l’Aube, 1991, p. 58).
La vérité vacille entre l’énoncé (ce qu’on dit) et le jugement (ce qu’on pense).
Rien ne va de soi ; se méfier de la familiarité avec les objets. Faire de la science
politique ou juridique, par exemple c’est se soucier de comprendre les structures
politiques ou juridiques, notamment en prenant ses distances avec les
convictions immédiates sur la politique ou le droit, à la faveur d’une interrogation
aussi systématique que possible. Deuxième viatique utile à toute enquête : « Les
hommes engagés dans l’action sont les moins bien placés pour apercevoir les causes
qui les font agir. » (Durkheim, 1904-1905). « Il n’y a pas de transparence de l’individu
à soi-même. » P. 9
1
Alan Chalmers, « Qu’est-ce que la science ? », Editions La Découverte, Paris, 1987, p.13.
2
Voir Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984 et Le métier de sociologue : préalables
épistémologiques, Paris, Mouton, 1974.
3 André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris : PUF, 2006.
4
1°- Pourquoi fait-on de la recherche ? La volonté et l’intérêt de la vérité en
sciences sociales.
2°- Comment fait-on de la recherche ? Les méthodes et techniques
d’investigation scientifiques pour accéder à la vérité en sciences sociales
Pour cela, nous avons divisé le cours en 5 parties (voir contrat pédagogique en
sommaire). L’objectif est de fournir aux étudiants les ficelles du métier de chercheur
en sciences sociales. « Une ficelle, nous dit Howard Becker, c’est un truc simple qui
vous aide à résoudre un problème. Tous les métiers ont leurs ficelles, leurs solutions
spécifiques à leurs problèmes spécifiques, leurs manières de faire simplement des
choses que les profanes trouvent très compliquées. A l’instar des plombiers et des
charpentiers, les sociologues ont eux aussi leurs ficelles, qui leur servent à résoudre
les problèmes qui leur sont propres. Certaines de ces ficelles sont de simples règles de
bon sens, tirées de l’expérience, comme celle qui veut, qu’en mettant de jolis timbres
de collection sur vos enveloppes de réponse, vous incitiez davantage de personnes à
renvoyer leur questionnaire. » (H. Becker, Les ficelles du métier, p. 24). Ficelle peut
être comprise ici comme synonyme de méthode, de savoir-faire, de technique,
d’astuce. Certaines de ses règles sont comme a pu l’identifier Gaston Bachelard, soit,
de simples règles de bon sens tirées de l’expérience, soit le fruit d’une analyse sociale
scientifique de la situation au sein de laquelle le problème surgit4.
4
Tiré de « Ficelles », p. 23-24.
5
Nous allons recourir dans ce cours à une rhétorique de la simplicité et donc de la
clarté parce qu’il n’est pas nécessaire d’être obscur pour dire des choses utiles ; pour
enseigner une méthodologie de recherches aux étudiants. Le style se veut donc le plus
simple et compréhensible possible pour ne pas le rendre hermétique. Comme le fait
remarquer Howard Becker : « Certaines affectations de langage propres au monde
universitaire finissent par cacher la signification que le chercheur s’efforce de
transmettre. S’il y a des ambiguïtés dans ce que j’écris, c’est parce que les choses sont
à mes yeux ainsi dans la réalité. Parfois le langage universitaire vise à intimider le
lecteur. » (H. Becker, Les ficelles du métier, Paris, La Découverte, p. 14).
Ce cours offre des éléments bibliographiques, mais aussi des exemples concrets
qui donnent corps aux idées abstraites.
6
société, et par la vie qu’il y a menée. Suspendre son jugement est certes nécessaire,
mais c’est insuffisant pour nous permettre de comprendre les raisons, la logique des
façons de penser et d’agir d’autres groupes humains. Il faut en plus, nous l’avons dit,
conduire systématiquement des enquêtes qui permettront d’observer comment les
individus, selon leur sexe, leur âge, leur statut, agissent dans les divers contextes
auxquels leur existence les confronte. C’est à ce prix que l’on pourra découvrir s’ils
font ce qu’ils disent et disent ce qu’ils font, et surtout si, confrontés au même
contexte, tous ne font pas et/ou ne disent pas les mêmes choses. Les résultats
obtenus au travers de telles enquêtes, d’un tel effort en vue de comprendre, par
l’assujettissement de soi-même à une mise à distance critique de ses propres
présupposés culturels, ne sauraient être pures projections des préjugés de
l’observateur, et de toute façon, en tant qu’elles sont offertes à la critique, ces
conclusions peuvent toujours être amendées par la critique en question. »5
Les sciences sociales sont souvent identifiées à des pseudosciences qui ne sont
« pas pures », parce que « pas dures » donc « molles » par opposition aux sciences de
la nature considérées comme étant plus ancrées dans la précision et l’exactitude à la
faveur d’une rationalisation et d’une objectivation plus abouties. A ce titre, les
mathématiques font partie de ces sciences dont l’universalité des théorèmes et lois
fait l’unanimité. Ce sont des lois universelles ; c’est à dire, indépendantes du lieu et
du temps, notamment en raison de leur précision et exactitude. Les possibilités à
partir de la précision et de l’exactitude de faire des projections et des prévisions.
Celles-ci offrent des possibilités de voir loin et de voir juste ; ce qui va intéresser les
sciences sociales qui vont chercher à établir des corrélations et causalités qui
permettent de révéler la vérité d’un fait, d’un phénomène, de réduire la part d’ombre,
de complexité qui aurait pu la caractériser jusque-là pour en proposer une lecture,
une lumière éclairant les savoirs et connaissances enregistrées jusque-là. Il convient
donc de parler plutôt de « sciences subtiles » que de « sciences molles » en parlant
des sciences sociales.
L’intelligence du monde que donne la science permet d’agir sur l’ordre des
choses. Cette célébration du positivisme suppose que le déterminisme est au
fondement de l’intelligibilité du réel.6 (Pierre Favre, Comprendre le monde pour le
changer. Epistémologie du politique, Presses de Sciences Po, Coll. « Références »,
2005).
Faire reposer la validité d’un énoncé n’est pas seulement la logique des
sciences dures. Les sciences sociales s’imposent des exigences méthodologiques pour
mieux revendiquer un label de scientificité, même si elles restent qualifiées comme
5
Maurice godelier, Au fondement des sociétés humaines, op. cit. , p. 63-64.
6
Voir notamment, Marc Sadoun et al., « Lectures critiques », Raisons politiques, 2006/2, n° 22, p. 213-230.
7
des « sciences de l’imprécis » (Abraham Moles, Les sciences de l’imprécis, Paris,
Seuil, 1990). Jean-Louis Seurin rejoint sur ce point Abraham Moles quand il soutient
que si : « Les sciences de la nature connaissent l’imprécis, les sciences sociales ne
connaissent que l’imprécis. » Toutefois, poursuit-il : « Les sciences sociales en
général et, en particulier la science politique, traitent de la complexité et de
l’hypercomplexité, au moyen d’observations, conduisant à une compréhension plus
ou moins imprécise de la réalité. Aucune règle, aucune technique d’observation ne
leur sont, a priori, interdites, songeons à ce que les techniques biologiques comme le
test du carbone 14 apportent à l’histoire par exemple » (Jean-Louis Seurin, « La
démocratie pluraliste est-elle exportable ? Universalisme démocratique et relativisme
culturel », in Daniel Louis Seiler, La politique comparée en questions, p. 83-143, dont
p. 170).
Le recours à l’adjectif « sociales » peut ainsi être compris comme une manière de
marquer la différence qui sépare le concret de l’illusoire, le précis de l’imprécis,
l’exact de l’à peu-près. « Hors le laboratoire, point de salut » peut-on entendre dire.
Les sciences sociales se retrouvent donc face à 3 options :
- minimiser la difficulté
- la présenter comme insurmontable
- ou s’en accommoder
7
Philippe Braud, Philippe Braud, « Décrire ou construire la réalité ? », in Sociologie politique, Paris, L.G.D.J,
1992, p. 405-449.
8
Jean-Louis Seurin, op. cit.
8
Chapitre 1
***
Les éclairages sur les sciences sociales ont ainsi permis de mettre en lumière ses
caractéristiques et évolutions. Les discours scientifiques furent ainsi appréhendés
comme un dispositif au service du pouvoir (Michel Foucault, 1969) ; comme une
idéologie (Jürgen Habermas, 1973) ; au service des rapports de domination entre
groupes sociaux (Pierre Bourdieu, 2001) ; au service des rapports internationaux de
domination (Saïd, 1978).
La vérité peut être l’objet d’une passion calme – à la loyale, sans halètements, ni
singeries. (Régis Debray, Par amour de l’art. une éducation intellectuelle, 1998 : p.
19). Car, « Rien n’est aussi dangereux que la certitude d’avoir raison. » Il
n’existe pas une vérité mais des vérités. (Cf. texte de François Jacob (lauréat du Prix
Nobel de Médecine en 1965, p. 69-70) d’où la nécessité de faire le deuil des
idoles ; de s’émanciper de l’emprise téméraire des croyances populaires,
des dogmes et mythologies. Donc, être comptable de la vérité et non avocat de la
puissance du dogme. Le « On » ; les idées préconçues. ; les généralisations.
9
d’une vérité scientifique, faute d’une démonstration universellement valable. Dans
le domaine religieux par exemple, règne « à chacun sa vérité ».
10
- L’absence de restriction au droit de discussion et de critique,
appliqués non pas seulement aux résultats partiels, mais aux fondements et
aux méthodes ;
- L’absence de restriction au droit de désenchanter le réel. (Entre l’idée
d’un certain régime et le fonctionnement de ce même régime, entre la
démocratie que nous avons tous rêvée sous la tyrannie et le système des partis
tel qu’il s’est instauré dans l’Europe occidentale, le décalage n’est pas mince.
9
Voir Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, Payot, 1984.
10
Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Champs sciences, Editions Flammarion, 1983, 2008.
11
scientifique se constitue comme une série d’erreurs rectifiées ». Mais encore faut-il
l’admettre ?
11
Op. cit., p. 11.
12
De même, cette attitude perceptible chez Karl Marx va orienter toute sa
recherche. En effet, en se gardant bien de considérer le capital que comme une chose,
une réalité sociale perçue concrètement, il découvre un aspect nouveau qui est la
réalité sociologique de la relation sociale qui existe entre les personnes.
Il y a une différence entre ce qu’on croît voir et la réalité profonde qui se cache
derrière les apparences.
13
par la démarche scientifique elle-même, les groupes réels, les ensembles
définis (…). »
- Enregistrer, ranger et classer des connaissances et des données, mais aussi
prétendre à une fonction critique capable d’atteindre à un certain pouvoir
prédictif, étant donné les matériaux préalablement rassemblés.
- L’objectif est d’avancer des propositions du moins pour partie vérifiées.
- Ces intelligences généreuses, contenues dans ce fonds d’idées, de concepts, de
méthodes scientifiques et techniques s’inscrivent dans l’intérêt des universités
notamment dans leur fonction sociale de formation et de recherche. A
condition de prendre en compte ce que nous enseigne la science moderne en se
gardant bien de sombrer dans la prétention au savoir absolu qui fait que
« quand on sait rien, on prévoit tout, et quand on sait tout ne prévoit rien. »
(ce qui est caractéristique de l’attitude de nos gouvernementalités actuelles
qui se distinguent par une oscillation permanente entre la prétention au savoir
absolu et le refus de prendre en considération ce que nous enseigne la science
moderne.
- Fournir des explications les moins imprécises et les plus précieuses.
Nous nous rendons compte que nous avons besoin de théories, de spéculations
ou de satisfactions, de doctrines d’une espèce ou d’une autre, qui puissent
expliquer toute une série de réalités sociales, politiques, juridiques ou
autre. Ces théories difficilement ébranlables sont destinées à ne pas se laisser piéger
par des explications, des mots, des théories et les croyances profondément enracinées
dans nos mémoires. Car derrière ces croyances, derrière ces dogmes, il y a la peur
incessante de l’inconnu qu’il faut certainement regarder en face pour ne pas se
complaire dans l’illusion de la réalité. Théories, concepts et rationalisations
scientifiques nous permettent ainsi d’éluder la vérité des réalités observées,
étudiées, décryptées.
14
une vérité qui ne s’effacerait jamais comme l’action et l’agitation aveugle des
hommes. » (p. 93).
15
L’importance de la problématisation réside dans l’interrogation se situant
au-delà de l’étonnement philosophique.
En entendant les médias du monde entier annoncer : « Haïti sera touché dans les
heures qui viennent par un terrible tremblement de terre », certains pourraient y voir
une certaine substitution à Dieu qui déciderait des êtres et des choses. Mais la science
prévoit, prédit et démontre. L’importance de la théorie réside dans le fait qu’elle
permet d’élaborer ainsi des vérités scientifiques. La science procéderait ainsi selon le
principe de la démonstration qui requiert de fournir des preuves.
Une théorie fonctionne comme une « boîte à outils » qui permet à l’analyste
d’établir des liens entre les éléments composant le phénomène étudié. Une théorie
apparaît ainsi comme une structuration de la réalité qui implique un choix et une
mise en ordre des données. Théoriser revient donc à observer ce qui se passe,
pour le décrire, l’identifier le comprendre et l’expliquer. L’exemple des
évènements du 11 septembre 2001 permet de bien comprendre cette idée que les faits
n’ont pas de signification intrinsèque (qu’ils ne parlent pas d’eux-mêmes) en dehors
d’une grille de lecture théorique préalable, car sans « théorie », il y a ni « attentats
terroristes » ni « actes de guerre », mais deux avions qui heurtent les tours jumelles
du World Trade Center, un troisième qui s’écrase sur le Pentagone, un quatrième qui
tombe en Pennsylvanie. Montesquieu élabore ainsi une théorie de la séparation
des pouvoirs ; Machiavel une théorie réaliste et cynique du pouvoir ; Karl Marx
une théorie économico-politique et du communisme ;
16
scientifique. Il en est de même que le problème de l’indépendance nécessaire vis à vis
des appareils de pouvoir.
« Quel que soit le terrain, il est susceptible d’être considéré comme difficile.
Certains le sont certainement plus que d’autres. Il nous faut dores et déjà préciser que
la difficulté de terrain doit s’entendre en termes relationnels : elle se tisse dans les
interactions entre enquêteurs et enquêtés, qui actualisent leurs habitus respectifs
dans la situation d’enquête. L’intérêt d’une telle catégorisation est de pointer ses
conséquences sur les investigations en terrains difficiles et sur les modifications des
habitus du chercheur. Le chercheur ainsi exposé doit en effet puiser dans ses propres
ressources pour réduire au maximum les filtres et se construire une identité souvent
éloignée de l’excellence académique. Quelles stratégies d’enquête doit-il adopter ?
Comment conjuguer exigences méthodologiques et nécessité d’avoir recours à des
postures pragmatiques ? Comment sortir du rôle de porte-parole ou de dénonciateur
que certains enquêtés tendent à lui donner ? Autant d’interrogations qui invitent à
s’attarder sur la notion même de terrain difficile. Plus communément associée aux
zones de violence et aux contextes d’insécurité, elle englobe de fait d’autres types de
terrains. Ainsi, les enquêtes menées sur des objets considérés comme socialement
illégitimes ou sur des acteurs stigmatisés ou prosélytes peuvent y être incluses. »
(Magali Boumaza et Aurélie Campana, « Enquêter en milieu difficile », Revue
Française de Science Politique, 2007/1, Vol. 57, p. 5).
12
André Guichaoua, Yves Goussault, Sciences sociales et développement, Armand Colin, Paris, 1993, p.56.
17
Certains terrains d’enquête sont risqués, dangereux, hostiles et donc difficiles, ne
se laissant pas aisément approcher ni apprivoiser, imposant du coup de la part des
politistes des stratégies d’enquêtes adaptées et non strictement confinées à une
méthode ; ce qui selon Rosalie Wax les maintiendrait dans une cage13. Harry Walcott
souligne à ce titre l’importance de connaître les conventions en vigueur dans le
champ scientifique, tout en précisant qu’il n’est pas vital de les respecter en tous
temps14. Magali Bougaza et Aurélie Campana en concluent que : « le travail de terrain
s’apparente dès lors à de l’artisanat, ou pour le dire autrement, à un bricolage
permanent, qui implique bien plus que des compétences techniques ou purement
méthodologiques. La dimension humaine est omniprésente. (…) Elle traverse
l’enquête de bout en bout, imprégnant non seulement les stratégies mises en place,
mais également le récit d’enquête. »15 L’inconfort du travail de terrain requiert donc
une flexibilité méthodologique. Pour ces auteurs, l’enjeu réside donc dans « la
capacité et l’habileté du chercheur à jongler entre impératifs méthodologiques et
réalités de son terrain16.
13
Rosalie Wax, Doing Fieldwork, Warnings and Advice, Chicago, Chicago University Press, 1986.
14
Harry F. Walcott, The Art of Fieldwork, Walnut Creek, Altamira Press, 1995, p. 46-49.
15
Rosalie Wax, Doing Fieldwork, Warnings and Advice, Chicago, Chicago University Press, 1986, p. 9.
16
Rosalie Wax, Doing Fieldwork, Warnings and Advice, op. cit. p. 9
17
Voir Pulman, « Pour une histoire de la notion de terrain », Gradhiva, 5, 1988, p. 21-30.
18
Magali Boumaza et Aurélie Campana, « Enquêter en milieu difficile », Revue Française de Science Politique,
2007/1, Vol. 57, p. 8-9.
18
où elle nécessite soit la mise en place et en pratique de stratégies d’ajustement en
matière linguistique, soit le recours à une traduction. Elle implique également
d’intérioriser des us et coutumes locales auxquelles le chercheur est à priori étranger.
Cette difficulté sera certainement plus facilement surmontée par une personne qui
entretient un lien fort avec ce terrain, parce qu’elle y est née, y a vécu, ou encore que
ses parents ou proches en sont originaires. Dans ce cas, d’autres questions pourront
apparaître comme la nécessaire mise à distance du chercheur avec son objet et son
terrain. » (Magali Boumaza et Aurélie Campana, « Enquêter en milieu difficile »,
Revue Française de Science Politique, 2007/1, Vol. 57, p. 10).
- Le 1er gage : accepter et composer avec les conditions posées et imposées par
les enquêtés ; les personnes qu’il est autorisé à rencontrer ; les questions qu’il pourra
poser ou non aux membres du groupe étudié ; le respect de l’anonymat ; l’accès au
19
Raymond Lee, Dangerous Fieldwork, Thousand Oaks, Sage Publications, 1995, p. 3.
20
Daniel Hoffman, Stephen Lubkemann, Warscape Ethnography in West Africa and the Anthropology of
Events », Anthropological Quatertly, 78, 2, 2005, p. 318 (p. 315-328).
19
produit fini ; la retranscription du produit fini avant publication ; le retrait de
certains passages ; la clarification de certains évènements. Se plier à ces conditions
d’informalité peut aider à surmonter les difficultés, de recueillir des données
précieuses et à se placer sous la protection des enquêtés ; possibilités aussi de voir des
portes inattendues s’ouvrir en raison du climat de confiance qui a fini par s’établir.
Les rumeurs positives précédant son arrivée peuvent l’aider grandement à abaisser
les « boucliers » qui pouvaient se dresser face à lui et se faire accepter. De
l’inaccessibilité initiale de certaines personnes à la disponibilité finale.
La science se construit contre les évidences. Mais encore faut-il savoir écouter et
prendre acte, de manière régulière, les propositions, analyses et thèses de ceux qui
prétendent à des connaissances scientifiques des faits et phénomènes politiques, pour
suivre les évolutions de leurs pensées, leurs contradictions et les rectifications
auxquelles ils sont contraints, à la suite d’incessantes épreuves de falsification et de
réfutations.
Ce rapport si particulier d’une science avec ses objets, et d’abord d’une science
avec les mots qui désignent ces objets, et tout autant d’une science avec ce qui s’est
écrit dans le passé sur ces objets, engage un processus complexe dont certains
moments peuvent être décisifs21. Les mots et concepts peuvent en effet constituer de
véritables barrières ; d’où la nécessité de les relever dès l’entame de la réflexion en
leur apportant des précisions conceptuelles et définitionnelles.
Il n’existe pas de pensée sans mots. Mais l’esprit peut être encombré de mots.
Dans ce cas, la pensée cesse d’être la pensée telle que nous la connaissons, pour
devenir une activité. Le mot peut alors se présenter comme la frontière qui empêche
de penser la pensée et d’arriver à de nouvelles vérités. Le savant invente donc des
mots et des concepts pour transcender un tel obstacle.
21
Pierre Favre, op. cit., p. 182.
20
Emile Durkheim nous renforce dans cette idée quand il dit : « Dans la pratique,
c’est toujours du concept vulgaire et du mot vulgaire que l’on part. On cherche si,
parmi les choses que connote confusément ce mot, il en est qui présentent des
caractères communs. S’il y en a et si le concept formé par le groupement des faits
ainsi rapprochés coïncide sinon totalement (ce qui est rare), du moins en majeure
partie, avec le concept vulgaire, on pourra continuer à désigner le premier par le
même mot que le second et garder dans la science l’expression usitée dans la langue
courante. Mais si l’écart est trop considérable, si la notion commune confond une
pluralité de notions distinctes, la création de termes nouveaux et spéciaux s’impose ».
(Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Rééd., Quadrige , 1990, p.
37).
L’obstacle peut venir donc des mots – les mots des explications, des
rationalisations, qui ne sont toujours que des mots, mais qui constituent notre
processus mental, nous empêchant ainsi d’entrer en communion avec la « possibilité
des mots et des choses.
22
op. cit., p. 372.
23
Op. cit., p. 372-373.
21
Tous ces obstacles bien intégrés peuvent être maîtrisés et surmontés par une
démarche qui appelle une certaine vigilance épistémologique dont la rigueur qui
l’anime participe à lui éviter que les erreurs d’appréciation se répandent.
Le défi de la précision
Jean-Louis Seurin : « Les sciences de la nature connaissent l’imprécis, les
sciences sociales ne connaissent que l’imprécis. »
Pour Claude Lévi-Strauss, les sciences sociales n’ont de science que le nom.
Position donc radicale qui semble se présenter, malgré toute l’œuvre anthropologique
qu’il a accompli, comme une déception de n’avoir pas pu hausser l’anthropologie au
niveau d’une science de laboratoire.
Le déficit expérimental
24
René Rémond, Pour une histoire politique, Editions du Seuil, 1996, p. 383.
25
À l’image de ce qui s’était passé un certain 21 avril 2002 en France, avec la présence au 2nd tour du leader du
Front national
26
Claude Allègre, Quand on sait tout on prévoit rien et quand on sait rien on prévoit tout, Fayard/Robert
Laffont, 2004.
27
Madeleine Grawitz, op. cit., p. 39
28
op. cit.
22
Si pour le mathématicien Poincaré : « toutes les vérités procèdent de
l’expérience », force est de reconnaître, à la suite de Nonna Mayer que : « les sciences
sociales n’ont pas la même légitimité, aux yeux du public que les sciences dures.
Leurs chercheurs ne portent pas de blouse blanche, ils ne manipulent pas des
éprouvettes, ils ne guérissent pas du cancer, ils n’envoient pas de fusées sur Mars.
Pourtant ce sont des sciences, avec leurs théories, leurs méthodes, leurs modes de
validation spécifiques. Et elles ont leur utilité. »29
La distinction est à faire entre les sciences de la nature pour lesquelles les
mathématiques sont l’instrument indispensable et essentiel, et les sciences de
l’homme qui semblent tout à fait rebelles à la mathématisation.
29
Nonna Mayer, « La science politique est-elle une science ? », Nouvelles Fondations, 2006/2, n° 2, p. 42
30
Robert Ezza Park, cité dans Magali Boumaza et Aurélie Campana, « Enquêter en milieu difficile », Revue
Française de Science Politique, 2007/1, Vol. 57, p. 18.
31
Cité dans Stéphane Beaud, « L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l’entretien
ethnographique », Politix, Vol. 9, n° 35, p. 226-257, dont p. 245.
23
que les historiens fassent pour le résorber et l’intégrer dans une succession logique. Il
y a en politique plus dans les effets que dans les causes (…), on ne trouve pas dans les
antécédents tout ce qui en ressortira : c’est la part de la contingence (…). L’événement
est la défaite d’une certaine rationalité mais pas pour autant la confusion de
l’intelligence » 32 . Bien au contraire, l’imprévisible, l’inattendu et la complexité
tiennent en éveil l’intelligence. Le politiste sait que son objet d’étude lui réserve des
surprises. A la différence de l’oracle qui prédit à l’avance, le politiste cherche à saisir
les réalités mesurables et démontrables scientifiquement.
Raymond Aron (Préface dans Max Weber) : « La science ne nous dira pas qu’il
faut être favorable à la démocratie, ni que celle-ci est en tant que telle supérieure aux
autres formes de gouvernement praticables en notre siècle. Elle montre les risques
illimités que comportent les régimes de parti unique pour certaines valeurs que le
professeur attaché à la tradition séculaire des universités, tient pour sacrées. Elle
montre quelles relatives garanties le système des partis multiples donne et d’un
certain respect des droits personnels et du caractère constitutionnel des pouvoirs et
de leur exercice. Elle montre aussi quels risques sont immanents à ce régime :
instabilité de l’exécutif, dans le cas où aucune majorité ne se dégage, décomposition
sociale lorsque les luttes de partis ou de classes dépassent une certaine violence,
paralysie des gouvernants lorsque tous les groupes, tous les intérêts particuliers
réussissent à plaider trop bruyamment leur cause. » P. 30.
L’emprise de l’actualité
L’ancrage social du chercheur a le mérite de satisfaire la quête de nouveaux
paradigmes dans ce champ mais surtout le défaut si l’on croît Luc Sindjoun « de
constituer parfois une marque de l’emprise de l’actualité sur le chercheur, de la
dictature de l’immédiat sur la réflexion sereine. C’est l’illusion de l’immédiateté ou de
la spontanéité du discours scientifique qui rompt avec le recul et la patience inhérents
au travail scientifique. La soumission du chercheur à la pression de l’événement peut
faire le lit de la connaissance vulgaire, de l’essayisme. » (Luc Sindjoun, « La
formation du patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques. Eléments
pour une théorie de la civilisation politique internationale », Série des monographies
du CODESRIA, 2/97, p. 2) Mais rajoute-t-il « Il convient de ne pas absolutiser ou
fétichiser la durée du temps investi dans le travail scientifique. Non seulement celle-
ci n’est pas une condition suffisante de la scientificité, mais en plus l’événement est le
nom médiatique d’un phénomène ou d’un fait dont le moment d’expression ou
d’explosion ne doit pas occulter la phase d’incubation socio-politique. (ibid, p. 2).
Pour Luc Sindjoun : « Le défi du chercheur, c’est de construire son analyse « froide »
dans un contexte dominé par des observations « chaudes » prisonnières de l’illusion
de l’immédiat. »33 La froideur du détachement par rapport à son objet d’étude est
pour le politiste une exigence non-négociable.
Le fatalisme
32
René Rémond, Pour une histoire politique, op. cit., p. 386.
33
Luc Sindjoun, La révolution passive au Cameroun : Etat, société et changement, Série de livres du
CODESRIA, 1999, p. 5
24
La notion de fatalisme correspond à la définition qu’en propose, dans sa
thèse34, Paul-Laurent Assoun à savoir : « La doctrine suivant laquelle la volonté et
l’intelligence humaines sont impuissantes à diriger le cours des événements, en sorte
que la destinée de chacun est fixée d’avance, quoi qu’il fasse »35. Ceci nous ramène à
définir la fatalité, comme « le caractère de ce qui est tel que ne puisse manquer
d’arriver, malgré tout désir et effort contraires. »36 La critique de ce « sophisme
paresseux » par Leibniz au paragraphe 55 de sa théodicée est intéressante et procède
selon ce raisonnement : « […] Si ce que je demande doit arriver, il arrivera, quand je
ne ferai rien et s’il ne doit point arriver, il n’arrivera jamais, quelque peine que je
prenne pour l’obtenir. »37
Il y a dans le fatalisme, l’idée selon laquelle nos sociétés sont soumises à des
lois de l’histoire. Et donc, le sentiment de l’impuissance des hommes à modeler la
société à leur guise. L’idée que nous serions comme des « marionnettes subissant les
lois du destin » qui nous dépasserait. Un destin d’enfermement politique et culturel
irréversible et irrévocable.
Pierre Manent nous rappelle que : « Là est d’ailleurs le motif le plus fort, et en
même temps le plus noble, des adversaires de la démocratie moderne, de ceux qu’on
appelait les « réactionnaires » ; ils considéraient qu’il y a quelque chose de
suprêmement dangereux pour l’homme, en vérité d’impie, dans l’ambition
démocratique d’organiser le monde « à notre guise », au lieu d’obéir à la loi divine ou
de suivre les coutumes éprouvées reçues des générations passées. » (p. 13)
Il y’aurait donc comme une sorte de Loi qui régirait impersonnellement les
choses. En ce sens, précise Hirschman, « l’effet pervers touche au domaine du mythe
et de la religion, à la croyance à l’intervention directe d’une puissance surnaturelle
dans les affaires humaines. » (p. 124).
Pour Confucius, la société n’est pas construite par les hommes, mais déterminée
par les lois du Ciel. Il existerait donc une sorte de « mandat du ciel ». Ceci est souvent
l’expression d’un dogmatisme théologique qui clôt l’effort d’interprétation (Ijihad) et
ferme les portes de l’innovation. Ibn Khaldûn (1332-1406) fur le premier à écrire que
l’Histoire commence lorsque les peuples comprennent qu’ils ne sont pas régis que par
la seule Providence38.
Pour réfuter l’idée selon laquelle la Science nous éloignerait de la Loi divine,
Pierre Manent soutient que : « Nos sociétés sont organisées pour la science et la
liberté. C’est là un fait (…) le fait majeur de notre situation présente »39. Aussi
rajoute-t-il : « Certains des plus grands conflits du siècle ne naquirent-ils pas du fait
que les hommes se font des idées différentes de la liberté ? » (p. 10).
34
Paul-Laurent Assoun, Idéologie politique et lutte des classes dans le discours historiographique du fatalisme
historique en France sous la Restauration. Thèse soutenue à l’I.E.P. de Paris en 1987 sous la direction de
Georges Lavau.
35
Paul-Laurent Assoun, op.cit, p.14
36
op.cit, p.14
37
Extrait de Paul-Laurent Assoun, op.cit, p.194
38
cf. B. Etienne, « Ibn Khaldûn », in F. Châtelet, O. Duhamel et E. Pisier (sous le direction de) Dictionnaire des
œuvres politiques, p. 490.
39
Pierre Manent, Cours familier de philosophie politique, Paris, Fayard, 2001, p. 10.
25
Le développementalisme :
Cette conception est proche des théories dites évolutionnistes qui postule l’idée
selon laquelle : « il faut donner du temps au temps » pourrait résumer les
conceptions évolutionnistes de la société. L’évolutionnisme opère selon une
périodisation » qui consiste à reconstituer les différents stades d’évolution de la
culture depuis ses origines afin d’aboutir à la forme la plus avancée.
Le psychologisme :
Les thèses de Gustave Le Bon sur les foules sont la parfaite expression ou
illustration du psychologisme qui est une tentative d’explication des attitudes
politiques à partir de la psychologie. Son ouvrage, La psychologie des foules, publié
en 1895 a reçu un succès retentissant. La pensée réactionnaire de Gustave le Bon à
l’égard des foules met l’accent sur le spectre de « l’ère des foules » et de « l’unité
mentale des foules (…) accumulant non l’intelligence mais la médiocrité »40.
40
Gustave Le Bon, La psychologie des foules, op. cit. p. 12
26
meilleure ou pire. » (p. 15). « Criminelles, les foules le sont souvent, certes, mais,
souvent aussi héroïques. On les amène aisément à se faire tuer pour le triomphe
d’une croyance ou d’une idée, on les enthousiasme pour la gloire et l’honneur, on les
entraîne presque sans pain et sans armes comme pendant les croisades, pour délivrer
de l’infidèle le bonheur d’un Dieu, ou, (…) pour défendre le sol de la patrie.
Héroïsmes évidemment un peu inconscients, mais c’est avec de tels héroïsmes que se
fait l’histoire. S’il ne fallait mettre à l’actif des peuples que les grandes actions
froidement raisonnées, les annales du monde en enregistreraient bien peu. » (p. 16).
« L’individu en foule acquiert, par le fait seul du nombre, un sentiment de puissance
invincible lui permettant de céder à des instincts, que seul, il eût forcément refrénés.
Il y cédera d’autant plus volontiers que la foule étant anonyme et par conséquent
irresponsable, le sentiment de la responsabilité, qui retient toujours les individus,
disparaît entièrement. » (p. 13). « La politique traditionnelle des Etats et les rivalités
des princes constituaient les principaux facteurs des évènements. L’opinion des
foules, le plus souvent, ne comptait pas. Aujourd’hui les traditions politiques, les
tendances individuelles des souverains, leurs rivalités pèsent peu. La voix des foules
est devenue prépondérante. Elle dicte aux rois leur conduite. Ce n’est plus dans les
conseils des princes, mais dans l’âme des foules que se préparent les destinées des
nations. » (p. 2). « Peu aptes au raisonnement, les foules se montrent, au contraire,
très aptes à l’action. » (p. 3).
Le Bon rajoute que : « L’histoire enseigne qu’au moment où les forces morales,
armature d’une société, ont perdu leur action, la dissolution finale est effectuée par
ces multitudes inconscientes et brutales justement qualifiées de barbares. Les
civilisations ont été créées et guidées jusqu’ici par une petite aristocratie
intellectuelle, jamais par les foules. Ces dernières n’ont de puissance que pour
détruire. Leur domination représente toujours une phase de désordre. Une
civilisation implique des règles fixes, une discipline, le passage de l’instinctif au
rationnel, la prévoyance de l’avenir, un degré élevé de culture, conditions totalement
inaccessibles aux foules, abandonnées à elles-mêmes. Par leur puissance uniquement
destructive, elles agissent comme ces microbes qui activent la dissolution des corps
débilités ou des cadavres. Quand l’édifice d’une civilisation est vermoulu, les foules en
amènent l’écroulement. C’est alors qu’apparaît leur rôle. Pour un instant, la force
aveugle du nombre devient la seule philosophie de l’histoire. » (p. 4). « Résignons-
nous à subir le règne des foules, puisque des mains imprévoyantes ont
successivement renversé toutes les barrières qui pouvaient les contenir. » (p. 4).
Le culturalisme
27
Il y a toujours la tentation et le risque majeur de retomber dans l’ornière du
culturalisme et d’attribuer à des « traditions » africaines dont on sait qu’elles ont été
« inventées » et qu’elles sont polysémiques, d’imaginaires vertus explicatives41.
Selon René Otayek : « C’est à la culture africaine (notion vide de sens s’il en
est, car il n’y a pas une mais des Afriques) que sont imputés, pêle-mêle, la crise de
l’Etat, le sous-développement, la corruption, l’ethnicisation du politique, le retour du
religieux, la recrudescence de la sorcellerie, la violence et la criminalité politique, bref
tous ces symptômes du « mal africain » qui entretiennent l’image d’une Afrique à la
dérive. »42
41
Jean-François Bayart, « L’historicité de l’Etat importé », Les Cahiers du CERI, n° 15, 1996, p. 23.
42
René Otayek, op.cit, p.60
43
Antoine Tine, De l’un et du multiple et vice-versa : partis politiques et démocratisation au Sénégal de
Senghor à Diouf. Contribution à une critique de l’imaginaire de la pluralisation politique, Thèse de Doctorat
en science politique, IEP de Paris, juin 2002, p. 8.
44
Luc Sindjoun, La formation du patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques, Série des
monographies Codesria, 2/97, p. 3.
28
convient en effet de ne pas « enfermer l’analyse dans une approche différentialiste,
conduisant à un africanisme fixiste. »45
45
Antoine Tine, op. cit., p. 9
46
Luc Sindjoun, « La formation du patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques », op. cit., p. 3
29
Chapitre III
« Il faut réunir tant de choses pour que naisse une pensée scientifique »
(Nietzsche, Le gai savoir, p. 219) :
- L’instinct du doute,
- l’instinct de négation,
- l’instinct de temporisation,
- l’instinct de collection,
- l’instinct de dissolution »
L’histoire nous enseigne que les changements décisifs sont toujours liés à
des percées du savoir : innovations technologiques, grandes (ou petites)
inventions, mais aussi nouveaux paliers de développement culturel atteints grâce à la
diffusion des outils de la connaissance.
47
Madeleine Grawitz, « Correspondance : psychologie et politique. A propos du Traité de science politique »,
Revue Française de Science Politique, 1988, Vol. 38, n° 1, p. 170-171.
30
Conquérir et donc découvrir la vérité scientifique suppose d’avoir la capacité
d’aborder tout, d’instant en instant, de chercher, sans être conditionné par le passé.
Un récipient n’est utilisable que lorsqu’il est vide, et un esprit qui est empli de
croyances, de dogmes, d’affirmations, de citations, est en vérité un esprit stérile, une
machine à répétition. Ce n’est que lorsque l’esprit se libère des idées que l’expérience
est réellement vécue. Les idées ne sont pas la vérité ; la vérité doit être vécue
directement, d’instant en instant. Il faut un esprit riche d’innocence. L’entassement
de savoir problématique.
Dans ce chapitre, nous voulons continuer à montrer, après tout ce que nous avons
déjà vu jusqu’ici, comment un chercheur, généralement seul, sans grands moyens
financiers, avec du temps, de la patience, un intérêt pour les autres et sans arrogance
ni fausse modestie, pourrait conduire étape par étape une ambition scientifique, de
« conquérir le fait scientifique » en rejetant au « cela va de soi » tout en évitant de
tomber sous les pièges et illusions du sens commun, de l’ethnocentrisme, du
relativisme culturel etc. puisque comme nous le rappelait déjà Hegel : « ce qui est
familier n’est pas pour cela connu. » (Cf. in Grawitz p. 342)
31
immédiate. C’est en ce sens que Bachelard parle d’une « philosophie du non ».
L’accès à la connaissance comme l’histoire des sciences est donc marquée par une
coupure épistémologique, qui opère une séparation avec la pensée préscientifique.
Produire des connaissances nouvelles c’est donc franchir des obstacles
épistémologiques.
« Les pensées rapides sont rarement exactes. » (Régis Debray, Que vive la
République, Editions Odile Jacob, 1989, p. 145). Les pensées rapides ne sont en fait
trop souvent que le résultat de nos représentations abusives et généralisations
hâtives. En effet, quand nous ne faisons pas toujours l’effort de comprendre les
manifestations de croyances les plus « étranges » qui ne nous sont pas familières
(exemple des hiéroglyphes indéchiffrables), nous préférons céder à la facilité, à la
« raison paresseuse » (Kant, 1986, p. 526).
48
Luc Sindjoun, « Eléments pour une problématique de la révolution passive », in La révolution passive au
Cameroun, Etat, société et changement, Série de livres du CODESRIA, 1999, p. 5.)
32
l’observateur voyait qu’elles résultent d’un esprit qui ne peut avoir accès à toutes les
informations en raison de sa situation dimensionnelle. » (Gérald Bronner, La pensée
extrême, Puf, 2016, p. 37.)
C’est la raison pour laquelle Howard Becker nous rappelle que : « Nos
représentations déterminent l’orientation de notre recherche : elles déterminent
nos idées de départ, les questions que nous nous posons pour les vérifier, et les
réponses que nous trouvons plausibles. Et elles le font sans que nous y prenions
vraiment garde, car ces représentations sont des « savoirs » dont nous avons à peine
conscience. Elles font juste partie du bagage de nos vies ordinaires, du savoir sur
lequel nous nous reposons lorsque nous ne jouons pas les scientifiques et que nous ne
ressentons pas le besoin de connaître les choses de cette manière scientifique
spécifique qui fait que l’on pourra publier nos découvertes dans une revue
prestigieuse. »49
Ce qui revient donc à dire qu’on ne parle jamais de choses dont on n’a aucune
donnée, aucune représentation même provisoire. « Mais il est bien sûr dangereux de
s’essayer ainsi à deviner des choses que l’on pourrait connaître de manière plus
directe. Car, nous risquons alors bien souvent de tomber à côté, ce qui nous semblait
raisonnable à nous n’étant pas nécessairement ce qui semblait raisonnable aux
personnes que nous avons observées. C’est un risque auquel nous sommes
continuellement exposés, essentiellement pour la simple raison que (…) nous ne
sommes pas ces gens et nous ne vivons pas dans les mêmes conditions qu’eux. Nous
risquons alors de tomber dans la facilité en attribuant aux gens ce que nous pensons
que nous ressentirions si nous étions nous-mêmes dans leur situation. (…) En
l’absence de connaissance réelle, nos représentations prennent le dessus. » (H.
Becker, p. 42). La consommation de drogue en est un parfait exemple. De même que
la prostitution cache souvent tout un système et ne saurait être réduite à un simple
penchant pour le gain facile. Il ressort ainsi des représentations faciles, simplistes et
réductrices de fausses interprétations de la délinquance, de la criminalité, sur les
pratiques sexuelles, manifs, gangs et autres lieux obscurs qui sortent de la sphère du
style de vie des chercheurs universitaires. Des styles de comportement connus que
sous la forme de « vagues idées obsédantes du possible ». (H. Becker, p. 44). « Sans
une immersion plus profonde dans la société, nous n’accéderons jamais aux choses
toutes simples qui peuvent nous empêcher de faire des erreurs idiotes. » (H. Becker,
p. 45). Il est donc nécessaire de corriger nos représentations, de les vérifier par
rapport à la réalité pour voir leur exactitude ou inexactitude. « Comme nous sommes,
après tout, des chercheurs en sciences sociales, lorsque nous abordons un nouveau
49
Howard Becker, Les ficelles du métier, Paris, La Découverte, 2002, p. 41.
33
sujet d’étude, nous ne pouvons nous contenter d’en rester aux représentations de la
vie quotidienne, quelles que soient leur richesse de détail et les qualités d’imagination
dont elles font preuve. Nous procédons à quelques petites vérifications pour nous
assurer qu’elles sont correctes. Nous faisons des recherches. Nous collectons des
données. Nous élaborons des hypothèses et des théories. » (H. Becker, p. 46).
Il arrive que les résultats que nous obtenons soient différents par rapport aux
résultats que nous aurions aimé obtenir. Les choses les plus étranges ont un sens
dont il faut rechercher la signification. Le souci de la vérification empirique relève de
la rigueur scientifique contre les illusions de masse et le « on collectif » et le
« cela va de soi » à soumettre nécessairement à l’épreuve des démonstrations
logiques qui exigent le respect de certains principes méthodologiques et la maîtrise
d’un ouillage conceptuel propre à toute discipline.
50
Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie, Paris, Flammarion, 2007, p. 38.
34
Weil, 4 ans plus tard. 343 femmes qui ont dit chacune « j’ai avorté. Condamnez-
moi ». ) Une réflexion insoumise qui participera à l’émancipation des françaises. (La
robe d’avocat symbolise ainsi cette volonté d’émancipation et un signe d’égalité. On
voit rien même quand on est enceinte. Les juristes sont les premiers à mettre en
pratique la parité vestimentaire.) Pour Gisèle Halimi : « Désobéir à une loi injuste
c’est faire avancer la démocratie ». Pour faire la science et expliquer « l’inégalité des
sexes », il faut éviter de convoquer les mythes fondateurs (la femme qui viendrait de
la côte de l’homme par exemple) ; mais trouver des explications telle que la culture, la
tradition, la politique, etc.
Max Weber : « Une œuvre d’art vraiment « achevée » ne sera jamais surpassée et
ne vieillira jamais, du point de vue artistique. (…) Dans le domaine de la science au
contraire chacun sait que son œuvre aura vieilli d’ici dix, vingt ou cinquante ans. (…)
c’est que toute œuvre scientifique « achevée » n’a d’autre sens que celui de
faire naître de nouvelles « questions » ; elle demande donc à être
dépassée et à vieillir. Celui qui veut servir la science doit se résigner à ce sort (…)
Sans doute les travaux scientifiques peuvent garder une importance durable comme
« jouissance » en vertu de leur qualité esthétique ou bien comme instrument
pédagogique dans l’initiation à la recherche. (…) Dans les sciences (…) non seulement
notre destin, mais encore notre but à nous tous est de nous voir un jour dépassés.
Nous ne pouvons accomplir un travail sans espérer en même temps que d’autres iront
plus loin que nous. En principe ce progrès se propage à l’infini. » » (P. 88).
35
chercheur de vérités doit apprendre à se méfier de ces sentences à l’égard de la vérité
née de la pensée dogmatique. On peut citer l’exemple des Mutazilites (ceux qui se
sont séparés). Qui n’ont pas eu peur de la raison (cf. Malek Chebel, L’islam et la
raison. Le combat des idées, Paris, Perrin, 2006, p. 38). Ils ont produit une réflexion
théologique (comme les soufis) plus qu’une systématisation du mysticisme islamique.
Des Mutazilites qui se distinguèrent par leurs positions philosophiques.
51
Felwine Sarr, Dahij, Editions Gallimard, Collection L’Arpenteur, 2009, p. 130.
36
enrichi par les nouveautés fondamentales des faits tout autant que des
théories. » 52 Ce processus évolutif est à la base de toutes les découvertes et
révolutions scientifiques. « Ne pas corriger une erreur, c’est en précipiter une
autre. »53
René Descartes : « J’ai été nourri aux Lettres dès mon enfance, et parce qu’on
me persuadait que, par leur moyen, on pouvait acquérir une connaissance claire et
assurée de tout ce qui est utile à la vie, j’avais un extrême désir de les apprendre.
Mais, sitôt que j’eus achevé tout ce cours d’études, au bout duquel on a coutume
d’être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d’opinion. Car je me trouvais
embarrassé de tant de doutes et d’erreurs, qu’il me semblait n’avoir fait aucun profit,
en tâchant de m’instruire, sinon que j’avais découvert de plus en plus mon
ignorance. » « J’appris à ne rien croire trop fermement de ce qui ne m’avait été
persuadé que par l’exemple et la coutume. (…) Réformer mes pensées et bâtir sur un
fonds qui fût tout à moi. » Descartes passa ainsi de l’état de doute où l’avaient laissé
les livres et les voyages en exercice du doute, pour une victoire de la science sur
l’ignorance, l’illusion ou le préjugé. Au fondement du doute il y a le principe, dit-il :
« ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment pour
telle. »
Il ne faut pas y voir là une vanité à tout tirer de soi-même, mais une fécondité
d’ouvrir son propre chemin de pensée. Les livres par exemple répandent dans le
monde la lumière et donc une ressource des intelligences fertiles, mais tout progrès
important de la connaissance, comme l’a indiqué Thomas Kuhn 54 , s’opère
nécessairement par la brisure et la rupture des systèmes clos, qui ne possèdent pas en
eux l’aptitude au dépassement.55 Mais comme le soutient Bachelard : « Quelle n’est
notre mauvaise humeur quand on vient contredire nos connaissances élémentaires,
quand on vient toucher ce trésor puéril gagné par nos efforts scolaires ! Et quelle
prompte accusation d’irrespect et de fatuité atteint celui qui porte le doute sur le don
d’observation des anciens ! » (G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique,
Paris, Vrin, 1996, p. 40).
Popper, reprenant les analyses de Hume, se livre lui aussi à une critique de
l’induction et de l’inductivisme. Une collection d’observations (je vois passer des
cygnes blancs) ne permet jamais d’induire logiquement une proposition générale
(que tous les cygnes sont blancs). Cette critique de l’induction conduit donc Popper à
remettre en cause l’idée (chère aux positivistes) de vérification. La « vérification »
d’une hypothèse, même par un grand nombre d’expériences, ne permet pas de
conclure à la « vérité » de cette hypothèse. Une proposition scientifique n’est donc
pas une proposition vérifiée, mais une proposition réfutable et non encore réfutée. La
proposition « tous les cygnes sont blancs » est une conjecture scientifique. Si
j’observe un cygne noir, cette proposition sera réfutée. C’est donc la démarche de
conjectures et de réfutations qui permet de faire croître les connaissances
scientifiques. Dans cette démarche, il existe un primat de la théorie sur l’observation.
Le réfutationisme de Popper a été critiqué notamment par Lakatos. Ce dernier
souligne que les scientifiques acceptent difficilement le résultat des expériences
52
Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Champs sciences, Editions Flammarion, 1983, 2008.
53
Jacques Derrida, Sur parole, Editions de l’Aube, 2005, p. 5.
54
Voir Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, collection Champs sciences, Flammarion,
1983, 2006.
55
Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, Editions du Seuil, avril 2005, p. 64.
37
cruciales qui réfutent leurs constructions théoriques. Le plus souvent, face à un
résultat qui remet en cause leurs conjectures, les scientifiques commencent par
développer des stratégies immunisatrices. Lakatos propose donc un
réfutationisme sophistiqué : les scientifiques travaillent dans le cadre de programmes
de recherche scientifiques qui comportent un noyau dur et une ceinture protectrice
d’hypothèses auxiliaires. Seules ces dernières sont soumises à réfutation.
Un programme de recherche est caractérisé à la fois par une heuristique positive
(ce qu’il faut chercher et à l’aide de quelle méthode) et une heuristique négative (les
domaines dans lesquels il ne faut pas chercher et les méthodes qu’il ne faut pas
employer). Un programme de recherche peut être progressif (générateur de
connaissances nouvelles, gagnant en influence) ou régressif (perdant de l’influence et
des adeptes parmi les scientifiques). Des programmes de recherche concurrents
peuvent coexister durablement, ce qui contribue à expliquer la vivacité des débats.
Donc, il est nécessaire pour le chercheur d’éviter de sombrer dans une posture
scientifique apte à l’inscrire dans une certaine démarche ou routine prétendant à une
exhaustivité systématique. Se pose donc la question de savoir quel est le point de
départ de la recherche : l’hypothèse ou de l’observation ?
La première condition posée par la majorité des savants, malgré leurs
oppositions, est de « chasser de son esprit les idées préconçues », de « repousser les
idoles » selon Bacon, de préconiser le « doute méthodologique » selon Descartes, de
s’opposer et de lutter contre l’évidence. Il est nécessaire voire indispensable de ne
pas limiter la pensée aux classifications et rationalisations arbitraires et ordinaires du
langage commun, de ce « prêt à penser » ou « prêt à porter scientifique » qui mène
fatalement à un « prêt à parler », à un «prêt à faire ou agir » et par conséquent à un
« prêt à subir ». Mais la tâche n’est pas facile puisque le chercheur appartient à un
univers social connu et il se doit de faire comme si ce monde lui était inconnu.
Nécessité d’une rupture épistémologique pour ne pas sombrer dans les pièges et
illusions de l’ethnocentrisme, du relativisme culturel, du scientisme, du positivisme,
du rationalisme etc.
Une des mesures les plus sûres de déconstruction des définitions dominantes
passe par la mise en évidence de la diversité des définitions sociales pour désigner
l’impensé de ces définitions dominantes. Une perspective historique, génétique et
comparative dégage nécessairement une pluralité de temps et d’espaces sociaux dont
la spécificité devient objet de recherche et suppose une conceptualisation ajustée. Il
faut être prêt à remettre en question les cadres sociaux dominants des
représentations, les cloisonnements conceptuels préétablis, même ceux de la
discipline (sociologies du travail, de la famille, de la religion, de la culture, etc.). On
pourrait rappeler la manière dont Max Weber, travaillant sur la longue durée, avait
éclairé la construction sociale du capitalisme à partir de l’histoire des religions. Mais
aussi, Goffman a pu étudier la construction sociale de la folie en hôpital psychiatrique
en opérant une rupture avec les définitions médicales dominantes et savantes de la
santé mentale. Il est nécessaire d’analyser le cadre conceptuel dans lequel on évolue,
pour voir comment s’y construisent les identités nouvelles. (exemple du portable, kit
main libre et folie de celui qui marche et parle tout seul).
38
enjeux, stratégies et manières sociales de valoir diffèrent ; de même que les
conceptualisations à mettre en œuvre pour en rendre compte. Et, on peut reprendre
ici la citation de Schopenhauer selon laquelle : « la tâche n’est point de contempler ce
que nul n’a encore contemplé mais de méditer comme personne n’a encore médité
sur ce que tout le monde a devant les yeux. » (Cf. in Grawitz, op. cit., p. 317).
C’est le lieu de méditer sur cette citation de Christian Bobin qui dit que : « Pour
bien voir une chose, il faut en faire le deuil. Il faut être hors du monde, donc
mort, pour bien le percevoir. Personne ne fera jamais une peinture aussi précise
d’une cour de récréation que l’enfant qui est assis à l’écart et qui n’attend même plus
ses parents. » (Christian Bobin, La lumière du monde, P. 19). Sous un autre registre,
« Philosopher, aime-t-on dire, c’est apprendre à mourir. »
Les sciences sociales ne devraient donc écarter aucun fait, épargner la critique à
aucune valeur, accumuler tout à la fois les connaissances et les doutes, en précisant
impitoyablement les conditions extérieures et les hypothèses préalables auxquelles
est suspendue la vérité des propositions générales. Le débat et la contradiction sont,
non pas un obstacle à la connaissance, mais les conditions de la connaissance.
39
L’objectivité repose sur l’abandon des prénotions et la soumission au verdict des
« faits ».
Durkheim incarne cette sociologie qui défend l’idée selon laquelle le scientifique
doit prendre garde à ne pas accepter a priori des définitions qui relèvent du bon sens
et de la logique ordinaire. Il recommande de se méfier des idées reçues et mettre à
distance ce qu’il appelle les prénotions. Car, nous avons souvent une petite idée des
phénomènes sociaux que nous observons. Ces « petites idées » ne correspondent à la
vérité des faits. Elles peuvent s’avérer illusoires. Nombre de ces « petites idées » sont
fausses. Y adhérer revient à s’éloigner d’une bonne connaissance de l’environnement
social observé. La connaissance ordinaire du social est illusoire, d’où la nécessité
d’opérer une « rupture épistémologique » (P. Bourdieu, Chamboredon et Passeron,
1968, p. 37).
40
possibilité d’accéder à une connaissance objective et le rôle actif du sujet dans la
construction du savoir. Les deux auteurs ont en commun le fait de mettre l’accent sur
l’importance des problèmes scientifiques. Popper écrit : « La science naît dans les
problèmes et finit dans les problèmes ». Bachelard affirme lui que « la démarche
scientifique réclame (…) la constitution d’une problématique. Elle prend son départ
réel dans un problème, ce problème fut-il mal posé».
Raymond Aron (Préface de Max Weber) nous rappelle que : « Max Weber visait le
même but qu’il s’agisse de science ou de politique : dégager l’éthique propre à une
activité qu’il voulait conforme à sa finalité. Le savant doit refouler les sentiments qui
le lient à l’objet, les jugements de valeur qui surgissent spontanément en lui et
commandent son attitude à l’égard de la société, celle d’hier qu’il explore et celle
d’aujourd’hui qu’il désire, quoi qu’il en ait, sauvegarder, détruire ou changer.
Accepter le caractère indéfini de la recherche positive et, au profit d’une enquête dont
on ignore le terme, désenchanter le monde de la nature et celui des hommes, tel est
pathétique qu’il découvrait à ses auditeurs et qu’il les sommait d’assumer au nom du
choix qu’ils avaient fait de la carrière scientifique. (…) Le pathétique de l’action était
lié, à ses yeux, à l’antithèse de deux morales, morale de la responsabilité et morale de
la conviction. Ou bien j’obéis à mes convictions – pacifistes ou révolutionnaires, peu
importe – sans me soucier des conséquences de mes actes, ou bien je me tiens pour
comptable de ce que je fais, même sans l’avoir directement voulu, et alors les bonnes
intentions et les cœurs purs ne suffisent pas à justifier les acteurs. » (p. 31).
41
Bertrand Badie et Guy Hermet suggère de recourir à la culture, à l’anthropologie
et à l’histoire en vue d’une « revanche de la connaissance individualisante sur la
connaissance universalisante » (Bertrand Badie et Guy Hermet, Politique comparée,
Paris, PUF, 1990, p. 25.) Toutefois souligne Luc Sindjoun, à la suite de Georges
Balandier, Le détour, pouvoir et modernité, Paris, Fayard, 1985 ; et de Marc Augé,
Pour une anthropologie des mondes contemporains, Paris, Aubier, 1994) : « Dans le
domaine de l’anthropologie, la fétichisation de la différence, de l’originalité ou de
l’authenticité semble inconsistante. De plus en plus, la diversité est mise en relation
avec l’unité, le particulier avec l’universel, le traditionnel avec le moderne. La tension
permanente entre l’universel et le particulier induit sur le plan de l’analyse un va-et-
vient entre ces deux niveaux d’observation, entre ces deux faces de la réalité sociale.»
(Luc Sindjoun, « La formation du patrimoine constitutionnel commun des sociétés
politiques. Eléments pour une théorie de la civilisation politique internationale »,
Série des monographies du CODESRIA, 2/97, p. 3).
42
- son intuition ;
- sa rigueur ;
- ses connaissances ;
- son sens du réel et de l’abstraction ;
- et surtout son imagination.
43
Chapitre II
L’enjeu en science est de partir donc des notions établies sur des bases solides
pour arriver à des propositions. L’objectif est donc moins de se contenter des vérités
posées qu’à des vérifications imposées par la rigueur scientifique dans tout processus
d’investigation. En effet toujours conquise, la vérité reste insoumise, problématique,
énigmatique. Pourtant, malgré tout, la science ne saurait accepter l’idée selon laquelle
« A chacun sa vérité » ou que « Tout est bon » comme le défend la théorie
anarchique de Feyerabend. Il s’agit de proposer dans cette partie d’élucider quelques
notions fondamentales et courants doctrinaires pour en saisir l’intelligibilité, les usages
et les apports méthodologiques.
Pierre Bourdieu considère que : « deux concepts clés permettent de penser chaque
relation de pouvoir, entre deux ou n personnes, dans le cadre des conditionnements
sociaux qui lui donnent son sens et son efficacité : celui de champ et celui de
domination.
Cette notion de champ, élaborée par Pierre Bourdieu vise à rendre compte de
l’organisation de l’espace social caractérisé par l’exercice d’un pouvoir qui
rend possible les interactions sociales. Le champ est :
- un lieu où s’organisent des relations de pouvoir et de domination (champ de la
religion, de l’économie, champ politique) ;
- un espace social caractérisé par des positions hiérarchiques inégales, en
termes de compétence juridique, de prestige (supérieur ou inférieur selon le cursus
par exemple), d’argent ou de capacité économique ; des postes et positions plus
importants que d’autres, inégalement influents (cf. Pierre Bourdieu, Questions de
sociologie, Ed. Minuit, 1981, p. 113). L’exercice du pouvoir (politique ou non) se situe
ainsi à l’intérieur de situations socialement construites. (Philippe Braud, Sociologie
politique, p. 39)
- Un champ social implique un système d’enjeux (économique, contrôle des
biens matériels, luttes sociales symboliques, des jugements de goût, des biens et
usages symboliques qui permettent la distinction, le chic et le chiqué, l’élégant et le
tape-à-l’œil (Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Ed.
Minuit, 1979.)
- Le champ donne lieu à des logiques de fonctionnement bien spécifiques qui
fait qu’il est important pour ceux qui y recherchent un pouvoir efficace de connaître
les règles du jeu. Il en ressort des classements, classifications et classes sociales et
44
fractions, acteurs parties prenantes de ce champ en compétition autour des biens
matériels et symboliques que confère le pouvoir. Cette conception est proche du
marxisme. Les classes sociales se définissent en fonction de la détention d’un capital
culturel, scolaire, social ou économique.
Il est donc nécessaire de privilégier une posture méthodologique qui prend en
compte la réalité sociale et sociologique du champ dans lequel se déploient les
interactions.
« Mais que dire alors d’une situation où le rationalisme se mettrait à exiger que
tous se conformassent à ce qu’il demande, et serait prêt à régner, au besoin, par la
terreur ? Ce serait une contradiction absolue de voir la raison décider de gagner les
45
esprits et les cœurs par la force ? C’est pourtant ce qui se passe lorsque le pouvoir
politique s’avise (…) comme doctrine officielle. » (Souleymane Bachir Diagne).
Cette école ne croît qu’aux faits, qu’au « réel », recherchés dans l’accumulation
parfois maniaque de données quantifiables (sondages, chiffres, enquêtes
statistiques). Ce modèle, que l’on nomme également « behavioriste » entend
développer un pragmatisme scientifique et objectif. Sa fascination pour les sciences
exactes le conduit à une mathématisation souvent excessive de la sociologie politique
(voir les travaux de P. Lazarsfeld, B. Berelson, A. Campbell et P. Converse). En effet, à
trop vouloir ne s’intéresser qu’à ce qui se mesure, on risque de ne comprendre qu’une
partie de la réalité sociale. Il faut donc tenir compte dans l’appréhension et la
compréhension des faits, des limites de ce qu’il convient d’appeler la
« quantophrénie », cette tendance excessive à vouloir tout limiter aux chiffres.
Que faut-il privilégier pour accéder à la connaissance des faits et phénomènes : les
comportements individuels ou le contexte social ? Les différentes sciences sociales
affrontent toutes un même problème : doit-on (et peut-on) penser l’homme et la
société comme des entités distinctes ? Ce débat va déterminer les postures
méthodologiques dites individualistes ou holistes.
Il existe donc : « Des lignes de clivage entre les approches selon que l’on donne le
primat à l’individu (individualisme) ou au collectif (holisme) pour rendre compte des
phénomènes sociaux, que l’on s’attache à décrire le rapport au monde social d’un
sujet gouverné par son libre arbitre (subjectivisme) ou à mesurer les régularités
objectives du comportement d’un agent déterminé de l’extérieur (objectivisme), ce
sont des univers conceptuels très différents, voire incompatibles, qui sont mis en
place, ce sont des ambitions intellectuelles. Les sciences sociales peuvent-elles être
des sciences des sciences nomothétiques, produisant des lois générales sur les
comportements des individus en société ? La posture du chercheur le contraint-il en
particulier à imposer un degré d’extériorité à son regard sur le monde social ? Ces
choix peuvent d’ailleurs être facilement traduits sous la forme de clivages fortement
marqués politiquement (liberté versus déterminisme, libéralisme versus socialisme,
etc.) qui contribuent bien souvent à surcharger les débats en sciences sociales
d’oppositions idéologiques.
Ce problème hante et modèle les sciences sociales depuis leurs débuts. On oppose
ainsi rituellement deux pères fondateurs de la sociologie : Max Weber et Emile
Durkheim. Max Weber (1864-1920) est présenté comme le fondateur de
« l’individualisme méthodologique ». Pour l’économiste et sociologue allemand,
l’objet de la connaissance sociologique est en effet « la totalité subjective des
significations de l’action ». Elle « ne peut se fonder sur l’action du ou des sujets et en
usant d’une méthode strictement individuelle ». Bien sûr le spécialiste des sciences
sociales ne saurait se désintéresser des structures sociales mais celles-ci ne sont que
le résultat d’activités spécifiques de personnes singulières : « L’individu forme la
limite supérieure de la compréhension sociale car il est l’unique porteur d’un
comportement significatif ».
46
Pour les tenants de cette approche, les individus poursuivent des buts sur le
fondement de « bonnes raisons » (dérivées le plus souvent de l’utilitarisme de la
théorie néoclassique en économie) mais se heurtent à des contraintes qui résultent
soit de leurs interactions (comme le célèbre dilemme du prisonnier de la théorie des
jeux) soit du « contexte » social. Les sciences sociales ont alors pour objet de décrire
les choix effectués sous contrainte par les individus et leurs effets sociaux, en partant
du principe que les comportements individuels ne sont jamais la conséquence
exclusive de ces contraintes mais résultent toujours d’un choix entre plusieurs actions
possibles. Dans ce cadre, « pour expliquer un phénomène social quelconque – que
celui-ci relève de la démographie, de la science politique, de la sociologie ou de toute
autre science sociale particulière – il est indispensable de reconstruire les
motivations des individus concernés par le phénomène en question et d’appréhender
ce phénomène comme le résultat de l’agrégation de comportements individuels dictés
par ces motivations » 56 . L’individualisme méthodologique repose sur une
contestation des théories holistes. C’est une théorie notamment défendue par
Raymond Boudon.
Les théories holistes, quant à elles, privilégient l’analyse des totalités sur les
individus (la classe sociale, le peuple, le clan). Les théories holistes reprochent au
modèle individualiste de considérer les individus comme de simples rouages d’un
système qui les dépasse, entièrement conditionnés par leur milieu, écrasés par les lois
générales de l’histoire. L’individualisme méthodologique entend donc restituer aux
comportements politiques leur part d’indétermination, de hasard, mais aussi insister
davantage sur l’éventail des choix qui s’offrent aux acteurs. »57
Max Weber postule, pour saisir et établir les relations de causalité, l’élaboration
de types-idéaux qui peuvent être posés à l’entame de l’investigation scientifique. Pour
Max Weber, un idéal-type n’est pas la reproduction parfaite de la réalité concrète. Un
idéal-type ne retient que quelques aspects de la réalité concrète. Un idéal-type est une
représentation, un « tableau de pensée », qui permet d’opérer des comparaisons avec
la réalité observée. Les types-idéaux définis par Max Weber (autorité, groupes,
procédure) n’existent pas tels quels dans la réalité. Mais, ils ont leur importance
fondamentale, puisqu’ils permettent de mieux appréhender la réalité. Comment
obtient-on un idéal-type ? Pour Max Weber : « On obtient un idéal-type en
accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une
multitude de phénomènes donnés isolément, diffus ou discrets, que l’on trouve tantôt
en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu’on ordonne
selon les précédents points de vue choisis unilatéralement pour former un tableau de
pensée homogène. On ne trouvera nulle part empiriquement un pareil tableau dans
sa pureté conceptuelle : il est une utopie. Le travail historique aura pour tâche de
déterminer dans cas particulier combien la réalité se rapproche ou s’écarte de ce
tableau idéal (…) ».
56
Raymond Boudon, « Individualisme et holisme dans les sciences sociales », dans Pierre Birnbaum et Jean
Leca (dir.), 1986, p. 46.
57
Cf. Michel Hastings, Aborder la science politique, Paris, Seuil, 1996, p. 11.
47
cause déterminante d’un fait social doit être recherchée parmi les faits sociaux
antécédents et non parmi les états de conscience individuelle ».
Emile Durkheim propose de traiter les faits sociaux comme des choses,
d’administrer la preuve de l’existence de liens causaux en faisant de la méthode
comparative l’expérimentation indirecte, substitut de l’expérimentation directe ;
l’explication des faits découlant de l’analyse de leurs variations concomitantes.
48
et les plus constructifs dans les sciences sociales ont tous visé à sortir d’une
conception dichotomique du monde social (individu/société, idée/matériel,
subjectif/objectif, interne/externe, micro/macro, etc.).
49
distinction le lieu commun que l’étude du droit revient au juriste et que la sociologie
incombe au sociologue, alors que Max Weber dit exactement le contraire. (…) Le
sociologue – et naturellement le politiste – peut parfaitement étudier le droit pour se
demander « ce qu’il en advient en fait dans la communauté » en raisonnant toujours
comme Max Weber en termes de « chances d’application du droit » ». (p. 92-93).
« C’est parce que le droit exprime toujours un aspect de l’institution que l’on doit,
logiquement, en lier l’étude aux pratiques politiques, ne serait-ce que parce que les
constitutions peuvent viser un but de camouflage idéologique », selon la formule
marxiste classique. » (p. 93).
E – L’anthropologie
58
Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie, Flammarion, 2010, p. 60-62.
50
n’a pas inventé soi-même, c’est autant sa propre société que celle des autres. Ce qui
n’a jamais fait partie de votre culture, ce n’est pas seulement le bouddhisme
theravada pour un musulman ou un chrétien, c’est aussi de la banlieue de Paris pour
les habitants de la capitale appartenant aux classes moyennes… »59
Chapitre IV
De redoutables défis que doivent relever les sciences sociales par rapport aux
sciences dites exactes : chimie, biologie, mathématiques. Les étapes, méthodes et
techniques scientifiques : les techniques et méthodes d’investigation existantes,
documents, entretien, observation, sondages d’opinion, l’anthropologie,
59
Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie, Paris, Flammarion, 2010, p. 52-
53.
60
Maurice Godelier, op. cit., p. 65-66.
61
Maurice Godelier, op. cit. p. 72.
62
Maurice Godelier, op. cit. p. 72-73.
51
A – Les techniques de recherche documentaire
Toute référence bibliographique doit donc faire l’objet d’une citation correcte,
respectueuse de la paternité des idées. Citer un auteur, ce n’est pas penser comme lui,
mais bien penser à partir de lui. S’afficher avec l’auteur sans forcément s’affilier à sa
pensée. Nombre d’auteurs sont de très bons passeurs qui nous permettent d’accéder à
des savoirs très utiles. Il arrive cependant que certaines lectures remettent en cause
nos profondes convictions et détrônent nos certitudes les plus solides. Et on pourrait
dire à la suite du philosophe Alain Finkielkraut que : « Lire, c’est un peu comme
ouvrir sa porte à une horde de rebelles qui déferlent en attaquant vingt endroits à la
fois. »63
63
Virginia Woolf, Lettre à un jeune poète, Editions Mille et une nuits, 1998, p. 27).
52
- Traités
- Manuels ou précis
- Cours
- Mémentos ou présentations synthétiques de cours
- Encyclopédies ou répertoires
- Recueils de textes (notamment les codes et les lois)
- Recueils de jurisprudence (notamment les « grands arrêts »)
- Articles de doctrine
- Revues juridiques officielles
- Autres revues juridiques (trimestrielles, mensuelles, hebdomadaires,
quotidiennes) ;
- Sites Internet spécialisés
« Le droit, comme chacun sait, a son langage. Et l’on fait souvent aux juristes le
reproche de s’exprimer de façon incompréhensible pour le public. On s’indigne qu’un
acte notarié, une décision de justice ou même les dispositions de la loi restent bien
souvent obscurs pour les non- initiés. Mais ce même public admet ne pas comprendre
des termes de médecine, d’informatique ou de sociologie. En réalité, aucune science,
même «humaine » ne peut se passer d’une terminologie. [...] Connaître le vocabulaire
juridique, c’est posséder les clés de la matière, avoir accès aux classifications, aux
raisonnements, aux controverses ; c’est pouvoir s’exprimer». (Isabelle DEFRESNOIS-
SOULEAU, Je veux réussir mon droit – Méthodes de travail et clés du succès, Paris,
Dalloz, 2010).
« De même qu’il faut d’abord apprendre sa langue pour connaître un peuple étranger,
pour comprendre ses mœurs et pénétrer son génie, de même la langue juridique est la
première enveloppe du droit, qu’il faut nécessairement traverser pour aborder l’étude
de son contenu ». (Henri CAPITANT, Préface au Vocabulaire juridique,1936.)
53
Jugement/arrêt/décision/Avis ?
Projet ou proposition de loi ?
Infraction ou effraction ?
Mis en examen/interpeller/placé sous mandat de dépôt ?
Une sentence ou un verdit ?
Pour les ouvrages cités en notes de bas de page, mettre le titre de l’ouvrage en italique
: SILLA Ibrahima, Communiquer en politique. L’art de coudre et d’en découdre,
Dakar, Editions des Trois Fleuves, 2011, p. 19.
Pour les ouvrages cités dans la bibliographie, mettre le titre de l’ouvrage en italique. Il
n’est pas nécessaire de préciser le numéro de page. Ecrire seulement : SILLA
Ibrahima, Communiquer en politique. L’art de coudre et d’en découdre, Dakar,
Editions des Trois Fleuves, 2011.
Pour les articles cités en notes de bas de page, mettre le titre de la revue en italique et
le titre de l’article entre guillemets : SILLA Ibrahima, « Les militaires et la vie
politique au Sénégal. De l’isolement à l’isoloir », Revue URED, n° 18, 2009, p. 18
(donc juste les pages concernées par la citation ou la référence précise.
Pour les articles cités dans la bibliographie, mettre le titre de la revue en italique et le
titre de l’article entre guillemets : Il faut citer de quelle page à quelle page se trouve
l’article. Par exemple : SILLA Ibrahima, « Les militaires et la vie politique au Sénégal.
De l’isolement à l’isoloir », Revue URED, n° 18, 2009, p. 18-35.
S’il s’agit d’un ouvrage collectif, préciser après le nom de l’auteur ou des auteurs
ayant assuré la direction. Par exemple : Amadou Kah et Ibrahima Silla (Dir.). Et
ensuite rajouter le titre de l’ouvrage en italique, ville d’édition, maison d’édition,
année.
54
qualitatives regroupent les techniques telles que l’enquête de terrain ou encore le
recueil de témoignages. Elles se centrent sur l’étude de cas particuliers, de faits
significatifs et complètent, le plus souvent, les résultats obtenus au moyen de
l’utilisation des méthodes quantitatives. Elles se développent plus particulièrement
en réaction à la « quantophrénie » qui consiste à réduire les sciences sociales à la
production de données quantitatives (chiffres, statistiques), sans interrogation réelle
sur le sens des opérations de collecte de ces données. Par l’observation, il y a donc
une volonté de dépasser la constatation de régularités empiriquement observées, les
statistiques, pour prendre en compte certains aspects et facteurs plus subtiles voire
énigmatiques (sentiments, impressions etc.) comment et pourquoi vote tel
groupe par exemple, au-delà du simple résultat de l’élection ? L’on cherche ainsi en
science politique à comprendre le processus de formation et d’évolution des opinions
et comportements politiques qui est de fait beaucoup plus intéressante que le simple
dénombrement des votants, des abstentionnistes et des votes nuls. La réflexion ne
doit pas se limiter à une description arithmétique mais doit interpréter, décrypter la
complexité de certains faits et données. Comme pour les sondages, au delà des oui,
des non, des peut-être et des nspp (ne se prononcent pas), il y a énormément de
choses à dire, à interpréter et à expliquer. Quand il s’agit de réfléchir sur la politique
et les institutions en Afrique, il convient de ne pas se limiter qu’au normatif.
L’observation relève ainsi de deux traditions : celle des ethnologues et celle des
anthropologues. L’impossibilité de communiquer dans la même langue a entre autres
incité à la pratique de l’observation passant notamment par l’apprentissage du geste
avant la parole comme chez l’enfant. Le geste précède la parole dit-on. Les chercheurs
sont souvent aidés dans leur travail par des traducteurs et interprètes. Mais, il se pose
un problème de fidélité quant à la transmission et à l’interprétation des données
recueillies.
55
décrit dans toute la richesse du détail, avec tous les propos mot à mot et tous les
aspects concevables du contexte précisés avec soin et justesse. »64
64
Cf. Field work, The University of Chicago Press, 1960.
56
avoir reconstruit ses schémas. » (Gaston Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, p.
16)
A méditer : « C’est celui qui s’absente qui peut le mieux parler des présences. Il ne
se mêle de rien, mais à cause de cela il voit mieux que personne. Il a une vue d’une
précision absolue, celui qui fait partir le monde du rayon de ses prunelles. Ça lui
donne une vue d’oiseau de proie sur tout ce qu’il peut voir. » Christian Bobin, La
lumière du monde, Editions Gallimard, 2001, p. 19).
L’usage journalistique du terme interview, qui fait plus people, est donc préféré au
mot « entretien ». L’entretien est un terme qui contrairement à interview revêt un
caractère plus sérieux, plus scientifique. L’interview renvoie plus au mot
« entrevue ». L’entretien est une technique qui consiste à organiser une conversation
entre un enquêté et un enquêteur. Dans cet esprit, celui-ci doit préparer un guide
d’entretien, dans lequel figurent les thèmes qui doivent être impérativement abordés.
Il implique donc, au moins, un rapport entre deux individus. L’un cherche à récolter
de l’autre des informations sur un objet précis. Madeleine Grawitz nous propose la
définition suivante : « c’est un procédé d’investigation scientifique, utilisant un
processus de communication verbale, pour recueillir des informations, en relation
avec le but fixé. »65
65
M. Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op.cit, p. 586.
57
Cette méthode notamment utilisée par l’Ecole de Chicago et plus
particulièrement par une équipe de sociologues sous la direction de Pierre Bourdieu
(La misère du monde). Pour cette dernière équipe il s’agissait de « comprendre les
conditions de production des formes contemporaines de la misère sociale, la Cité,
l’Ecole, le monde des travailleurs sociaux, le monde ouvrier, le sous-prolétariat,
l’univers des employés, celui des paysans et des artisans, la famille, etc. : autant
d’espaces où se nouent des conflits spécifiques, où s’affirme une souffrance dont la
vérité est dite par ceux qui la vivent. » A l’analyse du contenu, est assimilée une
analyse de la position sociale de (des) l’enquêté (s) et des circonstances de la
production du discours. Ainsi l’équipe de Pierre Bourdieu va jusqu’à étudier, analyser
et retranscrire, dans La misère du monde, les gestes et les silences des enquêtés.
L’entretien n’est pas nécessairement individuel, un chercheur peut adopter la
technique des entretiens de groupe dont le but sera alors de recueillir une « parole
collective », fruit de l’interaction entre les membres du groupe étudié.
58
prend réellement corps, le cadre de l’entretien est comme oublié : on bavarde autour
du sujet. De tels moments indiquent que l’on a atteint un bon niveau de
profondeur ». Le style conversationnel et l’engagement de l’enquêteur permettent
d’éviter que « l’informateur se réfugie dans des réponses de surface ». Concernant la
constitution de l’échantillon, « il s’agit plutôt de bien choisir ses informateurs » et de
respecter une condition essentielle : « que celui qui parle soit situé lors de l’analyse
du matériau. Plus ce principe est respecté, plus la constitution de l’échantillon peut
être effectuée avec souplesse ».
66
Cf. Aline Beitone et alii, Sciences sociales, 3ème édition, Sirey, 2002, p. 326.
59
publiques. Dans certains pays, comme le Sénégal, les sondages politiques sont tout
simplement interdits.
L’on constate aussi des erreurs avec les sondages d’opinion réalisés avec beaucoup
de scientificité et de rigueur67. La valeur scientifique des sondages, dont on peut se
fier, permet de soutenir que : « l’opinion publique existe bel et bien et qu’on peut la
mesurer. » à condition de prévoir un « intervalle de confiance » ou marge d’erreur.
Elle est souvent fixée à plus ou moins 3%.
Pour vérifier la pertinence des modèles, les valider empiriquement, les enquêtes
par sondage, nationales et internationales, constituent un instrument précieux même
s’il n’est pas précis. Ce qui ne doit pas pour autant nous pousser à en conclure à une
science de l’imprécis. Ils ont l’avantage de fournir sur de larges échantillons des
informations comparables susceptibles de donner lieu à un traitement statistique,
facilement accessibles et ré-exploitables.
On ne saurait se limiter aux enquêtes par sondage. Les réponses, on le sait, sont
tributaires de la manière dont les questions sont posées et comprises, du moment où
elles sont posées. Elles saisissent mal les comportements minoritaires (micro-
mobilisations, conversations ordinaires, voire extrêmes, violences). Elles recueillent
des comportements déclarés, souvent très éloignés des comportements effectifs. On
peut citer à titre d’exemple l’expérience de Richard Lapiere (1934) sur le racisme.
Voyageant aux Etats-Unis dans les années 1930 avec un couple d’amis chinois entre
New York et San Francisco, il s’arrêta dans 128 hôtels et restaurants qui les
acceptèrent sans problème à l’exception d’un hôtel. Au retour il fit passer une enquête
par questionnaire, pour savoir si ces établissements étaient disposés à recevoir des
clients chinois. Plus de 90% firent une réponse négative, en totale contradiction avec
leur comportement effectif, en face-à-face.
67
Pour l’histoire et la politique des sondages, voir l’ouvrage de Loïc Blondiaux, La fabrique de l’opinion.
60
Conduire un entretien est un art et un métier qui requiert :
• le guide d’entretien : pense-bête, mémento, notations brèves, les points prévus
à aborder. Il évolue. Mais à tenir pour définitif à un moment.
• Annonce et questions tremplins : l’annonce c’est l’entrée en matière. Présenter
en quelques mots l’essentiel de la recherche ; se présenter soi-même, présenter
la personne ou l’organisme responsable de la recherche, le thème ou les
thèmes sur le(s) quel(s) celle-ci sera centrée. « je suis chargé par, de faire une
enquête sur les maladies et troubles de santé des enfants de moins de deux
ans. Accepteriez-vous de me parler de votre enfant ? cette question suffit
quelquefois pour entrer dans le vif du sujet mais parfois il est nécessaire de
recourir à une ou plusieurs questions tremplins. Du genre « pourriez-vous me
parler de sa naissance ? s’est-elle bien passée ? »
• Relances : encourager à développer certaines questions ; reprendre
quelquefois les propos même de l’enquêté. Le pousser à apporter des
précisions. Un retour réflexif permettant à l’enquêté de revenir, de compléter
ce qu’il a pu dire auparavant, de rectifier ou confirmer.
68
Max Weber, Le savant et le politique, 10/18, Paris, 2002, p. 84.
61
Chapitre V
Ce travail compte :
- une introduction avec 8 temps forts ;
- un développement avec 2 parties (I et II) ;
- chaque partie comprend 2 chapitres (I et II) :
- chaque chapitre intègre 2 sections (A et B) ;
- chaque section comprend 3 ou 4 paragraphes ;
- une conclusion ;
- une bibliographie ;
- les annexes ;
- et la table des matières ;
Précautions méthodologiques
1– Le choix du sujet de mémoire : pour une contribution à la production des savoirs
2 – Le choix de l’encadreur : le spécialiste du domaine de recherche
3 – Lire et rechercher des idées : moyen d’accéder aux arguments hors des
informations quotidiennes
4 – Prendre des notes, ranger et classer : disposer en permanence d’un carnet de
notes. Qui arrivent sans prévenir, qui arrivent par effraction sans crier garde
5 – Etablir un plan de travail : évolutif
6 – Le plan de rédaction : définitif
7 – Se fixer un calendrier hebdomadaire, mensuel et annuel
62
8 – Garder toujours une copie du travail dans une clé USB ou se l’envoyer
régulièrement dans email
Postures méthodologiques
9 – Bannir et s’interdire le plagiat
10 – Conquérir la vérité scientifique et non décrire plus ou raconter mieux
11 – Préciser le choix de l’approche ou angle d’attaque de l’objet étudié
12 – Du bon usage des réfutations et déconstructions
13 – Les écueils à éviter : psychologisme, culturalisme, développementalisme,
fatalisme
13 – Holisme et individualisme méthodologiques
14– Les apports de la sociologie, de l’anthropologie et du comparatisme
15 – La construction de l’objet en sciences sociales
16 – Les techniques d’enquête en sciences sociales (sciences subtiles)
17 – Les techniques documentaires : ouvrages, articles, rapports, thèses, films …
18 – L’entretien : usages et langages
19 – Le questionnaire, les sondages et la mesure de l’opinion
20 – L’observation : la pédagogie de l’enquête et les aléas du terrain
21 – La neutralité axiologique : un impératif méthodologique
Le travail de fond
22 – Le titre et l’adresse scientifique du mémoire : 5 mots clés/délimitation
23 – Le plan du mémoire : une réponse à la problématique soulevée
24 – Les intitulés des parties, chapitres et sections (courts) et le titre du mémoire
(long)
25 – Les exigences de la démonstration scientifique : Analyser, argumenter,
commenter, expliquer, discuter, donner des exemples
26 – Théorisations en sciences sociales : Elaborer des lois et établir des corrélations
entre variables
27 – Conceptualisations en science sociales : passer du concret au concept : des
concepts qui ne rendent pas suffisamment et avec satisfaction compte de toutes le
situations observées
28 – Transformations des certitudes en questions : approfondir ce qui est déjà connu
63
42 – Pourquoi le choix du sujet ? Le contexte, la pertinence du sujet, la définition des
concepts, l’état des travaux, l’intérêt théorique et pratique du sujet, la problématique
43 – Comment le sujet a été traité ? La méthodologie utilisée, les approches, théories,
documents, techniques, enquêtes, les hypothèses soulevées et les difficultés
rencontrées
44 – Les résultats obtenus de l’investigation scientifique et les perspectives = le plan
du mémoire
45 – De la tenue et de la retenue devant le jury
46 – Les techniques d’expression verbale et non verbale face aux questions du jury
47 – Se préparer à la soutenance restreinte et la soutenance publique
48 – Les corrections finales, le dépôt et la diffusion du mémoire
49 – Produire au moins un article scientifique dans une revue spécialisée
64
C – Les fondements du développement : La structure
argumentative
IDEAL
Section 2 :
Paragraphe 1 : IDEAL 1
Paragraphe 2 : IDEAL 2
Paragraphe 3 : IDEAL 3
Paragraphe 4 : IDEAL 4
Chapitre 2 :
Section 1 :
Paragraphe 1 : IDEAL 1
Paragraphe 2 : IDEAL 2
Paragraphe 3 : IDEAL 3
Paragraphe 4 : IDEAL 4
Section 2 :
Paragraphe 1 : IDEAL 1
Paragraphe 2 : IDEAL 2
Paragraphe 3 : IDEAL 3
Paragraphe 4 : IDEAL 4
2ème partie :
Chapitre 1 :
Section 1 :
Paragraphe 1 : IDEAL 1
Paragraphe 2 : IDEAL 2
Paragraphe 3 : IDEAL 3
Paragraphe 4 : IDEAL 4
Section 2 :
Paragraphe 1 : IDEAL 1
Paragraphe 2 : IDEAL 2
Paragraphe 3 : IDEAL 3
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Paragraphe 4 : IDEAL 4
Chapitre 2 :
Section 1 :
Paragraphe 1 : IDEAL 1
Paragraphe 2 : IDEAL 2
Paragraphe 3 : IDEAL 3
Paragraphe 4 : IDEAL 4
Section 2 :
Paragraphe 1 : IDEAL 1
Paragraphe 2 : IDEAL 2
Paragraphe 3 : IDEAL 3
Paragraphe 4 : IDEAL 4
- Dire quel a été selon vous l’apport de ce travail pour votre discipline ;
- La valeur ajoutée de votre travail ;
- Le nouvel éclairage que vous avez apporté ;
- Ce que votre travail a pu mettre en lumière
- Les recommandations éventuelles que vous auriez pu suggérer ;
- Les pistes de réflexions annexes auxquelles ce travail aurait pu mener,
notamment en intégrant un autre regard ou approche.
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2°- Dire quel a été selon vous l’apport de ce travail pour votre discipline ;
3° - la valeur ajoutée de votre travail ; le nouvel éclairage que vous avez
apporté ; ce que votre travail a pu mettre en lumière
4° - Les recommandations éventuelles que vous auriez pu suggérer ; les pistes
de réflexions annexes auxquelles ce travail aurait pu mener notamment en
intégrant un autre regard ou approche
5° - Monsieur le Président du jury, Mesdames, Messieurs les membres du jury,
je vous remercie de votre aimable attention.
Conclusion :
En réalité, le point de vue des savants est toujours plus riche que ne le laisse
penser la vulgarisation de leur œuvre. Il faut donc à la fois maîtriser les oppositions
fondamentales qui structurent le débat scientifique et être attentif au fait que celui-ci
conduit à de nouvelles synthèses qui intègrent et dépassent les oppositions anciennes
tout en faisant naître de nouveaux débats.
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F. Nietzsche, Mauvaises pensées, Paris, Editions Gallimard, 2000, p. 82.
67
Bibliographie :
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