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100 Edgar Morin, sociologue et théoricien de la complexité
La sociologie d’Edgar Morin est, dans mes recherches, une référence omnipré-
sente. Ainsi, la transdisciplinarité n’a cessé d’être, chez moi, une tentation : n’est-
il pas temps, en effet, de réconcilier les savoirs et jeter des ponts, d’établir des
correspondances entre des disciplines qui jusqu’ici refusaient de communiquer
entre elles ? Il reste, sans doute, que la pensée complexe est moins la clé du
monde – ou une recette – qu’un défi à affronter.
Ce faisant, qu’est-ce que l’approche systémique ? Une question lancinante,
souvent associée à un sentiment de curiosité mêlée d’irritation devant son carac-
tère complexe, flou et fuyant. Tentons tout de même d’en tracer les traits essen-
tiels, après quelques remarques générales.
Au sens courant, réducteur et inexact de complication, le terme « complexité »
servait d’excuse au manque de théorie et d’explication. De justification, il est
devenu problème, lui-même objet d’étude. La complexité a évolué dans le con-
texte scientifique et épistémologique contemporain et a pris, dans les sciences
sociales, une ampleur considérable.
Avant de tenter de présenter la conception d’Edgar Morin1, il faut noter les
mises en garde contre la tentation d’appliquer aux sciences sociales les idées
utilisées dans les théories scientifiques modernes en oubliant les caractères parti-
culiers des faits sociaux (les valeurs) et leurs propres traditions.
L’objet de cet article est de présenter :
1. la figure de la complexité (en sociologie) ;
2. la méthode, la pensée scientifique et humaniste, et la réforme de la con-
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qui affirment sans difficulté leur identité, la société démocratique s’appuie sur
une hétérogénéité des comportements sociaux et sur la conviction qu’il n’y a pas
plus de fondement dernier dans le domaine du pouvoir politique que dans celui
de la connaissance7.
2) La méthode (1977-2004)
La méthode cartésienne devait permettre à l’homme de « bien conduire sa raison
et chercher la vérité dans les sciences » ; Edgar Morin, en entreprenant la rédac-
tion de cette monumentale Méthode (5 tomes), n’avait pas d’autre ambition.
Sauf que la vérité que poursuit Morin ne se cantonne pas dans les « idées claires
et distinctes ». La Méthode qu’il élabore ici ne craint pas, en effet, d’appréhen-
der la complexité du réel : le fait que :
• l’homme est tout à la fois un individu biologique et un acteur social ;
• dans la nature, l’ordre peut naître du désordre, et réciproquement ;
• ce qui limite la connaissance – comme l’avait bien vu Kant – porte la marque
du sujet qui le connaît et, qu’inversement, tout sujet connaissant porte l’em-
preinte du monde extérieur.
Un tel dessein, on l’aura compris, ne s’accommode guère d’une méthode réduc-
trice et simplificatrice, d’une méthode qui entend isoler les phénomènes de leur
environnement, éliminer l’observateur de l’observation, exclure de la science
tout ce qui n’entre pas dans le schéma linéaire pris pour modèle par Descartes :
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11. Comme Edgar Morin l’a indiqué aussi dans l’ouvrage cité plus haut, les notions de
système et d’organisation se renvoient l’une à l’autre (La tête bien faite, op. cit.,
pp. 94-106).
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12. Cf. Michel ROUX, Géographie et complexité, Paris, L’Harmattan, 1999 et Yves
LACOSTE, Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, 1995.
13. À ce sujet, cf. travaux de Jean-Paul Gaillard, psychologue et systémicien (Université
de Besançon, puis Maître de conférences H.D.R. en psychologie, Université de Haute-
Savoie, Chambéry), et la revue Vortex, Cahiers du Centre interfacultaire d’études
systémiques (C.I.E.S.), n° 1, Printemps 1994, 82 p.
14. Cf. Vortex, Cahiers du Centre interfacultaire d’études systémiques (C.I.E.S.), n° 1.
15. Cité dans : Relier les connaissances, Paris, Seuil, 1999.
16. On pense, ici, à la Critique de la raison pure, à la critique marxiste, etc.
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Edgar Morin souligne, à juste titre, son accord pour une pensée critique capable
de se critiquer elle-même. Le produit de la rationalité occidentale, c’est en effet la
rationalité critique et autocritique ; dénuée d’autocritique, la rationalité risque de
se dogmatiser.
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22. Cf. pour prendre connaissance de son œuvre abondante, les ouvrages suivants : Le
vif du sujet, Paris, Seuil, 1969 ; Penser l’Europe, Paris, Gallimard, 1987 ; Terre-
Patrie, Paris, Seuil, coll. « Points-essais », 1993 ; Mes démons, Paris, Stock, 1994,
ou encore, La Méthode (5 tomes), Paris, Seuil, 1977 (t. 1), 1980 (t. 2), 1986 (t. 3),
1991 (t. 4) et 1995 (t. 5).
23. Cf. Ouvrage collectif Penser la mutation, Paris, Éd. Cultures en mouvement, 2001.
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vivant. Car, jusqu’au début du XXe siècle, l’Europe n’a qu’une existence virtuelle,
à travers les divisions, antagonismes et conflits entre les nations, qui mettent en
évidence, d’une certaine façon, une forme de réalité. C’est ainsi, négativement,
qu’elle se définit. Il faut donc « réfuter toute idée d’une essence ou d’une subs-
tance européenne première »24.
Donc, pour « penser l’Europe », il nous faudra renoncer au monde classique
de pensée, « jacobine » et centripète, où l’idée d’unité dilue celle de la multiplicité
et du changement, et en venir à ces paramètres de la complexité, qu’Edgar
Morin avait déjà définis, et qu’il retrouve, ici, appliqués à la géopolitique. Déve-
loppons, à travers l’européanité, deux principes importants, parmi d’autres, de
la pensée complexe : le principe dialogique et le principe de récursion.
1) Le principe dialogique
Le néologisme se justifie, en fait, car le terme de dialogue est insuffisant pour
exprimer la conflictualité entre les instances constitutives, et le terme de dialec-
tique ne rend pas compte de la persistance de l’opposition dualiste au sein de
l’unité : le « métissage » de Morin n’est pas le mélange. La dialogique rendra
compte du fait que deux ou plusieurs logiques différentes sont liées en une unité
de façon complexe, sans que la dualité se perde dans l’unité : unitas multi-
plex… Pour prendre un exemple, ce qui fait l’unité de la culture européenne, ce
n’est pas la synthèse « judéo-christiano-romaine », c’est le jeu non seulement
complémentaire, mais aussi concurrent et antagoniste, entre ses instances, qui
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2) Le principe de récursion25
Il nous faut concevoir les processus générateurs comme des boucles productives
ininterrompues, où chaque moment, composante ou instance de processus, est
à la fois produit et producteur des autres moments. Cela revient à dire qu’une
civilisation est vivante tant qu’elle maintient une relation en « feed-back », en aller
et retour, entre ses mythes fondateurs et son histoire, entre sa mémoire et sa
chair. Vienne cette circulation à s’interrompre et la structure s’autonomise, c’est-
à-dire qu’elle se coupe de ce circuit auto-régénérateur, et qu’elle meurt, privée
des représentations fondatrices auxquelles elle se reliait. D’autre part, nous avons
24. Cf. Penser l’Europe, op. cit., p. 27. Comme Jung, Edgar Morin est, avant tout, un
phénoménologue…
25. Ou bootstrap (« lacet de chaussure », bouclé sur lui-même) !
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là, lorsque la boucle n’est pas interrompue, une structure holiste (ou holistique),
c’est-à-dire que chaque événement, chaque élément de la structure est un ré-
sumé qui contient potentiellement, à lui seul, toute la structure, suivant un prin-
cipe assez proche des monades de Leibniz, mais qui est encore mieux
« métaphorisé » par la très belle image hindoue, mentionnée par E. Morin, du
collier d’Indra, où « chaque perle reflète l’ensemble du collier ». L’Europe appa-
raît, ainsi, comme un système qui émerge des ruptures et du désordre ; elle en
naît et s’en nourrit, et ses luttes se transforment en alliances fécondes26. En effet,
l’Europe émergera comme entité à la fois virtuelle mais devenant réelle par la
présence de plus en plus prégnante d’un imaginaire européen, puisqu’elle trou-
vera, dès les années 1950, une forme de dynamisme organisateur pour se pro-
longer : elle se forme, selon Morin, de l’éclatement, par l’éclatement27.
Dans cette construction, ce que l’Europe a donc le plus à redouter, c’est bien
elle-même, car chacune de ses instances constitutives – les États membres – est
ambiguë ; pour l’auteur, « c’est en elle qu’elle peut être détruite, non par une
barbarie extérieure, mais par sa propre barbarie, désordre extrême qui l’auto-
détruira après avoir servi à son auto-organisation ». On retrouve l’idée que toute
existence vit de ce qui la ronge et peut mourir de ce qui la nourrit. Cependant,
nous pensons, ici, que l’Europe n’est pas devenue, simplement, « une grosse
Suisse à l’échelle de l’ère planétaire ».
Nous ne rendrons compte, ici, que de quelques aspects de la théorie de
Morin dans son approche de la « complexité » et de la construction des identités
individuelles et collectives, le but, en effet, n’étant pas d’en dresser un bilan
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26. Par exemple, l’Europe se définit contre l’Islam, d’abord en s’unissant pour le faire
refluer à Poitiers, en 732, puis en s’isolant et se refermant sur lui-même dans la
partie occidentale du bassin méditerranéen : mer des communications du monde
antique, la Méditerranée devient pour longtemps une barrière liquide, la frontière
« introvertit » l’Europe sur sa masse continentale. Sur ces questions, je renvoie aussi à
H. MENDRAS et D. SCHNAPPER, Six manières d’être européen, Paris, Galli-
mard, 1990 ; D. SCHNAPPER, La communauté des citoyens, Paris, Gallimard,
1994, p. 13.
27. Cf. E. MORIN, Penser l’Europe, op. cit.
28. Cf. l’ouvrage : Théorie générale des systèmes, trad. française (1973). Concernant
les questions de méthodes posées par les sciences sociales, on lira utilement les con-
tributions de Edgar Morin, Michel Maffesoli et Martine Xiberras, « Approches métho-
dologiques », Sociétés, 42, 1993, p. 335 et suiv.
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29. Cf. à ce sujet (mot « identité »), la définition de R. DORON et F. PAROT, Diction-
naire de psychologie, Paris, Larousse, 1991, pp. 345-346.
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Références bibliographiques
Quelques ouvrages d’Edgar MORIN
Commune en France (la métamorphose de Plodémet), Paris, Fayard, 1967.
La rumeur d’Orléans, Paris, Seuil, 1969.
Le vif du sujet, Paris, Seuil, 1969.
Science et conscience de la complexité (textes rassemblés et présentés par Christian
Attias et Jean-Louis Le Moigne), Aix-en-Provence, Lirairie de l’Université, 1984.
Penser l’Europe, Paris, Gallimard, 1987.
La Méthode (6 tomes), Paris, Seuil, 1977 (t. 1), 1980 (t. 2), 1986 (t.3), 1991 (t. 4), 2001
(t. 5) et 2004 (t.6).
Science avec conscience, Paris, Fayard, 1992.
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Autres références
AÏT ABDELMALEK A., L’Europe communautaire, l’État-nation et la société rurale…,
Paris, L’Harmattan, 1996 (rééd., 2001).
LACOSTE Y., Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, 1995.
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