La Qualification de La Règle de Conflits

Télécharger au format docx, pdf ou txt
Télécharger au format docx, pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 3

La qualification de la règle de conflits :

Lorsqu’une situation juridique implique plusieurs États, il est essentiel de déterminer la loi
applicable. C là qu’intervient la qualification en DIP. Elle consiste en la reconnaissance de la
nature juridique d’un fait ou d’une situation afin de déterminer la règle de droit applicable.

Paragraphe 1 : Débat doctrinal


A. Théorie de la qualification lege fori :
L'énoncé du principe de la qualification lege fori par le juriste allemand Kahn en 1891, suivi
de Bartin en 1897, constitue le fondement de ce courant. Selon cette approche, chaque juge
est appelé à qualifier un cas en se basant sur les concepts de sa propre législation. Ainsi, le
juge français se réfère aux principes du droit français, tandis que le juge marocain s'aligne sur
ceux du droit marocain, et ainsi de suite.

Trois arguments classiques justifient cette théorie de la qualification lege fori :


Le recours à la règle de conflit du for impose au juge de se référer à la loi du for pour
interpréter des catégories juridiques telles que la "forme des actes" ou la "succession
immobilière". En effet, seule la loi du for peut éclairer le sens de ces catégories dans le
contexte des règles de conflit de lois.
La qualification est une étape préalable à la désignation de la loi applicable. Qualifier selon la
loi étrangère reviendrait à supposer son applicabilité avant même de connaître la règle de
conflit à appliquer. Or, l'objectif de la qualification est précisément de déterminer cette règle
de conflit.
En considérant que le conflit de lois est en réalité un conflit de souveraineté, le troisième
argument soutient que le juge ne peut renoncer à la souveraineté de son pays en acceptant
la qualification selon la loi étrangère.
En outre, il convient d'ajouter un élément psychologique, à savoir que le juge a tendance à
automatiquement recourir à son propre droit lors de l'opération de qualification.

B. Théorie de la qualification lege causae :


L'orientation fondamentale de la qualification lege causae, telle qu'exposée par Despagnet et
adoptée en Allemagne par Wolf, vise à appliquer chaque loi avec ses propres critères de
qualification. Selon ces auteurs, dans le cas du mariage grec, si la règle de conflit française
soumet le statut personnel grec à la loi grecque, il convient d'interpréter ce statut
conformément à la définition de la loi grecque. Par exemple, si la loi grecque inclut la
célébration religieuse du mariage dans le statut personnel, alors que selon une autre règle
française, cette question relève des formalités soumises à la loi du lieu de l'acte, la
préférence est accordée à la qualification grecque.

Dans l'exemple du testament d'un Hollandais, les partisans de la qualification lege causae
argumentent en faveur de l'application des critères hollandais pour qualifier un testament
holographe. Ils estiment que la référence aux concepts juridiques hollandais est essentielle
dans ce processus.

L'argument central avancé par les défenseurs de la qualification lege causae repose sur l'idée
que la qualification lege fore entraîne une altération des institutions juridiques étrangères.
Cependant, la qualification lege causae se heurte à une objection majeure, à savoir le risque
de considérer la loi étrangère comme applicable alors que son application demeure
hypothétique et dépend précisément de la qualification qui sera ultérieurement attribuée.
Tant que la question de la qualification n'est pas tranchée, aucune certitude ne peut être
établie quant à la loi applicable.

C. Qualification en se référant à des concepts autonomes et universels


Certains auteurs, parmi lesquels RABEL, avancent l'idée que le juge ne devrait pas être limité
par la qualification basée sur une loi spécifique. Selon cette perspective, le juge devrait plutôt
dégager des concepts autonomes, distincts des concepts internes, en utilisant une approche
comparative, et dotés d'une portée universelle.
En appliquant cette méthode, les juges de divers pays pourraient identifier les mêmes
concepts, éliminant ainsi les conflits de qualification. Cependant, cette approche est critiquée
pour son manque de réalisme, étant donné que le conflit de qualification suppose, par
définition, l'existence de divergences quant à l'interprétation de la question à qualifier.

Paragraphe 2 : Approches jurisprudentielles


A. Position jurisprudentielle en France
La jurisprudence française a explicitement consacré la qualification lege fori. Un exemple
éloquent de cette approche est observé dans l'affaire Caraslanis du 22 juin 1955, où la Cour
de cassation s'est penchée sur la validité d'un mariage civil célébré en France entre un
ressortissant grec orthodoxe et une femme française. La Cour a statué que la détermination
de savoir si un aspect de la célébration du mariage relève des règles de forme ou de fond
doit être décidée par les juges français en conformité avec les principes du droit français.
Selon ces principes, la nature religieuse ou laïque du mariage est considérée comme relevant
de la catégorie des règles de forme. Par conséquent, la Cour de cassation a validé le mariage
civil conformément au droit français, même en présence d'une exigence de célébration
religieuse imposée par la loi grecque.
B. Approche jurisprudentielle au Maroc
Pendant la période du protectorat au Maroc, les tribunaux adoptaient une approche de
qualification basée sur la loi étrangère, soutenue à l'unanimité par la doctrine et la
jurisprudence de l'époque. Un arrêt, émis par la cour de Rabat, a explicitement établi comme
règle que les tribunaux marocains, lorsqu'ils appliquent une loi étrangère, doivent qualifier
selon cette même loi devenue la leur. Dans le cadre de l'application de la loi espagnole, la
cour a décidé que la célébration religieuse du mariage d'un ressortissant espagnol ne
constitue pas une condition de forme, mais plutôt une condition de fond essentielle à sa
validité.
Cette approche jurisprudentielle a reçu l'approbation de la doctrine de l'époque. Selon Leiris,
au Maroc, la diversité des lois étrangères ne peut être évaluée conformément à la théorie
des qualifications, telle qu'elle est appliquée en Europe. Chaque disposition du statut
personnel doit être interprétée selon l'esprit du code dans lequel elle est inscrite, plutôt que
selon l'esprit des lois françaises ou des lois traditionnelles marocaines qui sont spécifiques
aux Français ou aux Marocains.
Bien que la question n'ait pas été explicitement tranchée par une décision judiciaire récente,
il est généralement admis actuellement que la qualification lege fori devrait prévaloir. Cette
interprétation est soutenue par deux arrêts de la cour suprême, tels qu'analysés par la
doctrine. Il convient toutefois de noter que la qualification lege fori n'élimine pas
entièrement le rôle de la loi étrangère dans le processus.
Paragraphe 3 : Implications du rôle de la loi du for
A : Fonction de la loi étrangère dans la qualification
Lorsqu'il s'agit de qualifier une question juridique, le juge doit l'analyser pour définir ses
caractéristiques et déterminer la catégorie à laquelle elle appartient. Cependant, il peut
arriver que la question juridique soit inconnue du juge du for, rendant toute analyse selon la
loi du for impossible.
Dans le cas, par exemple, de la "quarte du conjoint pauvre", le juge devait, avant toute
opération de qualification lege fori, comprendre la signification de cette question. Par
conséquent, avant de procéder à la qualification, le juge devait initialement consulter la loi
étrangère qui a élaboré cette règle pour en comprendre la signification.
Cette démarche, comme souligné par Batiffol et P. Lagarde, se décompose en deux phases
distinctes :
-Une phase préparatoire consistant à analyser la question juridique selon la loi étrangère qui
l'a conçue ;
-Une phase de classement conformément à la loi du for.
La Cour de cassation, dans un arrêt, a souligné que la qualification lege fori autorise la prise
en compte du statut et des caractéristiques spécifiques des objets situés à l'étranger pour
déterminer s'ils relèvent de la catégorie des meubles ou des immeubles, conformément à la
définition établie par la loi française.
B : Ajustement des catégories du droit interne
Les catégories juridiques, telles que le "mariage", le "contrat" ou la "succession", sont
généralement définies en référence à des institutions juridiques spécifiques. Toutefois, la
portée de ces institutions peut varier d'un pays à l'autre. Par exemple, le mariage en droit
musulman diffère du mariage civil, et le mariage polygamique peut ne pas avoir d'équivalent
dans plusieurs pays.
Lorsqu'on qualifie une question juridique, comme le mariage polygamique, en fonction du
droit du for, il peut y avoir un risque de méconnaissance de cette question si elle n'est pas
couverte par le droit du for. Afin d'éviter cette situation, les règles de conflit marocaines
doivent englober toutes les questions susceptibles d'être posées, quel que soit l'ordre
juridique en présence.
Pour atteindre cet objectif, la jurisprudence élargit le champ d'application du droit interne
pour inclure la question juridique posée. Par exemple, la jurisprudence française attache
l'expression "mariage polygamique" à la catégorie du "mariage", même si cette institution
n'existe pas en droit français.
Cependant, cette extension n'est pas illimitée, et il est nécessaire de rechercher l'esprit de la
loi du for pour déterminer si la question juridique posée est en adéquation avec cette loi. Par
exemple, un concubinage ne peut pas être qualifié de mariage s'il ne respecte pas l'esprit de
cette institution.
Il est important de souligner que si le juge ne parvient pas à qualifier une question de droit
en présence d'une institution inconnue qui ne correspond à aucune catégorie du droit du for,
il n'a d'autre choix que de priver cette institution de tout effet en appliquant la loi du for.

Vous aimerez peut-être aussi