DAGUEY - GAGEY, L'arc Des Argentiers À Rome

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L’arc des argentiers, à Rome. À propos de la dédicace du monument (CIL VI,


1035 = 31232 = ILS 426)
par Anne DAGUET-GAGEY

| Presses Universitaires de France | Revue historique

2005/3 - n° 633
ISSN 0035-3264 | ISBN 9782130550440 | pages 499 à 518

Pour citer cet article :


— Daguet-Gagey A., L’arc des argentiers, à Rome. À propos de la dédicace du monument (CIL VI, 1035 = 31232 =
ILS 426), Revue historique 2005/3, n° 633, p. 499-518.

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L’arc des argentiers, à Rome*
À propos de la dédicace du monument
(CIL VI, 1035 = 31232 = ILS 426)

Anne DAGUET-GAGEY

En 204 apr. J.-C., Septime Sévère (193-211 apr. J.-C.),


l’empereur africain originaire de Lepcis Magna, en Tripolitaine,
était au sommet de sa gloire1. Au cours des dix années écoulées, il
avait su vaincre plusieurs compétiteurs (Pescennius Niger, en 194 ;
Clodius Albinus, en 197), réduire pour un temps l’arrogance des
Parthes, ennemis séculaires des Romains et réaffirmer aux yeux du
monde la toute-puissance de Rome et de son chef. Mieux encore, il
avait su inscrire son pouvoir dans la durée, prenant la suite des
Antonins auxquels il avait choisi de se rattacher officiellement
en 195, associant successivement au pouvoir ses deux fils, Caracalla,
devenu Auguste en 198, et le cadet, Géta, élevé la même année au
rang de César. En 202 apr. J.-C., après près de cinq ans d’absence,
la famille impériale avait regagné Rome, auréolée du prestige de la
victoire. Septime Sévère, Restitutor Vrbis, Propagator imperii 2, avait alors
célébré en grande pompe son retour triomphal et sa victoire sur les
Parthes, ses décennales et le mariage de Caracalla avec Plautilla, la

* Cette étude a fait l’objet d’une communication présentée le 22 janvier 2005, dans le cadre
du programme de recherche no 4 (L’Empire romain en mutation) de l’UMR 8585. Il s’est enrichi des
discussions qui ont suivi.
1. Sur le règne de cet empereur, voir Anthony R. Birley, Septimius Severus, the African Emperor,
Londres, B. T. Batsford, 1988 (réimpr., Londres-New York, Routledge, 1999) ; Anne Daguet-
Gagey, Septime Sévère. Rome, l’Afrique et l’Orient, Paris, Payot, 2000.
2. Sur ces titres décernés à Septime Sévère et à Caracalla à partir de 201, voir Anne
Daguet-Gagey, Septime Sévère et ses fils, Restitutores Vrbis. La personnalisation des mérites impé-
riaux, Revue numismatique, 2004, p. 175-199.

Revue historique, CCCVII/3


500 Anne Daguet-Gagey

fille du commandant de la garde impériale, le préfet du prétoire


Plautien. Deux ans plus tard, les Sévères, réunis à Rome au grand
complet, allaient avoir une nouvelle occasion de réjouir le peuple de
la capitale, le peuple roi, et de lui montrer la solidité de leur pouvoir
et l’harmonie (toute virtuelle) de leurs relations : ils devaient, en
effet, célébrer les jeux séculaires, qui inauguraient un nouveau
siècle, dont tout un chacun souhaitait qu’il fût d’or3. Ce spectacle
« qu’ils n’avaient pas vu auparavant et qu’ils ne verraient plus par la
suite »4 allait permettre aux Sévères de se donner à voir, dans l’éclat
de leur magnificence.
C’est en cette même année 204 que l’arc dit des argentiers du
Forum Boarium5 fut offert à Septime Sévère et aux membres de sa
famille6. Cet édifice ne compte pas parmi les monuments les plus
réputés de la Rome impériale. Éclipsé par l’arc du Forum romain,
dédié un an plus tôt, aujourd’hui imbriqué dans les murs de
l’église Saint-Georges du Vélabre (voir fig. 1), il reste volontiers à
l’écart des circuits touristiques. Cet arc, en réalité une porte, n’en
constitue pas moins un monument clé pour qui s’intéresse à la
Rome sévérienne et à ses dirigeants. L’étude de ses reliefs, ou de
ce qui en subsiste, a régulièrement suscité l’intérêt des chercheurs ;
il semble, en revanche, que l’inscription dédicatoire, figurant sur la
face sud du monument, ait moins retenu leur attention ; la com-
munauté scientifique s’en tient généralement à la publication du
texte faite dans le CIL et à l’apparat critique qu’en ont donné les
éditeurs, G. Henzen et E. Bormann. C’est précisément sur cer-
taines des restitutions que ces derniers ont jadis proposées que
nous souhaiterions revenir, car toutes ne méritent pas, à notre
sens, d’être retenues.
Au préalable, il nous faut brièvement rappeler la nature de ce
monument et le contexte de son édification. Il est aujourd’hui

3. Sur l’heureux contexte des années 202-204, voir Stéphane Benoist, Le retour du prince
dans la Cité (juin 193 - juillet 326), Cahiers du Centre Gustave-Glotz, 10, 1999, p. 154-158 et 168-169,
et Id., Rome, le prince et la Cité, Paris, PUF, 2005, particulièrement p. 73-75, 224-225, 284-288. Sur
les jeux séculaires, voir l’ouvrage de John Scheid, Quand faire, c’est croire, Paris, Aubier, 2005, p. 97-
110 et 306-314 ; voir aussi Giovanni Battista Pighi, De ludis saecularibus populi Romani Quiritium,
Amsterdam, P. Shippers, 19652, particulièrement p. 137-194.
4. Zosime, Histoire nouvelle, 2, 5, 1.
5. Sur le Forum Boarium, voir Filippo Coarelli, Il Foro Boario, Rome, Quasar, 1988.
6. Sur cet arc, voir Barbara Tasser, L’Arco degli Argentari, Forma Urbis, 9, 1999, p. 22-27 ;
Sylvia Diebner, Arcus Septimii Severi (Forum Boarium), dans Eva Margareta Steinby (ed.), Lexikon
Topographicum Urbis Romae (LTUR), I, Rome, Quasar, 1993, p. 105-106 ; Jacques Heurgon, L’Arc
des changeurs à Rome, Revue archéologique, 6e série, 28, 1947, p. 52-58 (à propos du titre suivant) ;
Massimo Pallottino, L’arco degli Argentari, Rome, Danes, 1946 ; D. E. L. Haynes - P. E. D. Hirst,
Porta Argentariorum, Papers of the British School at Rome, Suppl., Londres, Mac Millan & Co., 1939 ;
Jacques Madaule, Le monument de Septime Sévère au Forum Boarium, Mélanges de l’École française
de Rome (MEFR), 41, 1924, p. 111-150.
L’arc des argentiers, à Rome 501

acquis que cet édifice n’était en rien un arc de triomphe ou un


arc honorifique, mais qu’il s’agissait en réalité d’une porte. La
question demeure de savoir si cette porte assurait ou non la com-
munication entre le Forum Boarium et le Vélabre, à la limite entre
trois des quatorze régions augustéennes, la VIIIe, la Xe et la XIe7.
Dans ce cas, les deux faces du monument devraient logiquement
avoir reçu des éléments décoratifs ; or, seule la face sud porte à la
fois une inscription dédicatoire et des restes, au demeurant fort
abîmés, de reliefs8. La face nord est vierge de toute décora-
tion. Pour cette raison notamment, il a été proposé de considérer
cette porte comme ouvrant sur la schola des argentiers et des
négociants en viande bovine9, qui tenaient commerce dans cette
zone de l’Vrbs et qui jugèrent opportun, en 204, de s’associer
pour rendre hommage à la famille impériale, alors au zénith. Il
est à noter que cette dédicace s’inscrit dans une série d’ins-
criptions dont plusieurs collèges professionnels ou cultuels eurent
l’initiative dans les années 195-211, comme le prouve le tableau
de la page suivante10.

7. Idée défendue par Filippo Coarelli (Il Foro Boario, p. 10) ; la rue qui prolongeait le uicus
Iugarius s’achevait au niveau de l’arc : « Ce dernier devait constituer, de ce côté, l’entrée monu-
mentale de la place. » Il reprend la même idée p. 11. Sylvia Diebner (LTUR, I, p. 105) suit
F. Coarelli.
8. Voir Barbara Tasser, loc. cit., p. 27 : « Interpréter l’arc des argentiers comme un arc de
triomphe se justifie difficilement car il manque plusieurs éléments fondamentaux, tels que la
voûte, la décoration architectonique sur toutes les faces et l’indispensable sénatus-consulte. Contre
l’hypothèse selon laquelle il s’agirait d’une porte libre, sans contexte architectonique, conçue
comme un passage monumental mettant en communication le Forum Boarium et le Vélabre, il faut
souligner l’absence de toute décoration sur l’arrière du monument ; par ailleurs, n’est confortée
par aucun rapport de fouille accessible la théorie suivant laquelle passait sous l’arc une petite
voie menant au Vicus Iugarius. Enfin, l’idée qui veut que l’arc des argentiers ait servi de base
monumentale à des statues n’est confirmée par aucune preuve matérielle telles que des traces
d’emplacement dans le toit. »
9. Sur les collèges en général, voir Francesco M. de Robertis, Storia delle corporazioni e del regime
associativo nel mondo romano, Bari, Adriatica Editrice, 1973 ; Frank M. Ausbüttel, Untersuchungen zu den
Vereinen im Westen des römischen Reiches, Kallmünz, Michael Lassleben, 1982. Sur les collèges des
argentarii et des boarii, voir Jean-Pierre Waltzing, Étude historique sur les corporations professionnelles chez
les Romains, depuis les origines jusqu’à la chute de l’Empire d’Occident, Rome, L’Erma di Bretschneider,
1968, t. II, p. 89 (boarii) et p. 114 (argentarii) ; t. IV, p. 8 b (argentarii) et p. 9 (boarii). Sur les argenta-
rii, voir surtout Jean Andreau, La vie financière dans le monde romain. Les métiers de manieurs d’argent
(IVe siècle av. J.-C. - IIIe siècle apr. J.-C.), Rome, EFR, 1987, p. 124 : « Les argentarii du Forum Boa-
rium étaient des manieurs d’argent ; il est exclu qu’ils aient été des orfèvres. Leur spécialité com-
portait très probablement, entre autres choses, le crédit d’enchères. Ils pratiquaient en outre l’essai
des monnaies et le change. »
10. Nous ne mentionnons ici que les collèges de Rome et d’Ostie, mais c’est à travers tout
l’Empire que des collegia choisirent d’honorer les empereurs. Voir Jean-Pierre Waltzing, s. u. Colle-
gium, dans Ettore de Ruggiero (ed.), Dizionario epigrafico, Rome, Pasqualucci, 1910, p. 356.
502 Anne Daguet-Gagey

Date Collège Référence

196-197 Decuriones, scribae, cubiculari CIL VI, 1051

198 mensores machinarii frumenti publici CIL VI, 85


(ex senatusconsulto coire licet)

198 Paedagogi puerorum CIL VI, 1052


a capite Africae

200 Tibicines Romani CIL VI, 1054

198-211 (?) Dendrophori CIL VI, 1040

198-211 Laurentes Lavinium CIL VI, 1047

198-209 Coll(egium) fabr(um) tignarior(um) CIL VI, 1060

206 Corpus piscatorum et urinatorum CIL VI, 1872


(autorisés par sénatus-consulte)

206 Collegium dendrophorum CIL VI, 29691


Romanorum
(autorisés par sénatus-consulte)

Sous Sept. Sév. Acceptores et terrares CIL XIV, 16

195 (11 avril) Corpus fabrum naualium Ostiens(ium) CIL XIV, 168-169
(mention du sénatus-consulte)

Début du règne ? Corpus cannophorum Ost(iensium) CIL XIV, 116

198-211 Corpus cannophorum Ost(iensium) CIL XIV, 117

200 cannophori CIL XIV, 118

200 Ordo corporator. Lenunculariorum CIL XIV, 252


pleromariorum

Sous Septime Saccarii salarii totius urbis (et) camp(i) BullCom, 1888,
Sévère sal(inarum) Rom(anarum) p. 83
L’arc des argentiers, à Rome 503

On sait, de fait, que Septime Sévère, une fois ses compétiteurs


éliminés et la perspective d’une guerre civile éloignée, entreprit de
réviser la législation sur les associations11. Comme par le passé,
seuls furent autorisés à se réunir (ius cogendi) les collèges qui, selon
les termes mêmes de la lex Iulia de collegiis12, avaient été approuvés
par le Sénat, après que ce dernier eut pris l’avis de l’empereur ; les
autres étaient tenus pour illicites et devaient être dissous. Plusieurs
collèges, dont ceux énumérés ci-dessus, crurent bon de rappeler la
légalité de leur existence et de leurs activités ; ils le firent, dans les
dernières années du IIe siècle apr. J.-C. et les premières du IIIe, par
des dédicaces qui étaient autant de marques d’attachement et de
loyauté à l’égard du pouvoir impérial. Les banquiers de la capitale,
associés pour la circonstance aux commerçants en viande bovine
du Forum Boarium, ne firent pas autre chose ; ils se distinguèrent
toutefois par l’ampleur exceptionnelle de leur initiative ; renonçant,
à l’inverse de leurs confrères, à une simple dédicace, ils optèrent
pour un projet d’une tout autre envergure : transformer en arc
honorifique l’entrée (éventuelle) du siège de leurs corporations13 ;
c’était, ce faisant, prouver la légalité de ces dernières tout en en
affichant l’importance.
L’inscription dédicatoire – CIL VI, 1035 (= 31232 = ILS 426) –
comporte six lignes qui commencent par l’énumération des membres
de la domus Severiana, représentée, par ailleurs, sur les reliefs des parois
internes de la baie14. Étaient, à l’origine, successivement mentionnés :
Septime Sévère, Auguste senior, Caracalla, son fils aîné, Auguste
depuis 198, Géta, son fils cadet, César depuis cette même date, Julia
Domna, son épouse, Plautilla, mentionnée en sa double qualité de
femme de Caracalla – ce qui explique que la titulature de ce dernier
soit répétée une seconde fois – et de fille de Plautien (C. Fuluius Plau-
tianus), préfet du prétoire et, par ailleurs, beau-père de Caracalla.

11. Voir Anne Daguet-Gagey, Septime Sévère, un empereur persécuteur des chrétiens ?,
Revue des études augustiniennes, 47, 2001, p. 14-22 ; nous préparons une étude sur la législation sévé-
rienne consécutive aux guerres civiles ; le Digeste se fait, en effet, l’écho d’une série de décisions
(rescrits) impériales relatives au droit associatif, au crimen maiestatis, à la confiscation des biens...,
tous sujets sur lesquels Septime Sévère fut incité à légiférer une fois ses compétiteurs éliminés.
12. Sur cette lex, voir Suétone, Vies des douze Césars, Aug., 32 ; FIRA, III, no 38 (= CIL VI,
2193 = 4416 = ILS 4966) : Dis Manibus. / Collegio symphonia/corum qui sacris publi/cis praestu sunt, qui-
bus / senatus c(oire) c(onuocari) c(ogi) permisit e / lege Iulia ex auctoritate / Aug(usti) ludorum causa. La loi, si
elle est bien augustéenne et non julienne, pourrait avoir été promulguée en 7 apr. J.-C. Voir Jean-
Pierre Waltzing, loc. cit., p. 352-353 ; Francesco M. de Robertis, Storia delle corporazioni, p. 195-237.
13. On ignore, au demeurant, s’il s’agissait de la schola des banquiers, de celle des commer-
çants en viande bovine, ou bien encore si les deux collèges partageaient la même schola ou enfin si
l’arc/porte servait d’entrée commune. Sur les liens entre les deux collegia, voir Massimo Pallottino,
L’Arco degli Argentari, p. 34. Sur les raisons qui incitèrent les argentiers et les négociants en viande
bovine à ériger ce monument, voir infra, n. 19, p. 504.
14. Sur l’identification des différents reliefs que l’arc comportait, voir fig. 5.
504 Anne Daguet-Gagey

L’inscription mentionne pour finir les dédicants, c’est-à-dire argentari


et negotiantes boari huius loci qui inuehent. M. Pallotino, dans l’étude qu’il a
consacrée, en 1946, à l’arc et à l’inscription, a contesté l’idée que les
négociants puissent être des importateurs de viande bovine, ce dont
rendrait compte la formule QVI INVEHENT15. Cette dernière fut
d’ailleurs gravée dans un second temps, en lieu et place du seul HVIVS
LOCI, qui figurait à l’origine et qui se distingue encore sur la pierre.
M. Pallotino a proposé de comprendre cette formule dans le sens de
« qui feront entrer de l’argent » – autrement dit, « qui paieront » ou
« verseront » leur cotisation à la caisse collégiale16. Ne seraient
concernés par cet hommage rendu à la famille impériale et
n’auraient donc la qualité de dédicants que ceux des argentiers et/ou
des négociants en viande bovine qui s’étaient engagés à participer
aux frais de construction en versant leur contribution à l’arca de leur
collège. Plus récemment, J. Andreau a apporté une lecture nouvelle
et plus satisfaisante, en rappelant que inueho signifie d’abord « trans-
porter dans » ; par conséquent, dit-il, « il est question de ceux qui
prendront en charge le transport des bêtes jusqu’à la ville de Rome.
Le futur s’explique ainsi très bien »17. Il renonce, en revanche, à se
prononcer sur le sujet du verbe inuehent : « Le verbe inuehere ainsi com-
pris n’a-t-il qu’un sujet (negotiantes) ou bien deux (argentarii, negotiantes) ?
Il est difficile de le dire, puisqu’on ne sait rien des décisions que prit
Septime Sévère à propos du Forum Boarium. »18 On s’interroge, par
ailleurs, sur la raison précise pour laquelle ces deux collèges décidè-
rent d’ériger un monument d’une telle ampleur19.

15. Massimo Pallottino, L’Arco degli Argentari, p. 36-37.


16. Ibid. Le verbe inuehent est, de fait, au futur ; Jacques Madaule (MEFR, 41, 1924, p. 118)
envisageait une erreur du lapicide, qui aurait gravé un E au lieu d’un V.
17. Jean Andreau, La vie financière dans le monde romain, p. 126.
18. Ibid. Cet auteur laisse donc entendre que Septime Sévère aurait pris une décision concer-
nant le Forum Boarium et/ou les corporations appelées à y jouer un rôle. On demeure dans
l’incertitude en ce qui concerne cette réglementation impériale : s’appliquait-elle aux seuls collèges,
au forum lui-même ou aux deux ? On l’ignore. Peut-être doit-on rapprocher cette supposée déci-
sion de la révision de la législation sur le droit associatif effectuée par ce prince ; voir supra, p. 503.
19. Pour Giuseppe Lugli, consulté par Massimo Pallottino (L’Arco, p. 124, n. 162), les verse-
ments effectués par les argentarii et les negotiantes boarii n’auraient pas été faits à la caisse des collèges
mais au fisc impérial. Ce lien entre corporation et administration financière expliquerait l’ampleur
de la construction et la mention particulière faite sur l’inscription dédicatoire. À la suite de
M. Pallotino, Barbara Tasser, dans une étude récente non publiée mais dont un résumé est acces-
sible sur Internet (Barbara Tasser, Der Argentierbogen am Forum Boarium in Rom, unveröffentliche
Diplomarbeit, Innsbruck, 1998, www.uibk.ac.at), voit dans cet édifice une marque de reconnais-
sance envers la famille impériale et peut-être aussi envers les consuls de l’année 204 (M. Annius
Flavius Libo et L. Fabius Cilo Septiminus), dont on n’exclut pas qu’ils aient été représentés sur
chacune des piles entourant la baie centrale. Les argentiers et les négociants en viande bovine
pourraient avoir bénéficié de privilèges qu’il est malaisé de déterminer (allégements de taxes, faci-
lités concernant l’approvisionnement en bêtes, contribution financière apportée à la construction
de l’édifice...).
L’arc des argentiers, à Rome 505

Comme on le voit encore très clairement sur la pierre,


l’inscription a été en trois et même quatre endroits martelée, sans
que l’on puisse toujours précisément dater les interventions visant à
faire disparaître les mentions de l’un ou l’autre membre de la
famille impériale. Ces martelages rentrent dans le cadre d’une dam-
natio memoriae, châtiment infligé aux individus ayant démérité de la
patrie20. La damnatio memoriae consistait à rayer de la mémoire
publique et collective le souvenir de l’individu en question. Aussi ses
noms étaient-ils effacés des monuments publics, ses statues ou bustes
abattus, ses actes cassés. Dans le cas présent, et comme sur bien
d’autres pierres de la même époque, ce sont les noms et titres de
Géta, de Plautilla et de Plautien qui ont été biffés et remplacés par
de nouvelles formules.
Nous reproduisons ci-dessous l’inscription telle qu’on peut la lire
aujourd’hui, en en développant les abréviations (voir fig. 6).
Imp(eratori) Caes(ari) L(ucio) Septimio Seuero Pio Pertinaci
Aug(usto), Arabic(o), Adiabenic(o), Part(hico) Max(imo) Fortis-
simo Felicissimo, / Pontif(ico) Max(imo), trib(unicia) potest(ate)
(hedera) XII, Imp(eratori) XI, co(n)s(uli) (hedera) III, patri patriae
et / Imp(eratori) Caes(ari) M(arco) Aurelio Antonino Pio Felici
Aug(usto), trib(unicia) potest(ate) VII, co(n)s(uli) III, p(atri) p(atriae),
proco(n)s(uli) fortissimo felicissimoque principi et / Iuliae Aug(ustae)
matri Aug(usti) n(ostri) et castrorum et senatus et patriae et Imp(era-
toris) Caes(aris) M(arci) Aureli Antonini Pii Felicis Aug(usti) / Parthici
(hedera) Maximi (hedera) Brittannici (hedera) Maximi, / argentari et
negotiantes boari huius loci qui inuehent, deuoti numini eorum.
Traduction : À l’empereur César Lucius Septimius Seuerus
Pieux Pertinax Auguste, Arabique Adiabénique, Très Grand, Très
courageux (et) Très Heureux Parthique, grand pontife, en sa dou-
zième puissance tribunicienne, salué empereur onze fois, consul trois
fois, père de la patrie et à l’empereur César Marc Aurèle Antonin
Pieux Heureux Auguste, en sa septième puissance tribunicienne,
consul trois fois, père de la patrie, proconsul, très courageux et très
heureux prince et à Julia Augusta, mère de notre Auguste, des
camps, du Sénat, de la patrie et de l’empereur César Marc Aurèle
Antonin Pieux Heureux Auguste, Très Grand Parthique, Très
Grand Britannique, les banquiers et les négociants en bœufs de ce
lieu, qui procèderont au transport, dévoués à leur puissance divine.

20. Sur la damnatio memoriae, voir les travaux du programme de recherches no 3 de


l’UMR 8585 - Centre G.-Glotz, portant sur « Les victimes de la damnatio memoriae », et la publica-
tion de la Table ronde « Condamnation et damnation : approches des modalités de réécriture de
l’histoire », à paraître dans les Cahiers du Centre Gustave-Glotz, 14, 2003 ; voir particulièrement
l’introduction de Stéphane Benoist, « Martelage et damnatio memoriae : une introduction ».
506 Anne Daguet-Gagey

Septime Sévère reçut sa douzième puissance tribunicienne le


10 décembre 20321 ; il fut par ailleurs salué empereur pour la
onzième fois à l’été 198, en raison de sa victoire parthique ; il fut
enfin consul pour la troisième fois en 202. Caracalla, quant à lui, a
reçu à la même date que son père sa septième puissance tribuni-
cienne ; en ce qui concerne les consulats revêtus par l’Auguste
junior, l’inscription lui en donne trois ; mais le chiffre III appartient
à la regravure effectuée après la damnatio memoriae de Géta. En 204,
date de dédicace du monument, Caracalla n’avait encore géré
qu’un unique consulat ; il s’apprêtait à revêtir le deuxième l’année
suivante, tandis qu’un troisième devait suivre en 208 et un qua-
trième et dernier en 21322. On note donc une discordance chronolo-
gique entre la septième puissance tribunicienne de Caracalla, qui
renvoie à l’année 204, et ce troisième consulat, qui reporte, au plus
tôt, à l’année 208. De la même manière, ce n’est qu’en 209 ou 210
que Caracalla reçut le titre de Britannicus Maximus.
L’arc chronologique qui s’impose pour la dédicace du monument
est donc celui qui court du 10 décembre 203 au 9 décembre 204.
Pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons plus loin, il paraît
préférable de privilégier le premier semestre de l’année 204.
Le premier martelage qu’offre la pierre est celui des noms de
Géta, assassiné à la fin de l’année 211 plutôt qu’au début de 212, sur
ordre de son frère23. Géta subit une damnatio memoriae, dont témoi-
gnent également l’arc du Forum romain et bien d’autres ins-
criptions24. Très logiquement, la formule ET ⋅ P ⋅ SEPTIMIO ⋅ GETAE
NOBILISSIMO ⋅ CAES(ari)25 a été proposée par E. Bormann et G. Henzen
et généralement acceptée26 ; c’est, de fait, la titulature la plus couram-
ment utilisée pour désigner le fils cadet de Septime Sévère27. Ce mar-
telage ne peut avoir eu lieu qu’en 212, après l’assassinat du jeune

21. Dietmar Kienast, Römische Kaisertabelle. Grundzüge einer römischen Kaiserchronologie, Darmstadt,
Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1990, p. 150.
22. Ibid., p. 163.
23. Ibid., p. 166-167. Sur la date de la mort de Géta, voir Timothy D. Barnes, Pre-Decian
Acta Martyrum, Journal of Theological Studies, N. S. 19, 1968, p. 522-524. ; Id., Tertullian. A Historical
and Literary Study, Oxford, Clarendon Press, 1985, p. 264-265 ; Attilio Mastino, L’erasione del
nome di Geta dalle iscrizioni nel quadro della propaganda politica alla corte di Caracalla, Annali
della Facultà di Lettere di Cagliari, N. SL II, 39, 1978-1979 [1981], p. 52.
24. Attilio Mastino, loc. cit., p. 47-81, particulièrement p. 56 et 62-65.
25. Il paraît difficile de restituer intégralement les noms et titres de Géta, qui excéderaient
les limites autorisées de l’espace martelé ; on peut abréger soit nobilissimo en nob(ilissimo) ou
nobil(issimo), soit, plus volontiers, Caesari en Caes(ari).
26. H. Dessau, dans l’apparat critique de l’inscription ILS 426 (p. 103, n. 2), propose de res-
tituer seulement ET P. SEPTIMIO GETAE CAESARI, soit 23 lettres, alors qu’il semble possible, par
comparaison avec les autres lignes du texte, d’en insérer une trentaine dans l’espace martelé.
27. Voir Gerard M. Murphy, The Reign of the Emperor L. Septimius Severus from the Evidence of the
Inscriptions, Philadelphia, Univ. of Pennsylvania, 1945, p. 105.
L’arc des argentiers, à Rome 507

prince. La mémoire de Géta ayant disparu, il fallut effacer, à la l. 4


de l’inscription, le second G de la formule MATRI ⋅ AVG[G] attribuée à
Julia Domna, mère de Caracalla et de Géta. Cette lettre fut rem-
placée par un N, Julia Domna étant dès lors saluée en tant que
« mère de notre Auguste », MATRI ⋅ AVG(usti) ⋅ N(ostri).
Le deuxième martelage d’importance concerne la dénomination
de Plautilla ; celle-ci avait été fiancée à Caracalla en 201, comme l’a
démontré M. Christol dans une étude portant sur des inscriptions
africaines de Thugga28. Dès cette date, Plautilla s’était arrogé le titre
d’Augusta, sans attendre par conséquent son mariage avec Caracalla,
célébré en avril 202, dans le cadre des grandes festivités ayant
accompagné le retour de la famille impériale à Rome. Les éditeurs
du texte ont restitué sans hésitation, à la l. 4, FVLVIAE ⋅ PLAVTILLAE ⋅
AVG en lieu et place de la formule SENATVS ⋅ ET ⋅ PATRIAE, appelée
à compléter tout en l’alourdissant la titulature de Julia Domna.
Lorsque la dédicace fut gravée, il parut inutile de préciser la nature
du lien unissant Plautilla à Caracalla par un terme tel qu’uxor 29 ou
coniux, tant celui-ci était connu des Romains.
On pourrait hésiter sur la date à laquelle ce martelage est inter-
venu ; fut-il réalisé dès 205, après l’assassinat de Plautien et lorsque
Plautilla et son frère furent exilés aux îles Lipari30 ? Ou bien attendit-
on 211 que Caracalla fût devenu Auguste senior après le décès de son
père ? On sait que Caracalla, dès qu’il en eut la latitude, n’hésita pas
à se débarrasser de son épouse et de son beau-frère31. Bien que la dam-
natio memoriae soit, par définition, un châtiment flétrissant la mémoire
d’un défunt32, il est préférable, dans le cas présent, de considérer que
le martelage du nom de Plautilla se fit après l’assassinat de son père,
soit en 205. C’est la conclusion qu’impose l’examen de plusieurs pier-
res, qui portent les traces de deux (et non de trois) martelages succes-
sifs : celui des noms de Plautien et de Plautilla et celui de Géta33.

28. Michel Christol, L’épigraphie de Thugga et la carrière de Plautien, dans Dougga (Thugga).
Études épigraphiques. Textes réunis par M. Khanoussi et L. Maurin, Bordeaux, Ausonius, 1997,
p. 127-140.
29. H. Dessau, dans l’apparat critique de l’inscription ILS 426 (p. 103, n. 2), propose la
restitution suivante, qui ne suffit pas à combler l’espace martelé : FVLVIAE ⋅ PLAVTILLAE ⋅ AVG ⋅
IMP ⋅ CAES ⋅ M ⋅ AVRELI ⋅ ANTONINI ⋅ PII ⋅ FELICIS ⋅ AVG ⋅ VXORI ⋅ FILIAE ⋅ P ⋅ FVLVII ⋅ PLAVTIANI.
La précision uxor paraît inutile ; en revanche, il faut assurément restituer à Plautien un certain
nombre de ses titres.
30. Sur cet exil, voir Dion Cassius, Histoire romaine, 77, 6, 3 ; Hérodien, Histoire des empereurs
romains, 3, 13, 3 (cet auteur parle d’un exil en Sicile).
31. Voir infra, n. 58, p. 514.
32. Theodor Mommsen, Römisches Strafrecht, Berlin, 1899, p. 987 (= Le droit pénal romain, trad.
J. Duquesne, Paris, A. Fontemoing, 1907, t. 3, p. 337).
33. Voir Attilio Mastino, Annali della Facultà di Lettere di Cagliari, N. SL II, 39, 1978-1979
[1981], p. 66.
508 Anne Daguet-Gagey

Le troisième et dernier martelage pose quelques problèmes de


restitution. Il concerne les noms et titres de Plautien, dont il n’est
pas inutile de rappeler quels ils furent. C. Fuluius Plautianus, origi-
naire de Lepcis Magna et parent de Septime Sévère, à en croire
Hérodien34, fut promu de la préfecture des vigiles à celle du prétoire
à la fin de l’année 196 au plus tard35. Il devait conserver cette
charge jusqu’à sa mort, survenue brutalement le 22 janvier 20536.
Devenu préfet du prétoire, Plautien n’hésita pas à se parer d’un cer-
tain nombre de titres, au fur et à mesure que ses liens avec la
famille impériale se resserraient, notamment du fait des fiançailles
puis du mariage de Plautilla avec Caracalla.
Plautien enrichit ainsi sa titulature sans que l’on puisse toujours
dater avec précision l’apparition de tel ou tel titre : le plus répandu
est assurément celui de necessarius (qui désigne l’ami intime), attesté
épigraphiquement à partir de 199-20037 ; en 200, sur un papyrus
égyptien38, Plautien est qualifié d’oikeios des empereurs, un terme
équivalent au latin adfinis, indicateur d’une parenté, que l’on ren-

34. Hérodien, 3, 10, 6 : PlautianqV dA Yn unoma a£tÑ. To¢ton t1 mAn pr²ta tRV TlikBaV e£telR
(tinAV a£tqn kaa pefugade¢sqai Elegon 4lpnta CpB st0sesi kaa pollobV 4martPmasin), unta dA polBthn
Dauto¢ (LBðuV g1r k3kainoV Yn), ´V m@n tineV Elegon, prqV g@nouV a£tÅ ¤p0rconta, ´V dB Gteroi m2llon
di@ballon, 3kmazoAsx tv TlikBk genpmenon paidik0, plQn 3llB t SeðRroV Ck mikr2V...
« Ce personnage, nommé Plautien, avait eu une jeunesse obscure (selon certains, il avait
connu l’exil pour avoir fomenté des complots et commis nombre de forfaits) ; compatriote de
Sévère, il était, comme lui, originaire de Libye. Aux dires de quelques historiens il était apparenté
à l’empereur ; mais selon d’autres, plus malveillants, il avait, dans l’épanouissement de son âge,
entretenu des rapports amoureux avec lui. »
35. Sur la préfecture des vigiles de Plautien : CIL XIV, 4380, Ostie (195 apr. J.-C.) ; voir
Robert Sablayrolles, Libertinus miles. Les cohortes de vigiles, Rome, EFR, 1996, p. 493-495, no 21. Le
1er janvier 197, Plautien est déjà préfet du prétoire : AE, 1935, 156, Rome. Ces deux inscriptions
portent des traces de martelage ; c’est bien la mention de Plautien qu’il convient de restituer.
36. La date de la mort de Plautien est fournie par le Chronicon Paschale (éd. Ludwig Dindorf,
coll. « Patrologia Graeca », 92, Paris, 1860, c. 645-646) : « PlautianoV t §patoV Csfvgh prq i3
Kaland²n FebrouaBwn / Plautianus consul ex a(nte) d(iem) XI Kalendas Februarii necatus est. »
Le Chronicon Paschale commet une erreur sur l’année en datant la mort de Plautien de 203 et non
de 205.
37. Necessarius : AE, 1903, 282, Viminacium (necessarius dominorum nnn) ; AE, 1906, 24, Bulla
Regia ([[c u praefectus praetorio et necessarius]] dominorum nostrorum imperatorum Auggg), et 25, Timgad
([[c u praefec praet et necessa(sic)]] dominorum nn[n]) ; AE, 1914, 177, Dougga ([[c u praefectus praetor ac
necessarius]] dominorum nnn,[[ socer et consocer]] Augg) et 178, Dougga ([[praef praet ac necessarius]] domino-
rum nnn Augg[[g, socer et consocer]] Augg) ; AE, 1922, 34, Ostie ([c u] socer et [consocer Augg necessarius]
domino[rum nnn imperatorum Augg]) ; AE, 1951, 228, Lepcis Magna ([[pr pr c u necessarius Auggg]]) ; AE,
1952, 83, Lepcis Magna (c. u. praef. praet. ac [ne]cessarius dominorum nostrorum ; AE, 1967,
537, Lepcis Magna ([[ [praef] praet co[nsocer e]t necessarius]] dominorum nostrorum imperatorum Auggg) ;
CIL VI, 227 (pr pr c u et necessarius [Augg]) ; CIL VI, 1074 ([c u] pontifex nobilissimus pr pr necessarius
Augg et comes per omnes expeditiones eorum) ; CIL XI, 1337, Luna (praef [praet]... ac n[ecessarius] dom[inorum
nn]) ; CIL XI, 8050 (= ILS 9003), Tuficum (cos II, adsumptus inter patr famil, necessarius dd nn
Augg) ; CIL XIII, 1681 sans doute ([praef praet c u cos II adfinis ?] dominor nn).
38. P. Columbia, 123, l. 45-49, éd. William Linn Westermann - Arthur Schiller, Apokrimata.
Decisions of Septimius Severus on Legal Matters, New York, Columbia University Press, 1954, p. 7
(... kaa ockeioV Sm²n).
L’arc des argentiers, à Rome 509

contre à partir de 201 sur les inscriptions39 ; de cette même


année 201, c’est-à-dire des fiançailles de Plautilla avec Caracalla,
date également l’apparition sur les inscriptions de la formule socer et
consocer, qui signifiait que Plautien était d’une part le (futur) beau-
père de l’empereur (Caracalla) et d’autre part le père de la (future)
bru (de Septime Sévère)40. Ce titre est attesté à plusieurs reprises
sous la forme socer et consocer Augg(ustorum duorum) ; il est régulièrement
associé à necessarius, la formule la plus fréquente étant necessarius domi-
norum nnn(ostrorum trium) Auggg(ustorum trium), socer et consocer Augg(usto-
rum duorum).
D’autres titres ont été revêtus par Plautien : sur l’inscription
romaine – CIL VI, 1074 – Plautien est paré du titre de comes per
omnes expeditiones, dont c’est là l’unique attestation. Enfin, G. di Vita
a proposé de restituer sur l’inscription lepcitaine – AE, 1967, 537 –
qui date de 200, le titre d’amicus, ce dernier étant associé à necessarius
(amicus et necessarius)41.
On sait, par ailleurs, que depuis 197 (et plus précisément,
selon F. Grosso, depuis la bataille de Lyon remportée sur Clodius
Albinus42), Plautien était clarissimus uir ; sur une inscription romaine
du 1er janvier 197, il ne porte pas encore ce titre43 ; il en est en
revanche revêtu sur une autre inscription romaine, datée du 9 juin
de la même année44 ; il pourrait, en outre, avoir bénéficié d’une
adlectio inter consulares, ce qui expliquerait pourquoi en 203, lorsqu’il
géra le consulat ordinaire avec P. Septimius Geta, frère de Septime
Sévère, il est dit cos II 45. Enfin, sur une inscription de Tuficum en

39. Adfinis : CIL III, 6075, Éphèse (adfinis domin[orum nostr]orum Augustor[um]) ; CIL V, 2821,
Patavium (adfinis impp).
40. Socer et consocer : AE, 1914, 177 ([[... praef praet ac necessarius]] dominorum nn[[n]] Augg[[g, socer
e[t] consocer]] Augg) et 178 ([[c u, praefectus praetor ac necessarius]] dominorum nnn, [[socer et consocer]] Augg),
Thugga ; AE, 1922, 34, Ostie (socer et consocer augg, necessarius dominorum nnn imperatorum Auggg).
41. Voir Michel Christol, L’épigraphie de Thugga et la carrière de Plautien, p. 137, n. 63.
Ginette Di Vita a présenté l’inscription de Lepcis dans le cadre de la journée organisée le 22 jan-
vier 2005 par les membres du programme no 4 de l’UMR 8585.
42. Fulvio Grosso, Ricerche su Plauziano e gli avvenimenti del suo tempo, Atti della Acc. Naz.
dei Lincei, ser. 8, vol. 23, 1968, p. 7-57, particulièrement p. 17-20.
43. AE, 1935, 156.
44. CIL VI, 224.
45. Fulvio Grosso, loc. cit., p. 35 et n. 150. Dans la foulée de son adlectio inter consulares, Plau-
tien obtint d’être coopté dans le collège des pontifes ; nombre de consulaires étaient, en effet,
membres de collèges sacerdotaux et Plautien pouvait difficilement ne pas l’être. Le titre est attesté
sur l’inscription romaine, CIL VI, 1074 (l. 5-6 : ... pontificis, nobilissimi pr(aefecti) pr(aetorio), necessa-
rii / Augg(ustorum) et comitis per omnes expeditiones eorum) ; voir Christophe Badel, La nobilitas dans
l’épigraphie latine impériale, MEFRA, 114, 2002, p. 969-1009, particulièrement p. 970-971 :
« ... sous Septime Sévère, le préfet du prétoire Plautien porte le titre de nobilissimus praefectus...
Beau-père de l’Auguste Caracalla, fils aîné de Septime Sévère, Plautien la doit à son lien de
parenté avec la famille impériale, à son statut de necessarius Augustorum, mentionnée aussitôt après.
Le titre de nobilissimus praefectus est donc à rapprocher de celui de nobilissimus Caesar, adopté par
510 Anne Daguet-Gagey

Ombrie, qui date au plus tôt de 20346, Plautien est mentionné en


tant qu’adsumptus inter patricias familias, ce qui constituait en quelque
sorte le couronnement de son ascension sociale. Telle est, résumée
en quelques lignes, la série des titres que Plautien s’enorgueillit de
porter peu à peu à partir de 197.
Revenons à la dédicace de l’arc des argentiers, réalisée en 204
apr. J.-C., soit à une époque où Plautien était encore tout-puissant.
G. Henzen et E. Bormann, dans l’apparat critique de l’inscription
CIL VI, 1035, avaient proposé de restituer, à la l. 5, FILIAE ⋅ P47.
FVLVI ⋅ PLAVTIANI ⋅ C ⋅ V ⋅ PONTIFICIS ⋅ NOBILISSIMI ⋅ PR ⋅ PR ⋅ COS ⋅ II ⋅
NECESSARI ⋅ ET ⋅ COMITIS ⋅ AVG. Cette proposition a ensuite été reprise
par M. Pallotino notamment. La mention du pontificat de Plautien
peut être raisonnablement envisagée, le préfet apparaissant très vrai-
semblablement sur le relief de la paroi intérieure gauche de l’arc, en
train de participer à un sacrifice, en compagnie de Plautilla et de
Caracalla (voir fig. 3) ; les éditeurs du texte se sont fondés pour cette
proposition sur l’inscription CIL VI, 1074, qui donne à Plautien les
titres de PONTIFICIS ⋅ NOBILISSIMI ⋅ PR(aefecti) ⋅ PR(aetorio). Mais, depuis
les récentes remarques de C. Badel au sujet de la nobilitas impé-
riale48, il n’est plus certain qu’il faille rapporter le qualificatif de nobi-
lissimus au pontificat de Plautien ; C. Badel, en se fondant sur le
parallèle de la titulature donnée à Géta (nobilissimus Caesar), suggère
de raccorder l’épithète à la préfecture du prétoire. Plautien pourrait
donc s’être enorgueilli d’être nobilissimus praefectus praetorio, à l’image
de Géta, nobilissimus Caesar.
Dans l’hypothèse, peu probable à notre sens, où il faudrait
renoncer à restituer le titre de pontifex, peut-être faudrait-il alors
lui substituer celui de socer et consocer Augg., qui exprime à la fois
la nature et l’étroitesse des liens unissant le préfet à la famille impé-
riale49 ; de la même façon peut-on considérer comme probable la
présence du titre necessarius, très fréquemment usité ; ce titre
convient parfaitement au contexte du monument, Plautilla et son
père apparaissant étroitement associés aux Sévères dans l’accom-
plissement de rites sacrés. Il est peu probable, en revanche, qu’il
faille restituer le titre de comes, comme l’ont proposé G. Henzen et
E. Bormann, repris par les savants qui se sont successivement inté-

l’héritier du trône impérial à la même époque [Géta]. Il s’inscrit dans le contexte de la noblesse
impériale. » Ces remarques nous semblent convaincantes ; elles n’ont qu’une incidence limitée sur
les restitutions proposées pour la dédicace de l’arc des argentiers ; voir infra, p. 511-513.
46. CIL XI, 8050 (= AE, 1894, 144 = ILS 9003).
47. Il s’agit là d’une erreur, le prénom de Plautien étant Caius.
48. Voir supra, n. 44, p. 509.
49. Voir infra, p. 512, nos réserves quant au bien-fondé de cette restitution.
L’arc des argentiers, à Rome 511

ressés à cette inscription50. En 204, en effet, les empereurs et leur


entourage résidaient depuis deux ans à Rome et aucun déplacement
lointain n’était envisagé. Certes, on pourrait nous rétorquer
qu’en 203, sur l’inscription romaine CIL VI, 1074, évoquée plus
haut, Plautien est salué en qualité de comes per omnes expeditiones
eorum ; mais, à cette date, les derniers déplacements des Sévères
effectués à l’intérieur ou hors des frontières de l’empire relevaient
d’un passé récent. Tel n’était plus le cas en 204.
Pour en revenir à l’inscription de l’arc des argentiers, il faut
admettre qu’il n’y avait guère de raison de donner à Plautien,
en 204, ce titre de comes, évocateur de pérégrinations à travers
l’empire. C’est pourquoi il nous semble préférable d’y renoncer et
de lui substituer par exemple celui d’amicus, qui conviendrait davan-
tage ; la formule amicus et necessarius est d’ailleurs attestée selon toute
vraisemblance sur l’inscription lepcitaine mentionnée ci-dessus.
On peut tenter, à présent, de restituer l’inscription dédicatoire
de l’arc des argentiers telle qu’elle fut conçue par les dédicants et
gravée par les lapicides ; nous formulons ci-après plusieurs proposi-
tions, qui présentent différentes combinaisons de titres possibles ;
toutes ne vont pas sans poser de problèmes.
Proposition a) Imp(eratori) Caes(ari) L(ucio) Septimio Seuero Pio
Pertinaci Aug(usto), Arabic(o), Adiabenic(o), Part(hico) Max(imo)
Fortissimo Felicissimo, / Pontif(ico) Max(imo), trib(unicia) potest(ate)
(hedera) XII, Imp(eratori) XI, co(n)s(uli) (hedera) III, patri patriae
et / Imp(eratori) Caes(ari) M(arco) Aurelio Antonino Pio Felici
Aug(usto), trib(unicia) potest(ate) VII, co(n)s(uli) et P(ublio) Septimio
Getae, nobilissimo Caes(ari) et / Iuliae Aug(ustae) matri Augg(ustorum
duorum) et Fuluiae Plautillae Aug(ustae) Imp(eratoris) Caes(aris) M(arci)
Aureli Antonini Pii Felicis Aug(usti), / filiae C(ai) Fului Plautiani,
c(larissimi) u(iri), pontificis, nobilissimi praef(ecti) praet(orio), co(n)s(ulis) II,
amici et necessari Augg, / argentari et negotiantes boari huius loci qui
inuehent, deuoti numini eorum.
Les passages martelés sont indiqués en italiques. À la l. 5, on peut rai-
sonnablement restituer entre quatre-vingts et quatre-vingt-cinq lettres
environ. Les restitutions des noms et titres de Plautien, sous cette
forme, comportent soixante-dix-neuf lettres (en maintenant le qualifica-
tif de nobilissimus et en supposant que pontificis était en toutes lettres, ce
qui n’est pas le cas pour la mention du grand pontificat de Septime
Sévère, l. 1). Nous ponctuons la formule pontificis, nobilissimi praef. praet.
en suivant C. Badel.
50. C’est ce que font notamment Jean-Pierre Waltzing, Les corporations professionnelles chez les
Romains, t. III, p. 198 ; Massimo Pallottino, L’Arco degli Argentari, p. 33 ; Attilio Mastino, Annali della
Facultà di Lettere di Cagliari, N. SL II, 39, 1978-1979 [1981], p. 67-68.
512 Anne Daguet-Gagey

Cette proposition est, avec la proposition c), celle qui a notre préfé-
rence. Elle combine le titre de pontife et les liens d’étroite amitié unis-
sant Plautien aux Sévères.
Proposition b) Imp(eratori) Caes(ari) L(ucio) Septimio Seuero Pio
Pertinaci Aug(usto), Arabic(o), Adiabenic(o), Part(hico) Max(imo)
Fortissimo Felicissimo, / Pontif(ico) Max(imo), trib(unicia) potest(ate)
(hedera) XII, Imp(eratori) XI, co(n)s(uli) (hedera) III, patri patriae
et / Imp(eratori) Caes(ari) M(arco) Aurelio Antonino Pio Felici
Aug(usto), trib(unicia) potest(ate) VII, co(n)s(uli) et P(ublio) Septimio
Getae, nobilissimo Caes(ari) et / Iuliae Aug(ustae) matri Augg(ustorum
duorum) et Fuluiae Plautillae Aug(ustae) Imp(eratoris) Caes(aris) M(arci)
Aureli Antonini Pii Felicis Aug(usti), / filiae C(ai) Fului Plautiani,
c(larissimi) u(iri), pr(aefecti) pr(aetorio), co(n)s(ulis) II, soceri et consoceri Augg,
amici et necessari dominorum nn(ostrorum duorum), / argentari et negotian-
tes boari huius loci qui inuehent, deuoti numini eorum.
Les restitutions de la l. 5 comportent quatre-vingts lettres, ce qui semble
être un maximum. La mention du pontificat de Plautien disparaît, ce
qui pose problème vu l’esprit du monument et les reliefs intérieurs de la
baie. On peut se demander si la formule socer et consocer est à retenir,
dans la mesure où les liens de parenté unissant Plautien aux Sévères
sont sous-entendus à la ligne précédente par la mention de Plautilla,
femme de Caracalla et, par conséquent, belle-fille de Septime Sévère.
Proposition c) Imp(eratori) Caes(ari) L(ucio) Septimio Seuero Pio
Pertinaci Aug(usto), Arabic(o), Adiabenic(o), Part(hico) Max(imo)
Fortissimo Felicissimo, / Pontif(ico) Max(imo), trib(unicia) potest(ate)
(hedera) XII, Imp(eratori) XI, co(n)s(uli) (hedera) III, patri patriae
et / Imp(eratori) Caes(ari) M(arco) Aurelio Antonino Pio Felici
Aug(usto), trib(unicia) potest(ate) VII, co(n)s(uli) et P(ublio) Septimio
Getae, nobilissimo Caes(ari) et / Iuliae Aug(ustae) matri Augg(ustorum
duorum) et Fuluiae Plautillae Aug(ustae) Imp(eratoris) Caes(aris) M(arci)
Aureli Antonini Pii Felicis Aug(usti), / filiae C(ai) Fului Plautiani,
c(larissimi) u(iri), pontif(icis), nobil(issimi) pr(aefecti) pr(aetorio), co(n)s(u-
lis) II, soceri et consoceri Augg, necessari ddd(ominorum) nnn(ostrorum
trium), / argentari et negotiantes boari huius loci qui inuehent,
deuoti numini eorum.
Cette formule comporte soixante-dix-neuf lettres ; elle fait disparaître le
titre d’amicus et reproduit la titulature la plus fréquemment attestée,
tout en maintenant le titre de pontife.
Proposition d) Imp(eratori) Caes(ari) L(ucio) Septimio Seuero Pio
Pertinaci Aug(usto), Arabic(o), Adiabenic(o), Part(hico) Max(imo)
Fortissimo Felicissimo, / Pontif(ico) Max(imo), trib(unicia) potest(ate)
(hedera) XII, Imp(eratori) XI, co(n)s(uli) (hedera) III, patri patriae
L’arc des argentiers, à Rome 513

et / Imp(eratori) Caes(ari) M(arco) Aurelio Antonino Pio Felici


Aug(usto), trib(unicia) potest(ate) VII, co(n)s(uli) et P(ublio) Septimio
Getae, nobilissimo Caes(ari) et / Iuliae Aug(ustae) matri Augg(usto-
rum duorum) et Fuluiae Plautillae Aug(ustae) Imp(eratoris) Caes(aris)
M(arci) Aureli Antonini Pii Felicis Aug(usti), / filiae C(ai) Fului Plau-
tiani, c(larissimi) u(iri), pontif(icis) nobil(issimi) pr(aefecti) pr(aetorio),
co(n)s(ulis) II, soceri et consoceri Augg, amici et necessari ddd(ominorum)
nnn(ostrorum trium), / argentari et negotiantes boari huius loci qui
inuehent, deuoti numini eorum.
Les restitutions comportent, à la l. 5, quatre-vingt-quatre lettres, ce
qui paraît légèrement excessif. Cette formule présente l’inconvénient
d’alourdir exagérément la titulature de Plautien. Sur aucune autre ins-
cription, en effet, on ne trouve une telle abondance de titres. Cette
proposition ne doit, selon toute vraisemblance, pas être retenue.
Quelle que soit, en définitive, la formule exacte, on constate
qu’en 204 les négociants en viande bovine et les argentiers du Forum
Boarium crurent bon d’exalter l’harmonie (toute de façade) qui
régnait au sein de la famille sévérienne ; la mention de Plautilla et
de Plautien sous cette forme très développée prouve qu’à cette date
le préfet était encore tout-puissant et qu’il était exclu de l’omettre
des dédicaces officielles. La chute de Plautien étant survenue le
22 janvier 205, il est probable que son étoile aura commencé à pâlir
dans le courant de l’année 204 ; mais tel n’était apparemment pas
encore le cas lorsque l’inscription de l’arc fut gravée et mise en
place, sans quoi on aurait assurément accordé moins d’importance
au préfet et à sa fille ; cette remarque incite à dater la dédicace (et,
partant, l’inauguration du monument) du premier semestre 204 ; or,
à la fin du mois de mai et au début du mois de juin de cette même
année, les Romains, avec en tête l’ensemble de la famille impériale
(Plautien et Plautilla compris), célébrèrent les jeux séculaires men-
tionnés plus haut51, rites sacrés enrichis de ludi scaenici destinés à
marquer l’avènement d’un nouveau siècle. Les scènes représentées
sur les parois intérieures de l’arc reproduisent précisément des sacri-
fices, accomplis par les différents membres de la domus Seueriana (voir
fig. 2-3)52 : sur le côté droit, Septime Sévère sacrifie, en présence de

51. Voir supra, p. 500. Voir infra, n. 58, p. 514, l’opinion contraire de M. Pallottino.
52. Sur les reliefs, voir en dernier lieu Barbara Tasser, Forma Urbis, 1999, fasc. 9, p. 24-26. On
observera que, sur le relief intérieur droit, Septime Sévère accomplit un sacrifice, capite uelato, selon le
rite romain par conséquent. Or les sacrifices accomplis dans le cadre des jeux séculaires étaient célé-
brés selon le rite grec (John Scheid, Quand faire, c’est croire, p. 19). Cette scène ne pourrait donc pas se
rapporter directement aux ludi saeculares ; M. Pallottino a cependant observé que, sur les monnaies
émises à l’occasion des jeux séculaires, l’empereur est représenté capite uelato. L’argument n’est donc
pas probant. Sur le panneau de gauche, Caracalla sacrifie tête nue, comme le prescrivait le rite grec ;
514 Anne Daguet-Gagey

Julia Domna et d’un personnage qui a disparu, après avoir été déli-
bérément effacé ; il pourrait s’agir de Géta53 ; sur le côté gauche, un
relief similaire met en scène Caracalla, accompagné de deux person-
nages, eux aussi effacés, dont on pense qu’ils pourraient être Plau-
tilla et Plautien54. C’est bien l’ensemble de la famille impériale qui
aurait été ainsi représentée dans l’exaltation de sa pietas et, secondai-
rement, de sa concordia55. Reliefs et inscription semblent donc parler
à l’unisson. Ces remarques n’impliquent pourtant pas qu’il faille
voir dans l’arc des argentiers la version figurée du protocole, en
partie conservé, des jeux de 20456. J. Gagé a jadis émis l’hypothèse
selon laquelle l’arc des argentiers pourrait avoir été inauguré à
l’occasion des ludi saeculares de 204 apr. J.-C57. Si les reliefs des parois
internes de la baie n’imposent pas cette conclusion, il reste que les
grandes festivités qui débutèrent dans la nuit du 31 mai 204 ont pu
constituer une occasion rêvée d’exalter la pietas et la concordia des
princes, auxquelles venait s’ajouter la uirtus liée à leurs récents succès
militaires58.

mais, comme le rappelle encore J. Scheid (op. cit., p. 92), « la règle du sacrifice tête découverte ne
constitue pas une preuve suffisante pour postuler une origine grecque, car elle existait dans d’autres
vieux cultes romains », tels que Mars, Honos et Saturne. On ne peut donc affirmer que les reliefs de
l’arc des argentiers offrent une version figurée de certaines des célébrations accomplies dans le cadre
des jeux séculaires. Il est certainement préférable de considérer que ces reliefs exaltent plus large-
ment la pietas de chacun des membres de la domus Seueriana, la représentation des deux scènes de sacri-
fice, l’une – celle de droite – ritu Romano, l’autre vraisemblablement ritu Graeco, étant une évocation
des différents rites susceptibles d’être adoptés. Le contexte des jeux séculaires, célébrés en 204, se prê-
tait merveilleusement à une telle exaltation. Outre la pietas, d’autres reliefs de l’arc des argentiers (voir
infra, fig. 4) célébraient plus particulièrement la uirtus des princes, rentrés d’Orient couverts de lau-
riers et d’acclamations impériales. Pietas et uirtus sont avec la iustitia et la clementia deux des quatre
grandes vertus impériales ; ce sont celles qui figuraient sur le clipeus uirtutis offert en 27 av. J.-C. à
Auguste ; les argentiers et les negotiantes du Forum Boarium auront retenu celles qui convenaient le
mieux aux premiers Sévères ; ce sont celles que les grandes célébrations des années 202-204 avaient
choisi d’exalter. Cf. Robert Turcan, L’art romain dans l’histoire. Six siècles d’expression de la romanité, Paris,
Flammarion, 1995, p. 267 : « Les souverains sacrifiants sont en somme magnifiés en donnant
l’exemple d’une dévotion qui les déifie au regard des changeurs et marchands de bœufs, “dévoués”
eux-mêmes à leur numen. Sur ce monument se conjuguent donc deux fonctions de l’art impérial : glo-
rification de la victoire romaine grâce à l’appui des dieux, exaltation des charismes de l’empereur et
de sa maison, sorte de mystique augustale en image et par l’image. »
53. Massimo Pallotino, L’Arco degli Argentari, p. 80.
54. Ibid., p. 81.
55. Sur l’exaltation de la concordia impériale, voir Attilio Mastino, Annali della Facultà di Lettere
di Cagliari, N. SL II, 39, 1978-1979 [1981], p. 57-59.
56. Voir Giovanni Battista Pighi, De ludis saecularibus, p. 140-175 ; John Scheid, Quand faire,
c’est croire, p. 306-314.
57. Hypothèse formulée dans MEFR, 51, 1934, p. 60-61 et qui a été reprise ensuite par Mas-
simo Pallotino (L’Arco degli Argentari, p. 34 et p. 100 et s.). Cette idée a été, en revanche, contestée
par Gilbert-Charles Picard, Origine et sens des reliefs sacrificiels de l’arc des argentiers, Hommages
à Albert Grenier, éd. M. Renard, Bruxelles, Latomus, 1962, p. 1254-1260, particulièrement p. 1260.
58. Massimo Pallotino, L’Arco degli Argentari, p. 101-103. Pour cet auteur (p. 101), l’arc aurait
été érigé après la célébration des jeux séculaires ; il faudrait alors en conclure que la disgrâce de
Plautien a été rapide. En réalité, rien ne permet de justifier une telle opinion ; il est probable que
l’édification du monument avait commencé avant l’ouverture des cérémonies de 204.
L’arc des argentiers, à Rome 515

Quelques mois plus tard, cependant, la roue de la fortune ayant


brutalement tourné et la concordia volé en éclats, Plautien mourait
assassiné, sur ordre de son gendre et sans que son parent Septime
Sévère ait pu empêcher ce meurtre ; quant à Plautilla, elle
s’apprêtait à purger sept ans d’exil, répudiée par son époux qui
n’hésiterait pas à la faire définitivement disparaître quelques années
plus tard59.

Anne Daguet-Gagey est maître de conférences à l’Université Paris VIII -


Saint-Denis. Elle a soutenu et publié une thèse de doctorat sur les travaux
publics à Rome (Les opera publica à Rome, 180-305 apr. J.-C., Paris, Études
augustiniennes, 1997). Elle a publié également une biographie de Septime
Sévère (Septime Sévère. Rome, l’Afrique et l’Orient, Paris, Payot, 2000) et travaille
actuellement sur l’administration de la ville de Rome et plus particulièrement
sur l’édilité (Ier siècle av. J.-C. - IIIe siècle apr. J.-C.).

RÉSUMÉ

L’arc dit des argentiers, élevé à Rome sur le Forum Boarium, fut offert en 204
à l’empereur Septime Sévère et aux membres de sa famille. L’inscription de
l’architrave (CIL VI, 1035 = 31232 = ILS 426) porte la trace des martelages des noms
de Géta, fils cadet de l’empereur, de Plautien, préfet du prétoire entre 197 et 205, et
de Plautilla, sa fille, par ailleurs épouse de Caracalla. L’auteur revient sur certaines
des restitutions jadis proposées par les éditeurs du CIL, suggère de renoncer au titre
de comes prêté à Plautien et de lui préférer un titre témoignant de l’étroitesse des
liens unissant le préfet du prétoire à la famille impériale. La dédicace prouve que, au
moment de sa gravure, Plautien et sa fille avaient encore les faveurs des empereurs.
Cette remarque incite à dater l’inauguration du monument du premier semestre de
l’année 204.

Mots clés : Rome, Septime Sévère, arc des argentiers, titulatures martelées,
Plautien.

ABSTRACT

The Arcus argentariorum, built in Rome on the Forum Boarium, was offered in
204 AD to the emperor Septimius Severus and the members of his family. The names
of Geta, the youngest son of the emperor, of Plautianus, the pretorian prefect be-
tween 197 and 205, as well as Plautilla, his daughter and spouse of Caracalla, are
hammered on the inscription of the architrave. The author is revisiting a few restitu-

59. Dion Cassius, 78, 1, 1. Voir Attilio Mastino, Annali della Facultà di Lettere di Cagliari,
N. SL II, 39, 1978-1979 [1981], p. 66 ; l’auteur pense que Plautilla fut mise à mort juste après la
mort de Septime Sévère plutôt qu’en 212.
516 Anne Daguet-Gagey

tions proposed a long time ago by the editors of CIL. She suggests to renounce to the
title of comes granted to Plautianus in favour of a title illustrating the tight links be-
tween the pretorian prefect and the imperial family. The dedication proves that,
when engraved, Plautianus and his daughter were still supported by the emperors.
This remark conduces to date the inauguration of the monument around the first
semester of the year 204.

Key words : Rome, Septimius Severus, arcus argentariorum, hammered titulatu-


res, Plantianus..
Fig. 1. — L’arc des argentiers du Forum Boarium (clichés A. D.-G.)

Fig. 2. — Paroi interne : relief droit


Fig. 3. — Paroi interne : relief gauche

Fig. 4. — Côté extérieur gauche : soldats romains et prisonnier barbare


Fig. 5. — Emplacement des reliefs

Fig. 6. — CIL VI, 1035 (= 31232 = ILS 426)

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