Les Français en Guyane (7e (... ) Gros Jules bpt6k206930v

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Les français en Guyane (7e

éd.) / par Jules Gros,... ; ill.


par P. Hercouët et Bassan

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Gros, Jules (1829-1891). Auteur du texte. Les français en Guyane
(7e éd.) / par Jules Gros,... ; ill. par P. Hercouët et Bassan. 1887.

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LES FRANÇAIS

EN GUYANE

9~ Série.
t. Passage d'un rapide en Guyane
COLLECTION PICARD

BIBLIOTHÈQUE COLONIALE ET DE VOYAGES

LES FRANÇAIS
EN GUYANE
PAR

Jules GROS
ANOBN SECRÉTAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE GEOGRAPHIE COMMERCIALE

Illustrations par P. Hercouët et Bassan


SEPTIÈME ÉDITION

PARIS
Librairie d'Éducation nation ale
ALCIDE PICARD, ÉDITEUR
l8ET20,RUESOUFFLOT.
n'fVMGE ADOPTÉ

tAt LE MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBU~M

POUR LES BIBLIOTHÈQUES SCOLAIRES

PAZ LE MINISTÈRB DE LA MARINE POUR LES BIBLIOTHÈQUES

DE LA MARINE

ET PAR LA VILLE DE PARIS POUR LES BIBLIOTHÈQUES MUNICIPALES

ET LES D)STR)BUT!OMS DE PtUX


PRÉFACE

Mon cher Gros,

Vous m'avez demandé l'autorisation de vous servir


des divers articles que j'ai publiés dans les Revues
scientifiques pour la confection de votre ouvrage sur
les F~M~M'J en Guyane.
Vous m'avez mis contribution, je vous en remercie.
Ce n'est pas seulement un plaisir pour moi, mais
encore un honneur, que de m'être vu utilisé et vulga-
risé par le vétéran des publicistes coloniaux.
Laissez-moi encore et vous remercier et vous féliciter
de la passion patriotique avec laquelle vous avez traité
ce noble et grand sujet de Guyane.
La Guyane française, l'ancienne France équinoxiale,
le pays actuel de l'or et des bois précieux, méritait pour
une utile présentation une vieille~ plume loyale, savante,
probe et enthousiaste comme la vôtre.
Ah sans doute, un jour l'attention de la France sera
dirigée du côté de cet antique territoire national, si
merveilleusement riche, si admirablement situé, si fécond,
n'en doutons pas, dans un avenir prochain en heureuses
surprises de tout genre.
La Guyane française, dans ses limites officielles ac-
tuelles peut nourrir quinze millions d'hommes d'ici
cent ans, son commerce pourrait s'élever à plusieurs mil-
liards, le paupérisme métropolitain trouverait dans cette
terre calomniée un de ses principaux déversoirs.
J'ai dit calomniée. Oui, on l'a calomniée, notre chère
Guyane française. Sans doute, elle a dans son passé, et
même encore dans son présent, des choses qui attristent
notre cœur de patriote. Cependant ces ignorants détrac-
teurs n'insistent que sur un seul point la Guyane fran-
çaise disent-ils, est le tombeau des Français. Hélas 1

cher et vénéré confrère, que ne disent point les voyageurs


et les savants en chambre ? Le même aphorisme nous a
été servi à propos de l'Algérie, il y a cinquante ans.
Et aujourd'hui nous voyons tous clairement que l'Algérie
constitue un des plus beaux titres de gloire de notre
France du dix-neuvième siècle.
Et encore, dans notre Guyane, il ne s'agit point d'ex-
péditions armées. Il ne s'agit que d'y lutter contre divers
adversaires, dont un seul, injustement d'ailleurs, a été
mis en relief: le climat.
Eh bien ce climat tant calomnie est assurément bien
meilleur pour l'Européen, vous le savez, on le saura,
que la plupart des autres climats coloniaux, la
mortalité en fait foi, ceux des Antilles, du Sénégal,
de Madagascar, de l'Indo-Chine. En s'y soumettant aux
saines conditions économiques, en y observant l'hygiène
appropriée, l'émigrant français y vit et s'acclimate. j
Et moi-même, récemment arrivé de la Guyane litto-
rale et des déserts intérieurs, après avoir passé cinquante-
deux mois, dont vingt-six en mission scientifique entre
Cayenne et les Andes, peu vieilli, je n'ai plus à cette
heure, qu'une seule ardeur l'enthousiasme du retour
dans ces séduisantes régions de la France équinoxiale.
Mon cher Gros, merci et félicitations. Vous voulez
bien combattre avec moi le bon combat, apprenez à nos
lecteurs que la France n'est pas seulement entre les Pyré-
nées et le Rhin. La France d'outre France est une des
grandes espérances de l'avenir national.
A vous toujours dans cette noble lutte poui l'extério-
risation.
Votre fraternellement dévoué,
Henri A. COUDREAU.

PMU, t" février t~S?.


LES FRANCAIS
EN GUYANE

1.

GÉOGRAPHIE PHYSIQUE DES GUYANES.


LES ÉTABLISSEMENFS PÉNITENCIERS.

La Guyane proprement dite, ou plutôt les


Guyanes, comprennent toutes les rives nord-est
de l'Amérique du Sud et les pays enclavés entre
l'Orénoque et la rivière des Amazones.
Ce vaste territoire, environné par l'Orénoque
d'une part, le Cassiquiare, qui met ce fleuve en
communication avec le Rio Negro, affluent de
l'Amazone, forme une ile de 225 lieues du nord au
sud, sur 325 lieues de l'est à l'ouest. Il est sillonné
par un millier de rivières qui le coupent dans tous
les sens.
Situées au nord de l'équateur, les Guyanes
jouissent d'une température fort chaude que raira!-
chissent pourtant d'immenses forêts. Les jours y
sont sensiblement égaux aux nuits. La plus grande
variation dans les levers et les couchers du soleil
est de 40 minutes. On y compte deux saisons,
l'une sèche, l'autre pluvieuse.
Les principaux cours d'eau qui arrosent cette
vaste région et se rendent directement à la mer
sont l'Orénoque au nord, le Rio Essequibo, le
Surinam, le Maroni, la Mana, le Sinnamary,
l'Orapu, le Matarouni, -l'Approuague, l'Oyapock,
l'Ouassa, !eCachipour, le Counani, le Carsevenne,
le Mapa-Grande, l'Araguary et l'Amazone qui
forme la limite sud des Guyanes.
Les montagnes des Guyanes sont encore peu
définies, car elles se trouvent généralement assez
loin dans les terres et ont été peu ou pas du tout
explorées.
Les Guyanes se divisent, en partant du nord, en
Guyane vénézuélienne, Guyane anglaise, Guyane
hollandaise, Guyane française et Guyane indépen-
dante.
C'est de la Guyane française que nous allons
d'abord nous occuper spécialement, puis nous
dirons un mot de la Guyane indépendante, qu'on
a appelée longtemps les territoires contestés, parce
que la France et le Brésil s'en disputaient la posses-
sion. Aujourd'hui les habitants de ce pays se sont
déclarés indépendants et sont en train de fonder
une république.

La Guyane française est comprise entre le Maroni


au nord, qui la sépare de la Guyane hollandaise,
i'Oyapock au sud, qui la sépare de la Guyane
indépendante, l'Océan à l'est. Quant à l'ouest, sa
limite est tout à fait indéterminée.
Le territoire de la Guyane se divise en terres
hautes et en terres basses. Les terres hautes com-
mencent aux points où se rencontrent les pre-
mières chutes des rivières. Les terres basses vont
de ces points jusqu'à la mer.
Les terres basses, composées de terres d'allu-
vion, sont..tantôt des terres sèches susceptibles
d'être cultivées, tantôt des terres noyées appelées
savanes, et couvertes généralement de marais.
Cette partie découverte de la Guyane est la seule
qui soit bien connue.
Quand on s'éloigne de la côte d'une trentaine
de kilomètres, en moyenne, on rencontre la région
de la forêt vierge qui s'étend au loin dans l'inté-
rieur et qui, jusqu'ici, a été à peu près infranchis-
sable. Les habitants nomment cette portion du
territoire le Grand-bois.
Le regretté docteur Crevaux, l'explorateur de
la Guyane, qui a été massacré plus tard par les In-
diens Tobas du Grand-Chaco, sur les rives du
fleuve Pilcomayo, peint en ces termes la forêt
vierge.
« La Guyane, dit-il, est recouverte d'une im-
mense forêt qui généralement n'est interrompue
que par des cours d'eau et de rares éclaircies dans
les endrQits où le sol n'est pas assez fertile pour
nourrir des arbres.
» Peu de personnes se font une idée exacte de.
la forêt équatoriale. Les dessinateurs et les roman-
ciers ont habitué le public à voir dans ces forêts.
des palmiers sans nombre, des arbres aux formes.
bizarres, recouverts de parasites et entremêlés de
lianes courant de'branche en branche comme des.
cordages aux mâts d'un navire.
» Cette description n'est guère vraie que pour
les petites iles de la côte des Guyanes et pour les.
bords des rivières près de leur embouchure.
» La forêt vierge se présente sous un aspect froid
et sévère. Mille colonnades, ayant de trente-cinq &
quarante mètres de haut, s'élèvent au-dessus de vos.
têtes pour supporter un massif de verdure, qui
intercepte presque complètement les rayons du
soleil. A vos pieds vous ne voyez pas un brin
d'herbe, à peine quelques arbres grêles et élan-
cés, pressés d'atteindre la hauteur de leurs voisins.
pour partager l'air et la lumière qui leur man-
quent.
» Souvent ces colonnades, trop faibles pour
résister aux tempêtes, sont soutenues par des
espèces d'arcs-boutants ou béquilles~ comparables.
à celles des monuments gothiques et qu'on désigne
sou~ le nom d'arcabas.
» Sur le sol, à part quelques fougères et d'autres
plantes sans fleurs, gisent des feuilles et des branches
mortes recouvertes de moisissures. L'air manque.
« On y sent la /t~re/ me disait un de mes
compagnons. La vie paraît avoir quitté la terre'
pour se transporter dans les hauteurs, sur le massif
de verdure qui forme le dôme de cette immense
cathédrale.
» C'est à cette hauteur de quarante mètres que
l'on voit courir les singes; c'est de là que partent
les chants de milliers d'oiseaux aux plumages les
plus riches et les plus variés.
» Au niveau des cours d'eau, la végétation perd
de sa sévérité pour gagner en élégance et en'pitto-
resque. Ici le soleil est le privilège des plus grands
arbres, qui s'élancent au-devant de lui, mais les
plus petits trouvent aussi leur part de chaleur et
de lumière. Les herbes, les arbrisseaux, prenant
tout leur développement, sont couverts de fleurs et
de fruits aux couleurs éclatantes. Le hideux
champignon, l'obscure fougère font place à des
plantes aux feuilles riches en couleurs, aux fleurs
élégantes. Des lianes s'élèvent du sol jusqu'au
sommet des plus grands arbres, en prenant des
points d'appui sur les arbrisseaux qu'elles rencon-
trent. Ce sont des traits d'union entre les grands
et les petits. La lumière, également partagée,
engendre l'harmonie, non seulement dans le règne
végétal, mais encore dans le règne animal. Là-bas
c'est la bête fauve et le hideux crapaud; ici ce
sont les animaux de toute espèce qui viennent
partager, tous ensemble, les bienfaits de la na-
ture (l). »
M. Henri Coudreau qui, lui aussi, a parcouru les
Guyanes et pénétré dans l'intérieur, avec une
mission scientifique officielle, parle en ces termes
de l'aspect général de notre colonie.
« La Guyane française, dit-il, est une immense
forêt bordée du côté de la mer par une vaste bande
de terres alluvionnaires, large le plus souvent de
!j, à-20 kilomètres. Son étendue incontestée dépasse
t2ocoo kilomètres carrés. Sa population totale est
tout au plus de 23 ooo habitants, et aujourd'hui,
c'est à peine si on trouve, sur la côte et aux envi-
rons, quelques défrichements el quelques bandes
de savanes plus ou moins entretenues.
» Presque partout règne la forêt vierge. Mais
cette forêt, qui n'attend que la main de l'homme,
est prodigue sous les Tropiques. La Guyane peut
aisément devenir un des plus riches pays du globe
(i) Fo)'~M dans r~M'n'~Me ~M~xJ, par le docteur J. Cre-
vaux. Paris, Hachette.
Passage d'une chute.
où abonderont les exploitations forestières, pasto-
rales, agricoles et minières. Comme l'a dit si jus-
tement Saint-Amant: « Si la Guyane, au dieu*.
» d'être une vieille terre, était une découverte'
M
moderne, on s'y précipiterait avec fureur. »
D'ailleurs, cette vieille terre est aujourd'hui encore
aussi peu connue qu'au jour où Pinçon la dé-
couvrit (!). »
Les fleuves qui traversent la forêt vierge et qui
arrosent la Guyane coulent tous à peu près parallè-
lement et se dirigent perpendiculairement vers la.
mer. Un grand nombre de petites rivières nommées.
cn~HM les relient entre eux. Nous avons déjà cité-
les noms des principaux de ces cours d'eau dont le-
plus important est le Maroni, qui sépare la Guyane
française de la Guyane hollandaise. Plusieurs -au--
teurs le comparent au Rhin.
Ce vaste cours d'eau n?a pas moins de 12
!~oo mètres de large jusqu'à vingt lieues de son
embouchure. Comme tous les fleuves de la Guyane
française, le Maroni n'est navigable pour les ba-
teaux à vapeur que jusqu'à une quinzaine de
lieues de son embouchure. En ce point, les cours
d'eau sont encombrés de roches qui forment des
rapides ou des chutes infranchissables.
(i) H. Coudreau, ~GM~rdM~tJe. Challainel, éditeur
à Paris.
« Les sauts, dit M. Vidal, établissent une série
de bassins .dont ils constituent eux-mêmes les
digues de retenue. Le courant, d'une rapidité ver-
tigineuse dans les sauts, est faible et quelquefois
presque nul entre deux de ces obstacles. C'est
grâce à ce régime tout à fait spécial aux rivières
de la Guyane que le Maroni peut retenir ses eaux
malgré la pente sensible et disproportionnelle
qu'offre le profil de son lit (i). ».
Dans son excellent ouvrage Nos Grandes Colo-
nies (2), M. Fernand Hue décrit ainsi l'embou-
chure du Maroni
c<
Vers son embouchure, dit-il, le Maroni reçoit
plusieurs petites criques, qui ne sont, à propre-
ment parler, que des bras de neuve, formant des
îles de palétuviers noyées à la haute mer; ce n'est
guère qu'à une vingtaine de milles que le sol se
raffermit et permet la culture sans nécessiter un
travail de drainage et de dessèchement.
» En venant du large, la montagne Gros-bois et
la Pointe française servent à reconnaître l'entrée
du neuve. Outre ces deux points très remarquables.
sur la côte, on a placé deux phares, celui de Galibi
sur la rive hollandaise et celui des Haltes sur le
(i) Vidal, Voyage d'exploration dans le Haut-Maroni (Revue
Marth'Mte et Co~MM~, 1862).
(2) Lecène et Oudin, éditeurs à Paris.
Embouchnre du Maroni.
territoire français. Deux grosses, bouées, mouillées
entre deux bancs très dangereux, indiquent le
chenal.
» En remontant le cours du fleuve, on ren-
contre d'abord le village des Haltes, puis le péni-
tencier de Saint-Laurent. Viennent ensuite l'ancien
pénitencier de Saint-Louis et le chantier forestier
de Sparvine, autrefois exploité pour le compte du
gouvernement par les transportés et maintenant
concédé à une société privée.
» Entre Saint-Laurent et la crique Sparvine se
trouve l'ile Portal ou de Bar, admirablement cul-
tivée on y voit des.plantations de café, de canne
à sucre, et des prairies artificielles pour l'élève du
bétail. Cette exploitation est l'œuvre de trois
Français, trois frères, qui sont fixés là depuis
vingt ans. Notons encore l'habitation Lalanne,.
également à Sparvine, et l'habitation Tollinche,
située un peu plus haut. Autour de la demeure de
M. Tollinche s'élèvent quelques misérables car-
bets servant d'asile à des Indiens Gallibis qui
vivent du commerce des boîtes de fer-blanc (boîtes
de conserves), qu'ils vendent aux ouvriers remon-
tant les criques pour gagner les placers. Quelques
milles après Sparvine, on rencontre le premier saut
du Maroni, le saut Hermina (i). »
(i) Nos GraH~M Colonies, par M. Fernand Hue.
Nous emprunterons encore au même auteur (on
n'emprunte qu'aux riches) la description du fleuve
Oyapock qui sépare la Guyane française des pays
indépendants et qui est, après le Maroni, le fleuve
le plus important de la colonie.
« Comme le Maroni, l'Oyapock est fermé par
une infinité de criques qui descendent des monts
Tumuc-Humac et se réunissent à quelques lieues
de leurs sources. Son cours est de 496 kilomètres
en comptant les détours. Malgré son peu de lon-
gueur, l'Oyapock a un débit d'eau bien plus consi-
dérable que le Rhône et la Loire. Le docteur
Crevaux attribue ce phénomène à l'abondance des
pluies et à l'imperméabilité du sol argileux qui
constitue ses berges et son lit.
» Le fleuve débouche dans une vaste baie, large
de 13 milles environ, dont les extrémités sont for-
mées par le cap d'Orange et la montagne d'Ar-
gent. Cette dernière doit son nom à la grande
quantité de bois-canon dont elle est couverte; le
feuillage blanc de cet arbre, agité par la brise,
ressemble, surtout aux premières lueurs du jour,
à des lames d'argent. D'après une autre version,
la montagne d'Argent tirerait son nom d'une mine
que l'on prétend y être et que les Hollandais, du
temps qu'ils s'étaient emparés de la colonie, avaient
fait fouiller.
» Dans la baie de l'Oyapock s'élèvent trois îles
niot Perroquet, l'ilot Biche et l'Mot Humina.
» En remontant le cours de l'Oyapock, on ren-
contre le petit village de Malouet sur le pays
indépendant, puis la rivière Gabaret sur la rive
gauche. On passe ensuite devant le pénitencier de
Saint-Georges, abandonné depuis 1869; un peu
plus haut, à un coude de la rivière, sur des roches
cachées sous les eaux, a sombré, il y a vingt ans,
le vapeur de guerre l'Éridan. Sa coque en tôle
d'acier a fourni des pointes de flèches, des fers de
lances et des harpons à tous les Indiens de la
contrée. Quelques centaines de mètres plus loin
s'élève l'île de Casfesoca, qui fut le théâtre d'un
sombre drame où nous n'eûmes pas le beau rôle,
mais que nous croyons cependant devoir raconter.
» Les Bonis, nègres évadés des possessions hol-
landaises, s'étaient fait, pendant la guerre qu'ils
soutinrent contre leurs anciens maîtres, une ter-
rible réputation de barbarie et de cruauté. Ils
cherchaient à entrer en relations avec nous pour
se procurer des produits européens; quelques-uns
même s'étaient établis non loin de l'Ile. Les colons,
effrayés de ce voisinage, demandèrent au gouver-
neur la création d'un poste sur l'îlot pour les
protéger contre les incursions probables des noirs.
Le poste fut accordé.
N A quelque temps de là les Bonis vinrent avec
leurs femmes proposer des échanges; ils parlemen-
tèrent avec l'officier commandant la petite garnison,
et, sur l'assurance formelle qu'ils ne couraient aucun
risque, s'avancèrent en toute sécurité. Arrivés à
quelques pas du fortin, ils furent accueillis par
une grêle de balles. Ceux qui ne tombèrent pas à
la première décharge tentèrent de gagner la rive
du fleuve à la nage, mais ils furent tués avant
d'avoir abordé. Pleins de confiance dans la parole
d'un chef blanc, ces malheureux s'étaient laissé
égorger sans tirer une flèche, sans donner un coup'
de sabre.
» Non loin de là se trouve le premier saut, le saut
des Grandes-Roches. Au milieu de cette cataracte
en miniature, s'élève un Mot qui fut habité par un
ancien soldat de Villars, blessé à Malplaquet. Il
était plus que centenaire quand Malouet vint le
visiter.
» Voici comment Malouet raconte son entrevue
avec Jacques
» A six lieues du poste d'Oyapock, je trouvai sur
un Mot placé au milieu du fleuve, qui forme en
cette partie une magnifique cascade, un soldat de
Louis XIV, qui avait été blessé à la bataille de
Malplaquet, et avait obtenu alors ses invalides. Il
avaitcent dix ans en lyyy et vivait depuis quarante ans
dans ce désert. Il était aveugle et nu, assez droit,
très ridé. La décrépitude était sur sa figure, mais
point dans ses mouvements. Sa marche, le son de
sa voix étaient d'un homme robuste. Une longue
barbe le couvrait jusqu'à la ceinture. Deux vieilles
négresses composaient sa société et le nourrissaient
du produit de leur pêche et d'un petit jardin
qu'elles travaillaient sur le bord du fleuve. C'est
tout ce qui lui restait d'une plantation assez consi-
dérable et de plusieurs esclaves qui l'avaient suc-
cessivement abandonné. Les gens qui m'accompa-
gnaient l'avaient prévenu de ma visite, ce qui le.
rendit heureux, car il m'était facile de pourvoir à
ce que le bon vieillard ne manquât de rien, et il
y avait vingt-cinq ans qu'il n'avait mangé de pain
ni bu de vin. Il éprouva une sensation délicieuse
du bon repas que je lui fis faire. Il me parla de la
perruque noire de Louis XIV, qu'il appelait un
beau et grand prince; de l'air martial du maréchal
de Villars; de la contenance modeste du maréchal
de Catinat de la bonté de Fénelon, à la porte
duquel il avait été en sentinelle a Cambrai. Il était
venu à Cayenne en 1730. Il avait été économe
chez les jésuites, qui étaient alors les seuls pro-
priétaires opulents, et il était lui-même un homme
aisé lorsqu'il s'établit à Oyapock. Je passai deux
heures dans sa cabane, étonné, attendri du spectacle
de cette ruine vivante. Lorsque je fus pour le
quitter, son visage vénérable se couvrit de larmes.
Il me saisit par mon habit, et prenant ce ton de
dignité qui va si bien à la vieillesse, il me dit « At-
tendez », puis il se mit à genoux, pria Dieu, et
m'imposant ses mains sur la tête, me donna sa
bénédiction (i). »
Avant de le quitter, Malouet offrit au vieillard
de le ramener à Cayenne, et d'y pourvoir à ses
besoins d'une manière convenable. Qui le croirait 1
Cet homme refusa. Il était, disait-il, habitué au
bruit de ces eaux, à l'exercice de la pêche, au
spectacle de cette nature si riche et si imposante.
Malouet n'insista plus.
» L'îlot habité jadis par Jacques Blaisonneau, est

connu des Indiens sous le nom d'île d'Acajou.


Quant au saut, il a pris le nom du vieux soldat et
s'appelle Jacques-Saut.
» A partir des Grandes-Roches, les rives vont
s'élevant sensiblement jusqu'à une hauteur de
t~o à 200 mètres. Toujours en remontant, on
atteint l'ancienne mission Saint-Paul, abandonnée
au siècle dernier. Nulle trace de culture n'a sub-
sisté la forêt a repris possession des terrains que
les défrichements lui avaient enlevés; une croix

(i) Malouet, A~'MO!'r~ sur les Cc/OKt'M.


vermoulue reste seule pour indiquer le passage de
la civilisation.
» Quelques lieues plus haut, le Camopi dé-
bouche dans l'Oyapock. C'est vers cet endroit
que l'on supposait, d'après Keymis, qu'habitait
l'El-Dorado. »
Nous pensons que c'est ici le lieu de rappeler
cette singulière légende qui a pesé d'un si grand
poids dans les efforts que les différents peuples ont
fait pour découvrir l'Amérique et pénétrer dans ce
nouveau continent, offert à l'activité humaine.
L'Eldorado proprement dit est un pays qu'Orel-
lana, lieutenant de Pizarre, prétend avoir décou-
vert entre l'Amazone et l'Orénoque, sur l'Oyapock
sans doute, et qui contenait, d'après lui, des quan-
tités d'or incalculables.
Depuis longtemps déjà une fièvre d'or s'était
emparée de l'Europe et tous les voyageurs du
nouveau monde cherchaient le pays de l'or. Une
page d'Orellana vint donner un corps à ce rêve
et bientôt on conclut que c'est dans la Guyane
que se trouvait le véritable Eldorado.
On s'accorde à reconnaitre qu'après la chute
des Incas, un jeune descendant de cette famille,
recueillant toutes les richesses qu'il put réunir
s'était enfoncé dans les terres et y avait fondé un
puissant empire.
Bientôt on assigna une capitale, Manore, à cet
empire sans doute imaginaire. Un Espagnol, Mar-
tinez, affirma y avoir résidé sept mois et y avoir
constaté la présence de 7000 ouvriers employés
dans la seule rue des Orfèvres.
Rien de plus affirmatif que ce récit, appuyé sur
une carte de la contrée et sur la présence de trois
montagnes l'une d'or, l'autre d'argent et la troi-
sième de sel.
« Le somptueux palais de l'empereur était sup-
porté par de magnifiques colonnes de porphyre et
d'albâtre, symétriquement alignées et entourées de
galeries construites de bois d'ébène et de cèdre
incrustés de pierreries.
» Situé au centre d'une ile verdoyante, et se
rénéchissant dans un lac d'une transparence indes-
criptible, ce palais était construit en marbre
d'une blancheur éclatante. Deux tours en gardaient
l'entrée, appuyées chacune contre une colonne de
vingt-cinq pieds de hauteur, dont les chapiteaux
supportaient d'immenses lunes d'argent. Deux
lions vivants étaient attachés aux fûts par des
chaînes d'or massif.
» On pénétrait de là dans une grande cour
quadrangulaire ornée de riches fontaines, avec des
vasques d'argent, d'où l'eau jaillissait par quatre
tuyaux d'or. Une petite porte de cuivre, incrustée
dans le roc, cachait l'intérieur du palais, dont la
richesse défiait toute description. Un vaste autel
d'argent supportait un immense soleil d'or, devant
lequel quatre lampes brûlaient perpétuellement.
? Le maître de toutes ces magnificences était
appelé El-Dorado, le Doré, à cause de la splen-
deur inouie de son costume. Son corps nu était,
chaque matin, oint d'une gomme précieuse, puis
enduit de poussière d'or jusqu'à ce qu'il présentât
l'apparence d'une statue d'or. Ainsi que le fait
sagement observer Oviedo, « comme cette sorte
» de vêtement doit lui être fort incommode pour
» dormir, le prince se lave le soir et se fait redo-
» rer le matin, ce qui prouve que l'empire Eldo-
» rado est absolument riche en mines d'or. »
» Il est probable que cette fable tirait son ori-
gine des rites particuliers du culte de Bochica, le
grand-prêtre de cette secte ayant l'habitude de se
graisser les mains et de les saupoudrer ensuite de
poussière d'or, ou bien encore d'une autre coutume
relatée par Humboldt.
» Cet illustre voyageur rapporte que, dans les
parties les plus sauvages de la Guyane, où la pra-
tique de la peinture est substituée à celle du
tatouage, les Indiens oignent leur corps de,graisse
de tortue, puis le couvrent de morceaux de mica,
dont l'éclat métallique, d'un blanc aussi brillant
que celui de l'argent et d'un rouge aussi vif que
celui du cuivre, semble les habiller d'un vêtement
brodé d'or et d'argent. »
Quel fond de vérité présentent ces fables diver-
ses ? « II serait aussi difficile qu'imprudent de se
prononcer d'une façon formelle. Certes, l'imagina-
tion des voyageurs a considérablementgrossi les faits
qu'ils ont pu entrevoir, mais rien n'a encore dé-
montré que cette légende du pays de l'or ne soit
pas basée sur des découvertes sérieuses que l'état
encore si peu connu de ces vastes contrées n'a
pas encore permis de retrouver et de vérifier. »
Depuis l'embouchure du Camopi, en remontant
l'Oyapock, le fleuve va se rétrécissant, jusqu'à ce
qu'il se divise en un grand nombre de ruisseaux
descendant des Tumuc-Humac.
Les côtes de la Guyane française proprement
dite, s'étendant sur une longueur d'environ 500
kilomètres, sont très plates et, nous l'avons dit,
forment généralement une surface vaseuse et
molle. Presque tout le long de ces côtes on trouve
de bons mouillages, mais la seule rade où les na-
vires soient en sûreté est située à l'embouchure de
la rivière de Cayenne, entre la partie occidentale
de l'île et la côte de Macouria.
La ville de Cayenne, capitale de la Guyane
française, est située au bord de la mer, à la pointe
Vue de Cayenne.
nord-ouest d'une petite ile qu'un canal étroit sépare
du continent, sur la rive droite du fleuve qui,
comme l'Me, porte aussi son nom. On ne peut
l'apercevoir du large.
Ce n'est qu'après avoir gagné un peu de che
min qu'on distingue, sur un second plan et au
milieu d'une grande savane, de longues files de
maisons tirées au cordeau, tandis que sur le pre-
mier plan se dresse un fort en terre, flanqué de
mauvais remparts.
Sa position au centre du littoral de la colonie et
son importance commerciale en ont iait naturelle-
ment le siège du gouvernement colonial.
La ville est dominée par un monticule, le mont
Cépirou, berceau de la colonie, fortiné par son
premier gouverneur, M. de Brétigny. Son port et
sa rade, sorte de bras de mer formé .par un coude
du fleuve, peuvent recevoir sans danger des navires
de 300 tonneaux avec un tirant d'eau de 4"23.
Une jetée neuve s'avance dans la rade et rend
le débarquement facile, quelles que soient l'heure
et la hauteur de la marée.
Cayenne possède une Cour d'appel et une Cour
d'assises, un Tribunal de première instance et une
Justice de paix. En 1831, elle a été dotée d'un
~véché.
La ville est bornée au sud par le canal Laussat,
large d'environ 13 mètres, et qui aboutit à la mer,
et à l'est par la crique Montabo, qui la sépare de
la partie nommée quartier de l'île de Cayenne.
Cayenne et sa banlieue occupent une superficie
de 234. hectares. Sa population n'excède pas 8000
habitants. Elle est divisée en deux parties, la ville
vieille et la ville neuve.. La première est com-
mandée par le fort, qui la défend du côté de la
mer. La seconde, plus importante, est composée
de rues régulières, se coupant, à angle droit.
Ce que les visiteurs y remarquent en arrivant,
c'est le coup d'oeil pittoresque qu'elle présente
vue de la rade. Des bouquets de palmiers et de
cocotiers, qui forment sur le ciel clair leur tache
d'un vert foncé, forment un admirable fond à ce
paysage les palétuviers de la rive et les rideaux
verdoyants des hauteurs lui dessinent un cadre ra-
vissant.
Les deux parties de la ville sont séparées entre
elles par une vaste place plantée de beaux oran-
gers.
Les maisons, qui n'ont qu'un étage, sont dé-
pourvues de vitres, et les appartements ne sont
protégés contre les intempéries et le soleil que par
de vastes galeries où l'air circule librement et en-
tretient une fraîcheur bienfaisante.
Une eau claire et limpide descendant des hau-
teurs coule abondamment dans les rues et alimente
les habitations.
La place de l'Esplanade, ou place des Palmistes,
constitue à coup sûr une des curiosités les plus
remarquables de Cayenne. C'est un immense
quinconce composé de près de cinq cents palmiers
géants, qui s'élancent dans le ciel comme des
tuyaux d'orgues et offrent, jusqu'à quarante mè-
tres de hauteur, des troncs dénudés, que couronne
l'élégant panache des feuilles.
Citons aussi, parmi les curiosités de la ville, la
place d'Armes, où se trouvent le palais du gou-
verneur et une fort belle fontaine, dédiée au colo-
nel de Montravel.
Quand nous aurons encore désigné l'église, le
palais de justice, la mairie, un vaste hospice mili-
taire, nous aurons terminé la nomenclature des
monuments.
La population qui circule dans les rues offre
un aspect aussi varié que pittoresque. On y ren-
contre les soldats coiffés du casque blanc de
t'Indo-Chine, les créoles vêtus de blanc, les né-
gresses et les mulâtresses coiffées de couleurs
voyantes, et quelquefois les Indiens qui se dra-
pent dans leur dignité.
Du temps de d'Orbigny, l'esclavage régnait en-
core à Cayenne là les esclaves marchaient moins
couverts encore que dans nos colonies des Antilles..
Les hommes ne portaient qu'un ~n~ot~t ou ca-
limbé, à peine suffisant pour protéger la décence
les femmes allaient la poitrine nue, avec une sim-
ple jupe attachée au milieu des reins.
Aujourd'hui, les noirs de Cayenne sont des
citoyens et s'habillent à l'européenne la mode et
la morale y ont gagné.
Pour terminer cet exposé, peut-être un peu trop
aridement géographique, mais que nous considé-
rions comme indispensable, nous citerons les dix
communes rurales qui, en dehors de Cayenne,
constituent, depuis le 13 octobre 1877, la division
administrative de la Guyane.
Ce sont Oyapock, Kaw-Approuague, Boura,
!Ie de Cayenne, Tonnegrande-Montsinéry, Ma-
kouria, Kourou, Sinnamary-Iracoubo et Mana.
Toutes ces localités sont des villages peu consi-
dérables, dont la population est rarement supé-
rieure à un millier d'habitants. La Mana en est la
plus importante et la plus étendue.
Parlons enfin des colonies pénitentiaires qui,
selon nous, ont été la cause principale jusqu'à
présent de l'absence de développement de la colonie,
qui n'a jamais répondu aux espérances de la mé-
tropole.
La déportation établie en France par la loi du
Habitants nègres et mulâtres de Cayenne.
25 septembre !y<)!, fut appliquée, par décret de la
Convention du i~ avril 1795, contre les conven-
tionnels Vadier, Barrëre, Collot d'Herbois et
Billaud-Varennes. Les deux derniers seuls furent
transportés à la Guyane.
Collot d'Herbois mourut le 8 janvier 1796 à
l'hôpital de Sinnamary quant à Billaud, après un
long séjour en Guyane, il disparut, peut-être en
s'évadant, peut-être en obtenant sa grâce.
Le Directoire, cruel et despotique, comme le
sont ordinairement les gouvernements faibles, usa
et abusa de la déportation. Cinq cent seize per-
sonnes et cinquante-trois députés furent condamnés
à la déportation. Beaucoup réussirent à s'enfuir.
Trois cent trente déportés seulement furent dirigés
sur la Guyane et débarqués sans secours, presque
sans vivres, aux embouchures du Sinnamary, du
Kourou et du Coussamance. Le plus grand nom-
bre périt misérablement.
Quand la colonie pénitentiaire de la Guyane fut
définitivement établie par décret du 29 mars 1832,
les déportés du coup d'État furent emmenés
d'abord aux !les du Salut, qui sont au nombre de
trois.
C'est dans ces îles que furent transportés non
seulement'les victimes de la guerre civile, mais
encore plus de trois mille forçats de droit com-
mun, autorisés, par décret du 27 mars 1832, à se
faire diriger sur Cayenne.
Un. autre décret, du 20 août 183~, autorisa la
transportation à Cayenne de tous les forçats des
colonies africaines ou asiatiques.
Enfin, une loi, promulguée le 30 mai 1834, a.
réglementé définitivement les pénitenciers colo-
niaux.
Outre l'établissement central pénitentiaire des
îles du Salut, au Kourou et à l'embouchure du
fleuve, on a établi un pénitencier important un
autre existe sur la crique Madelon c'est le péni-
tencier des Roches.
Depuis 1838, le Maroni est devenu le centre de
la déportation de Cayenne.
A 20 kilomètres de l'embouchure du fleuve se
trouvent les établissements de Saint-Laurent et de
Saint-Louis, dans le voisinage desquels sont des
usines et des exploitations diverses
« A Cayenne même,ditM.V.-A.Malte-Brun dans
la France illustrée (i), il y a un atelier pénitencier
qui rend des services importants. Il est composé
par les condamnés qui ont donné des garanties de
repentir. En attendant un établissement plus com-
plet, leur nombre est de 1048. Ils sont gardés

(i) Rouff, éditeur, à Paris.


par 51 surveillants et 9 hommes d'infanterie de
marine.
x) Quelques libérés sont placés en ville sous
caution et sont employés par les colons comme
travailleurs et hommes de peine.
» L'effectif de ces colonies pénitentiaires, qui
paraissent répondre jusqu'à présent à la sage
pensée de régénération sociale de l'homme par la
moralisation et le travail, était, en 1878, de 28~}
transportés, dont l'état sanitaire était satisfai-
sant. »
Il va sans dire que nous laissons au savant
M. Malte-Brun toute responsabilité sur son appré-
ciation optimiste de la déportation et de la trans-
portation dans les colonies.
C'est la loi du 30 mai 1834, déjà citée, qui a ré-
glementé les établissements pénitentiaires. Cette
loi supprime les travaux forcés pour les individus
âgés de plus de 60 ans. L'article VI décide que
tout condamné à moins de huit années résidera
dans la 'colonie, après sa libération, un temps égal
à la durée de sa peine. Enfin, toute condamnation
de huit années et au-dessus oblige le transporté 'à
séjourner toute sa vie dans la colonie où il subit
sa peine.
Nous aurons dit sur la déportation et la transpor-
tation tout ce qui nous semble devoir intéresser nos
lecteurs quand nous aurons emprunté à M. Hue, déjà
cité, le résumé suivant de l'histoire de la dépor-
tation en Guyane (i).
« Dès le début de 1832, on était prêt .à recevoir
les transportés ils arrivaient aux Mes du Salut le
2 mars. Comme les convois devaient se succéder
à intervalles rapprochés, on se hâta, pour éviter
l'encombrement, de créer d'autres établisse-
ments.
» En octobre 1832, 320 condamnés étaient in-
stallés à la Montagne-d'Argent six mois plus tard,
103 individus avaient succombé aux fièvres palu-
déennes.
» Au mois d'avril 1833, on établissait 230 trans-
portés à Saint-Georges, sur la rive gauche de
l'Oyapock, près du confluent du Gabaret; on vou-
lait créer là une sucrerie d'après les plans laissés
par Malouet. Un an s'était à peine écoulé que l'on
comptait 102 décès. Les Français évacuèrent Saint-
Georges ils y furent remplacés par des noirs
transportés qui restèrent jusqu'en 1863, époque où
cette station fut complètement abandonnée.
» En 1834 et 1833, on fondait successivement
Sainte-Marie, Saint-Augustin et Saint-Philippe sur
les bords de la Comté, puis les chantiers de Kou-

(t) Nos Gr~M~M Colonies.


rou, Bourda, Badue, Montjoly, Saint-Louis et
Saint-Laurent du Maroni.
» A l'exception de Saint-Laurent, on dut, en
raison de la mortalité, évacuer tous ces péniten-
ciers les trois pontons, la Chimère, le Grondeur
et la Proserpine, ancrés dans la rade de Cayenne,
furent remplacés par une caserne dominant la mer,
exposée aux vents alizés et attenant aux jardins
militaires à l'ouest de Cayenne.
» Cependant, en présence de l'insalubrité des
établissements fondés par l'autorité supérieure, il
fallut prendre des mesures pour- éviter l'encombre-
ment du pénitencier aussi, en 1867, on décida que
les condamnés arabes seraient seuls désormais di-
rigés sur la Guyane, et on désigna la Nouvelle-
Calédonie comme lieu de transportation pour les
autres condamnés.
» Les trois îlots du Salut, situés à neuf lieues au
N.-O. de Cayenne et à trois lieues en face de
l'embouchure du Kourou, sont l'île Royale, l'île du
Diable et l'île Saint-Joseph.
» L'île Royale est le siège du commandement;
là sont les forçats proprement dits; les récidivistes
sont internés dans l'île Saint-Joseph. Autrefois, l'île
du Diable était réservée aux détenus politiques.
» Le sol de l'ile Royale, assez élevé au-dessus
des flots, est rocailleux, accidenté et recouvert
d'une couche de terre végétale très mince. Quand
l'administration en prit possession, elle le fit dé-
boiser complètement sur sa surface restreinte, on
édifia de nombreuses constructions église, bara-
ques pour les condamnés, maison du commandant
et des surveillants, magasins, ateliers dans la par-
tie inférieure de l'île, on installa un quai, un dé-
pôt de charbon et des ateliers pour la réparation
des navires de l'État.
a ~Quand tous ces travaux furent terminés, it ne
resta plus de place pour le cimetière. C'est donc
l'Océan qui est le cimetière des transportés.
» Quand un détenu meurt, son corps, cousu
dans une toile à voile lestée avec quelques pierres,
est déposé dans un cercueil, le même pour tous,
il n'y en a qu'un. La, cloche de la petite église
tinte le glas funèbre et une embarcation vient sur
la plage prendre la bière qu'elle conduit au large;
arrivé à une certaine distance, le cadavre est retiré
et jeté à la mer. A peine a-t-il disparu sous les
flots que d'énormes requins, qui ne manquent ja-
mais de suivre la barque, s'en emparent, se l'arra-
chent et se disputent ses lambeaux. On prétend,
aux Mes, que les requins connaissent le son de la
cloche et accourent à son premier appel.
» Sur les îles, les transportés travaillent aux
routes, déchargent les navires qui approvisionnent
le dépôt de charbon de l'État ils sont menuisiers,
charrons, forgerons. Leur costume se compose d'un
pantalon et d'une chemise de toile grise, ils sont
coiffés d'un énorme chapeau de paille.
» Sur l'Mot la Mère est installé l'hôpital c'est là
que sont internés les transportés vieux ou infirmes
qui ont gagné leurs invalides.
»- Le pénitencier agricole de Saint-Laurent est
situé sur la rive droite du Maroni, à 18 milles de
son embouchure; l'amiral Baudin choisit cet endroit
pour y fonder un établissement destiné à l'aug-
mentation des produits de la colonie et surtout à
la réhabilitation du condamné par la famille et par le
travail.
» Commencés aussitôt, les travaux d'installation
étaient terminés à la fin de 1858. Dans un laps de
temps aussi court, on n'avait pu faire que du pro-
visoire depuis, on a donné aux constructions un
caractère définitif, et, instruits par l'expérience,
les chefs ont pu diriger les colons dans le choix de
cultures productives.
» On a réuni les concessionnaires par groupes
de 20 à chacun on a fourni un terrain, des outils
pour édifier sa demeure, des instruments pour cul-
tiver son champ. Chaque propriété rurale a 100
mètres de large sur 200 de profondeur; les mai-
sons font face à la route qui divise en deux parties
la concession totale d'un groupe. Le plan des ha-
bitations a été fourni par l'État; elles sont dispo-
sées de façon a ne jamais se faire vis-à-vis~-
» Aujourd'hui le pénitencier de Saint-Laurent
comprend une centaine de maisons, une église, un
hôpital, une justice de paix, deux écoles pouvant
recevoir 100 élèves, deux casernes, un abattoir et
de vastes magasins.
» Au confluent de la crique Saint-Laurent et du
Maroni, s'élève une briqueterie.
» Citons encore une bouverie ou ménagerie
contenant quelques têtes de gros bétail, une scierie
mécanique et enfin l'usine à sucre de Saint-Maurice.
» Des routes de 20 mètres de large sillonnent
le pénitencier et se développent sur une longueur
de 50 kilomètres. Elles ont été faites par les con-
cessionnaires riverains.
» Comme on le voit, le pénitencier
possède tous
les éléments matériels nécessaires à la vie.
» Une loi récemment votée vient de
désigner la
Guyane comme lieu de transportation pour les ré-
cidivistes cette loi n'a pas encore reçu de com-
mencement d'exécution.
» Peut-on parler de bagnes et de pénitenciers sans.
évoquer aussitôt l'idée d'évasion. En effet, les éva-
sions sont nombreuses. Elles se font simplement
le condamné trouve moyen de franchir le Maroni,.
Vue du pénitencier de Saint-Laurent sur la rive droite du Maroni.
EN GUYANE

aborde sur le rive hollandaise et le voilà sauvé.


Cependant les histoires d'évasions curieuses ne
manquent pas à la Guyane, depuis celle de ce for-
çat qui tenta de s'enfuir en transformant en cha-
loupe le cercueil qui sert à porter les cadavres des
condamnés dans l'Océan, jusqu'à celle du fameux
Gâtebourse qui fut, dit-on, enlisé dans une tour-
bière et dévoré vivant par les araignées-crabes.
» Nous ne raconterons qu'un fait de ce genre,
connu à Cayenne sous le nom d'histoire des for-
~ah anthropophages.
» Huit forçats s'évadèrent du pénitencier de la
Comté le 16 décembre tS~ et six autres le 29 du
même mois.
A

» La première bande, remontant le cours de la


Comté, s'avança dans l'intérieur. Brisés par plu-
sieurs jours de marche forcée, par les privations
de toutes sortes, deux des fugitifs étaient restés en
arrière, se demandant s'il ne valait pas mieux ren-
trer au pénitencier et subir le châtiment habituel,
que de persister dans une tentative rendue impra-
ticable par le manque de provisions.
» Ils en étaient là de leurs réflexions, quand un
.des hommes de l'avant-garde apparut haletant,
épouvanté, et leur annonça que trois des évadés
venaient d'assassiner un de leurs compagnons il
avait vu égorger ce malheureux, le dépecer; les
lambeaux saignants de la victime avaient été triés,
les uns pour être mangés, les autres pour être
enfouis.
» Après ce récit, il demanda à ses auditeurs
terrifiés de se joindre à lui et de faire cause
commune contre les cannibales. Mais quand ces
monstres arrivèrent, telle était l'influence qu'ils
exerçaient sur leurs compagnons, que ceux-ci,
non seulement les aidèrent dans leurs préparatifs,
mais encore prirent part à l'épouvantable festin.
» La nuit )ls s'enfuirent deux d'entre eux par-
vinrent au pénitencier pour raconter le fait dont
ils avaient été témoins le troisième disparut, on
ne sut jamais ce qu'il était devenu.
» Les six évadés du 29 décembre, trouvant la
piste de la première bande, se mirent à sa recher-
che et la rejoignirent le 4 janvier 1836, près des
sources de la Comté. A leur tête se trouvait un
nommé Raisséguier, qui remplissait au .pénitencier
l'office de bourreau, homme d'une énergie et d'une
vigueur peu communes ses 'compagnons étaient
deux Français et trois Arabes.
» Aussitôt réunis, les hommes de la première
bande proposèrent à Raisséguier de s'entendre
avec eux pour tuer et manger les trois Arabes. A
cette proposition, l'ancien justicier bondit d'indi-
gnation et déclara que, loin de prêter son concours
à une action aussi monstrueuse, il défendrait ses
camarades au péril de sa vie.
» Malheureusement les deux Français goûtaient
fort l'horrible proposition de leurs nouveaux com-
pagnons et la mort de Raisséguier fut décidée d'un
commun accord.
» A
dix heures du soir, pendant son sommeil, il
est attaqué, reçoit un coup de couteau à la gorge,
un coup de sabre à la tête et un coup de bâton
lui brise le bras.
» Réunissant tout ce qui lui reste de force, il
renverse les assassins qui l'étreignent et prend la
fuite.
» La nuit était noire Ra)sséguier, courant droit
devant lui, roule au fond d'un ravin profond, cette
chute le dérobe aux recherches des ennemis lancés
à sa poursuite.
» Le lendemain, à l'aube, il se traîne au bord
de la rivière et voit s'avancer dans le courant un
de ces amas flottants d'arbres, de branches et de
lianes que les cours d'eau conduisent périodique-
ment à l'Océan. S'aidant du bras resté valide, il se
hisse sur un arbre à demi déraciné et de 'là se
laisse choir sur le radeau qui, suivant sa route, le
conduit dans la soirée à l'habitation Bellane.
» Là, on le ranime, on lui donne les premiers
soins, puis on le ramène au pénitencier.
» Grâce aux indications de Raisséguier, les
troupes envoyées à la poursuite des cannibales les
arrêtèrent au moment où ils dévoraient un de leurs
camarades. Ils avaient fait griller la langue, le foie,
les chairs des deux jambes et des deux bras de
leur victime.
» De ces quatorze évadés, deux ont été mangés
et deux ont disparu. Les trois principaux coupables
ont été exécutés au pénitencier de Sainte-Marie
les autres ont été condamnés à diverses peines.
» Prenant en considération le courage et l'éner-
gie dont Raisséguier avait fait preuve, l'adminis-
tration lui fit remise de la peine qu'il avait en-
courue. »
M.

LA POPULATION. CIVILISÉS ET SAUVAGES.

CHASSE ET PÊCHE.

La population civilisée de la Guyane est extrê-


mement variée. Ses principaux éléments sont les
Européens, les noirs, les mulâtres, les Chinois, les
Hindous et quelques métis produits de femmes
indiennes et d'hommes blancs.
Les blancs, connus sous le nom spécial de
créoles, ont été amenés là généralement par les ca-
prices de la fortune ou par le désir de s'enrichir.
Les nègres sont les descendants des nègres escla-
ves enlevés sur les côtes d'Afrique par la traite.
Enfin les coolies chinois ou hindous sont des ser-
viteurs recrutés soit en Chine, soit en Cochinchine,
soit dans l'Hindoustan, pour venir en aide à ceux
qui exploitent le sol ou les richesses naturelles de
la colonie.
Quiconque connaît les nègres sait combien cette
race est paresseuse et vaine. Quand, en )848, sur
la proposition de M. Schœlcher, l'assemblée vota
l'affranchissement des noirs de nos colonies, et
leur passage subit de la situation d'esclaves à la
dignité de citoyens et d'électeurs, elle fit sans con-
tredit un acte de haute humanité,, mais en même
temps elle fit naître dans nos possessions d'outre-
mer les plus grands embarras.
Indolents et vaniteux, trouvant presque sans tra-
vail, sur le sol fertile de nos colonies, tout ce qui
était nécessaire à la vie matérielle, ils refusèrent
absolument de se livrer à aucun labeur et obligè-
rent ainsi les colons à chercher ailleurs des tra-
vailleurs.
On renonça tout d'abord à aller les recruter sur-
la côte d'Afrique, car le monde entier aurait vu
dans cet acte la traite déguisée. Seuls les Anglais,
tout en faisant les protestations les plus vives
contre l'esclavage sous quelque forme qu'il se pré-
sente, ont continué à emmener dans leurs posses-
sions des noirs, dont un grand nombre sont pris
par eux aux gens qui, en Afrique, font encore le
commerce des esclaves.
La France n'a pas cru devoir imiter cette allure
de sa rivale et a songé à remplacer les esclaves
affranchis de ses colonies par des coolies engagés
par des agences d'émigration.
La question de savoir si ce nouveau mode de
recrutement a remplacé suffisamment l'ancien, est
encore très contestée. Suivant les uns, les coolies
hindous ou chinois sont de bons travailleurs, doux
et dociles, préférables aux nègres; selon d'autres,
ces nouveaux serviteurs, recrutés dans de mau-
vaises conditions s'acclimatent mal et la mortalité
est grande dans leurs rangs. Ces contempteurs des
races asiatiques ajoutent que les coolies, comme
travailleurs sont inférieurs aux gens de race
noire.
Pour nous, sans nous prononcer sur les hommes
d'origine hindoue, nous ferons nos réserves en ce
qui concerne les Chinois qui, sur tous les points
du globe, se sont toujours montrés résistants au
travail, actifs, intelligents, soumis et d'une adapta-
tion facile à tous les climats.
Aujourd'hui que notre influence dans l'Extrême-
Orient va sans cesse grandissant, nous pourrions
aisément nous moquer des entraves apportées par
l'Angleterre dans le transport des coolies hindous
en Guyane, sou§ le prétexte qu'on les emploie aux
mines d'or et non aux travaux agricoles et nous
pourrions recruter nous-mêmes autant d'auxiliaires
qu'il nous plairait, soit dans les ports de la Chine,
soit au Tonkin, soit dans l'Annam ou la Cochin-
chine.
La Guyane, en dehors des blancs, des noirs,
des mulâtres et des jaunes, contient une popula-
tion aborigène dont la peau est rouge et quelques
tribus noires indépendantes formées par d'anciens
esclaves fugitifs, retournés à l'état sauvage.
Nous emprunterons au docteur Crevaux, qui les
a visitées et qui a vécu plus ou moins de temps chez
elles, quelques détails sur les principales de ces
tribus (t).
Les Gallibis vivent dans la région basse située
entre la Mana et le Sinnamary. Ces Indiens sont
petits, ils ont les membres grèles, les pieds paral-
lèles, les cheveux longs. L'absence de barbe,
outre ces caractères, leur donne un aspect fé-
minin.
Leur principale industrie est la fabrication de
vases en terre qui ne manquent pas d'une certaine
originalité. Ils les font de toute pièce, à la main,
avec des argiles quits trouvent sur la berge,
sous une couche de sable. Leurs gargoulettes
ont l'inconvénient d'être en partie vernissées,
ce qui empêche l'eau de se refroidir par l'évapo-
ration.
Les Gallibis se teignent en rouge. Ils ont pour
tout vêtement un calimbé~ un collier et deux pai-

(i) Lire Fo~M dans /M'«' du ,5'tf~, par le docteur


J. Crevaux. Hachette, éditeur à Paris.
Village d'Indiens Gallibis. Gallibis fabriquant de la poterie
res de jarretières l'une au-dessus, l'autre au-des-
sous du mollet.
Le calimbé n'est autre chose qu'une simple cein-
ture de toile ou d'autre matière.
Les Roucouyennes vivent au sud de la Guyane
française sur les pentes des monts Tumuc-Humac
et plus au sud dans l'Amazonie, entre le Yary et
le Parou. Ce sont eux qui servirent de guides au
docteur Crevaux et l'aidèrent à traverser la chaîne
de montagnes boisées qui le séparait du bassin de
l'Amazone. C'est chez eux aussi que plus tard l'ex-
plorateur -Guigues et ses trois compagnons per-
dus dans la forêt vierge, sans ressources, sans
vivres, sans munitions, trouvèrent une touchante
hospitalité et purent continuer leurs prospections
de chercheurs d'or.
Les Roucouyennes, comme les Gallibis et les
autres tribus indiennes de la Guyane sont généra-
lement de taille peu élevée, mais ils sont bien
proportionnés, ce qui tend à les faire croire plus
grands, surtout à première vue.
Il est difficile d'établir la couleur exacte de leur
peau qu'ils teignent en rouge avec le roucou, ce
qui leur a valu leur nom. L'idée la plus juste qu'on
puisse en donner est de la comparer à celle d'un
Européen fortement bronzé par le soleil.
Les enfants sont d'un blanc presque pur au
moment de leur naissance et nous tenons de plu-
sieurs voyageurs l'affirmation que des Européens
qui vivraient quelque temps nus parmi ces sauva-
ges prendraient complètement leur couleur.
Le roucou, qui est employé en Europe pour la
teinture des étoffes, provient de la pulpe qui en-
toure les petites graines d'un arbuste indigène de
l'Amérique équatoriale. Les Indiens y ajoutent
généralement un peu d'huile afin que la peinture
dont ils s'enduisent le corps s'étende mieux et soit
plus fixe. Cela leur permet de rester dans l'eau
des heures entières, sans que la couche de couleur
qui les couvre soit altérée.
Le roucou ne sert pas seulement d'ornement
aux Indiens, il préserve leur peau de la piqûre des
moustiques. D'ailleurs ajoutons que cette qualité
n'est pas complètement démontrée, car le docteur
Crevaux assure avoir vu des Roucouyennes souffrir
de ces piqûres autant que lui-même.
Les jours de fête, les Indiens agrémentent leur
peinture rouge de quelques arabesques noires. Ces
dernières sont faites avec le suc qui découle du
fruit de différentes espèces de génipa et qui est
sans couleur, lorsqu on ouvre le fruit, mais qui
noircit au contact de l'air.
Jamais les Roucouyennes ne se mettent en voyage
sans s'être fait teindre la veille du départ. Ils empor-
Famille d'Indiens Roucouyennes.
EN GUYANE

tent avec eux du roucou et du génipa dans de


très petites calebasses qu'ils suspendent autour de
leur cou en guise de colliers.
La peinture rouge déteint sur les objets dont ils
se servent, leurs hamacs, faits d'un coton d'une blan-
cheur remarquable, ne tardent pas, par l'usage, à
devenir tout à fait rouges. Alcide d'Orbigny avait
déjà fait, dans son beau voyage de 1826, une re-
marque analogue.
Les Indiens ont généralement les cheveux d'un
noir très foncé. Cette chevelure n'est pas crépue
comme dans la race nègre, mais elle est moins
ondulée que chez les blancs. Ils se taillent un peu
les cheveux sur l'avant de la tête et portent le
reste d'une longueur démesurée. Les hommes et
les femmes ont identiquement la même coiffure.
La barbe est très peu fournie. Ils ont du reste
une médiocre estime pour cet ornement et ils ont
bien soin de l'épiler, ainsi que leurs sourcils et
même leurs cils au fur et à mesure de leur crois-
sance.
Ils arrachent leurs cils, disent-ils, pour mieux
voir. Leurs sourcils sont moins fournis que chez
les blancs.
Les jeunes gens des deux sexes, loin de se
serrer la taille, cherchent à la faire paraître plus
grosse en s'entourant l'abdomen avec de grosses
ceintures. Chez eux, une légère proéminence du
ventre est considérée comme un trait de beauté.
Tous ces sauvages ont des médecins qu'ils
appellent piays et qui ont, suivant eux, le pouvoir
de conjurer les mauvais esprits.
Voici dans quels termes le docteur Crevaux dé-
crit une médication pratiquée par un de ces sor-
ciers qu'il appelle plaisamment son confrère
« Mon nègre Apatou, ayant eu mal à la tête, le
piay Pamakiki s'assit sur un hamac, en face du
malade, puis se mit à regarder le ciel, pendant
quelques instants, en ayant l'air de l'invoquer men-
talement. C'était une prière lente qu'il adressait
au diable pour qu'il fît cesser le mal de son client.
Il pratiquait cette espèce d'exorcisme tout en fu-
mant sa cigarette dont il rejetait la fumée par le
nez avec autant d'élégance qu'un gamin de Paris.
Puis plaçant sa cigarette entre le gros orteil et le
deuxième doigt du pied, sans adresser à son ma-
lade aucune question sur le mal qu'il éprouvait,
ainsi que cela se pratique chez nous, il se mit à
souffler avec force sur le point douloureux. Pre-
nant ensuite un éclat de roche très pointu, il fit
cinq ou six incisions sur le front du patient et se
mit à aspirer le sang avec sa bouche en guise de
ventouse.
» Après cinq minutes de succion', les insuffla-
Un piay ou prêtre sorcier
dons recommencèrent; le piay ralluma sa cigarette
qui s'était éteinte pendant l'opération, en envoya
jeux ou trois bouffées dans la bouche et les yeux
du malade et se retira sans mot dire.
» Apatou, qui avait d'ailleurs plus de confiance
dans les pratiques de ces espèces de sorciers que
dans mes connaissances médicales, se trouva si
bien rétabli, qu'il pût manger aussitôt après un
coumarou qui ne pesait pas moins de trois livres.»
« Le poste de piay, dit d'Orbigny, est fort re-
cherché parmi les Indiens, à cause de l'influence
qu'il donne mais ni le talent ni l'audace ne pous-
sent un homme à cette dignité. Elle est héréditaire;
elle passe du piay mort à son fils atné, initié aux
mystères de son ordre par une suite de cérémonies
superstitieuses qui durent plusieurs semaines.
» -Entre autres épreuves, il faut qu'il s'habitue
avaler le jus du tabac jusqu'à ce qu'il n'opère
plus comme émétique. Il s'abstient même de man-
ger, durant ce noviciat, de tout animal d'origine
Européenne; mais une fois élu piay, il a droit aux
prémices de toute espèce d'aliments. »
Les armes de ces Indiens sont la massue ou
casse-tête en .bois de fer, l'arc et les flèches, et
des espèces de sarbacanes ou tubes de bambous à
l'aide desquels ils lancent des flèches empoisonnées.
Ces flèches se taillent dans les éclats de bois
provenant de la première couche d'un arbre appelé
cokarito. Elles ont un pied' de long et sont un peu
plus grosses qu'une aiguille à tricoter. L'une des
deux extrémités est imprégnée, suivant Bancroft,
d'un poison provenant de la racine du woor~t;i
l'autre est entourée d'un petit morceau de coton
adapté à la cavité du tuyau.
Les Indiens lancent jusqu'à une distance de
cent pieds ce projectile dont la blessure est mor-
telle.
Le poison woorali est le plus actif de ceux
qu'emploient ces tribus indiennes. Le voyageur
Watertown en a donné la recette il se compose
de la plante rampante du woorali, d'une racine
amère, de deux plantes bulbeuses, de deux sortes
de fourmis, l'une grande et noire, dont la morsure
détermine la fièvre, l'autre rouge, qui pique comme.
une ortie, de poivre fort, enfin des crochets réduits
en poudre des serpents labarie et connacouché.
Ces divers ingrédients sont pulvérisés et brûlés
ensemble sur un feu lent, jusqu'à ce que la liqueur
brunâtre ait pris la consistance d'un sirop épais.
Ce poison est infaillible. A peine a-t-il pénétré
sous la peau, qu'il tue sans altérer la couleur du
sang et sans vicier la chair.
Les habitations des Roucouyennes sont des car-
bets construits en une heure sur quatre pieux
Une danse chez les Roucouyennes.
Schés en terre. D'ordinaire ces cabanes sont ou-
vertes de tous les côtés.
Ces peuples, comme les Gallibis, vont presque
nus, avec un simple pagne, fait d'écorce d'arbre
ou de la fibre du coco. Les femmes ont quelquefois
une pièce d'étoffe carrée formée de fils de coton
et de rassades. On donne ce nom à de petits
grains ou perles de verre de diverses couleurs qui
entrent pour une bonne part dans le commerce
européen avec les nègres d'Afrique.
Dans les jours de fête, les Roucouyennes se
coiffent de chapeaux surmontés de plumes bril-
lantes, se dressant autour de leur tête et retenues
par un bandeau circulaire de deux pouces de lar-
geur. Les femmes portent des garnitures de ras-
sades au cou, aux bra's, aux genoux et au-dessus
des chevilles.
La nourriture des Indiens des Guyanes se com-
pose d'ignames, de plantains, de bananes, de ra-
cines de cassave et de manioc, de crabes, de pois-
sons, de tortues d'eau et de terre, enfin d'iguanes-
et d'autres lézards. Ils mangent aussi la chair du
singe qu'ils font bouillir avec du poivre de Cayenne,
ce qui, au dire de l'explorateur Guigues, qui se
pique de gastronomie, constitue un pot-au-feu sans
rival.
Si les Roucouyennes ne se servent généralement
pas de sel, ils connaissent le moyen de s'en pro-
curer en brûlant certains palmiers appelés pinots et
dont ils lessivent les cendres. Le résidu ainsi ob-
tenu remplace le sel marin sans inconvénient.
Leur boisson ordinaire est une liqueur de ma-
nioc fermenté qui se fabrique de diverses manières,
suivant les tribus.
« Les cuisinières roucouyennes, dit le docteur
Crevaux, ne laissent généralement rien à désirer
au point de vue de la propreté. Je ne leur repro-
che qu'un détail qui m'a choqué la première fois
que je m'en suis aperçu. Pour empêcher le bouillon
de s'échapper pendant l'ébullition, elles projettent
de l'eau dans la marmite au moyen de la bouche. »
Lorsque le voyageur arrive dans une tribu d'In-
diens, le premier soin de son hôte est de lui faire
servir à manger. Sans mot dire, les femmes appor-
tent des escabeaux, et l'étranger s'assied à côté du
chef de la tribu pour manger, par exemple, le
poisson froid qui est resté du dernier repas. Les
Indiens ne connaissent pas les fourchettes, mais ils
font de petites cuillers qu'ils taillent dans le fruit
du calebassier. Ils ont soin de se laver les mains
avant et après le repas. Pour s'essuyer les mains
et la bouche, on trouve dans les cases une espèce
de torchon fait avec une écorce qui se divise en
lanières.
Famille de Bonis.
Les Roucouyennes de l'Ytany et du Yary ad-
mettent un esprit du bien et un esprit du mal.
Celui qui représente Dieu étant incapable de leur
nuire, doit être laissé en repos. On se garde bien
de lui adresser des prières de peur de l'irriter.
L'esprit malin, qui représente le diable dans la
religion des blancs, est seul l'objet de tout leur
culte, c'est à lui qu'on fait des sacrifices et qu'on
fait des libations afin d'apaiser son courroux.
TRIBUS SAUVAGES NOIRES.-Les principales tribus
noires vivant à l'état sauvage sont les Bonis, les
Youcas ou Bosch (hommes des bois), les Poligou-
doux et les Paramakas. Tous ont la même.origine
et par suite les mêmes mœurs et des coutumes peu
différentes.
Les uns et les autres sont d'anciens soldats ou
esclaves marrons échappés de la Guyane hollan-
daise.
Tous ces sauvages se ressemblent au physique
et au moral. Ils ne se teignent pas la peau comme
les indigènes de l'Amérique, mais ils se barbouil-
lent le front avec une argile blanche lorsqu'ils font
des invocations à leurs divinités.
Les hommes et les femmes se coiffent en forme
de couronne avec leurs cheveux tressés quelque-
fois aussi leur chevelure prend une forme pyrami-
dale pour cela, ils s'enduisent la tête d'un corps
gras, qui est ordinairement de l'huile de carapa.
Les hommes, qui ont peu de barbe, se rasent soi-
gneusement avec des tessons de bouteilles ou des
couteaux qu'ils affilent de leur mieux. Leurs pei-
gnes sont en bois et fabriqués avec art.
Tous ces noirs ont des dents d'une blancheur
éclatante et ils en ont un grand soin. Leur état
sanitaire est généralement satisfaisant leurs mala-
dies les plus fréquentés sont chez eux les maladies
de peau et les ulcères des membres inférieurs.
Quand ils reprirent la vie sauvage, ces nègres
ne tardèrent pas à réduire leur costume à la plus
simple expression. La plupart des femmes ne por-
tent pour tout vêtement qu'un morceau d'étoffe de
dix centimètres carrés, suspendu, comme un linge
qu'on fait sécher, à une ficelle fixée autour de la
ceinture. Ce morceau d'étoffe s'appelle coMyou.
Hommes et femmes, d'ailleurs, ont de nombreux
colliers et anneaux pour les chevilles et les poi-
gnets.
Ils vivent généralement sous des huttes carrées,
recouvertes de feuilles de palmier. La plupart de
ces habitations sont fermées de tous les côtés et
l'on n'y peut entrer que par une ouverture étroite
et très basse, fermée quelquefois par une porte
munie d'une serrure en bois.
On trouve généralement, à côté des maisons,.
des calebasses coupées en deux et placées sur un
trépied en bois, élevé à un mètre du sol. Ces ca-
lebasses contiennent des herbes cuites à l'eau, qui
rappellent la soupe à l'oseille. Cette décoction
possède toutes sortes de propriétés magiques et
les jeunes filles en boivent pour se faire aimer.
Sur le seuil de la maison, on remarque un bâton
auquel est suspendu un petit linge provenant du
calimbé d'un des ancêtres. Ce chiffon, qu'ils arro-
sent fréquemment en manière de sacrifice, est
chargé d'empêcher l'introduction des voleurs.
Les maisons qui constituent un village sont dis-
posées en une circonférence plus ou moins régu-
lière l'espace libre qui se trouve au milieu sert
de place publique. Les femmes y font sécher le
riz et préparent les racines de manioc pour faire
la cassave ou cachiri.
Le cachiri est une boisson qui se fait avec le
manioc râpé, soumis à l'ébullition pendant sept ou
huit heures et à la fermentation pendant deux
jours. Tamisée, cette boisson est blanche comme
du lait; elle a un petit goût aigre et agréable. C'est
une liqueur, du reste, fort innocente et dont on
peut boire plusieurs bouteilles sans accident
fâcheux. Pour s'enivrer, les Indiens en absorbent
des quantités énormes.
Aussi, quand une fête est annoncée, les femmes
sauvages, rouges ou noires fabriquent elles
le cachiri par tonnes. Elles en remplissent tous les
vases qu'elles peuvent avoir. Pour cent Indiens, il
faut tenir en réserve la valeur de huit à dix barri-
ques. Au jour indiqué, les conviés arrivent; pen-
dant deux jours, ils dansent et ne boivent que de
l'eau puis on pêche et on chasse, et un grand re-
pas a lieu, arrosé d'eau seulement mais quand il
est fini, commence l'orgie la plus dégoûtante
que l'on puisse imaginer couchés dans leurs
hamacs, les hommes reçoivent le cachiri des mains
des femmes. Là, il faut qu'ils s'enivrent, qu'ils
boivent toujours, car l'usage ne veut pas qu'une
goutte de cachiri reste dans les vases.
C'est sur la place circulaire des villages bonis
que les anciens, assis sur des escabeaux, délibè-
rent gravement sur toutes les questions qui inté-
ressent les tribus. Cette place est balayée tous les
matins au lever du soleil. Les plus petits brins
d'herbe sont soigneusement arrachés par les fem-
mes, afin de débusquer les serpents, les araignées-
crabes, les scorpions, enfin les milliers de bêtes
venimeuses qui mettent à chaque instant la vie des
enfants en péril.
La pêche et la chasse sont les occupations favo-
rites de ces sauvages, comme des Indiens propre-
ment dits. La pêche ne se fait guère que de deux
Pêche du coumarou
façons. On prend les petits poissons avec des
plantes enivrantes, telles que le conami, le sénapou
et la liane du robinia nicou. Les deux premières
sont cultivées dans les abatis, tandis que le nicou
se récolte dans la forêt vierge, sur le bord des
rivières.
On chasse plutôt qu'on ne pêche les gros pois-
sons au moyen d'une flèche en roseau terminée
par un harpon. Les principaux poissons qu'on se
procure de cette façon sont le coumarou, l'aymara
et le comata..
Le coumarou est un poisson qui se tient dans
les eaux vives et limpides des sauts. Il pèse 3 à
4 livres; sa chair, blanche et ferme, est excellente,
rôtie ou bouillie avec du piment. La partie la plus
recherchée est celle qui est voisine de la tête les
sujets les plus gras sont les plus estimés. Lorsque
la pèche est abondante, on voit les Bonis ouvrir le
ventre aux poissons et les rejeter aussitôt s'ils ne
trouvent pas assez de graisse autour des intestins.
Le coumarou, très musclé, a une vivacité extra-
ordinaire on l'attaque généralement au moment
où il remonte le rapide. On le trouve en telle quan-
tité dans certains sauts de l'Aoua et du Yary, qu'on
peut en prendre deux ou trois dans l'espace de
quelques minutes.
Le coumarou, atteint par une flèche munie d'un
harpon, continue sa course, mais il nage beaucoup
moins vite, non seulement à cause de sa blessure,
mais parce que le poids de la flèche tend à le ren-
verser de côté. Lorsque ces poissons sont en grand
nombre, les Bonis lancent quatre ou cinq harpons à
la suite sans s'inquiéter du résultat de leurs coups.
Ce n'est qu'après avoir épuisé tous leurs engins
qu'ils se mettent à la poursuite dés poissons
blessés.
En retirant le poisson de l'eau, il faut avoir soin
de tenir un sabre d'abatis dans la main droite, afin
d'assommer l'animal quand sa tête paraît à fleur
d'eau.
La pèche du coumarou est une véritable passion,
non seulement pour les noirs, mais pour tous les
Indiens des Guyanes les nègres Bosch ne passent
jamais un saut sans s'arrêter pendant des heures
entières pour se livrer à cette occupation récréative.
L'aymara, plus gros que le coumarou, pèse 4 à
5 kilogrammes; il présente une certaine analogie
de formes avec la carpe de nos rivières. L'ami
Guigues s'y est trompé, ainsi que nous le verrons
plus loin. La chair tendre et grasse de ce poisson
est meilleure bouillie avec du piment que rôtie.
La meilleure partie est la queue. Ce poisson a
l'inconvénient de se conserver très peu de temps
par le boucanage. La graisse qui continue à sum-
ter, même après cette opération, amène très rapi-
dement la putréfaction.
L'aymara ne vit que dans les eaux calmes on
le rencontre surtout près de l'embouchure des
petites criques, où on le voit dormir sur la vase.
Pour le surprendre au gîte, il faut avoir soin de
marcher très doucement avec une légère pirogue.
On le tire au fusil, mais il est impossible de tirer
un second coup sur- un poisson manqué, car, en
fuyant, il trouble tellement la vase, qu'il n'est plus
visible.
L'aymara et le coumarou se nourrissent de gcai-
nes, d'herbes, ainsi que de petits poissons.
Le comata, que les Roucouyennes appellent ala-
michi, est un poisson moins volumineux que le
coumarou et remarquable par la conformation de
sa bouche, qui est un véritable suçoir.
Cet animal aspire, avec cet organe, le limon
qui se trouve sur les roches. C'est un véritable
géophage on n'ouvre jamais ses entrailles sans les
trouver remplies d'une grande quantité de boue.
Il est probable que la terre dont il se-nourrit con-
tient en abondance des animaux et des plantes
microscopiques.
Les noirs du Maroni ont pour la chasse une
passion qui ne le cède en rien à celle qu'ils pro-
fessent pour la pèche. Ils ne naviguent jamais sans
avoir des chiens dans leurs embarcations. Quand
ceux-ci, apercevant ou flairant un gibier sur la
berge, donnent de la voix, les canotiers abordent
au plus vite et poursuivent le gibier pendant des
heures entières.
Les Bonis ont un grand luxe de chiens et font
tous les ans des voyages de plus de cent lieues
pour se les procurer chez les Roucouyennes de
l'Itany et du Yary.
Les armes dont ils se servent pour la chasse
sont, outre les flèches, quelques mauvais fusils
.qu'ils échangent dans le bas du fleuve.
Les gibiers principaux sont, parmi les mammi-
fères le tapir, le paca, le cablaï, l'agouti, le singe
rouge, le couata, le macaque, l'aï ou paresseux, et
le tigre parmi les oiseaux le hoco, la maraille,
le paracoi, le canard sauvage, l'ara, le toucan
parmi les sauriens et les reptiles l'iguane, le
caïman, le boa et autres serpents.
Nous allons rapidement passer en revue ces
divers animaux.
MAMMIFÈRES. Tapir. Ce pachyderme,
très commun dans les Guyanes, est connu par les
noirs de la côte sous le nom de maïpouri, tandis
que tous les Indiens, ÉmériIIons, Roucouyennes,
Gallibis, l'appellent tapir.
De la grosseur d'un petit cheval, il a beaucoup
de ressemblance avec l'éléphant. Il a le dos très
large, !es.jambes courtes, le nez terminé par une
espèce de trompe. Cet organe, qui se raccourcit à
volonté, sert au toucher et non à la préhension
le tapir prend les objets avec ses dents.

Durant ses voyages, le docteur Crevaux a


trouvé très souvent des empreintes de cet animal,
et aussi bien dans le haut des rivières que près de
leur embouchure. Guigues et Coudreau en ont
tué plusieurs, tandis que sur neuf tapirs que les
gens du docteur ont poursuivis, ils n'en ont tué
que deux. L'explorateur croit que cela tient à ce
qu'ils n'employaient que des chevrotines, qui glis-
sent sur la peau de l'animal en n'y produisant
qu'une simple contusion. Seules les balles tirées à
courte distance sont capables de produire des plaies
pénétrantes et de donner la mort.
Le tapir se tient généralement aux environs des
cours d'eau. On s'assure facilement de sa présence
par de profondes empreintes qu'il laisse dans l'ar-
gile. Ses membres antérieurs sont terminés par
quatre doigts recouverts de sabots et les posté-
rieurs par trois seulement. Les déjections de cet
animal, qu'on rencontre à chaque instant sur les
bords du Maroni et du Yary, ont la plus grande
ressemblance avec celles du cheval. Le tapir, en
effet, se nourrit exclusivement de plantes herba-
cées.
Le tapir circule surtout pendant la nuit; les
voyageurs sont fréquemment réveillés par son pas-
sage à quelques pas de leur hamac. On l'entend,
dans l'obscurité, brouter l'herbe et les jeunes
pousses qui se trouvent sur le bord des rivières.
On pourrait croire que cet animal, qui n'a pour
toute défense que l'épaisseur de sa peau, souffre
beaucoup des tigres mais un Boni a assuré au
docteur Crevaux avoir achevé un grand tigre qui
avait été blessé dans une lutte avec un mai'pouri.
Celui-ci, attaqué par derrière au moment où il
dormait paisiblement, s'était précipité tête baissée
au milieu d'un fourré très épais et y avait assommé
son adversaire.
La tête du tapir, comprimée latéralement, agit
comme l'éperon d'un navire pour ouvrir un passage
à travers les fourrés les plus épais.
Le tapir n'est dangereux pour l'homme que
lorsqu'il est blessé il lui arrive alors de se retour-
ner même contre une pirogue qui lepoursuit et de
la faire chavirer d'un coup de tête.
La chair du tapir est excellente lorsque l'ani-
mal est gras et jeune, elle a tout à fait le goût du
bœuf; la partie la plus recherchée est une bosse
de graisse très ferme, ayant la consistance de la
couenne de lard, et qui se trouve au niveau de la
crinière.
Le tapir, d'un naturel timide, n'attaque pas
l'homme, même pour défendre ses jeunes.
Le docteur Crevaux raconte qu'ayant poursuivi
un jour un tapir femelle et son petit dans un en-
droit où le Yary est large, mais peu profond, il a
vu la mère prendre la fuite toute seule. Il est vrai
qu'elle ne quitta pas le rivage avant que les chas-
seurs eussent relâché sa progéniture qu'un des
nègres de l'escorte tenait enlacée dans ses bras
vigoureux. Le petit animal poussait des sons aigus,
comparables au sifflement de certains singes.
On a dit que le tapir ne sortait dans la journée
que par les temps de pluie. Nos explorateurs
récents, Crevaux, Coudreau, Guigues, s'accor-
dent à dire que c'est une erreur, et tous ont vu
souvent des tapirs se promener près des bords des
rivières et les traverser pendant la saison des fortes
sécheresses, en plein midi.
Au dire des habitants du haut Maroni, il arrive
quelquefois que le tapir, broutant l'herbe de la
rivière, est assailli par un serpent boa qui l'enlace
rapidement de ses anneaux. Il ne succombe pas
généralement, dans cette lutte avec le géant des
reptiles. Ceux qui ont observé un de ces combats
disent qu'une fois saisi, il fait un mouvement d'ex-
piration pour diminuer le diamètre de sa poitrine;
le boa profite de ce mouvement pour resserrer ses
anneaux autour de sa proie alors le tapir, d'un
mouvement d'inspiration qui est d'autant plus
grand que l'expiration a été plus forte, dilate
subitement son thorax et détend les anneaux du
reptile.
Les Bonis ont raconté à M. Guigues qu'un
homme vigoureux de leur tribu est parvenu à se
dégager ainsi de l'étreinte d'un boa, en dilatant
fortement sa poitrine.
Paca, Agouti, Cabiaï. Ces trois gibiers ap-
partiennent à la famille des rongeurs.
L'agouti et le paca ont une chair ferme et excel-
lente.
L'agouti ressemble au cavia, vulgairement ap-

pelé cochon d'Inde, par sa conformation extérieure,


au lapin et au lièvre par sa taille, ses mœurs et
ses habitudes. Il a l'instinct de se peigner et de se
nettoyer souvent, comme les chats, aussi est-il tou-
jours lisse et luisant. Son pelage est généralement
d'un fauve orangé teinté de noir, avec des nuances
verdâtres, plus sensibles sur les membres.
L'agouti vit dans les bois et se loge. dans les
trous des vieux arbres, qu'il agrandit et arrange de
manière à s'en faire une habitation commode. I! se
nourrit surtout de substances végétales, racines,
feuilles, fruits, graines. Quelques-uns prétendent
qu'il mange aussi de la chair, mais le .fait n'est
rien moins que prouvé. II se sert de ses pattes,
comme l'écureuil, mais avec moins d'habileté, pour
prendre ses aliments et les porter à sa bouche.
On rencontre souvent les agoutis par troupes de
vingt à trente individus; on leur donne la chasse
pour leur chair, qui est très délicate et très estimée.
Comme ils courent très vite, il est difficile de les
forcer en plaine ou dans les montées mais dans
les descentes rapides on les prend plus aisément.
L'agouti s'apprivoise facilement. La peau sert
aux Indiens à se fabriquer leurs vêtements rudi-
mentaires.
'Le paca a des formes lourdes, trapues, et son
corps, bas sur jambe, lui donne l'aspect d'un
gros lapin. On l'a longtemps confondu avec le
cabiaï. Il s'en distingue pourtant par de nombreux
caractères bien distincts.
Les pacas sont des animaux à démarche assez lente
et comme embarrassée néanmoins, quand ils sont
poursuivis, ils courent très bien. Ils fréquentent
de préférence les lieux boisés et couverts, humi-
des ou voisins des eaux; ils s'y creusent des ter-
riers. Par leur allure et leur grognement, ils
rappellent assez le cochon; comme lui ils fouillent
la terre avec leur museau pour chercher leur nour-
riture ils nagent et plongent très bien; on assure
qu'ils peuvent rester assez longtemps sous l'eau
sans revenir à la surface.
Essentiellement nocturnes, ils ne vivent que de
substances végétales, et dans les pays de cultures,
ils causent fréquemment de grands dégâts dans les
plantations de cannes à sucre, dont ils sont friands.
Leur chair constitue un mets délicat.
Les pacas se creusent des terriers comme les
lapins, mais peu profondément; de sorte que sou-
vent les chasseurs en marchant enfoncent dans
l'endroit où ils sont cachés pendant le jour, et les
font partir.
!I y a. deux espèces de pacas le paca brun,
à pelage brun noirâtre, marqué de chaque côté
du corps de quatre ou cinq rangées longitudi-
nales de taches blanches arrondies; et le paca
fauve, qui a le pelage fauve avec des taches
blanches comme chez le précédent et les pattes
antérieures brunes.
Ces animaux sont faciles à apprivoiser.
« Il s'accoutument aisément, dit V. de Bomare,
à la vie domestique ils sont doux et traitables
tant qu'on ne cherche pas a les irriter ils sont
très sensibles aux caresses et aiment qu'on les
flatte. Ils mordent les gens qu'ils ne connaissent
pas ou qui les contrarient, mais ils ne mordent
jamais ceux qui ont soin d'eux ils manifestent
leur colère par une espèce de claquement de
dents et par un grognement qui précède toujours
leur petite fureur. Ils mangent de tout, mais ils
aiment surtout le sucre et les fruits. »
La chair de ces animaux est blanche, tendre et
succulente; sa saveur rappelle assez celle du lièvre;
elle est grasse et accompagnée d'un lard assez
épais; on mange même la peau des jeunes comme
celle du cochon de lait. Les adultes donnent une
assez belle fourrure.
« Les cabiaïs, dit d'Orbigny, vivent sur les
bords des fleuves par troupes de cinquante à soixante.
Grands comme nos cochons, ils sont à peu près
amphibies. Sur terre comme dans l'eau, ces pauvres
bêtes n'ont pas une heure de sûreté ni de calme.
Ici les jaguars les dévorent; là, les caïmans les
attaquent. Décimés par deux ennemis si puissants,
ils se multiplient néanmoins d'une façon prodi-
gieuse. Plus d'une fois, dans le cours de notre navi-
terre on les voyait assis sur leur derrière comme
les lapins, remuant aussi comme eux leur lèvre
supérieure. Le cabiai est le plus grand animal de
la famille des rongeurs. Sa chair, qui a une odeur
de musc, se sale et se prépare en jambons. »
Le cabiaï a les pattes à moitié palmées; c'est
ce qui lui permet de passer une partie de son exis-
tence à courir les rivières. S'il est poursuivi par
les chasseurs, il plonge comme un canard.
Pécari. Au sujet de cet animal, nous trans-
crivons textuellement les notes suivantes, écrites
par le docteur Crevaux, le 5 août, dans le village
de Cotica
« Je suis allé aujourd'hui, au village de Pobian-
chi, voir un sauvage nommé Apatou, qui paraît
décidé à remonter le fleuve. Au retour, nous enten-
dons un cri d'alarme qui part du village « Pingo f
Pingo! »
» Mon compagnon court ventre à terre et dis-
paraît en un clin d'œil. Ne sachant de quoi il
s'agit et voyant les femmes et' les enfants se pré-
cipiter vers la rivière, je cours moi-même dans
cette direction, pensant qu'un grand malheur est
arrivé et que mes connaissances médicales pour-
ront servir.
» Pingo 1 Pingo Gadou a s'écrie une femme
qui me montre plusieurs points noirs dans la rivière.
Quinze pirogues sillonnent le fleuve dans tous les
sens; on entend des coups de fusil et l'on voit les
pagayeurs se lever à chaque minute pour frapper
à coups redoublés sur les corps noirs en question.
Chassa aux pécaris.
» Quel est donc l'animal qui donne lieu à cette
chasse égrenée Est-ce un poisson ou bien un
mammifère amphibie ? Enfin, le champ de bataille
se rapproche, on distingue l'es combattants. Les
points noirs sont des têtes qui ressemblent à celle
du sanglier la lutte va finir, les derniers survi-
vants reçoivent sur le nez de grands coups qui les.
assomment.
» Une petite tête dépassant à peine le niveau
de l'eau a échappé aux regards des chasseurs
je reconnais un petit pécari que je recueille dans
mes bras au moment où il atteint la rive.
» Les pirogues chargées à couler bas revien-
nent au plus vite. On pousse des cris de joie,
Une légère embarcation montée par un homme et
une femme rapporte sept pécaris d'un poids moyen
de 20 kilogrammes. Notre équipage, n'ayant
pas de canots et s'étant embarqué à bord de diffé-
rentes pirogues montées par des Bonis, reçoit trois
pécaris et demi pour sa part de prise.
» Le soir, après dîner, je vais fumer un cigare
dans la case d'un voisin. Ces braves gens sont
radieux et bénissent le Gadou (bon Dieu) de leur
avoir donné 38 pingos.
» Hommes et lemmes travaillent avec
la plus
grande activité à préparer la viande. Tous ne
procèdent pas de la même façon pour enlever les
poils, qui ressemblent aux soies de sanglier les
uns passent le corps tout entier sur une flamme
vive et raclent la peau avec un couteau les autres
coupent la viande par quartiers et la plongent
dans l'eau bouillante pour arracher ensuite les poils
à la main.
B .Le remarque qu'on rejette au loin un morceau
de peau dé la région lombaire; elle renferme une
glande sécrétant une matière blanche qui a l'odeur
du musc. Cette glande, se trouvant immédiatement
sous le derme, a une longueur de six centimètres
sur trois de largeur et sept ou huit millimètres
d'épaisseur à l'œit nu, elle présente la plus grande
analogie de structure avec les glandes salivaire~
de l'homme; son canal excréteur débouche dans
un petit mamelon qui est recouvert de poils.
» La viande est disposée sur des espèces de
treillis élevés à un mètre du sol et soutenus par
trois ou quatre piquets. Au-dessous, on allume un
grand feu qu'on entretiendra pendant toute la
nuit. Demain on aura une viande qui se conservera
pendant quatre ou cinq jours elle sera bouca-
née.
» Le boucanage est le seul procédé employé
par les indigènes des Guyanes pour la conservation
du gibier et du poisson. La viande boucanée est
réellement bonne la surface, devenue un peu
croustillante à la flamme, a une légère odeur qui
flatte le palais.
» En voyage, on peut conserver le gibier pen-
dant longtemps si l'on a soin de le placer chaque
nuit sur un boucan. La chair ainsi conservée se
mange généralement bouillie, mais on peut la
consommer sans aucune préparation. Il est à noter
que les noirs du Maroni, aussi bien que tous les
Indiens, n'enlèvent pas la peau du gibier, mais se
contentent seulement d'arracher les poils.
» Nous avons été quelquefois effrayés par des
beuglements épouvantables qui partaient de la
rivière c'était une bande de loutres qui remon-
taient le courant à la poursuite du poisson. Les
Bonis ne chassent la loutre que pour se divertir,
car ils ne font aucun cas de sa viande qui a mau-
vaise odeur, ni de sa peau parce qu'ils n'ont pas
besoin de fourrures.
» En descendant le Yari, un de nos hommes a
été assez habile pour envoyer sa flèche dans ia
bouche d'une loutre au moment où elle arrivait à
la surface de l'eau pour respirer. »
SINGES. Les naturels chassent trois espèces de
singes; ce sont
Le singe rouge ou hurleur que les anciens habi-
tants des Guyanes désignaient sous le nom d'a-
louata, le singe noir ou couata et le singe blanc que
les Bonis et les noirs de la côte appellent macaque.
Le singe rouge est très commun dans tout le
pays chaque nuit, les voyageurs sont réveillés
par les hurlements de cet animal, qui, bien que
plus forts que les beuglements d'un bœuf qu'on
égorge, ont une certaine analogie avec eux. Cet
animal se fait entendre surtout le matin, à l'heure
où les coqs réveillent les habitants des villages.
Une particularité intéressante, c'est que le singe
hurleur est capable de donner en même temps des
sons aigus et des sons graves, de manière à faire
croire que deux individus s'accompagnent. L'exa-
men attentif de l'appareil vocal du singe hurleur
nous rend. compte de ce phénomène.
Chez lui, l'air sortant des poumons par la tra-
chée peut suivre en même temps deux directions
différentes ou sortir directement par la glotte, ou
passer par une énorme cavité creusée dans l'os
hyoïde, et qui forme un véritable résonateur. L'air
qui sort directement donne les sons aigus, tandis
que celui qui passe dans la caisse de l'os hyoïde
produit les sons graves.
En examinant à plusieurs reprises des bandes de
singes hurleurs, le docteur Crevaux a remarqué
que lorsque l'un de ces animaux se livre à ces
exercices de chant plus ou moins harmonieux, il
se promène seul tout le temps que dure ce concert
peu récréatif, tandis que ses compagnons restent
dans une immobilité complète.
Il est à noter que c'est toujours le plus gros mâle

Singe h~rtenr. MMxpM.

qui lance, en se promenant, ces véritables duos à


travers l'espace.
Le singe hurleur a le cerveau petit relativement
à la grosseur de son corps, et encore ses circonvo-
lutions cérébrales sont-elles peu développées. Les
disciples de Fourier ne manqueraient pas de tirer
de là une analogie peu favorable aux musiciens en
général et aux artistes lyriques en particulier.
Le couata ou singe noir est beaucoup plus intel-
ligent et plus habile que le singe hurleur. Il a le
cerveau relativement volumineux et les circonvo-
lutions cérébrales nombreuses. Le docteur Crevaux
a vu un couata de taille moyenne poursuivre un
gros singe rouge qu'il frappait à coups de bâton.
Les mains du couata sont remarquables par leur
peu de largeur et leur longueur démesurée. Sa
chair constitue un excellent aliment, de beaucoup
préférable à celle du singe rouge et du macaque.
La graisse du couata, liquide à la température de
la zone torride, est excellente pour graisser les
fusils et pour faire la cuisine.
Le macaque ou singe blanc est l'espèce la plus
commune dans les Guyanes. Cet animal donne des
preuves manifestes d'intelligence.
Voici une anecdote racontée à ce sujet par le
docteur Crevaux
« Pendant que nos hommes couraient les bois,
nous avons assisté un jour à un curieux spectacle.
Un gros macaque se trouvait posté devant un es-
saim de mouches à miel. L'index gauche, placé
devant l'ouverture du nid, se relevait de temps en
temps comme le clapet d'une soupape. La mouche
qui se présentait à cette porte entr'ouverte était
habilement saisie entre le pouce et l'index de la
main droite et placée sous la dent.
» Un tout petit singe qui se trouvait à côté ma-
nifestait un. air d'envie à chaque capture.
» Enfin, furieux de ne pas prendre part à ce
festin, dont l'éloignait impitoyablement la menace
d'une calotte bien appliquée par le gros singe, il
se précipite d'un bond- sur le nid, le met .en mor-
ceaux, et s'enfuit au galop. Le gros macaque, au-
quel sa gloutonnerie n'avait pas permis de prévoir
ce tour machiavélique, est assailli par des mil-
liers de mouches qui lui font payer cher son
égoïsme. »
0)SEAUX. Les meilleurs oiseaux sont ceux qui
appartiennent à la famille des gallinacés, principa-
lement le hoco et la maraille.
Le hoco, qui est du volume d'une petite dinde,
est très facile à tuer son .bréchet est recouvert
d'une couche musculaire épaisse, que l'on peut
faire griller comme de véritables filets de bœuf.
Le mâle se fait entendre assez souvent pendant
!a nuit, et de grand matin, comme le coq. Il se
distingue de la femelle en ce que le panache qu'il
porte en guise de crête est complètement noir,
tandis que celui de la femelle est tacheté de blanc.
Cet oiseau, très facile à apprivoiser, se promène
comme les poules autour des habitations. M. Gui-
gues en a vu d'apprivoisés qui faisaient leur nid
sur un arbre. Pour fabriquer ce nid, les hocos se
servent de petites branches qu'ils cassent avec leur
bec et qu'ils disposent avec leurs pattes d'une façon
très artistique.
La maraille se tient sur les arbres elle donne
une chair excellente lorsqu'elle est grasse.
La maraille ou le marail a, comme le hoco, sur
la tête des plumes qu'elle relèvent hérisse en forme
de huppe, quand elle est excitée.
Les marailles vivent dans les forêts, recherchent
les endroits touffus, se perchent sur les branches
les plus basses et se cachent pendant le jour dans
l'épaisseur des frondaisons. Le matin et le soir,
elles sortent de leur retraite pour vaquer à leurs
besoins; alors elles s'en vont souvent sur la lisière
des bois, mais sans jamais s'engager bien avant
dans les lieux découverts.
Leur nourriture se compose de fruits, de graines,
de bourgeons, de jeunes pousses d'herbe.
Ces oiseaux vivent en petites familles. Ils ont le
vol bas, horizontal et de peu d'étendue; dans la
marche, ils s'aident de leurs ailes, ce qui facilite
beaucoup leurs mouvements. A chaque mouve-
ment qu'ils font en avant, leur queue s'arrondit
faiblement, comme chez les hocos.
La maraille pénélope, qui est spéciale à la
Guyane, est de la grosseur d'une poule ordinaire
et atteint près de 70 centimètres de longueur
totale. Son plumage est d'un vert foncé à reflets
métalliques; la partie nue des régions orbitaire et
temporale est d'un rouge pâle; la gorge et la
membrane qui l'accompagne sont d'un bleu vio-
lacé la poitrine et le cou sont tachetés de blanc;
les pieds sont rouges avec les ongles noirs.
Les marailles prises jeunes s'apprivoisent aisé-
ment, s'élèvent très bien en domesticité et s'ac-
cordent parfaitement avec les hôtes habituels de la
basse-cour.
Sonnini, le grand naturaliste, dit en avoir vu une
dont la familiarité était importune cet oiseau était
~nsible aux caresses, et lorsqu'on répondait aux
s~nes, il témoignait la joie la plus vive par ses mou-
vements et par ses cris, semblables à ceux d'une
poule qui rassemble ses 'poussins autour d'elle.
Nous terminerons cette description sommaire
des gibiers à plumes qu'on rencontre en Guyane,
en parlant de l'agami. Celui-là tient à la fois des
gallinacés et des échassiers.
L'agami est de la taille d'un faisan. Son plumage
d'un beau noir sur les ailes, sur le cou, sur la tête
et sous le ventre, présente sur la poitrine des re-
flets irisés. Une bande d'un rouge ferrugineux,
bien tranché sur le noir, après avoir partagé le dos
en deux parties, dont l'inférieure est d'un gris
cendré clair, passe sur les ailes en dorant les pe-
tites couvertures d'un fauve éclatant.
La tête, la gorge et la partie supérieure du cou
sont simplement couvertes d'un duvet court, légè-
rement crépu et moelleux au toucher; le tour de
l'œi! est nu le bec est conique et un peu convexe.
La longueur des jambes, dont le bas est dégarni de
plumes, a pu seule déterminer le rang que Cuvier
lui assigne parmi les grues.
En Guyane, l'agami s'appelle aussi l'oiseau
trompette il doit ce nom aux sons sourds qu'il fait
entendre sans ouvrir le bec.
Il habite les forêts épaisses et éloignées des ha-
bitations. Toutefois il n'est nullement sauvage.
Les agamis vivent par troupes de trente ou qua-
rante individus. Ils se laissent facilement approcher
par l'homme, au point que l'on peut en abattre plu-
sieurs avant que les autres pensent à s'enfuir. se
tient de préférence sur les lieux élevés, a le vol
lourd et se nourrit d'insectes et de fruits sauvages.
L'agami est facile à domestiquer. Son intelli-
gence acquiert dans nos basses-cours un dévelop-
pement merveilleux. Il sait reconnaître celui qui
le soigne et se prend pour lui d'une affection sin-
cère il obéit à sa voix, répond à ses caresses ef
en sollicite de nouvelles jusqu'à l'importunitë il
fête sa présence par des transports de joie, se
montre triste en le voyant partir et bondit à son
retour.
Comme le chien, il sait reconnaître les amis de
la maison et accueillir leur arrivée. On lui accorde
même l'intelligence de nos chiens de berger et il
exerce sur les volailles des basses-cours le même
empire, la même surveillance que ces derniers sur
les moutons.
SAURIENS. Dans l'ordre des sauriens, nous
trouvons le caïman. Ce mot caïman, qui sert à dé-
signer les crocodiles d'Amérique, est usité chez les
indigènes des Guyanes, qui n'ont jamais eu de
rapports avec la civilisation. La chair de ce saurien
a une forte odeur musquée et n'est jamais mangée
par les nègres Bosch.
Le docteur Crevaux raconte qu'il lui est arrivé
de mettre pied à terre à côté d'un caïman que son
immobilité lui faisait prendre pour un morceau de
bois mort. Cet animal féroce n'aurait eu qu'à ou-
vrir la gueule pour saisir l'explorateur par une
jambe. Loin de l'attaquer, il se laissa choir à l'eau
et se sauva.
Un Boni qui accompagnait l'explorateur, ayant
voulu prendre des œufs de caïman, fut poursuivi
avec une telle, célérité qu'il ne trouva d'amre
moyen d'échapper à son adversaire qu'en grimpant
au plus vite sur un arbre. Ce malheureux serait
resté de longues heures dans cette position cri-
tique, s'il n'avait frappé d'une balle le caïman qui
l'assiégeait avec l'opiniâtreté d'une mère défen-
dant sa progéniture.
Le caïman attaque avec avantage tous les mam-
mifères qui traversent la rivière; mais, à terre, le
tigre lui livre des combats desquels le puissant
représentant de la race féline sort généralement
vainqueur. Le docteur Crevaux a vu un caïman
sans queue que des piraïs dévoraient tout vivant.
On lui apprit que ce malheureux s'était battu avec
un tigre qui lui avait arraché cet appendice.
Le tigre, n'osant affronter la mâchoire formi-
dable de son ennemi, saute sur son dos et lui arra-
che la queue, qu'il dévore à son aise. Le caïmàn
mutilé regagne au plus vite la rivière pour se
mettre en sureté, mais il est aussitôt attaqué par les
piraïs qui déchirent sa plaie pour se repaître de son
sang.
I~ManM. Ce sont des sortes de lézards d'une
grande taille. Celle de Guyane est de couleur
verte devenant quelquefois bleuâtre, d'autres fois
-ardoisée et en dessous d'un jaune verdâtre. Les
côtés présentent des raies en zigzag, brunes, bordées
de jaune.
On trouve un grand nombre d'iguanes sur'le

bord des cours d'eau; on peut les tuer avec un fusil


flèche, lorsqu'on les voit sur des arbres qui
ou une
surplombent la rivière. Souvent ces animaux se
précipitent dans l'eau lorsqu'ils voient une pirogue.
8
Au dire de tous les voyageurs les iguanes con-
stituent un mets délicat.
SERPENTS. Les reptiles sont représentés par
Ces
un grand nombre d'espèces dans les Guyanes.
animaux se tiennent de préférence sur les lianes
qui bordent les rives. Crevaux a manqué de

Serpent boa. La couleuvre AL~a f~f ~'fau.

faire piquer en cueillant les fruits parfumés d'une


se
passiflore que les gens de la côte appellent Marie-
Tambour et dont lesserpentssonttrès friands. Une
espèce de serpent aquatique, que les Bonis appdent
ouatra yacouca, est particulièrement dangereuse
pour les voyageurs qui suivent les cours d'eau.
Le serpent boa est assez commun dans les cours
d'eau ou sur les rives; il atteint ordinairement !$ à
18 pieds de long et on en a vu dépassant 40 pieds
et mesurant 60 centimètres de circonférence. Les
créoles les nomment-couleuvre et aussi marna di l'eatt
(mère de l'eau). Il se nourrit d'animaux inoffensifs
qu'il surprend lorsqu'ils viennent s'abreuver sur le
bord des rivières ou bien lorsqu'ils les traversent.
Un jour Apatou, le fidèle compagnon noir de
voyage du docteur, voyant son chien saisi par un
boa gigantesque, n'hésita pas à se porter à son
secours et ce ne fut pas sans une grande émotion
que l'explorateur assista à la lutte de son nègre
contre le redoutable ophidien. Les anneaux du
reptile gigantesque entouraient le pauvre animal,
le pressaient, l'étouffaient et semblaient devoir faire
déjà craquer ses os; mais bientôt ils furent tranchés
par le sabre d'Apatou, qui ramena triomphant son
chien vivant sur le rivage. Les serpents venimeux
sont le corail, dont la taille'ne dépasse pas celle
d'une petite anguille, le grage, ou trigonocéphale
et le serpent à sonnettes. Les morsures de ces ser-
pents sont très dangereuses et souvent mortelles.
Complétons ces renseignements sur la faune de
la Guyane, renseignements empruntés pour la
plupart au récit de voyage du docteur Crevaux,
par une rapide énumération des animaux divers
qui se rencontrent dans ces pays.
Les fé!ins y sont représentés par le couguar, le
jaguar, l'once et letigre rouge, qui ressemble par
la taille au tigre du Bengale. Il est appelé généra-

Indienschassantt'aïoti paresseux.

lement jaguar en Guyane c'est un grand chat


moucheté qui fuit devant les chasseurs et se réfugie
dans la profondeur des forêts vierges.
Dans ces grands bois, on rencontre encore,
outre les gibiers que nous avons signalés, le
canacoK, espèce de biche rouge ou blanche, presque
aussi grande que celle d'Europe, le paresseux, ie
tatou cuirassé d'écaillés, le fay?M/r cn/re, de
la grande espèce, le cochon sauvage, ou n?ar/-o/

les JcHreutb, gris ou noirs, les oppossums et les


sarigues.
Les insectes hideux et malfaisants abondent en
Guyane. Parmi eux le plus redoutable est l'arai-
gnée-crabe. Le corps de ce monstre est composé de
deux parties distinctes, également couvertes de
poils d'où partent cinq paires de pattes à quatre
articulations. Ces pattes sont armées d'une griffe
jaune et crochue. De la tête sortent deux pinces
recourbées en dedans comme celles d'un crabe
elles servent à déchirer la proie.
La morsure de l'araignée-crabe n'est pas mortelle
mais elle cause la fièvre et entraîne une partie des
accidents produits par la dent des reptiles. Le seul
contact de ses poils occasionne à la peau une brû-
lure pareille à celle de l'ortie. M. Bouyer a vu une
araignée-crabe qui, les pattes étendues, mesurait
près de huit pouces de diamètre. (i).
M. Hue dit dans son excellent livre sur nos
grandes colonies
« Jamais pays ne fut peuplé de plus d'insectes
que la Guyane le fulgore porte-croix, le fulgore
pôrte-lanterne, le charançon bleu pointé de noir,
l'arlequin, dont le nom indique l'habit, la mouche-
éléphant, les moustiques, le pou d'agouti, le ver
macaque, le scolopendre, le gule, la chique, la
tique, la fourmi manioc, le scorpion, la lucilia homi-
nivore, etc. Plusieurs de ces bêtes ne sont que dé-
sagréables, d'autres sont dangereuses le contact
de quelques-unes est mortel.
» Les moustiques, dans certains quartiers, de-
viennent une véritable calamité ils sont si nombreux

(i) Voir Bouyer, Voyage dans la Guyane française. (Tour


du monde), i" semestre 1866).
que, même avec un moustiquaire, on a peine à
éviter leurs-piqûres.
» La chique est un petit msecte qui s'introduit
entre cuir et chair et y dépose ses œufs bientôt
toute une famille s'engraisse à vos dépens.
» La fourmi manioc est un véritable fléau elle
dévore tous les fruits de la campagne dans leur
première végétation. Pour se préserver de leurs
ravages, les habitants les nourrissent plutôt que
de les chasser, ce qu'ils tenteraient en vain.
» Le scorpion est énorme, il atteint la taille
d'une écrevisse sa piqûre cause rarement la mort;
elle est accompagnée de douleurs cuisantes, et
souvent amène de sérieux désordres. Quoi qu'en
aient dit certains voyageurs et bon nombre d'au-
teurs, le scorpion, placé au centre d'un cercle de
charbons ardents, se tue. Nous en avons maintes
fois fait l'expérience.
» La lucilia hominivore est une mouche ordinaire
qui n'a ni dard, ni venin, et cependant tue aussi
certainement que le serpent le plus venimeux. Elle
ressemble absolument à la mouche de nos climats
connue sous le nom de mouche à viande. Elle s'in-
troduit dans les narines ou dans l'oreille de l'homme
pendant son sommeil, y dépose ses œufs et se
retire. Les désordres occasionnés par les milliers
de larves qui se développent et subissent toutes
leurs transformations aux abords du cerveau, amè-
nent une méningo-céphalite qui emporte le malade
au bout de quelques jours, après des souffrances
atroces. »
Nous terminerons ce chapitre en disant un mot
sur le plus terrible ennemi que les hommes puissent

Chauve-Souris vampire.

rencontrer dans les bois de la Guyane. C'est le


vampire.
On appelle ainsi une grosse chauve-souris d'un
brun sombre, presque noire, un peu plus claire
sous le ventre. Ce monstre est muni de larges ailes
de peau dentelée, dont il se sert autant comme
parachute que comme organe de locomotion.
La nuit, quand les animaux ou les hommes dor-
ment en plein air, soit sur le sol, soit dans un
hamac, le vorace animal se laisse tomber sans bruit
sur sa proie; il s'approche du cou de la victime et,
agitant ses ailes velues, entoure son visage d'une
sorte de douce ventilation. Alors commence
l'oeuvre mortelle. Le vampire déployé une très
longue langue, portant à son extrémité huit suçoirs
aigus rangés en cercle. Au centre se montre une
autre végétation plus saillante et terminée en
pointe comme une lancette de chirurgien.
Ce repoussant appareil, après s'être recourbé en
tous sens, se colle tout à coup sur la gorge du
dormeur et les neuf appareils entrent en exercice,
semblables aux ventouses scarifiées dont on se sert
dans les hôpitaux.
Le sang de la victime est absorbé à flots sans
qu'elle se réveille, car pendant la succion le vampire
n'a pas cessé d'agiter ses ailes et d'épaissir ainsi le
sommeil du dormeur qui passe de vie à trépas.
in.
HISTOIRE DE LA COLONISATION DE LA GUYANE
FRANÇAISE.

La plus grande partie de ce chapitre sera em-


pruntée au vaillant et savant explorateur Henri
Coudreau, qui a bien voulu nous communiquer les
épreuves d'un long et précieux travail qu'il pré-
pare pour l'éditeur parisien Challamel, et nous
autoriser à y puiser à notre aise.
Cette étude est si complète et si intéressante que
nous l'aurions volontiers citée tout entière si le
cadre modeste de ce volume l'avait permis. Nous
nous contenterons de lui emprunter les faits les
plus importants comme nous le ferons encore
quand il s'agira des richesses de la Guyane.
C'est au commencement du xvi~ siècle que la
France commença à coloniser ses possessions de
l'Amérique équinoxiale; de nombreux voyageurs se
dirigèrent vers la Guyane à qui l'on donna le nom
ambitieux de France équinoxiale.
Nous avons dit déjà que, dès l'origine, cette
terre fut un pays de chimères et de vanité. Le
littoral fut à peine connu que des aventuriers de
toutes provenances se lancèrent dans les terres à la
recherche de l'eldorado.
Pendant que les premiers spécimens de la race
des chercheurs d'or s'abattaient sur la colonie, les
premiers essais de culture furent également entre-
pris. Ceux des aventuriers que la frayeur des
dangers à courir attachait au rivage, cultivèrent un
peu pour ne pas mourir de faim.
Mais ces traînards de l'armée des conquistadores
n'étaient pas des Cincinnati. Pour l'ordinaire, leurs
essais agricoles se bornaient à des vols de bestiaux
et de denrées alimentaires accomplis aux dépens
des Indiens du pays. Ces derniers résistèrent
vaillamment et voilà allumée une guerre terrible
dans laquelle, pendant un siècle, les Indiens tinrent
bon sans reculer d'un pouce. Plus il débarqua de
reîtres et de braves sur la côte d'Eldorado, plus il
en fut exterminé.
La seconde époque de la colonisation est celle
des seigneurs ruinés, capitaines d'aventure, riches
d'audace, légers de science, de scrupules et
d'argent.
Le premier de ces capitaines se nommait Adalbert
de La Ravardière c'était un gentilhomme pauvre,
mais illustre et de la plus pure Gascogne.
Chargé par Henri IV d'aller visiter la France
équinoxiale, il partit et en revenant affirma avec
tant d'aplomb l'avenir de cette contrée qu'il obtint
la direction de la première colons à installer en
Guyane.
Il s'établit à la montagne des Tigres, dans l'île
appelée depuis île de Cayenne. La petite colonie
fut conduite militairement, ce qui ne lui fut peut-
être pas très favorable. Toutefois la position, sauf
l'éloignement de la mer, était bien choisie. Du
monticule on découvre l'île entière, aux alentours
la terre est fertile non loin de là des rivières se
présentent dans tous les sens pour ouvrir l'inté-
rieur. Malheureusement, au pied de la belle mon-
tagne vivait un chef caraïbe, le terrible Auouaïcary,
avec qui les nouveaux venus ne surent pas vivre
en bonne intelligence et un jour, qui n'a pas été
précisé, tous les blancs furent massacrés. C'était
environ en 1604.
C'était là un début de mauvais augure, mais on
ne se découragea pas.
Vers 1610, eut lieu la prise de possession offi-
cielle de la Guyane par la France.
Le roi, se désintéressant de la question de colo-
nisation, laissa agir l'initiative privée qui, disons-le,
ne fit pas non plus preuve d'une bien grande
habileté.
En 1626, des marchands rouennais envoyèrent
sur les bords de la rivière de Sinnamary une colonie
de vingt-six hommes. Malheureusement ils eurent
l'idée de faire commander leurs vingt-six hommes
par des sergents d'armes.
Que devinrent-ils ? L'histoire est muette. On
voit seulement que les mêmes négociants normands
envoyèrent en 1626, sur les bords de la Counamama
une nouvelle colonie, sous la conduite de nouveaux
sergents d'armes. Ces établissements, dans le voi-
sinage d'Indiens pacifiques mais peu endurants,
n'eurent qu'un succès médiocre. Enj6~oet en 1633,
les sergents demandèrent et obtinrent des renforts.
Que devinrent ils ? on l'ignore, mais ce qu'on sait,
c'est que, peu après l'expédition dans les deux co-
lonies du convoi d'émigrants de 1633, les deux
postes ne figurent plus sur les cartes.
En 1634, un capitaine Legrand, s'établit dans
l'île de Cayenne et essaya des cultures, mais cette
colonie, malgré le privilège de commerce qu'elle
obtint sur l'Orénoque et l'Amazone, ne cessa de
languir.
C'est en 1633 que les Anglais firent- leur pre-
mière visite à notre Guyane. Ils s'y installèrent
comme dans une maison abandonnée. Ils occupè-
rent l'île de Cayenne et de là firent des excursions
ayant pour but l'étude du pays. N'ayant trouvé
nulle part aucun travail préparatoire, ni routes, ni
ponts, ni canaux, ni ports, ni défrichements, ni
desséchements, les visiteurs reprirent la mer,
attendant flegmatiquement le jour où les premiers
travaux d'aménagement seraient accomplis.
A cette époque, le territoire nominal de ce que
l'on appelait déjà la France équinoxiale était
immense. Cette colonie, sur le papier, comprenait
la totalité de l'île de Guyane, Elle était bornée
par l'Orénoque, la Cassiquaire, le Rio Negro,
l'Amazone et la mer. Depuis, Anglais, Hollandais,
Portugais, Espagnols, s'en sont adjugé sans gène,
les plus belles parties, et pourtant la Guyane fran-
çaise actuelle est encore 300 fois trop vaste pour
sa population.
En !6~, premier grand désastre. Une nouvelle
compagnie rouennaise, jouissant du même privilège
que la précédente, se forma sous le nom de Com-
pagnie du cap du Nord. Un sieur Poncet de
Brétigny fut chargé de conduire le premier convoi,
qui se composait de trois cents hommes, ramassis de
vagabonds et de truands, sans une seule femme.
Les émigrants étaient engagés pour trois ans.
Les aventuriers d'Europe qui s'engageaient alors
à trente-six mois de travail dans les colonies ne
savaient guère ce qui les attendait. Une fois arrivé
à destination, l'engagé était un esclave blanc
plus matriculé que ne l'eût été l'esclave nègre, car
le dernier était esclave à vie, et le premier pour
trois ans seulement. Le maitre nourrissait et logeait
l'engagé, mais il pouvait le céder pendant le cours
de l'engagement. Le prix courant était de trente
écus. 11 lui assignait sa tâche, le récompensait, le
châtiait, l'excédait de travail, le torturait selon son
bon plaisir. Mais un gentilhomme n'était pas à cette
.époque, et surtout aux colonies, inquiété pour si
peu. L'engagé avait rêvé l'Eldorado; c'était le
bâton, le fouet, la torture et la potence qu'il ren-
.contrait.
Poncet aborda dans l'île, alors déserœ, où s'éleva
depuis Cayenne. II y rencontra deux ou trois êtres
à peu près nus, mourant de faim, parlant la langue
-des Gallibis, dont ils avaient pris les mœurs. Ces
malheureux lui demandèrent protection contre les
.Indiens, qui les avaient réduits en servitude.
Le gentilhomme reconnut en eux des compa-
triotes, restes misérables des premières expéditions.
Ils étaient venus chercher des fiefs et étaient tom-
bés en esclavage.
Poncet ne se laissa pas influencer par ce funeste
présage. 'Il fit le tour de sa petite île, et, ayant
-découvert sur la côte. nord-ouest un monticule
d'une assez belle apparence, il en fit l'acquisition
au chef indien Cépérou, qui y était établi. Désor-
mais la montagne porta le nom de l'Indien.
Cette acquisition était doublement habile.
L'endroit était très bien choisi et c'était de bonne
diplomatie que de dépenser quelques bibelots pour
se concilier l'amitié d'un chef indigène plutôt que
de le déposséder de vive force.
Sur le mont Cépérou s'éleva un village qui fut
appelé Cayenne, du nom d'un autre chef indien.
Malheureusement l'ivresse du pouvoir absolu,
l'isolement, la fièvre peut-être ou l'ennui, détra-
quèrent la cervelle du fondateur. Il se conduisit
en bête féroce, chassant et traquant les Gallibis,
ses voisins. II organisait de grandes salles de tor-
ture, où il s'amusait à aller voir supplicier aussi
bien ses hommes que les indigènes.
Cela exaspéra le petit peuple. La guerre civile
éclata; les Indiens vinrent en aide aux révoltés,
il y eut des massacres, des assassinats, des batailles.
Poncet fut tué par les siens.
Après la mort de ce fou furieux, la colonie, bien
que décimée par la guerre, les maladies, la famine,
les excès, n'en continua pas moins à maltraiter les
Indiens. Ils allaient saccageant les carbets, enle-
vant les femmes et les filles des Gallibis, qu'il eût été
si simple d'acheter sans commettre cent atrocités.
Les restes de l'expédition Poncet se rendirent
enfin tellement odieux aux indigènes, que le baa
de guerre fut publié chez toutes les nations indien-
nes, de l'Oyapock au Sinnamary, et qu'une armée
de confédérés caraïbes vint mettre le-siège devant
le village de Cayenne, qui fut détruit vingt-cinq
hommes seulement échappèrent au désastre, en
se retranchant fortement au sommet du Cépérou.
En iy/). ces malheureux reçurent de France un
renfort de quarante hommes envoyés par les asso-
ciés de Rouen.
Les nouveaux venus, effrayés de la triste si-
tuation de la colonie, reprirent aussitôt la mer.
Seize seulement, aucœurdoubié de chêne et d'airain,
furent assez héroïques pour rester. Mal leur en prit.
Ils furent massacrés, avec les vingt-cinq autres de
l'expédition Poncet, par les Gallibis. Ainsi dispa-
raissaient jusqu'au dernier les Français de la France
équatoriale, qui redevenait la terre indienne des
premiers jours.
La chronologie nous oblige à enregistrer sept
ans plus tard, en 1632, un second grand désastre.
Cette fois il ne s'agit pas de la mort de près de
quatre cents hommes, mais de plus de huit cents.
Après quoi l'île de Cayenne et la France équi-
noxiale seront encore une fois purgées de colons
français. Vers la fin de 1634 s'était formée à Paris
une grande société, sous le nom de Compagnie de
la France équinoxiale.
9
La colonie déserte était donnée à douze seigneurs
associés.
Ces seigneurs, même avant d'arrive àCayenne,
se divisèrent pour des questions de préséance.
Parmi leurs huit cents hommes ne se trouvaient
qu'une douzaine de cultivateurs; le reste se com-
posait d'ouvriers de tous métiers et surtout de
gens sans profession. Presque pas d'instruments de
culture, à peine un vêtement de rechange.
Ces huit cents victimes partirent de Paris. L'abbé
de Marivault, l'âme de l'expédition, et le sieur de
Royville, le chef militaire, les dirigeaient. Mari-
vault se noya pendant la descente de la Seine,
Royville fut assassiné en mer par un de ses coas-
sociés.
Quand l'expédition, privée de ses deux chefs,
débarqua à Cépérou, elle y trouva soixante
hommes que l'ancienne Compagnie du Nord y avait
envoyés en hâte pour maintenir ses droits à la
possession de la Guyane. Mais les nouveaux arri-
vés étaient trop nombreux et les soixante hommes
de l'ancienne Compagnie trop indifférents. Ces
derniers passèrent avec armes et bagages à la
Compagnie nouvelle.
Cette expédition était marquée au sceau de la
fatalité. Au lieu de piocher la terre pour ne pas
mourir de faim, ces fous se mirent à se chamailler,
r
à se battre, à s'assassiner, à se juger. On créa un
tribunal qui, dès le premier jour, prononça des
peines capitales, et pendant ce temps la famine
apparaissait à l'horizon.
Les nations indiennes s'unirent contre ces blancs
qui volaient leurs femmes, leurs bestiaux, leurs
récoltes, et réduisaient les tribus en esclavage.
Un Vercingétorix indigène fit cacher toutes les
provisions, et au moment où la famine était le plus
atroce, il fondit sur les malheureux affamés. Douze
ou quinze échappèrent et gagnèrent Surinam,
qui était déjà très florissante sous la domination hol-
landaise. C'était en 1634. Cayenne mourait une
seconde fois.
Un certain Sprenger avec quelques centaines de
juifs hollandais chassés du Brésil par les Portu-
gais., vinrent s'établir dans le territoire de
Cayenne devenu désert, et pendant huit années,
de 1633 à 1663 y formèrent une colonie prospère.
Ces succès excitèrent l'envie et l'émulation des
nobles seigneurs de la France équinoxiale. Ils
organisèrent une nouvelle société, réunirent un
capital de 200 ooo livres et un convoi de ooo
émigrants et remirent le commandement de l'expé-
dition à un M. de la Barre, devant qui Sprenger
et ses hommes durent se retirer.
Le sieur de la Barre attacha son nom à un troi-
sième grand désastre, mais, plus heureux que ses
prédécesseurs, il réussit à sauver sa peau.
En moins d'un an, les i ooo émigrants, étaient à
peu près tous morts, victimes des Indiens, de la
disette et de la guerre civile.
Quand de la Barre rentra en France et qu'on
connut le sort de ses compagnons, le ministre
Colbert, en 1664, déclara que ces insuccès étaient
dus à l'incompétence de l'initiative privée et fonda
une Compagnie royale des Indes Occidentales.
Le sire de la Barre, qui devait être un bien
grand intrigant, fut choisi pour diriger les affaires
de cette compagnie en Guyane et il vit ainsi s'ac-
complir le quatrième grand désastre, après avoir
si bien contribué au troisième.
Ce seigneur arriva en 1664, avec un nouveau
convoi, convoi c'est bien le mot, de 1000 colons,
prendre possession de Cayenne au nom de la
Société royale. Les maisons détruites furent rele-
vées on en construisit de nouvelles et en 1667
Cayenne était devenu un gros village.
Quelques corsaires anglais vinrent l'attaque;.
M. de la Barre s'enfuit dans l'intérieur avec quel-
ques prêtres et laissa passer l'orage. Les corsaires
massacrèrent ou dispersèrent la population, incen-
dièrent Cayenne, puis, satisfaits, remontèrent sur
leurs navires.
Colbert récompensa son protégé du courage
déployé en cette circonstance en le nommant gou-
verneur, quand la colonie eut passé à la couronne.
Rien de plus triste et de plus misérable que
l'aspect de la contrée: le bourg aux trois quarts
détruit était en pleine forêt vierge. Nulle route,
pas de défrichements. Dans l'île, quelques centai-
nes d'individus dispersés dans des huttes, à moitié
nus, malades, vivant à la sauvage. Les carnassiers
tenaient assiégé le pauvre petit hameau de Cayenne,
où quelques douzaines de Français affamés, grelot-
tant, la fièvre dans leurs huttes, attendaient dans le
découragement l'arrivée des renforts d'Europe ou
de la mort libératrice (1667).
La Guyane, devenue colonie royale et directe-
ment administréepar la couronne, prospéra pendant
un siècle. Jusqu'à la Révolution, l'influence de
Colbert se fit sentir, et la colonie atteignit son
maximum de prospérité.
Deux ans après la grande mesure qui devait
transformer la colonie, les Hollandais vinrent voir
où nous en étions de notre œuvre de conquête du
sol. Ils campèrent deux ans au Cépérou, sur les
ruines de nos cinq ou six désastres. C'est alors
que d'Estrées vint les surprendre; ils lui abandon-
nèrent la place sans coup férir.
Cayenne fut reconstruite et Colbert entreprit à
-!a foisces trois œuvres fondamentales l'explora-
tion de la côte et de l'intérieur, l'introduction de
travailleurs et d'immigrants, et des essais généraux
de défrichement et de culture.
La première exploration scientifique de la
Guyane française fut entreprise, en 1674, par les
jésuites Grillet et Béchamel qui s'avancèrent le
plus qu'ils purent dans les terres, catéchisèrent les
Indiens et s'efforcèrent de les amener à la côte. Ce
voyage de cinq mois, qui coûta la vie aux deux
explorateurs, n'eut aucun résultat sérieux.
Rien, en effet, de plus difficile qu'une telle
exploration. Qu'on s'imagine un pays plein de
forêts et vide d'habitants, entrecoupé d'innom-
brables rivières entrelacées, larges, profondes, se-
mées de rochers, de rapides et de sauts; des lacis
de marécages pleins de roseaux de trois mètres de
hauteur des savanes tremblantes qui creusent un
tombeau sous les pas du voyageur la boue pesti-
lentielle qu'on joigne à' cela l'absence d'instru-
ments impossibles à transporter, et enfin la néces-
sité de vivre de rien, la fièvre des marais qui
enlève toute énergie, et l'on comprendra que les
trente ou quarante voyageurs qui se sont aventurés
dans les sombres solitudes de la Guyane n'en aient
rapporté que des documents incomplets.
Colbert s'occupa aussi de l'introduction de tra-
vailleurs dans la colonie. En 1683, les esclaves y
étaient au nombre de 1300. Il vida en Guyane
quelques bagnes et quelques prisons de France,
faisant flèche de- tout bois, utilisant les forçats à
faire des routes, les jésuites à amener des Indiens,
les négriers à introduire des noirs dans la co-
lonie.
A cette époque, canne, coton, roucou, indigo,
sortirent de terre, et la magnificence des planta-
tions des colons proclama le génie du créateur de
la colonie.
En 1686, la Guyane s'accrut encore en popula-
tion et en richesse. Plusieurs flibustiers, enrichis
des dépouilles de la mer du Sud, vinrent s'établir à
Cayenne. L'or et l'argent abondèrent, et ces ri-
chesses furent bien employées. Les pirates se firent
planteurs et dépensèrent des sommes énormes à
créer de vastes et somptueuses exploitations.
Leur exemple eut son mauvais côté, en faisant
naître chez les habitants l'amour des aventures. En
!688, sous le drapeau d'un écumeur de mer, ap-
pelé Ducasse, la moitié des colons français partit à
la conquête de la riche Surinam. Mais la ville,
bien gardée, repoussa ses agresseurs et ceux qui
s'échappèrent, n'osant affronter les brocards de
leurs compatriotes, allèrent se fixer aux Antilles.
Après ce désastre, il restait encore dans la co-
lonie 400 Français, une garnison de 200 hommes
et 1300 nègres esclaves. Le travail reprit avec
plus d'énergie que jamais, et, en 1690, Cayenne
bâtit sa première église.
Le Maroni avait été tacitement accepté comme
limite nord de la Guyane française, mais au sud
les Portugais franchirent nos frontières de l'Ama-
zone et du Rio Negro. M. de Férolles, un des bons
administrateurs de la colonie, se montra énergique
et amena les Portugais à signer le traité de 1700,
qui rétablissait nos anciennes limites au sud.
Les jésuites avaient rendu de véritables services
en établissant des réductions où ils réunirent plus
de 30000 aborigènes. Mais, en 1734, ils furent
expulsés par décret de Cayenne aussi bien que de
Paris. Dès lors les Indiens amenés à nous, la race
métis qui se formait, les spendides exploitations
de Guatemala et de l'Oyapock, disparurent et tout
retourna à la forêt vierge.
Pendant ce temps, les Portugais s'avançaient
au-delà de l'Amazone. Une population portugaise
s'était établie sur notre territoire. Les Indiens,
amenés en masse et catéchisés sous le nom de
Tapouyes, constituèrent une force réelle. Une série
de postes de colons français dut être échelonnée
jusqu'à l'Amazone. M. de Férolles était résolu à
agir vigoureusement, quand il fut rappelé. Dès
lors nos intérêts furent de plus en plus sérieuse-
ment menacés.
Quand, en 17! la France vaincue dut subir la
loi du plus fort, le traité d'Utrecht vint consacrer
l'usurpation des Portugais. Ce traité fixa nos fron-
tières entre la rivière Vincent-Pinçon et le Maroni,
sans explication pour l'intérieur.
Les Portugais ont voulu voir dans le Vincent-
Pinçon le fleuve Oyapock, et depuis cent soixante
ans la France dispute sur ce point. Pour elle, sa
frontière est l'Araouari. En attendant, le Portugal
peupla le territoire contesté.
La colonie néanmoins continuait à se développer
lentement, mais sûrement. En 1716, on y introdui-
sit la culture du café. C'est la première de nos
colonies qui s'y livra. Aujourd'hui, c'est celle qui
en produit le moins. Vers 1730, on planta le cacao.
A cette époque, elle comptait 1200 blancs,
5000 noirs, 2000 mulâtres, ce qui, avec les
10000 Indiens des réductions, donnait le chiffre
total de 18000 habitants, chiffre actuel. En 1766,
la colonie produisait quatre fois plus de roucou,
trois fois plus de cacao, douze fois plus de coton,
deux fois plus de sucre qu'aujourd'hui.
Deux événements malheureux faillirent ruiner la
colonie et produisirent un désastre comparable à
un tremblement de terre. L'expulsion des jésuites
priva la colonie des deux tiers de ses travailleurs;
l'expédition de Kourou ruina le crédit de Cayenne,
qui fut dépopularisée en France. On comptait
100000 Indiens dans notre territoire à la fin du
siècle dernier on en trouve à peine aujourd'hui
quelques milliers, craintifs, errants, cachés dans les
grands bois.
L'expédition de Kourou ne fut pas moins fatale.
C'est le cinquième grand désastre des seigneurs
quêtant fiefs. Cette fois, ces seigneurs s'appelaient
Choiseul, Praslin et Turgot.
Choiseul, dans l'intention de refaire sa fortune,
se fit donner par Louis XV le territoire entre Kou-
rou et le Maroni, afin de le distribuer en fiefs aux
cadets de sa famille qui deviendraient ses vassaux.
Le chevalier Turgot, frère du futur grand mi-
nistre, fut mis à la tête de l'affaire. On recruta,
principalement en Alsace et en Lorraine, 15000
malheureux qui ne furent d'ailleurs pas difficiles a
recruter. On était au lendemain de la paix de 1763
et il suffit de raconter aux soldats licenciés que
s'ils voulaient faire une fortune rapide, ils n'avaient
qu'à s'enrôler'pour l'expédition de Kourou.
On y allait comme à une fête.
« Un homme entre deux âges, raconte Pitou
dans son Voyage Cayenne, un homme, marié ou
non, vend son bien, arrive à Rochefort pour s'em-
barquer et veut choisir une compagne de voyage.
Il rôde dans la ville en attendant que le bâtiment
mette à la voile. A onze heures, une jeune cuisi-
nière vient remplir sa cruche à la fontaine de l'hô-
pital. Notre homme l'accoste et lui propose de
l'accompagner.
» Monsieur, il faut nous marier.
» Qu'à cela ne tienne entrons dans une
église nous n'avons pas besoin de bans les prê-
tres ont ordre de marier au plus vite tous ceux
qui se présentent pour l'établissement de Cayenne.
» Ils vont à Saint-Louis un des vicaires ache-
vait la messe de onze heures; les futurs se pren-
nent par la main, marchent au sanctuaire, donnent
leurs noms au prêtre, sont mariés à l'issue de la
messe et s'en retournent faire leurs dispositions
pour le voyage.
» La cuisinière revient un peu tard chez son
maître, et lui dit en posant sa cruche
» Monsieur, donnez-moi, s'il vous plaît, mon
~compte.
» Le voilà, ma fille; mais pourquoi veux-tu
t'en aller?
» Monsieur, c'est que je suis mariée.
» Mariée 1 et depuis quand ?
)) Tout à l'heure, monsieur, et je pars pour
Cayenne.
» Qu'est-ce que ce pays-là ?
» Oh monsieur, c'est une nouvelle décou-
verte on y trouve des mines d'or et d'argent, des
diamants, du café, du sucre et du coton, et dans
deux ans on y fait sa fortune.
» C'est bien, ma fille mais d'où est ton
mari ?
» De la Flandre autrichienne, à ce que je
crois.
» Depuis combien de temps avez-vous fait
connaissance?
» Ce matin à la fontaine; voilà mon extrait
de mariage. »
Le chevalier Turgot était un homme vaniteux,
superficiel et vide, selon les occasions, hautain ou
rampant.
« On espéra, dit Rufz, corriger ce que ce choix
avait de malheureux en adjoignant à Turgot pour
intendant Thibaut de Champvallon, homme grave,
doux et médiocre, auteur d'un petit livre sur la
Martinique. »
Thibaut de Champvallon s'éprit de l'entreprise,
mais il ne suffit pas de rêver à la gloire de fonder
une colonie, il faut avoir le talent et le savoir né-
cessaires.
On ne trouve guère qu'une figure intéressante
et sympathique parmi les chefs de Kourou c'est
celle du chevalier de Préfontaine, qui, lui, passa
le reste de ses jours en Guyane, où il fonda une
exploitation magnifique, dont il nous a laissé le
plan dans son excellent livre de la Maison rustique.
Préfontaine eût pu peut-être mener a bien l'opé-
ration si on lui en avait confié la direction géné-
rale, et sans l'hostilité du gouverneur de Cayenne,
Béhague, qui par haine de Turgot, son ennemi
personnel, désirait hautement la ruine complète de
la colonie de Kourou.
Préfontaine débuta bien il arriva avec deux
cents hommes à l'embouchure du Kourou, où Thi-
baut de Champvallon l'envoya tout d'abord.
II inspecta les lieux, explora la rivière, fit faire
quelques défrichements et quelques baraquements.
Par malheur, 1~ gouverneur Béhague contrecarrait
tout, et Préfontaine, absolument réduit à ses pro-
pres ressources, sans outillage suffisant, ne put
donner aux travaux une impulsion aussi vive qu'il
.aurait été nécessaire. Du 14 juillet 1763, date de
l'arrivée de Préfontaine, au 22 novembre, date de
l'arrivée de Thibaut de Champvallon, il ne se fit
presque rien.
Préfontaine, prévoyant la fin lamentable de son
-entreprise, essaya d'éclairer Champvallon; mais
celui-ci persista dans son optimisme, et Préfontaine
:se retira.
L'intendant amenait avec lui 2000 colons. Les
défrichements et baraquements, insuffisants aux
200 premiers arrivés, ne pouvaient recevoir ce
convoi. Mais les navires ne voulurent pas stationner
davantage en rade et il fallut bien débarquer les
émigrants. La plupart des bâtiments s'étant arrêtés
à Cayenne, il fallait des barques pour les trans-
porter à Kourou or Béhague ne donnait ni canots,
ni matelots, ni pilotes. Ces difficultés furent sur-
montées. Le premier convoi s'installa tant bien que
mal dans la plaine basse de Kourou.
Le premier mois, les émigrants n'eurent pas trop
à souffrir.
« J'ai vu ce désert, dit un contemporain, aussi
fréquenté que le jardin du Palais-Royal; des dames
à robe traînante et des messieurs marchant d'un
pas léger jusqu'à l'anse, et Kourou offrit pendant
un mois le coup d'œil le plus galant et le plus
magnifique. »
Cependant, dans les quinze mois qui suivirent,
12 ooo malheureux au moins moururent, dans les
plaines de Kourou, de misère et de maladies.
Les convois se succédaient, l'encombrement se
produisit, les provisions s'épuisèrent. Les premiers
arrivés découragèrent les nouveaux venus. Per-
sonne ne voulut travailler. Commençant à entre-
voir toute l'étendue de leur folie, mornes, assis
sur les roches de Kourou, ils pleuraient en regar-
dant du côté de la France.
Bientôt arriva l'hivernage, la fièvre sévit et avec
elle la famine. Béhague triomphait et n'envoyait
pas même une poignée de farine de manioc.
Dès lors toute autorité disparaît. Le désordre, le
désespoir, et bientôt les crimes, les assassinats, les
duels, les vols, le jeu, la mendicité, la prostitution,
des cas de cannibalisme viennent mettre l'horreur
à son comble.
Combien meurent tous les jours ? On ne les
compte pas. Plus de registre, plus de police, rien de
respecté c'est l'hôpital dans l'anarchie et le délire.
Cette agonie de !2 ooo malheureux dura toute
l'année 1764.
On transporta aux !Ies nommées depuis, par
antiphrase, îles du Salut, quelques centaines de
malheureux atteints du typhus; le typhus les y suivit
et les y tua. On voulut embarquer à bord des
vaisseaux les nouveaux arrivés, les commandants
refusèrent de les accepter.
Champvallon, lui-même malade et désespéré,
eut une idée singulière; il fit jouer la comédie.
Choiseul, lui, fit partir en Guyane le chevalier
Turgot, resté jusqu'alors, avec ses cent mille francs
de traitement, à se pavaner dans les salons de
Versailles.
Arrivé à Cayenne, Turgot, au lieu de se rendre
à Kourou, fit arrêter Thibaut de Champvallon, qui
fut embarqué pour la France en janvier 1765. Il y fut
accusé d'incapacité et de malhonnêteté. L'affaire en
resta là, et depuis cette époque la Guyane fut
réputée en France une contrée inhabitable pour les
blancs.
En iy66 le ministre Praslin. recommença, sur une
petite échelle, l'expédition de Kourou. Il fonda
une compagnie ,officielle pour installer à Toné-
grande 80 soldats congédiés, pour être employés
à la culture. Au bout d'un an, ils étaient tous morts.
Cette expédition, aussi follement conduite que la
précédente, avait coûté 800 000 livres.
Alors arrivèrent en Guyane deux hommes qui
eurent une grande influence sur les destinées du
pays; ce sont l'administrateurMalouet et l'ingénieur
Guizan.
Malheureusement ils détournèrent les colons
du défrichement des mornes et leur démontrè-
rent que la culture des terres basses serait beau-
coup plus rémunératrice. Le fait était vrai en
lui-même, mais ces deux hommes habiles ne pou-
vaient prévoir l'affranchissement subit des noirs
or la culture en terre haute, café, tabac, épices,
roucou, peut être faite par des Européens petits
propriétaires et n'exige qu'un petit capital, tandis
que la culture en terre basse, le coton et la
canne, demandent de grandes fortunes.
Avant 1789, nous relaterons une seconde tenta-
tive de Bessner, au Cachipour cette fois. Mêmes
espérances fantastiques, même déconfiture. Les
nouveaux actionnaires furent ruinés comme les
premiers. Mais, du coup, Bessner mourut (i/S~).
En iy88,un certain sieur de Villebois tente la co-
lonisation de l'Approuague et réussit comme ses
prédécesseurs.
En ly~i, même tentative au Ouanari par la com-
pagnie guyanaise du Sénégal même succès.
Malgré les folles entreprises d'utopistes ignorants,
la colonie était prospère en 1789. I! n'est pas sans
intérêt de dresser son bilan, afin de bien se con-
vaincre que, depuis, elle n'a jamais été aussi riche.
La Guyane française comptait alors 2 ooo Fran-
çais, 2 ooo mulâtres libres, 2 ooo Indiens civilisés,
12000 esclaves nègres, soit 18000 individus tra-
vaillant.
Le commerce atteignait ie chinre de 2 millions
de livres, d'une valeur actuelle locale d'au moins
10 millions de francs.
L'émancipation inaugura de nouvelles époques,
qui furent celles de la décadence.
La loi d'émancipation des esclaves ne fut pro-
mulgée dans la colonie que le 14 juin 1794. C'était
chose grave que de supprimer brusquement l'in-
stitution qui, pendant un siècle et demi, avait fait
la fortune de nos colonies. Ce qui était plus grave
encore, c'était de faire, des esclaves de la veille, les
maîtres du lendemain.
Les nègres, toutefois, ne pensèrent pas à user
de suite de leurs droits politiques. Ils se bornèrent
à déserter en masse les ateliers, à brûler quelques
habitations et à assassiner quelques planteurs; puis
ils se dispersèrent tout le long de la côte, derrière
les palétuviers du rivage, vivant de chasse, de
pêche et de fainéantise comme dans le doux pays
natal. La famine s'ensuivit naturellement.
Les 13 ooo esclaves libérés ne voulaient pas
travailler, et la Guyane, pendant huit ans, ne
produisit rien, pas un boucaut de sucre, pas une
carotte de tabac.
La première phase de la Révolution, la première
Liberté, comme on dit à Cayenne, n'avait vu s'ac-
complir rien de bien remarquable dans la colonie.
La famine était permanente, les proscrits politiques
mouraient ou écrivaient leurs mémoires; les créoles
b:ancs, ruinés, émigraient; les nègres, éparpitlés
dans les bois, vivaient à l'africaine, et les délégués
de la Convention, du Directoire et du Consulat
constataient l'impuissance des décrets à faire
l'impossible.
L'esclavage fut rétabli peu après, en 1802, mais
les noirs, redevenus nègres, et leshommM de couleur,
redevenus muiâlres, se cachèrent dans les bois, où
le décret ne put les aller chercher. Quelques-uns,
qui mouraient de faim, vinrent se présenter à leurs
anciens maîtres; mais les planteurs, connus pour
brutaux et cruels,.ne retrouvèrent pas un de leurs
hommes.
Les ateliers recommencèrent à fonctionner avec
4 ou 5000 esclaves au lieu de 14000. On eut,
petit à petit, recours à la traite, qui, au bout de
vingt ans, avait remis les ateliers sur le pied pri-
mitif.
L'Empereur, qui avait eu d'abord la pensée de
créer en Guyane un établissement agricole de
blancs, fut forcé d'y renoncer et y envoya un
agent, Victor Hugues, qui transforma les habitants
en pirates. Cet état de choses dura huit ans
pendant lesquels l'or et l'argent abondèrent dans
la colonie.
Mais les Portugais vinrent assiéger le nid de
corsaires et Victor Hugues ne put que stipuler la
remise de la colonie aux Portugais.
Quand, en 1817, la Guyane nous fut remise, un
besoin impérieux se fit sentir, le besoin de bras.
Il fallut recourir à la traite et à toutes les énu-
grations.
De nombreux et piteux échecs couronnèrent ces
entreprises. Nous ne les raconterons pas, car la
plupart furent surtout ridicules.
La colonie était loin de prospérer. L'Angleterre
avait interdit la traite en 1836. Depuis, les ateliers
se vidaient. De nouveaux arrivés ne comblaient
plus les vides occasionnés par la mort. Une crise
commerciale avilissait le prix des denrées d'expor-
tation. Les entreprises languissaient, les plantations
se maintenaient à peine et s'endettaient.
Ce fut dans ces circonstances malheureuses que
la métropole porta un coup terrible à la colonie.
L'esclavage fut aboli en 1848. Cette émancipation
ruina à peu près totalement les planteurs. Les
colons ruinés vécurent en vendant leurs bijoux, en
se faisant petits fonctionnaires, en recourant aux
expédients.
Cette période de marasme et de désespoir ne
devait pas durer longtemps. Trois événements
vinrent bientôt inaugurer la nouvelle époque, l'é-
poque de l'or. Ces trois événements sont la trans-
portation, l'immigration asiatique et la décou-
verte des placers.
Nous avons déjà parlé de la transportation
nous n'y reviendrons pas et nous passerons à l'im-
migration des coolies asiatiques.
De 1854 à 1869, les colons demandèrent des émi-
grants à l'Afrique. On les recruta sur -la côte de
K.ron, à Libéria, au Dahomey, au Gabon, mais
bientôt ce mode de recrutement fut interdit et l'on
en fut réduit à demander à l'Angleterre la per-
mission de faire la traite des Hindous.
il ne s'agissait que d'Aryas, de Dravidiens ou
de Kouschites l'Angleterre comprit que ce serait
pour elle une bonne opération. En nous vendant
ses Hindous des castes dégradées, elle débarrassait
l'Inde de l'exubérance de sa population, de la lie
de ses castes, et ne donnait en même temps à nos
colonies qu'une population faible et rachitique.
Et encore, au bout de treize ans, en 1874, quand
elle vit qu'on avait tout de même trouvé moyen
d'utiliser les parias et que cette engeance valait
pour nous encore mieux que rien du tout, son but
envieux n'étant pas atteint, sous prétexte de
mauvais traitements infligés à ses sujets, elle nous
ferma les ports de l'Inde. Trois mille coolies
avaient été introduits dans la colonie.
Depuis 1880, nous avons aussi amené quelques
centaines d'Annamites. L'immigration asiatique eût
pu rendre de sérieux services, si la fièvre de
l'or ne s'était emparée de la colonie.
Des efforts sont faits actuellement pour attirer
l'immigration chinoise, si utile, mais si périlleuse.
Douze ou quinze Chinois établis à Cayenne mena-
cent déjà d'accaparer tout le commerce de la place.
Il reste une immigration à laquelle personne ne
paraît plus penser, c'est l'immigration blanche. La
Guyane est parfaitement habitable pour l'Européen.
Les causes qui ont fait échouer les diverses entre-
prises de colonisation par les Français sont
connues. Nous voudrions que la colonie fût utile à
nos compatriotes.
Que la France, que d'intelligents capitalistes,
industriels, entrepreneurs, de puissantes sociétés
bien montées, transplantent dans ces belles terres
de Guyane, aménagées dans ce but, ceux'des
pauvres et des courageux du vieux pays qui
voudront, la hache et la charrue dans les mains,
venir conquérir dans ces terres nouvelles, la véri-
table indépendance, la véritable liberté l'aisance
et peut-être la richesse.
Les placers. En 1834, un ouvrier des mines
d'or de Minas-Geraes, Indien brésilien, appelé
Paulino, découvrit des pépites en arrachant de la
salsepareille dans une crique du haut Approuague.
Un coolie qui l'accompagnait dans son voyage,
l'aida à fabriquer les rudimentaires appareils
encore aujourd'hui en usage dans la colonie pour
l'extraction de l'or des alluvions des rivières.
Pauline ne savait pas notre langue. Un honnête
homme, qui était un homme de valeur, Pro~per
Chaton, ancien consul de France a Para, traduisit
en français le petit rapport du Brésilien. Mais au
lieu de s'associer avec Paulino, songeant à faire !a
fortune de la colonie avant de songer à la sienne
propre, il courut informer le gouverneur local.
Chaton mourut pauvre, après avoir dédaigné
vingt fois la fortune.
Ce fut un vieux blanc créole, d'une des plus ho-
norables familles de la colonie, M. Félix Couy,
qui exploita le premier les placers, de concert avec
Paulino. Le premier placer de la colonie fut celui
de l'Arataye, dans le haut de l'Approuague. Couy
y fut assassiné et, peu après, Paulino mourut à
l'hôpital de Cayenne, dans le dénûment.
Ce n'est pas à des gens comme Chaton et Couy que
la fortune réserve ses faveurs. Quelques vauriens
sans conséquence, un portefaix, un charbonnier,
un maçon, un tonnelier, un palefrenier, mirent
tout d'abord la main sur quelques millions. Succes-
sivement les criques de l'Approuague, du Oua-
nari, de l'Oyapock, de l'Orapu, de la Comté, du
Kourou, du Sinnamary, de la Mana et du Maroni
furent fouillées, tournées et retournées en tous
sens. Des sommes énormes furent englouties dans
ces recherches. La population tout entière émigra
aux placers, où une très petite partie gagna de
l'argent et où une bien plus forte se ruina.
A quoi tout cela a-t-il servi A avilir l'ancienne
population et à en amener une autre encore plus
méprisable, à tuer toute agriculture et toute
industrie, et à faire renchérir le prix de la nourri-
ture, des logements et des objets de première né-
cessité à un prix monstrueux à faire mourir
quelques milliers de jeunes gens dans la forêt.
Qu'a-t-on fait des 30 ou 55 millions d'or extraits
des alluvions ? La plus grande partie a été dé-
pensée en extravagances ou en nouvelles recher-
ches l'autre a été placée en France en rente sur
l'Etat, par cinq. ou six Crésus d'occasion.
En somme, la colonie a été ruinée. Le plus clair
de sa richesse, le capital emmagasiné en terres cul-
tivées, instruments de culture, appareils industriels,
a disparu. L'or trouvé au placer y est retourné et
a été incorporé aux boues des criques sous forme
de recherches infructueuses.
Arrêtons-nous ici après avoir montré la trans-
portation inutilisée, les placers nuisibles, l'immi-
gration gaspillée. Après deux siècles d'efforts,
30 ooo Français et 300 millions dépensés, pouvons-
nous dire que nous avons créé une Guyane
française
L'avenir ne naîtra prospère que lorsque la colo-
nie se sera elle-même régénérée par le travail, la
culture, le commerce. Toute autre forme de ri-
chesse est trompeuse. La Guyane a besoin d'être
régénérée par les efforts d'hommes nouveaux et
nous pensons sincèrement que seul le sang blanc
français est capable d'opérer ce miracle.
La Guyane pourtant est un des pays les plus
riches du monde. C'est ce que nous allons démon-
trer dans le chapitre suivant.
TV

LES RICHESSES DE LA GUYANE FRANÇAISE.

La forêt, les savanes, les cultures et les mines


constituent les diverses formes que prennent les.
richesses de notre colonie sud-américaine. Nous.
étudierons successivement ces quatre branches.
principales de richesses.
LA FORÊT. La forêt est doublement précieuse~.
par ses bois et par ses produits.
Ses 260 essences n'ont pas de rivales dans le
monde. Ses bois de dernière qualité, sont encore
supérieurs à nos peupliers a'Europe, ceux de
première qualité sont les plus beaux que l'on con-
naisse.
Les bois de la Guyane, présentent toutes les
qualités imaginables, de dureté ou de souplesse,
de résistance ou d'élasticité, de brillant et de poli.
Ses bois précieux, sont'un des chefs-d'œuvre de la
création. Quelques-uns offrent un parfum plus
délicat que les plus suaves aromes, les autres des
La forêt vierge en Guyane
couleurs plus belles que celles des plus beaux mar-
bres. Blanc de lait, noir de jais, rouge; rouge de
sang, veiné, marbré, satiné, moucheté, jaune som-
bre, jaune clair, bleu de cobalt, bleu d'azur, vert
tendre, toutes les couleurs de la palette ont été
mises à contribution par la nature. Un hectare de
bois dans la Guyane française, pourrait fournir les
éléments de la plus admirable mosaïque que l'on
ait encore jamais vue.
Il ne faut pas oublier que la France ne possède
que 25 essences et que les 260 que l'on connaît en
Guyane, ne représentent qu'une partie de la collec-
tion complète. En 1860, Agassiz remarquait à
Para, dans une exposition des produits de l'Ama-
zonie, une collection de 117 espèces de bois de
couleur, abattus sur un espace de. moins de 75 hec-
tares.
A une époque où le bois commence à manquer,
où l'Europe est obligée de reboiser ses montagnes
dénudées, n'est-il pas temps de se demander quelle
sera la région, quel sera le peuple qui vont main-
tenant fournir le bois nécessaire à la consom-
mation ? II s'agit de grands intérêts, puisque la
France seule importe pour 200 millions de bois par
an et l'Europe entière pour plus d'un milliard. H
semble que les innombrables cours d'eau de la
Guyane française, n'attendent que l'installation de
quelques scieries, pour fournir à l'Europe des
millions de stères de bois.
Les magnifiques essences de la grande forêt
coloniale constituent une des grandes richesses,
richesse frappante, palpable de la contrée. C'est une
estimation bien modérée que d'attribuer i oco francs
de bois à chaque hectare de foret, et cette évalua-
tion porterait à JO milliards de francs ia valeur
totale des bois de la Guyane française, dans ses
limites d'aujourd'hui.
Ailleurs, les travaux de défrichement, sont ex-
trêmement coûteux et causent parfois la ruine des
entreprises les mieux conçues; dans la Guyane les
travaux de défrichement consistent à débarrasser le
sol de quelques milliards de francs qui gisent à la
surface et empêchent la culture.
Mais il y a dans la forêt, autre chose à utiliser
que les bois rares et précieux, réservés par la pa-
tiente économie des siècles, à l'ébénisterie, à la
construction navale, au charronnage, à la char-
pente, et à tous les usages civils.
La forêt produit elle produit tous les ans ou
même plusieurs fois par an. On peut utiliser la
forêt sans la détruire. Les produits de la forêt, pro-
duits spontanés, réguliers et certains, sont aussi
riches que variés. Le grand bois donne en abon-
dance au chercheur qui parcourt ses espaces, des
produits alimentaires, oléagineux, médicinaux,
résineux, aromatiques, tinctoriaux et textiles.
On n'a pas encore assez insisté sur l'extrême
importance des produits forestiers, dans cette
région tropicale. Nous croyons même pouvoir dire
-que cette importance n'a jamais frappé personne
-dans notre Guyane. Cependant, la forêt donne
.annuellement, elle donne en abondance, sans cul-
-ture et sans danger, au colon ayant pour tout
-capital ses deux bras.
Parmi les produits alimentaires, elle donne le
<acao sauvage, le caféier, l'arrowroot, le touka;t
parmi les, oléagineux l'aouara, toutes les graines
-de palmier, le carapa, le ouabé, le caumou
parmi les produits médicinaux la salsepareille,
le quinquina, le gayac, le sassafras, le tamarin, le
-copahu et l'ipéca parmi les résineux le caout-
-chouc et les autres ficus, les gommiers, etc.
parmi les aromates l'aloès, le bois de rose, l'arbre
:à l'encens et la vanille; parmi les produits tinc-
toriaux l'indigo sauvage, les bois de teinture, dits
bois des îles pour la tannerie les palétuviers et
les chênes parmi les textiles le maho, le bàlou-
rou, l'arrouma, le moucoumoucou, la pite.
Pour utiliser ces richesses, pas n'est besoin d'une
longue patience, d'un outillage compliqué d'une
dispendieuse installation. Il n'y a qu'à se baisser
et à prendre on peut ramasser le bien-être dans
les forêts de la Guyane,. comme on cueille des
marguerites dans nos prairies. Ce ne sont pas
de riches industriels que ces Tapouyes qui, tous
les ans, sur la place de Para, envoient pour 100
millions de caoutchouc et 10 millions de cacao,
richesses qu'ils ont dérobées à la forêt inépuisable
et prodigue.
PRODUITS FORESTIERS.- Les produits forestiers de
la Guyane sont innombrables. Ils présentent la
variété la plus grande, pouvant répondre à tous
les besoins. Produits alimentaires, oléagineux~
médicinaux, résineux, aromatiques, tinctoriaux,
textiles, abondent dans cette colonie.
PRODUITS FORESTIERS ALIMENTAIRES.–Ceux-làsont

ae deux sortes: les produits forestiers alimentaires


ligneux et les produits forestiers alimentaires her-
bacés.
Parmi les arbres qui fournissent, en Guyane,
des produits alimentaires, nous citerons
Lespa!m:er~, au nombre de 23 ou 30 variétés.
Chacun de ces arbres donne sa graine, dont on
mange soit la pulpe extérieure, soit l'amande, soit
les deux produits.
Les palmiers fournissent un mets excellent, le
chou palmiste, qui atteint parfois la longueur d'un.
mètre et la grosseur de la cuisse. C'est la ressource
classique du voyageur égaré dans les bois.
Le cacaoyer sylvestre. Très répandu aux'
Tumuc-Humac. Ses fruits sont un peu plus amers
que ceux du cacaoyer cultivé, mais un procédé de
raffinage fort simple, bien connu des Brésiliens du
Para, enlève tout goût d'amertume au chocolat du
cacaoyer sylvestre.
L'exploitation de ces arbres en Amazonie, se
solde annuellement sur la place de Para par une
somme de dix millions de francs.
L'arrowroof. Son nom, qui est formé de deux
mots anglais, dont l'un veut dire flèche et l'autre
racine, lui vient de ce que les Indiens attribuent au
suc de la racine qui produit cette fécule, la pro-
priété de guérir les blessures faites par les nèches
empoisonnées.
L'arrowroot constitue un aliment léger, et, à
ce titre, on le recommande aux enfants et aux
convalescents. Cette fécule entre aussi dans les
mets sucrés; dans les potages, elle peut rem-
placer le tapioca et le sagou. L'arbrisseau aquati-
que qui le produit, et qui est une marontacée,
est fort répandu en Guyane.
Le Tot~M est un des plus beaux arbres des
régions tropicales. Les cabosses qu'il produit, font
l'objet d'un important commerce. Ces cabosses,
n
grosses au moins comme le poing, atteignent par-
fois une grosseur double. Leur enveloppe, extrê-
mement dure, renferme de une a deux douzaines
d'amandes exquises, aussi fines que nos meilleures
noisettes et que les amandes de Provence les p'us
renommées. Chaque arbre peut produire un revenu
annuel de 20 à 30 francs.
Le Ca'M/'t-A/acag:fc (Marmite de singe). Cet
arbre produit des fruits ressemblant à une petite
marmite, qui contiennent, lcs uns des amandes
d'un goût fort agréable, les autres une espèce de
confiture qui est comme le miel de la foret.
Le Bct~a. On nomme ainsi le petit fruit du
grand arbre de même nom. H est gros comme une
petite prune et son goût rappelle celui de la pêche.
Citons enfin les mombins, qui produisent une
prune très goûtée, et la carambole, fruit du caram-
bolier, dont le goût se rapproche énormément de
celui de la prune d'Europe.
PRODUITS FORESTIERS ALIMENTAIRES HERBACÉS.–Les
principaux de ces produits sont l'ananas sauvage,
dont le goût ne le cède en rien à l'ananas cultivé
la n!anc-<an!bour, fruit d'une liane d'un goût délicat
et parfumé, le cou~oM qui ressemble à la marie-
tambour, mais qui, au lieu d'être gros comme um
noix, a la dimension d'un œuf, et l'oyampis, qui est
un couzou plus gros qu'une orange.
PRODUITS FORESTIERS OLÉAGINEUX LIGNEUX. Ce
sont les palmiers, au nombre de vingt ou trente
espèces, l'aouara du pays, qui produit une hui!(
absolument semblable à celle du palmier africain
le caumo:<, qui donne une huile blanche, propre à
l'alimentation, à l'éctairage et à la savonnerie; le
carapa, dont les deux variétés, le rouge et le
blanc, donnent des fruits oléagineux. Ces fruits, de
la grosseur du poing, laissent échapper à maturité,.
de février à juillet, une grande quantité d'amandes
amères qui donnent une forte proportion d'huile.
Cette huile brùle sans fumée avec une belle namme;
elle est précieuse pour la saponification. De plus,.
elle préserve de la piqûre des vers et des insectes.
les bois qui en sont enduits.
PRODUITS FORESTIERS OLÉAGINEUX HERBACÉS. Le
ouabé est une liane dont le fruit ressemble à celui
du carapa. Les trois amandes qu'il renferme, con-
tiennent une si grande quantité d'huile, qu'en les.
présentant au feu elles s'enflamment d'elles-mêmes.
Cette huile est à la fois comestible et siccative.
PRODUITS FORESTIERS MÉDICAUX. Parmi les
plantes médicinales dont les propriétés sont les
mieux connues en Europe, la Guyane possède le
copahu, le sassafras, le ricin, le tamarin, le pa-
payer, la salsepareille, l'ipéca. Toutes sont très
communes et rien ne serait plus facile que de réa-
liser des bénéfices sérieux dans une industrie
destinée à prendre un grand développement.
PRODUITS FORESTIERS RÉSINEUX (Gommes, résines,
baumes, tous ligneux). Le caoutchouc, connu
de tout temps des Indiens, qui le nommaient si-
ringa, a été pour la première fois décrit par
Lacondamine à la suite de son voyage de l'Ama-
zone en 1743.
Cinquante plantes différentes donnent des
gommes plus ou moins analogues au caoutchouc.
Le meilleur est produit par le siphonia elastica
de l'Amazone, très répandu dans les îles et sur les
rives des fleuves. Chaque arbre peut donner
$ litres de lait, soit 3 kilogrammes de caoutchouc,
à 10 francs le kilo, soit 30 francs par pied. Ce
caoutchouc est des plus estimés.
L'arbre a 20 mètres de hauteur, sur un mètre
de diamètre à la base, l'écorce en est grisâtre et
le bois blanc. Sa graine a le goût de la noisette.
Voici ce qu'en dit Faxe-Aublet
« Pour peu qu'on entaille l'écorce du tronc de
cet arbre, il en découle un suc laiteux, et quand
on veut en tirer une grande quantité, on com-
mence par faire au bas du tronc une entaille
profonde qui pénètre dans le bois. On fait ensuite
une incision qui prend du haut du tronc jusqu'à
l'entaille, et, par distance, on en pratique d'autres
latérales et obliques, qui viennent aboutir à l'inci-
sion longitudinale.
» Toutes ces incisions ainsi pratiquées, condui-
sent le suc laiteux dans un vase placé à l'ouver-
ture de l'entaille. Le suc s'épaissit, perd son
humidité et devient une résine molle, roussâtre et
élastique. Lorsqu'il est très récent, il prend la
forme des instruments et des vases, sur lesquels
on l'applique couche par couche. On fait sécher
à mesure en exposant à la chaleur du feu. Cette
couverture peut devenir plus ou moins épaisse,
elle est toujours molle et flexible.
» Si les vases sont en terre glaise, on introduit
de l'eau pour la délayer et la faire sortir, si c'est
un vase de terre cuite, on le brise en petits mor-
ceaux c'est la façon d'opérer des Garipons.
Les Indiens savent aussi utiliser en torches, la
gomme résine du caoutchouc. »
Le Balala franc ou saignant. -C'est l'arbre qui
donne la gutta-percha. Malheureusementle lait se
concrète et ne coule pas en abondance, ce qui
rend l'exploitation peu lucrative.
PRODUITS FORESTIERS AROMATIQUES. -La forêt est
riche en aromates. Les plus fameux parmi les
arbres, sont l'arbre à l'encens et le bois de rose.
L'arbre à l'encens est généralement très commun
dans les forêts de la Guyane et dans certains can-
tons il vit presque en famille. Il pourra être,
comme le caoutchouc, exploité de suite, sans faire
de plantations. Son encens, appelé résine élémi,
est récolté, en fort petite quantité il est vrai, par
les créoles qui vendent cet encens aux églises de
la colonie qui, toutes, en font usage. Cet encens
brut, peut rivaliser avec les meilleurs encens
connus.
Le bois de rose, et particulièrement le rose
femelle, fournissent par la distillation de leur bois
une grande quantité d'essence de rose absolument
semblable à celle de l'Orient. Le rose femelle est
commun dans la forêt et la matière première ne
manquerait point à une usine qui s'établirait dans
la colonie pour la fabrication de l'essence pré-
cieuse.
Parmi les produits forestiers aromatiques herba-
cés, nous ne citerons que la vanille.
La vanille n'est pas rare dans l'intérieur. Au
plus profond des grands bois, on la voit le long
des rivières, tomber en guirlandes de la cime des
grands arbres au niveau de l'eau.
La cueillette est difficile, parce que les gousses
se trouvent généralement à la cime des arbres, d'où
elles reçoivent plus directement les influences de
la lumière et du soleil. Cependant, il n'était pas
jadis de nègre ou d'Indien qui ne revînt du grand
bois sans sa provision de gousses de vanille enle-
vées ainsi à la gourmandise des singes et des oi-
seaux. Car la nature accomplit dans les forêts de
la Guyane ce que la main de l'homme est obligée
de faire dans les vanillères la reproduction.
La vanille des bois, appelée vanillon dans les
colonies, est moins prisée que la vanille cultivée,
mais une bonne préparation peut la mettre à la
hauteur de l'autre.
PRODUITS FORESTIERS TINCTORIAUX ET TANNERIE.
Le plus connu et le plus commun des arbres
tinctoriaux de la Guyane est le génipa. Les
Indiens le connaissent depuis fort longtemps, car
toutes les tribus l'emploient en même temps que
le roucou. C'est le jus de son fruit qu'on utilise.
Ce jus, d'abord bleu clair, devient ensuite telle-
ment noir qu'on peut s'en servir pour encre.
L'herbe à indigo ou indigo sauvage est une plante
commune dans les terres basses et marécageuses. On
coupe quelques brassées d'herbe, on les soumet à
la préparation et on en retire une belle teinture.
Ce produit sauvage n'est guère inférieur à l'in-
digo du Bengale.
Tannerie. En Guyane, les côtes de l'Océan,
les bords des rivières et l'intérieur des terres, pré-
sentent en grande abondance un arbre précieux
à divers titres le palétuvier. Une des propriétés
les plus remarquables de cet arbre est son extrême
richesse en tannin.
Le palétuvier grand bois, le palétuvier monta-
gne, sont au nombre des essences les plus riches
en tannin, mais l'écorce du palétuvier rouge en
contient six fois plus que celle du chêne.
PRODUITS FORESTIERS TEXTILES. PAPIER, TAN-
NERIE, SPARTERIE. Tous les palmiers sont tex-
tiles. Par leurs fils, leurs filaments, ils sont
propres à la fabrication de tous les objets de
vannerie et de sparterie. Ils fournissent des
cordes et des cordages, en même temps que des
tissus, des plus grossiers aux plus fins. Leur
fibre peut encore fournir d'excellente pâte à
papier.
La décortication des fibres, en vue de leur utili-
sation comme textile, est des plus simples et
accessible aux petits capitaux. On peut en tirer
aussi des chapeaux aussi fins que ceux de Panama.
Les pagnes, dits de Madagascar, dont les élé-
gantes font des chapeaux, sont tirés des fibres
du palmier.
Les Indiens connaissaient parfaitement les divers
usages de cet arbre précieux. C'est des fibres du
bâche, que les Mayés tiraient le fil dont ils se
servaient pour fabriquer leurs fameux hamacs,
d'autres tribus utilisaient le conana, l'aouara, le
maripa, le paripou, le caumou, le pataoua, le
moucaya, le pinot, le sampa, le pa)miste, etc., etc.
Les maho. Les. six variétés de maho ont une
écorce textile capable de remplacer le chanvre
mais le meilleur est le petit maho.
L'ArroMmaa a deux variétés la rouge et ta blan-
che. Il atteint lahauteur de quatre mètres et pousse
en éventail de longues feuilles à fortes côtes. Les
feuilles, que l'on divise avec les dents en lanières
minces comme une feuille de papier, sont textiles.
Les Indiens en font des corbeilles, des hottes, des
éventails, des nattes ou tapis, des paniers ou
autres ustensiles de vannerie.
Citons encore la Pite, qui ressemble à l'ananas,
et qui est le véritable chanvre du pays. Au Para,
les Tapouyes et des Brésiliens en font des bas et
des gants. L'Espagne la cultive pour en faire de la
dentelle.
LES SAVANES. Quand on sort de la forêt, c'est
pour rentrer dans la Savane.
La savane, soit dans les terres basses, soit dans
les terres hautes, est peu herbue. Les graminées
qui la couvrent sont clairsemées et de peu de
hauteur. Parfois, l'herbe est fine et tendre, mais
le plus souvent grosse et rugueuse. La qualité de
l'herbe dépend principalement de l'aménagement
des eaux. Avec quelques travaux d'irrigation et
de drainage, quelques semis de bonnes herbes, les
plus mauvaises savanes se transformeraient rapide-
ment en excellents pâturages.
La savane se présente généralement sous la
forme d'une longue vallée ou d'un long coteau
enchâssé dans la forêt. Ainsi de longs rubans de
savanes, rayés de rivières encore inconnues, se
déroulent entre l'Oyapock et l'Amazone, dans la
Guyane indépendante.
L'immense route herbeuse des grands bois
s'étend parfois sur plusieurs centaines de kilomè-
tres de longueur, mais le plus souvent sa largeur
n'est que de quelques kilomètres.
Les savanes sont loin d'offrir un aspect uniforme.
Elles présentent environ neuf aspects différents.
On distingue les savanes noyées, les hauts pâtu-
rages salés, les savanes tremblantes, les pripris
ou pinotières, les savanes basses, les savanes
moyennes, les savanes sèches ou' savanes hautes,
les hauts pâturages secs et enfin, les prairies arti-
ficielles.
1° Sur le bord de la mer, dont le flot atteint
directement leurs herbes, ou derrière le rideau de
palétuviers qui borde la rive, se trouvent dans
maint endroit de la côte des prairies basses, que
le flot marin couvre de quelques pieds d'eau, pen-
dant la plus grande partie de l'année.
Dans ces savanes noyées ou 6as pâturages sales,
poussent les herbes aquatiques et s'ébattent les
oiseaux d'eau. Le fond en est ferme; on peut géné-
ralement y chasser sans danger, si on ne répugne
pas à entrer au besoin dans l'eau, jusqu'à mi-
corps. Des boas constrictors, appelés modestement
couleuvres dans le pays, sont les paisibles domina-
teurs de ces espaces marécageux, qui ne présen-
tent actuellement, d'autre utilité et d'autre emploi
que la chasse aux oiseaux aquatiques qui y vivent
en quantités innombrables.
2° Les hauts pdturages salés forment des espèces
de petits plateaux dominant les anses. Ils sont for-
més d'un sable aride, brûlant pendant l'été, et
couvert pendant les pluies, de plusieurs grami-
nées et légumineuses, recherchées par le bétail.
Le chiendent, la gesse, le mélilot y sont communs.
3" Le problème des savanes tremblantes ne peut
être étudié sans péril que par voie d'induction.
Qu'on s'imagine derrière les eaux presque perma-
nentes des savanes noyées, dont elles sont généra-
lement séparées par un cordon de palmiers bâches
et d'arroumans, des terres grasses, détrempées par
les eaux d'infiltration, et formées principalement,
par la décomposition d'herbes marines, alternati-
vement chauffées par le soleil et inondées par les
eaux du voisinage.
La terre, meuble et friable, n'offre aucune con-
sis'ance ce n'est que de la boue à moitié liquide,
de la vase molle, de deux mètres d'épaisseur, dans
laquelle le pied enfonce jusqu'à ce qu'il ait trouvé
la couche d'argile.
Pas de pied assez léger pour parcourir ces.
périlleux espaces, où t'on creuse son tombeau sous.
ses pas. Une épaisse végétation d'herbes luxurian-
tes, mais de mauvaise qualité, couvre ces abîmes,
comme pour rassurer le chasseur, lancé à la pour-
suite des oiseaux d'eau, et attirer, par la belle
verdure et la fraîcheur d'une herbe abondante, le
bétail qui s'enlisera et périra embourbé.
4" La savane que l'on appelle pripri oupinotière~
du nom du palmier qui en borde les rives et en..
peuple les iles, tient à la fois de la savane noyée-
et du Ilano. Le fond en est argileux et au-dessous.
du niveau de,la mer.
Pendant l'hivernage, le débordement des criques,.
les infiltra,ions sous-marines, couvrent de un à
deux mètres d'eau la prairie disparue. Des herbes.
aquatiques, avec des gazons flottants, nourrissent
des milliers d'ibis, de flamants et d'aigrettes.
Par la rivière et par les canaux d'infiltration
sont arrivés en foule, dans l'aquarium improvisé,
les poissons des montagnes et les poissons de la.
haute mer. Porcs et volailles viennent se désatté-~
rer sur les bords du lac et happer, quand ils peu-
vent, les petits poissons de la rive.
Mais ces chasseurs sont eux-mêmes guettés par
de redoutables ennemis le caïman, long de
quinze pieds, qui fait brusquement surgir au-dessus
de l'eau sa tête hideuse; la gigantesque couleuvre,
qui cache son corps monstrueux dans la boue, la
tète aux aguets.
L'été venu, une herbe fine, mais plus ou moins
rare, pousse dans le lit du lac desséché qui, par
endroits, ne produit pas un brin d'herbe, présen-
tant sur des kilomètres de développement l'aspect
blanc et poussiéreux d'une place publique non
empierrée.
Le colon parcourt à pied sec son lac évanoui,
qui réapparaîtra aux pluies suivantes, si personne
ne canalise les rivières et ne draine les savanes
noyées de la côte. Le colon, qui habite aujourd'hui
le bord des pripris, serait désespéré que personne
aidât la nature dans la formation de cette terre
inachevée. H a, dans son lac artificiel, un réservoir
de poissons tellement bien fourni, que, dès que les
eaux commencent à baisser, il pêche ses prison-
niers à la pelle, quitte à tuer les plus gros avec son
sabre d'abatis.
5~ Les savanes basses, communes le !ong des
rivieres, dans ~es régions moyennes, sont de vrais
marais à fond de sable, où poussent la fétuaue
flottante, le'paturin et les joncs.
6" Les savanes moyennes, ne sont plus des
marais, mais ne sont pas encore des coteaux et
des plateaux. Elles ne sont ni trop humides, ni trop
sèches, et sont immédiatement utilisables.
7° Les M~<M~ ~c~M ou M~a/ïM ha!~M, commen-
cent aux altitudes moyennes, à une dizaine de
mètres au-dessus du niveau des plus hautes marées
et à 10 ou ij) kilomètres du littoral.
Ce sont généralement de petits dos de terrain,
que les plus fortes pluies sont impuissantes à
inonder complètement. C'est le pays d'élection
pour l'élevage qui, là, peut s'entreprendre de suite
avec des travaux d'aménagement presque nuls.
Et, par bonheur, ces longs coteaux, terrains en
dos d'âne, sont les plus répandus dans la région
des herbes. D'innombrables rivières traversent ces
prairies, les divisant, grâce aux rideaux de palmiers
et de grands arbres, qui ombragent les criques, en
autant de compartiments naturels. Chacun de ces
compartimentsporte un nom distinct dans la grande
savane.
La petite prairie est elle-même semée de petits
bouquets de palmiers, squares étranges, murailles
et chalets de verdure, où les bestiaux se réfugient
.au moment des grandes ardeurs du soleil. Ils y
mangent les graines tombées au pied du maripa et
de l'aouara, et y boivent l'eau claire de quelque
trou de roche.
De petits îlots boueux, surgis par merveille du
niveau uniforme de la prairie, pendant les mois où
la savane est mouillée, servent de refuge et de
forteresse au troupeau et au berger qui y peuvent
braver les caïmans et les couleuvres.
Ces savanes hautes ou savanes sèches, reposent
sur un lit de granit et sont formées d'une légère
couche de sable, mêlée à une petite quantité de
terre végétale, détritus de plantes qui ont pourri
sur le sol.
Le sable a été jadis à nu, la savane a eu sa
naissance et sa croissance, dont les géologues n'ont
pas encore expliqué les lois. A l'époque où le sable
était à nu, les vents, en le promenant sur les ro-
ches, finirent par creuser, par raviner le granit, et
aujourd'hui, quelques-unes de, ces savanes ont un
aspect bosselé, déchiré, déchiqueté, qui rappelle
ia dune saharienne en formation.
Le plus dangereux habitant des savanes hautes,
est une herbe dure, envahissante, parasite, la
cauche élevée ou herbe à balai, qu'il faut brûler
tous les étés, sous peine de la voir s'emparer de
toute la prairie. Il serait plus simple de la sarcler
et de l'arracher une seule fois.
On brûle les endroits qui en sont infestés, pré-
térant courir le risque d'incendier la savane entière.
ce qui arrive assez souvent.
Le désastre est d'ailleurs réparé par les huit mois
d'hivernage. Cette mauvaise herbe détruite, on
retrouve la savane peuplée de ses herbes préférées,
le chiendent, les fétuques, les paturins, foin véri-
table, nourriture aussi bonne que l'herbe du Para,
laquelle se vend aujourd'hui 23 francs les 300 kilos
sur la place de Cayenne.
Ce sont des savanes sèches, que les fameuses
savanes d'Inacoubo, Sinnamary, Ouassa, Counani et
Mapa. Il n'y a qu'à tracer quelques rigoles pour
le drainage et l'Irrigation, sur les quelques herbes
dures, semer quelques graines d'herbes fines, faire
des hangars, des parcs et des barrières, et au bout
de six mois, chaque hectare de ces savanes est en
état de nourrir deux têtes de bétail.
C'est dans les savanes sèches, que le colon devra
porter immédiatement son industrie. Situées à
quelques kilomètres seulement de la rive de la
mer, dont elles ne sont séparées que par quelques
savanes noyées ou quelques pripris, elles seraient
aisément abordables par les rivières, en attendant
le desséchement et l'aménagement de la zone
tntermédiaire des terres basses.
Quelques journées d'hommes, suffiront, pour
{ransicrmer la savane sèche en une véritable
prairie quelques couples suffiront pour la multi-
plication rapide des bœufs et des chevaux et la
multiplication indéfinie des moutons.
Dans la savane sèche, enfin, le colon pourra se
livrer immédiatement aux cultures alimentaires et
autres. Maïs, manioc, légumes, arbres fruitiers,
prospéreront rapidement dans l'enclos cultivé, qui
assurera au pionnier sa subsistance quotidienne, en
attendant les bénéfices de l'exploitation forestièr.e
et de l'exploitation pastorale, sans parler du gibier
délicat qui hante les savanes et les, grands bois.
8~ Les hauts pâturages, sur les pentes et les pla-

teaux des montagnes, possèdent une herbe maigre


et fine, mais fort nutritive et très saine. S'ils étaient
plus aisément abordables, on pourrait les cultiver
immédiatement et leur confier une tête de gros
bétail à l'hectare.
(~ Les'prairies ou savanes artificielles, qu'on ne
s'attendait guère à trouver dans cette région,
n'y sont pourtant pas rares quelques savanes
naturelles, jadis en culture et redevenues savanes,
quelques abatis abandonnés en tiennent lieu.
Utilisées en pâturages ou pour les cultures, ces
savanes artificielles seront une trouvaille précieuse
pour le colon.
LE BÉTAIL. –h n'y a peut-être pas 300 têtes de
chèvres et 300 têtes de brebis dans toute la colonie;
cependant ces animaux s'élèvent avec plus de facilité
qu'en Europe, par suite de l'uniformité du climat
qui leur convient très bien. La laine ne gêne pas
les moutons à la seconde ou à la troisième géné-
ration, elle disparait.
Les moH~onx se vendent jusqu'à 90 francs par
tête, et une brebis donne jusqu'à trois petits par
an. Les terres hautes, moins humides, sont celles
qui leur conviennent le mieux.
Dans les pays où le maïs est la céréale nationale,
comme aux États-Unis, c'est le porc qui est l'ani-
mal le plus répandu. La Guyane, admirablement
favorisée pour la culture du maïs, ne devra pas
avoir beaucoup de peine pour élever des quantités
considérables de porcs.
En effet, on les voit aujourd'hui, à moitié sau-
vages, se promener par bandes dans les forêts des
quaptiers, passant comme des trombes aux pieds
du chasseur effaré. Ce sont les cochons marrons.
On fait une battue quand on veut prendre quel-
ques-uns de ces animaux.
La statistique coloniale accuse près de 5000
porcs.
Les &o°u~ introduits en iy66, sous l'intendance
de Maillard, se multiplieraient rapidement si
toute espèce de soins ne leur faisaient pas complè-
tement défaut. Le nombre des bêtes à cornes D'est
encore que de 3000 têtes.
Plusieurs essais ont été faits par des hommes
intelligents tous ces essais ont été couronnés de
succès et tous ont disparu, sans laisser trace, avec
les hommes intelligents qui les avaient menés à
bonne
Les chevaux sont si nombreux à Para et à Ma-
rajo qu'à une certaine époque les éleveurs brési-
liens vendaient un cheva! francs et en faisaient
cas comme d'un petit chien. Ils furent même trop
nombreux un jour à Marajo et les éleveurs durent
abattre 40 ooo juments, dont les peaux se ven-
dirent 2 francs l'une.
De tous ces cadavres abandonnés sortit une épi-
zootie qui dépeupla momentanément de chevaux
la grande ile brésilienne.
A Cayenne, il n'y a pas de race indigène; on est
obligé d'y importer à grands frais les chevaux dont
on a besoin.
Ce n'est pas que la colonie n'ait pas essayé d'é-
lever des chevaux; mais on s'y est pris maladroi-
tement et l'élevage n'a pas réussi.
Les <nM réussissent fort bien et sont assez nom-
breux.
Des &u/ ont été introduits à diverses reprides
et ils ont toujours réussi.
Quant aux mulets, on n'a jamais pensé en faire
et ils ont toujours été rares dans la colonie.
EXPLOITATION PASTORALE INTENSIVE. Si quel-
ques savanes étaient aménagées et si quelques
troupeaux étaient en formation, il faudrait faire
pâturer le bétail. Mais c'est là de l'exploitation
pastorale intensive et il est à peine besoin d'en
parler ici.
Il ne faut pas laisser le bétail vaguer il détruit
plus qu'il ne consomme. Il faut le faire pâturer, en
le faisant revenir à son point de départ quand
l'herbe est repoussée.
De cette façon, il n'ira pas se perdre dans les
bois ou ravager les propriétés. Les frais de nom-
breux gardiens seront ainsi évités.
Les îlots de terre haute qui parsèment les sa-
vanes sont très favorables à l'établissement des
<:ases et des hangars. Il est aisé d'y faire des vivres
pour le propriétaire et les gardiens et des herbes
pour le bétail.
Les pentes de ces !lots, généralement très fer-
tiles, le deviendraient encore davantage par l'ad-
dition des engrais produits par les bestiaux.
Le pacage est un grand moyen d'amélioration
des savanes. Quand le~bestiaux ont séjourné long-
temps dans une savane, elle s'améliore. Les mau-
vaises herbes disparaissent, les bonnes se multi-
plient. On n'a qu'à changer de pacage tous les
mots et la prairie entière ne tardera pas à être
appropriée.
De véritables savanes artificielles se créent ainsi
d'elles-mêmes, et pour peu qu'on y sème quelques
herbes choisies, la prairie deviendra d'une puis-
sance productive incomparable.
Bien éloignés de cette époque de haute science
pastorale, nous pouvons cependant nous demander
ce que rapporterait une ménagerie bien conduite
dans une savane bien aménagée. Supposons mille
hectares de savane. Début 200 génisses, 20 tau-
reaux coût total, 40 ooo francs. Pour aménage-
ment des savanes, 5 ooo francs; entretien pendant
5 à 6 ans, 5 ooo francs. Total général, 30 ooo fr.
A la fin de la sixième année, on aura les bœufs
nés à la fin de la première année 200 du poids
minimum de 120 kilogrammes, à 2 francs le kilo-
gramme, soit 50000 francs.
A partir de la sixième année, on aurait un re-
venu annuel de 50 ooo francs, soit 100 pour 100
du capital engagé.
Les PRODUCTIONS AGRICOLES. Il n'est pas per-
mis, quand on parle des richesses actuelles, spon-
tanées et possibles de la colonie, de passer sous
silence les productions agricoles, celles que pour-
rait fournir le travail de la terre.
Ces richesses n'existent pas encore dans la Guyane
française, ou plutôt elles n'existent plus. Il n'y a
plus d'agriculture dans cette colonie. Sa production
agricole totale est bien inférieure à celle d'une
commune moyenne de la Flandre. Néanmoins le
sol est toujours riche et sa puissance productive
n'a pas diminué.
Quand les terres de la forêt, après l'exploitation,
auront été ameublies par le déracinage, l'incinéra-
tion et le labourage; quand le drainage, l'irrigation
et l'endiguement auront ameubli les savanes, le
colon trouvera les plus grands avantages à se livrer
à la culture.
CULTURES ALIMENTAIRES. Le pain, base de son
alimentation en Europe, fait défaut au colon; car,
en Guyane, le blé pousse en herbe et donne rare-
ment d'épis.
Le colon ne devra pas non plus penser à faire du
vin. I! pourra cultiver quelques treilles, mais le
raisin mûrit trop mal et trop irrégulièrement pour
qu'on puisse songer à l'utiliser autrement que
comme plat de dessert.
Il papa!t cependant que jadis on cultivait la vigne
dans l'fIe de Cayenne. On la taillait au lieu de la
cultiver en treilles, et on arrivait ainsi à faire deux
récoltes par an d'un vin qui, disent les vieux au-
teurs, n'était pas sans qualité.
Quelques Missions de la Guyane anglaise au-
raient, à ce qu'on assure, produit un vin aussi bon
que.le madère.
Malgré ces faits plus ou moins vérifiés, nous
croyons sage de ne pas trop compter sur les vignes
de la Guyane.
Le maïs qui pousse bien jusqu'au 40° de latitude
nord et sud, pousse mieux encore dans les pays
chauds. La Guyane est une de ses régions de pré-
dilection. Il donne trois mois après avoir été
semé, et fournit de trois à quatre récoltes par an.
Il n'est pas rare de voir dans les bonnes terres des
pieds de maïs de quatre mètres de hauteur.
Dans certains cantons, on peut cueillir l'épi six
semaines après avoir semé la graine.
La culture du maïs est destinée à prendre dans
la colonie une grande importance. On sait qu'aux
États-Unis le maïs est la base de l'alimentation
d'une population pourtant bien vigoureuse. L'Amé-
rique du Nord récolte y a 800 millions d'hectoli-
tres de maïs, d'une valeur totale de deux ou trois
milliards. Pourtant, aucune terre de l'Union ne
fournit plus d'une récolte par an de la céréale na-
tionale.
En attendant que la culture en grand du maïs
révolutionne la Guyane française, les créoles font
de la bouillie et des galettes avec la farine pré-
clieuse. Ils la pilent dans un mortier pour la con-
vertir en farine, car il n'existe pas un moulin dans
la colonie.
Le mil, excellent pour l'alimentation des basses-
cours, sert actuellement de base à divers aliments
créoles.
Dans l'Amérique équatoriale, la plante alimen-
taire par excellenoe est le manioc; il est là dans
son pays d'origine et de prédilection. Cette terre a
pour ce produit un monopole naturel.
Les diverses espèces de manioc sont venues au
bout d'un an ou de dix-huit mois, et donnent jus-
qu'à 30 kilogrammes par pied de fruits énormes,
de la grosseur d'une betterave.
Ces racines, une fois râpées, pilées, puis pres-
sées et boucanées, ce qui les débarrasse de leur
principe vénéneux, donnent une farine grenue, le
couac, farine nationale de la Guyane et de l'Ama-
zone.
La partie la plus fine de cette farine est conver-
tie en galettes minces et blanches, appelées cassa-
f~, aussi populaires dans le haut de l'Amazone
que sur la côte de Guyane.
Les couacs, blancs et jaunes, gros et fins, for-
ment avec la cassave, la base de l'alimentation
créole dans une grande partie de l'Amérique du
Sud. Ce sont des ressources alimentaires d'origine
indienne, ainsi que diverses préparations dont le
manioc fait les irais. L'Européen ne s'habitue pas
toujours facilement à cette nourriture; on peut
compter qu'il sera obligé de s'approvisionner en
Europe de farine de froment, comme il s'y appro-
visionne de vin.
Le manioc n'en est pas moins une culture fort
importante; le couac et la cassave, en même temps
qu'ils constituent une réserve qui, à un moment
donné, peut devenir précieuse dans une colonie
en formation, peuvent toujours être cédés aux
créoles à un prix pour le moins aussi rémunérateur
que celui de la farine de froment.
De plus, le manioc est une véritable plante in-
dustrielle c'est de sa racine qu'on tire l'amidon,
fait avec l'eau vénéneuse qui en'découle; le ta-
pioca, et surtout la glucose, précieux articles d'ex-
portation.
En glucose, le manioc peut donner, au moyen
des procédés d'extraction en usage aux États-
Unis du Sud, jusqu'à 10 ooo francs à l'hectare.
Le manioc, tout comme la canne, appelle l'usine
centrale. L'usine à sucre pourrait faire double em-
ploi en même temps qu'elle utiliserait la canne,
elle retirerait la glucose du manioc. Les détritus
du"manioc, 20 à 30 pour ioo environ, constitue-
raient, mélangés ou purs. une excellente nourriture
pour le bétail. On y pourrait joindre les écumes
de batterie, les gros sirops, etc.
La pomme de terre qui rend de si grands services
en Europe, ne donne guère que des feuilles dans
l'Amérique équinoxiale. Ces feuilles, il est vrai,
sont gigantesques, mais les fruits ne sont pas plus
gros que des noisettes. Toutefois la pomme de
terre a de nombreux succédanés
L'igname pays indien, qui la remplace avanta-
geusement, et l'igname pays nègre, beaucoup plus
grosse, se multipliant sans soins et qui n'est guère
inférieure à la première. Précieuse surtout pour la
nourriture des animaux et principalement du porc.
La patate, mêmes usages. Ignames et patates
donnent en abondance des fruits énormes au bout
de six mois. On peut, de la patate comme du
manioc, retirer une forte proportion de glucose.
La tayove ou chou caraïbe donne trois récoltes
par an. Les racines rappellent l'igname les feuilles
constituent une bonne salade.
Le bananier donne à neuf mois. Cet arbre est
celui qui, à surface égale, donne la plus grande
quantité de nourriture. C'est lui qui a fait naître ce
proverbe africain « Un jour de travail pour vingt
jours de nourriture, s
Les bananes sont la viande des noirs, disait-on
avant l'émancipation, et la cassave en est le pain.
Les fruits du bananier se mangent cuits ou crus.
Ils sont d'un goût exquis. Ils peuvent avantageu-
sement être utilisés, soit pour l'alimentation des
immigrants hindous ou africains, soit pour la nour-
riture du bétail et de la volaille.
Le bananier donne des fruits en grande abon-
dance, et, pour ses fruits seulement, peut être
considéré comme plante industrielle le débit en
quantité prodigieuse des bananes et des bacoves
(figues bananes ou petites bananes) étant toujours
assuré auprès des populations créoles de l'Amé-
rique chaude qui n'en ont jamais assez.
Le ft~ qui nourrit plus de la moitié des hommes,
est parfaitement acclimaté en Guyane. C'est une
culture des terres basses, mais il prospère sans
culture dans tous les terrains de la colonie. Il
donne trois récoltes par an, l'eau des pluies rem-
plaçant avec avantage, dans ces régions équato-
riales,. le dispendieux système des irrigations de
Lombardie, d'Égypte, de Caroline et des régions
sud-asiatiques.
La Guyane hollandaise et la Guyane anglaise
ont de magnifiques rizières. Cette.dernière colonie
récolte assez de riz pour nourrir tous ses coolies.
Cette culture n'augmente en rien les chances
d'insalubrité du pays.
La Guyane française aurait pu exporter de
grandes quantités de riz; malheureusement, on n'a
pas pensé à se procurer des machines décor-
tiquer.
Le sagoutier, qui est acclimaté, produit de 6 à
800 livres par pied d'une assez bonne farine. H se
reproduit de lui-même et pousse sans culture. On
en tire le xe~OM.
L'arbre à pain présente deux variétés l'arbre à
peuf! graines, dont les fruits rappellent la châ-
taigne, et l'arbre à pain igname, dont les fruits rap-
pellent l'igname. Les uns et les autres se mangent
cuits.
CULTURES OLÉAGINEUSES. Le plus précieux des
palmiers est sans contredit le cocotier. C'est le roi
des végétaux. A lui seul il peut satisfaire à tous les
besoins de la vie. Dans les pays torrides, il est
l'indice du progrès c'est l'arbre de la. civilisa-
tion.
Il donne son amande qui vaut la noix, son lait
qùi n'est pas mauvais, sa sève qui, fermentée,
donne un vin agréable, ses fibres qui constituent
un des meilleurs textiles, sa tige- qui donne les
piquets et les lattes de la maison des tropiques.
Sans cocotier, point d'Inde dit le proverbe.
Mais tout cela est de l'utilisation ,sauvage, et
c'est uniquement au point de vue de l'huile et de la
bourre que le colon devra se placer.
L'huile fournie par l'amande du coco passe pour
la meilleure des huiles. La bourre fournit la plupart'
des cordages employés au Brésil et dans l'Inde. Ces
deux seules propriétés donnent au cocotier une
telle valeur que seul, parmi tous les végétaux, il
est imposé dans l'Indoustan par les Anglais qui,
pourtant, importent une quantité considérable
d'huile et de bourre de coco.
La moelle du cocotier est employée en blindage
pour les navires de guerre.
Le cocotier donne ses fruits en toute saison,
toute l'année, tous les jours. Au bout de cinq ou
six ans, il est en plein rapport.
Chaque pied donne par an environ 240 cocos.
Les 300 pieds que peut nourrir un hectare jonchent
donc le sol de près de y 200 cocos, rendant pour
t~oo francs d'huile et donnant pour 1000 francs de
bourre, soit un rendement total de 2300 francs à
l'hectare. Le prix marchand d'un coco est de dix
centimes à Cayenne, soit un revenu de 730 francs
à l'hectare, si on vend le produit brut.
Les cocotiers réussissent fort bien dans la région.
Sur la côte du Brésil, de Maranhao à Pernambouc,
sur une longueur de 250 kilomètres et sur i kilo-
mètre de profondeur, le littoral est bordé, entre
les montagnes de sable, de magnifiques forêts de
cocotiers. Au Vénézuela, dans les provinces litio-
raies, plusieurs propriétaires se font 30 ooo francs
de -revenus rien qu'en huile de coco.
L'aouara pays nègre est le palmier à l'huile d'A-
frique fournissant l'huile de palme. C'est.ce fameux
palmier qui couvre le sol au Cap-Vert et dans les
différentes parties de la Guinée. Il est acclimaté,
naturalisé à la Guyane française. Il a tellement
prospéré depuis que Kerkowe l'a introduit en i8o6
que dans certains quartiers on le croirait indigène.
L'aouara pays nègre est en rapport sept ou huit
ans après avoir été planté. En attendant qu'il
donne des fruits, on peut faire des cultures dans les
intervalles laissés libres entre chaque pied.
Chaque arbre donne, d'après le général Bernard,
six régimes, soit 36 litres d'huile. 22~ pieds à l'hec-
tare donnent 8100 litres. Le litre d'huile de palme
se vend près de franc sur place, soit près de
8000 francs à l'hectare.
L'aréquier, originaire des Indes orientales et
parfaitement acclimaté produit une graine oléagi-
neuse cette graine mêlée à la feuille de bétel,.
fait l'objet d'un grand commerce dans le Levant.
Or, le bétel est pareillement acclimaté. Cette double
culture, qui serait des plus lucratives, est accessible-
aux plus petits capitaux.
Le noyer de Bancoule. L'arbre et son fruit
rappellent le noyer et la noix d'Europe. Quand on-
mange la noix de Bancoule on en retire le germe
qui est un vomitif.
Les Arachides ou pistaches acclimatées. La
côte occidentale d'Afrique vend tous les ans pour
plus de 80 millions d'arachides.
Nous ne dirons rien des cultures médicinales et
de celles des résineux. Tant que la forêt en offrira
bien plus qu'il n'est possible d'en récolter il sera
parfaitement inutile de se livrer à ces cultures.
Nous nous contenterons de dire quelques mots
sur la plus importante de ces plantes le thé qui est
un produit d'importation.
Le thé.-Le gouvernement de la Guyane française
dépensa 3 millions en 1821, pour introduire dans la
colonie des Chinois cultivateurs de thé.
L'opération fut mal dirigée. On recruta dans les
mers de l'Extrême-Orient 230 individus pris abso-
lumentau hasard. Ces individus s'évadèrent presque
tous pendant la traversée. A chaque escale le
convoi diminuait de trente ou quarante engagés.
Le commandant ne put en débarquer qu'une ving-
taine à Cayenne.
Au bout de quelques mois, il ne restait plus que
trois Chinois, un cordonnier, un maçon, un char-
pentier.
Si cette expédition ridicule eût été mieux con-
'dutte, la Guyane française aurait peut-être au ;our-
d'hui un rang excellent parmi les pays producteurs
de thé. Les terres de la colonie sont en eflet très.
favorables à la culture de cette plante.
Au siècle passé une expérience fut faite sur une
assez grande échelle et réussit au-delà de toute
espérance. Malheureusement on abandonna peu
après cette culture pour passer à autre chose.
Les Brésiliens font cultiver le thé sur leurs pla-
teaux de Minas et de Sao-Paolo. Les Chinois qui
sont occupés à cette besogne trouvent ces terres
un peu froides. Et cependant le rendement est ma-
gnifique. Les Anglais ont essayé de leur côté de
faire cultiver le thé à la Trinidad, mais les terres
de l'île ont été trouvées trop sèches.
La Guyane, chauae et humide, réussirait sans
aucun doute d'une façon admirable dans la culture
de la plante précieuse.
Avis aux colons de l'avenir 1
V.

LES TERRAINS NEUTRES D!TS TERRAINS CONTESTÉS.

LA GUYANE INDÉPENDANTE.

Nous terminerons cette étude rapide de la colo-


nisation française en Guyane en disant quelques
mots de cette partie de la Guyane qu'on a appelée
longtemps les territoires contestés et qui sont
limités au nord par l'Oyapock, 'au sud par l'Ama-
zone.
Tout récemment la portion de ce pays située au
nord du Carsevenne et qu'on appelle le Counani,
en raison du fleuve et de la ville de ce nom, s'est
déclarée indépendante, a proclamé la république et
a choisi pour la gouverner un groupe d'hommes
exclusivement français. Ce n'est donc pas nous
écarter de notre titre que de consacrer quelques
pages à ce pays, le plus beau du monde et qui est
appelé,toutenconservantson indépendance absolue,
à former pour la France, une colonie d'un nouveau
genre, tout ouverte à ses natiopaux et qui aura sur
toutes les autres l'avantage de ne lui avoir coûté
et de ne lui coûter ni un'soldat, ni un centime.
Le pays de Counani est, nous le répétons, li-
mité au nord par l'Oyapock, au sud par le Carse-
venne, à l'est par la mer, au sud-ouest par les
monts Tumuc-Humac. Cette dernière frontière
est d'ailleurs absolument indéterminée et pourrait
s'étendre jusqu'au Rio-Branco.
L'intérieur du Counani, absolument inconnu
des Européens, ne l'est guère plus des habitants
eux-mêmes, qui, peu nombreux, se sont groupés
sur les bords des cours d'eau le moins loin possible
de la mer et, n'ayant rien à désirer sous le rapport
de la vie matérielle, n'ont ressenti en rien le besoin
d'aller interroger les parties intérieures du pays et
leur demander leurs richesses.
Plusieurs rivières, grandes comme la Seine, par-
courent le pays, allant parallèlement du sud-ouest
au nord-est et recevant dans leur cours les eaux
d'une infinité d'affluents qui n'ont pas encore de
nom. Ces affluents répandent leurs eaux fécondantes
dans les forêts et dans la vaste région des prairies
qui s'étend un peu à l'ouest de la mer dans toute
la longueur de la côte, sur une largeur fort va-
riable.
Les fleuves principaux qui arrosent le Counani
sont
i" L'Oyapock, qui le sépare de la Guyane fran-
çaise et dont nous avons déjà parlé au commence-
ment de ce volume.
2° L'Ouassa, qui pourrait compter comme un
affluent du précédent, car il vient se jeter dans
l'Océan à l'embouchure de l'Oyapock, dans la baie
qui porte !e nom de ce fleuve.
3" Le Cachipour, grand et beau cours d'eau qui
a été parcouru, en partie, par le capitaine Blanc
en 1882, et qui prend probablement ses sources
aux monts Tumuc-Humac, dans le pays des In-
diens Oyampis.
4° Le Counani, qui'donne son nom au pays et à
la capitale et qui'n'ayant jamais été parcouru bien
au-delà de Counani, cache encore ses sources et ne
figure dans tout son cours supérieur, dans les
cartes, qu'en ligne pointillée, c'est-à-dire hypo-
thétique.
5° Enfin le Carsevenne, qui sépare le Counani de
cette partie'de la Guyane indépendante qui s'étend
au sud jusqu'à l'Amazone et qui a pour ville prin-
cipale Mapa.
Le pays de Counani n'a été visité en réalité,
pendant la période moderne, que par deux explo-
rateurs M. Henri Coudreau, missionnaire scien-
tifique, qui y aborda en juin 1883.
Il arrivait alors de Cayenne avec sa première
mission scientifique officielle. Il y passa deux mois
et commença en août le grand voyage qui, à
travers les déserts de l'Amérique équatoriale et les
tribus inconnues, devait le conduire non loin des
Andes et le ramener à son point de départ par une
route que pas un Européen n'avait encore par-
courue.
Le second voyageur qui a vu Counani et visité
un peu l'intérieur de la contrée est M. Guigues
le vaillant et intrépide chercheur d'or qui a dé-
couvert, après quatre ans de voyage, errant dans
les forêts vierges, un placer immensément riche
des l'ouest de la Guyane française, aux pieds des
Tumuc-Humac, placer auquel il adonné le nom de
l'Iguane.
C'est à ces deux explorateurs que nous devons
tous les renseignements qui suivent et qui offrent
d'autant plus d'intérêt qu'ils prennent un plus
grand caractère d'authenticité.
« Aimez-vous, dit M. Coudreau (i), les.longs
étés sans pluie, au ciel sans nuages l'atmosphère
suave et pure qui rafraîchit l'âme, les solitudes en-
chantées où rien ne rappelle la dictature de la
société aimeriez-vous à vivre sans le regret de la

(i) Lire Études sur la Guyane et l'Amar.,ont. Challamel,


éditeur à Paris.
veille et sans le souci du lendemain, dans la certi-
tude d'un avenir heureux, avec la bénédiction de
la nature, sans un journal ni un député, loin de
toutes les imbécillités et de toutes les scélératesses
qui constituent le substratum de notre civilisation
fatiguée et malade dans la jouissance d'être, de se
laisser vivre, sans appréhension, comme sans
enthousiasme avec quelques chevaux, quelques
vaches, quelques chiens, quelques fusils et quelques
familles d'Indiens tout nus ?
» Alors vous aimerez Counani.
» Large et profond, solennel, beau, pareil à un
dieu antique de la bonne marque, le fleuve,
toujours majestueux, toujours étonnant, toujours
superbe, s'enfonce dans l'intérieur inconnu,
s'offrant à nous par sa partie accessible, la partie
inférieure, mais cachant ses sources.
» On l'a remonté pendant quinze jours en canot,
on a franchi bien des chutes toujours des cime-
tières indiens, des forêts de bois des îles, des sa-
vanes sans horizon, des montagnes lointaines, des
paysages féériques et toujours la largeur de la Seine
à Paris. »
Dans l'admirable ouvrage auquel nous avons
emprunté ces lignes si vivantes, M. Henri Cou-
dreau, qui est autant un grand poète qu'un intré-
pide explorateur, peint successivement le fleuve,
la forêt de la rive, la région des prairies, la vie des
pécheurs sur le fleuve ou dans les vastes étendues
de l'Océan il raconte comment il a failli se noyer
en accompagnant ces vaillants navigateurs et il
parle des divers états exercés par la population
qu'il divise en sylvicoles et en pastoraux.
Plus loin, il décrit l'été
a C'est l'été, dit-il, Je soleil s'élance, sans se
faire annoncer, dans un ciel pâle. La pourpre écla-
tante d'un crépuscule subit séduit, et effraye
l'homme qui ne connaît que le paresseux et mélan-
colique crépuscule des climats tempérés. Jusqu'à
sept heures, c'est la fraîcheur d'avril, puis c'est le
rayonnement de l'astre sur le dôme de la forêt, et
dans l'infini de l'azur, les lances et les étincelles de
feu inondant les plaines découvertes. »
» Porte close, par la natte verte et fine, qui
appelle la brise, qui caresse et repousse le soleil
qui brûle, à côté de l'eau qui dort fraîche et pure
dans les alcarazas; c'est le temps des somnolences,
des siestes et des rêves dans le léger hamac de
~ucMm orné de paquets de plumes d'aras.

» Mais ne vous abandonnez pas trop longtemps


à ces charmes énervants et trompeurs, aux jouis-
sances infinies auxquelles nous convient un ciel,
un climat séduisants. Ne réalisez que pour une
demi-heure le rêve oriental, que la chaude et
lourde atmosphère qui vous caresse, vous invite à
créer.
N Puis, quand l'heure du farniente
sera passée,
que le soleil sera moins chaud dans la forêt et dans
la savane, qu'un labeur actif vous procure l'ap-
pétit et le sommeil.
» N'allez pas dormir toutefois sans avoir joui
quelques instants des splendeurs indescriptibles des
clairs de lune de la prairie. Les palmiers aux
plumes miroitantes sous les reflets de l'astre des
nuits, les grands arbres touffus pleins d'ombre et de
recueillement, les larges perspectives argentées,
le bleu pâle d'un ciel transparent plus vaste que
tous les autres cieux du monde, rempliront votre
âme d'une joie douce et d'une inoubliable suavité.
Car la lune, que l'optique de l'équateur élargit dé-
mesurément, estlà plusbelle et plus triste qu'ailleurs;
car les clartés qu'elle déverse sur la terre ont une
netteté presque solaire, une précision, des éblouis-
sements et une poésie qui font songer à des paysa-
ges extra-terrestres car, errant, inconscient et
contemplatif au sein de cette nature si poétique-
ment parée, les ailes du rêve élèveraient votre
âme jusqu'aux régions du bonheur sans mélange
de l'ineffable sérénité. »
Plus loin, dans ces pages remarquables, qui
semblent être un chant inédit du Child Harold de
Lord Byron, M. Coudreau décrit l'hiver équato-
rial, avec ses nuages, ses pluies et ses colères.
« Un instant doux et serein, comme en France
après l'orage, le firmament se couvre tout à coup
d'un nuage épais qui s'étend rapidement d'un bout
à l'autre de l'horizon. Grosse et lourde, appuyée
sur les quatre coins de la terre, couvant la pluie,
la nuée assoupit la nature qui attend, recueillie et
silencieuse.
» Soudain, à un signal mystérieux parti des
profondeurs des cieux mornés, les eaux d'en haut
se laissent tomber.
» Elles tombent en pluie compacte, crépitante.
Elles bruissent et fument dans l'atmosphère et cou-
vrent d'une nappe épaisse le sol rougi qui se dé-
trempe. Parfois les hurlements de la tempête dé-
chaînés viennent troubler le silence sinistre qu'im-
pose aux fruits de la nature la chute des cataractes
du ciel.
» Avec fureur, aveuglément, les torrents des-
cendent des heures entières.
» Toute chasse est interrompue, tout sentier
désert, tout ruisseau débordant, toute porte fermée.
Les maisons semblent mortes, la campagne est
ensevelie. Une brume épaisse couvre tout, la sen-
sation du froid se répand, les Indiens allument des
feux sous leur hamac.
? Enveloppé dans un vêtement de laine, je
regarde discrètement au vitrage, pour voir si je
reconnaîtrai, à quatre pas, le visiteur imprudent
qui vient, marchant dans le brouillard, appeler à
la porte close.
» C'est l'hiver, avec le vent qui gronde, qui siffle,
qui rugit, ébranlant les maisons de bois et de paille
€t déracinant les forêts.
» Pourtant l'atmosphère a encore, par. moments,
de chaudes bouffées. Il fait 23" dans la chambre
bien fermée, et, au dehors, les fleurs, solides dans
ces pays équatoriaux sur leur pédoncule rigide,
bravent les fureurs de l'averse.
» Encore un peu, la pluie briserait les vitres, le
vent les ferait tomber de leur.gaîne, car pluie et
vent font rage.
» Il fait bon, retiré dans son chez soi, maison,
bicoque ou carbet, regarder passer au dehors, les
fureurs de l'ouragan. C'est le moment de manger
ferme et pimenté, de boire le tafia à pleine gorge,
pour combattre l'humidité envahissante.
» Puis, voici qu'on sort de la nuit, on voit à
travers la pluie la poussière d'eau qui cache les
maisons voisines se dissipe, les toits apparaissent,
l'averse ne tombe plus qu'avec modération et net-
teté, et ses eaux sont claires, de rouges qu'elles
étaient d'abord. On contemple en même temps
les sentiers de la prairie changés en ruisseaux,
chargés de boue liquide qu'ils charient et le grand
sourire du ciel bleu.
» Le soleil darde ses rayons de feu, les toits étin-
cellent, les ruisseaux sont taris, le sable devient
brûlant, la boue devient poussière et tout cela n'a
pris que deux ou trois heures.
» Mais prenez garde. Le bleu disparaît sous des
nuées pâlottes et grisâtres, venues des lointains.
Il tombe une pluie imperceptible, si elle n'est vue
du soleil. Quelle est cette mystérieuse rosée ? On
ne la voit pas, on ne la sent pas, et au bout de
dix mètres on est trempé.
» Cependant, avant la fin de la journée, le ciel,
comme honteux de 'sa conduite hypocrite, revien-
dra à ses brutalités premières, l'averse furieuse et
les vents hurlants recommenceront à sévir.
» Toutefois, allez sans crainte, voyageur. Les
douches que vous offre la nature ne sont point
désagréables. Si vous voulez vous abriter, la forêt
vous offre de sûres et tranquilles retraites. Laissez
la rivière soulever ses flots, laissez bondir, blan-
ches d'écume, les vagues du cours d'eau cour-
roucé. N'amenez pas seulement l'amure et voguez
gaiement dans le brouillard grandiose. »
Dans le cadre restreint d'un chapitre de livre,
M. Henri Coudreau, a su faire entrer une mono-
graphie complète du pays de Counani et de ses
habitants. Il peint en lignes magistrales les grandes
savanes, où l'on respire la santé, où les chaleurs
torrides sont inconnues, où le vent circule libre-
ment, entretenant en permanence un air vif et
sec, où les insectes des tropiques, moustiques, ma-
ringoins et autres qui sont le tourment des régions
voisines, n'ont jamais paru.
Puis il promène son lecteur dans la forêt, la forêt
vierge des hautes terres.
» Viens, chasseur, mon ami, viens la voir telle
qu'elle est actuellement, sauvage, hostile et fermée.
» Le voici, le grand bois, plein d'une horreur
sublime. Quatre couches de végétation s'étalent
entre la boue et l'azur. En bas, se traînent des
plantes grasses, massives, luisantes, auxquelles les
botanistes n'ont pas encore eu le loisir de donner
des noms scientifiques.
».Les feuilles sèches, les bruyères y tombent et
alimentent des milliers de tribus de vermines
grouillantes et d'insectes bourdonnants.
» Quels sont les mystères de la vie végétale et
animale, qui s'élaborent dans cette couche en
putréfaction et en floraison perpétuelles Quels
sont les artisans de ces acres et étranges senteurs,
de ces bruits inconnus et indistincts qui s'échap-
pent de cette basse région d'ombres éternelles
» De cette mer de verdure, endormie avec tes
vents assoupis, houleuse avec les vents déchaînés,
émergent, ça et la, les têtes de quelques géants de
la forêt. Fort éloignés les uns des autres, solitaires
et solennels, ils ressemblent à autant de pasteurs
de peuples, surveillant avec gravité la vie des
cités et des nations.
» A travers le fouillis des colonnes, qui fait pen-
ser à quelque Carnac impossible, bouleversé et
surnaturel, mais plus grand que toute l'Égypte,
avec tous ses déserts, le fût de l'arbre géant appa-
raît énorme, monstrueux, ou plutôt il est entrevu,
car tout cela est vague et indistinct. Les arbres
étiolés, la végétation des lianes et des plantes grim-
pantes, le balancement des feuilles gigantesques,
qui tapissent l'espace sur des mètres carrés, dissi-
mulent l'ensemble et le détail, dans la demi-
obscurité du milieu.
» Parfois le ciel se couvre. Perdu dans les déserts
de la végétation vierge, le voyageur n'y voit pas
plus qu'en pleine nuit. L'obscurité et la terreur,
descendent plus intenses et plus sombres du pla-
fond feuillu, pour se mêler au grouillement sinistre
des pourritures d'en bas. Tout se tait l'oiseau ne
chante plus, le singe cesse de hurler, les fauves
ne font plus entendre leurs cris rauques, les insectes
même cessent leur bourdonnement.
» Le silence, la nuit, l'attente de quelque grand
événement sont d'une mise en scène terrible,
comme une réception maçonnique du moyen âge.
» Tout à coup un éclair bizarre, crépitant,
déchire l'obscurité de la forêt recueillie; les
colonnes et les architectures végétales, apparais-
sent comme une vision de temples ruinés, escala-
dées pac la horde confuse des plantes grimpantes
tropicales.
» Puis des bruits sourds, qui glacent le cœur,
se font entendre. C'est la tempête, entre-choquant
les hautes cimes, qui grincent et craquent. Ce
sont les grandes lianes qui se meuvent et paraissent
fuir, pleurant sur un mode presque humain, dans
des frôlements mystérieux. Ce sont, dans les
fourrés, de vagues bondissements de bêtes effarées,
des cris lugubres, qui sont peut-être un jeu du
vent, des avalanches de pluie sifflante, clapottante,
qui inondent les vertes toitures, et une rosée qui
suinte et tombe goutte à goutte à travers les
interstices de la charpente de branchages~ Et,
dominant tout, le tonnerre qui roule en haut sur
les dômes de la forêt, qui frémit sous les commo-
tions électriques1

» Puis tout cela s'agite et crie bruyamment


c'est le vent qui chasse les nuées, c'est le règne
anima! qui sort de ses repaires, pour annoncer la
réapparition du soleii. La forêt est remplie de
nouveau de lueurs crépusculaires, et le voyageur
éperdu croit assister à quelque féerie d'Hoffmann
en action.
» Fiévreux, il voit dans les lianes, qui courent
d'arbre en arbre, autant de serpents gigantesques
et prêts à l'enlacer, et sentant un crapaud sous
ses pieds, il croit, halluciné, que le sol marche et
se dérobe. »
La ville de Counani, la capitale de la contrée,
est construite sur la rive du fleuve qui porte le
même nom.
A

Elle ne compte encore qu'une trentaine de mai-


sons et environ 300 habitants, la moitié des civi-
lisés qui habitent le pays tout entier.
Le village actuel, qui ne compte que 23 années
d'existence, est situé à 23 kilomètres de la mer, si
l'on tient compte des méandres du fleuve, par
lequel on s'y rend et à 13 kilomètres seulement à
vol d'oiseau. Avec la marée montante, des vapeurs
de 300 tonneaux peuvent remonter la rivière et
s'amarrer à quai dans le village.
A l'embouchure du Counani, sur ia rive sud, se
trouve un vaste et beau port naturel, offrant des
profondeurs de 13 mètres et complètement abrité
par une montagne qui s'avance en promontoire
dans la mer.
Counani possède deux grandes places publiques
autour desquelles se groupent des maisons et des
rues bien tracées. Ces maisons sont toutes sans
plancher, ni étage, excepté celle du chef du pays,
le capitaine Trajane. C'est chez lui, que loge
actuellement M. Guigues.
Une église construite en briques et couverte de
tuiles, constitue le seul monument. Toutes les
autres maisons sont faites en bois, plus ou 'moins
bien équarris, reliés entre eux par un clayonnage
et de l'argile.
Les toitures sont faites de feuilles de palmier,
et peuvent, pendant cinq ans, et plus, braver,
sans laisser jour à une gouttière, les pluies formi-
dables de l'hiver.
A Counani, on trouve tout ce qu'on peut désirer,
pour vivre confortablement. Il y a deux boutiques
de boulangers, qui fabriquent, si l'on veut, du pain
avec de la farine de froment, achetée aux États-
Unis. Le maïs, le manioc et le riz, forment l'élé-
ment principal de l'alimentation, auquel il faut
ajouter l'infinie variété de gibiers et de poissons.
Les pommes de terre, comme en Guyane, sont
remplacées là, avantageusement, par les ignames.
Comme fruits, on y trouve l'ananas, la mangue, la

banane, la papaye et cent autres.


Trois magasins sont ouverts à Counani, mieux
montés' qu'aucun de ceux des petites villes de
province, et qui, outre toute sorte de hardes et de
vêtements, vendent toutes les conserves comesti-
bles, qu'un gourmand de profession peut désirer.
On peut s'y offrir des pâtés de foie gras, des ter-
rines de Nérac, des pâtes de pluviers, des lièvres
entiers, des haricots verts, du salmis de bécasse,
des truffes du Périgord, du homard en boîte et
tout l'assortiment qu'on sait.
Liqueurs diverses, cognac, tafia, y font l'objet
d'un grand commerce. Les voyageurs de passage,
y trouvent même la légendaire absinthe de Pon-
tarlier.
Tous les bons vins y tiennent une belle place;
vins de Bourgogne, vins de Bordeaux, vins de
Champagne, vins des Côtes du Rhône; vins de
Portugal, d'Espagne et d'Italie. Ces vins sont
meilleurs et coûtent moins cher qu'en France. Ils
sont meilleurs, parce que médiocres et falsifiés, ils
ne supporteraient pas la traversée; meilleurs
encore, parce que le voyage de quatre mois qu'ils
font pour venir d'Europe, les vieillit de quatre
années et les convertit en vins retour de l'Inde.
Enfin, ils sont meilleur marché, parce que le fret
ne revient qu'à quatre centimes par litre et qu'à
Counani on ne paye pas de droits d'entrée.
Dans les trois boutiques de Counani, celle de
Delmas, celle de Trajane et celle de Vasconcelli,
on vend encore du lait, du chocolat, du café et du
tabac.
A Counani,on boit le tafia comme les Allemands
boivent là bière; d'ailleurs on y vend aussi de la
bière, bière anglaise, bière américaine, bière
danoise.
Quant aux volailles, elles sont si nombreuses
chez tous les habitants, qu'elles ne représentent
aucune valeur vénale et s'empruntent, comme en
France, une prise de tabac.
Les habitants civilisés, forment dans la contrée
entière, un total de 600 individus environ, qui
sont le produit de trois sangs le Blanc, l'Indien, le
Nègre.
Quant aux Indiens qui vivent vers les sources
des fleuves, à l'intérieur, ils comprennent environ
6 ou 8 ooo personnes.
Entre Counani et la mer, sur des cours d'eau
divers, sont quatre villages de quelque impor-
tance Cachipour, Oïssa, Couripi et Rocawoi.
Les habitants de ces centres de population for-
ment une race bien curieuse; ils ont généralement
une maison à la ville et une autre isolée, au fond
des bois, où ils habitent de préférence. Ce sont
généralement des esclaves échappés du Brésil, et
cette situation explique,'d'une part, leur supério-
rité intellectuelle relative, et de l'autre, la préfé-
rence qu'ils ont toujours témoignée pour la
France.
Ils sont hospitaliers, généreux, prodigues, in-
souciants, braves, épicuriens et ils forcent la
sympathie de ceux qui les visitent. S'ils le voulaient~
ils seraient tous riches, mais à quoi bon travailler
pour la richesse quand on jouit, dans leur pléni-
tude, du bien-être et de la liberté ?
A Counani on parle et on comprend trois lan-
gues, le portugais, qui est la langue la plus com-
mune, le français, que tout le monde entend et le
créole de Cayenne, que tout le monde parle.
Tous travaillent, mais tous travaillent peu. Mal-
gré cela et leur petit nombre, le commerce annuel
de Counani dépasse un million de francs.
Ils récoltent une assez grande quantité de farine
de manioc qu'ils vont vendre à Para ou à Cayenne,
dans leurs goélettes nommées tapouyes, et qui entre
pour une bonne part dans l'approvisionnement des
placers de la Guyane française.
Nous avons dit que la pêche et la chasse consti-
tuent l'élément principal de leur alimentation. La
pêche du machoiran, qu'ils prennent près des côtes
de la mer, et dont ils vendent la chair saiée et la
colle, forme encore une industrie lucrative la con-
struction de quelques goélettes est leur principale
source de fortune. Ces goélettes sont fort recher-
chées à Para et à Cayenne. où elles se vendent 20
et même 30000 francs.
Nous terminerons ce rapide aperçu de la répu-
blique de Counani en disant ce que pourrait rap-
porter, dans un bref délai, l'exploitation indus-
trielle de cette contrée. Ceci nous semble d'autant
plus Intéressant à faire connaître que le nouveau
gouvernement étant exclusivement composé de
Français, tout nous fait supposer que c'est une
compagnie financière française qui entreprendra
cette exploitation.
Laissant de côté l'élevage qui donne d'excel-
lents résultats, mais qui demande quelques années
avant d'être rémunérateur, l'or qui est très abondant,
mais dont l'exploitation est coûteuse et aléatoire,
les cultures industrielles qui sont d'un bénéfice cer-
tain, mais partant peu considérable, même à Cou-
nani où tout vient déjà sans culture, laissant aussi
de côté la coupe des bois qui ne peut être entre-
prise de suite en grand par l'industrie, sans de
coûteuses et hasardeuses écoles, étudions ce qu'on
peut faire avec la seule industrie des produits fo-
restiers.
Voici, à titre d'échantillon, un devis des prix de
revient des trois principaux produits forestiers.
Les terres à caoutchouc, ou à cacao, ou à noix
du Brésil découvertes, on met des Indiens en de-
voir de les récolter. On paye ces Indiens, quand
on les paye bien, ou pour mieux dire quand on
les paye, 2 francs par jour et on les nourrit. Le
payement se faisant en marchandises, que l'on ma-
jore dans le pays d'au moins 5o pour 100 (et même
jusqu'à 3 ooo pour 100), ce payement revient au
plus à i franc par jour.
La nourriture se compose de trois éléments la
farine de manioc, le tafia et le tabac. Pour accroître
leur bien-être, les Indiens, aux heures de loisir,
chassent et pèchent. On compte en moyenne, pour
la dépense de nourriture, i franc par homme et
par jour, ce qui met le prix de revient d'un Indien,
solde et nourriture comprises, à environ 2 francs
par jour.
Or un Indien récolte en moyenne par jour
En caoutchouc, 3 kilos frais. Sec, ce caoutchouc
se réduit à 2 kil. 1/2. En tenant compte des diverses
qualités du caoutchouc et en tablant sur les prix
de la plus grande baisse sur place (~ francs le
kilogramme), on peut dire que le produit brut de
l'Indien en caoutchouc représente sur place 12 fr.
5o c. par jour.
La saison de la récolte du caoutchouc dure en-
viron cinq mois, soit au moins 100 jours de travail.
Travail de 100 jours, solde et nourriture. 200 fr.
Nourriture de 50 jours sans travail, 50 francs.
Total dépense, 250 fr. Produit brut 250 kil.
de caoutchouc à 5 francs, soit 1250 francs.
Bénéfice net d'une saison d'Indien en caoutchouc
tooo francs.
En cacao, 20 kilogrammes, à i franc le kilo-
gramme en moyenne sur place, soit 20 francs par
jour. La saison du cacao dure trois mois, soit au
moins 60 jours de travail. Travail de 60 jours,
solde et nourriture, 120 francs. 30 jours de nour-
riture sans travail, 30 francs. Total des dépenses:
150 francs. Produit brut 1200 francs. Béné-
nce net par homme et par saison 1050 francs.
En noix du Brésil, 90 kilogrammes à o fr. 25
l'un, soit 22 fr. 50 par jour. La saison dure trois
mois, soit 60 jours de travail. Travail de 60 jours,
solde et nourriture, 120 francs. Nourriture de
30 jours sans travail, 30 francs. Total dépense,
150 francs. Produit brut 5400 kilogrammes à
o fr. 25 sur place, soit 350 francs. Bénéfice
net par homme et par saison, 200 francs.
On voit que le caoutchouc est un peu moins
rémunérateur que le cacao et la noix du Brésil.
Le travail des demi-civilisés de Counani et de
l'Amazonie est encore plus rémunérateur, car si on
le paye le double et si on nourrit mieux les travail-
leurs, ceux-ci fournissent une somme de travail
beaucoup plus considérable. Malheureusement, il
n'y a plus guère aujourd'hui de ces travailleurs
disponibles sur les marchés amazoniens et couna-
niens.
Mais, demandera-t-on, ces produits forestiers
sont-ils abondants à Counani? Il suffit de répondre
que le caoutchouc vit en famille à quelques heures
au-dessus du village que la salsepareille et la
noix du Brésil abondent partout dans le grand
bois que d'immenses forêts de carapa bordent les,
rives du fleuve Cachipour, et qu'enfin le cacao.
Mais le cacao mérite une mention spéciale. Sans~
parler du cacaoyer sylvestre, qui se trouve un peu
partout dans les hautes terres, nous avons à Cou-
nani le cacao cultivé.
A un jour de canotage au-dessus de la capitale,
sur la rive droite du fleuve, longeant la rive pen-
dant 4 kilomètres et sur un kilomètre de profon-
deur, se trouve une des plus vastes cacaoyères du
bassin de l'Amazone.
Cette cacaoyère, la cacaoyère de Counani, a été
plantée par les jésuites en 1780. Elle compte plu-
sieurs milliers de pieds de cacaoyers. Actuellement
elle est propriété communale, ou plutôt terrain
vague, res nullius,
Les Counaniens y vont charger de fruits leurs.
goélettes. Ils les cueillent parfois même verts pour
manger la pulpe qui est sucrée et rafraîchissante.
Ils récoltent les fruits mûrs pour en extraire le cho-
colat nécessaire à leur consommation.
En somme, les trois quarts au moins de la pro-
duction se perdent, et cependant ce qui est ainsi
mangé vert, gâté, gaspillé, utilisé ou exporté, ne
présente pas une valeur inférieure à 23 ooo francs
par an.
A propos de la cacaoyëre de Counani, il faut
remarquer plusieurs choses
D'abord, bien qu'elle produise pour environ
tooooo francs par an, cette production ne repré-
sente pas le quart de celle dont sera susceptible
la cacaoyëre quand elle sera un peu élaguée,
entretenue, débarrassée des grands arbres qui
l'encombrent en trop grand nombre.
Ensuite, pour centenaire qu'elle soit, la ca-
caoyère n'est pas fatiguée. Pour peu qu'on l'entre-
tienne, un cacaoyer vit plusieurs siècles. Les
quatre ou cinq grandes cacaoyères de l'Amazone,
lesquelles fournissent ensemble pour environ dix
millions de fruits par an, celle du Cacoal-Grande,
du Cacoal-Real, près d'Obidos, celle du Bas-
A madone et celle de Solimoes, sont toutes sécu-
laires. Le Cacoal-Real date de 1680.
Enfin, avoir une cacaoyère constitue un mono-
pole naturel pour l'exploitation en grand du cacao.
En effet, on n'improvise pas une cacaoyère. On
n'en peut créer une que dans les régions où il y
en a déjà. La semence du cacao, telle qu'on l'expé.-
die pour être convertie en chocolat, ne peut pas
germer. Pour produire, elle doit être plantée
fraîche. De plus, le fruit qui contient cette se-
mence ne peut se conserver qu'un nombre limité
de jours, ce qui ne lui permet pas d'être trans-
porté à de grandes distances.
D'où nous concluons que Counani pourra être,
quand on voudra, un des plus grands centres de
production du cacao et un des premiers entre ses
pairs, car la cacaoyère de Counani est une des
plus importantes qui soient en Amérique.
Ceci soit dit sans insister, car ainsi que nous
l'avons vu, Counani a d'autres ressources que son
cacao.
L'obtention de toute faveur, tout privilège, toute
concession, toute ferme, toute majoration des pre-
miers arrivants étant absolument certaine, les capi-
taines actuels, le nouveau président de la Répu-
blique et toute la population sont disposés à con-
sentir à tout pour attirer les Français en Counani.
Pouvons-nous prévoir les bénéfices à réaliser?
Le budget des dépenses comprendrait la créa-
tion d'un service de petits vapeurs côtiers, reliant
Counani, d'une façon régulière, à Cayenne d'une
part et de l'autre à Para, le grand port amazonien.
Un autre service régulier pourrait être établi
entre Counani et l'Europe au moyen d'un bateau
à vapeur faisant l'échange des produits et des
marchandises.
Ce budget comprendrait en outre les dépenses
d'administration proprement dites et les dépenses
d'exploitation. Pour le budget dépenses, il n'y a
pas de chiffre à donner. Cela dépendra évidem-
ment du plus ou moins d'habileté et d'activité dé-
ployé par le nouveau gouvernement.
Pour ce qui est du budget recettes, il faudrait le
prévoir à peu près nul pour la première année.
Pour la deuxième année, on peut prévoir un mini-
mum de recette brute. Comment qu'on s'y prenne,
on n'aura pas, pendant les douze premiers mois,
glané dans la contrée, tant en demi-civilisés qu'en
Indiens, moins de 500 travailleurs. Ces 300 tra-
vailleurs représentent un revenu brut d'environ
600000 francs, d'après la cote de l'Amazonie.
Pendant la troisième année, on aurait certaine-
ment ooo travailleurs travaillant au moins pen-
dant une saison. Le revenu que l'on déduit aisé-
ment et qui est fort respectable, ne peut pas man-
quer d'augmenter fatalement dans une proportion
rapide. En effet, on n'aura plus les frais et les
peines de premier établissement on aura un per-
sonnel en même temps adapté et dressé; on pourra
consacrer la meilleure partie des efforts de t'entre-
prise à augmenter l'importance du courant de
main-d'œuvre indigène et si la rapide progression
de revenus n'arrive pas à s'améliorer d'une manière
indéfinie, ce n'est point parce que tes produits
forestiers et autres feront défaut à l'exploitation,
mais parce que la main-d'œuvre, beaucoup plus
limitée en quantité, ne pourra suffire à la récolte
de tous les produits.
Nous aurons terminé cette étude sur la Guyane
française et sur la Guyane indépendante, en disant
qu'au moment même où nous écrivons ces lignes,
M. Guigues, à Counani, des personnages haut
placés dans le monde des arts et dans celui des
finances, à Paris, et l'auteur de ce livre réunissent
et combinent tous leurs efforts pour fonder, d'une
part, la république counanienne, et, d'une autre,
pour former une société financière disposée à aller
recueillir les richesses infinies de cet admirable
pays.
TABLE DES GRAVURES

chute.
t Paysage d'un rapide en Guyane
Marotii.
d'une
2 Passage

~.VuedeCayenne.
3 Embouchure du
'P~Ci.

177
21t
322
2

5 Habitants nègres et mulâtres de Cayenne. 39


6 Vue du pénitencier de Saint-Laurent 49
7 Village d'Indiens Gallibis. –Gallibis fabriquant des
poteries ;<)
9
d'Indiens Roucouyenne
8 Famille
prêtre-sorcier. 63

Tapir.
Bonis.
9 Un piay ou 67
10 Une danse chez les Roucouyennes
i i Famille de 71

Agouti.
jzPêcheducoumarou.
i;Cabiaï.
13
14

pécaris.
75S
81i
87
91
9 S

18
t~
Caimans.
Iguane.
16 Chasse aux
17 Singe hurleur. Macaque

La couleuvre Mo/Ma di /'MM.


97
10~
!09
113
20 Serpent boa. n~.

Araignée-crabe.
21 Indiens chassant t'a! ou paresseux n6

Guyane.
22 117
23 Chauve-souris vampire !20
24 Forêt vierge en 15;S
2~
26
27
française.
Récolte du caoutchouc
Carte de la Guyane
Carte du Bassin de l'Amazone
16;
n

T~7
t
TABLE DES MATIÈRES

p*
CHAPITRE I".

pénitenners.
Géographie physique des Guyanes.
sements
Les établis-

pêche.
y

CHAPITRE Il.
La population. Civilisés et sauvages. Chasse et

.CHAPITRE III.
Histoire de la colonisation de la Guyane irancaise. t22

CHAPITRE IV.
Les richesses de la Guyane française. ï~
CHAPITRE V.
Les terrains neutres dits terrains contestés. La
Guyane indépendante !9~
·
Table des gravures a2).

Paris. Imp. Alcide PICARD, 192, rue de Tolbiac. 9.1909. B. S.D.

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